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1 Le jeudi 18 juillet 2013
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 33.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes.
6 Madame la Greffière, veuillez, je vous prie, citer le numéro de l'affaire.
7 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges.
8 Il s'agit de l'affaire IT-09-92-T, le Procureur contre Ratko Mladic.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière, je vous remercie.
10 La Chambre a été informée du fait que l'Accusation souhaiterait évoquer un
11 point à titre préliminaire.
12 M. McCLOSKEY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, bonjour.
13 Bonjour, Messieurs les Juges.
14 Comme vous le savez, nous avons terminé hier sans pour autant proposer un
15 versement au dossier de pièces connexes pour ce qui est du Témoin M.
16 Obradovic, et si vous le souhaitez je pourrais le faire à présent.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
18 M. McCLOSKEY : [interprétation] L'enregistrement audio que nous avons
19 écouté est la pièce 1711A, on m'a informé du fait que la version sous-
20 titrée n'avait pas été révisée. Et il y a une meilleure version au prétoire
21 électronique qui accompagne cette pièce à conviction, ce qui fait que vous
22 allez avoir un enregistrement audio ainsi qu'une transcription révisée.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et le numéro c'est le même ou c'est un
24 autre numéro ?
25 M. McCLOSKEY : [interprétation] C'est le 1711A.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est celui-là que vous voulez verser au
27 dossier.
28 M. McCLOSKEY : [interprétation] En effet.
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Y a-t-il des objections ?
2 [Le conseil de la Défense se concerte]
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si ce n'est pas le cas, je vais demander
4 à Mme la Greffière de nous donner une cote.
5 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce document 1711A recevra la référence
6 P1789, Messieurs les Juges.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En tant que tel sera admis au dossier.
8 M. McCLOSKEY : [interprétation] Si maintenant je descends du regard le long
9 de la liste, je constate qu'il y a des pièces connexes qui ont été versées,
10 d'autres qui ont été présentées pour versement par la Défense, et il en
11 reste quelques-uns.
12 D'abord, le premier document à mentionner c'est le 29084.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Suivant.
14 M. McCLOSKEY : [interprétation] 29085.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.
16 M. McCLOSKEY : [interprétation] 29086.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.
18 M. McCLOSKEY : [interprétation] 29087.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.
20 M. McCLOSKEY : [interprétation] 04170.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.
22 M. McCLOSKEY : [interprétation] 05407.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.
24 M. McCLOSKEY : [interprétation] 19003.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.
26 M. McCLOSKEY : [interprétation] 24767.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.
28 M. McCLOSKEY : [interprétation] 24880.
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.
2 M. McCLOSKEY : [interprétation] Et le dernier, 25168.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Y a-t-il des objections ?
4 M. LUKIC : [interprétation] Monsieur le Juge, je n'ai pas sur moi ce
5 classeur avec les documents. Donc…
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais alors suggérer la chose
7 suivante. Vous allez vous pencher sur le fait de savoir s'il y a des
8 objections ou pas; et entre-temps, Mme la Greffière va peut-être nous
9 préparer une liste de cotes à affecter, et ces dix numéros seront d'ores et
10 déjà réservés pour cela, et nous allons entendre M. Lukic pour décider du
11 versement.
12 [La Chambre de première instance et la Greffière se concertent]
13 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Messieurs les Juges, les numéros
14 réservés seront P1790 jusqu'à P1799 inclus.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ces cotes-là sont réservées pour les
16 pièces connexes.
17 Y a-t-il d'autres questions à soulever ? Si vous avez autre chose, et si je
18 me penche sur les estimations de temps, il sera nécessaire, il me semble,
19 que le témoin suivant devra terminer son témoignage dès aujourd'hui.
20 Est-ce que votre témoin suivant est déjà disponible ?
21 M. McCLOSKEY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je me suis
22 entretenu avec hier et ce témoin est prêt.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. L'Accusation va donc citer à
24 comparaître, me semble-t-il, Mme Ibrahimefendic ?
25 Mme HASAN : [interprétation] Oui. Bonjour, Messieurs les Juges. Bonjour à
26 tous et à toutes dans le prétoire. Je confirme que le témoin est prêt.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Faites donc entrer le témoin dans le
28 prétoire.
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1 [La Chambre de première instance se concerte]
2 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Madame.
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant que vous ne commenciez à
6 témoigner, je vous informe que le Règlement demande ou nécessite une
7 déclaration solennelle, dont le texte vous est tendu par l'huissière de la
8 Chambre.
9 Alors, je vous demande d'en donner lecture.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
12 LE TÉMOIN : TEUFIKA IBRAHIMEFENDIC [Assermentée]
13 [Le témoin répond par l'interprète]
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Veuillez vous asseoir.
15 Madame, vous allez d'abord être interrogée par Mme Hasan qui est la
16 représentante du bureau du Procureur, elle est à votre droite.
17 Veuillez commencer, Madame Hasan.
18 Interrogatoire principal par Mme Hasan :
19 Q. [interprétation] Bonjour, Madame. Bonjour à nouveau au Tribunal pénal
20 international. Je vous demande de nous dire votre nom et prénom pour le
21 compte rendu.
22 R. Teufika Ibrahimefendic.
23 Q. Est-il exact de dire que vous avez déjà témoigné devant ce Tribunal à
24 l'occasion de quatre procès précédents : l'affaire Krstic, le 27 juillet
25 2000; l'affaire Plavsic en décembre 2002; et dans l'affaire Tolimir en
26 février 2011; et en dernier, dans l'affaire Karadzic, le 22 mars 2012. Est-
27 ce que tout ceci est exact ?
28 R. Oui.
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1 Q. Est-ce que vous pouvez nous confirmez que vous avez récemment eu
2 l'occasion de réécouter votre témoignage dans l'affaire Krstic ?
3 R. Oui, je l'ai réécouté.
4 Q. Et vous souvenez-vous du fait de vous être entretenue avec moi pour ce
5 qui est du souhait formulé par vous portant sur un rectificatif que vous
6 souhaitiez apporter à la page 5 830 du compte rendu d'audience, où l'on a
7 consigné que vous avez déclaré, aux lignes 7 et 8, je cite :
8 "Mais il n'y a pas une seule famille à Zvornik, par exemple, qui n'aurait
9 pas eu 20 hommes de la famille à être disparus."
10 Vous vouliez dire, en fait, que vous avez donné un exemple de familles où
11 20 hommes étaient considérés comme étant disparus, mais que ça ne se
12 rapporte pas à la totalité des familles de Zvornik, et ça ne veut pas dire
13 que dans chaque famille de Zvornik, il y a 20 hommes qui sont considérés
14 comme étant disparus.
15 Est-ce que c'est la correction que vous souhaiteriez apporter ?
16 R. Oui, et lorsque j'ai réécouté hier, il y a eu une autre phrase qui
17 disait que dans une famille il y avait 20 personnes disparues.
18 Mais le contexte de la question était celui-ci; l'un des Juges m'avait
19 demandé s'il y avait eu des traumatismes de vécus par d'autres familles en
20 Bosnie-Herzégovine, et j'ai dit qu'il y en avait. Et j'ai parlé de Zvornik,
21 et j'ai dit que dans une famille il y avait 20 disparus, mais que ce
22 n'était pas comme, par exemple, pour ce qui est du cas des familles de
23 Srebrenica. C'est ce que je voudrais ajouter. Autrement, je suis d'accord
24 avec le rectificatif qui a été apporté.
25 Q. Merci. Si l'on prend en considération les rectificatifs que vous venez
26 de nous dire, et gardant à l'esprit le fait que votre témoignage dans cette
27 affaire Krstic se rapportait aux connaissances qui étaient les vôtres
28 concernant les conditions dans lesquelles se trouvaient les femmes et les
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1 enfants qui ont survécu aux événements de Srebrenica, et que tout ceci
2 aussi, ça se rapportait à ce que vous saviez en l'an 2000, peut-être
3 pourriez-vous nous confirmer que votre déposition dans l'affaire Krstic se
4 trouve être conforme à la vérité et précis aux meilleures de vos
5 connaissances ?
6 R. Oui. C'est ce que je savais au sujet de mes patients en l'an 2000,
7 enfin de mes clients en l'an 2000. Et c'est ce que j'ai raconté.
8 Q. Si aujourd'hui on venait à vous poser les mêmes questions sur les mêmes
9 sujets, est-ce que vous diriez aux Juges de cette Chambre-ci la même chose,
10 compte tenu du fait aussi que ce que vous avez raconté c'est ce que vous
11 saviez en l'an 2000, n'est-ce pas ?
12 R. Oui.
13 Mme HASAN : [interprétation] Messieurs les Juges, il serait habituel que de
14 demander un versement au dossier du témoignage préalable du témoin dans
15 l'affaire Krstic, qui est la pièce 65 ter 29099. Mais je garde à l'esprit
16 votre décision datée du 1er juillet, où instruction est donnée de remettre à
17 plus tard le versement au dossier d'un témoignage jusqu'à l'achèvement du
18 témoignage du témoin dont il s'agit.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, c'est clair, et c'est consigné au
20 compte rendu.
21 Vous pouvez maintenant continuer.
22 Mme HASAN : [interprétation] Monsieur le Président, je vais d'abord donner
23 lecture d'un petit résumé de son témoignage antérieur.
24 [La Chambre de première instance se concerte]
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais avant que de le faire, Madame
26 Ibrahimefendic, est-ce que vous êtes bien installée dans le siège où vous
27 vous trouvez ? J'ai l'impression que vous ne vous êtes pas installée de
28 façon confortable ?
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Ecoutez, je vais essayer de m'installer pour
2 de mon mieux. Ça va maintenant.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous avez des difficultés
4 pour ce qui est de garder votre siège à la même position ?
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, pas à présent.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maintenant, on peut commencer.
7 Mme HASAN : [interprétation] Monsieur le Président, je vais donc donner
8 lecture d'un bref résumé.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
10 Mme HASAN : [interprétation] Mme Teufika Ibrahimefendic est une
11 psychothérapeute qui a traité des femmes et enfants traumatisés par la
12 guerre. A partir de 1994, elle a travaillé pour le compte d'une
13 organisation multidisciplinaire s'appelant Vive Zene, spécialisée en
14 matière de traitement des victimes de la guerre, et qui s'est penchée sur
15 les cas de centaines de femmes et enfants traumatisés par les événements de
16 juillet 1995 à Srebrenica. Le témoin en question a déjà témoigné au sujet
17 des effets de ces traumatismes sur les victimes de Srebrenica.
18 Ceci met un terme à mon résumé.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Vous pouvez poser d'autres
20 questions si vous le souhaitez.
21 Mme HASAN : [interprétation]
22 Q. Madame Ibrahimefendic, j'aimerais que nous couvrions un peu le contexte
23 des choses depuis 2000.
24 Depuis que vous avez témoigné dans cette affaire Krstic, est-il exact de
25 dire que vous avez continué à exercer votre métier de psychothérapeute ?
26 R. Oui.
27 Q. Et lorsque vous étiez coordinateur psychosocial dans cette organisation
28 Vive Zene, est-ce que vous sauriez nous dire quelles sont les fonctions que
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1 vous accomplissez dans cette organisation ?
2 R. En sus des activités en matière de psychothérapie, je suis aussi
3 coordinateur en matière de formation et d'éducation du personnel qui
4 travaille avec ces femmes. Et il y a formation d'autres professionnels, des
5 intervenants sociaux, des psychologues, des policiers, et ainsi de suite.
6 Q. Alors, cette organisation Vive Zene, est-ce que ça continue à toucher
7 un financement de la part de la Commission européenne et du ministère
8 néerlandais des Affaires étrangères ?
9 R. Oui. La Communauté européenne; le ministère néerlandais a cessé de
10 financer. Mais nous recevons un financement de la part d'une organisation
11 suisse, puis une autre organisation en Norvège, le PNUD pour ce qui est des
12 victimes des tortures. Ce sont, pour l'essentiel, des donations qui nous
13 parviennent de la part de ces organisations et de ces pays-là.
14 Q. Bien. Est-ce que cette organisation Vive Zene depuis l'an 2000 est
15 devenue plus active pour ce qui est de son travail en matière de soins à
16 apporter aux personnes touchées par ces traumatismes, s'agissant des
17 victimes de Srebrenica, niveau communal ?
18 R. Oui. A compter de 1994, depuis notre organisation, nous avons vaqué à
19 des soins individuels pour ce qui est des patients. Mais cela fait déjà à
20 peu près dix ans que nous travaillons de façon intense au niveau de la
21 communauté. Parce que ce n'est pas seulement au niveau des groupes, mais
22 aussi des familles que nous intervenons. Nous avons élargi nos activités
23 sur des groupements autres. Il n'y a pas que des femmes qui sont victimes
24 de violence, il y a des victimes de torture.
25 Notre équipe s'est accrue, nous avons une équipe multidisciplinaire qui
26 compte 16 personnes, dont six psychologues, trois pédagogues, nous avons un
27 médecin, des infirmières et des employés en matière d'activité sociale.
28 Et une partie de nos activités consiste à faire du lobbying pour les
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1 activités déployées au niveau de la communauté pour ce qui est de la
2 modification de textes de loi, et ainsi de suite.
3 Q. Mis à part vos tâches de coordination et de gestion, est-ce que vous
4 avez continué à exercer votre métier de psychothérapeute, à soigner des
5 patients ?
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais la question a déjà été posée et une
7 réponse y a déjà été apportée.
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est…
9 Mme HASAN : [interprétation]
10 Q. Excusez-moi, nous n'avons pas entendu votre réponse jusqu'au bout.
11 Vous avez dit, "Oui…" et puis vous vous êtes interrompue.
12 Est-ce que vous voulez bien finir votre réponse, s'il vous plaît ?
13 R. Mais c'est là ma tâche principale, elle consiste à soigner des
14 patients. C'est mon rôle primordial dans l'organisation de Vive Zene.
15 Q. Et êtes-vous toujours un membre de l'Association européenne des
16 psychothérapeutes ?
17 R. Oui.
18 Q. Etes-vous toujours un membre de l'association européenne qui réunit des
19 thérapeutes spécialisés en méthode Gestalt ?
20 R. Oui.
21 Q. Ai-je raison d'affirmer -- excusez-moi. Je vais reformuler ma question.
22 Est-ce que vous travaillez toujours avec des victimes d'appartenance
23 ethnique serbe aussi bien que bosniaque ? Je parle des victimes de guerre.
24 R. Oui.
25 Q. Et au cours de ces 13 dernières années, avez-vous apporté vos soins aux
26 femmes qui souffraient du syndrome de Srebrenica ?
27 R. Oui, en effet.
28 Q. Et ces femmes que vous avez soignées et qui souffraient du syndrome de
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1 Srebrenica, est-ce qu'elles se trouvent toujours dans cet état
2 d'incertitude tel que vous l'avez décrit dans votre déposition précédente ?
3 R. Depuis ma déposition en 2013 [comme interprété], il y a eu de nombreux
4 changements tant sur le plan des traumatismes individuels qu'au niveau des
5 traumatismes collectifs.
6 A partir de 1995, autrement dit dès le moment où j'ai commencé à travailler
7 avec des femmes qui ont été hébergées à Tuzla après avoir été chassées de
8 Srebrenica, j'ai pu relever de grandes différences entre les différents
9 individus. Mais au fond, on peut dire que ce traumatisme de départ, qui
10 était caractérisé par la panique, par l'angoisse, par un sentiment
11 d'incertitude, est suivi d'un sentiment de confusion, d'un manque de
12 compréhension vis-à-vis de ce qui s'est produit, mais entre-temps de
13 nombreux changements ont survenu.
14 Ce qui s'est produit à Srebrenica en 1995 était le traumatisme de départ,
15 mais entre-temps les victimes ont traversé tout un processus tant sur le
16 plan individuel et intime, tant sur le plan collectif, au niveau de la
17 communauté.
18 Depuis ma déposition en 2000, je me suis concentrée surtout sur les
19 symptômes individuels présentés par différentes femmes parce que ce dont
20 elles se plaignaient le plus souvent c'était justement ces symptômes
21 qu'elles ne comprenaient pas et auxquels elles n'arrivaient pas à faire
22 face.
23 Q. Madame Ibrahimefendic, permettez-moi de vous interrompre. Vous avez
24 évoqué des femmes qui souffrent du syndrome de Srebrenica, et nous parlons
25 des femmes qui n'ont toujours pas retrouvé leurs proches, parce que leurs
26 restes n'ont pas encore été identifiés, alors est-ce que vous pourriez nous
27 décrire plus particulièrement quel est l'état dans lequel ces femmes-là se
28 trouvent ? Quelle est leur condition actuelle ?
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1 R. Mais justement, j'étais sur le point d'en parler. En ce moment, la
2 caractéristique principale de leur traumatisme est le deuil et la
3 souffrance à cause de l'absence de leurs proches dont les restes n'ont pas
4 encore été retrouvés. Les recherches de leurs restes sont toujours en
5 cours. Il faut dire que presque 8 000 personnes n'ont pas retrouvé les
6 corps de leurs proches en Bosnie-Herzégovine. Donc les réactions
7 caractéristiques pour leur traumatisme sont surtout celles du deuil et de
8 regret, et le problème c'est que le deuil véritable ne peut pas commencer
9 avant que les corps ne soient trouvés. Et quand je parle du "deuil
10 véritable", je parle en fait d'une forme de rétablissement. Même s'il faut
11 dire qu'un grand nombre de femmes ont appris à vivre avec leurs symptômes,
12 elles se sont résignées à la vie qu'elles mènent, mais cela ne veut pas
13 dire qu'elles ne souffrent pas au quotidien.
14 Q. Sur la base des observations que vous avez pu faire lors des
15 traitements que vous avez prodigués à ces femmes, est-ce que vous pourriez
16 nous décrire brièvement quelle est leur vision de l'avenir.
