Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le vendredi 15 mars 2013

  2   [Audience d'appel]

  3   [Audience publique]

  4   [Les appelants sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 00.

  6   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  7   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous. Madame la

  8   Greffière, veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.

  9   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Affaire IT-05-87-A, le Procureur contre

 10   Nikola Sainovic, Nebojsa Pavkovic, Vladimir Lazarevic et Sreten Lukic.

 11   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Comme cela a déjà été

 12   dit, je demande aux parties de réagir tout de suite si à un moment

 13   quelconque elles n'arrivaient plus à suivre les débats.

 14   Aux fins du compte rendu d'audience, je demanderais aux parties de se

 15   présenter, s'il vous plaît. Commençons par l'Accusation.

 16   M. KREMER : [interprétation] Je vous remercie. Peter Kremer, je représente

 17   ici le bureau du Procureur. Aujourd'hui avec Michelle Jarvis, Najwa Nabti,

 18   Priya Gopalan, ainsi que M. Milaninia qui présentera des arguments ce matin

 19   et encore une fois ici avec nous, notre collègue Colin Nawrot, qui est

 20   notre commis à l'affaire.

 21   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Pour la Défense.

 22   M. FILA : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Toma Fila.

 23   Avec moi Vlada Petrovic, toujours ici pour défendre les intérêts de Nikola

 24   Sainovic.

 25   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 26   M. ACKERMAN : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. John

 27   Ackerman avec Alexsandar Alexis pour le général Pavkovic.

 28   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 


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  1   M. BAKRAC : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges,

  2   représentant le général Lazarevic, Mihajlo Bakrac, Djuro Cepic, et Milan

  3   Petrovic.

  4   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

  5   M. LUKIC : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Branko

  6   Lukic, M. Dragan Ivetic, pour M. Sreten Lukic.

  7   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Ce matin nous

  8   entendrons les arguments de l'Accusation. C'est à vous.

  9   M. KREMER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Pour

 10   vous donner un aperçu de l'ordre de présentation de nos arguments

 11   aujourd'hui, Mme Jarvis, M. Milaninia et moi-même, nous nous sommes

 12   partagés l'appel de l'Accusation et nous nous sommes limités aux quatre

 13   moyens d'appel. Mme Jarvis présentera des arguments sur les moyens 3 et 4

 14   de notre appel qui concernent les erreurs commises par la Chambre de

 15   première instance portant sur les crimes de persécution qui comprennent

 16   l'agression sexuelle. M. Milaninia brièvement présentera des arguments sur

 17   le moyen 2 portant sur l'erreur commise par la Chambre de première instance

 18   en acquittant le général Lazarevic d'avoir aidé et encouragé les meurtres,

 19   assassinat, y compris la VJ. Et je terminerai en parlant des erreurs

 20   portant sur la peine.

 21   Nous ne parlerons pas des moyens 1 et 5 aujourd'hui, qui portent sur

 22   des erreurs techniques de droit et que nous avons abordées pleinement dans

 23   nos mémoires par écrit.

 24   S'il y a des questions, bien entendu, à tout moment nous sommes prêts

 25   à y répondre.

 26   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 27   Madame Jarvis.

 28   Mme JARVIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,


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  1   Madame, Messieurs les Juges, bonjour. Comme cela vient d'être dit ce matin,

  2   je présenterai des arguments portant sur le troisième et le quatrième moyen

  3   d'appel d'accusation qui portent sur l'agression sexuelle en tant que

  4   persécution.

  5   Le moyen 3 concerne l'erreur commise par la Chambre de première instance

  6   qui a commis une erreur en ne constatant pas que ces agressions sexuelles

  7   étaient prévisibles à Sainovic et à Lukic au titre du critère relatif à

  8   l'entreprise criminelle commune de troisième catégorie. Le moyen 4 concerne

  9   l'erreur commise par la Chambre de première instance qui n'a pas constaté

 10   que les agressions sexuelles de Pristina ont été commises avec l'intention

 11   discriminatoire requise, cette erreur concernent les déclarations de

 12   culpabilité de Sainovic, Pavkovic, et Lukic.

 13   Alors, Madame, Messieurs les Juges, il est important de savoir que l'issue

 14   de cette affaire concerne une situation d'expulsion basée sur des motifs

 15   ethniques ayant recours à la violence, une campagne où des femmes, des

 16   enfants ont été expulsés de leurs foyers dans un climat terrifiant et

 17   extrêmement explosif, on les a abandonnés à la merci des dizaines de

 18   milliers de forces militaires et de la police, elles n'avaient aucun moyen

 19   efficace de protection en place, et il s'agit là d'affirmer que des actes

 20   d'agression sexuelle n'étaient pas prévisibles. Donc, c'est cela que nous

 21   contestons. Une autre implication du jugement de première instance est qu'à

 22   moins qu'un auteur ne fasse une déclaration explicitement discriminatoire

 23   au moment où l'agression sexuelle a lieu, l'intention discriminatoire ne

 24   peut pas être constaté.

 25   Il est important que nous nous penchions très attentivement sur ces deux

 26   conclusions. Pour deux décennies pratiquement, le Tribunal pénal

 27   international pour l'ex-Yougoslavie a corrigé de nombreuses mauvaises idées

 28   historiques sur les crimes sexuels commis dans une situation de guerre. Et


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  1   à ce stade, nous ne pouvons pas laisser s'installer une mauvaise

  2   perception, à savoir que ces crimes relèvent de critères de prévisibilité

  3   qui seraient plus stricts que ceux qui concernent l'intention

  4   discriminatoire requise de manière habituelle.

  5   Il est tout à fait important également de constater la responsabilité pour

  6   ces crimes. Vous devez vous pencher sur la question qui est de savoir si au

  7   titre des critères qui sont applicables la Chambre de première instance a

  8   commis une erreur en appréciant la responsabilité de l'accusé en l'espèce.

  9   Et nous estimons qu'elle a commis une erreur.

 10   Donc premièrement, je parlerai du moyen trois, par rapport à la

 11   prévisibilité des crimes de persécution, d'agression sexuelle. Ensuite,

 12   j'expliquerai pourquoi il y a eu erreur de la part de la Chambre de

 13   première instance au titre du seuil, donc en appliquant un critère plus

 14   strict pour l'entreprise criminelle commune de troisième catégorie.

 15   Ensuite, je dirai pourquoi, et il convient de corriger cette erreur.

 16   Deuxièmement, je parlerai du moyen quatre portant sur l'intention

 17   discriminatoire de persécution. J'expliquerai pourquoi dans le contexte qui

 18   entoure les viols, eh bien, la seule conclusion raisonnable : qu'ils ont

 19   été commis avec l'intention discriminatoire. Et j'expliquerai pourquoi, et

 20   il s'agira donc de corriger les erreurs de la Chambre de première instance

 21   et de confirmer que les viols de Pristina constituent des actes de

 22   persécution, et pourquoi Sainovic, Pavkovic et Lukic doivent être déclarés

 23   coupables au titre de l'entreprise criminelle commune de troisième

 24   catégorie.

 25   Alors premièrement, le troisième moyen d'appel. Avant je voudrais qu'il

 26   soit tout à fait clair que l'Accusation ne maintient pas l'argument qui

 27   avait été annoncé initialement que Sainovic et Lukic avaient l'information

 28   que les actes d'agression sexuelle étaient en train de se produire avant le


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  1   début de la campagne de 1999. Comme cela a été dit dans notre mémoire en

  2   réplique, nous admettons que les éléments de preuve n'étayent pas de

  3   manière tout à fait claire et sans aucune ambiguïté cette affirmation.

  4   Toutefois, nous affirmions que cela n'entrave pas notre moyen d'appel. Pour

  5   des raisons que j'expliquerai, la preuve d'information préalable que les

  6   mêmes crimes se sont déjà produits n'est pas requise pour démontrer la

  7   prévisibilité.

  8   Il est clair que la Chambre de première instance a commis une erreur

  9   sur un point de droit en appliquant à risque trop rigoureux pour

 10   l'entreprise criminelle de troisième catégorie. La preuve que les membres

 11   de l'entreprise criminelle commune pouvaient prévoir les actes d'agression

 12   sexuelle était la preuve qui était requise. En s'appuyant sur la décision

 13   depuis, la Chambre d'appel a confirmé qu'il ne s'agit pas là d'un critère à

 14   suivre. A la place, la Chambre de première instance aurait dû se demander

 15   si les membres de l'entreprise criminelle commune pouvaient prévoir que les

 16   persécutions d'agression sexuelle pouvaient se produire, ce qui revient à

 17   appliquer le critère de possibilité. Et la Chambre d'appel a réglé ce point

 18   dans son arrêt rendu suite à l'appel interlocutoire dans l'affaire Karadzic

 19   du 25 juin 2009.

 20   La Chambre d'appel Karadzic a précisément noté que la mens rea au

 21   titre de l'entreprise criminelle commune de troisième catégorie est

 22   satisfaite lorsqu'il y a possibilité du crime. Certainement, nous

 23   reconnaissons que la Chambre d'appel a mis en garde que ce critère ne sera

 24   pas satisfait par des actes éloignés et que la possibilité substantielle

 25   doit être suffisante pour que ce soit prévisible. Mais il n'empêche que la

 26   Chambre d'appel a confirmé que la preuve requise de probabilité est un

 27   critère trop rigoureux. Paragraphe 18 de la décision Karadzic.

 28   Donc il y a eu une erreur sur un point de droit qui a été commise


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  1   très clairement.

  2   Vous devez appuyer le critère correct sur le point de droit.

  3   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Madame Jarvis, est-ce que vous pourriez,

  4   s'il vous plaît, nous indiquer quel est le paragraphe spécifique du

  5   jugement où vous affirmez que la Chambre de première instance a commis une

  6   erreur en appliquant les critères erronés.

  7   Mme JARVIS : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je pourrais peut-

  8   être répondre brièvement. Pour commencer, je pourrais peut-être dire que

  9   nous avons renvoyé aux paragraphes pertinents de notre acte d'appel, mais

 10   je pourrais vous les indiquer à présent aussi si vous le souhaitez.

 11   Madame, Messieurs les Juges, dans le Volume I du jugement de la Chambre de

 12   première instance, paragraphes 96 et 111, au paragraphe 96, par exemple,

 13   vers la fin du paragraphe, page 40, la Chambre de première instance a

 14   indiqué qu'elle souhaitait savoir s'il était raisonnablement prévisible à

 15   lui que le crime ou l'infraction sous-jacente serait perpétrée par une ou

 16   plusieurs personnes qu'il engageait en tant que membres de l'entreprise

 17   criminelle commune. Et c'est la même formulation qui revient au paragraphe

 18   111 du Volume I, ce paragraphe, page 46, et nous voyons cette même

 19   référence. Donc, cela est raisonnablement prévisible sur la base de

 20   l'information disponible à l'accusé, consistant à dire que le crime ou

 21   l'infraction sous-jacente serait commise. Là encore, cette formulation est

 22   de manière claire incorrecte, comme cela a été confirmé par la Chambre

 23   d'appel. Donc la formulation qui aurait dû être employée est celle de

 24   "aurait pu être commis", ce qui correspond au critère moins rigoureux, qui

 25   est équivalent au seuil -- donc au critère de possibilité.

 26   Et nous retrouvons cela au Volume III dans les conclusions de la

 27   Chambre de première instance portant sur l'entreprise criminelle commune de

 28   troisième catégorie. Et par rapport à l'accusé Lukic, la Chambre dit que


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  1   les actes d'agression sexuelle étaient "probables". Là, encore, nous voyons

  2   qu'il s'agit d'un critère erroné.

  3   De manière plus générale, la Chambre de première instance s'est

  4   appuyée sur la décision en appel interlocutoire dans l'affaire Brdjanin qui

  5   a adopté ce critère plus rigoureux donc de possibilité, et c'est

  6   effectivement pour cette décision-là que la Chambre d'appel dans l'affaire

  7   Karadzic a confirmé qu'elle l'a rejetée.

  8   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

  9   Mme JARVIS : [interprétation] Alors, la prévisibilité aux fins de

 10   l'entreprise criminelle commune de troisième catégorie doit être appréciée

 11   par rapport à l'ensemble du contexte dans lequel les crimes ont été commis,

 12   en particulier à la lumière de la nature de l'objectif criminel commun.

 13   Pendant que les éléments de preuve consistant à montrer que l'accusé savait

 14   que certains types de crimes précédemment avaient été commis pourrait être

 15   un élément de contexte important, ce n'est pas le seul, et certainement pas

 16   l'élément essentiel pour démontrer la prévisibilité. Nous vous demandons de

 17   rendre cela tout à fait clair lorsque vous rendrez votre appel en l'espèce.

 18   Pour illustrer cela, prenons l'exemple classique de scénario de

 19   l'entreprise criminelle commune de troisième catégorie lorsqu'un accusé est

 20   tenu responsable de meurtre en tant que participant à l'entreprise

 21   criminelle commune consistant à commettre un cambriolage, c'est même si

 22   jamais l'intention n'a été de tuer qui que ce soit.

 23   L'appréciation que le meurtre constitue une conséquence prévisible d'un

 24   cambriolage armé ne dépend pas des éléments de preuve consistant à montrer

 25   que les participants à l'entreprise criminelle commune savaient que les

 26   employés de la banque avaient récemment été victimes de tirs au cours

 27   d'autres cambriolages. C'est une question de bon sens. Si quelqu'un attaque

 28   une banque avec une arme pour voler des objets précieux, eh bien, il est


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  1   prévisible que quelqu'un risque d'être tué.

  2   Comparer cela à l'entreprise criminelle commune de l'espèce. Nous

  3   n'avons pas ici une arme chargée, nous avons des dizaines d'hommes armés

  4   qui font irruption dans les villages, qui se rendent porte-à-porte, qui ont

  5   recours à la violence et à la terreur pour déplacer par la force 700 000

  6   personnes y compris, bien sûr, des femmes et des filles. Vous devez vous

  7   demander si dans ce contexte-là ces crimes étaient prévisibles ?

  8   Cette approche a été adoptée précédemment par de nombreuses Chambres

  9   de première instance et cela a été reconnu par la Chambre d'appel. Dans

 10   l'affaire Krstic, c'est un exemple très clair. Lorsqu'il a été constaté que

 11   c'était une conséquence prévisible de la crise humanitaire de Potocari, la

 12   Chambre de première instance n'a pas exigé des éléments de preuve

 13   démontrant que le général Krstic savait que ses hommes avaient précédemment

 14   commis de tels crimes. A la place, la Chambre de première instance s'est

 15   basée sur le bon sens et a déduit sur la base du comportement humain

 16   habituel, compte tenu des éléments contextuels et compte tenu de la nature

 17   du plan criminel commun, qui était de déplacer les femmes et les enfants et

 18   les personnes âgées de cette zone. Donc, la Chambre de première instance a

 19   souligné qu'il n'y avait pas d'abri, quelle était la densité de cette

 20   foule, quelle était la condition vulnérable des réfugiés, la présence de

 21   nombreuses unités régulières et irrégulières et paramilitaires dans la

 22   zone, et simplement le fait qu'il n'y avait pas de protection pour les

 23   réfugiés.

 24   Le général Krstic savait suffisamment au sujet de ce contexte pour

 25   que cela lui devienne prévisible que les femmes risquaient d'être violées

 26   dans ce contexte. Paragraphes 606, 607 et 617 du jugement Krstic ainsi que

 27   l'arrêt de la Chambre d'appel, paragraphe 149 du même dossier.

 28   L'affaire Kvocka est un autre exemple aussi clair d'analyse


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  1   contextuelle. S'il est constaté que l'agression sexuelle était prévisible

  2   dans le contexte du camp d'Omarska dans la municipalité de Prijedor, la

  3   Chambre de première instance n'a pas exigé des éléments de preuve

  4   démontrant que l'accusé savait que des femmes avaient été précisément

  5   violées dans le camp. A la place de cela, la Chambre de première instance

  6   s'est basée sur le sens commun et a déduit ses conclusions sur la

  7   perception habituelle du comportement humain dans un contexte donné et

  8   compte tenu de l'objectif criminel de persécuter et de subjuguer les

  9   détenus non-serbes.

 10   La Chambre de première instance a conclu :

 11   "Il ne serait pas réaliste et contraire à la logique de s'attendre à ce

 12   qu'aucune femme détenue à Omarska, placée dans des circonstances où elle

 13   était particulièrement vulnérable, ne serait pas soumise au viol ou autres

 14   formes d'agressions sexuelles".

 15   Paragraphe 327 du jugement Kvocka.  

 16   Nous pouvons maintenant ajouter à cela le jugement dans l'affaire Tolimir,

 17   qui a été rendu en décembre de l'année dernière, qui ne se penche pas

 18   précisément sur cette question-là au titre de l'entreprise criminelle

 19   commune, mais je vous renvoie plus concrètement aux paragraphes 136 [comme

 20   interprété] et 140 [comme interprété], donc, du jugement de première

 21   instance Tolimir.

 22   Vous pouvez mener un examen contextuel analogue en l'espèce, et si

 23   vous le faites, la seule conclusion raisonnable que Sainovic et Lukic

 24   pouvaient prévoir, que la persécution entraînant agression sexuelle pouvait

 25   se produire dans le contexte de cette entreprise criminelle commune, et

 26   cette conclusion est renforcée par l'examen du juge Chowhan dans son

 27   opinion dissidente en l'espèce. Il s'est appuyé sur l'existence du plan

 28   commun dans lequel l'expulsion était atteinte par le biais du transfert des


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  1   femmes de leurs maisons. Lorsqu'il a formué son opinion dissidente, il se

  2   réfère à la prudence et au sens commun, et cela nous montre qu'il s'appuie

  3   sur une perception de la dynamique des comportements humains dans ce

  4   contexte-là. Donc, nous estimons qu'il s'agit là de l'approche qu'il

  5   convient d'adopter et que vous devriez adopter en l'espèce.

  6   Il est regrettable que nous vivons toujours encore dans ce monde où

  7   des actes d'agressions sexuelles se produisent de manière régulière contre

  8   les femmes. Dans une situation de chaos et d'agression de conflit armé, où

  9   les structures sociales habituelles se décomposent, le risque est encore

 10   plus élevé. Et très certainement, en pleine campagne de nettoyage comme

 11   celle de l'espèce, c'est une possibilité prévisible que des actes

 12   d'atteinte à l'intégrité physique se produiront.

 13   Je voudrais souligner trois indices principaux en l'espèce qui nous

 14   montrent que cette possibilité d'agression sexuelle était prévisible à

 15   Sainovic et à Lukic. Premièrement, le recours à la violence et à la

 16   terrorisation [phon] en tant que partie intégrante de l'objectif criminel

 17   commun. Deuxièmement, ce climat de haine ethnique. Et troisièmement, le

 18   fait que les femmes et les filles étaient abandonnées à elles-mêmes dans

 19   des situations extrêmement vulnérables sans mesures de protection

 20   habituelles.

 21   Notre jurisprudence confirme la pertinence de ces indices, de ces

 22   éléments de prédiction pour prévoir que les crimes d'agressions sexuelles

 23   ou d'autres crimes se produiront. Par exemple, jugement en première

 24   instance dans l'affaire Krstic, paragraphe 616, et paragraphe 149 en appel;

 25   Kvocka, paragraphe 327, première instance; Popovic, paragraphe 1 088,

 26   première instance; et Tolimir, 1 136, jugement de première instance.

 27   Donc, prenons maintenant le premier indice.

 28   Il ne serait pas réaliste de s'attendre à ce qu'au moment où 700 000


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  1   personnes sont déplacées, 700 000 Albanais kosovars, eh bien, que c'est de

  2   manière sereine qu'ils acceptent d'abandonner leurs maisons et de ne jamais

  3   revenir chez eux, que cela se passe suite à une demande présentée de

  4   manière tout à fait aimable. Il est évident que l'ordre de déraciner autant

  5   de personnes, que les forces armées serbes ont dû avoir recours à la

  6   violence lorsqu'elles ont expulsé les gens en se rendant chez eux de

  7   maisons en maisons, eh bien, qu'ils ont pris pour cible cette population

  8   pour les inciter à fuir. Et c'est ce qui a été constaté par la Chambre de

  9   première instance. Nous trouvons de nombreuses références montrant qu'il y

 10   a eu recours à la violence et à la terrorisation en tant que partie de

 11   campagne d'expulsion. Par exemple, vous verrez cela à l'écran :

 12   "Une campagne à grande échelle, une campagne de violence dirigée

 13   contre la population civile albanaise de Kosovo pendant les frappes

 14   aériennes du Kosovo…"

 15   Volume II, paragraphe 1 156.

 16   La Chambre a également constaté que :

 17   "…les récits des témoins oculaires étaient cohérents et se

 18   corroboraient, faisant état d'une terrorisation systématique de civils

 19   albanais kosovars, et ce, de la part des forces de la République fédérale

 20   de Yougoslavie et de Serbie, par le biais de leurs transferts de leurs

 21   maisons, le pillage et la destruction délibérée de leurs biens, il

 22   s'agissait d'une campagne de violence, d'après la Chambre, dirigée contre

 23   la population civile albanaise kosovar pendant laquelle il y a eu des

 24   incidents de meurtres, d'agressions sexuelles, de destructions

 25   intentionnelles de mosquées".

 26   Volume II, paragraphe 1 178 et paragraphe 1 156.

 27   Ce qui est encore plus important, la Chambre de première instance a

 28   constaté que le recours à la violence et à la terrorisation a constitué une


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  1   composante essentielle du processus criminel commun, et encore une fois

  2   vous voyez cela s'afficher à l'écran.

  3   La Chambre de première instance formule l'existence de cet objectif

  4   commun de la manière suivante, et dit :

  5   "Par le biais d'une campagne généralisée systématique de terreur et

  6   de violence, la population albanaise kosovare allait être déplacée par la

  7   force à l'intérieur du Kosovo et à l'extérieur".

  8   Volume III, paragraphe 95.

  9   Il est important de comprendre que l'agression sexuelle constituait des

 10   crimes violents commis au cours de ces attaques, tout comme les expulsions,

 11   les meurtres, les passages à tabac, et la destruction des biens.

 12   Les viols en groupe du Témoin K20, par exemple, à Beleg, en constitue un

 13   exemple clair. Les forces serbes sont arrivées à Beleg, se sont mises à

 14   maltraiter la population albanaise kosovare. Des pièces d'identité ont été

 15   confisquées, les hommes ont reçu des coups, il y a eu des meurtres, les

 16   femmes ont été fouillées et ont fait l'objet d'agressions sexuelles. Volume

 17   II, paragraphes 54 à 55, 58 à 64.

 18   Les forces serbes armées ont entouré et ont encerclé la maison de Témoin

 19   K20 et ont ordonné à elle et à sa famille de partir. Ils ont été enfermés

 20   dans une cave avec trois [comme interprété] autres prisonniers, et nombre

 21   d'entre eux étaient des femmes. K20 était sortie avec quatre autres filles

 22   et a été violée par quatre soldats de manière violente. Et en même temps,

 23   elle pouvait entendre des cris de deux autres filles, et elle savait

 24   qu'elles étaient en train d'être violées, elles aussi. Et après cela, elle

 25   a eu de telles douleurs qu'elle ne pouvait pas s'asseoir et elle s'est

 26   évanouie. Le lendemain, un policier a ordonné à K20 de se rendre en

 27   Albanie.

 28   Les villageois de Beleg se sont enfuis du Kosovo, tout comme des centaines


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  1   de milliers d'autres Albanais kosovars. Et K20 en a fait partie. Elle avait

  2   été chassée de son foyer, elle a été emprisonnée dans des conditions

  3   inhumaines, violée, et enfin expulsée de Kosovo, pour que les objectifs de

  4   l'entreprise criminelle commune soient atteints. Volume II, paragraphes 58,

  5   61, 65, 67, 1 178; et pièce P2669, pages 2, et 4 à 6.

  6   Les expériences de témoins qui ont été victimes d'agressions sexuelles de

  7   Qirez. Les hommes avaient été tués, ils étaient tués de manière aveugle,

  8   les maisons et les biens ont été incendiés, les femmes ont été forcées à

  9   prendre la fuite et elles étaient soumises à des actes d'agressions

 10   sexuelles. Volume II, paragraphes 623 à 636.

 11   Les différentes formes de violence physique ont été infligées à la

 12   population albanaise kosovare sous différentes formes. C'était soit des

 13   hommes soit des femmes, les deux, tous ont été victimes de violence qui les

 14   ont forcés à prendre la fuite. Il est important de se rappeler que nous

 15   sommes ici face à la persécution fondée sur l'atteinte à l'intégrité

 16   physique. Il ne faut pas perdre de vue le fait qu'il s'agit d'agressions

 17   sexuelles, d'actes comme tout autre acte de violence qui est infligé à la

 18   personne pour l'humilier.

 19   La Chambre de première instance a conclu que Sainovic et Lukic savaient que

 20   le déplacement serait effectué par le biais de la violence et de la

 21   terreur. Notamment, la Chambre de première instance a conclu que ce fût

 22   justement l'un des facteurs qui rendaient prévisibles les crimes de

 23   destruction des biens. Paragraphes 473 et 1 136, du Volume III. De même,

 24   lorsqu'elle a conclu que pour Sainovic et Lukic ces meurtres et/ou

 25   assassinats étaient prévisibles, la Chambre de première instance a fait

 26   référence précisément à "le contexte dans lequel s'effectuait ce

 27   déplacement forcé". Paragraphes 470 et 1 134 du Volume III.

 28   Manifestement, ce contexte incluait le caractère violent et absolument


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  1   terrifiant de la campagne. Si le recours général à la violence et à la

  2   terreur lors de la campagne d'expulsion est pertinent pour prédire des

  3   atteintes à l'intégrité physique telles que des meurtres et/ou assassinat,

  4   alors il est tout aussi pertinent pour prédire les atteintes à l'intégrité

  5   physique telles que les agressions sexuelles. De même, si cela a une

  6   pertinence pour prévoir les dégâts pour les biens, la même pertinence se

  7   retrouve pour ce qui est de prédire les dégâts et les atteintes à

  8   l'intégrité physique des femmes du groupe.

  9   Il ne faut pas oublier de prendre en considération le caractère violent de

 10   l'objectif commun, qui est un facteur important pour prévoir les choses.

 11   L'expérience humaine nous indique que ce genre d'actes violents commis

 12   contre les femmes très souvent a une dimension différente par rapport aux

 13   actes violents commis contre les hommes.

 14   Il y a un deuxième indicateur des persécutions et des agressions sexuelles

 15   en l'espèce, il s'agit de l'animosité particulièrement violente

 16   qu'imprégnait la campagne de déplacement au Kosovo en 1999. Cela a donné

 17   une situation particulièrement volatile et avec une connotation ethnique.

 18   En l'espèce, la Chambre de première instance s'est appuyée sur cette

 19   animosité ethnique et sur la division comme un facteur pour conclure que

 20   Sainovic et Lukic pouvaient prévoir les meurtres et/ou assassinats à la

 21   destruction de biens religieux. Volume III, paragraphes 470, 473, 1 134, 1

 22   136. Si un tel facteur est pertinent pour prévoir les meurtres et/ou

 23   assassinats et la destruction des biens appartenant au groupe ethnique

 24   visé, alors ce même facteur est pertinent pour prévoir les actes violents

 25   de persécution tels que les agressions sexuelles contre les femmes du même

 26   groupe ethnique.

 27   Il y a un troisième indicateur pour les éléments de preuve, un troisième

 28   indice pour la persécution et les agressions sexuelles. En l'espèce, il


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  1   s'agit du fait que les jeunes femmes et filles ou les femmes albanaises du

  2   Kosovo se retrouvaient dans une situation particulièrement vulnérable, sans

  3   avoir pour autant la protection des mécanismes normaux. Elles ont été

  4   chassées de leurs foyers et étaient ainsi à la merci des forces serbes

  5   armées qui avaient un pouvoir total sur elles. Sainovic et Lukic étaient

  6   informés de la position vulnérable des femmes et des jeunes filles au

  7   Kosovo en 1999. Dans un premier temps, le plan criminel qu'ils avaient

  8   avalisé consistait à forcer la population albanaise du Kosovo, notamment

  9   les femmes et les jeunes filles, et à les chasser de la sécurité de leurs

 10   foyers. Deuxièmement, d'après leurs expériences de l'année 1998, les deux

 11   accusés savaient que la mise en œuvre de ce plan allait certainement

 12   aboutir à une catastrophe humanitaire et à une crise de réfugiés.

 13   Paragraphes 442, 1 079, du Volume III.

 14   Et cela a été confirmé par ce qu'ils ont pu constater à Pristina durant la

 15   mise en œuvre de l'entreprise criminelle commune. La Chambre de première

 16   instance a conclu que lors de la campagne de l'OTAN, Sainovic était un

 17   politicien particulièrement bien informé en matière d'événements au Kosovo,

 18   et qu'il possédait une connaissance détaillée des événements sur le terrain

 19   au Kosovo en 1998 et 1999. Paragraphes 464 et 470 du Volume III.

 20   Sainovic se trouvait à Pristina lors des périodes d'expulsions de masse,

 21   lorsqu'il y a eu perquisition effectuée de porte-à-porte et lorsque la

 22   population civile albanaise du Kosovo a été littéralement terrorisée par

 23   des menaces, à force de sévices, à la pointe des fusils, alors qu'ils se

 24   déplaçaient dans des colonnes.

 25   De même, la Chambre de première instance a conclu que Lukic avait cette

 26   connaissance détaillée des événements sur le terrain en 1998 et 1999.

 27   Paragraphe 1 134 du Volume III. Lukic se trouvait basé au QG de l'état-

 28   major du MUP à Pristina, et il savait qu'il y avait des sévices, des


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  1   mauvais traitements et des déplacements contraints qui se produisaient.

  2   Paragraphe 1 124 du Volume III.

  3   Outre ces trois indicateurs que j'ai déjà indiqués, ces trois indicateurs

  4   forment un fondement suffisant pour conclure aux persécutions et aux

  5   agressions sexuelles, et aux faits que c'était une possibilité prévisible

  6   pour la campagne de 1999. Notamment, lorsqu'il y a eu déploiement des

  7   forces de la VJ et du MUP en 1999, et ce, pour expulser la population

  8   albanaise du Kosovo, Sainovic et Lukic savait, tous les deux, que ces mêmes

  9   forces avaient en fait déjà commis des crimes violents, notamment des

 10   atteintes à l'intégrité physique lors de la campagne d'expulsion de 1998.

