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1 AFFAIRE N° IT-95-5-R61 & -18-R61.Le PRESIDENT : L’audience est reprise.
2 Est-ce que tout le monde m’entend ? Bureau du Procureur, vous m’entendez, le
3 Greffe, les assistants, la cabine d’interprètes, la galerie du public ?
4 Vendredi 5 juillet 1996.Bien; l’audience est donc reprise pour s’achever par
5 la déclaration finale du Procureur. Monsieur le Procureur vous avez la
6 parole.Le PROCUREUR : Bonjour Monsieur le Président. Nous avons quelques
7 pièces à conviction supplémentaires à soumettre à la Cour avant d’entamer
8 notre déclaration finale : d’abord les transcripts de l’audience article
9 61 de l’affaire Tadic, y compris un certain nombre de témoignages
10 concernant l’affaire Tadic elle même, ainsi que les déclarations du
11 docteur James Gow, expert militaire et historique qui a été entendu dans
12 le cadre de l’affaire Tadic. Nous avons également des pièces concernant
13 les mandats d’arrêt pour l’affaire Tadic, ce seront les pièces à
14 conviction 66 à 75; et 76 à 81, il s’agit de la correspondance avec la
15 Cour, des fax envoyés par le Président Antonio Cassese au Président
16 Milosevic au sujet d’un certain nombre d’incidents où Mladic et Karadic
17 se trouvaient en République fédérale de Yougoslavie et ce courrier montre
18 la chronologie des refus de réponse de la part de la République fédérale
19 de Yougoslavie et contient également un certain nombre d’avertissements
20 concernant le fait qu’il importe qu’ils respectent leurs obligations et
21 que s’ils ne respectent pas ces obligations cela reviendra à refuser une
22 injonction du Conseil de sécurité des Nations Unies et donc aboutira à
23 l’émission d’un mandat d’arrêt international. Nous aimerions soumettre
24 ces pièces au dossier.
25 Le PRESIDENT : Ces pièces sont recueillies par le Tribunal comme
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1 pièces à conviction Monsieur le Procureur; Monsieur le Greffier veuillez
2 en prendre note et veuillez les joindre au dossier du Tribunal. Merci.
3 Le PROCUREUR : Monsieur le Président c’est la conclusion de notre
4 déclaration concernant les éléments de preuve. Merci. Merci Monsieur le
5 Président.
6 En raison du fait que les mandats d’arrêt contre MM. Karadic et
7 Ratko Mladic n’ont pas été exécutés parce que ces deux hommes sont encore
8 aujourd’hui des fugitifs de la justice internationale, cette audience
9 extraordinaire a été convoquée. Une audience au titre de l’article 61 n’a
10 pas pour but d’être un procès par contumace. Il s’agit d’une audience
11 destinée à convaincre, vous même Monsieur le Président et les Juges qui
12 vous accompagnent qu’il existe des fondements raisonnables pour croire que
13 les deux accusés ont commis, l’un des crimes présumés dans les actes
14 d’accusation émis contre eux ou l’ensemble de ces crimes, et si vous en
15 êtes convaincus de prendre les mesures nécessaires pour garantir leur
16 présence devant cette Cour, la présence du docteur Karadic et du général
17 Mladic de façon à les soumettre à un procès pour les crimes monstrueux
18 dont ces deux hommes sont accusés en Bosnie-Herzégovine. Il a souvent été
19 répété qu’une audience au titre de l’article 61 est une occasion qui
20 permet de faire entendre la voix des victimes. Peut-être est-ce le cas
21 mais parce que ce n’est pas un procès ces voix ne peuvent être entendues
22 que selon le voeu de la Cour et ne seront entendues pour le monde que
23 lorsque le docteur Karadic et le général Mladic auront été arrêtés et
24 traduits en justice.
25 Que les victimes ne puissent être entendues dans une audience de
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1 justice est une insulte au milieu de victimes qui ont souffert tellement
2 de cette guerre. Cette insulte n’a pas été compensée par le geste cruel
3 et cynique du docteur Karadic qui a envoyé ses avocats à La Haye pour se
4 plaindre de la nature, de la forme des mandats d’arrêt lancés contre lui
5 et demander que ses avocats soient autorisés à participer à l’audience
6 alors que lui-même se cache en Republika Srpska. Il est vrai Monsieur le
7 Président, Madame et Messieurs les Juges que les victimes souhaitent une
8 occasion d’être entendues mais elles souhaitent que cette occasion leur
9 soit donnée après l’arrestation du docteur Karadic et du général Mladic
10 après que ces deux hommes seront assis dans le box des accusés devant
11 cette Cour. C’est alors et seulement alors Monsieur le Président que les
12 victimes auront vraiment la possibilité de s’exprimer; c’est alors et
13 seulement alors que les victimes se verront rendre justice.,
14 Avant de revenir sur les éléments de preuve j’aimerais souligner que
15 mes remarques d’aujourd’hui sont destinées à établir la responsabilité
16 criminelle individuelle du docteur Karadic et du général Mladic et non de
17 l’ensemble du peuple serbe. Nous n’avons pas mis en accusation le peuple
18 serbe pour ses crimes. En fait conformément au témoignage du major
19 Kusupovic, les victimes du siège de Sarajevo comprenaient quarante mille
20 Serbes bosniaques. La satanisation de certains groupes d’hommes
21 Musulmans, Croates ou Serbes a contribué au terrible carnage et à la
22 destruction qui se sont produits dans l’ex-Yougoslavie. Ce phénomène est
23 une maladie de l’esprit qui si on y prend garde, sèmera les graines de
24 combats futurs et d’un conflit à venir dans cette partie du monde. Nous
25 sommes horrifiés par les notions de culpabilité collective et par nos deux
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1 actes d’accusation contre le docteur Karadic et le général Mladic, nous
2 accusons à termes sans équivoques deux individus dont nous alléguons que
3 ce sont les personnes qui ont instigué, planifié et ordonné le génocide et
4 le nettoyage ethnique de Bosnie-Herzégovine, crimes qui ont choqué la
5 conscience du monde. Comme vous l’avez entendu au cours des sept jours
6 qui viennent de s’écouler, des éléments de preuve ont été apportés dans
7 cette audience pour démontrer qu’une grande partie de la violence a été
8 spécifiquement ciblée contre les Musulmans et les Croates bosniaques ainsi
9 que contre leur patrimoine culturel. Dans une municipalité après l’autre
10 les gens ont été tués indépendamment du fait de savoir s’ils étaient
11 combattants ou pas. Les cibles de la violence ont souvent été les femmes
