Affaire n° : IT-95-5/18-I

LE JUGE DE CONFIRMATION

Devant :
M. le Juge Alphons Orie

Assisté de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
8 novembre 2002

LE PROCUREUR
c/
RATKO MLADIC

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ORDONNANCE AUTORISANT LE DÉPÔT D’UN ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ ET CONFIRMANT CELUI-CI

____________________________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Andrew Cayley

1. Nous, Alphons Orie, Juge près le Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »), saisi de la « Requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de déposer un acte d’accusation modifié, de confirmation de l’acte d’accusation modifié et de délivrance d’une ordonnance en application des articles 53 A) et 59  bis A) du Règlement, à laquelle est joint un mémorandum en annexe1  » [Motion for Leave to File an Amended Indictment, for Confirmation of the Amended Indictment and for an Order in Terms of Rules 53 A) and 59 bis A) ­ in support of which is attached a memorandum], avons été désigné par le Président du Tribunal pour nous prononcer à son sujet.

I. Rappel de la procédure

2. En application de l’article 50 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement  »), l’Accusation demande l’autorisation de modifier les deux actes d’accusation qui ont été établis à l’encontre de Ratko Mladic dans les affaires IT-95-5-I (le « premier acte d'accusation ») et IT-95-18-I (le « deuxième acte d'accusation »). Elle leur a substitué un nouvel acte d’accusation unique (l’« Acte d’accusation modifié ») pour lequel elle demande confirmation. Le 17 octobre 2002, l’Accusation a expliqué ses motifs en notre cabinet et le lendemain, le 18 octobre 2002, elle a déposé un supplément aux pièces jointes qu’elle avait déposées le 11 octobre 2002 .

3. Le premier acte d'accusation avait été déposé le 24 juillet 1995 et confirmé par le Juge Jorda le 25 juillet 1995. En 16 chefs, il impute à Radovan Karadzic et à Ratko Mladic des infractions de génocide, de crimes contre l’humanité, de violations graves des Conventions de Genève de 1949 et de violations des lois et coutumes de la guerre. Dans celui-ci, Ratko Mladic, ancien chef de l’armée des Serbes de Bosnie , est accusé, entre autres, de violations graves du droit international humanitaire commises entre mai 1992 et juillet 1995 en Bosnie-Herzégovine par les forces serbes de Bosnie. Parmi celles-ci, il faut citer la détention, dans des conditions effroyables , de civils musulmans et croates de Bosnie dans un réseau de camps ; le pillage et la destruction de biens musulmans et croates, y compris la destruction d’édifices consacrés à la religion et à la culture ; l’expulsion de leur foyer ou le transfert forcé de milliers de civils dans le but d’éliminer la population musulmane et croate de certaines parties de la BosnieHerzégovine ; le pilonnage de rassemblements civils à Sarajevo, Srebrenica, Zepa, Gorazde, Bihac et Tuzla ; la campagne systématique de tirs isolés contre des civils à Sarajevo ; et la prise en otage de membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies et leur utilisation comme boucliers humains.

4. Le deuxième acte d'accusation avait été déposé le 15 novembre 1995, et confirmé par le Juge Riad le 16 novembre 1995. Il tient Radovan Karadzic et Ratko Mladic pour responsables des violations graves du droit international humanitaire commises par les forces serbes de Bosnie lors de la prise de la « zone de sécurité » de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine en juillet 1995. Il indique que, pendant et immédiatement après la prise de l’enclave par l’armée, des milliers de civils musulmans de Bosnie de sexe masculin ont été systématiquement exécutés en divers endroits. En 22 chefs , le deuxième acte d’accusation impute aux accusés des infractions de génocide, de crimes contre l’humanité et de violations des lois et coutumes de la guerre.