 11   Et je vous renvoie au paragraphe 70 de notre mémoire en appel.

 12   Non seulement cela, mais il faut savoir que les membres de l'entreprise

 13   criminelle commune, notamment Sainovic et Lukic, ont utilisé ces mêmes

 14   forces pour effectuer une campagne d'expulsion encore plus généralisée,

 15   sans pour autant mettre en place les garde-fous nécessaires qui auraient pu

 16   protéger la population albanaise du Kosovo.

 17   A cet égard, je vous renvoie à l'approche adoptée par le TPIR dans le

 18   jugement Karemera, paragraphes 1 476 et 1 477. Cette Chambre avait conclu

 19   que dans le cadre d'une campagne d'extermination dont le but est de

 20   détruire un groupe, il est prévisible que les soldats et les milices qui

 21   participent à la destruction vont avoir recours aux viols et aux agressions

 22   sexuelles à moins qu'ils ne soient contrôlés par leurs supérieurs.

 23   Madame, Messieurs les Juges, si nous devions conclure que les agressions

 24   sexuelles violentes en l'espèce n'étaient pas prévisibles, elles n'étaient

 25   pas une conséquence possible et prévisible, qu'entendons-nous à propos du

 26   caractère de ces agressions sexuelles ? Est-ce que nous sommes en train

 27   d'indiquer qu'il s'agit tout simplement d'attaques opportunistes,

 28   fortuites, qui n'ont rien à voir avec la campagne générale ? Nous savons


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  1   pertinemment que tel n'est pas le cas, parce que la Chambre de première

  2   instance a conclu expressément qu'ils faisaient partie de cette campagne,

  3   de cette attaque généralisée, systématique, et que, par conséquent, ces

  4   agressions sexuelles constituaient des crimes contre l'humanité. Paragraphe

  5   1 184, 1 188, 1 220 et 1 224 du Volume II. 

  6   Par définition, il ne s'agissait pas de crimes qui étaient commis contre

  7   des personnes choisies, un nombre limité de personnes choisies et prises au

  8   hasard. Il ne s'agit pas non plus d'actes isolés. Est-ce que nous sommes en

  9   train d'avancer que le nombre d'agressions sexuelles dont il a été question

 10   n'était pas plus important ?

 11   Dans un premier temps, nous devrions être très circonspects lorsque nous

 12   concluons au fait que le nombre d'agressions sexuelles était peu élevé.

 13   Bien que l'Accusation n'ait accusé les accusés de quel qu'événement, et que

 14   leurs responsabilités se limitent à ces événements et à ces faits, cela ne

 15   signifie pas pour autant qu'il s'agit des seuls événements ou faits

 16   d'agression sexuelle lors de la campagne. Il y a ces 11 incidents

 17   d'agression sexuelle, je vous renvoie également à d'autres conclusions et

 18   aux autres éléments de preuve du dossier qui montrent et prouvent que les

 19   agressions sexuelles n'étaient pas un événement peu commun lors de la mise

 20   en œuvre. Et je vous renvoie aux paragraphes 63, 629, et 631, 880 du Volume

 21   II. La Chambre de première instance a fait également référence à d'autres

 22   rapports de viols et d'agressions sexuelles commis durant la campagne de

 23   1999. J'en veux pour preuve le Volume III et ces paragraphes, 552, 572,

 24   576, 578, 585, 582 [comme interprété], 726, 737, 749, 785 et 1 135.

 25   Et de façon beaucoup plus fondamentale, Madame, Messieurs les Juges,

 26   pourquoi est-ce que nous devrions seulement être préoccupés s'il ne s'agit

 27   que d'un petit nombre d'agressions sexuelles qui a été versé au dossier. La

 28   question qu'il convient de se poser est de savoir si un crime est


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  1   prévisible au vu de la nature du caractère de l'objectif commun qui a été

  2   commis, et non pas -- il ne s'agit pas de savoir si cela a été commis en

  3   grand nombre. En fait, vous devriez vous concentrer pour savoir si les

  4   atteintes à l'intégrité physique qui émanent des agressions sexuelles

  5   s'imbriquent dans ce scénario général des atteintes à l'intégrité physique

  6   de cette campagne violente.

  7   Nous, ce que nous avançons, comme je l'ai déjà mentionné, les

  8   conclusions de la Chambre de première instance relatives aux éléments

  9   contextuels des crimes contre l'humanité étaye cette conclusion.

 10   Et si nous avançons que les persécutions sous forme d'agression

 11   sexuelle ne sont pas prévisibles, est-ce que cela signifie que nous ne les

 12   considérons pas comme des actes violents ou au moins que nous considérons

 13   que leurs modalités d'exécution sont différentes des autres actes violents

 14   qui font partie de cette campagne ? Aucune de ces propositions ne peut être

 15   acceptée.

 16   Au vu des faits de ces différents incidents, j'aimerais en fait

 17   mettre en avant la jurisprudence du TPIY qui a toujours rejeté les

 18   arguments présentés par la Défense qui s'est efforcée de placer les crimes

 19   de violence sexuelle dans une catégorie différente des autres crimes

 20   violents sur la base que l'un des motifs sous-jacent pourrait être un désir

 21   de satisfaction sexuelle. Et je vous renvoie à l'arrêt Kuranac, paragraphes

 22   153 et 155.

 23   Et cette affaire vous donne la possibilité s'il en fut de renforcer

 24   cet argument, et nous vous demandons de le prendre en considération.

 25   Non seulement la possibilité de persécution et d'agression sexuelle

 26   était prévisible pour Sainovic et Lukic, mais ils ont pris le risque sans

 27   aucun d'état d'âme que cela puisse se passer en continuant à participer à

 28   l'entreprise. Qui plus est, ils n'ont pris aucune mesure digne de ce nom


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  1   pour prévenir ces crimes. Et je vous renvoie aux paragraphes 458 et 477,

  2   ainsi qu'aux paragraphes 1 114 et 1 140 du Volume III.

  3   Madame, Messieurs les Juges, l'analyse contextuelle que nous vous

  4   présentons ne va pas aboutir à une approche généralisée et injuste en

  5   matière de responsabilité. En l'occurrence, nous ne parlons pas du risque

  6   général de violence sexuelle dans le cadre d'un conflit. Ce dont nous

  7   parlons, c'est d'un risque particulièrement accru de violence sexuelle qui

  8   se passe en plein milieu d'une campagne d'expulsion violente afin de

  9   terroriser une population et de la forcer à partir.

 10   Ce qui m'amène à vous parler du quatrième moyen d'appel, à savoir les

 11   viols commis à Pristina, considérés comme persécution en avril et mai 1999.

 12   Car la Chambre de première instance a accepté que ces trois viols ont été

 13   prouvés, mais a déclaré que l'Accusation "n'avait pas été à même de

 14   présenter des éléments de preuve", ce qui fait que la Chambre n'a pas pu

 15   conclure à l'intention discriminatoire requise pour la persécution dans le

 16   cas de ces viols. Paragraphe 1 245 du Volume II.

 17   Il est manifeste que la Chambre de première instance a commis une

 18   erreur en avançant qu'il n'y avait pas d'élément de preuve pertinent. Car

 19   la Chambre de première instance n'a pas pris en considération aucun de

 20   facteurs contextuels généraux ou précis entourant les viols en question qui

 21   sont pertinents pour évaluer et  déterminer l'intention discriminatoire.

 22   Dans le cas du Témoin K31, la Chambre de première instance n'a pas pris en

 23   considération les éléments de preuve directs indiquant l'intention

 24   discriminatoire sous la forme de déclaration péjorative à propos des

 25   Albanais faite par l'un des violeurs.

 26   Il s'agit d'une erreur de droit ou à défaut, d'une erreur de fait.

 27   Vous pourriez la considérer comme une erreur de droit, parce que la Chambre

 28   de première instance a limité à tort la portée des éléments de preuve


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  1   qu'elle considérait pertinents pour déterminer l'intention discriminatoire.

  2   En fait, elle n'a pas pris en considération le contexte. A défaut, vous

  3   pourriez considérer qu'il s'agit d'une erreur de fait. De toute façon, il

  4   faut savoir que la seule conclusion raisonnable est que les viols de

  5   Pristina ont été effectués avec intention discriminatoire requise pour la

  6   persécution.

  7   Ce n'est pas la première fois que la Chambre d'appel se trouve placer

  8   devant un problème tel que celui posé par le moyen d'appel 4. Car dans

  9   l'affaire Krnojelac, et lors de l'appel, cela a également été le cas. Car,

 10   là encore, la Chambre de première instance n'avait pas analysé de façon

 11   juste les facteurs et le contexte pour en conclure à la discrimination, et

 12   la Chambre d'appel a annulé les conclusions erronées de la Chambre de

 13   première instance, et elle les a remplacées par des déclarations de

 14   culpabilité pour persécution. Paragraphes 184 à 188 de l'arrêt Krnojelac.

 15   Ce faisant, la Chambre d'appel a confirmé que le fait que quelque

 16   chose se passe dans le cadre d'une attaque plus importante, une attaque

 17   discriminatoire, ne signifie pas que l'on puisse automatiquement en

 18   conclure à la discrimination. Mais la Chambre d'appel a également confirmé

 19   que si les circonstances entourant la commission de ce crime spécifique

 20   sont compatibles avec l'attaque discriminatoire générale, alors bien

 21   entendu, on peut en conclure à l'intention discriminatoire au vu de tout

 22   cet ensemble de facteurs.

 23   Et il faut savoir que toutes les circonstances qui entourent ces

 24   viols de Pristina confirment qu'ils faisaient partie intégrante de cette

 25   attaque discriminatoire. Nous avons indiqué les facteurs pertinents de

 26   façon détaillée dans notre mémoire en appel aux paragraphes 87 à 100, et je

 27   ne veux pas les réitérer, mais je vais quand même mettre en exergue

 28   certaines des paramètres importants. Car il est absolument essentiel que


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  1   nous comprenions tous clairement dans quel contexte ces viols se sont

  2   passés.

  3   Car tout ce qui est arrivé aux trois femmes albanaises du Kosovo -

  4   les Témoins K31, K14 et K62 - avait un lien avec leur appartenance

  5   ethnique. Le Témoin K31 a vu les villageois se faire assassiner lors de

  6   l'attaque sur Pristina. Les forces serbes l'ont ensuite capturée ainsi que

  7   son frère qui était blessé. Ses mains ont été liées, elle a été menacée de

  8   mort, et quatre soldats ont essayé de lui soutirer des informations à

  9   propos de son oncle et de soi-disant "terroristes". Elle fut ensuite

 10   battue, rouée de coups, et a subi des agressions sexuelles alors que les

 11   soldats la conduisaient à l'hôpital de Pristina. A l'hôpital, elle fut

 12   emprisonnée au sous-sol avec 15 autres jeunes femmes albanaises du Kosovo

 13   qui avaient apparemment été emmenées là pour être violées. Elle a été

 14   droguée et brutalement violée plusieurs fois par trois soldats différents.

 15   L'un de ces soldats a insulté les Albanais immédiatement après l'avoir

 16   violée.

 17   Les expériences des Témoins K14 et K62, les deux autres témoins de

 18   Pristina, sont très semblables. Ces trois femmes étaient des Albanaises du

 19   Kosovo visées par les forces serbes pour être expulsées, emprisonnées et

 20   violées, parce qu'elles étaient justement des Albanaises du Kosovo. Et,

 21   d'ailleurs, la stratégie fut couronnée de succès, puisque, comme l'a

 22   expliqué le Témoin K14, après avoir subi ce viol particulièrement violent

 23   de la part des forces serbes à l'hôtel si notoirement connu, l'hôtel

 24   Bozhur, sa famille et elle ont pris la fuite. Compte rendu d'audience 1 090

 25   à huis clos dans l'affaire Milutinovic.

 26   Donc, rien à propos de ce contexte ne montre que ces viols étaient

 27   tout à fait séparés ou des actes isolés, qui n'avaient rien à voir avec

 28   l'attaque discriminatoire. Pour paraphraser la Chambre de première instance


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  1   dans l'affaire Kvocka, paragraphe 195, quand toutes les victimes de cette

  2   attaque étaient des civils albanais et quand tous les auteurs de crimes

  3   sont des membres des forces serbes envoyés pour les expulser de leurs

  4   foyers en ayant recours à la violence et à la terreur, c'est une

  5   supercherie que d'avancer que l'appartenance ethnique ne définit pas le

  6   groupe visé pour l'attaque, notamment les femmes de ce groupe.

  7   Une fois de plus, Madame, Messieurs les Juges, nous devons réfléchir

  8   à ce que nous disons si nous concluons que ces viols n'ont pas été commis

  9   avec une intention discriminatoire comme tous les autres crimes. Est-ce que

 10   nous pouvons véritablement accepter que les forces serbes avaient en

 11   quelque sorte, pouvaient véritablement ne pas penser, ne pas agir pour

 12   persécuter les gens lorsque ces trois femmes étaient violées, mais ensuite

 13   ont agi pour persécuter les personnes à tous les autres moments ? Si les

 14   forces serbes qui ont attaqué, nettoyé Pristina agissaient avec une

 15   intention discriminatoire lorsqu'ils ont tué les Albanais du Kosovo,

 16   lorsqu'ils ont endommagé les biens des Albanais du Kosovo, comment est-ce

 17   que, soudainement, ils n'agissaient pas avec la même intention

 18   discriminatoire lorsqu'ils ont violé et fait subir des sévices à ces trois

 19   jeunes femmes albanaises du Kosovo alors que cela relevait du même

 20   comportement ?

 21   Même si l'on peut indiquer que les auteurs auraient pu être motivés

 22   par ce désir de satisfaction sexuelle, cela n'empêche pas d'aboutir à une

 23   conclusion d'intention discriminatoire. Les mêmes arguments ont été rejetés

 24   par la Chambre d'appel, paragraphes 153 et 155 de l'arrêt Kunarac en

 25   indiquant -- ils ont conclu plutôt que même si la motivation de l'auteur du

 26   viol est sexuelle, cela n'empêche pas d'aboutir à une conclusion suivant

 27   laquelle le viol a été effectué, que le viol a néanmoins été effectué.

 28   Il faut savoir également, et j'en veux pour preuve le paragraphe 435


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  1   de l'arrêt Krnojelac, que l'intention discriminatoire pour la persécution

  2   ne doit pas forcément être l'intention primaire par rapport à l'acte, bien

  3   que cela doit être une intention importante. Je vous renvoie aux

  4   paragraphes 153 et 155 de l'arrêt Kunarac qui donne un raisonnement

  5   semblable dans le contexte du crime de torture.

  6   Il n'y a aucun fondement rationnel pour indiquer, conclure que les

  7   violences et agressions sexuelles de Pristina n'ont pas été effectuées,

  8   exécutées avec une intention discriminatoire, et nous vous demandons de

  9   confirmer qu'il s'agissait de persécutions.

 10   Lorsqu'il s'agira de corriger l'erreur commise par la Chambre de

 11   première instance lors de son analyse d'intention discriminatoire, tous les

 12   éléments de persécution retenus comme un crime comme l'humanité seront

 13   réunis. La Chambre de première instance a dégagé une conclusion générale

 14   selon laquelle les crimes à Pristina ne faisaient pas partie de l'attaque

 15   généralisée et systématique contre la population albanaise du Kosovo et que

 16   les auteurs physiques le savaient ou ont pris ce risque. Paragraphes 889, 1

 17   240 et 1 241 du Volume II.

 18   Eu égard à la responsabilité des membres de l'entreprise criminelle

 19   commune pour les viols de Pristina, la Chambre de première instance a

 20   conclu que les crimes avaient été commis par des membres de la VJ et du

 21   MUP, paragraphe 889 du Volume II. La Chambre de première instance a

 22   également conclu que tous les crimes figurant dans l'acte d'accusation,

 23   tous les crimes de la VJ et du MUP peuvent être attribués à chacun des

 24   membres de l'entreprise criminelle commune, paragraphes 468, 783, 1 132 du

 25   Volume III.

 26   En matière de prévisibilité des persécutions commises et des

 27   agressions sexuelles pour la troisième catégorie d'entreprise criminelle

 28   commune, je vous renvoie à ce que j'ai dit aujourd'hui à propos de Sainovic


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  1   et de Lukovic, les détails se trouvent dans notre mémoire en appel pour ce

  2   qui est du moyen d'appel numéro 3. Eu égard à Pavkovic, mon collègue, mardi

  3   dernier, M. Schneider, a répondu à vos questions et a expliqué pourquoi les

  4   viols de Pristina étaient prévisibles.

  5   En conclusion, nous vous demandons d'indiquer de façon très claire

  6   dans votre arrêt que ce Tribunal ne va pas soumettre les crimes de violence

  7   sexuelle à des critères beaucoup plus élevés de prévisibilité ou de

  8   conditions requises pour les preuves pour déterminer l'intention

  9   discriminatoire. Nous vous demandons d'indiquer de façon très claire, comme

 10   vous l'avez fait précédemment, que ce Tribunal reconnaît et sanctionne de

 11   façon appropriée les différentes modalités de violences infligées aux

 12   victimes de ce conflit, qu'ils s'agisse d'hommes et de femmes, et cette

 13   violence qui a été infligée du fait de la façon dont ils étaient perçus et

 14   parce qu'ils faisaient partie de la population visée.

 15   J'en ai terminé.

 16   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Madame Jarvis, à propos de ce que

 17   vous avez appelé les agressions sexuelles opportunistes, j'aimerais que

 18   vous compariez ce que vous avez avancé. Vous avez fait référence à un

 19   jugement du TPIR et à l'affaire Rukundo. Alors, il faut savoir là que le

 20   contexte général est un contexte de génocide et, pourtant, la majorité de

 21   la Chambre d'appel n'a pas condamné l'accusé ou les accusés pour viol.

 22   Mme JARVIS : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Nous le savons,

 23   mais nous sommes conscients du précédent créé par l'affaire Rukundo, mais

 24   je pense qu'il est important que chaque affaire doit être jugée au cas par

 25   cas en quelque sorte et que le contexte et les facteurs contextuels sont

 26   extrêmement importants. Dans le contexte de Rukundo, je me rappelle de

 27   cette décision, la Chambre d'appel a étudié un incident ou un fait de viol

 28   ou d'agression sexuelle et, effectivement, il y a eu différentes opinions


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  1   exprimées par les Juges, mais la majorité n'a pas été en mesure de conclure

  2   qu'il y avait un lien entre ce viol et l'attaque généralisée qui

  3   constituait un acte de génocide.

  4   Mais, pour les raisons que j'ai indiquées, en ce qui nous concerne, il

  5   s'agit d'une situation tout à fait différente. Nous parlons d'une campagne

  6   de nettoyage ethnique extrêmement violente où des dizaines de milliers de

  7   forces armées font du porte-à-porte en quelque sorte pour expulser la

  8   population. Dans cette situation, en fait, cela n'a rien à voir avec la

  9   façon dont un conflit est mené à bien, vous avez donc ces campagnes

 10   d'expulsions violentes, ce conflit, et on ne peut pas indiquer que les

 11   agressions sexuelles n'étaient pas prévisibles. D'ailleurs, toutes les

 12   autres conclusions de la Chambre de première instance convergent vers la

 13   même direction. Alors, ils l'acceptent, ce n'est pas un acte isolé

 14   opportuniste. Sinon, ils n'auraient pas conclu que cela s'inscrivait dans

 15   l'attaque systématique et généralisée. Ils ont accepté ces crimes, à part

 16   les crimes de Pristina, ils ont accepté que les autres crimes avaient été

 17   commis avec une intention discriminatoire. Une fois de plus, cela montre et

 18   démontre qu'ils font partie intégrante de cette campagne de discrimination.

 19   C'est pour cela que nous vous demandons de rectifier l'erreur

 20   juridique, l'erreur de droit commis par la Chambre de première instance, et

 21   nous vous demandons de vous interroger pour savoir si ces actes étaient

 22   prévisibles et s'ils ont été commis avec une intention discriminatoire. Et,

 23   ce que nous indiquons, c'est que votre réponse devrait être affirmative.

 24   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur le Juge T a

 25   également une question à poser.

 26   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Madame Jarvis, peut-être qu'il

 27   s'agit d'une question répétitive par rapport à hier. J'ai posé une question

 28   hier à votre consoeur, Mme Kravetz, à propos de l'éventuel, dans le cas où


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  1   ce serait identifiable, de l'exclusion par la Chambre de première instance

  2   de la possibilité que d'autres facteurs faisant partie du conflit armé,

  3   hormis les agressions sexuelles ou les meurtres ou les destructions

  4   d'objets religieux, auraient pu contribuer au déplacement ou, en tout cas,

  5   au départ de 700 000 Albanais du Kosovo. Et donc la question que je vous ai

  6   posée hier a trouvé réponse car Mme Kravetz y a répondue, et après la

  7   pause, après avoir fait quelques recherches, M. Wood a apporté une réponse

  8   complémentaire en citant différents paragraphes de différents volumes de

  9   différents jugements, de façon très courtoise, me demandant de faire des

 10   recherches que j'ai dû faire et j'ai même dû me livrer d'un verre de vin

 11   pendant mon dîner. Et je crois qu'après avoir fait mes recherches la

 12   question reste entière, car si je regarde les paragraphes que M. Wood m'a

 13   demandé de regarder, je n'ai découvert qu'un seul, qu'une seule référence

 14   aux nombres d'Albanais du Kosovo qui ont traversé la frontière entre le

 15   Kosovo et l'Albanie et la Macédoine, et cette référence faisait état de

 16   rapports qui avaient été envoyés par le personnel du MUP sur le terrain par

 17   les voies officielles du MUP à Belgrade, au QG du MUP à Belgrade, et le

 18   chiffre était de 715 158 pendant la période allant du 24 mars au 1er mai.

 19   Et en faisant mes devoirs à la maison, j'ai pu prouver que la Chambre de

 20   première instance au paragraphe 1 175 au Volume II, que M. Wood m'a demandé

 21   de regarder, eh bien, faisait état du fait que ces personnes ont peut-être

 22   quitté leurs foyers pour différentes raisons, différentes raisons ont été

 23   énumérées, et ces raisons n'avaient rien à voir avec le motif premier, à

 24   savoir des crimes comprenant des agressions sexuelles.

 25   Donc je suppose que ma question reste entière, car la Chambre de première

 26   instance dans le Volume II utilise la formulation ou le terme de 700 000

 27   Albanais du Kosovo qui ont été déplacés, vos termes utilisés sont

 28   différents, vous avez parlé de déplacement forcé, "au-delà de 700 000 être


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  1   humains." Donc ma question reste entière, pourriez-vous m'orienter et me

  2   dire à quel endroit la Chambre de première instance a, au-delà de tout

  3   doute raisonnable, en se fondant sur des éléments de preuve autres que les

  4   rapports du MUP, est parvenue à la conclusion que le déplacement de

  5   quasiment la totalité ou plus de 700 000 Albanais du Kosovo pourrait être

  6   attribuer au plan commun des membres de l'entreprise criminelle commune.

  7   Mme JARVIS : [interprétation] Monsieur le Juge, c'est peut-être une

  8   question que nous pouvons aborder et revenir vers vous après la pause, car

  9   pour répondre j'aurais besoin de vérifier le jugement ainsi que les

 10   éléments de preuve au dossier.

 11   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Mais vous n'allez pas vous

 12   passer de votre déjeuner.

 13   Mme JARVIS : [interprétation] Non, effectivement, vous n'allez pas être

 14   obligé de vous passer de votre déjeuner. Et compte tenu des réponses qui

 15   ont été fournies par mes consœurs et confrères, Mme Kravetz et M. Wood, je

 16   crois qu'il serait plus logique et cela serait plus utile pour vous,

 17   Madame, Messieurs les Juges, de pouvoir vérifier cela et revenir vers vous

 18   par la suite.

 19   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je crois qu'il n'y a pas d'autre question

 20   des Juges.

 21   M. MILANINIA : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.

 22   Madame, Messieurs les Juges, comme l'a indiqué M. Kremer un peu plus tôt ce

 23   matin, j'ai l'intention de couvrir très brièvement le motif 2 de notre

 24   appel concernant l'acquittement du général Lazarevic pour avoir aidé et

 25   encouragé les meurtres commis à Korenica, Meja et Dubrava.

 26   Madame, Messieurs les Juges, la Chambre de première instance a commis une

 27   erreur de droit, qui a conduit à l'acquittement du général Lazarevic de ces

 28   crimes, se trouve au Volume III, paragraphe 928 du jugement, où la


Page 601

  1   condition est posée que le général Lazarevic doit être au courant du fait

  2   que les forces de la VJ et du MUP étaient susceptibles de commettre des

  3   meurtres dans ces lieux de crime précis.

  4   Ce Tribunal a rejeté ce type de précision concernant l'élément moral de la

  5   complicité par aide et encouragement. L'élément moral de la complicité par

  6   aide et encouragement ne requiert que la connaissance qu'il est probable

  7   que le crime sera commis et que les actes et omissions de la personne en

  8   question ont contribué au crime. Cela n'exige pas, cependant, Madame,

  9   Messieurs les Juges, qu'il y ait connaissance de savoir où, quand, voire

 10   même comment le crime a été commis.

 11   Ce principe a été énoncé dans l'arrêt Simic au paragraphe 86, et a été

 12   expliqué par la suite dans le jugement de première instance dans l'affaire

 13   Oric au paragraphe 288, qui a noté de façon explicite que le complice n'a

 14   pas besoin de prévoir "le lieu, l'endroit, et le nombre de crimes précis."

 15   Je vous renvoie également aux paragraphes 37 et 38 de notre mémoire en

 16   appel pour des moyens juridiques complémentaires qui étayent cet argument.

 17   Si on applique le critère adéquat en l'espèce, la Chambre de première

 18   instance a clairement indiqué que le général Lazarevic savaient que les

 19   meurtres étaient susceptibles d'être commis par les forces de la VJ. La

 20   Chambre de première instance reconnaît cela au Volume III, paragraphe 928,

 21   que le général Lazarevic savait que des membres de la VJ tuaient des

 22   Albanais du Kosovo dans certains cas. Cette connaissance, Madame, Messieurs

 23   les Juges, a été établie par les constatations de la Chambre, à savoir que

 24   pendant toute l'année 1998 et 1999 et avant que les meurtres en question

 25   n'aient été commis, le général Lazarevic était constamment informé de la

 26   participation, de l'implication de la VJ dans les meurtres de civils

 27   albanais du Kosovo.

 28   Ces constatations sont détaillées dans notre mémoire aux paragraphes 49 à


Page 602

  1   57 [comme interprété]. Et je vais simplement mettre en exergue certains de

  2   ces exemples.

  3   La Chambre a constaté qu'à la fin de l'année 1998, le général Lazarevic

  4   savait qu'il y avait eu implication ou participation de la VJ dans les

  5   meurtres de civils albanais du Kosovo. Par exemple, il a été informé de la

  6   Résolution des Nations Unies 1199, qui note que le recours à la force

  7   excessive et indiscriminé par la VJ avait conduit à de nombreuses pertes en

  8   hommes civils. Volume III, paragraphe 809.

  9   Au début de la campagne des forces de la VJ en 1999, ces derniers ont

 10   continué à prendre pour cible et à tuer des civils albanais du Kosovo.

 11   Par exemple, à la fin du mois de mars 1999, déjà la campagne avait été

 12   lancée depuis quelques jours, le général Lazarevic a été informé des

 13   meurtres des Albanais du Kosovo à Zegra.

 14   Une semaine plus tard, au début du mois d'avril 1999, le général Lazarevic

 15   savait qu'il y avait un communiqué de presse qui déclarait que les forces

 16   serbes étaient responsables des meurtres d'Albanais du Kosovo dans les

 17   villages de Pudojevo, Pec, et d'Orahovac dans cette municipalité.

 18   Quelques jours plus tard, le 3 avril 1999, le général Lazarevic note lui-

 19   même avoir reçu de nombreux rapports au pénal, notamment ceux impliquant

 20   des meurtres.

 21   Madame, Messieurs les Juges, quelques semaines plus tard, le 26 avril 1999,

 22   le jour qui a précédé les massacres commis à Korenica et Meja, le général

 23   Lazarevic était informé du fait que ses subordonnés avaient peut-être

 24   exécuté 20 civils albanais dans le village de Mali Alas. Et environ un mois

 25   plus tard, à la date du 24 mai 1999, après les meurtres de Korenica et

 26   Meja, et le jour ou la veille des meurtres de Dubrava, le général Lazarevic

 27   lui-même a émis un rapport qui abordait les meurtres ayant été commis sur

 28   l'ensemble du Kosovo lors de la campagne conjointe du MUP et de la VJ de la


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  1   police militaire aux postes de contrôle et avertit qu'il pouvait y avoir

  2   d'autres crimes à l'avenir.

  3   Le général Lazarevic savait également qu'une des composantes essentielles

  4   de la campagne de 1999 était le recours à la force et à la violence contre

  5   les civils albanais du Kosovo. Volume III, paragraphes 855, 924.

  6   Le recours à la violence était particulièrement probable dans l'opération

  7   de la vallée de la Reka au cours de laquelle les massacres de Korenica et

  8   de Meja se sont produits, étant donné que l'opération avait été

  9   particulièrement organisée pour se venger du meurtre de cinq policiers le

 10   22 avril 1999. Confer Volume II, paragraphes 168, 179.

 11   Madame, Messieurs les Juges, pour conclure mes commentaires à propos des

 12   constatations de la Chambre de première instance concernant l'élément

 13   moral, je dois vous rappeler qu'il s'agit d'exemple de quelques-unes des

 14   constatations de la Chambre de première instance concernant la connaissance

 15   du général Lazarevic des meurtres commis pendant la campagne du Kosovo par

 16   la VJ.

 17   Pour ce qui est de l'élément matériel, je vais vous renvoyer à nos

 18   écritures, ainsi qu'au Volume III, paragraphes 923 et 925, et le général

 19   Lazarevic a ordonné à la VJ d'intervenir au Kosovo en 1999, malgré sa

 20   connaissance des crimes, notamment le meurtre qui était susceptible d'être

 21   commis.

 22   Une dernière note avant de passer la parole à M. Kremer. C'est qu'en

 23   ce qui concerne la condition de visée précisément telle qu'établie par

 24   l'arrêt Perisic, j'ai simplement inclus les arguments détaillés présentés

 25   par mon confrère, M. Marcussen, mercredi. Pour résumer, il y a quatre

 26   raisons impérieuses de s'écarter de l'arrêt Perisic, à savoir que dans la

 27   mesure où la notion de visée précisément est un élément constitutif de la

 28   complicité par aide et encouragement, cela a été établi de façon implicite


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  1   en l'espèce. D'abord, le général Lazarevic était sur le terrain au Kosovo

  2   pendant la campagne au cours de laquelle les meurtres ont été commis. C'est

  3   pour cette raison et pour cette raison seule que ses actes et ses omissions

  4   doivent être considérés comme étant proches des crimes. Deuxièmement, le

  5   général Lazarevic doit être considéré comme un complice proche, étant donné

  6   qu'il commandait les forces impliquées dans les meurtres. Et comme cela a

  7   été précisé par M. Marcussen mercredi, il connaissait les détails des

  8   relations entre le général Lazarevic et ses agents, et son comportement et

  9   les crimes commis à Korenica, Meja et Dubrava. Donc, le lien de culpabilité

 10   entre les actes et omissions du général Lazarevic ont été établis en

 11   l'espèce.

