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1 Le mardi 15 avril 2014
2 [Règle 98 bis - Décision]
3 [Audience publique]
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 32.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous, à toutes les
7 personnes présentes dans la salle d'audience et dans les salles adjacentes.
8 Madame la Greffière, veuillez citer l'affaire.
9 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour. Affaire IT-09-92-T, le
10 Procureur contre Ratko Mladic.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame la Greffière.
12 D'après ce que je vois, l'Accusation est représentée par MM. Groome et
13 McCloskey. Je vois que M. Mladic est représenté aujourd'hui par Me Ivetic,
14 qui est un membre de l'équipe de la Défense, et la Chambre a reçu
15 l'assentiment de M. Mladic; d'après M. Mladic, Me Ivetic le représentera
16 aujourd'hui en absence du conseil.
17 A présent, la Chambre rendra sa décision relative à la requête de la
18 Défense aux fins d'acquittement en application de l'article 98 bis.
19 La Chambre a entendu l'exposé de la Défense le 17 mars 2014 et la réponse
20 du Procureur le 18 mars. Le 19 mars, les deux parties ont présenté des
21 arguments supplémentaires. Pour prendre sa décision, la Chambre a tenu
22 compte de l'ensemble des arguments présentés tant par la Défense que par le
23 Procureur ainsi que de l'ensemble des moyens de preuve reçus au dossier de
24 l'affaire à ce stade.
25 Premièrement, la Chambre présentera un résumé succinct de ces arguments.
26 Par la suite, elle examinera ces arguments, elle donnera un aperçu de
27 l'acte d'accusation et, par la suite, elle examinera des moyens de preuve
28 relatifs à l'ensemble des chefs visés à l'acte d'accusation.
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1 La Défense a fait valoir quatre arguments au titre de l'article 98 bis.
2 Premièrement, la Défense affirme que le terme "chef d'accusation" dans le
3 texte de l'article 98 bis a fait l'objet d'une interprétation respective
4 par les Chambres de première instance, signifiant que les jugements
5 d'acquittements ne pouvaient être rendus que par rapport à des chefs vus
6 dans leur ensemble et non pas par rapport aux allégations ou accusations
7 individuelles ou des événements. La Défense fait valoir que la
8 signification précise du libellé de l'article 98 bis doit être déterminé en
9 ayant recours à l'intention des rédacteurs et l'objectif et le but de
10 l'article. D'après la Défense, l'objectif et le but de l'article 98 bis est
11 de rationaliser l'affaire en supprimant les allégations qui ne peuvent pas
12 être justifiées, en garantissant que le procès se déroule rapidement et que
13 les ressources de la Défense ne soient pas gaspillées.
14 Deuxièmement, la Défense demande que les accusations portant sur
15 l'événement de la rivière Jadar, figurant à l'annexe en tant que E.1.1, les
16 allégations qui portent sur l'événement du bombardement de Sirokaca du 28
17 mai 1992, qui fait partie de l'événement G.1 figurant à l'annexe, ainsi que
18 l'ensemble des allégations relatives à la destruction de monuments
19 culturels et de lieux de culte énoncées à l'annexe D soient rejetées.
20 Troisièmement, la Défense fait valoir que l'Accusation n'a pas soumis
21 d'élément de preuve pouvant justifier une déclaration de culpabilité au
22 titre de l'article 7(3) du Statut des crimes commis par une partie tierce
23 ou ne faisant pas partie de la VRS. En faisant valoir cet argument, la
24 Défense affirme que le Procureur n'a pas identifié de subordonnés sur
25 lesquels il allègue que l'accusé a exercé un contrôle effectif de droit ou
26 de fait. De plus, la Défense affirme qu'il n'y a pas de moyen de preuve qui
27 étayerait l'affirmation que l'accusé n'a pas exercé le contrôle effectif
28 sur des groupes armés autres que l'armée bosno-serbe, plus loin la VRS, en
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1 particulier sur les forces du ministère de l'Intérieur bosno-serbe, plus
2 loin dans le texte le MUP, le M-U-P, les Tigres d'Arkan et les Skorpions.
3 Quatrièmement, la Défense avance une série d'arguments par rapport au
4 génocide tels qu'allégués dans les chefs 1 et 2 en caractérisant les
5 éléments de preuve présentés par l'Accusation comme insuffisants pour
6 satisfaire à la charge de la preuve réduite telle que prévue à l'article 98
7 bis. Par rapport au chef 1, la Défense affirme que dans une affaire
8 concernant la Convention internationale pour la prévention et la répression
9 du crime de génocide, la Cour internationale de Justice, plus loin dans le
10 texte la CIJ, a décidé de rejeter les allégations du crime de génocide dans
11 les municipalités sur la base du fait que les éléments de preuve étaient
12 insuffisants de l'intention spécifique afin de détruire le groupe protégé.
13 La Défense se réfère également aux jugements dans les affaires Stakic,
14 Sikirica, Krajisnik et Brdjanin, qui comportent des conclusions similaires.
15 En outre, la Défense affirme que même si la Chambre s'est vue soumettre des
16 moyens de preuve d'actes criminels dirigés contre les Musulmans et les
17 Croates de Bosnie dans les municipalités, les moyens de preuve de ces
18 crimes n'établissent pas que ceux-ci ont été commis dans l'intention
19 génocidaire.
20 Pour ce qui est du chef d'accusation 2, la Défense fait valoir que d'après
21 le témoignage du général Milovanovic sur la directive militaire 7.1,
22 l'accusé n'a pas repris deux portions décisives de la directive 7 lorsqu'il
23 a émis la directive 7.1. Le premier de ces deux paragraphes concerne
24 l'instruction de Karadzic selon laquelle la séparation physique complète de
25 Srebrenica de Zepa devrait être effectuée aussi rapidement que possible. Et
26 la deuxième portion concerne la création d'une situation insupportable
27 d'insécurité totale sans espoir de survie ou de vie pour les habitants de
28 Srebrenica et de Zepa. La Défense affirme que l'accusé, en omettant ces
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1 deux instructions, a montré qu'il ne partageait pas l'objectif commun de
2 commettre le génocide à Srebrenica.
3 A présent, la Chambre passe à l'examen des arguments du Procureur.
4 En réponse aux trois premiers arguments de la Défense, l'Accusation fait
5 valoir que la Défense n'a pas fourni de bonne raison pour que la Chambre
6 s'écarte de la pratique bien établie de ce Tribunal, qu'elle procède à une
7 analyse de chacun des chefs individuels et examine si l'accusé ne pourrait
8 pas être acquitté d'une partie de ce chef. Qui plus est, l'Accusation fait
9 valoir que les éléments de preuve sont suffisants pour maintenir les
10 allégations contestées par la Défense.
11 L'Accusation présente des moyens de preuve relatifs à chacun des
12 chefs d'accusation visés à l'acte d'accusation, en particulier par rapport
13 aux chefs 1 et 2. S'agissant du chef 1, l'Accusation fait valoir que selon
14 les moyens de preuve présentés, en 1992, les Musulmans et les Croates de
15 Bosnie dans leurs communautés ont été ciblés pour être détruits et que ceux
16 qui ont survécu à la destruction ont été déplacés par la force. De l'avis
17 du Procureur, la combinaison des actes physiquement destructeurs et
18 d'autres actes prenant pour cible le fondement des deux communautés
19 protégées, tels que les déplacements et la destruction des biens ainsi que
20 des monuments culturels et des lieux de culte, a effectivement entraîné
21 leur destruction physique et leur incapacité à se reconstituer. Le
22 Procureur fait valoir en outre que le fait que la CIJ n'a pas déclaré qu'en
23 1992 un génocide a été commis en Bosnie-Herzégovine n'est pas pertinent en
24 l'espèce, puisque la CIJ est arrivée à cette conclusion sur la base d'un
25 critère juridique différent et un ensemble de moyens de preuve différents.
26 En outre, le Procureur fait valoir que dans l'ensemble des affaires
27 précédemment jugées par ce Tribunal au stade de l'article 98 bis, le chef
28 d'accusation pour génocide dans les municipalités a été maintenu, que ce
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1 soit par la Chambre de première instance ou par une Chambre d'appel suite à
2 interjection de l'appel.
3 S'agissait maintenant du chef d'accusation 2, le Procureur fait
4 valoir que la directive 7 et la directive 7.1 constituent un tout
5 indivisible puisque la directive 7.1 se réfère explicitement à la directive
6 7. Le libellé de ce dernier document, par conséquent, reste valable et
7 important.
8 A présent, la Chambre exposera le droit applicable à ce stade de la
9 procédure. L'article 98 bis du Règlement de procédure et de preuve de ce
10 Tribunal prévoit comme suit :
11 "A la fin de la présentation des moyens à charge, la Chambre de
12 première instance doit, par décision orale et après avoir entendu les
13 arguments oraux des parties, prononcer l'acquittement de tout chef
14 d'accusation pour lequel il n'y a pas d'élément de preuve susceptible de
15 justifier une condamnation."
16 D'après la jurisprudence de ce Tribunal, la Chambre doit examiner si
17 des moyens de preuve au vu desquels un juge du fait pourrait
18 raisonnablement être convaincu au-delà du doute raisonnable que l'accusé
19 est coupable -- si ces moyens de preuve existent. Par conséquent, si une
20 Chambre raisonnable peut être convaincue au-delà de tout doute raisonnable
21 de la culpabilité d'un accusé sur la base des éléments de preuve présentés
22 au sujet d'un chef d'accusation, ce chef doit être maintenu. Des moyens de
23 preuve suffisants doivent être présentés de chaque élément constitutif des
24 crimes allégués et pour un mode de responsabilité en l'espèce. Le critère
25 ne serait pas rempli s'il n'y avait pas de moyens de preuve. Si le
26 Procureur a présenté des moyens de preuve, ces moyens de preuve sont dignes
27 de foi, à moins qu'ils ne soient invraisemblables. A ce stade, les moyens
28 de preuve doivent être appréciés à leur valeur maximale pour l'Accusation.
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1 La Chambre, par conséquent, ne se préoccupera pas de questions de
2 crédibilité ou de fiabilité à moins qu'un témoin n'est pas crédible ni
3 fiable au point qu'une Chambre raisonnable ne pourrait le considérer comme
4 étant crédible ou fiable.
5 A titre préliminaire, avant d'examiner les arguments en substance, la
6 Chambre note un point. Pendant l'exposé de ses arguments au titre de
7 l'article 98 bis, la Défense a soulevé une objection sur la forme de l'acte
8 d'accusation en affirmant que l'accusé est laissé dans l'incertitude
9 concernant les allégations portées contre lui. En particulier, la Défense a
10 demandé à la Chambre de se pencher sur "les conséquences lourdes du fait
11 d'inclure un nombre aussi important d'acteurs en tant qu'ayant partagé
12 l'objectif commun à la lumière du manque de précision de l'acte
13 d'accusation."