12 et les enfants, les personnes âgées et même les infirmes. Des sites
13 culturels précieux, vieux de plusieurs siècles, comme des mosquées de
14 écoles ou des bibliothèques ont systématiquement été détruits pour la
15 simple raison qu’il importait d’éradiquer toute trace de leur identité
16 culturelle. La furie et le cruauté de nombre de ces attaques n’a été
17 limitée que par l’incapacité des auteurs de ces actes à imaginer des actes
18 plus terribles. Les deux hommes accusés dans ces actes d’accusation sont
19 les deux plus importants dirigeants de la Republika Srpska, ou l’étaient
20 en tous cas à l’époque où les crimes ont été commis et le demeurent
21 aujourd’hui, et le premier des deux accusés est le docteur Radovan
22 Karadic. Comme vous l’avez entendu à partir des éléments de preuve
23 présentés ici le docteur Karadic était le président du parti démocratique
24 serbe, le parti nationaliste serbe qui a joué un rôle tellement important
25 dans les événements qui ont conduit à la guerre et qui a encore joué ce
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1 rôle important pendant la guerre. Sous la direction du docteur Karadic
2 le SDS s’est vu considérablement centralisé et a établi comme ses
3 objectifs politiques principaux l’égalité complète des Serbes en Bosnie-
4 Herzégovine et dans le reste de la Yougoslavie libérale. Dans les
5 événements qui ont conduit à la guerre le SDS a établi un système de
6 communication élaboré et efficace ainsi qu’un gouvernement d’opposition
7 qui un véritable Etat dans l’Etat. Une fois que la guerre a commencé, le
8 SDS, avec l’aide de la JNA, a saisi le pouvoir dans un certain nombre de
9 municipalités sur l’ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine et créé
10 un Gouvernement bosniaque serbe qui a désormais pris le nom de Republika
11 Srpska. Le docteur Karadic est devenu président de ce gouvernement le 12
12 mai 1992 et nombre de ses plus proches associés au SDS ont pris les rôles
13 dirigeants dans ce gouvernement avec lui. Le jour même où il est devenu
14 président la constitution serbe bosniaque a été amendée pour stipuler que
15 le président était devenu commandant en chef de l’armée. D’autres
16 instruments juridiques qui ont été promulgués peu après lui accordaient un
17 pouvoir important sur la police. Ces instruments juridiques sont
18 significatifs car avec la constitution ils accordent au docteur Karadic
19 une autorité complète et un pouvoir de contrôle complet sur l’ensemble des
20 forces serbes bosniaques officielles en temps de guerre. Huit jours après
21 être devenu président, le docteur Karadic créait un commandement unifié
22 de l’armée serbe bosniaque ainsi que de la police, ce qui signifiait que
23 l’information au sujet des aspects du conflit circulait vers le haut et
24 vers le bas dans l’ensemble de la chaîne de commandement. Pendant toute
25 la guerre le docteur Karadic, en tant que commandant suprême, a soutenu
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1 sans en être empêché les actions de son armée et de sa police. Les
2 éléments de preuve présentés par nous prouvent qu’à la fois en tant que
3 dirigeant du SDS et qu’en tant que président de la Republika Srpska le
4 pouvoir du docteur Karadic a été envahissant. Comme il l’a dit le 12
5 février 1996 dans une interview : «Je suis absolument impliqué; tout ce
6 qui concerne la République serbe est entre mes mains». Ce qui est très
7 bien illustré par certains éléments de preuve qui ont été présentés ici au
8 cours de cette audience, notamment le témoignage du major Kupusovic qui a
9 déclaré que le docteur Karadic a limogé le dirigeant du parti SDS à
10 Sarajevo pour avoir soutenu publiquement avec d’autres dirigeants
11 politiques locaux l’idée que Sarajevo devrait demeurer une ville multi-
12 ethnique. A plus grande échelle, il existe des témoignages selon lesquels
13 le docteur Karadic a signé de nombreux accords tels que des accords de
14 fin d’hostilités en décembre 1994. Le général Ratko Mladic est la
15 deuxième personne accusée dans ces actes d’accusation. Après que la JNA
16 se soit officiellement retirée de Bosnie-Herzégovine le 19 mai 1992,
17 l’armée serbe bosniaque l’a remplacée. Cette transformation de la JNA en
18 armée serbe bosniaque peut être comparée à une seule chose, à savoir un
19 changement d’en-tête sur un papier à lettre et le général Mladic, officier
20 de carrière de la JNA, s’est tout à fait adapté à ce changement.
21 Lorsqu’il a appris que la JNA continuait à se retirer il a immédiatement
22 commencé à créer sa propre structure de commandement et a choisi
23 personnellement les membres de son état-major ainsi que les commandants en
24 chef (voir pièce à conviction 40). Il a contrôlé avec efficacité l’armée
25 serbe bosniaque pendant toute la guerre bien qu’il se soit appuyé sur le
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1 docteur Karadic en tant que dirigeant principal de la Republika Srspka.
2 Au cours de cette audience publique à laquelle nous avons participé nous
3 avons présenté une faible partie uniquement des éléments de preuve dont
4 nous disposons contre le docteur Karadic et le général Mladic car
5 l’ensemble des éléments de preuve seront présentés au cours du procès,
6 s’il a lieu. Il aurait été imprudent de tout présenter ici à l’encontre
7 de ces deux personnes qui fuient la justice et qui continuent à se cacher
8 dans leur sanctuaire balkanique. Ils ne méritent aucun bénéfices.
9 Je voudrais maintenant me tourner vers quelques éléments de preuve
10 qui ont été présentés à l’appui de la première partie de l’acte
11 d’accusation du 25 juillet 1995. Dans une allocution qu’il a prononcée
12 devant l’assemblée de Bosnie-Herzégovine le 14/15 octobre 1991 concernant
13 les décisions d’aller vers l’indépendance prises par la République
14 socialiste de Bosnie-Herzégovine, le docteur Karadic prédisait l’issue
15 que le SDS allait mettre en oeuvre. Il a déclaré : «Je vous prie de
16 prendre ceci très au sérieux; ce que vous faites n’est pas bon. Nous nous
17 engageons sur la même autoroute vers l’enfer et le désespoir qui a déjà
18 été prise par la Slovénie et la Croatie. Prenez garde, vous allez
19 conduire la Bosnie-Herzégovine dans l’enfer et le peuple musulman risque
20 de disparaître dans une guerre. Les Musulmans sont sans défense» (pièce à
21 conviction 29, séquence 1).
