Page 371
1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-5-R61
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE AFFAIRE N° IT-95-18-R61
3 Mardi 2 juillet 1996
4
5 Devant la chambre de première instance composée comme suit :
6 M. le juge Claude Jorda, Président
7 Mme le juge Elizabeth Odio Benito
8 M. le juge Fouad Riad
9 Assistée de :
10 M. Dominique Marro, Greffier-Adjoint
11 LE PROCUREUR
12 c/
13 Ratko MLADIC
14 et Radovan KARADZIC
15 Le bureau du Procureur :
16 M. Eric Ostberg, M. Mark Harmon, M. Terre Bowers
17
18 Mardi, 2 juillet 1996
19 (matin)
20 La séance est ouverte à 10 h 10
21 M. le Président. - Monsieur le maire de Sarajevo, asseyez-
22 vous.
23 Monsieur le Procureur, je crois que vous vouliez faire
24 projeter une vidéo, puis le Tribunal posera quelques questions.
25 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Nous entendons
Page 372
1 effectivement entamer cette matinée avec un montage vidéo composé de
2 séquences de films recueillies par le Bureau du procureur comme éléments
3 de preuve afin que nous puissions refléter et vous donner une idée de ce
4 qui se passait et ce qu'était la vie à Sarajevo pendant les bombardements
5 et les pilonnages, au cours du siège. Nous passons donc à la projection de
6 ce montage vidéo.
7 (Projection de la vidéo)
8 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Monsieur Kupusovic,
9 avez-vous commentaires, en guise de conclusion, que vous voudriez nous
10 présenter ?
11 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Honorable
12 Tribunal, Honorable Cour, je n'ai pas voulu, par ce témoignage, éveiller
13 les émotions de qui que ce soit. Les faits qui portent sur le siège, sur
14 l'étranglement de Sarajevo, sont des faits notoires, connus de tout un
15 chacun.
16 Je tiens à faire ressortir que nous n'avions jamais perdu
17 l'espoir en la justice, en la paix. Ce Tribunal a été constitué pour
18 défendre les principes de nos civilisations contre les crimes de guerre,
19 contre les auteurs de ces crimes de guerre. Il vous incombe donc,
20 messieurs, madame le Juge, à vous, monsieur le Procureur, de vous
21 acquitter de votre mission historique.
22 Allez-vous céder devant les principes barbares ? Ou les
23 organisations internationales seront-elles en mesure de punir les
24 criminels de guerre et les crimes de guerre ? La justification de ne pas
25 faire quelque chose peut être exister, mais évidemment il importe
Page 373
1 d'essayer de trouver la possibilité de ne pas le faire.
2 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Monsieur le
3 président, c'est tout pour le moment pour le Bureau du Procureur.
4 M. le Président..- Merci, monsieur le Procureur. Je me tourne
5 à présent vers mes collègues. Madame le juge, avez-vous quelques questions
6 à poser ?
7 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Votre parti
8 politique, monsieur, a-t-il essayé de faire quelque chose pour que la
9 guerre soit évitée ?
10 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.
11 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Que pourriez-
12 vous dire pour ce qui est des autres parties politiques ? Avaient-ils, eux
13 aussi, entrepris quelque chose pour que la guerre soit évitée ?
14 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Tous les
15 partis ont oeuvré pour la paix, à l'exception du parti du SDS, c'est-à-
16 dire du parti démocratique serbe dirigé par le docteur Karadzic.
17 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - A plusieurs
18 reprises, vous avez utilisé l'expression des "Serbes de Karadzic". Y a-t-
19 il des Serbes d'un autre genre, à part les gens de Karadzic ?
20 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - En parlant
21 des "Serbes de Karadzic", je parle de ceux qui appliquaient et mettaient
22 en oeuvre la politique de Karadzic qui a abouti à ces différents crimes de
23 guerre dont nous avons été témoins. A Sarajevo, quelque 40 000 Serbes ont
24 subi ces mêmes souffrances et ont partagé celles des autres habitants de
25 Sarajevo. A travers toute la Bosnie-Herzégovine, dans de nombreuse
Page 374
1 contrées et régions, de nombreux Serbes furent parmi les victimes de
2 guerre, à part les Serbes de Karadzic.
3 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Hier, vous
4 avez parlé de 12 000 victimes du siège de Sarajevo. Vous avez parlé aussi
5 de 1 600 enfants. Pourriez-vous nous donner un nombre se rapportant aux
6 morts, s'agissant des hommes et des femmes ?
7 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Je n'ai pas
8 les données exactes, mais c'est à peu près fifty-fifty.
9 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Moitié
10 moitié.
11 Je m'excuse par avance pour la question que je vais vous
12 poser. Après toutes ces atrocités de la guerre, pourriez-vous nous
13 dépeindre votre vision de l'avenir de Sarajevo, de l'avenir de votre
14 pays ?
15 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - L'avenir de
16 ma famille, de ma ville, de mon pays, a en quelque sorte déjà commencé. A
17 Sarajevo, il est aujourd'hui plus facile de vivre, plus facile de vivre
18 après les accords Dayton. Il subsiste toutefois un obstacle qui
19 s'interpose à cet effort de renouveau du pays, de l'effort de
20 réconciliation et de reconstruction du pays, je pense surtout aux
21 criminels de guerre. C'est cet obstacle qui s'interpose à un avenir de la
22 ville et de mon pays.
23 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
24 maire Kupusovic, dans le cadre de l'une des interviews que vous nous avez
25 montrée, nous avons entendu M. Karadzic dire : "on pourrait prendre
Page 375
1 Sarajevo à tout moment", en regardant Sarajevo du haut d'une montagne.
2 Selon vous, pourquoi n'a-t-il pas pris Sarajevo ? Pourquoi ont-ils soumis
3 Sarajevo à un siège aussi longtemps ? Quel a été l'objectif de l'ensemble
4 de cette opération ?
5 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Je suis
6 convaincu qu'ils auraient pu entrer et prendre Sarajevo au cours des
7 premières semaines de la guerre. Leur objectif n'était pas de détruire,
8 d'anéantir la ville, parce que se trouvaient dans la ville les Nations
9 Unies, la Croix Rouge internationale, le Comité international de la Croix
10 Rouge. Leur but a été de diviser la ville qu'ils considéraient être
11 répartie entre parties : une partie exclusivement serbe, l'autre
12 exclusivement musulmane.
13 Au commencement, ils n’ont pas réussi dans cette visée. Leur
14 deuxième objectif était de rendre impossible la vie normale dans la ville
15 de façon que les gens se sentent désespérés et qu’ils soient contraints de
16 quitter la ville pour que cette ville meurt.
17 Ensuite, ils n'ont pu pénétrer dans cette ville car ils
18 n'avaient plus d'équipement. Et, sauf à subir des pertes matérielles et
19 humaines de leur côté, ils ne pouvaient pas entrer dans la ville.
20 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Merci pour cette
21 réponse. Dans votre résumé présenté tout au début, vous avez parlé des
22 Serbes comme minorité par rapport aux Musulmans. Cette minorité a-t-elle
23 souffert d'une quelconque forme de discrimination à Sarajevo ?
24 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Pas du tout.
25 Il y avait à Sarajevo quelque 42 % de Musulmans, 33 % de Serbes et quelque
Page 376
1 9 % de Croates et autres nationalités, mais jamais, pour ce qui est de
2 Sarajevo, et qu'il s'agisse de qui que ce soit, on n'a créé un malaise
3 quelconque de l'autre côté dans un autre milieu, que ce soit des Gitans,
4 des Tziganes ou ceux qui habitaient dans la ville ou dans les banlieues.
5 Avant la guerre, on a essayé de répandre ce sentiment de
6 malaise parmi les Serbes pour que ceux-ci commencent à se sentir un peu
7 mal à l'aise dans leur environnement immédiat. Evidemment, dans les
8 villages pratiquement serbes, il était plus facile d'essayer de le faire.
9 Il est une question d'avenir, à savoir d'imaginer comment ces différentes
10 populations mixtes pourront désormais vivre en commun, songer à une
11 cohabitation.
12 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Il n’y a pas eu de
13 conflit qui précédaient. Je pense à des conflits et à des accrochages de
14 quelque sorte que ce soit entre Serbes et Musulmans ?
15 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Non, jamais.
16 Même pendant la première et la deuxième guerre mondiale, il n'y a pas eu
17 de conflit interethnique au sein de la ville même.
18 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Quel a été l’élément
19 qui a déclenché ces hostilités ?
20 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Il s'agissait
21 de ces projets de la grande Serbie qui comprenaient, entre autres,
22 l'annexion d'une grande partie de la Bosnie à la Serbie.
23 Partout où les Serbes étaient majoritaires, dans le sens
24 absolu, ou relativement majoritaire, il fallait que tous les Serbes vivent
25 dans un même état et uniquement les Serbes. Ceci entraînait en quelque
Page 377
1 sorte l'expulsion de tous ceux qui ne voulaient pas se conformer à ce
2 genre de projet. Dans ce contexte, Sarajevo était envisagée comme une
3 enclave pour les non-Serbes qui serait comme Srebrenica et, au fil du
4 temps, connaîtrait ce sort.
5 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Nous avons pu voir
6 de nombreuses interviews données par M. Karadzic et portant sur Sarajevo,
7 mais le général Mladic a-t-il participé, de quelque manière que ce soit, à
8 l’opération du siège de Sarajevo ?
9 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Il était
10 commandant de toutes les armées des Serbes bosniaques. Il était celui qui
11 donnait les ordres. Par conséquent, rien sur le plan militaire ne pouvait
12 être exécuté sans les ordres du général Mladic. Les médias de la Republika
13 Srpska le répercutaient sans cesse et ce sont des faits bien connus, des
14 faits notoires.
15 M. Le Président. - Monsieur le Maire, une ou deux questions.
16 Durant ces quatre longues années, il y a eu beaucoup de négociations
17 autour de cessez-le-feu. Avez-vous participé personnellement à ces
18 négociations et quelle impression en avez-vous retirée, de sérieux ou pas
19 sérieux ? Quel est votre sentiment ?
20 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Au cours des
21 deux premières années de ce siège, j'ai fait partie de la Commission
22 devant s'occuper des problèmes d'approvisionnement en eau, en électricité
23 et à un échelon de technicien.
24 Tous nos accords étaient clairs et nets. En effet, l'eau, le
25 courant, le gaz, tous les services de première nécessité, indispensables,
Page 378
1 tout cela ne serait pas utilisé à des fins de guerre. Mais parfois ces
2 accords n'étaient pas honorés et, au fil du temps, des accords nouveaux
3 ont été conclus. Il est arrivé que je ne participe pas directement à
4 certaines concertations. Je le faisais alors par l'intermédiaire de mes
5 collaborateurs techniques, au niveau de ce que nous appelions "Commission
6 d'infrastructures" dirigée par les experts des Nations Unies, à l’échelle
7 de la ville de Sarajevo.
8 Je pense pouvoir dire que ces accords n'ont jamais été
9 intégralement respectés par le côté serbe. Ils n'avaient du reste même pas
10 l'intention, dirai-je, de les respecter. Ils voulaient être maîtres et se
11 définir comme étant les chefs de la situation.
12 M. Le Président. - Je voudrais vous poser une question sur le
13 statut de la ville dans le cadre des négociations de Dayton. Comment
14 s’applique ce statut ? Comment le voyez-vous ? Quel jugement portez-vous
15 sur le statut projeté dans l'avenir dans le cadre de ces négociations.
16 Quelle est l'opinion de vos compatriotes également ?
17 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Sarajevo est
18 l’une de ces quelques villes qui a su préserver sa structure
19 multiethnique, pluriethnique et un type de vie différent, urbanisé. C’est
20 ce que l’on a défendu pendant tout le siège de la ville.
21 D'après les accords de Dayton, Sarajevo est maintenue comme la
22 ville principale, la capitale de la Fédération, la capitale de l'Etat de
23 Bosnie-Herzégovine. Quand je dis "Fédération", je pensant à la Fédération
24 croato-musulmane.
25 Mais toutes les parties en présence ne se sont pas encore
Page 379
1 mises d'accord et je pense que l'on pourrait réfléchir d'ores et déjà à
2 cette idée de faire un canton de Sarajevo, dans le cadre des districts
3 dont le découpage est prévu par les accords de Dayton.
4 Il est essentiel, parlant de Sarajevo, que l'on assure le bon
5 fonctionnement des services essentiels, c’est-à-dire qu'ils commencent à
6 travailler comme ils le faisaient en temps de paix, dans des circonstances
7 normales. Dès lors, tous les problèmes, tout ce qui s’est déjà passé sera
8 vraiment du passé et relégué au passé.
9 M. Le Président. - Merci, monsieur le Maire. Je n’ai pas
10 d'autres questions. Les juges n'ont pas d'autres questions, ni le
11 procureur.
12 Le Tribunal tient à vous remercier. Il a été très sensible à
13 votre venue et à la difficulté que cela a dû représenter d’évoquer toutes
14 ces années.
15 Le Tribunal vous remercie. Il vous souhaite un bon retour et
16 surtout d'essayer de vous réinsérer dans la vie, le mieux possible. Merci,
17 monsieur.
18 Je crois que l'on peut raccompagner le témoin.
19 Monsieur le Procureur, désirez-vous prendre la parole
20 d’abord ?
21 M. Ostberg (en français). - Non merci.
22 M. Le Président. - Le premier jour de l'ouverture de cette
23 audience publique, concernant l'exposé public des charges pesant en l'état
24 du dossier sur les accusés Radovan Karadzic et Ratko Mladic, le Tribunal a
25 pris une décision que j’ai lue le premier jour et dont je rappelle qu’elle
Page 380
1 consiste à inviter à comparaître en qualité d'amicus curiae deux
2 personnalités.
3 Dans le déroulement des présentes audiences, le moment est
4 venu pour le Tribunal d'entendre l'exposé de madame Christine Cleiren.
5 Je rappelle que le Tribunal a demandé à Mme Christine Cleiren
6 de participer à cette audience en tant que membre de la Commission
7 d’experts, établie en vertu de la résolution 780 du Conseil de sécurité de
8 1992, à comparaître en qualité d’amicus curiae dans le cadre de ces débats
9 et de faire un exposé à la fois sur son expérience au sein de cette
10 Commission, et plus particulièrement sur la pratique du viol et des
11 sévices sexuels dans le cadre de la purification ethnique en Bosnie-
12 Herzégovine depuis 1990, et les conclusions de ladite commission sur ce
13 sujet.
14 A présent, j’invite Mme Cleiren à se présenter devant le
15 Tribunal. Monsieur l’huissier, vous pouvez faire venir Mme Cleiren. Nous
16 allons l'installer pour des commodités techniques et pratiques au banc des
17 témoins, mais en rappelant bien que Mme Cleiren a un statut d’amicus
18 curiae et non pas de témoin, ce qui aura pour conséquence que Mme Cleiren
19 n’aura pas à prêter serment.
20 Madame Cleiren, je ne vais pas répéter ce que je viens de
21 dire. Voilà comment va se présenter votre exposé.
22 Je vous rappelle que dans les règles du tribunal pénal
23 international, il existe un article 74 qui dit qu'une Chambre peut, si
24 elle le juge souhaitable dans l'intérêt d'une bonne administration de la
25 justice, inviter et autoriser tout Etat, toute organisation ou toute
Page 381
1 personne à faire un exposé sur toute question qu’elle juge utile.
2 Vous avez reçu la lettre vous invitant à venir faire cet
3 exposé. Le Tribunal tient à vous remercier d'avoir répondu à son
4 invitation.
5 Le découpage de notre séance concernant votre exposé va se
6 faire, en accord avec mes collègues, de la façon suivante : vous allez
7 vous présenter, dire quel a été votre parcours, dans quelles conditions
8 vous avez été désignée pour faire partie de la Commission d’experts
9 établie en vertu de la résolution 780 du Conseil de sécurité.
10 Ensuite, vous ferez l'exposé que vous estimez utile de faire
11 sur votre expérience et les conclusions de la Commission d’experts à
12 laquelle vous avez participé.
13 Puis vous ferez un exposé beaucoup plus central sur le point
14 qui a motivé la demande d'audition présente, c'est-à-dire -je vous le
15 rappelle- sur la pratique du viol et des sévices sexuels dans le cadre de
16 la purification ethnique en Bosnie-Herzégovine depuis 1992 et les
17 conclusions que vous avez pu tirer au sein de cette Commission ou vous
18 personnellement.
19 Ensuite, le Tribunal, qui est celui qui vous a demandé de
20 venir, vous posera -s'il le souhaite- des questions comme cela a été fait
21 pour le témoin cité par le procureur. Puis, bien entendu, je me tournerai
22 vers le banc du procureur pour demander à M. le procureur s'il a des
23 questions à vous poser.
24 Madame Cleiren, parlez bien entendu sans crainte, cela j'en
25 suis sûr, parlez de la façon la plus libre. Puisque c'est un exposé,
Page 382
1 sentez-vous libre. Vous êtes devant un tribunal pénal international,
2 c'est-à-dire devant une instance de Justice. Sentez-vous très à l'aise.
3 Nous vous écoutons.
4 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur
5 le Président. Je vais d'abord me présenter. J'enseigne le droit pénal aux
6 Pays-Bas, c'est mon métier habituel, mais j'ai été membre de la Commission
7 d'experts pendant huit mois, d'octobre 1993 à la fin du mandat de la
8 Commission.
9 J'ai été désignée membre de cette Commission, après que le
10 président de la Commission ait donné sa démission et qu'un autre membre de
11 la Commission soit décédé. C'est ainsi que j'ai été désignée membre de la
12 Commission avec un collègue.
13 Nous avons, au sein de cette Commission, partagé un peu le
14 travail et, en ce qui concerne ces tâches, il est important de savoir que
15 je n'ai pas été chargée explicitement des enquêtes en matière de sévices
16 sexuels ou d'étudier le problème de la violence sexuelle. C'est
17 M. Passouini(?), le président de la Commission, qui a été chargé de la
18 grande responsabilité des enquêtes dans ce domaine. En ce qui me concerne,
19 dans ce domaine particulier, j'ai été chargée de l'étude juridique qui a
20 été annexée au rapport final de la Commission.
21 Je vais essayer de vous donner un aperçu des activités de la
22 Commission des experts en ce qui concerne les sévices et la violence
23 sexuels, les viols et les conclusions de la Commission dans ce domaine.
24 La Commission a mis en oeuvre plusieurs approches en ce qui
25 concerne ces questions.
Page 383
1 Tout d'abord, la préparation d'une étude juridique de manière
2 à identifier les critères qui pourraient être utilisés pour l'application
3 des instruments du droit international humanitaire dans ce contexte.
4 Cette étude devait voir, d'une part, quelles étaient les
5 possibilités et, d'autre part, les contraintes auxquelles se heurte ce
6 droit dans son application à ce type tout particulier d'infractions. Je
7 reviendrai sur les questions juridiques par la suite.
8 Ensuite, la Commission a collecté de la documentation
9 factuelle, à partir de différentes sources : gouvernements, organisations
10 intergouvernementales, non gouvernementales, des groupements religieux,
11 des groupements de femmes, des individus à titre privé et les médias.
12 Par ailleurs, la Commission a mené des enquêtes sur le
13 terrain, interviewé des victimes, des témoins, en posant principalement
14 des questions afin de savoir si, oui ou non, il y avait une tactique
15 systématique dans le domaine de la violence sexuelle qui a été commise.
16 Je vous présenterai tout à l'heure les conclusions en matière
17 de viols et de sévices sexuels, ce qui a été indiqué dans le Rapport final
18 des Commissions et les conclusions en ce qui concerne la politique
19 systématique mise en oeuvre dans ce domaine, mettant en exergue certaines
20 caractéristiques communes à la plupart de ces cas.
21 Mais je voudrais également, d'entrée de jeu, émettre certaines
22 réserves et mettre en garde en ce qui concerne ces conclusions :
23 Tout d'abord parce que naturellement la Commission n'a pas eu
24 connaissance de tous les cas de violence sexuelle qui ont été commis et
25 ce, pour différentes raisons :
Page 384
1 - la Commission a fait son travail pendant le conflit ;
2 - nous savions, s'agissant de la violence sexuelle, qu'il est
3 très difficile de savoir ce qu'il en est exactement en temps de guerre
4 étant donné que les lois ne sont plus respectées, que l'ordre n'existe
5 plus et que les auteurs de ces crimes sont en général des soldats ;
6 - les victimes n'ont pas beaucoup confiance, elles ne pensent
7 pas qu'on pourra vraiment leur rendre justice, donc elles sont très
8 réticentes à faire connaître ces violences sexuelles ;
9 - les victimes et les témoins ont peur aussi des attaquants,
10 ils ont honte, sont humiliés par ce qui s'est passé et n'ont pas envie
11 d'en parler pour ne pas revivre l'expérience traumatisante.
12 En second lieu, les informations que la Commission a reçues
13 contenaient des allégations. Toutefois, la crédibilité et la fiabilité des
14 rapports reçus et des témoignages ne pouvaient pas être vérifiées par la
15 Commission pour différentes raisons, ce qui veut dire qu'il faut être
16 extrêmement prudent avant de tirer des conclusions en se fondant sur des
17 cas individuels et ce, en particulier pour les raisons suivantes :
18 - tout d'abord, des individus, tout comme des groupes, peuvent
19 être motivés par la vengeance politique ou personnelle ou par le souhait
20 d'encourager des groupes à faire connaître la violence sexuelle ;
21 - au fur et à mesure que le temps passe, il devient de plus en
22 plus difficile de distinguer ce qui est vrai de ce qui est exagéré et de
23 ce qui est inventé ;
24 - il est un phénomène bien connu -et, naturellement, on le
25 retrouve dans le cas de la Yougoslavie- que certaines personnes
Page 385
1 s'identifient avec les victimes d'une violence sexuelle extrême et qu'en
2 fait, elles font leur ce qu'elles ont entendu dire comme si c'était leur
3 propre expérience ;
4 - certains signes indiquent que la violence sexuelle dont ont
5 parlé les parties au conflit faisait partie de leur propagande ;
6 - enfin, très souvent les rapports ont été des rapports de
7 deuxième main, voire de troisième main, et très souvent ils étaient très
8 généraux.
9 Malgré tout cela, la Commission a des raisons de dire que les
10 sévices sexuels, la violence sexuelle et les viols ont été commis un peu
11 partout sur une grande échelle, et que c'était pour partie le fait
12 d'individus isolés ou de petits groupes qui n'agissaient pas sur ordres
13 dans le cadre d'une politique générale, et pour partie le résultat d'une
14 politique systématique adoptée dans ce domaine.
15 Ces scénarios qui se répètent, ces schémas de comportement,
16 l'effet cumulatif des caractéristiques que l'on retrouve dans toutes les
17 déclarations, qu'il s'agisse d'événements qui se sont produits à
18 l'intérieur ou à l'extérieur du contexte de détention et tous les rapports
19 et déclarations ont confirmé le point de vue de la Commission.
20 On peut identifier en fait cinq scénarios dans le domaine du
21 viol et des sévices sexuels. Je vous citerai dans ce domaine les
22 paragraphes 245 à 249 du rapport de la Commission.
23 Ces cinq schémas ou scénarios, qui émergent des cas dont il a
24 été fait rapport, identifient une violence sexuelle qui va de paire avec
25 le pillage et l'intimidation pendant le conflit et, en deuxième lieu, la
Page 386
1 violence sexuelle pendant la guerre, puis un troisième schéma la violence
2 sexuelle dans les camps, et quatrième schéma la violence sexuelle dans
3 certains camps consacrés au viol. Pour terminer, dans des bordels.
4 Je vais vous citer les paragraphes. Le premier schéma, c'est-
5 à-dire la violence sexuelle avec pillage et intimidation, est commis par
6 des individus et des petits groupes, et ceci avant l'éclatement du
7 conflit. Les tensions dans une région montent et les groupes ethniques qui
8 contrôlent cette région commencent à terroriser leurs voisins.
9 Deux ou trois hommes entrent dans une maison, intimident les
10 résidants, volent leurs biens, les battent et en général violent les
11 femmes.
12 Certains des viols dont nous avons eu connaissance ont été
13 uniques, dans d'autres cas multiples. C'est un peu une atmosphère de
14 bandes et tous les attaquants participent, même s'il n'y a pas abus sexuel
15 des victimes par tous.
16 En ce qui concerne le deuxième schéma, il s'agit d'individus
17 ou de petits groupes qui commettent des abus sexuels, mais dans le cadre
18 d'un conflit et souvent cela implique le viol de femmes en public.
