Page 918
1 (Jeudi 11 juillet 1996.)
2 (Audience publique.)
3 (Affaires IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61.)
4 (L'audience est ouverte sous la présidence de M. Jorda.)
5 M. le Président: Veuillez vous asseoir
6 Monsieur le greffier, veuillez appeler l'affaire inscrite au rôle.
7 M. Marro: Affaire IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61.
8 M. le Président: Monsieur le Greffier, d'abord sur le plan de
9 l'interprétation, est-ce que tout le monde m'entend? Le Bureau du
10 Procureur? Monsieur le Bureau du Procureur peut-il se présenter? Micro,
11 s’il vous plaît. Merci.
12 M. Ostberg (interprétation): Je répète donc. Je m'appelle Eric Ostberg,
13 avocat et avec moi Me Harmon et M. Weiss.
14 M. le Président: Merci. La cabine d'interprétation est-elle prête? La
15 galerie du public entend également, le Greffe? Bien. Mes collègues?
16 La Chambre de première instance composée comme suit: M. le Juge Claude
17 Jorda, Président; Mme la Juge Elizabeth Odio Benito et M. le Juge Fuad
18 Riad dans l'affaire du Procureur contre Radovan Karadzic et Ratko Mladic.
19 Examen des Actes d'accusation dans le cadre de l'Article 61.
20 La procédure de l'Article 61: par des décisions, respectivement rendues
21 les 25 juillet et 16 novembre 1995, les Juges Claude Jorda et Fuad Riad
22 ont confirmé les Actes d'accusation établis par le Procureur à l'encontre
23 de Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Ils ont aux mêmes dates émis un
24 mandat d'arrêt portant ordre de déferrement à l'encontre de chacun des
25 accusés. Ces mandats ont été adressés, notamment à la République Fédérale
Page 919
1 de Yougoslavie, à la République de Bosnie-Herzégovine et à l'administration
2 des Serbes de Bosnie à Pale. Ils n'ont pas, à ce jour, reçu d'exécution.
3 Les Juges de confirmation, estimant dans leurs décisions du 18 juin 1996,
4 qu'un délai raisonnable s'était écoulé depuis l'émission des mandats
5 d'arrêt, ont en conséquence invité le Procureur à rendre compte des
6 mesures prises pour signifier les actes d'accusation ou les porter à la
7 connaissance des accusés. Constatant que toutes les diligences utiles ont
8 été accomplies par le Procureur, les Juges ont ordonné par ces mêmes
9 décisions que celui-ci saisisse cette Chambre de première instance pour un
10 examen conjoint, en collégialité et en audience publique, des deux Actes
11 d'accusation, conformément aux dispositions de l'Article 61 du Règlement
12 de procédure et de preuve, le Règlement.
13 Lors de cet examen, la Chambre doit apprécier s'il existe des raisons
14 suffisantes de croire que les accusés ont commis une ou plusieurs des
15 infractions mises à leur charge dans les Actes d'accusation. Elle a
16 examiné, à cette fin, l'ensemble des éléments de preuve soumis aux Juges
17 de la confirmation ainsi que des éléments additionnels produits au cours
18 des débats. Elle a également entendu les témoins cités et interrogés par
19 le Procureur, ainsi que deux amici curiae: Mme Rehn, rapporteur spécial de
20 la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies et Mme Cleiren,
21 membre de la Commission d'experts établie en vertu de la Résolution 780 du
22 Conseil de Sécurité qui ont été invitées à déposer devant elle, lors des
23 audiences tenues les 27 et 28 juin, 1er, 2, 3, 4, 5 et 8 juillet 1996.
24 La Chambre doit examiner en outre la qualification juridique des faits
25 retenus par le Procureur afin de vérifier que sa compétence est à ce stade
Page 920
1 établie.
2 Le recours à la procédure, organisée par l'Article 61, permet au Tribunal
3 Pénal International, dépourvu de police judiciaire, de réagir au défaut de
4 comparution volontaire des accusés et à l'inexécution des mandats émis à
5 leur encontre. Si la Chambre saisie de l'examen des Actes d'accusation les
6 confirme de nouveau, elle doit délivrer un mandat d'arrêt à diffusion
7 internationale. Elle peut également constater que le défaut de
8 signification des Actes d'accusation, et en corollaire l'inexécution des
9 mandats d'arrêt initiaux, sont imputables au défaut ou au refus de
10 coopération de l'Etat ou des Etats ou de l'entité autoproclamée auxquels
11 ils ont été transmis et demander au Président du Tribunal de saisir le
12 Conseil de sécurité de ces manquements.
13 Enfin, la procédure de l'Article 61 permet d'exposer publiquement et
14 solennellement les chefs d'accusation et les éléments les soutenant.
15 Lorsqu'elles sont citées à comparaître par le Procureur, les victimes
16 peuvent dans ce cadre faire entendre leurs voix et les pérenniser dans
17 l'Histoire. Ainsi la Justice pénale internationale, dont le cours ne
18 saurait s'accommoder des défaillances des individus ou des Etats, doit-
19 elle poursuivre sa mission de recherche de la vérité sur les actes
20 perpétrés et les souffrances endurées ainsi que de l'identification des
21 responsables présumés et de leur arrestation?
22 Préalablement aux débats de l'Article 61, le 27 juin 1996, et à leur
23 reprise le 5 juillet, la Chambre a examiné deux requêtes. Après en avoir
24 autorisé l'exposé oral émanant de requêtes émanant d'avocats, Me Pantelic
25 du barreau de Belgrade, puis Me Medvene et Me Hanley III du barreau de
Page 921
1 Californie- ayant, tour à tour, reçu mandat de Radovan Karadzic de le
2 représenter devant le Tribunal Pénal International et tendant notamment à
3 l'octroi d'un libre accès à la salle d'audience ainsi qu'à tous les
4 documents et dossiers pertinents que le Procureur soumettra dans cette
5 procédure.
6 Par décisions rendues ces mêmes jours, la présente Chambre, prenant acte
7 des mandats successivement déposés au nom de Radovan Karadzic, a invité le
8 Greffier à donner lecture, en présence du premier conseil choisi, des deux
9 Actes d'accusation établis à l'encontre de l'accusé et, rejetant les
10 requêtes, a reconnu aux avocats la qualité d'observateurs devant s'exercer
11 depuis la partie publique de la salle d'audience.
