Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-95-5-R61

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE AFFAIRE N° IT-95-18-R61

3 Mardi 2 juillet 1996

4

5 Devant la chambre de première instance composée comme suit :

6 M. le juge Claude Jorda, Président

7 Mme le juge Elizabeth Odio Benito

8 M. le juge Fouad Riad

9 Assistée de :

10 M. Dominique Marro, Greffier-Adjoint

11 LE PROCUREUR

12 c/

13 Ratko MLADIC

14 et Radovan KARADZIC

15 Le bureau du Procureur :

16 M. Eric Ostberg, M. Mark Harmon, M. Terre Bowers

17

18 Mardi, 2 juillet 1996

19 (matin)

20 La séance est ouverte à 10 h 10

21 M. le Président. - Monsieur le maire de Sarajevo, asseyez-

22 vous.

23 Monsieur le Procureur, je crois que vous vouliez faire

24 projeter une vidéo, puis le Tribunal posera quelques questions.

25 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Nous entendons

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1 effectivement entamer cette matinée avec un montage vidéo composé de

2 séquences de films recueillies par le Bureau du procureur comme éléments

3 de preuve afin que nous puissions refléter et vous donner une idée de ce

4 qui se passait et ce qu'était la vie à Sarajevo pendant les bombardements

5 et les pilonnages, au cours du siège. Nous passons donc à la projection de

6 ce montage vidéo.

7 (Projection de la vidéo)

8 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Monsieur Kupusovic,

9 avez-vous commentaires, en guise de conclusion, que vous voudriez nous

10 présenter ?

11 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Honorable

12 Tribunal, Honorable Cour, je n'ai pas voulu, par ce témoignage, éveiller

13 les émotions de qui que ce soit. Les faits qui portent sur le siège, sur

14 l'étranglement de Sarajevo, sont des faits notoires, connus de tout un

15 chacun.

16 Je tiens à faire ressortir que nous n'avions jamais perdu

17 l'espoir en la justice, en la paix. Ce Tribunal a été constitué pour

18 défendre les principes de nos civilisations contre les crimes de guerre,

19 contre les auteurs de ces crimes de guerre. Il vous incombe donc,

20 messieurs, madame le Juge, à vous, monsieur le Procureur, de vous

21 acquitter de votre mission historique.

22 Allez-vous céder devant les principes barbares ? Ou les

23 organisations internationales seront-elles en mesure de punir les

24 criminels de guerre et les crimes de guerre ? La justification de ne pas

25 faire quelque chose peut être exister, mais évidemment il importe

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1 d'essayer de trouver la possibilité de ne pas le faire.

2 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Monsieur le

3 président, c'est tout pour le moment pour le Bureau du Procureur.

4 M. le Président..- Merci, monsieur le Procureur. Je me tourne

5 à présent vers mes collègues. Madame le juge, avez-vous quelques questions

6 à poser ?

7 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Votre parti

8 politique, monsieur, a-t-il essayé de faire quelque chose pour que la

9 guerre soit évitée ?

10 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Oui.

11 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Que pourriez-

12 vous dire pour ce qui est des autres parties politiques ? Avaient-ils, eux

13 aussi, entrepris quelque chose pour que la guerre soit évitée ?

14 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Tous les

15 partis ont oeuvré pour la paix, à l'exception du parti du SDS, c'est-à-

16 dire du parti démocratique serbe dirigé par le docteur Karadzic.

17 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - A plusieurs

18 reprises, vous avez utilisé l'expression des "Serbes de Karadzic". Y a-t-

19 il des Serbes d'un autre genre, à part les gens de Karadzic ?

20 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - En parlant

21 des "Serbes de Karadzic", je parle de ceux qui appliquaient et mettaient

22 en oeuvre la politique de Karadzic qui a abouti à ces différents crimes de

23 guerre dont nous avons été témoins. A Sarajevo, quelque 40 000 Serbes ont

24 subi ces mêmes souffrances et ont partagé celles des autres habitants de

25 Sarajevo. A travers toute la Bosnie-Herzégovine, dans de nombreuse

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1 contrées et régions, de nombreux Serbes furent parmi les victimes de

2 guerre, à part les Serbes de Karadzic.

3 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Hier, vous

4 avez parlé de 12 000 victimes du siège de Sarajevo. Vous avez parlé aussi

5 de 1 600 enfants. Pourriez-vous nous donner un nombre se rapportant aux

6 morts, s'agissant des hommes et des femmes ?

7 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Je n'ai pas

8 les données exactes, mais c'est à peu près fifty-fifty.

9 Mme Odio-Benito (interprétation de l'anglais). - Moitié

10 moitié.

11 Je m'excuse par avance pour la question que je vais vous

12 poser. Après toutes ces atrocités de la guerre, pourriez-vous nous

13 dépeindre votre vision de l'avenir de Sarajevo, de l'avenir de votre

14 pays ?

15 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - L'avenir de

16 ma famille, de ma ville, de mon pays, a en quelque sorte déjà commencé. A

17 Sarajevo, il est aujourd'hui plus facile de vivre, plus facile de vivre

18 après les accords Dayton. Il subsiste toutefois un obstacle qui

19 s'interpose à cet effort de renouveau du pays, de l'effort de

20 réconciliation et de reconstruction du pays, je pense surtout aux

21 criminels de guerre. C'est cet obstacle qui s'interpose à un avenir de la

22 ville et de mon pays.

23 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

24 maire Kupusovic, dans le cadre de l'une des interviews que vous nous avez

25 montrée, nous avons entendu M. Karadzic dire : "on pourrait prendre

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1 Sarajevo à tout moment", en regardant Sarajevo du haut d'une montagne.

2 Selon vous, pourquoi n'a-t-il pas pris Sarajevo ? Pourquoi ont-ils soumis

3 Sarajevo à un siège aussi longtemps ? Quel a été l'objectif de l'ensemble

4 de cette opération ?

5 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Je suis

6 convaincu qu'ils auraient pu entrer et prendre Sarajevo au cours des

7 premières semaines de la guerre. Leur objectif n'était pas de détruire,

8 d'anéantir la ville, parce que se trouvaient dans la ville les Nations

9 Unies, la Croix Rouge internationale, le Comité international de la Croix

10 Rouge. Leur but a été de diviser la ville qu'ils considéraient être

11 répartie entre parties : une partie exclusivement serbe, l'autre

12 exclusivement musulmane.

13 Au commencement, ils n’ont pas réussi dans cette visée. Leur

14 deuxième objectif était de rendre impossible la vie normale dans la ville

15 de façon que les gens se sentent désespérés et qu’ils soient contraints de

16 quitter la ville pour que cette ville meurt.

17 Ensuite, ils n'ont pu pénétrer dans cette ville car ils

18 n'avaient plus d'équipement. Et, sauf à subir des pertes matérielles et

19 humaines de leur côté, ils ne pouvaient pas entrer dans la ville.

20 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Merci pour cette

21 réponse. Dans votre résumé présenté tout au début, vous avez parlé des

22 Serbes comme minorité par rapport aux Musulmans. Cette minorité a-t-elle

23 souffert d'une quelconque forme de discrimination à Sarajevo ?

24 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Pas du tout.

25 Il y avait à Sarajevo quelque 42 % de Musulmans, 33 % de Serbes et quelque

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1 9 % de Croates et autres nationalités, mais jamais, pour ce qui est de

2 Sarajevo, et qu'il s'agisse de qui que ce soit, on n'a créé un malaise

3 quelconque de l'autre côté dans un autre milieu, que ce soit des Gitans,

4 des Tziganes ou ceux qui habitaient dans la ville ou dans les banlieues.

5 Avant la guerre, on a essayé de répandre ce sentiment de

6 malaise parmi les Serbes pour que ceux-ci commencent à se sentir un peu

7 mal à l'aise dans leur environnement immédiat. Evidemment, dans les

8 villages pratiquement serbes, il était plus facile d'essayer de le faire.

9 Il est une question d'avenir, à savoir d'imaginer comment ces différentes

10 populations mixtes pourront désormais vivre en commun, songer à une

11 cohabitation.

12 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Il n’y a pas eu de

13 conflit qui précédaient. Je pense à des conflits et à des accrochages de

14 quelque sorte que ce soit entre Serbes et Musulmans ?

15 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Non, jamais.

16 Même pendant la première et la deuxième guerre mondiale, il n'y a pas eu

17 de conflit interethnique au sein de la ville même.

18 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Quel a été l’élément

19 qui a déclenché ces hostilités ?

20 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Il s'agissait

21 de ces projets de la grande Serbie qui comprenaient, entre autres,

22 l'annexion d'une grande partie de la Bosnie à la Serbie.

23 Partout où les Serbes étaient majoritaires, dans le sens

24 absolu, ou relativement majoritaire, il fallait que tous les Serbes vivent

25 dans un même état et uniquement les Serbes. Ceci entraînait en quelque

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1 sorte l'expulsion de tous ceux qui ne voulaient pas se conformer à ce

2 genre de projet. Dans ce contexte, Sarajevo était envisagée comme une

3 enclave pour les non-Serbes qui serait comme Srebrenica et, au fil du

4 temps, connaîtrait ce sort.

5 M. Riad (interprétation de l’anglais). - Nous avons pu voir

6 de nombreuses interviews données par M. Karadzic et portant sur Sarajevo,

7 mais le général Mladic a-t-il participé, de quelque manière que ce soit, à

8 l’opération du siège de Sarajevo ?

9 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Il était

10 commandant de toutes les armées des Serbes bosniaques. Il était celui qui

11 donnait les ordres. Par conséquent, rien sur le plan militaire ne pouvait

12 être exécuté sans les ordres du général Mladic. Les médias de la Republika

13 Srpska le répercutaient sans cesse et ce sont des faits bien connus, des

14 faits notoires.

15 M. Le Président. - Monsieur le Maire, une ou deux questions.

16 Durant ces quatre longues années, il y a eu beaucoup de négociations

17 autour de cessez-le-feu. Avez-vous participé personnellement à ces

18 négociations et quelle impression en avez-vous retirée, de sérieux ou pas

19 sérieux ? Quel est votre sentiment ?

20 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Au cours des

21 deux premières années de ce siège, j'ai fait partie de la Commission

22 devant s'occuper des problèmes d'approvisionnement en eau, en électricité

23 et à un échelon de technicien.

24 Tous nos accords étaient clairs et nets. En effet, l'eau, le

25 courant, le gaz, tous les services de première nécessité, indispensables,

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1 tout cela ne serait pas utilisé à des fins de guerre. Mais parfois ces

2 accords n'étaient pas honorés et, au fil du temps, des accords nouveaux

3 ont été conclus. Il est arrivé que je ne participe pas directement à

4 certaines concertations. Je le faisais alors par l'intermédiaire de mes

5 collaborateurs techniques, au niveau de ce que nous appelions "Commission

6 d'infrastructures" dirigée par les experts des Nations Unies, à l’échelle

7 de la ville de Sarajevo.

8 Je pense pouvoir dire que ces accords n'ont jamais été

9 intégralement respectés par le côté serbe. Ils n'avaient du reste même pas

10 l'intention, dirai-je, de les respecter. Ils voulaient être maîtres et se

11 définir comme étant les chefs de la situation.

12 M. Le Président. - Je voudrais vous poser une question sur le

13 statut de la ville dans le cadre des négociations de Dayton. Comment

14 s’applique ce statut ? Comment le voyez-vous ? Quel jugement portez-vous

15 sur le statut projeté dans l'avenir dans le cadre de ces négociations.

16 Quelle est l'opinion de vos compatriotes également ?

17 M. Kupusovic (interprétation du serbo-croate). - Sarajevo est

18 l’une de ces quelques villes qui a su préserver sa structure

19 multiethnique, pluriethnique et un type de vie différent, urbanisé. C’est

20 ce que l’on a défendu pendant tout le siège de la ville.

21 D'après les accords de Dayton, Sarajevo est maintenue comme la

22 ville principale, la capitale de la Fédération, la capitale de l'Etat de

23 Bosnie-Herzégovine. Quand je dis "Fédération", je pensant à la Fédération

24 croato-musulmane.

25 Mais toutes les parties en présence ne se sont pas encore

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1 mises d'accord et je pense que l'on pourrait réfléchir d'ores et déjà à

2 cette idée de faire un canton de Sarajevo, dans le cadre des districts

3 dont le découpage est prévu par les accords de Dayton.

4 Il est essentiel, parlant de Sarajevo, que l'on assure le bon

5 fonctionnement des services essentiels, c’est-à-dire qu'ils commencent à

6 travailler comme ils le faisaient en temps de paix, dans des circonstances

7 normales. Dès lors, tous les problèmes, tout ce qui s’est déjà passé sera

8 vraiment du passé et relégué au passé.

9 M. Le Président. - Merci, monsieur le Maire. Je n’ai pas

10 d'autres questions. Les juges n'ont pas d'autres questions, ni le

11 procureur.

12 Le Tribunal tient à vous remercier. Il a été très sensible à

13 votre venue et à la difficulté que cela a dû représenter d’évoquer toutes

14 ces années.

15 Le Tribunal vous remercie. Il vous souhaite un bon retour et

16 surtout d'essayer de vous réinsérer dans la vie, le mieux possible. Merci,

17 monsieur.

18 Je crois que l'on peut raccompagner le témoin.

19 Monsieur le Procureur, désirez-vous prendre la parole

20 d’abord ?

21 M. Ostberg (en français). - Non merci.

22 M. Le Président. - Le premier jour de l'ouverture de cette

23 audience publique, concernant l'exposé public des charges pesant en l'état

24 du dossier sur les accusés Radovan Karadzic et Ratko Mladic, le Tribunal a

25 pris une décision que j’ai lue le premier jour et dont je rappelle qu’elle

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1 consiste à inviter à comparaître en qualité d'amicus curiae deux

2 personnalités.

3 Dans le déroulement des présentes audiences, le moment est

4 venu pour le Tribunal d'entendre l'exposé de madame Christine Cleiren.

5 Je rappelle que le Tribunal a demandé à Mme Christine Cleiren

6 de participer à cette audience en tant que membre de la Commission

7 d’experts, établie en vertu de la résolution 780 du Conseil de sécurité de

8 1992, à comparaître en qualité d’amicus curiae dans le cadre de ces débats

9 et de faire un exposé à la fois sur son expérience au sein de cette

10 Commission, et plus particulièrement sur la pratique du viol et des

11 sévices sexuels dans le cadre de la purification ethnique en Bosnie-

12 Herzégovine depuis 1990, et les conclusions de ladite commission sur ce

13 sujet.

14 A présent, j’invite Mme Cleiren à se présenter devant le

15 Tribunal. Monsieur l’huissier, vous pouvez faire venir Mme Cleiren. Nous

16 allons l'installer pour des commodités techniques et pratiques au banc des

17 témoins, mais en rappelant bien que Mme Cleiren a un statut d’amicus

18 curiae et non pas de témoin, ce qui aura pour conséquence que Mme Cleiren

19 n’aura pas à prêter serment.

20 Madame Cleiren, je ne vais pas répéter ce que je viens de

21 dire. Voilà comment va se présenter votre exposé.

22 Je vous rappelle que dans les règles du tribunal pénal

23 international, il existe un article 74 qui dit qu'une Chambre peut, si

24 elle le juge souhaitable dans l'intérêt d'une bonne administration de la

25 justice, inviter et autoriser tout Etat, toute organisation ou toute

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1 personne à faire un exposé sur toute question qu’elle juge utile.

2 Vous avez reçu la lettre vous invitant à venir faire cet

3 exposé. Le Tribunal tient à vous remercier d'avoir répondu à son

4 invitation.

5 Le découpage de notre séance concernant votre exposé va se

6 faire, en accord avec mes collègues, de la façon suivante : vous allez

7 vous présenter, dire quel a été votre parcours, dans quelles conditions

8 vous avez été désignée pour faire partie de la Commission d’experts

9 établie en vertu de la résolution 780 du Conseil de sécurité.

10 Ensuite, vous ferez l'exposé que vous estimez utile de faire

11 sur votre expérience et les conclusions de la Commission d’experts à

12 laquelle vous avez participé.

13 Puis vous ferez un exposé beaucoup plus central sur le point

14 qui a motivé la demande d'audition présente, c'est-à-dire -je vous le

15 rappelle- sur la pratique du viol et des sévices sexuels dans le cadre de

16 la purification ethnique en Bosnie-Herzégovine depuis 1992 et les

17 conclusions que vous avez pu tirer au sein de cette Commission ou vous

18 personnellement.

19 Ensuite, le Tribunal, qui est celui qui vous a demandé de

20 venir, vous posera -s'il le souhaite- des questions comme cela a été fait

21 pour le témoin cité par le procureur. Puis, bien entendu, je me tournerai

22 vers le banc du procureur pour demander à M. le procureur s'il a des

23 questions à vous poser.

24 Madame Cleiren, parlez bien entendu sans crainte, cela j'en

25 suis sûr, parlez de la façon la plus libre. Puisque c'est un exposé,

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1 sentez-vous libre. Vous êtes devant un tribunal pénal international,

2 c'est-à-dire devant une instance de Justice. Sentez-vous très à l'aise.

3 Nous vous écoutons.

4 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur

5 le Président. Je vais d'abord me présenter. J'enseigne le droit pénal aux

6 Pays-Bas, c'est mon métier habituel, mais j'ai été membre de la Commission

7 d'experts pendant huit mois, d'octobre 1993 à la fin du mandat de la

8 Commission.

9 J'ai été désignée membre de cette Commission, après que le

10 président de la Commission ait donné sa démission et qu'un autre membre de

11 la Commission soit décédé. C'est ainsi que j'ai été désignée membre de la

12 Commission avec un collègue.

13 Nous avons, au sein de cette Commission, partagé un peu le

14 travail et, en ce qui concerne ces tâches, il est important de savoir que

15 je n'ai pas été chargée explicitement des enquêtes en matière de sévices

16 sexuels ou d'étudier le problème de la violence sexuelle. C'est

17 M. Passouini(?), le président de la Commission, qui a été chargé de la

18 grande responsabilité des enquêtes dans ce domaine. En ce qui me concerne,

19 dans ce domaine particulier, j'ai été chargée de l'étude juridique qui a

20 été annexée au rapport final de la Commission.

21 Je vais essayer de vous donner un aperçu des activités de la

22 Commission des experts en ce qui concerne les sévices et la violence

23 sexuels, les viols et les conclusions de la Commission dans ce domaine.

24 La Commission a mis en oeuvre plusieurs approches en ce qui

25 concerne ces questions.

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1 Tout d'abord, la préparation d'une étude juridique de manière

2 à identifier les critères qui pourraient être utilisés pour l'application

3 des instruments du droit international humanitaire dans ce contexte.

4 Cette étude devait voir, d'une part, quelles étaient les

5 possibilités et, d'autre part, les contraintes auxquelles se heurte ce

6 droit dans son application à ce type tout particulier d'infractions. Je

7 reviendrai sur les questions juridiques par la suite.

8 Ensuite, la Commission a collecté de la documentation

9 factuelle, à partir de différentes sources : gouvernements, organisations

10 intergouvernementales, non gouvernementales, des groupements religieux,

11 des groupements de femmes, des individus à titre privé et les médias.

12 Par ailleurs, la Commission a mené des enquêtes sur le

13 terrain, interviewé des victimes, des témoins, en posant principalement

14 des questions afin de savoir si, oui ou non, il y avait une tactique

15 systématique dans le domaine de la violence sexuelle qui a été commise.

16 Je vous présenterai tout à l'heure les conclusions en matière

17 de viols et de sévices sexuels, ce qui a été indiqué dans le Rapport final

18 des Commissions et les conclusions en ce qui concerne la politique

19 systématique mise en oeuvre dans ce domaine, mettant en exergue certaines

20 caractéristiques communes à la plupart de ces cas.

21 Mais je voudrais également, d'entrée de jeu, émettre certaines

22 réserves et mettre en garde en ce qui concerne ces conclusions :

23 Tout d'abord parce que naturellement la Commission n'a pas eu

24 connaissance de tous les cas de violence sexuelle qui ont été commis et

25 ce, pour différentes raisons :

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1 - la Commission a fait son travail pendant le conflit ;

2 - nous savions, s'agissant de la violence sexuelle, qu'il est

3 très difficile de savoir ce qu'il en est exactement en temps de guerre

4 étant donné que les lois ne sont plus respectées, que l'ordre n'existe

5 plus et que les auteurs de ces crimes sont en général des soldats ;

6 - les victimes n'ont pas beaucoup confiance, elles ne pensent

7 pas qu'on pourra vraiment leur rendre justice, donc elles sont très

8 réticentes à faire connaître ces violences sexuelles ;

9 - les victimes et les témoins ont peur aussi des attaquants,

10 ils ont honte, sont humiliés par ce qui s'est passé et n'ont pas envie

11 d'en parler pour ne pas revivre l'expérience traumatisante.

12 En second lieu, les informations que la Commission a reçues

13 contenaient des allégations. Toutefois, la crédibilité et la fiabilité des

14 rapports reçus et des témoignages ne pouvaient pas être vérifiées par la

15 Commission pour différentes raisons, ce qui veut dire qu'il faut être

16 extrêmement prudent avant de tirer des conclusions en se fondant sur des

17 cas individuels et ce, en particulier pour les raisons suivantes :

18 - tout d'abord, des individus, tout comme des groupes, peuvent

19 être motivés par la vengeance politique ou personnelle ou par le souhait

20 d'encourager des groupes à faire connaître la violence sexuelle ;

21 - au fur et à mesure que le temps passe, il devient de plus en

22 plus difficile de distinguer ce qui est vrai de ce qui est exagéré et de

23 ce qui est inventé ;

24 - il est un phénomène bien connu -et, naturellement, on le

25 retrouve dans le cas de la Yougoslavie- que certaines personnes

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1 s'identifient avec les victimes d'une violence sexuelle extrême et qu'en

2 fait, elles font leur ce qu'elles ont entendu dire comme si c'était leur

3 propre expérience ;

4 - certains signes indiquent que la violence sexuelle dont ont

5 parlé les parties au conflit faisait partie de leur propagande ;

6 - enfin, très souvent les rapports ont été des rapports de

7 deuxième main, voire de troisième main, et très souvent ils étaient très

8 généraux.

9 Malgré tout cela, la Commission a des raisons de dire que les

10 sévices sexuels, la violence sexuelle et les viols ont été commis un peu

11 partout sur une grande échelle, et que c'était pour partie le fait

12 d'individus isolés ou de petits groupes qui n'agissaient pas sur ordres

13 dans le cadre d'une politique générale, et pour partie le résultat d'une

14 politique systématique adoptée dans ce domaine.

15 Ces scénarios qui se répètent, ces schémas de comportement,

16 l'effet cumulatif des caractéristiques que l'on retrouve dans toutes les

17 déclarations, qu'il s'agisse d'événements qui se sont produits à

18 l'intérieur ou à l'extérieur du contexte de détention et tous les rapports

19 et déclarations ont confirmé le point de vue de la Commission.

20 On peut identifier en fait cinq scénarios dans le domaine du

21 viol et des sévices sexuels. Je vous citerai dans ce domaine les

22 paragraphes 245 à 249 du rapport de la Commission.

23 Ces cinq schémas ou scénarios, qui émergent des cas dont il a

24 été fait rapport, identifient une violence sexuelle qui va de paire avec

25 le pillage et l'intimidation pendant le conflit et, en deuxième lieu, la

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1 violence sexuelle pendant la guerre, puis un troisième schéma la violence

2 sexuelle dans les camps, et quatrième schéma la violence sexuelle dans

3 certains camps consacrés au viol. Pour terminer, dans des bordels.

4 Je vais vous citer les paragraphes. Le premier schéma, c'est-

5 à-dire la violence sexuelle avec pillage et intimidation, est commis par

6 des individus et des petits groupes, et ceci avant l'éclatement du

7 conflit. Les tensions dans une région montent et les groupes ethniques qui

8 contrôlent cette région commencent à terroriser leurs voisins.

9 Deux ou trois hommes entrent dans une maison, intimident les

10 résidants, volent leurs biens, les battent et en général violent les

11 femmes.

12 Certains des viols dont nous avons eu connaissance ont été

13 uniques, dans d'autres cas multiples. C'est un peu une atmosphère de

14 bandes et tous les attaquants participent, même s'il n'y a pas abus sexuel

15 des victimes par tous.

16 En ce qui concerne le deuxième schéma, il s'agit d'individus

17 ou de petits groupes qui commettent des abus sexuels, mais dans le cadre

18 d'un conflit et souvent cela implique le viol de femmes en public.