19 Lorsque les forces attaquent une ville ou un village, les
20 populations sont rassemblées et séparées par sexe et par âge. Les femmes
21 sont violées dans leur maison au fur et à mesure que les forces
22 attaquantes prennent la région. D’autres femmes sont choisies, rassemblées
23 et violées publiquement. La population du village est ensuite transportée
24 dans des camps.
25 Le troisième schéma, ce sont en général des individus ou des
Page 387
1 groupes qui commettent des sévices sexuels dans les camps, parce qu'ils y
2 ont accès. En général, c'est lorsque la population d'un village a été
3 rassemblée, que les hommes sont exécutés ou envoyés dans des camps et que
4 des femmes sont envoyées dans des camps spécialement réservées pour elles.
5 Les soldats, les gardes, les paramilitaires, les civils sont
6 autorisés à entrer dans les camps, à choisir des femmes, soit à les
7 emmener avec eux pour les violer et, soit à les tuer ensuite, soit à les
8 ramener au camp.
9 Les rapports des survivants ont parlé de femmes qui avaient
10 été ainsi sorties des camps seules ou d'autres en groupe. C'est donc un
11 schéma très général, mais il y a également des allégations selon
12 lesquelles des femmes auraient été violées devant d'autres détenus ou
13 d'autres détenus étaient obligés de les violer devant les autres.
14 Au cours des interviews, quinze personnes ont été interviewées
15 concernant des allégations relatives au même camp de détention. Certains
16 des témoins étaient des hommes et toutes les femmes ont été victimes de
17 viol.
18 En général, ces viols se font en présence du commandant du
19 camp. Les gardes qui font partie de la sécurité autour du camp et des
20 soldats étrangers au camp ont l'autorisation d'accéder au camp aux fins de
21 viol.
22 Dans le quatrième schéma, il s'agit là d'individus ou de
23 groupes qui commettent des violences sexuelles contre les femmes, afin de
24 terroriser et d'humilier celles-ci. Ceci fait partie de la politique de
25 nettoyage ethnique. Les survivants de certains camps ont fait savoir
Page 388
1 qu'ils pensaient avoir été détenus aux fins d'être violés. Dans ces camps,
2 les femmes sont violées très fréquemment et en général devant d'autres
3 détenues, ceci étant généralement accompagné de passage à tabac et de
4 torture.
5 Certains des auteurs de ces crimes veulent par là imprégner
6 les femmes. Les femmes enceintes sont détenues jusqu'à ce qu'il soit trop
7 tard pour qu'elles puissent se faire avorter.
8 Le sixième schéma se rapporte aux violences sexuelles dans des
9 bordels. Les femmes sont détenues dans des hôtels ou dans de petites
10 unités tout simplement pour amuser les soldats. Il ne s'agit pas là de
11 provoquer des réactions chez les femmes. Ces femmes sont plutôt souvent
12 tuées plutôt qu'échangées, au contraire de ce qui se passe dans les autres
13 camps.
14 Une femme qui a été interviewée a été détenue dans une maison
15 privée avec un certain nombre d'autres femmes et ce pendant six mois. Les
16 femmes étaient d'origine ethnique mixte. Toutes les femmes étaient violées
17 lorsque les soldats rentraient du front, tous les quinze jours. On a dit à
18 ce témoin que les femmes devaient le faire parce que les femmes dans les
19 autres camps étaient épuisées.
20 Voilà les cinq schémas de comportements qui ont été identifiés
21 par la Commission à partir de toute la documentation reçue.
22 Pour résumer, on peut dire que la violence sexuelle semble
23 avoir été pratiquée sur une grande échelle. Parmi les cas de viols et de
24 sévices sexuels qui ont été portés à la connaissance de la Commission, on
25 s'est rendu compte que la plupart du temps c'était le résultat du
Page 389
1 comportement d'individus ou de petits groupes, dans certains cas sans
2 instruction, parfois comme faisant partie d'une politique très générale.
3 Cette conclusion se fonde sur le fait que les informations
4 reçues par la Commission au sujet de la violence sexuelle en Bosnie-
5 Herzégovine indiquent que cette pratique était très généralisée. Quatre-
6 vingt villes et villages auraient été le site de viols, et environ trente
7 villes ou villages ont connu ce qu'on peu appeler du viol à grande
8 échelle.
9 Mais cela ne se limite probablement pas à ces seuls trente
10 villes et villages. Certains facteurs indiquent qu'il y a un lien très
11 étroit entre l'action militaire et le viol systématique, particulièrement
12 lorsque les actions militaires visent à déplacer des populations.
13 Il semble également que le viol organisé ait été pratiqué dans
14 différents lieux très disparates, et pendant une brève période, entre le
15 printemps et l'automne 1992.
16 Par ailleurs, il semble que le viol systématique aille de pair
17 avec d'autres violations du droit international humanitaire dans les mêmes
18 régions. On constate ces comportements de non-respect dans les camps, au
19 front, dans les zones occupées, par exemple dans les camps de détention où
20 des scènes de tueries et de tortures ont eu lieu. Ont également eu lieu
21 des scènes de viol systématique.
22 On poursuit, dans le Rapport final de la Commission, en
23 indiquant les caractéristiques communes qui ont été identifiées dans les
24 cas portés à la connaissance de la Commission, qu'il se soient produits
25 dans le cadre de camps ou non (Cf. paragraphe 250).
Page 390
1 Les viols semblent se produire dans le cadre des efforts faits
2 pour déplacer certains groupes ethniques déterminés de la région. Ceci
3 implique, en fait, un renforcement du sentiment de honte et d'humiliation
4 des victimes qui sont violées devant des adultes ou des mineurs de la
5 famille, ou devant d'autres détenus, dans des endroits publics, ou le fait
6 de forcer les membres de la famille à se violer mutuellement. Les jeunes
7 femmes et les vierges tout particulièrement sont les cibles du viol, ainsi
8 que les notables de la communauté et les femmes instruites. Il s'agit, en
9 fait, de faire en sorte que les victimes et leur famille ne souhaitent
10 jamais revenir dans ces zones. Les auteurs de ces crimes disent aux femmes
11 qu'elles doivent porter des enfants du groupe ethnique de l'auteur du
12 crime, qu'elles doivent tomber enceinte, et ils les détiennent jusqu'à ce
13 qu'il soit trop tard pour un avortement. Par ailleurs, ils terrorisent les
14 victimes en leur interdisant de raconter ce qui s'est passé, sous peine
15 d'être tuées.
16 Des groupes importants d'auteurs de ce type de crimes
17 commettent des viols multiples et exercent des sévices sexuels à
18 l'intérieur des camps. Ils viennent la nuit avec des torches, choisissent
19 les femmes et les ramènent le matin. Les commandants des camps sont au
20 courant et parfois participent à ces violences sexuelles. Par ailleurs,
21 des objets comme des bouts de verre, des bouteilles, des canons de fusil,
22 des bâtons sont utilisés pour pratiquer des violences sexuelles sur les
23 femmes et des castrations et il est même parfois procédé à la castration
24 en forçant les détenus à mordre les organes génitaux des autres
25 prisonniers.
Page 391
1 En fait, on s'est rendu compte qu'il y avait de très grandes
2 similitudes dans les pratiques dans des régions qui n'étaient pas proches
3 les unes des autres, et qu'il y avait systématiquement violation du droit
4 humanitaire, ceci concomitamment avec des activités militaires visant à
5 déplacer des populations civiles. Dans ce cadre, on recourait également au
6 viol et aux sévices sexuels pour renforcer le sentiment de honte et
7 d'humiliation non seulement des victimes, mais de la communauté à laquelle
8 elles appartenaient. L'existence de ces éléments suggère qu'il existait
9 une politique systématique de viol et de sévices sexuels.
10 En ce qui concerne les conclusions générales de la Commission
11 dans ce domaine, je citerai les paragraphe 251 à 253. Toutes les parties
12 au conflit ont pratiqué le viol, mais ce sont principalement les Serbes
13 qui ont commis ces viols contre le groupe ethnique des Musulmans.
14 Paragraphe 252. En Bosnie, certains des cas de viol et de
15 sévices sexuels qui ont été portés à notre connaissance ont été commis par
16 des Serbes principalement contre les Musulmans. Tout cela semble faire
17 partie d'une politique générale dont les caractéristiques comportent des
18 similitudes avec les pratiques dans des zones géographiques non contiguës
19 et d'autres caractéristiques communes que j'ai déjà mentionnées.
20 Le paragraphe 253 indique que ces schémas suggèrent qu'il y
21 avait politique de viol systématique dans certaines régions, mais il
22 faudrait encore prouver que cette politique générale existait et était
23 appliquée à tous les non-Serbes. Il est clair qu'à un certain niveau de
24 l'activité des groupes et dans leurs instructions, il y avait la nécessité
25 de procéder à des viols. De plus, il faut replacer cela dans le contexte
Page 392
1 du "nettoyage ethnique", ce qui est abordé aux paragraphes 129 à 150,et
2 des pratiques dans les camps de détention dont il est question au
3 paragraphe 230. Replacé dans ce contexte, il est clair que de graves
4 infractions aux Conventions de Genève ont été commises, ainsi que d'autres
5 violations du droit international humanitaire.
6 Un élément important dans la conclusion de la Commission est
7 qu'une partie de la violence sexuelle ne peut être comprise que dans le
8 contexte des pratiques dans les différents camps et liée au concept
9 beaucoup plus vaste du nettoyage ethnique.
10 Je vais maintenant citer une partie des paragraphes 133 et 134
11 qui portent sur le nettoyage ethnique.
12 "La façon dont la politique du nettoyage ethnique est menée
13 par les Serbes en Bosnie est cohérente par le fait qu'une certaine région
14 géographique représentée par un arc va du Nord de la Bosnie, recouvre des
15 parties de la Bosnie orientale et occidentale touchant la zone serbe de
16 Krajna, en Croatie. La pratique de nettoyage ethnique a été menée dans les
17 régions stratégiques reliant les parties serbes, mais habitées par des
18 non-Serbes en Bosnie et en Croatie.
19 Ce facteur stratégique est très important pour comprendre la
20 politique menée dans certaines zones et pas dans d'autres. Les moyens de
21 coercition utilisés pour déplacer les populations civiles dans ces zones
22 stratégiques comprennent les meurtres de masse, la torture, le viol et
23 autres formes de violences sexuelles".
24 Grâce aux médias internationales, l'attention de la Communauté
25 internationale a pu être attirée sur la pratique des violences sexuelles
Page 393
1 et du viol dans l'ancienne Yougoslave, fin de 1992. Le nombre de rapports
2 que nous avons obtenus sur les viols systématiques a considérablement
3 diminué en 1993. En été 1993, nous n'avons eu connaissance que de quelques
4 cas.
5 Ce facteur semblerait indiquer, selon la Commission, la
6 capacité des leaders d'empêcher de telles pratiques lorsque la pression de
7 la Communauté internationale ou du public est telle qu'il convient de ne
8 pas mener de telles pratiques. Ceci est important du point de vue de la
9 responsabilité du commandement.
10 Ici, j'attire votre attention sur le paragraphe 237 qui se
11 termine sur le fait que cette conclusion pourrait montrer que
12 l'utilisation de viol a été une méthode du nettoyage ethnique plutôt
13 qu'une politique de mission tolérant le viol
14 En ce qui concerne les camps, il est important de savoir que
15 la Commission a reçu des informations très détaillées sur ces camps de la
16 République Serbe bosniaque. Ces camps avaient pour but de réaliser le
17 nettoyage ethnique. On peut ainsi expliquer une grande partie de la
18 violence sexuelle du fait qu'elle s'est produite dans les camps.
19 S'agissant de la pratique dans les camps de détention, il faut
20 se reporter aux paragraphes 223 à 230.
21 Au paragraphe 132, la Commission, s'agissant du nettoyage
22 ethnique, indique que la responsabilité ne doit pas être vue seulement au
23 niveau individuel et attirer l'attention sur la responsabilité du
24 commandement. En effet, certains commandants avaient ordonné très
25 clairement que des viols et des violences sexuelles soient pratiquées.
Page 394
1 Là, la responsabilisé du commandement est claire. Parfois, le
2 commandement a omis d'interdire ce genre de pratique. Ceci est en
3 violation avec le devoir du commandement et donc une violation de droit
4 international
5 On peut retrouver cela sur toute la chaîne de commandement. Il
6 est clair qu'il y a eu omission systématique pour empêcher ce genre d'acte
7 et omission de punition des auteurs de ces crimes.
8 Je m'arrête là. Je voulais vous donner la position de la
9 Commission et vous expliquer sur quelle documentation, celle-ci s'est
10 fondée pur arriver à ces conclusions. Je pense qu'il vaut mieux que je
11 m'en tienne là pour l'instant.
12 M. le Président. - Madame, dans le souci de ne pas rompre
13 l'homogénéité et la cohérence de votre exposé, qui est maintenant terminé,
14 le Tribunal a décidé de procéder à la pause que nous faisons tous les
15 matins à peu près en milieu de matinée des audiences. Nous reprendrons
16 avec vous à 11 heures 30 pour vous poser un certain nombre de questions.
17 L'audience, suspendue à 10 h 10, est reprise à 11 h 35.
18 M. le Président. - L'audience est reprise, veuillez vous
19 asseoir. Comme je l'avais annoncé avant la pause, le Tribunal souhaite
20 vous poser quelques questions. Je donne la parole à ma collègue, Mme le
21 Juge Odio-Benito.
22 Madame le Juge, vous avez la parole.
23 Mme Odio Benito interprétation de l'anglais). - Professeur
24 Cleiren, avez-vous écrit et publié des articles relatifs au viol et à
25 d'autres formes de violences sexuelles ?
Page 395
1 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - J'ai participé à
2 la rédaction de l'annexe du rapport de la Commission, l'annexe 2. Il
3 s'agit d'une étude juridique concernant le viol. J'ai également écrit un
4 article dans le journal de Droit pénal concernant l'applicabilité d'un
5 certain nombre d'articles de la Convention de Genève portant sur les
6 crimes contre l'humanité.
7 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Professeur
8 Cleiren, est-il permis de penser que le scandale provoqué par les viols de
9 masse des femmes a été l'un des éléments principaux qui a contribué à la
10 création de la Commission d'experts ?
11 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Je ne pense pas
12 disposer de suffisamment d'informations pour vous répondre précisément sur
13 ce point.
14 Dans le rapport de la Commission, il est stipulé au paragraphe
15 142, je cite : "Il existe suffisamment d'éléments de preuve pour conclure
16 que la pratique du nettoyage ethnique n'a pas été le fait du hasard, n'a
17 pas été sporadique et n'a pas été le fait de groupes d'hommes non
18 contrôlables par les dirigeants serbes". Fin de citation
19 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Comment la
20 Commission est-elle arrivée à cette conclusion et quel est le rapport
21 entre les violences sexuelles et le nettoyage ethnique ?
22 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais. - J'ai tenté de
23 répondre clairement à cette question, mais ce n'est pas chose facile.
24 C'est d'ailleurs ce que j'ai tenté de montrer dans mon exposé.
25 S'agissant du nettoyage ethnique, j'ai évoqué un certain
Page 396
1 nombre d'aspects relatifs aux facteurs stratégiques dus au fait que le
2 nettoyage ethnique a été pratiqué dans des régions déterminées, à savoir
3 des régions de Serbie limitrophes, des régions peuplées par les Serbes en
4 Bosnie. Cet aspect stratégique est important sur le plan politique et
5 intervient également dans les sévices sexuels.
6 Outre cela, la brutalité avec laquelle ces actes de violences
7 ont été commis est importante. Cela ressort d'un grand nombre de viols et
8 autres formes de violences sexuelles. La complexité de ce schéma indique
9 qu'il y avait au moins une tentative de politique organisée.
10 Cela étant, à mon avis, il est difficile de dire quels
11 éléments de preuve et combien d'éléments de preuve sont nécessaires pour
12 affirmer que cela faisait partie d'une politique de nettoyage ethnique.
13 La stratégie utilisée, la brutalité associée à cette
14 stratégie, figure toutefois dans un grand nombre de rapports et dans un
15 très grand nombre de déclarations de nature comparable.
16 Tous ces rapports semblent donc indiquer qu'il existait bien
17 une politique, ou en tout cas un élément de politique.
18 Ensuite, vous m'avez demandé comment le viol peut être associé
19 à la pratique du nettoyage ethnique. Il est permis d'affirmer que le viol
20 a été utilisé non seulement comme attaque contre l'individu, mais dans le
21 but d'intimider et de créer la honte dans un groupe ethnique complet.
22 Les viols étaient souvent pratiqués en public, devant une
23 habitation, par exemple, sur des femmes âgées ou des jeunes filles, de
24 jeunes enfants, et notre rapport indique également que les violences
25 sexuelles et le viol avaient pour but de contraindre les gens à fuir la
Page 397
1 région. De ce point de vue, il est possible de dire qu'il y a un lien avec
2 le nettoyage ethnique.
3 Un autre argument réside dans le fait que les auteurs de ces
4 crimes déclaraient aux victimes que celles-ci étant détenues ne pourraient
5 pas avorter.
6 Il a également été rapporté fréquemment qu'il était dit aux
7 femmes qu’elles auraient des enfants de la nationalité du groupe ethnique
8 de l’auteur du crime et que ces enfants vivraient les conséquences de la
9 guerre en cours.
10 Certains auteurs de ces crimes ont déclaré qu'ils avaient été
11 contraints au viol et si l'on tient compte de tous ces arguments, il est
12 permis de dire que le viol faisait partie du nettoyage ethnique.
13 Mme Odio-Benito (interprétation de l’anglais). - Selon votre
14 avis d'expert, à quel point la pratique du viol en Bosnie-Herzégovine
15 était-elle généralisée ?
16 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Elle était très
17 généralisée. Selon les informations que nous avons obtenues, 80 villages
18 et villes ont été le site de viols fréquents. Ces villages et villes se
19 répartissent dans toute la région, mais plus spécialement dans les zones
20 stratégiques dont j'ai parlé, c'est-à-dire les zones limitrophes de la
21 Serbie comme la Krajina.
22 Mme Odio-Benito. (interprétation de l’anglais). - Le viol et
23 les violences sexuelles sont-ils nécessairement associés au nettoyage
24 ethnique ?
25 Mme Cleiren (interprétation de l’anglais). - Je pense que
Page 398
1 c'est le cas. La Commission a déclaré également qu’il y avait des cas de
2 violences sexuelles qui ont même été pratiquées en dehors de la politique
3 de nettoyage ethnique.
4 Dans certains cas, il n'est pas possible d'établir le lien
5 avec un parti, un groupe de soldats déterminé ou un groupe paramilitaire
6 déterminé. Dans d'autres cas, ce lien est manifeste, mais j'ai tenté de
7 vous donner des informations concrètes au sujet d'un certain nombre de cas
8 où les soldats pénétraient dans un village, emmenaient les hommes en
9 laissant sur place les femmes, les personnes âgées et les enfants. Un
10 certain nombre de ces femmes étaient alors violées, non seulement par les
11 soldats, mais également par des habitants du lieu. Il est difficile de
12 dire que c'était là le résultat d'un plan, mais c'est bien une situation
13 réelle.
14 Il est donc sans doute permis de dire qu'il y a également eu
15 des cas de viols individuels. Il est permis de penser qu’ils ont été le
16 fruit de la destruction de la loi et de l'ordre.
17 Mme Odio-Benito (interprétation de l’anglais). - Professeur
18 Cleiren, outre la pratique du viol en tant qu'élément du nettoyage
19 ethnique en Bosnie-Herzégovine, pouvez-vous nous dire brièvement quelle
20 est l'histoire des femmes dans les conflits armés s'agissant du viol ?
21 Mme Cleiren (interprétation de l’anglais). - Pouvez-vous
22 répéter votre question ?
23 Mme Odio-Benito (interprétation de l’anglais). - Je vous
24 demandais si vous pourriez, en tant que témoin expert, dire brièvement
25 quelle est l'histoire des femmes dans les conflits armés, sous l'angle du
Page 399
1 viol plus particulièrement.
2 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Dans le cours des
3 guerres, le viol est quelque chose qui se produit. Il est difficile de
4 dire clairement si le viol est toujours un facteur ou un instrument de la
5 guerre. Le fait que ce soit impossible à affirmer est le résultat des
6 enquêtes menées au sujet du viol au cours des conflits de l'Histoire, mais
7 on peut affirmer sans crainte de se tromper que le viol survient
8 fréquemment au cours des conflits armés.
9 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Dans votre
10 expérience, professeur Cleiren, dans quelles conditions le viol peut-il
11 être considéré comme une infraction grave aux conventions de Genève au
12 cours d'un conflit ?
13 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Pouvez-vous
14 répéter votre question ?
15 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Dans quelles
16 conditions, dans le cadre d'un contexte de guerre, le viol peut-il être
17 considéré comme une infraction grave aux conventions de Genève ?
18 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- D'abord il est
19 important de noter bien entendu que ce conflit doit être de nature
20 internationale. En dehors de cela, je suppose qu'il est permis de
21 considérer le viol comme une infraction grave, et je pense qu'il est
22 important de reconnaître le viol comme une infraction grave aux
23 conventions de Genève. Quant aux conditions dans lesquelles cela peut se
24 faire, elles dépendent de l'interprétation de l'expression "infraction
25 grave". Je suppose que le débat serait trop complexe pour développer tous
Page 400
1 les arguments ici.
2 J'ai tenté de le faire pour ma part dans l'article que j'ai
3 écrit dans Le Jour dont j'ai parlé tout à l'heure, et si vous le
4 souhaitez, je peux vous communiquer cet article.
5 J'essaie de répondre, mais ce n'est pas facile. Je pense qu'il
6 est important que les cas de viols, individuels notamment, soient
7 poursuivis et sanctionnés par application des dispositions relatives aux
8 infractions graves, surtout parce que ces cas sont difficiles à faire
9 rentrer dans le cadre des crimes contre l'humanité qui ne concernent que
10 les cas plus généralisés. Les infractions graves sont, me semble-t-il,
11 plus facile à prouver, et je pense qu'il peut être utile de traiter ces
12 cas dans le cadre des infractions graves.
13 Il y a également un point de principe qui intervient
14 s'agissant du lien à établir entre ces viols et les infractions graves,
15 car c'est une manière de reconnaître la qualification du viol en cas de
16 guerre. De ce point de vue, je pense également qu'il est important de
17 reconnaître que le viol est une infraction grave, la même chose
18 s'appliquant aux violations des lois ou coutumes de la guerre.
19 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Je n'ai plus
20 d'autres questions.
21 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Professeur Cleiren,
22 vous avez évoqué cinq schémas concernant la pratique du viol. L'un de ces
23 schémas ne peut pas résulter d'une activité individuelle. Je veux parler
24 du viol destiné à établir le nettoyage ethnique. Vous avez parlé
25 d'intimidations, de pillages, etc., tout cela peut avoir déjà eu lieu dans
Page 401
1 des conflits antérieurs, et peut être le résultat d'une activité
2 individuelle. Mais diriez-vous que le nettoyage ethnique est le résultat
3 d'une politique générale due des autorités de commandement supérieur ?
4 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Si j'ai bien
5 compris votre question, vous me demandez...
6 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Souhaitez-vous que je
7 répète ma question ?
8 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Oui, peut-être,
9 s'il vous plaît.
10 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Vous avez évoqué un
11 certain nombre de schémas relatifs au viol qui peuvent être liés à une
12 politique de commandement supérieur, mais pouvez-vous dire que le viol
13 destiné à établir le nettoyage ethnique peut également être le résultat
14 d'une activité individuelle ou est-ce que ce schéma doit toujours être le
15 résultat d'un commandement supérieur ?
16 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Je crois qu'il est
17 important de constater que le viol, même s'il n'y a pas de commandement
18 supérieur peut tout de même être une forme de nettoyage ethnique, dans les
19 camps notamment, parce que dans les camps, des hommes étaient autorisés,
20 dans certain cas, à pénétrer dans ces camps et à violer les femmes, le
21 commandant de ces camps n'empêchant pas ce type de conduite, et ne
22 sanctionnant pas ce type de comportement. Si l'on remonte la hiérarchie du
23 commandement, je pense donc qu'il est de plus en plus facile, plus on
24 monte, d'empêcher ces crimes à grande échelle.
25 M. Riad (interprétation de l'anglais).- L'une des formes du
Page 402
1 nettoyage ethnique dont vous avez également parlé, consistait à faire
2 naître des enfants du même groupe ethnique que les auteurs du viol ? Il
3 s'agit donc d'une tentation destinée à modifier le caractère ethnique
4 d'une population. Est-ce-que cela peut résulter d'une activité
5 individuelle ou, sur la base de votre enquête, pouvez-vous affirmer qu'il
6 s'agit d'une politique systématique ?
