Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 9 juillet 2012

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 13 heures 06.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes  les

  6   personnes qui sont dans son prétoire et à l'extérieur de ce prétoire.

  7   Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.

  8   Mme LA GREFFIERE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Il s'agit

  9   de l'affaire IT-09-92-T, le Procureur contre Ratko Mladic.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame la Greffière.

 11   Avant que nous n'entendions la déposition du premier témoin, il y a

 12   quelques questions de procédure que je souhaite aborder brièvement. La

 13   première question porte sur la précision des instructions sur la

 14   présentation et le versement au dossier des éléments de preuve. Le 19 juin,

 15   la Chambre a envoyé un exemplaire par e-mail de ses orientations ou de ses

 16   conseils sur la présentation et le versement au dossier des éléments de

 17   preuve, et ceci est maintenant consigné au compte rendu d'audience.

 18   Monsieur Mladic…

 19   Donc nous allons commencer.

 20   La Chambre de première instance va maintenant préciser davantage ou

 21   modifier ses conseils sur le versement au dossier des éléments de preuve.

 22   Dans un premier temps, il a été présenté le 10 novembre 2011, puis précisé

 23   et modifié le 8 décembre 2011, puis le 23 février 2012, le 29 mars 2012 et

 24   le 24 avril 2012. Le 3 mai 2012, l'Accusation a exprimé ses préoccupations

 25   eu égard aux conseils de la Chambre. La Chambre avait déjà répondu à

 26   nombreuses de ses préoccupations lorsqu'elle avait précisé et modifié ses

 27   conseils du 24 avril 2012, et l'on ne répètera pas cela ici. Mais au vu des

 28   préoccupations réitérées par l'Accusation ainsi qu'au vu des requêtes ou


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  1   des demandes présentées au titre de l'article 92 ter déposées depuis le 24

  2   avril 2012, la Chambre a décidé de préciser à nouveau ses conseils, de

  3   présenter de nouvelles modifications et de fournir de plus amples

  4   précisions à propos de l'approche qu'elle a l'intention d'adopter.

  5   L'Accusation a demandé, entre autres, que la Chambre fournisse des

  6   conseils, et je cite, "et prenne en considération les préférences de la

  7   Chambre eu égard aux éléments de preuve présentés devant la Chambre." La

  8   Chambre informe les parties que les conseils qui sont fournis sont une

  9   indication donnée aux deux parties par rapport aux préférences de la

 10   Chambre en matière de versement au dossier et de présentation des éléments

 11   de preuve, et la Chambre s'attend à ce que les deux parties respectent ces

 12   conseils. Si de bonnes raisons sont présentées, la Chambre peut faire droit

 13   aux demandes présentées par les parties lorsqu'elles demanderont à

 14   s'écarter de ces conseils. Comme le demande l'Accusation et comme la

 15   Chambre l'a déjà indiqué lors de ses précisions préalables, les différents

 16   cas seront examinés et les décisions seront prises au cas par cas. La

 17   Chambre donnera des décisions par écrit ou de façon orale lorsque les

 18   parties présenteront des demandes aux fins d'admission d'éléments de preuve

 19   conformément à l'article 92 bis, ter et quater, ainsi que directement.

 20   La Chambre va faire preuve d'une certaine souplesse lorsqu'elle

 21   mettra en œuvre ces conseils. L'un de aspects les plus importants de ces

 22   conseils n'est pas le nombre ou les limitations pour ce qui est du nombre

 23   et des délais. Ce qui est extrêmement important en matière de présentation

 24   ciblée des éléments de preuve, notamment pour éviter qu'il y ait des

 25   doublons et pour assurer que la Chambre ne soit pas littéralement submergée

 26   d'éléments de preuve sur lesquels les parties ont décidé de ne pas

 27   s'appuyer en fin de compte.

 28   La Chambre, donc, présente les précisions suivantes ainsi que les


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  1   modifications aux conseils au vu de ce qui vient d'être avancé par les

  2   parties. Eu égard au nombre de déclarations de témoin versées au dossier

  3   sous le régime de l'article 92 ter, la Chambre modifie son conseil de la

  4   façon suivante : outre une déclaration de témoin, la Chambre acceptera une

  5   ou plusieurs autres déclarations complémentaires succinctes, soit qu'elles

  6   existent déjà, soit qu'elles seront prises en considération, pour traiter

  7   des questions plus précises ou des corrections à apporter à la déclaration

  8   première.

  9   Qui plus est, la Chambre modifie ses conseils eu égard à l'article 92

 10   bis, ter et quater, pour ce qui est de ces témoins sous le régime de cet

 11   article, de la façon suivante : la Chambre acceptera deux ou plusieurs

 12   déclarations de témoin qui pourront être versées au dossier en application

 13   des articles mentionnés à condition que les déclarations différentes

 14   englobent différents sujets. Eu égard au temps octroyé pour

 15   l'interrogatoire principal des témoins sous le régime de l'article 92 ter,

 16   dans sa décision relative à l'article 73 bis (C), la Chambre a d'ores et

 17   déjà accepté que ces interrogatoires pourraient prendre plus d'une demi-

 18   heure. En fait, la moyenne pour ce qui est des témoins sous le régime de

 19   l'article 92 ter qui figurent sur la liste à charge de l'Accusation est

 20   environ une heure. Par conséquent, point n'est besoin que l'Accusation

 21   demande des exceptions au conseil, à condition qu'elle ait l'intention de

 22   s'en tenir à la limite de temps indiquée dans sa liste de témoins qui a été

 23   acceptée par la Chambre.

 24   Eu égard aux préférences de la Chambre pour les déclarations de

 25   témoin plutôt que des comptes rendus d'audience émanant d'affaires

 26   précédentes, la Chambre n'insistera pas à chaque fois pour que la

 27   déclaration soit fournie par les témoins qui en ont déjà fourni une. La

 28   Chambre considérera les raisons qui seront fournies par l'une ou l'autre


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  1   partie, qui indiqueront pourquoi une déclaration de témoin ne pourra pas

  2   être prise en considération. Le fait que cela pose un problème au témoin

  3   dans une certaine mesure ne sera pas considéré comme une raison suffisante.

  4   Si la raison est que le témoin n'est absolument pas disposé à coopérer avec

  5   la partie en question et si le témoin, par exemple, ne peut pas fournir les

  6   mêmes informations que dans la déclaration qu'il a fournie lors de sa

  7   déposition dans une affaire précédente, la Chambre examinera de façon très

  8   méticuleuse ce problème afin de voir si le témoignage d'un tel témoin

  9   pourra être présenté par le truchement de l'article 92 ter ou 92 bis. Si la

 10   partie a des raisons de croire que le témoin ne va pas s'en tenir à sa

 11   déposition précédente, la méthode la plus efficace consistera peut-être à

 12   demander au témoin de déposer viva voce. La partie en question pourra

 13   ensuite verser au dossier le témoignage précédent, qui sera considéré comme

 14   une déclaration précédente non conforme à ce que le témoin aura dit, et ce,

 15   en application de la jurisprudence du Tribunal.

 16   Eu égard aux témoins de l'article 92 bis, si des déclarations de

 17   témoin existent mais que la partie considère que le témoignage obtenu dans

 18   une affaire précédente permettra de mieux prendre en considération les

 19   éléments de preuve dudit témoin et que le fait de refaire une nouvelle

 20   déclaration pourrait traumatiser le témoin ou pourrait représenter un lourd

 21   fardeau pour le témoin en question, la Chambre considérera l'admission du

 22   compte rendu d'audience. L'exemple donné par l'Accusation à ce sujet a

 23   trait au Témoin Dzenana Sokolovic. Cet exemple met en exergue un autre

 24   aspect que les parties, en fait, devraient prendre en considération avant

 25   de déposer une demande au titre de l'article 92 bis, 92 ter ou 92 quater;

 26   en d'autres termes, il faut essayer d'éviter qu'il y ait des recoupements

 27   entre les faits déjà jugés pour lesquels la Chambre a dressé un constat

 28   judiciaire et les témoignages.


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  1   Il semblerait que les faits déjà admis numéro 2317, 2318 et 2319

  2   couvrent une partie essentielle de la déposition du témoin, c'est ainsi en

  3   tout cas que cela est décrit dans le résumé au titre de l'article 65 ter

  4   préparé par l'Accusation. Ces faits émanent du jugement dans l'affaire

  5   Dragomir Milosevic. En l'espèce, la Chambre s'est reposée sur ses

  6   conclusions à propos de cet incident, et il s'agit essentiellement de la

  7   déposition du Témoin Sokolovic. Fondamentalement, l'Accusation a demandé

  8   que la Chambre dresse un constat judiciaire des faits relatifs à cet

  9   incident et demande maintenant à ce que cela soit versé au dossier, cela

 10   étant la déposition sur laquelle s'appuient ces faits.

 11   A ce sujet, la Chambre attire également l'attention des parties sur

 12   la demande au titre de l'article 92 ter pour le Témoin RM007, dont les

 13   éléments de preuve semblent déjà être considérablement englobés par un

 14   certain nombre de faits déjà admis, notamment les faits suivants : 460, 462

 15   jusqu'à 465, 468 à 476, 478 à 480, 1141 à 1144, 1146, 1165 à 1169, 1190 et

 16   1192.

 17   L'Accusation a par la suite modifié le statut de ce témoin, qui était

 18   un témoin sous régime 92 ter, au statut d'un témoin viva voce, mais le

 19   risque de recoupement entre les faits déjà admis et la déposition du témoin

 20   demeure. Il se peut qu'il y ait d'autres exemples de demandes présentées au

 21   titre de l'article 92 ter pour lesquelles il y aura des doublons ou des

 22   recoupements inutiles.

 23   Pour tous les témoins viva voce et pour tous les témoins sous le

 24   régime de l'article 92 bis, ter et quater, ainsi que sous le régime des

 25   demandes au titre de l'article 94 bis, la Chambre s'attend à ce que les

 26   parties étudient de façon extrêmement soigneuse les passages de la

 27   déposition prévue qui ont trait aux faits déjà admis et qui ne seront donc

 28   peut-être pas nécessaires d'entendre, et nous demandons aux parties de


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  1   diminuer les éléments de preuve conformément. La Chambre insiste sur le

  2   fait que cela devra être fait avant de présenter des demandes au titre de

  3   l'article 92 ou 94 bis. Si les parties considèrent qu'il est toujours

  4   nécessaire de présenter lesdits éléments de preuve, la Chambre s'attend à

  5   ce qu'ils expliquent très clairement pourquoi les éléments de preuve

  6   devront être présentés à nouveau.

  7   Eu égard aux pièces à conviction connexes, la Chambre adoptera une

  8   attitude souple pour ce qui est du nombre exact de ces documents. La

  9   Chambre rappelle la jurisprudence à ce sujet qui autorise le versement au

 10   dossier de documents au titre des articles 92 bis, 92 ter et 92 quater

 11   s'ils sont une partie absolument indispensable et inséparable des

 12   déclarations du témoin ou de comptes rendus d'audience provenant d'une

 13   affaire précédente. La Chambre a l'intention, lorsqu'elle veut limiter le

 14   nombre de documents qui seront versés au dossier en faisant référence aux

 15   articles mentionnés, de faire en sorte que la présentation des éléments de

 16   preuve soit le plus clair possible. Dans la plupart des cas, cela est

 17   obtenu lorsque les documents sont présentés par le truchement du témoin qui

 18   se trouve dans le prétoire, ce qui permet au témoin de fournir des

 19   explications et des observations à propos des documents. La Chambre préfère

 20   de loin cette méthode de versement au dossier des documents. Toutefois, le

 21   versement au dossier de documents allant de pair avec les déclarations des

 22   témoins ne perturbera pas dans certaines circonstances la précision de la

 23   présentation des éléments de preuve d'une partie. Je pense, par exemple, à

 24   des photographies, à des cartes, à des croquis dessinés par les témoins, et

 25   à d'autres illustrations semblables qui ont trait à la teneur d'une

 26   déclaration, ainsi qu'à des documents beaucoup plus succincts auxquels il

 27   est fait référence de façon claire à la déclaration du témoin.

 28   Qui plus est, eu égard aux pièces à conviction connexes, la Chambre


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  1   s'attend à ce que les parties examinent de façon méticuleuse pourquoi les

  2   différents documents devront être versés au dossier. L'Accusation donne

  3   l'exemple de M. David Harland par le truchement duquel elle souhaite verser

  4   au dossier 35 documents en application de l'article 92 ter. La Chambre a

  5   examiné certains des documents et se permet de faire les observations

  6   suivantes à l'Accusation : le document numéro 16 est un document de 21

  7   pages de la FORPRONU, un rapport rédigé par le témoin. Au paragraphe 171 de

  8   sa déclaration, le témoin résume la teneur de ce rapport en décrivant la

  9   situation à Sarajevo et dans d'autres lieux en mars 1995. Si l'information

 10   émanant de ce rapport sur laquelle l'Accusation souhaite attirer

 11   l'attention de la Chambre est l'information qui figure au paragraphe 171 de

 12   la déclaration, point n'est besoin de présenter le rapport. A ce sujet, la

 13   Chambre insiste sur le fait que les parties ne devront absolument pas

 14   submerger la Chambre de documents lors de la présentation de leurs moyens

 15   de preuve, et les parties devront prévoir et réagir aux éléments de preuve

 16   qui seront présentés par rapport aux éléments de preuve des différentes

 17   parties. Si la Défense, par exemple, souhaite contester la description du

 18   paragraphe 171 et souhaite indiquer que cela n'est pas exact, elle pourra,

 19   certes, demander le versement au dossier du rapport lors du contre-

 20   interrogatoire, ou l'Accusation pourra le faire lors des questions

 21   supplémentaires. S'il y a un autre élément du rapport sur lequel

 22   l'Accusation souhaite attirer l'attention de la Chambre, la méthode

 23   appropriée consiste à poser des questions au témoin dans le prétoire.

 24   Sinon, la Chambre pourra étudier le document toute seule et n'aura

 25   absolument aucune indication très claire à propos de ces 21 pages que

 26   l'Accusation considère si importantes pour la présentation de ses moyens à

 27   charge, outre ce qui figure déjà dans la déclaration du témoin.

 28   La Chambre a certaines réserves, par exemple, à propos du document


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  1   numéro 1 : le témoin fournit des explications aux paragraphes 47 et 48 de

  2   sa déclaration. Nous avons également quelques réserves à propos du document

  3   numéro 6 : le témoin cite ce document aux paragraphes 91 à 94.

  4   En un mot comme en cent, la Chambre considérera ou envisagera toute

  5   demande d'admission de pièces à conviction connexes sous le régime de

  6   l'article 92 bis, ter et quater, quel que soit le nombre exact de

  7   documents. La Chambre va envisager de façon très sérieuse le besoin de

  8   présentation de chaque document pour pouvoir apprécier les éléments de

  9   preuve présentés par les témoins et s'attend à ce que les parties fassent

 10   la même chose avant de présenter des demandes.

 11   J'en ai même terminé avec cette précision supplémentaire de la

 12   Chambre ainsi qu'avec les modifications eu égard aux conseils.

 13   Alors, l'autre question qui est à mon ordre du jour pour ce qui est

 14   des questions de procédure. Alors, pour ce qui est des audiences que nous

 15   allons tenir aujourd'hui et demain, nous allons siéger l'après-midi et nous

 16   commencerons à 13 heures, et d'après les derniers éléments d'information

 17   qui nous ont été présentés, nous allons pouvoir procéder de la manière

 18   suivante : la Chambre a l'intention de siéger mercredi, jeudi et vendredi

 19   de 9 heures du matin à 13 heures 45. Ceci pose t-il un quelconque problème

 20   pour l'Accusation ou la Défense ?

 21   M. GROOME : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Pas du côté de

 22   l'Accusation en tout cas.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Du côté de la Défense, ceci vous pose t-

 24   il un quelconque problème pour cet après-midi et demain après-midi, et

 25   mercredi, jeudi, vendredi, le matin ?

 26   M. LUKIC : [interprétation] Pas du tout, en ce qui nous concerne.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pas du tout. Je vous remercie, Maître

 28   Lukic.


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  1   [La Chambre de première instance se concerte] 

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors, l'autre point à mon ordre du jour

  3   concerne une requête de la Défense aux fins de suspendre les débats ou de

  4   revoir les recommandations amendées sur le versement et la présentation des

  5   éléments de preuve, une requête qui a été déposée le 9 juillet, à savoir ce

  6   matin. Si l'Accusation avait l'intention de répondre oralement, dans ce cas

  7   l'Accusation peut le faire. Mais si, en revanche, Monsieur Groome, vous

  8   préférez répondre par écrit, dans ce cas je vous demande de bien vouloir

  9   préciser aux Juges de la Chambre à quel moment vous pensez pouvoir faire

 10   cela.

 11   M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, il s'agit là d'une des

 12   quatre requêtes qui ont été déposées aujourd'hui par la Défense --

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je commence par celle-ci.

 14   M. GROOME : [interprétation] Je serais disposé à répondre oralement demain

 15   matin. Mais je fais remarquer qu'eu égard à cette requête en particulier,

 16   ceci n'implique aucunement la déposition du premier témoin, M. Pasic, que

 17   l'Accusation a l'intention d'appeler à la barre. C'est un témoin qui va

 18   déposer viva voce. Donc, à notre sens, ceci n'empêche en rien la déposition

 19   de ce témoin.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, avez-vous quelque chose à

 21   dire eu égard à cette demande de l'Accusation qui souhaite répondre demain

 22   oralement ?

 23   M. LUKIC : [interprétation] Nous n'avons aucun problème avec cela, Monsieur

 24   le Président.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Aucun problème à cet égard.

 26   [La Chambre de première instance se concerte]

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Groome, nous ne vous avons pas

 28   mal compris lorsque vous nous avez dit que vous allez nous présenter vos


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  1   arguments oralement demain après-midi. Nous sommes bien d'accord ?

  2   M. GROOME : [interprétation] Oui, tout à fait. Pardonnez-moi.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dans ce cas, je vais passer à une autre

  4   requête qui a également été déposée aujourd'hui, à savoir la requête de la

  5   Défense aux fins de surseoir au contre-interrogatoire de Richard Dannatt,

  6   et ce, suspendre les débats pendant 90 jours. Ceci fera partie de vos

  7   arguments présentés oralement, n'est-ce pas, Monsieur Groome ?

  8   M. GROOME : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Nous allons y

  9   répondre oralement demain et répondre aux quatre requêtes demain.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il se peut, Maître Lukic, que les Juges

 11   de la Chambre ne vont pas rendre une décision sur la requête portant sur le

 12   fait de suspendre le contre-interrogatoire avant d'avoir entendu

 13   l'interrogatoire principal, et nous allons voir comment procéder après

 14   avoir entendu la réponse de M. Groome.

 15   M. LUKIC : [interprétation] Une chose.

 16   Pour ce qui est de la quatrième requête, la requête de la Défense

 17   concernant la requête 0442 [comme interprété], la requête versée

 18   directement à l'audience, j'ai entendu dire de la part de l'Accusation ce

 19   matin qu'ils n'avaient pas l'intention d'utiliser cette pièce à conviction

 20   du tout. Peut-être qu'il ne serait donc pas nécessaire de répondre dans le

 21   détail.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Quelle est la situation du côté de

 23   l'Accusation ?

 24   M. GROOME : [interprétation] En fait, l'Accusation doit vous dire que ce

 25   document ne figure pas sur la liste des pièces. Je n'ai pas l'intention de

 26   verser au dossier ce document-là, c'est ce que j'ai dit à Me Lukic, par le

 27   truchement de ce témoin et je ne vois pas comment je pourrais le faire lors

 28   des questions supplémentaires, et j'encourage Me Lukic à m'appeler dans ce


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  1   cas. Et ceci aurait pu être régler sans devoir en parler aux Juges de la

  2   Chambre.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Groome.

  4   [La Chambre de première instance se concerte]

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Outre le fait d'avoir fait la remarque

  6   que vous venez de faire, Maître Lukic, avez-vous une quelconque raison

  7   justifiant le retrait d'une quelconque de vos requêtes, compte tenu des

  8   informations qui viennent de vous être présentées ?

  9   M. LUKIC : [interprétation] Si vous le permettez, nous allons peut-être

 10   prendre une décision là-dessus demain matin.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez en informer les assistants de

 12   la Chambre, s'il vous plaît, avant le début de l'audience de demain après-

 13   midi de façon à ce que nous ne perdions pas le temps de la Chambre pour

 14   répondre à des requêtes que vous n'avez pas l'intention de présenter plus

 15   avant.

 16   M. LUKIC : [interprétation] Je vous remercie.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Lorsque j'ai parlé de quatre requêtes,

 18   je parlais en fait du fait de reporter le contre-interrogatoire de Richard

 19   Dannatt pendant 90 jours. La troisième requête est une requête urgente

 20   présentée par la Défense demandant une ordonnance empêchant l'Accusation

 21   d'utiliser le versement au dossier de pièces qui ne figurent pas sur la

 22   liste par le truchement du Témoin Harland, et la quatrième requête porte

 23   sur une ordonnance urgente qui viserait à interdire l'Accusation l'emploi

 24   et le versement au dossier de documents relatifs à Harland et sa

 25   déclaration. Donc, voici les quatre requêtes que nous avons souhaité

 26   aborder. Je souhaitais que ceci soit consigné de façon claire au compte

 27   rendu d'audience.

 28   Nous n'avons pas d'autres questions urgentes à traiter. Nous allons donc


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  1   entendre la déposition du premier témoin en l'espèce.

  2   Je me tourne vers les parties. S'il n'y a pas d'autres questions urgentes à

  3   ce stade, je vais me tourner vers l'Accusation et lui demander si elle est

  4   disposée à citer à la barre son premier témoin ?

  5   M. GROOME : [interprétation] L'Accusation est disposée à citer à la barre

  6   son premier témoin, M. Elvedin Pasic. Et je souhaite présenter aux Juges de

  7   la Chambre Mme Camille Bibles, qui va interroger ce témoin.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

  9   Est-ce que nous pouvons faire entrer le témoin dans le prétoire, s'il vous

 10   plaît.

 11   Madame Bibles, compte tenu des conseils que je viens de vous prodiguer ou

 12   que j'ai évoqués, inutile donc d'attirer votre attention sur les faits

 13   jugés 799 à 801, 803 à 808, 811 et 814.