 12   Compte tenu du fait que nous n'avons que très peu de temps, M. Kremer

 13   va maintenant aborder plus en détail la commission des crimes, et j'ai

 14   terminé avec les arguments présentés relatifs au moyen d'appel 2.

 15   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

 16   M. MILANINIA : [interprétation] Merci. 

 17   M. KREMER : [interprétation] Je vais aborder le moyen d'appel numéro 6,

 18   l'Accusation fait appel des peines imposées par la Chambre de première

 19   instance.

 20   Madame, Messieurs les Juges, vous avez entendu dire qu'en l'espace de

 21   quelque deux mois, à commencer à partir du mois de mars 1999, les accusés

 22   ensemble, par leurs contributions individuelles, ont détruit la vie de

 23   quelque 700 000 Albanais du Kosovo en les contraignant à quitter leurs

 24   maisons et en les déplaçant, leur demandant de se rendre en Albanie, en

 25   Macédoine et au Monténégro. La peine de 22 ans d'emprisonnement pour les

 26   membres de l'entreprise criminelle commune, Sainovic, Pavkovic et Lukic, et

 27   les 15 ans pour le complice, Lazarevic, n'étaient tout à fait inadéquats et

 28   disproportionnés par rapport à la gravité des crimes et leur rôle et degré


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  1   de participation. Nous faisons valoir, comme nous l'énonçons plus en détail

  2   dans notre mémoire, que la Chambre d'appel doit rejeter ces peines et les

  3   augmenter concernant les quatre accusés.

  4   On ne peut pas raisonnablement parler des erreurs de la Chambre de première

  5   instance concernant les questions de peine sans pour autant aborder la

  6   question des crimes pour lesquels les accusés ont été condamnés. Pendant

  7   toute la semaine et même ce matin, la Chambre d'appel n'a reçu qu'un aperçu

  8   de la portée de la cruauté des crimes commis contre les Albanais du Kosovo

  9   en 1999, ainsi que le caractère systématique et prémédité desdits crimes.

 10   La Chambre d'appel a également entendu des arguments concernant le rôle de

 11   chaque accusé lorsqu'il a orchestré et exécuté ces crimes. Comme la Chambre

 12   d'appel a déjà entendu, le 24 mars 1999 et sous couvert des bombardements

 13   de l'OTAN, les forces de la VJ et du MUP ont lancé une campagne coordonnée

 14   de violence et de terreur sur l'ensemble du territoire du Kosovo, destinée

 15   à chasser la population albanaise du Kosovo. Quasiment chaque ville

 16   principale du Kosovo a été attaquée lors des premiers jours de la campagne.

 17   Plus de 600 000 Albanais du Kosovo ont été chassés à la fin de la deuxième

 18   semaine de la campagne. Au début du mois de juin 1999, la Chambre a

 19   constaté que le déplacement forcé ainsi que d'autres crimes avaient été

 20   commis par les forces serbes dans plus de 27 villes et villages sur

 21   l'ensemble des 13 municipalités représentatives.

 22   Aujourd'hui, je vais vous dépeindre un tableau de la portée et du caractère

 23   de ces crimes et de leur impact sur les victimes. Je vais m'efforcer de ne

 24   pas répéter ce qui a déjà été dit cette semaine et ce matin, et je vais

 25   commencer par Pristina, qui illustre les crimes commis dans les villes les

 26   plus importantes du Kosovo.

 27   Les attaques de Pristina se trouvent au Volume II, paragraphes 801 à 890.

 28   Le 24 mars 1999, et ce qui correspondait au début des attaques ou des


Page 606

  1   frappes de l'OTAN, la VJ et le MUP, ainsi que d'autres forces armées serbes

  2   ont lancé leur attaque contre des villes importantes, contre la population

  3   albanaise du Kosovo. Des mois et des semaines qui ont précédé les attaques

  4   de Pristina, les forces de la VJ et du MUP ont préparé le terrain pour la

  5   campagne d'expulsion massive par le biais d'un armement ou d'un désarmement

  6   et en renforçant le MUP, la VJ et les forces paramilitaires à l'extérieur

  7   et autour de Pristina, malgré une absence significative de l'ALK dans la

  8   région.

  9   Dès le départ, les Albanais du Kosovo ont fait l'objet de menaces et

 10   d'actes de violence, notamment des passages à tabac, des meurtres, du

 11   pillage et d'incendie des maisons, d'agressions sexuelles des femmes et

 12   d'évictions forcées. Volume II, paragraphe 885.

 13   Les forces de la VJ et du MUP ont pris pour cible et tué des Albanais du

 14   Kosovo, lançant ainsi un message clair à d'autres civils sur ce qui devait

 15   se produire par la suite pour leur faire peur et les contraindre à partir.

 16   Volume II, paragraphe 823.

 17   Les expulsions se produisaient quasiment tous les jours à partir du 24

 18   mars, et ce, au moins jusqu'au 3 avril 1999. Confer Volume II, paragraphes

 19   817 à 832.

 20   Dans certains cas, les forces armées de la VJ et du MUP se sont déplacées

 21   de maison en maison, chassant par la force les Albanais, les jetant dans

 22   les rues et les menaçant pour qu'ils partent. Madame, Messieurs les Juges,

 23   la diapositive suivante est une citation de la déclaration écrite du Témoin

 24   K63, pièce P2443. K63 était un Albanais du Kosovo qui a été jugé crédible

 25   et fiable par la Chambre de première instance. Aux paragraphes 805 à 839.

 26   Lui et sa femme, K62, qui a fait l'objet de viol, habitaient à Pristina

 27   après avoir dû partir, contraints par la force. Il a dit dans sa

 28   déclaration :


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  1   "J'ai vu la police qui se rendait dans les appartements et ordonnant

  2   aux Albanais de partir. Ils avaient pour habitude de dire : 'Partez, le

  3   Kosovo n'est pas votre patrie'. J'ai vu des gens partir et quitter leur

  4   appartement avec un baluchon avec leurs effets personnels et leurs habits,

  5   et la police s'est installée à ce moment-là dans ces appartements".

  6   Le Dr Emin Kabashi, un autre habitant albanais du Pristina, a noté

  7   qu'il a reçu des appels des Serbes lui enjoignant de partir vers l'Albanie,

  8   car, sinon, il serait tué. Paragraphe 828.

  9   Une fois que les Albanais ont été contraints à quitter leurs maisons, les

 10   forces de la VJ et du MUP ont placé des pancartes sur les maisons, ces

 11   maisons de Pristina qui avaient été abandonnées en déclarant qu'il

 12   s'agissait "d'un appartement du MUP".

 13   Nombre de ces maisons ont ensuite été occupées par la VJ et le MUP et ont

 14   été utilisées comme bureaux hébergeant les organes officiels de la RFY et

 15   du gouvernement serbe. Volume II, paragraphes 832 et 833. Au quotidien, des

 16   milliers d'habitants albanais du Kosovo ont été rassemblés dans le centre

 17   de la ville et ont constitué un convoi, et ils quittaient à ce moment-là le

 18   centre de la ville, dirigés par les policiers et les soldats qui, sous la

 19   menace du fusil, leur enjoignait de suivre le convoi d'Albanais du Kosovo.

 20   Volume II, paragraphes 841, 848, 849 et 885.

 21   Les convois ont été dirigés le long de la route principale en passant les

 22   points de sortie où se trouvaient les forces armées serbes et ont dû passer

 23   devant la gare routière. Volume II, paragraphe 850. Les Albanais du Kosovo

 24   qui tentaient de quitter le convoi ont été maltraités ou tués. Des tireurs

 25   isolés étaient positionnés dans un bâtiment à proximité. Volume II,

 26   paragraphe 848 [comme interprété]. Des milliers d'Albanais du Kosovo de la

 27   municipalité de Pristina se sont rassemblés à la gare ferroviaire, on les a

 28   contraints à monter à bord de trains ou d'autocars devant la gare et ils


Page 608

  1   ont été emmenés à la frontière macédonienne. Volume II, paragraphes 852 à

  2   864.

  3   Nazlie Bala, un habitant albanais du Kosovo de Pristina, a noté que le

  4   train à bord duquel elle a été contrainte de monter transportait du

  5   personnel du MUP et de la VJ dans les premiers et derniers wagons. Le train

  6   était tellement bondé que nous avions du mal à respirer. Volume II,

  7   paragraphe 854.

  8   Le Dr Kabashi s'est trouvé à la gare ferroviaire pendant trois jours et

  9   trois nuits avant d'être contraint à monter à bord d'un train de

 10   marchandise qui l'a emmené jusqu'à la frontière macédonienne. Il a vu cinq

 11   à 12 trains arriver à la gare tous les jours, à bord desquels se trouvaient

 12   des personnes que l'on a contraintes à monter dans le train, et c'était

 13   l'œuvre de la police. Il a noté que les Albanais étaient rassemblés comme

 14   du bétail. Volume II, paragraphe 856.

 15   La Chambre est arrivée à la conclusion que pendant la campagne de

 16   déplacement, les horaires des trains ont été délibérément modifiés pour

 17   qu'il y ait un plus grand nombre de trains qui arrivent à Pristina, plus

 18   grand que d'habitude, avec beaucoup plus de voitures. Ces changements

 19   démontrent un niveau de coordination très élevé, non seulement entre la VJ

 20   et le MUP, qui se sont chargés de la campagne de déplacement, mais aussi

 21   des agences ferroviaires. Volume II, paragraphe 854.

 22   Pendant que le train se déplaçait vers la frontière, lorsqu'il s'arrêtait,

 23   les Albanais kosovars faisaient l'objet d'abus et de menaces. Les trains

 24   étaient encerclés de forces serbes. Les forces de la VJ et du MUP criaient

 25   des insultes à l'encontre des Albanais kosovars, les injuriaient et

 26   criaient : "Le Kosovo ne vous appartient pas, à vous, Albanais. Il

 27   appartient aux Serbes. Nous allons vous tuer tous, vous, Albanais". Volume

 28   II, paragraphe 859.


Page 609

  1   Lorsque les trains arrivaient à la frontière macédonienne, à ce moment-là

  2   les Albanais kosovars recevaient l'ordre de descendre du train, de

  3   constituer une colonne et de marcher au milieu des rails pour éviter les

  4   mines qui étaient posées. Leurs pièces d'identité, leurs passeports étaient

  5   confisqués et détruits. Et finalement, sur la menace des armes, les

  6   Albanais kosovars recevaient l'ordre de traverser la frontière pour se

  7   rendre en Macédoine. Volume II, paragraphes 860 à 863 et 973.

  8   Je souligne la déclaration écrite du Dr Kabashi, il s'agit de la pièce

  9   2252, pièce qui a été utilisée dans la rédaction du jugement, et vous

 10   l'avez sous les yeux. Et cela nous montre quel a été le résultat, quel a

 11   été l'impact sur ces victimes forcées à quitter Pristina et à quitter le

 12   Kosovo. Et il a dit :

 13   "Je ne voulais pas quitter Kosovo. Nous sommes partis parce que ce

 14   sont les actions et les propos, les mots de la police serbe, de l'armée qui

 15   nous ont forcés à partir. En tant que famille, nous n'étions pas organisés

 16   pour combattre. Je ne sais pas qui peut rester au Kosovo lorsqu'il est

 17   menacé par les armes. La population était totalement sans défense. Nous

 18   étions surtout des personnes âgées, des femmes, enfants. Si vous aviez vu

 19   ces trains à la gare de Bllaca, eh bien, vous auriez cru que tous les

 20   enfants du monde s'y étaient rassemblés. La réalité de la situation se

 21   montrait à cette gare et à Bllaca et, à savoir, il n'y avait pas une seule

 22   personne là qui n'était pas sans pleurer. Il n'y avait pas une seule route

 23   par laquelle étaient passées ces colonnes où il n'y avait pas de cadavres

 24   d'hommes".

 25   La Chambre a constaté que l'ampleur des crimes et la nature organisée

 26   des expulsions forcées d'Albanais kosovars dans la municipalité de Pristina

 27   ont constitué un résultat de planification et de coordination importantes

 28   au niveau le plus important de responsabilité. Volume II, paragraphe 888.


Page 610

  1   Comme Mme Jarvis, ma consœur, l'a expliqué ce matin, et comme vous

  2   l'avez entendu plus tôt cette semaine, Sainovic, Pavkovic, Lukic et

  3   Lazarevic étaient tous présents dans la ville de Pristina pendant ces

  4   événements.

  5   A présent, brièvement, je souhaite aborder mon deuxième exemple, à

  6   savoir les attaques de la VJ et MUP sur la municipalité d'Orahovac. Ces

  7   attaques constituent un exemple de cette campagne de terrorisation et de

  8   violence contre les Albanais kosovars, qui a été mise en œuvre dans des

  9   petites bourgades, des villes et villages sur le territoire du Kosovo en

 10   montrant que les attaques sur Pristina et sur d'autres villes plus

 11   importantes ne se passent pas de manière isolée.

 12   Le 25 mars 1999, le lendemain des attaques lancées sur Pristina, les

 13   forces de la VJ et du MUP ont lancé une série d'attaques dans la

 14   municipalité d'Orahovac, sur les villes de Celina, de Pirane, de Bela

 15   Cervka et de Mala Krusa, quatre villes qui se situent dans le sud-ouest du

 16   Kosovo, près de la frontière entre cette province et l'Albanie.

 17   Comme cela a déjà été avancé cette semaine, l'ordre pour ces attaques

 18   a été donné par le commandement conjoint deux jours auparavant, en

 19   dirigeant une action conjointe entre la 549e Brigade motorisée et le MUP.

 20   Volume II, paragraphe 296.

 21   Au cours de la matinée du 25 mars, des chars de la VJ, de concert

 22   avec les forces du MUP, ont commencé à tirer en direction de Bela Crkva.

 23   Cela a constitué un avertissement aux civils albanais pour qu'ils quittent

 24   le village. Ensuite, les forces serbes sont entrées dans le village et,

 25   ensemble avec la police locale, ont incendié les maisons albanaises

 26   kosovars en utilisant des lance-flammes et de l'essence. En entendant des

 27   tirs, les villageois albanais kosovars ont commencé à prendre la fuite par

 28   le cours d'eau de Belaja pour se cacher entre les rives. Je vous renvoie au


Page 611

  1   Volume II, paragraphes 341, 343.

  2   Les forces du MUP ont suivi les villageois, ont commencé à tirer sur

  3   eux avec des armes automatiques, en tuant au moins dix civils, y compris

  4   femmes et enfants, en criant : "Je te nique ta mère. Que l'OTAN t'aide

  5   maintenant". Volume II, paragraphes 346, 348.

  6   Alors, pour ce qui est des villageois qui sont restés, les femmes et

  7   les enfants ont été séparés des hommes, ont reçu l'ordre de se rendre en

  8   Albanie. Les hommes ont dû enlever tous leurs vêtements jusqu'au lâche du

  9   corps, on leur a confisqué leurs objets de valeurs, leurs passeports, les

 10   pièces d'identité. On a détruit aussi leurs permis de conduire. Et après

 11   avoir dû descendre dans le cours d'eau, au moins 42 hommes ont été

 12   exécutés. Volume II, paragraphes 350 à 354, 380 à 382, et 1 161.

 13   Juste au sud de Bela Crkva, dans un village voisin de Celina, un scénario

 14   d'événements se répète, un scénario comparable, M. Marcussen en a parlé

 15   mercredi en présentant nos arguments. Alors, en même temps que ces attaques

 16   de Celina et de Bela Chervka, les forces de la VJ et du MUP ont encerclé le

 17   village de Mala Krusa. Les soldats de la VJ ont bombardé le village, puis

 18   les forces du MUP sont entrés dans le village en se livrant à des pillages

 19   et en incendiant des maisons.

 20   Là encore, les villageois se sont enfuis dans les bois mais ils ont

 21   été suivis et repérés par le MUP qui les a forcés à revenir. Les femmes et

 22   les enfants ont été séparés des hommes. Les hommes ont été placés dans une

 23   étable, les hommes y compris des jeunes adultes, des handicapés mentaux ou

 24   physiques se sont faits confisquer leurs objets de valeur, les pièces

 25   d'identité, et ensuite ont été exécutés, et on a incendié, complètement

 26   brûlé, détruit par le feu cette étable, c'est le MUP qui s'est livré à

 27   cela. Je vous renvoie aux paragraphes 402 à 408 -- ou 409, puis paragraphes

 28   432 et 1 161.


Page 612

  1   Alors, ces exemples ne constituent que deux exemples de nombreux crimes qui

  2   ont été commis par les forces de la VJ et du MUP pendant une campagne de

  3   violence et de terrorisation qui a duré deux mois, et qui a eu pour objet

  4   de chasser la population albanaise kosovare. Vous trouverez cela de manière

  5   détaillée dans le jugement de la Chambre, Volume II, paragraphes 1 à 1 178.

  6   Je ne répète pas ce qui a été déjà dit par ma consœur, Mme Jarvis, ce

  7   matin, paragraphes 1 178, qui constitue le résumé des constatations

  8   factuelles de la Chambre. Je voudrais simplement souligner que dans

  9   l'avant-dernière phrase, la Chambre déclare qu'il s'agit d'actions

 10   délibérées, menées par ces forces pendant la campagne en question qui ont

 11   causé le départ d'au moins 700 000 Albanais kosovars pendant cette brève

 12   période entre la fin mars et le début du mois de juin 1999.

 13   Quant à la responsabilité des accusés, on l'a évoquée pendant cette

 14   semaine, chacun de ces accusés se situait à un niveau élevé d'autorité, et

 15   responsable des crimes commis au Kosovo. Chacun des accusés a contribué à

 16   la commission des crimes commis en 1999 et a été déclaré coupable de ces

 17   crimes en tant que membre de l'entreprise criminelle commune par aide et

 18   encouragement.

 19   Compte tenu du temps, je ne vais pas maintenant présenter un aperçu

 20   de leur contribution, tant l'Accusation que la Défense ont évoqué, je

 21   voudrais maintenant aborder brièvement la question de l'erreur commise par

 22   la Chambre de première instance.

 23   Nous estimons que la Chambre a commis une erreur en imposant les

 24   peines de manière, à manifeste, inadéquates et disproportionnées aux crimes

 25   commis. L'examen de la Chambre de première instance s'est penchée de

 26   manière superficielle à la question et n'a pas correctement apprécié les

 27   facteurs obligatoires lorsqu'elle a apprécié la gravité des crimes. Plus

 28   particulièrement, l'analyse de la Chambre sur la gravité des infractions


Page 613

  1   qui se limitent aux six paragraphes et n'aborde pas la nature

  2   discriminatoire des crimes ainsi que leur impact sur les victimes. Je vous

  3   ai illustré cet effet que cela a eu sur les victimes, je n'ai cité que deux

  4   ou trois témoins. Mais, en fait, il convient de multiplier cela par

  5   plusieurs centaines de milliers, de centaines de milliers. Il n'y a pas de

  6   décision sur la nature brutale des crimes ou sur les effets de ces crimes

  7   sur les victimes albanaises et sur leurs proches. La Chambre d'appel dans

  8   Blaskic, paragraphe 686 [comme interprété] a constaté que ces

  9   considérations étaient obligatoires lorsqu'on se penche sur la gravité des

 10   crimes.

 11   La Chambre mène à bien un examen superficiel lorsqu'elle rend sa

 12   décision sur les peines qui ne sont déterminées que strictement

 13   rigoureusement sur la base du mode de responsabilité des accusés.

 14   Sans individualiser la peine sur la base de la position individuelle

 15   de chacun des accusés, la Chambre n'a pas pris en compte la position de

 16   chacun des accusés, sa contribution, voire même le crime duquel il a été

 17   déclaré coupable, ce qui normalement aurait été un examen à mener de

 18   manière évidente, enfin qui s'imposait et absolument requis. Au Volume III,

 19   paragraphe 1 175 du jugement, sous le titre "Gravité des infractions", la

 20   Chambre a commis une erreur en prenant le mode de responsabilité de chacun

 21   des accusés et ne tenant pas de contributions spécifiques.

 22   M. LE JUGE LIU : [interprétation] J'ai bien peur que votre temps se

 23   soit écoulé.

 24   M. KREMER : [interprétation] Une minute, s'il vous plaît.

 25   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous l'accorde.

 26   M. KREMER : [interprétation] Comme vous venez de l'entendre de ma consœur,

 27   Mme Jarvis, les accusés ont été déclarés coupables d'infractions

 28   différentes. Pavkovic d'agressions sexuelles, et notre appel fait valoir

 


Page 614

  1   que Lukic et Sainovic ont été acquittés.

  2   Et la Chambre de première instance aurait pu prendre cela en considération,

  3   aurait pu prendre en considération la brutalité, comme je viens de le

  4   signaler, et le fait que chacun des accusés a joué un rôle distinct,

  5   différent, important, et qu'il aurait fallu apprécier cela. Alors les

  6   peines allant de 15 à 22 années respectivement pour aider, encouragement

  7   donc, qui ont été prononcées à l'encontre des membres de l'entreprise

  8   criminelle commune, à notre sens, sont disproportionnées par rapport à la

  9   gravité des crimes. Donc nous estimons que le bon sens nous imposerait

 10   cette conclusion, que cela n'est pas proportionné : 22 années, 15 années

 11   pour l'ampleur, la nature de ces crimes, pour 700 000 vies ruinées en tant

 12   que résultat d'actions préméditées et violentes sur une très brève période,

 13   et qu'en plus des crimes additionnels qui sont venus se greffer afin de

 14   promouvoir la violence et afin d'inciter les gens à prendre la fuite, nous

 15   montre à quel point il s'agit d'actes graves. Nous enjoignons la Chambre à

 16   se pencher sur cela, à imposer des peines les plus sévères permises par

 17   notre Statut.

 18   Je suis prêt à répondre à vos questions.

 19   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Nous allons faire une

 20   pause, et nous reprendrons à 11 heures pour entendre la réponse des

 21   appelants.

 22   --- L'audience est suspendue à 10 heures 35.

 23   --- L'audience est reprise à 11 heures 00.

 24   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Nous allons maintenant entendre les

 25   réponses de la part des appelants. Le conseil de M. Sainovic.

 26   M. PETROVIC : [interprétation] Merci, Madame, Messieurs les Juges. Je me

 27   propose de m'adresser aux Juges de la Chambre d'appel au sujet du premier

 28   et troisième moyens d'appel, pour ce qui est de ce qui a été présenté par


Page 615

  1   l'Accusation, et mon éminent confrère, M. Fila, va réponse au sujet du

  2   moyen d'appel 6.

  3   Bien qu'aujourd'hui nos confrères et consœurs n'aient pas présenté des

  4   arguments pour ce qui est du premier moyen d'appel, je voudrais souligner

  5   brièvement deux ou trois circonstances importantes que j'estime que les

  6   Juges d'appel doivent avoir à l'esprit lorsqu'ils devront décider du bien-

  7   fondé de ce premier moyen d'appel de l'Accusation.

  8   En effet, le Procureur, lorsqu'il a rédigé son troisième acte d'accusation

  9   consolidé qui fournit ce moyen et sur la base duquel il a défendu ces

 10   allégations [inaudible] de ce procès, a omis dans le cadre de ce point 5

 11   d'imbriquer les paragraphes qui se rapportent à des détails liés à des

 12   agissements punissables ou sanctionnables [phon], et il a omis d'intégrer

 13   le paragraphe 72, où l'on décrit les agissements d'expulsion et de

 14   transfert forcé. Et c'est une erreur qui a été faite par le bureau du

 15   Procureur, elle a été relevée au tout début de la phase du procès, enfin du

 16   procès, et le Président de la Chambre de première instance a indiqué au

 17   bureau du Procureur cette lacune. Il a mentionné le fait qu'au paragraphe

 18   76 on n'avait pas incorporé les références liées au paragraphe 72, où les

 19   détails des expulsions et transferts forcés sont mentionnés. Et le

 20   représentant de l'Accusation dans le procès en première instance avait dit

 21   qu'il avait compris les propos du Président de la Chambre, et qu'il n'y

 22   avait pas de réponse à apporter par ses soins. C'est ainsi que le débat a

 23   pris fin.

 24   Une deuxième opportunité s'est présentée pour ce qui est de

 25   l'Accusation, pour ce qui est du même moyen d'appel, c'est une décision des

 26   Juges de la première Chambre en application du 98 bis. Dans cette décision,

 27   il a été clairement dit aussi que la Chambre de première instance trouvait

 28   que ces détails spécifiques se rapportant aux expulsions et transferts


Page 616

  1   forcés, tels qu'énoncés au paragraphe 72, n'étaient pas imbriqués au point

  2   5 ou au chef 5 de l'acte d'accusation. C'est ce qui avait été dit lors du

  3   communiqué de la décision en application du 98 bis. L'Accusation a pu

  4   entendre ceci, a eu l'occasion de s'y référer ou s'en plaindre, mais cette

  5   opportunité a jamais été mise à profit. La première fois où le bureau du

  6   Procureur ouvre cette question et demande à ce que l'erreur soit rectifiée,

  7   c'est l'appel interjeté pour ce qui est du jugement en première instance.

  8   Nous estimons, pour notre part, que l'omission du bureau du Procureur

  9   pour ce qui était d'influer ou d'accepter ces deux mises en garde de la

 10   part des Juges de la Chambre de première instance font qu'il y a perclusion

 11   de possibilité pour l'Accusation de procéder en cette phase-ci de la

 12   procédure, de demander des recours pour ce qui est d'une chose à laquelle

 13   il aurait fallu remédier bien avant. Alors, en tout état de cause, le faire

 14   à présent se ferait au détriment des accusés. Et pour ces raisons-là, nous

 15   demandons aux Juges de la Chambre d'appel de faire en sorte que ce moyen

 16   d'appel de l'Accusation soit rejeté. Les détails sont, bien entendu,

 17   fournis dans nos réponses à l'appel interjeté par l'Accusation.

 18   Avec votre autorisation, Madame, Messieurs les Juges, je me propose

 19   de dire quelques mots maintenant au sujet de ce qui a été indiqué ici

 20   aujourd'hui et qui constitue le troisième des moyens d'appel de

 21   l'Accusation, qui se compose de deux segments. Il y en a un qui se rapporte

 22   à la correction demandée pour ce qui est des normes juridiques prises en

 23   considération, et l'autre segment se rapporte à la détermination des

 24   circonstances qui devraient conduire à une décision autre lorsqu'il s'agit

 25   des faits qui sont abordés au troisième moyen d'appel.

 26   Bien qu'il en ait déjà été question à l'occasion de ces journées-ci

 27   pour ce qui est de l'exposé des argumentations par les deux parties en

 28   présence, je voudrais rappeler en partie ce qui, d'après la façon dont nous


Page 617

  1   comprenons les choses, constitue des normes juridiques que les Juges de la

  2   Chambre d'appel se devraient de mettre en œuvre lors de l'examen de ce

  3   moyen d'appel.

  4   Indépendamment de la position qui sera prise en considération pour ce

  5   qui est des normes juridiques et des critères d'examen pour ce qui est de

  6   la prédictibilité des différentes possibilités ou rester à ce qui avait

  7   constitué la position adoptée dans le jugement Brdjanin ou la façon de

  8   comprendre ce qui a pu être rendu comme décision dans la décision

  9   interlocutoire dans l'affaire Karadzic, il y a un autre élément des normes

 10   qui n'est pas contesté par l'Accusation non plus et qui apporte une réponse

 11   cruciale pour ce qui est de la substantifique moelle de ce moyen d'appel.

 12   En effet, la définition qui, dans ce segment n'est contesté ni par

 13   l'Accusation ni par la Défense, pour ce qui est d'une entreprise criminelle

 14   commune, parle d'une prévisibilité raisonnable partant des informations qui

 15   sont mises à disposition de l'accusé. Cette partie-là de la définition,

 16   information à la disponibilité de l'accusé, ce n'est pas contesté, mais

 17   c'est crucial comme élément pour ce qui est de permettre de trancher.

 18   Que dit la Chambre d'appel dans l'affaire Karadzic ? Indépendamment

 19   de l'application de ces normes de possibilité, l'on ne saurait répondre aux

 20   critères pour ce qui est d'un scénario qui est éloigné. La possibilité de

 21   la perpétration d'un crime, ça doit être substantiellement illustré pour

 22   pouvoir être prévisible s'agissant de l'accusé. Qu'est-ce qui apparaît de

 23   façon claire ? La Chambre d'appel n'apporte pas son soutien à une

 24   définition qui est par trop large, qui est sans rive.

 25   Parce que quelle serait la conséquence de la façon dont l'Accusation

 26   comprend les choses ? Cela signifierait que le fait qu'il y ait une

 27   entreprise criminelle commune et qu'il y a une intention de la part de

 28   l'accusé pour ce qui est de la réalisation d'un objectif commun pour tout


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  1   autre crime qui se produirait, il pourrait être qualifié de crime pour dire

  2   qu'il y a mens rea pour ce qui est de cette entreprise criminelle commune

  3   de troisième type.

  4   Alors, pour comprendre la façon dont l'Accusation l'interprétait,

  5   qu'il existe un automatisme. S'il existe des conditions, s'il existe un

  6   délit d'expulsion ou de transfert forcé en tant que forme numéro un de

  7   l'entreprise criminelle commune, par automatisme, on a répondu à une norme,

  8   on a satisfait à une norme pour dire que la conséquence prévisible, ça

  9   pourrait être aussi, dans le cas concret, les délits au pénal d'agressions

 10   sexuelles. Nous estimons, pour notre part, que cet automatisme ne doit pas

 11   exister, ne peut pas exister et que, comme partout ailleurs, il faut

 12   trouver des éléments de preuve qui illustreront les circonstances

 13   concrètes. Si l'on acceptait le concept de l'Accusation, on glisserait vers

 14   un automatisme et vers une absence de nécessité de faire en sorte que ces

 15   délits au pénal spécifiques nécessitent un apport d'éléments de preuve.

 16   S'agissant de l'existence ou de l'inexistence de ce type de délits au

 17   pénal, on ne saurait en juger que partant des informations disponibles,

 18   s'agissant des différents scénarios éloignés, ceux-ci ne sauraient être

 19   considérés comme étant suffisants pour considérer l'accusé comme

 20   responsable de ce type de délits au pénal.

