Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 AFFAIRE N° IT-95-5-R61 & -18-R61.Le PRESIDENT : L’audience est reprise.

2 Est-ce que tout le monde m’entend ? Bureau du Procureur, vous m’entendez, le

3 Greffe, les assistants, la cabine d’interprètes, la galerie du public ?

4 Vendredi 5 juillet 1996.Bien; l’audience est donc reprise pour s’achever par

5 la déclaration finale du Procureur. Monsieur le Procureur vous avez la

6 parole.Le PROCUREUR : Bonjour Monsieur le Président. Nous avons quelques

7 pièces à conviction supplémentaires à soumettre à la Cour avant d’entamer

8 notre déclaration finale : d’abord les transcripts de l’audience article

9 61 de l’affaire Tadic, y compris un certain nombre de témoignages

10 concernant l’affaire Tadic elle même, ainsi que les déclarations du

11 docteur James Gow, expert militaire et historique qui a été entendu dans

12 le cadre de l’affaire Tadic. Nous avons également des pièces concernant

13 les mandats d’arrêt pour l’affaire Tadic, ce seront les pièces à

14 conviction 66 à 75; et 76 à 81, il s’agit de la correspondance avec la

15 Cour, des fax envoyés par le Président Antonio Cassese au Président

16 Milosevic au sujet d’un certain nombre d’incidents où Mladic et Karadic

17 se trouvaient en République fédérale de Yougoslavie et ce courrier montre

18 la chronologie des refus de réponse de la part de la République fédérale

19 de Yougoslavie et contient également un certain nombre d’avertissements

20 concernant le fait qu’il importe qu’ils respectent leurs obligations et

21 que s’ils ne respectent pas ces obligations cela reviendra à refuser une

22 injonction du Conseil de sécurité des Nations Unies et donc aboutira à

23 l’émission d’un mandat d’arrêt international. Nous aimerions soumettre

24 ces pièces au dossier.

25 Le PRESIDENT : Ces pièces sont recueillies par le Tribunal comme

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1 pièces à conviction Monsieur le Procureur; Monsieur le Greffier veuillez

2 en prendre note et veuillez les joindre au dossier du Tribunal. Merci.

3 Le PROCUREUR : Monsieur le Président c’est la conclusion de notre

4 déclaration concernant les éléments de preuve. Merci. Merci Monsieur le

5 Président.

6 En raison du fait que les mandats d’arrêt contre MM. Karadic et

7 Ratko Mladic n’ont pas été exécutés parce que ces deux hommes sont encore

8 aujourd’hui des fugitifs de la justice internationale, cette audience

9 extraordinaire a été convoquée. Une audience au titre de l’article 61 n’a

10 pas pour but d’être un procès par contumace. Il s’agit d’une audience

11 destinée à convaincre, vous même Monsieur le Président et les Juges qui

12 vous accompagnent qu’il existe des fondements raisonnables pour croire que

13 les deux accusés ont commis, l’un des crimes présumés dans les actes

14 d’accusation émis contre eux ou l’ensemble de ces crimes, et si vous en

15 êtes convaincus de prendre les mesures nécessaires pour garantir leur

16 présence devant cette Cour, la présence du docteur Karadic et du général

17 Mladic de façon à les soumettre à un procès pour les crimes monstrueux

18 dont ces deux hommes sont accusés en Bosnie-Herzégovine. Il a souvent été

19 répété qu’une audience au titre de l’article 61 est une occasion qui

20 permet de faire entendre la voix des victimes. Peut-être est-ce le cas

21 mais parce que ce n’est pas un procès ces voix ne peuvent être entendues

22 que selon le voeu de la Cour et ne seront entendues pour le monde que

23 lorsque le docteur Karadic et le général Mladic auront été arrêtés et

24 traduits en justice.

25 Que les victimes ne puissent être entendues dans une audience de

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1 justice est une insulte au milieu de victimes qui ont souffert tellement

2 de cette guerre. Cette insulte n’a pas été compensée par le geste cruel

3 et cynique du docteur Karadic qui a envoyé ses avocats à La Haye pour se

4 plaindre de la nature, de la forme des mandats d’arrêt lancés contre lui

5 et demander que ses avocats soient autorisés à participer à l’audience

6 alors que lui-même se cache en Republika Srpska. Il est vrai Monsieur le

7 Président, Madame et Messieurs les Juges que les victimes souhaitent une

8 occasion d’être entendues mais elles souhaitent que cette occasion leur

9 soit donnée après l’arrestation du docteur Karadic et du général Mladic

10 après que ces deux hommes seront assis dans le box des accusés devant

11 cette Cour. C’est alors et seulement alors Monsieur le Président que les

12 victimes auront vraiment la possibilité de s’exprimer; c’est alors et

13 seulement alors que les victimes se verront rendre justice.,

14 Avant de revenir sur les éléments de preuve j’aimerais souligner que

15 mes remarques d’aujourd’hui sont destinées à établir la responsabilité

16 criminelle individuelle du docteur Karadic et du général Mladic et non de

17 l’ensemble du peuple serbe. Nous n’avons pas mis en accusation le peuple

18 serbe pour ses crimes. En fait conformément au témoignage du major

19 Kusupovic, les victimes du siège de Sarajevo comprenaient quarante mille

20 Serbes bosniaques. La satanisation de certains groupes d’hommes

21 Musulmans, Croates ou Serbes a contribué au terrible carnage et à la

22 destruction qui se sont produits dans l’ex-Yougoslavie. Ce phénomène est

23 une maladie de l’esprit qui si on y prend garde, sèmera les graines de

24 combats futurs et d’un conflit à venir dans cette partie du monde. Nous

25 sommes horrifiés par les notions de culpabilité collective et par nos deux

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1 actes d’accusation contre le docteur Karadic et le général Mladic, nous