12 La chambre va procéder d'abord à la description des Actes d'accusation et
13 va procéder à la jonction de leur examen. La Chambre est saisie en vue de
14 l'examen de deux Actes d'accusation. Le premier, confirmé le 25 juillet
15 1995, affirme que Radovan Karadzic, président de l'administration des
16 Serbes de Bosnie, et Ratko Mladic, commandant de l'armée de
17 l'administration des Serbes de Bosnie, sont responsables d'un ensemble de
18 violations graves du droit international humanitaire qui auraient été
19 commises, depuis mai 1992, par des forces de l'administration des Serbes
20 de Bosnie sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine.
21 Cet Acte contient seize chefs d'accusation présentés en trois parties. La
22 Chambre constate qu'ils recouvrent toutes les incriminations de la
23 compétence du Tribunal, à savoir les infractions graves aux Conventions de
24 Genève de 1949, les violations des lois ou coutumes de la guerre, le
25 génocide et les crimes contre l'humanité.
Page 922
1 Les accusations pour crimes contre l'humanité concernent les persécutions
2 menées, pour des raisons politiques, raciales et religieuses, contre des
3 civils musulmans bosniaques et croates bosniaques, ainsi qu'à la campagne
4 de tirs isolés contre la population civile de la ville de Sarajevo. Ces
5 mêmes faits sont en outre individuellement qualifiés. L'accusation de
6 génocide est retenue pour la détention de civils dans des camps
7 d'internement et pour les traitements inhumains qu'ils y ont subis.
8 Sont qualifiés d'infractions graves aux Conventions de Genève de 1949
9 l'internement illégal de civils dans des camps, la destruction
10 considérable de biens et l'appropriation et le pillage de biens.
11 Sont qualifiés de violations des lois ou coutumes de la guerre,
12 l'internement illégal de civils, le pilonnage de rassemblements de civils,
13 la destruction d'édifices de culte, l'appropriation et le pillage de biens
14 et les tirs isolés contre des civils à Sarajevo.
15 Pour la prise en otage et l'utilisation comme "boucliers humains" de
16 membres des forces de maintien de la paix des Nations Unies, les accusés
17 sont considérés comme responsables d'infractions graves aux Conventions de
18 Genève et de violations des lois et coutumes de la guerre.
19 Le deuxième Acte d'accusation, confirmé le 16 novembre 1995, porte sur des
20 violations graves du droit international humanitaire qui auraient été
21 commises par des forces de l'administration des Serbes de Bosnie lors de
22 la prise, en juillet 1995, de la zone de sécurité de Srebrenica située à
23 l'est de la Bosnie-Herzégovine.
24 Radovan Karadzic et Ratko Mladic sont accusés de génocide, crimes contre
25 l'humanité, violations des lois et coutumes de la guerre pour les
Page 923
1 exécutions sommaires de Musulmans bosniaques dans et autour de Potocari et
2 de Karakaj, ainsi que dans les bois en direction de Tuzla.
3 La Chambre constate que les deux Actes, qui lui sont soumis, concernent
4 les mêmes personnes, Radovan Karadzic et Ratko Mladic et qu'ils font tous
5 deux appel à la responsabilité pénale individuelle des accusés, du fait de
6 leur position d'autorité dans l'administration des Serbes de Bosnie. Pour
7 ces raisons, en vue d'un nouvel examen en vertu de l'Article 61 du
8 Règlement, la Chambre a considéré souhaitable la jonction des deux Actes
9 d'accusation.
10 Voici le plan de la décision. La Chambre décrira d'abord les faits
11 incriminés, tels qu'ils résultent des Actes d'accusation et des éléments
12 de preuve soumis produits à leur soutien.
13 Elle portera ensuite son attention sur la responsabilité pénale
14 individuelle de Radovan Karadzic et de Ratko Maldic, plaçant, en premier
15 lieu, les faits incriminés dans leur contexte historique, politique et
16 militaire, notamment à la lumière du concept de la purification ethnique
17 et mettant en évidence, ensuite, le rôle des deux accusés dans cette
18 organisation. Elle qualifiera enfin juridiquement les faits, conformément
19 aux dispositions du Statut.
20 Une telle répétition d'actes militaires qui, tous, visent le même type de
21 population et manifestent la même volonté d'annihilation de la culture et
22 du rite religieux, une telle massification dans les effets des crimes
23 commis pose légitimement la question de savoir à quel niveau de
24 responsabilité il faut remonter pour trouver, tout à la fois, la
25 conception, la planification et l'organisation c’est-à-dire le plan
Page 924
1 concerté; puis l'exécution c’est-à-dire l'obtention du résultat recherché.
2 Ce regard porté sur l'analyse du conflit dans l'ex-Yougoslavie ne peut que
3 converger sans préjudice de responsabilité plus directe sur une
4 responsabilité d'ordre politique au sens le plus élevé, la responsabilité
5 pénale individuelle des supérieurs hiérarchiques et, en l'occurrence,
6 celle des dirigeants politiques et militaires. Il n'est d'ailleurs pas
7 d'exemple historique.
8 Ainsi les jugements des Tribunaux internationaux de Nuremberg et de Tokyo
9 ou ce ne soit par l'analyse du conflit sous l'angle de la conception dans
10 le dessein et de la planification dans l'exécution, le tout à la lumière
11 des résultats obtenus ou tentés de l'être que l'on ne rencontre le niveau
12 exact des responsabilités, c’est-à-dire le niveau majeur ou suprême.
13 Comme je l'ai indiqué, la Chambre va d'abord procéder à l'examen des faits
14 incriminés, ces faits résultant autant des éléments soumis par le
15 Procureur au soutien des Actes d'accusation que des documents et
16 témoignages présentés lors des audiences.
17 Nous traiterons successivement le premier Acte d'accusation puis le
18 second.