 21   Comment les choses se présentent-elles maintenant pour ce qui est de

 22   notre client, M. Sainovic ? Lorsque l'on expose les différentes

 23   circonstances, les Juges de la Chambre de première instance, aux

 24   paragraphes 4 et 2 du Volume III, ont conclu qu'on n'avait pas apporté des

 25   éléments de preuve pour ce qui est de ces violences sexuelles qui auraient

 26   raisonnablement été prévisibles aux yeux de Sainovic, et l'Accusation,

 27   s'agissant de sa décision, je dirais qu'elle a été prise de façon attentive

 28   compte tenu des jugements rendus dans Kvocka et dans l'affaire Krstic. Nous


Page 619

  1   estimons donc que les Juges de la Chambre de première instance se sont

  2   penchés de façon très attentive sur ce type de circonstances et qu'ils ont

  3   rendu une décision correcte.

  4   Aujourd'hui, nos confrères et consœurs ont dit qu'il y avait trois

  5   facteurs qui devraient servir d'éléments de preuve pour indiquer que

  6   Sainovic devait raisonnablement savoir ou prévoir que dans le cadre de la

  7   campagne en cours on pouvait avoir des délits de violence sexuelle aussi.

  8   Si j'ai bien compris les choses, on a mis l'accent sur le fait que pendant

  9   la campagne, il y a eu des violences brutales, et que cette campagne

 10   brutale et violente avait pour issue la prévisibilité des crimes de

 11   violence sexuelle.

 12   Alors, si l'on se penche sur le mémoire en appel de l'Accusation pour

 13   ce qui est du fait que Sainovic aurait dû savoir que des violences de cette

 14   nature devaient survenir forcément, on va prendre quelques éléments qui se

 15   rapportent en premier lieu à 1998, on parle de Gornje Obrinje, les

 16   événements de Racak, on parle de Malisevo et de ces événements là-bas.

 17   Mais, tous ces événements, d'après les réponses que nous avons apportées

 18   dans le détail, montrent de façon claire qu'il n'y a pas eu de violence

 19   sexuelle ou que rien n'aurait permis de constater qu'il serait possible que

 20   des violences de cette nature surviennent. Alors, ici, le Procureur tombe

 21   dans une espèce de situation contradictoire, parce que toute la

 22   présentation des éléments à charge par les soins de l'Accusation, comme on

 23   a pu l'entendre dernièrement, ça se base sur des allégations qui disent que

 24   telle chose se serait produite en 1998, et que ce qui s'est produit en

 25   1998, bien entendu, ne pouvait exister et ne pouvait qu'exister en 1999

 26   aussi.

 27   Alors, il est clair ici que partant des éléments de preuve présentés

 28   pour 1998, il n'y a rien de ce qui pourrait indiquer qu'il y a eu quelques


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  1   crimes que ce soit qui pourraient être placés en corrélation avec des

  2   violences sexuelles. Nous avons exposé dans le détail pourquoi, et j'estime

  3   que ma consœur a accepté ce matin le fait que l'accusé, partant des

  4   événements en 1998, ne pouvait pas avoir des connaissances en la matière.

  5   Alors, si l'on acceptait cette logique de l'Accusation qui se sert de

  6   1998 pour fondement de connaissances en 1999 et pour fondement de mise en

  7   garde à cet effet, il est clair que Nikola Sainovic n'a pas pu avoir ce

  8   type de mise en garde, et que l'on ne peut pas déterminer le fait que ce

  9   type de crime pouvait être prévisible partant de ce qu'il avait su, datant

 10   d'une période antérieure à cette prétendue entreprise criminelle commune

 11   qui aurait donc eu ses débuts.

 12   Le Procureur mentionne aussi aujourd'hui, tout comme dans son mémoire

 13   en appel, cette animosité puissante, très grande, entre les Serbes et les

 14   Albanais comme indice de mise en garde pour ce qui est des crimes

 15   potentiels de différentes natures, y compris celui-ci. Mais ceci ne découle

 16   pas de ce qui a été avancé comme fait. En 1998, on dit qu'il y a des

 17   violences de commises en 1998. On établit un lien entre 1998 et 1999. Mais

 18   en 1998, ceci n'existe pas. Cette animosité que l'on évoque, c'est une

 19   question qui date de plusieurs décennies ou de siècles déjà entre les

 20   Serbes et les Albanais. L'histoire, en termes simples, s'agissant de ces

 21   territoires-là, nous montre que cette animosité n'inclut pas des délits de

 22   ce type-là, délits dont il a été question ici.

 23   Chose qui est particulièrement intéressante, c'est la possibilité

 24   évoquée par l'Accusation s'agissant de Sainovic qui aurait dû supposer que

 25   s'il y avait des unités qui avaient été engagées au Kosovo alors qu'elles

 26   avaient été impliquées dans ces événements quelques années auparavant en

 27   Bosnie et en Croatie, pour affirmer que ce type de violence pouvait être

 28   réitéré au Kosovo. Ça, c'est une allégation qui est tout simplement dénuée


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  1   de preuve. Que savait Sainovic, quelles étaient ces unités qui avaient

  2   participé à tel autre événement antérieur, ça ce sont des allégations qui

  3   se ramènent en fait à dire que la prévisibilité est déduite de connaissance

  4   de nature de plus générale qui soit au sujet de l'histoire des événements

  5   en ex-Yougoslavie. Parce que dire que telle chose s'est produite dans une

  6   histoire plus ou moins récente ou ancienne, ça ne peut pas servir

  7   d'argument pour ce qui est de l'utiliser dans ce procès-ci.

  8   Le Procureur mentionne - et il l'a mentionné aujourd'hui aussi - le

  9   fait que Sainovic était allé à Pristina à plusieurs reprises. On donne deux

 10   dates, le 29 mars et le 4 avril, lorsque Sainovic est allé à Pristina et

 11   qu'il a pu voir des transferts et qu'il aurait pu conclure partant de là

 12   qu'il y avait possibilité de délit de violence sexuelle. Mais il n'y a

 13   aucun élément de preuve pour ce qui est de savoir ce que Sainovic a vu ou a

 14   pu voir. Tout ceci se trouve à un niveau d'hypothèses, de conjectures. Mais

 15   ce qui peut être important ou servir d'illustration pour ce qui est de

 16   l'état de conscience à Sainovic, c'est au moment des dates qui sont

 17   mentionnées ici, ce sont des dates où Sainovic est allé négocier avec

 18   Rugova ou a essayé de tracer le chemin à des négociations pour aboutir à

 19   une solution politique et une solution pacifique au Kosovo. Lier ses

 20   visites et ses tentatives de trouver une solution par des voies de

 21   négociations, et s'agissant de ce qu'il aurait éventuellement pu voir est

 22   chose où il n'y a aucune preuve possible, c'est de l'avis de la Défense de

 23   l'accusé, une chose tout à fait inappropriée.

 24   Nous estimons donc que les estimés Juges de cette Chambre d'appel

 25   devraient rejeter ce troisième moyen d'appel.

 26   Je voudrais juste encore mentionner, si vous me le permettez, dire

 27   deux phrases, étant donné le temps limité à ma disposition. C'est ceci, il

 28   est bien entendu que la Défense de Sainovic s'agissant de tout incident, de


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  1   tout crime de violence sexuelle le trouve détestable, haïssable et estime

  2   que c'est un délit ou un crime qui mérite d'être sanctionné de la pire des

  3   sanctions, mais tout ce qui a été montré ici, c'est que Sainovic n'a rien à

  4   voir avec ce type de crimes. Nous estimons également, compte tenu de ce que

  5   je viens de dire, qu'il convient de souligner le fait que le Procureur

  6   parle d'une campagne qui dure depuis des jours, des semaines, ou des mois,

  7   tout au large du Kosovo, une campagne qui inclut 700 000 personnes.

  8   Alors qu'avons-nous comme faits établis pour ce qui est des agressions

  9   sexuelles ? Nous avons deux incidents, nous ne contestons pas leur gravité.

 10   Nous parlons maintenant du nombre, du chiffre. Le première incident est

 11   survenu le 29 mars 1999, à Beleg, le deuxième est survenu en mi-avril 1999

 12   à Cirez. C'est évident qu'il s'agit de délits au pénal isolés. Il est

 13   évident que s'il est exact qu'il s'agissait de centaines de milliers de

 14   personnes, il y a en contrepartie deux incidents par rapport à huit

 15   victimes. Ceci ne diminue en rien les souffrances des victimes, mais cela

 16   indique que ce sont des cas isolés et sporadiques pour ce qui est des

 17   incidents survenus. Cet élément d'isolement et de sporadicité conteste les

 18   allégations de l'Accusation qui disent que Sainovic, lors de la mise en

 19   œuvre de cette entreprise criminelle commune au côté des autres accusés,

 20   avait pris et assumé le risque de prendre en considération la possibilité

 21   d'agressions sexuelles.

 22   Et très brièvement pour ce qui est du quatrième moyen d'appel, je dirais

 23   qu'il s'agit de trois incidents. Et nous sommes d'avis qu'il s'agit

 24   d'incidents où il n'y a pas d'intention discriminatoire, il s'agit

 25   d'incidents où le Procureur qui généralise les agressions essaie de calquer

 26   les différents événements individuellement survenus, et nous indiquons que

 27   ces événements ou ces incidents relèvent de la criminalité de nature

 28   générale, mais ça n'a rien à voir avec une intention discriminatoire, et il


Page 623

  1   n'y a aucun fondement pour ce qui est de prendre en considération ce moyen

  2   d'appel de l'Accusation. Il convient de le rejeter.

  3   Je vous remercie, Madame, Messieurs les Juges. C'est mon confrère qui va à

  4   présent prendre la parole et répondre aux autres éléments.

  5   M. FILA : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les

  6   Juges, je me propose de me pencher sur le segment de l'appel interjeté par

  7   l'Accusation qui, à mes yeux, est inadmissible et, entre autres, immoral.

  8   La raison est la suivante : dans l'affaire en première instance,

  9   l'Accusation a passé deux ans avec nous dans ce prétoire. On a vu tous les

 10   témoins, on a vu tous les documents. Nous avons suivi le comportement de

 11   chacun des accusés, et lorsque tout ceci s'est terminé, le bureau du

 12   Procureur dans son mémoire en clôture a demandé pour l'accusé Milutinovic,

 13   Sainovic et autres, au moins 20 ans de réclusion et au-delà pour donc

 14   satisfaire à l'intérêt de la justice. Milutinovic, comme vous le savez, a

 15   été acquitté et libéré, Sainovic s'est vu infliger 22 ans, ce qui se trouve

 16   dans le cadre de ce qu'on a demandé, et même deux ans de plus.

 17   Je voudrais vous dire une chose. Je suis probablement le plus âgé des

 18   avocats devant ce Tribunal. Je suis ici depuis février 1996 - et je crois

 19   qu'il n'y a que Mark Harmon qui est ici depuis plus longtemps que moi - et

 20   je n'ai jamais vu chose pareille.

 21   Ce que je tiens à dire, et je suis fier d'avoir l'occasion de le faire, ce

 22   type de coopération entre la Chambre, l'Accusation, et la Défense, c'est

 23   une chose qui est tout à fait louable, très louable. Chacun avait eu des

 24   positions qui étaient bien précises et jamais personne n'a élevé le ton et

 25   jamais nous n'avons eu une situation de conflit qui devrait être tranchée

 26   par les Juges de la Chambre et qui serait indigne de juriste. Alors, je

 27   voudrais vous illustrez ceci par deux exemples, ça s'est passé à huis clos

 28   partiel, il y a eu un débat entre les Juges de la Chambre et le Procureur.

 


Page 624

  1   Si vous voulez entendre ces deux exemples, il nous faudra passer à huis

  2   clos partiel, parce que ça s'est fait à l'époque à huis clos partiel aussi.

  3   Si vous le permettez, moi, j'aimerais continuer donc de cette façon.

  4   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui. Nous allons passer à huis clos

  5   partiel.

  6   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,

  7   Madame, Messieurs les Juges.

  8   [Audience à huis clos partiel]

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 23   [Audience publique]

 24   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Vous pouvez continuer, Maître Fila.

 25   M. FILA : [interprétation] Pourquoi j'ai mentionné ces deux exemples ?

 26   Parce que j'ai voulu montrer aux Juges de la Chambre ce que signifiait une

 27   promesse et la parole données par un collègue, par des juristes et des

 28   professionnels qui comparaissent devant ce Tribunal. Parce que si nous

 


Page 626

  1   disions une chose, et si nous pensions autre chose, et si nous faisions une

  2   troisième chose, nous serions des hommes politiques. Nous serions dans des

  3   parlements, et on ne sait pas qui va parler de quoi dans ce contexte. Mais

  4   ceci n'est un Tribunal, une instance juridique sérieuse.

  5   Qu'avons-nous obtenu au lieu de cette conséquence ou de cette conformité ou

  6   promesse ? Nous avons trois situations. L'accusé Milutinovic s'est vu

  7   libéré. Est-ce qu'il y a eu un recours ou un appel ? Non. Le général

  8   Ojdanic a eu une peine de 15 ans. Le Procureur a interjeté appel, parce que

  9   ça faisait moins de 20 ans. Que s'est-il passé ? Ils ont retiré leur

 10   recours. Donc il y a eu cinq ans de moins par rapport à ce que Hannis avait

 11   demandé. C'est un deuxième type de situation dont il convient de tenir

 12   compte.

 13   Et troisième type de situation, c'est la situation dans laquelle je

 14   me trouve avec Sainovic. Ils ont eu ce qu'ils ont obtenu, et moi, j'ai

 15   interjeté appel. Pour ce qui est de la décision relative à la sanction,

 16   moi, je comprends et je ne conteste pas. Ils avaient le droit d'interjeter

 17   appel. Ce que je voulais dire aux Juges de la Chambre, c'est que les

 18   parties en présence se trouvent être liées par les positions qu'elles ont

 19   prises et qu'elles ont présentées au cours du procès. Si une partie au

 20   procès a présenté une requête, il faudrait s'y conformer, il faut être

 21   conséquent à ce qu'on a dit. Toute déviation par rapport à ce qu'on avait

 22   demandé introduit un élément d'incertitude juridique, et c'est la raison

 23   pour laquelle je vous ai répondu, je vous ai donné lecture de ce que

 24   l'Accusation nous a dit au sujet de ces entretiens au départ.

 25   Parce que l'accusé a le droit de connaître la teneur de l'acte

 26   d'accusation. Il doit être mis au courant de sa position. Il doit avoir le

 27   droit d'adapter sa défense à la teneur ou au caractère de l'acte

 28   d'accusation et des autres allégations présentées contre lui. Mais si


Page 627

  1   l'Accusation, partant des éléments de preuve disponibles et selon la

  2   conception juridique qui est la sienne, présente une demande au sujet du

  3   montant de la sanction, l'Accusation le fait partant de son appréciation.

  4   Je dis "partant de sa propre appréciation", parce que dans le mémoire en

  5   clôture, il n'y a pas encore jugement de rendu. On était partis d'une

  6   supposition qui était celle de voir l'acte d'accusation confirmé par un

  7   jugement. Or, cela ne s'est pas produit.

  8   Ce que je n'arrive pas à concevoir en ma qualité de conseil de la

  9   Défense, c'est que de voir, partant des mêmes éléments de preuve, parce

 10   qu'il n'y a aucun élément de preuve nouveau qui a été présenté, et partant

 11   de la même théorie juridique, dans une phase de la procédure on demande une

 12   sanction pour que dans une deuxième phase, sans qu'il y ait des raisons

 13   matérielles ou procédurales, on demande une deuxième sanction. Tout

 14   simplement, ceci se trouve être incorrect, non professionnel, et ce n'est

 15   pas collégial. Ce n'est pas conforme à notre obligation qui est commune,

 16   servir les intérêts de la justice avec une protection juridique des

 17   intérêts de tout un chacun, c'est-à-dire des victimes, des accusés et de

 18   tout autre. Donc, si l'on prend en considération les positions de

 19   l'Accusation au départ, s'il y a modification, ça devrait se fonder sur des

 20   éléments nouveaux ou sur une pratique juridique modifiée, dramatiquement

 21   modifiée.

 22   Mais comment se peut-il que quand on n'a pas vu des individus, quand

 23   on a vu des listes, et quand on a des connaissances indirectes, est-ce

 24   qu'on peut voir mieux que le Procureur qui a été là au départ, et je dirais

 25   que deux membres de ce bureau du Procureur se trouvent encore présents dans

 26   ce bureau du Procureur-ci, c'est M. Marcussen ou Mme Kravetz, et il semble

 27   avoir modifié ou changé leur opinion. Dans le pays d'où je viens, devant un

 28   tribunal spécial qui est chargé des délits de drogue, de brigandage,


Page 628

  1   corruption grave, et cetera, le procureur demande une peine. Une fois que

  2   cette peine est prononcée, il n'y a pas lieu d'interjeter appel. Ça n'est

  3   jamais arrivé. On peut interjeter appel si l'on n'aime pas ou n'apprécie

  4   pas une formulation. Mais si la sanction qu'on a demandée est obtenue,

  5   comment peut-on interjeter appel ? Mais ici, cela semble fort possible.

  6   Je me suis penché sur tout ce qui a été mis sur papier. Nous avons

  7   comparé avec ce que les Juges de la Chambre ont soupesé. Et dites-nous ce

  8   que la Chambre de première instance n'a pas vu et ce que ce bureau du

  9   Procureur a vu ? Tout se trouve être exposé et argumenté. S'agissant de

 10   notre mémoire en appel, on a présenté des tableaux. On dit telle chose est

 11   dite dans ce jugement ou dans cet arrêt. Est-ce qu'il y a des divergences

 12   entre ce qu'ils ont affirmé et ce qui s'est trouvé les jugements ou

 13   l'exposé des motifs des jugements rendus. Alors moi, ça me préoccupe. Parce

 14   qu'au début des actes d'accusation liés au Kosovo, qui ne se rapportent

 15   malheureusement qu'à des Serbes, on avait aux côtés de Sainovic, encore

 16   trois hommes politiques qui étaient mis en accusation. Il y avait Slobodan

 17   Milosevic, qui est décédé en prison, parce qu'on l'avait mis en accusation;

 18   comme on l'a mis en accusation, il n'a pas pu tenir, enfin résister à des

 19   charges aussi lourdes. Le deuxième, c'était Milutinovic. Il a été libéré.

 20   Vlajko Stojilkovic était le troisième -- oui, excusez-moi d'aller si vite.

 21   Et je vous rappelle que pour Milosevic, le Juge May avait demandé à ce

 22   qu'il n'y ait que le Kosovo à l'acte d'accusation. Vlajko Stojkovic était

 23   ministre de l'Intérieur, il s'est tué, il s'est suicidé. Donc, Slobodan

 24   Milosevic, il est mort avant un jugement, donc il y a une présomption

 25   d'innocence. Milutinovic a été acquitté. Et ce qui est intéressant dans la

 26   position prise par ce bureau du Procureur, c'est que le jugement qui a

 27   permis la libération de Milutinovic, il n'y a pas eu interjection d'appel.

 28   Et sur tous les hommes politiques qui ont assumé des responsabilités, il ne


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  1   reste plus que Sainovic, et maintenant le bureau du Procureur voudrait que

  2   la sanction, la peine d'emprisonnement à vie qui est réclamée, il faudrait

  3   la faire tomber sur les épaules de Sainovic et sur les trois autres qui

  4   n'ont pas encore été condamnés.

  5   Vous savez, dans la Bible, il y a les Juifs qui prennent un bouc noir

  6   qui est censé être mangé par les loups, et avec lui, tous les péchés commis

  7   par les Juifs doivent s'en aller. Donc, j'ai l'impression que c'est

  8   Sainovic qui doit servir de bouc émissaire dans cette histoire. Alors, la

  9   Serbie a une police. Elle a un gouvernement. Ce gouvernement a un ministre

 10   de l'Intérieur. Il y a un premier ministre, et il y a un président de la

 11   république, en Serbie. Alors comment le vice-président, l'un des cinq vice-

 12   présidents du gouvernement fédéral, ait eu connaissance de tout ce que

 13   l'Accusation nous dit, et que le président de la république de Serbie, dont

 14   la police avait été mise en accusation, n'a pas d'information à ce sujet ?

 15   Ce n'est pas conforme à la loi. Ce n'est pas conforme à l'humanisme

 16   pour faire endosser par un homme tout ce qui n'a pas été fait et réalisé

 17   par la faute du bureau du Procureur.

 18   Et c'est maintenant qu'on apprend que le commandant du MUP a fait

 19   ceci, et que Sainovic avait des liens avec ce commandant du MUP pour faire

 20   endosser à Sainovic tout ce qui aurait dû être endossé par les autres, et

 21   pour en terminer avec le récit de la sorte.

 22   Même s'il se serait agi de Vlajko Stojilkovic, qui n'avait commandé

 23   que le MUP, pas le service de la Sûreté de l'Etat, lui il n'était pas fort

 24   au point de faire tout ceci pendant les opérations de guerre, alors que le

 25   président de la république de Serbie n'en sait rien et il est assis tout le

 26   temps pendant la guerre, une pièce à côté de l'autre, Slobodan Milosevic et

 27   sa femme, et Milutinovic et femme à lui, et en haut, à l'étage, il y avait

 28   l'état-major principal qui dirigeait les opérations, et on dirait que ceux-


Page 630

  1   ci n'en savaient rien.

  2   Alors, moi - je répète une fois de plus - quand on dit quelque chose, on

  3   doit s'en tenir à ce qu'on a dit. Ici, un homme est remplacé par un autre

  4   homme. On disculpe Milutinovic et autres pour faire endosser la

  5   responsabilité par Sainovic. Mais n'oublions pas que l'histoire va un jour

  6   lire ce qui a été décidé. Comment peut-on garder quelqu'un pendant sept ans

  7   en prison, demander un emprisonnement à vie ou une peine d'emprisonnement

  8   de 20 ans et le libérer par la suite ?

  9   Alors, pour ce qui est Sainovic, lorsque vous examinerez le PV, je

 10   n'ai pas cessé de défendre Sainovic. Parce que tous les jours l'Accusation

 11   avait reproché tout ceci à Sainovic, mais pour ce qui est de Milutinovic,

 12   les choses ne sont pas faites autrement. Ça, s'est fait de façon plutôt

 13   tiède, comme si tout un chacun s'attendait à ce que l'issue au final serait

 14   celle qu'on sait.

 15   Et je vais répéter pour une dernière fois, si le bureau du Procureur,

 16   partant des éléments de preuve disponibles et partant de la conception

 17   juridique qui est la sienne pour ce qui est d'une requête présentée

 18   s'agissant de la peine à faire purger par un accusé, on le fait partant des

 19   éléments de preuve qu'on a soupesés en tant que tels.

 20   Maintenant, je vais me pencher sur l'appel interjeté par

 21   l'Accusation. On n'a présenté aucun nouvel argument par rapport à ce qui

 22   avait été avancé par l'Accusation dans le procès au départ. En réclamant

 23   telle peine pour Sainovic, peine de 20 ans de prison, le Procureur avait

 24   pris en considération des éléments qu'il avait considérés constituaient des

 25   preuves adéquates pour ce qui est de sa responsabilité et de la peine

 26   encourue, et que cela était des circonstances aggravantes pour ce qui est

 27   des circonstances qui lui étaient reprochées. C'est ce que l'Accusation a

 28   dit, que Sainovic avait fait obstruction à la mise en œuvre des accords


Page 631

  1   d'octobre, qu'il était contre ceci, qu'il avait refusé l'arrivée des

  2   convois ou d'un hélicoptère de la Croix-Rouge, et qu'il avait refusé des

  3   propositions de la mission d'observation pour ce qui est de la réduction

  4   des effectifs et pour qu'il y ait tel et tel déploiement des forces

  5   d'observation pour diminuer les tensions, qu'il avait fait des obstacles à

  6   la délivrance de visas et qu'il avait fait obstruction aux négociations de

  7   Rambouillet. Mais toutes ces allégations se trouvent être déjà dans le

  8   jugement rendu par la Chambre de première instance, qui ne nous a pas fait

  9   plaisir, mais ça a été rejeté. Rien de tout ceci n'a été accepté par les

 10   Juges de la Chambre de première instance. Maintenant, de façon paradoxale,

 11   le bureau du Procureur demande une peine plus lourde encore pour Sainovic

 12   dans une situation qui, à bien des égards, se trouve être avantageuse, et

 13   plus avantageuse pour Sainovic qu'à l'époque où on avait demandé une peine

 14   de 20 ans, entre autres, avec les délits et les crimes de viols que l'on

 15   vient de mentionner.

 16   Les raisons de justice et d'équité nous demandent, pour ce qui est

 17   donc de rejeter l'aggravation de la peine qui est réclamée pour Sainovic,

 18   parce que ceci se trouve infondé. L'Accusation n'a présenté aucun élément

 19   qui démontrerait qu'il y a nécessité d'aggraver la peine ou de l'augmenter.

 20   On a parlé de 700 000 Albanais dont les vies ont été détruites parce

 21   qu'ils ont passé un mois à l'extérieur de leur maison. Cent vingt mille

 22   Serbes ont été expulsés en 1999 du Kosovo, et ce sont des gens qui sont

 23   encore en Serbie, et ceux qui sont restés là-bas se font tuer tous les deux

 24   ou trois jours. Est-ce que quelqu'un est mis en accusation pour cela ?

 25   Personne. Donc, il n'est pas difficile d'expliquer les choses aux Albanais

 26   avec tant d'actes d'accusation contre les Serbes, mais comment expliquer

 27   aux Serbes qui ont également fui les bombardements de l'OTAN, et, je le

 28   répète, qu'ils sont 120 000 encore à être restés en Serbie ?

 


Page 632

  1   Excusez-moi d'avoir pris autant de temps, et c'est tout ce que

  2   j'avais voulu dire. Merci.

  3   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Je pense que cet

  4   après-midi, nous entendrons la réplique de l'Accusation là-dessus.

  5   A présent, nous entendrons une réponse présentée par la Défense de M.

  6   Pavkovic.

  7   M. ACKERMAN : [interprétation] Je vous remercie, Madame, Messieurs les

  8   Juges. Je n'ai pas prévu de prendre beaucoup de temps ce matin. Mes

  9   confrères ont déjà, en fait, dit certaines choses que j'avais l'intention

 10   de dire.

 11   Ce matin, l'Accusation vous a demandé de les sauver d'eux-mêmes, ils ont

 12   pris un certain nombre de décisions précédemment qui leur déplaisent

 13   maintenant, et ils aimeraient que vous leur permettiez de les changer. Cela

 14   me rappelle du moment où j'ai demandé un petit peu plus de temps pour

 15   présenter la cause de mon client ici, et vous m'avez dit que la décision

 16   avait été prise précédemment et que vous n'alliez pas la changer. Donc, je

 17   suis ici dans cette même position.

 18   Premièrement, bien entendu, il s'agit de la décision lorsqu'ils ont

 19   choisi délibérément, face aux arguments présentés par le Juge Bonomy qui

 20   leur a demandé, qui a plaidé de ne pas modifier le paragraphe 76 de l'acte

 21   d'accusation afin de comporter les allégations qui y figuraient, eh bien,

 22   ils ont pris cette décision, et maintenant ils voudraient que vous

 23   invalidiez les effets de cette décision. Il ne faudrait pas qu'ils se

 24   comportent de cette manière, et nous estimons, effectivement, qu'il n'y a

 25   pas lieu de changer votre attitude là-dessus.

 26   Alors, le moyen duquel je voudrais parler aujourd'hui est le moyen 4,

 27   qui porte sur les agressions sexuelles. Je voudrais réagir à ce que nous

 28   avons entendu ce matin.


Page 633

  1   Le critère pour l'agression sexuelle est que la preuve de l'existence

  2   de l'entreprise criminelle commune de première catégorie doit être apportée

  3   au-delà de tout doute raisonnable. Et nous affirmons que tel n'est pas le

  4   cas ici. Même si des éléments de preuve indirects peuvent être utilisés

  5   pour démontrer l'existence d'entreprise criminelle commune, cela ne suffit

  6   pas pour que ce soit la seule conclusion raisonnable qui peut être tirée.

  7   Et nous pensons, effectivement, que ce n'est pas le cas ici. J'ai mentionné

  8   ici l'autre jour le nombre de réfugiés qui se sont trouvés à la frontière

  9   en essayant de la traverser, et les forces de la VJ qui leur ont dit de

 10   rentrer chez eux. En fait, ils les ont aidés, ils les ont nourris.

 11   Donc, d'autre part, on nous dit qu'il y a une situation de chaos et

 12   de guerre qui permet de se lancer dans des actes criminels qui encouragent

 13   la criminalité. Il est essentiel d'identifier les auteurs de ces crimes

 14   dont nous avons parlé et de savoir sur qui les accusés exerçaient leur

 15   contrôle. L'Accusation ne les a pas identifiés, les auteurs de ces viols.

 16   Nous ne savons pas qui ils sont. L'Accusation doit procéder à cette

 17   identification avant de demander que l'on tienne responsable le général

 18   Pavkovic de ce que ces personnes ont commis. Ils doivent démontré que non

 19   seulement ils étaient placés sous son contrôle mais qu'il n'a pas déployé

 20   des efforts suffisants pour les faire sanctionner. Dans toute guerre les

 21   commandants se trouvent dans cette situation, indépendamment de leurs

 22   efforts, ils ne peuvent pas empêcher la commission de tous les crimes,

 23   qu'ils se produisent inévitablement. Donc ils doivent essayer de les

 24   sanctionner, de les prévenir -- ce que j'interprète,mais lorsque cela n'est

 25   pas traduit, n'est pas couronné de succès, eh bien, des efforts suffisants

 26   doivent être déployés.

 27   Je voudrais très brièvement parler de la peine. Des crimes sérieux, de

 28   toute évidence, ont été commis au Kosovo en 1999, mais ce n'est pas le


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  1   nombre ni la nature de ces crimes qui est important lorsqu'il s'agit de

  2   déterminer la peine, c'est l'identité des auteurs et leur lien avec le

  3   général Pavkovic. Le bureau du Procureur n'a pas pu identifier les auteurs

  4   de ces crimes et, à ce moment-là, ils se réfèrent simplement à eux comme

  5   étant des forces de la VJ et du MUP, sans aucun élément d'identification.

  6   Mais on ne peut pas savoir qui ils sont, donc le Procureur se contente de

  7   les appeler forces de la Yougoslavie fédérale et de la Serbie. Mais nous ne

  8   savons pas qui ils sont. Et cela est très typique de cette affaire.