19 Lorsque les forces attaquent une ville ou un village, les

20 populations sont rassemblées et séparées par sexe et par âge. Les femmes

21 sont violées dans leur maison au fur et à mesure que les forces

22 attaquantes prennent la région. D’autres femmes sont choisies, rassemblées

23 et violées publiquement. La population du village est ensuite transportée

24 dans des camps.

25 Le troisième schéma, ce sont en général des individus ou des

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1 groupes qui commettent des sévices sexuels dans les camps, parce qu'ils y

2 ont accès. En général, c'est lorsque la population d'un village a été

3 rassemblée, que les hommes sont exécutés ou envoyés dans des camps et que

4 des femmes sont envoyées dans des camps spécialement réservées pour elles.

5 Les soldats, les gardes, les paramilitaires, les civils sont

6 autorisés à entrer dans les camps, à choisir des femmes, soit à les

7 emmener avec eux pour les violer et, soit à les tuer ensuite, soit à les

8 ramener au camp.

9 Les rapports des survivants ont parlé de femmes qui avaient

10 été ainsi sorties des camps seules ou d'autres en groupe. C'est donc un

11 schéma très général, mais il y a également des allégations selon

12 lesquelles des femmes auraient été violées devant d'autres détenus ou

13 d'autres détenus étaient obligés de les violer devant les autres.

14 Au cours des interviews, quinze personnes ont été interviewées

15 concernant des allégations relatives au même camp de détention. Certains

16 des témoins étaient des hommes et toutes les femmes ont été victimes de

17 viol.

18 En général, ces viols se font en présence du commandant du

19 camp. Les gardes qui font partie de la sécurité autour du camp et des

20 soldats étrangers au camp ont l'autorisation d'accéder au camp aux fins de

21 viol.

22 Dans le quatrième schéma, il s'agit là d'individus ou de

23 groupes qui commettent des violences sexuelles contre les femmes, afin de

24 terroriser et d'humilier celles-ci. Ceci fait partie de la politique de

25 nettoyage ethnique. Les survivants de certains camps ont fait savoir

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1 qu'ils pensaient avoir été détenus aux fins d'être violés. Dans ces camps,

2 les femmes sont violées très fréquemment et en général devant d'autres

3 détenues, ceci étant généralement accompagné de passage à tabac et de

4 torture.

5 Certains des auteurs de ces crimes veulent par là imprégner

6 les femmes. Les femmes enceintes sont détenues jusqu'à ce qu'il soit trop

7 tard pour qu'elles puissent se faire avorter.

8 Le sixième schéma se rapporte aux violences sexuelles dans des

9 bordels. Les femmes sont détenues dans des hôtels ou dans de petites

10 unités tout simplement pour amuser les soldats. Il ne s'agit pas là de

11 provoquer des réactions chez les femmes. Ces femmes sont plutôt souvent

12 tuées plutôt qu'échangées, au contraire de ce qui se passe dans les autres

13 camps.

14 Une femme qui a été interviewée a été détenue dans une maison

15 privée avec un certain nombre d'autres femmes et ce pendant six mois. Les

16 femmes étaient d'origine ethnique mixte. Toutes les femmes étaient violées

17 lorsque les soldats rentraient du front, tous les quinze jours. On a dit à

18 ce témoin que les femmes devaient le faire parce que les femmes dans les

19 autres camps étaient épuisées.

20 Voilà les cinq schémas de comportements qui ont été identifiés

21 par la Commission à partir de toute la documentation reçue.

22 Pour résumer, on peut dire que la violence sexuelle semble

23 avoir été pratiquée sur une grande échelle. Parmi les cas de viols et de

24 sévices sexuels qui ont été portés à la connaissance de la Commission, on

25 s'est rendu compte que la plupart du temps c'était le résultat du

Page 389

1 comportement d'individus ou de petits groupes, dans certains cas sans

2 instruction, parfois comme faisant partie d'une politique très générale.

3 Cette conclusion se fonde sur le fait que les informations

4 reçues par la Commission au sujet de la violence sexuelle en Bosnie-

5 Herzégovine indiquent que cette pratique était très généralisée. Quatre-

6 vingt villes et villages auraient été le site de viols, et environ trente

7 villes ou villages ont connu ce qu'on peu appeler du viol à grande

8 échelle.

9 Mais cela ne se limite probablement pas à ces seuls trente

10 villes et villages. Certains facteurs indiquent qu'il y a un lien très

11 étroit entre l'action militaire et le viol systématique, particulièrement

12 lorsque les actions militaires visent à déplacer des populations.

13 Il semble également que le viol organisé ait été pratiqué dans

14 différents lieux très disparates, et pendant une brève période, entre le

15 printemps et l'automne 1992.

16 Par ailleurs, il semble que le viol systématique aille de pair

17 avec d'autres violations du droit international humanitaire dans les mêmes

18 régions. On constate ces comportements de non-respect dans les camps, au

19 front, dans les zones occupées, par exemple dans les camps de détention où

20 des scènes de tueries et de tortures ont eu lieu. Ont également eu lieu

21 des scènes de viol systématique.

22 On poursuit, dans le Rapport final de la Commission, en

23 indiquant les caractéristiques communes qui ont été identifiées dans les

24 cas portés à la connaissance de la Commission, qu'il se soient produits

25 dans le cadre de camps ou non (Cf. paragraphe 250).

Page 390

1 Les viols semblent se produire dans le cadre des efforts faits

2 pour déplacer certains groupes ethniques déterminés de la région. Ceci

3 implique, en fait, un renforcement du sentiment de honte et d'humiliation

4 des victimes qui sont violées devant des adultes ou des mineurs de la

5 famille, ou devant d'autres détenus, dans des endroits publics, ou le fait

6 de forcer les membres de la famille à se violer mutuellement. Les jeunes

7 femmes et les vierges tout particulièrement sont les cibles du viol, ainsi

8 que les notables de la communauté et les femmes instruites. Il s'agit, en

9 fait, de faire en sorte que les victimes et leur famille ne souhaitent

10 jamais revenir dans ces zones. Les auteurs de ces crimes disent aux femmes

11 qu'elles doivent porter des enfants du groupe ethnique de l'auteur du

12 crime, qu'elles doivent tomber enceinte, et ils les détiennent jusqu'à ce

13 qu'il soit trop tard pour un avortement. Par ailleurs, ils terrorisent les

14 victimes en leur interdisant de raconter ce qui s'est passé, sous peine

15 d'être tuées.

16 Des groupes importants d'auteurs de ce type de crimes

17 commettent des viols multiples et exercent des sévices sexuels à

18 l'intérieur des camps. Ils viennent la nuit avec des torches, choisissent

19 les femmes et les ramènent le matin. Les commandants des camps sont au

20 courant et parfois participent à ces violences sexuelles. Par ailleurs,

21 des objets comme des bouts de verre, des bouteilles, des canons de fusil,

22 des bâtons sont utilisés pour pratiquer des violences sexuelles sur les

23 femmes et des castrations et il est même parfois procédé à la castration

24 en forçant les détenus à mordre les organes génitaux des autres

25 prisonniers.

Page 391

1 En fait, on s'est rendu compte qu'il y avait de très grandes

2 similitudes dans les pratiques dans des régions qui n'étaient pas proches

3 les unes des autres, et qu'il y avait systématiquement violation du droit

4 humanitaire, ceci concomitamment avec des activités militaires visant à

5 déplacer des populations civiles. Dans ce cadre, on recourait également au

6 viol et aux sévices sexuels pour renforcer le sentiment de honte et

7 d'humiliation non seulement des victimes, mais de la communauté à laquelle

8 elles appartenaient. L'existence de ces éléments suggère qu'il existait

9 une politique systématique de viol et de sévices sexuels.

10 En ce qui concerne les conclusions générales de la Commission

11 dans ce domaine, je citerai les paragraphe 251 à 253. Toutes les parties

12 au conflit ont pratiqué le viol, mais ce sont principalement les Serbes

13 qui ont commis ces viols contre le groupe ethnique des Musulmans.

14 Paragraphe 252. En Bosnie, certains des cas de viol et de

15 sévices sexuels qui ont été portés à notre connaissance ont été commis par

16 des Serbes principalement contre les Musulmans. Tout cela semble faire

17 partie d'une politique générale dont les caractéristiques comportent des

18 similitudes avec les pratiques dans des zones géographiques non contiguës

19 et d'autres caractéristiques communes que j'ai déjà mentionnées.

20 Le paragraphe 253 indique que ces schémas suggèrent qu'il y

21 avait politique de viol systématique dans certaines régions, mais il

22 faudrait encore prouver que cette politique générale existait et était

23 appliquée à tous les non-Serbes. Il est clair qu'à un certain niveau de

24 l'activité des groupes et dans leurs instructions, il y avait la nécessité

25 de procéder à des viols. De plus, il faut replacer cela dans le contexte

Page 392

1 du "nettoyage ethnique", ce qui est abordé aux paragraphes 129 à 150,et

2 des pratiques dans les camps de détention dont il est question au

3 paragraphe 230. Replacé dans ce contexte, il est clair que de graves

4 infractions aux Conventions de Genève ont été commises, ainsi que d'autres

5 violations du droit international humanitaire.

6 Un élément important dans la conclusion de la Commission est

7 qu'une partie de la violence sexuelle ne peut être comprise que dans le

8 contexte des pratiques dans les différents camps et liée au concept

9 beaucoup plus vaste du nettoyage ethnique.

10 Je vais maintenant citer une partie des paragraphes 133 et 134

11 qui portent sur le nettoyage ethnique.

12 "La façon dont la politique du nettoyage ethnique est menée

13 par les Serbes en Bosnie est cohérente par le fait qu'une certaine région

14 géographique représentée par un arc va du Nord de la Bosnie, recouvre des

15 parties de la Bosnie orientale et occidentale touchant la zone serbe de

16 Krajna, en Croatie. La pratique de nettoyage ethnique a été menée dans les

17 régions stratégiques reliant les parties serbes, mais habitées par des

18 non-Serbes en Bosnie et en Croatie.

19 Ce facteur stratégique est très important pour comprendre la

20 politique menée dans certaines zones et pas dans d'autres. Les moyens de

21 coercition utilisés pour déplacer les populations civiles dans ces zones

22 stratégiques comprennent les meurtres de masse, la torture, le viol et

23 autres formes de violences sexuelles".

24 Grâce aux médias internationales, l'attention de la Communauté

25 internationale a pu être attirée sur la pratique des violences sexuelles

Page 393

1 et du viol dans l'ancienne Yougoslave, fin de 1992. Le nombre de rapports

2 que nous avons obtenus sur les viols systématiques a considérablement

3 diminué en 1993. En été 1993, nous n'avons eu connaissance que de quelques

4 cas.

5 Ce facteur semblerait indiquer, selon la Commission, la

6 capacité des leaders d'empêcher de telles pratiques lorsque la pression de

7 la Communauté internationale ou du public est telle qu'il convient de ne

8 pas mener de telles pratiques. Ceci est important du point de vue de la

9 responsabilité du commandement.

10 Ici, j'attire votre attention sur le paragraphe 237 qui se

11 termine sur le fait que cette conclusion pourrait montrer que

12 l'utilisation de viol a été une méthode du nettoyage ethnique plutôt

13 qu'une politique de mission tolérant le viol

14 En ce qui concerne les camps, il est important de savoir que

15 la Commission a reçu des informations très détaillées sur ces camps de la

16 République Serbe bosniaque. Ces camps avaient pour but de réaliser le

17 nettoyage ethnique. On peut ainsi expliquer une grande partie de la

18 violence sexuelle du fait qu'elle s'est produite dans les camps.

19 S'agissant de la pratique dans les camps de détention, il faut

20 se reporter aux paragraphes 223 à 230.

21 Au paragraphe 132, la Commission, s'agissant du nettoyage

22 ethnique, indique que la responsabilité ne doit pas être vue seulement au

23 niveau individuel et attirer l'attention sur la responsabilité du

24 commandement. En effet, certains commandants avaient ordonné très

25 clairement que des viols et des violences sexuelles soient pratiquées.

Page 394

1 Là, la responsabilisé du commandement est claire. Parfois, le

2 commandement a omis d'interdire ce genre de pratique. Ceci est en

3 violation avec le devoir du commandement et donc une violation de droit

4 international

5 On peut retrouver cela sur toute la chaîne de commandement. Il

6 est clair qu'il y a eu omission systématique pour empêcher ce genre d'acte

7 et omission de punition des auteurs de ces crimes.

8 Je m'arrête là. Je voulais vous donner la position de la

9 Commission et vous expliquer sur quelle documentation, celle-ci s'est

10 fondée pur arriver à ces conclusions. Je pense qu'il vaut mieux que je

11 m'en tienne là pour l'instant.

12 M. le Président. - Madame, dans le souci de ne pas rompre

13 l'homogénéité et la cohérence de votre exposé, qui est maintenant terminé,

14 le Tribunal a décidé de procéder à la pause que nous faisons tous les

15 matins à peu près en milieu de matinée des audiences. Nous reprendrons

16 avec vous à 11 heures 30 pour vous poser un certain nombre de questions.

17 L'audience, suspendue à 10 h 10, est reprise à 11 h 35.

18 M. le Président. - L'audience est reprise, veuillez vous

19 asseoir. Comme je l'avais annoncé avant la pause, le Tribunal souhaite

20 vous poser quelques questions. Je donne la parole à ma collègue, Mme le

21 Juge Odio-Benito.

22 Madame le Juge, vous avez la parole.

23 Mme Odio Benito interprétation de l'anglais). - Professeur

24 Cleiren, avez-vous écrit et publié des articles relatifs au viol et à

25 d'autres formes de violences sexuelles ?

Page 395

1 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - J'ai participé à

2 la rédaction de l'annexe du rapport de la Commission, l'annexe 2. Il

3 s'agit d'une étude juridique concernant le viol. J'ai également écrit un

4 article dans le journal de Droit pénal concernant l'applicabilité d'un

5 certain nombre d'articles de la Convention de Genève portant sur les

6 crimes contre l'humanité.

7 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Professeur

8 Cleiren, est-il permis de penser que le scandale provoqué par les viols de

9 masse des femmes a été l'un des éléments principaux qui a contribué à la

10 création de la Commission d'experts ?

11 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Je ne pense pas

12 disposer de suffisamment d'informations pour vous répondre précisément sur

13 ce point.

14 Dans le rapport de la Commission, il est stipulé au paragraphe

15 142, je cite : "Il existe suffisamment d'éléments de preuve pour conclure

16 que la pratique du nettoyage ethnique n'a pas été le fait du hasard, n'a

17 pas été sporadique et n'a pas été le fait de groupes d'hommes non

18 contrôlables par les dirigeants serbes". Fin de citation

19 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais). - Comment la

20 Commission est-elle arrivée à cette conclusion et quel est le rapport

21 entre les violences sexuelles et le nettoyage ethnique ?

22 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais. - J'ai tenté de

23 répondre clairement à cette question, mais ce n'est pas chose facile.

24 C'est d'ailleurs ce que j'ai tenté de montrer dans mon exposé.

25 S'agissant du nettoyage ethnique, j'ai évoqué un certain

Page 396

1 nombre d'aspects relatifs aux facteurs stratégiques dus au fait que le

2 nettoyage ethnique a été pratiqué dans des régions déterminées, à savoir

3 des régions de Serbie limitrophes, des régions peuplées par les Serbes en

4 Bosnie. Cet aspect stratégique est important sur le plan politique et

5 intervient également dans les sévices sexuels.

6 Outre cela, la brutalité avec laquelle ces actes de violences

7 ont été commis est importante. Cela ressort d'un grand nombre de viols et

8 autres formes de violences sexuelles. La complexité de ce schéma indique

9 qu'il y avait au moins une tentative de politique organisée.

10 Cela étant, à mon avis, il est difficile de dire quels

11 éléments de preuve et combien d'éléments de preuve sont nécessaires pour

12 affirmer que cela faisait partie d'une politique de nettoyage ethnique.

13 La stratégie utilisée, la brutalité associée à cette

14 stratégie, figure toutefois dans un grand nombre de rapports et dans un

15 très grand nombre de déclarations de nature comparable.

16 Tous ces rapports semblent donc indiquer qu'il existait bien

17 une politique, ou en tout cas un élément de politique.

18 Ensuite, vous m'avez demandé comment le viol peut être associé

19 à la pratique du nettoyage ethnique. Il est permis d'affirmer que le viol

20 a été utilisé non seulement comme attaque contre l'individu, mais dans le

21 but d'intimider et de créer la honte dans un groupe ethnique complet.

22 Les viols étaient souvent pratiqués en public, devant une

23 habitation, par exemple, sur des femmes âgées ou des jeunes filles, de

24 jeunes enfants, et notre rapport indique également que les violences

25 sexuelles et le viol avaient pour but de contraindre les gens à fuir la

Page 397

1 région. De ce point de vue, il est possible de dire qu'il y a un lien avec

2 le nettoyage ethnique.

3 Un autre argument réside dans le fait que les auteurs de ces

4 crimes déclaraient aux victimes que celles-ci étant détenues ne pourraient

5 pas avorter.

6 Il a également été rapporté fréquemment qu'il était dit aux

7 femmes qu’elles auraient des enfants de la nationalité du groupe ethnique

8 de l’auteur du crime et que ces enfants vivraient les conséquences de la

9 guerre en cours.

10 Certains auteurs de ces crimes ont déclaré qu'ils avaient été

11 contraints au viol et si l'on tient compte de tous ces arguments, il est

12 permis de dire que le viol faisait partie du nettoyage ethnique.

13 Mme Odio-Benito (interprétation de l’anglais). - Selon votre

14 avis d'expert, à quel point la pratique du viol en Bosnie-Herzégovine

15 était-elle généralisée ?

16 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Elle était très

17 généralisée. Selon les informations que nous avons obtenues, 80 villages

18 et villes ont été le site de viols fréquents. Ces villages et villes se

19 répartissent dans toute la région, mais plus spécialement dans les zones

20 stratégiques dont j'ai parlé, c'est-à-dire les zones limitrophes de la

21 Serbie comme la Krajina.

22 Mme Odio-Benito. (interprétation de l’anglais). - Le viol et

23 les violences sexuelles sont-ils nécessairement associés au nettoyage

24 ethnique ?

25 Mme Cleiren (interprétation de l’anglais). - Je pense que

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1 c'est le cas. La Commission a déclaré également qu’il y avait des cas de

2 violences sexuelles qui ont même été pratiquées en dehors de la politique

3 de nettoyage ethnique.

4 Dans certains cas, il n'est pas possible d'établir le lien

5 avec un parti, un groupe de soldats déterminé ou un groupe paramilitaire

6 déterminé. Dans d'autres cas, ce lien est manifeste, mais j'ai tenté de

7 vous donner des informations concrètes au sujet d'un certain nombre de cas

8 où les soldats pénétraient dans un village, emmenaient les hommes en

9 laissant sur place les femmes, les personnes âgées et les enfants. Un

10 certain nombre de ces femmes étaient alors violées, non seulement par les

11 soldats, mais également par des habitants du lieu. Il est difficile de

12 dire que c'était là le résultat d'un plan, mais c'est bien une situation

13 réelle.

14 Il est donc sans doute permis de dire qu'il y a également eu

15 des cas de viols individuels. Il est permis de penser qu’ils ont été le

16 fruit de la destruction de la loi et de l'ordre.

17 Mme Odio-Benito (interprétation de l’anglais). - Professeur

18 Cleiren, outre la pratique du viol en tant qu'élément du nettoyage

19 ethnique en Bosnie-Herzégovine, pouvez-vous nous dire brièvement quelle

20 est l'histoire des femmes dans les conflits armés s'agissant du viol ?

21 Mme Cleiren (interprétation de l’anglais). - Pouvez-vous

22 répéter votre question ?

23 Mme Odio-Benito (interprétation de l’anglais). - Je vous

24 demandais si vous pourriez, en tant que témoin expert, dire brièvement

25 quelle est l'histoire des femmes dans les conflits armés, sous l'angle du

Page 399

1 viol plus particulièrement.

2 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Dans le cours des

3 guerres, le viol est quelque chose qui se produit. Il est difficile de

4 dire clairement si le viol est toujours un facteur ou un instrument de la

5 guerre. Le fait que ce soit impossible à affirmer est le résultat des

6 enquêtes menées au sujet du viol au cours des conflits de l'Histoire, mais

7 on peut affirmer sans crainte de se tromper que le viol survient

8 fréquemment au cours des conflits armés.

9 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Dans votre

10 expérience, professeur Cleiren, dans quelles conditions le viol peut-il

11 être considéré comme une infraction grave aux conventions de Genève au

12 cours d'un conflit ?

13 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Pouvez-vous

14 répéter votre question ?

15 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Dans quelles

16 conditions, dans le cadre d'un contexte de guerre, le viol peut-il être

17 considéré comme une infraction grave aux conventions de Genève ?

18 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- D'abord il est

19 important de noter bien entendu que ce conflit doit être de nature

20 internationale. En dehors de cela, je suppose qu'il est permis de

21 considérer le viol comme une infraction grave, et je pense qu'il est

22 important de reconnaître le viol comme une infraction grave aux

23 conventions de Genève. Quant aux conditions dans lesquelles cela peut se

24 faire, elles dépendent de l'interprétation de l'expression "infraction

25 grave". Je suppose que le débat serait trop complexe pour développer tous

Page 400

1 les arguments ici.

2 J'ai tenté de le faire pour ma part dans l'article que j'ai

3 écrit dans Le Jour dont j'ai parlé tout à l'heure, et si vous le

4 souhaitez, je peux vous communiquer cet article.

5 J'essaie de répondre, mais ce n'est pas facile. Je pense qu'il

6 est important que les cas de viols, individuels notamment, soient

7 poursuivis et sanctionnés par application des dispositions relatives aux

8 infractions graves, surtout parce que ces cas sont difficiles à faire

9 rentrer dans le cadre des crimes contre l'humanité qui ne concernent que

10 les cas plus généralisés. Les infractions graves sont, me semble-t-il,

11 plus facile à prouver, et je pense qu'il peut être utile de traiter ces

12 cas dans le cadre des infractions graves.

13 Il y a également un point de principe qui intervient

14 s'agissant du lien à établir entre ces viols et les infractions graves,

15 car c'est une manière de reconnaître la qualification du viol en cas de

16 guerre. De ce point de vue, je pense également qu'il est important de

17 reconnaître que le viol est une infraction grave, la même chose

18 s'appliquant aux violations des lois ou coutumes de la guerre.

19 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Je n'ai plus

20 d'autres questions.

21 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Professeur Cleiren,

22 vous avez évoqué cinq schémas concernant la pratique du viol. L'un de ces

23 schémas ne peut pas résulter d'une activité individuelle. Je veux parler

24 du viol destiné à établir le nettoyage ethnique. Vous avez parlé

25 d'intimidations, de pillages, etc., tout cela peut avoir déjà eu lieu dans

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1 des conflits antérieurs, et peut être le résultat d'une activité

2 individuelle. Mais diriez-vous que le nettoyage ethnique est le résultat

3 d'une politique générale due des autorités de commandement supérieur ?

4 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Si j'ai bien

5 compris votre question, vous me demandez...

6 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Souhaitez-vous que je

7 répète ma question ?

8 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Oui, peut-être,

9 s'il vous plaît.

10 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Vous avez évoqué un

11 certain nombre de schémas relatifs au viol qui peuvent être liés à une

12 politique de commandement supérieur, mais pouvez-vous dire que le viol

13 destiné à établir le nettoyage ethnique peut également être le résultat

14 d'une activité individuelle ou est-ce que ce schéma doit toujours être le

15 résultat d'un commandement supérieur ?

16 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Je crois qu'il est

17 important de constater que le viol, même s'il n'y a pas de commandement

18 supérieur peut tout de même être une forme de nettoyage ethnique, dans les

19 camps notamment, parce que dans les camps, des hommes étaient autorisés,

20 dans certain cas, à pénétrer dans ces camps et à violer les femmes, le

21 commandant de ces camps n'empêchant pas ce type de conduite, et ne

22 sanctionnant pas ce type de comportement. Si l'on remonte la hiérarchie du

23 commandement, je pense donc qu'il est de plus en plus facile, plus on

24 monte, d'empêcher ces crimes à grande échelle.

25 M. Riad (interprétation de l'anglais).- L'une des formes du

Page 402

1 nettoyage ethnique dont vous avez également parlé, consistait à faire

2 naître des enfants du même groupe ethnique que les auteurs du viol ? Il

3 s'agit donc d'une tentation destinée à modifier le caractère ethnique

4 d'une population. Est-ce-que cela peut résulter d'une activité

5 individuelle ou, sur la base de votre enquête, pouvez-vous affirmer qu'il

6 s'agit d'une politique systématique ?