14 En application de notre Règlement, les requêtes relatives au vice de
15 forme de l'acte d'accusation doivent être déposées avant le début du
16 procès. Le 13 octobre 2011, la Chambre a rendu sa décision sur une requête
17 de ce type et a rejeté les vices de forme allégués, y compris ceux sur
18 lesquels revient à présent la Défense. La Chambre ne reviendra pas sur
19 l'examen de cette question.
20 A présent, la Chambre examinera les arguments des parties.
21 S'agissant du premier argument avancé par la Défense, la Chambre
22 estime que l'article 98 bis en tant que règle de procédure est un
23 corollaire du droit de l'accusé à être présumé innocent jusqu'à ce que sa
24 culpabilité ne soit prouvée. La procédure offre plusieurs moyens à l'accusé
25 lui permettant d'exercer ce droit et ces moyens ne se limitent pas
26 nécessairement au stade de la fin de la présentation des moyens à charge.
27 L'amendement de cet article en 2004 adaptant le champ d'application des
28 décisions au titre de l'article 98 bis avait pour objectif de rationaliser
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1 la procédure dans l'intérêt de l'économie judiciaire. La modification a
2 changé la procédure, on a fait une procédure orale à partir d'une procédure
3 écrite et déplacé la détermination à être faite des chefs plutôt que des
4 accusations individuelles visées à l'acte d'accusation. La modification de
5 l'article n'a pas eu d'incidence sur le droit de l'accusé à être présumé
6 innocent jusqu'à ce que sa culpabilité soit prouvée. C'est dans le jugement
7 final que ce droit sera mis en œuvre. La Chambre de première instance dans
8 l'affaire Hadzic, dans sa décision au titre de l'article 98 bis rendue le
9 20 février 2014, a présenté un aperçu détaillé de la pratique de ce
10 Tribunal par rapport à cette approche du 98 bis qui est fondée sur les
11 chefs d'accusation.
12 En outre, la Chambre note que l'omission de l'Accusation à soumettre
13 tout élément de preuve ou des éléments de preuve insuffisants au titre des
14 allégations individuelles a un effet sur l'instance. Dans le cadre de la
15 préparation et de la présentation de ses moyens de preuve, la Défense, en
16 effet, se trouvera face à l'insuffisance des moyens à charge par rapport à
17 ces accusations individuelles. La Défense n'est pas forcée de dépenser des
18 ressources afin de contester les allégations pour lesquelles elle est
19 d'avis qu'elles n'ont pas été étayées par les moyens de preuve. La Défense
20 n'est pas forcée de présenter des moyens de preuve quels qu'ils soient à ce
21 sujet. Le Procureur doit établir au-delà de tout doute raisonnable que ces
22 allégations ont été prouvées. Si, de l'avis de la Défense, les moyens de
23 preuve ne démontent pas ces allégations, elle peut décider de s'abstenir de
24 présenter des moyens de preuve là-dessus. Et cela peut, en particulier,
25 être le cas s'agissant des allégations où la Défense pense que l'Accusation
26 n'a pas rempli les conditions moins strictes qui sont applicables à ce
27 stade de la procédure. Par ces motifs, la Chambre rejette le premier
28 argument de la Défense.
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1 Dans son deuxième argument, la Défense attaque nombre d'événements
2 particuliers, à savoir les meurtres de la rivière Jadar, le bombardement de
3 Sirokaca du 28 mai 1992, et les événements qui figurent à l'annexe D de
4 l'acte d'accusation par rapport à la destruction des lieux de culte. Les
5 meurtres de la rivière Jadar constituent un des 20 événements visés à
6 l'annexe par rapport à Srebrenica. Le bombardement de Sirokaca n'est même
7 pas particulièrement mentionné à l'annexe G de l'acte d'accusation, mais
8 constitue une partie de l'événement G1, qui reproche le bombardement de la
9 ville de Sarajevo, à la date du 28 mai 1992. Les destructions des lieux de
10 culte constituent une partie des sept actes sous-jacents de persécution
11 pour le volet municipalité de l'affaire. L'autre partie de cet acte sous-
12 jacent concerne la destruction de biens publics et privés. S'agissant de
13 ces contestations très limitées, et à la lumière de l'examen mené par la
14 Chambre de l'article 98 bis et de la pratique de ce Tribunal comme précisés
15 ci-dessus, la Chambre ne se penchera pas davantage sur ces événements dans
16 la présente décision.
17 En plus, la Défense a contesté généralement le mode de responsabilité au
18 titre de l'article 7(3) du Statut, elle affirme que le Procureur n'a pas
19 établi que les personnes non membres de la VRS ou que des groupes non
20 membres de la VRS qui auraient prétendument commis des crimes étaient
21 placés sous le contrôle effectif de jure et de facto de l'accusé. De plus,
22 la Défense affirme qu'il n'y a pas de moyen de preuve permettant de penser
23 que l'accusé aurait émis d'ordres criminels quels qu'ils soient à
24 l'attention des personnes qui auraient prétendument été des auteurs des
25 crimes et, par conséquent, que le critère de responsabilité portant sur le
26 fait d'ordonner au titre de l'article 7(1) ne peut pas être maintenu par
27 rapport aux chefs d'accusation visés à l'acte d'accusation.
28 La Chambre renvoie à sa position par rapport aux contestations aux portions
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1 de chef d'accusation comme déjà précisée ci-dessus. De manière analogue, se
2 penchant sur les différents modes de responsabilité par rapport à
3 l'ensemble des chefs d'accusation, il est suffisant que des moyens de
4 preuve susceptibles de justifier une déclaration de culpabilité soient la
5 base d'un des modes de responsabilité. Les contestations de la Défense à
6 cet effet sont limitées vu qu'elles portent sur un élément de la
7 responsabilité supérieure hiérarchique de Mladic, le contrôle de jure ou de
8 fait au titre de l'article 7(3), et le fait d'ordonner au titre de
9 l'article 7(1), et par rapport à un petit nombre de groupes d'auteurs
10 allégués. Par ces motifs, la Chambre rejette le troisième argument de la
11 Défense.
12 En outre, la Chambre estime que les contestations avancées par la Défense
13 des crimes spécifiques ne s'étendent pas pour constituer une attaque des
14 éléments généraux et des éléments requis des éléments juridictionnels qui
15 doivent être démontrés au titre des articles 3 et 5 du Statut du Tribunal.
16 Cela dit, la Chambre estime qu'il existe une obligation au titre de
17 l'article 98 bis d'apprécier s'il y a des moyens de preuve susceptibles
18 d'étayer une déclaration de culpabilité au titre de chaque chef
19 d'accusation de l'acte d'accusation indépendamment de savoir si la Défense
20 a explicitement contesté l'ensemble des chefs d'accusation.
21 Pour faciliter la compréhension, la Chambre fournira tout d'abord un
22 résumé des parties pertinentes de l'acte d'accusation en l'espèce.
23 L'acte d'accusation englobe sept [comme interprété] chefs
24 d'accusation de crimes qui auraient été commis entre mars 1992 et le 30
25 novembre 1995. Les zones couvertes par l'acte d'accusation comprennent
26 Sarajevo, Srebrenica, Gorazde, et les municipalités suivantes de Bosnie-
27 Herzégovine qui sont abordées ensemble à l'acte d'accusation : Banja Luka,
28 Bijeljina, Foca, Ilidza, Kalinovik, Kljuc, Kotor Varos, Novi Grad, Pale,
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1 Prijedor, Rogatica, Sanski Most, Sokolac, Trnovo et Vlasenica. Dans la
2 suite, je vais mentionner la partie de l'acte d'accusation qui couvre ces
3 15 municipalités sous le libellé "municipalités".
4 D'après l'acte d'accusation, l'accusé a occupé divers postes au sein
5 de l'armée populaire yougoslave, dans la suite du texte, la JNA, et plus
6 tard, au sein de la VRS. Il a été commandant de l'état-major principal de
7 la VRS à partir de la date du 12 mai 1992.
8 Les chefs 1 et 2 de l'acte d'accusation reprochent le génocide à
9 l'accusé. Le chef 3 reproche la persécution en tant que crime contre
10 l'humanité. Les chefs 4 et 5 respectivement reprochent l'extermination et
11 l'assassinat en tant que crimes contre l'humanité. Le chef d'accusation 6
12 reproche meurtre, en tant que violation des lois et des coutumes de la
13 guerre, en tant que reconnu par l'article commun 3(1)(a) des conventions de
14 Genève de 1949. Les chefs 7 et 8 respectivement reprochent l'expulsion et
15 les actes inhumains de transfert forcé en tant que crime contre l'humanité.
16 Les chefs 9 et 10 respectivement reprochent le fait de répandre la terreur,
17 les attaques illégales sur des civils en tant que violation des lois et des
18 coutumes de la guerre. Le dernier chef d'accusation reproche la prise
19 d'otage en tant que violation des lois et des coutumes de la guerre.
20 L'acte d'accusation allègue que l'accusé et d'autres personnes ont
21 participé à une entreprise criminelle globale, ci-après dénommée entreprise
22 criminelle commune, dont l'objectif était de chasser de façon définitive
23 les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie des territoires
24 revendiqués par les Serbes en Bosnie-Herzégovine. Cet objectif a
25 prétendument été réalisé par le biais de crimes commis et reprochés aux
26 chefs 1 et 3 à 8. A titre subsidiaire, cet objectif a été réalisé au
27 travers de la commission de crimes reprochés aux chefs 7 et 8, puisque
28 l'accusé a délibérément pris le risque de commettre les crimes reprochés
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1 aux chefs 1 à 6 alors qu'il s'agissait d'une conséquence prévisible de la
2 mise en œuvre dudit objectif.
3 D'après l'acte d'accusation, la participation de l'accusé à
4 l'entreprise criminelle commune comprenait le commandement et le contrôle
5 de la VRS ainsi que d'autres éléments des forces serbes, et le fait
6 d'encourager la commission des crimes par d'autres membres de ladite
7 entreprise. Cela comprenait également la participation au développement des
8 politiques gouvernementales bosno-serbes et la diffusion d'une propagande
9 qui avait pour but de promouvoir l'objectif de l'entreprise criminelle
10 commune en omettant de prendre les mesures nécessaires pour protéger les
11 prisonniers de guerre et les détenus placés sous son contrôle effectif,
12 ainsi que de donner des instructions visant à restreindre l'aide
13 humanitaire dans les enclaves non bosno-serbes.
14 L'acte d'accusation allègue en outre que l'accusé ainsi que d'autres
15 personnes ont participé à trois entreprises criminelles communes,
16 entreprises criminelles communes supplémentaires. L'objectif de la seconde
17 entreprise criminelle commune consistait à répandre la terreur parmi la
18 population civile de Sarajevo par le biais d'une campagne de bombardement
19 et de tirs isolés constitutifs des crimes reprochés aux chefs 5, 6, 9 et
20 10. L'objectif de la troisième entreprise criminelle commune était
21 d'éliminer les Musulmans de Bosnie à Srebrenica par la commission de crimes
22 reprochés aux chefs 2 à 8. L'objectif de la quatrième entreprise criminelle
23 commune était de prendre en otage du personnel des Nations Unies au travers
24 du crime reproché au chef 11. La participation de l'accusé à ces trois
25 entreprises criminelles communes supplémentaires comprenait différentes
26 formes de participation à l'entreprise criminelle commune globale.