2 accusons à termes sans équivoques deux individus dont nous alléguons que

3 ce sont les personnes qui ont instigué, planifié et ordonné le génocide et

4 le nettoyage ethnique de Bosnie-Herzégovine, crimes qui ont choqué la

5 conscience du monde. Comme vous l’avez entendu au cours des sept jours

6 qui viennent de s’écouler, des éléments de preuve ont été apportés dans

7 cette audience pour démontrer qu’une grande partie de la violence a été

8 spécifiquement ciblée contre les Musulmans et les Croates bosniaques ainsi

9 que contre leur patrimoine culturel. Dans une municipalité après l’autre

10 les gens ont été tués indépendamment du fait de savoir s’ils étaient

11 combattants ou pas. Les cibles de la violence ont souvent été les femmes

12 et les enfants, les personnes âgées et même les infirmes. Des sites

13 culturels précieux, vieux de plusieurs siècles, comme des mosquées de

14 écoles ou des bibliothèques ont systématiquement été détruits pour la

15 simple raison qu’il importait d’éradiquer toute trace de leur identité

16 culturelle. La furie et le cruauté de nombre de ces attaques n’a été

17 limitée que par l’incapacité des auteurs de ces actes à imaginer des actes

18 plus terribles. Les deux hommes accusés dans ces actes d’accusation sont

19 les deux plus importants dirigeants de la Republika Srpska, ou l’étaient

20 en tous cas à l’époque où les crimes ont été commis et le demeurent

21 aujourd’hui, et le premier des deux accusés est le docteur Radovan

22 Karadic. Comme vous l’avez entendu à partir des éléments de preuve

23 présentés ici le docteur Karadic était le président du parti démocratique

24 serbe, le parti nationaliste serbe qui a joué un rôle tellement important

25 dans les événements qui ont conduit à la guerre et qui a encore joué ce

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1 rôle important pendant la guerre. Sous la direction du docteur Karadic

2 le SDS s’est vu considérablement centralisé et a établi comme ses

3 objectifs politiques principaux l’égalité complète des Serbes en Bosnie-

4 Herzégovine et dans le reste de la Yougoslavie libérale. Dans les

5 événements qui ont conduit à la guerre le SDS a établi un système de

6 communication élaboré et efficace ainsi qu’un gouvernement d’opposition

7 qui un véritable Etat dans l’Etat. Une fois que la guerre a commencé, le

8 SDS, avec l’aide de la JNA, a saisi le pouvoir dans un certain nombre de

9 municipalités sur l’ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine et créé

10 un Gouvernement bosniaque serbe qui a désormais pris le nom de Republika

11 Srpska. Le docteur Karadic est devenu président de ce gouvernement le 12

12 mai 1992 et nombre de ses plus proches associés au SDS ont pris les rôles

13 dirigeants dans ce gouvernement avec lui. Le jour même où il est devenu

14 président la constitution serbe bosniaque a été amendée pour stipuler que

15 le président était devenu commandant en chef de l’armée. D’autres

16 instruments juridiques qui ont été promulgués peu après lui accordaient un

17 pouvoir important sur la police. Ces instruments juridiques sont

18 significatifs car avec la constitution ils accordent au docteur Karadic

19 une autorité complète et un pouvoir de contrôle complet sur l’ensemble des

20 forces serbes bosniaques officielles en temps de guerre. Huit jours après

21 être devenu président, le docteur Karadic créait un commandement unifié

22 de l’armée serbe bosniaque ainsi que de la police, ce qui signifiait que

23 l’information au sujet des aspects du conflit circulait vers le haut et

24 vers le bas dans l’ensemble de la chaîne de commandement. Pendant toute

25 la guerre le docteur Karadic, en tant que commandant suprême, a soutenu

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1 sans en être empêché les actions de son armée et de sa police. Les

2 éléments de preuve présentés par nous prouvent qu’à la fois en tant que

3 dirigeant du SDS et qu’en tant que président de la Republika Srpska le

4 pouvoir du docteur Karadic a été envahissant. Comme il l’a dit le 12

5 février 1996 dans une interview : «Je suis absolument impliqué; tout ce

6 qui concerne la République serbe est entre mes mains». Ce qui est très

7 bien illustré par certains éléments de preuve qui ont été présentés ici au

8 cours de cette audience, notamment le témoignage du major Kupusovic qui a

9 déclaré que le docteur Karadic a limogé le dirigeant du parti SDS à

10 Sarajevo pour avoir soutenu publiquement avec d’autres dirigeants

11 politiques locaux l’idée que Sarajevo devrait demeurer une ville multi-

12 ethnique. A plus grande échelle, il existe des témoignages selon lesquels

13 le docteur Karadic a signé de nombreux accords tels que des accords de

14 fin d’hostilités en décembre 1994. Le général Ratko Mladic est la

15 deuxième personne accusée dans ces actes d’accusation. Après que la JNA

16 se soit officiellement retirée de Bosnie-Herzégovine le 19 mai 1992,

17 l’armée serbe bosniaque l’a remplacée. Cette transformation de la JNA en

18 armée serbe bosniaque peut être comparée à une seule chose, à savoir un

19 changement d’en-tête sur un papier à lettre et le général Mladic, officier

20 de carrière de la JNA, s’est tout à fait adapté à ce changement.

21 Lorsqu’il a appris que la JNA continuait à se retirer il a immédiatement

22 commencé à créer sa propre structure de commandement et a choisi

23 personnellement les membres de son état-major ainsi que les commandants en

24 chef (voir pièce à conviction 40). Il a contrôlé avec efficacité l’armée

25 serbe bosniaque pendant toute la guerre bien qu’il se soit appuyé sur le

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1 docteur Karadic en tant que dirigeant principal de la Republika Srspka.

2 Au cours de cette audience publique à laquelle nous avons participé nous

3 avons présenté une faible partie uniquement des éléments de preuve dont

4 nous disposons contre le docteur Karadic et le général Mladic car

5 l’ensemble des éléments de preuve seront présentés au cours du procès,

6 s’il a lieu. Il aurait été imprudent de tout présenter ici à l’encontre

7 de ces deux personnes qui fuient la justice et qui continuent à se cacher

8 dans leur sanctuaire balkanique. Ils ne méritent aucun bénéfices.

9 Je voudrais maintenant me tourner vers quelques éléments de preuve

10 qui ont été présentés à l’appui de la première partie de l’acte

11 d’accusation du 25 juillet 1995. Dans une allocution qu’il a prononcée

12 devant l’assemblée de Bosnie-Herzégovine le 14/15 octobre 1991 concernant

13 les décisions d’aller vers l’indépendance prises par la République

14 socialiste de Bosnie-Herzégovine, le docteur Karadic prédisait l’issue

15 que le SDS allait mettre en oeuvre. Il a déclaré : «Je vous prie de

16 prendre ceci très au sérieux; ce que vous faites n’est pas bon. Nous nous

17 engageons sur la même autoroute vers l’enfer et le désespoir qui a déjà

18 été prise par la Slovénie et la Croatie. Prenez garde, vous allez

19 conduire la Bosnie-Herzégovine dans l’enfer et le peuple musulman risque

20 de disparaître dans une guerre. Les Musulmans sont sans défense» (pièce à

21 conviction 29, séquence 1).

