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1 Le jeudi 18 mars 2004
2 [Audience sentencielle]
3 [Audience publique]
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 15 heures 08.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière d'audience,
7 pourriez-vous, s'il vous plaît appeler la cause.
8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] C'est l'affaire IT-01-42/1-S, le
9 Procureur contre Miodrag Jokic.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame la Greffière.
11 M. Jokic, avant que nous continuions, est-ce que vous pouvez m'entendre
12 dans une langue que vous comprenez ?
13 Je répète ma question, car je me rends compte que vous n'avez pas répondu.
14 Je vous redemande, M. Jokic, si vous pouvez m'entendre dans une langue que
15 vous comprenez.
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je peux vous entendre,
17 et je comprends ce que vous dites.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Jokic.
19 Pourrais-je savoir qui représente les parties, je vous prie.
20 Mme SOMERS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
21 Juges. Pour l'Accusation, nous avons Susan Somers, conseil principal, et
22 également présent Mme Prashanthi Mahindaratne, Madame Gina Butler et Mme
23 Victoria McCreath.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame Somers. Pour la
25 Défense.
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1 M. NIKOLIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
2 Bonjour, Madame Somers, je vous salue ainsi que votre équipe. Zarko Nikolic
3 et Jelena Nikolic pour la Défense.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je dois vous demander un instant, je
5 n'ai pas de transcription sur mon écran pour le moment. Il n'est peut-être
6 pas nécessaire d'attendre pour le régler.
7 L'audience tenue aujourd'hui est consacrée au prononcé du jugement portant
8 condamnation de Miodrag Jokic pour son rôle dans des événements en rapport
9 avec le bombardement de Dubrovnik, le 6 décembre 1991. Ce qui suit n'est
10 qu'un résumé du jugement écrit dont il ne fait pas partie intégrante. Le
11 texte écrit du jugement sera mis à la disposition des parties et du public
12 à l'issue de l'audience.
13 Nous exposerons brièvement le contexte et les faits de l'espèce, ainsi que
14 les éléments dont la Chambre de première instance a tenu compte pour fixer
15 la peine. Il convient de garder à l'esprit que nos conclusions ne se
16 fondent pas sur un examen contradictoire des faits, mais sur les arguments
17 exposés par les parties en conformité avec l'accord sur le plaidoyer et
18 dans une moindre mesure, les éléments de preuve produits lors de l'audience
19 relative à la peine.
20 Miodrag Jokic s'est livré volontairement au Tribunal le 12 novembre 2001.
21 Après avoir initialement plaidé non coupable, il a conclu un accord sur le
22 plaidoyer avec l'Accusation le 25 août 2003. Au terme de cet accord,
23 Miograd Jokic a reconnu sa culpabilité pour les six chefs retenus dans le
24 deuxième acte d'accusation modifié. Tous constituent des violations des
25 lois ou coutumes de la guerre. La Chambre de première instance a estimé que
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1 le plaidoyer de culpabilité remplissait les conditions requises par
2 l'Article 62 bis du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal, et a
3 déclaré l'accusé coupable de tous les chefs d'accusation.
4 Lors de l'audience relative à la peine qui s'est tenue le 4 décembre 2003,
5 l'Accusation et la Défense ont exposé leurs arguments devant la Chambre de
6 première instance, et ont chacune cité deux témoins à comparaître. Miodrag
7 Jokic lui-même a lu une brève déclaration.
8 Miodrag Jokic est né à Donja Toplica, en Serbie, le
9 25 février 1935. Il a servi au sein de la Marine yougoslave jusqu'au 8 mai
10 1992.
11 En octobre 1991, Jokic a été nommé commandant du 9e Secteur naval. Les
12 événements survenus le 6 décembre 1991, à Dubrovnik et dans les environs,
13 ont été précédés par une campagne militaire commencée le 8 octobre 1991 et
14 menée par Jokic agissant seul ou de concert avec d'autres. Des forces
15 fédérales yougoslaves, la JNA, ont encerclé Dubrovnik pendant environ trois
16 mois, période dans laquelle la vieille ville de Dubrovnik a été bombardée à
17 plusieurs reprises.
18 Au début du mois de décembre 1991, les forces croates et celles de la JNA
19 étaient sur le point de parvenir à un accord de cessez-le-feu total.
20 Miodrag Jokic était chargé de négocier au nom de la partie yougoslave.
21 Toutefois, le 6 décembre, les forces de la JNA placées sous le commandement
22 de Miodrag Jokic, entre autres, ont bombardé illégalement la vieille ville
23 de Dubrovnik.