7 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Je peux répondre
8 oui aux deux aspects de votre question. La Commission n'a pas disposé
9 d'informations suffisantes pour vérifier tous les témoignages, comme je
10 l'ai dit tout à l'heure. Je pense pouvoir dire que les deux ont sans doute
11 eu lieu. Des indications existent selon lesquelles la chaîne de
12 commandement était impliquée, un plan existait, cela est important et pour
13 cela, il faut que je parle néerlandais.
14 (L'orateur poursuit en néerlandais).
15 Cela se rapporter aux problèmes d'héritage, aux problèmes de
16 la descendance, de la succession. Pour autant que nous ayons pu le
17 constater, faire naître un enfant d'un autre groupe ethnique a pour
18 résultat automatique que l'enfant sera du groupe ethnique du père.
19 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Y a-t-il également eu
20 des viols d'hommes ou les viols étaient-ils spécialement destinés aux
21 femmes ?
22 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Des viols de
23 personnes des eux sexes ont été rapportés, mais les viols de femmes ont
24 été plus nombreux. On peut constater que le nombre de victimes femmes est
25 plus important, notamment en raison de l'existence de camps de détention
Page 403
1 spécialement destinés aux femmes. Il y a, deux types de camps de détention
2 dont des camps spécialement destinés aux femmes, où les cas de viols
3 rapportés ont été nombreux. Mais il y a également eu des hommes violés, il
4 y a également eu des hommes qui ont été victimes de violences sexuelles
5 très graves.
6 M. le Président. - Madame, avant de me tourner moi-même vers
7 le procureur, je voudrais vous poser quelques questions. Vous n'avez pas
8 vous-même été directement sur le terrain je crois ? En tout cas pas dans
9 le cadre d'enquête sur les viols.
10 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Je n'ai pas
11 compris votre question.
12 M. le Président. - Je voulais d'abord m'assurer que vous
13 n'avez pas été directement sur le terrain pour enquêter sur les viols
14 vous-même ?
15 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Non, je n'ai pas
16 été sur place. J'étais présente à Zagreb pendant une partie du travail
17 d'enquête, et j'ai assisté également à un certain nombre de dépositions de
18 témoins au sujet de viol. Mais je n'étais pas moi-même sur le terrain, ma
19 mission consistant uniquement à faire respecter les règles établies par la
20 Commission et à vérifier que tout se passait correctement dans le cadre du
21 travail de la Commission à Zagreb.
22 M. le Président. - C'était la précision que je voulais
23 obtenir et je peux vous poser maintenant ma question. Est-ce-que dans ce
24 cadre, au moment de la rédaction du rapport, vous dites vous-même que vous
25 avez entendu des témoins et vous avez donc discuté avec vos collègues de
Page 404
1 la Commission, vous avez entendu des témoins. Quel est le sentiment
2 général qui est ressorti de tout cela, quelle est votre impression ? Est-
3 ce le problème majeur de la guerre en ex-Yougoslavie cet aspect sexuel,
4 cet aspect de viol, cet aspect de purification ethnique, ou vous avez
5 l'impression que c'est une cruauté, une barbarie parmi d'autres ? Quel est
6 votre sentiment général, après avoir entendu vos collègues, après avoir
7 entendu des témoins ?
8 Je ne vous demande pas de me dire ce qui a été écrit dans le
9 rapport de la Commission nationale, mais de me donner votre propre
10 conclusion des faits ?
11 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Mon expérience
12 personnelle, lors de l'audition des victimes, est que ces victimes ne
13 distinguaient pas leur propre expérience, les événements survenus. Ces
14 victimes n'en faisaient pas quelque chose de spécial, de particulier,
15 elles l'intégraient à la violence globale de la partie adverse. Elles n'en
16 faisaient pas un élément distinctif. Et si elles ne souhaitaient pas en
17 faire un élément distinctif, c'est donc qu'elles ne souhaitaient pas
18 séparer leur expérience personnelle de celle des autres victimes et des
19 autres actes de violence.
20 Tel est le résultat de mon expérience personnelle auprès des
21 victimes.
22 La Commission a considéré les violences sexuelles et le
23 problème du viol comme un problème important. Or, le fait de considérer
24 cela de cette façon a sans doute été dû à l'intérêt important suscité par
25 tous ces événements après la publication d'un grand nombre de documents
Page 405
1 concernant le viol. C'est donc là l'un des éléments principaux pour
2 lesquels la Commission a donné la priorité à l'équipe chargée de ce sujet.
3 S'agissant des autres violations de droits qui ont eu lieu,
4 meurtres et autres formes de violence, je crois pouvoir dire que le viol
5 n'est pas inférieur, mais il revêt la même nature violente que les autres
6 actes, tels que tortures, assassinats, etc. C'est en tout cas l'expérience
7 des victimes. Pour elles, c'est une des choses qui leur sont arrivées.
8 M. le président. - Je voudrais poser une seconde question,
9 madame le professeur. Est-ce que votre Commission ou vous-même avez eu, à
10 un moment quelconque de vos travaux, connaissance de protestations qui
11 auraient été émises par les autorités religieuses, les autorités
12 médicales, les autorités morales, les intellectuels, les écrivains ? Est-
13 ce qu'il y a eu un débat ? Avez-vous eu le sentiment que quelqu'un, ou une
14 religion ou des autorités morales, se soit exprimé sur cet aspect du
15 conflit durant les longues années qu'il a duré ?
16 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - De nombreux
17 groupes, de nombreuses institutions également ont publié des rapports
18 suite à leurs propres enquêtes sur les violences sexuelles et le viol. Ces
19 groupes et institutions ont exprimé... Je continue en néerlandais si vous
20 me le permettez.
21 (L'orateur poursuit en néerlandais.)
22 Un grand nombre d'organisations, un grand nombre de victimes
23 également, ont pris contact avec des organisations et ont informé la
24 Commission de leurs préoccupations et du fait qu'elles étaient atterrées
25 par ce qui se passait. Un grand nombre d'organisations ont agi pour donner
Page 406
1 une grande publicité à l'existence de ces actes de violence sexuelle,
2 notamment en Bosnie-Herzégovine.
3 En Bosnie-Herzégovine notamment, des organisations ont pris
4 soin des victimes, mais ce n'était possible que pour autant que celles-ci
5 étaient prêtes à se déclarer comme victimes. Dans ce cas, des
6 organisations religieuses s'en occupaient, lesquelles organisations
7 religieuses ont informé la Commission sur la base des témoignages qui leur
8 avaient été fournis.
9 M. le président. - J'entends bien, madame. Ma question,
10 permettez-moi d'insister, était de savoir si en Serbie, du côté serbe -et
11 j'aurais peut-être dû le préciser-, il y a eu une protestation. A-t-on
12 entendu dire que des évêques, des religieux importants, des écrivains,
13 autour uniquement du problème du viol ... parce qu'on peut formuler des
14 idées politiques, des schémas politiques constitutionnels pour son pays,
15 mais là n'est pas ma question.
16 Elle porte sur cet aspect-là : votre Commission a-t-elle eu
17 vent de gens qui, de par leur autorité morale, médicale, sanitaire, ont
18 dit : "Ça, ce n'est pas possible !", ou est-ce que vous n'avez pas eu écho
19 de cela ?
20 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Vous voulez
21 parler du côté serbe ?
22 M. le président. - Oui, par exemple.
23 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Du côté des
24 Serbes, nous n'avons pas eu connaissance d'une réaction quelconque. Ils
25 ont essayé de nier ce qui a été rendu public. Du moins je ne suis pas
Page 407
1 informée personnellement qu'il y ait eu de telles protestations. En tout
2 cas, nous n'avons reçu aucun rapport et il n'y a pas eu d'opposition...
3 Mme Odio-Benito (interprétation de l’anglais). - Nous n'avons
4 pas de traduction.
5 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Je répète. Pour
6 autant que je sois bien informée, nous n'avons reçu aucune réaction,
7 c'est-à-dire qu'on n'a pas nié que les choses soient véritables, il n'y a
8 pas eu opposition ou on n'a pas dit qu'on allait s'opposer à ce que se
9 reproduisent de telles pratiques.
10 La seule chose que nous savons, c'est que lorsque une grande
11 publicité a été donnée entre avril 1992 et décembre 1992 à ces crimes, le
12 nombre de rapports que nous avons reçus concernant les viols et les
13 violences sexuelles a beaucoup diminué. C'est ce qui a incité la
14 commission à en conclure que la publicité qui avait été faite avait eu des
15 conséquences et qu'elle avait même eu un effet sur les ordres qui avaient
16 été donnés.
17 M. le président. - Merci, madame. Je n'ai pas d'autres
18 questions. Je voulais simplement vous dire que le Tribunal avait inscrit
19 dans sa décision que si vous le souhaitiez, vous pouviez déposer tous
20 documents écrits, tous rapports ou éléments de rapport que vous jugeriez
21 opportun à l'appui de votre exposé.
22 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Je souhaiterais
23 effectivement remettre certains documents. D'ailleurs, vous en avez déjà
24 reçu une partie. Je voudrais tout d'abord vous remettre l'annexe au
25 rapport de la commission sur le viol et les sévices sexuels. Il s'agit de
Page 408
1 cette étude juridique dont je vous ai déjà parlé.
2 Je voudrais également vous remettre des rapports émanant
3 d'autres organisations qui avaient été mandatées par les Nations Unies
4 pour faire des enquêtes ou des études sur le viol.
5 Voulez vous savoir exactement la liste de ces documents ou
6 puis-je remette l'ensemble des documents à l'huissier ? Voulez-vous savoir
7 exactement ce qu'il y a dans ce dossier ?
8 M. le président. - Est-ce que la liste est longue, madame ?
9 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Non.
10 M. le président. - Alors vous allez annoncer la liste pour que
11 le tribunal décide si cela doit être joint au dossier.
12 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Je vous
13 remettrai donc certaines parties de l’annexe 2 (études juridiques du
14 rapport sur le viol et les violences sexuelles) du rapport final de la
15 commission, un rapport fait par le Conseil de sécurité émanant de la
16 mission de (âme d'heures tonnes) (?). C'est une commission qui a été créée
17 par la Communauté européenne. Dans ce rapport, on fait également une
18 analyse de la situation dans l'ancienne Yougoslavie.
19 Puis je vous remettrai une partie du rapport de la commission
20 des Droits de l'Homme sur les violations des Droits de l'Homme et des
21 libertés fondamentales concernant le viol et les violences sexuelles
22 pratiqués sur les femmes.
23 Je remettrai également l'annexe du rapport sur la situation
24 sur les territoires de l'ancienne Yougoslavie, rapport de Mazowiecki.
25 Enfin, je remettrai l'article que j'ai rédigé dans le forum de
Page 409
1 Droit pénal concernant l’applicabilité de certains des articles du statut.
2 Je pense que ces documents pourraient vous être utiles, c'est
3 pourquoi je les ai apportés.
4 M. le président. - Je vous remercie madame. Je me tourne vers
5 mes collègues.
6 Monsieur le greffier, vous voudrez bien prendre ces documents
7 remis par l'amicus curiae pour qu'ils soient versés au dossier du
8 tribunal.
9 Madame Cleiren, je me tourne maintenant vers M. le procureur.
10 Monsieur le procureur, vous avez la parole si vous souhaitez poser les
11 questions que vous jugerez utiles à l'amicus curiae désignée par le
12 tribunal.
13 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - C’est avec
14 beaucoup d'intérêt que le bureau du procureur a écouté ce qu’a dit Mme
15 Cleiren et nous la remercions très vivement pour tout ce qu'elle nous a
16 dit. Nous n'avons pas de question à lui adresser.
17 M. le président. - Dans ces conditions, madame, le tribunal
18 vous remercie d'avoir répondu à son invitation et estime désormais que
19 votre audition est terminée.
20 On peut donc à présent raccompagner madame Cleiren et passer
21 au témoin suivant.
22 (Madame Cleiren est escortée hors de la salle d'audience).
23 Monsieur le procureur, vous avez la parole.
24 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci monsieur le
25 président. Nous voudrions appeler maintenant Mme Oosterman qui est l’un de
Page 410
1 nos enquêteurs.
2 (Madame Oosterman est escortée dans la salle du tribunal).
3 M. le président. - Madame, restez debout d'abord. Voulez-vous
4 vous lever et prendre les écouteurs ? M'entendez-vous ?
5 Mme Oosterman (interprétation de l’anglais). - Oui.
6 M. le président. - Vous allez lire la déclaration que vous
7 tend l'huissier.
8 Mme Oosterman (interprétation de l’anglais). - Je déclare
9 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la
10 vérité.
11 M. le président. - Madame, vous pouvez vous asseoir. Monsieur
12 le procureur, vous avez la parole.
13 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci, monsieur le
14 Président. Pourriez-vous nous dire votre nom et peut-être l’épeler ?
15 Mme Oosterman (interprétation de l’anglais). - Je m'appelle
16 Irma Oosterman.
17 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Quel est votre
18 emploi actuel ?
19 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Actuellement,
20 je travaille au Tribunal pénal, dans la section sévices sexuels.
21 Auparavant, j'ai travaillé dans le cadre des enquêtes sur Foca, Prijedor
22 et Srebrenica.
23 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci beaucoup.
24 Monsieur le Président,. nous allons mettre l'accent sur les sévices
25 sexuels comme traitement dégradant, humiliant pendant la période concernée
Page 411
1 par l'acte d'accusation, ainsi que sur la manière dont cela peut être
2 considéré comme étant une violation des lois et coutumes de la guerre et
3 comme crimes contre l'humanité.
4 Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est de vos conclusions et
5 ce que vous avez fait auparavant ?
6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - J'ai travaillé
7 pendant quatorze ans comme officier de police aux Pays-Bas, avant de venir
8 au Tribunal.
9 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Avez-vous enquêté
10 précédemment sur des cas impliquant des violences sexuelles ?
11 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui.
12 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Dans quelle
13 mesure ?
14 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Je ne faisais
15 pas partie de l'unité spécialisée dans ce domaine, mais j'ai fait du
16 travail dans ce domaine et j'ai mené des interviews avec des femmes
17 violées
18 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous faites partie
19 d'une équipe qui enquête sur ces crimes. Pourriez-vous dire s'il y a une
20 équipe spécialisée sur ces questions dans votre bureau ?
21 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, nous avons
22 une unité spéciale et une équipe spéciale qui s'occupent des sévices et
23 des violences sexuelles. Nous enquêtons sur les viols et les violences
24 sexuelles qui se sont produites en ex-Yougoslavie en nous concentrant sur
25 les régions Est et Nord de la Bosnie.
Page 412
1 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Votre équipe
2 compte combien de personnes ?
3 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Neuf.
4 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Combien de témoins
5 avez-vous interviewés, vous ou d'autres de votre équipe ?
6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Mon équipe,
7 plusieurs centaines et pour ma part, environ cinquante. J'ai parlé avec
8 beaucoup plus d'hommes et de femme, mais beaucoup ne sont pas prêts à
9 témoigner devant le Tribunal.
10 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez parlé
11 avec cinquante personnes. Vous parlez de victimes ?
12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, de
13 victimes. Dans ce cas, il s'agissait de victimes.
14 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous
15 dire où, dans quelles régions de l'ancienne Yougoslavie, vous avez
16 enquêté ?
17 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Dans un grand
18 nombre de régions et en particulier dans l'Est et dans le Nord de la
19 Bosnie.
20 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous
21 donner certains exemples ?
22 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Foca, en
23 particulier.
24 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous parlez d'une
25 ville.
Page 413
1 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - C'est une
2 municipalité, Foca. Pour les autres enquêtes, je ne peux pas en parler car
3 elles sont encore en cours.
4 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous
5 dire quels sont les camps dans lesquels vous avez enquêté ?
6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Omarska,
7 naturellement, dans le cadre de Prijedor, et les halls sportifs partisans
8 et Foca.
9 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Quand vous
10 utilisez le terme "abus sexuels", "violences sexuelles", "sévices
11 sexuels", qu'entendez-vous par là.
12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Par là,
13 j'entends viols et autres violences sexuelles, par exemple des hommes qui
14 étaient obligés pratiquer la fellation, des femmes qui devaient faire ce
15 genre de choses ou des personnes qui étaient obligées de se déshabiller et
16 qui ont subi un grand nombre d'humiliations.
17 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Il ne s'agit donc
18 pas seulement du viol, mais d'autres comportements à connotation sexuelle
19 liés au sexe de la personne. C'est bien cela ?
20 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui.
21 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous
22 d'écrire le type de personnes qui ont commis ce type de crimes ?
23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Les victimes
24 avec qui nous avons parlé ont été violées par des soldats, des gardiens,
25 parfois même par des commandants de camps, parfois par des chefs de la
Page 414
1 police.
2 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - D'autres personnes
3 que des personnes appartenant aux camps ou étant liées au camp ont-elles
4 pratiqué de telles violences sexuelles ?
5 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui. D'autres
6 personnes en uniforme appartenant à des groupes paramilitaires avaient
7 accès aux camps et venaient chercher des femmes pour les violer.
8 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Autrement dit, il
9 s'agit là de personnes qui n'avaient rien à voir avec les camps et qui
10 étaient "invitées", si je puis dire, par le commandant à venir chercher
11 des femmes ?
12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, parce que
13 les victimes ou les témoins parlent toutes de commandants qui savaient ce
14 qui se passaient et regardaient comment on venait chercher les femmes.
15 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez donc des
16 déclarations selon lesquelles d'autres personnes venaient chercher des
17 femmes et d'autres dans le camp.
18 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Cela se
19 produisait assez souvent.
20 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez parlé de
21 Foca. Avez-vous des éléments de preuve sur la violence sexuelle de femmes
22 dans ce camp ?
23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Nous avons
24 beaucoup d'éléments de preuve de ce qui s'est passé dans l'école
25 secondaire, dans le hall sportif des partisans où des femmes, des enfants,
Page 415
1 des personnes âgées, étaient détenus où des gardes et des soldats, ou
2 d'autres personnes appartenant à des groupes militaires, venaient chercher
3 des femmes pour les violer ou les violaient dans ces locaux-mêmes.
4 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Procédaient-ils
5 autrement ? Venaient-ils les chercher, par exemple ?
6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, parfois,
7 ils venaient chercher des jeunes filles, des enfants de 13 ans. A Foca,
8 nous avons mené des enquêtes qui nous ont indiquées que des jeunes ont été
9 détenues dans des maisons privées, comme s'il s'agissait de bordels.
10 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y avait-il
11 beaucoup de bordels également dans les autres camps ?
12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Nous avons
13 surtout enquêté à Foca et nous avons constaté que des femmes et des
14 enfants ont été détenus pendant quelques jours dans des maisons privées et
15 devaient obéir aux ordres des soldats, viols, etc.
16 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez dit
17 quelques jours ?
18 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui.
19 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il eu des
20 détentions de ce genre qui ont duré plus longtemps ?
21 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Si nous parlons
22 de camps de détentions véritables, il s'agissait de détentions d'un mois
23 ou deux. Dans le cadre de maisons privées, c'étaient deux ou trois jours,
24 voire dix jours.
25 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Quel est le type
Page 416
1 de personnes ont commis ces crimes à Foca ?
2 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Là aussi, il
3 s'agissait des gardiens du camp, des soldats, des policiers, ainsi que le
4 chef de la police.
5 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Le commandant du
6 camp ?
7 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Il était en
8 fait également le responsable du hall sportif et chef de la police.
9 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - En fait, des
10 personnes occupant cette position ont commis des crimes de viol et de
11 violences sexuelles ?
12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui. Ainsi que
13 des commandants de groupes paramilitaires.
14 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Savez-vous ce qui
15 s'est passé à Srebrenica ?
16 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, nous avons
17 des indications que des femmes ont été faites prisonnières au moment de la
18 prise de Srebrenica. Au moment où Srebrenica est tombée, le convoi s'est
19 mis en marche, des femmes en ont été sorties, mais nous n'avons pas encore
20 de résultats d'enquête.
21 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Avez-vous des
22 enquêtes actuellement en cours ?
23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui.
24 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé
25 à Sarajevo ? Avez-vous des indications dans ce domaine ?.
Page 417
1 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Récemment, nous
2 avons eu accès à une sorte d'hôtel qui se trouvait dans un territoire
3 serbe en dehors de Sarajevo. C'est un hôtel restaurant où des femmes
4 étaient détenues. Mais pour l'instant, nous sommes en train d'enquêter.
5 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Je comprends que
6 vous ne puissiez pas nous donner de précisions au sujet ces enquêtes dans
7 la mesure où elles sont en cours et n'ont pas fait l'objet d'actes
8 d'accusation. J'aimerais toutefois que vous nous disiez, de façon
9 générale, ce qu'il en est de ces enquêtes.
10 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - On peut dire
11 qu'une sorte de schéma se retrouve : séparation des hommes et des femmes ;
12 femmes, enfants et personnes âgées sont amenés dans des lieux différents
13 de ceux où se trouvent les hommes. Puis, à partir de là, les soldats, les
14 gardiens commencent à choisir des femmes, à les violer et à commettre des
15 violences sexuelles. C'est une sorte de schéma que l'on retrouve.
16 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Avez-vous réfléchi
17 plus à fond dans ce domaine ?
18 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui. Bien
19 souvent, les soldats nous ont dit avoir été obligés de commettre ces
20 crimes, il ne nous ont pas dit qui les obligeaient, mais qu'ils étaient
21 contraints de le faire.
22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Par leurs
23 supérieurs ?
24 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui bien sûr,
25 par leurs supérieurs. Mais ils n'ont pas indiqué de noms des personnes qui
Page 418
1 leur avaient donné des ordres. Ils voulaient faire des bébés chetniks,
2 donc Serbes. On retrouve ce type de comportement un peu partout.
3 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Il y a donc des
4 déclarations émanant des victimes disant que les personnes qui les ont
5 violées ont reçu des instructions pour ce faire ?
6 A votre connaissance, parmi les gens auxquels vous vous êtes
7 adressée dans le cadre de vos enquêtes, avez-vous rencontré des personnes
8 qui n'ont pas été violées, mais que des soldats ont obligées à raconter
9 qu'elles l'avaient été ?
10 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Nous avons
11 interviewé des victimes qui ont été sorties des camps, auxquelles les
12 soldats ont dit : "Dites aux autres que vous avez été violées", mais qui
13 en fait ne l'ont pas été. Ma conclusion est que des ordres avaient été
14 donnés à ces soldats.
15 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Avez vous trouvé
16 des preuves qui montreraient que les commandants de ces camps de
17 détention, en particulier, auraient participé à ces violences sexuelles ?
18 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Il semblerait,
19 par exemple, qu'à Foca, le chef de la police savait très bien ce qu'il en
20 était. Des femmes sont allées se plaindre auprès de lui, mais il
21 participait très souvent à ces viols.
22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pensez-vous que
23 ces informations sont allées encore plus haut dans la hiérarchie, plus
24 haut que le commandant du camp ?
25 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Non, nous
Page 419
1 n'avons pas d'information. Les victimes ont toutes dit que les commandants
2 des camps, que les chefs de police étaient au courant de ce qui se
3 passait, que c'était du domaine public, que tout le monde savait ce qui se
4 passait.
5 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il des
6 déclarations concernant ce qu'aurait fait du personnel paramilitaire ?
7 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, à Foca, il
8 y avait une maison où des jeunes filles de 13 ans et plus étaient détenues
9 et l'habitant de cette maison était, en fait, le commandant d'un groupe
10 paramilitaire.
11 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Dans le cadre de
12 vos enquêtes, avez-vous constaté des viols d'hommes ?
13 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, plusieurs
14 déclarations ont indiqué qu'ils avaient été obligés de pratiquer le sexe
15 oral, la fellation, des pères avec leurs fils, également obligés de
16 pénétrer l'anus d'autres hommes.
17 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il également
18 eu mutilation des organes génitaux des hommes ?
19 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Nous avons une
20 déclaration indiquant qu'un homme a dû mordre le pénis d'un autre homme.
21 Il n'a pas réussi et un soldat est venu et a coupé cette partie du pénis.
22 Un autre a été obligé de manger cette partie du pénis.
23 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous
24 donner des détails sur les victimes ? Quel genre de personnes était-ce ?
25 Quel âge avaient-elles ?
Page 420
1 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Toutes les
2 femmes avec lesquelles nous avons parlé étaient des civiles de 13 à 60 ans
3 et les plus jeunes étaient tout particulièrement choisies, mais des femmes
4 plus âgées ont été violées. Cela touchait toutes les classes sociales,
5 mais c'étaient toutes des civiles.