19 Le premier d'Acte d'accusation: les charges pesant contre les accusés au
20 titre du premier Acte d'accusation portent sur une série de faits
21 intervenus entre les mois d'avril 1992 et de juillet 1995 sur le
22 territoire de la Bosnie-Herzégovine. Ils comprennent l'établissement de
23 camps d'internement, la prise pour cibles de dirigeants politiques,
24 intellectuels et professionnels musulmans bosniaques et croates
25 bosniaques, le pilonnage de rassemblements de civils, l'appropriation, le
Page 925
1 pillage et/ou la destruction des biens, ainsi que la destruction
2 systématique d'édifices de culte. Ces actes criminels seront regroupés
3 sous trois rubriques principales consacrées respectivement aux crimes liés
4 aux entreprises militaires menées par les Serbes bosniaques, aux crimes
5 liés au siège de Sarajevo et aux crimes contre le personnel des Nations
6 Unies.
7 Les crimes liés aux entreprises militaires menées par les Serbes
8 bosniaques peuvent être regroupés eux-mêmes en quatre catégories. D'abord,
9 la détention illégale et les crimes commis pendant la détention. Au cours
10 de la période concernée, un réseau de camps administrés et dirigés par des
11 civils, des militaires et des policiers serbes bosniaques et répartis sur
12 l'ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine sous occupation serbe
13 bosniaque (Omarska, Keraterm, Trnopolje, Luka, Manjaca, Susica, KP Dom,
14 Foca, Livade, Batkovic, etc.) a servi à l'internement de milliers de
15 civils musulmans bosniaques et croates bosniaques, y compris des femmes,
16 des enfants et des personnes âgées, systématiquement sélectionnés et
17 rassemblés pour des raisons nationales, ethniques, politiques ou
18 religieuses. Détenus pendant des semaines, des mois ou même des années
19 dans des conditions de vie inhumaines -absence ou insuffisance de rations
20 alimentaires, de soins médicaux et de conditions hygiéniques appropriées-
21 ces personnes civiles ont par la suite été soit exécutées soit soumises à
22 des mauvais traitements et à d'autres atteintes à leur intégrité physique
23 et mentale visant leur destruction physique, ou utilisées comme boucliers
24 humains contre d'autres troupes. Après leur exécution, les dépouilles des
25 victimes des camps de KP Dom et de Luka ont été immergées dans des
Page 926
1 rivières voisines comme la Drina et la Sava. Dans le camp d'Omarska, de
2 nombreux détenus auraient été brûlés vifs par des soldats serbes à
3 l'occasion de la célébration, au mois de juillet 1993, de la Petrovda,
4 fête religieuse serbe.
5 A l'intérieur de ces camps ou en d'autres lieux, un grand nombre de femmes
6 et de filles détenues ont été de manière systématique violées et/ou
7 soumises à d'autres formes de violences sexuelles par des soldats et
8 policiers serbes ou leurs agents, avec le consentement et la complicité
9 des responsables des unités de détention. Certains de ces camps étaient
10 constitués en véritables "centres spécialisés" dans le viol des femmes. De
11 nombreux hommes ont également été victimes de viols et de sévices sexuels
12 de la part des forces serbes. En plusieurs occasions, des frères ou
13 parents ont été contraints à des relations sexuelles entre eux. Des
14 violences sexuelles particulièrement dégradantes sur les femmes -
15 utilisation d'objets divers- des castrations sur les hommes, parfois
16 accomplies sous la contrainte par des prisonniers entre eux, ont été
17 pratiquées.
18 Appropriation ou pillage de biens, destruction d'édifices du culte. Dans
19 les villes et les villages de Bosnie-Herzégovine passés sous leur
20 commandement, le personnel militaire et policier serbe bosniaque et
21 d'autres agents de l'administration des Serbes de Bosnie se sont, à une
22 grande échelle, de manière arbitraire et sous diverses formes, appropriés
23 les biens, meubles et immeubles, de civils musulmans bosniaques et croates
24 bosniaques. Avant leur transfert forcé, de nombreux détenus de camps
25 d'internement se sont vus contraints de signer des documents officiels
Page 927
1 serbes bosniaques par lesquels ils abandonnaient "volontairement" leurs
2 titres de propriété et la possession de leurs biens à l'administration des
3 Serbes de Bosnie. Avec l'approbation et le consentement des responsables
4 des camps d'internement ou sur leurs instructions, de nombreux détenus,
5 conduits sous escorte hors des camps vers leurs domiciles, leurs commerces
6 ou entreprises, ont été dépossédés de leurs fonds et autres biens de
7 valeur.
8 En d'autres lieux, afin d'écarter tout retour possible des victimes de ces
9 spoliations, les forces serbes bosniaques ont procédé à la destruction
10 systématique des immeubles. Ces destructions ont eu lieu aussi bien dans
11 des zones où les hostilités avaient cessé que dans des régions épargnées
12 par ces hostilités ou dans lesquelles les populations s'étaient rendues
13 sans résistance. Dans des cités comme Foca, où quartiers serbes et non
14 serbes se côtoyaient, les premiers étaient soigneusement épargnés.
15 Sur toute l'étendue du territoire de la Bosnie-Herzégovine placé sous leur
16 contrôle, les forces serbes bosniaques se sont employées à une destruction
17 quasi systématique du patrimoine culturel musulman et catholique, et
18 notamment des édifices sacrés. Selon les estimations chiffrées fournies à
19 l'audience par le témoin expert, le Dr Kaiser, un total de 1123 mosquées,
20 504 églises catholiques et 5 synagogues, ont été détruites ou endommagées,
21 pour l'essentiel en l'absence d'actions militaires ou après leur
22 cessation.
23 Ainsi en est-il de la destruction de tout l'héritage islamique et
24 catholique dans la zone de Banja Luka, démographiquement dominée par les
25 Serbes, et dont le point de combat le plus proche se trouvait à plusieurs
Page 928
1 dizaines de kilomètres de là. Les mosquées et les églises catholiques ont
2 été totalement détruites. Certaines mosquées ont été détruites à
3 l'explosif, les ruines terrassées et déversées dans les dépotoirs publics
4 afin d'éliminer tout vestige de la présence musulmane. En dehors des
5 églises et des mosquées, d'autres symboles religieux et culturels, tels
6 que des cimetières et des monastères, ont été la cible des attaques.
7 Expulsions et déportations. Des milliers de civils ont été expulsés ou
8 déportés illégalement en d'autres lieux à l'intérieur ou à l'extérieur de
9 la République de Bosnie-Herzégovine. Enlevés à leurs domiciles, de
10 nombreux civils comprenant des femmes, des enfants et des personnes âgées
11 ont été utilisés dans le cadre d'échanges de prisonniers. Ces expulsions
12 ont eu pour effet l'élimination totale ou partielle de Musulmans et de
13 Croates bosniaques de certaines régions de Bosnie-Herzégovine occupées par
14 les Serbes bosniaques. Dans les municipalités de Prijedor, de Foca, de
15 Vlasenica, de Brcko et de Bosanski Samac, pour ne citer que celles-ci, la
16 population non serbe, à l'origine majoritaire, a été systématiquement
17 exterminée ou expulsée par la force et l'intimidation.
18 Au titre des moyens de pression utilisés, le Procureur note la diffusion à
19 la radio de communiqués enjoignant les Musulmans de quitter la ville sous
20 peine d'exécution: "Pour un Serbe tombé sur le front, 10 Musulmans
21 seraient tués."