17 R. Quand on parle de leur santé psychologique et physique, ce qui présente
18 la plus grande difficulté c'est justement les persuader à présenter leur
19 vision de l'avenir. L'impression qui se dégage c'est qu'elles sont
20 incapables de visualiser l'avenir parce que pour elles tout est lié au
21 deuil, aux pertes, aux souffrances, aux maladies qui sont présentes au sein
22 de leur famille, par exemple, il est très difficile pour elles d'établir un
23 écart par rapport au traumatisme d'origine. Parce que quel que soit le
24 désir des médecins ou des thérapeutes de leur permettre d'établir une
25 certaine distance par rapport au traumatisme d'origine, c'est très
26 difficile pour elles de s'en écarter et de s'orienter vers l'avenir, et de
27 comprendre que l'avenir a un sens. Elles ont un sentiment qu'elles n'ont
28 pas encore recueillies toutes les informations, qu'elles n'ont pas encore
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1 saisi toute la vérité sur ce qui s'est passé. Elles ressentent un besoin
2 d'être soutenue par les autres membres de la communauté, elles ressentent
3 un besoin aigu de compréhension et de la reconnaissance de la souffrance
4 qu'elles ont vécue. Elles ont besoin de tisser des liens de confiance.
5 Elles ont beaucoup de problèmes dans leur rapport avec les autres. Elles ne
6 font confiance à personne. Elles ont des problèmes dans leurs contacts avec
7 les autres. Et un certain nombre de femmes ont du mal à survivre soi-même.
8 Donc, tout ce processus traumatique n'est pas encore terminé, et pour
9 elles, il est extrêmement difficile d'envisager l'avenir.
10 Q. Lorsque vous avez déposé dans l'affaire Krstic, vous avez expliqué que
11 ces femmes avaient reçu des certificats de décès pour leurs parents, et
12 qu'au moment qu'elles recevaient ces certificats, elles étaient re-
13 traumatisées, pour ainsi dire, qu'elles faisaient des pas en arrière dans
14 le traitement, mais qu'en même temps, à ce moment-là, elles pouvaient
15 entamer la période du deuil proprement dit.
16 Pourriez-vous nous expliquer si le processus du deuil est le même après le
17 moment où le certificat de décès a été reçu, et si ce processus à partir de
18 ce moment-là se transforme en un processus de deuil normal, normal dans le
19 sens où il serait comparable à une situation où on perd un parent ou un
20 proche dans la vie de tous les jours ?
21 R. La question des personnes portées disparues est une question difficile,
22 non seulement en Bosnie-Herzégovine, mais dans le monde entier. Lorsqu'une
23 personne est portée disparue et qu'il n'y a aucune information quant à
24 l'endroit où elle se trouve, bien sûr, on se sent sur pression pour
25 retrouver la personne disparue. Mais une fois que les restes post mortem
26 ont été retrouvés, une fois que les analyses ADN ont été effectuées, un bon
27 nombre de personnes ne parviennent toujours pas à croire que leurs proches
28 ont été retrouvés, et c'est pourquoi il est difficile de dire que leur
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1 processus de deuil est un processus normal ou habituel.
2 Le fait est, pourtant, qu'un certain nombre de femmes, qui ont réussi à
3 retrouver les corps de leurs proches, manifeste un certain soulagement.
4 Donc, d'une part elles manifestent un soulagement, mais d'autre part, elles
5 font preuve d'une immense tristesse et d'incrédulité. Elles ne parviennent
6 pas à croire que, par exemple, ce sont les ossements de leurs enfants qui
7 ont été retrouvés.
8 Donc, parler d'un deuil normal comparable à une situation, par
9 exemple, où on doit faire face à la mort d'un parent de 80 ans, n'est pas
10 possible. Parce que dans des situations de ce type, on fait face à la perte
11 comme faisant partie du cours normal de la vie. Or, cela est impossible à
12 envisager dans le cas des personnes portées disparues, parce qu'il reste
13 toujours des soupçons, il reste toujours de nombreuses questions qui se
14 posent et auxquelles la personne traumatisée ne peut pas fournir de
15 réponse; est-ce que leurs proches ont été torturés, est-ce qu'ils ont été
16 seul au moment où ils ont trouvé la mort ? Est-ce qu'ils souffraient de
17 faim ? Est-ce qu'ils souffraient de soif, et cetera. Donc les circonstances
18 précises du décès pèsent comme un fardeau sur l'esprit des femmes
19 traumatisées.
20 Mais toujours est-il que dès le moment où le corps a été retrouvé,
21 elles commencent à ressentir un soulagement parce que cela leur permet au
22 moins d'aller au cimetière, ce qui leur donne le sentiment d'être en
23 contact physique avec leurs proches, et elles disposent à partir du moment
24 où les restes ont été retrouvés dans un endroit où elles peuvent se sentir
25 physiquement proches des personnes qu'elles ont perdu, et c'est un
26 soulagement apporté à leur tristesse.
27 Q. Vous avez évoqué des femmes ayant perdu des enfants, vous avez dit, en
28 fait, que ces enfants avaient été portés disparus. Mais vous avez également
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1 parlé des enfants qui ont survécu aux événements de Srebrenica lors de la
2 déposition que vous avez fournie dans l'affaire Krstic.
3 Treize ans plus tard, comment se portent ces enfants, est-ce qu'ils doivent
4 toujours faire face à des difficultés ?
5 R. Ces enfants sont en voie de développement. Au cours de leur
6 développement, ils ont pu bénéficier d'un soutien, l'occasion leur a donné
7 d'apprendre beaucoup de choses différentes, et ces enfants ont pu
8 développer une personnalité normale, pour une partie.
9 Mais ces enfants ont le sentiment qu'il y a quelque chose qui manque dans
10 leur vie, que dans leur vie il existe un gouffre qui ne peut jamais être
11 comblé. Et ce n'est pas parce que ces enfants n'ont pas eu la chance de se
12 développer dans des circonstances plus ou moins normales. La raison pour
13 laquelle ces enfants ont de tels sentiments, c'est que leurs parents ont
14 été traumatisés. Dans leur cercle de famille, on n'arrêtait pas de parler
15 du passé, si bien que ces enfants-là, ensemble avec leurs parents, vivent
16 dans le passé. Et si un enfant passe son temps à écouter ses parents dirent
17 qu'ils se sentent sans ressources et incapables de faire quoi que ce soit,
18 et impuissants, alors les enfants se sentent responsables de sortir leurs
19 parents de ce sentiment d'impuissance.
20 Si bien qu'ils ressentent une certaine confusion quant à leur identité. Un
21 autre type de difficulté auquel ils doivent faire face, c'est qu'il n'est
22 pas toujours suffisamment question des événements qui se sont produits. Les
23 enfants sont incapables de reconstruire les événements eux-mêmes, parce
24 qu'ils ne savent pas ce qui s'est passé au mois de juillet 1995. Mais si on
25 parle de ces choses-là, cela leur faciliterait la situation si, par
26 exemple, on leur disait de quelle façon on s'occupait d'eux, de quelle
27 façon on leur donnait à manger, de quelle façon on se débrouillait pour les
28 habiller. Mais on ne fournit même pas ces éléments les plus essentiels aux
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1 enfants, si bien qu'ils se trouvent dans un espace vide, et ils sont
2 incapables de comprendre la situation.
3 Et ce qui est particulièrement visible chez des enfants de ce groupe, c'est
4 que leurs parents les protègent beaucoup trop d'un côté, et d'autre part,
5 les enfants manifestent un souci permanent pour leur mère, comme si c'était
6 à eux de s'occuper de leur mère, comme si c'étaient eux des adultes alors
7 que la mère c'était l'enfant.
8 Et c'est un phénomène qui est particulièrement prononcé dans les
9 familles où un fils a trouvé la mort et un autre a survécu. Donc si la mère
10 passait tout son temps à pleurer et à parler de son fils disparu, pendant
11 que le fils qui a survécu aux événements la regardait faire, souvent il
12 avait un sentiment de culpabilité parce que leur mère était déprimée et
13 triste et ne fournissait pas aux enfants le soutien dont ils avaient besoin
14 pour se développer, le soutien qu'ils auraient reçu dans une famille
15 normale.
16 Q. Madame Ibrahimefendic, je vais maintenant vous poser une question plus
17 concrète, depuis la déposition que vous avez fournie dans l'affaire Krstic,
18 vous avez pu suivre le développement d'un certain nombre d'enfants, vous
19 avez pu les regarder grandir. Est-ce que l'absence de parents masculins,
20 l'absence de leur père, de leurs oncles, de leurs frères, comme vous venez
21 de le dire, a eu un impact sur leur développement ?
22 R. J'avais eu la possibilité de suivre - et je peux dire maintenant
23 d'ailleurs que la situation traumatique de base est la même - mais je
24 dirais qu'il y a eu un développement dans des directions différentes. Je
25 dirais qu'on aurait eu l'impression que le développement était normal, si
26 on regardait en tant que non-spécialiste. Mais de tels enfants ont une
27 image de soi qui est très, très différentes ainsi qu'une vision du monde
28 qui est très différente, en plus de leur vision des autres. En privé, ils
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1 disent qu'ils n'ont pas énormément d'estime de soi. Ceci dit, il y a des
2 différences. Il y en a qui sont introvertis et très, très attachés à la
3 famille; tandis que d'autres s'éloignent du foyer et de la famille, ces
4 derniers recherchent un soutien auprès d'autres personnes.
5 Il y a aussi les enfants qui sont des délinquants, des enfants qui avaient
6 perdu certains membres de leur famille. Récemment nous avons effectué des
7 recherches et, sur un total de 33 enfants délinquants, neuf avaient déjà
8 montré un comportement délinquant. Mais lorsque je travaillais avec eux, en
9 fait ils m'ont dit : "Mon père avait été porté disparu" ou "Mon père a été
10 tué." C'est vraiment la chose dont ils sont conscients en premier lieu,
11 c'est ce qu'ils mentionnent comme problème avant même que je ne pose la
12 question. Et, par conséquent, il est difficile de prévoir ce qui va leur
13 arriver. Il y a certains chercheurs qui travaillent là-dessus, y compris
14 des collègues à moi. Mais pour procéder à une évaluation, je dirais que
15 pour l'instant c'est totalement impossible.
16 Je peux vous donner un exemple. J'ai travaillé avec un étudiant en
17 ingénierie électrique, il était très jeune lorsqu'il est arrivé à
18 Srebrenica avec sa mère et ses trois sœurs. Il a demandé de l'aide. Il a un
19 bon sens de l'humour et même face à une situation grave il trouve de
20 l'humour, mais il a recherché de l'aide puisqu'il avait du mal à passer des
21 examens. Il avait parfois des difficultés lors d'un examen oral, par
22 exemple, et il se demandait pourquoi. Parfois il avait aussi des
23 difficultés avec des examens écrits, mais il pensait que la plupart de ses
24 pairs ne ressentaient pas la même peur face à un examen écrit. Mais lui il
25 avait les mains qui transpiraient, des palpitations lorsqu'il était face à
26 un examen écrit, et il a souvent échoué justement à ces examens écrits.
27 Nous avons eu plusieurs sessions ensemble, et la dernière fois il a dit :
28 "Je suis en état de chaos et je connais très bien la théorie du chaos."
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1 Moi-même j'étais perturbée et il m'a donné une explication, il m'a dit :
2 "C'était lorsque j'étais là, c'est lorsqu'on m'a poussé dans le bus et
3 lorsque ma mère a hurlé de l'autre bout du bus, elle me cherchait."
4 Cela veut dire que dans le cadre de mon travail je ne suis qu'au stade de
5 l'enquête. Ça fait partie du travail psychothérapeute, chaque patient doit
6 arriver à un moment où il a une idée de la raison pourquoi les choses lui
7 arrivent. Et à partir du moment où il a créé ce lien avec son passé, cette
8 image qu'il m'a décrite qui était tellement convaincante, cette image du
9 bus, de la foule, de lui qui paniquait, il l'a appelée le chaos. Et
10 beaucoup de mes patientes me disent la même chose, elles parlent du chaos.
11 Donc grâce à cet exemple, je peux vous expliquer de quoi il s'agit.
12 Je pourrais citer d'autres exemples, mais j'ai pensé à celui-ci en
13 particulier.
14 Q. Que pouvez-vous nous dire en ce qui concerne le désir des enfants, des
15 jeunes adultes, des femmes, leur désir de reprendre la vie à Srebrenica ?
16 R. Leur problème psychologique, de leur point de vue, eh bien, ces
17 personnes souhaitent y retourner et reprendre leur vie d'un côté. Mais de
18 l'autre côté, il y a un refus d'y retourner. Dans un état de traumatisme,
19 il y a beaucoup de contradictions et il y a souvent une situation où les
20 gens sont tirés entre deux extrêmes. D'un côté, il y a un désir très fort,
21 et en même temps, il y a de la peur et une réticence, une résistance à
22 l'idée d'y retourner, c'est comme s'il y avait deux personnes. On pourrait
23 même dire, du point de vue psychologique, qu'il y a deux personnes. Une qui
24 souhaite vraiment retourner à la vie antérieure, qui inclurait toutes les
25 personnes avec lesquelles elles avaient passé des bons moments de la vie.
26 Mais en même temps, elles connaissent très bien la situation, et l'autre
27 partie d'elles-mêmes souffre énormément. Donc il y a un certain
28 déséquilibre, il y a une interruption de la vie de Srebrenica.
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1 Quand on parle de traumatisme, c'est une discontinuation de la vie. On a du
2 mal à reprendre. Et il est même dans certains cas impossible de reprendre
3 la vie là où on l'a quittée. Elles doivent continuer à vivre en regardant
4 l'avenir. Mais en fait, en réalité, c'est comme si leur vie s'était figée à
5 un moment donné. Elles sont en vie, certes, mais elles n'ont pas vraiment
6 de conscience de la vie, elles n'ont aucun plaisir dans la vie. Elles sont
7 physiquement présentes, mais en fait elles vivent dans le passé, elles
8 appartiennent au passé. Elles n'arrêtent pas d'y retourner. Et néanmoins on
9 est maintenant en 2013. Comment est-ce qu'on peut voir cette situation de
10 ce point de vue-là ? Si on repense à 1995 ou à 1992, comment est-ce qu'on
11 peut intégrer de telles expériences pour qu'elles deviennent partie
12 intégrante de votre vie, de votre expérience de vie, ce qui vous permet de
13 recommencer, mais au même endroit où vous êtes né.
14 C'est très difficile. Et beaucoup de personnes de Srebrenica se trouvent
15 ailleurs, elles n'y retournent que pour les vacances en été, et très
16 souvent il y a des anciens clients qui viennent nous voir. Ils nous parlent
17 de leur vie aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande. Ces personnes parlent,
18 certes, mais je crois qu'à l'exception de ceux qui avaient vraiment suivi
19 un traitement psychothérapeutique, car une personne ne peut pas faire face
20 seule à ce genre de traumatisme, ce n'est possible qu'en contact avec
21 d'autres, grâce à une communication. Donc ces émotions difficiles, ces
22 sentiments terrifiants doivent prendre la forme de mots, de paroles, avec
23 la personne qui écoute, qui les accepte. Et c'est seulement dans ce cas-là
24 qu'on peut s'attendre à ce que la personne soit capable de retourner à
25 l'endroit dont elle a été chassée.
26 Et je rajoute quelque chose. Cela ne concerne pas que Srebrenica. Ça
27 concerne tous les survivants qui ont laissé derrière eux leur cœur pendant
28 la guerre.
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1 Q. Madame Ibrahimefendic, j'ai quelques questions supplémentaires, dont
2 une qui est très brève. Je vais vous demander d'y répondre de façon
3 concise.
4 Vous venez de nous dire qu'il y avait des femmes qui recevaient un
5 traitement. Est-ce que vous pouvez nous confirmer s'il y a un certain
6 nombre de femmes -- ou en fait, est-ce que votre organisation peut traiter
7 absolument toutes les femmes qui en ont besoin suite aux événements de
8 Srebrenica.
9 R. Bien sûr que non. Mais il y a de plus en plus de personnes qui sont
10 formées à l'intérieur de la communauté pour reconnaître les symptômes de
11 Srebrenica afin d'éviter qu'il y ait un déni de ce genre de traumatisme.
12 Les gens savent maintenant où s'adresser pour trouver de l'aide pour ces
13 personnes. Parce que tout le monde pense que c'est une condition médicale
14 et qu'il faut faire appel à des médecins pour qu'il y ait un diagnostic
15 psychiatrique du trouble de stress post-traumatique. Mais ce n'est pas le
16 cas. Ce ne sont pas des malades. Ce sont des patients psychiatriques qui
17 ont des problèmes, mais qu'on peut traiter. Donc notre organisation ne peut
18 pas traiter absolument tout le monde. Néanmoins, nous augmentons notre
19 capacité, le volume de notre travail, et nous formons et supervisons
20 d'autres, et nous donnons instructions à certaines personnes qui peuvent
21 ensuite s'adresser aux institutions appropriées.
22 Il y a certaines personnes qui ne souhaitent pas qu'on les aide, donc ils
23 n'y croient pas.
24 Q. Dernière question, en ce qui concerne ces femmes et ces enfants et les
25 survivants de Srebrenica, sur la base de vos observations, comment est-ce
26 que ces personnes ont réussi à renouer des liens à l'intérieur de leur
27 communauté ?
28 R. D'après mon expérience, et d'après mes observations professionnelles,
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1 je dirais la chose suivante : à partir de 2003, lorsqu'on a commencé à
2 enterrer les dépouilles à Srebrenica, au fur et à mesure du temps, leur
3 condition psychologique est passée par des hauts et des bas, du point de
4 vue psychologique et aussi physique, en fait. Par exemple, il y a une
5 période où il y a notification d'identification d'un cadavre, et elles sont
6 obligées de se rendre sur place pour identifier la dépouille et accepter
7 qu'il s'agit de la personne portée disparue. Ensuite il y a la préparation
8 à l'enterrement, ensuite il y a la période de rituels, de rites. Lorsque
9 ces femmes arrivent, elles commencent par leur histoire, ce qui s'est passé
10 dans leur famille directe ou indirecte, et dans la plupart des cas, elles
11 parlent de la mort.