22 Ces prévisions sont devenues réalité. Le Bureau du Procureur a mené

23 des enquêtes approfondies dans les municipalités de Prijedor, Bosanski

24 Samac, Bosko, Foca, Vlasenica et Srebrenica et ces enquêtes ont confirmé

25 une politique déterminée et sans pitié de persécutions dirigées contre les

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1 Musulmans bosniaques et les Croates bosniaques, et fondée sur des bases

2 nationales, ethniques, politiques, religieuses qui a eu pour résultat

3 l’élimination totale ou pratiquement totale des Musulmans et des Croates

4 sur l’ensemble des municipalités sur l’ensemble du territoire que l’on

5 appelle aujourd’hui la Republika Srpska. De 1992 à 1995 dans ce que l’on

6 appelle la Republika Srpska les forces militaires et politiques placées

7 sous le commandement direct et le contrôle direct des accusés se sont

8 engagées dans un mode de comportements qui incluaient les arrestations

9 illégitimes, les assassinats, les coups et blessures, la torture, le viol,

10 la déportation de civils... Ces comportements par l’utilisation de

11 l’expression «nettoyage ethnique» se sont raffinés encore village après

12 village, ville après ville, municipalité après municipalité en Bosnie-

13 Herzégovine jusqu’à leur point culminant dans les événements abominables

14 qui entourent la prise par les Serbes bosniaques de Srebrenica en

15 juillet 1995. Si l’on regarde les instruments indispensables du nettoyage

16 ethnique décrits dans l’acte d’accusation on se voit contraint de se

17 concentrer sur les installations de détention des Serbes bosniaques telles

18 qu’Omarska, Keraterm, camps qui ont horrifiés le monde à cause de ce

19 qu’ils rappelaient d’atroce au cours de la deuxième guerre mondiale. Fin

20 août 1992 les représentants de la Commission Thomson, commission créée par

21 la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe se sont rendus

22 dans l’ex-Yougoslavie pour observer directement les conditions de

23 détention contrôlées par ces parties au conflit. Deux des conclusions

24 significatives auxquelles ils ont abouti ont été que la majorité des

25 détenus «n’étaient pas parties aux hostilités mais ont été considérés

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1 comme ennemis à cause de leur origine ethnique», et que les dirigeants

2 reconnus ont exercé un contrôle effectif sur le personnel chargé de ces

3 camps de détention (pièce à conviction 61).

4 Nos enquêtes approfondies dans ces camps ont abouti aux mêmes

5 conclusions et ont eu pour résultat un certain nombre de charges contenues

6 dans l’acte d’accusation que vous avez entre les mains. Nos enquêtes

7 prouvent que ces camps ont été créés et ont fonctionné sous le contrôle du

8 SDS, des militaires et de la police qui étaient placés sous le contrôle et

9 l’autorité directe du docteur Karadic et du général Mladic ou de, soit de

10 l’un, soit de l’autre, soit des deux hommes et que dans ces conditions ces

11 camps, qu’ils se situent dans la municipalité de Foca à l’est, dans la

12 municipalité de Bosko au nord, ou dans celle de Prijedor à l’ouest,

13 étaient abominables. Les rations alimentaires et les conditions d’hygiène

14 dans ces camps étaient grossièrement insuffisantes. Vous vous rappellerez

15 sans doute le film qui vous a été présenté en tant que pièce à conviction

16 29, séquence 3, qui montrait ces hommes émaciés et mal nourris et au sujet

17 duquel le docteur Karadic a déclaré : «il ne s’agissait que d’hommes très

18 maigres qui n’auront jamais meilleure allure. Lorsque j’avais soif moi

19 aussi je leur ressemblais».

20 La torture et le meurtre étaient pratique commune dans les camps aux

21 mains des Serbes bosniaques, et les femmes ainsi que les jeunes filles

22 étaient fréquemment violées et soumises à des formes perverses

23 d’agressions sexuelles répétées. En bref, les actes commis dans ces camps

24 ont été similaires au génocide et avaient pour but de détruire en tout ou

25 partie les Musulmans et Croates bosniaques détenus dans ces camps. Le

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1 docteur Karadic et le général Mladic étaient certainement au courant de

2 ce qui se passait dans ces camps. Leurs subordonnés ont établi et fait

3 fonctionner ces camps et nombres des associés les plus proches du docteur

4 Karadic, notamment Velibor Ostojic et Petto Cancar leur ont rendu visite

5 dans ces camps en tant que responsables du SDS. Ce qui s’est passé dans

6 ces camps Monsieur le Président n’était pas, comme le docteur Karadic l’a

7 dit en février 1995 de la propagande musulmane, mais bien un comportement

8 criminel à une échelle gigantesque et systématique. Bien entendu les

9 installations de détention dont je viens de parler n’étaient pas les seuls

10 instruments du nettoyage ethnique. Notre acte d’accusation décrit

11 d’autres instruments tels que les déportations à grande échelle et

12 systématiques de non Serbes, la destruction illicite de leurs habitations

13 et de leurs commerces ainsi que la confiscation de leurs propriétés, de

14 leurs biens personnels et tout cela sous le contrôle et sous la direction

15 directe du docteur Karadic et du général Mladic. Nous avons présenté des

16 éléments de preuve au Tribunal concernant ces parties de l’acte

17 d’accusation dans notre déclaration initiale au moment de la confirmation

18 de l’audience. Etant donné les contraintes de temps qui pèsent sur cette

19 audience je ne rentrerai pas dans le détail et je m’appuierai sur ce qui

20 est contenu dans nos déclarations initiales. J’estime que les éléments de

21 preuve soumis devant cette Cour appuient les charges de génocide et de

22 crimes contre l’humanité contenus dans la première partie de l’acte

23 d’accusation.