5. Des mandats d’arrêt ont été décernés sur la base de ces actes d’accusation. Ils ont été adressés à la République fédérale de Yougoslavie, à la République de Bosnie Herzégovine et à l’Administration des Serbes de Bosnie à Pale. Radovan Karadzic et Ratko Mladic n’ont cependant pas été arrêtés. Le 18 juin 1996, les juges de confirmation ont ordonné que les deux actes d’accusation soient soumis à la Chambre de première instance pour examen suivant la procédure définie à l’article 61 du Règlement. Plusieurs audiences se sont tenues en juin et juillet 1996. Le 11 juillet 1996, se fondant sur les témoignages entendus et sur les pièces jointes à l’acte d'accusation, la Chambre de première instance a rendu une décision par laquelle elle ordonnait de transmettre des mandats d’arrêt internationaux à « tous les États ». Elle a en outre invité l’Accusation à compléter les actes d’accusation et, en particulier, à mettre en cause dans le chef relatif au génocide (fondé sur l’article 7 3) du Statut) la responsabilité pénale individuelle des accusés en vertu de l’article 7 1) du Statut .

6. Le 18 mai 2000, le Procureur a présenté un acte d’accusation modifié établi à l’encontre de Radovan Karadzic. Le 31 mai 2000, le Juge Wald a autorisé la modification des premier et deuxième actes d'accusation établis à l’encontre de Radovan Karadzic . Convaincue que l’Accusation avait établi qu’au vu des présomptions, il y avait lieu d’engager des poursuites pour tous les chefs retenus dans l’acte d’accusation modifié, elle l’a confirmé et a constaté que l’Accusation n’avait pas demandé l’autorisation de modifier les actes d’accusation établis à l’encontre de Ratko Mladic.

II. L’Acte d'accusation modifié

7. Comme nous l’avons vu, le 11 octobre 2002, l’Accusation a demandé l’autorisation de modifier les deux actes d’accusation établis à l’encontre de Ratko Mladic, ainsi que la confirmation de l’Acte d'accusation modifié. L’Accusation a expliqué que l’Acte d'accusation modifié fusionnait les premier et deuxième actes d'accusation et qu’elle avait réduit le nombre total d’accusations pour ne garder que les plus graves. Elle avance que les modifications visent à s’aligner sur la pratique de mise en accusation actuellement suivie par le Bureau du Procureur et reflètent l’évolution de la jurisprudence du Tribunal international2. Elle souligne également que l’Acte d'accusation modifié pourrait donner lieu à une requête aux fins de jonction avec l’acte d'accusation modifié établi à l’encontre de Radovan Karadzic et confirmé le 31 mai 20003.

8. L’Acte d’accusation modifié comprend, entre autres, les modifications suivantes . Les faits motivant l’accusation de génocide des premier et deuxième actes d’accusation sont maintenant incorporés dans un chef de génocide et un chef de complicité dans le génocide (chefs 1 et 2 respectivement). Les faits motivant l’accusation de persécutions du premier acte d'accusation sont maintenant incorporés dans le chef 3 de l’Acte d'accusation modifié. Les faits motivant les accusations d’extermination et de meurtre du deuxième acte d’accusation sont maintenant incorporés dans les chefs 4, 5 et 6 de l’Acte d'accusation modifié. Les faits motivant les chefs 10 à 12 du premier acte d'accusation sont maintenant incorporés dans les chefs 10, 11, 13 et 14 de l’Acte d'accusation modifié. Les faits motivant l’accusation de prise d’otages sont maintenant incorporés dans le chef 15 de l’Acte d'accusation modifié.

9. Les chefs 3 à 9, 13, 15 et 16 du premier acte d'accusation (détention illégale de civils, atteintes à la dignité des personnes, attaques délibérées contre la population civile et contre des civils, destruction ou endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, destruction de biens, appropriation de biens, pillage de biens publics ou privés, prise de civils en otage, traitements inhumains et traitement cruel) ont été supprimés. Les allégations factuelles qui justifiaient ces accusations ont cependant été reprises pour corroborer les autres chefs retenus dans le nouvel acte d'accusation. Les chefs 3 à 20 du deuxième acte d'accusation (meurtre) ont été supprimés , mais les allégations factuelles qui justifiaient ces accusations ont elles aussi été reprises pour étayer les autres chefs d’accusation.