27 L'acte d'accusation reproche en outre à l'accusé d'être responsable
28 pénalement pour avoir planifié, incité, ordonné et/ou aidé ou encouragé les
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1 crimes, ainsi que d'engager sa responsabilité pénale en tant que supérieur
2 hiérarchique.
3 La Chambre va maintenant aborder chaque chef d'accusation contenu dans
4 l'acte d'accusation pour voir si ce dernier peut être retenu.
5 Dans sa qualification juridique, la Chambre a adopté et appliqué la
6 jurisprudence constante du Tribunal s'agissant de la définition des
7 éléments constitutifs des crimes et des formes de responsabilité reprochés
8 en l'espèce. Dans sa décision, la Chambre va aborder les questions de droit
9 plus précisément seulement dans le cas où ceci est nécessaire pour
10 expliquer davantage les conclusions de la Chambre de première instance.
11 Les éléments de preuve fort importants présentés à la Chambre et le
12 caractère même de la procédure 98 bis ne permettent pas d'avoir un débat en
13 profondeur sur les éléments de preuve dans le cadre de cette décision. La
14 Chambre a, cependant, examiné les éléments de preuve dans leur intégralité.
15 Les éléments de preuve précis que la Chambre va citer dans cette décision,
16 par conséquent, constituent une sélection de ce que la Chambre estime comme
17 étant pertinent pour les besoins de cette décision.
18 Pour ce qui est des crimes reprochés, la Chambre a vérifié pour constater
19 si oui ou non les éléments de preuve abordent chaque élément constitutif de
20 chaque crime. De même, la Chambre a vérifié si oui ou non les éléments de
21 preuve répondent à toutes les conditions qui engagent la responsabilité
22 pénale de l'accusé telle que reprochée dans l'acte d'accusation. Pour
23 finir, pour ce qui est de chaque crime reproché, la Chambre a vérifié si
24 oui ou non les éléments de preuve, même appréciés à leur valeur maximale,
25 peut conduire un Juge de fait raisonnable à conclure, au-delà de tout doute
26 raisonnable, que le crime a à la fois été commis et que l'accusé est
27 responsable de ce crime.
28 Je vais maintenant aborder la question des chefs d'accusation, pour ce qui
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1 est des chefs 1 à 3, 5, et 6, les éléments de preuve étayent la commission
2 de crimes qui se sont déroulés pendant la période couverte par l'acte
3 d'accusation dans les municipalités et à Srebrenica. La Chambre va tout
4 d'abord aborder la question de meurtres dans les municipalités relatifs en
5 l'espèce et va se concentrer sur certains faits pour déterminer si oui ou
6 non les chefs peuvent être retenus.
7 Pour ce qui est du point 16.2 de l'annexe B, la Chambre a entendu le Témoin
8 RM066 que le 30 septembre 1992, quatre officiers de police serbes envoyés
9 par le chef du service de sécurité publique, ci-après le SJB, à Vlasenica
10 sont arrivés dans le camps de Susica. Pendant la nuit, les officiers de
11 police serbe ont appelé trois groupes de détenus pour qu'ils sortent,
12 chaque groupe comprenant 30 à 40 personnes, les ont chargées sur un camion,
13 et les ont transportées à bord du camion, et ils ont quitté le camp. Le
14 témoin a par la suite appris de la bouche d'Ilija Jankovic, un officier de
15 police de la SJB de Vlasenica, que la majorité de ces détenus,
16 essentiellement des Musulmans de Vlasenica et des villages voisins, avaient
17 été tués. Le témoin a déclaré lors de sa déposition que le camp était une
18 opération conjointe entre la VRS et le MUP bosno-serbe dans la municipalité
19 de Vlasenica.
20 S'agissant du point 5.1 de l'annexe B, la Chambre a reçu des éléments de
21 preuve en vertu desquels au mois de juillet 1992, le directeur du centre de
22 détention à KP Dom de Foca, Krnojelac, a rapporté que 469 prisonniers
23 étaient arrivés au centre de détention du KP Dom depuis le début de la
24 guerre, dont 459 étaient des Musulmans de Bosnie. Ceci figure à la pièce
25 P4019. Les Témoins RM063 et RM046, qui ont été détenus dans le centre de
26 détention du KP Dom à partir du mois d'avril 1992, et ce, pour une période
27 de six mois et plus d'un an respectivement, ont déclaré que chaque nuit
28 lors de leur détention un certain nombre de détenus -- que l'on faisait
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1 sortir un certain nombre de détenus pour les frapper. Le Témoin RM063 a
2 déclaré que les passages à tabac étaient effectués par un policier
3 répondant au nom de Dragoljub Obrenovic et un certain nombre de gardiens du
4 KP Dom. D'après le Témoin RM063, Les détenus étaient souvent emmenés dans
5 les cellules individuelles d'où on pouvait entendre des gémissements, des
6 hurlements, des bruits sourds, ainsi que des coups de feu. Lors d'un week-
7 end au mois d'août 1992, le Témoin RM063 a vu environ 200 détenus que l'on
8 emmenait par groupes du KP Dom. Ces détenus ne sont jamais revenus.
9 Pour ce qui est du point 13.1 de l'annexe B, le Témoin Safet Taci, qui a
10 été détenu dans la pièce 2 du centre de détention de Keraterm, a déclaré
11 qu'un jour il a vu sur une table une mitrailleuse et un projecteur portable
12 installé et dirigé vers la porte de la pièce numéro 3, une petite pièce où
13 étaient entassés environ 180 à 200 détenus. Vers minuit, il a entendu des
14 tirs de mitrailleuse après que la porte de la pièce numéro 3 ait été
15 ouverte et que les personnes avaient commencé à sortir. Le lendemain, un
16 soldat a ordonné au témoin de charger les cadavres à l'intérieur et devant
17 la porte de la pièce numéro 3 sur un camion. La Chambre note que d'après un
18 fait établi, la mitrailleuse à l'extérieur de la pièce numéro 3 y avait été
19 placée par le personnel de l'armée bosno-serbe le 20 ou 21 juillet 1992.
20 Pour ce qui est du point 8.1 de l'annexe B, le Témoin RM018 a déclaré que
21 le 31 mai 1992, les soldats portant l'uniforme de la JNA l'ont escorté lui
22 ainsi qu'environ 70 autres hommes musulmans de Castovici et de Vojici dans
23 une pièce d'une école élémentaire à Velagici. A 23 heures 30, des soldats
24 ont insulté et frappé les hommes et leur ont ordonné de se mettre en rang
25 et face à deux soldats armés. Peu de temps après, ces soldats leur ont tiré
26 dessus. Le témoin a pu se cacher sous les corps. Le témoin a entendu les
27 soldats parler le fait de se rendre à Laniste, où était cantonné le Corps
28 de Knin, pour aller chercher une chargeuse et un camion pour se débarrasser
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1 des corps dans la forêt.
2 Pour ce qui est du point 3.3 de l'annexe A, le Témoin Dzevad Dzaferagic a
3 déclaré que le 10 juillet 1992, vers 5 heures 30 du matin, il s'est
4 réveillé au son de coups de feu tirés par une arme automatique. Depuis sa
5 maison, il a vu un convoi comportant environ 50 à 60 hommes en vêtements
6 civils que l'on conduisait à Kljuc, et ce, par huit ou neuf soldats serbes
7 qui portaient des uniformes de la JNA. Le témoin a vu des soldats serbes
8 entrer dans les maisons, faire sortir les hommes et les frapper. A partir
9 de 10 heures du matin environ, des groupes de soldats serbes portant des
10 uniformes de la JNA ainsi que des uniformes de camouflage ont escorté des
11 groupes de sept ou huit Musulmans jusqu'à une étable d'où il a pu entendre
12 des coups de feu. Vers 18 heures environ, le témoin a vu une pelleteuse
13 jaune et un camion arrivé à l'étable et plusieurs soldats serbes non-
14 identifiés charger les corps de l'étable dans cette pelleteuse. Pendant ce
15 processus, un des soldats a dit : "C'est ainsi que font les vrais Serbes."
16 La Chambre a entendu des éléments de preuve qui précisaient qu'une attaque
17 avait été planifiée et menée par des troupes qui appartenaient à la VRS.
18 Pour ce qui est de tous ces faits, la Chambre a également reçu des éléments
19 médico-légaux qui permettent d'étayer les dépositions du témoin.
20 La Chambre va plus tard déterminer si, oui ou non, les éléments de preuve
21 sont suffisants pour permettre à certains chefs d'accusation d'être
22 retenus.
23 La Chambre va maintenant aborder la question de Srebrenica.
24 La Chambre a entendu la déposition du Témoin Drazen Erdemovic, qui a
25 déclaré que dans la matinée du 16 juillet 1995, lui ainsi que sept autres
26 membres du 10e Détachement de Sabotage de la VRS ont reçu l'ordre par le
27 commandant du groupe, Brano Gojkovic, de se rendre au QG de la Brigade de
28 Zvornik. Depuis là, ils ont été escortés par le lieutenant-colonel de la
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1 VRS ainsi que deux membres de la police militaire du Corps de la Drina
2 jusqu'à la ferme militaire de Branjevo. Lors de leur arrivée à la ferme,
3 Erdemovic a entendu Gojkovic parler avec le lieutenant-colonel d'autocars
4 qui arrivaient, et ensuite Gojkovic a dit au témoin ainsi qu'aux autres
5 membres de son unité que les autocars transportaient des civils de
6 Srebrenica, qu'ils allaient arriver et qu'ils devaient exécuter ces
7 personnes.
8 Les autocars ont commencé à arriver, transportant des hommes musulmans de
9 Bosnie âgés entre l'âge de 16 et 65 ans et portant des vêtements civils, et
10 chaque autocar avait à son bord deux escortes policières armées du Corps de
11 la Drina. Les Musulmans de Bosnie du premier autocar avaient les yeux
12 bandés et avaient les mains liées. Les détenus sont allés des autocars au
13 site d'exécution où on les a conduits, où Erdemovic et d'autres soldats de
14 la VRS ont reçu l'ordre émanant de Gojkovic d'ouvrir le feu sur eux.
15 Erdemovic a également déclaré que Gojkovic avait donné l'ordre aux
16 chauffeurs d'autocars de tuer au moins un prisonnier chacun de façon à ce
17 que ces derniers ne puissent pas témoigner par la suite au sujet de ce qui
18 s'était passé.