24 Passons maintenant si vous le voulez aux charges contenues dans la

25 deuxième partie de l’acte d’accusation selon lesquelles le docteur

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1 Karadic et le général Mladic auraient individuellement et de concert avec

2 d’autres planifié, ordonné, encouragé ou autrement aidé à une campagne

3 systématique de prises pour cibles délibérées de civils par les tireurs

4 isolés de l’armée serbo-bosniaque ou n’auraient pas pris les mesures

5 raisonnables ou nécessaires pour empêcher de tels actes ou en punir les

6 auteurs. Cette campagne abominable qu’ont enduré pendant quatre ans des

7 centaines de personnes indépendamment du fait de savoir s’il s’agissait

8 d’hommes, de femmes, d’enfants en bas âge ou de personnes âgées,

9 indépendamment également du fait de savoir s’il s’agissait d’habitants de

10 Sarajevo ou de Musulmans, de Serbes ou de Croates; cette campagne a été

11 affreuse. Sarajevo est dans une cuvette entourée par de hautes montagnes.

12 L’armée serbe bosniaque a occupé ces montagnes et à partir de ces

13 promontoires, comme vous l’avez vu dans nos éléments de preuve, il n’était

14 pas difficile de voir ce qui se passait dans la ville assiégée. Les

15 tireurs isolés de l’armée serbe bosniaque avec leurs armes hautement

16 spécialisées équipées de systèmes optiques spécialisés puissants ont

17 permis de tirer très précisément sur les victimes situées en-dessous qui

18 en général n’étaient pas des combattants. L’acte d’accusation contient

19 une liste partielle des morts et des blessés, liste qui de toute évidence

20 illustre la cruauté de cette campagne. J’aimerais vous en lire quelques

21 noms. Parmi les tués : «Konic, 4 ans; Ermenovic, 11 ans; Sara Pohara, 19

22 ans; Marko Stupar, 64 ans». Je m’oriente maintenant vers la liste des

23 blessés : «garçon, 2 ans; petite fille, 8 ans; petit garçon, 5 ans; petit

24 garçon, 7 ans; une femme, 71 ans; une femme, 72 ans; une femme, 73 ans».

25 Le docteur Karadic a traité Sarajevo et la vie des habitants de Sarajevo

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1 comme un jouet lui appartenant personnellement. Vous vous rappellerez

2 sans doute le film que nous vous avons montré où nous avons vu le docteur

3 Karadic debout à côté du poète russe Liminov, au-dessus de la ville comme

4 une espèce de propriétaire qui fait fièrement le tour de son domaine. Son

5 mépris complet pour la vie des habitants de Sarajevo a été prouvé lorsque

6 tel un père orgueilleux, fier de son fils et lui permettant d’utiliser un

7 nouveau jouet, il a invité le poète Liminov à tirer un coup mortel à

8 l’aide d’une de ses armes de grande précision sur la ville assiégée et que

9 Liminov l’a fait. Peut-être ce coup a-t-il tué l’une des victimes nommées

10 dans l’acte d’accusation. Cette campagne infâme de tirs isolés a

11 terrorisé tous les habitants de cette belle ville et transformé toute

12 activité quotidienne en aventure menaçante pour la vie. Prendre un tram à

13 Sarajevo ou sortir pour chercher des vivres ou de l’eau était une activité

14 qui vous amenait aux portes de la mort. Respirer l’air pur ressemblait à

15 jouer aux dés avec sa propre vie. Ces jours étaient des jours terribles

16 où chaque instant risquait de vous empêcher de revenir à la maison.

17 Le docteur Karadic et le général Mladic étaient conscients de

18 l’existence de cette campagne de tirs isolés comme l’a montré la pièce à

19 conviction 65. Monsieur Koffi Anan, le sous-secrétaire général des forces

20 de maintien de la paix des Nations Unies a émis des plaintes concernant

21 les actions des forces serbes bosniaques et de leur défenseur. Ces

22 plaintes ont été fréquentes, orales et par écrit à l’adresse du docteur

23 Karadic de la part des représentants également des forces du maintien de

24 la paix des Nations Unies mais de la FORPRONU au plus haut niveau. De

25 telles communications incluent des plaintes concernant les tirs isolés à

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1 Sarajevo. Il ne peut exister aucun doute que le docteur

2 Karadic,commandant suprême, et le général Mladic, commandant de l’armée,

3 auraient pu arrêter ces tueries à tout instant. Comme vous l’avez entendu

4 le docteur Karadic et le général Mladic ont signé de nombreux accords

5 relatifs à Sarajevo, notamment des accords de cessez-le-feu et des accords

6 anti-tirs isolés. Après la signature de ces accords, les tirs isolés ont

7 recommencé rapidement comme l’eau coule d’un robinet. Les deux accusés

8 avaient le pouvoir de fermer ce robinet mais ne l’ont pas fait pendant la

9 plus grande partie de la durée du siège. Nous estimons que les éléments

10 de preuve que nous avons présentés sont plus que suffisants pour appuyer

11 les charges contenues dans cette partie de l’acte d’accusation.

12 Nous nous tournons maintenant vers la troisième partie de l’acte

13 d’accusation qui concerne la prise en otage de forces de maintien de la

14 paix des Nations Unies et leur utilisation comme boucliers humains entre

15 les 26 mai 1995 et le 19 juin 1995. Les éléments de preuve à l’appui de

16 ces charges sont très simples : suite aux frappes aériennes de l’OTAN

17 contre des sites militaires les 25 et 26 mai 1995 l’armée serbe bosniaque

18 a arrêté deux centre quatre-vingt-quatre soldats de la paix et les a

19 utilisés comme boucliers humains afin d’empêcher d’autres frappes

20 aériennes. Le capitaine Patrick Reichner, membre des forces de maintien

21 de la paix des Nations Unies canadien et qui a été pris en otage et

22 menotté à un poteau électrique proche du bunker de munitions par des

23 soldats serbes bosniaque avec l’approbation évidente du docteur Karadic

24 et de membres de son gouvernement, a témoigné au sujet de son expérience

25 en tant qu’otage devant cette Cour et a parlé de ses conversations avec le

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1 vice-président de la Republika Srpska, Nikola Koljevi au sujet des

2 violations évidentes du droit international. Il indique que Koljevi avait

3 reconnu sans peine que la prise d’otage était une politique approuvée par

4 son gouvernement et destinée à empêcher les frappes aériennes de l’OTAN, à

5 savoir donc quelque chose qui ressemblait à une thérapie par électrochoc.