12 Et puis il y a l'autre partie qui n'est pas toujours visible, elles
13 continuent à vivre, elles ressentent parfois du bonheur, de la joie, elles
14 sourient, mais la mort est omniprésente. Mais tant qu'il y a un petit
15 enfant qui naît. Il y a néanmoins un deuil parce qu'il y a ceux qui ne sont
16 pas présents, et on a tendance à dire, Ils auraient pu le voir. Donc il y a
17 quelque chose qui manque.
18 Je n'arrête pas de leur offrir de la vie, et leur réponse est toujours la
19 mort, si je puis m'exprimer ainsi.
20 Mme HASAN : [interprétation] Je n'ai plus de questions, Monsieur le
21 Président.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame Hasan.
23 Je pense que le mieux serait de faire la pause maintenant plutôt que de
24 démarrer immédiatement le contre-interrogatoire.
25 Madame Ibrahimefendic, nous allons faire une pause de 20 minutes. Nous vous
26 invitons à revenir après la pause, et à ce moment-là la Défense va procéder
27 à son contre-interrogatoire. Je vous demande d'accompagner l'huissière.
28 [Le témoin quitte la barre]
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons revenir à 10 heures 50.
2 --- L'audience est suspendue à 10 heures 27.
3 --- L'audience est reprise à 10 heures 52.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-on faire entrer le témoin dans le
5 prétoire, s'il vous plaît.
6 [La Chambre de première instance se concerte]
7 [Le témoin vient à la barre]
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Ibrahimefendic, vous allez
9 maintenant être contre-interrogée par Me Lukic. Me Lukic est le conseil de
10 M. Mladic, et il se trouve à votre gauche.
11 Contre-interrogatoire par M. Lukic :
12 Q. [interprétation] Bonjour, Madame Ibrahimefendic.
13 R. Bonjour.
14 Q. Je me propose d'abord de vous demander si le bureau du Procureur de ce
15 Tribunal vous aurait demandé de rédiger un rapport d'expert par écrit pour
16 le besoin de cette affaire ?
17 R. Non.
18 Q. On ne vous a pas demandé de rédiger un rapport pour ce qui est des
19 besoins de votre témoignage dans l'affaire Tolimir non plus, n'est-ce pas ?
20 R. Non.
21 Q. Est-ce que vous seriez disposé à rédiger un rapport par écrit ?
22 R. Pour être tout à fait sincère, je ne comprends pas quel pourrait être
23 l'objectif d'un rapport. Je pense avoir suffisamment fourni d'éléments dans
24 mon témoignage. Alors, pouvez-vous d'abord m'expliquer pour quelles raisons
25 me demanderait-on de le faire, et à quelles fins, pour le compte de qui ?
26 Q. Bien, merci. Mais si on vous expliquait la chose, vous seriez disposée
27 à rédiger un rapport, n'est-ce pas ?
28 R. C'est très volontiers que j'accepterais de rédiger un rapport de
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1 concert avec mes collègues, faire en sorte que ce soit un rapport du centre
2 de réhabilitation et de thérapeutique à dispenser aux patients de Vive
3 Zene, parce que je fais partie d'une équipe multidisciplinaire, plutôt que
4 de le faire moi-même. J'estime que tout membre de l'équipe devrait
5 intervenir; le psychiatre, le médecin, le pédagogue. Enfin, je crois que
6 chacun a un rôle à jouer, et ça serait ce type de rapport que je
7 préfèrerais accepter comme mission.
8 Q. Merci. D'après ce que j'ai cru comprendre, partant de ce que vous nous
9 avez dit, vous estimez que toute seule vous ne seriez pas à même
10 d'expliquer la situation dans son intégralité.
11 R. Non, ce n'est pas cela. Je pourrais expliquer la situation dans son
12 intégralité, je pourrais donner mon opinion partant de l'expérience qui est
13 la mienne concernant mon travail. Mais, je dois dire que cela devrait être
14 un rapport qui présenterait plusieurs dimensions différentes. Mon rôle
15 serait probablement le plus grand, mais j'aimerais que ce soit une approche
16 multidisciplinaire.
17 Parce que les traumatismes qui sont survenus après ces événements
18 catastrophiques et qui est généré par des personnes, c'est un processus
19 très compliqué, ce qui fait qu'il faudrait intégrer le plus possible de
20 professionnels afin de fournir une image d'ensemble, une image de la
21 totalité des événements, des processus qui se produisent au niveau
22 individuel, au niveau du groupe, au niveau de l'ethnie, au niveau de la
23 communauté, ainsi de suite. Et je crois que cela aiderait grandement ce
24 Tribunal.
25 Q. Bon. Merci. S'agissant de votre témoignage dans l'affaire Krstic, c'est
26 quelque chose qui a été à la mesure et applicable à la situation d'il y a
27 13 ans, mais on ne pourrait pas dire aujourd'hui que la situation est la
28 même maintenant qu'il y a 13 ans de cela. Etes-vous d'accord avec moi pour
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1 le dire ?
2 R. Je serais d'accord pour ce qui est des souffrances individuelles, et
3 dans ce sens-là, mais tout à fait, parce que le temps qui s'est écoulé a
4 donné lieu à d'autres problèmes. Vu que nous sommes en train de parler de
5 personnes traumatisées, nous ne pouvons pas donc prendre ceci en
6 considération comme s'il s'agissait d'un seul événement qui s'était produit
7 à un moment donné. Ce qui importe, c'est aussi ce qui se passe après.
8 Q. C'est justement la question que je voulais vous poser.
9 R. Oui, ce qui vient après, c'est-à-dire les séquences qui suivent --
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi, je vais vous interrompre
11 pour un instant.
12 Monsieur Lukic, je voudrais dire que 80 % de l'interrogatoire principal se
13 rapportait au sujet de ce qui avait changé depuis l'an 2000. Alors quelle
14 est la finalité de ce que vous avez demandé pour savoir si quelque chose
15 avait changé ? Alors concentrons-nous sur la question. Mais c'est plus ou
16 moins ignorer ce que le témoin a déjà dit à ce sujet, parce qu'il y a
17 beaucoup de choses qui ont changé, alors comment cela a changé, et
18 apparemment il faudrait que cela soit au centre de gravité des questions
19 que vous avez à poser.
20 Alors si vous vous centrez sur les questions au sujet des changements,
21 bien. Mais si quelque chose a changé, je voudrais que ce soit une chose
22 découlant de l'interrogatoire principal.
23 Continuez, je vous prie.
24 M. LUKIC : [interprétation] Mais si vous le permettez, Monsieur le
25 Président, j'aimerais expliquer pourquoi j'ai posé cette question, parce
26 que dans le témoignage de l'affaire Krstic il devrait y avoir une analyse
27 d'expert et il nous appartiendra de décider pour ce qui est de l'expertise
28 à la fin de ce témoignage. Et ce que je pose comme question, c'est le
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1 témoignage qui a été fait dans l'affaire Krstic qui est encore valide
2 aujourd'hui.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais vous avez demandé si quelque chose
4 a changé, et les choses ont changé. Alors si vous avez des questions
5 concrètes, pas de problème à évoquer, mais, Monsieur Lukic, je ne vous
6 demande pas de poser une question que l'on a déjà entendue et où on a
7 entendu la réponse pendant déjà 35 à 40 minutes.
8 Veuillez continuer.
9 M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.
10 Q. Madame, dans l'affaire Krstic vous avez témoigné et dit qu'à Srebrenica
11 et Potocari on avait mis de côté des garçons et qu'on les avait séparés des
12 femmes. Par exemple, des garçons de l'âge de 10 ans. A votre avis, et
13 quelles sont les informations que vous avez, combien ont-ils été, ces
14 garçons de 10 à 16 ans que l'on a séparés de leurs mères à Potocari ?
15 R. Je ne sais pas, je n'ai pas ce renseignement. Je n'ai eu l'occasion de
16 travailler qu'avec quelques-uns qui en ont parlé, mais je n'ai pas disposé
17 de cette information-là.
18 Q. Est-ce que vous possédez une information qui dirait combien de garçons
19 il y avait eu de cet âge-là à se déplacer aux côtés de cette colonne
20 d'hommes en armes ?
21 R. Non, je ne le sais pas.
22 Q. Au procès Krstic, et même aujourd'hui vous l'avez mentionné, cette
23 impossibilité de procéder à un retour à Srebrenica. Est-ce qu'aujourd'hui
24 la situation est différente ?
25 Q. Lorsque nous parlons du retour, nous entendons par là un retour dans le
26 sens psychologique du terme. Parce que tous ceux qui avaient souhaité
27 retourner chez eux sont confrontés à un dilemme. Ils sont devant un
28 carrefour. Une partie d'eux-mêmes voulait revenir, et une autre partie ne
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1 voulait pas. Et c'est à mon avis plus un problème psychologique que cela
2 n'est un problème de construction de maisons, de reconstruction
3 d'agglomérations, et ainsi de suite.
4 Q. Oui, mais le retour c'est quand même une notion assez exacte, n'est-ce
5 pas ? Si on retourne là-bas et si on y habite, la psychologie n'a plus
6 grand-chose à y voir.
7 Je vais vous poser ma question : aujourd'hui, qui est-ce qui exerce le
8 pouvoir dans Srebrenica ?
9 R. Pour autant que j'ai eu l'occasion de suivre les médias, je sais que le
10 maire de la municipalité c'est un Bosnien. Et ça confirme ce que j'ai dit
11 tout à l'heure. Il n'est pas l'élément qui assurerait une sécurité
12 psychologique pour les familles qui voudraient revenir. La sécurité pour ce
13 qui est d'y résider, dans la réalité des faits, la sécurité existe peut-
14 être, mais c'est dans leur for intérieur que ces gens-là se sentent en
15 insécurité.
16 Q. Est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire que la population
17 majoritaire de Srebrenica aujourd'hui c'est une population bosnienne ?
18 R. Croyez-moi bien que je ne le sais pas, je ne connais pas la composition
19 de Srebrenica actuellement. Je ne sais même pas combien d'habitants il s'y
20 trouve actuellement.
21 Dans nos activités, nous n'avons pas besoin de posséder ce type
22 d'informations pour entamer des activités au niveau d'une communauté. Nous
23 n'avons pas besoin d'informations relatives au nombre d'habitants. Nous ne
24 nous servons pas de données statistiques.
25 Q. Est-ce qu'il est normal et acceptable de considérer que la vie à Tuzla
26 fournit plus d'opportunités pour ce qui est d'une formation scolaire ou de
27 la recherche d'un emploi et que c'est la principale des raisons pour
28 lesquelles certaines personnes ne rentrent pas chez elles ?
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1 R. Si l'on se penche sur la question sous un aspect quelque peu différent,
2 je ne pourrais pas être d'accord avec vous pour dire que c'est la raison,
3 il y a plus de possibilités, plus d'écoles, plus de facultés, plus de
4 routes, et que ce genre de choses constitueraient une raison suffisante. Il
5 ne faut pas perdre de vue que les gens n'aiment pas retourner à un endroit
6 où ils ont ressenti la peur.
7 Pas même les gens ordinaires. Si on a eu un accident de la circulation, on
8 n'aime pas passer à côté de l'endroit qui nous rappelle ce moment de
9 faiblesse, ce moment d'impuissance de faire quoi que ce soit. Et je crois
10 que les gens voient rejaillir leurs souvenirs traumatiques. J'en connais
11 quelques-uns qui sont rentrés, qui sont retournées chez elles, et je
12 connais des personnes du groupe ethnique serbe qui ne résidaient pas à
13 Srebrenica et qui y résident actuellement. Je sais quelles sont les phases
14 qu'ils ont dû traverser pour accepter de vivre à Srebrenica. Par exemple,
15 ils sont originaires de Sarajevo et il y a eu une phase d'adaptation, une
16 phase d'acceptation, et cetera. C'est une très grande différence que cela
17 constitue que d'avoir vécu à Sarajevo et de vivre, par exemple, aujourd'hui
18 à Srebrenica.
19 Q. Est-il un fait que de dire que ces gens-là ont repris une vie, ils ont
20 trouvé un logement, les enfants vont à l'école, est-ce que ceci a pu
21 influer sur le fait de voir quelqu'un ne pas retourner à Srebrenica ?
22 R. Cela peut en effet être une bonne raison parce qu'il y a des gens qui
23 sont à l'étranger, qui sont exilés, qui ne retournent pas à Srebrenica.
24 Mais lorsque j'ai travaillé avec ces personnes - j'ai eu l'occasion de
25 m'entretenir avec ce genre de personnes en Suède, ce sont des personnes qui
26 résident actuellement en Suède et qui possèdent tout ce qu'il leur faut
27 pour une vie normale - cependant une partie de leur identité est encore en
28 train de souffrir. Ils n'arrivent pas à oublier cet élément antérieur de
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1 leur identité, il leur est difficile de s'intégrer dans ce nouveau milieu
2 et de se dire : Voilà, je vis désormais ici.
3 Q. Excusez-moi un instant, puisqu'on en est - oui, j'attends les
4 interprètes - puisqu'on en est sur ce sujet, mais est-ce que ce n'est pas
5 caractéristique pour toutes les personnes qui vont vivre dans un autre
6 pays, la nostalgie ?
7 R. Oui, bien sûr. La nostalgie existe, mais personne ne se fait réfugier
8 de son plein gré. Tous sont d'accord sur ce point, enfin ceux qui se sont
9 penchés ou qui ont étudié les traumatismes. Personne ne devient réfugié de
10 son plein gré. Et si on décide de changer leur lieu de résidence, ça tombe
11 sous sa propre responsabilité. Il exerce un contrôle à l'égard de sa vie.
12 Cet individu, il a fait un choix, et les autres peuvent lui dire : "Bon, tu
13 dois faire face à ceci. C'est ta décision", et cetera. Mais ce cas concret,
14 le traumatisme des réfugiés, ça ne peut pas être comparé à ceci parce que
15 le choix n'a pas été un choix délibéré.
16 Q. Est-ce que vous procédez à des recherches pour déterminer la différence
17 qu'il y a entre le traumatisme d'un réfugié qui serait, par exemple,
18 originaire de Sarajevo et un autre réfugié qui serait originaire de
19 Srebrenica, et qui habiterait l'un et l'autre en Suède ?
20 R. Non. Mais je suis sûre qu'ils souffrent, les uns et les autres, chacun
21 à sa façon.
22 Q. Merci. Est-il exact aussi de dire que dans les familles mêmes, il y a
23 des différences pour ce qui est de décider de retourner ou pas ? Certains
24 sont favorables au retour; d'autres pas ?
25 R. Oui. Il y a de gros débats en cours au sein des familles. Les uns
26 voudraient revenir, notamment les personnes âgées, et les jeunes, eux,
27 refusent. Et il y a aussi des jeunes qui souhaitent revenir, et ceci est la
28 cause de bon nombre de conflits au sein d'une seule et même famille.
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1 Q. Merci. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire que les problèmes
2 sociologiques influent aussi en grande mesure sur ce retour, le manque
3 d'emplois, l'impossibilité de travailler, de gagner de l'argent ?
4 R. Je suis d'accord avec vous. Mais j'aimerais compléter, parce que si
5 l'on se penche sur le traumatisme en tant que processus, la séquence de la
6 transition, telle que nous la qualifions actuellement, c'est caractérisé
7 aussi par le chômage, par l'absence de ressources pour une vie normale. Et
8 ça aussi, ça fait partie de la définition du traumatisme dans notre
9 contexte bosno-herzégovien. Tout en fait partie, comme les expulsions, les
10 campements, la pauvreté, le chômage, et la séparation des différents
11 membres de la famille, tout ceci se répercute au niveau des personnes
12 concernées.
13 Q. Je pense que vous devez certainement savoir que je fais des pauses afin
14 de permettre la traduction de tous vos propos, ce n'est pas pour une autre
15 raison.
16 R. Oui, oui, bien sûr.
17 Q. Alors, la guerre en tant que phénomène psychologique et social, c'est
18 quelque chose qui comporte des séquelles nombreuses à bien des points de
19 vue, n'est-ce pas ?
20 R. J'ajouterais, moi, que la guerre génère des expériences traumatisantes
21 extrêmes, ce sont des peurs extrêmes que l'ont subies. Et ça sort de
22 l'expérience qui serait l'expérience habituelle.
23 Q. Etes-vous d'accord avec moi pour dire que personne dans un
24 environnement de guerre ne saurait être épargnée de souffrances
25 psychologiques ?
26 R. Je suis d'accord avec vous. Parce qu'il y a des recherches qui ont été
27 effectuées pour montrer que ceux qui ont été observateurs, mais ceux qui
28 sont intervenus dans la guerre et ceux qui ont été les victimes et ceux qui
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1 ont assisté, ont tous été exposés à des traumatismes.
2 Q. Alors, le traumatisme psychologique à long terme, c'est une situation
3 dans laquelle s'est trouvée la population bosno-herzégovienne tout entière
4 pendant les années 1990. Certaines parties de la population, plus; d'autres
5 moins. Mais est-ce que vous êtes d'accord pour le dire ?
6 R. Oui, je suis d'accord. Et surtout pour l'élément certains plus, et
7 d'autres moins. Et quand on parle de Srebrenica, on peut parler de
8 traumatisation [phon] cumulative.
9 Q. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi pour dire que la guerre en
10 Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire cette période de guerre, a généré beaucoup
11 de haine dans les trois populations en présence ?
12 R. Je suis d'accord.
13 Q. Lors des entretiens que vous avez eus avec vos patients, avez-vous pu
14 constater que la haine représente un sol fertile pour la vengeance, pour
15 dépenser des actes de vengeance chez vos patients ?
16 R. Eh bien, au départ, je ne me servais pas du terme la haine, parce que
17 la haine, c'est une forme particulière d'expression chez les patients. Plus
18 tôt, j'y voyais le côté passionnel. Ils présentaient un intérêt passionné
19 pour leur groupe ethnique. Il y avait une ligne de séparation d'établie :
20 Nous, c'est une chose, et eux, c'en est une autre.
21 Une grande ligne de séparation était donc tracée entre les différents
22 groupes ethniques. Et cela nourrissait la peur et l'angoisse. Or, une
23 personne qui a peur, une personne angoissée fera facilement une chose
24 qu'elle ne ferait jamais lors de circonstances normales.