7 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Je peux répondre

8 oui aux deux aspects de votre question. La Commission n'a pas disposé

9 d'informations suffisantes pour vérifier tous les témoignages, comme je

10 l'ai dit tout à l'heure. Je pense pouvoir dire que les deux ont sans doute

11 eu lieu. Des indications existent selon lesquelles la chaîne de

12 commandement était impliquée, un plan existait, cela est important et pour

13 cela, il faut que je parle néerlandais.

14 (L'orateur poursuit en néerlandais).

15 Cela se rapporter aux problèmes d'héritage, aux problèmes de

16 la descendance, de la succession. Pour autant que nous ayons pu le

17 constater, faire naître un enfant d'un autre groupe ethnique a pour

18 résultat automatique que l'enfant sera du groupe ethnique du père.

19 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Y a-t-il également eu

20 des viols d'hommes ou les viols étaient-ils spécialement destinés aux

21 femmes ?

22 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Des viols de

23 personnes des eux sexes ont été rapportés, mais les viols de femmes ont

24 été plus nombreux. On peut constater que le nombre de victimes femmes est

25 plus important, notamment en raison de l'existence de camps de détention

Page 403

1 spécialement destinés aux femmes. Il y a, deux types de camps de détention

2 dont des camps spécialement destinés aux femmes, où les cas de viols

3 rapportés ont été nombreux. Mais il y a également eu des hommes violés, il

4 y a également eu des hommes qui ont été victimes de violences sexuelles

5 très graves.

6 M. le Président. - Madame, avant de me tourner moi-même vers

7 le procureur, je voudrais vous poser quelques questions. Vous n'avez pas

8 vous-même été directement sur le terrain je crois ? En tout cas pas dans

9 le cadre d'enquête sur les viols.

10 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Je n'ai pas

11 compris votre question.

12 M. le Président. - Je voulais d'abord m'assurer que vous

13 n'avez pas été directement sur le terrain pour enquêter sur les viols

14 vous-même ?

15 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Non, je n'ai pas

16 été sur place. J'étais présente à Zagreb pendant une partie du travail

17 d'enquête, et j'ai assisté également à un certain nombre de dépositions de

18 témoins au sujet de viol. Mais je n'étais pas moi-même sur le terrain, ma

19 mission consistant uniquement à faire respecter les règles établies par la

20 Commission et à vérifier que tout se passait correctement dans le cadre du

21 travail de la Commission à Zagreb.

22 M. le Président. - C'était la précision que je voulais

23 obtenir et je peux vous poser maintenant ma question. Est-ce-que dans ce

24 cadre, au moment de la rédaction du rapport, vous dites vous-même que vous

25 avez entendu des témoins et vous avez donc discuté avec vos collègues de

Page 404

1 la Commission, vous avez entendu des témoins. Quel est le sentiment

2 général qui est ressorti de tout cela, quelle est votre impression ? Est-

3 ce le problème majeur de la guerre en ex-Yougoslavie cet aspect sexuel,

4 cet aspect de viol, cet aspect de purification ethnique, ou vous avez

5 l'impression que c'est une cruauté, une barbarie parmi d'autres ? Quel est

6 votre sentiment général, après avoir entendu vos collègues, après avoir

7 entendu des témoins ?

8 Je ne vous demande pas de me dire ce qui a été écrit dans le

9 rapport de la Commission nationale, mais de me donner votre propre

10 conclusion des faits ?

11 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais).- Mon expérience

12 personnelle, lors de l'audition des victimes, est que ces victimes ne

13 distinguaient pas leur propre expérience, les événements survenus. Ces

14 victimes n'en faisaient pas quelque chose de spécial, de particulier,

15 elles l'intégraient à la violence globale de la partie adverse. Elles n'en

16 faisaient pas un élément distinctif. Et si elles ne souhaitaient pas en

17 faire un élément distinctif, c'est donc qu'elles ne souhaitaient pas

18 séparer leur expérience personnelle de celle des autres victimes et des

19 autres actes de violence.

20 Tel est le résultat de mon expérience personnelle auprès des

21 victimes.

22 La Commission a considéré les violences sexuelles et le

23 problème du viol comme un problème important. Or, le fait de considérer

24 cela de cette façon a sans doute été dû à l'intérêt important suscité par

25 tous ces événements après la publication d'un grand nombre de documents

Page 405

1 concernant le viol. C'est donc là l'un des éléments principaux pour

2 lesquels la Commission a donné la priorité à l'équipe chargée de ce sujet.

3 S'agissant des autres violations de droits qui ont eu lieu,

4 meurtres et autres formes de violence, je crois pouvoir dire que le viol

5 n'est pas inférieur, mais il revêt la même nature violente que les autres

6 actes, tels que tortures, assassinats, etc. C'est en tout cas l'expérience

7 des victimes. Pour elles, c'est une des choses qui leur sont arrivées.

8 M. le président. - Je voudrais poser une seconde question,

9 madame le professeur. Est-ce que votre Commission ou vous-même avez eu, à

10 un moment quelconque de vos travaux, connaissance de protestations qui

11 auraient été émises par les autorités religieuses, les autorités

12 médicales, les autorités morales, les intellectuels, les écrivains ? Est-

13 ce qu'il y a eu un débat ? Avez-vous eu le sentiment que quelqu'un, ou une

14 religion ou des autorités morales, se soit exprimé sur cet aspect du

15 conflit durant les longues années qu'il a duré ?

16 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - De nombreux

17 groupes, de nombreuses institutions également ont publié des rapports

18 suite à leurs propres enquêtes sur les violences sexuelles et le viol. Ces

19 groupes et institutions ont exprimé... Je continue en néerlandais si vous

20 me le permettez.

21 (L'orateur poursuit en néerlandais.)

22 Un grand nombre d'organisations, un grand nombre de victimes

23 également, ont pris contact avec des organisations et ont informé la

24 Commission de leurs préoccupations et du fait qu'elles étaient atterrées

25 par ce qui se passait. Un grand nombre d'organisations ont agi pour donner

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1 une grande publicité à l'existence de ces actes de violence sexuelle,

2 notamment en Bosnie-Herzégovine.

3 En Bosnie-Herzégovine notamment, des organisations ont pris

4 soin des victimes, mais ce n'était possible que pour autant que celles-ci

5 étaient prêtes à se déclarer comme victimes. Dans ce cas, des

6 organisations religieuses s'en occupaient, lesquelles organisations

7 religieuses ont informé la Commission sur la base des témoignages qui leur

8 avaient été fournis.

9 M. le président. - J'entends bien, madame. Ma question,

10 permettez-moi d'insister, était de savoir si en Serbie, du côté serbe -et

11 j'aurais peut-être dû le préciser-, il y a eu une protestation. A-t-on

12 entendu dire que des évêques, des religieux importants, des écrivains,

13 autour uniquement du problème du viol ... parce qu'on peut formuler des

14 idées politiques, des schémas politiques constitutionnels pour son pays,

15 mais là n'est pas ma question.

16 Elle porte sur cet aspect-là : votre Commission a-t-elle eu

17 vent de gens qui, de par leur autorité morale, médicale, sanitaire, ont

18 dit : "Ça, ce n'est pas possible !", ou est-ce que vous n'avez pas eu écho

19 de cela ?

20 Mme Cleiren (interprétation de l'anglais). - Vous voulez

21 parler du côté serbe ?

22 M. le président. - Oui, par exemple.

23 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Du côté des

24 Serbes, nous n'avons pas eu connaissance d'une réaction quelconque. Ils

25 ont essayé de nier ce qui a été rendu public. Du moins je ne suis pas

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1 informée personnellement qu'il y ait eu de telles protestations. En tout

2 cas, nous n'avons reçu aucun rapport et il n'y a pas eu d'opposition...

3 Mme Odio-Benito (interprétation de l’anglais). - Nous n'avons

4 pas de traduction.

5 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Je répète. Pour

6 autant que je sois bien informée, nous n'avons reçu aucune réaction,

7 c'est-à-dire qu'on n'a pas nié que les choses soient véritables, il n'y a

8 pas eu opposition ou on n'a pas dit qu'on allait s'opposer à ce que se

9 reproduisent de telles pratiques.

10 La seule chose que nous savons, c'est que lorsque une grande

11 publicité a été donnée entre avril 1992 et décembre 1992 à ces crimes, le

12 nombre de rapports que nous avons reçus concernant les viols et les

13 violences sexuelles a beaucoup diminué. C'est ce qui a incité la

14 commission à en conclure que la publicité qui avait été faite avait eu des

15 conséquences et qu'elle avait même eu un effet sur les ordres qui avaient

16 été donnés.

17 M. le président. - Merci, madame. Je n'ai pas d'autres

18 questions. Je voulais simplement vous dire que le Tribunal avait inscrit

19 dans sa décision que si vous le souhaitiez, vous pouviez déposer tous

20 documents écrits, tous rapports ou éléments de rapport que vous jugeriez

21 opportun à l'appui de votre exposé.

22 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Je souhaiterais

23 effectivement remettre certains documents. D'ailleurs, vous en avez déjà

24 reçu une partie. Je voudrais tout d'abord vous remettre l'annexe au

25 rapport de la commission sur le viol et les sévices sexuels. Il s'agit de

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1 cette étude juridique dont je vous ai déjà parlé.

2 Je voudrais également vous remettre des rapports émanant

3 d'autres organisations qui avaient été mandatées par les Nations Unies

4 pour faire des enquêtes ou des études sur le viol.

5 Voulez vous savoir exactement la liste de ces documents ou

6 puis-je remette l'ensemble des documents à l'huissier ? Voulez-vous savoir

7 exactement ce qu'il y a dans ce dossier ?

8 M. le président. - Est-ce que la liste est longue, madame ?

9 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Non.

10 M. le président. - Alors vous allez annoncer la liste pour que

11 le tribunal décide si cela doit être joint au dossier.

12 Mme Cleiren (interprétation du néerlandais). - Je vous

13 remettrai donc certaines parties de l’annexe 2 (études juridiques du

14 rapport sur le viol et les violences sexuelles) du rapport final de la

15 commission, un rapport fait par le Conseil de sécurité émanant de la

16 mission de (âme d'heures tonnes) (?). C'est une commission qui a été créée

17 par la Communauté européenne. Dans ce rapport, on fait également une

18 analyse de la situation dans l'ancienne Yougoslavie.

19 Puis je vous remettrai une partie du rapport de la commission

20 des Droits de l'Homme sur les violations des Droits de l'Homme et des

21 libertés fondamentales concernant le viol et les violences sexuelles

22 pratiqués sur les femmes.

23 Je remettrai également l'annexe du rapport sur la situation

24 sur les territoires de l'ancienne Yougoslavie, rapport de Mazowiecki.

25 Enfin, je remettrai l'article que j'ai rédigé dans le forum de

Page 409

1 Droit pénal concernant l’applicabilité de certains des articles du statut.

2 Je pense que ces documents pourraient vous être utiles, c'est

3 pourquoi je les ai apportés.

4 M. le président. - Je vous remercie madame. Je me tourne vers

5 mes collègues.

6 Monsieur le greffier, vous voudrez bien prendre ces documents

7 remis par l'amicus curiae pour qu'ils soient versés au dossier du

8 tribunal.

9 Madame Cleiren, je me tourne maintenant vers M. le procureur.

10 Monsieur le procureur, vous avez la parole si vous souhaitez poser les

11 questions que vous jugerez utiles à l'amicus curiae désignée par le

12 tribunal.

13 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - C’est avec

14 beaucoup d'intérêt que le bureau du procureur a écouté ce qu’a dit Mme

15 Cleiren et nous la remercions très vivement pour tout ce qu'elle nous a

16 dit. Nous n'avons pas de question à lui adresser.

17 M. le président. - Dans ces conditions, madame, le tribunal

18 vous remercie d'avoir répondu à son invitation et estime désormais que

19 votre audition est terminée.

20 On peut donc à présent raccompagner madame Cleiren et passer

21 au témoin suivant.

22 (Madame Cleiren est escortée hors de la salle d'audience).

23 Monsieur le procureur, vous avez la parole.

24 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci monsieur le

25 président. Nous voudrions appeler maintenant Mme Oosterman qui est l’un de

Page 410

1 nos enquêteurs.

2 (Madame Oosterman est escortée dans la salle du tribunal).

3 M. le président. - Madame, restez debout d'abord. Voulez-vous

4 vous lever et prendre les écouteurs ? M'entendez-vous ?

5 Mme Oosterman (interprétation de l’anglais). - Oui.

6 M. le président. - Vous allez lire la déclaration que vous

7 tend l'huissier.

8 Mme Oosterman (interprétation de l’anglais). - Je déclare

9 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la

10 vérité.

11 M. le président. - Madame, vous pouvez vous asseoir. Monsieur

12 le procureur, vous avez la parole.

13 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Merci, monsieur le

14 Président. Pourriez-vous nous dire votre nom et peut-être l’épeler ?

15 Mme Oosterman (interprétation de l’anglais). - Je m'appelle

16 Irma Oosterman.

17 M. Ostberg (interprétation de l’anglais). - Quel est votre

18 emploi actuel ?

19 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Actuellement,

20 je travaille au Tribunal pénal, dans la section sévices sexuels.

21 Auparavant, j'ai travaillé dans le cadre des enquêtes sur Foca, Prijedor

22 et Srebrenica.

23 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Merci beaucoup.

24 Monsieur le Président,. nous allons mettre l'accent sur les sévices

25 sexuels comme traitement dégradant, humiliant pendant la période concernée

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1 par l'acte d'accusation, ainsi que sur la manière dont cela peut être

2 considéré comme étant une violation des lois et coutumes de la guerre et

3 comme crimes contre l'humanité.

4 Pourriez-vous nous dire ce qu'il en est de vos conclusions et

5 ce que vous avez fait auparavant ?

6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - J'ai travaillé

7 pendant quatorze ans comme officier de police aux Pays-Bas, avant de venir

8 au Tribunal.

9 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Avez-vous enquêté

10 précédemment sur des cas impliquant des violences sexuelles ?

11 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui.

12 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Dans quelle

13 mesure ?

14 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Je ne faisais

15 pas partie de l'unité spécialisée dans ce domaine, mais j'ai fait du

16 travail dans ce domaine et j'ai mené des interviews avec des femmes

17 violées

18 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous faites partie

19 d'une équipe qui enquête sur ces crimes. Pourriez-vous dire s'il y a une

20 équipe spécialisée sur ces questions dans votre bureau ?

21 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, nous avons

22 une unité spéciale et une équipe spéciale qui s'occupent des sévices et

23 des violences sexuelles. Nous enquêtons sur les viols et les violences

24 sexuelles qui se sont produites en ex-Yougoslavie en nous concentrant sur

25 les régions Est et Nord de la Bosnie.

Page 412

1 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Votre équipe

2 compte combien de personnes ?

3 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Neuf.

4 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Combien de témoins

5 avez-vous interviewés, vous ou d'autres de votre équipe ?

6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Mon équipe,

7 plusieurs centaines et pour ma part, environ cinquante. J'ai parlé avec

8 beaucoup plus d'hommes et de femme, mais beaucoup ne sont pas prêts à

9 témoigner devant le Tribunal.

10 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez parlé

11 avec cinquante personnes. Vous parlez de victimes ?

12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, de

13 victimes. Dans ce cas, il s'agissait de victimes.

14 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

15 dire où, dans quelles régions de l'ancienne Yougoslavie, vous avez

16 enquêté ?

17 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Dans un grand

18 nombre de régions et en particulier dans l'Est et dans le Nord de la

19 Bosnie.

20 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

21 donner certains exemples ?

22 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Foca, en

23 particulier.

24 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous parlez d'une

25 ville.

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1 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - C'est une

2 municipalité, Foca. Pour les autres enquêtes, je ne peux pas en parler car

3 elles sont encore en cours.

4 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

5 dire quels sont les camps dans lesquels vous avez enquêté ?

6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Omarska,

7 naturellement, dans le cadre de Prijedor, et les halls sportifs partisans

8 et Foca.

9 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Quand vous

10 utilisez le terme "abus sexuels", "violences sexuelles", "sévices

11 sexuels", qu'entendez-vous par là.

12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Par là,

13 j'entends viols et autres violences sexuelles, par exemple des hommes qui

14 étaient obligés pratiquer la fellation, des femmes qui devaient faire ce

15 genre de choses ou des personnes qui étaient obligées de se déshabiller et

16 qui ont subi un grand nombre d'humiliations.

17 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Il ne s'agit donc

18 pas seulement du viol, mais d'autres comportements à connotation sexuelle

19 liés au sexe de la personne. C'est bien cela ?

20 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui.

21 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous

22 d'écrire le type de personnes qui ont commis ce type de crimes ?

23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Les victimes

24 avec qui nous avons parlé ont été violées par des soldats, des gardiens,

25 parfois même par des commandants de camps, parfois par des chefs de la

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1 police.

2 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - D'autres personnes

3 que des personnes appartenant aux camps ou étant liées au camp ont-elles

4 pratiqué de telles violences sexuelles ?

5 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui. D'autres

6 personnes en uniforme appartenant à des groupes paramilitaires avaient

7 accès aux camps et venaient chercher des femmes pour les violer.

8 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Autrement dit, il

9 s'agit là de personnes qui n'avaient rien à voir avec les camps et qui

10 étaient "invitées", si je puis dire, par le commandant à venir chercher

11 des femmes ?

12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, parce que

13 les victimes ou les témoins parlent toutes de commandants qui savaient ce

14 qui se passaient et regardaient comment on venait chercher les femmes.

15 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez donc des

16 déclarations selon lesquelles d'autres personnes venaient chercher des

17 femmes et d'autres dans le camp.

18 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Cela se

19 produisait assez souvent.

20 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez parlé de

21 Foca. Avez-vous des éléments de preuve sur la violence sexuelle de femmes

22 dans ce camp ?

23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Nous avons

24 beaucoup d'éléments de preuve de ce qui s'est passé dans l'école

25 secondaire, dans le hall sportif des partisans où des femmes, des enfants,

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1 des personnes âgées, étaient détenus où des gardes et des soldats, ou

2 d'autres personnes appartenant à des groupes militaires, venaient chercher

3 des femmes pour les violer ou les violaient dans ces locaux-mêmes.

4 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Procédaient-ils

5 autrement ? Venaient-ils les chercher, par exemple ?

6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, parfois,

7 ils venaient chercher des jeunes filles, des enfants de 13 ans. A Foca,

8 nous avons mené des enquêtes qui nous ont indiquées que des jeunes ont été

9 détenues dans des maisons privées, comme s'il s'agissait de bordels.

10 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y avait-il

11 beaucoup de bordels également dans les autres camps ?

12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Nous avons

13 surtout enquêté à Foca et nous avons constaté que des femmes et des

14 enfants ont été détenus pendant quelques jours dans des maisons privées et

15 devaient obéir aux ordres des soldats, viols, etc.

16 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Vous avez dit

17 quelques jours ?

18 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui.

19 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il eu des

20 détentions de ce genre qui ont duré plus longtemps ?

21 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Si nous parlons

22 de camps de détentions véritables, il s'agissait de détentions d'un mois

23 ou deux. Dans le cadre de maisons privées, c'étaient deux ou trois jours,

24 voire dix jours.

25 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Quel est le type

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1 de personnes ont commis ces crimes à Foca ?

2 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Là aussi, il

3 s'agissait des gardiens du camp, des soldats, des policiers, ainsi que le

4 chef de la police.

5 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Le commandant du

6 camp ?

7 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Il était en

8 fait également le responsable du hall sportif et chef de la police.

9 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - En fait, des

10 personnes occupant cette position ont commis des crimes de viol et de

11 violences sexuelles ?

12 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui. Ainsi que

13 des commandants de groupes paramilitaires.

14 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Savez-vous ce qui

15 s'est passé à Srebrenica ?

16 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, nous avons

17 des indications que des femmes ont été faites prisonnières au moment de la

18 prise de Srebrenica. Au moment où Srebrenica est tombée, le convoi s'est

19 mis en marche, des femmes en ont été sorties, mais nous n'avons pas encore

20 de résultats d'enquête.

21 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Avez-vous des

22 enquêtes actuellement en cours ?

23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui.

24 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé

25 à Sarajevo ? Avez-vous des indications dans ce domaine ?.

Page 417

1 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Récemment, nous

2 avons eu accès à une sorte d'hôtel qui se trouvait dans un territoire

3 serbe en dehors de Sarajevo. C'est un hôtel restaurant où des femmes

4 étaient détenues. Mais pour l'instant, nous sommes en train d'enquêter.

5 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Je comprends que

6 vous ne puissiez pas nous donner de précisions au sujet ces enquêtes dans

7 la mesure où elles sont en cours et n'ont pas fait l'objet d'actes

8 d'accusation. J'aimerais toutefois que vous nous disiez, de façon

9 générale, ce qu'il en est de ces enquêtes.

10 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - On peut dire

11 qu'une sorte de schéma se retrouve : séparation des hommes et des femmes ;

12 femmes, enfants et personnes âgées sont amenés dans des lieux différents

13 de ceux où se trouvent les hommes. Puis, à partir de là, les soldats, les

14 gardiens commencent à choisir des femmes, à les violer et à commettre des

15 violences sexuelles. C'est une sorte de schéma que l'on retrouve.

16 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Avez-vous réfléchi

17 plus à fond dans ce domaine ?

18 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui. Bien

19 souvent, les soldats nous ont dit avoir été obligés de commettre ces

20 crimes, il ne nous ont pas dit qui les obligeaient, mais qu'ils étaient

21 contraints de le faire.

22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Par leurs

23 supérieurs ?

24 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui bien sûr,

25 par leurs supérieurs. Mais ils n'ont pas indiqué de noms des personnes qui

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1 leur avaient donné des ordres. Ils voulaient faire des bébés chetniks,

2 donc Serbes. On retrouve ce type de comportement un peu partout.

3 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Il y a donc des

4 déclarations émanant des victimes disant que les personnes qui les ont

5 violées ont reçu des instructions pour ce faire ?

6 A votre connaissance, parmi les gens auxquels vous vous êtes

7 adressée dans le cadre de vos enquêtes, avez-vous rencontré des personnes

8 qui n'ont pas été violées, mais que des soldats ont obligées à raconter

9 qu'elles l'avaient été ?

10 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Nous avons

11 interviewé des victimes qui ont été sorties des camps, auxquelles les

12 soldats ont dit : "Dites aux autres que vous avez été violées", mais qui

13 en fait ne l'ont pas été. Ma conclusion est que des ordres avaient été

14 donnés à ces soldats.

15 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Avez vous trouvé

16 des preuves qui montreraient que les commandants de ces camps de

17 détention, en particulier, auraient participé à ces violences sexuelles ?

18 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Il semblerait,

19 par exemple, qu'à Foca, le chef de la police savait très bien ce qu'il en

20 était. Des femmes sont allées se plaindre auprès de lui, mais il

21 participait très souvent à ces viols.

22 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pensez-vous que

23 ces informations sont allées encore plus haut dans la hiérarchie, plus

24 haut que le commandant du camp ?

25 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Non, nous

Page 419

1 n'avons pas d'information. Les victimes ont toutes dit que les commandants

2 des camps, que les chefs de police étaient au courant de ce qui se

3 passait, que c'était du domaine public, que tout le monde savait ce qui se

4 passait.

5 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il des

6 déclarations concernant ce qu'aurait fait du personnel paramilitaire ?

7 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, à Foca, il

8 y avait une maison où des jeunes filles de 13 ans et plus étaient détenues

9 et l'habitant de cette maison était, en fait, le commandant d'un groupe

10 paramilitaire.

11 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Dans le cadre de

12 vos enquêtes, avez-vous constaté des viols d'hommes ?

13 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, plusieurs

14 déclarations ont indiqué qu'ils avaient été obligés de pratiquer le sexe

15 oral, la fellation, des pères avec leurs fils, également obligés de

16 pénétrer l'anus d'autres hommes.

17 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Y a-t-il également

18 eu mutilation des organes génitaux des hommes ?

19 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Nous avons une

20 déclaration indiquant qu'un homme a dû mordre le pénis d'un autre homme.

21 Il n'a pas réussi et un soldat est venu et a coupé cette partie du pénis.

22 Un autre a été obligé de manger cette partie du pénis.

23 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

24 donner des détails sur les victimes ? Quel genre de personnes était-ce ?

25 Quel âge avaient-elles ?

Page 420

1 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Toutes les

2 femmes avec lesquelles nous avons parlé étaient des civiles de 13 à 60 ans

3 et les plus jeunes étaient tout particulièrement choisies, mais des femmes

4 plus âgées ont été violées. Cela touchait toutes les classes sociales,

5 mais c'étaient toutes des civiles.