6 Les éléments de preuve que nous avons présentés prouvent qu’en deux

7 occasions précédentes, en avril 1994 et novembre 1994, l’armée serbe

8 bosniaque a également pris des otages des forces de maintien de la paix

9 des Nations Unies. A l’époque le docteur Karadic et le général Mladic

10 ont ordonné aux otages qui devaient être utilisés comme boucliers humains

11 de bien se rendre compte qu’une telle conduite était une violation

12 grossière du droit international. Ceci est clairement illustré par la

13 pièce à conviction 65, la déclaration du sous-secrétaire Koffi Anan, qui a

14 affirmé que le docteur Karadic a personnellement représenté les Serbes

15 bosniaques dans les négociations de longue durée qui ont été engagées avec

16 les Nations Unies au sujet des événements d’avril 1994, autre crise où des

17 otages avaient été capturés. Ce n’était pas une situation dans laquelle

18 le docteur Karadic et le général Mladic étaient ignorants de leurs

19 obligations aux termes du droit international.

20 Nous estimons que nous avons présenté suffisamment d’éléments de

21 preuve pour appuyer également ces charges de l’acte d’accusation.

22 Je vais maintenant vous présenter les termes du deuxième acte

23 d’accusation que vous avez devant vous : il s’agit de l’inculpation du 16

24 novembre 1995 attestant que le docteur Karadic et le général Mladic sont

25 coupables de génocide, de crimes contre l’humanité, de violations des lois

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1 et coutumes de la guerre en ce qui concerne les événements concernant la

2 prise de Srebrenica en juillet 1995. La prise de Srebrenica est un reflet

3 sombre de tout ce qui a précédé. Comme le Juge Riad l’a indiqué tellement

4 éloquemment dans son opinion confirmant l’acte d’accusation et

5 l’inculpation, les éléments de preuve qui lui ont été soumis sont décrits

6 par lui comme étant des scènes d’enfer écrites sur les pages les plus

7 sombres de l’histoire de l’humanité. Nous alléguons que le docteur

8 Karadic et le général Mladic ainsi que les forces sous leur contrôle

9 direct étaient responsables de la création de ces événements.

10 Après que la guerre ait éclaté en Bosnie-Herzégovine en 1992 les

11 forces sous le contrôle du docteur Karadic et du général Mladic ont

12 attaqué les communautés musulmanes dans et autour de Srebrenica, ce qui a

13 eu pour résultat un exode massif de réfugiés musulmans vers Srebrenica.

14 Après cela, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la

15 résolution 819 dans laquelle il était exigé que toutes les parties au

16 conflit dans la République de Bosnie-Herzégovine traitent Srebrenica et

17 ses environs comme étant une zone protégée, ce qui signifie qu’elle aurait

18 dû être totalement dépourvue de toute attaque armée ou de tout autre acte

19 hostile. Des résolutions suivantes ont réaffirmé la résolution 819. La

20 mise en oeuvre de ces résolutions a été telle que les Nations Unies ont

21 assigné une force des Nations Unies symbolique pour maintenir la paix, un

22 bataillon uniquement à l’intérieur de cette zone de Srebrenica, et leur

23 mandat était de démilitariser la zone protégée, de surveiller la mise en

24 oeuvre du cessez-le-feu et de soutenir l’apport en aide humanitaire. Bien

25 que les responsables des Nations Unies, des forces de la paix aient

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1 effectué leur tâche de manière admirable pendant cette période dans des

2 situations absolument difficile, l’enclave n’a jamais été entièrement

3 démilitarisée. En fait l’invasion serbe bosniaque effective de Srebrenica

4 a commencé le 6 juillet 1995, mais le siège de l’enclave a commencé en

5 avril de cette même année lorsque les forces serbes n’ont pas permis à

6 l’approvisionnement et à l’aide humanitaire de pénétrer dans l’enclave.

7 Le colonel Garman se référait à ce que ce convoi comme de terreur. Du

8 fait de ce blocus les besoins essentiels requis pour garantir la

9 subsistance de la population civile ont été rapidement réduits à des

10 niveaux désespérés : les forces serbes faisant le blocus ont en fait

11 provoqué des conditions extrêmement négatives pour les soldats de la paix,

12 et lorsque les soldats du bataillon des Nations Unies ont terminé leur

13 tour d’engagement et sont rentrés aux Pays-Bas, les remplacements n’ont

14 pas été autorisés à pénétrer dans l’enclave; et ce qui avait commencé

15 comme étant une force symbolique de six cent soldats néerlandais en juin

16 1995 a été réduit à peu près à quatre cent vingt soldats lorsque l’attaque

17 de Srebrenica a commencé. De ces quatre cent vingt soldats néerlandais,

18 moins de la moitié étaient des fantassins; les soldats des Nations Unies

19 étaient équipés d’armes légères, d’armes antichars en nombres

20 insuffisants, et 7 pour cent de leur munitions avaient été apportées dans

21 leurs campements au moment où l’attaque a commencé. En fait lorsque

22 l’invasion a commencé le 6 juillet le bataillon néerlandais manquait

23 d’effectifs, ne disposait que d’armes légères, n’avait pas reçu

24 d’approvisionnements et en fait n’avait pas le soutien aérien requis dans

25 la zone de Srebrenica et au moment où le besoin était le plus grand. Le

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1 général Mladic le savait lorsqu’il a choisi le moment de détruire

2 l’enclave. Pour effectuer cet assaut, le général Mladic a amassé une

3 force d’à peu près trois mille hommes équipés d’un armement lourd, du

4 meilleur armement de guerre que l’on puisse trouver dans l’arsenal

5 militaire des Serbes bosniaques, y compris des chars d’assaut, des lance-

6 roquettes multiples, de l’artillerie lourde, des canons antiaériens

7 mobiles. L’invasion de l’enclave a rapidement avancé avec une attaque des

8 forces du général Mladic et a en fait occupé le poste d’observation des

9 Nations Unies qui étaient autour de l’enclave. Ce qui signifie qu’ils ont

10 en fait rendu l’ensemble de l’opération des Nations Unies aveugle; les

11 troupes serbes ont ensuite capturé cinquante-cinq soldats des Nations

12 Unies néerlandais, volé leurs armes, leurs véhicules, leurs vestes pare-

13 balles et leurs casques bleus et les a gardés en otages, ce qui a en fait

14 été une tactique illégale mais parfaitement réussie du général Mladic et

15 qu’il avait mise en oeuvre avec succès un mois et demi auparavant. Ces

16 cinquante-cinq otages, tous fantassins, représentent à peu près 25 pour

17 cent de la force d’infanterie disponible dans l’enclave. Les forces

18 serbes ont avancé rapidement dans l’enclave, créant, provoquant la panique

19 parmi la population civile. Ils avaient de bonnes raisons d’avoir peur

20 général Mladic car comme il l’a dit dans un clip cinématographique qui a

21 été présenté : «le moment est venu de se venger des Turcs de la région.