22 Ces prévisions sont devenues réalité. Le Bureau du Procureur a mené
23 des enquêtes approfondies dans les municipalités de Prijedor, Bosanski
24 Samac, Bosko, Foca, Vlasenica et Srebrenica et ces enquêtes ont confirmé
25 une politique déterminée et sans pitié de persécutions dirigées contre les
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1 Musulmans bosniaques et les Croates bosniaques, et fondée sur des bases
2 nationales, ethniques, politiques, religieuses qui a eu pour résultat
3 l’élimination totale ou pratiquement totale des Musulmans et des Croates
4 sur l’ensemble des municipalités sur l’ensemble du territoire que l’on
5 appelle aujourd’hui la Republika Srpska. De 1992 à 1995 dans ce que l’on
6 appelle la Republika Srpska les forces militaires et politiques placées
7 sous le commandement direct et le contrôle direct des accusés se sont
8 engagées dans un mode de comportements qui incluaient les arrestations
9 illégitimes, les assassinats, les coups et blessures, la torture, le viol,
10 la déportation de civils... Ces comportements par l’utilisation de
11 l’expression «nettoyage ethnique» se sont raffinés encore village après
12 village, ville après ville, municipalité après municipalité en Bosnie-
13 Herzégovine jusqu’à leur point culminant dans les événements abominables
14 qui entourent la prise par les Serbes bosniaques de Srebrenica en
15 juillet 1995. Si l’on regarde les instruments indispensables du nettoyage
16 ethnique décrits dans l’acte d’accusation on se voit contraint de se
17 concentrer sur les installations de détention des Serbes bosniaques telles
18 qu’Omarska, Keraterm, camps qui ont horrifiés le monde à cause de ce
19 qu’ils rappelaient d’atroce au cours de la deuxième guerre mondiale. Fin
20 août 1992 les représentants de la Commission Thomson, commission créée par
21 la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe se sont rendus
22 dans l’ex-Yougoslavie pour observer directement les conditions de
23 détention contrôlées par ces parties au conflit. Deux des conclusions
24 significatives auxquelles ils ont abouti ont été que la majorité des
25 détenus «n’étaient pas parties aux hostilités mais ont été considérés
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1 comme ennemis à cause de leur origine ethnique», et que les dirigeants
2 reconnus ont exercé un contrôle effectif sur le personnel chargé de ces
3 camps de détention (pièce à conviction 61).
4 Nos enquêtes approfondies dans ces camps ont abouti aux mêmes
5 conclusions et ont eu pour résultat un certain nombre de charges contenues
6 dans l’acte d’accusation que vous avez entre les mains. Nos enquêtes
7 prouvent que ces camps ont été créés et ont fonctionné sous le contrôle du
8 SDS, des militaires et de la police qui étaient placés sous le contrôle et
9 l’autorité directe du docteur Karadic et du général Mladic ou de, soit de
10 l’un, soit de l’autre, soit des deux hommes et que dans ces conditions ces
11 camps, qu’ils se situent dans la municipalité de Foca à l’est, dans la
12 municipalité de Bosko au nord, ou dans celle de Prijedor à l’ouest,
13 étaient abominables. Les rations alimentaires et les conditions d’hygiène
14 dans ces camps étaient grossièrement insuffisantes. Vous vous rappellerez
15 sans doute le film qui vous a été présenté en tant que pièce à conviction
16 29, séquence 3, qui montrait ces hommes émaciés et mal nourris et au sujet
17 duquel le docteur Karadic a déclaré : «il ne s’agissait que d’hommes très
18 maigres qui n’auront jamais meilleure allure. Lorsque j’avais soif moi
19 aussi je leur ressemblais».
20 La torture et le meurtre étaient pratique commune dans les camps aux
21 mains des Serbes bosniaques, et les femmes ainsi que les jeunes filles
22 étaient fréquemment violées et soumises à des formes perverses
23 d’agressions sexuelles répétées. En bref, les actes commis dans ces camps
24 ont été similaires au génocide et avaient pour but de détruire en tout ou
25 partie les Musulmans et Croates bosniaques détenus dans ces camps. Le
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1 docteur Karadic et le général Mladic étaient certainement au courant de
2 ce qui se passait dans ces camps. Leurs subordonnés ont établi et fait
3 fonctionner ces camps et nombres des associés les plus proches du docteur
4 Karadic, notamment Velibor Ostojic et Petto Cancar leur ont rendu visite
5 dans ces camps en tant que responsables du SDS. Ce qui s’est passé dans
6 ces camps Monsieur le Président n’était pas, comme le docteur Karadic l’a
7 dit en février 1995 de la propagande musulmane, mais bien un comportement
8 criminel à une échelle gigantesque et systématique. Bien entendu les
9 installations de détention dont je viens de parler n’étaient pas les seuls
10 instruments du nettoyage ethnique. Notre acte d’accusation décrit
11 d’autres instruments tels que les déportations à grande échelle et
12 systématiques de non Serbes, la destruction illicite de leurs habitations
13 et de leurs commerces ainsi que la confiscation de leurs propriétés, de
14 leurs biens personnels et tout cela sous le contrôle et sous la direction
15 directe du docteur Karadic et du général Mladic. Nous avons présenté des
16 éléments de preuve au Tribunal concernant ces parties de l’acte
17 d’accusation dans notre déclaration initiale au moment de la confirmation
18 de l’audience. Etant donné les contraintes de temps qui pèsent sur cette
19 audience je ne rentrerai pas dans le détail et je m’appuierai sur ce qui
20 est contenu dans nos déclarations initiales. J’estime que les éléments de
21 preuve soumis devant cette Cour appuient les charges de génocide et de
22 crimes contre l’humanité contenus dans la première partie de l’acte
23 d’accusation.