22 A la même époque, dans les villes de Prijedor, Vlasenica, Bosanski Samac,
23 Brcko et Foca, le personnel militaire et policier serbe bosniaque a soumis
24 à des persécutions les dirigeants et les membres des partis politiques non
25 serbes, notamment le Parti d'Action Démocratique SDA, essentiellement
Page 929
1 musulman, et l'Union Démocrate Croate HDZ, principal parti politique
2 croate. Sur la base de listes établies par le Parti Démocratique serbe
3 SDS, ces dirigeants ont été arrêtés, internés, soumis à des violences
4 physiques et, dans de nombreux cas, exécutés.
5 D'une manière générale, des dirigeants politiques, intellectuels et
6 professionnels musulmans bosniaques et croates bosniaques, ont été
7 victimes des persécutions des groupes serbes bosniaques.
8 Pilonnages de rassemblements de civils. Tout au long du conflit, la
9 stratégie des forces serbes bosniaques a consisté à cibler les civils de
10 manière non discriminée. Ainsi en a-t-il été de Sarajevo tout au long de
11 son siège, des zones de sécurité de Srebrenica, de Zepa, de Goradze, de
12 Bihac et de Tuzla à certains moments.
13 Du mois de juillet 1992 au mois de juillet 1995, de nombreux
14 rassemblements de civils, le plus souvent sur des stades ou des places
15 publiques, ont été la cible de pilonnages de la part des forces militaires
16 serbes bosniaques, dans le but de tuer, terroriser et démoraliser la
17 population civile.
18 Crimes à présents liés au siège de Sarajevo. Du 5 avril 1992 au 31 mai
19 1995 la ville de Sarajevo a été assiégée par les forces serbes bosniaques.
20 Au cours de cette période, elle a été soumise à une campagne systématique
21 et délibérée de tirs isolés, dont les premiers auraient été effectués le 6
22 avril 1992 à partir du siège du Parti Démocratique Serbe SDS à l'hôtel
23 Holliday Inn. Les membres de l'armée des Serbes de Bosnie, auteurs de ces
24 tirs, ont utilisé des armes de haute technologie pour atteindre des
25 populations vaquant à leurs occupations quotidiennes. Parmi les morts et
Page 930
1 les blessés, on dénombre des enfants, des femmes et des personnes âgées.
2 Crimes commis sur le personnel militaire des Nations Unies. En réaction
3 aux interventions aériennes des forces de l'Organisation du Traité de
4 l'Atlantique Nord contre des cibles militaires serbes, les forces serbes
5 bosniaques ont, entre le 26 mai et le 2 juin 1995, pris en otage 284
6 membres des forces de maintien de la paix de l'ONU en mission, entre
7 autres, dans les régions de Pale, Sarajevo, Gorazde. Aux environs du 26
8 mai 1995, les forces serbes bosniaques ont sélectionné des observateurs
9 militaires des Nations Unies exerçant dans la région de Pale pour servir
10 de "boucliers humains". Ces observateurs ont été placés et menottés sur
11 des cibles potentielles des "frappes aériennes" de l'OTAN, notamment au
12 dépôt de munitions de Joharinski Potok, et sur le site des installations
13 radars de Jahorina et un centre de communications voisin.
14 Des délégations militaires et politiques serbes bosniaques de haut niveau,
15 comprenant entre autres le Pr Koljevic, alors vice-président de la
16 Republika Srspka et président de la Commission d'Etat pour la coopération
17 avec les Nations Unies et les autres organisations humanitaires, sont même
18 venus inspecter et photographier la scène. Selon l'un des otages, le
19 Capitaine canadien Rechner, observateur militaire des Nations Unies en
20 poste à Pale et responsable, entre autres, des liaisons entre la Force de
21 Protection des Nations Unies, FORPRONU, et l'administration des Serbes de
22 Bosnie, et fréquemment en contact avec le cabinet de Radovan Karadzic, la
23 prise d'otages aurait été officiellement décidée au niveau le plus élevé
24 de la hiérarchie.
25 A présent les faits incriminés du deuxième Acte d'accusation: les charges
Page 931
1 pesant contre Radovan Karadzic et Ratko Mladic au titre du second Acte
2 d'accusation portent sur une série de crimes commis lors des opérations
3 militaires ayant entraîné et suivi, en juillet 1995, la chute de l'enclave
4 de Srebrenica.
5 Du fait de l'occupation militaire de leurs villages en Bosnie orientale
6 par les forces serbes bosniaques, les populations musulmanes de cette
7 région se sont enfuies notamment vers les enclaves de Gorazde, Zepa, Tuzla
8 et Srebrenica. Afin d'assurer la protection requise à ces personnes, le
9 Conseil de sécurité des Nations Unies, agissant en vertu du chapitre VII
10 de la Charte, a exigé des parties au conflit, dans sa résolution 819, du
11 16 avril 1993, de considérer l'enclave de Srebrenica comme une zone de
12 sécurité ne devant, à cet égard, pas faire l'objet d'offensives armées ou
13 de tout autre acte hostile. Assiégée depuis le mois d'avril l995,
14 l'enclave de Srebrenica est devenue la cible des pilonnages des forces
15 serbes bosniaques à partir du 6 juillet1995, avant de tomber aux mains de
16 ses dernières le 11 juillet1995. S'en est alors suivie l'odyssée de 40 000
17 Musulmans que comptait cette zone de sécurité.
18 Dans un premier temps, les populations de l'enclave se sont rassemblées
19 dans et autour du campement des Nations Unies de Srebrenica. Puis,
20 victimes des tirs d'obus des forces serbes bosniaques, elles ont adopté
21 deux lignes de conduite différentes.
22 Plusieurs milliers de femmes, d'enfants et d'hommes, âgés pour la plupart,
23 sont allés chercher refuge auprès du Bataillon néerlandais de la FORPRONU
24 stationné à Potocari. Un second groupe, composé surtout d'hommes musulmans
25 valides, 15 000 environ, et non armés pour la plupart, s'est formé à
Page 932
1 Susnjari dans la soirée du 11juillet 1995 et a fui, en une immense
2 colonne, à travers les bois en direction de Tuzla, zone contrôlée par le
3 gouvernement bosniaque. Quelle que soit la ligne suivie, les Musulmans
4 bosniaques ont dû faire face au même destin, fait de déportations,
5 d'exécutions sommaires ou en masse, de tortures, de viols et d'autres
6 humiliations.
7 Scènes de cauchemar comptant, comme l'a fait observer le Juge de la
8 confirmation lors de l'examen de l'Acte d'accusation, "parmi les pages les
9 plus noires de l'histoire de l'humanité".