19 Plus tard ce jour-là, alors que le dernier autocar transportant des
20 Musulmans de Bosnie est arrivé, un groupe de dix soldats de la VRS de
21 Bratunac a rejoint l'unité du témoin sur le lieu d'exécution. Ces soldats
22 ont frappé et insulté les détenus, les contraignant à prier et à
23 s'agenouiller, et je cite, "à la manière musulmane". Le lieutenant-colonel
24 de la VRS qui plus tôt avait escorté le témoin et les membres de son unité
25 jusqu'au lieu d'exécution est arrivé à la fin des exécutions et a abordé la
26 question de l'ensevelissement des victimes dans le champ. Erdemovic a
27 déclaré que lui ainsi que d'autres soldats de la VRS ont participé à
28 l'exécution d'environ 1 000 à 1 200 hommes musulmans de Bosnie habillés en
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1 vêtements civils que l'on a fait venir sur le lieu d'exécution à bord de 15
2 à 20 autocars ce jour-là.
3 La Chambre a également entendu des éléments de preuve des Témoins RM346 et
4 RM255, qui ont déclaré avoir survécu aux exécutions de la ferme de
5 Branjevo. Ces deux témoins ont déclaré qu'après avoir été capturés et
6 détenus par des soldats, eux ainsi que d'autres détenus musulmans de
7 Bosnie, dont certains avaient les yeux bandés et certains les mains
8 attachées dans le dos, ont été transportés à bord d'un autocar jusqu'à un
9 champ le 16 juillet 1995. Le Témoin RM346 a déclaré que lors de leur
10 arrivée, des soldats serbes ont commencé à insulter les détenus en disant
11 des choses de l'ordre de "Alija ne veut pas de vous, mettez un pied
12 devant," alors que les soldats emmenaient les détenus et les faisaient
13 descendre des autocars par groupes de dix. Le Témoin RM255 a déclaré qu'un
14 des soldats lui a demandé s'il souhaitait se déclarer Serbe pour ensuite
15 être relâché. En réponse à cela, deux des détenus ont ensuite dit qu'ils
16 étaient Serbes, mais on ne les a pas fait sortir du rang. Les détenus ont
17 été menés dans un endroit où ils ont été alignés entre des cadavres qui
18 gisaient déjà sur le sol. On leur a ordonné de tourner le dos et de
19 s'allonger par terre, et ensuite un groupe de dix soldats a commencé à
20 tirer sur les détenus.
21 Après avoir survécu aux exécutions, les Témoins RM255 et RM346 gisaient
22 sans bouger parmi les cadavres, en écoutant ce qui se passait de façon
23 répétée pendant toute la journée. Les soldats sont revenus à de multiples
24 reprises avec des groupes de détenus, ont ordonné aux détenus de s'aligner,
25 leur ont tiré dessus, leur demandant si quelqu'un était toujours en vie et
26 tuant ensuite toute personne qui répliquait. Le Témoin RM255 a également
27 déclaré qu'à deux reprises il a entendu que les soldats faisaient des
28 déclarations au sujet du fait qu'ils commettaient un génocide, une fois
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1 alors qu'on le menait sur le lieu d'exécution et une autre fois après son
2 évasion alors qu'il se cachait non loin de là.
3 La Chambre va plus tard déterminer si, oui ou non, les éléments de preuve
4 sont suffisants pour permettre à certains chefs d'accusation d'être
5 retenus.
6 La Chambre de première instance va maintenant exposer certains éléments de
7 preuve portant sur les viols et traitements inhumains et cruels relatifs
8 aux municipalités en l'espèce.
9 La Chambre a également entendu les éléments de preuve se rapportant à
10 un nombre très important de viols commis à différents endroits dans la
11 municipalité de Foca. Pour les besoins de cette décision, la Chambre de
12 première instance examinera particulièrement les éléments de preuve
13 entendus relatifs à la maison de Karaman, exposés au point 6.2 de l'annexe
14 C de l'acte d'accusation.
15 Les Témoins RM070 et RM048 ont déclaré que vers le 3 août 1992, eux
16 ainsi que d'autres jeunes filles ont été emmenés par un soldat de Pero Elez
17 et les soldats de Dragan Kunarac, alias Zaga, à Miljevina, dans la
18 municipalité de Foca. Le Témoin RM-070 a déclaré que la fille la plus jeune
19 dans la maison de Karaman avait 12 ans. Dans la soirée, des soldats du
20 groupe de Pero Elez ont violé une des jeunes filles ou plusieurs jeunes
21 filles, et les soldats avaient pour habitude de frapper les jeunes filles
22 régulièrement si elles refusaient d'obéir aux ordres. Le Témoin RM070 a
23 déclaré que Pero Elez a violé toutes les jeunes filles une fois ou deux
24 fois. Le Témoin RM-048 a déclaré qu'elle a appris qu'Elez était le
25 commandant d'un groupe de soldats sous le commandement de Marko Kovac, à
26 propos duquel la Chambre de première instance a entendu des éléments de
27 preuve, à savoir qu'il était commandant de la Brigade de la VRS entre le
28 mois de mai 1992, et ce, jusqu'à la fin de l'année 1994.
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1 Vers la mi-août 1992, le Témoin RM048 a été emmenée de la maison de
2 Karaman vers une maison d'un soldat serbe où elle a été violée jusqu'à sa
3 remise en liberté en juillet 1993. A ce moment-là, le soldat a emmené le
4 témoin à une célébration où Mladic s'est approché d'eux en demandant aux
5 soldats si le témoin était sa "fille d'Herzégovine". Mladic s'est ensuite
6 tournée directement vers le témoin et lui a demandé si, et je cite,
7 "c'était mieux que dans l'Etat d'Alija." Le témoin a déclaré que c'est ce
8 qui l'a porté à croire que Mladic était au courant de jeunes filles que
9 l'on retenait comme esclaves sexuels. D'après le Témoin RM048, il n'y avait
10 pas de femmes ou de jeunes filles musulmanes qui vivaient librement à Foca
11 à l'époque. La Chambre note qu'un des carnets de Mladic, la pièce P359,
12 consigne les noms de deux jeunes femmes que les représentants officiels de
13 Bosnie-Herzégovine recherchaient et à propos desquelles des témoins ont
14 témoigné pour dire que celles-ci étaient retenues à Foca comme esclaves
15 sexuels.
16 La Chambre de première instance a entendu un nombre très important
17 d'éléments de preuve portant sur le traitement cruel et inhumain de
18 personnes détenues dans les camps dans les municipalités. Pour les besoins
19 de cette décision, la Chambre ne va examiner que les camps de Keraterm et
20 d'Omarska dans la municipalité de Prijedor, cités aux points 15.2 et 15.3
21 de l'annexe 3 [comme interprété] de l'acte d'accusation, et le camp de
22 Manjaca dans la municipalité de Banja Luka, cité au point 1.2 de l'annexe
23 C.
24 Concernant le camp de Keraterm, Safet Taci a déposé sur sa détention dans
25 la pièce numéro 2, dont les dimensions étaient à peu près 10 sur 12 mètres,
26 où il faisait très chaud, où les conditions d'hygiène étaient mauvaises et
27 où étaient entassés en grand nombre de Croates et de Musulmans, nombre
28 d'entre eux avaient été roués de coups. Le témoin a déposé disant qu'à une
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1 occasion, un homme surnommé Duca est entré dans la pièce numéro 2, a cité
2 les noms de deux détenus qui étaient frères et les a forcés à s'asséner des
3 coups mutuellement, et ce, de manière très intense. D'après les faits
4 jugés, dans le camp de Keraterm étaient détenus jusqu'à 1 500 prisonniers,
5 entassés dans un certain nombre de pièces sans éclairage. C'étaient de
6 grandes salles ou des pièces, extrêmement chaud l'été, et il n'y avait pas
7 de fenêtres ni de ventilation. Ces prisonniers étaient enfermés dans ces
8 pièces pendant des jours, entassés. Les détenus avaient l'autorisation de
9 se rendre aux toilettes uniquement une fois par jour. Les détenus avaient
10 des poux, et la dysenterie était fréquente. Aucun soin médical n'était
11 prodigué. Les détenus souffraient de sous-alimentation, de famine, et ils
12 étaient roués de coups à leur arrivée.
13 Par rapport au camp d'Omarska, le Témoin Nusret Sivac a déposé en disant
14 qu'il a été emmené au camp d'Omarska à la date du 20 juin 1992. A son
15 arrivée, lui et d'autres prisonniers ont été violemment frappés par les
16 membres d'une section d'intervention, y compris Mrdja et Zoran Babic. A une
17 occasion, l'ensemble des détenus du camp ont été roués de coup à partir de
18 tôt dans la matinée jusqu'à tard dans l'après-midi. L'équipe de service,
19 dont le chef était Mlado Radic, alias Krkan, a fait installer une double
20 haie de gardiens, aidés par des gardiens faisant partie d'autres équipes.
21 Les témoins ont vu des gens crier et tomber par terre partout pendant que
22 les gardiens les frappaient avec des battes de baseball et des chaînes de
23 métal garnies de boules. Un gardien a frappé le témoin sur sa tête à l'aide
24 d'une chaîne de métal garnie de boules, et après cela le témoin s'est
25 évanoui.
26 D'après les faits jugés, il est arrivé que jusqu'à 200 personnes
27 soient détenues au camp d'Omarska dans une pièce de 40 mètres carrés, et
28 300 prisonniers se sont trouvés enfermés dans une petite pièce. Certains
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1 prisonniers ont passé du temps entassés ensemble dans les toilettes. Dans
2 les toilettes, les prisonniers étaient entassés de telle sorte qu'ils se
3 trouvaient les uns sur les autres, et souvent il a fallu qu'ils s'allongent
4 dans les excréments. Nombre de prisonniers enfermés dans la maison blanche
5 de l'ensemble de détention d'Omarska n'ont pas de reçu de nourriture
6 pendant leur détention. Certains prisonniers ont perdu de 20 à 30 kilos
7 pendant leur détention à Omarska et d'autres en ont perdu considérablement
8 plus. L'eau potable à Omarska a souvent été refusée aux prisonniers pendant
9 de longues périodes et l'eau qui a été donnée aux détenus n'était pas
10 appropriée à être consommée par les êtres humains. Les prisonniers avaient
11 à attendre pendant des heures avant de recevoir l'autorisation de se rendre
12 aux toilettes, et parfois ils risquaient de se faire rouer de coups s'ils
13 demandaient de se rendre aux toilettes. Il n'y avait pas d'installations
14 sanitaires. Des maladies de la peau étaient fréquentes ainsi que des crises
15 aiguës de diarrhée et de dysenterie.