 14   Mme BIBLES : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Et

 15   j'aborderai la question des faits jugés au moment où il s'agira de poser

 16   certaines questions au témoin, et à ce moment-là je porterai ces faits

 17   jugés à l'attention des Juges de la Chambre de première instance.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

 19   M. LUKIC : [interprétation] Bien. Avant de faire entrer le témoin.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

 21   M. LUKIC : [interprétation] Nous avons reçu un document ce matin qui émane

 22   de l'Accusation et qui nous a été remis ce matin, un nouveau document sur

 23   cette liste qui concerne ce témoin-ci. Donc nous souhaitons demander,

 24   Messieurs les Juges, que vous interdisiez à l'Accusation de verser au

 25   dossier cet élément-là --

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] De quoi s'agit-il ?

 27   M. LUKIC : [interprétation] Il s'agit d'un document qui n'est pas sur la

 28   liste.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, c'est le 28320, me semble-t-il.

  2   Oui. Il s'agit de la liste des personnes -- oui. Oui, Madame Bibles, si Me

  3   Lukic a une quelconque difficulté avec ce document, pourriez-vous

  4   recueillir cet élément de preuve viva voce sans vous référer à votre liste

  5   écrite ?

  6   Mme BIBLES : [interprétation] Oui, Messieurs les Juges. Nous avons

  7   l'intention de parcourir rapidement cette partie-là de sa déposition --

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

  9   Mme BIBLES : [interprétation] -- je pense qu'une façon plus efficace

 10   de présenter les éléments d'information, et nous pouvons le faire en

 11   direct.

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, une liste des noms.

 13   M. LUKIC : [interprétation] Si vous me le permettez, mon objection est à

 14   caractère général, de ne pas autoriser ce type d'agissements de la part de

 15   l'Accusation à l'avenir.

 16   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 17   M. LUKIC : [interprétation] Parce que nous estimons qu'à l'avenir

 18   ceci ne devrait pas se faire.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En fait, vous vous opposez ? Ou est-ce

 20   que vous souhaitez tirer sur le bateau avant qu'il ne soit sorti du port ?

 21   Ecoutez, il ne serait pas très courtois vis-à-vis de M. Pasic de ne pas

 22   vous accueillir, Monsieur le Témoin, dans ce prétoire. Et avant que vous ne

 23   déposiez, Monsieur le Témoin, on va vous demander de prononcer la

 24   déclaration solennelle dont le texte va vous être remis par l'huissier. Je

 25   vais vous demander de vous lever, s'il vous plaît.

 26   LE TEMOIN : [interprétation] Oui.

 27   Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien

 28   que la vérité.


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  1   LE TÉMOIN : ELVEDIN PASIC [Assermenté]

  2   [Le témoin répond par l'interprète]

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Pasic.

  4   Veuillez vous asseoir.

  5   Il semblerait que vous ayez préféré de lire le texte de la déclaration

  6   solennelle en anglais. Vous allez déposer dans quelle langue, je vous prie

  7   : en B/C/S, ou en serbe, ou en anglais ?

  8   LE TEMOIN : [interprétation] Je préférerai en anglais, si vous me le

  9   permettez.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En anglais. Bien.

 11   Alors, Madame Bibles.

 12   Vous allez d'abord être interrogé par Mme Bibles, qui est conseil de

 13   l'Accusation, Monsieur Pasic.

 14   Mme BIBLES : [interprétation] Je vous en prie.

 15   Interrogatoire principal par Mme Bibles :

 16   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Pasic. Veuillez vous présenter, s'il

 17   vous plaît, nous donner votre nom ainsi que votre âge.

 18   R.  Je m'appelle Elvedin Pasic. Je viens de Hrvacani, à Kotor Varos. J'ai

 19   34 ans. Je suis né le 3 juin 1978.

 20   Q.  Pourriez-vous nous dire si vous avez, oui ou non, grandi à Kotor Varos,

 21   jusqu'à l'âge de 14 ans en tout cas ?

 22   R.  Oui. J'ai grandi à Hrvacani, municipalité de Kotor Varos.

 23   Q.  Veuillez nous dire quelle était la taille de votre village ainsi que sa

 24   composition ethnique ?

 25   R.  Oui. Mon village se situait à une trentaine [comme interprété] de

 26   kilomètres de Kotor Varos. Mon village de Hrvacani était à 100 % musulman,

 27   je parle de sa composition ethnique, et il y avait 100 âmes environ.

 28   Q.  Veuillez nous dire où vous vous êtes allé à l'école.


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  1   R.  Je suis allé à l'école à Vrbanjci, et j'ai terminé mes études à cet

  2   endroit-là, je suis allé jusqu'à la cinquième année du primaire.

  3   Q.  Pouvez-vous nous parler de l'appartenance ethnique de vos camarades de

  4   classe ?

  5   R.  Dans l'école de Vrbanjci, il y avait tous mes amis, qui étaient Serbes,

  6   Croates et Musulmans. Nous étions là tous ensemble à l'époque.

  7   Mme BIBLES : [interprétation] Messieurs les Juges, je m'en tiendrai là pour

  8   ce qui est de la question de la composition ethnique de cette municipalité

  9   en me fondant sur le fait déjà jugé --

 10   Q.  Pourriez-vous nous parler de la situation avant la guerre en Bosnie,

 11   comment se passait la vie à ce moment-là lorsque vous alliez à l'école et

 12   que vous étiez entouré de gens qui appartenaient à des groupes ethniques

 13   différents du vôtre ?

 14   R.  Oui. Je suis allé à l'école à Vrbanjci. En réalité, cela c'est très

 15   bien passé à l'époque, avec mes amis serbes et croates. Nous nous

 16   entendions bien avant la guerre. Nous partagions la même salle de classe,

 17   nous jouions au basket, au football, et toutes les activités étaient

 18   communes. Nous partagions tout. Par exemple, si nous avions des activités

 19   extrascolaires, en réalité j'avais des amis dans les villages voisins et on

 20   empruntait leurs chaussures ou leurs shorts. C'était formidable. Nous avons

 21   passé de très bons moments. Il n'y avait aucune animosité quelle qu'elle

 22   soit. Nous fêtions les vacances ensemble, que l'on soit Musulman, Croate ou

 23   Serbe. A ce moment-là nous nous respections les uns les autres, et tout

 24   s'est très bien passé.

 25   Q.  Veuillez nous dire en quelques mots où se trouvait votre village en

 26   Bosnie.

 27   R.  Mon village, Hrvacani, se trouvait à 30 [comme interprété] kilomètres,

 28   environ à une trentaine de kilomètres de Kotor Varos. Je dirais au nord de


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  1   la Bosnie en direction de Sarajevo…

  2   Q.  Veuillez nous dire ceci, s'il vous plaît : en 1992, qui vivait dans

  3   votre foyer ?

  4   R.  En 1992, je vivais avec mon père, ma mère, et avec ma sœur jusqu'au

  5   moment où elle s'est mariée.

  6   Q.  Et lorsque votre sœur s'est mariée, où a-t-elle vécu ?

  7   R.  Ma sœur est allée vivre à Dabovci, où elle avait rencontré son mari à

  8   l'époque, Elvir. Et ils ont vécu à Dabovci, qui se situait au sud de

  9   Hrvacani, mon village.

 10   Q.  Donc, au printemps de l'année 1992, vous aviez quel âge ?

 11   R.  J'avais 13 ans.

 12   Q.  Et quand avez-vous eu 14 ans ?

 13   R.  Le 3 juin 1978 -- j'ai eu 14 ans.

 14   Q.  Je souhaite que vous repartiez un petit peu en arrière dans le temps,

 15   au printemps de l'année 1992. Vous vous souvenez de quelconques actions

 16   militaires autour de votre école ?

 17   R.  Avant de terminer mon année de terminal. La première fois que j'ai

 18   remarqué des actions militaires était comme suit : lorsque j'avais terminé

 19   l'école, j'étais devant, j'attendais l'autobus, et nous avons remarqué un

 20   convoi important à bord duquel il y avait un équipement militaire lourd qui

 21   se -- ces camions se dirigeaient vers Doboj. Et l'infanterie ou l'armée

 22   était équipée de chars, et les soldats nous faisaient des signes -- ils

 23   étaient tous en vert, c'étaient des soldats de la JNA -- il y avait une

 24   très longue file de véhicules motorisés, et avec leur doigt, comme ceci,

 25   ils nous faisaient des signes. Et nous avons répondu de la même façon. A

 26   l'époque, je ne savais pas ce que ça signifiait, ce geste. Mais par la

 27   suite, j'ai appris que nous n'étions pas censés faire ce geste, et donc on

 28   faisait comme ceci ou comme cela.


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  1   Mme BIBLES : [interprétation] Messieurs les Juges, pour les besoins du

  2   compte rendu d'audience, compte tenu de la façon dont le témoin nous a fait

  3   signe, il montre de son bras droit, il nous montre son pouce, son index et

  4   les doigts du milieu -- pardonnez-moi, l'annulaire, qui sont repliés l'un

  5   sous l'autre.

  6   Q.  Alors que vous étiez enfant, est-ce que c'était la première fois que

  7   vous ayez vu des chars ?

  8   R.  C'est la première fois que je voyais un char militaire avant de --

  9   enfin, je vais reformuler ma question. C'était la première fois que je

 10   voyais un char. Je n'avais jamais vu un convoi comme cela auparavant, et

 11   par la suite j'en ai vu beaucoup.

 12   Q.  Alors, veuillez nous dire si certains villages étaient majoritairement

 13   serbes ?

 14   R.  Comme je vous l'ai dit auparavant, mon village, Hrvacani, était 100 %

 15   musulman et il y avait deux villages serbes qui se trouvaient au nord. Un

 16   de ces villages était Tepici, qui se trouvait au nord de Hrvacani; et

 17   l'autre village, Savici, qui se trouvait à l'est, était à 100 % serbe; et

 18   sur notre droite à l'ouest, il y avait le village croate de Plitska, qui se

 19   trouvait à 3 kilomètres environ de chez nous. Plus au sud, nous avions

 20   Dabovici, qui était également à 100 % musulman, et une partie de Novakovo

 21   Brdo, de Dabovici, sur la colline, il y avait des maisons où vivaient les

 22   Serbes.

 23   Q.  Je souhaite attirer votre attention au mois de mai 1992. Avez-vous

 24   constaté des activités anormales autour de ces villages, je veux parler des

 25   villages serbes ?

 26   R.  Oui. Alors, à notre gauche où se trouvait le village de Savici, nous

 27   avions remarqué que des gens creusaient des tranchées. C'étaient des

 28   voisins qui creusaient des tranchées. Et au nord, près de Tepici, nous


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  1   avions remarqué qu'il y avait des gens qui se préparaient pour quelque

  2   chose. Il y avait beaucoup de mouvement. En réalité, au sud, près de

  3   Novakovo Brdo, nous avions remarqué qu'il y avait deux chars qui étaient

  4   sortis des bois à Novakovo Brdo, suivis par l'infanterie. Ils

  5   construisaient des tranchées et se préparaient pour quelque chose.

  6   Q.  Et vous ainsi que d'autres personnes de votre village, étiez-vous

  7   curieux de leurs agissements ?

  8   R.  Oui. En réalité, après avoir vu ces activités inhabituelles dont

  9   faisaient montre nos voisins, des gens de notre village qui en réalité

 10   étaient assez connus, les frères assez riches Muho et Murat, ont décidé

 11   d'aller leur en parler, de leur poser des questions sur ces activités-là et

 12   leur demander pourquoi ils avaient commencé à creuser des tranchées ainsi

 13   et essayer de comprendre. Ils se sont réunis dans l'école --

 14   L'INTERPRETE : Le nom n'a pas été cite.

 15   LE TEMOIN : [interprétation] -- une école où je suis allé avant d'aller à

 16   l'école à Vrbanjci, qui se trouvait près de Tepici et Hrvacani. Après

 17   qu'ils se soient rencontrés entre voisins, ils ont été informés de la

 18   raison de ces activités, l'infanterie, les tranchées; ils disaient

 19   simplement qu'ils préparaient des exercices militaires qui étaient menés

 20   par la JNA. Ils nous ont dit que nous ne devions rien craindre de

 21   particulier parce que nous étions tous voisins, et que s'il arrivait

 22   quelque chose, il nous en tiendrait informer mais il ne fallait absolument

 23   s'inquiéter de rien.

 24   Q.  Y a-t-il eu un événement ou une fête religieuse qui a été célébré dans

 25   votre village en mai ou en juin 1992 ?

 26   R.  Oui, Bajram, qui est une fête religieuse, nous avons célébré cette

 27   fête-là. Je ne sais pas si c'était au mois de mai ou au mois de juin. Nous

 28   nous étions préparés à cela. C'était le premier jour. J'étais très


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  1   enthousiaste, j'étais un jeune garçon à l'époque et je me réjouissais

  2   beaucoup. J'allais recueillir de l'argent des personnes plus âgées, c'est

  3   une tradition chez nous -- lorsque nous allons prier dans le cadre de la

  4   fête de Bajram, lorsque nous allons prier dans la mosquée, eh bien, les

  5   jeunes avaient coutume d'aller baiser la main des personnes plus âgées qui

  6   leur remettaient de l'argent à ce moment-là. Et je me souviens très bien

  7   que j'étais très enthousiaste. Il y avait notre imam qui était dans la

  8   mosquée qui nous a dit que puisque nous fêtions notre fête religieuse --

  9   aux Etats-Unis on utilise des feux d'artifice mais en Bosnie, on le faisait

 10   à l'aide d'armes, on tirait avec des armes en l'air et puis on faisait du

 11   bruit. Donc l'imam était inquiet parce qu'il avait remarqué qu'il y avait

 12   ces activités menées par nos voisins, et donc l'imam nous a dit que nous ne

 13   devrions rien faire qui pourrait mettre le feu aux poudres. Donc il y avait

 14   des choses qui se préparaient autour de nous. Et lorsque nous sommes

 15   sortis, il est vrai que moi j'étais très enthousiaste, j'allais me diriger

 16   vers les personnes plus âgées pour leur baiser la main, et ensuite nous

 17   allions chez nous et nous allions de maison en maison, et nous avions des

 18   bonbons, et on fêtait cette fête religieuse entre les membres de la

 19   famille.

 20   Q.  Et donc, cette fête de Bajram a été interrompue en 1992 ?

 21   R.  Oui. Le deuxième jour, nous avons été attaqués par les voisins. Le

 22   premier jour, la tradition veut que l'imam aille de maison en maison pour

 23   accueillir et aller dire bonjour aux différentes personnes. Je me souviens

 24   que nous avons suivi l'imam, c'est une tradition chez nous, et je me

 25   souviens du fait que l'imam est venu chez moi parce que mon père l'avait

 26   invité. Il est venu me voir dans ma maison, et ils ont essayé de parler et

 27   de voir s'ils avaient remarqué une quelconque activité. Et ils pensaient

 28   que tout le monde allait suivre l'imam, que si l'imam allait de maison en


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  1   maison, que tout le monde allait le suivre. Et donc, on pouvait remarquer

  2   que la guerre se préparait, donc ils sont venus dans notre maison pour

  3   décider de ce qu'il fallait faire. C'était le deuxième jour du Bajram et

  4   nous avons été attaqués.

  5   Q.  Veuillez nous dire en quelques mots comment ceci s'est passé ?

  6   R.  Oui. Le deuxième jour – et je reviens au premier jour – lorsque les

  7   hommes se sont réunis pour décider de ce qu'ils devaient faire, ma mère et

  8   moi-même -- eh bien, notre père nous avait demandé de quitter la maison. Il

  9   y avait des hommes qui étaient là et qui devaient compter les armes et voir

 10   s'il fallait faire quelque chose, s'il fallait se défendre. La guerre était

 11   imminente. Et le deuxième jour, les obus ont commencé à tomber sur notre

 12   village. Nous étions dans la cave de notre voisin lorsque le pilonnage

 13   lourd a commencé, lorsqu'ils ont commencé à tirer. Nous étions à l'abri

 14   avec nos voisins, il y avait sans doute six familles qui étaient réunies à

 15   cet endroit-là. C'était épouvantable. Je m'en souviens, j'étais un petit

 16   garçon, et c'était nos vacances, et nous avons entendu le tir des armes

 17   lors de notre fête religieuse. Mais nous n'avions rien entendu qui

 18   ressemblait à ces obus qui tombaient et le sol qui tremblait. Je me

 19   souviens que nous étions à l'abri et que notre mère nous a dit de nous

 20   protéger avec des oreillers parce qu'elle craignait que les balles ou les

 21   obus n'atterrissent quelque part près de nous. Elle voulait faire en sorte

 22   que ces obus ne nous touchent pas. Il y avait des bruits assourdissants. Et

 23   je ne me souviens pas si, oui ou non, un quelconque ultimatum avait été

 24   lancé. Je sais que je tremblais.

 25   Et je dois dire que mon père avait un port de permis de chasse et, donc,

 26   était autorisé à porter une arme. Je ne sais pas s'ils étaient nombreux

 27   dans le village dans ce cas-là, mais je me souviens que cette nuit-là était

 28   épouvantable.


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  1   Q.  Monsieur Pasic, avez-vous entendu des voix ou des mots qui auraient été

  2   prononcés pendant le pilonnage ou pendant le bombardement ?

  3   R.  Oui. En réalité, nous avons entendu une annonce qui venait de Tepici,

  4   le village qui se trouvait au nord de Hrvacani, sur un porte-voix. Les

  5   Serbes parlaient de balija, de baklavas, nous serons bientôt là. Et Muho et

  6   Murat Dugonjic, qui étaient deux frères très connus : Apportez-nous du

  7   café, nous y serons bientôt. Voilà ce que j'ai entendu.

  8   Q.  Et vous et votre famille, qu'avez-vous fait ?

  9   R.  Cette nuit-là, nous sommes restés dans la cave toute la nuit, nous

 10   avons attendu jusqu'aux premières heures du matin. Je me souviens, nous

 11   sommes allés dans cette maison, quelqu'un a frappé à la fenêtre, que ma

 12   mère a sursauté, et mon père était là avec son fusil et il a dit : Mais

 13   qu'est-ce que vous faites encore ici ? Et ma mère a répondu en disant :

 14   "Nocine [phon]". Le village est en train de tomber et ils entrent dans le

 15   village par le nord. Vous êtes les seuls qui soient encore dans le village,

 16   il faut bouger. Et ma mère -- en fait, la situation était chaotique -- eh

 17   bien, l'entrée principale de la maison dans laquelle nous nous trouvions.

 18   Non, on ne peut pas sortir de ce côté-là. Il faut sortir par la petite

 19   fenêtre, parce que depuis Novakovo Brdo on nous tire dessus. Et, en fait,

 20   une partie du village était tourné vers Novakovo Brdo. C'est là que nous

 21   avons remarqué les chars. On ne pouvait pas passer par là parce que les

 22   balles tombaient et les obus tombaient. Donc il faut passer par cette

 23   petite fenêtre et passer derrière la maison, et ensuite on va se diriger

 24   vers Plitska. Et je me souviens qu'ils nous faisaient sortir un par un par

 25   cette fenêtre. Lorsque nous sommes partis, il m'a dit : Il faut que tu

 26   m'écoutes bien. Tu dois écouter mes ordres. Et lorsque je te dis de courir,

 27   il faut que tu coures. Et je me souviens que nos voisins, elle avait une

 28   petite fille, Merima, et elle m'a regardé et elle m'a dit : Est-ce que,


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  1   s'il te plait, tu peux la porter – parce qu'elle était enceinte – la petite

  2   fille. Et même si tu lui arraches un bras, ça m'est égal, mais tu ne dois

  3   pas la laisser partir…

  4   Nous avons quitté la maison, et de l'autre côté derrière notre maison il y

  5   avait un champ et la route, et mon père m'a dit : Il nous faut traverser

  6   cette route, et il y a un lourd pilonnage de Tepici et Novakovo Brdo. Etant

  7   donné que vous êtes les seuls qui restent, toutes les autres personnes se

  8   sont enfuies en direction de Plitska, faites attention. Et il m'a dit : Tu

  9   vas rester ici. Nous étions tous rassemblés, il y avait six familles en

 10   tout. Donc nous étions là, à côté de cette route, et j'ai remarqué que mon

 11   frère était de l'autre côté de la route. Il m'a dit : Regarde-moi. Attrape

 12   le garçon. Et lorsque tu auras traversé ce mur, traverse la route. Et en

 13   aucun cas tu ne dois remonter la route dans un sens ou dans un autre. Tu

 14   dois simplement traverser la route pour aller à Tepici. Alors j'étais

 15   enfant à l'époque, j'ai sauté par-dessus le mur, et j'ai porté cette petite

 16   fille, et je me suis arrêté de marcher. Il m'a dit : Non, non, viens de ce

 17   côté-ci. Et dès que je suis passé de l'autre côté, j'ai vu que les balles

 18   tombaient, et juste à l'endroit où j'étais, j'ai eu de la chance. J'étais

 19   avec cet enfant, et cet enfant n'a pas été touché. Mais nous avons vu nos

 20   voisins lorsque nous avons traversé la route, la mère de la petite fille,

 21   lorsque nous sommes arrivés à cet endroit où les balles et les obus ne

 22   pouvaient pas nous atteindre, parce que c'était en face du village croate,

 23   eh bien, elle s'est retournée et il y avait des trous dans ses vêtements.

 24   Fort heureusement, les balles n'avaient touché personne, mais on voyait

 25   l'endroit où il y avait des trous au niveau de ses vêtements, et mon frère

 26   lui a dit : Mais pourquoi étiez-vous encore là ? Nous devons nous dépêcher

 27   parce qu'ils sont en train d'entrer dans nos maisons. Et c'est à ce moment-

 28   là que nous sommes allés dans la région de ce petit bois, et là nous avons


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  1   eu un autre défi parce qu'il y avait un champ vert et nous devions nous

  2   arrêter à ce moment-là. Nous nous sommes arrêtés pendant quelques instants,

  3   et mon père nous a donné des consignes et mon frère aussi. C'était la

  4   distance que nous devions parcourir en rampant, cela représentait 200

  5   mètres environ. Ils nous ont fait passer un par un. Et c'est un autre

  6   moment où j'ai été terrifié parce que je regardais les gens qui se

  7   dirigeaient vers ce champ en rampant. Je voyais les balles qui venaient de

  8   Novakovo Brdo et qui soulevaient l'herbe et la terre. Fort heureusement,

  9   personne n'a été blessé. Cela touchait les arbres et les branches, mais

 10   fort heureusement, personne n'a été touché par ces balles.

 11   Q.  Monsieur Pasic, par la suite avez-vous découvert que certaines

 12   personnes sont restées dans votre village ?