24 Passons maintenant si vous le voulez aux charges contenues dans la
25 deuxième partie de l’acte d’accusation selon lesquelles le docteur
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1 Karadic et le général Mladic auraient individuellement et de concert avec
2 d’autres planifié, ordonné, encouragé ou autrement aidé à une campagne
3 systématique de prises pour cibles délibérées de civils par les tireurs
4 isolés de l’armée serbo-bosniaque ou n’auraient pas pris les mesures
5 raisonnables ou nécessaires pour empêcher de tels actes ou en punir les
6 auteurs. Cette campagne abominable qu’ont enduré pendant quatre ans des
7 centaines de personnes indépendamment du fait de savoir s’il s’agissait
8 d’hommes, de femmes, d’enfants en bas âge ou de personnes âgées,
9 indépendamment également du fait de savoir s’il s’agissait d’habitants de
10 Sarajevo ou de Musulmans, de Serbes ou de Croates; cette campagne a été
11 affreuse. Sarajevo est dans une cuvette entourée par de hautes montagnes.
12 L’armée serbe bosniaque a occupé ces montagnes et à partir de ces
13 promontoires, comme vous l’avez vu dans nos éléments de preuve, il n’était
14 pas difficile de voir ce qui se passait dans la ville assiégée. Les
15 tireurs isolés de l’armée serbe bosniaque avec leurs armes hautement
16 spécialisées équipées de systèmes optiques spécialisés puissants ont
17 permis de tirer très précisément sur les victimes situées en-dessous qui
18 en général n’étaient pas des combattants. L’acte d’accusation contient
19 une liste partielle des morts et des blessés, liste qui de toute évidence
20 illustre la cruauté de cette campagne. J’aimerais vous en lire quelques
21 noms. Parmi les tués : «Konic, 4 ans; Ermenovic, 11 ans; Sara Pohara, 19
22 ans; Marko Stupar, 64 ans». Je m’oriente maintenant vers la liste des
23 blessés : «garçon, 2 ans; petite fille, 8 ans; petit garçon, 5 ans; petit
24 garçon, 7 ans; une femme, 71 ans; une femme, 72 ans; une femme, 73 ans».
25 Le docteur Karadic a traité Sarajevo et la vie des habitants de Sarajevo
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1 comme un jouet lui appartenant personnellement. Vous vous rappellerez
2 sans doute le film que nous vous avons montré où nous avons vu le docteur
3 Karadic debout à côté du poète russe Liminov, au-dessus de la ville comme
4 une espèce de propriétaire qui fait fièrement le tour de son domaine. Son
5 mépris complet pour la vie des habitants de Sarajevo a été prouvé lorsque
6 tel un père orgueilleux, fier de son fils et lui permettant d’utiliser un
7 nouveau jouet, il a invité le poète Liminov à tirer un coup mortel à
8 l’aide d’une de ses armes de grande précision sur la ville assiégée et que
9 Liminov l’a fait. Peut-être ce coup a-t-il tué l’une des victimes nommées
10 dans l’acte d’accusation. Cette campagne infâme de tirs isolés a
11 terrorisé tous les habitants de cette belle ville et transformé toute
12 activité quotidienne en aventure menaçante pour la vie. Prendre un tram à
13 Sarajevo ou sortir pour chercher des vivres ou de l’eau était une activité
14 qui vous amenait aux portes de la mort. Respirer l’air pur ressemblait à
15 jouer aux dés avec sa propre vie. Ces jours étaient des jours terribles
16 où chaque instant risquait de vous empêcher de revenir à la maison.
17 Le docteur Karadic et le général Mladic étaient conscients de
18 l’existence de cette campagne de tirs isolés comme l’a montré la pièce à
19 conviction 65. Monsieur Koffi Anan, le sous-secrétaire général des forces
20 de maintien de la paix des Nations Unies a émis des plaintes concernant
21 les actions des forces serbes bosniaques et de leur défenseur. Ces
22 plaintes ont été fréquentes, orales et par écrit à l’adresse du docteur
23 Karadic de la part des représentants également des forces du maintien de
24 la paix des Nations Unies mais de la FORPRONU au plus haut niveau. De
25 telles communications incluent des plaintes concernant les tirs isolés à
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1 Sarajevo. Il ne peut exister aucun doute que le docteur
2 Karadic,commandant suprême, et le général Mladic, commandant de l’armée,
3 auraient pu arrêter ces tueries à tout instant. Comme vous l’avez entendu
4 le docteur Karadic et le général Mladic ont signé de nombreux accords
5 relatifs à Sarajevo, notamment des accords de cessez-le-feu et des accords
6 anti-tirs isolés. Après la signature de ces accords, les tirs isolés ont
7 recommencé rapidement comme l’eau coule d’un robinet. Les deux accusés
8 avaient le pouvoir de fermer ce robinet mais ne l’ont pas fait pendant la
9 plus grande partie de la durée du siège. Nous estimons que les éléments
10 de preuve que nous avons présentés sont plus que suffisants pour appuyer
11 les charges contenues dans cette partie de l’acte d’accusation.
12 Nous nous tournons maintenant vers la troisième partie de l’acte
13 d’accusation qui concerne la prise en otage de forces de maintien de la
14 paix des Nations Unies et leur utilisation comme boucliers humains entre
15 les 26 mai 1995 et le 19 juin 1995. Les éléments de preuve à l’appui de
16 ces charges sont très simples : suite aux frappes aériennes de l’OTAN
17 contre des sites militaires les 25 et 26 mai 1995 l’armée serbe bosniaque
18 a arrêté deux centre quatre-vingt-quatre soldats de la paix et les a
19 utilisés comme boucliers humains afin d’empêcher d’autres frappes
20 aériennes. Le capitaine Patrick Reichner, membre des forces de maintien
21 de la paix des Nations Unies canadien et qui a été pris en otage et
22 menotté à un poteau électrique proche du bunker de munitions par des
23 soldats serbes bosniaque avec l’approbation évidente du docteur Karadic
24 et de membres de son gouvernement, a témoigné au sujet de son expérience
25 en tant qu’otage devant cette Cour et a parlé de ses conversations avec le
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1 vice-président de la Republika Srpska, Nikola Koljevi au sujet des
2 violations évidentes du droit international. Il indique que Koljevi avait
3 reconnu sans peine que la prise d’otage était une politique approuvée par
4 son gouvernement et destinée à empêcher les frappes aériennes de l’OTAN, à
5 savoir donc quelque chose qui ressemblait à une thérapie par électrochoc.