6 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Cela vaut pour les

7 hommes comme pour les femmes.

8 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Les hommes

9 victimes sont plus âgés.

10 Pour les femmes naturellement, plus les jeunes filles étaient

11 jeunes plus elles étaient choisies comme victime du fait qu'elles étaient

12 encore vierges.

13 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous dire

14 à la Cour ce qu'il en est des victimes que vous avez interrogées ?

15 Faisaient-elles des déclarations volontairement ou de façon très

16 réservée ? Quel était leur comportement ?

17 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Il est très

18 difficile de parler avec ces femmes. C'est souvent la première fois

19 qu'elles racontent ce qui s'est passé. Leur mari, leurs enfants ne le

20 savent pas. Il faut prendre beaucoup de temps pour parler avec ces femmes.

21 Elles ont très peur de venir au Tribunal, d'être assises ici, avec la

22 télévision, etc. La plupart des femmes victimes demandent l'anonymat et

23 refusent de venir ici parce qu'elles ont peur et de plus, elles ont honte.

24 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

25 donnez le pourcentage de celles qui veulent bien parler et de celles qui

Page 421

1 ne veulent pas ?

2 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - J'ai cinquante

3 déclarations, j'ai parlé avec une centaine de femmes, dont peut-être la

4 moitié sont d'accord pour venir. Mais la plupart des femmes avec qui j'ai

5 parlé ont demandé l'anonymat. Elles ne veulent pas être ici et surtout

6 elles ne veulent pas revoir l'auteur de ces crimes.

7 M. Ostberg (interprétation de l'anglais). - Ce que vous avez

8 dit sur ces activités, ces pratiques, vaut-il pour toute la région ou

9 sont-elles simplement concentrée sur certaines régions ?

10 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Non, ceci vaut

11 pour toutes les régions où nous avons enquêté.

12 M. Ostberg (interprétation de l'anglais)- Quel a été votre

13 domaine d'activité ? Sept ou huit régions ? Combien ?

14 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Je ne sais pas

15 combien de régions auraient pu être enquêtées.

16 M. Otsberg (interprétation de l'anglais).- Etant donné que

17 nous parlons d'une pratique et d'un comportement très généralisés, nous

18 voulions savoir ce qu'indiquent vos conclusions.

19 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais)- Cela comprend, en

20 tout cas, le Nord et l'Est de la Bosnie, et là nous voyons très clairement

21 apparaître ces schémas de comportement.

22 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Je vais parler

23 de quelques connaissances générales. Avez-vous pu apprendre certaines

24 choses des témoignages pris, des positions prises, avez-vous eu

25 connaissance directe de l'information sur ces actes qui allaient vers

Page 422

1 d'autres sources, vers les sources hiérarchiquement supérieures, Karadzic

2 et les autres ?

3 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui. Il

4 s'agissait surtout de commandants, de ces chefs de police, de ces

5 policiers. Ils étaient au courant de ce qui se passait, et je pense qu'ils

6 ont dû en avoir connaissance.

7 M. Otsberg (interprétation de l'anglais). - Aimeriez-vous

8 ajouter quelque chose à cet exposé sans que je vous le demande

9 spécifiquement en ce qui concerne la propagation de ces activités et en ce

10 qui concerne d'autres problèmes ou d'autres questions ?

11 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Personnellement,

12 l'important pour moi c'est l'état d'esprit, l'état d'âme de ces femmes et

13 de ces hommes. Il y a des gens qui appartiennent à des familles qui ont

14 été dispersées, déplacées, dont certains membres ont été perdus. Par

15 conséquent, ces gens veulent garder l'anonymat ; ils n'aiment pas les

16 tribunaux, ils n'aiment pas parler. Il s'agissait même de gens qui avaient

17 certaines règles qu'ils observaient et respectaient en ce qui concerne

18 l'alcool et le reste.

19 M. Otsberg (interprétation de l'anglais).- Les gens que vous

20 avez interviewés sur ces questions étaient-ils pour la plupart en Bosnie ?

21 Et avez-vous eu l'occasion d'interviewer des gens dans d'autres régions du

22 monde ?

23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Non.

24 M. Otsberg (interprétation de l'anglais). - Il y a donc

25 également des régions que vous n'avez pas pu visiter. Pensez-vous qu'il y

Page 423

1 a eu une prépondérance de ce genre d'actes dans une région par rapport à

2 une autre ?

3 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- En effet, je

4 pense qu'on ne peut pas encore savoir très bien les choses, il est très

5 difficile pour ces gens-là d'en parler. Enfin, je ne peux pas voir une

6 très grande différence entre ce qui se passait dans une région par rapport

7 une autre.

8 M. Otsberg (interprétation de l'anglais). - Donc les enquêtes

9 continuent et nous ne sommes pas en mesure, monsieur le président, de vous

10 fournir en ce moment des détails sur l'identité des gens et sur les

11 localités plus précises. Donc cela termine mon questionnement pour le

12 moment.

13 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais)..- Sans porter

14 préjudice à l'enquête qui se poursuit comme vous le dites, j'ai une

15 question. Avez-vous fait des interviews personnelles avec des victimes

16 dans la région autour de Srebrenica ?

17 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Non, je n'ai pas

18 interviewé de témoins victimes de la région de Srebrenica, mais un des

19 membres de notre équipe l'a fait. Je ne peux pas vous en parler, puisqu'il

20 s'agit d'une enquête en cours.

21 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Pourriez-vous

22 nous expliquer si les femmes ont fait une différence entre les violences

23 sexuelles et les abus, les viols ?

24 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Parlez-vous des

25 avortements ou parlez-vous des problèmes plus généraux tels que

Page 424

1 sévices,... ?

2 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Oui, je parle

3 de problèmes généraux.

4 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, elles ont

5 des problèmes généraux. Certaines femmes tiennent debout, sont fortes,

6 certaines espèrent survivre, d'autres sont démoralisées. Mais d'autres

7 encore doivent penser à leurs enfants. L'hygiène pose également des

8 problèmes, certaines femmes ont dû renoncer à leurs enfants, et certaines

9 ont dû subir des avortements.

10 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Donc leurs

11 dommages étaient à la fois psychologiques et moraux ?

12 Par ailleurs, pourriez-vous décrire à la Cour si ces femmes

13 ont été tuées et mutilées dans ces camps d'internement ?

14 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, des gens

15 nous ont relaté ces cas de meurtres au couteau, au fusil. Ils étaient même

16 maltraités pendant l'acte même du viol.

17 Mme Odio Benito (interprétation de l'anglais).- Je n'ai plus

18 de question, monsieur le Président.

19 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Madame Oosterman, vous

20 avez indiqué que dans les cas de viol, ceux qui les faisaient, recevaient

21 des ordres de leur commandant de faire des bébés chetniks. Quelle a été la

22 procédure suivie ? S'agissait-il d'un procédé suivi dans de nombreux

23 cas ? Comment parvenaient-ils à le faire ?

24 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Certaines femmes

25 étaient sorties des camps et étaient emmenées dans d'autres lieux, soi-

Page 425

1 disant pour des soins hygiéniques, et ensuite elles étaient emmenées dans

2 une chambre où on leur indiquait : "Je vais te violer pour faire un bébé

3 chetnik".

4 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Mais étaient-elles en

5 détention jusqu'à la mise au monde de l'enfant ?

6 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui.

7 Personnellement, je n'ai pas mené d'interview avec des femmes de ce genre,

8 mais je l'ai entendu dire de ceux qui travaillaient dans des maisons

9 d'orphelinat.

10 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Mais la même méthode a

11 été utilisée, d'après vos enquêtes, dans plusieurs localités ? Et tous

12 prétendaient avoir reçu des ordres supérieurs ?

13 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, ils ont dit

14 avoir reçu des ordres pour le faire..

15 M. Riad (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé

16 avec ces femmes une fois l'enfant mis au monde ? Que s'est-il passé avec

17 la plupart des femmes qui ont été violées ? Etaient-elles exécutées plus

18 tard ?

19 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, elles

20 étaient tuées. Certaines sont restées en vie, mais comme je vous l'ai dit,

21 ces femmes ont des problèmes émotionnels, des problèmes psychologiques.

22 M. Riad (interprétation de l'anglais).- De quel genre ?

23 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Cela dépend, le

24 mari peut ne pas être en vie, les enfants être perdus, mais je ne peux pas

25 parler de cas schématisés.

Page 426

1 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Ces femmes

2 retournaient-elles dans leur lieu de résidence ?

3 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais).- Oui, elles

4 devaient continuer à vivre, à mener leur vie ; elles étaient en quelque

5 sorte libres.

6 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Forçait-on les hommes

7 à perpétrer des actes de castration, à mordre les organes génitaux des

8 autres ? S'agissait-il de cas individuels de ce genre ou de quelque chose

9 de plus propagé ?

10 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Non, cela ne se

11 produisait pas aussi souvent. Il y avait des cas particuliers où beaucoup

12 d'hommes ont été forcés à mordre les organes génitaux d'autres, des cas de

13 sexe oral, mais...

14 M. Riad (interprétation de l'anglais).- ...Il y a donc eu des

15 cas de viol d'hommes également.

16 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - Oui, mais il ne

17 s'agissait pas de cas de viol par les soldats, les détenus ont été forcés

18 de le faire entre eux.

19 M. Riad (interprétation de l'anglais) .- Merci.

20 M. le Président. - Y avait-il des médecins dans ces camps ?

21 Des médecins serbes, notamment ? Avez-vous eu écho des réactions qu'ils

22 auraient pu avoir devant ces sévices qui étaient quand même visibles ? Je

23 pense à tout ce qui est mutilation notamment. Avez-vous eu des réactions à

24 travers les témoignages que vous avez entendus ? Y a-t-il eu des réactions

25 médicales sur le plan déontologique de la part de ces médecins ? Ou n'y

Page 427

1 avait il aucune surveillance médicale ?

2 Mme Oosterman (interprétation de l'anglais). - J'ai parlé avec

3 un certain nombre de victimes qui étaient hospitalisées. Je ne peux pas

4 vous préciser le nom de l'hôpital, mais les médecins qui les traitaient

5 n'étaient pas intéressés. Quand je parle de médecins, je pense dans ce cas

6 là aux médecins serbes qui ne s'intéressaient pas à ces choses-là.

7 M. le Président. - Merci Madame. Il n'y a pas d'autre question

8 du Tribunal. Le Tribunal vous remercie pour votre témoignage et vous

9 demande maintenant d'y mettre fin.

10 Monsieur le Procureur, monsieur le Greffier, nous pouvons

11 peut-être faire raccompagner Mme Oosterman.

12 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Monsieur le

13 Président, notre prochain témoin est M. Colin Kaiser. Il nous parlera de

14 la destruction de lieux historiques et de culte. Pour appuyer ce

15 témoignage, de nombreuses séquences vidéo sont à préparer. Peut-être

16 serait-il bien d'interrompre l'audience pour le déjeuner afin de pouvoir

17 préparer la salle pour cette présentation vidéo.

18 M. le Président. - Monsieur le Procureur, puisque nous n'avons

19 pas de retard dans le déroulement de nos travaux, je crois que nous allons

20 donc suspendre la présente audience et nous la reprendrons à 14 heures 30.

21

22 (L'audience est levée à 12 heures 40)

23

24 (après-midi)

25 La séance est reprise à 14 h 40.

Page 428

1 M. le Président.- L'audience est reprise, veuillez vous

2 asseoir.

3 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Merci. Bon après-

4 midi, madame et messieurs les juges.

5 L'accusation appelle le docteur Colin Kaiser à la barre, comme

6 témoin suivant.

7 (Entrée de M. Colin Kaiser)

8 M. le Président.- Monsieur Kaiser, vous allez lire la

9 déclaration qui vous est tendue.

10 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Je déclare

11 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la

12 vérité.

13 M. le Président. - Docteur Kaiser, dans le cadre de la

14 procédure de l'article 61 et de l'exposé public des charges contre MM.

15 Karadzic et Mladic, le Bureau du procureur a souhaité vous citer comme

16 témoin. Je pense que vous allez être amené à vous présenter. On ne va donc

17 pas le faire faire deux fois. Monsieur le procureur, vous avez la parole.

18 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Docteur Colin Kaiser,

19 pouvez-vous donner votre nom et l'épeler ?

20 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Je m'appelle Colin

21 Ried Kaiser.

22 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Monsieur le

23 Président, tous les juges ont reçu un dossier concernant cette déposition

24 avec des photographies qui seront discutées au cours de cette déposition.

25 Nous avons également une liste de pièces à conviction qui vous

Page 429

1 est destinée et qui comporte une version réduite de la carte qui se trouve

2 à côté du docteur Colin Kaiser, ainsi que le procès verbal d'une bande

3 audio-vidéo que nous avons également l'intention d'utiliser. Nous vous

4 demandons que ce soit inclus au fichier qui vous sera remis.

5 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Docteur Colin Kaiser,

6 pourriez-vous commencer par dire à la Cour quel est votre passé, votre

7 carrière, et de quelle façon vous êtes entré en relation avec les

8 monuments culturels et religieux ?

9 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- De formation, je

10 suis historien social et institutionnel. J'ai obtenu mon diplôme de

11 l'Université de Londres. J'ai travaillé sur un certain nombre de monuments

12 historiques et culturels dans une organisation non gouvernementale qui

13 travaille en relations étroites avec l'Unesco et, pendant trois ans, j'ai

14 été directeur du secrétariat international de cette organisation.

15 En novembre 1991, le directeur général de l'Unesco m'a demandé

16 de me rendre à Dubrovnik avec un autre observateur pour la convention de

17 La Haye. J'ai continué à travailler en relation avec Dubrovnik pendant

18 quelques mois et, vers la fin de 1992, j'ai commencé à travailler au

19 comité de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, chargé des

20 problèmes culturels.

21 J'ai travaillé sur le problème des dommages de guerre au

22 patrimoine en Bosnie-Herzégovine et Croatie. J'ai participé à une mission

23 parlementaire en novembre-décembre 1992, en mars 1994, et juin 1995.

24 En octobre 1993, j'ai travaillé au sein d'une commission

25 d'experts à Dubrovnik qui préparait les travaux de ce tribunal.

Page 430

1 En octobre 1994, je suis retourné travailler à l'Unesco en

2 tant que consultant, sur le problème du patrimoine culturel de Mostar.

3 J'ai participé à trois longues missions qui ont oscillé entre six semaines

4 et deux mois, au cours de l'été 1995, puis l'Unesco m'a demandé de me

5 rendre à Sarajevo pour être son représentant en Bosnie-Herzégovine.

6 Mes travaux récents ne portent pas spécifiquement sur le

7 patrimoine culturel, mais sur tous les aspects du travail de l'Unesco.

8 M.Bowers (interprétation de l'anglais). Merci. Au cours de

9 votre travail sur le patrimoine culturel et sacré en Bosnie-Herzégovine,

10 avez-vous eu l'occasion d'écrire des rapports ?

11 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- J'ai contribué à la

12 rédaction de huit rapports d'information de l'Assemblée parlementaire du

13 Conseil de l'Europe chargée de la situation du patrimoine culturel en

14 Croatie et en Bosnie-Herzégovine ; j'ai contribué au rapport de la

15 commission d'expert en 1993 et pour l'Unesco, j'ai rédigé un rapport

16 spécifique concernant Mostar.

17 Le Conseil de l'Europe a publié un certain nombre de documents

18 publics.

19 Quant à l'Unesco, c'est une institution qui publie des

20 rapports plus confidentiels.

21 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Pendant vos travaux,

22 avez-vous eu l'occasion de lire, d'étudier, des rapports et diverses

23 publications traitant de patrimoines culturels et sacrés de l'ex-

24 Yougoslavie ?

25 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- J'ai lu un certain

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1 nombre de documents traitant de ce sujet, le patrimoine culturel, des

2 documents de nature assez générale, mais dans le cadre de mon travail au

3 sein de l'assemblée parlementaire et pour l'Unesco, j'ai eu accès à de

4 nombreux documents qui, pour l'essentiel, sont des listes de patrimoines

5 culturels, ainsi qu'un certain nombre de documents qui sont des rapports,

6 des rapports d'un certain intérêt.

7 Ces rapports ont commencé à être publiés en 1993. Il y en a

8 trois que j'aimerais citer :

9 ? un rapport préparé par l'institut pour la protection du

10 patrimoine culturel, historique et naturel de la Serbie qui

11 traitait de la destruction du patrimoine religieux en Croatie

12 et en Bosnie-Herzégovine daté de 1993 ;

13 ? un rapport de Slobodan Mileusnik appelé "l'esprit du génocide"

14 daté de 1994 qui traite de la destruction du patrimoine

15 orthodoxe serbe en Croatie et en Bosnie-Herzégovine de 1991 à

16 1993,

17 ? et, en septembre 1993, l'Institut public pour la protection du

18 patrimoine culturel, historique et naturel de Bosnie-

19 Herzégovine à Sarajevo a publié un document d'information.

20 Un rapport récent, très important, a été publié par l'Institut

21 pour la protection du patrimoine historique, culturel et national de

22 Bosnie-Herzégovine basé à Sarajevo. Le premier rapport de ce type a été

23 publié en septembre 1995? avec une annexe parue en avril 1996.

24 Ces documents comportent des listes qui ne sont pas toujours

25 très précises, car elles datent de la première partie de la guerre.

Page 432

1 D'autres documents sont plus complets.

2 Le document serbe traite d'un patrimoine spécifique, qui est

3 le patrimoine orthodoxe et les deux autres documents que j'ai évoqués sont

4 d'un très grand intérêt car ils tentent de fournir une vue plus vaste des

5 destructions affectant le patrimoine culturel en Bosnie-Herzégovine,

6 patrimoine appartenant à tous. C'est un document qui a été compilé en

7 1993, ce qui constitue un problème étant donné les circonstances

8 difficiles de l'époque et le fait que les habitants de Sarajevo avaient

9 peu d'accès à des monuments situés à l'extérieur.

10 Le rapport de septembre 1995 est de nature différente, il est

11 plus strictement documentaire et comporte une vue plus générale de la

12 situation.

13 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Vous avez mentionné

14 les rapports du Conseil de l'Europe. Pourriez-vous consacrer une minute

15 pour décrire à la Cour la nature de ces rapports, et l'importance de leur

16 diffusion ?

17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Le Conseil de

18 l'Europe de 1992 a commencé à se poser de nombreuses questions quant à ce

19 qui se passait au niveau du patrimoine culturel de Bosnie-Herzégovine.

20 C'est un sujet qui n'a pas suscité beaucoup d'intérêt dans la presse.

21 Celle-ci s'intéressant à des incidents isolés qui avaient leur importance,

22 comme l'incendie de la Bibliothèque nationale et de l'Institut oriental de

23 Sarajevo, mais de façon générale nous ne savions pas exactement ce qui se

24 passait.

25 L’objectif premier consistait à tenter de rassembler ce genre

Page 433

1 d'informations, dans l'intention -au cas où l'information disponible

2 serait suffisante- d'alerter la Communauté internationale et de faire en

3 sorte que celle-ci fasse pression sur les autorités locales pour qu'elles

4 réduisent ce type de destructions.

5 Il y avait également un objectif de conservation dans l'espoir

6 que les institutions internationales pourraient intervenir pour protéger

7 le patrimoine culturel et religieux, chaque fois que cela était possible.

8 Tels étaient les deux objectifs principaux et nous espérions

9 qu'il y aurait une intervention peut-être plus active sur le terrain, le

10 dispositif de la convention de La Haye ne fonctionnant pas du tout.

11 Compte tenu du fait que nous vivons dans un village mondial,

12 nous avons été très surpris de constater l'étendue de ce que nous

13 ignorions.

14 Un autre objectif important était le contrôle du patrimoine

15 culturel à Sarajevo en relation avec des organisations internationales.

16 J'ai contribué à la mise en place d'un organe en 1993, qui s'est

17 principalement préoccupé des monuments sacrés. Il s'agit de l'OCMM

18 (Mission de contrôle de la Communauté européenne). Celle-ci a une mission

19 très importante en ce moment même. Elle est très active dans le domaine du

20 contrôle de la surveillance de ces monuments culturels.

21 J’aimerais revenir sur les débuts de cette organisation, date

22 à laquelle le travail est toujours intéressant car on compile des

23 rapports, on étudie de nombreux textes, on les compare. Mais au début,

24 cette activité a souvent été vaine, étant donné le nombre réduit de

25 visites sur le terrain et beaucoup de choses sont absentes des premiers

Page 434

1 rapports.

2 Vous m'avez également posé une question au sujet de la

3 diffusion. Il s'agit de documents publics. Autrement dit, le Conseil de

4 l’Europe les a distribués partout. Ils ont été diffusés auprès des

5 organisations responsables du patrimoine culturel en Croatie, en Bosnie-

6 Herzégovine et aussi au représentant serbe à Strasbourg.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Pourriez-

8 vous maintenant consacrer quelques minutes pour donner une idée générale à

9 la Cour de ce qui composait le patrimoine culturel et religieux de Bosnie-

10 Herzégovine, avant la guerre ?

11 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Je pense que chacun

12 doit garder présent à l'esprit le fait que la Bosnie-Herzégovine se trouve

13 à un carrefour Nord-Sud entre l’Europe centrale et la Méditerranée. C’est

14 également ce que l’on appelle très souvent la ligne de partage entre la

15 chrétienté et l'islam. C'est donc un pays qui possède un patrimoine

16 historique extraordinaire. Je me contenterai, pour ma part, de parler de

17 la partie immeuble de ce patrimoine.

18 Nous trouvons un très grand nombre de monuments

19 paléolithiques, néolithiques un peu partout dans le pays. Les traces de

20 l'occupation romaine sont également très présentes dans la vallée de

21 Neretva, mais également à Ilidza aux environs de Sarajevo.

22 Il y a des restes également de la période byzantine, romane et

23 des débuts de l'ère chrétienne. Il y a également la fameuse culture

24 Bogomil du moyen âge, ce que l'on appelle les églises bosniaques, avec

25 notamment les grandes pierres tombales que l'on trouve un peu partout dans

Page 435

1 le pays.

2 Il s'agit, il convient de le souligner, de la base même du

3 patrimoine en Bosnie-Herzégovine et c'est un patrimoine partagé par tous

4 les habitants du pays. Bien que des accusations aient été lancées quant à

5 l'attaque de ces monuments par les chars et l'artillerie, je puis dire

6 personnellement, pour l'avoir vérifié, que pas mal de ces monuments n'ont

7 pas été trop touchés.

8 Beaucoup de monuments qui datent du quinzième et seizième

9 siècles ont considérablement modifié le paysage en Bosnie-Herzégovine. On

10 trouve des mosquées, des mosquées sans minaret, des fontaines, des

11 mektebs, des hammams, des habitations de style turc dans les villes et les

12 villages. Il est permis de dire que les Turcs ont amené avec eux une forme

13 de civilisation très particulière qui a laissé sa marque en Bosnie, dans

14 de nombreuses villes et de nombreux villages.

15 En même temps, il y a eu disparition d'un grand nombre

16 d’églises et de monastères chrétiens à cette époque, certains ayant

17 disparu de façon naturelle, d'autres ayant été détruits.

18 A la période du déclin de l'empire ottoman, au XIXème siècle,

19 on commence à voir apparaître une architecture que l'on peut qualifier

20 d'architecture chrétienne occidentale avec construction de nouvelles

21 églises orthodoxes et de nouvelles églises catholiques en particulier.

22 Au moment de l'occupation austro-hongroise, les choses ont

23 encore changé. Nous voyons aujourd'hui l'incidence qu'a eu l'urbanisme

24 autrichien à Mostar et Banja Luka en particulier sur le plan de

25 l'architecture et de l'historicisme.

Page 436

1 Des universités, des bibliothèques, des bâtiments municipaux,

2 des théâtres ont été construits. Cela a été également une grande époque de

3 construction d'églises orthodoxes et catholiques. Les monastères

4 franciscains ont commencé à se répandre dans toute la Bosnie-Herzégovine,

5 l'aspect qu'ils présentent aujourd'hui étant le même qu’à l'époque.

6 Plus tard, la Bosnie s'est intégrée complètement dans

7 l'architecture et l'urbanisme européen, mais on trouve encore une

8 architecture que l'on peut qualifier de populaire, assez typique dans les

9 campagnes.

10 Etant donné que la Bosnie est à un carrefour, elle a subi une

11 très grande influence mutuelle ; les grandes mosquées du seizième siècle

12 et même plus tard ont été construites par des chrétiens d’Herzégovine.

13 A Dubrovnik, ainsi qu’à Mostar, il y avait une tradition de

14 construction de ce type de bâtiments. A Mostar, on trouve également trace

15 de la civilisation gothique. Il y a donc une grande interaction.