 13   R.  Oui. Lorsque nous sommes arrivés à Plitska, il y avait cinq adultes à

 14   être restés dans le village, et d'autres membres de leurs familles nous ont

 15   indiqué qu'ils n'étaient pas capables de se déplacer. Donc ils avaient

 16   décidé de rester. J'en connaissais certains. Il y avait un vieillard, Ibro,

 17   qui vivait de sa retraite, Ibro Dugonjic. Il a décidé de rester dans sa

 18   maison. Il a dit que c'était son chez-soi. Et il y avait eu quelques autres

 19   adultes à être restés, des personnes âgées, cinq en tout et pour tout.

 20   Q.  Est-ce que, sans entrer dans le détail, vous pouvez nous dire où, vous

 21   et votre mère, êtes-vous allés et où avez-vous passé les quelques mois qui

 22   ont suivi ?

 23   R.  De Hrvacani, nous sommes allés à Plitska, Plitska étant un village

 24   croate. Peu de temps après, les Serbes ont attaqué ce village et nous avons

 25   dû aller de l'avant. Nous sommes allés ensuite à Cirkino Brdo. D'autres

 26   sont allés à Bilice. Il me semble que où que nous soyons allés, il fallait

 27   se déplacer d'un village à l'autre. Et partout on ne pensait pas à être les

 28   bienvenus. Pas même à Cirkino Brdo ou à Hafinici. C'étaient des villages


Page 553

  1   qui avaient signé une déclaration d'allégeance à l'égard des Serbes et ils

  2   avaient peur de nous garder. Et si les Serbes nous trouvaient là-bas, si

  3   des gens de Hrvacani s'étaient trouvés là ou si des gens de Cirkino Brdo

  4   avaient protégé des gens de là-bas, ils risquaient d'être tués. Donc nous

  5   n'étions pas les bienvenus. On nous a bousculés pour aller plus loin. Nous

  6   étions un peu dans un "no man's land" et dans les forêts à attendre ce qui

  7   allait se passer en allant d'un village à l'autre.

  8   Q.  Mais je vais vous demander : est-ce que vous faisiez partie d'un parti,

  9   d'un groupe qui se déplaçait ensemble vers différents villages ?

 10   R.  Oui. Une fois arrivé à Plitska, avant le début des pilonnages de

 11   Plitska, nous avions décidé d'y rester puisqu'on ne savait pas quoi faire.

 12   Entre-temps, Cirkino Brdo avait signé une déclaration d'allégeance à

 13   l'égard des Serbes, et un dénommé Hasan Cirkic, qui était là avec ma tante

 14   Zena, une sœur, était venu de Hrvacani, et ils sont partis. Comme on était

 15   tous ensemble, on nous a demandé si nous voulions rejoindre le groupe. Et

 16   on nous a dit qu'il y avait deux maisons et qu'on pouvait emmener tous ceux

 17   qui voulaient venir. Et cela fait que nous sommes allés à Cirkino Brdo avec

 18   eux en compagnie de ma tante.

 19   Q.  C'étaient des gens originaires de Hrvacani, n'est-ce pas ?

 20   R.  Oui. Tous ces gens étaient venus de Hrvacani. Ils n'avaient pas de

 21   proches à Cirkino Brdo, donc ils ont décidé de continuer tout droit jusqu'à

 22   Bilice.

 23   Q.  Excusez-moi, je crois vous avoir interrompu. On était arrivé au moment

 24   où vous mentionniez une espèce de "no man's land" où vous vous étiez

 25   trouvés ?

 26   R.  Oui. Partout où nous arrivions à l'époque, une fois arrivés à Cirkino

 27   Brdo, entre autres, on est restés un certain temps, Hasan nous a rejoints,

 28   on l'a aidé dans les champs pour lui faire -- pour manifester notre


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  1   reconnaissance. On a été approchés par des soldats serbes qui lui ont dit

  2   qu'une fois revenu, s'ils constataient que Cirkino Brdo était en train

  3   d'abriter des gens venus de Hrvacani, des civils de Hrvacani, ils ont dit

  4   qu'ils allaient venir les tuer tous. On ne nous a pas dit de nous en aller,

  5   mais nous ne voulions pas mettre en péril les gens de ce village, en

  6   particulier et surtout pas Hasan qui nous a abrités au départ, et on a

  7   décidé d'aller jusqu'à Bilice. Mais partout où nous allions, nous ne

  8   voulions pas que les gens aient à souffrir de notre présence. Nous ne

  9   savions plus où aller. On était donc bloqués. Et à ce moment-là, on a

 10   décidé d'aller à Bilice, Bilice étant un grand village croate.

 11   Q.  Est-ce que vous avez pu rester là-bas ?

 12   R.  Oui, Madame. Une fois que nous sommes arrivés du côté croate, c'est-à-

 13   dire à Bilice, on nous a bien accueillis. Nous sommes entrés dans le

 14   village en passant par le côté est, et j'ai revu mon frère et mon père

 15   ainsi qu'un certain nombre d'hommes que nous avions dû quitter à Plitska.

 16   Il me semble qu'ils avaient quitté Plitska pour aller à Bilice avant nous

 17   et qu'ils nous y ont attendus. On est restés là-bas à peu près un mois.

 18   Nous avons aidé les gens à faire leurs travaux pour faire preuve de

 19   reconnaissance. Une famille croate nous a confié une résidence secondaire

 20   pour que nous puissions y rester. Et on est restés là à peu près un mois.

 21   Q.  Pourquoi êtes-vous partis de là-bas ?

 22   R.  Lorsque nous avons, pour la première fois, quitté Bilice, nous avons pu

 23   voir que les gens étaient en train de parler entre eux. On avait compris

 24   que quelque chose se préparait, et on a entendu dire de la part des gens du

 25   cru que Bilice allait se rendre. Mon frère est venu jusqu'à nous et nous a

 26   dit qu'à un moment donné on avait décidé de faire rester certains hommes à

 27   Bilice, d'autres sont partis à Vecici. Et mon frère a dit qu'il avait ouï

 28   dire que Bilice allait tomber, voire se rendre. Et on nous a incités à


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  1   aller vers Garici, un autre village musulman qui avait signé une

  2   déclaration d'allégeance

  3   à l'égard des Serbes, et nous avons décidé d'aller vers ce village de

  4   Garici où nous avions un cousin qui s'appelait Atif.

  5   Q.  Pouvez-vous nous dire ce que vous avez fait en été 1992 ? Est-ce que

  6   vous êtes revenus vers votre village d'origine ?

  7   R.  Oui. Lorsque nous avons quitté Bilice, avant d'arriver à Garici, on a

  8   décidé à un moment donné de revenir vers notre village parce qu'on était

  9   inquiets pour ce qui est de la sécurité de ceux qui avaient signé cette

 10   déclaration de l'allégeance, et nos civils originaires de Hrvacani avaient

 11   décidé de retourner vers notre village. On était 50 ou 70 à peu près, des

 12   civils, et nous avons décidé de marcher jusqu'à notre village de Hrvacani.

 13   Lorsque nous nous approchions de notre village, là où il y avait eu trois

 14   maisons serbes, on a rencontré des soldats serbes et ils nous ont arrêtés.

 15   Il y avait un soldat qui tenait la main sur son estomac. Il avait un AK-47

 16   et il portait un uniforme de camouflage. Je ne sais pas s'il était blessé

 17   ou pas. Ils nous ont demandé : Où est-ce que vous allez, vous les balija ?

 18   Et ma mère et son amie, Razija Dugonjic, ont répondu qu'elles rentraient à

 19   la maison. Alors, on leur a demandé : Où ? Et elles ont dit : Vers notre

 20   village de Hrvacani. Ils leur ont dit : Il ne reste rien là-bas pour vous,

 21   balija, vous pouvez aller en Turquie. Ceci est la Serbie. Comment allez-

 22   vous vivre ? Puisque rien n'est resté là-bas. Alors, Razija a dit qu'on

 23   allait trouver un moyen de se débrouiller. Et l'autre lui a dit : Bon,

 24   bien, je m'en fiche si vous allez vous faire tuer. Je n'aurais pas à être

 25   responsable de ceci. Et on a continué vers le village.

 26   Q.  Alors, est-ce que vous pouvez nous décrire de quoi avait l'air votre

 27   village ?

 28   R.  Je me souviens de façon tout à fait nette que lorsque nous étions en


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  1   train d'approcher la partie sud du village, il faisait très chaud,

  2   extrêmement chaud. Et lorsqu'on s'est approchés de deux maisons, une maison

  3   qui appartenait à une tante à moi et l'autre à un cousin, celles-ci étaient

  4   complètement détruites. Il n'y avait que deux cheminées de debout et

  5   quelques murs. L'odeur était pestilentielle et l'apparence de tout ceci m'a

  6   terrifié. Lorsque nous sommes arrivés à ces maisons, je me souviens qu'il

  7   n'y avait plus rien. Tout était brûlé. La maison de ma tante était à côté

  8   de notre étable, et ça aussi ça avait brûlé jusqu'à la terre, jusqu'au sol.

  9   Il n'y avait plus rien. Et en nous approchant, on a vu que deux vaches

 10   avaient été abattues, et ça puait terriblement. Ma tante ne voulait même

 11   pas s'approcher de sa maison. On est passés à côté, on a pu voir les

 12   cheminés, et on a continué. Nous voulions voir notre maison à nous. Les

 13   gens avaient fui et ils s'étaient éparpillés, ils voulaient trouver quoi

 14   que ce soit. Ils allaient voir différentes maisons. Moi je me souviens que

 15   j'étais en compagnie de ma mère. On a pris un raccourci pour arriver à ma

 16   maison. Et je sais qu'étant tout petit j'ai eu l'habitude de courir vers

 17   cette petite ruelle, et étant petit, cette colline et la maison me

 18   paraissaient être très grandes. J'étais si excité, je voulais voir mon

 19   chien, parce que j'avais un chien. Mon père avait eu un chien, en fait. Une

 20   fois arrivés à la maison, on a vu que la maison était complètement

 21   incendiée. Il n'était plus rien resté. Nous avions un réfrigérateur, une

 22   télévision. Tout avait disparu. Ce qui était resté des murs n'avait plus

 23   rien dessus. Je me souviens que j'aidais mon père avant la guerre à mettre

 24   des panneaux en bois sur les murs, à mettre un parquet en planches, mais

 25   tout avait disparu, y compris les meubles que nous avions. Et je voulais

 26   chercher mon chien. J'étais tout à fait bouleversé parce que le chien, lui

 27   aussi, attaché à une chaîne, avait été abattu. Je l'ai trouvé.

 28   Mme BIBLES : [interprétation] Messieurs les Juges, pour ce qui est des


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  1   faits admis 816 et 819, je ne vais pas demander à ce que l'on témoigne

  2   outre mesure au sujet de ces faits.

  3   Q.  Monsieur Pasic, avez-vous appris ce qu'il était advenu des personnes

  4   âgées qui étaient restées derrière dans le village ?

  5   R.  Une fois qu'on a passé à peu près une heure là-bas, ils ont essayé de

  6   nous rassembler. Moi, ce qui me préoccupait, c'était de voir ce qu'il était

  7   advenu de mon chien. Et lorsque je suis revenu avec ma mère, je lui ai dit

  8   qu'on avait tué le chien. On avait eu beaucoup d'abeilles et elles avaient

  9   disparues. On voulait trouver quelque chose. Des vivres, du miel. J'avais

 10   coutume d'aider mon père dans tous ses travaux. Et ma mère a dit au bout

 11   d'un moment : Allons-nous-en. Personne ne pouvait s'attendre à ce que cela

 12   se produise. On avait vu auparavant des activités de déployées, des

 13   activités de ce genre, mais on ne s'attendait pas à trouver ceci. On avait

 14   creusé. Rien n'a été trouvé. Tout avait disparu. On a décidé de se

 15   rassembler au centre du village et on a remarqué les amis, les membres de

 16   la famille Dugonjic, et on a pu voir qu'ils pleuraient, ma mère pleurait

 17   aussi. J'ai demandé pourquoi elle pleurait. Alors, elle m'a dit qu'ils

 18   avaient trouvé Ibro Dugonjic, ce vieillard, et son corps carbonisé. Un

 19   petit enfant pleurait aussi. Les gens autour ont décidé d'enterrer ce qui

 20   était resté de lui. Et on a constaté le fait que tout ce qui était resté

 21   avait brûlé, était carbonisé. Il n'y en avait qu'un seul avoir été abattu.

 22   Q.  Et qu'est-il advenu de leurs corps ?

 23   R.  Les membres de leurs familles les ont enterrés, du moins ce qui était

 24   resté d'eux.

 25   Q.  Est-ce que vous avez pu rester dans votre village ?

 26   R.  Après avoir passé un certain temps là-bas, lorsqu'on est arrivés à ce

 27   carrefour au milieu du village, je voulais aller jusqu'à la mosquée. Et on

 28   nous a dit de ne pas y aller parce qu'on avait peur des pilonnages. Nous


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  1   savions que la mosquée avait subi des dégâts du fait des tirs, mais le

  2   minaret n'avait pas été endommagé. On nous a dit que ce minaret avait été

  3   détruit par la suite. Enfin, je voulais y aller. Il y avait des marches qui

  4   conduisaient jusqu'à la mosquée, mais ma mère m'a dit de ne pas y aller

  5   parce qu'elle avait peur que des explosifs ne soient laissés ou abandonnés

  6   là. Et on est allés du côté nord du village, et après avoir passé un moment

  7   là-bas et sans avoir rien trouvé qui permettrait de continuer à vivre ici,

  8   ma mère a décidé d'aller à Garici. Certains membres de la famille ont

  9   décidé, et je crois que cinq ou six familles n'avaient guère de parents à

 10   Garici, et ces gens sont allés vers un autre village musulman qui

 11   s'appelait Vakufci et qui avait signé une déclaration d'allégeance à

 12   l'égard des Serbes, et ceux-là avaient décidé de rester à Hrvacani. Ils ont

 13   commencé à nettoyer et à ramasser ce qui était resté. Ma mère, elle, était

 14   déterminée à nous faire partir. Et on a remarqué vers le nord du village,

 15   la route allant vers Tepici, on a vu un tracteur chargé de soldats. Nous ne

 16   savions pas quoi faire. On était juste là. Je me souviens de cette puanteur

 17   qui se dégageait du village incendié. Ma mère m'a donné une espèce de

 18   chiffon pour mettre par-dessus la bouche et le nez, pour pouvoir respirer.

 19   Et lorsque ces gens sont arrivés à nous, et c'étaient des hommes en armes,

 20   il s'agissait de Serbes, ma mère a reconnu un homme de Tepici, un dénommé

 21   Boro. Je ne me souviens plus de son nom de famille. Et je crois qu'ils

 22   étaient à peu près 15 à porter des masques sur leurs visages. Les autres

 23   portaient des uniformes de camouflage. J'ai remarqué aussi qu'ils avaient

 24   un insigne avec une croix et quatre lettres S. Ils étaient en train de

 25   chanter. Ils portaient des AK-47, et d'autres portaient des uniformes vert

 26   olive de la JNA.

 27   Et une fois qu'ils ont stoppé à côté de nous, ils sont descendus du

 28   tracteur, ils nous ont demandé ce que nous faisions, nous, les balija, là.


Page 559

  1   On leur a dit que certains voulaient rester au village et d'autres

  2   voulaient partir vers Garici, alors on nous a injuriés. Et c'est là que

  3   nous avons décidé, une fois qu'on le leur a dit -- et je sais qu'il faisait

  4   très chaud, je me souviens qu'on leur avait demandé de l'eau, et un homme

  5   est descendu du tracteur pour dire aux autres soldats d'apporter un seau

  6   d'eau de Tepici. Ca a duré dix à 15 minutes en attendant qu'il s'en aille

  7   et qu'il revienne. Je me souviens qu'on a but cette eau. Et il y avait dans

  8   le groupe une femme qui était enceinte, elle était près de son

  9   accouchement, et elle s'était évanouie. Ils ont demandé ce qu'il advenait

 10   d'elle, pourquoi elle s'était évanouie. Et on leur a dit qu'elle était sur

 11   le point d'accoucher, puisqu'elle était enceinte et que les douleurs

 12   avaient commencé. Alors, on lui a donné de l'eau, ils ont essayé de la

 13   rafraîchir. Ils nous ont redit qu'il n'y avait pas de place pour nous là-

 14   bas, qu'on devait aller en Turquie et que ce n'était pas sûr pour nous,

 15   qu'il n'y avait aucune garantie pour nous. Et on leur a demandé si on

 16   pouvait aller vers Garici.

 17   Q.  Mais est-ce que vous êtes allés au final jusqu'à Garici ?

 18   R.  Oui. Lorsque nous avons décidé de nous en aller -- il y a eu six

 19   familles à décider de rester, et on est passés, nous autres, à côté de

 20   l'école secondaire ou de l'école primaire que j'ai fréquentée à Savici. Il

 21   y avait là, dans ce village des civils, un civil qui s'appelait Dalibor,

 22   entre autres, un ami à moi, un Serbe qui était un camarade de classe. Je ne

 23   me souviens plus du prénom de sa mère, mais elle était tout à fait

 24   bouleversée, cette femme. Elle portait des vêtements noirs et d'autres

 25   civils nous attendaient. Et elle criait. Nous étions accompagnés par deux

 26   soldats et elle a essayé d'arracher le fusil des mains de ce soldat en

 27   hurlant : Pourquoi vous, balija, vous déplacez-vous ici ? Il n'y a pas de

 28   place pour vous ici. Nos soldats à nous sont en train de mourir à Vecici et


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  1   vous avez le toupet de venir dans notre village. Et elle criait au soldat :

  2   Donne-moi ce fusil, je vais les tuer tous.  Et je sais que j'étais derrière

  3   ma mère, je me cachais derrière elle, et le soldat l'a bousculée et elle a

  4   continué, et cette femme nous injuriait et nous crachait dessus, et nous

  5   avons, nous autres, continué à marcher en direction de Vakufci et Garici.

  6   Q.  Est-ce qu'à un moment donné vous vous êtes trouvés sur la route

  7   conduisant vers Vecici ?

  8   R.  Oui, Madame. Après avoir passé à peu près un mois à Garici, je me

  9   souviens qu'une nuit nous étions assis dans la maison d'Atif -- comme eux

 10   avaient signé une déclaration d'allégeance à l'égard des Serbes. Nous

 11   étions en train de regarder la télévision, l'une des chaînes, et quelqu'un

 12   a frappé très fort à la porte et nous avons pris peur. Il y avait deux

 13   soldats devant, deux soldats en armes, ces soldats étaient des Serbes. Et à

 14   ce moment, un homme a fait irruption, il s'agissait de mon cousin Atif. Il

 15   était plutôt sale, il portait une barbe et il était armé. Il a dit : Nous

 16   sommes venus prendre un café. Nous étions sous le choc. On ne savait pas

 17   quoi répondre. Alors, il a dit : Mais donnez-nous du café. Je suis là. Je

 18   suis arrivé. Et ma mère lui a demandé : Mais qu'est-ce que vous faites là ?

 19   Et il a dit : Ne vous inquiétez pas, c'est des amis à moi dehors. Vous

 20   n'avez pas à vous inquiétez. Je suis venu ici pour vous informer du fait

 21   que tous les civils de Hrvacani qui se trouvent à Vakufci doivent quitter

 22   pour aller à Vrbanjci et recevoir des documents, des pièces d'identité qui

 23   permettront d'aller à Vecici. Il a pris un café et il a informé ma mère du

 24   fait qu'on allait être rassemblés, puisqu'il y avait eu un traité ou un

 25   arrangement de signé avec les Serbes. Et on a dit que personne n'allait

 26   nous toucher à nous et qu'on n'allait pas nous faire porter du tort et

 27   qu'on aurait des documents permettant d'aller jusqu'à Vecici.

 28   Q.  Vous nous avez dit qu'il avait dit que c'étaient des amis dehors et que


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  1   vous n'aviez pas à vous préoccuper. Est-ce que vous avez vu qui est-ce qui

  2   se trouvait à l'extérieur ?

  3   R.  J'ai remarqué deux soldats. Je ne sais vraiment pas si c'étaient

  4   véritablement des amis à lui. Mon cousin avait toujours l'habitude de faire

  5   des blagues. Je ne sais pas s'il voulait dire qu'il les connaissait ou pas,

  6   mais ce que j'ai remarqué, c'est qu'ils étaient complètement vêtus

  7   d'uniformes de camouflage, qu'ils portaient des fusils AK-47 et qu'ils

  8   étaient en train d'attendre dehors. Ils étaient en train de monter la garde

  9   devant la porte en attendant, en attendant que ce cousin ne sorte.

 10   Q.  Et, en fait, avez-vous obtenu ces papiers vous permettant de voyager ?

 11   R.  Au matin on s'est réunis, tous les civils étaient là. Nous étions

 12   nombreux, et on a descendu la route, on a traversé Dabovici et on est allés

 13   vers Vrbanjci. Et on s'est approchés de Vrbanjci, là où j'ai fait ma

 14   septième année de primaire, et j'ai pu remarquer qu'il y avait beaucoup de

 15   soldats là-bas. Il y avait une vieille école et une nouvelle école. Moi, je

 16   suis allé dans la nouvelle école et cette nouvelle école avait été

 17   complètement transformée en casernes. J'ai remarqué, lorsqu'on s'est

 18   approchée de la caserne, enfin de l'école, qu'il y avait là un vieux char.

 19   J'ai appris que c'était un T-55, qu'il était garé juste à côté de la route,

 20   et je me suis souvenu qu'à côté de l'école il y avait eu un petit magasin

 21   où j'avais coutume d'acheter des sandwichs. Et c'est justement là que ce

 22   char était garé. Alors, ma mère et Razija Dugonjic sont allées à l'école

 23   pour obtenir ces documents. Il y avait des soldats à côté qui étaient en

 24   train de déambuler en nous traitant de balija et nous injurier. Et avant

 25   que nous ne commencions à marcher en direction de Vecici, un soldat a

 26   reconnu ma mère, je crois qu'il était venu de Savici. Je ne me souviens

 27   plus de son nom, mais j'ai posé la question à mon père -- et ma mère

 28   s'appelait Mina, et il a dit : Mina, où est Ahmet ? Est-ce qu'il est


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  1   maintenant de l'autre côté ? Alors, je ne sais pas si ma mère a quoi que ce

  2   soit –- non, ma mère n'a rien répondu, mais elle a juste baissé la tête. Et

  3   on a commencé à marché lentement. On a eu besoin d'une vingtaine ou d'une

  4   trentaine de minutes pour arriver jusqu'à Vecici.

  5   Mme BIBLES : [interprétation] Monsieur le Président, est-ce que l'heure est

  6   venue de faire la pause ?

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. D'habitude nous faisons une pause

  8   au bout d'une heure et demie d'audience.

