Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 30 août 2005

2 [Jugement en appel]

3 [Audience publique]

4 [L'appelant est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 15.

6 Mme LE JUGE WEINBERG DE ROCA : [interprétation] Je souhaiterais commencer

7 par saluer les interprètes, les représentants du bureau du Procureur, les

8 conseils de la Défense, M. Jokic, ainsi que le personnel de la section

9 d'administration et de l'appui judiciaire.

10 Monsieur Frejabue, veuillez, je vous prie, donner le numéro de l'affaire

11 inscrite au rôle.

12 M. LE GREFFIER : [interprétation] Oui, merci. Affaire IT-01-42/1-A, le

13 Procureur contre Miodrag Jokic.

14 Mme LE JUGE WEINBERG DE ROCA : [interprétation] Merci, Monsieur. Je vais

15 maintenant prier les parties de se présenter.

16 A commencer par la Défense.

17 M. NIKOLIC : [interprétation] Bonjour, Madame la Présidente, Madame et

18 Monsieur les Juges. Bonjour à mes collègues de l'Accusation. Je m'appelle

19 Zarko Nikolic, et avec Mme Nikolic et Me O'Sullivan, nous intervenons dans

20 l'intérêt de M. Jokic.

21 Mme LE JUGE WEINBERG DE ROCA : [interprétation] Merci.

22 L'Accusation.

23 M. FARRELL : [interprétation] Bonjour. Bonjour à mes confrères de la

24 Défense. Norman Farrell, et je suis accompagné de Mme Ursula Kind, et de

25 Susan Grogan, notre assistante.

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1 Mme LE JUGE WEINBERG DE ROCA : [interprétation] Merci.

2 Comme l'a annoncé le Greffier, c'est à l'affaire Miodrag Jokic qu'est

3 consacrée la présente audience. Comme indiqué dans l'ordonnance portant au

4 calendrier du 19 juillet 2005, la Chambre d'appel est réunie aujourd'hui

5 pour rendre son arrêt relatif à la sentence en l'espèce. Miodrag Jokic a

6 interjeté appel du jugement portant condamnation rendu le 18 mars 2004 par

7 la Chambre de première instance numéro I du Tribunal international. Le

8 Procureur n'a pas interjeté appel du jugement.

9 La présente affaire concerne les événements qui ont eu lieu en Croatie, où

10 les forces de l'armée populaire yougoslave, la JNA, placées sous le

11 commandement notamment de Miodrag Jokic, ont pilonné la vieille ville de

12 Dubrovnik le 6 décembre 1991, du petit matin jusqu'à tard dans la soirée.

13 La Chambre de première instance, se rangeant à l'avis de l'Accusation, a

14 estimé que l'Appelant n'avait pas ordonné l'attaque, mais avait été informé

15 des bombardements illégaux et n'avait pas pris les mesures nécessaires pour

16 les contrer, les arrêter, ou les sanctionner. Par suite de ces

17 bombardements, deux civils ont été tués et trois autres blessés. De

18 nombreux bâtiments ont été détruits, dont des édifices consacrés à la

19 religion, à la bienfaisance, à l'enseignement, aux arts et aux sciences,

20 ainsi que des monuments historiques.

21 Le 27 août 2003, Miodrag Jokic a plaidé coupable des chefs du deuxième chef

22 d'accusation modifié, et la Chambre de première instance l'a déclaré

23 coupable de six chefs de violation des droits ou coutumes de la guerre

24 sanctionnés par l'Article 3 du Statut du Tribunal international, à savoir,

25 chef 1, meurtre; chef 2, traitement cruel; chef 3, attaques illégales

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1 contre des civils; chef 4, dévastation que ne justifient pas les exigences

2 militaires; chef 5, attaques illégales contre des biens de caractère civil;

3 et chef 6, destruction ou endommagement délibéré d'édifices consacrés à la

4 religion, à la bienfaisance, et à l'enseignement, aux arts et aux sciences,

5 de monuments historiques, d'œuvres d'art, et d'œuvres de caractère

6 scientifique.