22 De nombreux civils se sont enfuis vers le campement des Nations Unies de

23 Srebrenica mais il a été attaqué à l’artillerie, ce qui a eu pour résultat

24 de tuer et de blesser de nombreux réfugiés. La panique qui a suivi a mené

25 à une situation où des milliers de civils se sont enfuis vers le campement

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1 des Nations Unies de Potocari.

2 Le 11 juillet à peu près vingt-cinq mille réfugiés, essentiellement

3 des femmes et des enfants ainsi qu’un petit pourcentage d’hommes se sont

4 réunis dans une chaleur torride en plein été dans et autour du campement

5 des Nations Unies de Potocari. Il manquait d’eau, il manquait de

6 nourriture, il manquait de médicaments et d’équipements sanitaires pour

7 cette masse de réfugiés effrayés. La scène était une scène de panique et

8 de désespoir indescriptible. Des gens sont morts, des bébés sont nés, des

9 enfants ont été séparés et ont perdu leurs parents et certaines personnes

10 se sont suicidées. Les attaques aériennes qu’avaient réclamé de manière

11 répétée le colonel Karamans sont arrivées très tard et lorsqu’elles sont

12 arrivées il s’agissait d’attaques de haute précision qui n’étaient pas

13 suffisantes pour protéger ceux qui s’étaient réfugiés dans l’enclave.

14 Elles n’ont réussi qu’à enrager le général Mladic et il est entré en

15 communication avec la base néerlandaise des Nations Unies de Potocari,

16 menaçant de les bombarder à l’artillerie lourde, et donc de bombarder les

17 réfugiés qui étaient rassemblés autour du campement des Nations Unies

18 menaçant de tuer les Casques Bleus qui les gardaient en otages si les

19 attaques aériennes continuaient.

20 Il ne s’agissait pas de menaces en l’air étant donné le fait qu’il

21 avait déjà auparavant attaqué au canon les réfugiés du campement des

22 Nations Unies de Srebrenica. Les attaques aériennes ont dès lors cessé.

23 Le 11 juillet deux autres événements significatifs sont intervenus : en

24 premier lieu la fuite d’à peu près quinze mille hommes et garçons en

25 colonnes importantes à travers la forêt dans la direction de Tuzla. Le

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1 deuxième a été une série de deux réunions à Bratunac entre le général

2 Mladic et le colonel Karamans. Le colonel Karamans a témoigné qu’il avait

3 été appelé, convoqué à Bratunac pour une réunion avec des représentants

4 des forces serbes bosniaques, et que là il a rencontré le général Mladic

5 pour la première fois. Etaient présents à cette réunion-ci le général

6 Zibanovic, responsable de la Drina - une unité de l’armée bosniaque serbe

7 - et qui avait joué un rôle proéminent dans l’invasion de la zone protégée

8 dans les atrocités qui ont suivi. Le colonel Karamans a témoigné qu’au

9 cours de ces deux réunions avec le général Mladic, le général Mladic a dit

10 que le destin des Musulmans se trouve entre ses mains. Il a aussi dit que

11 si les Musulmans se rendaient, déposaient les armes, ils seraient traités

12 comme des prisonniers de guerre suivant les Conventions de Genève. Ils

13 devaient survivre ou disparaître. Et il a encore une fois menacé de

14 bombarder le campement des Nations Unies avec les femmes et les enfants

15 qui se trouvaient autour si les soldats bosniaques devaient tirer sur ses

16 propres troupes. Il a aussi indiqué que les Nations Unies n’avaient pas

17 la capacité de garantir l’existence de cette zone protégée. Le lendemain

18 matin le général Mladic et le colonel Karamans se sont rencontrés une

19 troisième fois à Bratunac. Le général Mladic a répété ses exigences du

20 jour précédent et a indiqué aux représentants musulmans bosniaques qui

21 étaient présents que personne n’aurait à souffrir et qu’il n’y avait

22 aucune raison d’avoir peur ou de paniquer car il honorait toujours sa

23 parole. Et puis, de manière menaçante, il a dit qu’il voulait que tous

24 les hommes entre 16 et 60 ans lui soient présentés. Lorsque le colonel

25 Karamans a demandé pourquoi le général Mladic a dit qu’il voulait en fait

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1 trouver les criminels de guerre.

2 Quelques heures après cette réunion le général Mladic et l’armée

3 serbe bosniaque sont arrivés à Potocari. Au cours des journées des 12 et

4 13 juillet les hommes musulmans ont été séparés de leurs familles et

5 emmenés vers différents sites dans et autour de Potocari hors de vue des

6 Casques Bleus des Nations Unies. Là les soldats de l’armée serbe

7 bosniaque les ont exécutés sommairement alors que le général Mladic

8 paradait dans cette région en rassurant de manière éhontée les réfugiés en

9 leur disant qu’il ne leur arriverait rien. Il est difficile d’imaginer

10 une attitude de calcul et de mensonges plus cruelles. Vous avez vu un

11 film du général Mladic perpétrant cette ruse; une ruse - je puis l’ajouter

12 - qui se produisait en fait à distance d’écoute de l’endroit où les

13 soldats serbes bosniaques avaient déjà commencé leurs assassinats. Entre

14 l’après-midi du 12 juillet et le début de la soirée du jour suivant, à peu

15 près vingt-cinq mille réfugiés - essentiellement des femmes et de enfants

16 - ont été déportés de Srebrenica. La plupart des hommes ont été déportés

17 eux aussi mais leur destin était différent car ils sont morts; leurs

18 assassins étaient des soldats et des policiers sous le commandement et le

19 contrôle du docteur Karadic et du général Mladic. En l’espace de trois

20 jours, du 11 au 13 juillet la totalité de la population musulmane de

21 l’enclave avait ou bien pris la fuite, était déportée ou tuée. Le schéma

22 de purification ethnique qui avait été mis au point auparavant par les

23 forces du docteur Karadic et du général Mladic dans les municipalités de

24 Prijedor, Bosanki Samac, Brosko, Fotja et Vlasenica, est arrivé à un stade

25 de perfection morbide lorsqu’il s’est agit de Srebrenica.