  9   [La Chambre de première instance se concerte]

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant que de faire une pause. Monsieur

 11   Pasic, la Chambre a pu remarquer que vous réagissiez d'une façon

 12   apparemment émotionnelle et que vous avez surmonté les difficultés que vous

 13   ressentiez. Si vous sentez qu'à un moment donné vous avez besoin d'une

 14   petite pause ou que vous ne pouvez plus tenir et continuer, n'hésitez pas à

 15   le dire.

 16   LE TEMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, nous allons faire une pause et nous

 18   allons reprendre à 14 heures 55.

 19   --- L'audience est suspendue à 14 heures 29.

 20   [Le témoin quitte la barre]

 21   --- L'audience est reprise à 14 heures 59.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que le témoin peut entrer

 23   dans le prétoire, je vous prie.

 24   [Le témoin vient à la barre] 

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Pasic, est-ce que vous avez de

 26   l'eau ?

 27   LE TEMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] N'hésitez pas à boire une gorgée d'eau


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  1   si vous en avez besoin.

  2   Madame Bibles, je vous en prie, poursuivez.

  3   Mme BIBLES : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  4   Q.  Monsieur Pasic, avant que nous ne reprenions le fil de votre

  5   déposition, j'ai remarqué que vous lisiez le compte rendu d'audience. Je

  6   voulais juste vous dire que ce n'est pas la peine de vous préoccuper autant

  7   du compte rendu d'audience. Vous pouvez commencer à répondre dès que vous

  8   avez compris la question en fait.

  9   R.  Bien.

 10   Q.  Alors, je vais maintenant revenir là où nous nous sommes arrêtés avant

 11   la pause. Nous parlions du 2 novembre 1992, et vous vous trouviez avec

 12   votre mère et votre père à Vecici. Est-ce que vous vous souvenez d'une

 13   conversation entre vos parents qui portait sur la façon dont vous alliez

 14   partir de Vecici ?

 15   R.  Oui. Oui, oui, je m'en souviens très, très bien. C'était la deuxième

 16   nuit après notre arrivée à Vecici, mon père est venu trouver ma mère. En

 17   fait, j'étais un peu à l'écart. Ils parlaient. J'ai entendu que mon nom

 18   avait été mentionné, donc je me suis rapproché d'eux, et mon père était en

 19   train de dire à ma mère qu'il y avait des hommes qui allaient partir de

 20   Vecici cette nuit-là et qu'il était préoccupé par ma sécurité si je restais

 21   avec ma mère et les civils. Donc, en fait, il était parti, mais il est

 22   revenu parce que mon sort le préoccupait. Il avait entendu certaines

 23   personnes dire qu'il y avait des convois qui étaient partis avant de Bilice

 24   et des environs et qu'ils faisaient sortir des garçons de ces convois et

 25   qu'ils les éloignaient donc du groupe des femmes et des civils. Donc c'est

 26   pour cela qu'il était préoccupé par mon sort, comme je l'ai déjà dit. Il

 27   était revenu pour demander à ma mère -- en fait, ce qu'il lui a dit, c'est

 28   qu'il allait me prendre avec les autres hommes pour que nous puissions


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  1   arriver en toute sécurité jusqu'à Travnik.

  2   Q.  Et à ce moment-là, est-ce que tous les Musulmans allaient partir de

  3   Vecici d'une façon ou d'une autre ?

  4   R.  Oui. En fait, il faut revenir. Au moment où nous sommes arrivés à

  5   Vecici le premier jour, j'avais passé un certain temps -- donc je n'avais

  6   pas été avec mon père pendant un certain temps. Ils avaient signé la -- il

  7   y avait une trêve qui avait été signée avec les Serbes pendant cinq jours,

  8   me semble-t-il. Il n'y a pas eu de bombardement, donc c'était assez calme.

  9   Donc il m'a pris avec lui, il m'a juste montré les différents lieux où il

 10   s'était trouvé. Mais nous avons pu ainsi marcher dans le village, et il m'a

 11   dit qu'en général ils ne marchaient pas comme cela dans le village pendant

 12   la journée, que c'était en général pendant la nuit qu'ils se déplaçaient,

 13   et qu'il y avait un accord, que cette trêve avait été signée pour cinq

 14   jours, pendant cinq jours au cours desquels il n'y allait pas y avoir de

 15   bombardement. Et cette nuit, enfin la deuxième nuit -- je pense en fait que

 16   l'accord portait sur les civils qui se trouvaient à Vecici, et les civils

 17   devaient donc se rendre, tous les hommes devaient quitter Vecici pour se

 18   diriger vers Travnik, qui était sûr. Et, en fait, comme je vous l'ai dit

 19   auparavant, ce qui les préoccupait, c'était que, par exemple, des hommes

 20   qui se seraient rendus aux Serbes auraient été détenus ou enlevés de leurs

 21   familles, soit à Banja Luka, soit à Skender Vakuf.

 22   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'aimerais juste vous poser une

 23   question, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, Madame Bibles. Lorsqu'on

 24   vous a posé cette première question après la pause, Monsieur Pasic, vous

 25   avez dit que vous souhaiteriez en fait --

 26   Mme BIBLES : [interprétation] Oui.

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] -- vous, vous avez parlé et vous avez

 28   évoqué le mois de novembre. Puis ensuite, il a parlé du deuxième jour après


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  1   leur arrivée à Vecici. Alors, j'aimerais savoir si vous êtes véritablement

  2   sur la même longueur d'onde et si vous parlez de la même chose ?

  3   Mme BIBLES : [interprétation] Oui. Je vais demander une précision.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci beaucoup.

  5   Mme BIBLES : [interprétation]

  6   Q.  Est-ce que vous vous souvenez de votre date d'arrivée à Vecici ?

  7   R.  Ecoutez, je ne me souviens pas de la date d'arrivée exacte. Je sais que

  8   j'ai passé la première journée à Vecici. Mon père m'a montré en quelque

  9   sorte le village. Donc nous avons passé une journée là-bas. Je pense que

 10   c'était le deuxième jour. Je ne sais plus si c'était le 2 novembre. Vous

 11   savez, je ne me souviens pas. Du moins, je sais que c'était pour moi le

 12   deuxième jour après mon arrivée à Vecici, cela faisait deux jours que je me

 13   trouvais dans une maison à Vecici. Donc je ne sais pas quelle était la date

 14   -- la date exacte, je ne m'en souviens pas, mais c'était le deuxième jour.

 15   Et donc, c'est là que j'ai constaté que mon père avait eu cette

 16   conversation avec ma mère et qu'il lui avait dit qu'il allait me prendre

 17   avec lui plutôt que de me laisser partir avec elle.

 18   Q.  Et quand est-ce que vous êtes partis de Vecici ? Est-ce que vous êtes

 19   partis de Vecici lors de cette deuxième nuit ?

 20   R.  Oui, oui, c'est la deuxième nuit. Donc la nuit après cette

 21   conversation, et puis finalement mon père a pris la décision de me prendre

 22   avec lui, et je me souviens en fait, je me souviens très, très clairement

 23   qu'il s'est approché de ma mère, qu'il l'a prise dans ses bras, qu'il l'a

 24   embrassée et qu'il lui a dit : Si par le passé ou si depuis que nous sommes

 25   mariés j'ai jamais fait quelque chose qui n'était pas bien, je te demande

 26   de me pardonner parce que là je pense que la route va être très, très, très

 27   longue. Nous ne savons pas ce qui va arriver. Il y a beaucoup de gens qui

 28   vont voyager. Je voudrais que de toute façon tu me pardonnes d'avance. Je


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  1   me souviens très bien que ma mère l'a poussé et lui a dit : Non, non, non,

  2   ne parle pas comme cela. Ne dis pas ces choses-là, vous allez survivre.

  3   Mme BIBLES : [interprétation] Monsieur le Président --

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Pasic, écoutez, oui, prenez

  5   votre temps et indiquez à Mme Bibles lorsque vous serez en mesure de

  6   reprendre.

  7   Mme BIBLES : [interprétation] Je pense que je vais renvoyer la Chambre au

  8   fait admis numéro 803 qui fait référence à cette date justement. A la nuit

  9   du 2 au 3 novembre, qui est la nuit au cours de laquelle les hommes sont

 10   partis de Vecici.

 11   LE TEMOIN : [interprétation] Et ma mère lui a dit : Ne dis pas cela, ne dis

 12   pas cela, vous allez tous survivre. Ne dis pas cela. Alors, j'ai pris la

 13   main de mon père, je m'en souviens, lorsque nous sommes partis. Il était

 14   environ 20 heures, et c'est là, en fait, que mon père m'a pris par la main

 15   et nous avons commencé à marcher lentement. Donc je pense que nous sommes

 16   passés -- nous nous dirigions vers le nord, donc nous sommes passés par un

 17   petit village, un village serbe du nom de Staza. Je m'en souviens très

 18   bien, la nuit était très belle en fait, il n'y avait pas de nuages. J'avais

 19   une veste légère. Je ne me souviens pas d'avoir porté des vivres. Je pense

 20   que mon père, en fait, il avait du bœuf fumé ou quelque chose de ce style

 21   dans sa poche, et puis nous sommes partis donc cette nuit.

 22   Mme BIBLES : [interprétation]

 23   Q.  Est-ce qu'il n'y avait que des hommes dans votre groupe ?

 24   R.  Il y avait aussi une dizaine de femmes, deux qui étaient très, très,

 25   très jeunes, et il y avait cinq à six garçons de mon âge. Parce que lorsque

 26   nous avons rejoint ce groupe, ce groupe qui était important, je ne sais pas

 27   combien nous étions, mais je sais que nous avons commencé à marcher -- en

 28   fait, nous étions en train de gravir une colline, nous marchions à la queue


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  1   leu leu et nous avons rejoint ce groupe, et mon père m'a dit : Tiens-moi

  2   bien la main. Et nous avons essayé de rester avec tous les gens qui

  3   portaient le même nom que nous, tous des cousins en quelque sorte. Je me

  4   souviens qu'il m'a juste dit qu'il fallait que je lui tienne la main, et

  5   puis des gens rejoignaient notre groupe. C'est là que j'ai remarqué qu'il y

  6   avait des femmes et des enfants avec nous.

  7   Q.  Est-ce que vous pourriez décrire l'endroit par lequel vous êtes passés

  8   ?

  9   R.  Nous nous sommes approchés de ce village, ce petit village serbe, le

 10   village de Staza. Il était complètement vide, il n'y avait plus rien. Les

 11   maisons étaient complètement vides. Il était en fait sur le versant de la

 12   colline. Je me souviens que mon père me traînait, en quelque sorte,

 13   m'encourageait. D'abord, j'avais réussi à marcher, mais bon, nous sommes

 14   passés vers les bois, le terrain était très accidenté. Donc il y avait des

 15   endroits où vraiment nous nous tenions les mains parce que c'était très,

 16   très, très abrupt. J'entendais qu'il y avait des gens qui tombaient, qui

 17   glissaient, qui dérapaient, et, en fait, ce qu'on se disait, c'était que si

 18   quelqu'un qui reste, qui n'en peut plus ou qui se blesse, il ne faut pas

 19   essayer de lui prêter main-forte, il faut juste continuer, continuer de

 20   marcher jusqu'à ce qu'on vous indique qu'il faut s'arrêter. Donc nous

 21   sommes passés à travers des forêts. Bon, je ne me souviens pas. Ce que je

 22   me souviens, c'était que c'était une belle nuit sans nuages et que nous

 23   avons constamment grimpé, c'était très dur, et je me souviens en fait que

 24   j'étais absolument épuisé mais que mon père me tirait derrière lui, me

 25   tirait par la main.

 26   Q.  Et est-ce que quelque chose s'est passé qui vous a terrifiés ?

 27   R.  A un moment donné, je suppose que c'était vers minuit, il y avait

 28   des gens qui marchaient à côté, je ne sais pas, je pense qu'il y avait des


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  1   gens qui envoyaient des messages constamment. Donc on était tous à la queue

  2   leu leu, puis il y avait des gens qui nous dépassaient, et à un moment

  3   donné ce qu'on a entendu, les gens disaient : Il faut accélérer la cadence,

  4   ou, Il faut ralentir. Puis, à un moment donné, il y a quelqu'un qui est

  5   passé près de nous et qui a dit : Lui, il faut qu'il ait une veste

  6   différente. Parce que la veste que j'avais était une veste blanche. Ils

  7   avaient peur qu'on puisse la voir en pleine nuit. Donc ils m'ont donné une

  8   espèce de manteau qui était beaucoup trop grand pour moi, qui était en plus

  9   très lourd et j'avais l'impression qu'il fallait que je porte ce manteau.

 10   Et je pense qu'à un moment donné vers minuit, à un moment donné, le groupe

 11   s'est complètement arrêté soudainement, et ce qu'on a entendu c'était

 12   [imperceptible]. Et je me souviens que mon père était devant moi et mon

 13   oncle était derrière moi, et donc nous ne pouvions plus continuer, et

 14   quelqu'un a dit : Les Serbes sont tout près de nous. Nous sommes très, très

 15   près des Serbes. Ne fais pas de bruit. On est très proches. On était

 16   vraiment très, très nombreux. Donc, là, on entendait les gens quand

 17   quelqu'un fait tomber quelque chose. Peu de temps après, juste une seconde

 18   après, là, on a entendu des tirs. Les balles ont commencé à siffler,

 19   siffler, en fait, comme si elles venaient de notre direction. Moi j'étais

 20   vraiment en état de choc, j'étais pétrifié. Bon, j'avais déjà entendu des

 21   bombardements. J'en avais vu, mais je me trouvais toujours dans une cave,

 22   mais je n'avais jamais été aussi près de ces bombardements. Je voyais les

 23   balles siffler et voler. Moi je me souviens quand j'étais un petit garçon,

 24   j'ai essayé d'attraper des mouches, ou plutôt, des mouches. J'avais

 25   l'impression en fait que c'était un peu comme ça. Bon, je n'en avais aucune

 26   idée. J'avais l'impression que c'étaient des mouches géantes, mais je n'en

 27   avais aucune idée. Je n'ai pas compris qu'il s'agissait de balles. Alors,

 28   mon père m'a attrapé et on nous a dit qu'il fallait que nous nous


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  1   allongions. Donc il m'a attrapé, et je me souviens qu'il m'a vraiment

  2   poussé sous un arbre qui était immense et m'a dit de rester là, et je pense

  3   en fait que ça a duré à peu près une heure, ces tirs qui étaient très

  4   lourds. Et puis, à un moment donné, tout s'est calmé, et là j'ai entendu

  5   mon père m'appeler. J'ai essayé de me sortir de dessous cet arbre en

  6   repoussant les branches, mais je n'arrivais pas à en sortir. Donc,

  7   finalement, il m'a appelé, et là il hurlait, il hurlait mon nom et nous

  8   nous sommes retrouvés. Il m'a pris dans ses bras et puis nous nous sommes

  9   allongés jusqu'à ce qu'il ait commencé à pleuvoir. Il n'y avait plus de

 10   balles après cela. Tout est devenu très calme. Quelqu'un nous a demandé si

 11   les volontaires pouvaient sortir parce qu'il y avait des gens qui étaient

 12   morts. Peu de temps après j'ai appris qu'Ahmet Zec de Vecici et son fils

 13   avaient été tués justement pendant cette embuscade. Donc ils demandaient

 14   des volontaires pour essayer de déplacer les corps pour pouvoir les inhumer

 15   quelque part, et je pense en fait que mon père, il était appuyé -- à la

 16   fin, on ne pouvait plus -- il était appuyé contre un rocher. Moi j'étais

 17   absolument épuisé et je l'ai pris par les jambes, puis j'ai continué --

 18   j'étais par terre, j'étais allongé. Et je pense qu'il y a quelqu'un, en

 19   fait, de notre groupe qui a fini par se lever puis qui a déplacé les corps

 20   qui se trouvaient sur le sentier et qui les a placés sous l'arbre et qui

 21   les a recouverts de branchages. Nous y sommes restés un petit peu, un petit

 22   moment, et puis nous nous sommes rendus compte en fait que cet immense

 23   groupe avait été coupé en deux et nous ne savions pas où était l'autre

 24   moitié du groupe.

 25   Après un petit moment, je pense que, voilà, c'était à 4 heures du matin

 26   quasiment, nous nous sommes finalement tous -- ou plutôt, nous avons

 27   retrouvé quelqu'un du groupe qui était venu à notre recherche et on a

 28   retrouvé notre groupe, donc nous étions ensemble à nouveau et puis nous


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  1   sommes arrivés dans une clairière où il y avait de l'herbe. C'était plutôt

  2   agréable, d'ailleurs. J'avais très soif. Et j'ai demandé à mon père : Est-

  3   ce que tu pourrais me trouver de l'eau ? Il m'a dit : Eh bien, oui, je vais

  4   regarder, je vais voir ce que je peux trouver. Je suis resté avec mon

  5   oncle. Je pense qu'en fait que puisque c'était plutôt une prairie, il y

  6   avait du bétail, et il y avait un petit trou. Je pense que -- bon, c'était

  7   certainement un trou qui avait été fait par les sabots des animaux. Là, il

  8   a trouvé de l'eau, de l'eau de pluie, et je me souviens que l'eau, elle

  9   était trouble. Mais donc, peu importait à l'époque parce que tout ce que je

 10   voulais c'était boire de l'eau. Je me suis ensuite allongé. Les gens se

 11   rassemblaient, ils essayaient de se regrouper, tout le monde parlait

 12   constamment, ils demandaient des volontaires pour essayer d'aller un peu en

 13   éclaireurs pour voir où se trouvaient les Serbes, parce que manifestement

 14   nous étions suivis. Et puis, par la suite, et ça je l'ai vu de mes yeux, il

 15   y avait une personne qui, en fait, avait des contacts avec les Serbes. Et

 16   ils ont demandé aux gens –- bon, tout le monde était épuisé, les gens

 17   étaient par terre. Ils ont demandé de former une ligne et d'essayer de

 18   trouver les Serbes. Et puis, peu de temps après, quelqu'un du groupe est

 19   venu et a dit : Mais les Serbes, ils sont tout autour de nous, nous sommes

 20   complètement encerclés. Et c'est là que les tirs ont recommencé, et là ça a

 21   été le chaos total qui a comme recommencé à régner. Nous avons commencé à

 22   courir -- c'était mon père, en fait, qui courait en premier. Besim -- bon,

 23   Besim, il savait qu'à Travnik on serait en sécurité. Mon père l'a poussé

 24   parce qu'il savait que lui connaissait le chemin, donc il le suivait. Je

 25   pense que la montagne s'appelait Jezica, c'est là que nous nous sommes

 26   retrouvés, et là les tirs, les combats lourds ont recommencé, les balles

 27   sifflaient partout tout autour de nous. Je me souviens que mon père me

 28   disait : Va, va, viens, et il m'a attrapé par la main. Il courait, et nous


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  1   étions sur cette colline. Et il y a eu des gens qui ont décidé de riposter,

  2   je pense qu'il y avait entre 20 à 30 hommes qui ont opposé une certaine

  3   résistance. Et il m'a dit de courir, de continuer à courir. Nous avons

  4   dévalé la pente de la colline, et elle était très, très, très en pente. A

  5   un moment donné, j'ai complètement dérapé et ne pouvais même plus marcher.

  6   Et pendant tout ce temps-là les tirs continuaient, ils étaient dans notre

  7   dos, et nous avons continué à dévaler cette pente. Et mon père, donc, était

  8   toujours derrière moi parce qu'il essayait de me protéger de ces tirs qui

  9   venaient dans notre dos. Et à un moment donné, nous étions assez près de la

 10   vallée où il y avait une rivière qu'il fallait traverser. J'étais épuisé

 11   parce qu'en plus il y avait le poids de ce manteau, donc j'ai demandé à mon

 12   père : Est-ce que tu peux attendre, parce que je veux vraiment enlever ce

 13   manteau. Mais le manteau, il était collé. Je n'arrivais pas à l'enlever.

 14   Les balles continuaient à siffler, et on avait l'impression que derrière

 15   chaque arbre où on essayait de se cacher il y avait une balle qui frappait

 16   l'arbre. Donc je me suis abaissé, et là j'ai essayé d'enlever ce manteau.

 17   En fait, mon manteau, je n'arrivais pas à l'enlever, peut-être que Dieu

 18   voulait que ça soit comme ça. Parce que, après cela -- en fait, ce qu'on ne

 19   savait pas, c'est que près de la rivière il y avait des mines. Donc tous

 20   ces gens sont arrivés et ont quasiment atterris sur ces mines, y compris

 21   Besim, et ils ont été blessés. Il y a à peu près une dizaine de personnes

 22   qui sont mortes à ce moment-là. Et en fait, là, finalement, j'ai réussi à

 23   enlever le manteau. Nous ne savions pas au début qu'il s'agissait d'un

 24   champ de mines. Nous pensions en fait que tout cela, c'étaient des balles

 25   qui venaient de l'autre côté. Nous avons recommencé à courir pour gravir la

 26   colline. Le chaos continuait. C'était très difficile parce qu'on dérapait,

 27   on glissait constamment. C'était comme si on marchait dans du sable. Nous

 28   nous sommes arrêtés un moment, et il y a quelqu'un qui a dit : C'est là


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  1   qu'elles sont, les mines. Et il a dit : Mais on peut traverser, on peut

  2   traverser la rivière. En fait, nous marchions et moi j'ai vu Besim, ses

  3   jambes avaient été complètement explosées, et il pleurait, il hurlait, il

  4   disait : De grâce, que quelqu'un me tue. Donc mon père m'a pris par la main

  5   et m'a dit : Ne regarde pas, s'il te plait. On a essayé de sauter par-

  6   dessus cette rivière. Moi j'avais l'impression qu'elle était très, très

  7   grande, je ne sais pas, mais il fallait qu'on saute pour arriver de l'autre

  8   côté. Je me souviens qu'il y avait une cascade également. Il a fallu qu'on

  9   saute dans la rivière, d'abord pour la traverser, la rivière, et puis il y

 10   avait des gens qui étaient blessés. Il y en avait qui étaient blessés,

 11   d'autres qui étaient morts. Et je me souviens encore de Besim qui disait :

 12   Mais qu'on me donne quelque chose, qu'on me donne une arme. Tuez-moi, je

 13   vous prie. Et je pense en fait qu'ils l'ont laissé. Puis finalement,

 14   lorsqu'on était de l'autre côté, on a entendu le tir. Je pense que c'est

 15   lui qui s'est tué finalement tout seul.