6 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Cela vaut pour les
7 hommes comme pour les femmes.
8 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Les hommes
9 victimes sont plus âgés.
10 Pour les femmes naturellement, plus les jeunes filles étaient
11 jeunes plus elles étaient choisies comme victime du fait qu'elles étaient
12 encore vierges.
13 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous dire
14 à la Cour ce qu'il en est des victimes que vous avez interrogées ?
15 Faisaient-elles des déclarations volontairement ou de façon très
16 réservée ? Quel était leur comportement ?
17 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Il est très
18 difficile de parler avec ces femmes. C'est souvent la première fois
19 qu'elles racontent ce qui s'est passé. Leur mari, leurs enfants ne le
20 savent pas. Il faut prendre beaucoup de temps pour parler avec ces femmes.
21 Elles ont très peur de venir au Tribunal, d'être assises ici, avec la
22 télévision, etc. La plupart des femmes victimes demandent l'anonymat et
23 refusent de venir ici parce qu'elles ont peur et de plus, elles ont honte.
24 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous
25 donnez le pourcentage de celles qui veulent bien parler et de celles qui
Page 421
1 ne veulent pas ?
2 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - J'ai cinquante
3 déclarations, j'ai parlé avec une centaine de femmes, dont peut-être la
4 moitié sont d'accord pour venir. Mais la plupart des femmes avec qui j'ai
5 parlé ont demandé l'anonymat. Elles ne veulent pas être ici et surtout
6 elles ne veulent pas revoir l'auteur de ces crimes.
7 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Ce que vous avez
8 dit sur ces activités, ces pratiques, vaut-il pour toute la région ou
9 sont-elles simplement concentrée sur certaines régions ?
10 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Non, ceci vaut
11 pour toutes les régions où nous avons enquêté.
12 M. Ostberg (interprétation de l'anglais)- Quel a été votre
13 domaine d'activité ? Sept ou huit régions ? Combien ?
14 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Je ne sais pas
15 combien de régions auraient pu être enquêtées.
16 M. Otsberg (interprétation de l'anglais).- Etant donné que
17 nous parlons d'une pratique et d'un comportement très généralisés, nous
18 voulions savoir ce qu'indiquent vos conclusions.
19 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais)- Cela comprend, en
20 tout cas, le Nord et l'Est de la Bosnie, et là nous voyons très clairement
21 apparaître ces schémas de comportement.
22 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Je vais parler
23 de quelques connaissances générales. Avez-vous pu apprendre certaines
24 choses des témoignages pris, des positions prises, avez-vous eu
25 connaissance directe de l'information sur ces actes qui allaient vers
Page 422
1 d'autres sources, vers les sources hiérarchiquement supérieures, Karadzic
2 et les autres ?
3 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui. Il
4 s'agissait surtout de commandants, de ces chefs de police, de ces
5 policiers. Ils étaient au courant de ce qui se passait, et je pense qu'ils
6 ont dû en avoir connaissance.
7 M. Otsberg (interprétation de l'anglais). - Aimeriez-vous
8 ajouter quelque chose à cet exposé sans que je vous le demande
9 spécifiquement en ce qui concerne la propagation de ces activités et en ce
10 qui concerne d'autres problèmes ou d'autres questions ?
11 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Personnellement,
12 l'important pour moi c'est l'état d'esprit, l'état d'âme de ces femmes et
13 de ces hommes. Il y a des gens qui appartiennent à des familles qui ont
14 été dispersées, déplacées, dont certains membres ont été perdus. Par
15 conséquent, ces gens veulent garder l'anonymat ; ils n'aiment pas les
16 tribunaux, ils n'aiment pas parler. Il s'agissait même de gens qui avaient
17 certaines règles qu'ils observaient et respectaient en ce qui concerne
18 l'alcool et le reste.
19 M. Otsberg (interprétation de l'anglais).- Les gens que vous
20 avez interviewés sur ces questions étaient-ils pour la plupart en Bosnie ?
21 Et avez-vous eu l'occasion d'interviewer des gens dans d'autres régions du
22 monde ?
23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Non.
24 M. Otsberg (interprétation de l'anglais). - Il y a donc
25 également des régions que vous n'avez pas pu visiter. Pensez-vous qu'il y
Page 423
1 a eu une prépondérance de ce genre d'actes dans une région par rapport à
2 une autre ?
3 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- En effet, je
4 pense qu'on ne peut pas encore savoir très bien les choses, il est très
5 difficile pour ces gens-là d'en parler. Enfin, je ne peux pas voir une
6 très grande différence entre ce qui se passait dans une région par rapport
7 une autre.
8 M. Otsberg (interprétation de l'anglais). - Donc les enquêtes
9 continuent et nous ne sommes pas en mesure, monsieur le président, de vous
10 fournir en ce moment des détails sur l'identité des gens et sur les
11 localités plus précises. Donc cela termine mon questionnement pour le
12 moment.
13 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais)..- Sans porter
14 préjudice à l'enquête qui se poursuit comme vous le dites, j'ai une
15 question. Avez-vous fait des interviews personnelles avec des victimes
16 dans la région autour de Srebrenica ?
17 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Non, je n'ai pas
18 interviewé de témoins victimes de la région de Srebrenica, mais un des
19 membres de notre équipe l'a fait. Je ne peux pas vous en parler, puisqu'il
20 s'agit d'une enquête en cours.
21 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Pourriez-vous
22 nous expliquer si les femmes ont fait une différence entre les violences
23 sexuelles et les abus, les viols ?
24 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Parlez-vous des
25 avortements ou parlez-vous des problèmes plus généraux tels que
Page 424
1 sévices,... ?
2 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Oui, je parle
3 de problèmes généraux.
4 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, elles ont
5 des problèmes généraux. Certaines femmes tiennent debout, sont fortes,
6 certaines espèrent survivre, d'autres sont démoralisées. Mais d'autres
7 encore doivent penser à leurs enfants. L'hygiène pose également des
8 problèmes, certaines femmes ont dû renoncer à leurs enfants, et certaines
9 ont dû subir des avortements.
10 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Donc leurs
11 dommages étaient à la fois psychologiques et moraux ?
12 Par ailleurs, pourriez-vous décrire à la Cour si ces femmes
13 ont été tuées et mutilées dans ces camps d'internement ?
14 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, des gens
15 nous ont relaté ces cas de meurtres au couteau, au fusil. Ils étaient même
16 maltraités pendant l'acte même du viol.
17 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Je n'ai plus
18 de question, monsieur le Président.
19 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Madame Oosterman, vous
20 avez indiqué que dans les cas de viol, ceux qui les faisaient, recevaient
21 des ordres de leur commandant de faire des bébés chetniks. Quelle a été la
22 procédure suivie ? S'agissait-il d'un procédé suivi dans de nombreux
23 cas ? Comment parvenaient-ils à le faire ?
24 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Certaines femmes
25 étaient sorties des camps et étaient emmenées dans d'autres lieux, soi-
Page 425
1 disant pour des soins hygiéniques, et ensuite elles étaient emmenées dans
2 une chambre où on leur indiquait : "Je vais te violer pour faire un bébé
3 chetnik".
4 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Mais étaient-elles en
5 détention jusqu'à la mise au monde de l'enfant ?
6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui.
7 Personnellement, je n'ai pas mené d'interview avec des femmes de ce genre,
8 mais je l'ai entendu dire de ceux qui travaillaient dans des maisons
9 d'orphelinat.
10 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Mais la même méthode a
11 été utilisée, d'après vos enquêtes, dans plusieurs localités ? Et tous
12 prétendaient avoir reçu des ordres supérieurs ?
13 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, ils ont dit
14 avoir reçu des ordres pour le faire..
15 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé
16 avec ces femmes une fois l'enfant mis au monde ? Que s'est-il passé avec
17 la plupart des femmes qui ont été violées ? Etaient-elles exécutées plus
18 tard ?
19 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, elles
20 étaient tuées. Certaines sont restées en vie, mais comme je vous l'ai dit,
21 ces femmes ont des problèmes émotionnels, des problèmes psychologiques.
22 M. Riad (interprétation de l'anglais).- De quel genre ?
23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Cela dépend, le
24 mari peut ne pas être en vie, les enfants être perdus, mais je ne peux pas
25 parler de cas schématisés.
Page 426
1 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Ces femmes
2 retournaient-elles dans leur lieu de résidence ?
3 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, elles
4 devaient continuer à vivre, à mener leur vie ; elles étaient en quelque
5 sorte libres.
6 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Forçait-on les hommes
7 à perpétrer des actes de castration, à mordre les organes génitaux des
8 autres ? S'agissait-il de cas individuels de ce genre ou de quelque chose
9 de plus propagé ?
10 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Non, cela ne se
11 produisait pas aussi souvent. Il y avait des cas particuliers où beaucoup
12 d'hommes ont été forcés à mordre les organes génitaux d'autres, des cas de
13 sexe oral, mais...
14 M. Riad (interprétation de l'anglais).- ...Il y a donc eu des
15 cas de viol d'hommes également.
16 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, mais il ne
17 s'agissait pas de cas de viol par les soldats, les détenus ont été forcés
18 de le faire entre eux.
19 M. Riad (interprétation de l'anglais) .- Merci.
20 M. le Président. - Y avait-il des médecins dans ces camps ?
21 Des médecins serbes, notamment ? Avez-vous eu écho des réactions qu'ils
22 auraient pu avoir devant ces sévices qui étaient quand même visibles ? Je
23 pense à tout ce qui est mutilation notamment. Avez-vous eu des réactions à
24 travers les témoignages que vous avez entendus ? Y a-t-il eu des réactions
25 médicales sur le plan déontologique de la part de ces médecins ? Ou n'y
Page 427
1 avait il aucune surveillance médicale ?
2 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - J'ai parlé avec
3 un certain nombre de victimes qui étaient hospitalisées. Je ne peux pas
4 vous préciser le nom de l'hôpital, mais les médecins qui les traitaient
5 n'étaient pas intéressés. Quand je parle de médecins, je pense dans ce cas
6 là aux médecins serbes qui ne s'intéressaient pas à ces choses-là.
7 M. le Président. - Merci Madame. Il n'y a pas d'autre question
8 du Tribunal. Le Tribunal vous remercie pour votre témoignage et vous
9 demande maintenant d'y mettre fin.
10 Monsieur le Procureur, monsieur le Greffier, nous pouvons
11 peut-être faire raccompagner Mme Oosterman.
12 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Monsieur le
13 Président, notre prochain témoin est M. Colin Kaiser. Il nous parlera de
14 la destruction de lieux historiques et de culte. Pour appuyer ce
15 témoignage, de nombreuses séquences vidéo sont à préparer. Peut-être
16 serait-il bien d'interrompre l'audience pour le déjeuner afin de pouvoir
17 préparer la salle pour cette présentation vidéo.
18 M. le Président. - Monsieur le Procureur, puisque nous n'avons
19 pas de retard dans le déroulement de nos travaux, je crois que nous allons
20 donc suspendre la présente audience et nous la reprendrons à 14 heures 30.
21
22 (L'audience est levée à 12 heures 40)
23
24 (après-midi)
25 La séance est reprise à 14 h 40.
Page 428
1 M. le Président.- L'audience est reprise, veuillez vous
2 asseoir.
3 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Merci. Bon après-
4 midi, madame et messieurs les juges.
5 L'accusation appelle le docteur Colin Kaiser à la barre, comme
6 témoin suivant.
7 (Entrée de M. Colin Kaiser)
8 M. le Président.- Monsieur Kaiser, vous allez lire la
9 déclaration qui vous est tendue.
10 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Je déclare
11 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la
12 vérité.
13 M. le Président. - Docteur Kaiser, dans le cadre de la
14 procédure de l'article 61 et de l'exposé public des charges contre MM.
15 Karadzic et Mladic, le Bureau du procureur a souhaité vous citer comme
16 témoin. Je pense que vous allez être amené à vous présenter. On ne va donc
17 pas le faire faire deux fois. Monsieur le procureur, vous avez la parole.
18 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Docteur Colin Kaiser,
19 pouvez-vous donner votre nom et l'épeler ?
20 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Je m'appelle Colin
21 Ried Kaiser.
22 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Monsieur le
23 Président, tous les juges ont reçu un dossier concernant cette déposition
24 avec des photographies qui seront discutées au cours de cette déposition.
25 Nous avons également une liste de pièces à conviction qui vous
Page 429
1 est destinée et qui comporte une version réduite de la carte qui se trouve
2 à côté du docteur Colin Kaiser, ainsi que le procès verbal d'une bande
3 audio-vidéo que nous avons également l'intention d'utiliser. Nous vous
4 demandons que ce soit inclus au fichier qui vous sera remis.
5 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Docteur Colin Kaiser,
6 pourriez-vous commencer par dire à la Cour quel est votre passé, votre
7 carrière, et de quelle façon vous êtes entré en relation avec les
8 monuments culturels et religieux ?
9 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- De formation, je
10 suis historien social et institutionnel. J'ai obtenu mon diplôme de
11 l'Université de Londres. J'ai travaillé sur un certain nombre de monuments
12 historiques et culturels dans une organisation non gouvernementale qui
13 travaille en relations étroites avec l'Unesco et, pendant trois ans, j'ai
14 été directeur du secrétariat international de cette organisation.
15 En novembre 1991, le directeur général de l'Unesco m'a demandé
16 de me rendre à Dubrovnik avec un autre observateur pour la convention de
17 La Haye. J'ai continué à travailler en relation avec Dubrovnik pendant
18 quelques mois et, vers la fin de 1992, j'ai commencé à travailler au
19 comité de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, chargé des
20 problèmes culturels.
21 J'ai travaillé sur le problème des dommages de guerre au
22 patrimoine en Bosnie-Herzégovine et Croatie. J'ai participé à une mission
23 parlementaire en novembre-décembre 1992, en mars 1994, et juin 1995.
24 En octobre 1993, j'ai travaillé au sein d'une commission
25 d'experts à Dubrovnik qui préparait les travaux de ce tribunal.
Page 430
1 En octobre 1994, je suis retourné travailler à l'Unesco en
2 tant que consultant, sur le problème du patrimoine culturel de Mostar.
3 J'ai participé à trois longues missions qui ont oscillé entre six semaines
4 et deux mois, au cours de l'été 1995, puis l'Unesco m'a demandé de me
5 rendre à Sarajevo pour être son représentant en Bosnie-Herzégovine.
6 Mes travaux récents ne portent pas spécifiquement sur le
7 patrimoine culturel, mais sur tous les aspects du travail de l'Unesco.
8 M.Bowers (interprétation de l'anglais). Merci. Au cours de
9 votre travail sur le patrimoine culturel et sacré en Bosnie-Herzégovine,
10 avez-vous eu l'occasion d'écrire des rapports ?
11 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- J'ai contribué à la
12 rédaction de huit rapports d'information de l'Assemblée parlementaire du
13 Conseil de l'Europe chargée de la situation du patrimoine culturel en
14 Croatie et en Bosnie-Herzégovine ; j'ai contribué au rapport de la
15 commission d'expert en 1993 et pour l'Unesco, j'ai rédigé un rapport
16 spécifique concernant Mostar.
17 Le Conseil de l'Europe a publié un certain nombre de documents
18 publics.
19 Quant à l'Unesco, c'est une institution qui publie des
20 rapports plus confidentiels.
21 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Pendant vos travaux,
22 avez-vous eu l'occasion de lire, d'étudier, des rapports et diverses
23 publications traitant de patrimoines culturels et sacrés de l'ex-
24 Yougoslavie ?
25 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- J'ai lu un certain
Page 431
1 nombre de documents traitant de ce sujet, le patrimoine culturel, des
2 documents de nature assez générale, mais dans le cadre de mon travail au
3 sein de l'assemblée parlementaire et pour l'Unesco, j'ai eu accès à de
4 nombreux documents qui, pour l'essentiel, sont des listes de patrimoines
5 culturels, ainsi qu'un certain nombre de documents qui sont des rapports,
6 des rapports d'un certain intérêt.
7 Ces rapports ont commencé à être publiés en 1993. Il y en a
8 trois que j'aimerais citer :
9 ? un rapport préparé par l'institut pour la protection du
10 patrimoine culturel, historique et naturel de la Serbie qui
11 traitait de la destruction du patrimoine religieux en Croatie
12 et en Bosnie-Herzégovine daté de 1993 ;
13 ? un rapport de Slobodan Mileusnik appelé "l'esprit du génocide"
14 daté de 1994 qui traite de la destruction du patrimoine
15 orthodoxe serbe en Croatie et en Bosnie-Herzégovine de 1991 à
16 1993,
17 ? et, en septembre 1993, l'Institut public pour la protection du
18 patrimoine culturel, historique et naturel de Bosnie-
19 Herzégovine à Sarajevo a publié un document d'information.
20 Un rapport récent, très important, a été publié par l'Institut
21 pour la protection du patrimoine historique, culturel et national de
22 Bosnie-Herzégovine basé à Sarajevo. Le premier rapport de ce type a été
23 publié en septembre 1995? avec une annexe parue en avril 1996.
24 Ces documents comportent des listes qui ne sont pas toujours
25 très précises, car elles datent de la première partie de la guerre.
Page 432
1 D'autres documents sont plus complets.
2 Le document serbe traite d'un patrimoine spécifique, qui est
3 le patrimoine orthodoxe et les deux autres documents que j'ai évoqués sont
4 d'un très grand intérêt car ils tentent de fournir une vue plus vaste des
5 destructions affectant le patrimoine culturel en Bosnie-Herzégovine,
6 patrimoine appartenant à tous. C'est un document qui a été compilé en
7 1993, ce qui constitue un problème étant donné les circonstances
8 difficiles de l'époque et le fait que les habitants de Sarajevo avaient
9 peu d'accès à des monuments situés à l'extérieur.
10 Le rapport de septembre 1995 est de nature différente, il est
11 plus strictement documentaire et comporte une vue plus générale de la
12 situation.
13 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Vous avez mentionné
14 les rapports du Conseil de l'Europe. Pourriez-vous consacrer une minute
15 pour décrire à la Cour la nature de ces rapports, et l'importance de leur
16 diffusion ?
17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Le Conseil de
18 l'Europe de 1992 a commencé à se poser de nombreuses questions quant à ce
19 qui se passait au niveau du patrimoine culturel de Bosnie-Herzégovine.
20 C'est un sujet qui n'a pas suscité beaucoup d'intérêt dans la presse.
21 Celle-ci s'intéressant à des incidents isolés qui avaient leur importance,
22 comme l'incendie de la Bibliothèque nationale et de l'Institut oriental de
23 Sarajevo, mais de façon générale nous ne savions pas exactement ce qui se
24 passait.
25 L’objectif premier consistait à tenter de rassembler ce genre
Page 433
1 d'informations, dans l'intention -au cas où l'information disponible
2 serait suffisante- d'alerter la Communauté internationale et de faire en
3 sorte que celle-ci fasse pression sur les autorités locales pour qu'elles
4 réduisent ce type de destructions.
5 Il y avait également un objectif de conservation dans l'espoir
6 que les institutions internationales pourraient intervenir pour protéger
7 le patrimoine culturel et religieux, chaque fois que cela était possible.
8 Tels étaient les deux objectifs principaux et nous espérions
9 qu'il y aurait une intervention peut-être plus active sur le terrain, le
10 dispositif de la convention de La Haye ne fonctionnant pas du tout.
11 Compte tenu du fait que nous vivons dans un village mondial,
12 nous avons été très surpris de constater l'étendue de ce que nous
13 ignorions.
14 Un autre objectif important était le contrôle du patrimoine
15 culturel à Sarajevo en relation avec des organisations internationales.
16 J'ai contribué à la mise en place d'un organe en 1993, qui s'est
17 principalement préoccupé des monuments sacrés. Il s'agit de l'OCMM
18 (Mission de contrôle de la Communauté européenne). Celle-ci a une mission
19 très importante en ce moment même. Elle est très active dans le domaine du
20 contrôle de la surveillance de ces monuments culturels.
21 J’aimerais revenir sur les débuts de cette organisation, date
22 à laquelle le travail est toujours intéressant car on compile des
23 rapports, on étudie de nombreux textes, on les compare. Mais au début,
24 cette activité a souvent été vaine, étant donné le nombre réduit de
25 visites sur le terrain et beaucoup de choses sont absentes des premiers
Page 434
1 rapports.
2 Vous m'avez également posé une question au sujet de la
3 diffusion. Il s'agit de documents publics. Autrement dit, le Conseil de
4 l’Europe les a distribués partout. Ils ont été diffusés auprès des
5 organisations responsables du patrimoine culturel en Croatie, en Bosnie-
6 Herzégovine et aussi au représentant serbe à Strasbourg.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Pourriez-
8 vous maintenant consacrer quelques minutes pour donner une idée générale à
9 la Cour de ce qui composait le patrimoine culturel et religieux de Bosnie-
10 Herzégovine, avant la guerre ?
11 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Je pense que chacun
12 doit garder présent à l'esprit le fait que la Bosnie-Herzégovine se trouve
13 à un carrefour Nord-Sud entre l’Europe centrale et la Méditerranée. C’est
14 également ce que l’on appelle très souvent la ligne de partage entre la
15 chrétienté et l'islam. C'est donc un pays qui possède un patrimoine
16 historique extraordinaire. Je me contenterai, pour ma part, de parler de
17 la partie immeuble de ce patrimoine.
18 Nous trouvons un très grand nombre de monuments
19 paléolithiques, néolithiques un peu partout dans le pays. Les traces de
20 l'occupation romaine sont également très présentes dans la vallée de
21 Neretva, mais également à Ilidza aux environs de Sarajevo.
22 Il y a des restes également de la période byzantine, romane et
23 des débuts de l'ère chrétienne. Il y a également la fameuse culture
24 Bogomil du moyen âge, ce que l'on appelle les églises bosniaques, avec
25 notamment les grandes pierres tombales que l'on trouve un peu partout dans
Page 435
1 le pays.
2 Il s'agit, il convient de le souligner, de la base même du
3 patrimoine en Bosnie-Herzégovine et c'est un patrimoine partagé par tous
4 les habitants du pays. Bien que des accusations aient été lancées quant à
5 l'attaque de ces monuments par les chars et l'artillerie, je puis dire
6 personnellement, pour l'avoir vérifié, que pas mal de ces monuments n'ont
7 pas été trop touchés.
8 Beaucoup de monuments qui datent du quinzième et seizième
9 siècles ont considérablement modifié le paysage en Bosnie-Herzégovine. On
10 trouve des mosquées, des mosquées sans minaret, des fontaines, des
11 mektebs, des hammams, des habitations de style turc dans les villes et les
12 villages. Il est permis de dire que les Turcs ont amené avec eux une forme
13 de civilisation très particulière qui a laissé sa marque en Bosnie, dans
14 de nombreuses villes et de nombreux villages.
15 En même temps, il y a eu disparition d'un grand nombre
16 d’églises et de monastères chrétiens à cette époque, certains ayant
17 disparu de façon naturelle, d'autres ayant été détruits.
18 A la période du déclin de l'empire ottoman, au XIXème siècle,
19 on commence à voir apparaître une architecture que l'on peut qualifier
20 d'architecture chrétienne occidentale avec construction de nouvelles
21 églises orthodoxes et de nouvelles églises catholiques en particulier.
22 Au moment de l'occupation austro-hongroise, les choses ont
23 encore changé. Nous voyons aujourd'hui l'incidence qu'a eu l'urbanisme
24 autrichien à Mostar et Banja Luka en particulier sur le plan de
25 l'architecture et de l'historicisme.
Page 436
1 Des universités, des bibliothèques, des bâtiments municipaux,
2 des théâtres ont été construits. Cela a été également une grande époque de
3 construction d'églises orthodoxes et catholiques. Les monastères
4 franciscains ont commencé à se répandre dans toute la Bosnie-Herzégovine,
5 l'aspect qu'ils présentent aujourd'hui étant le même qu’à l'époque.
6 Plus tard, la Bosnie s'est intégrée complètement dans
7 l'architecture et l'urbanisme européen, mais on trouve encore une
8 architecture que l'on peut qualifier de populaire, assez typique dans les
9 campagnes.
10 Etant donné que la Bosnie est à un carrefour, elle a subi une
11 très grande influence mutuelle ; les grandes mosquées du seizième siècle
12 et même plus tard ont été construites par des chrétiens d’Herzégovine.
13 A Dubrovnik, ainsi qu’à Mostar, il y avait une tradition de
14 construction de ce type de bâtiments. A Mostar, on trouve également trace
15 de la civilisation gothique. Il y a donc une grande interaction.