10 Les massacres dans les bois. Il résulte des éléments du dossier ainsi que
11 des dépositions entendues à l'audience que, dès la matinée du 12 juillet
12 1995, des soldats serbes bosniaques positionnés le long de la route
13 Bratunac-Nova Kasaba, et utilisant des véhicules blindés de transport de
14 troupes, des chars d'assaut, des canons antiaériens et de l'artillerie,
15 ont tendu de nombreuses embuscades à la colonne de Musulmans bosniaques
16 tentant de rejoindre Tuzla à travers les bois. Pris au piège derrière les
17 lignes serbes bosniaques, et prêtant l'oreille aux garanties de sécurité
18 promises par les Serbes en cas de reddition, un certain nombre de fuyards
19 se sont rendus ou ont été fait prisonniers. Dans l'un et l'autre cas, des
20 milliers de Musulmans ont été sommairement exécutés soit à l'endroit de
21 leur reddition ou de leur capture, soit en d'autres lieux. De nombreux
22 témoins décrivent l'infiltration de la colonne par des soldats serbes
23 bosniaques donnant à la foule de fausses indications de direction,
24 essayant ainsi d'attirer les gens vers des embuscades ou de les orienter
25 vers la route Bratunac-Nova Kasaba où l'armée les attendait.
Page 933
1 La barbarie des méthodes d'exécution et de mutilation employées par les
2 troupes serbes bosniaques était telle qu'une vague de folie s'est emparée
3 des réfugiés musulmans, et que nombre d'entre eux se sont suicidés. Parmi
4 les moyens utilisés, les survivants des massacres font en particulier état
5 de l'utilisation de balles explosives, dites "dum durri bullets" et
6 d'armes blanches.
7 L'enquêteur Jean-René Ruez a rapporté à l'audience l'horreur de certaines
8 scènes. Des rescapés ont vu un homme contraint de manger le foie de son
9 petit-fils égorgé sous son regard par un soldat serbe; une femme assistait
10 impuissante à l'exécution de son bébé à coups de baïonnette. Le Tribunal,
11 à dessein, n'en décrira pas d'autres.
12 Exécutions en masse à Kravica. Le 13 juillet 1995, un grand groupe
13 d'environ 500 à 1000 Musulmans bosniaques qui étaient encerclés après
14 l'embuscade de Kamenica se rend aux soldats serbes bosniaques sur la route
15 asphaltée, d'où il est conduit dans un champ à Santici, puis à pied en
16 direction de Kravica. A cet endroit, le groupe est contraint de rentrer
17 dans un hangar qui le contient à peine. Les soldats entourant le hangar
18 ouvrent le feu par toutes les ouvertures, jettent des grenades à
19 l'intérieur. Ce groupe sera, à quelques rares exceptions près, exterminé.
20 Exécutions en masse près de Karakaji Lazete.
21 D'après les descriptions faites par les rescapés, les opérations, dont les
22 massacres de Karakaj ont été l'un des aboutissements, se sont déroulées
23 suivant le scénario suivant: après leur reddition ou leur capture, des
24 milliers, parmi les Musulmans faisant initialement partie de la colonne
25 fuyant vers Tuzla, ont été conduits vers divers points de rassemblement ou
Page 934
1 de transit, notamment un terrain de football situé à Nova Kasaba, le
2 hangar de Bratunac, puis vers le centre scolaire de Grbavica situé près de
3 Karakaj.
4 Pendant la journée du 14 juillet 1995, des soldats serbes bosniaques ont
5 emmené tous les détenus musulmans, groupe après groupe, hors de l'école,
6 les ont fait monter dans des camions.
7 Les yeux bandés ou les mains liées derrière le dos, selon le cas, les
8 détenus ont été par la suite conduits, les uns dans un champ situé près de
9 l'école de Grbavica, les autres près d'un lac de barrage où ils ont tous
10 été exécutés. Ceux donnant des signes de vie étaient achevés.
11 Présent sur l'un des lieux, le Général Mladic a assisté à l'exécution de
12 ceux des détenus qui se trouvaient sur le site lors de son passage. Une
13 excavatrice a creusé par la suite une fosse. Les massacres ont eu lieu de
14 midi à minuit environ, le 14 juillet, les camions arrivant sur les aires
15 d'exécution toutes les dix à quinze minutes. Le nombre de personnes
16 exécutées sur ce site est évalué à 2500 par l'un des rescapés.
17 Au cours de cette même journée du 14 juillet 1995, un témoin se trouvant à
18 l'intersection de Konjevic voit trois autobus remplis d'hommes, suivis par
19 un véhicule blindé sur roues et un excavateur, prendre une petite route
20 menant à Cerska. Ces autobus reviendront ultérieurement, sans leurs
21 occupants.
22 Exécutions en masse à la ferme de Branjevo et en d'autres lieux.
23 D'après la déposition à l'audience du témoin Drazen Erdemovic, par
24 ailleurs accusé devant le présent Tribunal pénal international, des civils
25 musulmans précédemment détenus dans l'école de Pilica ont été conduits par
Page 935
1 autobus le 16 juillet 1995 à la ferme de Branjevo. Les 1200 personnes de
2 ce contingent ont été toutes exécutées par les soldats de l'unité à
3 laquelle appartenait Drazen Erdemovic. Ce dernier a participé aux
4 exécutions.
5 Après le 16 juillet 1995, de nombreux groupes de Musulmans tentant encore
6 de rejoindre Tuzla par les bois continuent d'être massacrés par les
7 soldats serbes bosniaques.
8 A Konjevic Polje, la moitié d'un groupe de 150 personnes, à Udric, un
9 autre groupe de 150 personnes, le 17 juillet, 250 personnes capturées sont
10 rassemblées autour d'une fosse commune, y sont poussées vivantes par une
11 excavatrice.
12 Exécutions sommaires à Potocari.
13 Potocari et ses alentours constituaient le point de rassemblement de la
14 plupart des femmes, enfants, vieillards et invalides ayant fait mouvement
15 vers la base de la FORPRONU tenue par le bataillon néerlandais. N'ayant pu
16 tous trouver protection à l'intérieur du camp, beaucoup ont passé les
17 nuits du 1l au 13 juillet 1995 dans des usines voisines, puis ont été
18 transférés en camion vers les zones contrôlées par les forces
19 gouvernementales bosniaques. Quant aux quelques hommes présents en âge de
20 combattre, ils ont été transportés vers des lieux d'exécution.
21 Potocari et ses alentours ont été le site d'exécutions sommaires. Quelques
22 centaines de personnes auraient été sélectionnées et cruellement
23 massacrées à l'arme blanche. Pendant plusieurs heures, dans la journée du
24 12 juillet 1995, des soldats serbes désignent arbitrairement des réfugiés
25 dans la foule de Musulmans, les rassemblent par petits groupes de dix
Page 936
1 avant de les conduire derrière l'usine du Ozmar où ils seront mutilés et
2 égorgés.