16 Puis, ont été construits des bâtiments musulmans sous l'effet

17 de l'environnement de l'époque. Ce sont des architectes locaux qui ont

18 adapté ainsi en créant un nouveau style. On constate des interactions et

19 des influences mutuelles véritablement extraordinaires.

20 S'agissant de l'utilisation commune de ces bâtiments et du

21 respect accordé à ceux-ci, je crois que les pierres tombales Bogomil en

22 sont un bon exemple, le sentiment prévalant étant que ces pierres tombales

23 ne sont pas seulement catholiques, mais elles appartiennent également aux

24 Orthodoxes et au Musulmans.

25 L'église de Saint-Jean par exemple à Podmiljacja près de Jajce

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1 était un lieu où les gens venaient chercher des guérisons. De toutes les

2 religions, la population allait dans cette église pour demander une

3 guérison.

4 Les églises orthodoxes constituaient le début d'un pèlerinage

5 qui passait ensuite par des églises catholiques et par un bâtiment du

6 culte islamique. Tout cela était très présent avant et au début de la

7 guerre. J'ai vu une église franciscaine qui était un lieu de pèlerinage

8 important en Yougoslavie. Ce bâtiment n'a subi aucun dommage, l’armée

9 serbe bosniaque qui se trouvait très près et les habitants de la région

10 s’étant abstenus d'attaquer cette église.

11 En revanche, la mosquée qui se trouvait à 200 mètres était

12 marquée de très nombreux impacts d'artillerie, témoignage de ce qui se

13 passait en Bosnie avant la guerre.

14 Il convient aussi de souligner que la guerre a eu tendance à

15 ethniciser le patrimoine historique qui au départ ne l'était pas. Peut-

16 être que les gens qui ont détruit le vieux pont de Mostar pensaient qu'ils

17 étaient en train de détruire un élément du patrimoine musulman. Cela a

18 souvent été dit par des Musulmans de la ville. Mais en fait, ce vieux pont

19 était la propriété commune des Serbes, des Croates et des Musulmans.

20 Je crois que c'est un élément qu'il faut garder présent à

21 l'esprit dès lors que l'on parle du patrimoine culturel de ce pays très

22 souvent partagé.

23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous

24 parler des dommages subis par les bâtiments culturels et religieux de

25 Bosnie-Herzégovine et nous dire quel a été le résultat des efforts ?

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1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Je suis au regret

2 de dire que le résultat des efforts déployés est pratiquement nul. Il n'y

3 a pas eu de coopération entre les diverses entités. Il n'y a pas de

4 coopération aujourd'hui, y compris au sein de la Fédération croato-

5 musulmane.

6 Il convient également de souligner que la communauté musulmane

7 ne fait pas non plus son travail. Nous le regrettons beaucoup car des

8 mythes se développent au sujet des destructions subies par le patrimoine

9 culturel et historique qui risqueraient d'être la source d'une nouvelle

10 guerre. Je crois que les organisations internationales, la Commission à

11 laquelle j'appartiens en particulier, devraient essayer de déterminer

12 quels sont les problèmes et qui en est responsable.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci. Nous

14 aimerions montrer la pièce à conviction 161, document 615. J'aimerais que

15 l'on montre ce document à l'écran. C'est une version amoindrie de la carte

16 qui se trouve à côté du docteur Kaiser.

17 Docteur Kaiser, sur la base de cette carte, pourriez-vous nous

18 résumer un peu l'étendue des dommages subis par les sites culturels et

19 religieux en Bosnie-Herzégovine ?

20 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - J'aimerais plutôt

21 me référer à certaines choses, avant de commenter la carte elle-même.

22 J'aimerais revenir au dernier rapport qui a été préparé par le Comité sur

23 l'héritage culturel national, en prenant en considération certains

24 éléments.

25 Evidemment, ce rapport comporte un certain nombre de lacunes.

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1 Les gens ne pouvaient pas avoir accès à tous les monuments comme ceux de

2 la Republika Srpska. Il y a eu des problèmes de décomptage, des problèmes

3 de statistiques, etc. Ce n'est pas un rapport qui est à jour à 100 %, mais

4 c'est néanmoins un document très intéressant.

5 S'agissant des dommages aux édifices religieux :

6 ? 1 183 mosquées ont été détruites à travers l'ensemble de la

7 région,

8 ? 504 églises catholiques ont été endommagées,

9 ? 36 églises orthodoxes,

10 ? et 5 synagogues ont été endommagées.

11 Ceci vous donne une idée de l'ordre de grandeur de ces

12 dommages causés dans le cadre de ces édifices religieux.

13 Si on examine ces bâtiments et si on essaye de les classer, de

14 les catégoriser, on devrait faire ressortir que dans l'ex-Yougoslavie on

15 avait établi une classification très précise pour ce qui est de ces

16 monuments.

17 Il s'agissait, par exemple, de la catégorie zéro du patrimoine

18 considéré à l'échelle mondiale, puis il y avait la catégorie 1, 2 etc.

19 D'importance nationale, catégorie n° 1, catégorie n° 2 d’importance

20 régionale et la catégorie n° 3 se rapportait aux monuments d’importance

21 locale. Il arrivait que l'on ne puisse pas faire de différence très nette

22 entre les catégories 1 et 3.

23 Le rapport en question indique que sur les 1 183 mosquées,

24 certaines ont été gravement endommagées. Figuraient sur la liste :

25 ? 190 mosquées,

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1 ? 48 églises catholiques,

2 ? 8 églises orthodoxes,

3 ? 2 synagogues,

4 ? 392 édifices civiles d'une importance historique.

5 D'autres bâtiments ont également été détruits, notamment ces

6 392 structures civiles. On peut parler de 640 bâtiments historiques

7 endommagés ou détruits sur un total de 3 991 bâtiments qui figuraient sur

8 ces listes, soit un pourcentage de 16 % de patrimoine culturel endommagé

9 dans une certaine mesure. Ceci pour la partie de la Bosnie-Herzégovine.

10 Evidemment, certains monuments n'ont pas été listés et sont

11 considérés comme étant classés, mais ils ne figurent pas parmi ceux qui

12 ont été détruits.

13 En effet, ces listes ne sont pas à jour. Beaucoup de choses

14 ont changé entre-temps. Nous ne savons pas encore quel est le nombre exact

15 de ces monuments qui ont été vraiment endommagés. Ce n’est pas 16 %, ce

16 n'est pas 640 ou 700 bâtiments et pour être très honnête, je ne peux pas

17 dire le chiffre exact.

18 Voici une carte qui présente les destructions attribuables aux

19 Serbes bosniaques. Dans un certain nombre de municipalités on ne parle pas

20 de destructions plus importantes : Cekovici(?), Laktaci(?), mais je peux

21 toujours dire que cette carte présente, dans une grande mesure, l'ordre de

22 grandeur de ces dommages causés par l'armée bosniaque et ceci au cours de

23 la guerre.

24 Il s'agit de dommages attribuables aux causes militaires étant

25 donné qu'il s'agit de premières lignes de front. C’est le cas de Konjic.

Page 441

1 Ce que je vous montre ne fait pas partie du secteur des premières lignes

2 de front.

3 Certaines destructions peuvent être attribuées aux forces

4 armées des Serbes de Bosnie. Je voudrais bien reprendre mes propres notes

5 pour être plus précis.

6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quand vous parlez

7 des dommages sur les églises catholiques, est-ce que cela se base sur ce

8 que nous avons fait de la part de l'accusation ?

9 M. Kaiser(interprétation de l’anglais). - Nous avons essayé

10 de trouver les informations pertinentes, de vérifier les choses sur place,

11 enfin ce sont des estimations vraiment très conservatrices.

12 Je me réfère donc aux dommages qui ont été causés par des

13 explosions, c'est catégorie 4 B (destruction) par les explosions. Cette

14 catégorie 4 B est un bâtiment gravement endommagé par les différentes

15 explosions. Les rapports indiquent que dans les territoires de la

16 Republika Srpska ou contrôlés par l'armée serbe bosniaque, 161 mosquées

17 ont été sautées à la dynamite, ainsi que 75 églises catholiques. Je pense

18 que ces chiffres sont raisonnablement exacts de plus ou moins 10 %.

19 Soixante-dix de ces mosquées figuraient sur ces listes du

20 patrimoine national et c'est le cas de huit églises catholiques.

21 Si nous prenons les autres éléments comme cause de

22 destruction, un rapport de la HFO parle de la destruction de 12 mosquées

23 et de 2 églises orthodoxes et monastères. Il s'agit, dans les deux cas, de

24 monuments figurant sur la liste du patrimoine national. En effet le

25 rapport en question ne parle pas d'édifices détruits par des matières

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1 explosives. En effet, il n’y a pas eu de monument religieux qui aient été

2 détruits par des explosions.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous indiquez que

4 l'armée est à l'origine de ces dommages ?

5 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui, l'armée

6 officielle.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous

8 donner un aperçu global quant à la responsabilité pour ces dommages et la

9 destruction de ces sites religieux et culturels en Bosnie-Herzégovine ?

10 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Pour situer les

11 responsabilités et faire des comparaisons, je pense que ces chiffres

12 concernant les explosions à la dynamite sont la cause principale du plus

13 grand nombre de dommages. En effet, on ne peut pas se limiter uniquement à

14 la Republika Srpska, il nous faut faire l'étude de l'ensemble de la

15 région. En effet, ces différentes entités bosniaques sont responsables de

16 ces dommages causés, les Serbes beaucoup plus que les autres entités.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous êtes-vous

18 personnellement rendu sur place ? Avez-vous visité ces sites ?

19 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous

21 expliquer à la Cour quels sont les moyens par lesquels on peut déterminer

22 la nature et la source des dommages que l'on peut trouver sur place sur

23 ces sites culturels et religieux ?

24 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Je pense qu'il

25 s'agit de dommages causés sur le plan architectural (pillages, incendies,

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1 vandalisme interne) et ceci est très important pour ce qui est de la

2 teneur de ces monuments du culte. Il est difficile de découvrir l'origine

3 de ces dommages. Il ne s'agit peut-être pas d'opérations militaires, mais

4 de causes provenant d’autres sources.

5 Ces dommages peuvent être facilement reconnus, constatés et

6 surtout dans ces régions qui ont été exposées au feu des premières lignes

7 de front. Dès lors que vous avez beaucoup d'expérience avec ce genre de

8 constructions, vous pouvez les discerner assez facilement. Il s’agit de

9 dommages que je qualifierais de spectaculaires. On a même filmé des

10 séquences de ces résultats, mais il y a très peu de bâtiments

11 virtuellement rasés à terre.

12 En effet, il y a des dommages très sérieux causés par les

13 incendies. Il s'agit de bombes qui sont tombées à travers les toits,

14 provocant des dommages à l'intérieur, touchant la structure elle-même.

15 Ensuite, il y a des incendies volontaires soit par des troupes, des

16 effectifs militaires, soit par des partis inconnues. Par ailleurs, des

17 nids d'explosifs peuvent causer également des dommages très sérieux.

18 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - J'aimerais bien

19 attirer l'attention de la cour sur votre voyage à Mostar. Vous y avez

20 effectué un voyage en 1992 ?

21 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui.

22 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Quel a été

23 l'objectif de ce voyage que vous avez fait en décembre 1992 ?

24 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Nous ne savions pas

25 vraiment ce qui se passait en Bosnie s'agissant de l'héritage culturel. Et

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1 Mostar est une ville très importante du point de vue de son patrimoine,

2 héritage culturel. Malgré le fait que la ville ait été libérée et

3 accessible, nous savions peu de choses.

4 Par conséquent, notre objectif a été d'essayer de trouver

5 certains éléments sur place qui pourraient nous permettre des évaluations

6 pertinentes.

7 Beaucoup de gens n'estimaient pas que le patrimoine culturel

8 soit quelque chose de très important. C'est le cas, notamment, de

9 certaines personnes dans les différentes Agences dont les Nations Unies.

10 Eh bien, nous avons pu nous déplacer grâce à l'aide des gens sur place.

11 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Votre voyage a-t-il

12 eu lieu après la première bataille de Mostar ?

13 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Oui, en 1992 et il

14 s'est terminé vers la mi-juin.

15 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Qui étaient les

16 premiers participants à cette première bataille autour de Mostar ?

17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Mostar était à

18 l'époque totalement assiégée. Il s'agissait d'unités locales.

19 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Voudriez-vous dire à

20 la Cour ce que vous avez pu voir pendant votre première mission à Mostar ?

21 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- J'y ai vu beaucoup

22 de dommages causés par l'artillerie dans la ville même de Mostar qui sont

23 attribuables à l'armée des Serbes bosniaques, notamment en ce qui concerne

24 les ponts. En effet, l'armée des Serbes bosniaques a dynamité pas mal

25 d'édifices à Mostar, et les bâtiments datant de la période austro-

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1 hongroise ont été endommagés pendant la première bataille et ensuite

2 détruits pendant la deuxième. Puis l'église de Mostar a été complètement

3 détruite en signe de représailles, et il y a eu également des dommages

4 dans la vallée de la Neretva, au monastère de Zitoniclic(?), monastère du

5 13ème siècle.

6 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Avez-vous abouti à

7 certaines conclusions quant au résultat de vos observations et de vos

8 enquêtes ?

9 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'était vraiment une

10 expérience surprenante. J'avais déjà retiré certaines expériences de ma

11 visite en Croatie, mais je n'avais pas encore vu ce genre de cycle :

12 dommage initial, représailles.

13 Je pense que la guerre en Bosnie-Herzégovine était plus

14 cruelle que celle de Croatie. Il y avait vraiment un grand risque de

15 destructions massives du patrimoine culturel de tous genres. En effet,

16 cela me semble être une partie de stratégie de guerre.

17 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Pourriez-vous

18 développer ce dernier point ?

19 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'est quelque chose

20 qui m'a réellement surpris. A Mostar, pratiquement tout ce qui avait une

21 valeur culturelle avait été atteint, et il était réellement surprenant de

22 voir ces anciens bâtiments autrichiens -qui n'étaient peut-être pas des

23 monuments de première classe, mais qui faisaient partie du paysage urbain-

24 vraiment détruits ou gravement endommagés.

25 Pour la première fois, j'ai vu des lieux de culte, des

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1 bâtiments religieux que l'on a fait sauter à la dynamite. C'est le cas,

2 par exemple, du monastère de Zitonislic(?) et je me suis demandé vraiment

3 ce qui se passait sur place, ce qui se passait ici, ce qui se passerait

4 plus tard.

5 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Merci. Nous

6 souhaiterions maintenant vous présenter une série de photos de trois

7 sites, qui ont subi des dommages très importants. Il s'agit de la pièce

8 qui vous présente une mosquée..

9 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Il s'agit de la

10 mosquée Sevri-Hadji Hassan, monument de troisième catégorie, tout près de

11 la Neretva. Ce bâtiment date d'avant 1620. Vous voyez ce qu'il en reste :

12 une partie du toit, la façade présente beaucoup de dommages, dont

13 l'origine est le feu d'artillerie.

14 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- A titre de référence,

15 monsieur le Président, c'est une des mosquées qui a été citée dans l'acte

16 d'accusation.

17 Pièce 163.

18 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'est l'église

19 franciscaine de Saint-Pierre et Saint-Paul construite à une période où

20 l'empire ottoman relâchait un peu son emprise sur ces régions. Elle a été

21 incendiée par un pilonnage en mai 1992, et cela a été effectué par l'armée

22 serbe bosniaque. C'est également un monument qui figure dans l'acte

23 d'accusation, Ibrahim Age Saric, un monument qui présente très peu de

24 dommages dus à l'incendie.

25 M.Bowers (interprétation de l'anglais). Pièce 164.

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1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'est l'entrée de la

2 résidence de l'évêque catholique. Ce monument abritait une très importante

3 bibliothèque : elle a été incendiée et détruite en 1992 par l'armée des

4 Serbes bosniaques.

5 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Pièce 165.

6 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Ibrahim Age Saric

7 mosquée a été construite en 1623, elle est de catégorie 2. C'est un bon

8 exemple de tir sur un minaret. Vous voyez les dommages en dessous du

9 minaret, et voilà ce qui se passe lorsque ces différentes pièces tombent

10 en bas.

11 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- On parle de ces

12 différentes listes de monuments dans le plan.

13 Pièce 166.

14 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Karadoz Begava

15 mosquée, c'est un des monuments d'importance nationale, de catégorie n° 1.

16 Vous voyez que le cherefa est resté, mais le minaret a été touché par un

17 obus de grand calibre, partie sud, et il s'agit également d'une opération

18 qui a été effectuée par l'armée des Serbes bosniaques.

19 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Pièce 167.

20 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- C'est un tir qui a

21 atteint l'intérieur de la mosquée Koski Mehmed Pasina, monument

22 d'importance régionale dans la classification n° 2. Vous voyez quel a été

23 l'impact des obus d'artillerie et les dommages causés sur le tambour du

24 dôme.

25 M.Bowers (interprétation de l'anglais).- Cette mosquée fait

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1 partie de la liste en supérieur de l'acte d'accusation. Monsieur Kaiser,

2 nous avons noté ces dommages sur les minarets. Estimez-vous cela comme

3 étant très important ?

4 M. Kaiser (interprétation de l'anglais).- Sur les douze des

5 quatre mosquées avec des minarets -qui sont des monuments classés,

6 endommagés par l'armée des Serbes bosniaques-, cinq minarets ont été rasés

7 et un ou quatre autres ont été touchés sur un plan très élevé comme vous

8 pouvez le voir sur cette photo.

9 J'ai vu cela dans d'autres régions. Ces minarets sont assez

10 élevés, ils se trouvent au niveau de la galerie. Par conséquent, on

11 ignorait quel avait pu être le motif de ce tir. S’agissait-il d'un poste

12 d'observation qui était touché ? En effet, dans certains cas, des clochers

13 d'églises ont été touchés dans la même intention.

14 Mais si vous regardez ces deux cas : Sevri Hadji Hassan

15 mosquée qui a perdu son minaret sur la façade sud et de Koski Mehmed

16 Pasina mosquée avec ce dôme endommagé, vous pouvez constater qu'il ne

17 s'agissait pas seulement d'un poste de tir ou d'un poste d'observation,

18 mais tout simplement d'un essai pour atteindre la mosquée. Les minarets

19 sont quelque chose de typique pour les villes bosniaques, parce que le

20 minaret est le symbole significatif de sa population, de la présence des

21 Musulmans.

22 Mais c'est également un signe qui remémore les conquêtes

23 ottomanes. Pour certains, c'est un temps d'occupation qu'ils ont vécu.

24 Par conséquent, prendre les minarets pour cible est en même

25 temps un motif pour le changement, pour l'élimination, mais cela peut être

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1 également pris comme étant un signe de rappel. C'est quelque chose que

2 vous pouvez voir de très loin et un minaret endommagé est le signe que

3 vous n'êtes pas souhaité, voulu dans un lieu donné.

4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez effectué

5 un autre voyage dans la région, à Konjic, en juin 1994.

6 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Au mois de mars,

7 j'ai séjourné à Mostar, dans la partie occidentale de la Herzégovine, puis

8 j'ai fait ce voyage à Konjic. L'objectif était à peu près le même : on

9 voulait voir ce qui se passait en première ligne de front située entre la

10 Fédération croato-musulmane et la Republika Srpska. On a pu constater que

11 pas mal de choses se passaient dans ces différentes enclaves ou petites

12 poches de territoire.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qu'avez-vous pu

14 constater au cours de ce voyage ? Quelles ont été vos conclusions ?

15 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Si vous le

16 permettez, je vais vous présenter mon itinéraire. Nous avons visité par

17 exemple Konjic, ici, Olovo, Kladanj, ainsi que des villes qui se

18 trouvaient sur la première ligne du front : Tuzla, Gradacac, Gracanica,

19 Maglaj, Tesanj, Zavidovici, Travnik. Il s'agit de la région de la ligne du

20 front.

21 Au cours de ce voyage, nous avons pu constater d'importants

22 dommages causés par des tirs d'artillerie. On a souvent dit que Travnik a

23 été détruit par l'armée des Serbes bosniaques. Dans ces villes, notamment

24 à Maglaj, Konjic ou Gradacac, nous avons pu constater sur place de très

25 importants dommages sur les bâtiments religieux.

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1 Deuxième partie de notre voyage dans ces poches, dans ces

2 enclaves où il y a eu de nombreuses opérations, beaucoup de combats entre

3 les Croates et les Musulmans : Prozor, Gornji Vakuf, Bugojno, Vitez,

4 Zepce, une poche croate dans ce territoire. Dans ces régions, nous avons

5 pu constater qu'ils ont eu recours aux matières explosives, mais que,

6 d'une manière générale, les églises orthodoxes n'avaient pas été

7 sévèrement touchées. Il s'agissait d'engins que l'on jetait par la

8 fenêtre. L'Armija, sur ce territoire, ont trouvé des églises orthodoxes et

9 des églises catholiques qui ont été incendiées. Mais d'une manière

10 générale, ces églises dans les villes, ont été protégées.

11 Telles sont les quelques conclusions générales qui se dégagent

12 de cette mission.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - J'aimerais que vous

14 baissiez la lumière pour que l'on puisse voir différentes photos

15 (pièces 1, 6 et 8), s'il vous plaît. Docteur Kaiser, pourriez-vous nous

16 décrire que l'on voit ici ?

17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est la Mosquée

18 Carsijska à Konjic qui n'est pas sur la liste des monuments, ce qui est

19 étrange -je suis un peu surpris- et c'est un exemple d'un minaret

20 endommagé par des tirs. Vous voyez qu'il y a un impact très haut, au

21 niveau de la galerie, et un autre plus bas. Il semblerait que le but ait

22 été d'endommager ce minaret plus encore qu'il ne l'a été.

23 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Il s'agit d'une

24 mosquée citée dans l'acte d'accusation. Qui est responsable ?

25 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est l'armée des

Page 451

1 Serbes bosniaques.

2 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Pourriez-vous nous

3 montrer la pièce 169 ?

4 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est la mosquée de

5 Vardacka à Konijc. Vous voyez que les dommages se situent tout en haut du

6 minaret, au pinacle. En bas, vous voyez à droite de l'écran, des

7 personnels de la mission de surveillance de la Communauté européenne, qui

8 ont dit que les dommages causés à cette mosquée et à la précédente avaient

9 probablement été causés par des chars.

10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - C'est aussi l'armée

11 serbe qui a endommagé cette mosquée ?

12 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui, cela a été

13 fait par l'armée serbe.

14 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

15 Président, je tiens à signaler que cette mosquée est citée dans les pièces

16 sur lesquelles s'appuie l'acte d'accusation. Pourrait-on voir maintenant

17 la pièce 170.

18 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Il s'agit d'une

19 mosquée qui n'a pas de nom, mais qui est très belle. Vous pouvez voir que

20 c'est une mosquée en pierre. Elle se trouve à 200 mètres de l'église des

21 Franciscains dont je vous ai parlé tout à l'heure. Vous voyez un impact de

22 tir d'artillerie ou de char.

23 A gauche, vous voyez que le toit a été très abîmé et qu'il y a

24 eu des tirs sur l'embrasure de la fenêtre. C'est l'oeuvre de l'armée

25 serbe. La population locale a dit que cela avait eu lieu en février 1993.

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1 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Monsieur le

2 Président, je rappelle que cette mosquée figure également dans la

3 documentation sur laquelle s'appuie l'acte d'accusation.

4 Je voudrais maintenant passer à un voyage que vous avez fait

5 récemment à Banja Luka. Quand avez-vous pu vous rendre à Banja Luka ?

6 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - J'y suis allé au

7 début du mois de juin.

8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pièce 171, 610,

9 s'il vous plaît.

10 Monsieur Kaiser, aviez-vous déjà vu cette pièce 171 ? Vous

11 l'a-t-on déjà montrée ?

12 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui.

13 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Que représente

14 cette pièce ?

15 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est un plan assez

16 schématique de Banja Luka.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que pouvons-nous

18 voir sur cette pièce ?

19 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est le centre,

20 mais principalement les sites où se trouvent les mosquées.

21 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Le fait qu'il y ait

22 une telle concentration de mosquées a-t-il une importance particulière ?

23 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui, parce qu'en

24 fait cela représente le périmètre de la ville turque. Banja Luka a été

25 construite en 1528 par les Ottomans dans la partie Nord-Ouest, au nord de

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1 la partie orientale de la Bosnie. C'est une région d'une grande

2 importance stratégique pour eux, aussi il était extrêmement important pour

3 eux d'y laisser leur marque. La construction de ces mosquées est très

4 symbolique d'un régime, d'un mode de vie et c'est ce qui explique cette

5 concentration de mosquées à cet endroit-là.