16 Puis, ont été construits des bâtiments musulmans sous l'effet
17 de l'environnement de l'époque. Ce sont des architectes locaux qui ont
18 adapté ainsi en créant un nouveau style. On constate des interactions et
19 des influences mutuelles véritablement extraordinaires.
20 S'agissant de l'utilisation commune de ces bâtiments et du
21 respect accordé à ceux-ci, je crois que les pierres tombales Bogomil en
22 sont un bon exemple, le sentiment prévalant étant que ces pierres tombales
23 ne sont pas seulement catholiques, mais elles appartiennent également aux
24 Orthodoxes et au Musulmans.
25 L'église de Saint-Jean par exemple à Podmiljacja près de Jajce
Page 437
1 était un lieu où les gens venaient chercher des guérisons. De toutes les
2 religions, la population allait dans cette église pour demander une
3 guérison.
4 Les églises orthodoxes constituaient le début d'un pèlerinage
5 qui passait ensuite par des églises catholiques et par un bâtiment du
6 culte islamique. Tout cela était très présent avant et au début de la
7 guerre. J'ai vu une église franciscaine qui était un lieu de pèlerinage
8 important en Yougoslavie. Ce bâtiment n'a subi aucun dommage, l’armée
9 serbe bosniaque qui se trouvait très près et les habitants de la région
10 s’étant abstenus d'attaquer cette église.
11 En revanche, la mosquée qui se trouvait à 200 mètres était
12 marquée de très nombreux impacts d'artillerie, témoignage de ce qui se
13 passait en Bosnie avant la guerre.
14 Il convient aussi de souligner que la guerre a eu tendance à
15 ethniciser le patrimoine historique qui au départ ne l'était pas. Peut-
16 être que les gens qui ont détruit le vieux pont de Mostar pensaient qu'ils
17 étaient en train de détruire un élément du patrimoine musulman. Cela a
18 souvent été dit par des Musulmans de la ville. Mais en fait, ce vieux pont
19 était la propriété commune des Serbes, des Croates et des Musulmans.
20 Je crois que c'est un élément qu'il faut garder présent à
21 l'esprit dès lors que l'on parle du patrimoine culturel de ce pays très
22 souvent partagé.
23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous
24 parler des dommages subis par les bâtiments culturels et religieux de
25 Bosnie-Herzégovine et nous dire quel a été le résultat des efforts ?
Page 438
1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Je suis au regret
2 de dire que le résultat des efforts déployés est pratiquement nul. Il n'y
3 a pas eu de coopération entre les diverses entités. Il n'y a pas de
4 coopération aujourd'hui, y compris au sein de la Fédération croato-
5 musulmane.
6 Il convient également de souligner que la communauté musulmane
7 ne fait pas non plus son travail. Nous le regrettons beaucoup car des
8 mythes se développent au sujet des destructions subies par le patrimoine
9 culturel et historique qui risqueraient d'être la source d'une nouvelle
10 guerre. Je crois que les organisations internationales, la Commission à
11 laquelle j'appartiens en particulier, devraient essayer de déterminer
12 quels sont les problèmes et qui en est responsable.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous
14 aimerions montrer la pièce à conviction 161, document 615. J'aimerais que
15 l'on montre ce document à l'écran. C'est une version amoindrie de la carte
16 qui se trouve à côté du docteur Kaiser.
17 Docteur Kaiser, sur la base de cette carte, pourriez-vous nous
18 résumer un peu l'étendue des dommages subis par les sites culturels et
19 religieux en Bosnie-Herzégovine ?
20 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - J'aimerais plutôt
21 me référer à certaines choses, avant de commenter la carte elle-même.
22 J'aimerais revenir au dernier rapport qui a été préparé par le Comité sur
23 l'héritage culturel national, en prenant en considération certains
24 éléments.
25 Evidemment, ce rapport comporte un certain nombre de lacunes.
Page 439
1 Les gens ne pouvaient pas avoir accès à tous les monuments comme ceux de
2 la Republika Srpska. Il y a eu des problèmes de décomptage, des problèmes
3 de statistiques, etc. Ce n'est pas un rapport qui est à jour à 100 %, mais
4 c'est néanmoins un document très intéressant.
5 S'agissant des dommages aux édifices religieux :
6 ? 1 183 mosquées ont été détruites à travers l'ensemble de la
7 région,
8 ? 504 églises catholiques ont été endommagées,
9 ? 36 églises orthodoxes,
10 ? et 5 synagogues ont été endommagées.
11 Ceci vous donne une idée de l'ordre de grandeur de ces
12 dommages causés dans le cadre de ces édifices religieux.
13 Si on examine ces bâtiments et si on essaye de les classer, de
14 les catégoriser, on devrait faire ressortir que dans l'ex-Yougoslavie on
15 avait établi une classification très précise pour ce qui est de ces
16 monuments.
17 Il s'agissait, par exemple, de la catégorie zéro du patrimoine
18 considéré à l'échelle mondiale, puis il y avait la catégorie 1, 2 etc.
19 D'importance nationale, catégorie n° 1, catégorie n° 2 d’importance
20 régionale et la catégorie n° 3 se rapportait aux monuments d’importance
21 locale. Il arrivait que l'on ne puisse pas faire de différence très nette
22 entre les catégories 1 et 3.
23 Le rapport en question indique que sur les 1 183 mosquées,
24 certaines ont été gravement endommagées. Figuraient sur la liste :
25 ? 190 mosquées,
Page 440
1 ? 48 églises catholiques,
2 ? 8 églises orthodoxes,
3 ? 2 synagogues,
4 ? 392 édifices civiles d'une importance historique.
5 D'autres bâtiments ont également été détruits, notamment ces
6 392 structures civiles. On peut parler de 640 bâtiments historiques
7 endommagés ou détruits sur un total de 3 991 bâtiments qui figuraient sur
8 ces listes, soit un pourcentage de 16 % de patrimoine culturel endommagé
9 dans une certaine mesure. Ceci pour la partie de la Bosnie-Herzégovine.
10 Evidemment, certains monuments n'ont pas été listés et sont
11 considérés comme étant classés, mais ils ne figurent pas parmi ceux qui
12 ont été détruits.
13 En effet, ces listes ne sont pas à jour. Beaucoup de choses
14 ont changé entre-temps. Nous ne savons pas encore quel est le nombre exact
15 de ces monuments qui ont été vraiment endommagés. Ce n’est pas 16 %, ce
16 n'est pas 640 ou 700 bâtiments et pour être très honnête, je ne peux pas
17 dire le chiffre exact.
18 Voici une carte qui présente les destructions attribuables aux
19 Serbes bosniaques. Dans un certain nombre de municipalités on ne parle pas
20 de destructions plus importantes : Cekovici(?), Laktaci(?), mais je peux
21 toujours dire que cette carte présente, dans une grande mesure, l'ordre de
22 grandeur de ces dommages causés par l'armée bosniaque et ceci au cours de
23 la guerre.
24 Il s'agit de dommages attribuables aux causes militaires étant
25 donné qu'il s'agit de premières lignes de front. C’est le cas de Konjic.
Page 441
1 Ce que je vous montre ne fait pas partie du secteur des premières lignes
2 de front.
3 Certaines destructions peuvent être attribuées aux forces
4 armées des Serbes de Bosnie. Je voudrais bien reprendre mes propres notes
5 pour être plus précis.
6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quand vous parlez
7 des dommages sur les églises catholiques, est-ce que cela se base sur ce
8 que nous avons fait de la part de l'accusation ?
9 M. Kaiser(interprétation de l’anglais). - Nous avons essayé
10 de trouver les informations pertinentes, de vérifier les choses sur place,
11 enfin ce sont des estimations vraiment très conservatrices.
12 Je me réfère donc aux dommages qui ont été causés par des
13 explosions, c'est catégorie 4 B (destruction) par les explosions. Cette
14 catégorie 4 B est un bâtiment gravement endommagé par les différentes
15 explosions. Les rapports indiquent que dans les territoires de la
16 Republika Srpska ou contrôlés par l'armée serbe bosniaque, 161 mosquées
17 ont été sautées à la dynamite, ainsi que 75 églises catholiques. Je pense
18 que ces chiffres sont raisonnablement exacts de plus ou moins 10 %.
19 Soixante-dix de ces mosquées figuraient sur ces listes du
20 patrimoine national et c'est le cas de huit églises catholiques.
21 Si nous prenons les autres éléments comme cause de
22 destruction, un rapport de la HFO parle de la destruction de 12 mosquées
23 et de 2 églises orthodoxes et monastères. Il s'agit, dans les deux cas, de
24 monuments figurant sur la liste du patrimoine national. En effet le
25 rapport en question ne parle pas d'édifices détruits par des matières
Page 442
1 explosives. En effet, il n’y a pas eu de monument religieux qui aient été
2 détruits par des explosions.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous indiquez que
4 l'armée est à l'origine de ces dommages ?
5 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui, l'armée
6 officielle.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous
8 donner un aperçu global quant à la responsabilité pour ces dommages et la
9 destruction de ces sites religieux et culturels en Bosnie-Herzégovine ?
10 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Pour situer les
11 responsabilités et faire des comparaisons, je pense que ces chiffres
12 concernant les explosions à la dynamite sont la cause principale du plus
13 grand nombre de dommages. En effet, on ne peut pas se limiter uniquement à
14 la Republika Srpska, il nous faut faire l'étude de l'ensemble de la
15 région. En effet, ces différentes entités bosniaques sont responsables de
16 ces dommages causés, les Serbes beaucoup plus que les autres entités.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous êtes-vous
18 personnellement rendu sur place ? Avez-vous visité ces sites ?
19 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui.
20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous
21 expliquer à la Cour quels sont les moyens par lesquels on peut déterminer
22 la nature et la source des dommages que l'on peut trouver sur place sur
23 ces sites culturels et religieux ?
24 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Je pense qu'il
25 s'agit de dommages causés sur le plan architectural (pillages, incendies,
Page 443
1 vandalisme interne) et ceci est très important pour ce qui est de la
2 teneur de ces monuments du culte. Il est difficile de découvrir l'origine
3 de ces dommages. Il ne s'agit peut-être pas d'opérations militaires, mais
4 de causes provenant d’autres sources.
5 Ces dommages peuvent être facilement reconnus, constatés et
6 surtout dans ces régions qui ont été exposées au feu des premières lignes
7 de front. Dès lors que vous avez beaucoup d'expérience avec ce genre de
8 constructions, vous pouvez les discerner assez facilement. Il s’agit de
9 dommages que je qualifierais de spectaculaires. On a même filmé des
10 séquences de ces résultats, mais il y a très peu de bâtiments
11 virtuellement rasés à terre.
12 En effet, il y a des dommages très sérieux causés par les
13 incendies. Il s'agit de bombes qui sont tombées à travers les toits,
14 provocant des dommages à l'intérieur, touchant la structure elle-même.
15 Ensuite, il y a des incendies volontaires soit par des troupes, des
16 effectifs militaires, soit par des partis inconnues. Par ailleurs, des
17 nids d'explosifs peuvent causer également des dommages très sérieux.
18 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - J'aimerais bien
19 attirer l'attention de la cour sur votre voyage à Mostar. Vous y avez
20 effectué un voyage en 1992 ?
21 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui.
22 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Quel a été
23 l'objectif de ce voyage que vous avez fait en décembre 1992 ?
24 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Nous ne savions pas
25 vraiment ce qui se passait en Bosnie s'agissant de l'héritage culturel. Et
Page 444
1 Mostar est une ville très importante du point de vue de son patrimoine,
2 héritage culturel. Malgré le fait que la ville ait été libérée et
3 accessible, nous savions peu de choses.
4 Par conséquent, notre objectif a été d'essayer de trouver
5 certains éléments sur place qui pourraient nous permettre des évaluations
6 pertinentes.
7 Beaucoup de gens n'estimaient pas que le patrimoine culturel
8 soit quelque chose de très important. C'est le cas, notamment, de
9 certaines personnes dans les différentes Agences dont les Nations Unies.
10 Eh bien, nous avons pu nous déplacer grâce à l'aide des gens sur place.
11 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Votre voyage a-t-il
12 eu lieu après la première bataille de Mostar ?
13 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Oui, en 1992 et il
14 s'est terminé vers la mi-juin.
15 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Qui étaient les
16 premiers participants à cette première bataille autour de Mostar ?
17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Mostar était à
18 l'époque totalement assiégée. Il s'agissait d'unités locales.
19 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Voudriez-vous dire à
20 la Cour ce que vous avez pu voir pendant votre première mission à Mostar ?
21 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- J'y ai vu beaucoup
22 de dommages causés par l'artillerie dans la ville même de Mostar qui sont
23 attribuables à l'armée des Serbes bosniaques, notamment en ce qui concerne
24 les ponts. En effet, l'armée des Serbes bosniaques a dynamité pas mal
25 d'édifices à Mostar, et les bâtiments datant de la période austro-
Page 445
1 hongroise ont été endommagés pendant la première bataille et ensuite
2 détruits pendant la deuxième. Puis l'église de Mostar a été complètement
3 détruite en signe de représailles, et il y a eu également des dommages
4 dans la vallée de la Neretva, au monastère de Zitoniclic(?), monastère du
5 13ème siècle.
6 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Avez-vous abouti à
7 certaines conclusions quant au résultat de vos observations et de vos
8 enquêtes ?
9 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'était vraiment une
10 expérience surprenante. J'avais déjà retiré certaines expériences de ma
11 visite en Croatie, mais je n'avais pas encore vu ce genre de cycle :
12 dommage initial, représailles.
13 Je pense que la guerre en Bosnie-Herzégovine était plus
14 cruelle que celle de Croatie. Il y avait vraiment un grand risque de
15 destructions massives du patrimoine culturel de tous genres. En effet,
16 cela me semble être une partie de stratégie de guerre.
17 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Pourriez-vous
18 développer ce dernier point ?
19 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'est quelque chose
20 qui m'a réellement surpris. A Mostar, pratiquement tout ce qui avait une
21 valeur culturelle avait été atteint, et il était réellement surprenant de
22 voir ces anciens bâtiments autrichiens -qui n'étaient peut-être pas des
23 monuments de première classe, mais qui faisaient partie du paysage urbain-
24 vraiment détruits ou gravement endommagés.
25 Pour la première fois, j'ai vu des lieux de culte, des
Page 446
1 bâtiments religieux que l'on a fait sauter à la dynamite. C'est le cas,
2 par exemple, du monastère de Zitonislic(?) et je me suis demandé vraiment
3 ce qui se passait sur place, ce qui se passait ici, ce qui se passerait
4 plus tard.
5 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Merci. Nous
6 souhaiterions maintenant vous présenter une série de photos de trois
7 sites, qui ont subi des dommages très importants. Il s'agit de la pièce
8 qui vous présente une mosquée..
9 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Il s'agit de la
10 mosquée Sevri-Hadji Hassan, monument de troisième catégorie, tout près de
11 la Neretva. Ce bâtiment date d'avant 1620. Vous voyez ce qu'il en reste :
12 une partie du toit, la façade présente beaucoup de dommages, dont
13 l'origine est le feu d'artillerie.
14 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- A titre de référence,
15 monsieur le Président, c'est une des mosquées qui a été citée dans l'acte
16 d'accusation.
17 Pièce 163.
18 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'est l'église
19 franciscaine de Saint-Pierre et Saint-Paul construite à une période où
20 l'empire ottoman relâchait un peu son emprise sur ces régions. Elle a été
21 incendiée par un pilonnage en mai 1992, et cela a été effectué par l'armée
22 serbe bosniaque. C'est également un monument qui figure dans l'acte
23 d'accusation, Ibrahim Age Saric, un monument qui présente très peu de
24 dommages dus à l'incendie.
25 M.Bowers (interprétation de l'anglais). Pièce 164.
Page 447
1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'est l'entrée de la
2 résidence de l'évêque catholique. Ce monument abritait une très importante
3 bibliothèque : elle a été incendiée et détruite en 1992 par l'armée des
4 Serbes bosniaques.
5 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Pièce 165.
6 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Ibrahim Age Saric
7 mosquée a été construite en 1623, elle est de catégorie 2. C'est un bon
8 exemple de tir sur un minaret. Vous voyez les dommages en dessous du
9 minaret, et voilà ce qui se passe lorsque ces différentes pièces tombent
10 en bas.
11 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- On parle de ces
12 différentes listes de monuments dans le plan.
13 Pièce 166.
14 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Karadoz Begava
15 mosquée, c'est un des monuments d'importance nationale, de catégorie n° 1.
16 Vous voyez que le cherefa est resté, mais le minaret a été touché par un
17 obus de grand calibre, partie sud, et il s'agit également d'une opération
18 qui a été effectuée par l'armée des Serbes bosniaques.
19 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Pièce 167.
20 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'est un tir qui a
21 atteint l'intérieur de la mosquée Koski Mehmed Pasina, monument
22 d'importance régionale dans la classification n° 2. Vous voyez quel a été
23 l'impact des obus d'artillerie et les dommages causés sur le tambour du
24 dôme.
25 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Cette mosquée fait
Page 448
1 partie de la liste en supérieur de l'acte d'accusation. Monsieur Kaiser,
2 nous avons noté ces dommages sur les minarets. Estimez-vous cela comme
3 étant très important ?
4 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Sur les douze des
5 quatre mosquées avec des minarets -qui sont des monuments classés,
6 endommagés par l'armée des Serbes bosniaques-, cinq minarets ont été rasés
7 et un ou quatre autres ont été touchés sur un plan très élevé comme vous
8 pouvez le voir sur cette photo.
9 J'ai vu cela dans d'autres régions. Ces minarets sont assez
10 élevés, ils se trouvent au niveau de la galerie. Par conséquent, on
11 ignorait quel avait pu être le motif de ce tir. S’agissait-il d'un poste
12 d'observation qui était touché ? En effet, dans certains cas, des clochers
13 d'églises ont été touchés dans la même intention.
14 Mais si vous regardez ces deux cas : Sevri Hadji Hassan
15 mosquée qui a perdu son minaret sur la façade sud et de Koski Mehmed
16 Pasina mosquée avec ce dôme endommagé, vous pouvez constater qu'il ne
17 s'agissait pas seulement d'un poste de tir ou d'un poste d'observation,
18 mais tout simplement d'un essai pour atteindre la mosquée. Les minarets
19 sont quelque chose de typique pour les villes bosniaques, parce que le
20 minaret est le symbole significatif de sa population, de la présence des
21 Musulmans.
22 Mais c'est également un signe qui remémore les conquêtes
23 ottomanes. Pour certains, c'est un temps d'occupation qu'ils ont vécu.
24 Par conséquent, prendre les minarets pour cible est en même
25 temps un motif pour le changement, pour l'élimination, mais cela peut être
Page 449
1 également pris comme étant un signe de rappel. C'est quelque chose que
2 vous pouvez voir de très loin et un minaret endommagé est le signe que
3 vous n'êtes pas souhaité, voulu dans un lieu donné.
4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez effectué
5 un autre voyage dans la région, à Konjic, en juin 1994.
6 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Au mois de mars,
7 j'ai séjourné à Mostar, dans la partie occidentale de la Herzégovine, puis
8 j'ai fait ce voyage à Konjic. L'objectif était à peu près le même : on
9 voulait voir ce qui se passait en première ligne de front située entre la
10 Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska. On a pu constater que
11 pas mal de choses se passaient dans ces différentes enclaves ou petites
12 poches de territoire.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qu'avez-vous pu
14 constater au cours de ce voyage ? Quelles ont été vos conclusions ?
15 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Si vous le
16 permettez, je vais vous présenter mon itinéraire. Nous avons visité par
17 exemple Konjic, ici, Olovo, Kladanj, ainsi que des villes qui se
18 trouvaient sur la première ligne du front : Tuzla, Gradacac, Gracanica,
19 Maglaj, Tesanj, Zavidovici, Travnik. Il s'agit de la région de la ligne du
20 front.
21 Au cours de ce voyage, nous avons pu constater d'importants
22 dommages causés par des tirs d'artillerie. On a souvent dit que Travnik a
23 été détruit par l'armée des Serbes bosniaques. Dans ces villes, notamment
24 à Maglaj, Konjic ou Gradacac, nous avons pu constater sur place de très
25 importants dommages sur les bâtiments religieux.
Page 450
1 Deuxième partie de notre voyage dans ces poches, dans ces
2 enclaves où il y a eu de nombreuses opérations, beaucoup de combats entre
3 les Croates et les Musulmans : Prozor, Gornji Vakuf, Bugojno, Vitez,
4 Zepce, une poche croate dans ce territoire. Dans ces régions, nous avons
5 pu constater qu'ils ont eu recours aux matières explosives, mais que,
6 d'une manière générale, les églises orthodoxes n'avaient pas été
7 sévèrement touchées. Il s'agissait d'engins que l'on jetait par la
8 fenêtre. L'Armija, sur ce territoire, ont trouvé des églises orthodoxes et
9 des églises catholiques qui ont été incendiées. Mais d'une manière
10 générale, ces églises dans les villes, ont été protégées.
11 Telles sont les quelques conclusions générales qui se dégagent
12 de cette mission.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - J'aimerais que vous
14 baissiez la lumière pour que l'on puisse voir différentes photos
15 (pièces 1, 6 et 8), s'il vous plaît. Docteur Kaiser, pourriez-vous nous
16 décrire que l'on voit ici ?
17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est la Mosquée
18 Carsijska à Konjic qui n'est pas sur la liste des monuments, ce qui est
19 étrange -je suis un peu surpris- et c'est un exemple d'un minaret
20 endommagé par des tirs. Vous voyez qu'il y a un impact très haut, au
21 niveau de la galerie, et un autre plus bas. Il semblerait que le but ait
22 été d'endommager ce minaret plus encore qu'il ne l'a été.
23 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Il s'agit d'une
24 mosquée citée dans l'acte d'accusation. Qui est responsable ?
25 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est l'armée des
Page 451
1 Serbes bosniaques.
2 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Pourriez-vous nous
3 montrer la pièce 169 ?
4 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est la mosquée de
5 Vardacka à Konijc. Vous voyez que les dommages se situent tout en haut du
6 minaret, au pinacle. En bas, vous voyez à droite de l'écran, des
7 personnels de la mission de surveillance de la Communauté européenne, qui
8 ont dit que les dommages causés à cette mosquée et à la précédente avaient
9 probablement été causés par des chars.
10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - C'est aussi l'armée
11 serbe qui a endommagé cette mosquée ?
12 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui, cela a été
13 fait par l'armée serbe.
14 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
15 Président, je tiens à signaler que cette mosquée est citée dans les pièces
16 sur lesquelles s'appuie l'acte d'accusation. Pourrait-on voir maintenant
17 la pièce 170.
18 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Il s'agit d'une
19 mosquée qui n'a pas de nom, mais qui est très belle. Vous pouvez voir que
20 c'est une mosquée en pierre. Elle se trouve à 200 mètres de l'église des
21 Franciscains dont je vous ai parlé tout à l'heure. Vous voyez un impact de
22 tir d'artillerie ou de char.
23 A gauche, vous voyez que le toit a été très abîmé et qu'il y a
24 eu des tirs sur l'embrasure de la fenêtre. C'est l'oeuvre de l'armée
25 serbe. La population locale a dit que cela avait eu lieu en février 1993.
Page 452
1 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Monsieur le
2 Président, je rappelle que cette mosquée figure également dans la
3 documentation sur laquelle s'appuie l'acte d'accusation.
4 Je voudrais maintenant passer à un voyage que vous avez fait
5 récemment à Banja Luka. Quand avez-vous pu vous rendre à Banja Luka ?
6 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - J'y suis allé au
7 début du mois de juin.
8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pièce 171, 610,
9 s'il vous plaît.
10 Monsieur Kaiser, aviez-vous déjà vu cette pièce 171 ? Vous
11 l'a-t-on déjà montrée ?
12 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui.
13 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Que représente
14 cette pièce ?
15 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est un plan assez
16 schématique de Banja Luka.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que pouvons-nous
18 voir sur cette pièce ?
19 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est le centre,
20 mais principalement les sites où se trouvent les mosquées.
21 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Le fait qu'il y ait
22 une telle concentration de mosquées a-t-il une importance particulière ?
23 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui, parce qu'en
24 fait cela représente le périmètre de la ville turque. Banja Luka a été
25 construite en 1528 par les Ottomans dans la partie Nord-Ouest, au nord de
Page 453
1 la partie orientale de la Bosnie. C'est une région d'une grande
2 importance stratégique pour eux, aussi il était extrêmement important pour
3 eux d'y laisser leur marque. La construction de ces mosquées est très
4 symbolique d'un régime, d'un mode de vie et c'est ce qui explique cette
5 concentration de mosquées à cet endroit-là.