10. Plusieurs nouveaux chefs d’accusation ont été ajoutés : chef 2 (complicité dans le génocide), chef 7 (expulsion), chef 8 (actes inhumains ­ transfert forcé), chef  9 (terrification illégale des civils) et chef 12 (traitements cruels). L’Acte d'accusation modifié énumère également les municipalités dans lesquelles auraient été commis les crimes pour lesquels est engagée la responsabilité de Ratko Mladic. En outre , il est expressément allégué dans l’Acte d'accusation modifié que Ratko Mladic a participé à une entreprise criminelle commune en tant que coauteur et/ou complice , et il y est souligné que Ratko Mladic est responsable de toutes les conséquences naturelles et prévisibles de la réalisation de cette entreprise criminelle commune .

III. Critère applicable pour l’examen de l’Acte d'accusation modifié

11. Avant de confirmer l’acte d’accusation déposé en application des articles 18 et 19 du Statut modifié du Tribunal international (le « Statut »)4 et de l’article 47 du Règlement, nous devons être convaincu que l’Accusation a établi qu’au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites.

12. Le Statut ne définit pas le concept de « prima facie case » (expression traduite par « présomptions » dans la version française du Statut). L’absence d’une telle définition transparaît dans la jurisprudence du Tribunal. En décidant qu’au vu des présomptions, il y avait lieu d’engager des poursuites, les juges chargés de l’examen ont parfois fixé un critère à appliquer, mais cela n’a débouché sur aucune interprétation unanime du concept de « présomptions ». En voici plusieurs exemples.

13. En août 1995, le Juge Sidhwa a confirmé l’acte d'accusation établi à l’encontre de l’accusé Rajic en application de l’article 47 du Règlement, qui dispose que l’Accusation établit un acte d'accusation s’il existe des éléments de preuve suffisants pour soutenir raisonnablement qu’un suspect a commis une infraction, et il a souligné que cet article était une interprétation de l’article 19 du Statut5. En novembre 1995, le Juge Riad a accepté cette interprétation et a confirmé les actes d'accusation établis à l’encontre de Mrksic, Karadzic et Mladic. Dans les deux affaires, il a déclaré qu’il existait des éléments de preuve suffisants pour soutenir raisonnablement que les accusés avaient commis les crimes qui leur étaient reprochés6.

14. En novembre 1995 également, le Juge Kirk MacDonald a examiné l’acte d'accusation établi dans l’affaire Kordic et consorts7 et n’a pas été convaincue que l’article 47 du Règlement, qui se rapportait à l’article  18 4) du Statut, était une interprétation satisfaisante de l’article 19 du Statut . À la recherche d’une autre interprétation, elle s’est tournée vers le commentaire de l’article 27 du projet de Statut d’une Cour pénale internationale (« CPI ») adopté par la Commission du droit international en 1994, où il est précisé ce qui suit  : « À cette fin, on entend par les mots "à première vue matière à poursuites" une présomption reposant sur des éléments crédibles qui, si la défense n’apporte pas à cet égard d’éléments contradictoires valables, serait une base assez solide pour établir la culpabilité de l’accusé8  ». Par la suite, cette interprétation a été appliquée par d’autres juges de confirmation 9.

15. En 2001, le Juge Hunt, juge de confirmation dans l’affaire Milosevic et consorts , qui avait déjà appliqué le critère utilisé par le Juge Kirk McDonald10, a déclaré que, depuis 1999, la question du caractère suffisant des présomptions avait été abondamment examinée11. Se fondant sur plusieurs décisions relatives à des demandes d’acquittement et sur l’Arrêt Delalic, le Juge Hunt a conclu que, même si le critère était identique en substance, il était désormais formulé de la manière suivante : il faut se demander « s’il existe des moyens de preuve au vu desquels (s’ils sont admis) un juge du fond raisonnable pourrait être convaincu au-delà du doute raisonnable que l’accusé est coupable du chef d’accusation précis en cause12  ».