24 Par suite de ces bombardements, deux civils ont été tués, et trois blessés
25 dans la vieille ville. Six bâtiments de la vieille ville ont été totalement
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1 détruits, et beaucoup d'autres endommagés. Les édifices dévastés ou
2 endommagés étaient notamment des édifices consacrés à la religion, à la
3 bienfaisance, à l'enseignement, aux arts et aux sciences, des monuments
4 historiques, des œuvres d'art et des œuvres de caractère scientifique.
5 Les bombardements se sont poursuivis pendant une partie de la journée. Le 6
6 décembre 1991, à 14 heures, Jokic a envoyé à un ministre du gouvernement
7 croate à Dubrovnik, un radiogramme dans lequel il exprimait ses regrets
8 pour cette situation difficile et malheureuse. Il déclarait qu'il n'avait
9 pas ordonné ces bombardements. Pourtant, malgré l'intensité des
10 bombardements sur la vieille ville, aucun ordre immédiat n'a été donné par
11 Jokic pour les faire cesser. Les parties conviennent que Jokic a été
12 informé de ces bombardements illégaux dès les premières heures du 6
13 décembre 1991, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour les
14 empêcher ou les faire cesser. Par la suite, aucun des membres de la JNA
15 dont Miodrag Jokic était responsable en tant que supérieur hiérarchique,
16 n'a été puni ou sanctionné pour les bombardements en cause.
17 Le 7 décembre 1991, un accord de cessez-le-feu total a finalement été
18 conclu. Lors de la réunion au cours de laquelle l'accord a été mis au
19 point, Jokic a présenté des excuses à son homologue croate pour les
20 événements survenus la veille.
21 Nous allons à présent aborder les crimes desquels Jokic a plaidé coupable,
22 et la forme qu'a prise sa responsabilité pour ces crimes. Comme nous
23 l'avons déjà indiqué, les crimes reprochés ont tous été perpétrés le 6
24 décembre 1991, la seule date mentionnée dans l'acte d'accusation.
25 Jokic a été déclaré coupable des attaques illégales menées contre des
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1 civils dans l'enceinte de la vieille ville de Dubrovnik, du meurtre de deux
2 personnes (Tonci Skocko et Pavo Urban) au cours de ces attaques, et des
3 traitements cruels infligés à trois autres (Nikola Jovic, Mato Valjalo et
4 Ivo Vlasica) blessés au cours de ces mêmes attaques. Il a également été
5 déclaré coupable de dévastation que ne justifient pas les exigences
6 militaires et d'attaques illégales contre des biens de caractères civils.
7 Enfin, la culpabilité de Jokic a été reconnue pour la destruction ou
8 l'endommagement délibéré d'édifices consacrés à la religion, à la
9 bienfaisance et à l'enseignement, aux arts et aux sciences, de monuments
10 historiques, d'œuvres d'art et d'œuvres à caractère scientifique. La
11 vieille ville de Dubrovnik était protégée par la convention de La Haye de
12 1954, pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé. Elle
13 avait de surcroît été classée au patrimoine culturel mondial par l'UNESCO.
14 Il s'agissait d'un site architectural exceptionnel illustrant une étape
15 importante dans l'histoire de l'humanité, et une réussite culturelle. En
16 bombardant la vieille ville, on s'est attaqué non seulement à l'histoire et
17 au patrimoine de la région, mais aussi au patrimoine culturel de l'humanité
18 toute entière.
19 Jokic est responsable des crimes desquels il a été déclaré coupable pour
20 partie au regard de l'Article 7 (1) du statut, (complicité), et pour partie
21 au regard de l'Article 7(3) du statut, (responsabilité du supérieur
22 hiérarchique). Les crimes en cause ont été commis par des soldats placés
23 sous son commandement de Jokic, même si ce n'est pas lui qui a ordonné ces
24 crimes, selon l'Accusation. Certains aspects du comportement de Jokic,
25 notamment ses actes et ses omissions avant le bombardement de la vieille
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1 ville par les forces de la JNA le 6 décembre 1991, sont à juste titre
2 qualifiés de complicité, en raison de la forte incidence qu'ils ont eu sur
3 la commission des crimes perpétrés ce jour-là. D'autres omissions coupables
4 dans les circonstances particulières de l'espèce, relèvent de la
5 responsabilité du supérieur hiérarchique découlant de l'Article 7 (3) du
6 statut. Ainsi, Jokic n'a pas réagi comme il le devait face aux crimes, et
7 n'a pas non plus puni les auteurs classés sous son autorité.