16 La Chambre s'est vue soumettre un grand nombre de rapports détaillés
17 envoyés aux responsables de la VRS et portant sur le traitement inhumain
18 dans les camps. Dès la date du 22 juin 1992, l'équipe opérationnelle qui a
19 mené les interrogatoires des détenus au camp de Manjaca envoyait des
20 rapports journaliers au commandant du 1er Corps de Krajina, Talic, portant
21 sur le traitement des prisonniers au camp de Manjaca à Banja Luka. Le 1er
22 juillet, un rapport précisait, et je cite, que "plus de 95 % des
23 prisonniers sont des Musulmans." L'équipe opérationnelle a demandé
24 instamment à Talic de rappeler au commandant de la police militaire du
25 camp, et je cite encore, que "ce n'est pas une maison de torture," que les
26 prisonniers étaient, et je cite, "maltraités, qu'ils étaient roués de coup
27 et qu'ils étaient humiliés à l'extrême," que les policiers du camp
28 frappaient les prisonniers à leur gré, mais qu'il était difficile de mettre
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1 fin à ce comportement puisque le commandant de la sécurité du camp disait
2 souvent devant les soldats que les prisonniers, et je cite, "devraient tous
3 être tués." Le 22 juillet 1992, un rapport journalier faisait état du fait
4 que c'était la première fois que l'équipe opérationnelle avait vu un groupe
5 de détenus amenés au camp, et je cite encore une fois, "intact, à savoir
6 qu'ils ne portaient pas de marques de sévices."
7 Après la pause, la Chambre commencera à apprécier si les chefs
8 d'accusation 1 à 3, 5 et 6 doivent être retenus pour ce qui est des faits
9 incriminés en l'espèce. Nous reprendrons à 11 heures.
10 --- L'audience est suspendue à 10 heures 30.
11 --- L'audience est reprise à 11 heures 04.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Comme je l'ai annoncé avant la pause,
13 nous reprendrons, et à présent la Chambre se propose d'apprécier si les
14 chefs d'accusation 1 à 3, 5 et 6 doivent être retenus pour ce qui est des
15 moyens de preuve relatifs aux faits incriminés.
16 En particulier par rapport aux chefs d'accusation 1 et 2, il y a lieu
17 de penser que des actes de génocide se sont produits dans les municipalités
18 à Srebrenica pendant la période couverte par l'acte d'accusation. La
19 Chambre a déjà examiné le meurtre d'un certain nombre d'individus
20 précédemment. Le meurtre ou l'assassinat est un des actes sous-jacents du
21 génocide reproché à l'acte d'accusation. La Chambre renvoie également aux
22 moyens de preuve cités par rapport aux crimes de détention et par rapport
23 aux traitements cruels et inhumains, y compris le viol et d'autres actes de
24 violence sexuelle en tant qu'atteinte grave à l'intégrité physique ou
25 mentale visant à détruire physiquement les victimes. Des moyens de preuve
26 fournissent également des éléments de preuve sur l'intention génocidaire
27 des auteurs.
28 La Chambre estime que les moyens de preuve qui lui ont été soumis, y
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1 compris les exemples ci-dessus cités, portent sur tous les éléments
2 constitutifs du crime de génocide, des crimes de persécution et
3 d'assassinat en tant que crimes contre l'humanité, ainsi que le crime de
4 meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre.
5 La Chambre examinera à présent la responsabilité de l'accusé qui est
6 engagée au titre de ces crimes.
7 La Chambre examinera les moyens de preuve par rapport au mode de
8 responsabilité de participation à l'entreprise criminelle commune. Comme
9 énoncés dans la jurisprudence du Tribunal, les éléments constitutifs de ce
10 mode de responsabilité sont les suivants : une pluralité de personnes, un
11 objectif commun qui revient à ou comprend la commission du crime en vertu
12 du Statut et la participation de l'accusé à la mise en œuvre de l'objectif.
13 La contribution d'un accusé ne doit être ni substantielle ni nécessaire à
14 la réalisation de l'objectif commun. Toutefois, elle doit au moins être une
15 contribution importante aux crimes faisant partie de l'objectif commun.
16 L'élément moral requis est que les participants à l'entreprise criminelle
17 commune partageaient l'intention de réaliser l'objectif commun par la
18 commission des crimes ou du crime prévus dans le Statut.
19 Les parties sont d'accord sur de nombreux aspects du parcours et du
20 rôle militaire joué par l'accusé tel que reproché à l'acte d'accusation, ce
21 que la Chambre se propose de résumer. L'accusé a occupé diverses positions
22 au sein du 9e Corps de la JNA, et à la date du 30 décembre 1991, il est
23 devenu son commandant. Le 10 mai 1992, Mladic a assumé le commandement du
24 QG du 2e District militaire de la JNA. Le 12 mai 1992, la VRS a été
25 constituée. Egalement le 12 mai 1992, l'assemblée bosno-serbe de Banja
26 Luka, lors de sa 16e séance, a nommé Mladic commandant de l'état-major
27 principal de la VRS, comme cela apparaît dans le compte rendu de cette
28 séance qui a été versé au dossier de l'instance en tant que pièce P431, et
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1 ce qui a été étayé par la déposition des experts Reynaud Theunens et Robert
2 Donia. Mladic a commandé l'état-major de la VRS jusqu'à au moins le 8
3 novembre 1996.
4 La première entreprise criminelle commune reprochée à l'acte
5 d'accusation porte sur l'objectif consistant à chasser à jamais les
6 Musulmans et les Croates de Bosnie habitant le territoire revendiqué par
7 les Serbes en Bosnie-Herzégovine, et ce, par la commission de crimes
8 énumérés aux chefs 1 et 3 à 8. Les membres allégués de cette entreprise
9 criminelle commune comprennent Radovan Karadzic, Slobodan Milosevic et
10 Momcilo Krajisnik. Il est reproché à l'acte d'accusation que l'accusé a
11 largement contribué à la réalisation de l'objectif de l'entreprise
12 criminelle commune et qu'il a partagé l'intention de commettre les crimes
13 reprochés avec d'autres qui ont agi de concert avec lui.
14 Par rapport au dessein commun et la pluralité de personnes de
15 l'entreprise criminelle commune principale, la Chambre s'est vue soumettre
16 des moyens de preuve portant sur la prise de pouvoir planifiée dans les
17 municipalités visant à établir des institutions bosno-serbes distinctes et
18 à créer un Etat homogène bosno-serbe. La Chambre de première instance a
19 reçu des moyens de preuve selon lesquels tout au long de l'année 1991 et au
20 début de l'année 1992, la direction bosno-serbe, placée sous la direction
21 de Radovan Karadzic, a commencé à mettre sur pied des structures militaires
22 et civiles serbes parallèles dans les municipalités situées sur le
23 territoire de la Bosnie-Herzégovine. La Chambre rappelle à cet égard le
24 témoignage de Milan Babic. Il note que le 24 octobre 1991, la direction
25 bosno-serbe a créé une assemblée bosno-serbe distincte et qu'à la date du
26 20 décembre 1991 ou à peu près à cette date-là, Karadzic a donné les
27 instructions appelées variantes A et B aux dirigeants des municipalités
28 afin que soient créés des organes qui n'étaient pas prévus dans l'ordre
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1 juridique existant, y compris la création des cellules de Crise serbes.
2 La Chambre a reçu de nombreux moyens de preuve portant sur la
3 promulgation des six objectifs stratégiques. Le 6 mai 1992, l'accusé a pris
4 des notes relatives à une réunion dans son carnet, pièce P352, avec
5 Karadzic et un groupe de généraux de la JNA. Pendant cette réunion,
6 Karadzic a souligné l'impératif de la séparation ethnique et a formulé
7 trois autres objectifs qui allaient devenir les objectifs stratégiques 2, 3
8 et 6 de ce qu'on a appelé six objectifs stratégiques. Pendant une réunion
9 qui s'est tenue le lendemain à laquelle assistait l'accusé, Momcilo
10 Krajisnik a précisé les six objectifs stratégiques de la direction bosno-
11 serbe de manière expresse. Le 12 mai 1992, les six objectifs stratégiques
12 ont été publiquement annoncés par Radovan Karadzic et adoptés à la 16e
13 séance de l'assemblée de la République bosno-serbe le même jour. La Chambre
14 renvoie ici à la pièce P431. Lors de cette même séance à laquelle l'accusé
15 a été nommé commandant de l'état-major principal de la VRS, l'accusé a
16 montré qu'il partageait ces objectifs et semblait avoir participé à leur
17 création, affirmant, je cite, "avoir lu, réfléchi pendant longtemps et
18 discuté avec le cercle fermé de camarades qui ont été convoqués les
19 objectifs stratégiques qui sont importants."
20 La Chambre a entendu des témoignages sur la relation entre Karadzic et
21 l'accusé. Elle note la déposition du Témoin Herbert Okun consistant à dire
22 que Karadzic, au moins par deux fois entre 1992 et 1993, lui avait dit
23 explicitement que l'accusé était placé sous son contrôle, en ajoutant à une
24 occasion, et je cite, "vous savez comment sont faits les soldats. Ils
25 n'aiment pas être contrôlés par les civils, mais nous les contrôlons quand
26 même."
27 En outre, la Défense a fait valoir que l'accusé, et là encore je cite, "a
28 toujours émis des ordres cherchant à ce que les auteurs soient désarmés,
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1 arrêtés, fassent objet d'enquête et soient poursuivis."
2 La Chambre a entendu des dépositions faisant état d'instructions ayant été
3 données aux forces de la VRS condamnant la commission de crimes dans les
4 municipalités, mais qu'en fait, en pratique, les soldats de la VRS ont reçu
5 pour consigne de continuer avec la même conduite quand bien même elle
6 serait criminelle. La Chambre note que le 12 juin 1992, l'état-major de la
7 VRS a donné des instructions portant sur le traitement réservé aux
8 prisonniers et la création des camps de détention. Et la Chambre rappelle à
9 cet effet les pièces P377, P189, P3910, P3979, et le carnet de Mladic, à
10 savoir la pièce P353, à la page 160.
11 La Chambre rappelle également la déposition du Témoin RM019, membre de la
12 11e Brigade d'infanterie légère d'Herzégovine à partir de mai 1992, qui a
13 déposé qu'à la fin du mois de mai ou au début du mois de juin 1992, Zoran
14 Vukovic -- j'ai mal lu, donc il s'agit de la fin du mois de mai ou du début
15 du mois juin. Zoran Vukovic, le commandant de bataillon, a donné lecture
16 d'une déclaration qui aurait été signée par Karadzic et il en a donné
17 lecture à un groupe de soldats, y compris ce témoin. D'après la déclaration
18 du témoin, les soldats ne devaient plus incendier de biens ni tuer d'autres
19 prisonniers. Suite à cette déclaration, Vukovic a demandé à chaque soldat
20 de signer un document en reconnaissant qu'ils avaient entendu la
21 déclaration. Vukovic a transmis le meilleur souvenir du commandant de Pale
22 aux soldats et leur a dit qu'ils faisaient très bien leur travail et qu'il
23 faudrait qu'ils continuent à le faire de cette manière. Et un des soldats a
24 demandé à Vukovic pourquoi il voulait qu'il signe cette déclaration s'il
25 fallait continuer avec les meurtres et les incendies, et à cela Vukovic a
26 répondu que ce soldat ne devrait pas réfléchir trop.