6 Les éléments de preuve que nous avons présentés prouvent qu’en deux
7 occasions précédentes, en avril 1994 et novembre 1994, l’armée serbe
8 bosniaque a également pris des otages des forces de maintien de la paix
9 des Nations Unies. A l’époque le docteur Karadic et le général Mladic
10 ont ordonné aux otages qui devaient être utilisés comme boucliers humains
11 de bien se rendre compte qu’une telle conduite était une violation
12 grossière du droit international. Ceci est clairement illustré par la
13 pièce à conviction 65, la déclaration du sous-secrétaire Koffi Anan, qui a
14 affirmé que le docteur Karadic a personnellement représenté les Serbes
15 bosniaques dans les négociations de longue durée qui ont été engagées avec
16 les Nations Unies au sujet des événements d’avril 1994, autre crise où des
17 otages avaient été capturés. Ce n’était pas une situation dans laquelle
18 le docteur Karadic et le général Mladic étaient ignorants de leurs
19 obligations aux termes du droit international.
20 Nous estimons que nous avons présenté suffisamment d’éléments de
21 preuve pour appuyer également ces charges de l’acte d’accusation.
22 Je vais maintenant vous présenter les termes du deuxième acte
23 d’accusation que vous avez devant vous : il s’agit de l’inculpation du 16
24 novembre 1995 attestant que le docteur Karadic et le général Mladic sont
25 coupables de génocide, de crimes contre l’humanité, de violations des lois
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1 et coutumes de la guerre en ce qui concerne les événements concernant la
2 prise de Srebrenica en juillet 1995. La prise de Srebrenica est un reflet
3 sombre de tout ce qui a précédé. Comme le Juge Riad l’a indiqué tellement
4 éloquemment dans son opinion confirmant l’acte d’accusation et
5 l’inculpation, les éléments de preuve qui lui ont été soumis sont décrits
6 par lui comme étant des scènes d’enfer écrites sur les pages les plus
7 sombres de l’histoire de l’humanité. Nous alléguons que le docteur
8 Karadic et le général Mladic ainsi que les forces sous leur contrôle
9 direct étaient responsables de la création de ces événements.
10 Après que la guerre ait éclaté en Bosnie-Herzégovine en 1992 les
11 forces sous le contrôle du docteur Karadic et du général Mladic ont
12 attaqué les communautés musulmanes dans et autour de Srebrenica, ce qui a
13 eu pour résultat un exode massif de réfugiés musulmans vers Srebrenica.
14 Après cela, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la
15 résolution 819 dans laquelle il était exigé que toutes les parties au
16 conflit dans la République de Bosnie-Herzégovine traitent Srebrenica et
17 ses environs comme étant une zone protégée, ce qui signifie qu’elle aurait
18 dû être totalement dépourvue de toute attaque armée ou de tout autre acte
19 hostile. Des résolutions suivantes ont réaffirmé la résolution 819. La
20 mise en oeuvre de ces résolutions a été telle que les Nations Unies ont
21 assigné une force des Nations Unies symbolique pour maintenir la paix, un
22 bataillon uniquement à l’intérieur de cette zone de Srebrenica, et leur
23 mandat était de démilitariser la zone protégée, de surveiller la mise en
24 oeuvre du cessez-le-feu et de soutenir l’apport en aide humanitaire. Bien
25 que les responsables des Nations Unies, des forces de la paix aient
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1 effectué leur tâche de manière admirable pendant cette période dans des
2 situations absolument difficile, l’enclave n’a jamais été entièrement
3 démilitarisée. En fait l’invasion serbe bosniaque effective de Srebrenica
4 a commencé le 6 juillet 1995, mais le siège de l’enclave a commencé en
5 avril de cette même année lorsque les forces serbes n’ont pas permis à
6 l’approvisionnement et à l’aide humanitaire de pénétrer dans l’enclave.
7 Le colonel Garman se référait à ce que ce convoi comme de terreur. Du
8 fait de ce blocus les besoins essentiels requis pour garantir la
9 subsistance de la population civile ont été rapidement réduits à des
10 niveaux désespérés : les forces serbes faisant le blocus ont en fait
11 provoqué des conditions extrêmement négatives pour les soldats de la paix,
12 et lorsque les soldats du bataillon des Nations Unies ont terminé leur
13 tour d’engagement et sont rentrés aux Pays-Bas, les remplacements n’ont
14 pas été autorisés à pénétrer dans l’enclave; et ce qui avait commencé
15 comme étant une force symbolique de six cent soldats néerlandais en juin
16 1995 a été réduit à peu près à quatre cent vingt soldats lorsque l’attaque
17 de Srebrenica a commencé. De ces quatre cent vingt soldats néerlandais,
18 moins de la moitié étaient des fantassins; les soldats des Nations Unies
19 étaient équipés d’armes légères, d’armes antichars en nombres
20 insuffisants, et 7 pour cent de leur munitions avaient été apportées dans
21 leurs campements au moment où l’attaque a commencé. En fait lorsque
22 l’invasion a commencé le 6 juillet le bataillon néerlandais manquait
23 d’effectifs, ne disposait que d’armes légères, n’avait pas reçu
24 d’approvisionnements et en fait n’avait pas le soutien aérien requis dans
25 la zone de Srebrenica et au moment où le besoin était le plus grand. Le
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1 général Mladic le savait lorsqu’il a choisi le moment de détruire
2 l’enclave. Pour effectuer cet assaut, le général Mladic a amassé une
3 force d’à peu près trois mille hommes équipés d’un armement lourd, du
4 meilleur armement de guerre que l’on puisse trouver dans l’arsenal
5 militaire des Serbes bosniaques, y compris des chars d’assaut, des lance-
6 roquettes multiples, de l’artillerie lourde, des canons antiaériens
7 mobiles. L’invasion de l’enclave a rapidement avancé avec une attaque des
8 forces du général Mladic et a en fait occupé le poste d’observation des
9 Nations Unies qui étaient autour de l’enclave. Ce qui signifie qu’ils ont
10 en fait rendu l’ensemble de l’opération des Nations Unies aveugle; les
11 troupes serbes ont ensuite capturé cinquante-cinq soldats des Nations
12 Unies néerlandais, volé leurs armes, leurs véhicules, leurs vestes pare-
13 balles et leurs casques bleus et les a gardés en otages, ce qui a en fait
14 été une tactique illégale mais parfaitement réussie du général Mladic et
15 qu’il avait mise en oeuvre avec succès un mois et demi auparavant. Ces
16 cinquante-cinq otages, tous fantassins, représentent à peu près 25 pour
17 cent de la force d’infanterie disponible dans l’enclave. Les forces
18 serbes ont avancé rapidement dans l’enclave, créant, provoquant la panique
19 parmi la population civile. Ils avaient de bonnes raisons d’avoir peur
20 général Mladic car comme il l’a dit dans un clip cinématographique qui a
21 été présenté : «le moment est venu de se venger des Turcs de la région.