25 Q. Merci. Lors des entretiens que vous avez eus avec vos patients, vous
26 ont-il parlé justement des actes de vengeance engagés par des Serbes contre
27 la population musulmane de Srebrenica ?
28 R. Non. Il est, par ailleurs, très intéressant de constater que le mot
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1 même de vengeance n'a été utilisé que très rarement. Est-ce que parce que
2 les gens n'osent pas prononcer ce mot, ou est-ce que c'est parce qu'ils
3 pensent que ce sont des sentiments qu'il faut taire et qui font partie de
4 leur intimité, je ne le sais pas.
5 Q. Lors des entretiens que vous avez eus avec vos patients - et je pense
6 notamment aux femmes et aux enfants - est-ce que vous avez appris pour
7 quelle raison les hommes avaient décidé de faire une percée pour sortir de
8 Srebrenica au lieu de se rendre ? Pour quelle raison avaient-ils décidé de
9 traverser un territoire assez important qui se trouvait sous le contrôle de
10 la VRS ? Est-ce que c'est une certaine peur qui les y a poussés ?
11 R. Je pense que, justement, c'est une des questions qui pèsent très
12 lourdement sur les épaules des femmes avec qui j'ai pu m'entretenir. C'est
13 la confusion qui régnait à l'époque, un chaos total, une incapacité de se
14 débrouiller. Les gens fuyaient vers la base de la FORPRONU, en s'attendant
15 à ce que la FORPRONU les protège. Or, aucune aide ne leur a été apportée,
16 ils n'ont pas été protégés. Et ce sont des questions qui pèsent toujours
17 très lourdement sur leur esprit.
18 Comment toutes ces choses-là se sont-elles passées, aucune femme n'a pu
19 fournir une réponse à cette question quand vous lui posez la question, elle
20 a répondu : "Nous sommes allés là-bas, puis nous sommes repartis par là."
21 Je pense que dans des situations pareilles, les gens sont simplement
22 paniqués et les solutions qu'ils choisissent, ils ne sont pas capables de
23 s'expliquer pour quelle raison ils les ont choisies. Mais au moment donné,
24 ces solutions-là leur paraissaient les plus acceptables.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Permettez-moi de vous poser une
26 question.
27 La question qui vous a été posée était la suivante : Est-ce qu'au cours des
28 entretiens que vous avez eus avec les femmes et les enfants, vous avez
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1 appris pour quelle raison les hommes avaient décidé de faire une percée
2 plutôt que de se rendre.
3 Et dans votre réponse, je n'ai pas tout à fait compris si vous parlez des
4 décisions qui ont été prises par les femmes et les enfants, ou si vous vous
5 concentrez sur la question posée qui, elle, porte sur les hommes et leur
6 décision.
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne peux pas me prononcer de façon décisive,
8 voilà comment la décision a été adoptée, la plupart des femmes répétaient
9 les propos suivants : "Allez vers Potocari, et nous allons traverser la
10 forêt. Nous nous retrouverons à Tuzla." Donc il y a des façons différentes
11 pour interpréter ces propos, je ne sais pas quelle est l'interprétation
12 qu'en font les autres; c'était comme une façon de ne pas prendre de
13 décision, ou plutôt, c'était une décision prise au pied levé. "Allez vers
14 Potocari, nous, nous allons traverser la forêt, puis nous nous retrouverons
15 tous à Tuzla."
16 Voilà, c'est une phrase qui revient tout le temps et qui s'est gravée dans
17 mon esprit. Parce que Tuzla était la ville où ils croyaient pouvoir se
18 retrouver tous, et au moment où il fallait dire au revoir, un certain
19 nombre d'hommes ont décidé d'accompagner les femmes vers Potocari. Mais
20 leur femme leur disait : "Mais qu'est-ce que tu fais ? Pourquoi viens-tu
21 avec nous ? Tu n'es pas une femme. Retourne à la forêt."
22 Voilà, c'est tout ce que je peux vous dire à ce sujet.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc vous n'avez pas une réponse à
24 fournir. Vous ne savez pas pour quelle raison les hommes ont adopté cette
25 décision. Vous n'êtes même pas sûre si ce sont les hommes qui avaient
26 adopté cette décision.
27 Vous pouvez poursuivre, Maître Lukic.
28 M. LUKIC : [interprétation]
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1 Q. Je vous remercie.
2 R. Permettez-moi d'ajouter un autre point. Toutes les femmes disent que
3 leur mari avait très peur et qu'ils ne souhaitaient pas rester à
4 Srebrenica. Tout ce qu'ils souhaitaient, c'était de s'enfuir.
5 Q. Vous venez d'ajouter que les hommes ressentaient une grande crainte,
6 qu'ils avaient très peur, cela m'incite à revenir à ma question précédente
7 relative à la vengeance.
8 Pour quelle raison ces hommes avaient-ils peur ?
9 R. Oui, les femmes disaient que les hommes avaient très peur. Et une autre
10 phrase qu'il convient de souligner parce qu'elles la répètent
11 régulièrement, c'est que les hommes ne souhaitaient pas tomber entre les
12 mains des Serbes.
13 Q. Lors des entretiens que vous avez eus et lorsque vous vous êtes
14 efforcée à comprendre cette crainte ressentie par les hommes et les raisons
15 pour lesquelles ils ne souhaitaient surtout pas tomber entre les mains de
16 Serbes, est-ce que vous avez abordé le sujet de la 28e Division et le sujet
17 des massacres commis à l'encontre des civils serbes sur le bord de
18 Srebrenica ? Est-ce que vous avez abordé ce sujet en essayant de comprendre
19 la situation ?
20 R. Non, je n'ai jamais abordé le sujet. Le seul sujet que j'ai abordé
21 personnellement, et cela s'est passé lorsque je travaillais avec un groupe
22 de femmes dont les maris se trouvaient à Srebrenica et à Tuzla. Dès 1993,
23 c'était la FORPRONU ou quelqu'un d'autre qui les avait transportées vers
24 Tuzla, elles se trouvaient donc à Tuzla alors que les hommes se trouvaient
25 à Srebrenica. Et au cours de cette période, j'organisais des débats de
26 groupe avec ces femmes deux fois par semaine. Or, moi je n'étais jamais
27 allée à Srebrenica auparavant. J'écoutais les nouvelles qu'elles recevaient
28 grâce aux radios amateurs, et à un moment donné on a dit que la zone de
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1 Zeleni Jadar est tombée entre les mains des Serbes, puis que le Bataillon
2 néerlandais s'est replié de la zone de Jadar, puis qu'il ne restait plus
3 que 5 kilomètres entre Jadar et Srebrenica. Puis qu'il ne restait plus
4 qu'un seul point de contrôle des Néerlandais. Puis on a annoncé la chute de
5 Srebrenica.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Permettez-moi de vous interrompre.
7 La question qui vous a été posée se présentait comme suit : Lors des
8 entretiens que vous avez eus, est-ce que vous abordiez le sujet de la 28e
9 Division et le sujet des massacres perpétrés à l'encontre des civils
10 serbes. Et vous avez répondu : "Non, je n'ai jamais abordé ce sujet."
11 Alors, pour commencer, est-ce que vous savez ce que c'est que la 28e
12 Division ?
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Croyez-moi, je n'en sais rien. J'ai appris que
14 la 28e Division portait cette appellation, c'est un élément que j'ai appris
15 je ne sais plus exactement à quel moment, mais tout récemment. Jusqu'à ce
16 moment-là je ne savais pas que cette unité militaire s'appelait la 28e
17 Divion.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez poursuivre, Maître Lukic.
19 Nous aimerions recevoir des réponses qui se rapportent aux questions
20 posées. La question posée ne concernait pas les territoires contrôlés par
21 les Néerlandais ou la chute de Srebrenica, mais les connaissances que vous
22 aviez sur la 28e Division et les massacres commis à l'encontre des Serbes
23 sur la base des entretiens que vous avez menés.
24 Alors vous avez déjà répondu à la question dans le sens où vous avez
25 indiqué ne rien savoir au sujet de la 28e Division. Est-ce que vous savez
26 quelque chose au sujet des massacres perpétrés contre les Serbes ?
27 Non loin de Srebrenica, Maître Lukic, j'imagine que c'est ça qui vous
28 intéresse.
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1 Donc étiez-vous au courant des massacres perpétrés contre la
2 population serbe dans les villages non loin de Srebrenica avant la chute de
3 Srebrenica ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Je sais ce qui s'est produit après la
5 chute de Srebrenica, mais je ne sais pas ce qui s'est produit avant.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et ces événements n'ont joué aucun rôle
7 dans les conversations que vous avez menées avec les femmes et les enfants
8 ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] Si. Parce que j'ai posé des questions
10 relatives à ces massacres qui ont été perpétrés parce que je voulais me
11 faire une idée générale de tous les événements qui se sont produits dans la
12 région pour que je puisse intervenir et permettre aux femmes de faire face
13 à la réalité et de se faire une idée réaliste des événements qui se sont
14 produits. Mais ces éléments, je ne les ai appris qu'après la chute de
15 Srebrenica et après les discussions que j'ai eues avec les femmes.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et que vous ont-elles dit au sujet de
17 ces massacres ?
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Si mes souvenirs sont bons, en parlant des
19 massacres, elles ont expliqué qu'en fait elles se rendaient dans ces
20 villages pour chercher de la nourriture, c'était la raison principale pour
21 laquelle elles allaient dans ces villages voisins, et notamment à Kravica.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais cela veut-il dire qu'ils reniaient
23 le fait que le massacre ait eu lieu ? Parce que si on va tout simplement
24 chercher de la nourriture quelque part, ceci ne représente pas une
25 explication suffisante, si effectivement des massacres ont survenu.
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Les femmes ne pouvaient rien préciser dans les
27 entretiens que j'ai eus avec elles. Elles disaient que des massacres
28 avaient eu lieu mais qu'elles ne pouvaient rien préciser, qu'elles ne
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1 savaient pas combien de personnes ont été tuées. Il y a eu des personnes de
2 tuées, oui, mais combien, elles ne le savaient pas.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez poursuivre, Maître Lukic.
4 M. LUKIC : [interprétation] Merci.
5 Q. Je vais maintenant laisser de côté ce sujet, Madame, pour vous poser
6 une question relative aux soins que vous prodiguez.
7 Etes-vous d'accord avec moi pour dire que vos thérapies ont été très utiles
8 aux personnes qui se sont adressées à vous pour obtenir votre aide ?
9 R. Oui. Les thérapies ont été très utiles pour que les gens puissent
10 s'apaiser, pour qu'ils s'acceptent, pour qu'ils puissent s'adapter à de
11 nouvelles circonstances et pour devenir plus forts.
12 Q. Est-il vrai que vous avez aussi connu un grand succès dans le
13 traitement des enfants ?
14 R. Oui. Mais j'ai une collègue qui a elle aussi passé beaucoup de temps à
15 travailler avec des enfants et, par ailleurs, nous avons aussi des
16 pédagogues chargés du travail en groupe avec des enfants.
17 Q. Les personnes qui ont demandé votre aide et qui se sont vues accorder
18 votre aide se trouvent aujourd'hui dans une situation bien meilleure que
19 cela n'a été le cas il y a dix ans ou 13 ans ?
20 R. Je suis d'accord avec vous. De nombreuses femmes ont développé de
21 nouvelles compétences pour pouvoir faire face aux problèmes qui s'imposent
22 au cours de la vie.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, votre question invitait le
24 témoin à procéder à une comparaison entre quoi, entre la situation telle
25 qu'elle était immédiatement après les événements et la situation telle
26 qu'elle est maintenant, ou la situation telle qu'elle était avant les
27 événements et telle qu'elle est maintenant ?
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En fait, mon point de référence, c'est
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1 le moment où Mme le Témoin a déposé dans l'affaire Krstic.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Bon, alors nous venons de le tirer
3 au clair. Dans ce contexte-là, je comprends mieux la question.
4 Vous pouvez poursuivre.
5 M. LUKIC : [interprétation] Merci.
6 Q. Madame Ibrahimefendic, vous avez évoqué des problèmes auxquels ces
7 femmes doivent faire face pendant leur vie quotidienne. Etes-vous d'accord
8 avec moi pour dire que la communauté elle-même doit assurer des emplois,
9 que la situation politique doit se stabiliser ? Qu'en d'autres mots, les
10 problèmes auxquels doit faire face la population de Srebrenica sont rendus
11 plus ardus par les conditions sociales ? Vous avez abordé le sujet il y a
12 quelques instants mais je ne pense pas que vous ayez développé pleinement
13 votre réponse.
14 R. Je suis d'accord avec vous parce que le traitement des personnes
15 traumatisées ne commence pas et ne se finit pas dans la salle de thérapie.
16 Si on renforce un individu et que cet individu doit ensuite s'intégrer dans
17 une communauté où on manque les ressources de base pour vivre, alors
18 l'assistance psychologique ne compte pas autant parce qu'il y a d'autres
19 besoins aussi qui doivent être satisfaits : des besoins sociaux, matériels,
20 financiers et autres. Le traitement d'un traumatisme, malheureusement, en
21 plus, n'est pas perçu comme un problème de santé proprement dit dans notre
22 région. Et en effet, c'est un problème qui est aussi un problème social,
23 juridique et économique. Toutes ces conditions doivent être réunies pour
24 assurer un rétablissement complet.
25 Q. Seriez-vous d'accord pour dire que la souffrance de ces femmes est
26 aggravée par le milieu patriarchique dont elles proviennent et si elles
27 avaient été originaires de zones urbaines où souvent les femmes se trouvent
28 dans des contextes différents et ont un emploi, elles auraient pu y faire
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1 face différemment et mieux ?
2 R. Le traumatisme affecte tout le monde de la même façon. Il s'agit d'une
3 désintégration psychologique, et la récupération et la guérison sont
4 individuelles. Tout dépend des ressources à l'intérieur de chaque individu.
5 Cela dépend de ce qu'elles ont vécu avant la guerre, cela dépend de leur
6 capacité acquise avant le traumatisme.
7 La guérison même de personnes avec un bon niveau d'éducation peut
8 s'avérer difficile si la capacité individuelle de chacun ne suffit pas pour
9 s'adapter ou pour faire face à ces expériences traumatiques si difficiles.
10 Bien sûr, c'est plus facile si on a un emploi, si on a une profession et si
11 cette partie de la personnalité arrive à se rétablir et si on peut recréer
12 des lieux sociaux. C'est plus facile. Néanmoins, il y a des personnes
13 éduquées qui ont toujours des difficultés à établir des liens sociaux avec
14 d'autres étant donné la perturbation, l'interruption qui est intervenue.
15 Ces personnes sont toujours méfiantes, suspicieuses, sur leurs gardes,
16 malgré leur niveau d'éducation, et ces personnes partagent des symptômes
17 avec d'autres qui les empêchent de se sentir libres et détendues.
18 Q. Dans votre témoignage, vous avez également parlé de l'incapacité de ces
19 femmes de se remarier. Est-il exact de dire que le contexte patriarchique
20 dans lequel elles vivent exerce une certaine influence par rapport à cette
21 question ? Et peut-on dire également qu'en Bosnie, après la guerre, il y a
22 une véritable carence en ce qui concerne les hommes puisqu'il y en a
23 beaucoup qui étaient décédés pendant la guerre ou qui avaient quitté la
24 Bosnie après la guerre ?
25 R. Oui, c'est exact. Je l'avais déjà dit en 2000. La question du remariage
26 est un problème qui peut exister en dehors d'une situation de guerre. La
27 guerre ne fait qu'aggraver la situation, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas
28 suffisamment d'hommes. Quand il y a des femmes dont des membres de la
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1 famille sont portés disparus, ces femmes avaient du mal à trouver un mari
2 parce qu'elles se demandent "Je suis quoi ? Je suis veuve, mais je n'ai pas
3 été divorcée. Je suis quoi ? Quel est mon statut ?"
4 Donc, jusqu'à ce qu'on trouve les hommes portés disparus, jusqu'à ce qu'on
5 puisse les identifier, il y avait un problème lié au fait que la communauté
6 patriarchique n'avait pas beaucoup d'égards pour ces femmes si elles
7 essayaient de se remarier ou si elles essayaient de recréer un lien
8 affectif avec quelqu'un.
9 Q. En fait, j'avais posé deux questions à la fois et je n'ai toujours pas
10 eu de réponse à la deuxième partie. J'aurais dû les différencier. Donc,
11 est-il exact de dire qu'il y a une véritable carence en hommes, soit parce
12 qu'ils étaient décédés pendant la guerre, soit parce qu'ils avaient quitté
13 la Bosnie ?
14 R. D'après les statistiques, il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes,
15 oui.
16 Q. Etes-vous d'accord lorsque je dis que le deuil suite à la perte d'un
17 membre de la famille est un phénomène universel et s'applique à tout le
18 pays, toute personne en Bosnie-Herzégovine ?
19 R. Oui. Je suis tout à fait d'accord.
20 Q. Vous nous avez parlé de la perte traumatisante, et vous avez dit que
21 c'était différent par rapport à une perte prévue ou normale, par exemple,
22 suite au décès naturel d'un parent. Seriez-vous d'accord pour dire que la
23 perte d'un enfant en temps de paix est aussi traumatisante ?
24 R. Oui, oui. La perte d'un enfant en temps de paix est aussi
25 traumatisante.
26 Q. Seriez-vous d'accord avec moi quand je dis que même de telles pertes
27 traumatisantes produisent des effets post-traumatiques qui peuvent se
28 poursuivre pendant la durée de vie d'un individu ?