  9   Regardez quels sont les faits incriminés de l'espèce. Il n'y a pas

 10   d'identification claire et nette des personnes qui auraient commis des

 11   crimes.

 12   La deuxième fois où l'Accusation vous demande aussi de les sauver des

 13   effets de leur décision, c'était ce matin lorsqu'ils vous ont dit nous

 14   regrettons, en fait, mais nous -- d'avoir demandé la peine que nous avons

 15   demandé la dernière fois. Et nous allons essayer de reformuler cela une

 16   nouvelle fois. Donc prenez le compte rendu d'audience du réquisitoire de M.

 17   Hannis, page 26 947, lorsqu'il dit : "Nous proposons une peine d'au moins

 18   20 ans." Eh bien, il a eu plus que cela. Il a eu 22 années pour mon client.

 19   Et maintenant ils disent que cela ne suffit pas. Une peine de prison à vie

 20   n'aurait pas été une peine raisonnable.

 21   Je pense que la question de la peine ne devrait pas constituer maintenant

 22   une question due au caractère défaillant de ce jugement. Il est défaillant

 23   à ce point que la peine ne devrait pas se poser en tant que problème en

 24   soi. Rappelons-nous que Pavkovic a fourni des documents à ce Tribunal, y

 25   compris le PV des réunions du commandement conjoint. Il n'avait rien à

 26   cacher.

 27   C'est tout ce que je souhaitais vous dire ce matin. Je pense que

 28   notre mémoire aborde tout le reste, tous les points importants. Je vous

 


Page 635

  1   remercie.

  2   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Si j'ai bien compris,

  3   vous avez terminé avec votre réponse. Je vous remercie d'avoir été aussi

  4   bref.

  5   Donc le moment est venu de faire une pause déjeuner. Nous reprendrons à 13

  6   heures 30, cet après-midi.

  7   --- L'audience est levée pour le déjeuner à 11 heures 51.

  8   --- L'audience est reprise à 13 heures 31.

  9   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Re-bonjour. Nous continuerons avec les

 10   réponses des appelants. Je donne la parole au conseil de M. Lazarevic.

 11   M. BAKRAC : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. C'est de

 12   nouveau moi qui prendrai la parole. Je tenterai de répondre à certaines

 13   questions qui ont été posées ou certains points abordés par nos confrères

 14   dans leur appel par rapport au général Lazarevic, et également réagir par

 15   rapport à ce qui a été dit aujourd'hui dans le prétoire.

 16   Notre Défense s'est pourvue en appel quant au premier moyen d'appel de

 17   l'Accusation. Nous avons souligné que le Procureur n'a pas raison lorsqu'il

 18   affirme que la Chambre de première instance s'est fourvoyée lorsqu'elle a

 19   estimé que le général Lazarevic devait être déclaré coupable d'avoir aidé

 20   et encouragé les persécutions. Nous rejoignons ce qui a été avancé par mon

 21   éminent confrère, Me Petrovic, qui a été le premier à prendre la parole

 22   aujourd'hui. Il a parlé de cette omission du bureau du Procureur, à savoir

 23   le Procureur n'a pas identifié les -- ou plutôt il n'a pas identifié tous

 24   les aspects matériels des faits incriminés. Je ne souhaite pas répéter ce

 25   qui a déjà été dit, je renvoie la Chambre d'appel aux autres raisons qui

 26   figurent dans notre réponse à l'appel du Procureur, paragraphes 5 à 16 de

 27   notre réponse à l'appel du Procureur.

 28   A présent, je souhaite aborder le deuxième moyen d'appel de l'Accusation.


Page 636

  1   Aujourd'hui, ils en ont parlé dans le prétoire, et ils ont fait part de

  2   certaines de leurs positions, certains arguments qui sont les leurs, qui

  3   leur permettent de faire valoir que le général Lazarevic aurait dû être

  4   déclaré coupable d'avoir aidé et encouragé les assassinats.

  5   Nous estimons que la Chambre de première instance n'a pas commis

  6   d'erreur lorsqu'elle a acquitté le général Lazarevic d'avoir aidé et

  7   encouragé pour le crime d'assassinat. Aujourd'hui, il a été question

  8   d'intention spécifique, et nous en avons parlé il y a deux jours lorsque

  9   nous avons présenté notre appel et lorsque le Procureur a répliqué ou

 10   plutôt répondu. Aujourd'hui aussi, je tiens à souligner que si vous

 11   appliquez le critère raisonnable de visée précisément, à ce moment-là il

 12   ressort de manière tout à fait claire du dossier de l'espèce que l'accusé

 13   Lazarevic ne saurait être déclaré coupable d'avoir aidé et encouragé les

 14   assassinats.

 15   Cependant, même si je suis profondément convaincu qu'il est tout à

 16   fait légitime et justifié en l'espèce s'agissant spécifiquement du général

 17   Lazarevic d'appliquer le principe de visée précisément, eh bien, je pense

 18   que si l'on ne tenait pas compte de ce principe, là encore, toutes les

 19   raisons seraient réunies de prononcer l'acquittement du général Lazarevic

 20   de ce crime allégué, donc que la Chambre de première instance a eu raison,

 21   ce faisant.

 22   Nous avons entendu dire aujourd'hui que le critère suffisant aurait été que

 23   le général Lazarevic était au courant de la probabilité que les crimes

 24   d'assassinat allaient se produire. Mais cela est une interprétation

 25   inacceptable, parce que dans ce cas-là, dans les guerres, eh bien, tout

 26   participant à une guerre pourrait automatiquement être considéré comme

 27   ayant la mens rea.

 28   Donc dans une situation de guerre, il est tout à fait possible que


Page 637

  1   des abus se produisent et, y compris que des meurtres ou assassinats se

  2   produisent. Donc aussi il convient de prendre en considération les ordres

  3   émis par le général Lazarevic, et c'est l'objectif des plaintes au pénal

  4   qui ont été déposées contre les auteurs de crime devant les instances

  5   pertinentes.

  6   Alors, nous estimons que pour l'article 7(3) du Statut, il est possible

  7   d'appliquer le critère évoqué, mais lorsqu'il s'agit du crime et de la

  8   responsabilité pénale individuelle au titre de l'article 7(1), eh bien,

  9   l'accusé doit au moins savoir que ses actes ou ses omissions avaient au

 10   moins aidé les auteurs. Et le Procureur n'a pas réussi à satisfaire à ce

 11   critère au-delà de tout doute raisonnable.

 12   Alors, à présent, je souhaite évoquer plusieurs sites qui ont été évoqués

 13   concrètement par mes confrères de l'Accusation.

 14   Monsieur le Président, mon confrère me dit que seul l'article 3

 15   figure au compte rendu d'audience; or, j'ai parlé de l'article 7(3), il

 16   s'agit de la page 63 de la ligne 7 du compte rendu d'audience.

 17   Madame, Messieurs les Juges, très rapidement, je voudrais passer en

 18   revue plusieurs sites qui ont été mentionnés par mon confrère et pour

 19   lesquels il n'a pas été démontré au-delà de tout doute raisonnable que le

 20   général Lazarevic a aidé ou a encouragé la commission des crimes

 21   d'assassinat à ces endroits-là. Donc, la Chambre de première instance a eu

 22   raison de conclure qu'aucun élément de preuve ne démontre que Lazarevic

 23   était au courant du fait que les forces de la VJ ou du MUP se rendaient à

 24   des lieux précis des crimes et qu'ils se livraient à des meurtres ou à des

 25   assassinats à ces endroits-là. Concrètement, mon confrère a évoqué Korenica

 26   et Meja dans la municipalité de Djakovica. Nombreux sont les éléments de

 27   preuve qui démontrent que la VJ n'a pas pris part aux incidents de Korenica

 28   ni de Meja dans la municipalité de Djakovica le 27 avril 1999. Par


Page 638

  1   conséquent, les affirmations du Procureur reviennent aux conjectures, ce ne

  2   sont que des conjectures, sans être étayées par des preuves. La Défense

  3   affirme que dans cette zone, l'ALK était très présente pendant la période

  4   pertinente au moment des événements, le rapport de la 125e Brigade du 25

  5   avril 1999 en témoigne. Et je renvoie la Chambre à la pièce 2023. Devant

  6   cette Chambre, nous avons également entendu le témoignage de Nike Peraj, et

  7   membre de l'armée de Yougoslavie, qui a témoigné de manière tout à fait

  8   claire que dans la vallée de Reka, où cette action a été menée à bien, eh

  9   bien, il y avait une présence très forte de la 137e Brigade de l'ALK. Je

 10   vous renvoie au paragraphe 105 de la pièce P2252.

 11   Donc le rapport de la 125e Brigade, P2023.

 12   Donc un témoin du Procureur Bislim Zyrapi, qui est le chef de

 13   l'état-major de l'ALK, a dit que depuis l'Albanie les pièces lourdes

 14   d'artillerie ont été utilisées par l'ALK en appui à leurs unités déployées

 15   dans la vallée de Reka à partir du 9 avril 1999. Autrement dit, les

 16   conjectures du Procureur ne sont pas défendables lorsqu'il dit que

 17   l'objectif de cette action a été d'expulser les civils ou de les déplacer,

 18   les civils, les femmes, les enfants, ou des personnes handicapées à bord de

 19   fauteuils roulants. Il existe d'autres éléments de preuve, au moins

 20   alternatifs, qui permettent de tirer une autre conclusion raisonnable

 21   disant que l'opération de Reka a eu pour objectif de combattre une présence

 22   très forte de l'ALK dans cette zone et face à la menace de l'ALK basée en

 23   Albanie qui se manifeste depuis le 9 avril 1999. Je vous renvoie aux pages

 24   6 238 à 6 239.

 25   De nombreux éléments de preuve nous permettent de voir, et vous permettront

 26   de voir, que dans les secteurs de Korenica et de Meja ou de la municipalité

 27   de Djakovica, il y a eu une forte présence de l'ALK, et que cette action de

 28   Korenica et de Meja qui a été menée a été une action militaire dirigée


Page 639

  1   contre l'ALK. Et ce qui est également très important est que dans le

  2   dossier de l'espèce il n'y a pas d'élément de preuve attestant que le

  3   général Lazarevic a été informé du fait que des meurtres ou assassinats de

  4   la population civile se seraient produits dans le cadre de cette action.

  5   Aucune preuve ne l'atteste. Il n'y a pas de preuve disant -- enfin il y a

  6   des preuves disant qu'à Djakovica il y avait un poste de commandement

  7   avancé où se trouvait le colonel Zivkovic qui avait donné pour mission à la

  8   125e Brigade de tenir une ligne de front, sans aller plus en avant. Il n'y

  9   a pas d'élément de preuve qui dirait que c'est le général Lazarevic qui

 10   aurait pour cette action donné quel que ordre que ce soit.

 11   Je vais maintenant passer à un autre site. Je vois que mon temps passe

 12   vite. Alors il s'agit du site de Dubrava Lisnaja. Et là, Madame, Messieurs

 13   les Juges, vous allez trouver bon nombre d'éléments de preuve qui, de façon

 14   complète et non ambiguë, justifient la position adoptée par la Chambre de

 15   première instance qui dit qu'il n'y a aucune responsabilité du général

 16   Lazarevic s'agissant de ces meurtres. Il y a bon nombre d'éléments de

 17   preuve disant que le meurtre de deux Albanais à Dubrava Lisnaja dans la

 18   municipalité de Kacanik, ça n'a pas été l'œuvre de l'armée; ça c'est d'un.

 19   Et de deux, il n'y a aucun élément de preuve disant que c'est le général

 20   Lazarevic qui avait eu vent de l'incident qui s'était produit.

 21   On a entendu Krsman Jelic, un témoin qui a comparu ici. Il était commandant

 22   de cette unité qui se trouvait sur le terrain en question. Il était

 23   commandant de la 243e Brigade motorisée. Et d'après sa déposition, sur ce

 24   territoire il y avait une forte présence de l'ALK. Les habitants de ce

 25   village, partant de leur propre décision, ont quitté le village pour aller

 26   en Macédoine. Krsman Jelic a même dessiné une carte où il a de façon

 27   détaillée et précise indiqué les positions tenues par l'armée et les

 28   positions de l'ALK et les combats qui ont eu lieu. Je vous renvoie vers la


Page 640

  1   pièce P370, page du compte rendu d'audience 19146. Et on peut voir qu'il y

  2   a eu des conflits armés entre l'ALK et l'armée de Yougoslavie, et qu'aucun

  3   élément de preuve, aucun rapport ne laisse entendre que c'est le général

  4   Lazarevic qui, s'agissant de cet incident, aurait commis quelle que

  5   irrégularité que ce soit, et encore moins occasionné le meurtre de

  6   plusieurs personnes.

  7   Alors, Madame, Messieurs les Juges, le Procureur a indiqué en parlant des

  8   modèles de comportement, comme on a cru le comprendre, qui était

  9   relativement peu élevé, et il semblerait qu'en 1998, compte tenu de ce qui

 10   s'était passé, le général Lazarevic devait forcément savoir qu'en 1999 le

 11   même type de meurtres pouvaient se produire. Alors moi, j'ai présenté une

 12   argumentation avant-hier au sujet d'un sujet tout à fait autre, et du point

 13   de vue d'un fait qui dit qu'en 1998, la situation sur le terrain, et du

 14   point de vue de la position qui était celle du général Lazarevic, était

 15   tout à fait différente, et cette situation doit, en tout état de cause,

 16   compte tenu de tout ce qui a été dit à ce sujet, être prise en

 17   considération.

 18   Parce qu'en 1998, le général Lazarevic était chef d'état-major du

 19   Corps de Pristina et il séjournait au poste de commandement avancé à

 20   Djakovica. Il était chargé de sécuriser la frontière de l'Etat face à

 21   l'Albanie, d'où un afflux d'armes et d'effectifs pour l'ALK était très

 22   grand et presque quotidien.

 23   Le général Lazarevic a été à tort désigné comme étant une personne

 24   présente lorsque le général Samardzic, qui était commandant de la 3e Armée

 25   à l'époque, avait eu une réunion avec le commandant du Corps de Pristina.

 26   Pièce à conviction 4D97, où l'on voit de façon claire que le général

 27   Lazarevic n'a pas été présent à ladite réunion. Et quand il est question du

 28   chef d'état-major, on parle du chef d'état-major de la 3e Armée, qui se


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  1   trouvait être le signataire de ce document. Moi, je vous convie à vous

  2   pencher sur cette pièce 4D97, et vous allez voir et constater qu'il y a une

  3   erreur évidente qui démontre que le général Lazarevic n'a pas été présent à

  4   cette réunion où il a été question de mise à feu.

  5   Alors, quand il s'agit maintenant de l'année 1999, le Procureur prend

  6   pour exemple le fait que le général Lazarevic, étant donné qu'il avait

  7   séjourné à Pristina, avait des connaissances disant qu'à Pristina, en sus

  8   des expulsions, il y a des meurtres de civils albanais de commis. Alors,

  9   cette allégation de la part de l'Accusation n'est que pure hypothèse, et

 10   cela ne se fonde sur aucun élément de preuve présenté.

 11   La totalité des éléments de preuve présentée dans cette affaire

 12   montre que le poste de commandement du Corps de Pristina, à compter du

 13   début des bombardements, n'a jamais été dans la ville même de Pristina. Le

 14   poste de commandement se trouvait à quelques kilomètres à l'extérieur de

 15   Pristina, dans un lieu-dit Kisnica, et il est bon nombre d'éléments de

 16   preuve à cet effet. Etant donné qu'il n'y avait pas d'effectifs de combat

 17   de l'armée de Yougoslavie à Pristina, chose que nous a affirmée et

 18   confirmée le témoin de la Défense, M. Filipovic, et il l'a fait avec moult

 19   détails.

 20   Madame, Messieurs les Juges, c'est pourquoi les allégations de mes

 21   éminents confrères et consoeurs de l'Accusation, au niveau de leur appel,

 22   qui disent que le général Lazarevic a pu avoir des connaissances de ce type

 23   parce qu'il avait séjourné à Pristina à une réunion au mois d'avril, c'est

 24   une chose qui est tout à fait absurde. C'est pure conjecture. Si l'on se

 25   penche sur les éléments de preuve liés à ladite réunion, vous pouvez voir

 26   que la réunion s'est passée tard la nuit. Ça a duré une heure, seulement.

 27   Et le général Lazarevic est arrivé à Pristina depuis son poste de

 28   commandement à Kisnica, et ce, après minuit, donc à une heure du matin.


Page 642

  1   Donc, avant le 5 avril, on avait expulsé, déporté, dit-on, quelque 600 000

  2   Albanais de Kosovo sur le total de 700 000. Donc, ce n'est que pure

  3   hypothèse que d'affirmer que c'est partant d'une réunion la nuit, après

  4   minuit, à Pristina, le général Lazarevic avait pu tirer des conclusions au

  5   sujet d'expulsions, de transferts et de meurtres de la population.

  6   Madame, Messieurs les Juges, je me propose à présent de demander à

  7   mon éminent confrère, Me Cepic, de vous parler des points 5 et 6 du mémoire

  8   en appel de l'Accusation, pour nous conformer au temps qui nous a été

  9   imparti s'agissant de la journée d'aujourd'hui.

 10   Grand merci.

 11   M. CEPIC : [interprétation] Merci de cette opportunité. Comme  vient de me

 12   dire mon confrère, M. Bakrac, je vais aborder les points 5 et 6, et je vais

 13   me référer à ce que M. Kremer a dit aujourd'hui.

 14   C'est de façon détaillée que nous avons répondu au mémoire en appel de

 15   l'Accusation que nous avons abordé la question d'expulsion à Urosevac,

 16   Zabare et Prizren, Dusanovo. Je ne vais pas me référer à la totalité des

 17   allégations présentées, mais je voudrais dire que ce type d'allégations ne

 18   correspondent pas à ce que l'Accusation a dit, c'est-à-dire que les Juges

 19   de la Chambre de première instance ont, à juste titre, conclu sur le manque

 20   d'influence du général Lazarevic concernant les événements sur ce

 21   territoire. Pour étayer ceci, il a été présenté bon nombre d'éléments de

 22   preuve, des journaux de guerre des brigades et d'unités qui se trouvaient

 23   sur ce territoire, des contradictions au niveau des témoignages de témoins

 24   de l'Accusation pour ce qui est des localités de Staro -- Sojevo et

 25   Misojevo [phon], sur le territoire de la municipalité d'Urosevac.

 26   Tout comme pour ce qui est de la localité de Zabrdzje, qui se trouve

 27   sur le territoire de la municipalité de Kosovo Mitrovica [phon], je

 28   voudrais attirer l'attention des Juges de la Chambre d'appel sur une chose,


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  1   à savoir lorsqu'il est question des expulsions et des transferts forcés ou

  2   prétendus transferts forcés de Zabrdzje, les témoins mêmes de l'Accusation

  3   n'ont fait que confirmer qu'à cet endroit-là se trouvait un hôpital

  4   militaire de l'ALK. Et j'ai dit que c'était confirmé par le témoin Mahmut

  5   Halimi, pages 4 447 et 4 448, qui a clairement indiqué que c'était une

  6   place forte de l'ALK qu'on avait dans ce village. Cela signifie que nous

  7   avons pu nous référer à un modèle de comportement qui était évoqué par

  8   Bislim Zyrapi, un témoin tout à fait crédible de l'Accusation, qui a dit

  9   que ce n'était pas seulement des mouvements de population, mais aussi des

 10   mouvements de l'ALK.

 11   Je voudrais ajouter quelque chose de plus s'agissant de cette

 12   question. Mon éminent confrère, M. Kremer, aujourd'hui, à la page du compte

 13   rendu 37, a dit qu'il y a eu de prétendus crimes de commis sur le

 14   territoire de la municipalité d'Orahovac, et il a mentionné Celine et

 15   Pirane comme localités, 25 mars 1999. Une fois de plus, je me dois de citer

 16   le chef d'état-major de l'ALK, page du compte rendu 5 992 :

 17   "Dans le secteur partant de Pirane et jusqu'à Gjakova et à la

 18   jonction avec Bela Crkva, il y a eu des attaques de lancées très tôt le

 19   matin à la date du 25 mars. Il y a eu des activités de combat de menées. Et

 20   je voudrais mentionner ce qui suit : après l'attaque à l'artillerie, nous

 21   avons demandé à la population de ce secteur de s'en aller pour des raisons

 22   de sécurité. Les effectifs de l'ALK, avec la population, ont commencé donc

 23   à se retirer".

 24   Ce qui signifie que pour ce qui est de ce témoignage, cela, corroboré

 25   avec d'autres témoignages directs, il est évident qu'à cet endroit et à

 26   l'époque il y a eu des activités de combats très importantes entre la VJ et

 27   le MUP d'un côté, et l'ALK de l'autre côté.

 28   Je voudrais également attirer votre attention sur un autre secteur


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  1   qui se trouve à l'extérieur ou hors ce qui a été convenu d'appeler la base

  2   de crime, il n'y a aucun élément de preuve, aucune allégation pour ce qui

  3   est des prétendues expulsions et des prétendus transferts forcés. Par

  4   exemple, à côté du village de Nogavac, qui se trouve à quelques centaines

  5   de mètres de Celine, ça a été attaqué par des bombes de l'OTAN le 2 avril

  6   1999, et la Chambre de première instance a constaté qu'il n'y a pas eu de

  7   crime de commis au sujet de ce site-là. C'est le même secteur, ou presque

  8   le même secteur, et la même période de temps, mais des raisons tout à fait

  9   différentes pour ce qui est des déplacements de population survenus.

 10   L'Accusation dans son mémoire en appel a indiqué que les effectifs de la VJ

 11   ont prétendument commis des crimes dans la banlieue de Prizren qui

 12   s'appelle Dusanovo. L'un des témoins de l'Accusation a déposé pour dire que

 13   le 28 mars 1999, il y a eu quelque 50 chars et des unités militaires de la

 14   VJ qui étaient présents. Le matin, mon éminent confrère, M. Kremer, nous a

 15   expliqué que cette unité de la VJ, de la 449e Brigade se trouvait dans le

 16   secteur d'Orahovac. C'était la seule unité de combat qui se trouvait dans

 17   ce secteur. Donc, il n'est pas possible que cette unité puisse se trouver à

 18   deux endroits différents en même temps.

 19   Et cette brigade a également fait un rapport à la date du 30 mars,

 20   qui est la pièce P195, pour décrire clairement les positions et les

 21   mouvements des unités de la VJ.

 22   Je voudrais vous présenter des éléments de preuve qui ont été recueillis à

 23   quelques rues à peine de ce secteur de Dusanovo, dans la ville de Prizren,

 24   en avril 1999.

 25   Je demanderais à mon assistant de nous montrer le 5D1374, s'il vous

 26   plaît. Avec le son, s'il vous plaît.

 27   [Diffusion de la cassette vidéo]

 28   M. CEPIC : [interprétation] Ce clip vidéo dure quelque quatre minutes au


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  1   total. Je vais demander à mon assistant de nous passer juste quelques

  2   extraits. Ce clip vidéo montre la destruction des bâtiments. Vous pouvez

  3   voir des civils, des civils albanais.

  4   L'INTERPRÈTE : La cabine française précise que nous n'entendons pas Me

  5   Cepic du fait du son de la vidéo.

  6   M. CEPIC : [interprétation] Ce sont des unités de la protection civile qui

  7   interviennent ici.

  8   Grand merci.

  9   La question qui est raisonnable, c'est de savoir qui est-ce qui a pu rester

 10   dans ce secteur après ces destructions ? Soit juste un peu avant ou après.

 11   Et pour ce qui est de la peine recommandée par l'Accusation

 12   concernant le général Lazarevic, ça se trouve tout à fait dénué de

 13   fondement. La requête n'a pas été étayée par des explications claires. Ce

 14   jugement de 15 ans de prison pour avoir aidé et encouragé se trouve être

 15   par trop élevé. La Défense affirme que l'on peut voir que dans l'occurrence

 16   la Chambre de première instance n'a pas pris en considération les

 17   événements pertinents des pièces à conviction présentées, en particulier le

 18   fait que le général Lazarevic a été le premier à répondre aux demandes

 19   d'entretien en sa qualité d'accusé. Le général Lazarevic a également été

 20   l'une des personnes qui a témoigné devant les Juges de la Chambre de

 21   première instance, même avant que ne comparaisse l'un quelconque des

 22   témoins de la Défense. Alors il y a bon nombre d'éléments de preuve qui

 23   montrent de façon claire l'intention et les activités déployées par le

 24   général Lazarevic aux fins d'apporter de l'aide humanitaire à l'intention

 25   de civils en difficulté, en difficulté du fait de cette grave période de

 26   guerre.

 27   Nous avons expliqué ceci pour illustrer une situation où la requête

 28   présentée à cet effet par l'Accusation se trouve être tout à fait dénuée de


Page 646

  1   fondement.

  2   Pour toutes ces raisons, nous demandons de la part de cette éminente

  3   Chambre d'appel de rejeter la teneur du recours en appel fait, présenté par

  4   l'Accusation.

  5   Et je voudrais procéder à un rectificatif. A la page 70, ligne 16, il

  6   fallait entendre "destruction" et non pas "distortion".

  7   Merci beaucoup, Madame, Messieurs les Juges, pour votre attention.

  8   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Il me semble

  9   qu'il reste une question que j'aimerais poser. J'aimerais demander des

 10   éclaircissements au sujet de la position que vous avez avancée. D'après la

 11   façon dont vous comprenez le jugement prononcé, quel est le type de critère

 12   légal que la Chambre de première instance aurait dû mettre en place pour ce

 13   qui est du qualificatif d'aide et encouragement ? Je veux dire par là que

 14   la Chambre de première instance se serait référée au meilleur des critères

 15   ou pas ?

 16   M. BAKRAC : [interprétation] Monsieur le Président, Madame et Messieurs les

 17   Juges, avec tout le respect qui leur est dû, nous estimons que les Juges de

 18   la Chambre de première instance n'ont pas eu recours à ces critères de

 19   visée précisément, et c'est la raison pour laquelle le général Lazarevic

 20   s'est vu condamner à une peine liée à l'aide et encouragement pour ce qui

 21   est des expulsions et transferts forcés. Nous estimons que du fait d'un

 22   recours à des normes moins sévères, on n'a pas satisfait aux critères du

 23   mens rea et de l'actus reus il n'y aurait pas eu condamnation du général

 24   Lazarevic à ce titre.

 25   Ce que nous voulions indiquer est que si on avait fait recours à des

 26   normes de ce qui est entendu par le visée précisément, il aurait été plus

 27   évident encore que la peine prononcée à l'égard du général Lazarevic était

 28   tout à fait inadéquate.

 


Page 647

  1   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Grand merci.

  2   M. BAKRAC : [interprétation] C'est moi qui vous remercie, Monsieur le

  3   Président.

  4   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je crois que par la suite nous allons

  5   ensuite demander les positions et la façon de comprendre tout ceci à

  6   l'Accusation pour ce qui est de ce sujet-là.

  7   Je pense que c'est tout pour ce qui est des questions. Donc j'aimerais que

  8   nous entendions maintenant le conseil de Me Lukic à présent.

  9   M. IVETIC : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, je vous remercie

 10   pour m'avoir donné l'occasion de pouvoir aborder la parole eu égard à

 11   l'appel interjeté par l'Accusation au nom de M. Lukic. Je souhaite vous

 12   dire dès le départ s'il y a quelque chose que nous avons évoqué dans notre

 13   mémoire en réponse que nous n'allons pas vous présenter aujourd'hui

 14   oralement, cela signifie que nous ne retirons aucun des arguments qui

 15   figurent dans ce mémoire. Nous souhaitons mettre en exergue certains points

 16   dans le temps que vous nous avez imparti, Madame, Messieurs les Juges.

 17   Je souhaite commencer par faire remarquer que l'Accusation dans son appel

 18   au niveau de chaque moyen essentiellement recherche simplement différents

 19   moyens pour obtenir une augmentation de l'appel qui, à l'origine, avait été

 20   demandé par l'Accusation lors du procès et qui a été imposé à M. Lukic par

 21   la Chambre de première instance.

 22   Comme vous l'avez entendu dire de la part de nos équipes de la Défense

 23   hier, l'imposition de la peine à notre client, à savoir une peine de 22 ans

 24   d'emprisonnement est une peine qui est manifestement injuste et qui est une

 25   erreur pour de multiples raisons, la raison essentielle étant qu'il s'agit

 26   d'une analyse inadéquate des circonstances atténuantes et des éléments de

 27   preuve à l'appui. Je ne vais pas les aborder aujourd'hui, mais je vais vous

 28   demander d'en tenir compte lorsque vous analyseriez l'appel interjeté par


Page 648

  1   l'Accusation.

  2   Je dois également faire remarquer que cet appel interjeté par

  3   l'Accusation viole des droits fondamentaux, tels que l'équité et les

  4   principes les plus fondamentaux. Une partie ne peut pas interjeter appel

  5   par rapport à ses propres erreurs. L'Accusation a entendu la peine qui a

  6   été prononcée, et ce, dans les limites de ce qu'elle avait demandé et

  7   devrait être interdite selon la doctrine de l'estoppel et de la forclusion

  8   demander une peine plus importante. En recherchant une peine d'au moins 20

  9   ans à la fin de la présentation de ses moyens à charge, l'Accusation avait

 10   à l'esprit à ce moment-là tous les critères de preuve ainsi que l'ensemble

 11   des éléments de preuve, et ainsi, la peine que l'Accusation a demandée à ce

 12   moment-là était une peine qui, aux yeux de l'Accusation, était adéquate en

 13   vertu du critère de la preuve et des éléments de preuve. Ainsi, Madame,

 14   Messieurs les Juges, je fais valoir qu'indépendamment de savoir si oui ou

 15   non la Chambre de première instance a commis des erreurs ou non par rapport

 16   à ces critères de la preuve dans le cadre de l'entreprise criminelle

 17   commune numéro III, indépendamment des autres moyens d'appel que

 18   l'Accusation a soulevés lors de cet appel, l'Accusation ne peut pas

 19   prétendre que ces erreurs justifient une augmentation de la peine, étant

 20   donné que c'est eux, que c'est l'Accusation qui était au courant des

 21   critères en général adéquats et appliqués et était au courant, avait

 22   connaissance des éléments de preuve et avait demandé une peine de pas moins

 23   de 20 ans. Et même a obtenu davantage, puisque la peine prononcée était de

 24   22 ans.

 25   L'Accusation n'a pas cité une quelconque source juridique qui les

 26   autorise après avoir fait valoir leurs arguments pendant le procès et de

 27   demander maintenant à pouvoir rajouter et avoir la permission de mordre

 28   dans la pomme une deuxième fois, et dire qu'il s'agit encore d'une erreur,


Page 649

  1   mais en fait il s'agit de l'erreur de l'Accusation et non pas une erreur

  2   commise par la Chambre de première instance lorsqu'elle a imposé la peine.