8 La Chambre de première instance a analysé de finalité de la sanction à la
9 lumière du mandat du Tribunal. Ainsi qu'il ressort de la jurisprudence, la
10 rétribution, la dissuasion et la réinsertion ont été considérées comme des
11 fonctions à prendre en compte dans la condamnation des auteurs de crimes
12 internationaux.
13 Parmi les éléments entrant en considération dans la sentence, la Chambre de
14 première instance a d'abord examiné la gravité des crimes dans les
15 circonstances particulières de l'espèce, ainsi que le mode et le degré de
16 la participation de Jokic à ces crimes. Toute attaque militaire illégale
17 menée contre des civils, et faisant parmi eux des morts et des blessés,
18 constitue une violation très grave du droit international humanitaire. En
19 ce sens que l'on transgresse l'un des principes fondamentaux, des
20 conséquences tragiques et durables sont prévisibles en cas de bombardement
21 d'une zone peuplée. Le décès de deux civils et les blessures infligées à
22 trois autres doivent être vigoureusement condamnés.
23 La Chambre de première instance estime également que la dévastation que ne
24 justifient pas les exigences militaires et les attaques illégales contre
25 des biens de guerre inter civile, constitue des crimes très graves en
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1 espèce, compte tenu de l'étendue des destructions provoquées dans la
2 vieille ville en une seule journée de bombardement intense.
3 Aux fins du présent jugement, la Chambre de première instance a prêté une
4 attention toute particulière à la question de la destruction ou de
5 l'endommagement délibéré d'édifice consacrés à la religion, à la
6 bienfaisance et à l'enseignement, aux arts et aux sciences, de monuments
7 historiques, d'œuvres d'art et d'œuvres de caractère scientifique. La
8 Chambre de première instance a conclu qu'un tel crime représentait une
9 atteinte, un intérêt bénéficiant d'une protection spéciale. Ce crime est
10 particulièrement grave en l'espèce, étant donné que toute la vieille ville
11 de Dubrovnik avait été classée site protégé par l'UNESCO. Les immeubles
12 d'habitation situés dans l'enceinte de la ville, étaient donc sous
13 protection spéciale, de même que le reste du site, en tant que site
14 architectural exceptionnel illustrant une étape importante dans l'histoire
15 de l'humanité.
16 Des fonctions de supérieur hiérarchique exercées par l'accusé, peuvent
17 constituer une circonstance aggravante, compte tenu des lourdes
18 conséquences que peuvent entraîner les manquements d'une personne occupant
19 un poste de haut rang. La Chambre de première instance a retenu cette
20 circonstance aggravante dans le cadre de Miodrag Jokic qui, en sa qualité
21 d'amiral, détenait un pouvoir et une autorité considérables.
22 Toutefois, comme nous l'avons déjà mentionné, à propos du mode de
23 participation de Miodrag Jokic aux crimes en cause et de la responsabilité
24 qui en découle, il n'a joué qu'un rôle marginal, et ce, essentiellement par
25 ses omissions.
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1 Comme circonstance atténuante, la Chambre de première instance a retenu le
2 fait que Miodrag Jokic, officier de haut rang, s'est livré volontairement
3 au Tribunal, qu'il a plaidé coupable de tous les chefs retenus dans le
4 deuxième acte d'accusation modifié, et qu'il a coopéré activement avec
5 l'Accusation.
6 En outre, la Chambre de première instance a considéré comme une
7 circonstance atténuante importante, le fait que Miodrag Jokic a
8 publiquement exprimé son dissentiment et ses regrets concernant les
9 bombardements, non pas seulement au moment de devoir répondre devant un
10 Tribunal des accusations portées contre lui, mais dès le
11 6 décembre 1991. La Chambre a également retenu comme circonstance
12 atténuante le comportement irréprochable de Miodrag Jokic après les
13 attaques en cause.
14 La Chambre de première instance a également pris en compte la situation
15 personnelle de Miodrag Jokic.
16 Monsieur Jokic, veuillez vous lever.
17 [L'accusé se lève]
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pour les raisons que nous avons
19 précédemment évoquées, la Chambre de première instance vous condamne,
20 Monsieur Miodrag Jokic, à une peine unique de sept années d'emprisonnement.
21 En application de l'Article 101 (C) du règlement, seront décomptés de la
22 durée de la peine les 116 jours que vous avez déjà passés en détention,
23 jusqu'à et y compris la date du présent jugement.
24 Vous pouvez vous asseoir.
25 [L'accusé s'assied]
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'audience est levée.
2 --- L'audience sentencielle est suspendue à 15 heures 27.
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