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1 R. Oui. Certes, les conséquences de la perte d'un enfant, que ce soit en
2 temps de guerre ou en temps de paix, peuvent provoquer des grandes
3 différences dans la vie d'un ou des deux parents, parce que les hommes et
4 les femmes font face à la perte de façons différentes. C'est ce qu'on a pu
5 observer pendant la guerre aussi. Les deux passent par une période de
6 deuil, mais la façon de montrer la souffrance et le deuil est différente.
7 La perte d'un enfant en temps de guerre et en temps de paix peut
8 effectivement provoquer des problèmes aussi en ce qui concerne les
9 relations entre époux.
10 Et cela concerne tous les enfants qui naissent et qui vivent dans une
11 famille, et c'est quelque chose qui peut concerner toute la durée d'une
12 vie.
13 Q. Les cas de rupture d'une famille après une telle perte ne sont pas des
14 cas exceptionnels, n'est-ce pas ?
15 R. Non.
16 Q. Je vais maintenant passer aux conclusions de vos recherches.
17 Est-il vrai de dire que les résultats de vos recherches sont plutôt d'ordre
18 qualitatif que quantitatif ?
19 R. Oui. Mais nous nous appuyons aussi sur la recherche de nos collègues,
20 les travaux de recherche coûtent cher et prennent beaucoup de temps, et
21 c'est pour ça que nous nous appuyons également sur des recherches
22 quantitatives effectuées par nos collègues psychiatres de la Bosnie-
23 Herzégovine ainsi que d'autres pays.
24 Q. En ce qui concerne vos recherches quantifiées, il s'agit principalement
25 de travaux sur la délinquance juvénile, n'est-ce pas ?
26 R. Non, non, cela n'est qu'une partie des recherches. Les recherches
27 s'approchent de leur fin. Nous travaillons avec trois universités de Tuzla
28 ainsi qu'avec l'Université de Basel. Il s'agit de recherches sur la
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1 fréquence de délinquances juvéniles liées aux événements de guerre.
2 Q. Je pense que vous connaissez le modèle Keilson de traumatisme
3 séquentiel tel que développé par le Dr Baker, n'est-ce pas ?
4 R. Oui.
5 Q. Pour le compte rendu d'audience, il s'agit de trauma séquentiel.
6 R. Oui. Il a développé un modèle pour la Bosnie-Herzégovine, et c'est lui
7 notre superviseur.
8 Q. La première séquence est la situation avant le traumatisme, donc avant
9 d'avoir le statut de réfugié, donc en vie normale, avant la guerre ?
10 R. Oui.
11 Q. Ceci est nécessaire pour nous afin que nous puissions comprendre les
12 différences par rapport aux périodes suivantes.
13 R. Oui. Puisque si les gens avaient été exposés à des événements
14 traumatisants avant la guerre, on peut s'imaginer que leur comportement
15 sera différent en temps de guerre que s'ils n'avaient pas été exposés à de
16 tels traumatismes, et cela peut les rendre soit plus forts, soit plus
17 faibles.
18 Q. Est-ce que vous aviez des contacts professionnels avec la population de
19 Srebrenica avant juillet 1995 ?
20 R. Non. Il est néanmoins important de connaître toutes les étapes de la
21 vie d'un patient, à commencer par l'enfance, jusqu'à l'événement ou aux
22 événements traumatisants qui ont laissé l'empreinte sur le patient, ou dans
23 certains cas qui ont cassé ou rompu la vie du patient. Il faut avoir une
24 image complète de la vie de cet individu, et il faut que cette personne
25 puisse se voir aussi dans un contexte de continuité.
26 Q. Est-il vrai de dire que vous n'aviez pas de groupe témoin qui aurait
27 permis d'établir les perturbations individuelles, psychiques, cognitives,
28 chez les traumatisés par rapport à ceux qui ne sont pas traumatisés ?
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1 R. Non, nous ne l'avons pas fait, mais nous nous sommes appuyés sur les
2 recherches d'autres collègues qui avaient comparé des personnes dont un
3 membre de la famille est porté disparu et des personnes qui n'étaient pas
4 dans une telle situation. Il y avait aussi des personnes qui avaient
5 retrouvé un membre de la famille décédé et qui ont pu l'enterrer, il y
6 avait des personnes qui n'ont pas réussi à le faire. Ces derniers
7 montraient beaucoup plus d'angoisse, avaient tendance à paniquer, étaient
8 obsessionnels, et cetera. Ces recherches ont été effectuées l'année
9 dernière par un collègue psychiatre, et nous y avons joué un rôle d'une
10 certaine façon. Nous avons procédé au traitement de ces informations, mais
11 c'est cette collègue-là qui a effectué les recherches.
12 Q. Je pense que nous sommes allés peut-être un peu trop loin dans votre
13 domaine d'expertise, mais je vais essayer de m'en sortir car je ne me sens
14 pas vraiment à l'aise. Mais le moment est venu de la pause, donc nous
15 allons poursuivre après la pause.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant la pause, Maître Lukic, dans votre
17 dernière question vous avez parlé des personnes traumatisées à comparer à
18 des personnes non traumatisées.
19 Nous avons parlé de traumatisme avant les événements de 1995, et nous avons
20 parlé des traumatismes qui se sont produits suite à cela. J'ai compris la
21 réponse de la façon suivante, le témoin a compris que vous parliez de
22 traumatisme suite aux événements, c'est-à-dire avec ou sans des membres de
23 famille portés disparus.
24 Est-ce que c'était cela votre intention, c'est-à-dire de comparer les
25 différents niveaux de traumatisme suite aux événements de 1995; ou est-ce
26 que votre question portait plutôt sur des traumatismes éventuels qui
27 existaient déjà à ce moment-là suite à d'autres événements ?
28 M. LUKIC : [interprétation] Nous avons déjà établi qu'à l'époque en Bosnie
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1 il n'y avait personne qui n'était pas traumatisé, que ce soit des personnes
2 directement impliquées dans le conflit ou non.
3 Je pense que Mme Ibrahimefendic m'a très bien compris. Et j'ai essayé de
4 procéder à une comparaison, ou de poser une question sur deux groupes, donc
5 sur le groupe de Srebrenica qui avait été traumatisé, et de savoir est-ce
6 qu'elle avait comparé ces traumatismes avec l'état de la population
7 générale à Tuzla.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais relire.
9 En même temps, vous dites que tout le monde en Bosnie avait subi des
10 traumatismes. Donc poser une question ensuite en ce qui concerne la
11 comparaison entre ceux qui avaient traumatisé et ceux qui ne l'avaient pas
12 été, apparemment --
13 M. LUKIC : [interprétation] Moins traumatisés.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] -- moins traumatisés par les événements
15 de guerre.
16 C'est de cette façon, Madame Ibrahimefendic, que vous avez compris la
17 question ?
18 Oui. Eh bien, c'est très clair pour moi maintenant aussi.
19 Nous allons faire la pause. Madame Ibrahimefendic, si vous voulez bien
20 suivre l'huissière qui vous accompagnera en dehors du prétoire.
21 [Le témoin quitte la barre]
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, quelle est la situation en
23 ce qui concerne le temps qui vous reste.
24 M. LUKIC : [interprétation] J'avance plus vite que prévu. Il me faudrait
25 encore dix minutes --
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dix minutes de plus.
27 Nous allons donc faire la pause jusqu'à midi 15.
28 --- L'audience est suspendue à 11 heures 53.
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1 --- L'audience est reprise à 12 heures 20.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur McCloskey, la Chambre a cru
3 comprendre que vous souhaitiez évoquer une question préliminaire. Est-il
4 préférable de le faire maintenant ou une fois que l'on en aura terminé avec
5 l'audition du témoignage de Mme Ibrahimefendic ?
6 M. McCLOSKEY : [interprétation] Très brièvement, Monsieur le Président.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
8 M. McCLOSKEY : [interprétation] On s'est entretenus avec la Défense pendant
9 la pause et il me semble que nous allons peut-être finir avant que prévu
10 demain, et il serait peut-être bon de nous réunir pour nous pencher sur la
11 liste des documents marqués à des fins d'identification pour essayer de
12 l'écourter à des fins d'activités à venir.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, et quand est-ce que vous suggérez
14 que cela se fasse ?
15 M. McCLOSKEY : [interprétation] Eh bien, nous imaginons que nous allons
16 finir aujourd'hui avant 2 heures et quart, et nous pourrions nous re-
17 réunir. Parce que nous n'avons pas de témoin, à moins que vous n'ayez autre
18 chose à l'esprit.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Laissez-moi voir. Nous parlons de la
20 journée d'aujourd'hui, n'est-ce pas ?
21 M. McCLOSKEY : [interprétation] Non, non, je m'excuse, demain.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Demain. Alors, si vous parcourez
23 ensemble la liste des documents marqués à des fins d'identification, ce
24 sera grandement apprécié. Nous allons avoir notre liste à nous et nous
25 allons voir ce qui pourra être biffé dès que faire se pourra.
26 M. McCLOSKEY : [interprétation] Une dernière chose encore. Nous nous sommes
27 entretenus avec M. Maxime Marcus pour lui demander de nous aider à résoudre
28 le problème. On s'est entretenus avec le Département chargé des Victimes et
Page 14683
1 des Témoins, et je crois que nous arrivés à un accord. Et Mme Marcus
2 voudrait avoir cinq minutes avant la fin de l'audition de ce jour.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais peut-être pourrions-nous le faire
4 tout de suite, après le témoignage de Mme Ibrahimefendic, dès qu'on aura
5 terminé son audition.
6 M. McCLOSKEY : [interprétation] C'est bon pour nous. Je crois que ça
7 arrange tout le monde.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, alors vous pouvez la convier ici
9 pour une dizaine de minutes une fois qu'on aura fini.
10 Madame Hasan, de combien de temps pensez-vous avoir besoin ?
11 Mme HASAN : [interprétation] En ce moment-ci, je n'ai pas de questions
12 supplémentaires.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien, alors vous pouvez demander à Mme
14 Marcus de venir dans à peu près dix minutes à partir du moment présent.
15 M. McCLOSKEY : [interprétation] Je crois qu'elle est en train de nous
16 écouter et je vais lui faire savoir la chose aussi.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Qu'on fasse entrer le témoin dans
18 le prétoire.
19 Entre-temps, je voudrais m'enquérir auprès de la Défense pour savoir s'il y
20 a déjà eu des décisions au sujet des objections éventuelles s'agissant des
21 pièces P1790 à P1799. A moins que vous ne l'ayez pas fait.
22 M. LUKIC : [interprétation] Je n'ai pas eu le temps, Monsieur le Président.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, alors on vous entendra sur ce point
24 demain ?
25 M. LUKIC : [interprétation] Certainement, oui.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, demain.
27 [Le témoin vient à la barre]
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Lukic, vous pouvez continuer.
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1 M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
2 Q. Lorsque nous avons parlé tout à l'heure de ce groupe de comparaison, ce
3 groupe étalon, je pense que les choses ne sont pas tout à fait claires. Je
4 vais donner lecture de ce qui a été consigné et je vous poserai la question
5 pour savoir si ça a été bien compris. En page 39, lignes 18 à 21, vous avez
6 dit, et je donnerai lecture en anglais pour que vous obteniez une
7 traduction correcte :
8 "Cette recherche a été faite l'année dernière par un psychiatre qui est
9 l'un de nos collègues, et nous avons été impliqués d'une certaine façon.
10 Nous avons étudié l'information entrante et c'est elle qui a en fait
11 conduit ces recherches-là."
12 Mais avant l'an dernier, vous n'aviez eu aucun groupe de comparaison ou de
13 groupe de contrôle, étalon.
14 R. Non, pas nous et -- enfin, moi et mon organisation, mais d'autres
15 psychiatres avaient eu des groupes de contrôle, des enfants de Tuzla, des
16 enfants qui étaient de l'extérieur de Tuzla, des enfants qui avaient
17 souffert des pertes, d'autres qui n'en avaient pas eu, de pertes j'entends,
18 et ainsi de suite, ce qui fait que j'ai été mise au courant des divergences
19 qu'il y avait entre les groupes de contrôle et les groupes qui avaient
20 survécu à des situations traumatisantes.
21 Q. Merci.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que je peux poser une question.
23 Ce groupe de contrôle, ça dépend de ce que vous êtes en train de
24 rechercher, parce que pendant que vous effectuez des traitements ou
25 procédez à des traitements, vous avez besoin d'un groupe, d'un paramètre de
26 personnes qui sont dans une situation parallèle, qui ont été dans une
27 situation similaire avant le traitement ou après ?
28 Alors, est-ce que vous pouvez nous dire, Monsieur Lukic, à quoi pensez-vous
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1 lorsque vous parlez de groupes de contrôle ?
2 M. LUKIC : [interprétation] Oui, peut-être suis-je allé trop en largeur et
3 peut-être devrais-je resserrer un peu mes questions au sujet de différents
4 groupes.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Mais est-ce que quand vous parlez
6 d'étude comparative, c'est ce que vous aviez à l'esprit ?
7 M. LUKIC : [interprétation] Oui, beaucoup d'enfants à étudier.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Alors, un groupe de contrôle, mais
9 vous n'aviez pas un concept scientifique concret à l'esprit. Est-ce que
10 vous avez parlé de personnes qui étaient dans des situations différentes ou
11 est-ce que vous parlez de personnes qui étaient à un âge différent au
12 moment des événements traumatisants ? Enfin, les choses ne sont pas
13 claires.
14 M. LUKIC : [interprétation] Merci. Je vais essayer d'apporter des
15 éclaircissements.
16 Q. Je ne voudrais pas vous déterminer les choses. Est-ce que vous pouvez,
17 vous, nous dire quels sont les groupes de contrôle que vous avez utilisés
18 pour les différents domaines d'intervention et quels sont les domaines
19 d'intervention du ou de la collègue qui avait pris un groupe de contrôle il
20 y a un an ?
21 R. Elle a fait des recherches pour ce qui est des symptômes -- enfin,
22 l'objectif de ses recherches, c'était de voir quel était le niveau des
23 différents symptômes qui se manifestent chez des personnes qui ont des
24 membres de la famille qui ont disparu. On a pris un groupe de contrôle
25 d'enfants qui n'avaient pas de membres de la famille qui avaient disparu,
26 et l'autre, c'était le cas contraire. Et on a pu voir que par rapport au
27 groupe de contrôle, il y avait plus d'états dépressifs, d'états d'anxiété
28 et autres symptômes. C'est de cela qu'il s'agissait. C'étaient ces deux
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1 groupes-là.
2 Il y avait donc ce deuxième groupe où il y avait des membres de la
3 famille qui avaient disparu qui étaient plus affectés.
4 Q. Merci. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi pour dire que dans vos
5 activités vous avez ressenti de la compassion à l'égard de vos patients ?
6 R. Mais tout thérapeute doit avoir de la compassion et de la compréhension
7 pour ce qui est des patients. Pas entrer dans le rôle du patient ou la
8 situation, mais adopter une attitude rationnelle et émotionnelle pour
9 comprendre comment la personne en question se sent. Parce que sans cela,
10 vous ne pouvez pas intervenir et faire votre travail.
11 Q. Je vais vous demander la chose suivante, est-ce que vos constatations
12 et conclusions, vous les avez fondées uniquement sur ce qu'il vous a été
13 donné l'occasion d'entendre de la part de vos patients ? Les éléments
14 matériels n'ont pas été vérifiés par vous, parce que vous nous avez déjà
15 précisé que vous ne saviez pas combien de garçons on avait séparés des
16 leurs entre -- enfin, pour ce qui est de la zone d'âge ou du groupe de
17 garçons âgés de 10 à 15 ans.
18 R. Bien, écoutez, nous sommes censés faire confiance à ces gens. Nous ne
19 sommes pas là pour déterminer les faits. Nous ne sommes pas -- moi, je n'ai
20 pas vaqué à la détermination des faits. Je me suis penchée sur la situation
21 psychoémotionnelle des personnes, sur les modalités suivant lesquelles ces
22 personnes fonctionnent, à quoi elles pensent, quelles sont leurs
23 observations, quelles sont leurs croyances, qu'est-ce qui a été modifié
24 chez elles, qu'est-ce qui a été perturbé comme elles le disent. C'est cela
25 l'objectif de mon travail. Ce n'est pas la détermination des faits.
26 Q. Je vais encore juste vous demander si parmi les femmes ou les enfants
27 avec qui vous avez travaillé, est-ce que vous avez eu des femmes et enfants
28 originaires de Zepa ?
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1 R. Oui, il y a eu plusieurs femmes originaires de Zepa. Parce que pour
2 l'essentiel, ce sont des personnes que l'on a évacuées vers Zenica, et non
3 pas vers Tuzla.
4 Q. Merci, Madame, d'avoir répondu à nos questions. C'est tout ce que
5 j'avais à vous poser comme questions. Merci.
6 R. Je vous en prie.
7 Questions de la Cour :
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant que de demander une fois de plus à
9 Mme Hasan si elle a des questions complémentaires, je souhaiterais poser
10 une question de suivi s'agissant l'élément de l'établissement des faits,
11 savoir si il y a des résultats de vos recherches qui se sont uniquement
12 fondés sur ce que vous avez ouïe dire de la part de vos patients. Mais la
13 question que je poserais est plus générale.
14 En votre qualité de thérapeute, est-ce qu'il a pu se produire que ce que le
15 patient vous a raconté suscite des doutes du point de vue de la véracité du
16 récit du patient ?
17 R. Une thérapie, c'est quelque chose qui se fait à long terme. Il est un
18 fait que les patients ont tendance à manipuler, ils racontent ce qu'ils
19 pensent être la vérité, mais ce n'est pas forcément cela la vérité vraie.