  3   Et donc ceci nous porte à croire que l'appel marche sur la tête.

  4   La demande de l'Accusation demandait une peine en vertu des éléments

  5   quantitatifs et qualitatifs et devrait être assimilable -- de la

  6   rétribution sans retenue, qui serait contraire au principe de prononcé de

  7   la peine devant ce Tribunal. Il faut rappeler que cela constitue une partie

  8   intégrante du principe de la rétribution et la retenue qui exigent qu'une

  9   approche soit juste et équilibrée en se fondant sur la culpabilité d'un

 10   accusé individuel. La Chambre d'appel a déclaré que la rétribution doit

 11   être accordée au moment du prononcé de la peine, arrêt Aleksovski,

 12   paragraphe 185.

 13   Il est clair d'après la jurisprudence de ce Tribunal que la

 14   dissuasion et la rétribution ne peuvent pas justifier que l'on s'écarte des

 15   principes fondamentaux qu'un individu peut être puni simplement sur la base

 16   de ses écarts de conduite. Paragraphe 64, arrêt Nikolic.

 17   Si on applique, par conséquent, les principes d'imposition de la

 18   peine, les limites de la peine sont nécessairement fixées par des

 19   appréciations antérieures sur la gravité des crimes dont il est tenu compte

 20   et le comportement de l'accusé. L'Accusation ne souhaite se concentrer que

 21   sur la gravité de l'infraction ou du crime pour lesquels la Chambre de

 22   première instance a déclaré M. Lukic coupable, et nous estimons que la

 23   Chambre s'est trompée, mais l'Accusation ne souhaite que se concentrer là-

 24   dessus sans appliquer la deuxième partie ou le deuxième volet du critère, à

 25   savoir une analyse du rôle dans sa totalité de l'accusé ou de son non-rôle.

 26   A cet égard, il faut insister sur le fait qu'en vertu d'une

 27   jurisprudence antérieure de l'Accusation, la gradation de l'infraction dans

 28   le cadre de l'entreprise criminelle commune sont possibles et doivent être


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  1   illustrés par les peines qui sont imposées. Il s'agit d'une constatation

  2   faite par la Chambre de première instance dans son jugement au paragraphe

  3   886 dans l'affaire Krajisnik.

  4   J'implore les membres de cette Chambre d'appel de rejeter les appels de

  5   l'Accusation qui demande à ce qu'une peine plus lourde soit imposée

  6   indépendamment de l'issue de cet appel.

  7   Je souhaite maintenant parler des arguments présentés par mes

  8   collègues de l'Accusation. Nous avons entendu des arguments sur la question

  9   des violences sexuelles et le fait que l'Accusation affirme que ceci était

 10   prévisible en vertu de critère de possibilité dans le cadre de l'entreprise

 11   criminelle commune étant donné que les forces armées chargées de la

 12   sécurité des soldats étaient là au moment des frappes aériennes de l'OTAN.

 13   La Chambre d'appel dans Karadzic a déclaré qu'il est important de

 14   noter que le terme de "possibilité ou critère de possibilité" peut être

 15   satisfait par des scénarios improbables et éloignés puisque, fondé sur un

 16   ensemble de probabilité. L'entreprise criminelle commune numéro III dans ce

 17   cadre, le critère de l'élément moral n'exige pas que l'on comprenne qu'un

 18   crime est susceptible d'être commis; cependant, il exige que la possibilité

 19   qu'un crime soit commis est suffisamment importante et doit être prévisible

 20   aux yeux d'un accusé. Paragraphe 18 de la décision Karadzic qui constitue

 21   le fondement de l'appel de l'Accusation.

 22   Par conséquent, Madame, Messieurs les Juges, l'analyse adéquate se

 23   concentre sur ce qui était prévisible et ce que l'accusé connaissait de

 24   façon importante et en fonction des faits en vertu desquels il agissait à

 25   l'époque. Donc il faut regarder les faits et non pas la manière dont

 26   l'Accusation caractérise ces derniers.

 27   Il est important de faire remarquer que même si l'Accusation ne

 28   prétend plus que les éléments de preuve qu'ils ont avancés démontrent qu'il


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  1   y a eu avertissement à M. Lukic, néanmoins, il faudrait que vous regardiez

  2   ces éléments de preuve, car ces éléments de preuve ont été cités par

  3   l'Accusation et portent sur des actes opportunistes isolés, et non pas sur

  4   ce que avance maintenant l'Accusation. Et dans ce contexte et en présence

  5   de ces faits, à savoir que ces crimes étaient prévisibles, est quelque

  6   chose qui n'est pas suffisamment important, et ne permet pas d'établir une

  7   déclaration de culpabilité à l'encontre de M. Lukic.

  8   A titre d'exemple, l'Accusation se fonde sur des éléments de preuve

  9   concernant des crimes individuels d'agression sexuelle qui n'ont pas été

 10   présentés, et qui ne se sont pas produits, comme il a été démontré, lors

 11   d'actions conjointes de la VJ et du MUP, il s'agissait plutôt d'actes

 12   individuels de crime qui ont fait l'objet d'enquête et qui ont été rendus

 13   public par les agents chargés de faire respecter la loi, par la police, et

 14   la police militaire.

 15   Je vous demande et je vous exhorte à regarder ces cas-là.

 16   Lorsqu'il y a eu des cas d'agression sexuelle opportunistes et

 17   individuels dans le cadre d'un conflit armé et lorsque les auteurs de ces

 18   derniers sont arrêtés et sont poursuivis et traduits en justice soit par la

 19   police militaire soit par la police civile de l'état, qu'est-ce qu'un

 20   représentant officiel de l'état, en l'occurrence M. Lukic, aurait pu faire

 21   ? Qu'est-ce qu'il aurait pu faire d'autre ? Je dois attirer votre attention

 22   encore une fois sur le manque de toute autorité disciplinaire dont

 23   disposait Lukic. Il était à la tête de l'état-major du MUP, à ce poste-là.

 24   Hier, l'Accusation a laissé entendre qu'il pouvait provoquer indirectement

 25   ou faire en sorte que des chefs du SUP pouvaient prendre des mesures

 26   disciplinaires. Une citation à propos des éléments de preuve, ce qu'a dit

 27   un chef du SUP et un témoin de l'Accusation, M. Cvetic. Ce qu'ils ont dit,

 28   à la page du compte rendu d'audience 2152 [comme interprété] et 2153 [comme


Page 652

  1   interprété], le SUP ne pouvait poursuivre sur les mesures disciplinaires

  2   que s'ils avaient disposé du consentement de la police à Belgrade. L'état-

  3   major du MUP n'avait pas son mot à dire dans cette procédure.

  4   Donc, Madame, Messieurs les Juges, Lukic n'avait aucune autorité

  5   disciplinaire s'agissant des mesures disciplinaires contre les membres du

  6   MUP. Il n'a absolument pas été averti des agressions sexuelles et encore

  7   moins des crimes commis par des membres du MUP. Et sur quoi peut-on se

  8   fonder en matière de droit en matière d'équité pour sa responsabilité s'il

  9   doit être puni pour ces crimes.

 10   Est-ce qu'il faut maintenant établir un critère de la responsabilité

 11   sans faute qui tiendrait responsable quelqu'un qui occupe le poste d'un

 12   représentant officiel d'un Etat, coupable de viol, sans avoir été averti

 13   par avance de telles choses, simplement parce qu'il y a état de guerre et

 14   qu'il y a état de chaos, et qu'il y a guerre, quelque chose qu'il n'a pas

 15   demandé. D'après nous, ceci est trop éloigné. Nous faisons valoir que

 16   l'Accusation demande à ce que ce critère soit trop dilué au-delà de ce qui

 17   a été établi par la jurisprudence de ce Tribunal, et nous avançons que la

 18   présomption de culpabilité n'est pas autorisé en matière pénale. Nous vous

 19   demandons, par conséquent, de rejeter cette partie de l'appel de

 20   l'Accusation.

 21   L'Accusation, au paragraphe 53 de sa réplique et au paragraphe où se

 22   trouve le moyen d'appel numéro 4, déclare que Lukic était au courant des

 23   crimes commis en 1998, ainsi que des crimes et des expulsions des Albanais

 24   du Kosovo en 1999, étant donné qu'il occupait le poste de chef au niveau du

 25   MUP. Ce qui découle de cet argument sur le fait que Lukic était chef est la

 26   présomption qui indique que Lukic disposait d'informations sur des actions

 27   et des crimes de façon à pouvoir avoir une connaissance importante et qui

 28   lui permettait de prévoir que des agressions sexuelles puissent


Page 653

  1   éventuellement être commises. Paragraphe 68 du mémoire en appel de

  2   l'Accusation.

  3   Nous avons analysé dans notre mémoire en appel le manque de rapport

  4   fourni concernant les actions antiterroristes, et le manque d'information

  5   après le début des frappes de l'OTAN, et d'autres éléments concernant la

  6   capacité et l'incapacité de Lukic concernant les informations sur le

  7   terrain. Quelque chose qui se trouve à 641 à 683, tout à fait instructif,

  8   me semble-t-il, en ce qui concerne cette analyse. Il s'agit de notre

  9   mémoire en appel.

 10   L'Accusation dans ce moyen tente de se reposer sur une information

 11   qui découlant de réunions des soi-disant commandements conjoints, et d'en

 12   tirer des conclusions inadéquates pour illustrer la connaissance qu'aurait

 13   eue Lukic sur des crimes. Cependant, si vous regardez ce qu'ils citent, par

 14   exemple au Volume III, paragraphes 1 080 et 1 081, ce qui est abordé lors

 15   de ces réunions, il s'agit en réalité d'informations qui n'ont pas été

 16   vérifiées et qui provenaient de différentes sources, de rumeurs de crimes,

 17   crimes qui n'avaient pas encore été confirmés sur un plan juridique, à

 18   savoir que le bureau du Procureur qui avait compétence n'avait pas mené

 19   d'enquête encore dans le sujet. Mais d'après le dossier, les autorités ont

 20   suivi de façon diligente une enquête et disposaient d'informations non

 21   vérifiées d'après la loi. Je vais vous demander de vous reporter au P948,

 22   P159; 613, 6D1631, paragraphes 27 à 31, 60 et 93.

 23   L'interprétation erronée des éléments de preuve de la part de

 24   l'Accusation se poursuit au paragraphe 70 où, encore une fois, il est

 25   affirmé que Lukic était bien informé des crimes rapportés lors de réunions,

 26   que ces crimes ont été abordés. Et si vous regardez ces paragraphes de ce

 27   jugement, ainsi que les éléments de preuve sous-jacents, indiquent qu'aucun

 28   crime n'a été discuté lors de ces réunions. Effectivement, aux paragraphes


Page 654

  1   1 079 et 1781 [comme interprété] cités dans ce paragraphe, ne mentionnent

  2   aucunement les crimes.

  3   Les références qui évoquent Sainovic, Volume III, 442, 463 ne

  4   démontrent des discussions qui ne portent que sur la catastrophe

  5   humanitaire provoquée par les bombardements de l'OTAN. Les mêmes types

  6   d'analyses jettent la clarté sur le paragraphe 72, ces paragraphes cités

  7   indiquent qu'aucun crime confirmé n'a été abordé. Ce dont on parle, c'est

  8   une discipline des forces pour éviter qu'il y ait des violations de cessez-

  9   le-feu, et pouvoir contenir la question de la crise de réfugiés.

 10   Ensuite au point 1 468, et en particulier, il s'agit d'une réunion à

 11   la page 37, et ceci indique la même chose, autrement dit une interprétation

 12   erronée de la part de l'Accusation des éléments de preuve. Alors, si nous

 13   regardons cette entrée dans la partie qui nous intéresse, je cite, "M.

 14   Gajo" à propos duquel les éléments de preuve indiquent qu'il s'agit de M.

 15   Gajic qui était le coordinateur en chef des questions de la sécurité au

 16   Kosovo, est l'auteur de ce document, atteste de cela dans son carnet,

 17   26370, voici l'entrée que l'Accusation et la Chambre de première instance -

 18   - que l'Accusation souhaite mettre en exergue dans son appel.

 19   "Une enquête de six personnes a été diligentée. Trois à Malisevo, une

 20   donne une déclaration en indiquant qu'il a commis un meurtre et des viols

 21   et trois nouvelles personnes."

 22   Pour bien comprendre cette référence, il faut comprendre, Madame,

 23   Messieurs les Juges, que Malisevo était un territoire contrôlé par ALK en

 24   1998, et avait été déclaré capitale de territoire contrôlé par l'ALK.

 25   Quelque chose qu'atteste le 3D194 ainsi que la déposition de Bislim Zyrapi

 26   de l'ALK, 6 852 du compte rendu d'audience.

 27   Gajic contrôlait cela, cela faisait partie de son mandat. Déposition, page

 28   26 430. Madame, Messieurs les Juges, et donc l'Accusation souhaite indiquer


Page 655

  1   que Lukic avait connaissance des crimes, mais les crimes de 1998, en fait,

  2   portent sur les crimes commis par l'ALK et les auteurs de l'ALK qui ont été

  3   emmenés en détention par les services de Sûreté de l'Etat.

  4   D'autres exemples plus frappants se trouvent au paragraphe 72 des

  5   paragraphes du jugement de première instance, et l'Accusation cite certains

  6   de ces paragraphes à l'appui de sa thèse. Je vais en aborder quelques-uns.

  7   Le paragraphe 1 082 du Volume III. C'est la déposition de Shaun Byrnes, qui

  8   parle de violents combats entre les forces serbes et l'ALK à Kijevo, et il

  9   n'y a aucune allégation concernant des crimes, parce qu'en réalité, quelle

 10   était la raison pour laquelle les maisons ont été incendiées, cela a été

 11   confirmé hier :

 12   "Je n'ai pas vu un seul officier des forces de police spéciale eut

 13   tiré sur sa gâchette. Je n'ai pas vu un seul officier des unités spéciales

 14   de la police mettre le feu à une maison".

 15   Ce qu'ignore l'Accusation, c'est qu'il y avait un combat entre les

 16   forces de l'ALK et les forces de l'Etat.

 17   Volume III, paragraphe 101 [comme interprété], lorsqu'on parle de

 18   Shaun Byrnes. Les incidents en question doivent être passés dans le

 19   contexte d'autres éléments de preuve qui comprennent le fait qu'il s'agit

 20   d'une opération humanitaire où les gens étaient ramenés en autocars chez

 21   eux, et sa responsabilité est confirmée maintenant parce que ces gens ont

 22   été contraints à rentrer chez eux ? Donc, confirmation de la déposition de

 23   Shaun Byrnes, les éléments de preuve que reçoit la Chambre de première

 24   instance et qui concluent au Volume I, au numéro 881, que dans ce secteur,

 25   il y "avait des opérations de combat significatives". Fin de situation.

 26   Donc, il y avait des terroristes et non pas des civils qui auraient été

 27   l'objet de ces incidents, et c'est quelque chose dont il faut tenir compte,

 28   si vous voulez parvenir à un jugement sûr et solide.


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  1   Volume III, 1 120, constatant que Lukic était au courant des crimes

  2   qui étaient commis en 1998 par différentes forces, y compris la PJP et le

  3   SAJ qui étaient sous son contrôle au Kosovo. L'Accusation se repose sur

  4   ceci ainsi que sur d'autres éléments sous-jacents pour présenter son appel.

  5   La Chambre a fait référence aux éléments de preuve suivants : la

  6   déclaration d'Adamovic, il s'agit du document 6D1613; le compte rendu de la

  7   réunion de l'état-major du MUP, de la réunion du 4 avril 1999, pièce P1989;

  8   ainsi qu'un mémorandum de l'état-major, pièce 6874 [comme interprété].

  9   Bien que cette conclusion porte sur l'année 1998, la Chambre a fait

 10   référence à des éléments de preuve qui remontent à l'année 1999. Il faut

 11   savoir, en fait, que les paragraphes cités dans la déclaration de M.

 12   Adamovic, et d'ailleurs toute la déclaration, ne font aucune référence à

 13   des crimes commis par les forces serbes ou le MUP en 1998. Au paragraphe 1

 14   005, qui fait l'objet de la pièce 6D874, il faut savoir que ce document a

 15   été signé non pas par Sreten Lukic mais par Dragan Ilic.

 16   Par conséquent, la position ou le point de vue de la Chambre est

 17   indéfendable, tout comme l'appel de l'Accusation, d'ailleurs. Parce qu'en

 18   fait, il exigerait de la part de M. Lukic qu'il ait une connaissance de

 19   documents qu'il n'a même pas rédigés, qui ne lui ont pas été montrés.

 20   Il n'y a pas d'ordres, il n'y a pas d'éléments de preuve relatifs aux

 21   ordres, il n'y a aucun indice d'aucun ordre donné par M. Lukic qui ont été

 22   présentés en première instance. Pour ce qui est du mémorandum de l'état-

 23   major du MUP qui date du 4 avril 1999, ni ce document ni les propos tenus

 24   par M. Lukic ne sont mentionnés ou ne portent sur des crimes commis par les

 25   forces de l'Etat en 1998. Il faut tout simplement savoir que les faits

 26   indiqués n'étaient absolument pas l'appel de l'Accusation eu égard à la

 27   prévisibilité, et son moyen d'appel devrait donc être rejeté.

 28   J'aimerais maintenant aborder la question des circonstances


Page 657

  1   aggravantes présentées par l'Accusation pour justifier une peine plus

  2   importante. Dans leur mémoire au paragraphe 181, et aujourd'hui, à nouveau,

  3   ils ont avancé que Sreten Lukic était de facto le commandant de tout le MUP

  4   au Kosovo. Ils le considèrent comme un élément essentiel de l'entreprise

  5   criminelle commune pour avancer cette position de commandant de facto, et

  6   je comprends leur septième moyen d'appel comme demandant à ce que ce rôle

  7   de commandant supérieur soit considéré comme une circonstance aggravante

  8   pour déterminer la peine.

  9   Ils énumèrent une liste qui, d'après eux, indique qu'il était

 10   commandant de facto. Vous avez, dans un premier temps, le rôle joué par

 11   Sreten Lukic lors du désarmement de la population albanaise, paragraphe 183

 12   de leur mémoire en appel. Je pense que nous avons eu des explications hier,

 13   et cela a montré à quel point leur argument est déplacé, parce que le rôle

 14   joué par Lukic était un rôle vis-à-vis de la communauté internationale,

 15   vis-à-vis des autorités serbes pour pouvoir suivre la trace des redditions

 16   volontaires d'armes conformément au droit.

 17   Ils allèguent également que Lukic a joué un rôle central lors de la

 18   coordination de l'échange d'information entre le QG du MUP de Belgrade et

 19   le MUP du Kosovo. Paragraphe 184 de leur appel.

 20   Et nous l'avons vu hier, comment les SUP envoyaient leur rapport

 21   directement à Belgrade, et ce n'est qu'en parallèle qu'ils envoyaient ces

 22   rapports à l'état-major sur le terrain. Nous vous avons montré que le chef

 23   de l'administration de la police et le commandant de toutes les PJP, à

 24   savoir Obrad Stevanovic, qui était son supérieur, se trouvait donc dans une

 25   position supérieure au MUP par rapport à Lukic, et était sur le terrain au

 26   Kosovo en 1999. Donc, il ne pouvait pas le remplacer. Et le jugement,

 27   d'ailleurs, a confirmé qu'il ne pouvait pas substituer ou modifier la

 28   hiérarchie du MUP lorsqu'il a été nommé chef de l'état-major.


Page 658

  1   Vous avez également fait participation lors de réunions, paragraphe

  2   182 de leur appel.

  3   Pour ce qui est de cette participation, je pense que nous avons

  4   réfuté ces arguments présentés hier. Et je pense que nous avons également

  5   le paragraphe 185, qui est leur quatrième moyen d'appel. Il s'agit de la

  6   participation directe de Lukic lors de la planification. Nous en avons

  7   parlé également et, effectivement, la Chambre de première instance a conclu

  8   que Lukic n'avait pas joué de rôle lors de la préparation du plan global

  9   destiné à supprimer le terrorisme.

 10   Ce que nous avançons également, c'est comment est-ce que Sreten Lukic

 11   aurait pu être considéré comme commandant de facto du MUP si ce que je vais

 12   déclarer est véritable.

 13   Dans un premier temps, vous avez la capacité à exercer le contrôle

 14   effectif. Il s'agit, donc, du pouvoir, du réel pouvoir dont disposait un

 15   individu pour prévenir ou punir. Cela a été identifié par la Chambre

 16   d'appel comme étant la condition minima pour pouvoir déterminer la

 17   responsabilité du supérieur hiérarchique. Paragraphe 59 de l'appel

 18   Halilovic. Il faut savoir que lorsque vous avez un "officier de police qui

 19   peut être à même 'de prévenir et de punir' des crimes qui se déroulent sur

 20   son territoire, cela ne signifie pas pour autant qu'il peut diligenter quoi

 21   que ce soit contre un auteur de crimes se trouvant sur ton territoire."

 22   Il est évident que Sreten Lukic n'avait pas cette capacité à prévenir

 23   ou à punir au sens du commandement supérieur, et il est clair que

 24   l'Accusation souhaite affirmer cela, affirmer que si Lukic avait présenté

 25   des rapports sur les efforts qui étaient faits dans le domaine de la

 26   prévention des crimes, il avait également le contrôle des unités, parce

 27   qu'il les dirigeaient.

 28   Nous avons évoqué le manque de pouvoirs disciplinaires de Lukic hier


Page 659

  1   et aujourd'hui. J'ajouterais tout simplement à cela le fait que Lukic ne

  2   pouvait ni mener ni remplacer quiconque au sein du MUP. Cela était valable

  3   également pour les membres de son propre état-major, et j'en veux pour

  4   preuve les documents suivants : 1D1045 [comme interprété], 6D1047, 6D1049,

  5   6D1050, 6D1052, et même la pièce P1884, P1886 et P1885.

  6   Lukic ne pouvait affecter personne et il ne pouvait demander la

  7   promotion de personne au sein du MUP. 6D1344 et 6D1348 qui corroborent

  8   cela.

  9   De plus, Lukic ne pouvait prendre aucune décision en matière de

 10   déploiement des unités des PJP au Kosovo. Les documents 6D271, 6D287 et

 11   6D291 le démontrent, entre autres documents.

 12   Il est évident que conformément aux critères déterminés dans l'ordre

 13   de l'appel Halilovic, indépendamment du critère utilisé dans Brdjanin ou

 14   dans Karadzic, de par le rôle d'un dirigeant, on ne peut pas indiqué ou

 15   invoqué des circonstances aggravantes et le considérer comme responsable

 16   pour agression sexuelle. Lorsque vous évaluerez la totalité des éléments de

 17   preuve en vertu des critères appropriés, nous voyons et vous verrez que

 18   Lukic a apporté une contribution considérable lors de l'enquête de crime et

 19   non pas lors de la commission de ces crimes. Mais nous vous demandons de

 20   réfuter cet appel de l'Accusation.

 21   Je voudrais juste indiquer et revenir sur quelque chose qui a été évoqué à

 22   propos des personnes qui ont été expulsées de Pristina, Pec, Djakovica, et

 23   d'autres villes au Kosovo, parce que l'Accusation a souhaité faire fi et

 24   méconnaître complètement le rôle de l'ALK ainsi que le rôle de l'OTAN. Et

 25   ils ont choisi d'ignorer comment ces deux protagonistes ont échappé au

 26   contrôle de Sreten Lukic et comment ils ont bel et bien eu des conséquences

 27   sur le départ des civils quelle que soit leur appartenance ethnique au

 28   Kosovo, d'ailleurs.

 


Page 660

  1   Et j'aimerais maintenant que nous passions brièvement à huis clos partiel

  2   pour aborder certains des documents au titre de l'article 70 et des sources

  3   protégées par l'article 70.

  4   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bien. Huis clos partiel.

  5   Mme LA GREFFIÈRE : [aucune interprétation]

  6   [Audience à huis clos partiel]

  7   (expurgé)

  8   (expurgé)

  9   (expurgé)

 10   (expurgé)

 11   (expurgé)

 12   (expurgé)

 13   (expurgé)

 14   (expurgé)

 15   (expurgé)

 16   (expurgé)

 17   (expurgé)

 18   [Audience publique]

 19   M. IVETIC : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, nous avons un

 20   document qui nous donne des éléments de preuve et il s'agit d'une source

 21   protégée au titre de l'article 70. En fonction de ce document, à Pristina

 22   la population civile a choisi de quitter la ville après et du fait des

 23   frappes aériennes pendant la journée à Pristina. Donc ce n'est pas Sreten

 24   Lukic qui était coupable de ces actions de l'OTAN. Le document 6D1638 fait

 25   référence au fait que l'état-major général de l'ALK indique que ces unités

 26   sont en train de livrer bataille à l'intérieur des villes de Pec et de

 27   Djakovica et essaient d'investir ces villes. Le document 6D2636 [comme

 28   interprété] confirme, et cela est confirmé par l'ALK, qu'ils sont entrés

 


Page 661

  1   dans le centre de la ville de Pec et qui sont en train de livrer bataille

  2   pour avoir le contrôle de Pec. Document 6D1637 fait également état de

  3   combats féroces à Pec entre l'ALK et les forces publiques et fait également

  4   état de la présence de l'ALK lors de combats dans les zones de Reka. Donc

  5   je vous pose la question : est-ce que Lukic est censé être coupable des

  6   actions de l'ALK ?

  7   Ces documents et d'autres donnent d'autres raisons qui expliquent

  8   pourquoi ces personnes ont quitté leurs foyers et pourquoi elles se sont

  9   enfuies.

 10   Et je pense que ces autres éléments de preuve devraient être pris en

 11   considération lorsque vous analyserez l'appel de l'Accusation. Nous vous

 12   demandons d'avoir l'amabilité de bien vouloir prendre en considération la

 13   totalité des éléments de preuve, et nous vous demandons de repousser

 14   l'appel de l'Accusation dans sa globalité.

 15   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 16   Maître Ackerman.

 17   M. ACKERMAN : [interprétation] Je me demandais si je pourrais avoir une

 18   minute, car j'ai fait une recherche de citation, j'ai fini par la trouver.

 19   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui, je vous en prie.

 20   M. ACKERMAN : [interprétation] C'est quelque chose dont je me souvenais qui

 21   date d'il y a bien longtemps et j'ai eu quelques problèmes à retrouver

 22   cela. Il s'agit d'une décision prise lors du premier appel, l'appel

 23   Erdemovic, pour ce qui était de la détermination de la peine. Page 124,

 24   page 14, et voilà ce que la Chambre d'appel a indiqué :

 25   "Un appel au Tribunal international n'est pas conçu pour permettre aux

 26   parties de remédier à leurs propres fautes ou à leurs propres omissions

 27   lors du procès en première instance ou lors de la détermination de la

 28   peine."

 


Page 662

  1   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

  2   Je pense que le moment est venu de faire une pause. Nous allons avoir

  3   une pause d'une demi-heure, et nous reprendrons à 15 heures 15.

  4   --- L'audience est suspendue à 14 heures 43.

  5   --- L'audience est reprise à 15 heures 15.

  6   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui.

  7   M. PETROVIC : [interprétation] Avec votre autorisation, je souhaite

  8   informer les Juges de la Chambre d'appel que mon confrère s'est senti mal

  9   et il a dû quitter le prétoire pour le reste de la journée, donc je serai

 10   le seul conseil représentant les intérêts de M. Sainovic pour aujourd'hui.

 11   Merci.

 12   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie beaucoup. Nous lui

 13   souhaitons tous et toutes un prompt rétablissement.

 14   M. PETROVIC : [interprétation] Je vous remercie beaucoup, Monsieur le

 15   Président.

 16   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Alors les Juges de la Chambre souhaitent

 17   entendre maintenant la réplique de l'Accusation, s'il vous plaît.

 18   M. MILANINIA : [interprétation] Monsieur le Président, Madame, Monsieur les

 19   Juges. Je souhaite vous fournir en fait une feuille de route de notre

 20   réplique. Je vais d'abord aborder le deuxième moyen d'appel de notre appel,

 21   et également je vais répondre à la question de M. le Juge Liu. Et après

 22   moi, Mme Jarvis va ensuite fournir une réplique concernant les réponses

 23   relatives aux moyens numéro 3 et 4 de notre appel. Et ensuite M. Kremer va

 24   conclure en abordant les réponses aux moyens d'appel 1 à 6 de notre appel

 25   et répondra également à la question posée à Mme Jarvis, la question des

 26   bombardements de l'OTAN, ainsi que le nombre d'individus qui ont fui le

 27   Kosovo.

 28   Madame, Messieurs les Juges, pour commencer, tout d'abord, je vais aborder


Page 663

  1   la question posée par M. le Juge Liu. La Chambre de première instance n'a

  2   pas appliqué de façon explicite la notion de visée précisément parce qu'il

  3   ne s'agissait pas d'une condition requise avant l'arrêt Perisic, comme cela

  4   a été expliqué mercredi par M. Marcussen. Madame, Messieurs les Juges,

  5   pages du compte rendu d'audience 439 à 461. Cependant, même si vous estimez

  6   que la notion de visée précisément est une condition requise, nous faisons

  7   valoir que cela a été établi de façon implicite par la Chambre de première

  8   instance en l'espèce. Comme M. Marcussen a indiqué, le général Lazarevic

  9   était un complice proche. Confer pages du compte rendu d'audience 461 à

 10   470. Il était sur le terrain au Kosovo au moment où les crimes ont été

 11   commis, et il commandait les forces qui ont participé à ces crimes. Son

 12   rôle, Madame, Messieurs les Juges, est comparable à celui de Krstic,

 13   Brdjanin, Simic, et que la Chambre d'appel dans l'affaire Perisic a

 14   considéré comme étant des complices proches. Note en bas de page numéro

 15   100, paragraphe 38.

 16   Mercredi, nous vous avons démontré que le général Lazarevic a contribué de

 17   façon précise à des opérations qui n'ont jamais pu être interprétées comme

 18   étant des actes de guerre légitimes, en particulier à l'égard de

 19   l'opération dans la vallée de la Reka. D'après les faits en l'espèce, il

 20   est implicite que les actes du général Lazarevic visaient spécifiquement à

 21   faciliter les crimes d'expulsion, de transfert forcé, de meurtre, tels

 22   qu'expliqués dans nos arguments mercredi et un peu plus tôt aujourd'hui.