27 Le Témoin RM081 a déposé qu'il a regardé à la télévision une transmission
28 depuis l'assemblée de Sarajevo où Karadzic a annoncé qu'à un moment donné
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1 les Musulmans allaient disparaître de la surface de la terre. Il a
2 également déposé en disant que vers le mois de septembre 1992, Sveto
3 Veselinovic, président du Parti démocratique serbe de Rogatica et membre de
4 la Commission de guerre de la République serbe de Rogatica, a dit au témoin
5 que tous les Musulmans allaient disparaître du territoire. Veselinovic a
6 dit au témoin qu'il avait rencontré Karadzic à Pale, où il avait été décidé
7 qu'un tiers des Musulmans serait tué, un autre tiers serait converti à la
8 religion orthodoxe, et puis que le dernier tiers partirait.
9 La Chambre s'est vue soumettre des moyens de preuve selon lesquels dans les
10 différentes municipalités la mise en œuvre de la politique de la direction
11 bosno-serbe a eu pour résultat une expulsion à grande échelle des
12 populations non-serbes des municipalités. A partir du début du conflit en
13 avril jusqu'en août 1992, plus de 30 000 Musulmans et Croates de Bosnie ont
14 quitté rien que la municipalité de Prijedor, soit de peur, soit parce que
15 les circonstances sur place étaient insupportables. La Chambre rappelle
16 également ses conclusions précédentes portant sur des meurtres à grande
17 échelle dans les camps de détention et alentour dans les différentes
18 municipalités. Il existe d'amples témoignages de témoins et des éléments de
19 preuve documentaires de personnes détenues dans les camps de détention dans
20 les municipalités d'après lesquels ils étaient placés là uniquement sur la
21 base de leur appartenance ethnique. La Chambre rappelle à cet effet la
22 pièce P3801, il s'agit en fait d'un rapport établi par le MUP bosno-serbe à
23 l'attention de Radovan Karadzic qui porte la date du 17 juillet 1992, où il
24 est dit que -- donc, je dis bien du 17 juillet 1992, et je cite, "l'armée,
25 les cellules de Crise et les présidences de Guerre ont demandé que l'armée
26 rassemble ou capture autant de Musulmans que possible," et qu'il convient
27 de placer en détention dans les camps.
28 Par ce motif, la Chambre estime qu'il existe des moyens de preuve sur la
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1 base desquels, s'ils étaient acceptés, un Juge du fait raisonnable pourrait
2 raisonnablement être satisfait au-delà de tout doute raisonnable que
3 pendant la période pertinente, période visée à l'acte d'accusation, une
4 entreprise criminelle commune a existé, composée, entre autres, de membres
5 de la direction bosno-serbe et de la VRS, y compris Radovan Karadzic et de
6 l'accusé, dont l'objectif était de chasser à jamais les Musulmans et/ou les
7 Croates de Bosnie des territoires revendiqués par les Bosno-Serbes en
8 Bosnie-Herzégovine par la commission de crimes reprochés à l'acte
9 d'accusation.
10 Par rapport aux contributions de l'accusé à cette entreprise criminelle
11 commune, il existe des moyens de preuve selon lesquels l'accusé, en tant
12 que commandant de l'état-major de la VRS, a mis en œuvre des mesures afin
13 de réaliser ces objectifs stratégiques comme précédemment énoncés afin
14 d'atteindre l'objectif de l'entreprise criminelle commune. La Chambre s'est
15 vue soumettre des moyens de preuve selon lesquels tout au long de la
16 période visée à l'acte d'accusation l'accusé a émis neuf directives
17 opérationnelles de mise en œuvre des six objectifs stratégiques et de leur
18 intégration aux ordres des opérations d'envergure de la VRS. La Chambre se
19 réfère, par exemple, aux directives opérationnelles versées au dossier de
20 l'instance en tant que pièces P747, P1963 et P1968, ainsi que le rapport
21 rédigé par Reynaud Theunens.
22 Le Témoin Pyers Tucker a déposé, affirmant que l'accusé lui avait dit que
23 les prisons de Foca, de Batkovic et de Kula étaient placées sous son
24 contrôle. La Chambre a également reçu des éléments de preuve documentaires
25 selon lesquels l'accusé a contrôlé les camps de détention. En particulier,
26 la Chambre relève la pièce P2001 [comme interprété], un ordre de la VRS
27 datant du mois d'août 1992, selon lequel l'accusé a personnellement exercé
28 le contrôle militaire direct sur les unités qui contrôlaient les camps de
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1 détention de Manjaca, de Trnopolje, d'Omarska et de Prijedor. D'autres
2 éléments de preuve de participation directe de l'état-major au camp de
3 détention se retrouvent dans les pièces P2899, P4147 et P3687.
4 Eu égard à la mens rea de l'accusé, la Chambre renvoie à la participation
5 de Mladic à la création et à la promulgation des six objectifs stratégiques
6 en mai 1992, comme susmentionnés. La Chambre constate qu'il existe des
7 moyens de preuve selon lesquels l'accusé, et ce, pendant la période visée à
8 l'acte d'accusation, savait que des crimes étaient commis dans les
9 municipalités. John Wilson a déposé qu'en décembre 1992 ou en janvier 1993,
10 il avait évoqué avec Mladic à Genève une photographie qui circulait dans
11 les médias d'un homme sous-alimenté détenu au camp de détention serbe. La
12 Chambre rappelle également le témoignage du Témoin RM048 qui a déposé que
13 Mladic était au courant du fait que des filles de Foca étaient détenues par
14 ses forces en tant qu'esclaves sexuels.
15 La Chambre note l'effet que ces viols avaient sur les femmes musulmanes de
16 Bosnie, et la déposition d'une victime de viol qui a déclaré que d'après
17 elle, les Serbes, et je cite, "voulaient détruire, tuer, détruire notre
18 esprit autant que possible, parce qu'il n'y a pas de remède pour une femme
19 qui a été violée", en ajoutant qu'elle ne s'en remettrait jamais.
20 La Chambre rappelle également le témoignage de David Harland, qui a déposé
21 que pendant la semaine qui s'est terminée le 3 novembre 1993, il était
22 présent à une réunion où Mladic a déclaré qu'à moins que tous les 22 de
23 prisonniers de guerre serbes de la poche de Gorazde soient remis en
24 liberté, il allait tuer tous ceux qui se trouvaient dans les enclaves de
25 l'est, à l'exception des enfants. Les propos de Mladic prononcés lors de
26 cette réunion ont été enregistrés par les observateurs internationaux, y
27 figurent dans les pièces P4639 et la pièce D7.
28 La Chambre de première instance a également reçu des moyens de preuve sous
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1 la forme de conversations interceptées concernant l'état d'esprit de
2 l'accusé. Dans une conversation téléphonique interceptée au mois de mai
3 1992, Mladic a averti Fikret Abdic qu'il, et je cite, "ordonnerait le
4 bombardement de l'ensemble de Bihac". Mladic a déclaré que, je cite, "toute
5 la Bosnie s'enflammera si je 'prononce' une seule parole", et il a
6 poursuivi en disant, et je cite encore une fois, "pas simplement Sarajevo".
7 Dans une conversation téléphonique interceptée le 5 août 1992, Mladic a
8 menacé d'employer de l'artillerie lourde contre, je cite, "une région
9 fortement peuplée" si on ne répondait pas à ses exigences qui visaient à
10 faire cesser des actions de combat.
11 La Chambre a également entendu la déposition de Sefik Hurko, un
12 Musulman de Bosnie, qui a été détenu dans le camp de Rasadnik à Rogatica,
13 dans la municipalité de Rogatica, entre le mois d'août 1992 et le mois
14 d'avril 1994. Il a déclaré qu'à un moment donné au mois d'avril 1994, dix à
15 15 détenus du camp, y compris le témoin, ont été transportés jusqu'à un
16 endroit près de Gorazde. Là, on leur a donné des instructions, et c'est le
17 directeur du camp, Bojic, qui leur a demandé de travailler dans la forêt et
18 accélérer les choses parce que Mladic allait venir. Lorsque Mladic a
19 remarqué les détenus, il a demandé qui étaient ces personnes. Et Bojic a
20 répondu en disant qu'il s'agissait de prisonniers de Rogatica. Mladic lui a
21 demandé si ces hommes étaient fidèles ou s'il s'agissait d'hommes en
22 captivité, ce à quoi Bojic a répondu que ces hommes étaient fidèles. Mladic
23 a ensuite ordonné que ces détenus soient alignés et leur a dit que s'ils
24 étaient disposés à changer de religion, ils pouvaient rester.
25 Compte tenu de ce qui précède, la Chambre de première instance est
26 convaincue qu'il existe des éléments de preuve sur la base desquels, s'ils
27 sont admis, un Juge du fait raisonnable peut être convaincu au-delà de tout
28 doute raisonnable que pendant la période couverte par l'acte d'accusation,
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1 l'accusé a participé à une entreprise criminelle commune qui comprenait
2 notamment des membres de la direction bosno-serbe, y compris Radovan
3 Karadzic. L'objectif de cette entreprise criminelle commune était de
4 chasser définitivement les Musulmans de Bosnie et les Croates de Bosnie du
5 territoire revendiqué par les Bosno-Serbes en Bosnie-Herzégovine au travers
6 ou par la commission des crimes reprochés à l'acte d'accusation. L'accusé
7 partageait l'intention des autres membres de l'entreprise criminelle
8 commune principale qui visait à réaliser cet objectif en commettant des
9 crimes. Il a également contribué à cela de façon significative.
10 Dans ces conditions, la Chambre conclut que les chefs 1, 3 et 5 et 6
11 peuvent être retenus.
12 La Chambre rappelle que la Défense n'a pas précisément remis en cause
13 la deuxième entreprise criminelle commune. La Chambre va, en outre, aborder
14 les chefs 9 à 10 à un stade ultérieur.
15 La Chambre va maintenant aborder la troisième entreprise criminelle
16 commune alléguée dans l'acte d'accusation, à savoir l'entreprise criminelle
17 commune qui visait à éliminer les Musulmans de Bosnie à Srebrenica en tuant
18 les hommes et les garçons de Srebrenica et en déplaçant par la force les
19 femmes, jeunes enfants, et quelques personnes âgées dans l'enclave, en
20 commettant les crimes reprochés à l'acte d'accusation aux chefs 2 à 8 de
21 l'acte d'accusation. Il est allégué que la mise en œuvre de ce plan a
22 commencé dès le mois de mars 1994 [comme interprété] et qu'il s'est
23 poursuivi jusqu'au 1er novembre 1995. Les membres présumés de l'entreprise
24 criminelle commune comprennent notamment Radovan Karadzic et des officiers
25 de haut rang de la VRS et du MUP bosno-serbe. L'accusé, comme il est
26 allégué, a contribué à la réalisation de l'objectif de l'entreprise
27 criminelle commune en, notamment, commandant et contrôlant la VRS dans le
28 but de réaliser l'objectif. Il est allégué, en outre, qu'il partageait
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1 l'intention de commettre les crimes reprochés avec d'autres membres de
2 l'entreprise criminelle commune.