20 C'est leur vérité subjective.
21 Et pour aboutir à un moment où l'on serait en mesure de se pencher de
22 façon réaliste sur tout ce qui s'est passé, cela signifie qu'il faut pas
23 mal de temps, et il faut que l'individu, la personne en question accepte sa
24 responsabilité pour tout ce que cette personne a fait concernant la période
25 dont il est question et concernant les problèmes qui sont les siens. Il
26 faut que l'individu devienne conscient, qu'il ait un aperçu de son propre
27 comportement afin que sa vérité subjective puisse se muer en vérité
28 objective. Et ce n'est que de cette façon-là, si cette personne entre en
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1 contact avec soi-même, avec ses sentiments, ses réflexions, sa perception
2 des choses, c'est là qu'elle est à même d'établir des contacts avec les
3 autres et établir des liens, parce que tant qu'une personne est dans son
4 monde à soi, son monde traumatisé de peurs, d'incertitudes et de
5 perceptions des événements propres à elles, parce qu'on dit chez nous,
6 quand on a peur, les yeux se dilatent.
7 Oui, les choses peuvent rester telles qu'elles chez certains
8 patients, et ça continue à être leur réalité à elles, mais il faut les
9 faire revenir vers la réalité vraie pour qu'ils puissent commencer à
10 réfléchir d'une façon autre.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais vous poser alors la question
12 suivante. Dans l'expérience qui est la vôtre s'agissant des personnes pour
13 lesquelles vous avez dit qu'elles ont été traumatisées par les événements
14 de Srebrenica, est-ce que c'était chose rare ou chose fréquente que de
15 voir, au fil du traitement, ces personnes reconnaître que les faits de base
16 ont été perçus de façon erronées par elles, par exemple, lorsqu'il s'agit
17 de membres de la famille qui sont considérés comme étant disparus et puis,
18 ça s'avère être faux, qu'elles ne sont pas disparues et, par exemple, on
19 dit qu'ils ont été transportés dans des autocars, et pendant le traitement,
20 il s'avère que c'est une perception subjective non réaliste des choses.
21 Alors, est-ce que ça s'est passé souvent, ou est-ce que ce sont des
22 événements fondamentaux pour ce qui est de ces situations de traumatisme,
23 et est-ce que ça s'est maintenu au film du traitement ? Je parle des
24 événements au principal de ce qu'ils ont vécu.
25 R. Ces expériences traumatisantes, c'est quelque chose de fort pénible
26 pour ce qui est d'être exprimé. Il est très difficile pour les individus de
27 parler de la douleur et de la souffrance, les gens évitent de le faire. Et
28 quand vous avez un contact avec les personnes traumatisées, vous avez des
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1 récits qui sont partiels, qui sont interrompus par moments, intermittents.
2 Il n'y a pas de continuité dans le récit pour refléter l'événement en tant
3 que tel, pour ce qui est de savoir comment l'événement s'est produit
4 vraiment.
5 Ici, vous avez une personne qui, verbalement, arrive à exprimer sa
6 souffrance et sa douleur, et si cette personne réussit à raconter un récit
7 dans la continuité, nous estimons que cette personne est à même de faire
8 face à la situation présente.
9 Mais si l'on a que des fragments, des bribes de récits, on ne peut
10 pas reconstituer le récit entier. Une fois que le récit est reconstitué, ce
11 récit n'est plus si traumatisant. La personne n'a plus peur de raconter les
12 événements tels qu'elle les a vécus.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être n'avez-vous pas parfaitement
14 bien compris ma question. Je ne suis pas en train de parler de la nécessité
15 d'avoir un récit en continuité, je parle de fragments de récits qui se
16 seraient avérés par la suite être non conformes à ce qui s'est passé
17 vraiment, à la vérité. Je vais vous donner un exemple, si quelqu'un - ça
18 n'a rien à voir avec ce cadre de figure - si quelqu'un a un traumatisme et
19 si on vous dit que c'est dû parce que cette personne a été violée,
20 j'imagine qu'il se peut qu'au fil du traitement, on en vienne à remettre en
21 doute sérieusement ses propos ou que la personne admette elle-même qu'elle
22 n'a pas été en réalité violée.
23 Alors, je vous entendre nous dire si de tels événements tels que le
24 transport en autocar de certains individus ou le fait d'avoir perdu trois
25 membres de sa famille, est-ce qu'il vous est arrivé au fil du traitement,
26 est-ce que c'est arrivé rarement ou est-ce que ça n'est jamais arrivé ou
27 est-ce que ça s'est produit souvent de voir, au bout d'un certain temps,
28 telle personne dire : "Ma nouvelle réalité, c'est que je n'ai jamais été
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1 transporté à bord d'un autocar" ou "La nouvelle réalité, c'est que des
2 membres de ma famille sont encore vivants; ils ne sont donc pas disparus."
3 C'est ma question. Je ne parle pas de la continuité ou discontinuité d'un
4 récit. Je parle d'éléments factuels concrets dont nous avons souvent
5 entendu parler à l'occasion de ce procès. Est-ce que votre expérience est
6 de nature à montrer que la véracité du récit au départ, de ce qu'on vous a
7 dit au départ du traitement, s'avère être par la suite inventé par ladite
8 personne et que c'est tout à fait étranger à la réalité des événements.
9 R. De par mon expérience, ça ne s'est pas produit. Les gens, en termes
10 simples, n'avaient guère besoin de cela. Il y a eu trop de souffrances pour
11 en rajouter par-dessus. Il ne nous est pas arrivé de voir quelqu'un
12 raconter une chose qui leur serait arrivée pour que, par la suite, il soit
13 avéré que ça ne s'est pas passé. Il y a beaucoup de choses, au contraire,
14 qu'ils n'ont pas raconté dès le départ, parce que ces personnes ne
15 pouvaient pas s'en souvenir. On avait oublié certains éléments, ils ont été
16 complètement dissociés d'eux mêmes. C'était comme si c'était quelque chose
17 qui s'était produit de façon dissociée d'elle même. Et il ne s'est pas
18 produit d'avoir eu, par exemple, des personnes qui ont raconté des choses
19 qui, par la suite, se seraient avérés être fausses ou non conformes à la
20 vérité.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci de votre réponse.
22 Madame Hasan, avez-vous des questions supplémentaires à poser ?
23 Mme HASAN : [interprétation] Non, je n'ai pas de questions supplémentaires
24 à poser, mais j'aimerais demander le versement au dossier des extraits de
25 sa déposition précédente.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Avant de le faire, Maître Lukic,
27 avez-vous des questions à poser qui découlent des questions posées par les
28 Juges de la Chambre ? Non.
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1 Alors, Madame Hasan, allez-y.
2 Mme HASAN : [interprétation] Je souhaite demander le versement au dossier
3 du document 29099 de la liste 65 ter, c'est la déposition fournie par Mme
4 Ibrahimefendic dans l'affaire Krstic.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic.
6 M. LUKIC : [interprétation] Je veux soulever une objection quant au
7 versement au dossier de ce document.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et pour quel motif ?
9 M. LUKIC : [interprétation] Eh bien, quelle est la modalité sous laquelle
10 on demande le versement au dossier de ce document en vertu de l'article 94
11 ou en vertu de l'article 92 ter ?
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je pense qu'on demande le versement au
13 dossier de ce document en vertu de l'article 92 ter. Parce que si j'ai bien
14 compris Mme Hasan, elle a demandé au témoin de confirmer la teneur de sa
15 déposition précédente.
16 Mme HASAN : [interprétation] Oui. En effet, c'est en vertu de l'article 92
17 ter que nous demandons le versement au dossier de sa déposition précédente
18 à titre de témoin expert.
19 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
20 M. LUKIC : [interprétation] Eh bien, les objections que nous avons déjà
21 soulevées par le passé tiennent toujours.
22 [La Chambre de première instance se concerte]
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les Juges de la Chambre décideront en
24 temps voulu. Ils statueront sur l'objection qui a été soulevée et sur une
25 éventuelle admission au dossier du document.
26 Mme HASAN : [interprétation] Messieurs les Juges, en fonction de la
27 décision rendue pas les Juges, il se peut que nous souhaitions poser des
28 questions supplémentaires à Mme Ibrahimefendic si sa déposition précédente
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1 n'est pas admise au dossier.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je comprends qu'une telle possibilité se
3 présente. Quand j'ai dit "en temps voulu", bien évidemment je n'ai pas
4 précisé s'il nous faudra plus ou moins de temps. Mais donnez-nous au moins
5 jusqu'à la pause suivante et nous allons voir si nous pouvons dès
6 maintenant rendue une décision ou non. Ou peut-être rendrons-nous notre
7 décision immédiatement et remettrons nos motifs pas la suite.
8 Mme HASAN : [interprétation] Merci.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Ibrahimefendic, vous avez suivi
10 les débats qui viennent d'être menés entre les parties. Donc la question se
11 pose de savoir si les Juges de la Chambre admettront au dossier la
12 déposition que vous avez faite précédemment dans une autre affaire. Si nous
13 n'admettons pas au dossier votre déposition précédente, il se peut que vous
14 soyez rappelée par l'Accusation. Nous allons essayer de statuer sur la
15 question dès que possible, mais je ne peux rien vous garantir. Il se peut
16 que nous rendions notre décision dans une heure, et à ce moment-là
17 l'Accusation vous fera savoir si elle a l'intention de vous rappeler au
18 non.
19 Dans les circonstances données, je suis obligé de vous demander de ne
20 communiquer avec personne au sujet de la déposition que vous avez faite
21 aujourd'hui. Donc je ne me prononce pas sur la possibilité de vous
22 rappeler, je ne vais pas vous dire si c'est sûr à 1 % ou à 99 %, que nous
23 allons vous rappeler, mais toujours est-il que cette consigne est en
24 vigueur. Vous ne devriez discuter avec personne de votre déposition.
25 L'avez-vous compris ?
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.
28 [La Chambre de première instance se concerte]
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les Juges de la Chambre en fait
2 considère la possibilité de prendre une pause dès maintenant pour voir si
3 nous pouvons statuer sur la question dans les 20 minutes suivantes, ce qui
4 nous laisse quelque 65 minutes avant de lever l'audience d'aujourd'hui.
5 Mais, Madame Ibrahimefendic, j'imagine que vous n'allez pas repartir
6 chez vous sous une heure, ou avez-vous l'intention de quitter La Haye sur-
7 le-champ ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non. Je reste.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. A ce moment-là, il serait
10 peut-être intelligent de demander à Mme Ibrahimefendic de revenir dans la
11 salle d'audience après la pause de façon à ce qu'elle puisse prendre
12 connaissance de la décision rendue par les Juges de la Chambre.
13 Donc une fois Mme Ibrahimefendic sortie sur prétoire…
14 [Le témoin quitte la barre]
15 [La Chambre de première instance se concerte]
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Marcus, je vous ai complètement
17 oubliée et vous avez pourtant indiqué qu'il ne vous fallait que quelques
18 minutes. Il serait peut-être bon d'en profiter dès maintenant. Est-ce que
19 nous pouvons en parler en audience publique ou faut-il passer à huis clos
20 partiel…
21 M. McCLOSKEY : [interprétation] Je pense que la question abordée doit être
22 traitée à huis clos partiel.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Huis clos partiel, s'il vous plaît.
24 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,
25 Messieurs les Juges.
26 [Audience à huis clos partiel]
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23 [Audience publique]
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame la Greffière.
25 Nous allons faire une pause, et reprendre nos travaux à 13 heures moins 15.
26 --- L'audience est suspendue à 12 heures 52.
27 --- L'audience est reprise à 13 heures 17.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-on faire entrer, s'il vous plaît,
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1 Madame Ibrahimefendic dans la salle d'audience.
2 [Le témoin vient à la barre]
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Ibrahimefendic, nous n'avons plus
4 de questions à vous poser, mais les Juges de la Chambre souhaitent rendre
5 leur décision concernant le document 29099 de la liste 65 ter.
6 La Chambre a décidé d'admettre au dossier la déposition précédente fournie
7 par le témoin dans l'affaire Krstic en vertu de l'article 92 ter. Et nous
8 ferons savoir nos motifs par la suite.
9 Madame la Greffière, veuillez attribuer une cote, s'il vous plaît.
10 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Le document 29099 recevra la cote
11 P1800, Messieurs les Juges.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La pièce P1800 est versée au dossier.
13 Madame Ibrahimefendic, cela veut dire automatiquement que Mme Hasan n'est
14 plus obligée de contempler la possibilité de vous rappeler, donc ceci met
15 un terme à votre déposition. Nous vous remercions chaleureusement d'avoir
16 répondu à toutes les questions qui vous ont été posées par les parties au
17 procès et par les Juges de la Chambre et nous souhaitons un bon retour chez
18 vous.
19 Vous pouvez suivre l'huissière.
20 Et l'huissière peut faire venir le témoin suivant dans la salle d'audience.
21 Mme HASAN : [interprétation] Monsieur le Président, puis-je disposer ?
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Faites.
23 Mme HASAN : [interprétation] Merci.
24 [Le témoin se retire]
25 Mme HASAN : [interprétation] M. McCloskey souhaite lui aussi partir.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Eh bien, du moment où il reste au moins
27 un substitut du Procureur dans la salle d'audience, il peut se retirer,
28 bien sûr.
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1 Madame Lee, est-ce vous qui allez interroger le témoin suivant ? Et êtes-
2 vous prête à entendre la déposition de M. Lawrence ?
3 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur Lawrence.
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Le Dr Lawrence. Oui, Monsieur le Président.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de commencer votre déposition, en
7 vertu du Règlement vous êtes tenu de prononcer une déclaration solennelle.
8 Veuillez le faire maintenant. L'huissière vous remettra le texte que vous
9 avez à prononcer.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
11 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
12 LE TÉMOIN : CHRISTOPHER LAWRENCE [Assermenté]
13 [Le témoin répond par l'interprète]
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Lorsque vous dites que vous n'êtes pas
15 M. Lawrence mais plutôt le Dr Lawrence, je tiens à vous signaler que nous
16 nous adressons à tous les témoins en disant Monsieur ou Madame. Ce n'est
17 pas une façon de faire fi de grades ou de titres.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Je comprends.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Lee, si vous êtes prête, vous
20 pouvez y aller.
21 Mme LEE : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous allez maintenant être interrogé par
23 Mme Lee. Mme Lee est un substitut du Procureur.
24 Interrogatoire principal par Mme Lee :
25 Q. [interprétation] Bonjour.
26 R. Bonjour.
27 Q. Si j'ai bien compris, nous nous exprimons dans une même langue. C'est
28 pourquoi j'aimerais que vous ménagiez une pause entre les questions et les
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1 réponses pour attendre l'interprétation.
2 R. Oui.
3 Q. Docteur Lawrence, veuillez, s'il vous plaît, nous décliner votre
4 identité aux fins du compte rendu d'audience.
5 R. Je m'appelle Christopher Hamilton Lawrence. Cela s'épelle
6 L-a-w-r-e-n-c-e.
7 Q. Et quelle est votre profession actuelle ?
8 R. Je suis pathologiste spécialisé en médecine légale.
9 Q. Vous souvenez-vous d'avoir déposé dans l'affaire Krstic devant ce
10 Tribunal ?
11 R. Oui, je m'en souviens.
12 Q. Et dans l'affaire Karadzic aussi ?
13 R. En effet.
14 Q. Avez-vous eu l'occasion de revoir votre déposition dans ces deux
15 affaires ?
16 R. Oui.
17 Q. Au moment ou vous avez déposé, avez-vous témoigné d'après vos
18 connaissances et de façon véridique ?
19 R. Oui.
20 Q. Et si les mêmes questions vous étaient posées aujourd'hui, est-ce que
21 vous fourniriez, au fond, les mêmes réponses ?
22 R. Oui.
23 Mme LEE : [interprétation] Je souhaite demander le versement au dossier de
24 la transcription de la déposition faite par le Dr Lawrence en vertu de
25 l'article 92 ter et les pièces associées.
26 M. IVETIC : [interprétation] Pas d'objection.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière.
28 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Puis-je avoir la cote 65 ter, s'il vous
Page 14699
1 plaît.
2 Mme LEE : [interprétation] Oui. La cote 65 ter, c'est 29100. Ceci est
3 l'extrait de la déposition faite par le Dr Lawrence dans l'affaire Krstic.
4 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Le document reçoit la cote P1801,
5 Messieurs les Juges.
6 Mme LEE : [interprétation] Nous avons aussi le document 29101 de la liste
7 65 ter. Ceci est un extrait de la déposition faite par le témoin dans
8 l'affaire Karadzic.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce P1802, Messieurs les
10 Juges.
11 Mme LEE : [interprétation] Messieurs les Juges, nous avons aussi deux
12 pièces associées dont je souhaite demander le versement au dossier.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Eh bien, statuons d'abord sur
14 l'admission au dossier des deux documents précédents.
15 [La Chambre de première instance se concerte]
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les pièces P1801 et P1802 sont admises
17 au dossier.
18 Qu'en est-il des pièces associées, Madame Lee ?
19 Mme LEE : [interprétation] Nous avons le document qui porte la cote 04574
20 de la liste 65 ter. C'est le curriculum vitae du Dr Lawrence.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'imagine qu'il n'y a pas d'objection.
22 Le document suivant.
23 Mme LEE : [interprétation] C'est le document qui porte la cote 04575. Ceci
24 est un tableau qui montre quelles sont les fosses primaires et secondaires
25 examinées par le Dr Lawrence.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vois qu'il n'y a pas d'objection.
27 Quelle est la cote 65 ter ?
28 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Le document recevra la cote P1803,
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1 Messieurs les Juges.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le document est admis au dossier. Et
3 qu'en est-il du document 04575 ?
4 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il recevra la cote P1804, Messieurs les
5 Juges.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le document est admis au dossier.
7 Vous pouvez poursuivre, Madame Lee.
8 Mme LEE : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges. Je souhaite
9 maintenant donner lecture d'un résumé de la déposition faite par le Dr
10 Lawrence. Les raisons pour lesquelles le résumé est lu ont été expliquées
11 au témoin.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
13 Mme LEE : [interprétation] Le Dr Christopher Lawrence est un pathologiste
14 spécialisé en médecine légale attesté. Du mois de mai au mois d'octobre
15 1998, il a été le médecin légal en chef qui a travaillé pour le bureau du
16 Procureur du TPIY. Le Dr Lawrence se trouvait à la tête d'une équipe qui a
17 procédé à des autopsies sur des restes humains exhumés de plusieurs fosses
18 communes associées à la chute de l'enclave de Srebrenica, y compris le site
19 sur le barrage non loin de Petkovci, et sept fosses secondaires qui se
20 trouvent le long de la route de Cancari, la route d'Hodzici non loin de
21 Zeleni Jadar, et à Liplje. Les autopsies ont été effectuées dans une morgue
22 de Visoko en Bosnie.