7 Le 18 mars 2004, la Chambre de première instance a condamné Miodrag Jokic à

8 sept ans d'emprisonnement. Miodrag Jokic a interjeté appel de sa peine le

9 16 avril 2004, et l'audience d'appel a eu lieu le 26 avril 2005. Comme il

10 est d'usage au Tribunal international, je ne donnerai pas lecture du texte

11 de l'arrêt, à l'exception de son dispositif. Je rappellerai les questions

12 soulevées dans le cadre de la procédure d'appel ainsi que les conclusions

13 de la Chambre d'appel. Je tiens à souligner que le résumé qui suit ne fait

14 pas partie de l'arrêt. Seul fait autorité l'exposé des conclusions et

15 motifs de la Chambre d'appel que l'on trouve dans le texte écrit de l'arrêt

16 dont des copies seront mises à la disposition des parties et du public à

17 l'issue de l'audience. Je ne traiterai pas en détail du critère d'examen

18 applicable en appel, ni des dispositions applicables en matière de peine,

19 ces questions ayant déjà été abordées dans la déclaration que j'ai faite au

20 début de l'audience consacrée à l'appel.

21 Initialement, l'Appelant avait soulevé sept moyens d'appel, mais le 30 juin

22 2004, il a retiré son quatrième moyen. Je vais maintenant brièvement passer

23 successivement en revue les six moyens d'appel restants.

24 Dans son premier moyen d'appel, l'Appelant soutient que la Chambre de

25 première instance a commis une erreur en concluant qu'il était responsable

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1 en tant que complice, au regard de l'Article 7(1) du Statut, des événements

2 antérieurs au 6 décembre 1991, puisque ces faits sortaient du cadre du

3 deuxième acte d'accusation modifié et de l'accord sur le plaidoyer.

4 La Chambre d'appel observe que la Chambre de première instance savait que

5 le deuxième acte d'accusation modifié se limitait aux événements du 6

6 décembre 1991 et qu'elle a accepté le plaidoyer de culpabilité de

7 l'Appelant sur la base de l'accord y afférant.

8 La Chambre d'appel remarque que la déclaration de culpabilité prononcée par

9 la Chambre de première instance pour les chefs 1 à 6 se limitaient sans

10 équivoque possible aux actes et omissions dont l'Appelant s'était rendu

11 coupable le 6 décembre 1991. Il apparaît clairement, dans le jugement

12 portant condamnation, que l'Appelant a été condamné sur la base,

13 exclusivement, du comportement qui a été le sien le 6 décembre 1991. Si la

14 Chambre de première instance a évoqué le comportement adopté par l'Appelant

15 lors des attaques similaires des 23 et 24 octobre et du 9 novembre 1991,

16 c'est uniquement pour replacer dans leur contexte les crimes commis le 6

17 décembre 1991. Ledit contexte permettant d'établir l'élément moral requis

18 pour le déclarer coupable de complicité. En conséquence, la Chambre d'appel

19 est convaincue que la Chambre de première instance n'a pas commis d'erreur

20 en faisant une simple référence, et non pas en tirant une conclusion sur

21 les crimes reprochés, aux événements antérieurs au 6 décembre 1991 dans le

22 jugement portant condamnation.

23 Et quand bien même la Chambre de première instance aurait commis une erreur

24 en faisant référence à des événements antérieurs, cela ne justifierait pas

25 pour autant une infirmation du jugement portant condamnation par la Chambre

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1 d'appel, étant donné que l'Appelant n'a pas établi que la prise en compte

2 d'agissements antérieurs au 6 décembre 1991 par la Chambre de première

3 instance aurait pesé sur sa condamnation. Cette branche du premier moyen

4 d'appel est rejetée.

5 La Chambre d'appel note que l'Appelant a été coupable pour son rôle dans

6 les événements du 6 décembre 1991 sur la base des Articles 7(1) et 7(3) du

7 Statut à raison des mêmes faits. La jurisprudence de la Chambre d'appel

8 montre que le cumul de déclarations de culpabilité découlant de la mise en

9 cause, à la fois de la responsabilité individuelle et de la responsabilité

10 du supérieur hiérarchique, constitue une erreur de droit.

11 La Chambre d'appel sait que ce cumul de déclarations de culpabilité n'a pas

12 été attaqué, l'Appelant n'ayant interjeté appel que de la peine prononcée.