 23   Dernier point à propos de cette question, je souhaite attirer votre

 24   attention sur le fait que l'Accusation, aujourd'hui, dans le tribunal

 25   spécial de la Sierra Leone a rendu des arguments ou a rédigé un mémoire en

 26   l'espèce, indiquant que tous les problèmes que nous avons abordés

 27   aujourd'hui concernent l'arrêt Perisic.

 28   Le général Lazarevic a tenté de rejeter sa responsabilité pour les


Page 664

  1   crimes en laissant entendre qu'il a pris des mesures pour combattre les

  2   meurtres dans lesquels ont participé la VJ. Il y a certains cas où les

  3   accusés peuvent s'exonérer de la responsabilité de complicité par aide et

  4   encouragement en prenant des mesures pour combattre les crimes. Il ne

  5   s'agit pas de ce cas-ci en l'espèce. L'Accusation a fait valoir que la

  6   Chambre de première instance a pris en compte ces arguments au Volume III,

  7   paragraphe 870, et a constaté que les réponses du général Lazarevic étaient

  8   "manifestement inadéquates compte tenu de l'ampleur des crimes commis au

  9   Kosovo".

 10   La Chambre a également constaté que le général Lazarevic savait que

 11   c'était inadéquat, en notant au Volume III, paragraphe 925, et je cite

 12   encore une fois que :

 13   "Le général Lazarevic savait que son manquement à prendre des mesures

 14   adéquates pour faire en sorte que des enquêtes soient menées sur les crimes

 15   graves commis par la VJ ont permis aux forces en question de poursuivre

 16   leur campagne de terrorisation, de violence et de déplacement".

 17   Voilà les deux questions que je souhaite aborder aujourd'hui

 18   concernant le moyen d'appel numéro 2. A moins que vous n'ayez d'autres

 19   questions sur ce point, je souhaite maintenant donner la parole à Mme

 20   Jarvis.

 21   Mme JARVIS : [interprétation] Monsieur le Président, je vais être assez

 22   brève dans ma réplique. J'ai simplement trois points que je souhaite

 23   aborder concernant la question des agressions sexuelles en tant qu'acte de

 24   persécution en l'espèce.

 25   Tout d'abord, le conseil de M. Sainovic et de M. Lukic ont insisté sur le

 26   fait que, d'après eux, le nombre d'agressions sexuelles en l'espèce était

 27   assez faible et, par conséquent, consistait en agressions opportunistes et,

 28   par conséquent, n'avaient aucun lien avec la campagne. Comme je vous l'ai


Page 665

  1   dit, il n'y a pas de conditions juridiques exigeant qu'un crime doit être

  2   commis à grande échelle pour répondre aux critères de l'entreprise

  3   criminelle commune. Il n'y a pas de condition juridique non plus indiquant

  4   qu'un crime doit être commis à grande échelle pour que cela constitue une

  5   attaque, et, en tant que telle, un crime contre l'humanité. La

  6   jurisprudence de façon générale confirme qu'un seul acte peut être qualifié

  7   comme crime contre l'humanité ou comme persécution pour autant que cet acte

  8   ne soit pas un acte arbitraire ou isolé. Arrêt Kunarac, paragraphe 96, et

  9   arrêt Blaskic, paragraphe 101, à titre d'exemples simplement.

 10   Mais comme la Défense a affirmé que le nombre d'agressions sexuelles

 11   présentées au dossier est peu important, je crois qu'il est important d'en

 12   parler plus en détail. Je souhaite corriger quelque chose que j'ai dit plus

 13   tôt ce matin, lorsque j'ai parlé de 11 agressions sexuelles reprochées dans

 14   l'acte d'accusation. Ce que j'aurais dû dire c'est qu'il y avait 11 cas

 15   d'agressions sexuelles qui ont été prouvés par la Chambre de première

 16   instance.

 17   -- les éléments du dossier sur 50 agressions sexuelles

 18   supplémentaires, tel que cela a été estimé. En particulier, par rapport à

 19   Beleg, un témoin a décrit comment le K20, ainsi que deux autres filles qui

 20   n'étaient pas dans une pièce, et que des femmes plus jeunes ont été

 21   choisies par les paramilitaires, et qu'ils sont venus dans cette pièce

 22   quatre ou cinq fois, jusqu'à ce que 20 jeunes femmes aient été enlevées, la

 23   dernière étant rentrée à 5 heures de l'après-midi.

 24   Ces jeunes filles sont retournées ébouriffées et pleurant. K58 a

 25   entendu dire à sa mère qu'elle avait été violée. Le jugement de la première

 26   instance, Volume II, paragraphe 63.

 27   La Chambre a constaté que quatre femmes avaient fait l'objet d'agressions

 28   sexuelles à Cirez, mais d'autres éléments de preuve indiquent que d'autres


Page 666

  1   femmes, une vingtaine d'entre elles, ont été soumises à un traitement

  2   analogue. Volume II du jugement en première instance, paragraphes 629 à

  3   631.

  4   Et une des trois victimes qui a été violée à Pristina, comme cela a été

  5   constaté par la Chambre de première instance, a déclaré qu'il y avait 10 ou

  6   15 autres femmes qui avaient été emmenées dans le sous-sol de l'hôpital, où

  7   elle a été violée.

  8   Volume II, paragraphe 880, et pièce P2596.

  9   Dans mes arguments un peu plus tôt, j'ai également évoqué d'autres rapports

 10   de viols ou de mains courantes, et je souhaite ajouter que des journalistes

 11   et des observateurs internationaux ont publié des rapports concernant les

 12   viols et les agressions sexuelles avant la campagne de 1999. Confer les

 13   pièces 441 et 2228.

 14   Donc, après la campagne, "Human Rights Watch" a rapporté 96 rapports

 15   crédibles au sujet d'agressions sexuelles par les soldats yougoslaves, de

 16   la police serbe, des paramilitaires pendant la période de bombardement de

 17   l'OTAN. Pièce à conviction P228. Donc, il n'est pas exact de dire, même au

 18   vu des éléments du dossier, que les agressions sexuelles étaient des cas

 19   inhabituels. Et de manière plus importante, même si un crime est

 20   opportuniste, il peut être prévisible, comme cela a été confirmé par

 21   l'arrêt Krstic, s'agissant des crimes opportunistes commis à Ovcara [comme

 22   interprété].

 23   Le deuxième point que je souhaite aborder c'est une référence faite par mes

 24   éminents confrères sur le fait que la Chambre de première instance s'est

 25   penchée sur les arrêts Kvocka et Krstic en tant que précédence

 26   jurisprudentielle dans son jugement. Nous acceptons qu'il y ait une

 27   référence à ces deux cas, mais la Chambre n'a pas appliqué le critère

 28   juridique adéquat lorsqu'elle a apprécié les deux affaires en question.


Page 667

  1   C'est à vous, Madame, Messieurs les Juges, d'appliquer maintenant le

  2   critère juridique adéquat et de vous fonder sur les sources de Krstic et

  3   Kvocka pour rendre votre décision. Vous n'êtes pas tenus par la prestation

  4   faite par la Chambre de première instance, d'autant plus que la Chambre de

  5   première instance n'a pas fourni beaucoup d'éléments sur la manière dont

  6   ces précédents jurisprudentiels étaient différents de l'affaire qui nous

  7   intéresse.

  8   Le troisième point porte sur les arguments que nous avons entendus

  9   aujourd'hui, à savoir que l'Accusation propose une approche qui

 10   engendrerait automatiquement la responsabilité ou quelque chose qui

 11   ressemble à une responsabilité sans faute concernant les agressions

 12   sexuelles et violences sexuelles lors de conflits armés. Nous avons eu du

 13   mal à expliquer que ceci n'est vraiment pas le cas. Nous ne parlons pas

 14   d'un risque général de violences sexuelles lors de conflit. Nous parlons

 15   d'une situation au cours de laquelle il y avait un plan criminel qui

 16   englobait la violence et ce qui était prévisible par rapport à cela. Ce qui

 17   manque dans l'argument qui vous est présenté par mes confrères, ce sont les

 18   références au fait que leurs clients étaient d'accord avec cet objectif

 19   criminel commun.

 20   Même si nous ne disons pas que le viol est une conséquence prévisible

 21   de chaque entreprise criminelle commune, ou de chaque campagne de nettoyage

 22   ethnique, bien évidemment, cela dépend pour beaucoup de la méthode employée

 23   par les membres de l'entreprise criminelle commune. Chaque campagne de

 24   nettoyage ethnique, comparable à celle-ci qui implique que des dizaines de

 25   milliers d'hommes sont lâchés dans les villages où ils sont en face de la

 26   population locale, outre les autres conditions que j'ai mentionnées, oui,

 27   dans ce cas, c'est prévisible qu'il y aura des atteintes à l'intégrité

 28   physique comme les violences sexuelles.


Page 668

  1   Mais nous reconnaissons également qu'une campagne de nettoyage

  2   ethnique peut être menée avec d'autres méthodes. Si, par exemple, le

  3   pilonnage était le système qui contraindrait les gens à fuir parce qu'ils

  4   étaient terrorisés, cela n'impliquait pas l'envoi de troupes dans les

  5   villages porte-à-porte. Donc cela dépend de la situation, Madame, Messieurs

  6   les Juges. Il se peut qu'une atteinte à l'intégrité physique n'était pas

  7   dans ce cas prévisible. Nous admettons que cela dépend pour beaucoup des

  8   circonstances en présence, mais compte tenu du caractère de cette campagne,

  9   nous faisons valoir que les atteintes à l'intégrité physique, notamment les

 10   agressions sexuelles, étaient une possibilité envisageable ou prévisible.

 11   Merci beaucoup, Madame, Messieurs les Juges.

 12   M. KREMER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, je vais

 13   rapidement revenir sur certaines des réponses apportées à propos des moyens

 14   d'appels 1 et 6.

 15   Eu égard au moyen d'appel numéro 1, l'Accusation avait indiqué

 16   essentiellement que les Albanais du Kosovo étaient ciblés et avaient été

 17   expulsés ou déplacés par la force par des forces commandées ou coordonnées

 18   par les accusés. Pour les raisons énoncées dans le mémoire en appel de

 19   l'Accusation et dans notre mémoire en réplique, l'acte d'accusation indique

 20   à juste titre qu'il s'agit de persécutions effectuées par transfert forcé

 21   et expulsion, et la Chambre de première instance a commis une erreur en

 22   interprétant de façon un tant soit peu trop technique ces extraits, ce qui

 23   a abouti au fait qu'il n'y a pas eu de déclaration de culpabilité pour les

 24   persécutions effectuées par transfert forcé et expulsion.

 25   Ce que nous avançons, et cela a été expliqué dans les paragraphes 8 à

 26   10 de notre mémoire en réplique, c'est qu'il ne peut pas y avoir

 27   d'exemption. Il ne peut pas y avoir d'exonération, d'exemption, parce que

 28   l'acte d'accusation était très, très clair et la Chambre de première


Page 669

  1   instance l'a interprété de façon un peu trop technique. Je crois, en fait,

  2   que tout doit être fait pour prendre en considération ce qui figure dans

  3   nos mémoires, et vous serez à même d'évaluer pour vous-mêmes si notre point

  4   de vue est exact ou non.

  5   Pour ce qui est du moyen d'appel numéro 6, j'ai plusieurs éléments à

  6   avancer. Premièrement, le conseil de M. Pavkovic a indiqué pourquoi il

  7   devrait y avoir des circonstances atténuantes et une diminution de la

  8   peine. Et nous répondons à cela au paragraphe 149 à 151, car sa réponse, la

  9   réponse qu'il apporte, n'est pas une réponse au mémoire en appel de

 10   l'Accusation à proprement parler.

 11   Deuxièmement, contrairement à ce qui a été avancé par M. Pavkovic

 12   pour chaque crime identifié dans le Volume II, la Chambre de première

 13   instance a conclu de façon précise quelle était l'entité qui avait

 14   participé à ce crime; la VJ ou le MUP. Et lorsqu'elle a été en mesure de le

 15   faire, elle a également présenté des conclusions à propos des divisions

 16   précises ou des unités qui avaient participé aux crimes, les crimes qui ont

 17   été à Pavkovic et à d'autres membres de l'entreprise criminelle commune,

 18   parce que les membres de l'entreprise criminelle commune ont utilisé les

 19   forces de la VJ et du MUP pour exécuter ces crimes. Et je vous renvoie au

 20   paragraphe 783 du Volume III.

 21   Troisièmement, et sans répondre à notre appel à propos de la

 22   détermination de la peine, le conseil de M. Sainovic a comparé les

 23   différentes responsabilités, responsabilités comparées avec d'autres

 24   personnes qui n'ont pas été accusées ou des personnes qui ont été traduites

 25   en justice, telles que Milosevic. Il s'agit, en fait, d'autant d'appels

 26   assez émotionnels qui réclament l'acquittement de son client, mais ce n'est

 27   pas une façon mesurée que de répondre ainsi à ce que nous avons avancé par

 28   rapport au rôle et la responsabilité de M. Sainovic pour les crimes et


Page 670

  1   surtout par rapport à la gravité des crimes pour lesquels il a été

  2   condamné. Et nous avançons, en fait, que nous pensons qu'une peine de 22

  3   ans est tout à fait justifiée, fondamentalement.

  4   Quatrièmement, MM. Lazarevic et Lukic n'ont absolument pas répondu.

  5   M. Lukic a saisi cette occasion pour présenter d'autres arguments par

  6   rapport à son appel, notamment par rapport à la détermination de sa peine.

  7   Il a fait des références à des arguments qu'il avait déjà avancés lors du

  8   procès en première instance ou des éléments qui étaient inclus dans son

  9   mémoire en appel. Il a rejeté des arguments qui avaient été rejetés par la

 10   Chambre de première instance, tels que l'argument suivant lequel l'OTAN et

 11   l'ALK étaient ce qui expliquait le déplacement des Albanais du Kosovo. Et

 12   d'ailleurs, la Chambre de première instance a traité de façon assez

 13   catégorique ces questions.

 14   Ce qui m'amène à la question suivante, c'est qu'il a été dit que

 15   l'Accusation ne devrait pas pouvoir plaider pour demander une peine

 16   supérieure à 20 ans, et nous avons fait des observations à ce sujet dans

 17   notre réponse, dans notre mémoire en réplique. Il y a une pratique au

 18   niveau de la détermination de la peine au sein de ce Tribunal. Il faut

 19   savoir, en fait, qu'il n'y a pas d'audience relative au prononcé de la

 20   peine séparée par rapport au procès. L'Accusation avait présenté des

 21   arguments pour la détermination de la peine, et elle n'avait absolument

 22   aucune connaissance à propos des chefs qui allaient être retenus au cas où

 23   les accusés allaient être déclarés coupables.

 24   L'Accusation et la Défense doivent fournir une gamme approximative de

 25   peines possibles envisagées, et cela dépend si les accusés sont condamnés

 26   pour un crime ou pour plusieurs crimes, mais cela dépend également des

 27   formes de responsabilité qui sont retenues pour ces déclarations de

 28   culpabilité.


Page 671

  1   Contrairement à ce qui a été avancé par les accusés, l'Accusation ne

  2   s'est pas tout simplement contentée de demander des peines de 20 ans en

  3   première instance. Elle a demandé des peines d'emprisonnement allant de 20

  4   ans à un emprisonnement à vie en fonction des différentes formes de

  5   responsabilité qui allaient être retenues et des crimes pour lesquels les

  6   accusés allaient être considérés coupables. Je vous renvoie à notre mémoire

  7   en première instance, paragraphe 1 100, et au compte rendu d'audience page

  8   26 947 en première instance. Alors, pour ce qui est de 20 ans, cela suggère

  9   que les accusés ont été déclarés coupables de seulement d'un des crimes et

 10   c'est la somme de responsabilité minimale qui est retenue.

 11   La Défense souhaiterait que vous croyez que lorsque l'Accusation

 12   présente une fourchette de peine, elle devrait se limiter à ce qui a été

 13   dit indépendamment de la peine prononcée en première instance.

 14   Et nous avançons qu'en l'espèce, la Chambre est allée plus loin que

 15   déclarer coupable les accusés d'un des crimes. Pour ce qui est des quatre

 16   accusés, ils ont été déclarés coupables de complicité pour le déplacement

 17   forcé de centaines de milliers d'Albanais du Kosovo. En tant que membres de

 18   l'entreprise criminelle commune, à notre avis, les accusés méritent les

 19   peines les plus sévères considérées comme appropriées par ce Tribunal.

 20   Nous avançons que la Chambre de première instance avait une

 21   responsabilité, la responsabilité de transmettre un message très clair aux

 22   personnes qui ont commis des crimes de cette ampleur, et, de ce fait, c'est

 23   pour cela que les accusés ont reçu des peines assez sévères. Et nous vous

 24   demandons -- le fait est que la Chambre de première instance a commis

 25   certaines erreurs pour ce qui est de la détermination de la peine, et nous

 26   vous demandons de rectifier cette erreur et d'augmenter, de majorer de

 27   façon importante la durée des peines pour les quatre accusés.

 28   J'aimerais maintenant répondre à la question posée par M. le Juge


Page 672

  1   Tuzmukhamedov. C'est une question qui avait été posée ce matin à Mme

  2   Jarvis. Alors, si j'ai bien compris la question, et je vais vous indiquer

  3   ce que j'ai compris de la question, il s'agissait de savoir, au vu des

  4   éléments de preuve présentés, est-ce que la Chambre aurait pu conclure que

  5   le déplacement de plus de 700 000 personnes aurait pu être imputé au plan

  6   commun à des membres d'entreprise criminelle commune. Je vais m'efforcer de

  7   répondre à cette question.

  8   Au paragraphe 45 du Volume III, la Chambre a conclu ce qui suit, même

  9   si plutôt le bombardement de l'OTAN et les activités de l'ALK étaient des

 10   facteurs qui compliquaient la situation sur le terrain en 1999, ce sont

 11   toutefois deux paramètres qui ne sont pas la cause du déplacement de plus

 12   de 700 000 personnes qui se sont déplacées en masse et ont franchi une

 13   frontière. En parvenant à cette conclusion, la Chambre a pris en

 14   considération les sept facteurs suivants. Premièrement, les témoignages

 15   directs et cohérents des témoins albanais du Kosovo et des victimes qui ont

 16   témoigné en première instance et ont parlé de leurs expulsions et de

 17   l'expulsion subie par de nombreuses personnes au Kosovo et qui ont indiqué

 18   qu'ils avaient quitté le Kosovo à cause des actions de la RFY et des forces

 19   serbes, et non pas à cause du bombardement de l'OTAN. Cela figure au Volume

 20   II, paragraphes 33, 69, 163, 279, 285, 887, 915, 942, et 973.

 21   En évaluant leurs dépositions la Chambre de première instance a pris en

 22   considération le fait que ces témoins représentaient différentes couches

 23   sociales de la communauté, n'avaient pas de lien les uns avec les autres,

 24   hormis le fait qu'ils avaient tous été victimes et a conclu que l'on ne

 25   pouvait pas envisager qu'ils avaient tous pu échafauder avec ce type de

 26   détail les événements qu'ils avaient vécus et que les témoins avaient

 27   vécus. Paragraphe 975, du Volume II.

 28   Deuxièmement, la Chambre a pris en considération le témoignage d'anciens


Page 673

  1   membres de la VJ et du MUP qui ont participé, qui avaient participé

  2   directement à l'expulsion des civils albanais du Kosovo de leurs foyers

  3   dans différentes municipalités. Et je renvoie la Chambre de première

  4   instance au Volume II, et à ses paragraphes 1 172 à 1 174; au Volume III,

  5   paragraphe 43. Et je vous donne également comme référence le Volume II,

  6   paragraphes 74, 145, 152 à 155, 163, 228 à 232, 235 à 237, 398 à 401, 469 à

  7   470, 498 à 507, et ainsi que le paragraphe 831, sans oublier les

  8   paragraphes 997 à 999 et 1 067.

  9   Troisièmement, le témoignage de représentants de la communauté

 10   internationale qui se trouvaient sur le terrain et qui ont confirmé le

 11   récit cohérent de ces victimes. Je vous renvoie au Volume II, et notamment

 12   au paragraphe 836, mais également au Volume II toujours, et aux paragraphes

 13   848 à 850, 858 au Volume II toujours, et à la note de bas de page 2820,

 14   notamment au témoignage de Knuk Vollebaek, pages du compte rendu d'audience

 15   9 522 à 9 524, déposition du 31 janvier 2007.

 16   Ils ont également pris en considération les données émanant du HCR

 17   des Nations Unies relatives au nombre de personnes s'étant rendues en

 18   Macédoine, en Albanie et au Monténégro. Je vous renvoie à la note de bas de

 19   page 2820 du Volume II; à la pièce P2438, à la déclaration expurgée de M.

 20   Neill Wright du HCR; à la pièce P7838, les estimations de déplacement et de

 21   retour du HCR.

 22   Cinquièmement, le fait que les bombes de l'OTAN ont frappé des cibles

 23   dans toute la RFY, sans oublier Belgrade, et le fait est que Belgrade a

 24   subi le gros de la destruction et pourtant les gens n'ont pas quitté

 25   Belgrade et d'autres régions de la RFY, tel que le nombre de personnes qui

 26   s'est enfui du Kosovo. Volume II, paragraphe 1 177.

 27   Sixièmement, pendant l'été de l'année 1998, en dépit du conflit

 28   continu entre la VJ, le MUP d'un côté, et l'ALK il n'y a pas eu de fuite en


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  1   masse de la part de la population qui n'a pas franchi les frontières.

  2   Paragraphe 1 177, Volume I.

  3   Et puis en dernier lieu, j'aimerais signaler les rapports du MUP

  4   concernant le nombre de personnes qui passaient la frontière pour se rendre

  5   en Albanie, en Macédoine, et au Monténégro. Volume I, paragraphe 1 150.

  6   C'est sur la base de facteurs qui se corroborent mutuellement, sur la

  7   base d'éléments de preuve directs et indirects émanant de témoins qui sont

  8   venus témoigner, qui ont relaté leurs propres vécus, qui ont fait part de

  9   leurs propres observations, et sur la base des documents, que la Chambre de

 10   première instance a conclu de façon raisonnable que la première raison qui

 11   explique le départ de la population civile albanaise du Kosovo était la

 12   violence à leur encontre de la part des forces placées sous le contrôle des

 13   autorités serbes et de la RFY, et non pas du fait ou à cause des

 14   bombardements de l'OTAN. Et je vous renvoie au paragraphe 1 178 du Volume

 15   II qui a été cité comme une référence pendant les arguments présentés par

 16   l'Accusation.

 17   Et ce déplacement forcé ne peut être attribué qu'au plan commun des

 18   membres de l'entreprise criminelle commune. Paragraphes 95 et 96 du Volume

 19   III.

 20   La conclusion de la Chambre de première instance, qui explique les

 21   raisons et le nombre de personnes qui ont été déplacées sous la contrainte,

 22   nous donne comme explication les actions des membres de l'entreprise

 23   criminelle commune qui mettaient en œuvre leur plan commun, et c'est une

 24   explication ou conclusion qui nous semble tout à fait raisonnable et auquel

 25   et devant laquelle il convient de s'incliner. En tant que Chambre d'appel

 26   vous devez, bien entendu, vous demander si cette conclusion est une

 27   conclusion qu'une Chambre de première instance raisonnable aurait pu faire,

 28   et nous avançons en fait que la conclusion de la Chambre de première


Page 675

  1   instance est tout à fait raisonnable. J'espère avoir répondu à votre

  2   question.

  3   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Je vous remercie. Mais je

  4   crains fort que quelqu'un a dû sacrifier sa pause déjeuner. Vous avez donc

  5   fait référence aux lignes 15 et 16, mais je pense que vous faisiez

  6   référence non pas au Volume I mais au Volume II.

  7   M. KREMER : [interprétation] Excusez-moi.

  8   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Ecoutez, pour ce qui est de la

  9   page 68, lignes 15 et 16, voilà comment vos propos sont consignés. Vous

 10   faites référence au Volume I et au paragraphe 1 150, car je crois

 11   comprendre que vous faisiez référence au paragraphe 1 150 du Volume II.

 12   Mais, bon, peu importe, c'est une observation tout à fait technique.

 13   Puis il y a autre chose.

 14   M. KREMER : [interprétation] Ecoutez, je peux tout à fait vérifier sans

 15   aucun problème.

 16   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Oui, faites donc. Et il se peut

 17   que ce soit moi qui suis dans l'erreur. Mais je vous remercie de votre

 18   analyse et j'espère en fait que cela nous permettre de jeter la passerelle

 19   entre ces deux paragraphes. Le paragraphe 1 150 et le paragraphe 1 178 qui

 20   figurent dans le Volume II. Et vous donnez également les raisons qui

 21   expliquent le départ ou la fuite de ces personnes déplacées. Ces raisons,

 22   elles figurent au paragraphe 1 175 du Volume II, et c'est pour ça que je

 23   vous disais que l'on va pouvoir -- qu'il y a une compatibilité, une

 24   convergence des chiffres entre le paragraphe 1 150 et 1 175. Je vous

 25   remercie.

 26   M. KREMER : [interprétation] Oui, je pense, en effet, que les chiffres se

 27   recoupent dans ces deux paragraphes. Le problème vient du fait qu'il y a

 28   des chiffres que l'on trouve dans différents passages du jugement. Vous


Page 676

  1   avez des organisations différentes qui sont données, des périodes

  2   différentes, ce qui nous donne un chiffre total qui dépasse le chiffre de

  3   700 000. Mais nous savons qu'au 1er mai il y avait déjà 715 000 personnes

  4   qui avaient été déplacées. Hors, la campagne, en fait, a continué, a connu

  5   son apogée après cette date, et jusqu'au début du mois de juin. Donc, cela

  6   n'a jamais été calculé.

  7   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Je vous remercie.

  8   M. KREMER : [interprétation] Voilà, j'en ai terminé, et j'aimerais au nom

  9   de l'Accusation vous remercier, Madame, Messieurs les Juges de votre

 10   attention. J'aimerais également remercier mes confrères, j'aimerais les

 11   remercier de leur professionnalisme pendant toute la durée de cette

 12   audience. J'aimerais également remercier tout le personnel qui nous a aidé,

 13   qui a été extrêmement patient avec nous au cours de ces cinq jours, et je

 14   souhaiterais tout particulièrement remercier les interprètes au nom de tous

 15   les orateurs qui parlent très, très rapidement. Ils nous l'ont rappelé de

 16   temps à autre, et je suis conscient du fait que cela peut leur rendre la

 17   tâche extrêmement difficile.

 18   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie beaucoup.

 19   Maître Ackerman.

 20   M. ACKERMAN : [interprétation] Au début de la duplique de l'Accusation, ils

 21   ont en fait donné ou évoqué quelque chose de tout à fait nouveau, à savoir

 22   ce qu'avait dit le procureur du tribunal spécial pour le Liban à propos de

 23   l'affaire Perisic. Alors, si vous souhaitez étudier ce genre de chose, nous

 24   pouvons tout à faire le faire. Cela, à moi, ne me pose personnellement

 25   aucun problème, mais je ne pense pas que cela aura un impact quelconque.

 26   Mais je pense en fait que nous devrions prendre le temps de nous intéresser

 27   à cela. Cela ne se trouve pas sur leur site Web, alors je ne sais pas où le

 28   Procureur ou l'Accusation a trouvé cela, mais quoi qu'il en soit, il

 


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  1   pourrait nous le fournir, et ainsi nous pourrons répondre, ce qui serait

  2   beaucoup plus facile pour nous.

  3   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Eh bien, écoutez, je vous remercie de

  4   cette intervention, mais je vous dirais qu'il s'agit d'un document

  5   juridique émanant d'un autre tribunal ou d'autres tribunaux, et cela n'a

  6   absolument effet ou force contraignante pour notre Tribunal. Et j'aimerais,

  7   conformément au programme de cette audience, inviter maintenant les accusés

  8   ou les appelants à faire des déclarations personnelles s'ils le souhaitent.

  9   Monsieur Sainovic, vous avez la parole. Vous avez dix minutes à votre

 10   disposition.

 11   L'APPELANT SAINOVIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le

 12   Président, la Chambre. Madame, Messieurs les Juges, j'ai été un

 13   fonctionnaire public. J'ai été élu au parlement fédéral, et ce, à partir de

 14   l'année 1986 et, depuis le parlement, j'ai été élu au gouvernement, à

 15   différents gouvernements au cours des années 1990. Et mon mandat de député

 16   fédéral était encore en vigueur au moment où je suis venu devant ce

 17   Tribunal en 2002. Cette élection, bien entendu, entraîne une responsabilité

 18   pour ce qui se passe en l'état. Un fonctionnaire de l'Etat représente son

 19   Etat pour le meilleur comme pour le pire. Alors, au moment où les choses

 20   vont bien, nombreux sont ceux qui s'en arrangent le mérite. Et puis, quand

 21   les choses vont mal, le fonctionnaire public n'a pas le droit de chercher à

 22   éviter d'assumer la responsabilité, et c'est en cette qualité-là que je me

 23   tiens aujourd'hui devant vous.

 24   Le gouvernement fédéral m'a dépêché en missions diverses à Vienne, au

 25   Koweït à différents moments, et c'était très bien. Mais au moment du début

 26   de la crise kosovare, eh bien, j'y ai été dépêché également, à deux

 27   reprises avant la guerre et pendant la guerre, et c'est ainsi que je me

 28   suis retrouvé là-bas. Cette guerre de 1999 a été une guerre d'une extrême


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  1   complexité. Sur le terrain, faisait rage un conflit entre la République

  2   fédérale yougoslave et la Serbie d'une côté et l'ALK d'autre part, qui se

  3   servaient de civils pour en faire une base leur permettant de lancer des

  4   offensives, et puis dans les situations défensives ceux dispersés parmi la

  5   masse de civils. Alors, au ciel, nous avions des activités en masse de la

  6   plus grande puissance du monde qui, vu sa supériorité technique, souvent

  7   échappait à la portée des moyens de l'armée de la République fédérale de

  8   Yougoslavie. Et c'est ce qui a donné lieu à une dynamique et à une

  9   intensité du conflit sans précédent. Si on s'applique à comparer cela à

 10   l'année 1998, eh bien, à tout un chacun qui se livrerait à cet exercice, je

 11   ne souhaiterais pas qu'il se trouve dans une situation lui permettant de

 12   vérifier par lui-même la différence entre ces deux situations. Car l'action

 13   conjointe de toutes ces forces, leurs actions conjointes ont engendré des

 14   victimes civiles terribles, que ce soit au Kosovo ou dans toute la

 15   Yougoslavie. Il s'agit de souffrances humaines qui se manifestent encore

 16   aujourd'hui, et j'en souffrirais personnellement tant que je suis ici-bas.