16. Cette formulation découle du critère appliqué par les juges pour statuer sur une demande d’acquittement déposée en vertu de l’article 98 bis du Règlement , une fois les moyens à charge évalués par la Défense, à savoir à un stade de la procédure postérieur à l’examen de l’acte d'accusation13. Dans cet esprit, dans l’affaire Milosevic et consorts, le Juge May a estimé que le critère formulé par le Juge Kirk McDonald en 1995 était celui qui convenait le mieux, à ce stade de la procédure, à l’examen de l’acte d'accusation14.

17. Nous tenons toutefois à souligner que, bien que le Juge Kirk McDonald ait adopté le critère défini dans le projet de Statut de la CPI15, c’est un autre critère qui a été adopté dans le Statut de Rome de la CPI de 1998 . Alors que l’article 58 de ce Statut dispose qu’un suspect peut être arrêté et détenu s’il y a des motifs raisonnables de croire qu’il a commis les crimes qui lui sont reprochés, l’article 61 7) exige, pour qu’une personne puisse être jugée , qu’il y ait des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire qu’elle a commis chacun des crimes qui lui sont imputés.

18. Nous l’avons vu, au sein du Tribunal, il n’existe aucune définition des « présomptions  » qui serait généralement acceptée et uniformément appliquée16. En l’absence d’une telle définition au sein du Tribunal et en droit coutumier ou conventionnel17, il pourrait être utile d’analyser les mécanismes d’examen qui existent dans les systèmes nationaux de procédure pénale et qui traitent de la question de savoir s’il y a lieu d’engager des poursuites à l’encontre d’un suspect ou d’un accusé.

19. Dans la plupart18 des systèmes nationaux que nous avons examinés, nous avons constaté que les tribunaux statuaient sur cette question à l’issue de la phase préalable au procès et avant l’ouverture de celui-ci. Lorsque l’accusation ou un juge de la mise en état estime que les enquêtes ou auditions préalables au procès ont été menées à bien, une audience se tient, lors de laquelle l’accusé peut contredire ou contester les moyens de preuve de l’Accusation . Le juge, un collège de juges19 ou un jury peut alors décider s’il est justifié d’engager des poursuites contre l’accusé . La prise d’une telle décision nécessite bien sûr une évaluation provisoire de la solidité du dossier à charge. Il est important de noter qu’alors qu’au Tribunal , l’examen de l’acte d'accusation et la prise de la décision d’arrêter l’accusé sont simultanés, dans la plupart des juridictions internes, il est possible de délivrer un mandat d’arrêt ou une ordonnance de mise en détention avant que ne soient confirmées les accusations portées contre un suspect. L’évaluation provisoire de la solidité du dossier à charge se fait donc avant la confirmation des accusations20, sur la base d’un critère d’appréciation généralement moins exigeant, de manière à prendre en compte le stade prématuré de la procédure21.

20. En examinant les décisions relatives à la question de savoir s’il y a lieu d’engager des poursuites contre un accusé, nous avons remarqué que le critère utilisé pour évaluer la solidité de la cause de l’Accusation, notamment les éléments juridiques et factuels, est parfois formulé de manière négative lorsqu’il y a non-lieu. Par exemple, si le juge pense que la preuve à l’égard de l’infraction dont le suspect est accusé n’est pas suffisante pour qu’il subisse un procès22, ou si les éléments de preuve23 ou les indices rationnels24 sont insuffisants , il convient de prononcer le non-lieu. Parfois cependant, les décisions d’engager des poursuites et de juger l’accusé sont formulées de manière affirmative25, comme par exemple « renvoyer l’accusé pour qu’il subisse son procès si […] la preuve à l’égard de l’infraction dont il est accusé […] est suffisante26  » ou si, sur la base des enquêtes préalables au procès, la suspicion est suffisamment fondée27.