3 Il faudra près de cinq voyages à un camion pour récupérer les corps de
4 personnes ainsi exécutées. Ce processus de sélection et d'exécution se
5 poursuivra jusque dans la matinée du 13.
6 Ces massacres arbitraires, et d'une rare cruauté, ont suscité une terreur
7 et une panique telles parmi les Musulmans restés sur place que certains se
8 sont suicidés. Des témoins rapportent de nombreuses scènes d'horreur,
9 entre autres l'exécution à l'arme blanche de plusieurs bébés sous le
10 regard de leurs mères.
11 Le Tribunal pénal international n'est pas saisi des conditions dans
12 lesquelles l'enclave devait être défendue. Le Procureur a néanmoins requis
13 le témoignage du colonel Karremans, commandant du Bataillon néerlandais,
14 ainsi que de deux de ses hommes. Au cours de son audition, le chef de
15 Corps, tout en reconnaissant qu'une liste des hommes présents parmi les
16 réfugiés aurait été remise par l'un de ses officiers à un officier serbe,
17 a décrit l'impuissance de son unité à éviter la tragédie.
18 Il en a avancé plusieurs causes: rapport de forces déséquilibré en hommes
19 et en armements; effets logistique et psychologique sur le Bataillon lors
20 du blocus de l'enclave; contexte international défavorable.
21 Avant de conclure, je cite: "Le 25 mai, dans un très long rapport, j'ai
22 informé tous les niveaux de la hiérarchie et mes autorités que je n'étais
23 plus en mesure d'accomplir ma mission et d'exécuter mes ordres. En fait,
24 cela signifiait la fin de ma mission. Nous avons alors commencé à nous
25 débrouiller, à improviser. Ce faisant, nous avons réussi à tenir jusqu'au
Page 937
1 6 juillet dans le cadre de notre mission."
2 Il résulte de l'ensemble des éléments du dossier de confirmation ainsi que
3 des éléments de preuve complémentaires présentés à l'audience par le
4 Procureur que:
5 a) Les localités et lieux suivants de la Bosnie-Herzégovine sous contrôle
6 serbe bosniaque ont servi de points de rassemblement ou de transit des
7 prisonniers: Srebrenica, Potocari, Bratunac, Santici, Nova Kasaba, école
8 de Tisca, Lazete et l'école de Grbaviva, école de Pilica;
9 b) Les endroits suivants ont été des sites d'exécution: Srebrenica,
10 Potocari, la zone de l'intersection de Konjevici ainsi que toute la zone
11 le long de la route, entre Konjevic Polje et Nova Kasaba, la rivière
12 Jadar, la vallée de la Cerska, les collines situées à proximité de
13 Vlasenica, de Lazete, et le plateau du barrage de Lazete, la ferme de
14 Branjevo;
15 c) Les fosses communes ont été identifiées aux endroits suivants: deux
16 fosses à Tatar Glogova, trois fosses communes potentielles à proximité du
17 terrain de football de Nova Kasaba, une fosse commune dans la vallée de la
18 Cerska, deux fosses communes se trouvant sur le site d'exécution de
19 Lazete, le plateau du barrage de Lazete, fosse commune potentielle à
20 vérifier, et enfin la ferme de Branjevo.
21 L'ensemble de ces opérations ayant entraîné, puis suivi la chute de
22 l'enclave de Srebrenica, s'est déroulé sous le contrôle du Général Ratko
23 Mladic dont la présence est surabondamment rapportée à plusieurs moments
24 décisifs.
25 A son entrée dans Srebrenica, il s'adresse à la presse en ces termes: "Et
Page 938
1 voilà! Srebrenica est serbe en ce 11 juillet 1995. A la veille d'une autre
2 grande fête serbe, nous offrons cette ville au peuple serbe. Enfin, après
3 la rébellion contre les Dahijas, le moment est venu de nous venger des
4 Turcs dans cette région".
5 Autour de la base de la FORPRONU de Potocari, le Général Mladic est
6 présent le 12 juillet 1995. Il y donne une brève intervention à la presse,
7 s'adresse à la foule qu'il feint d'apaiser. Sur ses instructions, les
8 hommes ont été séparés des femmes et embarqués dans des bus.
9 A Bratunac, le général Mladic rend visite, le 13 juillet, aux détenus se
10 trouvant dans un hangar leur expliquant qu'ils feront l'objet d'un échange
11 ultérieur. Dans la nuit du 13 au 14 juillet, lors de l'évacuation des
12 détenus en direction de l'école de Grbavica, le Général Mladic a été
13 aperçu donnant des instructions à ses troupes.
14 A Santici, le général Mladic est également présent et s'adresse à une
15 forte concentration de prisonniers et leur tient un discours rassurant.
16 Des exécutions en masse suivront son départ. Il s'adresse le 13 juillet à
17 une foule de prisonniers avant son transfert vers Nova Kasaba, participe
18 personnellement à la séparation d'un groupe d'une trentaine d'hommes parmi
19 les prisonniers.
20 Le 14 juillet, le général Mladic est présent à l'école de Grbavica où il
21 s'adresse une fois de plus aux prisonniers. Son départ est immédiatement
22 suivi du transfert des détenus vers un site d'exécution. C'est sur ce site
23 qu'il sera ultérieurement aperçu, en soirée, par le Témoin A, l'un des
24 rescapés des massacres en masse.
25 S'agissant spécialement des événements de Kravica et de la ferme de
Page 939
1 Branjevo, qui n'apparaissent pas dans l'Acte d'accusation du 16 novembre
2 1995, mais dont la survenance a été abondamment démontrée lors des
3 audiences, la Chambre invite le Procureur à compléter l'Acte d'accusation.
4 A présent, conformément au plan que la Chambre décide suivre, nous
5 abordons la quatrième partie: l'imputation des faits, la responsabilité
6 pénale et individuelle.
7 Les éléments présentés par le Procureur à l'appui de l'accusation
8 permettent de considérer que les faits incriminés ont été commis en vertu
9 d'un projet politique et d'une organisation institutionnelle et militaire,
10 dont il convient ici de retracer les grandes lignes. La Chambre
11 s'attachera ensuite à l'analyse de la prise de pouvoir dans certaines
12 parties de la République de Bosnie-Herzégovine et des conséquences qu'elle
13 a emportées.
14 Tout d'abord, le contexte historique et politique dans lequel s'insèrent
15 les actes incriminés.
16 La Bosnie-Herzégovine était l'une des six Républiques et deux régions
17 autonomes constituant la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie,
18 la RSFY. A la suite du dernier congrès de la Ligue des Communistes
19 Yougoslaves, LCY, le 20 janvier 1990, au cours duquel le rôle dominant du
20 parti communiste fut aboli, des élections furent organisées dans toutes
21 les Républiques.