3 Pour ce qui est de l'objectif de ladite entreprise criminelle commune, la
4 Chambre rappelle la déposition de Momir Nikolic, qui a déclaré qu'à partir
5 du moment où les enclaves ont été mises en place, les forces de la VRS
6 avaient pour objectif politique de provoquer le déplacement par la force de
7 l'ensemble de la population musulmane de Srebrenica, Zepa, et de Gorazde en
8 direction de territoires contrôlés par les Musulmans. La Chambre a
9 également examiné la directive numéro 7 versée au dossier sous la cote
10 P1469 et abordée par les parties lors de la présentation de leurs
11 arguments. Cette directive est datée du 8 mars 1995, s'adresse aux
12 commandants des différents commandements de corps et est signé par le
13 commandant suprême Radovan Karadzic. Cette directive ordonnait notamment
14 que le Corps de la Drina, et je cite, "achève la séparation physique des
15 enclaves de Srebrenica et de Zepa" et la citation se poursuit, "au plus
16 vite, empêchant même les individus des deux enclaves de communiquer", fin
17 de cette citation-ci. Et ensuite, une autre citation dans le même document
18 : "Par des opérations de combat planifiées et bien préparées, créer une
19 situation invivable d'insécurité totale ne laissant aucun espoir de survie
20 ou de vie future pour les habitants de Srebrenica ou de Zepa," la citation
21 se termine ici. La directive déclarait également : "Doivent réduire et
22 limiter en appliquant systématiquement et discrètement une attitude
23 restrictive quand il s'agit de donner suite aux requêtes, le soutien
24 logistique apporté par la FORPRONU dans les enclaves et les fournitures de
25 moyens matériels à la population musulmane, et les rendre ainsi dépendants
26 de notre volonté, tout en évitant une condamnation à la fois de la
27 communauté internationale et de l'opinion publique mondiale."
28 La directive numéro 7 est citée dans un ordre du commandement du Corps de
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1 la Drina établi le 20 mars 1995, et signé par Milenko Zivanovic, et la
2 directive 7/1 de l'état-major de la VRS datée du 31 mars 1995 est signée
3 par Mladic. Il s'agit d'éléments qui ont été versés au dossier sous les
4 cotes P1468 et P1470 respectivement. Le commandement du Corps de la Drina a
5 repris notamment le libellé de la directive 7 s'agissant de la création de
6 circonstances insoutenables pour les habitants des enclaves. Le Témoin
7 Manojlo Milovanovic a déclaré que quelqu'un qui lisait le renvoi à la
8 directive 7 dans la directive 7/1 devait nécessairement reprendre la
9 directive 7 pour pouvoir la mettre en œuvre pleinement.
10 Le 2 juillet 1995, le Corps de la Drina a établi un ordre pour
11 l'opération Krivaja 95, versé au dossier sous la cote P1465. Cet ordre
12 énonçait la tâche à accomplir en vertu des directives 7 et 7/1, à savoir de
13 mener des offensives avec pour objectif, entre autres, la séparation et la
14 diminution en termes de taille des enclaves de Zepa et de Srebrenica, et de
15 créer des conditions permettant l'élimination des enclaves.
16 Plusieurs témoins, notamment Momir Nikolic et Rupert Smith, ont
17 déclaré que l'attaque de la VRS contre Srebrenica a commencé le 6 juillet
18 1995. Evert Rave a déclaré que le 7 juillet 1995, la VRS a tiré sur la zone
19 de sécurité et a pris pour cible des installations des Nations Unies,
20 provoquant la mort d'un certain nombre de civils. Le 9 juillet 1995, dans
21 un message qui est versé au dossier sous la cote P1466, le général Tolimir
22 a rapporté que Karadzic avait été informé du fait que les opérations autour
23 de Srebrenica menées par les unités du Corps de la Drina avaient été
24 couronnées de succès permettant ainsi l'occupation de l'enclave, et
25 Karadzic était d'accord, entre autres, avec la poursuite de ces opérations
26 qui visaient la prise du contrôle de Srebrenica.
27 La Chambre a reçu des éléments de preuve de différents témoins qui
28 précisaient que Srebrenica est finalement tombée aux mains de la VRS le 11
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1 juillet 1995.
2 Momir Nikolic a déclaré que dans la matinée du 12 juillet, lors d'une
3 conversation entre Popovic et Kosoric, Popovic lui a dit que toutes les
4 femmes et tous les enfants seraient transférés vers un territoire contrôlé
5 par les forces musulmanes, il s'agit soit de Kladanj, soit de Tuzla. Le
6 témoin a demandé ce qui allait advenir des hommes valides, ce à quoi
7 Popovic a répondu que, je cite, "tous les balija" doivent être tués. Le
8 Témoin RM513 et Richard Butler ont déclaré que le terme de "balija" était
9 employé de façon péjorative par les forces serbes pour parler des
10 Musulmans. Nikolic, Kosoric et Popovic ont ensuite abordé la question des
11 éventuels sites d'exécution.
12 La Chambre a entendu des éléments de preuve concernant une réunion
13 qui s'est tenue vers 20 heures le 13 juillet entre Beara et Momir Nikolic
14 dans le centre de Bratunac. Beara a dit à Momir Nikolic que les prisonniers
15 musulmans seraient provisoirement détenus et ensuite exécutés à Zvornik.
16 Dans une réunion ultérieure à laquelle ont assisté Beara, Miroslav Deronjic
17 et Vasic, Deronjic et Beara ont eu un échange de points de vue s'agissant
18 de l'endroit où il fallait emmener les Musulmans de Bosnie capturés. Momir
19 Nikolic a déclaré qu'à cette occasion-là Beara a insisté pour que les
20 prisonniers restent à Bratunac, en déclarant qu'il avait reçu un ordre de,
21 je cite, "son patron" que les Musulmans devaient rester à cet endroit.
22 Momir Nikolic a compris que lorsque Beara parlait de son "patron" il
23 s'agissait du général Mladic, étant donné que tous les officiers parlaient
24 de Mladic et utilisaient ce terme de "patron" pour parler de lui. Deronjic
25 s'est opposé à la proposition de Beara en déclarant qu'il ne souhaitait pas
26 que les Musulmans soient détenus et tués à Bratunac et qu'il avait reçu un
27 ordre de Karadzic précisant que les Musulmans devaient se rendre à Zvornik.
28 La Chambre a également entendu des éléments de preuve émanant de
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1 certains témoins, notamment le Témoin RM322, Damjan Lazarevic et Cvijetin
2 Ristanovic, sur les opérations d'ensevelissement coordonnées, organisées
3 par la VRS, suite à plusieurs exécutions alléguées dans l'acte d'accusation
4 impliquant, entre autres, l'Unité de génie de la Brigade de Zvornik.
5 Pour ce qui est du critère de la pluralité de personnes, la Chambre
6 renvoie aux éléments de preuve susmentionnés concernant l'interaction et
7 les communications entre les différents officiers de haut rang, notamment
8 Mladic, Tolimir, Beara, Kosoric, Krstic et Popovic. En outre, la Chambre
9 note la déposition de Momir Nikolic portant sur la présence du commandant
10 du MUP, Ljubisa Borovcanin, à Potocari pendant le transport des Musulmans
11 de Bosnie abordée plus haut dans cette décision ainsi que la participation
12 de Karadzic pour ce qui est de la directive numéro 7.
13 Finalement, la Chambre rappelle les éléments de preuve cités plus tôt
14 dans cette décision s'agissant des faits incriminés et estime qu'il peut
15 être déduit, compte tenu de tous les éléments présentés, que l'entreprise
16 criminelle commune à Srebrenica a existé et qu'elle a été mise en œuvre.
17 Pour ce qui est des contributions de l'accusé à cette troisième
18 entreprise criminelle commune, la Chambre de première instance s'est
19 penchée sur les éléments de preuve suivants. Dans un extrait d'une
20 conversation interceptée qui enregistrait une voix que le témoin Ljubomir
21 Obradovic a identifiée comme étant celle de l'accusé, Mladic aurait
22 déclaré, d'après ce qui est consigné avoir déclaré s'agissant de la
23 FORPRONU et du convoi humanitaire, qu'il n'aurait pas pris le contrôle de
24 Srebrenica ou Zepa s'il ne les avait pas affamés pendant l'hiver, ajoutant
25 que depuis le mois de février il n'avait laissé passer qu'un ou deux
26 convois. Cette conversation a été versée au dossier et porte la cote P1789.
27 La Chambre s'est également penchée sur la déposition d'Obradovic s'agissant
28 de la pièce P1788, une série de demandes émanant de la FORPRONU à
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1 l'intention de l'état-major portant sur l'autorisation de passage des
2 convois qui porte le paraphe manuscrit de l'accusé accompagné du terme
3 "non" comme preuve de la participation directe de Mladic sur l'imposition
4 de restriction sur les approvisionnements de l'enclave.
5 La Chambre note en outre la déposition de Momir Nikolic où il précise
6 que le général Krstic commandait toutes les unités qui ont participé à
7 l'opération Srebrenica jusqu'à l'arrivée du général Mladic qui à ce moment-
8 là a repris le commandement. La Chambre renvoie également à la pièce P724,
9 un rapport du commandant du MUP, Ljubisa Borovcanin, sur le combat
10 militaire des forces de police du 11 au 21 juillet 1995, qui précise que
11 Borovcanin prenait ses ordres de Mladic s'agissant d'engager les forces de
12 police, entre autres, à Potocari.
13 Momir Nikolic a déclaré, en outre, que lors d'une des réunions qui s'est
14 tenue à l'hôtel Fontana dans la soirée du 11 juillet 1995, Mladic a menacé
15 et intimidé les officiers néerlandais ainsi que Nesib Mandzic, un Musulman
16 de Bosnie, leur disant qu'il souhaitait que l'armée musulmane se rende, que
17 l'avenir du peuple de Mandic était entre ses mains, entre les mains de
18 Mandzic, et qu'ils pouvaient choisir soit de survivre, soit de disparaître.
19 Ceci est enregistré dans la vidéo qui a été versée au dossier sous la cote
20 P1147.
21 Pour ce qui est de l'intention de l'accusé, la Chambre renvoie aux éléments
22 de preuve suivants en particulier. Les images vidéo versées au dossier sous
23 la cote P1147 montrent Mladic en train de traverser la ville de Srebrenica
24 à pied le 11 juillet en présence de forces serbes, et il a déclaré, entre
25 autres : "Voici, nous y sommes, le 11 juillet 1995, dans une Srebrenica
26 serbe"; et plus loin, "Nous remettons cette ville au peuple serbe en guise
27 de cadeau; et "Le moment est venu de se venger des Turcs." Fin de ces trois
28 citations. Le Témoin Reynaud Theunens a déclaré que le terme de "Turcs"
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1 était employé pour désigner les Musulmans de Bosnie et était souvent
2 considéré comme un terme péjoratif.