 16   Et lorsque nous avons franchi la rivière, nous avons recommencé à nous

 17   déplacer vers une autre colline et nous sommes arrivés où il y avait un

 18   petit plateau, et c'est là que nous avons vu un groupe où il y avait

 19   environ 200 personnes qui étaient rassemblées avec l'imam, l'imam de

 20   Vecici. Et là, les gens se reposaient un peu. Donc cet imam de Vecici, ce

 21   hodja, il nous a tous rassemblés autour de lui et puis il nous a dit :

 22   Prions. Prions, je vous prie. Prions. Donc nous nous sommes tous regroupés

 23   et nous avons serré nos mains comme dans une attitude de prière. En fait,

 24   nous étions tous trempés. Et puis, c'est après que nous avons remarqué les

 25   tirs continuaient de l'autre côté sur la colline, et à un moment donné les

 26   tirs se sont arrêtés. Et je me souviens avoir vu très, très, très

 27   clairement un groupe d'une quinzaine ou d'une vingtaine d'hommes qui nous

 28   faisaient signe de venir vers eux. Donc nous étions tellement pétrifiés par


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  1   la peur que nous ne savions pas qui étaient ces hommes.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Pasic, si vous préférez faire

  3   une pause, dites-le-nous, je vous en prie.

  4   LE TEMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Nous allons faire une pause brève,

  6   et je vous demande de rester tous dans les parages.

  7   --- La pause est prise à 15 heures 26.

  8   [Le témoin quitte la barre]

  9   --- La pause est terminée à 15 heures 44.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Faites entrer le témoin dans le

 11   prétoire, s'il vous plaît.

 12   [Le témoin vient à la barre]

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Mladic, nous aimerions

 14   reprendre. Je vous prie de bien vouloir cesser votre conversation.

 15   Etes-vous prête à reprendre, Madame Bibles ?

 16   Mme BIBLES : [interprétation] Oui, tout à fait.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Pasic, si vous avez besoin de

 18   temps, je vous prie de bien vouloir nous le faire savoir.

 19   LE TEMOIN : [interprétation] Ecoutez, je suis vraiment désolé.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous en prie, vous n'êtes pas obligé

 21   de présenter des excuses.

 22   Mme BIBLES : [interprétation]

 23   Q.  Je souhaite en fait revenir sur quelque chose que vous avez évoqué.

 24   Vous avez parlé d'un groupe de 200 personnes. A un moment donné, est-ce que

 25   votre groupe a décidé de se rendre ?

 26   R.  Oui. Après avoir prié en présence de l'imam, nous étions assis et nous

 27   avons évoqué la question de savoir ce qu'il fallait faire. J'avais remarqué

 28   que de l'autre côté de la colline il y avait des hommes qui nous faisaient


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  1   des signes. Nous ne savions pas très bien s'il s'agissait de Serbes ou

  2   d'hommes qui appartenaient à notre groupe, donc nous étions assis à cet

  3   endroit-là et nous avons décidé -- nous évoquions la question de savoir ce

  4   que nous devions faire ensuite, et une des possibilités qui s'offrait à

  5   nous était soit aller les rencontrer, aller de l'autre côté de la colline.

  6   Et pendant que nous étions assis, pendant que nous parlions de cela, que

  7   nous discussions de ce que nous devions faire, nous avons entendu des

  8   annonces faites sur des porte-voix qui disaient : Balija, rendez-vous. Si

  9   vous vous rendez, vous allez vivre. Et si vous ne vous rendez pas, vous

 10   allez tous mourir. Donc nous avons décidé -- et ça c'était une des

 11   possibilités, à savoir d'aller les confronter ou alors de nous rendre. Et

 12   certaines personnes s'étaient opposées à cela, et dès que nous avons évoqué

 13   la question de la reddition, il y a cet homme qui était avec nous, Zec, qui

 14   était un collaborateur, il a dit : Moi je peux organiser cela, et il a

 15   quitté tout de suite les lieux. Il est revenu quelques instants après et a

 16   dit : J'ai parlé avec certains hommes serbes. Ils vous assurent que si vous

 17   vous rendez, on ne nous fera pas de mal et que nous serions tous

 18   transportés en sûreté jusqu'à Travnik. Et à ce moment-là, moi-même et mon

 19   père, nous nous sommes levés et nous sommes mis à marcher lentement. Il y

 20   avait un petit chemin menant à ce tunnel, et je me souviens de ceci très

 21   clairement. Je me souviens de ce tunnel qui était long d'une cinquantaine

 22   de mètres. Nous avons marché dans ce tunnel, et je me souviens qu'il y

 23   avait des trous à l'intérieur, et que la pluie tombait de ces orifices, et

 24   que j'essais d'attraper la pluie qui tombait, parce que j'avais soif. Nous

 25   nous sommes assis, nous avons compté le nombre de personnes qui se trouvent

 26   là, 200 environ, et je crois que les forces serbes se sont rendu compte du

 27   fait que nous étions dans un tunnel, donc dès que nous étions à

 28   l'intérieur, nous avons remarqué que les balles fusaient de part et d'autre


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  1   du tunnel. Et c'était un pilonnage lourd, et il y a cet homme qui a enlevé

  2   sa chemise, c'était une chemise blanche, et il l'a enroulée sur un bâton,

  3   et il a dit : Si vous me suivez, tout est organisé. Et je me souviens

  4   d'avoir vu cela, mon père était là, mes oncles étaient là, ma sœur et son

  5   mari, mes cousins, il y avait beaucoup de gens de Hrvacani et de Vecici et

  6   des environs. Ils étaient au nombre de 200, environ. Et nous avons commencé

  7   à marcher lentement en direction de Grabovica.

  8   Q.  Et au moment où vous êtes sortis du tunnel, pourriez-vous nous dire ce

  9   que vous avez vu lorsque vous êtes arrivés à l'extérieur?

 10   L'INTERPRETE : Précision de l'interprète : Le nom est Grabovci.

 11   LE TEMOIN : [interprétation] Oui, certainement. Lorsque nous sommes sortis

 12   du tunnel, nous marchions en file indienne, un par un, ou l'un derrière

 13   l'autre. C'était une région boisée, et nous nous sommes approchés de ce

 14   champ de petite taille, et nous avions remarqué qu'il y avait une tranchée,

 15   et trois ou quatre soldats qui sont sortis de cette tranchée et qui

 16   hurlaient. Ils avaient leurs armes automatiques. Ils ont commencé à tirer

 17   dès que nous nous sommes approchés. Nous avons reçu pour consigne, alors,

 18   n'importe quel homme du groupe ou quelqu'un qui tenait -- devant quelqu'un

 19   qui tenait une arme, il fallait qu'on lève les mains et qu'on se mette à

 20   marcher lentement, et qu'au moment où nous nous approchions de cette

 21   tranchée, ils nous ont dit : Toutes les armes doivent être placées à

 22   gauche, et tous les biens, les objets de valeur, doivent être placés à

 23   droite. Et si nous trouvons une simple aiguille, nous vous tuerons. Je me

 24   souviens, mon père ainsi que l'ensemble du groupe essayait de s'enfuir en

 25   direction de Travnik. Il y avait beaucoup d'argent sur eux, ces hommes-là,

 26   parce que les civils ou les membres de la famille pensaient que nous

 27   pourrions en réchapper. Il y avait des hommes qui avaient beaucoup d'argent

 28   ou d'objets de valeur sur eux, parce que les femmes craignaient d'en


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  1   porter, ceux-là, parce que si elles étaient découvertes, il y avait les

  2   forces serbes à Banja Luka, à Skender Vakuf, et les hommes demandaient aux

  3   femmes de se dévêtir, de se déshabiller, donc, pour en trouver de l'argent

  4   ou de l'or. Et mon père était là, et ma mère avait donné ses deutsche marks

  5   à mon père en espérant que nous ne puissions passer. Donc il avait beaucoup

  6   de familles qui avaient fait de même. Et lorsque nous sommes avancés

  7   lentement, il y avait des armes qui étaient déposées sur la gauche, et les

  8   objets de valeur, et il y avait beaucoup d'argent. Moi, j'ai vu beaucoup

  9   d'argent, il y avait essentiellement des marks allemands. Donc on avait

 10   reçu pour consigne de tout déposer, et de tout laisser et de suivre les

 11   soldats.

 12   Q.  Pourriez-vous nous décrire les uniformes de ces soldats, s'il vous

 13   plaît ?

 14   R.  Oui. Il s'agissait d'uniformes de camouflage, et ils avaient des AK-47.

 15   J'ai vu l'insigne avec les croix et les quatre S, mais il s'agissait

 16   d'uniformes de camouflage. Je n'ai pas vu d'uniformes civils.

 17   Q.  Avez-vous reconnu l'un quelconque de ces soldats ?

 18   R.  Non, Madame. Non, non, je n'ai reconnu personne de nom, mais j'ai vu

 19   beaucoup d'hommes les rejoindre au moment où nous descendions. Après cela,

 20   ils nous ont demandé de nous coucher par terre. Je sais qu'ils se

 21   regroupaient, qu'ils venaient de différentes parties du village. Et lorsque

 22   nous nous sommes approchés de cette partie du terrain, c'était tellement

 23   humide parce qu'il avait plu, et c'était très humide, et on nous avait

 24   demandé de nous mettre en trois colonnes. Moi, j'étais dans la troisième

 25   colonne, et on nous a demandé de nous mettre par terre, coucher par terre

 26   face contre sol, le visage contre le sol.

 27   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Puis-je vous interrompre quelques

 28   instants.


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  1   Vous avez dit il y a quelques instants que vous êtes entré dans un tunnel,

  2   qu'il y avait des balles qui fusaient de part et d'autres. Est-ce que ces

  3   balles ont touché un quelconque membre de votre groupe ?

  4   LE TEMOIN : [interprétation] Non, Monsieur le Président. En réalité,

  5   Monsieur le Juge, une fois qu'ils avaient compris que nous étions dans le

  6   tunnel, ils voulaient nous empêcher de quitter le tunnel. Mais cette

  7   chemise qui a été montrée par cet homme, eh bien, à ce moment-là, ils ont

  8   cessé et ils nous ont donné pour consigne de nous mettre en colonne. C'est

  9   à ce moment-là que les tirs -- mais personne n'a été blessé.

 10   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Je vous remercie.

 11   Mme BIBLES : [interprétation]

 12   Q.  Une fois que vous étiez par terre, pourriez-vous nous parler de ce

 13   qu'ont fait les soldats ?

 14   R.  Oui, certainement. On nous a demandé de nous mettre en trois rangs et

 15   de nous coucher par terre, dans ces flaques d'eau, et debout. Et j'étais à

 16   côté de mon père, mon père se trouvait sur la gauche et mon oncle se

 17   trouvait sur ma droite. Et c'est à ce moment-là que les Serbes nous ont

 18   ordonné de nous coucher par terre, le visage contre terre. Ils ont commencé

 19   à interroger plusieurs personnes du groupe, y compris mon père. Ils étaient

 20   très excités. Je sentais leurs armes, je sentais les balles qui fusaient

 21   au-dessus de ma tête. Ils tiraient. Nous avions donc le visage contre

 22   terre, et j'ai entendu les camions qui s'approchaient, il y avait davantage

 23   de soldats qui arrivaient, parce qu'ils déchargeaient ce qu'il y avait dans

 24   leur camion. Ils hurlaient et ils criaient : Nous les avons, nous les

 25   tenons, les balija. Et ils ont pris des personnes qui se trouvaient dans ce

 26   groupe, y compris mon père, mais avant qu'ils n'emmènent mon père, je me

 27   souviens qu'il y avait quelqu'un de notre village qui a été emmené, le

 28   Serbe -- et parce que nous étions tellement proches d'eux, ils étaient


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  1   derrière nous, ces hommes lui ont demandé : Qui est votre chef ? Et il a

  2   dit : Besim. Et où est-il ? Et il était à Novoci [phon], il est sans doute

  3   mort. Et qu'est-ce qu'il fait ? Il est resté dans les bois, il est sans

  4   doute mort. Et ensuite, ils ont commencé à crier, et ils ont dit : Pourquoi

  5   vous ne l'appelez pas ? Ils ont commencé à le frapper. Je l'ai entendu

  6   hurler. Ensuite, il y a un autre soldat qui est venu chercher mon père, il

  7   se trouvait juste à côté de lui, et il lui a donné un coup de pied et il

  8   lui a dit : Alors, où est-ce que tu as obtenu ces bottes ? C'est parce que

  9   tu as tué un de nos soldats ? Et mon père a répondu : Non, je suis un

 10   chasseur, j'ai un permis de chasse, et ce sont mes bottes. Et il lui répond

 11   : Non, balija, tu as tué un des nôtres. Ce sont les bottes de nos soldats.

 12   Et mon père a dit : Non. Et il s'est mis à hurler. Il a dit balija, il l'a

 13   frappé, et ensuite il lui a demandé s'il y avait quelqu'un dans le groupe,

 14   et mon père dit : Non. Mais il est revenu, parce que lorsqu'il est revenu,

 15   il avait le visage contre terre. Il ne cessait de crier. Il dit : Est-ce

 16   que ça va ? Est-ce que ça va ? Et j'étais tellement choqué. Je ne savais

 17   pas -- je disais : Oui. Est-ce que tu es blessé ? Il a dit : Bon, c'est un

 18   homme qui est très fort, je sais qu'il ne dirait jamais ce genre de chose.

 19   Je sais qu'il a dit cela parce qu'il était blessé. Il s'est placé à côté de

 20   moi. Ensuite, de façon complètement arbitraire, ils ont emmené un autre

 21   homme. Je me souviens il disait : Mon enfant, tu es celui qui a le chapeau,

 22   tu es celui qui est responsable. Tu es responsable de ceci. Et comme il dit

 23   toujours : Mon enfant, non, ce n'est pas moi. Ils ont commencé à le frapper

 24   et je l'entends encore crier. Et alors que j'étais couché par terre à un

 25   moment donné après qu'ils aient amené différentes personnes pour aller les

 26   interroger sur différentes choses, ils ont donné l'ordre où ils ont dit que

 27   toutes les femmes et les enfants devaient se lever. Et au début je ne

 28   voulais pas me lever parce que je ne voulais pas être séparé de mon père.


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  1   Et il m'a dit de me lever. Et je lui ai dit : Non, je ne veux pas partir

  2   sans toi. Et il a dit : Lève-toi, lève-toi. Et mon oncle a insisté. Il a

  3   dit : Lève-toi. Tu survivras.

  4   C'est à ce moment-là que je me suis levé et j'étais le dernier garçon de ce

  5   groupe. Et alors que je marchais, on nous avait donné pour consigne de ne

  6   pas nous retourner, de simplement regarder droit devant soi, de ne faire

  7   aucun bruit et de suivre le groupe, tout simplement. Alors que je me

  8   dirigeais vers la fin, j'ai vu hodza, c'était le seul qui avait le visage

  9   tourné contre le ciel, il avait du sang sur le visage. Je ne l'ai pas vu

 10   bougé ni rien du tout. Et ensuite, nous nous sommes mis en marche en

 11   direction de Grabovica.

 12   Q.  Pouvez-nous dire ce qu'est hodza ? Qui était hodza et quel lien avait-

 13   il avec vous ?

 14   R.  Hodza -- cet hodza c'était l'imam de Vecici. C'était un père pour nous

 15   tous. Ce qu'il disait était toujours juste. C'était un homme âgé, et il

 16   vous disait toujours la vérité.

 17   Q.  Et lorsque vous vous êtes levé, pouviez-vous voir qui s'adressait

 18   aux femmes et aux enfants pour qu'ils se lèvent ?

 19   R.  Absolument pas. Je n'ai pas pu voir parce qu'on nous avait donné

 20   l'ordre de regarder droit devant nous. Je me souviens en marchant, j'avais

 21   la tête baissée, et hodza se trouvait sur la droite. Et c'est à ce moment-

 22   là que j'ai pu l'apercevoir, et j'ai aperçu du sang sur son visage. Je n'ai

 23   pas vu qui nous avait donné l'ordre de nous lever.

 24   Q.  Combien de femmes et d'enfants y avait-il dans ce groupe de personnes

 25   qui s'est levé ?

 26   R.  Je dirais qu'il y avait environ dix filles, dix femmes et cinq ou six

 27   garçons, environ.

 28   Q.  Et combien d'hommes sont restés couchés par terre ?


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  1   R.  Nous avions compté le nombre de personnes présentes, comme je vous

  2   l'avais dit, 200 environ, entre 150 et 200.

  3   Q.  Au moment où vous vous êtes levés et que vous vous êtes mis en marche,

  4   dans quelle direction êtes-vous allés ?

  5   R.  Lorsque nous nous sommes levés, il y avait cette route, une route qui

  6   allait en direction de Grabovica. Nous étions accompagnés de quelques

  7   soldats, et ils portaient tous des uniformes de camouflage. Il y avait une

  8   femme parmi ce groupe qui portait une arme semi-automatique. Et je me

  9   souviens que nous marchions lentement sur cette route en gravier, et à

 10   plusieurs reprises on nous a dit : Allez, balija, couchez-vous. Et à ce

 11   moment-là, on se couchait pendant quelques secondes, et ensuite ils nous

 12   ordonnaient de nous lever et ils nous ordonnaient de courir, et ensuite ils

 13   disaient : Arrêtez. Ceci est arrivé à cinq ou six reprises. Et ensuite ils

 14   nous ont ordonné de nous coucher, de nous lever, de courir et d'arrêter. Je

 15   me souviens de cet instant où il y avait cette femme qui portait un

 16   uniforme de camouflage. Elle nous a demandé -- elle portait une cigarette

 17   et elle avait une cigarette à la bouche et elle nous a demandé si nous

 18   avions une allumette -- ah oui, c'est vrai, ah, vous les balija, vous

 19   n'avez pas d'allumettes parce que vous n'avez rien. Et parmi ce groupe il y

 20   avait un de mes amis de Vecici, et un des garçons avec lesquels je suis

 21   allé à l'école, il a sorti de sa poche une allumette. Il a dit : Moi, j'ai

 22   une allumette. Et nous l'avons tous regardée et elle a dit : Bon. D'accord.

 23   Donc il a pris cette allumette et donc il a allumé sa cigarette, et ensuite

 24   il l'a remise dans sa poche et nous avons continué à marcher lentement. Et

 25   ensuite, nous avons traversé Grabovica. J'ai remarqué qu'il y avait

 26   plusieurs maisons et il y avait des personnes qui se trouvaient devant ces

 27   maisons, des civils, des personnes âgées, qui nous attendaient, qui nous

 28   crachaient dessus, qui nous jetaient les pierres, qui nous insultaient, et


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  1   nous avons simplement reçu pour consigne de ne pas regarder, de regarder

  2   simplement droit devant nous et de marcher.

  3   Q.  Lorsque vous êtes arrivés à Grabovica, où vous ont-ils emmené ?

  4   R.  Nous avons traversé le village, et peu de temps après avoir traversé le

  5   village, il y avait comme un virage. Et après le virage, nous sommes

  6   arrêtés de marcher. Il y avait une courte distance, là, et c'est là que

  7   nous avons remarqué l'école et on nous a ordonné de nous rendre en

  8   direction de l'école dans cette cour, et nous nous sommes arrêtés à cet

  9   endroit-là.

 10   Q.  Qu'est-ce qu'on vous a demandé de faire dans cette cour ?

 11   R.  La nuit commençait à tomber et on nous a ordonné de nous mettre en

 12   rang, en file indienne, et lorsque nous avons fait cela, les soldats se

 13   trouvaient de l'autre côté par rapport à nous, ils portaient tous leurs

 14   uniformes de camouflage, ils avaient tous des AK-47, et ils nous avaient

 15   mis en rang. Et à ce moment-là je me disais que c'était la fin. Parce que

 16   nous étions tous en rang, ce qui en général signifiait que nous allions

 17   être exécutés. Nous étions donc là, je crois que ça a duré deux ou trois

 18   minutes jusqu'au moment où quelqu'un est venu -- il y a eu cet homme qui

 19   est venu, il avait un chapeau. Il commençait à faire nuit. Je ne pouvais

 20   pas distinguer les traits de son visage. Mais il avait comme un chapeau, ou

 21   un casque de mineur. Puisqu'il avait une lampe au-dessus. Je suppose qu'il

 22   s'agissait peut-être d'un général ou de quelqu'un d'important. Et il a dit

 23   -- je me souviens pas de son nom. Il nous a dit : Bonjour. Il ne s'est pas

 24   présenté à nous. Il s'est approché de nous, je ne suis plus quel était son

 25   nom, et il a dit que les femmes et les enfants allaient passer la nuit dans

 26   l'école, et il nous a assurés que rien ne nous arriverait mais que nos

 27   hommes devront payer.

 28   Q.  Qu'est-il arrivé après qu'il ait prononcé ces mots-là ?


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  1   R.  Il a dit que rien n'allait nous arriver à nous, on nous avait donné

  2   pour consigne de traverser la route, et ce petit chemin qui menait à

  3   l'école. Depuis, je me souviens qu'il y avait un escalier de service par

  4   lequel on pouvait entrer dans l'école. Et il y avait deux niveaux, en fait,

  5   au niveau de cette école. Nous étions au rez-de-chaussée lorsque nous

  6   sommes entrés sur la gauche et il y avait une salle de classe qui était

  7   d'une bonne taille. Et on nous a donné l'ordre d'entrer dans cette salle de

  8   classe.

  9   Q.  Et vous étiez libres de faire ce que vous vouliez dans cette salle de

 10   classe ?

 11   R.  Lorsque nous sommes arrivés dans la salle de classe, on nous a ordonnés

 12   de trouver une place. Je me souviens que j'étais à l'arrière, complètement

 13   à l'arrière. Nous étions trempés et nous étions épuisés. Et nous étions

 14   accompagnés de deux gardes qui étaient entièrement armés. Ils étaient assis

 15   à l'endroit où se trouve le professeur. Un était assis dans le siège du

 16   professeur, et l'autre était assis sur le bureau du professeur. Et ils se

 17   relayaient à tour de rôle pendant la nuit. Nous n'étions pas libres de nos

 18   mouvements. Lorsque nous voulions nous rendre aux toilettes, par exemple,

 19   nous devions lever la main et nous étions dans ce cas escortés par les deux

 20   gardes. Et cette nuit-là, et lorsque nous avons remarqué un peu plus tard

 21   dans la nuit lorsque les autres hommes -- ou le reste des hommes sont venus

 22   dans l'école, ils ont proposé d'aller les voir.

 23   Q.  Alors, parlons maintenant de ceci : avez-vous vu le groupe d'hommes

 24   arrivé dans l'école, ces hommes qui gisaient sur le sol ?

 25   R.  [aucune réponse verbale]

 26   Q.  Est-ce que vous pourriez nous dire comment vous avez pu les distinguer

 27   et ce que vous avez vu précisément ?