21. Les différences entre les systèmes nationaux ne se limitent pas à la formulation du critère applicable. Le contexte procédural peut lui aussi être différent. Parfois , l’examen se fait sans que l’accusé en ait été informé, parfois il a lieu à la suite d’une audience à laquelle il comparaît ou peut comparaître. Dans certains systèmes juridiques, c’est à l’accusé de demander l’examen du dossier à charge28, tandis que dans d’autres, la décision est généralement prise avant le début du procès . En dépit des différences entre les systèmes nationaux à cet égard, nous pensons que cet examen remplit la même fonction partout et poursuit le même objectif que l’article 19 du Statut.

22. Le but des mécanismes d’examen susmentionnés est de protéger l’accusé contre des accusations abusives et infondées. Être traduit en justice est une épreuve difficile et un accusé ne devrait pas subir un procès si, dès le début, il est peu probable que sa culpabilité soit établie. La version française de l’article 19 du Statut semble également exprimer ce concept. Elle prévoit que, si le Procureur « a établi qu’au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites », le juge chargé de l’examen confirme l’acte d'accusation. En français, le critère d’appréciation implicite est qu’il doit exister des motifs raisonnables pour engager des poursuites et juger l’accusé. La version française semble moins se préoccuper de trouver une formulation peu ambiguë du critère d’appréciation que de déterminer si les éléments de preuve justifient que des poursuites soient engagées contre l’accusé. Néanmoins, il va de soi que, pour déterminer s’il est raisonnable d’engager des poursuites contre un accusé, il faut toujours qu’il y ait une perspective réaliste qu’il soit reconnu coupable.

23. La gravité des crimes qui relèvent de la compétence du Tribunal nous incite à la prudence. Être traduit en justice pour répondre de telles accusations est bien plus pénible que de se voir juger pour des crimes ordinaires. Cependant, les personnes qui se sont présentées comme les victimes des crimes présumés peuvent légitimement espérer que le Tribunal ne relaxera pas un suspect ou un accusé de manière inconsidérée 29. Ce serait le cas si l’Accusation n’était pas autorisée à engager des poursuites lorsqu’il existe une perspective réaliste qu’un accusé soit reconnu coupable sur la base des moyens de preuve présentés. C’est néanmoins à la Chambre de première instance qu’il revient de se prononcer en dernier lieu sur la culpabilité ou l’innocence de l’accusé.

24. Nous souhaitons prendre un autre aspect en compte, à savoir que dans le système juridique du Tribunal, à la différence de la plupart des systèmes de procédure pénale , l’accusé n’a pas encore eu la possibilité de contredire ou de contester les éléments de preuve. Il existe une plus grande probabilité qu’il soit reconnu coupable sur la seule base d’éléments de preuve qui n’ont pas été contredits ni contestés. Nous reconnaissons que cet aspect ne permet pas d’appliquer un critère d’appréciation moins exigeant.

25. Nous tenons également compte du fait que, devant le Tribunal, l’examen de la solidité du dossier de l’Accusation intervient relativement tôt dans la procédure et non pas immédiatement avant l’ouverture du procès, comme c’est le cas dans la plupart des systèmes juridiques internes.

26. Par ces motifs et au vu des versions anglaise et française du Statut, nous nous acquittons de l’obligation que nous impose l’article 19 et autorisons l’Accusation à engager des poursuites à l’encontre de l’accusé, à condition que les moyens de preuve à charge, s’ils sont acceptés et non contredits, appuient suffisamment la probabilité que l’accusé soit reconnu coupable par un juge du fait raisonnable.

IV. Conclusions et ordonnances

27. Nous souscrivons à l’idée que l’Acte d’accusation modifié unique permettra d’accélérer le déroulement de la procédure si Ratko Mladic est arrêté et, par conséquent, nous FAISONS DROIT à la requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de déposer l’Acte d’accusation modifié.

28. Sur la base des pièces fournies par l’Accusation les 11 et 18 octobre 2002 et après avoir entendu celle-ci en notre cabinet le 17 octobre 2002, nous sommes convaincus que, s’ils sont acceptés et non contredits, les moyens de preuve à charge appuient suffisamment la probabilité que l’accusé soit reconnu coupable par un juge du fait raisonnable.