3 Momir Nikolic a déclaré que dans l'après-midi du 13 juillet, il a
4 rencontré Mladic à une intersection à Konjevic Polje où il y avait
5 visiblement des prisonniers. Mladic est descendu de son véhicule, s'est
6 approché d'un groupe de prisonniers et s'est adressé à eux en déclarant
7 qu'ils ne devaient pas être inquiets et qu'ils allaient bientôt être
8 emmenés dans un lieu de leur choix. Il est ensuite retourné à son véhicule,
9 et le témoin a demandé à Mladic ce qui allait véritablement arriver aux
10 prisonniers. Mladic a répondu par un sourire et a fait un grand geste de la
11 main avec la main droite de gauche vers la droite, et ce, au milieu du
12 corps. Mladic a ensuite ri et il est remonté dans sa voiture.
13 La Défense fait valoir, par exemple, que Mladic avait une préférence pour
14 la cessation des hostilités et qu'il avait déployé des efforts pour
15 échanger des prisonniers musulmans contre des prisonniers serbes et que
16 ceci exclut toute possibilité qu'il avait l'intention de détruire les
17 Musulmans de Srebrenica. En se fondant sur les éléments de preuve
18 susmentionnés, cependant, la Chambre estime que les éléments de preuve
19 pourraient conduire un Juge du fait raisonnable à être convaincu que
20 l'accusé possédait l'intention spécifique requise.
21 La Chambre conclut que, compte tenu de ce qui précède, il existe
22 suffisamment d'éléments de preuve sur la base desquels, s'ils sont admis,
23 un Juge du fait raisonnable peut conclure au-delà de tout doute raisonnable
24 qu'il existait une entreprise criminelle commune qui comprenait une
25 pluralité de personnes, notamment Karadzic, Mladic, Tolimir, Borovcanin,
26 ainsi que d'autres officiers de haut rang de la VRS et du MUP, dont
27 l'objectif commun était d'éliminer les Musulmans de Bosnie à Srebrenica en
28 commettant les crimes reprochés dans l'acte d'accusation. La Chambre estime
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1 en outre qu'il existe suffisamment d'éléments de preuve qui correspondent
2 au critère susmentionné, à savoir que Mladic a participé et a contribué de
3 façon significative à cette entreprise criminelle commune. La condition est
4 également remplie s'agissant de l'intention de Mladic dans le cadre de
5 l'entreprise criminelle commune, à savoir qu'il partageait l'intention avec
6 d'autres membres présumés de l'entreprise criminelle commune de commettre
7 les crimes reprochés dans l'acte d'accusation.
8 Dans ces conditions, la Chambre conclut que le chef numéro 2 peut être
9 retenu.
10 La Chambre rappelle que la Défense n'a pas précisément remis en cause la
11 quatrième entreprise criminelle commune. La Chambre de première instance va
12 à un stade ultérieur aborder le chef numéro 11.
13 En conclusion, la Défense n'a pas précisément remis en cause les chefs 4 et
14 7 et [comme interprété] 11 de l'acte d'accusation, ni les éléments généraux
15 ou les conditions d'application des articles 3 et 5 du Statut. La Chambre a
16 examiné attentivement tous les éléments de preuve et est convaincue qu'il
17 existe suffisamment d'éléments de preuve en vertu du critère juridique
18 applicable à ce stade de la procédure pour permettre à ces chefs
19 d'accusation d'être retenus.
20 En conséquence, la Chambre de première instance estime qu'il existe contre
21 l'accusé des charges suffisantes pour l'ensemble des chefs d'accusation de
22 l'acte d'accusation.
23 Ceci conclut la décision de la Chambre de première instance sur la demande
24 d'acquittement de la Défense en vertu de l'article 98 bis.
25 Avant que nous ne levions l'audience, et étant donné que nous ne nous
26 reverrons peut-être pas dans le prétoire bientôt, je souhaite permettre aux
27 parties de soulever une question si elle souhaite soulever une quelconque
28 question dans l'urgence. Lorsque je dis que nous n'allons pas nous revoir
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1 rapidement dans le prétoire, nous avons néanmoins l'intention d'avoir la
2 Conférence préalable de la Défense à la date du 12 mai, et nous entendrions
3 à ce moment-là les éléments à décharge de la Défense le 13 mai.
4 Monsieur Groome, on m'a précisé que vous souhaitiez soulever une
5 question. Maintenant vous avez l'occasion de le faire.
6 M. GROOME : [interprétation] Oui, très brièvement. Merci, Monsieur le
7 Président. Hier, Monsieur le Président, la Défense a déposé neuf requêtes
8 au titre de l'article 92 ter, elle les a déposées publiquement. L'ensemble
9 de ces requêtes cherche à avoir une déclaration attachée en tant qu'annexe
10 au titre de l'article 92 ter. Alors, si j'examine un peu ces déclarations,
11 je ne vois nulle part de signature. Ce qui me paraît être un peu
12 inhabituel. Alors, je voudrais que la Défense nous précise : est-ce qu'il
13 s'agit de projets de déclarations qui recevront une signature
14 ultérieurement ou est-ce qu'un exemplaire signé existe quelque part ? Est-
15 ce que ce sont des déclarations finales ? Je voudrais que cela me soit
16 précisé.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, Maître Ivetic.
18 M. IVETIC : [interprétation] Oui. Ces déclarations seront signées par les
19 témoins à partir du moment où ils seront présents sur place pour le
20 récolement à La Haye.
21 M. GROOME : [interprétation] Alors, est-ce que Me Ivetic s'attend à ce
22 qu'éventuellement les témoins apportent des modifications à ces
23 déclarations; et si oui, est-ce que l'Accusation recevra les versions
24 finales de ces déclarations à ce moment-là avant la déposition des témoins
25 dans le prétoire ?
26 M. IVETIC : [interprétation] Bien entendu, nous allons essayer d'informer
27 l'Accusation aussi rapidement que possible de toutes corrections ou
28 modifications apportées aux déclarations. Nous ne nous attendons pas à ce
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1 qu'il y ait de modifications en profondeur à partir du moment où les
2 témoins seront arrivés.
3 M. GROOME : [interprétation] Je vous remercie, Maître Ivetic. Merci, c'est
4 une information très utile.
5 Alors, ensuite, les pièces connexes, nous n'arrivons pas à les voir dans le
6 prétoire électronique. Est-ce que vous allez les charger dans le système ?
7 M. IVETIC : [interprétation] Nous avons eu des difficultés incroyables avec
8 le prétoire électronique, et, effectivement, cela s'est poursuivi pendant
9 les deux dernières semaines, nous n'arrivions pas à rentrer dans le
10 système. Et je ne sais pas ce que nous allons pouvoir faire. Nous allons
11 essayer de les charger au moment de la déposition des requêtes, mais je
12 sais qu'il y a encore des difficultés techniques et nous essayons de les
13 résoudre.
14 M. GROOME : [interprétation] Alors, compte tenu de cela, est-ce que vous
15 pourriez peut-être nous donner un exemplaire pour commencer à travailler
16 sur les requêtes avant que les problèmes ne soient résolus ?
17 M. IVETIC : [interprétation] Oui, les pièces connexes, vous voulez dire ?
18 M. GROOME : [interprétation] Oui.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors, je voudrais juste intervenir une
20 seconde.
21 Vous dites que vous avez eu ces problèmes techniques depuis deux
22 semaines et que vous avez essayé de résoudre cela avec d'autres unités,
23 d'autres services de ce Tribunal. Ce qui m'étonne un petit peu, que ça
24 n'ait pas pu être résolu en dépit de tous ces efforts. Alors, est-ce que la
25 Chambre peut vous être utile ? Parce que ce ne serait pas une bonne chose
26 que cela se poursuive, cela nous préoccupe.
27 M. IVETIC : [interprétation] Comme vous le savez parfaitement, les systèmes
28 informatiques sont en train d'être mis à jour au Tribunal depuis quelque
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1 temps et nous avons eu quelques problèmes depuis la dernière mise à jour.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais peut-être que la Chambre
3 pourrait vous apporter son assistance. Nous pourrions peut-être demander
4 instamment aux autres services d'accorder une priorité à vos problèmes ?
5 M. IVETIC : [interprétation] Nous avons un problème de rentrer dans le
6 système avec nos mots de passe. Par exemple, la plupart d'entre nous
7 n'avons pas pu du tout avoir accès au prétoire électronique à cause de ces
8 mots de passe.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Moi aussi j'ai eu ce problème, mais je
10 dois dire qu'il a été résolu plutôt rapidement. Et à quel moment est-ce que
11 vous avez informé notre régie de vos problèmes ?
12 M. IVETIC : [interprétation] C'était lundi, lundi dernier.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous voulez dire hier ou ?
14 M. IVETIC : [interprétation] La semaine dernière.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D'accord. Je vois. Cela fait huit jours.
16 Nous allons certainement essayer de vous aider et nous souhaiterions que ce
17 problème soit traité en priorité.
18 Oui, Monsieur Groome.
19 M. GROOME : [interprétation] Et enfin, un dernier point. Je voudrais savoir
20 si Me Ivetic pourrait éventuellement nous donner un projet de comparution
21 de ces neuf témoins dans l'ordre, compte tenu du peu de temps que nous
22 aurons à notre disposition.
23 M. IVETIC : [interprétation] Je ne suis pas en position de répondre. Il
24 faudrait que je consulte le reste de mon équipe à Belgrade. Donc, pour le
25 moment, comme ils sont absents, je n'ai pas cette information, mais je peux
26 vous la communiquer de manière informelle dès que je l'aurai.
27 M. GROOME : [interprétation] Je remercie Me Ivetic et la Chambre.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et à quel moment est-ce que vous pensez
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1 avoir cette information ?
2 M. IVETIC : [interprétation] Je vais contacter le bureau à la fin de cette
3 audience et je pense l'avoir aujourd'hui.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, il s'agit -- enfin, quel est
5 l'ordre de grandeur ? Quelques jours ?
6 M. IVETIC : [interprétation] Oui, c'est exact.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il ne s'agit pas d'une semaine qu'il
8 vous faudrait au plus ?
9 M. IVETIC : [interprétation] Oui, tout à fait. Quelques jours.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Autre chose, Monsieur Groome ?
11 M. GROOME : [interprétation] Non.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et Maître Ivetic, et vous ?
13 M. IVETIC : [interprétation] Rien du côté de la Défense. Je vous remercie.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] A ce moment-là, nous allons lever
15 l'audience, et compte tenu de la situation, j'annonce que nous reprendrons
16 avec une audience préalable à la présentation des moyens à décharge qui
17 aura lieu le 12 mai. L'audience est levée.
18 --- L'audience est levée à 11 heures 57 et reprendra le lundi, 12 mai 2014,
19 à 9 heures 30.
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