 28   R.  Oui, Madame. Comme je vous l'ai dit déjà, j'étais dans cette salle de


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  1   classe, j'étais complètement à l'arrière. Et la fenêtre se trouvait sur ma

  2   gauche, la fenêtre sur l'endroit d'où nous étions venus. Je ne sais pas

  3   exactement à quelle heure ceci s'est passé, mais nous avons remarqué qu'il

  4   y avait des camions militaires. Il faisait nuit et il pleuvait des cordes,

  5   vraiment. Ces hommes avaient les mains liées dans le dos et étaient devant

  6   les camions, parce que les camions avaient allumé les grands phares, et les

  7   hommes marchaient devant les camions et ils étaient éclairés par les grands

  8   phares de ces camions. On les a donc fait venir dans cette école, on les a

  9   emmenés au deuxième étage. Il y avait un escalier qui montait jusqu'au

 10   deuxième étage. Ils étaient juste au-dessus de nous dans cette même école.

 11   Q.  Et vous êtes-vous rendu à l'étage supérieur pour aller voir votre père

 12   ?

 13   R.  Non, Madame. Comme je vous l'ai dit auparavant, ils avaient proposé que

 14   nous puissions aller voir ces hommes-là. Il y avait Hajrija Dugonjic qui

 15   venait de se marier, et son mari, Sead Rahmanovic, eh bien, c'est cette

 16   femme qui s'est rendue à l'étage supérieur et a vu son mari. Moi j'avais

 17   peur. En réalité, je ne voulais pas y aller parce que par le passé mon père

 18   -- ils ont proposé, parce qu'on lui avait demandé s'il y avait quelqu'un

 19   d'autre dans le groupe, et je craignais pour sa sécurité ainsi que la

 20   mienne, donc je ne suis pas allé personnellement pour le voir. Mais j'ai

 21   appris de Hajrija -- elle est allée à l'étage supérieur et elle est

 22   redescendue en disant -- eh bien, elle pleurait et elle disait que son mari

 23   était couvert d'ecchymoses. Il lui a fait un signe parce qu'ils étaient

 24   tous là. Mais elle a dit -- il a réussi à lui faire signe pour lui indiquer

 25   qu'ils étaient tous là. Il y a eu 12 autres personnes qui sont allées à

 26   l'étage supérieur pour aller voir leurs parents proches, mais moi j'avais

 27   peur. Si seulement -- si seulement j'y étais allé.

 28   Q.  Est-ce que vous pourriez nous dire ce qui est arrivé le lendemain matin


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  1   ?

  2   R.  Je me souviens de la nuit. On a entendu des bruits de pas au-dessus de

  3   nous. On n'a pas entendu de bruits particuliers. En réalité, cette même

  4   nuit, lorsque nous étions dans la salle de classe, il y avait un soldat

  5   serbe qui était armé jusqu'aux dents et qui a dit qu'il était le capitaine

  6   à Vecici et qu'il avait remarqué cette fille qui était assise devant lui et

  7   lui a demandé -– je suppose qu'ils étaient allés à l'école ensemble, l'a

  8   reconnue et il lui a demandé ce qu'elle faisait et lui a proposé, il lui a

  9   dit : Rien ne va t'arriver. Il lui a donné des bonbons et de l'eau, et il

 10   l'a bien traitée. Mais le lendemain matin, je me souviens, j'essayais de

 11   m'endormir parce que j'avais tellement froid, mes vêtements étaient

 12   détrempés, nous nous sommes réveillés et ils nous ont dit que nous devions

 13   nous rendre à Travnik, qu'il y avait deux autocars qui nous attendaient à

 14   l'extérieur et qu'il nous faut suivre les consignes. Nous allions quitter

 15   l'école, nous allions quitter la salle de classe par la porte arrière par

 16   laquelle nous étions arrivés et nous devions aller jusqu'à la clôture. Il y

 17   avait ces personnes en colère qui nous attendaient. Je me souviens, ils

 18   s'étaient mis en rond pour pouvoir nous tirer dessus, et je me souviens

 19   qu'il y avait des gardes de part et d'autre. Ils nous avaient ordonné de ne

 20   pas y aller, de ne pas courir et qu'il fallait y aller un par un. Donc il y

 21   avait un autocar -- il y en avait deux. Je ne sais pas pourquoi il y en

 22   avait deux. Il y en avait un qui nous attendait, et on nous a ordonné de

 23   marcher lentement en direction de l'autobus. Et on nous a dit que si on

 24   courait, eh bien, le garde qui était armé allait nous tirer dessus. Que si

 25   on courait, on allait nous tirer dessus. Donc il fallait marcher lentement.

 26   Donc on se poussait les uns les autres pour savoir qui allait partir en

 27   premier. Personne ne voulait partir en premier. Je crois qu'à moment donné

 28   il y a eu cet enfant qui avait l'allumette dans la poche que j'ai évoqué un


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  1   peu plus tôt, lui a décidé de partir. Il s'est mis à marcher et il est

  2   arrivé à mi-chemin, et il y avait ces gens qui étaient tellement en colère,

  3   ces civils, et ils l'ont frappé avec des pioches, avec des bâtons. Ils

  4   l'ont frappé. Il est tombé à genoux par terre et ne pouvait plus bouger. Et

  5   ensuite, ils laissaient passer le suivant, et comme ils nous passaient par

  6   les baguettes, ils l'ont traîné, ils ont essayé de l'emmener jusqu'à

  7   l'autocar. Et à chaque fois que quelqu'un me poussait pour essayer de

  8   partir, j'essayais toujours d'éviter d'y aller, donc j'étais l'un des

  9   derniers. Je me souviens que mon objectif était d'arriver au bout du tunnel

 10   jusqu'à l'autocar, et je ne voulais penser à rien d'autre. J'ai senti des

 11   coups terribles dans le dos et j'ai continué à marcher en allant là-bas. Je

 12   ne prêtais pas attention à ce qui se passait. Je ne voulais qu'une chose,

 13   c'était d'arriver à l'autocar. Et pendant que je recevais des coups dans le

 14   dos et sur le reste du corps, je ne me souviens plus, mais je n'essayais

 15   que d'arriver à l'autocar et à la porte de celui-ci. J'étais si près et

 16   cette vielle dame qui était vêtue de noir, elle m'a pris et elle m'a tiré

 17   vers le sol. Elle avait un couteau dans la main et elle a mis ce couteau

 18   sur ma gorge. Elle a dit : Laissez-moi tuer ce balija parce que mes deux

 19   fils ont été tués à Vecici. J'ai essayé de me sortir de là. J'ai voulu

 20   aller de l'avant, je voulais m'arracher à sa prise, mais je ne n'étais pas

 21   assez fort, toutefois. Et le gardien m'a pris, l'a repoussée, elle, et il

 22   m'a jeté dans l'autocar en fermant la porte. Il m'a dit : Assis-toi là et

 23   ne regarde pas autour. On était tous sur des sièges et on pleurait. Et ces

 24   gens, pour une raison quelconque, avaient essayé de faire stopper

 25   l'autocar, ils ne voulaient pas que l'autocar s'en aille. Ils ont fait une

 26   haie d'hommes autour et ils avaient secoué l'autocar, ils tapaient des

 27   mains, des poings, ils jetaient des cailloux et des pierres, ils nous

 28   crachaient dessus. On a passé là une dizaine ou une bonne quinzaine de


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  1   minutes. Je pensais qu'ils allaient finir par renverser l'autocar à tel

  2   point ils étaient en colère.

  3   Et ensuite, enfin, l'autocar a démarré, et une fois qu'on a démarré, je me

  4   suis retourné, et je me souviens, je ne vais jamais l'oublier. J'ai regardé

  5   et j'ai vu à ma droite au deuxième étage une main -- une main qui faisait

  6   des signes. Je n'ai pas vu le corps, j'ai vu la main qui s'agitait et c'est

  7   cette main que je vois et je revois dans mes rêves.

  8   Mme BIBLES : [interprétation] Messieurs les Juges, je vais demander aux

  9   Juges de la Chambre de se référer aux faits jugés 804 à 808 pour ce qui est

 10   des constations faites par les Chambres de première instance précédentes et

 11   celle-ci pour ce qui est de ce qui est arrivé aux hommes qui se trouvaient

 12   au deuxième étage.

 13   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Pour que les choses soient tout à fait

 14   clairement dites, le deuxième étage de quoi.

 15   Mme BIBLES : [interprétation] Oui, je m'excuse.

 16   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Le témoin peut nous le dire.

 17   Mme BIBLES : [interprétation] Oui.

 18   Q.  Est-ce que vous pouvez nous dire qui se trouvait au deuxième étage ?

 19   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Non, pas qui. Il n'a vu qu'une main.

 20   Mais c'était le deuxième étage de quoi.

 21   Mme BIBLES : [interprétation] Oui.

 22   Q.  Alors, pendant que l'autocar s'en allait, vous avez vu une main qui

 23   faisait des signes à partir du deuxième étage de quel bâtiment?

 24   R.  Lorsqu'on est montés à bord de cet autocar, c'était l'école qui se

 25   trouvait à droite, et la main qui se trouvait au deuxième étage, c'était la

 26   main de l'un des hommes qui étaient restés là-bas. Je n'ai pas vu le corps,

 27   je n'ai vu que quelqu'un en train de faire des signes de la main du

 28   deuxième étage de l'école où nous avions été.


Page 587

  1   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.

  2   Mme BIBLES : [interprétation]

  3   Q.  Est-ce que vous avez fini par arriver à Travnik ?

  4   R.  Lorsque nous avons quitté Grabovica dans la direction où on avait

  5   marché précédemment, on a rebroussé chemin par cette même direction, et

  6   tous ceux qui étaient dans l'autocar, y compris le dénommé Zec qui avait

  7   collaboré avec les Serbes, on était tous là, nous aussi, et on a rejoint

  8   les autres autocars. Il devait y en avoir eu 13 à peu près. Et lorsqu'on

  9   s'est approché de Vrbanjci, nous étions le dernier des autocars avec ce qui

 10   restait des civils de Vecici. Je me souviens aussi que nous n'avions pas

 11   parlé à bord de l'autocar. On nous a dit de ne pas parler, de ne rien dire,

 12   de ne faire que regarder devant, et j'ai vu ce dénommé Zec qui disait

 13   bonjour aux soldats à l'intérieur en leur disant qu'ils avaient fait du bon

 14   travail.

 15   Q.  Est-ce que vous avez revu votre mère ?

 16   R.  Quand nous avons quitté Vrbanjci et monté à bord des autocars, est-ce

 17   que nous avons démarré, je ne sais pas dans quelle direction, mais je pense

 18   que c'était en direction de Skender Vakuf et de Vlasici. Et je n'ai pas

 19   revu ma mère à Vrbanjci et je ne l'ai pas revue avant mon arrivée à

 20   Travnik. Ils ne savaient pas, ils n'avaient aucune idée de ce qui s'était

 21   passé derrière eux. Et lorsqu'on a atteint Vlasici, à un moment donné

 22   l'autocar s'est arrêté et on nous a dit de descendre. A ce moment-là, on

 23   laissait passer un ou deux autocars, ils voulaient peut-être laisser le

 24   temps aux soldats de monter à bord de chacun de ces autocars pour pouvoir

 25   demander de l'argent. Et ils sortaient de la forêt par groupe de dix ou 15

 26   pour demander de l'argent. Ils portaient des masques et des uniformes de

 27   camouflage. Je sais que chacun d'entre eux portait un masque, ce qui fait

 28   qu'on ne pouvait pas voir leur visage. Ils demandaient de l'argent, de


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  1   l'or, des objets de valeur, et ils nous faisaient nous déshabiller à nu. Et

  2   puisque notre autocar était le dernier, puisqu'on était les derniers à être

  3   partis de là en essayant d'arriver en sécurité sur le territoire tenu par

  4   la partie bosnienne, je me souviens qu'à chaque fois que ces soldats nous

  5   tombaient dessus pour nous demander de leur donner ce qui nous appartenait,

  6   c'était incroyable, on n'avait plus rien. Et eux ils nous demandaient que

  7   de l'argent : De l'argent, balija, donnez-nous de l'argent, de l'or. Nous

  8   n'avions plus rien. Et je ne sais pas si je l'ai déjà mentionné, à un

  9   moment donné, un soldat s'est approché de moi et m'a mis le couteau sur la

 10   gorge et m'a demandé si j'avais de l'argent. Je lui ai dit que je n'avais

 11   rien. Je n'ai fait que courir en essayant de rejoindre ma mère, et à chaque

 12   fois que j'arrivais à un groupe -- j'allais d'un groupe à l'autre,

 13   d'ailleurs, pour demander où était ma mère. Et les gens étaient

 14   complètement perdus. D'autres ne répondaient pas, certains montraient du

 15   doigt seulement. Je me souviens que non loin de Smetovi, la route était si

 16   pleine, si bondée de biens variés que littéralement il fallait passer par-

 17   dessus des sacs, des vêtements. On ne voyait plus les pavés à tel point il

 18   y avait des affaires jetées partout. Et je crois que ça nous a pris trois

 19   ou quatre -- à trois ou quatre reprises, on a dû sauter pour arriver du

 20   côté bosnien. A chaque fois, il y avait des soldats qui sortaient d'on ne

 21   sait où, en portant des uniformes de camouflage, et ils nous disaient :

 22   Bon, maintenant c'est bon. On nous a donné de l'eau aussi. Et puis, il y

 23   avait des camions et des autocars qui nous attendaient pour nous

 24   transporter vers le côté bosnien.

 25   Q.  On vous a demandé de vous pencher sur une liste de noms pour savoir si

 26   c'étaient des gens qui étaient à vos côtés au tunnel avant que vous

 27   n'arriviez à Grabovica ?

 28   R.  Je n'ai pas compris. Vous pouvez répéter.


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  1   Q.  Oui. Est-ce qu'on vous a montré une liste de noms de personnes qui

  2   avaient été avec vous dans le tunnel avant que vous n'arriviez à Grabovica

  3   ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Et est-ce que ça s'est passé ce week-end-ci ?

  6   R.  C'est exact.

  7   Q.  Et est-ce que vous avez reconnu certains de ces noms ?

  8   R.  Tout à fait.

  9   Mme BIBLES : [interprétation] Monsieur le Président, il me semble que la

 10   façon la plus efficace de procéder serait de se pencher sur les noms des

 11   personnes que le témoin dit avoir reconnus, et je voudrais à cet effet

 12   qu'on nous montre sur nos écrans la pièce 65 ter 28320 à laquelle la

 13   Défense s'est référée un peu plus tôt. Et je voudrais aussi que l'on puisse

 14   se pencher brièvement avec le témoin sur ces noms pour qu'il nous dise

 15   comment se fait-il qu'il les connaisse et quand est-ce qu'il les a vus.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Lukic, y a-t-il un problème

 17   pour ce qui est de cette liste?

 18   M. LUKIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Quel est le fondement ?

 20   M. LUKIC : [interprétation] Le fondement ?

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, le fondement.

 22   M. LUKIC : [interprétation] Mais on nous l'a communiquée ce matin.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

 24   M. LUKIC : [interprétation] Je crois que c'est quand même un fondement qui

 25   suffit.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En effet.

 27   [La Chambre de première instance se concerte]

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Bibles, pouvez-vous nous dire si


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  1   cette liste existait avant que d'avoir été communiquée à la Défense et

  2   quand est-ce que ceci a été communiqué à la Défense ?

  3   Mme BIBLES : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

  4   le témoin a reconnu 14 noms de la liste. Et on le voit dans les notes de

  5   récolement suite à l'interview qui a eu lieu avec le témoin. On l'a traduit

  6   en B/C/S ce dimanche. On l'a envoyé par mail à la Défense dimanche, et

  7   ensuite nous avons fait imprimer la liste des noms, qui figure sur la liste

  8   65 ter, et il n'y a aucune information additionnelle. Il s'agit rien que

  9   d'une liste de noms.

 10   [La Chambre de première instance se concerte]

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, je crois comprendre que

 12   cette liste a été établie pendant une session de récolement. Et si certains

 13   prénoms constituent une surprise pour vous ou si vous estimez qu'il serait

 14   indispensable de faire des recherches ou investigations au sujet de

 15   certains de ces noms, cela serait donc une justification pour ce qui est de

 16   questions complémentaires que vous vous voudriez poser au témoin à cet

 17   effet. L'objection a une finalité. Mais si ce n'est pas le cas, je ne vois

 18   pas en quoi cette liste ne pourrait pas être montrée au témoin, puisque le

 19   témoin a reconnu des noms. Mais une fois de plus, ça peut constituer une

 20   exception si, par exemple, sur la liste il y a des noms qui vous ont pris

 21   par surprise. Madame Bibles, laissez-moi vérifier, la seule finalité de la

 22   liste est l'identification des personnes qui étaient aux côtés de ce témoin

 23   pendant qu'il quittait Vecici ? Rien de plus, rien de moins ?

 24   Mme BIBLES : [interprétation] Oui, les individus en question, ce sont des

 25   gens qu'il a pour la dernière fois vus dans le tunnel, quand ils se sont

 26   rendus ou qui étaient allongés par terre lorsqu'ils ont quitté le tunnel.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, oui.

 28   M. LUKIC : [interprétation] Monsieur le Président.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, Maître Lukic.

  2   M. LUKIC : [interprétation] Une nouvelle fois, je voudrais attirer votre

  3   attention sur une question de procédure. Le document a été rajouté à la

  4   liste 65 ter sans avoir demandé aux Juges de la Chambre leur approbation.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, ça aurait été ma deuxième question.

  6   Bien sûr que l'Accusation doit demander un rajout à la liste 65 ter, et je

  7   crois qu'ils le doivent. Cela va sans dire.

  8   M. LUKIC : [interprétation] Mais je crois qu'ils devaient forcément

  9   demander l'autorisation.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je suis tout à fait d'accord avec vous.

 11   Alors, ils devaient d'abord proposer un versement au dossier, mais comme

 12   c'est une phase assez tardive de la procédure, il doit être fait une

 13   requête pour ce qui est d'un rajout à la liste 65 ter. Mais de façon

 14   conforme à la procédure, vous avez tout à fait raison.

 15   Madame Bibles, si je puis vous le signaler, il y a deux démarches à faire,

 16   il y a d'abord une autorisation à demander pour ce qui est du rajout à la

 17   liste 65 ter et ensuite l'utilisation avec le témoin.

 18   Mme BIBLES : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. J'ai su qu'il

 19   allait y avoir une discussion, et à cet effet je vais demander un versement

 20   à titre officiel du rajout de cette liste de noms à la liste 65 ter.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

 22   Alors, suite à ces commentaires, avez-vous quelque chose à dire encore,

 23   Maître Lukic ?

 24   M. LUKIC : [interprétation] Je vais rester sur les objections que j'ai déjà

 25   soulevées, Monsieur le Président.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon.

 27   Je vais consulter mes confrères.

 28   [La Chambre de première instance se concerte]


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La première décision que nous allons

  2   rendre, c'est de vous autoriser à rajouter ce document à la liste 65 ter.

  3   Donc cette autorisation étant donnée, vous pouvez vous en servir en ce

  4   moment.

  5   Mme BIBLES : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  6   Je voudrais demander au huissier de nous montrer sur nos écrans la pièce

  7   28320 de la liste 65 ter.

  8   Q.  Est-ce que vous voyez cette liste de noms devant vous ?

  9   R.  Oui, Madame.

 10   Q.  Est-ce que vous pourriez nous dire si cette liste est bien celle

 11   comportant les noms que vous avez identifiés comme étant des personnes que

 12   vous aviez connues ?

 13   R.  Oui, Madame.

 14   Q.  Pourriez-vous nous dire à quel endroit vous avez pour la dernière fois

 15   vu les personnes dont les noms figurent sur cette 

 16   liste ?

 17   R.  Oui, Madame. Est-ce que vous voulez que je vous dise quelque chose au

 18   sujet de ces noms ou --

 19   Q.  C'est avec vous que je vais parcourir ces noms un par un. Pouvez-vous

 20   nous dire quand est-ce que vous avez pour la dernière fois vu les gens dont

 21   les noms se trouvent sur la liste ?

 22   R.  Certains d'entre eux, je les ai vus avant le tunnel, d'autres dans le

 23   tunnel, et certains d'entre eux lorsqu'on nous a fait nous allonger sur le

 24   sol.

 25   Mme BIBLES : [interprétation] Monsieur le Président, je viens de me pencher

 26   sur la montre et je réalise que c'est peut-être l'heure de la pause. Mais

 27   je serais heureuse de continuer.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] De combien de temps pensez-vous avoir


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  1   besoin ?

  2   Mme BIBLES : [interprétation] Eh bien, je crois que j'aurais besoin d'au

  3   moins dix minutes.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, bien, le fait que nous avons déjà

  5   fait une pause additionnelle nous fait considérer qu'il serait peut-être

  6   préférable de continuer pendant dix minutes et de faire une pause de 20

  7   minutes et puis d'entamer le contre-interrogatoire.

  8   Mme BIBLES : [interprétation] Merci bien, Monsieur le Président.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Continuez donc.

 10   Mme BIBLES : [interprétation]

 11   Q.  Je voudrais maintenant que nous parcourions brièvement cette liste.

 12   Pouvez-vous nous dire à peu près quel était l'âge de ces gens, et que

 13   savez-vous nous dire à leur sujet ? Le premier s'appelle Nedzad Menzil.

 14   R.  Nedzad Menzil avait un an plus que moi. Lorsqu'on a fait nos prières --

 15   avant la deuxième des prières, on lui a tiré dessus. Et je me souviens bien

 16   qu'il avait un an plus que moi. Il a été touché au ventre et il a été tué,

 17   et son père l'a couvert de branches et l'a laissé là.

 18   Q.  Seval Opakic.

 19   R.  Opakic, Seval et son frère Nedzad. Il avait quelques années de plus que

 20   moi. Avant la guerre il nous donnait des bandes dessinées. Lui, je l'ai vu

 21   dans le tunnel, et je me souviens de lui parce qu'il était constamment à

 22   Vecici et je ne l'avais pas revu depuis Hrvacani, et une fois que je l'ai

 23   vu maintenant, j'ai remarqué qu'il faisait de drôle de bruits. Et il avait

 24   dans la gorge un trou. Il m'a dit qu'à Vecici un obus était tombé à côté et

 25   il a été blessé par un éclat, et à chaque fois qu'il respirait il faisait

 26   cet horrible bruit qui altérait sa voix. Il était dans le tunnel avec moi.