6 Les Turcs ont également construit une forteresse sur les

7 ruines d'une forteresse chrétienne. En fait, toute cette ville symbolise

8 leur puissance.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En vous appuyant

10 sur la carte, pourriez-vous nous dire quelles sont les parties de la ville

11 dans lesquelles vous avez pu vous rendre, quand vous êtes allé à Banja

12 Luka, au mois de juin ?

13 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Nous sommes entrés

14 dans la ville par le Sud, c'est-à-dire par la droite. Il y a une route,

15 vous pouvez voir une petite flèche, c'est la route de Mrkonjic Grad, et

16 c'est la rue principale. Nous l'avons suivie, nous sommes allés de la

17 droite vers la gauche, nous sommes passés devant l'hôtel, qui était un peu

18 au Nord, qui ne se trouve pas sur la carte. Une autre fois, j'ai repris

19 cette rue principale et je suis allé au centre, là où un pont traverse la

20 rivière. Après avoir traversé la rivière, j'ai tourné à droite et j'ai

21 continué la rue. Voilà ce que j’ai pu voir, en tout cas ce dont je me

22 souviens.

23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Le mois dernier,

24 quand vous vous trouviez à Banja Luka, avez-vous remarqué des minarets

25 dans cette partie ?

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1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Non, pas de

2 minarets.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourrions-nous voir

4 la pièce 175, n° 613, s'il vous plaît ?

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Docteur Kaiser,

6 reconnaissez-vous cette photographie ?

7 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui, c'est la

8 mosquée que j'ai vue de l'autre côté de la rivière.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Cela décrit-il bien

10 ce que vous avez vu le mois dernier ?

11 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Oui, absolument.

12 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pièce 172, n° 611,

13 s'il vous plaît.

14 Aux fins de référence, c'est une petite version du gros plan

15 que nous avons ici dans la salle d'audience. Monsieur Kaiser,

16 pourriez-vous nous dire ce qu'il en est de ce minaret ?

17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est la mosquée

18 qui a été construite par le Bey de Banja Luka en 1522, grâce à de l'argent

19 qu'il avait reçu alors que le fils d'un chrétien très important avait été

20 pris en otage. Elle date de 1579 En fait il n'y a que deux bâtiments de ce

21 genre en Bosnie-Herzégovine. Ces deux mosquées ont une chambre centrale,

22 alors qu'ici il y a comme des chambres latérales à côté du minaret. La

23 partie centrale est rectangulaire, le toit indique où se trouve l'autre

24 nef, puisqu'il y a deux nefs latérales. Il y a également un demi-dôme

25 parce que l'abscisse est circulaire. En fait, cette mosquée comporte trois

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1 nefs. Il y a également un mihrab à droite et à gauche.

2 C'est très important pour les croyants qui peuvent être très

3 nombreux à l'intérieur et à l'extérieur, sous le porche. C'est comparable

4 avec la grande mosquée de Sarajevo, avec un minaret assez grand. C'est la

5 mosquée de Husrev. Ferhad Pasa Sokolovic a été enterré dans une de ces

6 mosquées.

7 Vous pouvez voir, près de l'entrée -mais pas très bien- une

8 fontaine à l'entrée vers la gauche. C'est un bâtiment très important, très

9 imposant qui a été construit par un des fils de Mima Sinan, l'un des

10 principaux architectes turcs qui travaillait à Constantinople à l'époque.

11 En fait, du point de vue de la religion, ce bâtiment est important. Il

12 l'est surtout pour Banja Luka parce qu'il symbolisait très probablement

13 cette ville et c'était l'objet de la fierté de la population. Vous

14 trouverez cette mosquée dans tous les guides, sur des cartes postales.

15 Pour ma part, je pense que tous les habitants de Banja Luka

16 s'identifiaient à cette mosquée, ils en étaient extrêmement fiers.

17 Pièce 174 n° 614, s'il vous plaît.

18 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

19 Président, pour illustrer ce qu'a dit M. Kaiser, voici une carte postale

20 de cette mosquée dont nous venons de parler.

21 Monsieur Kaiser, lorsque vous vous trouviez à Banja Luka le

22 mois dernier, avez-vous vu quelque chose qui ressemblait à cette mosquée ?

23 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Non.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Si elle avait

25 encore existé, l'auriez-vous vue ?

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1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Certainement.

2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourrions-nous

3 avoir la pièce 173, n° 612 ? C'est une petite version du gros plan de

4 l'agrandissement que nous avons ici dans la salle.

5 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Quand nous avons pu

6 accéder à cette région, le bureau du procureur est allé à cet endroit et

7 ce sont deux photographies qui ont été accolées. Ce sont des photos qui

8 ont été prises à la fin du mois d'avril par l'un de nos enquêteurs

9 représentant ce qui reste de la mosquée. C'est, vous le voyez, une sorte

10 de terrain vague. Comme référence avant et après la prise de la

11 photographie, ce sont les grands arbres et le bâtiment qui reste.

12 A partir de là, il est possible de comparer ceci avec la

13 situation avant la prise de cette photographie.

14 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur Kaiser,

15 pourquoi à votre avis, les Serbes bosniaques auraient-ils détruit une

16 mosquée de cette importance ? Pour quelle raison ?

17 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Si vous voulez vous

18 débarrasser de toute trace des Musulmans dans une région donnée, si vous

19 identifiez les mosquées comme représentant les Musulmans, vous allez

20 cibler ces bâtiments justement parce qu'ils sont tellement symboliques de

21 l'image de cette ville. Ceci fait partie de cette stratégie visant à

22 éliminer la présence des Musulmans et une grande partie de l'histoire de

23 cette région.

24 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Connaissez-vous

25 l'impact de cette destruction sur les habitants ?

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1 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Je n'ai pas discuté

2 avec les gens qui habitent à Banja Luka de cela. J'espère pouvoir le faire

3 à l'avenir, mais j'ai eu des conversations à Mostar, notamment dans la

4 partie Ouest. Les gens étaient très tristes de la destruction du pont de

5 Mostar. Je pense qu'à Banja Luka, on a ressenti à peu près les mêmes

6 sentiments. Il y a encore une photographie de cette mosquée au musée de la

7 mosquée de Ferhadija à Banja Luka. Cette illustration n'a pas été

8 éliminée.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez été en

10 mesure de vous rendre dans des zones de Bosnie-Herzégovine tenues par

11 l’armée serbe bosniaque ?

12 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui, à peu près six

13 fois.

14 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Quand avez-vous

15 commencé à vous rendre dans ces zones ?

16 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - A Pale en février.

17 Puis en avril, je me suis rendu dans d'autres localités.

18 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Pourriez-vous nous

19 montrer avec le pointeur sur la carte les régions que vous avez pu visiter

20 récemment ?

21 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - J’ai été à Gorazde

22 lors d’un voyage et je me suis rendu ici, ce qui veut dire qu’il a fallu

23 que je traverse le Republika Srpska. Je suis allé à Rogavica, également à

24 Foca, à Doboj juste à l’intérieur de la Republika Srpska. Puis je suis

25 allé à Banja Luka, comme je vous l’ai déjà dit. Je suis allé également

Page 458

1 dans cette région, à Bosanski jusqu’à Bihac. J’ai traversé Konjic grad

2 pour aller à Bihac.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Je voudrais

4 brièvement passer en revue les régions. Vous êtes allé à Donji Vakuf ? Qui

5 contrôle cet endroit ?

6 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - C’est dans la

7 Republika Srpska.

8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Est-ce que Donji

9 Vakuf avait des mosquées avec des minarets avant la guerre ?

10 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Au moins deux

11 mosquées.

12 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous vous

13 êtes rendu à Donji Vakuf, avez-vous vu des minarets ?

14 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Non.

15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous êtes allé

16 également à Rogatica. Y avait-il des mosquées à Rogatica avant la guerre ?

17 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui, plusieurs,

18 dont certaines étaient classées.

19 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - C’est également

20 contrôlé par l’armée serbe ? Lorsque vous êtes allé à Rogatica, avez-vous

21 vu des mosquées ou des minarets ?

22 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Non.

23 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Et à Foca, la

24 situation était-elle similaire quant aux mosquées et aux minarets existant

25 avant la guerre ?

Page 459

1 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Je n’ai pas

2 parcouru toute la ville, mais je n’ai vu ni mosquée ni minaret. Or, il y

3 avait au moins dix mosquées dont une très importante, classée.

4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - C’est également

5 l’armée serbe qui contrôle ?

6 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En ce qui concerne

8 Doboj, vous êtes allé à Doboj n’est-ce pas, avant la guerre y avait-il des

9 mosquées et des minarets ?

10 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui.

11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous pu voir

12 des mosquées ou des minarets ?

13 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Non.

14 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Au cours des

15 voyages que vous avez fait dans les régions contrôlées par les accusés,

16 Karadzic et Mladic, avez-vous vu des minarets ?

17 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - En 1995, alors que

18 j’étais basé à Mostar, dans le début de l’année 1995, je suis allé à

19 Kupres qui avait été repris par l’armée croate. Là, il y avait une mosquée

20 et un minaret qui étaient intacts.

21 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Ce sont la seule

22 mosquée et le seul minaret que vous ayez vu dans votre voyage à travers

23 toutes ces zones contrôlées par l’armée serbe ?

24 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Oui.

25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pouvez-vous nous

Page 460

1 expliquer la signification, d'un point de vue humain, de la destruction de

2 ces monuments et de ces lieux de culte ?

3 M. Kaiser (interprétation de l’anglais). - Je dois reprendre

4 mes notes pour vous répondre.

5 D’après les informations dont nous disposons, il semble qu'il

6 y ait eu une tentative en Republika Srpska d'éliminer complètement le

7 patrimoine sacré musulman, ce qui représente la destruction de 100 à 200

8 mosquées classées. Nous ne savons pas exactement combien ont été

9 détruites. Ce sont des mosquées qui ont été construites aux 16ème et

10 17ème siècles qui représentent une partie très importante du patrimoine

11 culturel et sacré, non seulement du pays, mais d’une partie du patrimoine

12 culturel et sacré de l'Europe.

13 A l’exclusion de l’Espagne, n’oublions pas que nous parlons

14 ici de la partie la plus occidentale dans laquelle ait pénétré l’empire

15 ottoman. C’est important pour les Bosniaques, mais c’est important pour

16 notre histoire, pour notre patrimoine, et la perte de ces mosquées est

17 importante pour nous également.

18 Il semblerait qu'il y ait une tendance à peu près similaire en

19 ce qui concerne les églises catholiques dans ces régions qui représentent

20 en général un patrimoine plus moderne et une valeur esthétique très

21 importante du point de vue architectural. Toutes ces églises catholiques

22 font également partie de notre patrimoine historique.

23 Beaucoup de dommages ont été causés également dans la vallée

24 de la Neretva en ce qui concerne le patrimoine turc, mais là la dimension

25 des dommages est tout à fait différente. Quant à la signification de la

Page 461

1 destruction du patrimoine catholique et musulman, dans les rapports de

2 l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, nous parlons du

3 nettoyage culturel en parallèle avec le nettoyage ethnique. Autrement dit,

4 on ne peut pas seulement nettoyer purifier ethniquement en se contentant

5 d’éliminer les gens physiquement, il faut également éliminer, dès lors

6 qu'on veut un véritable nettoyage ethnique, toutes les traces de leur

7 histoire, de leur culte, en fait éliminer la mémoire d'une vie commune. Ce

8 type de destruction de ce type de patrimoine vise à cela, à éradiquer la

9 mémoire.

10 Il y a naturellement des parties plus séculaires du

11 patrimoine, des destructions de maisons, de bâtiments populaires dans les

12 campagnes. Il y a beaucoup de destructions, de purification ethnique et

13 contre-purification ethnique dans le centre de la Bosnie.

14 Si l’on additionne tous ces types de destructions, on débouche

15 sur une conclusion assez logique, c’est-à-dire une modification totale de

16 l'environnement dans lequel les gens sont appelés à vivre. Cela signifie

17 qu'en fait, vous éliminez tout ce qui pourrait rappeler une vie commune.

18 En fait, c'est une sorte de punition pour tous, partout où les gens se

19 trouvent dans ce pays.

20 Et le problème de l'identification ethnique du patrimoine

21 culturel, qu'est-ce que vous faites pour cela ? Eh bien, si vous détruisez

22 une mosquée, cela détruit non seulement une mosquée musulmane, mais cela

23 détruit quelque chose à l'intérieur d'un Serbe et à l'intérieur d'un

24 Croate parce qu'en fait ceci fragmente totalement l'identité du fait qu'il

25 y a destruction de toute une partie du patrimoine historique ; n'oublions

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1 pas que probablement presque rien d'une grande partie de ce qui a été

2 détruit et de ce qui a été très endommagé pendant la guerre ne sera ne

3 sera reconstruit lorsqu'il s'agira de reconstruire. Donc, en fait, nous

4 parlons là de quelque chose qui est purement et simplement une catastrophe

5 pour les gens qui restent là.

6 Pour terminer, deux questions me viennent à l'esprit. La

7 première est la suivante : ce type de destruction va-t-il constituer un

8 précédent ? En deuxième lieu, qu'est-ce que cela signifie pour nous ?

9 Pour répondre à la première question, je crois qu'il faut

10 remonter à la genèse de cette région. Les conquêtes qui ont eu lieu

11 -ottomanes en particulier- ne se sont certainement pas faites en douceur

12 et il est certain que les armées turques ont beaucoup détruit le

13 patrimoine culturel, les lieux de culte. N'oublions pas non plus que, lors

14 de la conquête de la Croatie par l'Empire austro-hongrois, tout ce qui

15 rappelait le règne de l'Empire Ottoman, tant les bâtiments séculaires que

16 les lieux de culte, a été détruit et que les Oustachi ont beaucoup abîmé

17 les monuments orthodoxes, également à Banja Luka. N'oublions pas qu'en

18 1945, après la fin de la deuxième guerre, à Mostar il y avait six

19 mosquées, six mosquées ont été détruites. Ailleurs, quatre mosquées ont

20 été détruites. Il y a donc des précédents et il y a la mémoire de cette

21 destruction du patrimoine culturel commun par le passé. Et cela s'est

22 produit à maintes reprises dans le passé. On n'a donc rien inventé

23 aujourd'hui.

24 Y a-t-il un élément nouveau ? Eh bien, ce qui est peut-être

25 nouveau, c'est qu'on a déplacé les gens en effaçant leurs traces et que

Page 463

1 ceci a été fait par des Etats ou par des gens qui connaissent toutes les

2 règles -il ne faut pas oublier que ce sont les militaires qui ont fait

3 cela- et que ceux qui ont décidé cela savaient très bien quelle était la

4 valeur culturelle de ces monuments sur leur territoire. Or, la destruction

5 a été systématique et cela a été fait au vu et au su d'une communauté

6 internationale très au courant de tout, beaucoup plus au courant que ne

7 l'était la communauté au XVIIème siècle. En fait, on a recommencé ce qui

8 avait été fait par le passé, mais en y appliquant des méthodes

9 systématiques et beaucoup plus modernes, en utilisant tous les moyens très

10 sophistiqués que l'on connaît actuellement.

11 Les autorités ont compris la signification de ce patrimoine

12 culturel qui cimentait les populations. Je ne veux pas donner l'impression

13 d'être très dramatique, mais, en fait, la combinaison de toutes ces

14 destructions est très négative pour l'avenir. Il y a un peu partout des

15 intellectuels dans les partis politiques qui rêvent d'éliminer certaines

16 traces sur leur territoire. Or, en Bosnie on a montré que c'était faisable

17 et comment on pouvait le faire.

18 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Monsieur le

19 président, nous avons encore une pièce à montrer concernant ce que savait

20 l'accusé Karadzic. Peut-on montrer cette pièce, monsieur le président ?

21 M. le Président.- Oui, montrez cette pièce.

22 M._ Bowers (interprétation de l'anglais). - Pièce 177 : c'est

23 une bande qui a été retransmise le 27 février 1992 par la BBC, bulletin

24 d'information de Radio Sarajevo. Il y a une traduction et j'espère qu'au

25 fur et à mesure que la bande se déroulera, elle vous sera donnée.

Page 464

1 Traduction de l'enregistrement de l'émission de radio :

2 "Pendant la conférence d'aujourd'hui, j'ai reçu une

3 information selon laquelle hier à 11 h 00, un peu avant minuit, une bombe

4 est tombée sur un monument culturel important de Banja Luka, la mosquée

5 Ferhadija.

6 - M. Izetbegovic : c'est la première fois que celle-ci est

7 profanée en 450 ans d'Histoire. Je crains une espèce de vengeance. Je

8 crois que c'est une tentative pour provoquer des conflits. Je tiens à dire

9 que nous ne blâmons pas le peuple serbe pour cette attaque de vandalisme,

10 mais les extrémistes. Le peuple musulman doit aussi se contenir et ne pas

11 répondre à des actes de ce genre. Les édifices du culte sont sacrés pour

12 nous.

13 - M. Karadzic : je condamne également cet acte de vandalisme,

14 même si je ne peux pas dire que les extrémistes soient serbes. En tout

15 état de cause, je condamne tous les actes de vandalisme."

16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - D'après cette

17 bande, nous voyons que, dès février 1992, l'accusé Karadzic savait quels

18 risques présentait la destruction de tels lieux de culte, donc il était

19 tout à fait au courant.

20 Pour la Cour, nous voudrions noter que nous avons envoyé des

21 enquêteurs à Srebreniza, dans le cadre de l'enquête générale du bureau du

22 procureur. La pratique de la destruction des sites culturels et sacrés

23 s'est poursuivie jusqu'en juillet 1995. Nous avons des photographies de

24 minarets et de mosquées de la région de Srebreniza et nos enquêteurs qui

25 s'y sont rendus récemment n'ont pas retrouvé trace de ces mosquées et des

Page 465

1 minarets, ceux-ci ont été totalement détruits.

2 Nous en avons terminé avec cette présentation, monsieur le

3 président.

4 M. Riad (interprétation de l'anglais).- Monsieur Kaiser, je

5 voudrais en premier lieu vous remercier pour ce tour d'horizon extrêmement

6 informatif et intéressant concernant la destruction du patrimoine culturel

7 et spirituel, en Bosnie-Herzégovine tout particulièrement.

8 Pour qu'il n'y ait aucun doute concernant certaines des

9 conclusions très claires sur lesquelles nous débouchons après vous avoir

10 entendu, je voudrais que vous me disiez s'il est possible que de tels

11 dommages aient été le résultat d'hostilités, de conflits dans ces

12 endroits, ou bien s'il s'est agi d'un plan ou d'attaques bien orchestrés

13 et très systématiques et prémédités bien entendu ?

14 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - C'est une question

15 à laquelle il est difficile de répondre. Il n'est pas impossible qu'une

16 dynamique de destruction puisse se développer au fil des événements, mais

17 cela ne signifie pas nécessairement que les choses sont préméditées. Cela

18 étant, je pense que l'on ne peut tirer de conclusions que lorsqu'on

19 examine la très longue liste de destructions culturelles et religieuses

20 dans la région, et le calendrier de ces destructions qui ont affecté la

21 totalité de la région pourrait peut-être aider le Tribunal à déterminer

22 quelles étaient les intentions. Personnellement, je ne suis pas en mesure

23 de dire qu'il s'est agi d'un plan prémédité.

24 M. Riad (interprétation de l'anglais. - S'agissant de

25 calendrier, vous nous en avez donné une synthèse en disant que

Page 466

1 1 123 mosquées ont été endommagées. 504 églises catholiques, 36 églises

2 orthodoxes et 5 synagogues ont également été endommagées. A en juger par

3 le pourcentage du patrimoine religieux endommagé, pouvez-vous conclure

4 qu'il s'est agi d'une stratégie tout au long de la guerre, ou en tout cas

5 que certaines factions mettaient en oeuvre cette stratégie étant donné le

6 nombre et la façon systématique dont ces destructions ont été opérées ? Et

7 s'est-il agi de l'attitude d'une partie ou d'une stratégie systématique

8 est généralisée ?

9 M. Kaiser (interprétation de l'anglais). - Si ce n'était pas

10 une stratégie au début de la guerre, il ne fait aucun doute que cela a

11 fini par faire partie d'une stratégie. Il est impossible de voir que

12 1 123 mosquées ont été endommagées sans penser que quelque chose de

13 relativement délibéré s'est produit.

14 J'en reviens à ma position initiale en affirmant que c'est

15 sans aucun doute devenu partie d'une stratégie très efficace. Les minarets

16 étaient des signes très parlants pour la population. Je peux citer

17 l'exemple d'un lieu en Herzégovine Occidentale où, en 1993, un village est

18 resté totalement intact et où, en 1994, un seul coup de feu a été tiré sur

19 le minaret, ce qui est un signal. Frapper le minaret, c'est également une

20 manière de chasser la population, donc cela peut faire partie intégrante

21 d'une méthode appliquée avec grand soin.

22 M. le Président. - Merci beaucoup, monsieur Kaiser.

23 Ma première question s'adressera au procureur. Monsieur le

24 procureur, disposez-vous de l'ensemble des rapports dont il a été fait

25 état au début de l'intervention du Dr Kaiser ?

Page 467

1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Oui, monsieur le

2 président, nous possédons ces rapports qui sont très volumineux. C'est la

3 raison pour laquelle nous ne les avons pas présentés comme pièces à

4 conviction, mais si la Cour souhaite avoir accès à ces documents, il est

5 absolument clair qu'ils sont à votre disposition.

6 M. le Président. - Je vous en remercie, monsieur le procureur,

7 et nous en prenons note.

8 Je m'adresserai au Dr Kaiser. Au nom de ce caractère semble-t-

9 il systématique des destructions -que vous venez de souligner, docteur-, y

10 a-t-il eu des profanations de cimetières musulmans ?

11 M. Kaiser. - Au début de la guerre...

12 M. le Président. - Je vous remercie beaucoup de cette délicate

13 attention.

14 M. Kaiser. - Au début de la guerre, il y avait beaucoup de

15 bruits sur la question de la destruction de cimetières musulmans

16 notamment. Il faut dire qu'un certain nombre de grandes mosquées avaient

17 dans leur enclos des vieux cimetières. Je ne pense pas que c'était le cas

18 de la mosquée Ferhadija.

19 M. le Président. - Merci.

20 M. Kaiser. - Je n'ai pas... Il y a eu une interruption. Est-ce

21 que je peux continuer ?

22 M. le Président. - Vous continuez dans la langue qui vous est

23 la plus familière, mais vous vous exprimez très bien en français.

24 M. Kaiser. - Je vais continuer comme cela parce que j'ai un

25 problème.

Page 468

1 Ce qui s'est passé, c'est que lors des visites, des voyages

2 que j'ai faits, j'ai vu qu'il y avait très peu... C'est-à-dire que c'est

3 une question d'individus qui ont choisi eux-mêmes de tirer une balle dans

4 une pierre tombale, mais je n'ai jamais vu un cimetière qui était

5 "bulldozé", jamais on ne m'a indiqué un site comme ayant été "bulldozé".

6 On trouve des situations, par exemple à Mostar où la mosquée Balinovaca(?)

7 a été dynamitée en 1993. Cette mosquée est entourée par un cimetière,

8 lequel a été fort utilisé, malheureusement, pendant la guerre. Certaines

9 pierres ont été endommagées, mais personne n'a perturbé ce cimetière, et

10 c'est généralement ce que j'ai trouvé partout. Aussi en Republika Srpska,

11 parce que les cimetières musulmans sont reconnaissables assez facilement.

12 M. le Président. - Merci. Je voulais vous demander aussi si

13 vos investigations -même si cela dépasse le cadre de la présente

14 déposition-, dans ces rapports notamment auxquels vous avez fait allusion,

15 ont concerné les autres monuments qui font partie aussi de la mémoire d'un

16 peuple : les bibliothèques, les universités, les grands bâtiments

17 administratifs, les palais de justice, etc. Pouvez-vous très brièvement ne

18 serait-ce que nous indiquer si, effectivement, il y a eu aussi cette

19 intention de tuer ou de blesser la mémoire d'un peuple à travers ses

20 monuments ?