13 Il existe cependant un lien indissoluble entre la déclaration de

14 culpabilité et la sentence. De plus, la Chambre d'appel a le pouvoir de

15 corriger d'office toute erreur de droit si l'intérêt de la justice l'exige.

16 La Chambre d'appel conclut donc que selon la jurisprudence établie, seule

17 une déclaration de culpabilité peut être prononcée pour chaque chef

18 d'accusation sur la base de l'Article 7(1) du Statut. En conséquence, la

19 Chambre d'appel annule les déclarations de culpabilité prononcées pour les

20 chefs d'accusation 1 à 6, dans la mesure où elles reposent sur une mise en

21 cause de la responsabilité de l'Appelant en tant que supérieur hiérarchique

22 en application de l'Article 7(3) du Statut.

23 Il n'en résulte cependant pas forcément qu'un allègement de la peine

24 s'impose. La Chambre d'appel estime que la Chambre de première instance

25 était tenue de considérer les hautes fonctions exercées par l'Appelant

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1 comme circonstance aggravante, puisqu'il avait été convenu par les parties

2 et accepté par la Chambre de première instance que l'Appelant occupait un

3 poste de responsabilité. La Chambre de première instance a d'ailleurs

4 expressément tenu compte des hautes fonctions de l'Appelant en examinant

5 les circonstances aggravantes. La Chambre de première instance a donc

6 clairement reconnu comme circonstance aggravante le fait que l'Appelant

7 était investi de l'autorité et du pouvoir d'un officier supérieur sur les

8 auteurs des crimes visés au chefs d'accusation 1 à 6 et qu'elle l'a

9 condamné en conséquence.

10 Par ces motifs, la Chambre d'appel conclut que l'annulation des

11 déclarations de culpabilité prononcées par la Chambre de première instance

12 contre l'Appelant du fait de sa responsabilité de supérieur hiérarchique

13 n'a aucun impact sur la peine.

14 Dans son deuxième moyen d'appel, l'Appelant fait valoir que la

15 Chambre de première instance a commis une erreur en invoquant des

16 dispositions du code pénal de l'ex-Yougoslavie sans rapport avec les peines

17 qu'auraient pu prononcer les juridictions de l'ex-Yougoslavie pour des

18 crimes comparables.

19 L'Appelant soutient qu'aux termes des dispositions du code pénal de

20 l'ex-Yougoslavie prises en compte par la Chambre de première instance,

21 seuls sont pénalement responsables les auteurs directs des infractions. Sa

22 responsabilité pénale ayant été mise en cause pour omission, l'Appelant

23 avance que les dispositions invoquées par la Chambre de première instance

24 ne s'appliquent pas en l'espèce.

25 La Chambre d'appel constate que les articles du code pénal de l'ex-

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1 Yougoslavie, auxquels fait référence la Chambre de première instance et qui

2 concernent les crimes de guerre, les modes et moyens de combat, et la

3 protection des monuments culturels, interdisent un comportement criminel

4 contraire aux valeurs juridiques mêmes, qui sont protégées dans le cadre

5 des infractions dont l'Appelant a plaidé coupable. De plus, la Chambre

6 d'appel observe que les principes de la complicité et de la responsabilité

7 pénale pour omission sont inscrits dans le code pénal de l'ex-Yougoslavie.

8 Ces articles donnent donc des indications sur la grille générale des peines

9 d'emprisonnement appliquée par les tribunaux en ex-Yougoslavie pour les

10 actes et omissions dont l'Appelant a plaidé coupable et pour lesquels il a

11 été condamné. La Chambre d'appel souligne que si la Chambre de première

12 instance doit bien tenir compte de la grille générale des peines

13 d'emprisonnement appliquée par les tribunaux en ex-Yougoslavie, elle n'est

14 pas liée par elle.

15 La Chambre d'appel note que la Chambre de première instance n'a pas

16 expressément fait référence à tous les articles du code pénal de l'ex-

17 Yougoslavie susceptibles d'être pertinents en l'espèce. Cependant, la

18 Chambre d'appel estime que les Chambres de première instance ne sont pas

19 tenues de prendre en compte toutes les dispositions légales de l'ex-

20 Yougoslavie éventuellement applicables. En conséquence, la Chambre d'appel

21 conclut que l'approche adoptée par la Chambre de première instance était

22 appropriée et rejette le deuxième moyen d'appel.