29. Par conséquent, en application des dispositions de l’article 19 du Statut et de l’article 47 du Règlement, nous CONFIRMONS l’Acte d’accusation modifié en tous ses chefs sans exception.

30. En outre, en application des articles 50, 53, 53 bis, 54, 55 et 59 bis, nous ORDONNONS ce qui suit :

1. des copies du mandat d’arrêt joint en annexe seront remises au Procureur qui pourra le transmettre à son tour à la Force de stabilisation internationale (la  « SFOR ») et/ou aux autorités compétentes de tout État membre de l’Organisation des Nations Unies; et

2. des copies du mandat d’arrêt seront transmises aux autorités de la République fédérale de Yougoslavie, en particulier aux autorités de la République de Serbie et à celles de la Republika Srpska ; et

3. les pièces justificatives ne seront pas communiquées au public jusqu’à nouvel ordre.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

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M. le Juge Alphons Orie

Fait le 8 novembre 2002
La Haye, Pays-Bas


1 - « Mémorandum à l’appui de la Requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de déposer un acte d’accusation modifié, de confirmation de l’acte d’accusation modifié et de délivrance d’une ordonnance en application des articles 53 A) et 59 bis A) du Règlement », déposé le 11 octobre 2002 [Memorandum in Support of Prosecutor’s Motion for Leave to File an Amended Indictment, for Confirmation of the Amended Indictment, and for an Order in Terms of Rules 53 (A) and 59 bis (A)].
2 - Ibid., par. 16.
3 - Ibid.
4 - Texte de l’article 18 4) du Statut (Information et établissement de l’acte d'accusation) : « S’il décide qu’au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites, le Procureur établit un acte d’accusation dans lequel il expose succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à l’accusé en vertu du statut. L’acte d’accusation est transmis à un juge de la Chambre de première instance. » ; texte de l’article 19 du Statut (Examen de l’acte d'accusation) : « 1. Le juge de la Chambre de première instance saisi de l’acte d’accusation examine celui-ci. S’il estime que le Procureur a établi qu’au vu des présomptions, il y a lieu d’engager des poursuites, il confirme l’acte d’accusation. A défaut, il le rejette. 2. S’il confirme l’acte d’accusation, le juge saisi, sur réquisition du Procureur, décerne les ordonnances et mandats d’arrêt, de détention, d’amener ou de remise de personnes et toutes autres ordonnances nécessaires pour la conduite du procès. »
5 - Le Procureur c/ Rajic, Confirmation de l’acte d'accusation, affaire n° IT-95-12-I, 29 août 1995. Le Juge Sidhwa a déclaré que le terme « présomptions » n’était pas fondé en droit international dans un « quelconque principe uniforme ou un jeu de paramètres ».
6 - Le Procureur c/ Mrksic et consorts, Confirmation de l’acte d'accusation, affaire n° IT-95-13-I, 7 novembre 1995 ; Le Procureur c/ Karadzic et Mladic, Examen de l’acte d'accusation, affaire n° IT-95-5/18-I, 16 novembre 1995.
7 - Le Procureur c/ Kordic et consorts, Confirmation de l’acte d'accusation, affaire n° IT-95-14-I, 10 novembre 1995.
8 - Ibid., p. 2 et 3, adoptant le Rapport de la Commission du droit international (qui comprend le projet de Statut et les commentaires), Document des Nations Unies A/49/10 (1994), p. 102 et 103.
9 - Voir par exemple Le Procureur c/ Milosevic et consorts, Décision relative à la requête aux fins de modification de l’acte d'accusation et à la confirmation de l’acte d'accusation modifié /sic/, affaire n° IT-99-37-I, 29 juin 1999 /sic/, par. 4, note de bas de page omise (Juge Hunt).
10 - Voir note 9 ci-dessus.