6 Les Turcs ont également construit une forteresse sur les
7 ruines d'une forteresse chrétienne. En fait, toute cette ville symbolise
8 leur puissance.
9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En vous appuyant
10 sur la carte, pourriez-vous nous dire quelles sont les parties de la ville
11 dans lesquelles vous avez pu vous rendre, quand vous êtes allé à Banja
12 Luka, au mois de juin ?
13 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Nous sommes entrés
14 dans la ville par le Sud, c'est-à-dire par la droite. Il y a une route,
15 vous pouvez voir une petite flèche, c'est la route de Mrkonjic Grad, et
16 c'est la rue principale. Nous l'avons suivie, nous sommes allés de la
17 droite vers la gauche, nous sommes passés devant l'hôtel, qui était un peu
18 au Nord, qui ne se trouve pas sur la carte. Une autre fois, j'ai repris
19 cette rue principale et je suis allé au centre, là où un pont traverse la
20 rivière. Après avoir traversé la rivière, j'ai tourné à droite et j'ai
21 continué la rue. Voilà ce que j’ai pu voir, en tout cas ce dont je me
22 souviens.
23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Le mois dernier,
24 quand vous vous trouviez à Banja Luka, avez-vous remarqué des minarets
25 dans cette partie ?
Page 454
1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Non, pas de
2 minarets.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourrions-nous voir
4 la pièce 175, n° 613, s'il vous plaît ?
5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Docteur Kaiser,
6 reconnaissez-vous cette photographie ?
7 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui, c'est la
8 mosquée que j'ai vue de l'autre côté de la rivière.
9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Cela décrit-il bien
10 ce que vous avez vu le mois dernier ?
11 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui, absolument.
12 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pièce 172, n° 611,
13 s'il vous plaît.
14 Aux fins de référence, c'est une petite version du gros plan
15 que nous avons ici dans la salle d'audience. Monsieur Kaiser,
16 pourriez-vous nous dire ce qu'il en est de ce minaret ?
17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est la mosquée
18 qui a été construite par le Bey de Banja Luka en 1522, grâce à de l'argent
19 qu'il avait reçu alors que le fils d'un chrétien très important avait été
20 pris en otage. Elle date de 1579 En fait il n'y a que deux bâtiments de ce
21 genre en Bosnie-Herzégovine. Ces deux mosquées ont une chambre centrale,
22 alors qu'ici il y a comme des chambres latérales à côté du minaret. La
23 partie centrale est rectangulaire, le toit indique où se trouve l'autre
24 nef, puisqu'il y a deux nefs latérales. Il y a également un demi-dôme
25 parce que l'abscisse est circulaire. En fait, cette mosquée comporte trois
Page 455
1 nefs. Il y a également un mihrab à droite et à gauche.
2 C'est très important pour les croyants qui peuvent être très
3 nombreux à l'intérieur et à l'extérieur, sous le porche. C'est comparable
4 avec la grande mosquée de Sarajevo, avec un minaret assez grand. C'est la
5 mosquée de Husrev. Ferhad Pasa Sokolovic a été enterré dans une de ces
6 mosquées.
7 Vous pouvez voir, près de l'entrée -mais pas très bien- une
8 fontaine à l'entrée vers la gauche. C'est un bâtiment très important, très
9 imposant qui a été construit par un des fils de Mima Sinan, l'un des
10 principaux architectes turcs qui travaillait à Constantinople à l'époque.
11 En fait, du point de vue de la religion, ce bâtiment est important. Il
12 l'est surtout pour Banja Luka parce qu'il symbolisait très probablement
13 cette ville et c'était l'objet de la fierté de la population. Vous
14 trouverez cette mosquée dans tous les guides, sur des cartes postales.
15 Pour ma part, je pense que tous les habitants de Banja Luka
16 s'identifiaient à cette mosquée, ils en étaient extrêmement fiers.
17 Pièce 174 n° 614, s'il vous plaît.
18 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
19 Président, pour illustrer ce qu'a dit M. Kaiser, voici une carte postale
20 de cette mosquée dont nous venons de parler.
21 Monsieur Kaiser, lorsque vous vous trouviez à Banja Luka le
22 mois dernier, avez-vous vu quelque chose qui ressemblait à cette mosquée ?
23 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Non.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Si elle avait
25 encore existé, l'auriez-vous vue ?
Page 456
1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Certainement.
2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourrions-nous
3 avoir la pièce 173, n° 612 ? C'est une petite version du gros plan de
4 l'agrandissement que nous avons ici dans la salle.
5 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Quand nous avons pu
6 accéder à cette région, le bureau du procureur est allé à cet endroit et
7 ce sont deux photographies qui ont été accolées. Ce sont des photos qui
8 ont été prises à la fin du mois d'avril par l'un de nos enquêteurs
9 représentant ce qui reste de la mosquée. C'est, vous le voyez, une sorte
10 de terrain vague. Comme référence avant et après la prise de la
11 photographie, ce sont les grands arbres et le bâtiment qui reste.
12 A partir de là, il est possible de comparer ceci avec la
13 situation avant la prise de cette photographie.
14 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur Kaiser,
15 pourquoi à votre avis, les Serbes bosniaques auraient-ils détruit une
16 mosquée de cette importance ? Pour quelle raison ?
17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Si vous voulez vous
18 débarrasser de toute trace des Musulmans dans une région donnée, si vous
19 identifiez les mosquées comme représentant les Musulmans, vous allez
20 cibler ces bâtiments justement parce qu'ils sont tellement symboliques de
21 l'image de cette ville. Ceci fait partie de cette stratégie visant à
22 éliminer la présence des Musulmans et une grande partie de l'histoire de
23 cette région.
24 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Connaissez-vous
25 l'impact de cette destruction sur les habitants ?
Page 457
1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Je n'ai pas discuté
2 avec les gens qui habitent à Banja Luka de cela. J'espère pouvoir le faire
3 à l'avenir, mais j'ai eu des conversations à Mostar, notamment dans la
4 partie Ouest. Les gens étaient très tristes de la destruction du pont de
5 Mostar. Je pense qu'à Banja Luka, on a ressenti à peu près les mêmes
6 sentiments. Il y a encore une photographie de cette mosquée au musée de la
7 mosquée de Ferhadija à Banja Luka. Cette illustration n'a pas été
8 éliminée.
9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez été en
10 mesure de vous rendre dans des zones de Bosnie-Herzégovine tenues par
11 l’armée serbe bosniaque ?
12 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui, à peu près six
13 fois.
14 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Quand avez-vous
15 commencé à vous rendre dans ces zones ?
16 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - A Pale en février.
17 Puis en avril, je me suis rendu dans d'autres localités.
18 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Pourriez-vous nous
19 montrer avec le pointeur sur la carte les régions que vous avez pu visiter
20 récemment ?
21 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - J’ai été à Gorazde
22 lors d’un voyage et je me suis rendu ici, ce qui veut dire qu’il a fallu
23 que je traverse le Republika Srpska. Je suis allé à Rogavica, également à
24 Foca, à Doboj juste à l’intérieur de la Republika Srpska. Puis je suis
25 allé à Banja Luka, comme je vous l’ai déjà dit. Je suis allé également
Page 458
1 dans cette région, à Bosanski jusqu’à Bihac. J’ai traversé Konjic grad
2 pour aller à Bihac.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Je voudrais
4 brièvement passer en revue les régions. Vous êtes allé à Donji Vakuf ? Qui
5 contrôle cet endroit ?
6 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - C’est dans la
7 Republika Srpska.
8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Est-ce que Donji
9 Vakuf avait des mosquées avec des minarets avant la guerre ?
10 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Au moins deux
11 mosquées.
12 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous vous
13 êtes rendu à Donji Vakuf, avez-vous vu des minarets ?
14 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Non.
15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous êtes allé
16 également à Rogatica. Y avait-il des mosquées à Rogatica avant la guerre ?
17 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui, plusieurs,
18 dont certaines étaient classées.
19 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - C’est également
20 contrôlé par l’armée serbe ? Lorsque vous êtes allé à Rogatica, avez-vous
21 vu des mosquées ou des minarets ?
22 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Non.
23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Et à Foca, la
24 situation était-elle similaire quant aux mosquées et aux minarets existant
25 avant la guerre ?
Page 459
1 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Je n’ai pas
2 parcouru toute la ville, mais je n’ai vu ni mosquée ni minaret. Or, il y
3 avait au moins dix mosquées dont une très importante, classée.
4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - C’est également
5 l’armée serbe qui contrôle ?
6 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En ce qui concerne
8 Doboj, vous êtes allé à Doboj n’est-ce pas, avant la guerre y avait-il des
9 mosquées et des minarets ?
10 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui.
11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous pu voir
12 des mosquées ou des minarets ?
13 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Non.
14 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Au cours des
15 voyages que vous avez fait dans les régions contrôlées par les accusés,
16 Karadzic et Mladic, avez-vous vu des minarets ?
17 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - En 1995, alors que
18 j’étais basé à Mostar, dans le début de l’année 1995, je suis allé à
19 Kupres qui avait été repris par l’armée croate. Là, il y avait une mosquée
20 et un minaret qui étaient intacts.
21 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Ce sont la seule
22 mosquée et le seul minaret que vous ayez vu dans votre voyage à travers
23 toutes ces zones contrôlées par l’armée serbe ?
24 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui.
25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous
Page 460
1 expliquer la signification, d'un point de vue humain, de la destruction de
2 ces monuments et de ces lieux de culte ?
3 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Je dois reprendre
4 mes notes pour vous répondre.
5 D’après les informations dont nous disposons, il semble qu'il
6 y ait eu une tentative en Republika Srpska d'éliminer complètement le
7 patrimoine sacré musulman, ce qui représente la destruction de 100 à 200
8 mosquées classées. Nous ne savons pas exactement combien ont été
9 détruites. Ce sont des mosquées qui ont été construites aux 16ème et
10 17ème siècles qui représentent une partie très importante du patrimoine
11 culturel et sacré, non seulement du pays, mais d’une partie du patrimoine
12 culturel et sacré de l'Europe.
13 A l’exclusion de l’Espagne, n’oublions pas que nous parlons
14 ici de la partie la plus occidentale dans laquelle ait pénétré l’empire
15 ottoman. C’est important pour les Bosniaques, mais c’est important pour
16 notre histoire, pour notre patrimoine, et la perte de ces mosquées est
17 importante pour nous également.
18 Il semblerait qu'il y ait une tendance à peu près similaire en
19 ce qui concerne les églises catholiques dans ces régions qui représentent
20 en général un patrimoine plus moderne et une valeur esthétique très
21 importante du point de vue architectural. Toutes ces églises catholiques
22 font également partie de notre patrimoine historique.
23 Beaucoup de dommages ont été causés également dans la vallée
24 de la Neretva en ce qui concerne le patrimoine turc, mais là la dimension
25 des dommages est tout à fait différente. Quant à la signification de la
Page 461
1 destruction du patrimoine catholique et musulman, dans les rapports de
2 l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, nous parlons du
3 nettoyage culturel en parallèle avec le nettoyage ethnique. Autrement dit,
4 on ne peut pas seulement nettoyer purifier ethniquement en se contentant
5 d’éliminer les gens physiquement, il faut également éliminer, dès lors
6 qu'on veut un véritable nettoyage ethnique, toutes les traces de leur
7 histoire, de leur culte, en fait éliminer la mémoire d'une vie commune. Ce
8 type de destruction de ce type de patrimoine vise à cela, à éradiquer la
9 mémoire.
10 Il y a naturellement des parties plus séculaires du
11 patrimoine, des destructions de maisons, de bâtiments populaires dans les
12 campagnes. Il y a beaucoup de destructions, de purification ethnique et
13 contre-purification ethnique dans le centre de la Bosnie.
14 Si l’on additionne tous ces types de destructions, on débouche
15 sur une conclusion assez logique, c’est-à-dire une modification totale de
16 l'environnement dans lequel les gens sont appelés à vivre. Cela signifie
17 qu'en fait, vous éliminez tout ce qui pourrait rappeler une vie commune.
18 En fait, c'est une sorte de punition pour tous, partout où les gens se
19 trouvent dans ce pays.
20 Et le problème de l'identification ethnique du patrimoine
21 culturel, qu'est-ce que vous faites pour cela ? Eh bien, si vous détruisez
22 une mosquée, cela détruit non seulement une mosquée musulmane, mais cela
23 détruit quelque chose à l'intérieur d'un Serbe et à l'intérieur d'un
24 Croate parce qu'en fait ceci fragmente totalement l'identité du fait qu'il
25 y a destruction de toute une partie du patrimoine historique ; n'oublions
Page 462
1 pas que probablement presque rien d'une grande partie de ce qui a été
2 détruit et de ce qui a été très endommagé pendant la guerre ne sera ne
3 sera reconstruit lorsqu'il s'agira de reconstruire. Donc, en fait, nous
4 parlons là de quelque chose qui est purement et simplement une catastrophe
5 pour les gens qui restent là.
6 Pour terminer, deux questions me viennent à l'esprit. La
7 première est la suivante : ce type de destruction va-t-il constituer un
8 précédent ? En deuxième lieu, qu'est-ce que cela signifie pour nous ?
9 Pour répondre à la première question, je crois qu'il faut
10 remonter à la genèse de cette région. Les conquêtes qui ont eu lieu
11 -ottomanes en particulier- ne se sont certainement pas faites en douceur
12 et il est certain que les armées turques ont beaucoup détruit le
13 patrimoine culturel, les lieux de culte. N'oublions pas non plus que, lors
14 de la conquête de la Croatie par l'Empire austro-hongrois, tout ce qui
15 rappelait le règne de l'Empire Ottoman, tant les bâtiments séculaires que
16 les lieux de culte, a été détruit et que les Oustachi ont beaucoup abîmé
17 les monuments orthodoxes, également à Banja Luka. N'oublions pas qu'en
18 1945, après la fin de la deuxième guerre, à Mostar il y avait six
19 mosquées, six mosquées ont été détruites. Ailleurs, quatre mosquées ont
20 été détruites. Il y a donc des précédents et il y a la mémoire de cette
21 destruction du patrimoine culturel commun par le passé. Et cela s'est
22 produit à maintes reprises dans le passé. On n'a donc rien inventé
23 aujourd'hui.
24 Y a-t-il un élément nouveau ? Eh bien, ce qui est peut-être
25 nouveau, c'est qu'on a déplacé les gens en effaçant leurs traces et que
Page 463
1 ceci a été fait par des Etats ou par des gens qui connaissent toutes les
2 règles -il ne faut pas oublier que ce sont les militaires qui ont fait
3 cela- et que ceux qui ont décidé cela savaient très bien quelle était la
4 valeur culturelle de ces monuments sur leur territoire. Or, la destruction
5 a été systématique et cela a été fait au vu et au su d'une communauté
6 internationale très au courant de tout, beaucoup plus au courant que ne
7 l'était la communauté au XVIIème siècle. En fait, on a recommencé ce qui
8 avait été fait par le passé, mais en y appliquant des méthodes
9 systématiques et beaucoup plus modernes, en utilisant tous les moyens très
10 sophistiqués que l'on connaît actuellement.
11 Les autorités ont compris la signification de ce patrimoine
12 culturel qui cimentait les populations. Je ne veux pas donner l'impression
13 d'être très dramatique, mais, en fait, la combinaison de toutes ces
14 destructions est très négative pour l'avenir. Il y a un peu partout des
15 intellectuels dans les partis politiques qui rêvent d'éliminer certaines
16 traces sur leur territoire. Or, en Bosnie on a montré que c'était faisable
17 et comment on pouvait le faire.
18 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le
19 président, nous avons encore une pièce à montrer concernant ce que savait
20 l'accusé Karadzic. Peut-on montrer cette pièce, monsieur le président ?
21 M. le Président.- Oui, montrez cette pièce.
22 M._ Bowers (interprétation de l'anglais). - Pièce 177 : c'est
23 une bande qui a été retransmise le 27 février 1992 par la BBC, bulletin
24 d'information de Radio Sarajevo. Il y a une traduction et j'espère qu'au
25 fur et à mesure que la bande se déroulera, elle vous sera donnée.
Page 464
1 Traduction de l'enregistrement de l'émission de radio :
2 "Pendant la conférence d'aujourd'hui, j'ai reçu une
3 information selon laquelle hier à 11 h 00, un peu avant minuit, une bombe
4 est tombée sur un monument culturel important de Banja Luka, la mosquée
5 Ferhadija.
6 - M. Izetbegovic : c'est la première fois que celle-ci est
7 profanée en 450 ans d'Histoire. Je crains une espèce de vengeance. Je
8 crois que c'est une tentative pour provoquer des conflits. Je tiens à dire
9 que nous ne blâmons pas le peuple serbe pour cette attaque de vandalisme,
10 mais les extrémistes. Le peuple musulman doit aussi se contenir et ne pas
11 répondre à des actes de ce genre. Les édifices du culte sont sacrés pour
12 nous.
13 - M. Karadzic : je condamne également cet acte de vandalisme,
14 même si je ne peux pas dire que les extrémistes soient serbes. En tout
15 état de cause, je condamne tous les actes de vandalisme."
16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - D'après cette
17 bande, nous voyons que, dès février 1992, l'accusé Karadzic savait quels
18 risques présentait la destruction de tels lieux de culte, donc il était
19 tout à fait au courant.
20 Pour la Cour, nous voudrions noter que nous avons envoyé des
21 enquêteurs à Srebreniza, dans le cadre de l'enquête générale du bureau du
22 procureur. La pratique de la destruction des sites culturels et sacrés
23 s'est poursuivie jusqu'en juillet 1995. Nous avons des photographies de
24 minarets et de mosquées de la région de Srebreniza et nos enquêteurs qui
25 s'y sont rendus récemment n'ont pas retrouvé trace de ces mosquées et des
Page 465
1 minarets, ceux-ci ont été totalement détruits.
2 Nous en avons terminé avec cette présentation, monsieur le
3 président.
4 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Monsieur Kaiser, je
5 voudrais en premier lieu vous remercier pour ce tour d'horizon extrêmement
6 informatif et intéressant concernant la destruction du patrimoine culturel
7 et spirituel, en Bosnie-Herzégovine tout particulièrement.
8 Pour qu'il n'y ait aucun doute concernant certaines des
9 conclusions très claires sur lesquelles nous débouchons après vous avoir
10 entendu, je voudrais que vous me disiez s'il est possible que de tels
11 dommages aient été le résultat d'hostilités, de conflits dans ces
12 endroits, ou bien s'il s'est agi d'un plan ou d'attaques bien orchestrés
13 et très systématiques et prémédités bien entendu ?
14 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est une question
15 à laquelle il est difficile de répondre. Il n'est pas impossible qu'une
16 dynamique de destruction puisse se développer au fil des événements, mais
17 cela ne signifie pas nécessairement que les choses sont préméditées. Cela
18 étant, je pense que l'on ne peut tirer de conclusions que lorsqu'on
19 examine la très longue liste de destructions culturelles et religieuses
20 dans la région, et le calendrier de ces destructions qui ont affecté la
21 totalité de la région pourrait peut-être aider le Tribunal à déterminer
22 quelles étaient les intentions. Personnellement, je ne suis pas en mesure
23 de dire qu'il s'est agi d'un plan prémédité.
24 M. Riad (interprétation de l'anglais. - S'agissant de
25 calendrier, vous nous en avez donné une synthèse en disant que
Page 466
1 1 123 mosquées ont été endommagées. 504 églises catholiques, 36 églises
2 orthodoxes et 5 synagogues ont également été endommagées. A en juger par
3 le pourcentage du patrimoine religieux endommagé, pouvez-vous conclure
4 qu'il s'est agi d'une stratégie tout au long de la guerre, ou en tout cas
5 que certaines factions mettaient en oeuvre cette stratégie étant donné le
6 nombre et la façon systématique dont ces destructions ont été opérées ? Et
7 s'est-il agi de l'attitude d'une partie ou d'une stratégie systématique
8 est généralisée ?
9 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Si ce n'était pas
10 une stratégie au début de la guerre, il ne fait aucun doute que cela a
11 fini par faire partie d'une stratégie. Il est impossible de voir que
12 1 123 mosquées ont été endommagées sans penser que quelque chose de
13 relativement délibéré s'est produit.
14 J'en reviens à ma position initiale en affirmant que c'est
15 sans aucun doute devenu partie d'une stratégie très efficace. Les minarets
16 étaient des signes très parlants pour la population. Je peux citer
17 l'exemple d'un lieu en Herzégovine Occidentale où, en 1993, un village est
18 resté totalement intact et où, en 1994, un seul coup de feu a été tiré sur
19 le minaret, ce qui est un signal. Frapper le minaret, c'est également une
20 manière de chasser la population, donc cela peut faire partie intégrante
21 d'une méthode appliquée avec grand soin.
22 M. le Président. - Merci beaucoup, monsieur Kaiser.
23 Ma première question s'adressera au procureur. Monsieur le
24 procureur, disposez-vous de l'ensemble des rapports dont il a été fait
25 état au début de l'intervention du Dr Kaiser ?
Page 467
1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Oui, monsieur le
2 président, nous possédons ces rapports qui sont très volumineux. C'est la
3 raison pour laquelle nous ne les avons pas présentés comme pièces à
4 conviction, mais si la Cour souhaite avoir accès à ces documents, il est
5 absolument clair qu'ils sont à votre disposition.
6 M. le Président. - Je vous en remercie, monsieur le procureur,
7 et nous en prenons note.
8 Je m'adresserai au Dr Kaiser. Au nom de ce caractère semble-t-
9 il systématique des destructions -que vous venez de souligner, docteur-, y
10 a-t-il eu des profanations de cimetières musulmans ?
11 M. Kaiser. - Au début de la guerre...
12 M. le Président. - Je vous remercie beaucoup de cette délicate
13 attention.
14 M. Kaiser. - Au début de la guerre, il y avait beaucoup de
15 bruits sur la question de la destruction de cimetières musulmans
16 notamment. Il faut dire qu'un certain nombre de grandes mosquées avaient
17 dans leur enclos des vieux cimetières. Je ne pense pas que c'était le cas
18 de la mosquée Ferhadija.
19 M. le Président. - Merci.
20 M. Kaiser. - Je n'ai pas... Il y a eu une interruption. Est-ce
21 que je peux continuer ?
22 M. le Président. - Vous continuez dans la langue qui vous est
23 la plus familière, mais vous vous exprimez très bien en français.
24 M. Kaiser. - Je vais continuer comme cela parce que j'ai un
25 problème.
Page 468
1 Ce qui s'est passé, c'est que lors des visites, des voyages
2 que j'ai faits, j'ai vu qu'il y avait très peu... C'est-à-dire que c'est
3 une question d'individus qui ont choisi eux-mêmes de tirer une balle dans
4 une pierre tombale, mais je n'ai jamais vu un cimetière qui était
5 "bulldozé", jamais on ne m'a indiqué un site comme ayant été "bulldozé".
6 On trouve des situations, par exemple à Mostar où la mosquée Balinovaca(?)
7 a été dynamitée en 1993. Cette mosquée est entourée par un cimetière,
8 lequel a été fort utilisé, malheureusement, pendant la guerre. Certaines
9 pierres ont été endommagées, mais personne n'a perturbé ce cimetière, et
10 c'est généralement ce que j'ai trouvé partout. Aussi en Republika Srpska,
11 parce que les cimetières musulmans sont reconnaissables assez facilement.
12 M. le Président. - Merci. Je voulais vous demander aussi si
13 vos investigations -même si cela dépasse le cadre de la présente
14 déposition-, dans ces rapports notamment auxquels vous avez fait allusion,
15 ont concerné les autres monuments qui font partie aussi de la mémoire d'un
16 peuple : les bibliothèques, les universités, les grands bâtiments
17 administratifs, les palais de justice, etc. Pouvez-vous très brièvement ne
18 serait-ce que nous indiquer si, effectivement, il y a eu aussi cette
19 intention de tuer ou de blesser la mémoire d'un peuple à travers ses
20 monuments ?