22 De nombreux civils se sont enfuis vers le campement des Nations Unies de
23 Srebrenica mais il a été attaqué à l’artillerie, ce qui a eu pour résultat
24 de tuer et de blesser de nombreux réfugiés. La panique qui a suivi a mené
25 à une situation où des milliers de civils se sont enfuis vers le campement
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1 des Nations Unies de Potocari.
2 Le 11 juillet à peu près vingt-cinq mille réfugiés, essentiellement
3 des femmes et des enfants ainsi qu’un petit pourcentage d’hommes se sont
4 réunis dans une chaleur torride en plein été dans et autour du campement
5 des Nations Unies de Potocari. Il manquait d’eau, il manquait de
6 nourriture, il manquait de médicaments et d’équipements sanitaires pour
7 cette masse de réfugiés effrayés. La scène était une scène de panique et
8 de désespoir indescriptible. Des gens sont morts, des bébés sont nés, des
9 enfants ont été séparés et ont perdu leurs parents et certaines personnes
10 se sont suicidées. Les attaques aériennes qu’avaient réclamé de manière
11 répétée le colonel Karamans sont arrivées très tard et lorsqu’elles sont
12 arrivées il s’agissait d’attaques de haute précision qui n’étaient pas
13 suffisantes pour protéger ceux qui s’étaient réfugiés dans l’enclave.
14 Elles n’ont réussi qu’à enrager le général Mladic et il est entré en
15 communication avec la base néerlandaise des Nations Unies de Potocari,
16 menaçant de les bombarder à l’artillerie lourde, et donc de bombarder les
17 réfugiés qui étaient rassemblés autour du campement des Nations Unies
18 menaçant de tuer les Casques Bleus qui les gardaient en otages si les
19 attaques aériennes continuaient.
20 Il ne s’agissait pas de menaces en l’air étant donné le fait qu’il
21 avait déjà auparavant attaqué au canon les réfugiés du campement des
22 Nations Unies de Srebrenica. Les attaques aériennes ont dès lors cessé.
23 Le 11 juillet deux autres événements significatifs sont intervenus : en
24 premier lieu la fuite d’à peu près quinze mille hommes et garçons en
25 colonnes importantes à travers la forêt dans la direction de Tuzla. Le
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1 deuxième a été une série de deux réunions à Bratunac entre le général
2 Mladic et le colonel Karamans. Le colonel Karamans a témoigné qu’il avait
3 été appelé, convoqué à Bratunac pour une réunion avec des représentants
4 des forces serbes bosniaques, et que là il a rencontré le général Mladic
5 pour la première fois. Etaient présents à cette réunion-ci le général
6 Zibanovic, responsable de la Drina - une unité de l’armée bosniaque serbe
7 - et qui avait joué un rôle proéminent dans l’invasion de la zone protégée
8 dans les atrocités qui ont suivi. Le colonel Karamans a témoigné qu’au
9 cours de ces deux réunions avec le général Mladic, le général Mladic a dit
10 que le destin des Musulmans se trouve entre ses mains. Il a aussi dit que
11 si les Musulmans se rendaient, déposaient les armes, ils seraient traités
12 comme des prisonniers de guerre suivant les Conventions de Genève. Ils
13 devaient survivre ou disparaître. Et il a encore une fois menacé de
14 bombarder le campement des Nations Unies avec les femmes et les enfants
15 qui se trouvaient autour si les soldats bosniaques devaient tirer sur ses
16 propres troupes. Il a aussi indiqué que les Nations Unies n’avaient pas
17 la capacité de garantir l’existence de cette zone protégée. Le lendemain
18 matin le général Mladic et le colonel Karamans se sont rencontrés une
19 troisième fois à Bratunac. Le général Mladic a répété ses exigences du
20 jour précédent et a indiqué aux représentants musulmans bosniaques qui
21 étaient présents que personne n’aurait à souffrir et qu’il n’y avait
22 aucune raison d’avoir peur ou de paniquer car il honorait toujours sa
23 parole. Et puis, de manière menaçante, il a dit qu’il voulait que tous
24 les hommes entre 16 et 60 ans lui soient présentés. Lorsque le colonel
25 Karamans a demandé pourquoi le général Mladic a dit qu’il voulait en fait
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1 trouver les criminels de guerre.
2 Quelques heures après cette réunion le général Mladic et l’armée
3 serbe bosniaque sont arrivés à Potocari. Au cours des journées des 12 et
4 13 juillet les hommes musulmans ont été séparés de leurs familles et
5 emmenés vers différents sites dans et autour de Potocari hors de vue des
6 Casques Bleus des Nations Unies. Là les soldats de l’armée serbe
7 bosniaque les ont exécutés sommairement alors que le général Mladic
8 paradait dans cette région en rassurant de manière éhontée les réfugiés en
9 leur disant qu’il ne leur arriverait rien. Il est difficile d’imaginer
10 une attitude de calcul et de mensonges plus cruelles. Vous avez vu un
11 film du général Mladic perpétrant cette ruse; une ruse - je puis l’ajouter
12 - qui se produisait en fait à distance d’écoute de l’endroit où les
13 soldats serbes bosniaques avaient déjà commencé leurs assassinats. Entre
14 l’après-midi du 12 juillet et le début de la soirée du jour suivant, à peu
15 près vingt-cinq mille réfugiés - essentiellement des femmes et de enfants
16 - ont été déportés de Srebrenica. La plupart des hommes ont été déportés
17 eux aussi mais leur destin était différent car ils sont morts; leurs
18 assassins étaient des soldats et des policiers sous le commandement et le
19 contrôle du docteur Karadic et du général Mladic. En l’espace de trois
20 jours, du 11 au 13 juillet la totalité de la population musulmane de
21 l’enclave avait ou bien pris la fuite, était déportée ou tuée. Le schéma
22 de purification ethnique qui avait été mis au point auparavant par les
23 forces du docteur Karadic et du général Mladic dans les municipalités de
24 Prijedor, Bosanki Samac, Brosko, Fotja et Vlasenica, est arrivé à un stade
25 de perfection morbide lorsqu’il s’est agit de Srebrenica.