 17   Hors, ici, nous ne somme que quatre à être jugés, quatre personnes

 18   représentant une partie belligérante, une partie au conflit. Et j'ai

 19   conscience du fait qu'en tant que participant aux événements qui ont

 20   précédé une guerre et qui se sont manifestés pendant la guerre, est-ce que

 21   je suis au courant du fait et conscient du fait que je dois assumer la

 22   responsabilité des conséquences de ces événements ? Oui, j'en suis

 23   conscient. Et pourquoi ai-je plainé non coupable ? Eh bien, j'ai plaidé non

 24   coupable par rapport à l'acte d'accusation qui présente une image très

 25   déformée de la situation qui a prévalu dans mon pays ainsi que du rôle que

 26   j'ai joué à ces événements, et c'est contre cela que je me bats ici dans le

 27   cadre de ce procès, Madame, Messieurs les Juges, et cela depuis plus de 10

 28   ans.

 


Page 679

  1   Alors, mon combat a-t-il eu un sens ? Je pense que oui. Permettez-moi

  2   de citer un exemple. Ici, au cours de ces quelques journées, toutes les

  3   parties au procès ont contesté certaines parties du jugement rendu en

  4   première instance. Cependant, personne n'a contesté la partie du jugement

  5   où il a été constaté que mon pays a entamé les négociations de paix de

  6   bonne foi, et que mon pays n'est pas responsable de l'échec des

  7   négociations qui ont eu lieu à Rambouillet, comme cela a été allégué à

  8   l'acte d'accusation. Je vous renvoie au Volume I du jugement, paragraphes

  9   407 et 410.

 10   J'ai pris part à ces négociations profondément convaincu que la paix

 11   était possible pour moi-même et pour mon pays. Cette conclusion représente

 12   un résultat d'importance, même s'il a dû me coûter 10 ans.

 13   Hélas, la Chambre de première instance m'a déclaré coupable également

 14   de ce à quoi je n'ai pas pris part, m'a déclaré coupable d'un poste que je

 15   n'ai pas occupé au moment pertinent. Certes, le jugement diffère des

 16   allégations qui ont été portées dans l'acte d'accusation, mais au fond,

 17   cela est très loin de la réalité, de la situation. Madame, Messieurs les

 18   Juges, tel est l'objet de mon appel devant vous. Je dois dire que je

 19   maintiens entièrement tout ce qui a été présenté dans le cadre de mon appel

 20   par mes défenseurs, et je n'ai rien à y ajouter.

 21   Je vous remercie de votre attention.

 22   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Sainovic.

 23   Monsieur Pavkovic, vous avez vous aussi dix minutes à votre disposition.

 24   L'APPELANT PAVKOVIC : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, je suis

 25   général à la retraite de l'armée de Yougoslavie, Nebojsa Pavkovic, j'ai été

 26   participant aux événements de 1998 et de 1999. Je suis un militaire de

 27   carrière, je suis sorti diplômé avec les meilleures notes de toutes les

 28   écoles militaires, de l'Académie militaire, et j'ai parcouru l'hiérarchie


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  1   militaire de l'échelon le plus bas jusqu'au plus élevé. J'ai occupé de

  2   nombreux postes opérationnels très importants. J'ai bâti ma carrière bien

  3   avant de rencontrer le président Milosevic, que j'ai rencontré pour la

  4   première fois fin mai 1998. J'ai passé six années au Kosovo. J'étais un

  5   opérationnel au niveau du corps d'armée. J'étais à la tête de l'état-major

  6   du Corps de Pristina et son commandant.

  7   L'élection au poste de commandement au sein de l'armée yougoslave ne

  8   se présente pas comme le Procureur l'affirme. Sur 760 membres, ou plutôt,

  9   élèves de l'Académie militaire, seuls 20 sont sortis généraux, ou plutôt,

 10   sont devenus généraux. Dont cinq uniquement sont devenus commandants de

 11   corps d'armée et un seul chef de l'état-major général, ainsi qu'un de

 12   commandant d'armée.

 13   En 1998, j'ai été commandant de corps d'armée. Mes ordres venaient

 14   exclusivement du commandement de l'armée, du général Samardzic. Chef de

 15   l'état-major Perisic ne m'a jamais donné d'ordre. Milosevic, le président,

 16   ne m'a jamais donné aucun ordre. M. Sainovic, que je respecte, ne m'a

 17   jamais donné d'ordre. Et avec tous mes respects je n'aurais jamais accepté

 18   que M. Sainovic qui n'a que très peu de formation militaire me donne des

 19   ordres.

 20   Alors, Madame, Messieurs les Juges, c'est très regrettable, c'est accablant

 21   pour moi d'avoir été accusé d'avoir mené la guerre contre mon propre

 22   peuple, car les Albanais sont mon peuple. Je suis certes un général serbe,

 23   mais je connais bien les Albanais. J'ai beaucoup d'amis albanais. Et je

 24   tiens à appeler votre attention sur quelques éléments qui ont contribué à

 25   la création de ce climat et à ces événements de l'acte d'accusation. Tout

 26   d'abord, il s'agit d'une organisation terroriste et illégale qui, par des

 27   actions terroristes, a tenté d'atteindre des objectifs séparatistes, et

 28   d'ailleurs elle a été qualifiée d'organisation terroriste en mars 1998.


Page 681

  1   Ensuite, les forces légales d'un Etat souverain et indépendant,

  2   membre des Nations Unies, l'armée et le MUP ont essayé de combattre ce

  3   terrorisme sur une partie de leur territoire. Il vous faut prendre en

  4   compte le fait qu'au Kosovo il y avait 1 403 localités habitées, dont 150

  5   serbes et 1 050 albanaises, les autres étaient mixtes. Dans chaque village

  6   albanais, par tradition, les gens étaient armés, ils avaient des

  7   patrouilles, ils montaient la garde. Et d'après nos estimations, plus de

  8   100 000 pièces d'armes se trouvaient à ce moment-là entre les mains des

  9   Albanais.

 10   A mon sens, il est important de souligner que ce climat de terreur au

 11   Kosovo-Metohija n'est pas le résultat des actions des forces de sécurité de

 12   la République fédérale de Yougoslavie. En revanche, il s'agit précisément

 13   de terroristes de l'ALK qui sont à l'origine de cela. Fin juillet 1998, 80

 14   % du territoire du Kosovo a été bloqué, 95 % des voies de communication, et

 15   puis après avoir bloqué les voies de communication à la frontière, les

 16   organes d'Etat de la Yougoslavie ont décidé de combattre le terrorisme au

 17   Kosovo et à y recourir en employant l'armée et le MUP. C'est ce que nous

 18   avons fait, et en octobre 1998 cette opération était terminée sans crime,

 19   sans expulsion. Il y a eu des crimes, en revanche, du côté de l'ALK,

 20   Rznici, le lac de Jabllanicee, et cetera. Tous les civils qui ont été

 21   déplacés sont revenus à leurs foyers.

 22   Ensuite, après l'arrivée de la mission de l'OSCE, l'armée s'est retirée

 23   dans les casernes, le MUP s'est retiré du Kosovo-Metohija, l'ALK a occupé

 24   toutes ces positions. En fait, j'essaie de vous expliquer pourquoi il y a

 25   eu des déplacements de civils. Je n'ai pas beaucoup de temps à ma

 26   disposition, mais je vais essayer de le faire.

 27   Donc de quoi il s'agit. Tout comme le Procureur l'a affirmé ici, 13

 28   municipalités sont concernées par les déplacements de civils, et ces


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  1   municipalités se situent dans la zone frontière. Et d'un point de vue

  2   opérationnel et tactique, il s'agit là de la zone de la 3e Armée du Corps

  3   de Pristina. Ce sont des positions occupées par les unités de l'armée de

  4   Yougoslavie suite à la directive numéro 3. Il a été décidé et ordonné d'y

  5   prendre position, dès que nous y sommes partis nous avons essuyé des

  6   attaques de l'ALK, et à ce moment-là des conflits sérieux se sont

  7   déclenchés.

  8   Permettez-moi de souligner qu'au cours de l'année 1998, 1 845 attaques

  9   terroristes ont eu lieu au Kosovo, que 368 personnes y ont perdu la vie

 10   dont certains civils, que plus de 158 civils ont été blessés et qu'il y a

 11   eu enlèvement de 269 civils. Alors ces chiffres nous montrent qui, en fait,

 12   est à l'origine de ce climat de terreur. Le Corps de Pristina comptait

 13   environ 11 000 hommes à ce moment-là, et là-dessus la partie prévue pour le

 14   combat était 5 001 personnes. Tous les autres étaient déployés à la

 15   sécurité des installations militaires à la frontière, et cetera.

 16   Quant à l'OTAN, je ne souhaite pas en parler, il s'agit d'une organisation

 17   militaire la plus puissante qui soit qui a attaqué mon pays, mon armée, et

 18   nous nous sommes défendus comme nous le pouvions. Le problème principal

 19   pour nous, en fait, c'étaient les terroristes; autrement dit, l'ALK. Et je

 20   peux vous dire à ce sujet que l'ALK, le 1er janvier jusqu'au 23 mars a

 21   lancé 632 attaques, 101 sur l'armée, plus de 200 sur le MUP et des civils,

 22   six à huit attaques tous les jours. Et toutes ces preuves peuvent être

 23   retrouvées dans les dizaines de milliers de pièces à conviction que nous

 24   avons versées au dossier.

 25   S'agissant de civils, trois à quatre civils ont été les victimes de

 26   ces actions tous les jours, les actions lancées par les terroristes.

 27   Alors, pour ce qui est du déplacement de la population, pour ce qui est des

 28   expulsions, comme le Procureur appelle cela, en 1998 ainsi qu'en 1999, et


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  1   ce, à partir de 1981, à chaque moment où il y a eu des conflits au Kosovo

  2   les civils ont quitté le territoire du Kosovo. A chaque fois qu'il y a eu

  3   des troubles. Donc en 1998, non, mais en 1999, oui, ça été le cas, ils sont

  4   partis de 13 municipalités qui se trouvent dans le secteur que je vous ai

  5   présenté; 29 municipalités se situent au Kosovo. Nous avons entendu dire

  6   pourquoi les civils n'ont pas quitté le territoire de 16 municipalités,

  7   pourquoi il n'y a pas eu de conflit parce qu'il n'y avait pas de terroriste

  8   là-bas. Donc il n'y avait pas lieu que ces gens partent. Nous avons eu les

  9   conflits les plus intenses au cours de l'agression avec les terroristes. Et

 10   à ce sujet, je dois souligner en particulier que la campagne de l'OTAN a

 11   contribué de manière importante à ce que les civils se mettent en

 12   mouvement.

 13   Pendant les jours de l'agression, la République fédérale de

 14   Yougoslavie a bombardé 3 380 installations; 1 574 bombardements dans notre

 15   secteur, ce qui est beaucoup plus que leurs bombardements. Pristina a été

 16   bombardée 406 fois; 342 fois à Prizren; Djakovica, plus de 400 fois; plus

 17   de 200 fois Urosevac, et cetera; Pec, 106 fois, ainsi que d'autres. On a

 18   tiré sur le Kosovo. On a pris pour cible plus de 700 localités habitées au

 19   Kosovo. Pour certaines d'entre elles, de cinq à huit fois. Plus de 4 000

 20   projectiles ont été lancés contre les unités du 3e Corps. Je ne compte même

 21   pas les unités, les munitions à l'uranium.

 22   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Pavkovic, il me semble que votre

 23   temps a expiré. Je vous accorde une minute, si vous voulez terminer.

 24   L'APPELANT PAVKOVIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le

 25   Président.

 26   Les arguments pour décrire le comportement de l'armée sont nombreux.

 27   Je pense que vous pouvez les trouver dans nos écritures et dans nos

 28   documents. Quant au comportement et aux arguments présentés par mes

 


Page 684

  1   avocats, j'y souscris entièrement, et je vous remercie, Madame, Messieurs

  2   les Juges de votre attention et de m'avoir donné la parole pour m'exprimer.

  3   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

  4   M. ACKERMAN : [interprétation] Est-ce que je peux signaler quelques erreurs

  5   du compte rendu d'audience.

  6   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui, je vous remercie.

  7   M. ACKERMAN : [interprétation] Page 104, ligne 12, il parlait de M.

  8   Sainovic, il a dit, "je ne sais pas pourquoi il est ici," au lieu de dire,

  9   "je ne sais pas pourquoi je suis ici."

 10   Puis page 105, s'agissant des pièces qui étaient entre les mains des

 11   Albanais kosovars, en 1998, il a dit "100 000", et on lit "10 000" dans le

 12   compte rendu d'audience. Page 105, ligne 14, il a parlé de "tous les

 13   civils", et ce n'est pas ce qui a été consigné au compte rendu d'audience.

 14   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Je pense que cela sera

 15   corrigé et rectifié.

 16   Monsieur Lazarevic, puis-je vous convier à prendre la parole si vous le

 17   souhaitez. Vous avez dix minutes à votre disposition.

 18   L'APPELANT LAZAREVIC : [interprétation] Monsieur le Président, Madame,

 19   Messieurs les membres de la Chambre, les Juges de la Chambre, je vous

 20   remercie de m'avoir donné la parole, et fourni l'occasion de m'adresser à

 21   vous. Je souhaite attirer brièvement votre attention sur certains aspects

 22   de ce contexte factuel, mais du point de vue doctrinaire de l'armée, chose

 23   dont il n'a pas été question ces jours-ci ici.

 24   Je tiens à souligner ce qui suit, 19 membres du pacte de l'OTAN, au

 25   printemps de l'année 1999, ont procédé à une agression étrangère classique

 26   contre la Yougoslavie, avec l'utilisation en guise de premier et cinquième

 27   échelons des forces de l'insurrection séparatiste et terroriste armées, et

 28   avec une stimulation pratique d'un Exodus de centaine de milliers de


Page 685

  1   civils. D'après les forces utilisées, d'après le type et les quantités des

  2   moyens de combat utilisés, rien que pour ce qui est du territoire de Kosovo

  3   et Metohija, c'est l'équivalent de huit à dix bombes atomiques telles

  4   celles lancées contre Hiroshima, et en particulier pour ce qui est de la

  5   brutalité et des cibles qui ont été fixées, cette agression, d'après les

  6   analystes internationaux, a été l'une des guerres des plus asymétriques qui

  7   ait jamais été conduite au monde. Et pendant que cette guerre-là pour

  8   certains, ceux qui l'ont suscité avaient constitué une guerre moderne, pour

  9   d'autres, ça a été une campagne. Et je dirais que je ne comprendrai pas de

 10   quoi il s'agit au juste. Mais pour les terroristes, c'était une guérilla

 11   totale. Mais pour ce qui est des analystes militaires et politiques, ça a

 12   été aussi une guerre nucléaire, avec 31 000 projectiles nucléaires, c'est-

 13   à-dire projectiles radioactifs lancés sur 102 sites, qui vont pendant les

 14   quatre milliards et 500 millions d'années apporter la mort et le malheur en

 15   Serbie. C'est à la fois à ce jour, c'est la seule guerre néocortique [phon]

 16   qui n'ait jamais eu lieu dans l'histoire du monde.

 17   Avec les premières frappes de missile à la date du 24 mars, l'OTAN a

 18   réalisé ses objectifs, sans trop faire le choix des cibles. Tout le secteur

 19   frontalier avait été arrosé par des tapis de bombes aériennes. Tout ce qui

 20   avait ressemblé à une éventuelle menace militaire, même quand il s'agissait

 21   de piliers en bois, ça a été leur cible. Des agglomérations densément

 22   habitées dans les villes ont quotidiennement été frappées, à plusieurs

 23   centaines de reprises pour une même ville. Les installations économiques,

 24   les usines les ont particulièrement attirées, tout comme de longues

 25   colonnes de tracteurs rouges albanais avec des civils albanais qui étaient

 26   en train de revenir chez eux. Et bien que le pilote de l'avion, le fameux

 27   Charlie, les avait certes distingués des chars serbes, les commandants de

 28   l'OTAN ont quand même donné l'ordre de massacrer ces civils. Le monde


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  1   entier le sait, cela.

  2   Rien que sur le territoire de la province, l'OTAN a effectué plus de

  3   2 000 frappes aériennes, à savoir 30 frappes aériennes par jour, et

  4   plusieurs centaines de frappes avec des missiles. Et ce qui est très

  5   important aussi, à l'occasion de la majeure partie de ces frappes, 36 à 38

  6   % des cibles étaient des cibles civiles.

  7   Madame, Messieurs les Juges, ce sont malheureusement des faits

  8   irréfutables, des faits terribles, horrifiants pour ce qui est des

  9   activités déployées par l'agresseur de l'OTAN sur ce territoire, et de sa

 10   contribution au malheur de tous ceux qui se sont trouvés là-bas.

 11   Il es vrai de dire que l'OTAN, rien qu'à découvert au Kosovo-

 12   Metohija, a tué environ 500 civils et détruit plus de 700 bâtiments variés.

 13   Ces faits-là ne pourraient, et ne sauraient être dissimulés et

 14   masqués par des thèses qui seraient remplacées les unes par les autres par

 15   des exhibitions juridiques, et par l'abolition de ceux qui ont généré ce

 16   malheur.

 17   Sur le territoire de cette province pendant la guerre, la mort venait

 18   de très hautes altitudes, c'est-à-dire de distance de plus de 2 500

 19   kilomètres, en provenance de tout le territoire qui se trouvait de l'autre

 20   côté de la frontière de l'Etat avec l'Albanie, sur un front qui s'étirait

 21   sur des dizaines de kilomètres, de plusieurs centaines de villages albanais

 22   ou agglomérations transformés dans des places fortes terroristes et

 23   paramilitaires selon un principe qui disait, deux villages, un village,

 24   place forte terroriste, et l'autre village servant à y déplacer les civils

 25   suite à ordre des terroristes. C'était une tactique de Mao Tse-tung qui

 26   était la tactique des milles flammes, donc de toutes parts, de tous

 27   endroits et à chaque moment.

 28   Dans des conditions d'un tel enfer et chaos de guerre, la population


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  1   a cherché refuge dans la fuite, dans des mouvements, déplacements, dans la

  2   recherche d'abri comme partout au monde, là où il y a des tirs et là où il

  3   y a des morts. Les routes les conduisaient vers l'Albanie, la Serbie, la

  4   Macédoine, le Monténégro, la Turquie, la Croatie, vers des pays éloignés, à

  5   l'ouest, mais le plus loin possible de la mort.

  6   Les renseignements officiels de l'UNHCR disent et montrent que 54 %

  7   de la population serbe et non-albanaise, ainsi que 45 % de la population

  8   albanaise avaient cherché refuge pendant cette guerre hors territoires de

  9   la province en question.

 10   Au Kosovo et Metohija, ils n'avaient pas où fuir la mort, les membres

 11   de ce Corps de Pristina, qui ont subi pendant cette guerre 95 % du total

 12   des pertes de l'armée de Yougoslavie, ainsi que autres forces chargées de

 13   la défense, et plusieurs centaines de milliers de civils qui étaient

 14   essentiellement albanais, qui avaient foi en la survie avec l'aide des

 15   forces de la défense, en particulier du Corps de Pristina, chose dont on

 16   parle de nos jours encore parmi les Albanais de la province.

 17   Par conséquent, au début de ce printemps d'il y a 14 ans, dans un

 18   enfer de guerre, dans un chaos, il y avait au point de la défense

 19   stratégique du pays, il y avait un Corps de Pristina créé pour des temps de

 20   paix, qui s'est retrouvé dans un piège stratégique et qui a eu à accomplir

 21   une mission impossible. Donc, dans des conditions militairement

 22   impossibles, le Corps a dû mettre en place une stratégie et une tactique

 23   que les analystes de l'OTAN on tout de suite qualifié de quatre M :

 24   masquer, manœuvrer, mobilité et maintien du moral.

 25   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Lazarevic, je crois que votre

 26   temps vient de prendre fin. Vous pouvez avoir une autre minute encore pour

 27   terminer votre déclaration.

 28   L'APPELANT LAZAREVIC : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, à

 


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  1   l'occasion de dix conférences de mise en état, j'ai indiqué au Président de

  2   la Chambre au travers de 292 minutes de temps, j'ai présenté mes problèmes

  3   de santé. Au moins de juin de l'an passé, le dernier conseil médical a

  4   conclu qu'il s'agissait là d'un patient qui avait un état de santé

  5   sérieusement mis en péril et qu'il y avait nécessité d'entreprendre des

  6   mesures urgentes pour que mon état de santé soit amené à un niveau de

  7   correction pour que ceci soit un niveau tolérable. Et que Dieu me soit

  8   témoin, rien n'a été fait. Je pense que le Greffier ni les Juges de la

  9   Chambre n'oublieront pas tout ce qui a été indiqué par moi au sujet de ma

 10   santé.

 11   Madame et Messieurs les Juges, Monsieur le Président, je vous remercie de

 12   votre attention, de votre patience, et j'espère, de votre compréhension.

 13   Grand merci, merci, spasiba, grazia. Je vous suis reconnaissant, Madame et

 14   Messieurs les Juges et excusez-moi si je n'ai pas bien prononcé les choses

 15   comme il se doit.

 16   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci, Monsieur Lazarevic.

 17   Monsieur Lukic, oui.

 18   M. CEPIC : [interprétation] Excusez-moi, une petite correction au compte

 19   rendu, page 110, ligne 22, je crois que ce qu'il fallait entendre "sous les

 20   ordres de l'ALK", et c'est une partie de phrase qui est manquante au compte

 21   rendu.

 22   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

 23   Monsieur Lukic, vous avez aussi dix minutes pour votre déclaration, comme

 24   les autres accusés.

 25   L'APPELANT LUKIC : [interprétation] Merci. Madame, Messieurs les Juges, je

 26   suis sincèrement désolée pour toutes les victimes, en particulier civiles,

 27   et pour toute souffrance de citoyens qui ont été générés par cette triste

 28   guerre au Kosovo. Je tiens à vous informer du fait que je ne suis pas allé


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  1   au Kosovo de mon plein gré, mais suite à un ordre et en vertu de la loi qui

  2   me l'imposait. Donc, je ne suis pas allé là-bas de mon plein gré. Je ne me

  3   suis pas porté volontaire pour y aller. J'ai été envoyé là-bas pour

  4   remplacer le chef de l'état-major ou du QG qui s'effectuait une fois par an

  5   pendant toute une série d'années avant cela. Les tâches qui m'ont été

  6   confiées ont été prescrites par la constitution et par la législation en

  7   vigueur s'agissant des tâches de la police. La sécurité tant des Serbes que

  8   des Albanais se trouvait être mise en péril de façon extrême par les

  9   activités criminelles de cette organisation criminelle qui s'est qualifiée

 10   d'Armée de libération du Kosovo.

 11   Les attributions qui étaient celles du QG et moi-même en ma qualité de chef

 12   de ce QG se trouvait être fort limité. Le QG n'était pas un commandement,

 13   et moi je n'ai pas été un commandant ni de jure ni de facto. Ainsi, par

 14   exemple, je n'avais pas d'attributions pour ce qui était de décider ou

 15   d'entamer des procédures disciplinaires, des infractions de simple police

 16   ou des procédures au pénal contre des policiers qui enfreignaient la loi.

 17   Je n'ai pu suspendre ou révoquer qui que ce soit de ses fonctions parmi les

 18   responsables de la police, et vous vous serez d'accord avec moi que sans

 19   ces attributions-là, il ne saurait y avoir des fonctions de commandement.

 20   Et le fait de ne pas avoir été commandant est confirmé par ce qui suit : à

 21   la veille des bombardements, le ministre Stojilkovic m'a informé du fait

 22   qu'en concertation avec le président Milosevic, il a envoyé au Kosovo son

 23   assistant, c'est-à-dire le général de division Obrad Stevanovic pour faire

 24   en sorte que durant l'état de guerre il commande et dirige la totalité des

 25   effectifs du MUP. Des éléments de preuve ne font que confirmer que les

 26   choses se sont passées ainsi.

 27   En sus de la fonction de ministre adjoint et de la fonction de chef de

 28   l'administration de la police, ce général Obrad Stevanovic était le


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  1   commandant tant de jure que de facto de la totalité des unités spéciales de

  2   la police du ministère de l'Intérieur de Serbie. Exception faite de ces

  3   trois fonctions-là, il a été considéré comme étant le général de la plus

  4   grande des confiances de Stojilkovic et de Milosevic.

  5   Après le début des bombardements, les circonstances sécuritaires se sont

  6   faites dramatiques. Tous ceux qui se sont trouvés au Kosovo ont été mis en

  7   péril, et les civils en particulier. Indépendamment des attributions

  8   limitées qui étaient les miennes, j'ai demandé à ce que la population

  9   civile soit protégée à titre complémentaire et que les auteurs de crimes

 10   soient mis aux arrêts. Pendant les 78 journées de bombardements et

 11   d'attaques terroristes permanentes, les membres de la police ont identifié

 12   et présenté des plaintes au pénal contre au moins 785 auteurs de crimes,

 13   dont 443 ont été arrêtés sur place. Plus de 95 % de ces gens étaient des

 14   Serbes, et parmi eux il y avait eu 46 policiers et 97 soldats. La quasi-

 15   totalité des crimes ont été commis au détriment des Albanais du Kosovo.

 16   Mes efforts visant à faire arrêter tous ceux qui avaient commis des crimes

 17   avaient rencontré des oppositions du côté des leaders politiques des Serbes

 18   au Kosovo. Et le principal parmi eux avait eu l'intention de me faire

 19   liquider pour avoir fait arrêter des policiers du cru qui avaient tué des

 20   civils albanais. Mais j'ai eu à faire face à des menaces aussi sérieuses

 21   que cela en 2001 lorsque j'ai fait entamer une enquête au sujet des fosses

 22   communes et des crimes commis à l'égard des Albanais.

 23   Tout ce que j'ai fait au fil de ma carrière professionnelle avait été placé

 24   au service de la protection des citoyens. Je n'ai jamais fait de

 25   distinction partant de l'appartenance ethnique ou quelque autre

 26   appartenance que ce soit. Pour une telle approche, j'ai été formé à partir

 27   de mes 15 ans.

 28   Donc, pendant mon séjour au Kosovo, je n'ai personnellement commis aucun


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  1   crime, et je n'ai jamais ordonné la perpétration de quel que crime que ce

  2   soit. J'en ai pas planifié, je n'ai pas encouragé, aidé, dissimulé ou

  3   participé de quelle que façon que ce soit. Tout mes agissements, chaque mot

  4   que j'ai prononcé, et chaque lettre que j'ai écrite avaient pour objectif

  5   l'entravement des crimes. C'est la raison pour laquelle j'ai dit que je ne

  6   suis coupable d'aucun des crimes pour lesquels on m'a condamné. Et je

  7   n'étais au courant d'aucun des crimes reprochés à l'époque.

  8   J'ai appris qu'il y avait une entreprise criminelle commune à la lecture de

  9   l'acte d'accusation. Je n'ai jamais eu vent d'un plan, d'une intention ou

 10   d'un objectif visant à expulser de façon durable les Albanais du Kosovo, ni

 11   directement, ni indirectement personne ne me l'a demandé. Et, si on me

 12   l'avait demandé, il est certain que je n'y aurais pas pris part. Je ne peux

 13   donc pas accepter la conclusion du jugement qui dit que j'ai fait partie de

 14   l'entreprise criminelle commune à la tête de laquelle se trouvait

 15   Milosevic. Milosevic, Milutinovic, Sainovic, Pavkovic et Lazarevic, je ne

 16   les ai connus en personne que lorsque vers la mi-1998 j'ai été envoyé au

 17   Kosovo. Je n'ai jamais été le préféré ni l'homme de confiance ni de

 18   Milosevic, ni du ministre Stojilkovic, ni de leurs assistants Djorjevic et

 19   Stevanovic. Au contraire, j'ai eu à connaître de leur part rien que des

 20   humiliations et des dégradations. Ce fait était connu de tout un chacun en

 21   Serbie. D'où la décision de gouvernement, après la chute de Milosevic, de

 22   me faire promouvoir et de me nommer chef de la police de Serbie. Pour ce

 23   qui est de mon comportement au Kosovo, il n'y avait eu aucune observation

 24   de formulée ni par les agences du renseignement étranger qui ont procédé,

 25   elles aussi, à la vérification de ma nomination.

 26   Madame, Messieurs les Juges, je vous ai présenté certains faits. Je

 27   m'attends à ce que vous les preniez en considération lorsque vous vous

 28   pencherez sur le mémoire en appel et l'argumentation verbale qui a été


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  1   présentée par mes conseils de la Défense. J'espère que votre décision

  2   remédiera à l'injustice qui m'a été infligée par le prononcé du jugement en

  3   première instance.

  4   Merci de m'avoir fourni l'occasion de m'adresser à vous.

  5   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci, Monsieur Lukic. Il y a d'autres

  6   corrections ?

  7   M. BAKRAC : [interprétation] Oui, il y en a une autre. Il y en une autre,

  8   Monsieur le Président.

  9   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui.

 10    M. BAKRAC : [interprétation] Page 114, ligne 10, M. Lukic a parlé des

 11   leaders politiques du Kosovo et il a parlé des leaders politiques locaux du

 12   Kosovo, parce qu'il y en avait eu d'autres qui n'étaient pas des locaux,

 13   des leaders du cru au Kosovo.

 14   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui. Monsieur Kremer.

 15   M. KREMER : [interprétation] Oui, j'ai eu l'occasion de suivre pour ce qui

 16   est des corrections et suggestions aux erreurs qui ont été relevées, et

 17   vous aviez raison, je m'en excuse. Il y a trois erreurs auxquelles je

 18   voudrais faire référence. Page 98, ligne 11. On devrait lire Volume II,

 19   paragraphe 1176. Au paragraphe -- ou, plutôt, à la page 98, ligne 14, on

 20   aurait dû inscrire Volume II, paragraphe 1177, et la troisième des

 21   références de la série, c'est la page 98, ligne 16, où on aurait dû lire

 22   Volume II, paragraphe 1150, et je m'en excuse une fois de plus.

 23   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Grand merci. Je crois que vous

 24   avez manqué deux déjeuners parce que vous avez du mal encore à prononcer

 25   mon nom.

 26   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Ceci met un terme à l'audience de

 27   la Chambre d'appel dans cette affaire. Nous voudrions également remercier

 28   le personnel, les interprètes pour toute l'assistance qui nous a été


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  1   apportée pendant cette semaine. Les Juges de la Chambre d'appel vont

  2   délibérer et rendre leur arrêt en temps voulu.

  3   L'audience est levée.

  4    --- L'audience de la Chambre d'appel est levée à 16 heures 32.

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