21 M. Kaiser. - Je pense que cette audience était consacrée à la
22 question du patrimoine et des bâtiments sacrés, mais je ne veux pas du
23 tout minimiser l'importance des destructions de tout le reste du
24 patrimoine qui est aussi considérable. J'ai fait référence à la ville de
25 Mostar notamment, à propos de laquelle j'ai indiqué que les bâtiments de
Page 469
1 l'époque autrichienne, c'est-à-dire les bâtiments civils, les bains, les
2 bâtiments administratifs, les écoles, etc., ont été incendiés pendant la
3 bataille. Ces sortes de bâtiments font partie intégrante de la vie de la
4 ville. Regardez bien : les écoles, les théâtres, les bains, c'est quelque
5 chose qui est utilisé tout le temps. Et on trouve cette sorte de question
6 dans beaucoup d'autres villes. On trouve la question de la bibliothèque
7 universitaire et nationale à Sarajevo qui n'est ni un bâtiment musulman ni
8 un bâtiment catholique, mais qui est le symbole de la ville. Tout le monde
9 a partagé les services de cette bibliothèque, les Croates, les Musulmans
10 et les Serbes et, lors de nos visites et de nos voyages, nous avons essayé
11 d'attirer l'attention justement sur ce patrimoine. Vous avez bien raison
12 de le dire, il n'y a pas que le patrimoine sacré, il y a le patrimoine de
13 tous les jours, de tout le reste de la vie et il est aussi important que
14 le reste, or ce patrimoine a souvent été gravement endommagée, et quand je
15 parle des bâtiments qui ne vont pas revivre après la guerre, on peut
16 toujours penser qu'un effort spécial sera fait pour les églises et les
17 mosquées, au moins celles qui ne sont pas trop endommagées, mais pour
18 beaucoup de bâtiments civils, les dégâts qui leur ont été faits
19 entraîneront probablement leur destruction et il y a des pans entiers, de
20 l'époque autrichienne notamment, qui risquent de disparaître.
21 M. le Président. - Le Tribunal, à partir des chiffres vous
22 avez donnés, constate qu'il n'y a pratiquement pas de synagogues qui ont
23 été endommagées. Est-ce que vous pouvez nous donner une explication ?
24 M. Kaiser - Il n'y a pas énormément de synagogues en Bosnie-
25 Herzégovine. Il y a des synagogues à Sarajevo qui ont subi de petits
Page 470
1 dégâts, mais il ne faut pas oublier que dans le cas de Sarajevo, il y a eu
2 énormément de destructions, notamment dans des quartiers modernes. Un
3 certain nombre de bâtiments historiques qui ont été très endommagés, comme
4 la Bibliothèque et la mosquée Maghribija, qui est à Marijin Dvor, laquelle
5 a perdu son minaret. On trouve beaucoup de petites destructions
6 occasionnées aux églises et aux mosquées. Quand pour la première fois je
7 suis allé à Sarajevo, j'ai été frappé -car en fin de compte, je n'ai
8 jamais vu autant de minarets au cours de tous mes voyages- de voir que
9 parmi les destructions qui ont été faites, les dégâts étaient heureusement
10 beaucoup moindre que dans d'autres villes, c'est-à-dire qu'il y avait
11 d'autres intentions, il y avait d'autres cibles, d'autres buts. Il n'y
12 avait pas de raisons particulières de frapper sur les synagogues si on ne
13 frappait pas tellement sur les églises ou sur les mosquées.
14 A Mostar, il y a une petite synagogue qui date des années 30
15 qui a été un peu endommagée, mais elle n'a pas servi en tant que synagogue
16 depuis très longtemps, depuis 1945.
17 La partie composante juive est très importante de la Bosnie,
18 surtout peut-être du point de vue de la mémoire, parce que la population
19 juive de la Bosnie est très peu importante. Elle a beaucoup souffert
20 pendant la deuxième guerre mondiale. Il n'y a pas beaucoup de Juifs en
21 Bosnie actuellement et en tant que communauté ils n'étaient pas cible.
22 M. Le Président. - Le Tribunal, docteur Kaiser, vous remercie
23 de ce témoignage qui avait été requis par l'accusation. Je vois le
24 procureur me faire signe. Monsieur le procureur peut-être avez-vous un
25 complément à apporter dans vos questions ?
Page 471
1 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Oui, monsieur le
2 Président. Je pourrai, si vous me le permettez, répondre au juge Riad en
3 ce qui concerne la légitimité des dommages militaires.
4 Le calendrier mentionné par M. Kaiser sera réexaminé et on
5 peut le comparer aux lieux géographiques. Nous sommes prêts à démontrer
6 qu'une grande partie des dommages ont eu lieu derrière les lignes
7 militaires. Il est donc possible qu'il n'y ait pas eu d’objectif militaire
8 et nombre de monuments sacrés ont été endommagés dans des lieux où il n'y
9 avait aucune résistance ou une résistance très réduite. Donc là encore,
10 pas d'objectif militaire.
11 Dans les villes où il y a eu une résistance, comme la ville de
12 Brcko, on a tiré sur la mosquée au moment où les combats se déroulaient en
13 fait dans une autre partie de la ville. Donc là encore pas d'objectif
14 militaire. Nous sommes prêts à présenter cette déposition plus détaillée,
15 plus approfondie lorsque nous en arriverons au procès.
16 M. le Président. - Docteur Kaiser, je vous renouvelle mes
17 remerciements au nom de mes collègues, de l'ensemble du tribunal pénal
18 international. Ainsi prend fin votre audition et la première séquence de
19 cet après-midi.
20 L'audience sera reprise à 16 heures 30.
21 L’audience, suspendue à 16 heures 1, est reprise à 16 heures 37.
22 M. le président. - L'audience est reprise. Veuillez vous
23 asseoir.
24 Monsieur le Procureur, tout d'abord le Tribunal accepte les
25 pièces à conviction que vous avez apportées dans les précédents
Page 472
1 témoignages. Monsieur le greffier, vous voudrez bien consigner la décision
2 dans les minutes de votre dossier.
3 Monsieur le procureur, vous avez la parole.
4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur le
5 président. L'accusation appelle le Capitaine Patrick Rechner qui sera le
6 témoin suivant.
7 (Le capitaine est introduit dans la salle d'audience.)
8 M. le président. - Restez debout, s'il vous plaît et prenez
9 l'écouteur. M'entendez-vous ?
10 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui, je
11 vous entends.
12 M. le président. - Vous allez rester debout pour lire la
13 déclaration.
14 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je déclare
15 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la
16 vérité.
17 M. le président. - Merci, vous pouvez vous asseoir.
18 Capitaine Rechner, vous avez été cité par l'accusation dans la
19 procédure. Vous ne prenez pas les écouteurs ?
20 Capitaine Rechner. - Je parle français également, alors c'est
21 plus facile.
22 M. le président. - Je reprends. Capitaine Rechner, vous avez
23 été cité par l'accusation dans le cadre de l'exposé public des charges
24 pesant sur les accusés Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Vous êtes devant
25 le Tribunal international. Le Tribunal vous demande de parler sans
Page 473
1 crainte.
2 Monsieur le procureur, vous avez la parole.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur le
4 président.
5 Capitaine, pourriez-vous nous donner votre nom et l'épeler ?
6 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Mon nom est
7 Capitaine Patrick Anthony Rechner.
8 (M. Rechner épelle ses nom et prénoms.)
9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Capitaine, vous
10 servez actuellement dans l'armée canadienne.
11 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - C'est
12 exact.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quel est votre rang
14 et dans quelle arme servez-vous ?
15 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je suis
16 capitaine dans l'infanterie.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quelles langues
18 parlez-vous ?
19 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je parle à
20 des niveaux différents l'anglais, le tchèque, le polonais, le slovaque,
21 l'allemand, le russe et le serbo-croate.
22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous servi en
23 Bosnie-Herzégovine et dans les zones limitrophes ?
24 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui.
25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous dire
Page 474
1 à la Cour quelles ont été vos affectations ?
2 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Est-ce que
3 vous parlez uniquement de la Bosnie-Herzégovine ou de l'ensemble de l'ex-
4 Yougoslavie ?
5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - De l'ensemble de
6 l’ex-Yougoslavie.
7 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - J’ai
8 d’abord servi en ex-Yougoslavie comme membre du bataillon canadien de
9 février à mai 1993 en Slavonie occidentale, zone protégée par les Nations
10 Unies, secteur Ouest, puis j'y suis retourné pour douze mois, en tant
11 qu'Observateur des Nations Unies de juillet 1994 à juillet 1995.
12 Ma première affectation en tant qu'Observateur des Nations
13 Unies était à Zadar, secteur Sud. J'y suis resté jusqu'en décembre 1994.
14 J'ai également travaillé à Knin et à Benkovac.
15 A la fin de décembre 1994, exactement le 31 décembre 1994,
16 j'ai été stationné à Pale où je suis resté jusqu'au 18 juin 1995.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez servi en
18 tant qu'Observateur militaire des Nations Unies. C'est exact ?
19 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - C'est
20 exact.
21 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous
22 brièvement expliquer au Tribunal quelles sont les responsabilités d'un
23 observateur militaire des Nations Unies ?
24 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Les
25 observateurs militaires des Nations Unies ont des responsabilités
Page 475
1 différentes selon les missions auxquelles ils participent dans le monde
2 entier. Dans l'ex-Yougoslavie, notre mission principale consistait à
3 servir de liaison entre les différentes parties au combat ainsi qu'à
4 servir de liaison entre ces parties au combat et la FORPRONU.
5 Nous avions également à traiter avec les organisations
6 humanitaires en les aidant et en développant la coopération locale avec
7 leur travail. Enfin, notre dernière mission consistait à rendre compte
8 directement au Conseil de sécurité des Nations Unies du déroulement du
9 conflit, qu'il s'agisse de la nature du conflit ou de sa portée, dans les
10 différentes zones où nous avions accès en ex-Yougoslavie.
11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Comment avez-vous
12 été choisi personnellement pour être observateur des Nations Unies ?
13 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Pour un
14 officier canadien, l’exigence est d’avoir au moins le rang de capitaine et
15 avoir été en service actif en tant qu'officier pendant au moins 6 ans.
16 Dans notre cas nous nous portons candidats aux postes d'observateurs
17 militaires dans le cadre d'un régiment. Ensuite ces candidatures sont
18 examinées et proposées aux Nations Unies.
19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En tant
20 qu'observateur militaire des Nations Unies, où avez-vous été stationné
21 d'abord ?
22 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - J'ai
23 d'abord passé 2 semaines à Zadar en Dalmatie.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Ensuite ou êtes-
25 vous allé ?
Page 476
1 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je suis
2 allé à Knin dans le secteur sud.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous
4 donner la suites des endroits ou vous vous êtes trouvé ?
5 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - A Zadar
6 j'étais observateur militaire des Nations Unies en patrouille. A Knin où
7 j'ai été de la fin juillet 1994 jusqu'au début de novembre 1994, j'étais
8 officier des opérations en chef pour l'état-major des Nations Unies.
9 Du début de novembre 1994 jusqu'à la fin décembre 1994, j'ai
10 été dirigeant de l'équipe stationnée à Benkovac, dans le secteur sud
11 également et j'avais pour responsabilités de m'occuper de la moitié sud de
12 la zone protégée par les Nations Unies.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Ensuite vous avez
14 été stationné à Pale ?
15 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui, à
16 partir du 31 décembre 1994.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Combien de temps
18 êtes-vous resté à Pale ?
19 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je suis
20 resté à Pale de la date que je viens de citer jusqu’à la prise d’otages en
21 juin 1995.
22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quelles
23 responsabilités aviez-vous à Pale ?
24 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - A Pale il y
25 avait 4 observateurs militaires qui faisaient partie d'une équipe de
Page 477
1 liaison. Nos responsabilités impliquaient le transfert de courriers entre
2 les Nations Unies et le Gouvernement serbe bosniaque ainsi qu'entre les
3 Nations Unies et l'état-major militaire des Serbes de Bosnie à Han Pijesak
4 à 65 kilomètres de Pale.
5 De temps à autre, nous avions également des réunions avec les
6 dirigeants politiques locaux. Mais pour l'essentiel, nos tâches tournaient
7 autour du téléphone et de l'envoi de messages par fax.
8 Puis, depuis la deuxième moitié du mois d'avril, je suis
9 devenu chef d'une équipe de relations avec le Gouvernement serbe bosniaque
10 et le commandement militaire des Serbes de Bosnie.
11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qui sont les
12 dirigeants de l’administration serbe de Pale avec lesquels vous avez eu
13 des contacts ?
14 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Le
15 personnage le plus important était le professeur Koljevic, le vice-
16 président, car entre autres il était Président du comité gouvernemental
17 chargé de la coopération avec les Nations Unies et la FORPRONU.
18 Nous avons également eu à traiter directement avec le bureau
19 du docteur Karadzic, plus précisément avec sa secrétaire Mira et avec M.
20 Jovan Zametica qui était le porte-parole et le conseiller politique de M.
21 Karadzic.
22 Nous avons également eu à traiter avec M. Kaljinic, le
23 ministre de la santé.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avec quelle
25 fréquence communiquiez-vous avec ces hommes ?
Page 478
1 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Avec le
2 professeur Koljevic directement nos contacts étaient assez rares, mais
3 avec sa secrétaire les contacts étaient pratiquement quotidiens. Avec le
4 bureau du docteur Karadzic, avec sa secrétaire Mira ou M. Zametica, les
5 contacts étaient également quotidiens.
6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Au cours de mois de
7 mai 1995, avez-vous eu une réunion avec Koljevic ?
8 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui.
9 C'était peut-être à la fin du mois d'avril ou au début du mois de mai
10 1995. Je suis allé le voir en ma qualité de responsable de l'équipe de
11 liaison avec le colonel Dermjaja(?) qui était l'observateur militaire le
12 plus important de la région, c'est-à-dire le responsable de tous ceux qui
13 se trouvaient en Bosnie-Herzégovine.
14 Nous avions toute une équipe d'observateurs qui étaient
15 bloqués dans les zones de sécurité et nous ne pouvions pas avoir le
16 moindre contact avec eux. Nous avons essayé d'obtenir l'intervention du
17 professeur Koljevic. Nous lui avons demandé son aide dans nos contacts
18 avec les militaires serbes de Bosnie.
19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quel a été le
20 résultat de cette réunion ?
21 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Le résultat
22 de cette réunion a été que le professeur est intervenu et une semaine ou
23 10 jours plus tard, nous avons pu sortir les observateurs militaires des
24 Nations Unies de la zone de sécurité de Zepa.
25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Cette réunion a eu
Page 479
1 lieu fin avril ou début mai ?
2 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Exactement.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En 1995 ?
4 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui.
5 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Que s’est-il passé
6 le 25 mai 1995 ?
7 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Le 25 mai
8 1995 a été le jour du premier bombardement par l'OTAN des environs de
9 Pale.
10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous pu
11 déterminer le nombre approximatif des bombes qui sont tombées ce jour-là ?
12 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Nous
13 n'avons pas pu le déterminer avec exactitude, mais nous avons entendu deux
14 explosions très fortes et nous avons vu de la fumée à ce que nous avons
15 estimé être à 10 kilomètres de Pale.
16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quelle était de
17 façon générale la région d'où montait cette fumée ?
18 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - A l'époque
19 nous ne savions pas s'il s'agissait d'une installation militaire ou d'un
20 autre bâtiment, mais nous étions sûrs que c'était un bombardement car
21 l'explosion et la fumée étaient très importantes et nous ne savions pas
22 s'il s'agissait d'un bombardement aérien. Mais plus tard nous avons
23 constaté que l'importance de la fumée et le grand bruit de l'explosion
24 étaient dus à l'explosion secondaire d'un bunker proche.
25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous vu des
Page 480
1 dommages à des structures civiles le 25 mai ?
2 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Non aucun
3 dommage. Mais si je puis développer un peu, le 25 mai nous étions confinés
4 dans nos quartiers d'habitation, nous n'avions aucune liberté de
5 circulation. On nous avait dit de ne pas sortir. Nous n’avons donc pas pu
6 mener l'enquête.
7 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Où se trouvaient
8 vos quartiers d'habitation ?
9 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Au centre
10 de Pale, à plus ou moins 300 mètres environ de la présidence des Serbes de
11 Bosnie, à savoir du bureau du docteur Karadzic.
12 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Et vous n'avez vu
13 aucun dommage dans le voisinage immédiat de vos quartiers d'habitation ?
14 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Non.
15 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Que s’est-il passé
16 le lendemain, le 26 mai ?
17 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Le
18 lendemain à 10 heures environ le bombardement a repris. Il nous a semblé
19 que les cibles étaient identiques à celles de la veille. En tout cas pour
20 ce qui est de la région générale, nous avons estimé que le bombardement
21 visait une zone située à environ 10 kilomètres. A la différence de la
22 veille, le bombardement était beaucoup plus intensif. De 10 heures du
23 matin jusqu'à 11 heures environ nous avons entendu une douzaine
24 d'explosions.
25 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Peu après le début
Page 481
1 du bombardement du 26, est-ce que quelque chose s’est produit à
2 l'extérieur de vos quartiers d'habitation ?
3 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui. Dans
4 les 5 à 10 minutes qui ont suivi le premier bombardement, deux coups de
5 feu ont été tirés à l'extérieur de nos quartiers d'habitation et nous
6 avons entendu des voix parler fort.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qu'avez-vous fait à
8 ce moment là ?
9 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - A l'époque
10 je n'étais pas dans notre bureau. J'étais en haut. J’ai donc attendu
11 quelques minutes pour voir ce qui se passerait. Je n'ai plus rien entendu
12 d’autre. Je suis donc descendu pour enquêter sur ce qui était arrivé.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous êtes
14 descendu, avez-vous eu la possibilité de pénétrer dans une salle qui était
15 isolée du bureau en tant que tel ?
16 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui, je
17 crois qu’il pourrait être utile que je décrive nos bureaux et nos
18 quartiers d'habitation à Pale. Nous vivions avec nos familles dans une
19 maison de trois étages. Lorsque je parle de trois étages, j’inclus le rez-
20 de-chaussée. La famille vivait à l'étage moyen ; nous étions à l'étage
21 supérieur et à l'étage du bas il y avait d'un côté la cuisine et la salle
22 de séjour et de l’autre côté notre bureau qui était un garage transformé.
23 J'étais donc descendu par l'escalier de l'étage supérieur, à
24 savoir le troisième niveau, jusqu'au niveau inférieur. Il y avait une
25 petite porte à l'arrière de notre bureau était entrebâillée. J'ai donc
Page 482
1 jeté un coup d'oeil et j'ai vu trois individus armés. Je suis rentré dans
2 la cuisine pour passer quelques coups de téléphone afin de découvrir si
3 ces personnes avaient été envoyées officiellement pour assurer notre
4 protection ou si c'était simplement des gens qui cherchaient à se venger.
5 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Lorsque vous avez
6 décidé de téléphoner qui avez-vous contacté ?
7 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - La première
8 personne que j'ai contactée a été quelqu'un au bureau du Dr Karadzic. J'ai
9 parlé avec sa secrétaire, Mira, à laquelle j'ai expliqué que trois
10 personnes armées étaient entrées dans notre bureau aux alentours de
11 10 heures. Je lui ai demandé si elle pouvait envoyer quelqu'un pour
12 enquêter sur ce qui se passait.
13 Elle m'a d'abord demandé à quel moment ils étaient arrivés. Je
14 lui ai répondu une dizaine de minutes aux alentours de 10 heures, c’est-à-
15 dire cinq minutes avant le moment où j'ai passé mon coup de téléphone.
16 Elle m'a demandé s'il s'agissait de soldats. Je lui ai répondu
17 que c'était difficile à dire car un seul parmi eux portait un uniforme en
18 bonne et due forme. Elle m'a dit que s'ils étaient venus peu de temps
19 avant 10 heures, c’est qu’ils avaient été envoyés officiellement.
20 C'est le premier coup de fil que j'ai passé.
21 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Pourquoi avez-vous
22 réagi en décidant d'appeler le bureau du Docteur Karadzic ?
23 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - D'abord parce que
24 nous avions des relations directes avec lui, ensuite parce que nous
25 craignions que des gens souhaitent se venger sur nous à la suite du
Page 483
1 bombardement. Nous pensions qu'il valait mieux établir un contact au plus
2 haut niveau.
3 Nous avons également contacté M. Jovan Zametica, le conseiller
4 de M. Karadzic. Nous avons obtenu l'intervention de M. Karadzic au sujet
5 d'un incident précédent : il était intervenu pour que des véhicules qui
6 avaient été saisis nous soient restitués.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé
8 après que la secrétaire du Dr Karadzic vous ait confirmé que ces personnes
9 étaient là officiellement ?
10 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - J'ai également
11 voulu parler avec M. Zametica pour lui demander s'il savait ce qui se
12 passait et l'informer du fait qu'il y avait des personnes en armes dans
13 notre bureau. Je l'ai appelé à l'hôtel Bistrica dans la région de Jahovina
14 qui se trouve à environ une quinzaine de minutes en voiture de Pale. M.
15 Zametica m'a confirmé qu'il avait entendu que des plans étaient en
16 préparation, consistant à envoyer des soldats dans notre bureau. Je lui ai
17 demandé ce qu'il voulait dire par là. Il a répondu que la seule suggestion
18 qu'il pouvait nous faire était de proposer la plus grande coopération
19 possible.
20 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Vous avez eu une
21 confirmation de la part de la secrétaire de l'accusé, M. Karadzic, ainsi
22 que de son porte-parole qui stipulaient que ces hommes étaient là
23 officiellement ?
24 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Effectivement.
25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Les observateurs
Page 484
1 militaires des Nations Unies sont-ils armés ?
2 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Non, les
3 observateurs des Nations Unies ne sont pas armés. En fait, c'est ce qui
4 nous distingue par rapport aux autres forces des Nations Unies présentes
5 en ex-Yougoslavie. Nous ne sommes donc pas armés, nous vivons et
6 travaillons au sein de la communauté locale ainsi que dans le cadre de
7 petites équipes internationales constituées typiquement de six
8 représentants du monde entier.
9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé
10 quand on vous a confirmé que ces hommes étaient là officiellement ?
11 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Dès que j'ai
12 reposé le téléphone, après avoir parlé avec M. Zametica, l'une des
13 interprètes qui se trouvait dans notre bureau est entrée et m'a appelé à
14 haute voix. Je me suis rendu dans la cuisine, je lui ai demandé ce qu'elle
15 me voulait et elle m'a dit que l'on avait besoin de moi dans le bureau.
16 Elle m'a accompagné dans le bureau et c’est là que nous nous
17 sommes trouvés confrontés à deux hommes en armes parce que le troisième
18 était sorti.
19 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Comment
20 étaient-ils vêtus ? Etaient-ils armés ?
21 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - L'un d'entre eux
22 portait un uniforme de camouflage typique des soldats serbes de Bosnie
23 avec un casque, le deuxième portait un tee-shirt rouge et des pantalons de
24 camouflage. Tous les deux portaient des armes automatiques AK47 et celui
25 qui portait un tee-shirt rouge avait également une grenade.
Page 485
1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Lorsque
2 l'interprète est arrivée auprès de ces deux hommes, que s'est-il passé ?
3 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - On m'a dit de
4 m'asseoir, puis après quelques secondes ils m'ont demandé d'entrer en
5 contact avec mon état-major par radio et d'établir la liaison, ce que j'ai
6 fait.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé
8 quand vous êtes entré en liaison avec votre état-major ?
9 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Je leur ai
10 expliqué que nous avions des gens en armes dans notre bureau et qu'ils
11 souhaitaient leur parler. J'ai donc passé la radio au Serbe bosniaque qui
12 parlait parfaitement l'anglais et qui a expliqué à notre état-major qu'il
13 souhaitait que le bombardement s'arrête immédiatement et que s'il ne
14 s'arrêtait pas il commencerait à nous exécuter.
15 M. Bowers(interprétation de l'anglais)). - Vous a-t-il demandé
16 de passer un autre coup de téléphone ?
17 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, car notre
18 bureau leur a expliqué que les observateurs militaires des Nations Unies
19 n'avaient rien à voir avec le bombardement, qu'ils ne pourraient rien
20 faire immédiatement. Le soldat m'a alors demandé de le mettre en contact
21 avec le bureau du Général Smith.
22 Il s'agit du Général Rupert Smith qui était commandant de la
23 FORPRONU à l'époque à Sarajevo. J'ai appelé son bureau avec lequel nous
24 avions également des contacts réguliers à l'aide d'un téléphone
25 ImmerSat(?) et je les ai mis en contact avec l'aide de camp du général
Page 486
1 Smith.
2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous entendu
3 la teneur de leur conversation ?
4 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, le soldat
5 serbe bosniaque a expliqué, très en colère, qu'il souhaitait que les
6 bombardements s'arrêtent immédiatement et qu'à partir de cet instant, pour
7 toute bombe larguée, l'un d'entre nous serait tué.