22 Dans la République de Bosnie-Herzégovine, les élections législatives se
23 déroulent aux mois de novembre et décembre 1992 et sont remportées par
24 trois partis nationalistes, le SDA, Parti d'action démocratique pour les
25 Musulmans, le Parti démocratique serbe, SDS, et l'Union démocratique
Page 940
1 croate, HDZ.
2 A l'issue de ces élections, ces trois partis forment une coalition et se
3 répartissent les postes institutionnels principaux au sein de la
4 République. Le Président de la République est un Bosniaque musulman, Alija
5 Izetbegovic, celui du Parlement, un Serbe, Momcilo Krajisnik, et le
6 Premier ministre, un Croate, Jure Pelivan.
7 Derrière cet apparent consensus, il semble que le SDS poursuive un
8 objectif qui diffère de celui des autres partis représentés dans les
9 institutions de la République. Cet objectif est la prise du pouvoir dans
10 certaines régions de cette République.
11 La préparation politique, le programme du Parti démocratique serbe de
12 Bosnie-Herzégovine, SDS, avant d'aborder la préparation institutionnelle,
13 la préparation militaire. Donc préparation politique et l'idée de Grande
14 Serbie:
15 Le Parti Démocratique Serbe de Bosnie-Herzégovine, que je nommerai
16 désormais le SDS, a été créé en juillet 1990 en vue des élections devant
17 se dérouler à la fin de l'année. Les thèmes qu'il utilise ne peuvent être
18 compris qu'à la lumière du processus de dissolution de la RSFY, c'est-à-
19 dire de la République de la Yougoslavie. Son but affiché est la défense
20 des droits du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine.
21 Lors de la conférence aboutissant à la création du parti, en juillet 1990,
22 Radovan Karadzic, qui en devient le président, insistait sur la nécessité
23 d'accorder une égalité totale aux Serbes de Bosnie-Herzégovine, alléguant
24 la destruction par le système en vigueur de la nation serbe et le
25 "génocide" qui continuerait d'être perpétré contre les Serbes.
Page 941
1 Les thèmes utilisés par le SDS sont apparemment similaires à ceux
2 développés par l'ensemble des nationalistes serbes dans la RSFY. Ils sont
3 ainsi présents dans le mémorandum de l'Académie des Sciences de Serbie de
4 1986, qui condamnait une prétendue dérive bureaucratique du régime de la
5 Yougoslavie ainsi, je cite, que: "Un génocide physique, politique, légal
6 et culturel" qui serait perpétré au Kosovo contre la population serbe de
7 cette province.
8 La tendance nationaliste qui s'exprime dans ce texte est utilisée par le
9 nouveau pouvoir en Serbie. Le président de la ligue communiste de la
10 République de Serbie, Slobodan Milosevic, lance ainsi à partir de 1987 une
11 "révolution anti-bureaucratique" qui se joint à une lutte contre la
12 décentralisation.
13 Selon le professeur Garde, témoin expert, "sous le masque de la révolution
14 anti-bureaucratique se cache l'essai de reprise en main par les Serbes de
15 l'ensemble de la Fédération, ce qui, naturellement apparaît comme une
16 menace pour tous les autres peuples."
17 A compter de cette date, le pouvoir en Serbie organise des rassemblements
18 populaires sur les thèmes de la lutte contre la bureaucratie et de la
19 défense de la nation serbe. Ces rassemblements organisés en Serbie mais
20 également en Croatie et en Bosnie-Herzégovine visent, notamment par
21 l'évolution des massacres de la Seconde Guerre mondiale, à réveiller les
22 tensions envers les autres peuples de la Yougoslavie.
23 Le SDS promeut le maintien de la République de Bosnie-Herzégovine dans la
24 Fédération Yougoslave, comme en témoigne la position exprimée par les
25 députés de ce parti, le 10 juin 1991, mais avec l'idée d'en détourner à
Page 942
1 son profit le fonctionnement.
2 De fait, il semble que le système fédéral ait définitivement cessé de
3 fonctionner avec le blocage de la rotation de la présidence fédérale par
4 le groupe serbe au sein de la Présidence, le 17 mai 1991. A la faveur des
5 rassemblements populaires organisés à partir de 1987 par les dirigeants de
6 la République de Serbie, l'opposition politique est affaiblie non
7 seulement en Serbie, mais aussi au Monténégro et dans les deux provinces
8 autonomes que sont le Kosovo et la Vojvodine.
9 Un bloc serbe se constitue progressivement autour de la République de
10 Serbie, du Monténégro et des provinces du Kosovo et de la Vojvodine, dont
11 l'autonomie est réduite par des changements constitutionnels. Disposant
12 ainsi de quatre voix sur huit, ce bloc serbe empêche la succession
13 automatique à la Présidence de la Fédération Yougoslave de son membre
14 croate, Stipe Mesic.
15 Face à cette concrétisation du dysfonctionnement des institutions
16 fédérales, la Slovénie et la Croatie proclament officiellement leur
17 indépendance le 26 juin 1991, après avoir organisé un référendum. A partir
18 du moment où le processus de dissolution des institutions fédérales est
19 entamé, et où l'Armée populaire Yougoslave, la JNA, intervient en Slovénie
20 et en Croatie provoquant un violent conflit dans cette dernière
21 République, le Parlement bosniaque se prononce également en faveur de
22 l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, les 14 et 15 octobre 1991.
23 On peut considérer que la revendication par le SDS en Bosnie-Herzégovine
24 d'un maintien dans le système fédéral yougoslave est, dans ce contexte,
25 une revendication visant en réalité à la constitution d'un nouvel Etat
Page 943
1 fédéral dominé par les Serbes.
2 Il apparaît que ce projet est inspiré par une certaine volonté de
3 division. Radovan Karadzic, dans un discours prononcé en novembre 1991,
4 affirmait notamment, partiellement: "Il nous faut séparer le plus de
5 choses possibles, comme au temps des Turcs: un centre-ville serbe, un
6 centre-ville turc; les questions serbes, les questions turques; les cafés,
7 théâtres, écoles serbes, et tout le reste. C'est la seule solution".
8 La solution recherchée paraît se fonder sur un principe d'exclusion
9 nationale. Dans le discours précité, Radovan Karadzic, évoquant les
10 discriminations dont seraient victimes les Serbes et les dangers qu'ils
11 encourraient, notamment à Sarajevo, s'exprimait ainsi: "Il n'est pas
12 toujours bon de dévoiler ses plans, mais il n'est pas mauvais tout de même
13 de dire que nous n'y renoncerons pas car nous dirons publiquement "Vous ne
14 devez pas vendre de terre aux Musulmans! Vous ne devez pas! Ici se mènent
15 des combats pour notre survie, des combats pour conserver notre espace
16 vital."".