11 - Le Procureur c/ Milosevic et consorts, Décision relative à la requête aux fins de modification de l’acte d'accusation et à la confirmation de l’acte d'accusation modifié, affaire n° IT-99-37-I, 29 juin 2001, par. 3, note de bas de page omise.
12 - Ibid.
13 - Voir, par exemple, Le Procureur c/ Jelisic, Arrêt, affaire n° IT-95-10-A, 5 juillet 2001, par. 36.
14 - Le Procureur c/ Milosevic, Décision relative à l’examen de l’acte d'accusation, affaire n° IT-99-37-I, 22 novembre 2001, par. 14.
15 - Voir note 8 ci-dessus.
16 - Le Juge Sidhwa a examiné plusieurs sources de droit international et a conclu que le terme « présomptions » n’était pas fondé en droit international dans un quelconque principe uniforme ou un jeu de paramètres, voir note 5 ci-dessus.
17 - Ibid.
18 - Nous n’avons pas trouvé de mécanisme de ce genre dans le système de procédure pénale du Rwanda, par exemple.
19 - On trouve des exemples de collèges de juges dans le code de procédure pénale (modifié) de la RSFY de 1953 (art. 249) et dans le code de procédure pénale de la RSFY de 1977 (art. 270).
20 - Le critère est alors le suivant : le dossier à charge est-il assez solide pour justifier le maintien de l’accusé en détention provisoire, si d’autres conditions sont également remplies ; voir par exemple la comparution initiale aux États-Unis.
21 - Au Tribunal, un critère d’appréciation moins exigeant est également appliqué par l’Accusation au début de la procédure, lorsqu’elle demande l’examen de l’acte d'accusation ; voir article 47 B) du Règlement.
22 - Ces termes sont utilisés par exemple à l’article 548, paragraphe 1) du Code criminel du Canada et à l’article 135 du Criminal Procedure Act (code de procédure pénale) d’Afrique du Sud. Les éléments de preuve seront certainement insuffisants s’il s’avère que l’accusé n’a pas commis l’infraction, comme le formule l’article 425 du Codice di procedura penale (code de procédure pénale italien).
23 - Voir l’article 177 du Code de procédure pénale français : « s’il n’existe pas de charges suffisantes contre la personne […] » ; ou l’annexe 3 du Crime and Disorder Act 1998 (Loi de 1998 sur la prévention de la criminalité et des troubles à l’ordre public, Angleterre) : « s’il lui semble que les éléments de preuve produits contre le requérant ne sont pas suffisants pour qu’un jury le déclare coupable à bon droit […] »
24 - Voir l’article 637 de la Ley de Enjuiciamento (code de procédure pénale espagnol) : « cuando no existan indicios racionales […] » (« lorsqu’il n’existe pas d’indices rationnels […] »).
25 - Voir par exemple l’acceptation des accusations alléguées dans un acte d'accusation par un grand jury aux États-Unis ou l’Eröffnungsbeschluß prévu à l’article 203 du code de procédure pénale allemand (StPO).
26 - Article 548, paragraphe 1) du Code criminel du Canada.
27 - Article 203 du Strafprozessordung (code de procédure pénale allemand).
28 - Par exemple, le paragraphe 1) de l’article 2 de l’annexe 3 au Crime and Disorder Act 1998 (Angleterre) autorise une personne contre laquelle sont engagées des poursuites à demander que soient rejetées les accusations portées contre elle. Avant l’entrée en vigueur de ce texte, on procédait à un examen des éléments de preuve disponibles lors d’une enquête préliminaire. Bien qu’en général, ce soit l’accusé qui demande l’examen, dans le système sud-africain, seul le procureur est autorisé à entreprendre l’examen préliminaire qui pourrait entraîner un non-lieu (article 135 du code de procédure pénale de l’Afrique du Sud).
29 - Le rejet d’un chef d’accusation en vertu de l’article 47 F) du Règlement n’interdit pas au Procureur d’établir ultérieurement un nouvel acte d’accusation modifié à l’encontre de la même personne, pour autant que des éléments de preuve supplémentaires soient produits à l’appui en vertu de l’article 47 I).