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1 Je vais maintenant me tourner vers le sort des milliers d’hommes et
2 de garçons qui se sont enfuis dans la direction de Tuzla avec un cordon
3 sanitaire en acier de chars d’assaut, d’armements antiaériens, de
4 transports de troupes blindés et de soldats tous les vingt mètres qui les
5 attendaient le long de la route de Bratunac/Milici. A peu près un tiers
6 de ces colonnes de réfugiés s’est ou bien évadé - a réussi à passer - ou a
7 fait une percée à travers cette ligne, tandis que les autres n’ont pas eu
8 autant de chance : ils ont été capturés ou se sont rendus à l‘armée
9 bosniaque serbe par milliers. Comme vous l’avez vu dans la pièce
10 numéro 3, le clip numéro 2, un film qui vous a été présenté, bon nombre
11 d’entre eux ont été attirés dans les bois par les promesses que leurs
12 compagnons musulmans qui avaient été capturés étaient en bonne santé. Et
13 ceux-ci - avec une arme pointée sur leurs dos - les ont appelé à se
14 rendre; d’autres qui se sont rendus à cette armée ont été attirés de la
15 forêt vers les lignes par un faux sens de la sécurité créé par la présence
16 de soldats des forces armées serbes portant des uniformes volés ou
17 conduisant des véhicules volés portant les insignes des Nations Unies de
18 manière évidente. Tous ceux qui se sont rendus étaient à l’évidence hors
19 de combat et tous avaient manifestement le droit à la protection du droit
20 international. Ceux que l’armée bosniaque serbe n’a pas tués sur place
21 ont été emmenés vers différents centres de concentration tels que ceux qui
22 se trouvent à Bratunac, Nova Kasaba, Sandici. Tant M. Ruez que le témoin
23 A ont témoigné que le général Mladic a rendu visite de nombreuses fois à
24 ces sites ou les milliers de Musulmans désarmés et les garçons étaient
25 détenus par l’armée. Son message était toujours le même : «Bonjour cher
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1 voisin». Et ces mots rassurant en fait leur permettaient de croire qu’ils
2 seraient rapidement échangés; ce qui permettait de les maintenir dans un
3 état d’esprit pacifique alors que progressivement, de manière inéluctable,
4 leur destin était scellé. Le général Mladic et le docteur Karadic ont
5 nié avec beaucoup d’insistance que ces massacres aient eu lieu et ont
6 répété à de nombreuses reprises que rien n’était vrai si ce n’est la
7 propagande musulmane violente à cet égard. Et il s’agit là de mensonges
8 calculés pour en fait tromper le peuple serbe et tromper le monde. Comme
9 l’a dit le général Mladic le destin des Musulmans se trouvait dans ses
10 mains. Nous avons présenté suffisamment de preuves de leur destin; nous
11 avons présenté ces remarques du témoin A, un homme qui a survécu à ces
12 massacres pour porter témoignage d’exécutions sommaires massives qui ont
13 pris plus de mille vies et qui, par la grâce de Dieu, l’ont épargné. Ce
14 témoin A a témoigné qu’il faisait partie d’un groupe de Musulmans
15 prisonniers, qui avaient été séparés de leurs femmes et de leurs familles
16 à Protocari lorsque le général Mladic s’était approché à 3 ou 4 mètres
17 d’eux et s’était présenté en disant : «Je vous salue voisins. Savez-vous
18 qui je suis ? Je suis le général Mladic». Il les a informés qu’ils
19 allaient être changés à plusieurs reprises. Le témoin A a témoigné qu’il
20 a vu le général Mladic à cinq autres reprises pendant les deux jours
21 suivants - y compris à l’école, dans le préau de l’école - où lui et ces
22 nombreuses victimes étaient détenus par les forces armées serbes
23 bosniaques. C’est à cet endroit que le général Mladic les a encore
24 rassurés en leur disant qu’ils seraient échangés. Quelques minutes après
25 les premiers camions sont arrivés pour les emmener vers les champs de la
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1 mort. Le témoin A a été emmené vers ce champ et après une fusillade il
2 est tombé au sol et a simulé la mort. Il a encore une fois vu le général
3 Mladic en conférence avec ses subordonnés, donc les bourreaux. Son
4 identification du général Mladic sur ce lieu de massacres était clair et
5 sans équivoque.
6 Nous avons aussi présenté le témoignage de Drazen Erdemovic - un
7 membre du dixième détachement de sabotage - unité de reconnaissance
8 spéciale qui était sous les ordres directs du quartier général du général
9 Mladic à Han Pijesak. M. Erdemovic avec cette unité est entré dans la
10 ville de Srebrenica le 11 juillet et n’a rencontré aucune résistance.
11 Leurs ordres étaient d’orienter les civils vers un stade proche de là et
12 de ne faire de mal à personne. Les quelques personnes âgées civils qu’ils
13 ont rencontré ont été orientés vers ce stade. Cependant lorsqu’ils ont
14 rencontré un homme désarmé qui était en âge de combattre, l’officier en
15 commandement de M. Erdemovic a ordonné à un de ses hommes de lui trancher
16 la gorge. Après que cette victime ait été assassinée son corps a été
17 laissé bien en vue où les autres civils pouvaient le voir. Le massacre
18 avait commencé.
19 Cinq jours plus tard, le 16 juillet 1995, M. Erdemovic et des
20 membres de son unité ont été emmenés vers une ferme à Pilica par un
21 lieutenant-colonel et deux policiers militaires du corps de la Drina pour
22 une tâche spéciale. A cette ferme lui et des membre de son unité ont reçu
23 l’ordre d’exécuter des cars entiers de garçons et d’hommes musulmans
24 désarmés de Srebrenica et ceux-ci, ainsi que les membres de la brigade
25 Bratunac qui les a rejoints plus tard l’ont fait, tuant à peu près mille
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1 deux cent hommes et garçons dont les âges allaient de 17 à 65 ans. M.
2 Erdemovic a dit qu’il avait parlé avec une des victimes qui lui avait dit
3 que ces victimes avaient été amenées à la ferme croyant qu’ils étaient
4 acheminés vers un échange de prisonniers. Ces meurtres qui ont été
5 décrits par M. Erdemovic ont été confirmés dans la pièce numéro 53, qui
6 est une photo aérienne prise le jour après ces exécutions, et qui montre
7 la présence de nombreux corps dispersés sur le site de cette exécution.