23 Les housses mortuaires données au Dr Lawrence et à son équipe à la
24 morgue contenaient des cadavres dans un certain nombre de cas, et des
25 fragments de cadavres dans d'autres cas. Après avoir photographié le
26 contenu de ces os, les pathologistes ont procédé à un examen fluoroscopique
27 des restes humains pour trouver les traces de balles, de fractures et
28 d'anomalies osseuses. Ils ont également reçu les effets personnels et
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1 enlevé les vêtements des restes humains qui ont été remis à la police
2 scientifique. Le Dr Lawrence et son équipe ont alors procédé à un examen
3 des corps et des os et ils ont photographié toutes les traces de blessures.
4 Les ossatures qui avaient subi des dommages ont été remises aux
5 anthropologistes pour être reconstruits, et ensuite ils ont été examinés
6 par les pathologistes pour vérifier si des blessures peuvent être relevées.
7 Dans des cas de blessures par balle visible, on a essayé de reconstruire la
8 trajectoire de la balle. Dans la plupart des cas, les pathologistes ont
9 également examiné les vêtements pour établir si les dommages infligés aux
10 vêtements concordaient avec les blessures qui avaient été identifiées.
11 Le Dr Lawrence a préparé un rapport pour chaque site où une fosse
12 commune a été retrouvée. Il y a indiqué ses conclusions et son opinion
13 quant à la cause du décès. Au total, son équipe a examiné 2 239 housses
14 mortuaires qui contenaient au minimum les restes de 883 individus. La cause
15 du décès, pour la majorité de ces corps, était blessures par balle. Un
16 certain nombre de victimes ont été blessées par balle et par éclats d'obus.
17 La plupart des blessures infligées par les éclats d'obus ont été reçues par
18 des victimes retrouvées dans le site secondaire à Zeleni Jadar.
19 Au cours de l'autopsie, le Dr Lawrence et son équipe ont retrouvé 83
20 ligatures et 130 bandeaux. La plupart des ligatures ont été trouvées autour
21 des poings et des bras de victimes. Dans la plupart des cas, les bandeaux
22 étaient placés sous les yeux des victimes.
23 Ceci est la fin de mon résumé.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
25 Si vous avez d'autres questions à poser au témoin, vous pouvez y aller.
26 Mme LEE : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.
27 Q. Avant de commencer avec mes questions, je vois que vous avez apporté
28 quelques documents avec vous. Pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit ?
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1 R. Oui. Ce sont des exemplaires de rapports que j'ai préparés pour le TPIY
2 au sujet de huit sites qui ont été examinés et un document, qui est une
3 synthèse de toutes les conclusions, que j'ai préparé pour l'affaire Krstic.
4 Q. Si vous souhaitez vous référer à ces documents, faites-le, s'il vous
5 plaît, mais faites-nous savoir et dites-nous quel est le document que vous
6 consultez.
7 R. Merci.
8 Q. Docteur Lawrence, depuis votre dernière déposition dans l'affaire
9 Karadzic en décembre 2011, est-ce que vous occupez toujours le même poste ?
10 R. Oui, je suis toujours le pathologiste d'Etat en Australie.
11 Q. Et pendant combien de temps occupez-vous ce poste ?
12 R. Depuis 2002.
13 Q. Est-ce que vous pourriez nous décrire brièvement quelles sont vos
14 responsabilités ?
15 R. Mes responsabilités en tant que médecin légiste de l'Etat concernent la
16 responsabilité du service d'autopsie pour les médecins légistes nationaux
17 concernant le besoin d'être présent sur le site quand il s'agit de morts
18 suspicieuses, les forces de la police, en ce qui concerne les enquêtes dans
19 des cas de décès, préparer des rapports sur les décès pour le médecin
20 légiste national, préparer des rapports pour les cours et tribunaux, et
21 travailler aussi dans des cas de décès qui se produisent dans des hôpitaux.
22 Q. Il y a quelques minutes nous avons déjà dit que vous avez témoigné
23 devant ce Tribunal dans les affaires Krstic et Karadzic.
24 R. Oui.
25 Q. Est-ce que vous avez déjà témoigné en tant qu'expert dans d'autres
26 affaires ?
27 R. Oui, dans les affaires Popovic et Tolimir.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et que vous fassiez une pause entre les
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1 questions et réponses et vice versa.
2 Mme LEE : [interprétation] Oui, Messieurs les Juges.
3 Q. Est-ce que vous avez déjà témoigné en tant que témoin expert dans
4 d'autres cours ?
5 R. J'ai témoigné. Oui, excusez-moi. J'ai témoigné en tant que témoin
6 expert en Australie et aux Etats-Unis.
7 Q. Et dans quel domaine ou discipline d'expertise est-ce que vous avez
8 témoigné ?
9 R. Comme médecin légiste.
10 Q. Et à combien de reprises à peu près est-ce que vous avez témoigné en
11 tant qu'expert ?
12 R. Je dirais quelque part entre 50 et 100 fois.
13 Q. Je vais maintenant vous poser une question spécifique en ce qui
14 concerne une affaire particulière, qui est R. contre Jeffrey Gilham.
15 Quel rôle est-ce vous avez joué là-dedans ?
16 R. C'est une affaire que j'ai examinée en 1993. En fait, c'était un triple
17 homicide, trois personnes avaient été poignardées, avaient été tuées, et la
18 maison avait été brûlée.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de poursuivre, Madame Lee, les
20 Juges se posent la question de savoir pourquoi de tels détails sont
21 pertinents. Bien sûr, nous n'avons aucune connaissance en ce qui concerne
22 cette affaire.
23 Mme LEE : [interprétation] Je vais poser des questions à ce témoin, qui a
24 témoigné en tant qu'expert, et nous allons y arriver très rapidement.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, certes. Mais il ne suffit pas de
26 dire qu'il y a eu entre 50 et 100 témoignages. Pourquoi est-ce qu'on a
27 besoin de rentrer dans les détails d'une seule affaire ? Si vous avez des
28 raisons de le faire, allez-y directement, s'il vous plaît. Mais je ne pense
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1 pas que les circonstances de l'affaire sont particulièrement pertinentes.
2 Peut-être que votre question va montrer le contraire, peut-être que ça a
3 une pertinence.
4 Mme LEE : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.
5 Q. Docteur Lawrence, dans cette affaire, est-ce qu'il y a eu des problèmes
6 en ce qui concerne votre témoignage dans cette affaire ?
7 R. Oui. C'est une affaire complexe. Il y avait déjà eu deux enquêtes, deux
8 procès et un procès en appel. Le procès en appel a eu lieu peu de temps
9 avant que je ne fasse mon témoignage dans l'affaire Karadzic. Ce qui est
10 important pour le Tribunal de savoir est que lors de l'appel, j'ai compris
11 que j'avais fait une erreur dans mon évaluation de l'importance de
12 certaines preuves concernant un niveau peu élevé de monoxyde de carbone.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si vous êtes en train de nous montrer
14 que le témoin expert est un homme qui a eu aussi des échecs dans sa vie,
15 nous l'avons bien compris.
16 Mme LEE : [interprétation] Très bien. Merci, Monsieur le Président.
17 Q. Nous allons passer à un autre domaine, et je souhaite vous poser des
18 questions concernant votre implication en Bosnie en 1998.
19 R. Oui.
20 Q. Vous étiez médecin légiste en chef pour le bureau du Procureur du TPIY,
21 n'est-ce pas ?
22 R. Oui.
23 Q. Et qu'est-ce qu'on vous a demandé de faire ?
24 R. J'étais chargé de l'organisation d'une mortuaire, d'une morgue, pour
25 procéder à des autopsies sur les corps, les cadavres qui avaient été
26 exhumés par l'équipe d'exhumation en 1998, afin de déterminer la cause du
27 décès, et si possible de collecter les preuves qui permettraient par la
28 suite d'identifier les individus concernés.
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1 Q. Et quelles étaient vos principales responsabilités ? Est-ce que vous
2 avez joué un rôle de superviseur ?
3 R. Oui, j'ai supervisé l'équipe de la morgue. J'ai donné instruction aux
4 médecins légistes. J'ai passé en revue les rapports et j'ai préparé des
5 résumés de rapports en ce qui concerne un certain nombre de cas. En plus,
6 j'ai procédé moi-même à un certain nombre d'autopsies.
7 Q. Vous venez de dire que vous avez procédé à l'examen de rapports. Il
8 s'agit des rapports de qui ?
9 R. J'ai examiné un certain nombre de rapports, des rapports des médecins,
10 et d'une certaine façon des rapports des anthropologues.
11 Q. Et quand vous dites "médecin", vous voulez dire les autres médecins
12 légistes, n'est-ce pas ?
13 R. Oui.
14 Q. Vous venez de parler des rapports. J'aimerais savoir si vous-même vous
15 avez rédigé des rapports ?
16 R. Oui. J'ai préparé les huit rapports que j'ai avec moi aujourd'hui.
17 Q. Et ces huit rapports concernent chacune des fosses, n'est-ce pas ?
18 R. Oui.
19 Q. Il s'agit donc du barrage, la route de Cancari 3; la route de Cancari
20 12; la route de Hodzici 3, 4, 5; Zeleni Jadar 5; et Liplje 2, n'est-ce pas
21 ?
22 R. Oui.
23 Q. Est-ce que vous avez rédigé d'autres rapports concernant ces sites ?
24 R. Suite à notre travail, à la route de Cancari 3, nous avons eu
25 connaissance de l'existence probable ou possible d'un site primaire à
26 Kozluk. Fin septembre, ou c'était peut-être début octobre, je me suis rendu
27 sur le site de Kozluk et nous avons récupéré deux housses mortuaires
28 contenant des restes de squelette. J'ai préparé un rapport suite à cela, un
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1 rapport d'une page. J'ai également préparé un rapport sur des liens, des
2 ligatures qui avaient été récupérées des fosses, qui avaient été envoyées à
3 La Haye et qui n'avaient pas été examinées à la morgue.
4 Q. Avez-vous eu la possibilité d'examiner chacun de ces rapports que vous
5 avez préparés par rapport à Srebrenica avant de venir déposer aujourd'hui ?
6 R. Oui.
7 Q. Est-ce que vous maintenez votre analyse et vos conclusions dans ces
8 rapports ?
9 R. Oui.
10 Mme LEE : [interprétation] Messieurs les Juges, je souhaite demander le
11 versement de ces 11 rapports au dossier, conformément à l'article 92 [comme
12 interprété] bis.
13 M. IVETIC : [interprétation] Pas d'objection.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que Madame la Greffière, vous
15 voulez bien réserver les 11 cotes et faire une note en ce qui concerne la
16 description des 65 ter, le nom abrégé du rapport, les cotes à assigner, et
17 tous les 11 sont admis et versés au dossier.
18 Mme LEE : [interprétation] Est-ce que je peux vous lire les cotes 65 ter
19 pour le compte rendu d'audience ?
20 [La Chambre de première instance se concerte]
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous voulez bien vérifier la
22 liste préparée par la greffière, parce que je pense que ces documents
23 figurent déjà sur notre liste. Donc, on n'a pas besoin de les relire encore
24 une fois. Enfin, c'est en ordre séquentiel, donc il suffit de dire le
25 premier et le dernier.
26 Mme LEE : [interprétation] Cela commence à 04576 à 04584.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et cela apparaît comme ça sur la liste ?
28 Mme LEE : [interprétation] Oui, sur la liste.
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1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et les deux supplémentaires ?
2 Mme LEE : [interprétation] 11038 et 11039.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, ce sont les deux premiers sur la
4 liste non associée. La greffière va préparer le mémo.
5 Veuillez poursuivre.
6 Mme LEE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
7 Q. Docteur Lawrence, dans vos rapports, vous avez déterminé la cause du
8 décès pour chaque housse mortuaire, plutôt que sur chaque corps. Est-ce que
9 vous voulez bien nous expliquer rapidement pourquoi vous l'avez fait pour
10 les housses mortuaires ?
11 R. Oui. Les corps, les cadavres avaient été pris principalement dans des
12 fosses secondaires, et dans certaines fosses les corps n'étaient pas
13 seulement en état avancé de décomposition mais avaient été disloqués. Par
14 conséquent, il n'a pas été possible d'examiner des corps entiers dans
15 beaucoup de cas. Sur certains sites, par exemple, Hodzici 5, les corps
16 étaient assez bien préservés, mais dans d'autres, par exemple au barrage ou
17 à Liplje, les corps avaient été terriblement déchiquetés. Il nous a fallu
18 donc procéder à une évaluation quant à savoir si on ne faisait rapport
19 quand il s'agissait d'un corps entier ou est-ce qu'on devait faire des
20 rapports pour des corps entiers, ainsi que pour des housses mortuaires.
21 J'ai pris ma décision, la décision d'examiner les housses mortuaires,
22 ainsi que les corps entiers, afin de récolter un maximum d'informations.
23 Cette décision a donné lieu à quelques problèmes, évidemment des corps
24 partiels, où on ne peut pas établir un lien entre les différentes parties,
25 soulèvent la possibilité qu'il y ait, pour un seul corps, plusieurs causes
26 de décès. Mais je pensais, vu les circonstances, qu'il était très important
27 de documenter autant de cas de blessures provoquées par balle que possible,
28 étant donné que les preuves que l'on obtenait par les vêtements, qu'il y
Page 14708
1 avait probablement eu plus de blessures par balle que ce qu'on voyait de
2 nos propres yeux.
3 En fin de compte, nous nous sommes concentrés principalement sur les
4 corps entiers, parce que c'est là où on trouvait le plus d'informations
5 utiles, et les causes de décès pour ces 254 corps entiers nous donnaient
6 probablement les éléments d'information les plus utiles. Mais il y avait un
7 problème sur pas mal de ces sites, y compris au barrage et à Liplje en
8 particulier, il y avait eu tellement de dommage causé qu'on n'avait presque
9 pas de corps entiers du tout.
10 Q. Merci. Je passe maintenant à un autre domaine. Dans vos rapports, vous
11 parlez de bandeaux et de liens.
12 R. Oui.
13 Mme LEE : [interprétation] Est-ce que nous pouvons afficher de la liste 65
14 ter le numéro 04581, à la page 18. Il s'agit du rapport du Dr Lawrence en
15 ce qui concerne la route Hodzici 4, la route de Hodzici 4.
16 Il semble qu'il y ait des difficultés techniques.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, effectivement.
18 M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Il faut un certain temps pour
19 télécharger les photographies.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Surtout s'il y a un nombre important de
21 ces photos.
22 Et la greffière me dit que l'ordinateur aujourd'hui est de toute façon au
23 ralenti, peut-être à cause des conditions météorologiques.
24 [La Chambre de première instance se concerte]
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On y arrive lentement.
26 Mme LEE : [interprétation]
27 Q. Docteur Lawrence, est-ce que vous voulez bien nous décrire ce que l'on
28 voit à l'écran.
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1 R. Ce que l'on voit sont la main et la partie supérieure d'un crâne, avec
2 un bandeau autour du crâne.
3 Je devrais dire que ce crâne a été reconstruit et le bandeau y a été
4 positionné après reconstruction du crâne. Mais vous voyez la flèche qui
5 indique une blessure par balle, aux alentours de la tempe gauche et il y a
6 un défaut correspondant dans le bandeau, qui indique que le bandeau se
7 trouvait dans cette position lorsque la balle a été tirée.
8 Q. Et lorsque vous dites que le crâne a été reconstruit, qui a reconstruit
9 le crâne ?
10 R. Cela a été fait par les anthropologues en utilisant les fragments d'os.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La reconstruction et la colle, tout est
12 déjà versé au dossier, Madame Lee.
13 Mme LEE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
14 Q. Docteur Lawrence, vous avez déjà témoigné en ce qui concerne la
15 différence entre des blessures par balle probables, possibles, et
16 définitives. Et je fais référence à des blessures par balle, je fais
17 référence à la pièce P1802, pages 6 à 9 du prétoire électronique.
18 Alors, comment définiriez-vous les blessures que l'on voit ici.
19 R. Vous parlez des blessures qu'on voit ici ? Je dirais qu'ici il s'agit
20 pour sûr d'une blessure par balle.
21 Mme LEE : [interprétation] J'aimerais qu'on nous affiche maintenant la
22 pièce 65 ter 04582, page 18, s'il vous plaît.
23 Q. Et en attendant que cela soit téléchargé, j'aimerais vous poser des
24 questions au sujet des ligatures que l'on a retrouvées sur les sites des
25 fosses communes.
26 R. Certes.
27 Q. Quel type de ligatures a-t-on retrouvé ?
28 R. Eh bien, il y a eu plusieurs types de ligatures qu'on a retrouvées et
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1 il est arrivé que dans certaines fosses communes, on ait retrouvé des
2 ligatures tout à fait caractéristiques. Et parmi le tout, il y avait eu des
3 ligatures faites de tissu, puis d'un tissu de couleur blanche avec des
4 fleurs brodées dessus, puis il y a eu des pièces de textile de couleur
5 blanche avec des lignes de couleur dessus.
6 Mme LEE : [interprétation] J'aimerais qu'on se penche sur la page 16 de ce
7 document.
8 Q. Docteur, veuillez nous décrire ce que l'on voit sur notre écran.
9 R. Certes. On peut voir sur l'écran un corps plutôt intact qui se trouve
10 être placé sur le dos. Au bas, vous pouvez voir une ceinture qui est
11 quelque peu tirée vers le bas, et par-dessus -- enfin, au-dessus de cela,
12 on peut voir les mains. Ces mains ont été ligotées avec une espèce de
13 corde. Et aux poignets, vous pouvez voir une montre, une Seiko.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais cette description ne coïncide pas
15 avec le texte en dessous. Est-ce que vous pouvez lire et nous dire de quoi
16 il en retourne au juste ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez dit que ce corps était couché
19 sur le dos.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, excusez-moi. Ce corps est en fait couché
21 sur l'estomac, sur le ventre, et on voit le dos. Excusez-moi.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'excuse une fois de plus.