23 Dans son troisième moyen d'appel, l'Appelant fait valoir que la

24 Chambre de première instance a commis une erreur de droit lorsqu'elle a

25 décidé qu'en cas d'accords sur le plaidoyer, elle se fonderait

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1 principalement sur les circonstances atténuantes retenues par les parties

2 d'un commun accord. Selon lui, la Chambre de première instance a dérogé à

3 la règle énoncée dans l'affaire Celebici, où la Chambre d'appel avait

4 conclu que les circonstances atténuantes devaient être établies par

5 l'accusé sur la base de l'hypothèse la plus probable.

6 La Chambre d'appel n'est pas convaincue que la Chambre de première

7 instance ait dérogé à tort à la règle énoncée dans l'arrêt Celebici. La

8 Chambre de première instance a rappelé la règle applicable et conclut qu'en

9 cas d'accords sur le plaidoyer, elle se fonderait principalement sur les

10 circonstances atténuantes retenues par les parties d'un commun accord. En

11 d'autres termes, la Chambre de première instance, en toute logique, a

12 dégagé l'Appelant de son obligation d'établir les circonstances atténuantes

13 sur la base de l'hypothèse la plus probable lorsque celles-ci faisaient

14 l'objet d'un accord entre les parties.

15 De plus, l'Appelant fait valoir -- je m'excuse auprès des

16 interprètes. Je lisais trop vite.

17 De plus, l'Appelant fait valoir que lui-même avait mis en avant trois

18 circonstances atténuantes qui venaient s'ajouter à celles mentionnées par

19 l'Accusation; à savoir, (1), son âge; (2), cinq exemples attestant de son

20 comportement avant, pendant, et après les faits; et (3), sa situation

21 familiale exceptionnelle. La Chambre d'appel estime néanmoins que ces

22 éléments ont tous été pris en considération par la Chambre de première

23 instance.

24 S'agissant de l'argument de l'Appelant selon lequel son comportement

25 après le conflit constitue "une circonstance atténuante distincte" qu'il ne

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1 faut pas "confondre avec les remords," la Chambre d'appel juge que la

2 Chambre de première instance pouvait tout à fait considérer le comportement

3 de l'Appelant après le conflit comme une manifestation de ses remords

4 sincères et non pas comme une circonstance atténuante distincte.

5 En outre, la Chambre d'appel estime que la Chambre de première

6 instance a dûment apprécié l'ensemble des circonstances atténuantes, tant

7 celles retenues par les parties d'un commun accord que celles mises en

8 avant par l'Appelant seulement. Le troisième moyen d'appel est rejeté.

9 Dans son cinquième moyen d'appel, l'Appelant avance que la Chambre de

10 première instance a eu tort de ne retenir comme circonstances atténuantes

11 ni son état de santé, ni sa situation familiale, deux éléments qui, selon

12 lui, présentent un caractère singulier et constituent à ce titre des

13 circonstances exceptionnelles.

14 S'agissant de l'affirmation de l'Appelant selon laquelle la Chambre

15 de première instance a conclu à tort que sa situation familiale n'était pas

16 différente de celles des autres accusés, la Chambre d'appel observe que la

17 Chambre de première instance n'a fait qu'expliquer le peu d'importance

18 accordée généralement à des éléments tels que la situation familiale d'un

19 accusé, sans pour autant comparer la situation personnelle de l'Appelant à

20 celles d'autres accusés.

21 Quant à l'argument de l'Appelant selon lequel la Chambre de première

22 instance n'a pas tenu compte des éléments de preuve produits, la Chambre

23 d'appel estime que la Chambre de première instance a évoqué comme il

24 convient les éléments de preuve présentés par l'Appelant et les a donc pris

25 en considération. La Chambre de première instance a expressément renvoyé

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1 aux écritures de l'Appelant, y compris à celles qui étaient

2 confidentielles, dans lesquelles celui-ci faisait état d'éléments de nature

3 à faire ressortir le caractère exceptionnel de sa situation personnelle. La

4 Chambre d'appel juge que la Chambre de première instance n'était aucunement

5 tenue de traiter plus en détail de la situation personnelle de l'Appelant,

6 d'autant que certains éléments de preuve présentés par ce dernier

7 concernant sa situation familiale étaient confidentiels.