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1 Je vais maintenant me tourner vers le sort des milliers d’hommes et

2 de garçons qui se sont enfuis dans la direction de Tuzla avec un cordon

3 sanitaire en acier de chars d’assaut, d’armements antiaériens, de

4 transports de troupes blindés et de soldats tous les vingt mètres qui les

5 attendaient le long de la route de Bratunac/Milici. A peu près un tiers

6 de ces colonnes de réfugiés s’est ou bien évadé - a réussi à passer - ou a

7 fait une percée à travers cette ligne, tandis que les autres n’ont pas eu

8 autant de chance : ils ont été capturés ou se sont rendus à l‘armée

9 bosniaque serbe par milliers. Comme vous l’avez vu dans la pièce

10 numéro 3, le clip numéro 2, un film qui vous a été présenté, bon nombre

11 d’entre eux ont été attirés dans les bois par les promesses que leurs

12 compagnons musulmans qui avaient été capturés étaient en bonne santé. Et

13 ceux-ci - avec une arme pointée sur leurs dos - les ont appelé à se

14 rendre; d’autres qui se sont rendus à cette armée ont été attirés de la

15 forêt vers les lignes par un faux sens de la sécurité créé par la présence

16 de soldats des forces armées serbes portant des uniformes volés ou

17 conduisant des véhicules volés portant les insignes des Nations Unies de

18 manière évidente. Tous ceux qui se sont rendus étaient à l’évidence hors

19 de combat et tous avaient manifestement le droit à la protection du droit

20 international. Ceux que l’armée bosniaque serbe n’a pas tués sur place

21 ont été emmenés vers différents centres de concentration tels que ceux qui

22 se trouvent à Bratunac, Nova Kasaba, Sandici. Tant M. Ruez que le témoin

23 A ont témoigné que le général Mladic a rendu visite de nombreuses fois à

24 ces sites ou les milliers de Musulmans désarmés et les garçons étaient

25 détenus par l’armée. Son message était toujours le même : «Bonjour cher

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1 voisin». Et ces mots rassurant en fait leur permettaient de croire qu’ils

2 seraient rapidement échangés; ce qui permettait de les maintenir dans un

3 état d’esprit pacifique alors que progressivement, de manière inéluctable,

4 leur destin était scellé. Le général Mladic et le docteur Karadic ont

5 nié avec beaucoup d’insistance que ces massacres aient eu lieu et ont

6 répété à de nombreuses reprises que rien n’était vrai si ce n’est la

7 propagande musulmane violente à cet égard. Et il s’agit là de mensonges

8 calculés pour en fait tromper le peuple serbe et tromper le monde. Comme

9 l’a dit le général Mladic le destin des Musulmans se trouvait dans ses

10 mains. Nous avons présenté suffisamment de preuves de leur destin; nous

11 avons présenté ces remarques du témoin A, un homme qui a survécu à ces

12 massacres pour porter témoignage d’exécutions sommaires massives qui ont

13 pris plus de mille vies et qui, par la grâce de Dieu, l’ont épargné. Ce

14 témoin A a témoigné qu’il faisait partie d’un groupe de Musulmans

15 prisonniers, qui avaient été séparés de leurs femmes et de leurs familles

16 à Protocari lorsque le général Mladic s’était approché à 3 ou 4 mètres

17 d’eux et s’était présenté en disant : «Je vous salue voisins. Savez-vous

18 qui je suis ? Je suis le général Mladic». Il les a informés qu’ils

19 allaient être changés à plusieurs reprises. Le témoin A a témoigné qu’il

20 a vu le général Mladic à cinq autres reprises pendant les deux jours

21 suivants - y compris à l’école, dans le préau de l’école - où lui et ces

22 nombreuses victimes étaient détenus par les forces armées serbes

23 bosniaques. C’est à cet endroit que le général Mladic les a encore

24 rassurés en leur disant qu’ils seraient échangés. Quelques minutes après

25 les premiers camions sont arrivés pour les emmener vers les champs de la

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1 mort. Le témoin A a été emmené vers ce champ et après une fusillade il

2 est tombé au sol et a simulé la mort. Il a encore une fois vu le général

3 Mladic en conférence avec ses subordonnés, donc les bourreaux. Son

4 identification du général Mladic sur ce lieu de massacres était clair et

5 sans équivoque.

6 Nous avons aussi présenté le témoignage de Drazen Erdemovic - un

7 membre du dixième détachement de sabotage - unité de reconnaissance

8 spéciale qui était sous les ordres directs du quartier général du général

9 Mladic à Han Pijesak. M. Erdemovic avec cette unité est entré dans la

10 ville de Srebrenica le 11 juillet et n’a rencontré aucune résistance.

11 Leurs ordres étaient d’orienter les civils vers un stade proche de là et

12 de ne faire de mal à personne. Les quelques personnes âgées civils qu’ils

13 ont rencontré ont été orientés vers ce stade. Cependant lorsqu’ils ont

14 rencontré un homme désarmé qui était en âge de combattre, l’officier en

15 commandement de M. Erdemovic a ordonné à un de ses hommes de lui trancher

16 la gorge. Après que cette victime ait été assassinée son corps a été

17 laissé bien en vue où les autres civils pouvaient le voir. Le massacre

18 avait commencé.

19 Cinq jours plus tard, le 16 juillet 1995, M. Erdemovic et des

20 membres de son unité ont été emmenés vers une ferme à Pilica par un

21 lieutenant-colonel et deux policiers militaires du corps de la Drina pour

22 une tâche spéciale. A cette ferme lui et des membre de son unité ont reçu

23 l’ordre d’exécuter des cars entiers de garçons et d’hommes musulmans

24 désarmés de Srebrenica et ceux-ci, ainsi que les membres de la brigade

25 Bratunac qui les a rejoints plus tard l’ont fait, tuant à peu près mille

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1 deux cent hommes et garçons dont les âges allaient de 17 à 65 ans. M.

2 Erdemovic a dit qu’il avait parlé avec une des victimes qui lui avait dit

3 que ces victimes avaient été amenées à la ferme croyant qu’ils étaient

4 acheminés vers un échange de prisonniers. Ces meurtres qui ont été

5 décrits par M. Erdemovic ont été confirmés dans la pièce numéro 53, qui

6 est une photo aérienne prise le jour après ces exécutions, et qui montre

7 la présence de nombreux corps dispersés sur le site de cette exécution.