21 M. Kaiser. - Je pense que cette audience était consacrée à la

22 question du patrimoine et des bâtiments sacrés, mais je ne veux pas du

23 tout minimiser l'importance des destructions de tout le reste du

24 patrimoine qui est aussi considérable. J'ai fait référence à la ville de

25 Mostar notamment, à propos de laquelle j'ai indiqué que les bâtiments de

Page 469

1 l'époque autrichienne, c'est-à-dire les bâtiments civils, les bains, les

2 bâtiments administratifs, les écoles, etc., ont été incendiés pendant la

3 bataille. Ces sortes de bâtiments font partie intégrante de la vie de la

4 ville. Regardez bien : les écoles, les théâtres, les bains, c'est quelque

5 chose qui est utilisé tout le temps. Et on trouve cette sorte de question

6 dans beaucoup d'autres villes. On trouve la question de la bibliothèque

7 universitaire et nationale à Sarajevo qui n'est ni un bâtiment musulman ni

8 un bâtiment catholique, mais qui est le symbole de la ville. Tout le monde

9 a partagé les services de cette bibliothèque, les Croates, les Musulmans

10 et les Serbes et, lors de nos visites et de nos voyages, nous avons essayé

11 d'attirer l'attention justement sur ce patrimoine. Vous avez bien raison

12 de le dire, il n'y a pas que le patrimoine sacré, il y a le patrimoine de

13 tous les jours, de tout le reste de la vie et il est aussi important que

14 le reste, or ce patrimoine a souvent été gravement endommagée, et quand je

15 parle des bâtiments qui ne vont pas revivre après la guerre, on peut

16 toujours penser qu'un effort spécial sera fait pour les églises et les

17 mosquées, au moins celles qui ne sont pas trop endommagées, mais pour

18 beaucoup de bâtiments civils, les dégâts qui leur ont été faits

19 entraîneront probablement leur destruction et il y a des pans entiers, de

20 l'époque autrichienne notamment, qui risquent de disparaître.

21 M. le Président. - Le Tribunal, à partir des chiffres vous

22 avez donnés, constate qu'il n'y a pratiquement pas de synagogues qui ont

23 été endommagées. Est-ce que vous pouvez nous donner une explication ?

24 M. Kaiser - Il n'y a pas énormément de synagogues en Bosnie-

25 Herzégovine. Il y a des synagogues à Sarajevo qui ont subi de petits

Page 470

1 dégâts, mais il ne faut pas oublier que dans le cas de Sarajevo, il y a eu

2 énormément de destructions, notamment dans des quartiers modernes. Un

3 certain nombre de bâtiments historiques qui ont été très endommagés, comme

4 la Bibliothèque et la mosquée Maghribija, qui est à Marijin Dvor, laquelle

5 a perdu son minaret. On trouve beaucoup de petites destructions

6 occasionnées aux églises et aux mosquées. Quand pour la première fois je

7 suis allé à Sarajevo, j'ai été frappé -car en fin de compte, je n'ai

8 jamais vu autant de minarets au cours de tous mes voyages- de voir que

9 parmi les destructions qui ont été faites, les dégâts étaient heureusement

10 beaucoup moindre que dans d'autres villes, c'est-à-dire qu'il y avait

11 d'autres intentions, il y avait d'autres cibles, d'autres buts. Il n'y

12 avait pas de raisons particulières de frapper sur les synagogues si on ne

13 frappait pas tellement sur les églises ou sur les mosquées.

14 A Mostar, il y a une petite synagogue qui date des années 30

15 qui a été un peu endommagée, mais elle n'a pas servi en tant que synagogue

16 depuis très longtemps, depuis 1945.

17 La partie composante juive est très importante de la Bosnie,

18 surtout peut-être du point de vue de la mémoire, parce que la population

19 juive de la Bosnie est très peu importante. Elle a beaucoup souffert

20 pendant la deuxième guerre mondiale. Il n'y a pas beaucoup de Juifs en

21 Bosnie actuellement et en tant que communauté ils n'étaient pas cible.

22 M. Le Président. - Le Tribunal, docteur Kaiser, vous remercie

23 de ce témoignage qui avait été requis par l'accusation. Je vois le

24 procureur me faire signe. Monsieur le procureur peut-être avez-vous un

25 complément à apporter dans vos questions ?

Page 471

1 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Oui, monsieur le

2 Président. Je pourrai, si vous me le permettez, répondre au juge Riad en

3 ce qui concerne la légitimité des dommages militaires.

4 Le calendrier mentionné par M. Kaiser sera réexaminé et on

5 peut le comparer aux lieux géographiques. Nous sommes prêts à démontrer

6 qu'une grande partie des dommages ont eu lieu derrière les lignes

7 militaires. Il est donc possible qu'il n'y ait pas eu d’objectif militaire

8 et nombre de monuments sacrés ont été endommagés dans des lieux où il n'y

9 avait aucune résistance ou une résistance très réduite. Donc là encore,

10 pas d'objectif militaire.

11 Dans les villes où il y a eu une résistance, comme la ville de

12 Brcko, on a tiré sur la mosquée au moment où les combats se déroulaient en

13 fait dans une autre partie de la ville. Donc là encore pas d'objectif

14 militaire. Nous sommes prêts à présenter cette déposition plus détaillée,

15 plus approfondie lorsque nous en arriverons au procès.

16 M. le Président. - Docteur Kaiser, je vous renouvelle mes

17 remerciements au nom de mes collègues, de l'ensemble du tribunal pénal

18 international. Ainsi prend fin votre audition et la première séquence de

19 cet après-midi.

20 L'audience sera reprise à 16 heures 30.

21 L’audience, suspendue à 16 heures 1, est reprise à 16 heures 37.

22 M. le président. - L'audience est reprise. Veuillez vous

23 asseoir.

24 Monsieur le Procureur, tout d'abord le Tribunal accepte les

25 pièces à conviction que vous avez apportées dans les précédents

Page 472

1 témoignages. Monsieur le greffier, vous voudrez bien consigner la décision

2 dans les minutes de votre dossier.

3 Monsieur le procureur, vous avez la parole.

4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur le

5 président. L'accusation appelle le Capitaine Patrick Rechner qui sera le

6 témoin suivant.

7 (Le capitaine est introduit dans la salle d'audience.)

8 M. le président. - Restez debout, s'il vous plaît et prenez

9 l'écouteur. M'entendez-vous ?

10 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui, je

11 vous entends.

12 M. le président. - Vous allez rester debout pour lire la

13 déclaration.

14 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je déclare

15 solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la

16 vérité.

17 M. le président. - Merci, vous pouvez vous asseoir.

18 Capitaine Rechner, vous avez été cité par l'accusation dans la

19 procédure. Vous ne prenez pas les écouteurs ?

20 Capitaine Rechner. - Je parle français également, alors c'est

21 plus facile.

22 M. le président. - Je reprends. Capitaine Rechner, vous avez

23 été cité par l'accusation dans le cadre de l'exposé public des charges

24 pesant sur les accusés Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Vous êtes devant

25 le Tribunal international. Le Tribunal vous demande de parler sans

Page 473

1 crainte.

2 Monsieur le procureur, vous avez la parole.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Merci, monsieur le

4 président.

5 Capitaine, pourriez-vous nous donner votre nom et l'épeler ?

6 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Mon nom est

7 Capitaine Patrick Anthony Rechner.

8 (M. Rechner épelle ses nom et prénoms.)

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Capitaine, vous

10 servez actuellement dans l'armée canadienne.

11 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - C'est

12 exact.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quel est votre rang

14 et dans quelle arme servez-vous ?

15 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je suis

16 capitaine dans l'infanterie.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quelles langues

18 parlez-vous ?

19 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je parle à

20 des niveaux différents l'anglais, le tchèque, le polonais, le slovaque,

21 l'allemand, le russe et le serbo-croate.

22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous servi en

23 Bosnie-Herzégovine et dans les zones limitrophes ?

24 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui.

25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous dire

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1 à la Cour quelles ont été vos affectations ?

2 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Est-ce que

3 vous parlez uniquement de la Bosnie-Herzégovine ou de l'ensemble de l'ex-

4 Yougoslavie ?

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - De l'ensemble de

6 l’ex-Yougoslavie.

7 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - J’ai

8 d’abord servi en ex-Yougoslavie comme membre du bataillon canadien de

9 février à mai 1993 en Slavonie occidentale, zone protégée par les Nations

10 Unies, secteur Ouest, puis j'y suis retourné pour douze mois, en tant

11 qu'Observateur des Nations Unies de juillet 1994 à juillet 1995.

12 Ma première affectation en tant qu'Observateur des Nations

13 Unies était à Zadar, secteur Sud. J'y suis resté jusqu'en décembre 1994.

14 J'ai également travaillé à Knin et à Benkovac.

15 A la fin de décembre 1994, exactement le 31 décembre 1994,

16 j'ai été stationné à Pale où je suis resté jusqu'au 18 juin 1995.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous avez servi en

18 tant qu'Observateur militaire des Nations Unies. C'est exact ?

19 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - C'est

20 exact.

21 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous

22 brièvement expliquer au Tribunal quelles sont les responsabilités d'un

23 observateur militaire des Nations Unies ?

24 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Les

25 observateurs militaires des Nations Unies ont des responsabilités

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1 différentes selon les missions auxquelles ils participent dans le monde

2 entier. Dans l'ex-Yougoslavie, notre mission principale consistait à

3 servir de liaison entre les différentes parties au combat ainsi qu'à

4 servir de liaison entre ces parties au combat et la FORPRONU.

5 Nous avions également à traiter avec les organisations

6 humanitaires en les aidant et en développant la coopération locale avec

7 leur travail. Enfin, notre dernière mission consistait à rendre compte

8 directement au Conseil de sécurité des Nations Unies du déroulement du

9 conflit, qu'il s'agisse de la nature du conflit ou de sa portée, dans les

10 différentes zones où nous avions accès en ex-Yougoslavie.

11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Comment avez-vous

12 été choisi personnellement pour être observateur des Nations Unies ?

13 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Pour un

14 officier canadien, l’exigence est d’avoir au moins le rang de capitaine et

15 avoir été en service actif en tant qu'officier pendant au moins 6 ans.

16 Dans notre cas nous nous portons candidats aux postes d'observateurs

17 militaires dans le cadre d'un régiment. Ensuite ces candidatures sont

18 examinées et proposées aux Nations Unies.

19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En tant

20 qu'observateur militaire des Nations Unies, où avez-vous été stationné

21 d'abord ?

22 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - J'ai

23 d'abord passé 2 semaines à Zadar en Dalmatie.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Ensuite ou êtes-

25 vous allé ?

Page 476

1 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je suis

2 allé à Knin dans le secteur sud.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

4 donner la suites des endroits ou vous vous êtes trouvé ?

5 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - A Zadar

6 j'étais observateur militaire des Nations Unies en patrouille. A Knin où

7 j'ai été de la fin juillet 1994 jusqu'au début de novembre 1994, j'étais

8 officier des opérations en chef pour l'état-major des Nations Unies.

9 Du début de novembre 1994 jusqu'à la fin décembre 1994, j'ai

10 été dirigeant de l'équipe stationnée à Benkovac, dans le secteur sud

11 également et j'avais pour responsabilités de m'occuper de la moitié sud de

12 la zone protégée par les Nations Unies.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Ensuite vous avez

14 été stationné à Pale ?

15 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui, à

16 partir du 31 décembre 1994.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Combien de temps

18 êtes-vous resté à Pale ?

19 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Je suis

20 resté à Pale de la date que je viens de citer jusqu’à la prise d’otages en

21 juin 1995.

22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quelles

23 responsabilités aviez-vous à Pale ?

24 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - A Pale il y

25 avait 4 observateurs militaires qui faisaient partie d'une équipe de

Page 477

1 liaison. Nos responsabilités impliquaient le transfert de courriers entre

2 les Nations Unies et le Gouvernement serbe bosniaque ainsi qu'entre les

3 Nations Unies et l'état-major militaire des Serbes de Bosnie à Han Pijesak

4 à 65 kilomètres de Pale.

5 De temps à autre, nous avions également des réunions avec les

6 dirigeants politiques locaux. Mais pour l'essentiel, nos tâches tournaient

7 autour du téléphone et de l'envoi de messages par fax.

8 Puis, depuis la deuxième moitié du mois d'avril, je suis

9 devenu chef d'une équipe de relations avec le Gouvernement serbe bosniaque

10 et le commandement militaire des Serbes de Bosnie.

11 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qui sont les

12 dirigeants de l’administration serbe de Pale avec lesquels vous avez eu

13 des contacts ?

14 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Le

15 personnage le plus important était le professeur Koljevic, le vice-

16 président, car entre autres il était Président du comité gouvernemental

17 chargé de la coopération avec les Nations Unies et la FORPRONU.

18 Nous avons également eu à traiter directement avec le bureau

19 du docteur Karadzic, plus précisément avec sa secrétaire Mira et avec M.

20 Jovan Zametica qui était le porte-parole et le conseiller politique de M.

21 Karadzic.

22 Nous avons également eu à traiter avec M. Kaljinic, le

23 ministre de la santé.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avec quelle

25 fréquence communiquiez-vous avec ces hommes ?

Page 478

1 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Avec le

2 professeur Koljevic directement nos contacts étaient assez rares, mais

3 avec sa secrétaire les contacts étaient pratiquement quotidiens. Avec le

4 bureau du docteur Karadzic, avec sa secrétaire Mira ou M. Zametica, les

5 contacts étaient également quotidiens.

6 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Au cours de mois de

7 mai 1995, avez-vous eu une réunion avec Koljevic ?

8 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui.

9 C'était peut-être à la fin du mois d'avril ou au début du mois de mai

10 1995. Je suis allé le voir en ma qualité de responsable de l'équipe de

11 liaison avec le colonel Dermjaja(?) qui était l'observateur militaire le

12 plus important de la région, c'est-à-dire le responsable de tous ceux qui

13 se trouvaient en Bosnie-Herzégovine.

14 Nous avions toute une équipe d'observateurs qui étaient

15 bloqués dans les zones de sécurité et nous ne pouvions pas avoir le

16 moindre contact avec eux. Nous avons essayé d'obtenir l'intervention du

17 professeur Koljevic. Nous lui avons demandé son aide dans nos contacts

18 avec les militaires serbes de Bosnie.

19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quel a été le

20 résultat de cette réunion ?

21 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Le résultat

22 de cette réunion a été que le professeur est intervenu et une semaine ou

23 10 jours plus tard, nous avons pu sortir les observateurs militaires des

24 Nations Unies de la zone de sécurité de Zepa.

25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Cette réunion a eu

Page 479

1 lieu fin avril ou début mai ?

2 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Exactement.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - En 1995 ?

4 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui.

5 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Que s’est-il passé

6 le 25 mai 1995 ?

7 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Le 25 mai

8 1995 a été le jour du premier bombardement par l'OTAN des environs de

9 Pale.

10 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous pu

11 déterminer le nombre approximatif des bombes qui sont tombées ce jour-là ?

12 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Nous

13 n'avons pas pu le déterminer avec exactitude, mais nous avons entendu deux

14 explosions très fortes et nous avons vu de la fumée à ce que nous avons

15 estimé être à 10 kilomètres de Pale.

16 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Quelle était de

17 façon générale la région d'où montait cette fumée ?

18 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - A l'époque

19 nous ne savions pas s'il s'agissait d'une installation militaire ou d'un

20 autre bâtiment, mais nous étions sûrs que c'était un bombardement car

21 l'explosion et la fumée étaient très importantes et nous ne savions pas

22 s'il s'agissait d'un bombardement aérien. Mais plus tard nous avons

23 constaté que l'importance de la fumée et le grand bruit de l'explosion

24 étaient dus à l'explosion secondaire d'un bunker proche.

25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous vu des

Page 480

1 dommages à des structures civiles le 25 mai ?

2 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Non aucun

3 dommage. Mais si je puis développer un peu, le 25 mai nous étions confinés

4 dans nos quartiers d'habitation, nous n'avions aucune liberté de

5 circulation. On nous avait dit de ne pas sortir. Nous n’avons donc pas pu

6 mener l'enquête.

7 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Où se trouvaient

8 vos quartiers d'habitation ?

9 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Au centre

10 de Pale, à plus ou moins 300 mètres environ de la présidence des Serbes de

11 Bosnie, à savoir du bureau du docteur Karadzic.

12 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Et vous n'avez vu

13 aucun dommage dans le voisinage immédiat de vos quartiers d'habitation ?

14 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Non.

15 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Que s’est-il passé

16 le lendemain, le 26 mai ?

17 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Le

18 lendemain à 10 heures environ le bombardement a repris. Il nous a semblé

19 que les cibles étaient identiques à celles de la veille. En tout cas pour

20 ce qui est de la région générale, nous avons estimé que le bombardement

21 visait une zone située à environ 10 kilomètres. A la différence de la

22 veille, le bombardement était beaucoup plus intensif. De 10 heures du

23 matin jusqu'à 11 heures environ nous avons entendu une douzaine

24 d'explosions.

25 M. Bowers (interprétation de l’anglais). - Peu après le début

Page 481

1 du bombardement du 26, est-ce que quelque chose s’est produit à

2 l'extérieur de vos quartiers d'habitation ?

3 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui. Dans

4 les 5 à 10 minutes qui ont suivi le premier bombardement, deux coups de

5 feu ont été tirés à l'extérieur de nos quartiers d'habitation et nous

6 avons entendu des voix parler fort.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qu'avez-vous fait à

8 ce moment là ?

9 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - A l'époque

10 je n'étais pas dans notre bureau. J'étais en haut. J’ai donc attendu

11 quelques minutes pour voir ce qui se passerait. Je n'ai plus rien entendu

12 d’autre. Je suis donc descendu pour enquêter sur ce qui était arrivé.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous êtes

14 descendu, avez-vous eu la possibilité de pénétrer dans une salle qui était

15 isolée du bureau en tant que tel ?

16 Capitaine Rechner (interprétation de l'anglais). - Oui, je

17 crois qu’il pourrait être utile que je décrive nos bureaux et nos

18 quartiers d'habitation à Pale. Nous vivions avec nos familles dans une

19 maison de trois étages. Lorsque je parle de trois étages, j’inclus le rez-

20 de-chaussée. La famille vivait à l'étage moyen ; nous étions à l'étage

21 supérieur et à l'étage du bas il y avait d'un côté la cuisine et la salle

22 de séjour et de l’autre côté notre bureau qui était un garage transformé.

23 J'étais donc descendu par l'escalier de l'étage supérieur, à

24 savoir le troisième niveau, jusqu'au niveau inférieur. Il y avait une

25 petite porte à l'arrière de notre bureau était entrebâillée. J'ai donc

Page 482

1 jeté un coup d'oeil et j'ai vu trois individus armés. Je suis rentré dans

2 la cuisine pour passer quelques coups de téléphone afin de découvrir si

3 ces personnes avaient été envoyées officiellement pour assurer notre

4 protection ou si c'était simplement des gens qui cherchaient à se venger.

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Lorsque vous avez

6 décidé de téléphoner qui avez-vous contacté ?

7 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - La première

8 personne que j'ai contactée a été quelqu'un au bureau du Dr Karadzic. J'ai

9 parlé avec sa secrétaire, Mira, à laquelle j'ai expliqué que trois

10 personnes armées étaient entrées dans notre bureau aux alentours de

11 10 heures. Je lui ai demandé si elle pouvait envoyer quelqu'un pour

12 enquêter sur ce qui se passait.

13 Elle m'a d'abord demandé à quel moment ils étaient arrivés. Je

14 lui ai répondu une dizaine de minutes aux alentours de 10 heures, c’est-à-

15 dire cinq minutes avant le moment où j'ai passé mon coup de téléphone.

16 Elle m'a demandé s'il s'agissait de soldats. Je lui ai répondu

17 que c'était difficile à dire car un seul parmi eux portait un uniforme en

18 bonne et due forme. Elle m'a dit que s'ils étaient venus peu de temps

19 avant 10 heures, c’est qu’ils avaient été envoyés officiellement.

20 C'est le premier coup de fil que j'ai passé.

21 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Pourquoi avez-vous

22 réagi en décidant d'appeler le bureau du Docteur Karadzic ?

23 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - D'abord parce que

24 nous avions des relations directes avec lui, ensuite parce que nous

25 craignions que des gens souhaitent se venger sur nous à la suite du

Page 483

1 bombardement. Nous pensions qu'il valait mieux établir un contact au plus

2 haut niveau.

3 Nous avons également contacté M. Jovan Zametica, le conseiller

4 de M. Karadzic. Nous avons obtenu l'intervention de M. Karadzic au sujet

5 d'un incident précédent : il était intervenu pour que des véhicules qui

6 avaient été saisis nous soient restitués.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé

8 après que la secrétaire du Dr Karadzic vous ait confirmé que ces personnes

9 étaient là officiellement ?

10 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - J'ai également

11 voulu parler avec M. Zametica pour lui demander s'il savait ce qui se

12 passait et l'informer du fait qu'il y avait des personnes en armes dans

13 notre bureau. Je l'ai appelé à l'hôtel Bistrica dans la région de Jahovina

14 qui se trouve à environ une quinzaine de minutes en voiture de Pale. M.

15 Zametica m'a confirmé qu'il avait entendu que des plans étaient en

16 préparation, consistant à envoyer des soldats dans notre bureau. Je lui ai

17 demandé ce qu'il voulait dire par là. Il a répondu que la seule suggestion

18 qu'il pouvait nous faire était de proposer la plus grande coopération

19 possible.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Vous avez eu une

21 confirmation de la part de la secrétaire de l'accusé, M. Karadzic, ainsi

22 que de son porte-parole qui stipulaient que ces hommes étaient là

23 officiellement ?

24 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Effectivement.

25 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Les observateurs

Page 484

1 militaires des Nations Unies sont-ils armés ?

2 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Non, les

3 observateurs des Nations Unies ne sont pas armés. En fait, c'est ce qui

4 nous distingue par rapport aux autres forces des Nations Unies présentes

5 en ex-Yougoslavie. Nous ne sommes donc pas armés, nous vivons et

6 travaillons au sein de la communauté locale ainsi que dans le cadre de

7 petites équipes internationales constituées typiquement de six

8 représentants du monde entier.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé

10 quand on vous a confirmé que ces hommes étaient là officiellement ?

11 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Dès que j'ai

12 reposé le téléphone, après avoir parlé avec M. Zametica, l'une des

13 interprètes qui se trouvait dans notre bureau est entrée et m'a appelé à

14 haute voix. Je me suis rendu dans la cuisine, je lui ai demandé ce qu'elle

15 me voulait et elle m'a dit que l'on avait besoin de moi dans le bureau.

16 Elle m'a accompagné dans le bureau et c’est là que nous nous

17 sommes trouvés confrontés à deux hommes en armes parce que le troisième

18 était sorti.

19 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Comment

20 étaient-ils vêtus ? Etaient-ils armés ?

21 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - L'un d'entre eux

22 portait un uniforme de camouflage typique des soldats serbes de Bosnie

23 avec un casque, le deuxième portait un tee-shirt rouge et des pantalons de

24 camouflage. Tous les deux portaient des armes automatiques AK47 et celui

25 qui portait un tee-shirt rouge avait également une grenade.

Page 485

1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Lorsque

2 l'interprète est arrivée auprès de ces deux hommes, que s'est-il passé ?

3 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - On m'a dit de

4 m'asseoir, puis après quelques secondes ils m'ont demandé d'entrer en

5 contact avec mon état-major par radio et d'établir la liaison, ce que j'ai

6 fait.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé

8 quand vous êtes entré en liaison avec votre état-major ?

9 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Je leur ai

10 expliqué que nous avions des gens en armes dans notre bureau et qu'ils

11 souhaitaient leur parler. J'ai donc passé la radio au Serbe bosniaque qui

12 parlait parfaitement l'anglais et qui a expliqué à notre état-major qu'il

13 souhaitait que le bombardement s'arrête immédiatement et que s'il ne

14 s'arrêtait pas il commencerait à nous exécuter.

15 M. Bowers(interprétation de l'anglais)). - Vous a-t-il demandé

16 de passer un autre coup de téléphone ?

17 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, car notre

18 bureau leur a expliqué que les observateurs militaires des Nations Unies

19 n'avaient rien à voir avec le bombardement, qu'ils ne pourraient rien

20 faire immédiatement. Le soldat m'a alors demandé de le mettre en contact

21 avec le bureau du Général Smith.

22 Il s'agit du Général Rupert Smith qui était commandant de la

23 FORPRONU à l'époque à Sarajevo. J'ai appelé son bureau avec lequel nous

24 avions également des contacts réguliers à l'aide d'un téléphone

25 ImmerSat(?) et je les ai mis en contact avec l'aide de camp du général

Page 486

1 Smith.

2 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Avez-vous entendu

3 la teneur de leur conversation ?

4 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, le soldat

5 serbe bosniaque a expliqué, très en colère, qu'il souhaitait que les

6 bombardements s'arrêtent immédiatement et qu'à partir de cet instant, pour

7 toute bombe larguée, l'un d'entre nous serait tué.