8 De plus, l'Appelant fait valoir que dans les ordonnances de mise en

9 liberté provisoire qu'elle a rendues, la Chambre de première instance a

10 estimé que le caractère singulier de son état de santé et de sa situation

11 familiale constituaient des circonstances exceptionnelles et que partant,

12 elle aurait dû également conclure dans le jugement portant condamnation que

13 sa situation familiale était exceptionnelle et constituait une circonstance

14 atténuante.

15 La Chambre d'appel n'est pas de cet avis. Les éléments pris en compte

16 par la Chambre de première instance pour mettre l'Appelant en liberté

17 provisoire ne devaient pas nécessairement entrer en ligne de compte dans

18 l'appréciation des circonstances atténuantes. Aux termes de l'Article 65(B)

19 du Règlement, un accusé peut être mis en liberté provisoire pour autant que

20 la Chambre de première instance ait la certitude qu'il comparaîtra et s'il

21 est libéré, il ne mettra pas en danger une victime, un témoin, ou toute

22 autre personne. Or, pour apprécier le comportement d'un accusé en vue de

23 décider de la peine à appliquer, une Chambre de première instance peut

24 mettre en balance les circonstances atténuantes et d'autres éléments, tels

25 que la gravité du crime reproché, les circonstances particulières de

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1 l'espèce, ainsi que le mode et le degré de participation au crime.

2 Par ces motifs, la Chambre d'appel rejette le cinquième moyen d'appel

3 soulevé par l'Appelant.

4 Dans son sixième moyen d'appel, l'Appelant avance que la Chambre de

5 première instance a commis une erreur de droit et de fait, et outrepassé

6 ses pouvoirs en ne prenant pas en compte l'ensemble des éléments de preuve

7 produits par les parties au sujet de sa bonne moralité et de son

8 professionnalisme. Et l'Appelant allègue que certaines dépositions,

9 notamment celles de deux enquêteurs du bureau du Procureur, n'ont pas été

10 prises en considération par la Chambre de première instance. Il fait

11 valoir, en outre, que la Chambre de première instance n'a pas tenu compte

12 d'éléments attestant de sa bonne moralité et de son intégrité, tels que sa

13 reddition volontaire, son comportement en liberté provisoire, et son aveu

14 de culpabilité.

15 S'agissant de l'erreur alléguée concernant les dépositions de témoins, je

16 n'entrerai pas dans les détails et je me contenterai de donner une idée du

17 raisonnement suivi. Une Chambre de première instance n'est pas tenue de

18 retracer étape par étape le raisonnement qu'elle a suivi pour parvenir à

19 une conclusion donnée, de même, le fait de ne pas recenser dans un jugement

20 tous les éléments présentés à la Chambre et examinés par celle-ci ne

21 signifie pas nécessairement qu'elle n'en a pas tenu compte ou qu'elle ne

22 les a pas dûment appréciés.

23 Quant aux dépositions de témoins, une Chambre de première instance n'est

24 aucunement tenue d'en rapporter chacune des phrases. Si elle le juge bon,

25 la Chambre peut mettre en lumière les passages importants sur lesquels elle

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1 s'est fondée pour tirer une conclusion. Le renvoi à un passage particulier

2 de la déposition d'un témoin tend à indiquer que la Chambre de première

3 instance avait connaissance de la déposition dans son intégralité et

4 qu'elle l'a prise en compte.

5 La Chambre d'appel estime que la Chambre de première instance avait

6 connaissance de l'ensemble des dépositions faites en l'espèce et qu'elle en

7 a retenu les passages pertinents.

8 L'Appelant allègue par ailleurs que la Chambre de première instance aurait

9 dû prendre en compte les éléments attestant de sa bonne moralité; à savoir,

10 (1), sa reddition volontaire et le fait qu'il a été le premier officier de

11 l'armée populaire yougoslave à se livrer de son plein gré, en marge de la

12 loi sur la coopération entre le Tribunal international et l'ex-République

13 fédérale de Yougoslavie; (2), le fait qu'il a toujours pleinement respecté

14 les conditions de sa mise en liberté provisoire; (3), son aveu de

15 culpabilité; et (4), les excuses qu'il a présentées au ministre croate de

16 la Marine et des Affaires étrangères le jour même du bombardement et le

17 cessez-le-feu qu'il a conclu le lendemain.