8 M. Erdemovic a aussi témoigné que le même lieutenant colonel du corps de
9 Drina qui les amenait à la ferme vers Pilica est revenu plus tard dans la
10 journée et cinq cent personnes supplémentaires de Srebrenica qui se
11 trouvaient dans une salle Pilica, mais que lui et certains membres de son
12 unité ont refusé de continuer ces exécutions. Ces exécutions cependant
13 ont été effectuées sans problèmes par des soldats serbes bosniaques de
14 Bratunac.
15 Au cours de cette audience nous avons aussi présenté comme élément
16 de preuve un film montrant la séparation des hommes et des femmes à
17 Potocari et montrant les hommes se rendant le long de la route de
18 Bratunac/Milici. Bon nombre de ces hommes, tous ayant été vus vivants et
19 détenus par l’armée bosniaque serbe ont été identifiés par Pasam Gamesic,
20 le responsable de la police de Tuzla, qui a témoigné vendredi. Et tous
21 ceux sauf deux de ces personnes identifiées sont portées disparues.
22 Nous avons aussi présenté le témoignage de M. Ruez, l’enquêteur
23 principal de l’enquête de Srebrenica, qui vous a fourni les détails des
24 résultats de nombreux témoignages de témoins et de survivants, et ces
25 conclusions préliminaires sur les sites de divers massacres et fosses
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1 communes. Des enquêtes sur le terrain, des enquêtes préliminaires à ces
2 sites qui ont déjà été entreprises par le Bureau du Procureur ont eu pour
3 résultat la découverte de corps portant des vêtements civils, des corps
4 avec leurs mains attachées derrière leurs dos; vous voyez ici un élément
5 de preuve numéro 33, une photo qui indique clairement que les mains
6 étaient liées; peut-être comme l’a dit l’enquêteur par un lacet. Ces
7 conclusions préliminaires sur ces sites confirment les actes terribles qui
8 ont été décrits dans l’acte d’accusation. Les actes de génocide qui sont
9 décrits dans l’acte d’accusation que vous avez devant vous ont été
10 planifiés à l’avance, organisés de manière efficace et exécutés par
11 l’armée bosniaque serbe. Après les révélations de ces massacres, une fois
12 que le monde a été au courant, l’armée bosniaque serbe a systématiquement
13 commencé à excaver les sites où des milliers de leurs victimes avaient été
14 enterrées de manière à cacher les preuves de leurs actes horribles et afin
15 de provoquer une obstruction à la justice. A cet égard nous avons
16 présenté dans le cadre des pièces 44 et 58 des éléments de preuve de cette
17 tentative systématique d’occultation des sites. Donc vous voyez ici le
18 site, vous voyez là un processus d’excavation de ces sites.
19 La pièce numéro 44 que l’on voit à Tatar Bratunac, une photo prise à
20 Tatar Bratunac en octobre 1995 qui montre encore une fois les corps qui
21 sont enlevés, donc une intervention sur ces sites. Mon éminent collègue
22 suédois, M. Ostberg a dit dans sa déclaration d’introduction qu’il
23 n’hésiterait pas à inclure Srebrenica parmi la liste des noms - et en fait
24 on n’aurait pas pu le dire plus clairement ni plus judiciairement. Nous
25 avons le sentiment Madame et Messieurs de la Cour que nous vous avons
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1 présenté dans nos soumissions initiales et au cours de cette audience des
2 éléments plus que suffisants pour démontrer que nous avons des raisons
3 valables de croire que le docteur Karadic et le général Mladic ont commis
4 des actes de génocide, des crimes contre l’humanité, des violations graves
5 des Conventions de Genève, violations des droits et coutumes de la guerre
6 telles qu’elles sont indiquées dans les deux inculpations que vous avez
7 devant vous.
8 Aujourd’hui tant le docteur Karadic que le général Mladic demeurent
9 en fuite de la justice internationale et nous arrivons au premier
10 anniversaire de ces massacres tragiques, massacres qui ont anéanti une
11 génération d’habitants de Srebrenica et laissé de milliers de veuves et
12 d’orphelins. Les résultats en misère humaine seront ressentis non
13 seulement aujourd’hui mais pendant des générations. Dans les Balkans, une
14 partie du monde où l’histoire n’est jamais oubliée, où la douleur de
15 combats s’étant produits il y a des siècles est toujours tangible, les
16 actes perfides du docteur Karadic et du général Mladic seront en fait
17 dans les mémoires pendant très longtemps. Ce qui ne devrait pas être
18 aussi bien dans les souvenirs c’est le fait que le monde avait la capacité
19 de présenter ces deux architectes du génocide devant leurs juges et que
20 rien n’a été fait. En fait, c’est quelque chose qui restera dans l’esprit
21 des victimes et qui sera une honte pour nous tous. C’est pourquoi nous
22 vous demandons avec respect que cette Cour émette des mandats d’arrêt
23 internationaux à l’encontre du docteur Karadic et du général Mladic. Le
24 docteur Karadic et le général Mladic sont libre aujourd’hui et ceci est
25 dû dans une large mesure au fait que la République fédérale de Yougoslavie
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1 ne les a pas arrêtés pour les transférer vers La Haye, parce que la
2 République fédérale de Yougoslavie les a soutenus, leur a apporté refuge.
3 Nous demandons avec respect que cette Chambre certifie au Président du
4 Tribunal que la République fédérale de Yougoslavie a manqué à ses
5 obligations sous l’article 29 du Statut. Nous recommandons que le
6 Tribunal en notifie le Conseil de sécurité, donc de ce refus de coopérer.
7 Ceci conclut mes commentaires ce matin. Madame et Messieurs de la Cour je
8 vous remercie.
9 Le PRESIDENT : Merci Monsieur le Procureur. Ainsi donc prend fin
10 l’ensemble de la présentation des charges publiques à l’égard du docteur
11 Karadic et de Ratko Mladic, charges exposées dans les deux actes
12 d’accusation, respectivement confirmés en juillet 1995 par le Juge Jorda
13 et en novembre 1995 par le Juge Riad. Le Tribunal et la Chambre I ici
14 présents vont à présent délibérer. Elle rendra sa décision jeudi 11
15 juillet à 16 heures. L’audience est levée.
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