8 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé

9 à la fin de cette conversation avec le Général Smith ?

10 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Je suppose que

11 l'aide de camp lui a expliqué que l’obtention de l'arrêt du bombardement

12 prendrait quelque temps. Nous avons donc attendu et le soldat serbe

13 bosniaque a expliqué que son commandant militaire allait arriver dans

14 quelques minutes et qu'il fallait simplement que nous attendions, ce que

15 nous avons fait.

16 Dix minutes plus tard, aux environs de 11 heures ce matin-là,

17 un groupe de soldats est arrivé sous la conduite d'une personne dont le

18 nom ressemblait à Sodzan(?). C'était le commandant de l'unité d'où

19 provenaient les deux soldats qui étaient entrés dans notre bureau, ceux

20 qui avaient passé les coups de téléphone et parlé avec notre état-major à

21 la radio.

22 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pensez-vous qu'ils

23 faisaient partie de l'armée des Serbes de Bosnie ?

24 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Je suppose, mais

25 je ne peux dire s'il s'agissait d'unités régulières ou paramilitaires.

Page 487

1 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Que s'est-il passé

2 lorsqu'ils sont arrivés ?

3 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - On nous a emmenés

4 en un lieu appelé Jahorinski Potok, qui est l'endroit où se trouvent les

5 bunkers qui avaient été frappés la veille et ce matin-là par les

6 bombardements.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Lorsque vous êtes

8 arrivés à Jahorinski Potok, quelle était la situation ?

9 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Nous avons été

10 arrêtés à la porte principale du complexe car elle était fermée à clé et

11 la personne qui nous escortait n'avait pas la clé. Il a donc fallu dix

12 minutes, environ, avant qu'ils trouvent quelqu'un qui puisse ouvrir ce

13 portail. Dans l'intervalle, un groupe de civils étaient arrivés aux

14 alentours du bunker. La situation était très tendue, ces gens étaient très

15 en colère de voir des représentants des Nations Unies car à leur avis nous

16 étions responsables du bombardement.

17 Une des personnes est sortie du groupe, est arrivée près du

18 véhicule, a ouvert la porte et m'a insulté.

19 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé

20 lorsque cette personne vous a insulté ?

21 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Heureusement, nos

22 gardiens ont réagi rapidement. Après quelques coups de poings et quelques

23 bousculades il a été entraîné plus loin. A ce moment-là, je l'ai vu sortir

24 un pistolet. Il a tenté de tirer sur nous, mais nos gardiens ont encore

25 une fois réagi à temps et l'on empêché de tirer sur nous.

Page 488

1 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Vous avez parlé

2 des bunkers présents à Jahorinski Potok. Que contenaient-ils ?

3 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Les bunkers se

4 trouvaient à environ deux kilomètres à l'intérieur du complexe. D'après ce

5 que nous pouvions voir, ils contenaient sans doute des munitions pour des

6 pièces d'artillerie et des mines.

7 M. Bowers(interprétation de l'anglais)). - Les soldats ont-ils

8 finalement réussi à accéder au complexe ?

9 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, comme je

10 l'ai déjà dit, après une dizaine de minutes, quelqu'un est arrivé et a

11 réussi à ouvrir la serrure en la brisant à l'aide d'un marteau. Nous avons

12 réussi à pénétrer à l'intérieur du complexe, mais nous ne sommes pas allés

13 tout de suite vers le bunker, nous avons d'abord été emmenés dans des

14 maisons qui se trouvaient à l'intérieur du complexe.

15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Portiez-vous des

16 menottes ?

17 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Nous avons été

18 menottés à notre arrivée à l'entrepôt et nous y avons reçu, environ 10

19 minutes après notre arrivée, un message par la radio de notre véhicule

20 nous informant que le raid aérien avait été interrompu.

21 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Pendant que vous

22 vous trouviez dans cet entrepôt, avez-vous eu des contacts avec un

23 lieutenant-colonel ?

24 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, un

25 lieutenant-colonel de l'armée serbe de Bosnie s'est trouvé avec nous à

Page 489

1 partir du moment où le groupe de soldats -je veux parler du deuxième

2 groupe de soldats- s'est approché du lieu où nous nous trouvions. Il a

3 filmé tous les événements.

4 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - A-t-il fait

5 référence au pistolet qu'il portait ?

6 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Il n'était pas le

7 seul à être très en colère et très hostile. Tous les autres l'étaient

8 également. Ce lieutenant-colonel a dit que nous resterions dans cet

9 entrepôt pour éviter tout raid aérien, mais que même s'il n'y avait pas

10 reprise du raid aérien, il reviendrait nous voir plus tard dans la

11 matinée. Il nous a montré son revolver, en particulier la crosse sur

12 laquelle se trouvaient deux encoches, et nous a dit que sur ces deux

13 encoches, figuraient les noms de deux personnes qu'il avait déjà tuées et

14 qu'il serait très heureux d'en ajouter trois pour me représenter, moi-même

15 ainsi que les deux personnes qui m'accompagnaient.

16 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Avez-vous été

17 forcé de reprendre contact avec votre état-major ?

18 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui. La première

19 fois avait pour but, après que nous ayons reçu le message concernant

20 l’arrêt du raid aérien, de confirmer que ce raid était interrompu. Après

21 quoi, on nous a remis à bord du véhicule et on nous a emmenés vers le

22 bunker. En chemin, on m'a demandé d'appeler mon état-major et d'expliquer

23 que nous allions mourir pour l'OTAN.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qui vous a donné

25 l'instruction ?

Page 490

1 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Il s'agissait du

2 lieutenant-colonel qui était en train de prendre des prises de vue de la

3 scène et qui menaçait de nous tuer s'il n'y avait pas suspension des

4 raids.

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Est-il vrai que

6 quelqu'un était en train de tourner ? Tournait-il lui même ou faisait-il

7 des commentaires ?

8 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Non.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - On vous a déplacés

10 vers une autre région. Est-ce exact ?

11 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, nous avons

12 été déplacés de ce dépôt vers les bunkers. Nous avons été menottés et

13 c'est là que nous nous sommes déplacés, une fois dans le complexe.

14 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Que s'est-il passé

15 quand vous vous trouviez près des bunkers ?

16 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Quatre bunkers

17 ont été atteints par des bombes aériennes et l'observateur militaire russe

18 et moi-même avons tous les deux été menottés à un paratonnerre près du

19 bunker. L'un des capitaines du même groupe a été menotté à une porte, à

20 une cinquantaine de mètres de nous. Nous étions trois. Au début j'ai

21 mentionné que nous étions quatre observateurs militaires, mais l'un était

22 absent, en congés ; par conséquent nous n'étions que trois à Pale à cette

23 époque-là.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Une fois que les

25 soldats serbes vous ont menottés à ce câble de paratonnerre, comment avez-

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1 vous réagi ?

2 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - J'ai vu des

3 otages qui se trouvaient à une dizaine de mètres de nous. Le capitaine

4 Zidlik se trouvait menotté à ce bunker qui n'était pas touché.

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais)). - Quelle heure

6 était-il ?

7 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Aux environs de

8 11 heures 30 le matin.

9 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Pourriez-vous nous

10 dire si des bunkers dans la proximité immédiate étaient exposés à des

11 pilonnages ?

12 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, nous avons

13 remarqué des cratères de bombes. La partie arrière d'un des bunkers a été

14 touchée et l'un d'entre eux a été touché au sommet, à mes côtés.

15 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Des otages ont-ils

16 été amenés dans la région pendant que vous étiez menottés ?

17 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Oui, vers 13

18 heures nous avons remarqué un membre d'une autre équipe des Nations Unies

19 qui a été amené dans ce même complexe dans un autocar, avec un groupe de

20 soldats des Nations Unies.

21 Il s'agissait d'une équipe d'observateurs militaires qui

22 exerçaient leurs fonctions de patrouille et de surveillance dans la région

23 et qui étaient stationnés dans la région de Pale. Ils ont été rassemblés

24 vers 13 heures et ont été amenés dans ce même complexe pour être utilisés

25 comme boucliers humains. Ils étaient cinq au total.

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1 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Qu'ont-il fait avec

2 ces cinq membres de l'équipe des observateurs des Nations Unies ?

3 M. Rechner (interprétation de l'anglais)). - Ils ont été

4 amenés dans le même complexe, capturés dans la même région près du dépôt,

5 là où nous étions au début, et parmi eux se trouvait un major polonais

6 Karl Barczek. Il a été installé à quelque 300 mètres de nous. Nous n'avons

7 pas pu le voir, mais nous avons entendu une explosion.

8 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- D'après vous,

9 l'observateur polonais avait-il été placé dans le secteur le plus

10 dangereux ?

11 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- A mon avis oui.

12 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Pendant combien de

13 temps avez-vous été menotté à ce paratonnerre ?

14 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Pendant cinq à six

15 heures, de 11 h 30 à peu près jusqu'à 17 heures.

16 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Après avoir été

17 menotté à ce câble de paratonnerre, les soldats serbes sont-ils revenus

18 pour voir ce qui se passait avec vous ?

19 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, ils nous ont

20 apporté un peu d'eau et, après avoir amené les autres observateurs aux

21 environs de 13 h 00, ils sont revenus faire leur contrôle et vérifier nos

22 menottes.

23 Vers 14 h 30 -ou un peu avant 14 h 30-, les soldats sont

24 revenus nous voir et ils se sont peut-être rendus ensuite à l'endroit où

25 se trouvait l'observateur polonais ; et l'un des deux soldats a indiqué à

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1 l'autre que s'ils se rendaient jusqu'au soldat polonais, ils n'auraient

2 pas suffisamment de temps pour quitter cette région avant le commencement

3 du nouveau raid.

4 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Quelle est la langue

5 que parlaient les deux soldats ?

6 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Ils parlaient le

7 serbo-croate que j'ai compris. Par ailleurs, un membre de notre équipe

8 parlait couramment le chèque et pouvait donc comprendre la langue qu'ils

9 parlaient.

10 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Des fonctionnaires

11 vous ont-ils rendu visite pendant que vous étiez menotté ?

12 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui. D'abord -je

13 pense que c'était vers les 15 à 16 heures- deux groupes d'officiers

14 militaires de grade supérieur (des colonels) nous ont rendu visite, mais

15 ils se sont plutôt intéressés aux dommages causés par les raids aériens.

16 Ensuite, un groupe de civils est venu. Il m'a semblé qu'il s'agissait

17 d'une délégation politique. Dans ce groupe de civils, j'ai remarqué Jovan

18 Zametica qui était le porte-parole de Karadzic et son conseiller

19 politique.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Vous êtes-vous

21 entretenu avec M. Zametica ?

22 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui. M. Zametica

23 s'est arrêté pour me parler. Je lui ai expliqué à quel point on était

24 surpris par le traitement grossier dont nous faisions l'objet puisque nous

25 faisions partie de l'équipe de liaison. Il m'a alors répondu en me parlant

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1 d'incidents antérieurs concernant l'extradition forcée, par les Nations

2 Unies, de certains Serbes bosniaques à Gornji Vakuf. Et j'ai repris en lui

3 disant : alors, comment expliquez-vous, à ce moment-là, cette réaction et

4 comment expliquez-vous ce qui se passe à l'heure actuelle ?

5 Eh bien, M. Zametica semblait être content de ce qui se

6 passait et de ce que nous étions utilisés comme boucliers humains.

7 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Vous avez donc été

8 libéré, vous n'étiez plus menotté ?

9 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Vers 17 h 00 le

10 même après-midi, un groupe de deux soldats est arrivé dans un des

11 véhicules des Nations Unies ; ils ont emmené le soldat polonais qui se

12 trouvait à 300 mètres de là, et se sont dirigés dans la direction de

13 Jahorina.

14 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Quelque chose s'est-

15 il passé en route ?

16 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Pas grand chose.

17 Une fois quittée la route principale vers les hôtels de Jahorina, et alors

18 que nous empruntions une route de montagne, on nous a bandé les yeux.

19 Que s'est-il passé ? On n'était pas très sûr de ce qui se

20 passait et on ne savait pas si on allait nous exécuter en signe de

21 représailles, ou si nous allions tout simplement être transférés dans un

22 camp de détenus.

23 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Pendant votre

24 retour, avez-vous entendu parler les soldats serbes dans le véhicule, et

25 parlaient-ils de Mladic ?

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1 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui. Quatre ou cinq

2 soldats ont parlé en cours de route. On leur a demandé pourquoi on montait

3 la montagne de Jahorina. Et ils nous ont répondu qu'ils voulaient prendre

4 des photos des gens de l'ONU sur place.

5 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Vous avez donc

6 compris qu'il s'agissait de cela pendant que vous faisiez la route. Etes-

7 vous passé à côté d'un site de radars à Jahorina ?

8 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, je les ai

9 remarqués parce que notre liaison comprenait également ce secteur de

10 Jahorina. Nous connaissions donc le complexe de Jahorina.

11 Je ne sais pas si ce que j'appelle le site radar de Jahorina

12 est le principal ou un autre.

13 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Et s'agissait-il

14 d'une région qui abritait ce genre d'installation ?

15 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Je ne pourrai pas

16 en faire des commentaires exacts, mais toute station opérationnelle de

17 radar a une signification stratégique. Et pendant qu'on était détenu, un

18 des gardiens a indiqué qu'il s'agissait de l'endroit d'où les soldats

19 serbes pouvaient surveiller le déploiement des avions au-dessus de la

20 région.

21 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Que s'est-il

22 finalement passé en arrivant à Jahorina ?

23 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Le véhicule s'est

24 arrêté ; on nous a fait sortir, on nous a menottés ;on nous a ensuite

25 enlevé les menottes ainsi que les bandeaux que nous avions sur les yeux ;

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1 le lieutenant-colonel, qui prenait des photos et qui tournait la scène,

2 était également présent avec sa caméra vidéo, ainsi que deux civils : un

3 reporter que nous avons reconnu être Snezan Zanovic(?) et que nous avons

4 pu rencontrer par la suite, pendant le temps où nous avons été otages. Et

5 il y avait également un cameraman.

6 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Que s'est-il passé ?

7 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Nous sommes donc

8 sortis des véhicules. On nous a conduits dans un endroit ; deux soldats

9 ont sorti leurs armes, et l'observateur polonais a été amené jusqu'au

10 poste radar menotté ; c'est là qu'on l'a interviewé. J'étais trop loin

11 pour pouvoir l'entendre. Cela a duré une dizaine de minutes.

12 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Après la fin de ce

13 qui était? en apparence? une interview, vous a-t-on amené au poste de

14 radar ?

15 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- On n'a pas pris de

16 photo de moi pendant que j'étais dans le véhicule, menotté et les yeux

17 bandés ; mais c'était de toute façon une situation ridicule parce qu'ils

18 étaient complètement détendus, relâchés ; ils nous ont amenés dans un

19 endroit, nous offrant du café, de la bière. Je pense que l'observateur

20 polonais avait pris un café. Nous deux, observateurs, le reporter Snezan

21 Zanovic(?), et le reste des cinq ou six soldats, étions en train

22 d'attendre. Les soldats attendaient des instructions pour savoir ce qu'ils

23 allaient faire de nous par la suite. On nous a conduits, le major Karl

24 Barczek et moi-même, avec trois autres soldats, vers un hôtel où on nous a

25 servi un assez bon repas.

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1 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Après ce repas, vous

2 a-t-on amené vers une autre localité, vers un autre site pour y passer la

3 nuit ?

4 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, on nous a

5 dirigés vers des baraques militaires. Là on nous a gardés pendant les

6 trente-cinq jours que nous avons passés comme otages. D'après les soldats

7 locaux, cela se trouvait tout près de Pale, et c'est là que nous avons

8 rencontré d'autres observateurs militaires, que nous avions vus à Pale et

9 avec lesquels nous n'avions pas eu de contacts entre-temps.

10 Les leaders serbes se trouvaient sur place.

11 On nous a indiqué que nous allions passer la nuit dans un

12 autre site, menottés de nouveau. On nous a promis des couvertures pour ne

13 pas geler, mais on a pensé qu'on allait peut-être passer une nuit

14 agréable, dans un bâtiment et non pas dans un bunker.

15 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Combien étiez-vous ?

16 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Une dizaine : les

17 trois officiers de mon équipe, les cinq officiers d'une autre équipe

18 d'observateurs des Nations Unies de Pale, et trois officiers de Grbavica,

19 c'est-à-dire de la banlieue de Sarajevo.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais). - Vous a-t-on

21 déplacés vers un autre site le lendemain ?

22 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Le 28 mai, tard

23 dans l'après-midi, on nous a reconduits dans ce bâtiment où on avait passé

24 les trois premiers jours. Il s'agissait d'une grande salle, d'un grand

25 dortoir. Nous sommes restés là du 28 mai au 18 juin.

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1 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Le 28 mai, avez-vous

2 pu reprendre vos activités d'officier de liaison et qu'avez-vous essayé de

3 faire une fois que vous vous êtes retrouvés dans ce bureau ?

4 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Une fois de retour,

5 nous avons pu rejoindre nos quartiers résidentiels ; nous avons pu prendre

6 quelques vêtements de rechange et quelques objets dont on aurait besoin

7 dans ces baraques militaires.

8 Au moment où j'étais dans leur bureau, il a été donné pour

9 instruction à un de nos interprètes de continuer à travailler pendant tout

10 ce temps. L'interprète était donc sur place, et je lui ai ordonné

11 d'envoyer des fax et des messages au quartier général de Sarajevo. Et

12 c'est à ce moment-là que M. Danilo Savic(?), le patron de l'immeuble, est

13 arrivé dans le bureau ; il a compris qu'il devait faire quelque chose. Il

14 a été appelé par M. Krajisnik, le président de l'Assemblée bosniaque, mais

15 on lui a évidemment interdit toute communication par fax ou par téléphone.

16 Et M. Danilo Savic(?) a indiqué qu'il fallait que je suive les ordres

17 qu'on me donnerait.

18 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Comment se fait-il

19 que M. Krajisnik ait été là pour intervenir dans ce genre de contacts ?

20 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- M. Krajisnik était

21 un ancien ami du patron de l'immeuble, et nous avions déjà usé de son

22 influence lorsque il s'était agi, notamment, de nous restituer un véhicule

23 qui nous avait été enlevé.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Au moment où vous

25 étiez pris comme otage, avez-vous eu connaissance des accusations que les

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1 Serbes prétendaient retenir contre vous ?

2 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui ; d'après

3 certains observateurs -soit à la fin du premier jour, soit au début ou

4 vers la fin du deuxième jour-, au moment où ils se trouvaient dans leur

5 quartier d'habitation, ils avaient appris par leur interprète que nos

6 photos étaient passées à l'écran et qu'on avait expliqué au public que

7 notre équipe d'observateurs, moi-même, le capitaine Zidlik et le capitaine

8 Katorgaski(?), étions des gens des Nations Unies chargés de piloter les

9 raids aériens sur la région.

10 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Etiez-vous capable

11 de faire ce genre d'observations et d'exécuter ce genre d'opérations ?

12 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Non, nous ne

13 pouvions pas exécuter ces opérations avec l'équipement que nous possédions

14 sur place, et on ne pouvait donc pas guider les raids aériens ; on voyait

15 à peine les cibles attaquées. Parce que je vous précise, en effet, que ces

16 bunkers et les dépôts étaient à une dizaine de kilomètres du lieu où on se

17 trouvait. On voyait donc les explosions de loin, on entendait les échos et

18 les retentissements, et on voyait les colonnes de fumées qui s'élevaient à

19 partir de l'endroit atteint.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Avez-vous pu

21 contester ces fausses déclarations ?

22 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, nous l'avons

23 dit au reporter Snezan Zanovic(?) que nous avons vu le lendemain et plus

24 tard, lorsqu'il nous a rendu visite le 31 mai. Et M. Zanovic(?) nous a

25 expliqué que les uns mentaient et que d'autres devaient aussi mentir, que

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1 ces mensonges étaient vraiment de fausses accusations et qu'ils le

2 faisaient pour appuyer et étayer leur propre propagande.

3 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Vers le 28 mai,

4 avez-vous essayé d'entrer en contact avec le bureau de M. Koljevic ?

5 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui ; c'était le 29

6 mai ; nous avons essayé de revenir dans nos quartiers d'habitation pour y

7 prendre certains objets, pour y faire de la lessive, et on permettait

8 régulièrement, à quelques jours d'intervalle, à l'un ou deux d'entre nous,

9 de sortir en compagnie de gardiens pour déposer notre linge sale, payer

10 notamment nos notes, et faire nos comptes avec les habitants.

11 Un de mes interprètes était libre. Et, sachant que nous

12 allions, dans quelques instants, nous rendre de ce quartier à mon quartier

13 résidentiel, j'ai prié cet interprète d'appeler mon bureau et de donner

14 les ordres nécessaires à l'interprète sur place afin d'appeler le Pr

15 Koljevic pour demander à sa secrétaire -dont le nom est Sesa- de nous

16 assurer la possibilité de rentrer dans nos quartiers d'habitation. Et

17 c'est au moment où nous avons quitté le quartier d'habitation.

18 J'avais donc appelé l'autre équipe Sjeraeco(?). Lorsque nous

19 avons quitté le quartier (Sjeraeco 1 ?), et au moment de regagner nos

20 quartiers d'habitation, le téléphone a sonné, mon interprète a répondu,

21 s'est tourné vers le gardien, et a indiqué que la secrétaire du

22 Pr Koljevic voulait me parler. On m'a passé l'écouteur et j'ai parlé avec

23 la secrétaire du Pr Koljevic.

24 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Et vous avez

25 organisé une rencontre ?

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1 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui. Jusqu'à ce

2 moment-là, j'avais pensé que toute cette prise d'otage et la manière dont

3 nous étions traités était une grosse erreur étant donné que nous avions

4 eu, jusque là, de bonnes relations de travail avec le gouvernement serbe

5 et avec les militaires. C'est pourquoi je lui ai demandé si Seca pouvait

6 organiser une rencontre entre moi et le Pr Koljevic parce qu'il était très

7 important que je lui parle. Elle m'a répondu qu'elle organiserait cela

8 pour le jour suivant. Et elle a dit au capitaine Radovan Vodovic, qui

9 était mon gardien, qu'il y aurait une rencontre à laquelle je devrais

10 participer le lendemain, de manière à ce que je puisse rencontrer

11 M. Koljevic.

12 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Avez-vous pu

13 rencontrer M. Koljevic ?

14 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- Oui, mais rien ne

15 s'est produit le jour suivant. Mon gardien, le capitaine Vodovic, a dit

16 être dans l'incapacité de joindre les bureaux de M. Koljevic et les mêmes

17 explications nous ont été données dans les jours qui ont suivi. Ce n'est

18 que trois jours avant notre libération -le 15 juin- que le Pr Koljevic a

19 finalement organisé une rencontre avec moi.

20 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Et lorsque vous avez

21 eu enfin l'occasion de rencontrer Koljevic, comment cette conversation

22 s'est-elle déroulée ?

23 M. Rechner (interprétation de l'anglais).- En fait, ma

24 préoccupation principale était de pouvoir contacter ma famille la plus

25 proche, et de pouvoir également m'entretenir avec lui d'autres aspects

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1 moins désagréables du traitement qui nous était imposé, et de discuter

2 avec lui du type de relations de travail que l'on pourrait établir, à

3 l'avenir, entre les observateurs militaires et le gouvernement serbe à la

4 lumière de cette prise d'otages. C'est donc de cela que nous avons parlé.

5 Le Pr Koljevic a dit que du fait de la crise -laquelle était

6 provoquée par les bombardements-, les relations entre le gouvernement

7 serbe bosniaque et les Nations Unies étaient très mauvaises et qu'il

8 faudrait rediscuter pour voir quelles seraient les relations de travail à

9 l'avenir. Il a également justifié la prise d'otages en disant que

10 naturellement il comprenait très bien que, pour nous, cette situation

11 était extrêmement difficile, mais il a ajouté que le gouvernement serbe

12 bosniaque devait adresser un message très fort aux Nations Unies. Il a

13 utilisé l'analogie d'un choc électrique en disant que, dans certaines

14 conditions médicales, un électrochoc pouvait parfois tuer une personne,

15 mais dans d'autres cas la guérir, et qu'il était nécessaire de faire subir

16 un électrochoc aux Nations Unies.

17 M. Bowers (interprétation de l'anglais).- Peut-être, monsieur

18 le président, que le moment est venu d'interrompre cette journée.

19 M. le Président.- Il est 17 heures 30, l'audience est levée,

20 elle reprendra avec la poursuite de votre déposition, capitaine, demain

21 matin à 10 h 00.

22

23

24 La séance est levée à 17 h 30

25