24 Mme LEE : [interprétation]
25 Q. Est-ce que l'on a pu déterminer la cause du décès dans ce type de cas
26 de figure ?
27 R. Eh bien, ici on a retrouvé des blessures par balle, et ce, dans le
28 secteur droit, puis des fragments de balle dans la cuisse et le genou, et
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1 je devrais réétudier le cas concret pour vous en dire plus. Peut-être
2 pourrais-je me pencher sur ma liste, mais je crois qu'on y a fait figurer
3 la cause du décès.
4 Mme LEE : [interprétation] J'aimerais à ce titre que l'on nous affiche la
5 pièce 65 ter numéro 4578, page 30 du prétoire électronique.
6 Q. Quand il s'agit des ligatures que vous avez énumérées, vous en avez
7 donné toute une série de types de ligatures.
8 Mme LEE : [interprétation] Et là, je vous renvoie vers la page 30. C'est la
9 page d'après.
10 Q. Docteur Lawrence, vous avez parlé de ces différents types de ligature
11 et vous avez mentionné le fait que vous aviez rédigé deux rapports à ce
12 sujet.
13 R. C'est exact.
14 Q. Est-ce que vous reconnaissez cette ligature ?
15 R. C'est la ligature de couleur blanche avec des broderies, les fleurs et
16 les feuilles brodés dessus, et c'est ce qu'on a vu au CR12 et CR13.
17 Q. Et c'est le CR13 ici ?
18 R. CR12 et CR3, excusez-moi.
19 Q. Merci.
20 Mme LEE : [interprétation] Messieurs les Juges, pour vous faciliter la
21 tâche, je dirai que ça se trouve en page 29, ce rapport, et c'est un
22 rapport qui a déjà été versé au dossier. Il s'agit de la pièce P1771. Et
23 nous avons également un rapport en matière de tissu, Mme Suzanna Maljaars,
24 qui a déjà témoigné dans ce prétoire un peu plus tôt au cours de la
25 semaine.
26 J'aimerais que l'on nous affiche à présent la page 35 du même document.
27 Q. Et pendant que nous attendons ce téléchargement, Docteur Lawrence, je
28 voudrais vous demander si vous avez pu voir des corps qui avaient des
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1 ligatures et des bandeaux par-dessus les yeux.
2 R. Oui. Il y a eu deux corps dans le dossier CR12 qui avaient des
3 ligatures et des bandeaux, et c'est les housses mortuaires corps 116 et
4 121.
5 Q. Est-ce qu'au vu de cette image que vous avez sous les yeux, vous pouvez
6 nous donner un descriptif ?
7 R. Cette photo montre la peau du côté de la tempe droite, et on voit entre
8 les doigts un trou de fait par une balle, et on a pu retrouver le même type
9 de trou au niveau du bandeau qui se trouvait sur les yeux.
10 Q. Vous avez déjà témoigné -- ou plutôt, je vais vous demander la chose
11 suivante : quelle est la cause du décès que vous avez pu déterminer ici, si
12 tant est que vous avez pu le faire ?
13 R. Oui. C'est une blessure par balle à la tête qui va certainement tuer un
14 homme.
15 Q. Est-ce que c'est tout à fait certain, c'est une blessure par balle ?
16 R. Oui, oui.
17 Q. Vous avez témoigné au sujet de la cause possible et de la cause
18 probable, ainsi qu'au sujet des causes certaines de décès. Ça se trouve à
19 la pièce P1802, pages 9 et 10.
20 Est-ce que dans ce cas concret vous avez pu déterminer avec certitude
21 la cause du décès ?
22 R. Oui.
23 Mme LEE : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser,
24 Messieurs les Juges.
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame Lee.
26 Monsieur Lawrence, vous allez maintenant être contre-interrogé par Me
27 Ivetic. C'est un membre de l'équipe des conseils de la Défense de M.
28 Mladic.
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1 M. IVETIC : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.
2 Contre-interrogatoire par M. Ivetic :
3 Q. [interprétation] Docteur Lawrence, avant que de commencer avec mes
4 questions en contre-interrogatoire, puisque nous parlons tous les deux la
5 même langue, je vais vous demander de faire des pauses entre les questions
6 et les réponses afin que les autres personnes dans ce prétoire puissent
7 faire leur travail.
8 Est-ce que cela vous arrange ?
9 R. Je vais m'efforcer de le faire.
10 Q. Ai-je raison de dire qu'en sus de cette formation médicale et du
11 diplôme de médecin que vous avez obtenu, vous avez également fait des
12 études en matière de droit pour devenir pathologiste en matière médico-
13 légale ?
14 R. J'ai fait des études de droit lorsque j'étais en train de devenir
15 pathologiste, et je n'ai pas terminé cette formation juridique.
16 Q. Mais pour ce qui est du témoignage que vous avez fourni ici et des
17 rapports dont vous êtes l'auteur, pour ce qui est des activités que vous
18 avez réalisées en Bosnie, est-ce que vous vous trouviez là à ce moment-là
19 en fonction de juriste ou est-ce que vous n'avez fait figure que de
20 pathologiste en matière médico-légale ?
21 R. Je n'ai jamais prétendu être juriste. Je suis un pathologiste en
22 matière de médecine légale.
23 Q. Merci. Ai-je raison de dire qu'à un moment donné vous avez également
24 fait deux stages en Amérique en tant qu'anthropologiste ?
25 R. Oui.
26 Q. Je suppose que vous n'avez pas obtenu de diplôme après cela ?
27 R. Bien, je considère moi-même que je suis un pathologiste en matière
28 médico-légale, et je suis notamment intéressé par la médecine légale et je
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1 ne suis pas un expert juridique.
2 M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vais vous interrompre. Je crois
3 qu'il y a quelque chose de mal consigné au compte rendu. Vous avez peut-
4 être voulu dire que vous n'êtes pas un anthropologiste mais un
5 pathologiste. C'est bien ce que vous avez voulu dire ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
7 M. IVETIC : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.
8 Q. Je ne voudrais pas que vous me compreniez de façon erronée. Ce n'est
9 pas une critique. Vous avez été pathologiste en matière médico-légale pour
10 le compte d'un tribunal en Birmanie [comme interprété]. Est-ce que vous
11 étiez le seul ?
12 R. Non. Il y avait un autre pathologiste qui a été formé en matière
13 d'enquête ou d'investigation médicale qui a fait sa formation aux Etats-
14 Unis.
15 Q. Et est-ce que c'est cet individu que vous avez recruté vous-même au
16 bout d'un certain nombre d'années ?
17 R. Oui.
18 Q. Ai-je raison de dire qu'en principe, dans le domaine de l'examen des
19 dépouilles mortelles, c'est-à-dire des examens en matière de médecine
20 légale, le pathologiste, c'est quelqu'un qui peut jouer un rôle lorsqu'il y
21 a encore des tissus qui restent, des tissus du corps qui restent encore à
22 être examinés ?
23 R. D'une façon générale, c'est cela. Il y a, en matière d'anthropologie,
24 plus d'anthropologues qui sont censés pouvoir intervenir, et ils
25 interviennent aux Etats-Unis ainsi qu'en Angleterre. Mais je crois qu'il
26 serait plus exact de dire que si l'on procédait à des examens, la majeure
27 partie de la tâche était effectuée par les anthropologistes en matière
28 médico-légale. A l'époque, ça a été fait en consultation avec les uns et
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1 les autres et étant donné l'état plutôt très décomposé des corps, il a
2 fallu que l'on détermine quel a été le cheminement des balles lorsqu'elles
3 ont atteint le corps, et c'est le travail des anthropologistes.
4 Q. Mais pour la finalité du travail que vous avez eu à effectuer ici,
5 étant donné qu'il y a eu plusieurs rapports d'établis concernant les
6 différents sites, aurais-je raison de dire que s'il y avait eu plus de
7 pathologistes, la décision, au final, aurait été prise par ces derniers
8 lorsqu'il s'agissait d'établir la nature des blessures ?
9 R. En effet.
10 Q. Pour ce qui est du type de consultations qui ont été effectuées avec
11 des anthropologistes pour en aboutir à des conclusions, j'aimerais que nous
12 nous penchions ensemble sur une pièce, qui est le 1D1042 [comme
13 interprété].
14 M. IVETIC : [interprétation] Je vous renvoie vers la page 34 du prétoire
15 électronique, et c'est placé en corrélation avec la page 7 403 du compte
16 rendu d'audience de l'affaire Tolimir.
17 Q. Et lorsque ce sera affiché sur nos écrans, Monsieur, je vous convierais
18 à vous pencher avec moi sur les lignes 6 à 22, et ensuite, j'aurai des
19 questions à vous poser.
20 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Ivetic, est-ce que vous pouvez
21 répéter la référence 1D.
22 M. IVETIC : [interprétation] 1D1142.
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. C'est bien consigné maintenant.
24 M. IVETIC : [interprétation] C'est moi qui vous remercie, Monsieur le Juge.
25 Q. Monsieur, c'est un peu pâle sur l'écran que j'ai devant moi mais j'ai
26 l'impression que c'est la bonne page. Je vous renvoie vers la ligne 6, et
27 la question était de savoir :
28 "Etant donné que vous avez dit que les constatations des pathologistes
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1 étaient définitives et que c'était tout à fait autoritaire comme constat,
2 est-ce que vous pouvez nous dire s'il y avait, par exemple, eu des cas où
3 vous étiez en désaccord ? Et si oui, pouvez-vous nous en donner un exemple
4 ? Est-ce qu'il y a eu une façon uniforme de procéder à la rédaction de ces
5 rapports ou est-ce que les blessures ont pu être décrites de façon
6 différente d'un rapport à l'autre ?
7 "Réponse : Eh bien, ça c'est une question à plusieurs volets. Les
8 pathologistes avaient des expériences très variées et ils se sont penchés
9 sur les blessures au niveau des ossements. La plupart des pathologistes
10 avaient en premier lieu donné la priorité aux opinions des anthropologistes
11 dans ce type de cas de figure."
12 M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Vous devriez ralentir, Maître Ivetic.
13 M. IVETIC : [interprétation]
14 Q. "Je me souviens des entretiens que j'ai eus avec M. Baraybar au sujet
15 de certaines des blessures qui ont pu être classées dans la catégorie de
16 possible ou de blessures probablement occasionnées par balle d'arme à feu.
17 Par exemple, lorsque vous avez constaté des détériorations qui n'avaient
18 pas toutes les caractéristiques habituelles qui sont celles d'une blessure
19 par arme à feu, mais il y avait des fragments de métal qu'on a retrouvés.
20 Alors, c'est le type de chose qui se produisait. Il y avait également des
21 questions qui ont été posées pour ce qui est de savoir s'il s'agit là d'une
22 blessure par objet contondant ou d'une fracture. Il s'agissait donc de
23 savoir de quoi il s'agissait -- et autres conséquences d'une blessure par
24 arme à feu."
25 Alors, d'abord, dites-moi si ça traduit fidèlement le témoignage dont vous
26 avez gardé le souvenir pour ce qui est de cette affaire --
27 R. Certes.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Lee.
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1 Mme LEE : [interprétation] Là où on parle de blessure par objet contondant,
2 il faut lire "si cela a été une blessure par objet contondant", parce qu'au
3 lieu de "whatever", il fallait lire en anglais "whether".
4 M. IVETIC : [interprétation] Je m'excuse. Vous avez raison.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez continuer.
6 M. IVETIC : [interprétation]
7 Q. Et lorsque vous dites que l'expérience des pathologistes peut être
8 différente pour ce qui est des blessures au niveau des ossements, j'imagine
9 que vous parlez d'autres pathologistes spécialisés en médecine légale qui
10 travaillaient avec vous au sein d'une même équipe et qui procédait à des
11 autopsies des restes retrouvés ?
12 R. Oui, en effet.
13 Q. Et ai-je raison de dire que certaines parties de votre rapport, je
14 pense par exemple à l'établissement du nombre minimal d'individus et à
15 quelques autres données du même type qui font partie du même chapitre, est-
16 ce que tous ces éléments vous ont été fournis par un anthropologistes et
17 que vous ne présentez pas d'opinion personnelle dans ces chapitres de votre
18 rapport ?
19 R. Oui. Excusez-moi. La seule raison pour laquelle ces éléments
20 d'information sont cités, c'est parce qu'ils sont nécessaires pour
21 comprendre des observations que je présente.
22 Q. Et est-il vrai, Monsieur, que vous n'avez pas joué un rôle dans
23 l'exhumation et la levée des corps de façon continue, que cette partie du
24 processus a été assurée par le Dr Richard Wright et son équipe ?
25 R. Oui, c'est le Dr Wright qui se trouvait à la tête de l'équipe chargée
26 de l'exhumation. Moi, j'ai été présent lors des exhumations qui ont été
27 effectuées au CR12, CR3, à Liplje et à Zeleni Jadar, mais seulement pour
28 jeter un coup d'œil et pour voir ce qui s'y passait. C'était Richard qui
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1 était responsable des activités qui étaient en cours.
2 Q. Maintenant, j'aimerais me pencher sur les autopsies qui ont été faites
3 dans ces cas de figure particuliers. Ai-je raison de dire que vous avez en
4 fait travaillé sur un quart de toutes les autopsies qui ont été effectuées
5 pendant que vous exerciez les fonctions du pathologiste spécialisé en
6 médecine légale en chef au cours de la mission du TPIY ?
7 R. Oui.
8 Q. Très bien. Et en fait, la plupart du temps, il y avait trois, voire un
9 peu plus tard quatre pathologistes qui travaillaient simultanément à tout
10 moment ?
11 R. Oui, en effet.
12 Q. Et vous avez parlé d'un point, vous dites que vous supervisiez le
13 travail des autres pathologistes. Est-ce qu'en effet, vous repreniez chaque
14 autopsie individuelle, chaque rapport d'autopsie individuel préparé par
15 d'autres pathologistes ou est-ce que vous procédiez à un tri de rapports
16 que vous examiniez ou réexaminiez vous-même et de quelle façon ?
17 R. Au départ, j'examinais chaque rapport individuel. Et vers la fin, comme
18 l'opération prenait de l'envergure, j'ai révisé tous les rapports qui
19 concernaient les cadavres intacts et une partie importante des rapports qui
20 portaient sur les fragments de cadavres. Et c'est ainsi que j'ai recueilli
21 les informations qui figurent dans mon rapport de synthèse.
22 Q. Et pour les révisions que vous avez faites, il fallait aussi procéder à
23 un examen indépendant de tous les restes qui ont été étudiés par vous et
24 sur lesquels vous avez rédigé des rapports ?
25 R. Pas nécessairement.
26 Q. Très bien. Et pour chaque rapport que vous avez autorisé, dans chaque
27 synthèse de rapport, nous retrouvons une formulation disant que chaque
28 pathologiste individuel est responsable des autopsies qu'il a effectuées.
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1 Et puis à la fin du paragraphe, il y a une autre formule en disant que les
2 opinions exprimées dans le rapport sont uniquement les opinions du
3 pathologiste concerné.
4 Dans ce sens, Monsieur, le rapport de synthèse, en fait, est une
5 synthèse des conclusions avancées par d'autres pathologistes qui ont
6 travaillé sur les autopsies, y compris les cas de figure où l'autopsie a
7 été effectuée par vous, ou alors avez-vous fait une synthèse de vos
8 conclusions après la révision des rapports ?
9 R. Je reprenais plus ou moins ce que disaient les pathologistes. Il a pu
10 survenir à quelques occasions, après avoir réexaminé toute la
11 documentation, tous les examens radioscopiques, que je sois en désaccord
12 avec le pathologiste concerné, mais le rapport original dans de tels cas de
13 figure restait le même. C'est dans mon rapport de synthèse que je
14 l'exprimais, mon point de vue sur ce cas de figure individuel.
15 Q. Très bien. Et êtes-vous d'accord avec moi pour dire qu'un procureur ou
16 un enquêteur ne doit jouer aucun rôle et ne doit pas donner des consignes à
17 un pathologiste spécialisé en médecine légale quant à la façon dont ils
18 doivent rédiger des rapports d'autopsie ou quant à la façon dont ils
19 doivent indiquer la cause de décès ?
20 R. Oui.
21 Q. Et pour ce qui est des rapports que vous avez préparés, ai-je raison de
22 dire que vous ne vous êtes plus penché sur ces rapports depuis le procès
23 Krstic ?
24 R. Oui.
25 Q. Et est-ce que vous permettez la possibilité qu'il y a eu des
26 développements qui ont survenu entre-temps et qui pourraient jeter une
27 nouvelle lumière sur les faits que vous avez étudiés à l'époque et que cela
28 pourrait avoir un impact sur les conclusions que vous avez adoptées ?
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1 R. Oui, c'est possible.
2 M. IVETIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je vois quelle heure il
3 est et, comme je compte passer à un autre sujet, je pense que c'est le bon
4 moment pour faire une pause.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Nous allons lever l'audience pour
6 aujourd'hui.
7 Monsieur Lawrence, avant de le faire, je tiens à vous indiquer que vous
8 n'avez pas le droit de parler ou de communiquer avec qui que ce soit au
9 sujet de la déposition que vous avez déjà faite aujourd'hui et celle que
10 vous allez faire demain. Nous aimerions vous revoir demain matin, à 9
11 heures 30, dans la même salle d'audience. Vous pouvez suivre l'huissière.
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
13 [Le témoin quitte la barre]
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous levons l'audience pour aujourd'hui,
15 et nous reprenons nos travaux demain, vendredi, le 19 juillet à 9 heures 30
16 dans la même salle d'audience, la salle d'audience numéro III.
17 --- L'audience est levée à 14 heures 15 et reprendra le vendredi, 19
18 juillet 2013, à 9 heures 30.
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