8 M. Erdemovic a aussi témoigné que le même lieutenant colonel du corps de

9 Drina qui les amenait à la ferme vers Pilica est revenu plus tard dans la

10 journée et cinq cent personnes supplémentaires de Srebrenica qui se

11 trouvaient dans une salle Pilica, mais que lui et certains membres de son

12 unité ont refusé de continuer ces exécutions. Ces exécutions cependant

13 ont été effectuées sans problèmes par des soldats serbes bosniaques de

14 Bratunac.

15 Au cours de cette audience nous avons aussi présenté comme élément

16 de preuve un film montrant la séparation des hommes et des femmes à

17 Potocari et montrant les hommes se rendant le long de la route de

18 Bratunac/Milici. Bon nombre de ces hommes, tous ayant été vus vivants et

19 détenus par l’armée bosniaque serbe ont été identifiés par Pasam Gamesic,

20 le responsable de la police de Tuzla, qui a témoigné vendredi. Et tous

21 ceux sauf deux de ces personnes identifiées sont portées disparues.

22 Nous avons aussi présenté le témoignage de M. Ruez, l’enquêteur

23 principal de l’enquête de Srebrenica, qui vous a fourni les détails des

24 résultats de nombreux témoignages de témoins et de survivants, et ces

25 conclusions préliminaires sur les sites de divers massacres et fosses

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1 communes. Des enquêtes sur le terrain, des enquêtes préliminaires à ces

2 sites qui ont déjà été entreprises par le Bureau du Procureur ont eu pour

3 résultat la découverte de corps portant des vêtements civils, des corps

4 avec leurs mains attachées derrière leurs dos; vous voyez ici un élément

5 de preuve numéro 33, une photo qui indique clairement que les mains

6 étaient liées; peut-être comme l’a dit l’enquêteur par un lacet. Ces

7 conclusions préliminaires sur ces sites confirment les actes terribles qui

8 ont été décrits dans l’acte d’accusation. Les actes de génocide qui sont

9 décrits dans l’acte d’accusation que vous avez devant vous ont été

10 planifiés à l’avance, organisés de manière efficace et exécutés par

11 l’armée bosniaque serbe. Après les révélations de ces massacres, une fois

12 que le monde a été au courant, l’armée bosniaque serbe a systématiquement

13 commencé à excaver les sites où des milliers de leurs victimes avaient été

14 enterrées de manière à cacher les preuves de leurs actes horribles et afin

15 de provoquer une obstruction à la justice. A cet égard nous avons

16 présenté dans le cadre des pièces 44 et 58 des éléments de preuve de cette

17 tentative systématique d’occultation des sites. Donc vous voyez ici le

18 site, vous voyez là un processus d’excavation de ces sites.

19 La pièce numéro 44 que l’on voit à Tatar Bratunac, une photo prise à

20 Tatar Bratunac en octobre 1995 qui montre encore une fois les corps qui

21 sont enlevés, donc une intervention sur ces sites. Mon éminent collègue

22 suédois, M. Ostberg a dit dans sa déclaration d’introduction qu’il

23 n’hésiterait pas à inclure Srebrenica parmi la liste des noms - et en fait

24 on n’aurait pas pu le dire plus clairement ni plus judiciairement. Nous

25 avons le sentiment Madame et Messieurs de la Cour que nous vous avons

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1 présenté dans nos soumissions initiales et au cours de cette audience des

2 éléments plus que suffisants pour démontrer que nous avons des raisons

3 valables de croire que le docteur Karadic et le général Mladic ont commis

4 des actes de génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves

5 des Conventions de Genève, violations des droits et coutumes de la guerre

6 telles qu’elles sont indiquées dans les deux inculpations que vous avez

7 devant vous.

8 Aujourd’hui tant le docteur Karadic que le général Mladic demeurent

9 en fuite de la justice internationale et nous arrivons au premier

10 anniversaire de ces massacres tragiques, massacres qui ont anéanti une

11 génération d’habitants de Srebrenica et laissé de milliers de veuves et

12 d’orphelins. Les résultats en misère humaine seront ressentis non

13 seulement aujourd’hui mais pendant des générations. Dans les Balkans, une

14 partie du monde où l’histoire n’est jamais oubliée, où la douleur de

15 combats s’étant produits il y a des siècles est toujours tangible, les

16 actes perfides du docteur Karadic et du général Mladic seront en fait

17 dans les mémoires pendant très longtemps. Ce qui ne devrait pas être

18 aussi bien dans les souvenirs c’est le fait que le monde avait la capacité

19 de présenter ces deux architectes du génocide devant leurs juges et que

20 rien n’a été fait. En fait, c’est quelque chose qui restera dans l’esprit

21 des victimes et qui sera une honte pour nous tous. C’est pourquoi nous

22 vous demandons avec respect que cette Cour émette des mandats d’arrêt

23 internationaux à l’encontre du docteur Karadic et du général Mladic. Le

24 docteur Karadic et le général Mladic sont libre aujourd’hui et ceci est

25 dû dans une large mesure au fait que la République fédérale de Yougoslavie

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1 ne les a pas arrêtés pour les transférer vers La Haye, parce que la

2 République fédérale de Yougoslavie les a soutenus, leur a apporté refuge.

3 Nous demandons avec respect que cette Chambre certifie au Président du

4 Tribunal que la République fédérale de Yougoslavie a manqué à ses

5 obligations sous l’article 29 du Statut. Nous recommandons que le

6 Tribunal en notifie le Conseil de sécurité, donc de ce refus de coopérer.

7 Ceci conclut mes commentaires ce matin. Madame et Messieurs de la Cour je

8 vous remercie.

9 Le PRESIDENT : Merci Monsieur le Procureur. Ainsi donc prend fin

10 l’ensemble de la présentation des charges publiques à l’égard du docteur

11 Karadic et de Ratko Mladic, charges exposées dans les deux actes

12 d’accusation, respectivement confirmés en juillet 1995 par le Juge Jorda

13 et en novembre 1995 par le Juge Riad. Le Tribunal et la Chambre I ici

14 présents vont à présent délibérer. Elle rendra sa décision jeudi 11

15 juillet à 16 heures. L’audience est levée.

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