 27   Q.  Pasic, Sefik ?

 28   R.  Pasic, Sefik, c'est mon oncle. Je sais qu'il était allongé à droite à


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  1   même le sol avant que je ne me lève. Il m'a toujours traité comme si

  2   j'étais son propre enfant.

  3   Q.  Et Fadil Pasic ?

  4   R.  Pasic, Fadil -- enfin, j'avais quatre cousins, il y en avait l'un qui

  5   était de mon âge. Il y avait un cousin qui s'appelait Nihad, un cousin un

  6   peu plus éloigné de la famille paternelle. Et on a jouté comme enfants. On

  7   allait même faire du cheval.

  8   Q.  Pasic, Mehmedalija ?

  9   R.  Pasic, Mehmedalija, c'est le papa de la petite fille que j'ai portée à

 10   Hrvacani. Il était chauve, lui. Il était avec nous lui aussi.

 11   Q.  Dans le tunnel ?

 12   R.  Oui, dans le tunnel.

 13   Q.  Mustafa Pasic ?

 14   R.  Pasic, Mustafa, c'est un cousin du côté de la famille de mon père. Sa

 15   maison se trouvait au haut du village, du côté habité par les Pasic. Il

 16   avait un véhicule avant la guerre. Et nous, enfants, on l'aidait à réparer

 17   son véhicule en lui passant les outils.

 18   Q.  Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?

 19   R.  Il était dans le tunnel avec nous.

 20   Q.  Et Pasic, Nihad ?

 21   R.  Pasic, Nihad, mon très cher ami et cousin. Lui aussi était dans le

 22   tunnel. On jouait ensemble enfants. On partageait tout ce qu'on avait.

 23   C'était comme un frère pour moi.

 24   Q.  Pasic, Sakib ?

 25   R.  Pasic, Sakib, c'est un autre cousin du côté paternel. Comme je l'ai

 26   mentionné dans mon témoignage, lorsqu'on est revenus de Hrvacani, l'une des

 27   premières maisons que j'aie vues, c'est celle qui se trouvait à droite,

 28   c'est la sienne.


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  1   Q.  Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?

  2   R.  Je l'ai vu dans le tunnel.

  3   Q.  Rahmanovic, Sead ?

  4   R.  Rahmanovic, Sead, c'était le mari de Hajrija Dugonjic. Ils venaient de

  5   se marier. Je l'ai vu dans le tunnel et dans l'école, et d'après elle il se

  6   trouvait à l'école parce que je me souviens qu'elle était montée à l'étage

  7   et qu'elle m'a dit qu'il se trouvait au deuxième étage.

  8   Q.  Et Turan, Mustafa ?

  9   R.  Turan, Mustafa est originaire de Hrvacani. Son nom de famille me dit

 10   quelque chose. Nous ne sommes pas liés par des liens de famille, mais je

 11   l'ai connu enfant. Il était certainement originaire de Hrvacani.

 12   Q.  Et quand l'avez-vous pour la dernière fois ?

 13   R.  Il était dans le tunnel avant que nous ne descendions.

 14   Q.  Et est-ce que c'est dans le tunnel que vous avez vu pour la dernière

 15   fois aussi ce dénommé Turan, Namko ?

 16   R.  Oui, Madame.

 17   Q.  Et il en va de même pour Turan, Rasim, le tunnel aussi ?

 18   R.  Oui, Madame.

 19   Q.  Et pour ce qui est de Dugonjic, Murat, vous l'avez vu dans le tunnel

 20   aussi pour la dernière fois ?

 21   R.  Dugonjic, Murat - je crois que là il y a une erreur de faite - il

 22   s'agit du père. Muradif, qui est mentionné dans ma déclaration, c'est le

 23   fils, et c'est le fils qui était avec nous. Il faut entendre Muradif et non

 24   pas Murat.

 25   Q.  Donc ça doit être Muradif qu'il faut qu'on mette ?

 26   R.  Oui, comme je l'ai dit dans ma déclaration.

 27   Q.  Et Lihovic, Elvir ?

 28   R.  Lihovic, Elvir, il était là lui aussi. Je l'ai vu avant le tunnel, et


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  1   pendant que nous descendions nous étions près l'un de l'autre. Il est le

  2   mari de ma sœur [comme interprété] qui vivait à Dabovci.

  3   Q.  Et quel est le nom de votre père ?

  4   R.  Mon père s'appelle Pasic, Ahmet.

  5   Q.  Savez-vous nous dire ce qui est arrivé à votre père ?

  6   R.  Messieurs les Juges, étant donné que j'ai passé cette nuit-là là-bas,

  7   je n'ai aucun doute pour ce qui est de considérer qu'ils ont tous été tués.

  8   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Où cela ?

  9   LE TEMOIN : [interprétation] Le reste de ces gens étaient restés à

 10   Grabovica, et je n'ai aucun doute dans mon esprit pour ce qui est de penser

 11   qu'ils ont fini leurs jours là-bas.

 12   Mme BIBLES : [interprétation] Messieurs les Juges, je n'ai plus de

 13   questions pour ce témoin-ci.

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Madame Bibles, j'imagine que vous

 15   voulez demander un versement au dossier de ce document, mais en même temps

 16   je ne vois pas ce que ce document pourrait nous dire de plus en sus du

 17   témoignage du témoin. Mais étant donné qu'il figure sur la liste 65 ter et

 18   que tous les noms ont été mentionnés viva voce dans la déclaration du

 19   témoin -- il y a eu une rectification de faite, toutefois.

 20   Mme BIBLES : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je suis d'accord.

 21   Je vais retirer ma demande de versement.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne me souviens pas qu'il y ait eu une

 23   demande de versement, mais nous allons trancher compte tenu des

 24   circonstances présentes.

 25   Vous n'avez plus de questions ?

 26   Mme BIBLES : [interprétation] Non, je n'ai plus de questions, Monsieur le

 27   Président.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Alors, je vais suggérer une pause.


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  1   Nous allons reprendre à 5 heures, et, Monsieur Lukic, vous allez pouvoir

  2   commencer votre contre-interrogatoire à 5 heures.

  3   Je vais demander au préalable que le témoin soit escorté hors du prétoire.

  4   [Le témoin quitte la barre]

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons faire une pause et

  6   nous allons reprendre à 5 heures.

  7   --- L'audience est suspendue à 16 heures 41.

  8   --- L'audience est reprise à 17 heures 00.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait faire entrer le

 10   témoin dans le prétoire, je vous prie.

 11   Maître Lukic, pourriez-vous nous indiquer de combien de temps vous allez

 12   avoir besoin pour votre contre-interrogatoire, je vous prie ?

 13   M. LUKIC : [interprétation] Je vais essayé de m'en tenir à 60 % de la durée

 14   de l'interrogatoire principal.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Soixante pourcents, dites-vous, ce qui

 16   nous donne un peu plus d'une heure ?

 17   M. LUKIC : [interprétation] Une heure et 15, me semble-t-il.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Alors, nous allons suivre votre

 19   contre-interrogatoire. Si vous pouvez être plus bref pour que nous

 20   puissions en terminer avec ce témoin en une heure, ce serait, bien entendu,

 21   une meilleure solution.

 22   M. LUKIC : [interprétation] Je vais m'évertuer de le faire.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais, de toute façon, nous nous en

 24   tiendrons à ce qui sera fait par vous-même.

 25   M. LUKIC : [interprétation] Ecoutez, je vais essayer. Je vais vraiment

 26   essayer de diminuer le nombre de mes questions.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous en remercie.

 28   [Le témoin vient à la barre]


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je pensais que nous allions siéger

  2   jusqu'à 18 heures, or on m'apprend que nous allons siéger jusqu'à 17 heures

  3   45. C'est pour cela je vous avais posé la question et, en fait, ma prémisse

  4   était erronée.

  5   Monsieur Pasic, vous allez maintenant répondre au contre-

  6   interrogatoire de Me Lukic, Me Lukic qui est le conseil de M. Mladic.

  7   Maître Lukic.

  8   M. LUKIC : [interprétation] Merci beaucoup.

  9   Contre-interrogatoire par M. Lukic :

 10   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur Pasic. Vous pouvez tout à fait

 11   me répondre en anglais si vous le souhaitez.

 12   R.  Bonjour.

 13   Q.  Pourriez-vous nous dire quel était le nom de votre grand-père ?

 14   R.  Mon grand-père ? Mon grand-père s'appelait Ala [comme interprété]

 15   Pasic.

 16   Q.  Merci. Et vous avez énuméré -– ou plutôt, le Procureur a énuméré des

 17   noms. Est-ce que vous pourriez très rapidement nous donner ces noms à

 18   nouveau, très rapidement sans consulter la liste, je vous prie ?

 19   R.  Oui, tout à fait. Eh bien, je vais commencer par le nom de mon père,

 20   Ahmet Pasic; Nihad Pasic; Mehmedalija Pasic; Mustafa Pasic; Fadil Pasic;

 21   Dugonjic, Muradif, le fils de Murat; Menzil, Nedzad; Turan, Mustafa; Turan,

 22   Namko.

 23   Q.  Bien. Je vous remercie.

 24   R.  Je vous en prie.

 25   Q.  Alors, j'aimerais maintenant que nous fassions quelque chose assez

 26   rapidement. Pourriez-vous, je vous prie, résumer, nous donner un bref

 27   descriptif de vos déplacements, puisque vous vous êtes déplacé de lieu en

 28   lieu après votre départ de Hrvacani, et est-ce que vous pourriez nous dire


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  1   rapidement également combien de temps vous êtes resté dans ces différents

  2   lieux ?

  3   R.  Oui, tout à fait. Alors, après mon départ de Hrvacani, alors, bien

  4   évidemment, la première étape ce fut Plitska. Bon, je dirais que j'y suis

  5   resté une ou deux journées, écoutez, je ne sais pas. Bon, peut-être que

  6   j'ai passé un jour à Plitska. Je n'en suis pas très sûr, mais ce dont je

  7   suis sûr, c'est que dès que nous sommes arrivés à Plitska, nous nous sommes

  8   rassemblés, je pense que ce fut la même journée, et là les forces serbes

  9   ont commencé à bombarder Plitska. Ce qui fait que de Plitska, nous –- en

 10   fait, à Plitska, nous avons essayé de décider de nous rendre, certains sont

 11   allés à Bilice, d'autres à Cirkino Brdo. Et le frère de ma tante qui venait

 12   de Cirkino Brdo, qui s'appelle Hasan, est venu la chercher et nous a

 13   demandé d'aller avec elle parce qu'il avait plutôt deux maisons là-bas. Je

 14   pense que c'est le même jour que nous y sommes allés avec sa sœur, donc

 15   avec ma tante, Zena Pasic, et là nous sommes allés à Cirkino Brdo. Et nous

 16   y sommes restés, à Cirkino Brdo –- je ne sais pas exactement combien de

 17   jours nous y sommes restés parce que nous sommes allés à Cirkino Brdo, puis

 18   ensuite de Cirkino Brdo --

 19   Q.  Donc vous ne savez pas combien de temps vous êtes restés à Cirkino Brdo

 20   ?

 21   R.  Ecoutez, je dirais que nous y sommes restés deux semaines, voire trois

 22   semaines. Je n'en suis pas sûr.

 23   Mais ce que je sais, c'est que nous y étions et nous avons aidé Hasan, nous

 24   avons travaillé dans son champ, donc nous sommes restés en tout cas

 25   plusieurs jours --

 26   Q.  Merci. Combien de temps est-ce que vous êtes restés à Bilice ?

 27   R.  Donc nous sommes allés de Cirkino Brdo à Bilice, et nous sommes restés

 28   environ un mois à Bilice avant d'essayer de revenir -- donc je dirais que


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  1   nous sommes restés un mois à Bilice.

  2   Q.  Puis ensuite, vous êtes donc allés à Hrvacani, et combien de temps est-

  3   ce que vous y êtes restés ?

  4   R.  A Hrvacani, nous y sommes restés une demi-journée. Nous avons essayé

  5   parce que nous voulions aller nulle part, en fait, nous ne voulions pas

  6   créer de problèmes ou engendrer des problèmes pour les personnes qui

  7   avaient signé cette allégeance. Donc, peut-être c'est le même jour que nous

  8   sommes partis pour Garici.

  9   Q.  Et combien de temps est-ce que vous êtes restés à Garici ?

 10   R.  Ecoutez, je dirais un mois environ également, un mois où nous étions

 11   chez Atif, et nous l'avons aidé également.

 12   Q.  Ensuite, vous êtes allés à Bilice, n'est-ce pas ? Et combien de temps

 13   est-ce que vous y êtes restés, à Bilice ?

 14   R.  Oui, c'est exact. Nous sommes allés effectivement à Bilice. Je ne sais

 15   pas combien de jours nous y sommes restés. Ce que je sais, c'est que

 16   lorsque nous y sommes retournés pour la deuxième fois -- c'est là, en fait,

 17   que mon frère est venu à Bilice. Il est arrivé à Bilice, il nous a dit

 18   qu'il avait appris qu'ils allaient se rendre et qu'il allait nous emmener à

 19   Vecici. En fait, sa suggestion c'était que nous retournions à Garici parce

 20   que Vecici n'était pas un lieu très sûr pour nous. Donc nous y avons passé

 21   quelques jours, mais je ne sais pas combien de temps exactement.

 22   Q.  Et combien de temps êtes-vous restés à Garici ?

 23   R.  Je ne me souviens pas exactement le nombre de jours que nous y avons

 24   passés, mais je sais –- écoutez, je ne sais pas. Je ne sais pas.

 25   Q.  Mais vous y êtes restés plusieurs jours, quand même ?

 26   R.  Ecoutez, je dirais plutôt un mois d'ailleurs. Mais je n'en suis pas

 27   sûr.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, je préférerais que vous


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  1   laissiez le témoin répondre à ces questions. Ses réponses sont assez

  2   brèves.

  3   M. LUKIC : [interprétation] Bien.

  4   Q.  Et à Vrbanjci, est-ce que vous vous êtes contentés de récupérer ou de

  5   prendre vos papiers, les documents, ou est-ce que vous y êtes restés ?

  6   R.  A Vrbanjci -- nous sommes arrivés à Vrbanjci, nous avons obtenu nos

  7   documents, et dès que ma mère et les autres civils ont obtenu les

  8   documents, le même jour nous sommes partis à Vecici.

  9   Q.  Donc, ensuite, combien de jours vous êtes restés cette fois-là à Vecici

 10   ?

 11   R.  Je sais que j'y ai passé une nuit. Je sais que nous y avons passé une

 12   nuit parce que nous avons rencontré, ou retrouvé, plutôt, mon père, et

 13   c'est là qu'ils ont décidé de la direction que nous allions emprunter. Et

 14   le lendemain nous sommes partis.

 15   Q.  Et avant que vous n'arriviez à Grabovica, combien de temps est-ce que

 16   vous avez en quelque sorte voyagé parce que vous essayiez -- en fait, avant

 17   que vous ne soyez arrêtés dans le tunnel lorsque vous essayiez de repartir

 18   de Vecici ?

 19   R.  Alors, je sais que nous sommes partis cette nuit-là, vers 21 [comme

 20   interprété] heures. Donc nous nous sommes déplacés pendant la nuit et c'est

 21   vers minuit environ que nous sommes tombés dans cette embuscade, donc le

 22   lendemain nous étions ensemble à 4 heures, 6 heures, à 7 heures, là il y a

 23   eu une deuxième embuscade qui a duré toute la journée. Et ce n'est que,

 24   donc, le jour suivant que nous nous sommes retrouvés dans le tunnel.

 25   Q.  Donc cela a duré deux jours, grand maximum, n'est-ce pas ?

 26   R.  Oui.

 27   Q.  Alors, j'aimerais maintenant vous poser une autre question à propos de

 28   la fête de Bajram. Est-ce que vous vous souvenez si c'était Kurban Bajram,


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  1   ou est-ce que c'était la fête du Ramadan Bajram ?

  2   R.  Ecoutez, je ne me souviens pas. Je suppose qu'il s'agissait de la fête

  3   de Kurban Bajram. Ecoutez, je ne sais pas. Je ne sais pas si c'était donc

  4   la fête qui suit le jeûne ou si c'était la fête du Bajram lorsque nous

  5   avons les différents rites. Je ne sais plus maintenant.

  6   Q.  Très bien. Vous avez parlé de la JNA. Est-ce que la JNA regroupait en

  7   quelque sorte toutes les appartenances ethniques avant la guerre ?

  8   R.  Oui, c'est ce que je pense. Oui, avant la guerre, oui.

  9   Q.  Et votre frère - vous aviez des frères - était dans la JNA. Est-ce

 10   qu'il faisait son service militaire ou est-ce qu'il suivait des cours d'une

 11   école militaire ?

 12   R.  Non, non, mon frère ne faisait pas son service militaire. Il suivait

 13   les cours d'une école militaire.

 14   Q.  Quel âge avait-il à l'époque ?

 15   R.  Il est né en 1973. Je ne sais pas, il avait 18, 19 ans. Je n'en sais

 16   rien. Je n'en suis pas sûr.

 17   Q.  Est-ce qu'il s'agissait d'une école secondaire ou est-ce qu'il suivait

 18   les cours d'une académie militaire ?

 19   R.  Ecoutez, je pense que c'était l'académie militaire…

 20   Q.  Mais si vous le savez, à quelle école secondaire est-ce qu'il est allé

 21   avant cela ? Est-ce qu'il s'agissait également d'une école militaire ?

 22   R.  Non, non. Il a terminé ses études secondaires à Vrbanjci. Et ensuite,

 23   d'ailleurs je souhaiterais fournir une explication, donc il a fini l'école

 24   secondaire à Vrbanjci, et ensuite il a postulé. Avant la guerre, mon père

 25   avait exprimé le vœu qu'il suive des cours de cette école, alors que ma

 26   mère était opposée à cette idée. Mais il a écouté mon père, il a postulé

 27   pour pouvoir être accepté et, en fait, bon, il s'est rendu à Banja Luka et

 28   à Sarajevo. Il a présenté des examens supplémentaires. Il a été reçu. Je


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  1   sais que mon père était très, très fier de lui. Donc il a fini l'école à

  2   Vrbanjci, et ensuite il a été admis à l'académie militaire, et c'est pour

  3   cela qu'ensuite il est allé à Sarajevo.

  4   Q.  Un peu plus tôt vous avez mentionné le fait que les hommes avaient des

  5   AK-47. Est-ce que vous connaissiez le nom de ce fusil à l'époque, et si tel

  6   est le cas, comment se fait-il que vous connaissiez ce nom de fusil ?

  7   R.  Ecoutez, bon, depuis que je vis aux Etats-Unis, bon, c'est là que j'ai

  8   appris ce qui était qu'un AK-47. Mais je sais qu'en Bosnie on appelle cela

  9   un "fusil automatique". Et c'est parce que je suis aux Etats-Unis que je

 10   sais qu'il s'agissait de AK-47. Voilà comment je l'ai appris.

 11   Q.  Merci. Vous avez également parlé de chars, vous avez dit que vous avez

 12   vu des chars à cet endroit et on vous a dit qu'il y avait des exercices

 13   militaires en cours à cet endroit-là. A l'époque, les colonnes militaires

 14   de Croatie passaient-elles sur cette 

 15   route-là ? Vous avez dit qu'elles allaient en direction de Doboj ?

 16   R.  Le premier convoi lorsque j'ai quitté l'école, lorsque nous sommes

 17   sortis de l'école, c'était manifestement la JNA. Je n'ai pas vu d'insignes

 18   particuliers ou quelque chose comme ça, mais je sais que c'était la JNA. Il

 19   y avait l'étoile et les chars et essentiellement les trois doigts et les

 20   uniformes de camouflage vert olive.

 21   Q.  Savez-vous à quel moment les combats ont commencé dans la municipalité

 22   de Kotor Varos et qui a pris le contrôle de Kotor 

 23   Varos ? A l'époque, le saviez-vous ?

 24   R.  Manifestement, lorsque notre village a été attaqué, je ne sais pas

 25   exactement à quel mois, c'était pendant la fête du Bajram, nous avons été

 26   attaqués par les Serbes. Et comme je l'ai dit précédemment, nos voisons ont

 27   remarqué qu'il y avait des activités en cours, le fait que les tranchées

 28   soient creusées, et c'était l'armée serbe. Je ne sais pas -- à ce moment-


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  1   là, c'étaient les Serbes et ils contrôlaient Kotor Varos à ce moment-là.

  2   Ils étaient dans la ville et contrôlaient quasiment tout Kotor Varos

  3   jusqu'au jour où ils ont pris le contrôle de la ville.

  4   Q.  Et savez-vous où se trouve le village de Serdare ?

  5   R.  Oui. Lorsque j'étais à Cirkino Brdo, cela n'est pas très éloigné de

  6   Cirkino Brdo. Je ne sais pas quelle est la distance par rapport à Hrvacani,

  7   mais lorsque nous nous sommes mis à l'abri à Cirkino Brdo, il n'y avait pas

  8   beaucoup de maisons à cet endroit-là. Il y avait les Serbes. Je ne sais

  9   pas, au point de vue distance, quelle distance cela représente, mais je

 10   sais à peu près où c'est.

 11   Q.  Etant donné que vous vous êtes déplacé dans cette région, avez-vous vu

 12   ce village incendié, détruit, et des personnes qui ont été évacuées ?

 13   R.  Je me souviens du moment où nous allions d'un endroit à un autre et

 14   nous cherchions une maison où nous mettre à l'abri. Je crois que nous

 15   n'avons jamais été proches de ce village, car la plupart de nos

 16   déplacements lorsque nous avons quitté Hrvacani et lorsque nous nous

 17   dirigions vers Cirkino Brdo, à Hanifici, Plitska et Bilice, ça c'est tout à

 18   fait au nord, donc je n'ai jamais eu l'occasion de me rapprocher de ce

 19   village. Nous allions d'un endroit à un autre, nous traversions les

 20   collines. Je crois que c'était au nord de cet endroit. Je n'ai jamais

 21   traversé le village de Serdare.

 22   Q.  Encore une fois, quelques mots au sujet de votre frère. Est-ce qu'on

 23   avait insulté votre frère parce qu'il avait fait partie de l'académie

 24   militaire de la JNA pendant un moment ?

 25   R.  Comme je vous l'ai dit, mon frère avait été à l'académie militaire,

 26   avait quitté la maison et ne pouvait revenir à la maison qu'au mois de mai.

 27   C'est à ce moment-là qu'il était en permission et qu'il venait nous voir.

 28   Et lorsqu'il est venu au mois de mai pour nous rendre visite, il était


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  1   habillé de l'uniforme, ce n'était pas un uniforme vert olive, mais c'était

  2   un uniforme bleu comme un pilote. Je me souviens. Et il avait une certaine

  3   allure. Et lorsque la guerre en Croatie et en Slovénie avait déjà éclaté,

  4   les gens commençaient à l'insulter et à l'appeler Chetnik, car il était

  5   toujours un soldat d'active et il faisait toujours partie de l'académie

  6   militaire à ce moment-là.