18 La Chambre d'appel estime que tous les éléments précités ont été examinés

19 et pris en considération par la Chambre de première instance, même s'ils ne

20 l'ont pas été expressément en tant que preuve de la bonne moralité de

21 l'Appelant. La Chambre de première instance pouvait cependant considérer

22 ces éléments comme symptomatiques des remords sincères éprouvés par

23 l'Appelant et de sa coopération avec le Tribunal international. Elle

24 n'était pas tenue de les prendre également en considération lorsqu'elle en

25 est venue à juger de la bonne moralité de l'Appelant. Le sixième moyen

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1 d'appel est donc rejeté.

2 Dans son septième moyen d'appel, l'Appelant n'allègue aucune erreur de la

3 part de la Chambre de première instance, mais prie la Chambre d'appel de

4 considérer sa comparution dans l'affaire Strugar, après que le jugement

5 portant condamnation eut été rendu en l'espèce, comme une circonstance

6 atténuante à retenir dans l'intérêt de la justice. Il invoque, à ce sujet,

7 une conclusion tirée par la Chambre d'appel dans l'affaire Kupreskic. On ne

8 saurait toutefois comparer cette affaire à la présente espèce. En l'espèce,

9 la Chambre de première instance a retenu comme circonstance atténuante la

10 coopération de l'Appelant avec l'Accusation et jugé que celle-ci revêtait

11 une importance exceptionnelle. Qui plus est, la Chambre de première

12 instance a noté, dans son jugement portant condamnation, que les parties

13 lui avaient présenté à ce sujet des observations, et a renvoyé aux passages

14 du compte rendu de l'audience consacrée à la peine qui confirment la valeur

15 que pourrait avoir la déposition de l'Appelant pour d'autres affaires,

16 ainsi que le fait que ce dernier est disposé à témoigner à l'avenir. La

17 Chambre d'appel conclut donc que la Chambre de première instance avait

18 pleinement connaissance de la coopération fournie par l'Appelant en

19 l'espèce et de celle qu'il pourrait fournir dans d'autres affaires, comme

20 ce fut le cas dans l'affaire Strugar, et qu'elle en a tenu compte.

21 En conséquence, la demande de l'Appelant est rejetée.

22 Je vais maintenant donner lecture du dispositif de l'arrêt de la Chambre

23 d'appel.

24 Monsieur Jokic, veuillez vous lever.

25 [L'appelant se lève]

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1 Mme LE JUGE WEINBERG DE ROCA : [interprétation] Par ces motifs, la Chambre

2 d'appel, en application de l'Article 25 du Statut et des Articles 117 et

3 118 du Règlement de procédure et de preuve : vu les écritures respectives

4 des parties et leurs exposés à l'audience du 26 avril 2005, siégeant en

5 audience publique, annule d'office les déclarations de culpabilité

6 prononcées à l'encontre de l'Appelant en ce qui concerne les chefs 1 à 6,

7 dans la mesure où elles se fondaient sur le fait que l'Appelant était tenu

8 responsable au regard de l'Article 7(3) du Statut en tant que supérieur

9 hiérarchique; rejette tous les moyens d'appel soulevés par l'Appelant;

10 confirme la peine de cinq ans d'emprisonnement prononcée par la Chambre de

11 première instance; et ordonne en application des Articles 103(C) et 107 du

12 Règlement, que Miodrag Jokic reste sous la garde du Tribunal international

13 jusqu'à ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires pour son

14 transfert vers l'Etat dans lequel il purgera sa peine.

15 Monsieur Jokic, vous pouvez vous rasseoir.

16 [L'appelant s'assoit]

17 Mme LE JUGE WEINBERG DE ROCA : [interprétation] Monsieur Frejabue, veuillez

18 distribuer des copies de l'arrêt aux parties.

19 Merci beaucoup. L'audience de la Chambre d'appel est levée.

20 --- L'audience du Jugement en appel est levée à 14 heures 42.

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