8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé
9 à la fin de cette conversation avec le Général Smith ?
10 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Je suppose que
11 l'aide de camp lui a expliqué que l’obtention de l'arrêt du bombardement
12 prendrait quelque temps. Nous avons donc attendu et le soldat serbe
13 bosniaque a expliqué que son commandant militaire allait arriver dans
14 quelques minutes et qu'il fallait simplement que nous attendions, ce que
15 nous avons fait.
16 Dix minutes plus tard, aux environs de 11 heures ce matin-là,
17 un groupe de soldats est arrivé sous la conduite d'une personne dont le
18 nom ressemblait à Sodzan(?). C'était le commandant de l'unité d'où
19 provenaient les deux soldats qui étaient entrés dans notre bureau, ceux
20 qui avaient passé les coups de téléphone et parlé avec notre état-major à
21 la radio.
22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pensez-vous qu'ils
23 faisaient partie de l'armée des Serbes de Bosnie ?
24 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Je suppose, mais
25 je ne peux dire s'il s'agissait d'unités régulières ou paramilitaires.
Page 487
1 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Que s'est-il passé
2 lorsqu'ils sont arrivés ?
3 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - On nous a emmenés
4 en un lieu appelé Jahorinski Potok, qui est l'endroit où se trouvent les
5 bunkers qui avaient été frappés la veille et ce matin-là par les
6 bombardements.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous êtes
8 arrivés à Jahorinski Potok, quelle était la situation ?
9 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Nous avons été
10 arrêtés à la porte principale du complexe car elle était fermée à clé et
11 la personne qui nous escortait n'avait pas la clé. Il a donc fallu dix
12 minutes, environ, avant qu'ils trouvent quelqu'un qui puisse ouvrir ce
13 portail. Dans l'intervalle, un groupe de civils étaient arrivés aux
14 alentours du bunker. La situation était très tendue, ces gens étaient très
15 en colère de voir des représentants des Nations Unies car à leur avis nous
16 étions responsables du bombardement.
17 Une des personnes est sortie du groupe, est arrivée près du
18 véhicule, a ouvert la porte et m'a insulté.
19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé
20 lorsque cette personne vous a insulté ?
21 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Heureusement, nos
22 gardiens ont réagi rapidement. Après quelques coups de poings et quelques
23 bousculades il a été entraîné plus loin. A ce moment-là, je l'ai vu sortir
24 un pistolet. Il a tenté de tirer sur nous, mais nos gardiens ont encore
25 une fois réagi à temps et l'on empêché de tirer sur nous.
Page 488
1 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Vous avez parlé
2 des bunkers présents à Jahorinski Potok. Que contenaient-ils ?
3 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Les bunkers se
4 trouvaient à environ deux kilomètres à l'intérieur du complexe. D'après ce
5 que nous pouvions voir, ils contenaient sans doute des munitions pour des
6 pièces d'artillerie et des mines.
7 M. Bowers(interprétation de l'anglais)). - Les soldats ont-ils
8 finalement réussi à accéder au complexe ?
9 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, comme je
10 l'ai déjà dit, après une dizaine de minutes, quelqu'un est arrivé et a
11 réussi à ouvrir la serrure en la brisant à l'aide d'un marteau. Nous avons
12 réussi à pénétrer à l'intérieur du complexe, mais nous ne sommes pas allés
13 tout de suite vers le bunker, nous avons d'abord été emmenés dans des
14 maisons qui se trouvaient à l'intérieur du complexe.
15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Portiez-vous des
16 menottes ?
17 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Nous avons été
18 menottés à notre arrivée à l'entrepôt et nous y avons reçu, environ 10
19 minutes après notre arrivée, un message par la radio de notre véhicule
20 nous informant que le raid aérien avait été interrompu.
21 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Pendant que vous
22 vous trouviez dans cet entrepôt, avez-vous eu des contacts avec un
23 lieutenant-colonel ?
24 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, un
25 lieutenant-colonel de l'armée serbe de Bosnie s'est trouvé avec nous à
Page 489
1 partir du moment où le groupe de soldats -je veux parler du deuxième
2 groupe de soldats- s'est approché du lieu où nous nous trouvions. Il a
3 filmé tous les événements.
4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - A-t-il fait
5 référence au pistolet qu'il portait ?
6 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Il n'était pas le
7 seul à être très en colère et très hostile. Tous les autres l'étaient
8 également. Ce lieutenant-colonel a dit que nous resterions dans cet
9 entrepôt pour éviter tout raid aérien, mais que même s'il n'y avait pas
10 reprise du raid aérien, il reviendrait nous voir plus tard dans la
11 matinée. Il nous a montré son revolver, en particulier la crosse sur
12 laquelle se trouvaient deux encoches, et nous a dit que sur ces deux
13 encoches, figuraient les noms de deux personnes qu'il avait déjà tuées et
14 qu'il serait très heureux d'en ajouter trois pour me représenter, moi-même
15 ainsi que les deux personnes qui m'accompagnaient.
16 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Avez-vous été
17 forcé de reprendre contact avec votre état-major ?
18 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui. La première
19 fois avait pour but, après que nous ayons reçu le message concernant
20 l’arrêt du raid aérien, de confirmer que ce raid était interrompu. Après
21 quoi, on nous a remis à bord du véhicule et on nous a emmenés vers le
22 bunker. En chemin, on m'a demandé d'appeler mon état-major et d'expliquer
23 que nous allions mourir pour l'OTAN.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qui vous a donné
25 l'instruction ?
Page 490
1 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Il s'agissait du
2 lieutenant-colonel qui était en train de prendre des prises de vue de la
3 scène et qui menaçait de nous tuer s'il n'y avait pas suspension des
4 raids.
5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Est-il vrai que
6 quelqu'un était en train de tourner ? Tournait-il lui même ou faisait-il
7 des commentaires ?
8 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Non.
9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - On vous a déplacés
10 vers une autre région. Est-ce exact ?
11 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, nous avons
12 été déplacés de ce dépôt vers les bunkers. Nous avons été menottés et
13 c'est là que nous nous sommes déplacés, une fois dans le complexe.
14 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé
15 quand vous vous trouviez près des bunkers ?
16 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Quatre bunkers
17 ont été atteints par des bombes aériennes et l'observateur militaire russe
18 et moi-même avons tous les deux été menottés à un paratonnerre près du
19 bunker. L'un des capitaines du même groupe a été menotté à une porte, à
20 une cinquantaine de mètres de nous. Nous étions trois. Au début j'ai
21 mentionné que nous étions quatre observateurs militaires, mais l'un était
22 absent, en congés ; par conséquent nous n'étions que trois à Pale à cette
23 époque-là.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Une fois que les
25 soldats serbes vous ont menottés à ce câble de paratonnerre, comment avez-
Page 491
1 vous réagi ?
2 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - J'ai vu des
3 otages qui se trouvaient à une dizaine de mètres de nous. Le capitaine
4 Zidlik se trouvait menotté à ce bunker qui n'était pas touché.
5 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Quelle heure
6 était-il ?
7 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Aux environs de
8 11 heures 30 le matin.
9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous
10 dire si des bunkers dans la proximité immédiate étaient exposés à des
11 pilonnages ?
12 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, nous avons
13 remarqué des cratères de bombes. La partie arrière d'un des bunkers a été
14 touchée et l'un d'entre eux a été touché au sommet, à mes côtés.
15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Des otages ont-ils
16 été amenés dans la région pendant que vous étiez menottés ?
17 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, vers 13
18 heures nous avons remarqué un membre d'une autre équipe des Nations Unies
19 qui a été amené dans ce même complexe dans un autocar, avec un groupe de
20 soldats des Nations Unies.
21 Il s'agissait d'une équipe d'observateurs militaires qui
22 exerçaient leurs fonctions de patrouille et de surveillance dans la région
23 et qui étaient stationnés dans la région de Pale. Ils ont été rassemblés
24 vers 13 heures et ont été amenés dans ce même complexe pour être utilisés
25 comme boucliers humains. Ils étaient cinq au total.
Page 492
1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qu'ont-il fait avec
2 ces cinq membres de l'équipe des observateurs des Nations Unies ?
3 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Ils ont été
4 amenés dans le même complexe, capturés dans la même région près du dépôt,
5 là où nous étions au début, et parmi eux se trouvait un major polonais
6 Karl Barczek. Il a été installé à quelque 300 mètres de nous. Nous n'avons
7 pas pu le voir, mais nous avons entendu une explosion.
8 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- D'après vous,
9 l'observateur polonais avait-il été placé dans le secteur le plus
10 dangereux ?
11 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- A mon avis oui.
12 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Pendant combien de
13 temps avez-vous été menotté à ce paratonnerre ?
14 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Pendant cinq à six
15 heures, de 11 h 30 à peu près jusqu'à 17 heures.
16 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Après avoir été
17 menotté à ce câble de paratonnerre, les soldats serbes sont-ils revenus
18 pour voir ce qui se passait avec vous ?
19 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, ils nous ont
20 apporté un peu d'eau et, après avoir amené les autres observateurs aux
21 environs de 13 h 00, ils sont revenus faire leur contrôle et vérifier nos
22 menottes.
23 Vers 14 h 30 -ou un peu avant 14 h 30-, les soldats sont
24 revenus nous voir et ils se sont peut-être rendus ensuite à l'endroit où
25 se trouvait l'observateur polonais ; et l'un des deux soldats a indiqué à
Page 493
1 l'autre que s'ils se rendaient jusqu'au soldat polonais, ils n'auraient
2 pas suffisamment de temps pour quitter cette région avant le commencement
3 du nouveau raid.
4 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Quelle est la langue
5 que parlaient les deux soldats ?
6 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Ils parlaient le
7 serbo-croate que j'ai compris. Par ailleurs, un membre de notre équipe
8 parlait couramment le chèque et pouvait donc comprendre la langue qu'ils
9 parlaient.
10 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Des fonctionnaires
11 vous ont-ils rendu visite pendant que vous étiez menotté ?
12 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui. D'abord -je
13 pense que c'était vers les 15 à 16 heures- deux groupes d'officiers
14 militaires de grade supérieur (des colonels) nous ont rendu visite, mais
15 ils se sont plutôt intéressés aux dommages causés par les raids aériens.
16 Ensuite, un groupe de civils est venu. Il m'a semblé qu'il s'agissait
17 d'une délégation politique. Dans ce groupe de civils, j'ai remarqué Jovan
18 Zametica qui était le porte-parole de Karadzic et son conseiller
19 politique.
20 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Vous êtes-vous
21 entretenu avec M. Zametica ?
22 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui. M. Zametica
23 s'est arrêté pour me parler. Je lui ai expliqué à quel point on était
24 surpris par le traitement grossier dont nous faisions l'objet puisque nous
25 faisions partie de l'équipe de liaison. Il m'a alors répondu en me parlant
Page 494
1 d'incidents antérieurs concernant l'extradition forcée, par les Nations
2 Unies, de certains Serbes bosniaques à Gornji Vakuf. Et j'ai repris en lui
3 disant : alors, comment expliquez-vous, à ce moment-là, cette réaction et
4 comment expliquez-vous ce qui se passe à l'heure actuelle ?
5 Eh bien, M. Zametica semblait être content de ce qui se
6 passait et de ce que nous étions utilisés comme boucliers humains.
7 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Vous avez donc été
8 libéré, vous n'étiez plus menotté ?
9 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Vers 17 h 00 le
10 même après-midi, un groupe de deux soldats est arrivé dans un des
11 véhicules des Nations Unies ; ils ont emmené le soldat polonais qui se
12 trouvait à 300 mètres de là, et se sont dirigés dans la direction de
13 Jahorina.
14 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Quelque chose s'est-
15 il passé en route ?
16 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Pas grand chose.
17 Une fois quittée la route principale vers les hôtels de Jahorina, et alors
18 que nous empruntions une route de montagne, on nous a bandé les yeux.
19 Que s'est-il passé ? On n'était pas très sûr de ce qui se
20 passait et on ne savait pas si on allait nous exécuter en signe de
21 représailles, ou si nous allions tout simplement être transférés dans un
22 camp de détenus.
23 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Pendant votre
24 retour, avez-vous entendu parler les soldats serbes dans le véhicule, et
25 parlaient-ils de Mladic ?
Page 495
1 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui. Quatre ou cinq
2 soldats ont parlé en cours de route. On leur a demandé pourquoi on montait
3 la montagne de Jahorina. Et ils nous ont répondu qu'ils voulaient prendre
4 des photos des gens de l'ONU sur place.
5 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Vous avez donc
6 compris qu'il s'agissait de cela pendant que vous faisiez la route. Etes-
7 vous passé à côté d'un site de radars à Jahorina ?
8 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, je les ai
9 remarqués parce que notre liaison comprenait également ce secteur de
10 Jahorina. Nous connaissions donc le complexe de Jahorina.
11 Je ne sais pas si ce que j'appelle le site radar de Jahorina
12 est le principal ou un autre.
13 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Et s'agissait-il
14 d'une région qui abritait ce genre d'installation ?
15 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Je ne pourrai pas
16 en faire des commentaires exacts, mais toute station opérationnelle de
17 radar a une signification stratégique. Et pendant qu'on était détenu, un
18 des gardiens a indiqué qu'il s'agissait de l'endroit d'où les soldats
19 serbes pouvaient surveiller le déploiement des avions au-dessus de la
20 région.
21 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Que s'est-il
22 finalement passé en arrivant à Jahorina ?
23 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Le véhicule s'est
24 arrêté ; on nous a fait sortir, on nous a menottés ;on nous a ensuite
25 enlevé les menottes ainsi que les bandeaux que nous avions sur les yeux ;
Page 496
1 le lieutenant-colonel, qui prenait des photos et qui tournait la scène,
2 était également présent avec sa caméra vidéo, ainsi que deux civils : un
3 reporter que nous avons reconnu être Snezan Zanovic(?) et que nous avons
4 pu rencontrer par la suite, pendant le temps où nous avons été otages. Et
5 il y avait également un cameraman.
6 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Que s'est-il passé ?
7 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Nous sommes donc
8 sortis des véhicules. On nous a conduits dans un endroit ; deux soldats
9 ont sorti leurs armes, et l'observateur polonais a été amené jusqu'au
10 poste radar menotté ; c'est là qu'on l'a interviewé. J'étais trop loin
11 pour pouvoir l'entendre. Cela a duré une dizaine de minutes.
12 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Après la fin de ce
13 qui était? en apparence? une interview, vous a-t-on amené au poste de
14 radar ?
15 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- On n'a pas pris de
16 photo de moi pendant que j'étais dans le véhicule, menotté et les yeux
17 bandés ; mais c'était de toute façon une situation ridicule parce qu'ils
18 étaient complètement détendus, relâchés ; ils nous ont amenés dans un
19 endroit, nous offrant du café, de la bière. Je pense que l'observateur
20 polonais avait pris un café. Nous deux, observateurs, le reporter Snezan
21 Zanovic(?), et le reste des cinq ou six soldats, étions en train
22 d'attendre. Les soldats attendaient des instructions pour savoir ce qu'ils
23 allaient faire de nous par la suite. On nous a conduits, le major Karl
24 Barczek et moi-même, avec trois autres soldats, vers un hôtel où on nous a
25 servi un assez bon repas.
Page 497
1 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Après ce repas, vous
2 a-t-on amené vers une autre localité, vers un autre site pour y passer la
3 nuit ?
4 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, on nous a
5 dirigés vers des baraques militaires. Là on nous a gardés pendant les
6 trente-cinq jours que nous avons passés comme otages. D'après les soldats
7 locaux, cela se trouvait tout près de Pale, et c'est là que nous avons
8 rencontré d'autres observateurs militaires, que nous avions vus à Pale et
9 avec lesquels nous n'avions pas eu de contacts entre-temps.
10 Les leaders serbes se trouvaient sur place.
11 On nous a indiqué que nous allions passer la nuit dans un
12 autre site, menottés de nouveau. On nous a promis des couvertures pour ne
13 pas geler, mais on a pensé qu'on allait peut-être passer une nuit
14 agréable, dans un bâtiment et non pas dans un bunker.
15 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Combien étiez-vous ?
16 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Une dizaine : les
17 trois officiers de mon équipe, les cinq officiers d'une autre équipe
18 d'observateurs des Nations Unies de Pale, et trois officiers de Grbavica,
19 c'est-à-dire de la banlieue de Sarajevo.
20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous a-t-on
21 déplacés vers un autre site le lendemain ?
22 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Le 28 mai, tard
23 dans l'après-midi, on nous a reconduits dans ce bâtiment où on avait passé
24 les trois premiers jours. Il s'agissait d'une grande salle, d'un grand
25 dortoir. Nous sommes restés là du 28 mai au 18 juin.
Page 498
1 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Le 28 mai, avez-vous
2 pu reprendre vos activités d'officier de liaison et qu'avez-vous essayé de
3 faire une fois que vous vous êtes retrouvés dans ce bureau ?
4 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Une fois de retour,
5 nous avons pu rejoindre nos quartiers résidentiels ; nous avons pu prendre
6 quelques vêtements de rechange et quelques objets dont on aurait besoin
7 dans ces baraques militaires.
8 Au moment où j'étais dans leur bureau, il a été donné pour
9 instruction à un de nos interprètes de continuer à travailler pendant tout
10 ce temps. L'interprète était donc sur place, et je lui ai ordonné
11 d'envoyer des fax et des messages au quartier général de Sarajevo. Et
12 c'est à ce moment-là que M. Danilo Savic(?), le patron de l'immeuble, est
13 arrivé dans le bureau ; il a compris qu'il devait faire quelque chose. Il
14 a été appelé par M. Krajisnik, le président de l'Assemblée bosniaque, mais
15 on lui a évidemment interdit toute communication par fax ou par téléphone.
16 Et M. Danilo Savic(?) a indiqué qu'il fallait que je suive les ordres
17 qu'on me donnerait.
18 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Comment se fait-il
19 que M. Krajisnik ait été là pour intervenir dans ce genre de contacts ?
20 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- M. Krajisnik était
21 un ancien ami du patron de l'immeuble, et nous avions déjà usé de son
22 influence lorsque il s'était agi, notamment, de nous restituer un véhicule
23 qui nous avait été enlevé.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Au moment où vous
25 étiez pris comme otage, avez-vous eu connaissance des accusations que les
Page 499
1 Serbes prétendaient retenir contre vous ?
2 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui ; d'après
3 certains observateurs -soit à la fin du premier jour, soit au début ou
4 vers la fin du deuxième jour-, au moment où ils se trouvaient dans leur
5 quartier d'habitation, ils avaient appris par leur interprète que nos
6 photos étaient passées à l'écran et qu'on avait expliqué au public que
7 notre équipe d'observateurs, moi-même, le capitaine Zidlik et le capitaine
8 Katorgaski(?), étions des gens des Nations Unies chargés de piloter les
9 raids aériens sur la région.
10 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Etiez-vous capable
11 de faire ce genre d'observations et d'exécuter ce genre d'opérations ?
12 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Non, nous ne
13 pouvions pas exécuter ces opérations avec l'équipement que nous possédions
14 sur place, et on ne pouvait donc pas guider les raids aériens ; on voyait
15 à peine les cibles attaquées. Parce que je vous précise, en effet, que ces
16 bunkers et les dépôts étaient à une dizaine de kilomètres du lieu où on se
17 trouvait. On voyait donc les explosions de loin, on entendait les échos et
18 les retentissements, et on voyait les colonnes de fumées qui s'élevaient à
19 partir de l'endroit atteint.
20 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Avez-vous pu
21 contester ces fausses déclarations ?
22 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, nous l'avons
23 dit au reporter Snezan Zanovic(?) que nous avons vu le lendemain et plus
24 tard, lorsqu'il nous a rendu visite le 31 mai. Et M. Zanovic(?) nous a
25 expliqué que les uns mentaient et que d'autres devaient aussi mentir, que
Page 500
1 ces mensonges étaient vraiment de fausses accusations et qu'ils le
2 faisaient pour appuyer et étayer leur propre propagande.
3 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Vers le 28 mai,
4 avez-vous essayé d'entrer en contact avec le bureau de M. Koljevic ?
5 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui ; c'était le 29
6 mai ; nous avons essayé de revenir dans nos quartiers d'habitation pour y
7 prendre certains objets, pour y faire de la lessive, et on permettait
8 régulièrement, à quelques jours d'intervalle, à l'un ou deux d'entre nous,
9 de sortir en compagnie de gardiens pour déposer notre linge sale, payer
10 notamment nos notes, et faire nos comptes avec les habitants.
11 Un de mes interprètes était libre. Et, sachant que nous
12 allions, dans quelques instants, nous rendre de ce quartier à mon quartier
13 résidentiel, j'ai prié cet interprète d'appeler mon bureau et de donner
14 les ordres nécessaires à l'interprète sur place afin d'appeler le Pr
15 Koljevic pour demander à sa secrétaire -dont le nom est Sesa- de nous
16 assurer la possibilité de rentrer dans nos quartiers d'habitation. Et
17 c'est au moment où nous avons quitté le quartier d'habitation.
18 J'avais donc appelé l'autre équipe Sjeraeco(?). Lorsque nous
19 avons quitté le quartier (Sjeraeco 1 ?), et au moment de regagner nos
20 quartiers d'habitation, le téléphone a sonné, mon interprète a répondu,
21 s'est tourné vers le gardien, et a indiqué que la secrétaire du
22 Pr Koljevic voulait me parler. On m'a passé l'écouteur et j'ai parlé avec
23 la secrétaire du Pr Koljevic.
24 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Et vous avez
25 organisé une rencontre ?
Page 501
1 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui. Jusqu'à ce
2 moment-là, j'avais pensé que toute cette prise d'otage et la manière dont
3 nous étions traités était une grosse erreur étant donné que nous avions
4 eu, jusque là, de bonnes relations de travail avec le gouvernement serbe
5 et avec les militaires. C'est pourquoi je lui ai demandé si Seca pouvait
6 organiser une rencontre entre moi et le Pr Koljevic parce qu'il était très
7 important que je lui parle. Elle m'a répondu qu'elle organiserait cela
8 pour le jour suivant. Et elle a dit au capitaine Radovan Vodovic, qui
9 était mon gardien, qu'il y aurait une rencontre à laquelle je devrais
10 participer le lendemain, de manière à ce que je puisse rencontrer
11 M. Koljevic.
12 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Avez-vous pu
13 rencontrer M. Koljevic ?
14 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, mais rien ne
15 s'est produit le jour suivant. Mon gardien, le capitaine Vodovic, a dit
16 être dans l'incapacité de joindre les bureaux de M. Koljevic et les mêmes
17 explications nous ont été données dans les jours qui ont suivi. Ce n'est
18 que trois jours avant notre libération -le 15 juin- que le Pr Koljevic a
19 finalement organisé une rencontre avec moi.
20 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Et lorsque vous avez
21 eu enfin l'occasion de rencontrer Koljevic, comment cette conversation
22 s'est-elle déroulée ?
23 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- En fait, ma
24 préoccupation principale était de pouvoir contacter ma famille la plus
25 proche, et de pouvoir également m'entretenir avec lui d'autres aspects
Page 502
1 moins désagréables du traitement qui nous était imposé, et de discuter
2 avec lui du type de relations de travail que l'on pourrait établir, à
3 l'avenir, entre les observateurs militaires et le gouvernement serbe à la
4 lumière de cette prise d'otages. C'est donc de cela que nous avons parlé.
5 Le Pr Koljevic a dit que du fait de la crise -laquelle était
6 provoquée par les bombardements-, les relations entre le gouvernement
7 serbe bosniaque et les Nations Unies étaient très mauvaises et qu'il
8 faudrait rediscuter pour voir quelles seraient les relations de travail à
9 l'avenir. Il a également justifié la prise d'otages en disant que
10 naturellement il comprenait très bien que, pour nous, cette situation
11 était extrêmement difficile, mais il a ajouté que le gouvernement serbe
12 bosniaque devait adresser un message très fort aux Nations Unies. Il a
13 utilisé l'analogie d'un choc électrique en disant que, dans certaines
14 conditions médicales, un électrochoc pouvait parfois tuer une personne,
15 mais dans d'autres cas la guérir, et qu'il était nécessaire de faire subir
16 un électrochoc aux Nations Unies.
17 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Peut-être, monsieur
18 le président, que le moment est venu d'interrompre cette journée.
19 M. le Président.- Il est 17 heures 30, l'audience est levée,
20 elle reprendra avec la poursuite de votre déposition, capitaine, demain
21 matin à 10 h 00.
22
23
24 La séance est levée à 17 h 30
25