  7   Q.  Merci. Est-ce que nous pouvons en conclure que les gens de votre

  8   municipalité appelaient "Chetnik" toute personne qui portait un uniforme de

  9   la JNA, quelle que ce soit son appartenance ethnique ?

 10   R.  Je ne sais pas très bien comment répondre à cette question-là --

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je crois qu'il faudrait de toute façon

 12   un fondement factuel approprié, Maître Lukic, avant de déduire de

 13   quelconques conclusions.

 14   M. LUKIC : [interprétation] Je crois que je l'avais fait, Monsieur le

 15   Président --

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

 17   M. LUKIC : [interprétation] -- parce que si son frère est Musulman et qu'on

 18   l'appelle un "Chetnik" --

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce qu'il s'agit d'un fondement

 20   approprié lorsqu'il s'agit de répondre à la question : "Pouvons-nous en

 21   conclure que les personnes de votre village appelées 'Chetniks' étaient

 22   ceux qui portaient l'uniforme…" ? Nous avons eu un cas de ce genre --

 23   M. LUKIC : [aucune interprétation]

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] -- et peut-être que nous pouvons

 25   demander au témoin s'il est au courant d'une quelconque autre personne qui

 26   portait cet uniforme et qu'on appelait un Chetnik, et à ce moment-là nous

 27   aurions peut-être un fondement plus large nous permettant de déduire nos

 28   conclusions de la sorte.


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  1   Savez-vous si quelqu'un d'autre outre votre frère portait un uniforme de la

  2   JNA et qu'on l'aurait appelé un "Chetnik" dans votre village également ?

  3   LE TEMOIN : [interprétation] Eh bien, Monsieur le Président, si vous me le

  4   permettez, je ne me souviens pas à ce moment-là que quelqu'un qui faisait

  5   partie de la JNA ou qui servait au sein de la JNA hormis mon frère, qui

  6   faisait partie de l'armée. Donc, si ses amis l'appelaient comme ça, à ce

  7   moment-là je ne sais pas. Je ne m'en souviens pas s'ils appelaient

  8   quelqu'un d'autre de ce nom-là, je ne sais pas. C'est tout simplement à

  9   cause de l'uniforme. Mais cela, je ne m'en souviens pas.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, veuillez poursuivre.

 11   M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 12   Q.  Aviez-vous l'impression qu'il y avait une animosité envers la JNA dans

 13   votre village ?

 14   R.  Absolument pas. Si vous me le permettez, avant la guerre, la JNA --

 15   bien évidemment, tout le monde devait faire son service militaire. Il

 16   fallait faire son service dans la JNA avant la guerre, et moi je me

 17   souviens de plusieurs personnes qui faisaient leur service militaire. Quand

 18   j'étais petit, quand j'étais en classe, on respectait Tito, et il y avait

 19   des exercices militaires que l'on faisait bien avant la guerre, lorsque des

 20   membres de la JNA venaient faire les exercices militaires dans mon village.

 21   Et je me souviens, quand nous étions enfants, nous allions à la mosquée, et

 22   il y avait des groupes en bleu, des groupes en vert, et ils faisaient des

 23   exercices et nous nous joignions à eux, nous nous joignions à ces groupes.

 24   On respectait l'armée avant la guerre.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je remarque que vous vous êtes concentré

 26   sur la période qui a précédé la guerre. Alors il est vrai que Me Lukic n'a

 27   pas donné un cadre temporel très précis lorsqu'il a posé sa question.

 28   Maître Lukic, lorsque vous avez parlé de l'animosité, est-ce que vous


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  1   pouvez préciser cela; est-ce que c'est la période qui a précédé la guerre

  2   ou est-ce que c'est à partir de 1992, au moment où il y a eu des problèmes

  3   ?

  4   M. LUKIC : [interprétation] Il n'y avait plus la JNA à ce moment-là. Moi je

  5   parlais de la période qui a précédé la guerre, et il a répondu à ma

  6   question.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. C'est clair à mes yeux maintenant.

  8   Je vous remercie. Veuillez poursuivre.

  9   M. LUKIC : [interprétation]

 10   Q.  Alors, vous dites que votre père a quitté la maison familiale. Est-ce

 11   qu'il est revenu le même jour, la même nuit ?

 12   R.  Lorsque le pilonnage a commencé, nous étions dans la cave, comme je

 13   vous l'ai dit. Et je ne sais pas ce qui s'est passé. Il est parti, je sais

 14   que ce matin-là, la nuit ou le lendemain, il est venu taper à cette fenêtre

 15   et il nous a dit que nous devions sortir --

 16   Q.  Merci. Nous vous avons entendu là-dessus. Alors, avant son retour, vous

 17   dites avoir entendu le pilonnage. Avez-vous également entendu le bruit des

 18   combats, de tirs de fusil ?

 19   R.  Oui. Nous avons entendu le pilonnage et nous avons également entendu

 20   les balles -- parce que, comme je vous l'ai dit, mon village est disposé de

 21   la façon suivante : il y a la partie sud, je ne sais pas si cela venait

 22   Novakovo Brdo ou de Savici ou Tepici, mais les explosions que nous avons

 23   entendues, nous les avons bel et entendues, et il y avait les balles.

 24   Q.  Merci. Avez-vous appris combien de personnes ont été tuées suite au

 25   pilonnage et combien de blessés il y avait ?

 26   R.  Nous avons appris ce matin-là lorsque nous nous sommes échappés en

 27   direction de Plitska, en réalité lorsque nous sommes arrivés à la maison,

 28   je sais, parce que je l'ai vu de mes propres yeux, qu'il y avait un homme


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  1   qui avait une trentaine d'années qui était blessé à cause de l'obus qui

  2   l'avait frappé, il hurlait et il faisait du bruit. Et ma mère était là, et

  3   on l'auscultait, on regardait. Il y avait un éclat d'obus qui était là,

  4   dans sa poitrine, et on demandait si quelqu'un était là pour colmater la

  5   blessure et pour la panser. Et cette femme qui était infirmière a essayé --

  6   elle allaitait son enfant et elle a essayé de mettre du lait de son sein

  7   sur la blessure. Je me souviens que cette personne était blessée à cause de

  8   l'obus. Je ne souviens pas que quelqu'un ait été tué hormis les personnes

  9   qui étaient restées dans mon village.

 10   Q.  Vous êtes ensuite allé à Cirkino Brdo, et vous dites qu'ils avaient

 11   signé une déclaration d'allégeance et que rien ne leur est arrivé. J'ai

 12   tellement entendu parler de cette déclaration d'allégeance. Est-ce quelque

 13   chose que vous avez vu ou était-ce simplement des gens qui parlaient ?

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] A savoir, Maître Lukic, si vous avez

 15   entendu beaucoup parler de la déclaration d'allégeance, ce n'est pas très

 16   pertinent. Vous souhaitez savoir du témoin si, oui ou non, il a vu ces

 17   déclarations d'allégeance ?

 18   M. LUKIC : [interprétation] Oui.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Outre le fait de faire vos remarques sur

 20   votre vécu, veuillez poser la question au témoin et poursuivre.

 21   M. LUKIC : [interprétation]

 22   Q.  Monsieur, Monsieur Pasic, avez-vous jamais vu quelque chose qui

 23   ressemble à une déclaration d'allégeance ?

 24   R.  Non, Monsieur, je n'ai jamais vu de déclarations écrites,  outre le

 25   moment où nous nous sommes rendus à Vrbanjci. Il y avait un morceau de

 26   papier sur lequel il était dit que nous allions de Vrbanjci à Vecici. Mais

 27   pour ce qui est de Cirkino Brdo, je n'ai jamais vu ce document de mes

 28   propres yeux. Non, je ne l'ai jamais vu.


Page 609

  1   Q.  Merci. Les personnes qui étaient à Cirkino Brdo faisaient partie du

  2   même groupe ethnique que vous, n'est-ce pas ?

  3   R.  Oui, nous étions tous des Musulmans, à 100 %.

  4   Q.  Donc la seule différence entre eux et les habitants de Hrvacani était

  5   le fait qu'ils ne faisaient pas la guerre contre les Serbes, n'est-ce pas ?

  6   R.  La différence porte sur la chose suivante : Hrvacani a été attaqué. Je

  7   ne me souviens pas qu'ils aient proposé que nous nous rendions si nous

  8   posions les armes ou quelque chose comme ça. Pour ce qui est de Cirkino

  9   Brdo, qui ont signé une déclaration d'allégeance envers les Serbes, je sais

 10   que même quand ils avaient signé cette déclaration d'allégeance, je sais

 11   que bon nombre de civils, même après avoir signé à Hrvacani, ont été brûlés

 12   dans une mosquée. Donc ce n'était pas une garantie à 100 %. Et ce serment

 13   d'allégeance a été signé à Hanifici et à Cirkino Brdo.

 14   Q.  Quand avez-vous entendu parler de ce qui s'est passé à Hanifici ? Parce

 15   que vous ne l'avez pas mentionné jusqu'à présent ?

 16   R.  Maintenant que je suis complètement retourné dans le temps vers cette

 17   période, lorsqu'on est allés à Cirkino Brdo pour aider Hasan à faire sa

 18   récolte, il a été, lui, informé du fait que dans le cas où il aiderait les

 19   civils de Hrvacani à rester là ou revenir là, cela risquerait de mettre en

 20   péril Cirkino Brdo. Je ne souviens pas du jour où ça s'est fait, mais on

 21   est allés dans les champs à Cirkino Brdo et on a entendu des gens demander

 22   de l'aide et crier en courant depuis Hanifici, puisque Cirkino Brdo c'est

 23   plus haut placé que Hanifici, et on a vu des soldats entrer là-bas,

 24   incendier les maisons et des hommes crier. Ils les ont tous rassemblés dans

 25   la mosquée, et alors ils ont mis le feu à la mosquée. C'est là que nous

 26   avons pris nos affaires et qu'on est revenus vers Plitska et Bilice, y

 27   compris certaines personnes originaires de Cirkino Brdo. Et nous avons

 28   tous, en fin de compte, été à Bilice.


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  1   Q.  Et savez-vous nous dire combien de gens sont tombés à Hanifici ?

  2   R.  Je ne me souviens pas à part entière. Je sais que j'ai vu de la fumée

  3   en provenance de la mosquée. Je ne sais pas combien de victimes il y a eu

  4   dans la mosquée.

  5   Q.  Et ensuite, vous arrivez à Bilice. Bilice, c'est un village croate,

  6   n'est-ce pas ?

  7   R.  Oui, Monsieur.

  8   Q.  Est-ce qu'ils étaient bien armés là-bas; c'est bien exact ?

  9   R.  Lorsqu'on s'est approchés de Bilice –- je ne sais plus si c'était la

 10   première ou deuxième fois, on y a été et puis on est revenus, mais on est

 11   entrés du côté de Kotor Varos. Et j'ai vu dix à 15 personnes avec des armes

 12   automatiques, armées donc jusqu'aux dents, organisées, et ils avaient des

 13   insignes croates -- ou des symboles indiquant qu'ils étaient Croates.

 14   Q.  Est-ce que vous avez vu des tranchées de creusées autour de Bilice ?

 15   R.  Oui, Monsieur.

 16   Q.  A Bilice, il y avait des hommes en âge de combattre qui étaient déjà

 17   venus de votre village à vous, n'est-ce pas ?

 18   R.  La plupart des hommes étaient là-bas. Nous, on était du côté est de

 19   Bilice.

 20   Q.  Mais il était évident qu'ils s'apprêtaient ou qu'ils avaient déjà

 21   participé à des combats contre les Serbes ?

 22   R.  Ca, je ne le sais pas. Je sais que lorsque nous sommes entrés dans le

 23   village, les hommes, mon père et mon frère, il n'y avait pas de –- enfin,

 24   on ne nous a pas porté de tort mis à part le fait que nous avons ouï dire

 25   que du côté de Bilice, plus proche de Kotor Varos, il y avait eu des

 26   combats intenses, on avait entendu des tirs. Dans la partie où nous nous

 27   trouvions, il n'y avait rien, il n'y avait ni pilonnage ni rien d'autre.

 28   Q.  Là-bas, il y avait déjà votre frère et votre père, n'est-ce pas ?


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  1   R.  C'est exact.

  2   Q.  Les gens originaires de Hrvacani qui n'étaient pas originaires de

  3   Bilice étaient déjà partis en direction de Vecici, n'est-ce pas ?

  4   R.  Certaines personnes étaient restées à Bilice et d'autres étaient, en

  5   effet, parties vers Vecici.

  6   Q.  Votre frère et votre père, vous les avez trouvés à Bilice, et ensuite,

  7   tous les deux, ils sont partis vers Vecici, n'est-ce

  8   pas ?

  9   R.  Je ne sais pas si ça s'est passé la deuxième des fois où on est allés à

 10   Bilice ou la première des fois. Ce que je sais, c'est que mon père était

 11   allé la première ou la deuxième fois vers Vecici. Mais mon frère, lui, est

 12   resté là-bas, et je pense qu'à un moment donné il était à nos côtés là-bas.

 13   Puis, nous, on est partis et on est revenus. Lui, il est parti et il est

 14   revenu aussi, et il nous a dit qu'il a appris qu'il fallait que nous nous

 15   rendions. Alors, pour répondre à votre question, je dirais : Oui, mon père

 16   a quitté Bilice pour Vecici.

 17   Q.  Merci. Ensuite, vous retournez à Hrvacani, et vous avez précisé que

 18   vous étiez 50 à 70 à le faire. Et vous rencontrez deux soldats serbes ce

 19   faisant. L'un était blessé et l'autre le portait. Savez-vous nous dire

 20   comment ce soldat avait été blessé ?

 21   R.  Lorsque nous nous sommes approchés d'eux, celui qui était debout - je

 22   crois que la question a été déjà posée - il y en avait eu –- enfin, je n'ai

 23   pas vu l'homme en train de saigner, je ne savais pas s'il était blessé. Il

 24   était plié, il était recroquevillé, et l'autre le soutenait. Je ne sais pas

 25   s'il saignait, mais ils semblaient être pressés très pressés. Mais je n'ai

 26   vu personne saigner.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi. Monsieur Pasic, excusez-moi

 28   d'intervenir, mais la question était celle de savoir si vous savez comment


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  1   ils ont été blessés. Non pas où se trouvaient les blessures, mais si vous

  2   savez nous dire ce qu'il était advenu d'eux. Est-ce que vous savez quoi que

  3   ce soit à ce sujet ?

  4   LE TEMOIN : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président. Je ne sais

  5   pas ce qu'il leur est arrivé. Je ne sais pas s'ils ont été blessés, mais je

  6   me souviens de les avoir vus là-bas. Et je ne sais pas si cet homme a été

  7   blessé à la ligne ou ailleurs.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Je vais vous convier à vous

  9   concentrer sur la question.

 10   LE TEMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, continuez.

 12   M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 13   Q.  Ces deux soldats ont-ils essayé de vous stopper ou de vous empêcher de

 14   retourner vers Hrvacani ?

 15   R.  A un moment, l'un de ces soldats était véritablement en colère et il a

 16   dit qu'il n'y avait pas de place pour les balija à Hrvacani et que notre

 17   place était en Turquie. Il a dit que : Si vous allez là-bas, nous n'allons

 18   pas assumer de responsabilité si quelque chose vous arrivait. Il nous a

 19   injuriés, et ensuite ils sont partis.

 20   Q.  Comme le Juge Orie, je vous demande de vous concentrer sur la question.

 21   Est-ce qu'ils ont tué quelqu'un ? Est-ce qu'ils ont  blessé quelqu'un ?

 22   Est-ce qu'ils ont tabassé quelqu'un ? Est-ce que d'une façon quelconque ils

 23   vous ont empêchés de continuer votre chemin en direction de Hrvacani ?

 24   R.  Merci d'avoir apporté cet éclaircissement. Non, ce n'est pas le cas.

 25   Q.  Merci.

 26   M. LUKIC : [interprétation] Donnez-moi un instant, Monsieur le Président,

 27   je vous prie.

 28   Q.  Vous avez parlé de Hrvacani. Un groupe de soldat s'approche de vous et


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  1   vous dites qu'il y en avait 15 à être masqués. Ceux qui portaient des

  2   masques, avaient-ils porté des croix avec les quatre S ou est-ce qu'ils

  3   portaient des insignes autres ?

  4   R.  Comme je l'ai déjà mentionné auparavant, il s'agissait de 15 à 20

  5   soldats. Ils ne portaient pas tous des masques. Je me souviens du fait que

  6   certains d'entre eux étaient masqués, d'après ce que j'ai pu voir. Sur

  7   d'autres, j'ai vu l'insigne à quatre S, certains portaient des masques,

  8   d'autres pas, et tous ne portaient pas des croix à quatre S.

  9   Q.  Bon. D'autres, vous nous avez dit, étaient en uniforme de couleur vert

 10   olive et d'autres avaient des uniformes de camouflage, vous dites qu'ils

 11   étaient transportés par un tracteur. Est-ce qu'ils avaient l'air d'être des

 12   soldats à vos yeux, ou est-ce qu'ils faisaient figure d'une bande locale,

 13   d'un gang local ?

 14   R.  Je ne sais pas. Je sais qu'ils avaient un chef, c'était celui qui était

 15   sorti pour aider avec l'eau. Les autres semblaient écouter ses ordres,

 16   prêter une oreille attentive à ses ordres. Etaient-ils des soldats ou une

 17   bande, je n'en ai aucune idée.

 18   Q.  Merci. Mais eux n'ont tué personne, n'ont blessé personne, n'ont

 19   tabassé personne; est-ce bien exact ?

 20   R.  C'est exact.

 21   Q.  Ensuite, vous êtes allés à Garici, chez de la famille. Alors, parlant

 22   de Garici, était-il exact de dire que les habitants de Garici étaient

 23   restés de façon non entravée en quoi que ce soit chez eux dans leurs

 24   maisons jusqu'à la fin de la guerre ?

 25   R.  Excusez-moi, est-ce que vous pouvez reformuler votre question.

 26   Q.  Certainement.

 27   Est-il exact de dire que ce parent à vous que vous aviez à Garici, tout

 28   comme les autres habitants de Garici, est resté dans sa maison et les


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  1   autres aussi dans leurs maisons jusqu'à la fin de la guerre ?

  2   R.  C'est exact.

  3   Q.  Avant que vous n'alliez vers Garici, vous vous êtes concertés entre

  4   vous pour savoir où est-ce qu'il vous fallait aller. Personne ne vous a

  5   donné un ordre pour vous dire qu'il fallait aller à tel endroit, n'est-ce

  6   pas ?

  7   R.  Non, nous en tant que groupe, on avait pour objectif de regagner notre

  8   village. C'est ce qu'on a décidé d'abord, et lorsqu'on a vu qu'il n'y avait

  9   plus rien là-bas et que nous ne pouvions pas rester et survivre là-bas,

 10   entre nous, dans l'intérieur du groupe, et avec ma mère, on a décidé de

 11   nous en aller de là une fois qu'on a vu que tout était détruit. On a décidé

 12   de cela entre nous, personne ne nous a forcés à nous en aller, c'est ce

 13   qu'on a décidé nous-mêmes. Et puisque nous étions en groupe, la plupart des

 14   membres du groupe avaient de la famille à Vakufci, et on a décidé d'y

 15   aller.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, je vois l'heure passer. Je

 17   crois que nous en avons terminé pour la journée d'aujourd'hui.

 18   D'abord, Monsieur Pasic, je dois vous donner instruction pour ce qui est de

 19   ne pas vous entretenir avec qui que ce soit au sujet de votre témoignage,

 20   tant du témoignage fourni jusqu'à présent ou du témoignage à venir.

 21   Et, Monsieur Lukic, est-ce que vous pouvez nous dire, nous donner une idée

 22   du temps qu'il vous faudra demain ?

 23   M. LUKIC : [interprétation] Eh bien, plus qu'aujourd'hui.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Plus qu'aujourd'hui ?

 25   M. LUKIC : [interprétation] Oui, plus qu'aujourd'hui. Je vais essayer de

 26   rendre mes questions plus denses, mais je pense que j'aurai besoin de plus

 27   de temps qu'aujourd'hui.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous –- enfin, vous avez


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  1   utilisé 45 minutes, tout près de 45 minutes aujourd'hui. Si vous avez plus

  2   besoin de plus de cela, vous aurez utilisé plus de 

  3   60 % du temps en comparaison avec l'interrogatoire principal.

  4   M. LUKIC : [interprétation] Mais combien de temps ai-je à ma disposition ?

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Enfin, vous avez demandé 

  6   60 %, n'est-ce pas.

  7   M. LUKIC : [interprétation] Est-ce que c'est ce que j'obtiens ?

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Au bout de deux heures, ça fait à peu

  9   près un peu plus d'une heure, enfin une heure et 12 minutes. Mais je vous

 10   prie de vous repencher sur votre agenda -- et je n'ai pas entièrement

 11   compris ce qui est contesté par vous et ce que vous voulez démontrer. Mis à

 12   part le fait de vouloir tester la fiabilité et la crédibilité du témoin.

 13   Mais je n'ai pas entièrement compris ce qui était contesté.

 14   M. LUKIC : [interprétation] Est-ce que vous voulez que j'énonce la position

 15   de la Défense --

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais pas en présence du témoin,

 17   certainement pas.

 18   Monsieur Pasic, je vais demander à l'huissier de vous escorter hors du

 19   prétoire, et nous allons vous revoir demain à 1 heure dans ce même

 20   prétoire.

 21   LE TEMOIN : [interprétation] Certainement, Monsieur le Président.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Veuillez suivre M. l'Huissier.

 23   LE TEMOIN : [interprétation] Merci.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, j'ai aussi l'impression

 25   que M. Mladic voudrait vous consulter. Si vous voulez, vous pouvez prendre

 26   deux minutes, ou préféreriez-vous le faire une fois qu'on aura terminé la

 27   journée d'aujourd'hui ?

 28   [Le témoin quitte la barre]


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  1   M. LUKIC : [interprétation] Une fois qu'on aura terminé, Monsieur le

  2   Président.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Alors, nous allons lever

  4   l'audience.

  5   Et nous allons reprendre demain, mardi 10 juillet, à 13 heures dans le même

  6   prétoire, prétoire numéro I.

  7   --- L'audience est levée à 17 heures 47 et reprendra le mardi 10 juillet

  8   2012, à 13 heures 00.

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