17 Le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine était habité par une
18 population très mélangée. Sur 4,4 millions d'habitants, aux termes du
19 dernier recensement de 1991, les Bosniaques musulmans représentaient 44%
20 de la population, les Serbes 31,5%, les Croates 17%.
21 La répartition de cette population était de surcroît extrêmement complexe,
22 et il semble qu'il y ait eu un grand nombre de mariages entre les membres
23 des différentes nationalités. Selon M. Kupusovic, maire de Sarajevo entre
24 1994 et 1996, cité comme témoin par le Procureur: "Il y avait à Sarajevo,
25 avant la guerre, 30% de mariages mixtes, et les enfants nés de ces
Page 944
1 mariages mixtes se considéraient plutôt comme yougoslaves ou bosniaques,
2 sans véritablement considérer qu'ils appartenaient à un groupe ethnique
3 distinct".
4 Les autorités centrales de la Bosnie-Herzégovine, ainsi que les autorités
5 de Sarajevo, semblent avoir tenté, alors que les tensions s'accentuaient,
6 de promouvoir l'idée d'un Etat commun et d'une ville commune
7 pluriethnique.
8 La position du SDS, en ce qui concerne le devenir de la Bosnie-Herzégovine
9 révèle quant à elle, au moins à partir de l'automne 1991, que l'emploi de
10 la force n'est pas écarté pour modifier l'organisation de cette République
11 au cas où celle-ci quitterait la Fédération. Dans cette hypothèse des
12 menaces sont proférées à l'encontre des groupes ou des individus
13 n'adhérant pas aux projets du SDS, et notamment des Bosniaques musulmans.
14 Dans son discours des 14 et 15 octobre 1991, à l'Assemblée de Bosnie-
15 Herzégovine, Radovan karadzic déclarait, en s'adressant aux parlementaires
16 favorables à l'indépendance de la République de Bosnie-Herzégovine: "Vous
17 voulez faire parcourir à la Bosnie-Herzégovine la même route d'enfer et de
18 misère sur laquelle la Slovénie et la Croatie se sont engagées. Attention,
19 vous allez entraîner la Bosnie-Herzégovine en enfer et allez entraîner
20 l'annihilation, l'élimination du peuple musulman parce que les Musulmans
21 ne peuvent pas se défendre s'il y a la guerre. Comment voulez-vous
22 empêcher que les gens soient tués en Bosnie?"
23 Il apparaît que le projet du SDS recherche ainsi à concrétiser l'idée
24 d'une grande Serbie sous la forme d'un territoire nationalement ou
25 ethniquement homogène qui, selon le professeur Garde, particulièrement en
Page 945
1 Bosnie-Herzégovine, représentait une vision utopique, sauf à admettre le
2 recours à la violence pour la réaliser. L'exemple précurseur de cette
3 violence était donné par le conflit se déroulant en République de Croatie,
4 conflit contemporain aux prises de position de Radovan Karadzic qui ont
5 été analysées.
6 Selon les termes de ce témoin, le Pr Garde, "L'idée de Grande Serbie
7 n'implique pas logiquement le "nettoyage ethnique", mais l'exemple suivi
8 pendant la guerre de Croatie montre qu'il l'impliquait en fait."
9 L'emploi de la force semble dès ce moment être envisagé par le président
10 du SDS, en vue notamment de procéder à la séparation des populations
11 nationalement diverses. La Chambre doit à présent s'interroger sur
12 l'existence d'une préparation institutionnelle et militaire aux fins de la
13 réalisation de ce projet.
14 La préparation institutionnelle sera vue d'abord au niveau central.
15 Constitution d'une structure institutionnelle centrale parallèle et la
16 définition du territoire, avant d'aborder le problème local: avant même la
17 tenue des élections des mois de novembre et décembre 1990 dans la
18 République de Bosnie-Herzégovine, un Conseil national serbe de Bosnie-
19 Herzégovine est constitué à Banja Luka. C'est un organe non officiel censé
20 représenter les intérêts des Serbes.
21 Il est composé de membres du SDS, Radovan Karadzic en est Président. Sa
22 première décision pose que le peuple serbe de Bosnie-Herzégovine
23 n'acceptera de modification du statut de cette République que décidée par
24 un référendum du peuple serbe.
25 Le 23 octobre 1991, le président du groupe des députés serbes de
Page 946
1 l'Assemblée, Vojislav Maksimovic, invite les représentants des partis
2 serbes à la session constituante d'une "Assemblée du peuple Serbe de
3 Bosnie-Herzégovine", qui se tient le lendemain. Cet événement intervient à
4 la suite du vote du Parlement de Bosnie-Herzégovine, les 14 et 15 octobre
5 1991, par lequel celui-ci se prononçait en faveur de la souveraineté de la
6 Bosnie-Herzégovine et son retrait de la Fédération yougoslave.
7 Le 24 octobre 1991, cette nouvelle Assemblée des Serbes de Bosnie,
8 présidée par l'ancien président de l'Assemblée de la Bosnie-Herzégovine,
9 Momcilo Krajisnik, décide que le peuple serbe de Bosnie-Herzégovine doit
10 rester dans l'Etat commun de Yougoslavie, ceci dit en ces termes:
11 "Conformément au droit à l'autodétermination, et dans le but de protéger
12 de manière complète et permanente les droits et les intérêts du peuple
13 serbe, le peuple serbe de Bosnie-Herzégovine décide qu'il demeurera dans
14 l'Etat commun de Yougoslavie, avec la Serbie, le Monténégro, le district
15 autonome serbe de Krajina, le district autonome serbe de la Slavonie, de
16 la Baranja et du Srem occidental, ainsi que d'autres ayant exprimé le même
17 souhait".
18 Des régions ou districts autonomes serbes, dont la région autonome serbe
19 de Krajina, qui se soustraient au pouvoir des institutions centrales de la
20 Bosnie-Herzégovine, ont commencé à être créés par le SDS dès le printemps
21 1991.
22 Il apparaît ainsi que la constitution d'une structure institutionnelle,
23 parallèle au pouvoir central légal, se double d'une nouvelle définition du
24 territoire.
25 Le professeur Garde notait lors de l'audience: "Tant que la Yougoslavie
Page 947
1 existait en tant qu'Etat fédéral, le but des nationalistes serbes était
2 simplement de renforcer la centralisation dans cet Etat. Au fur et à
3 mesure que cet idéal s'éloigne, commence à germer l'idée que, peut-être,
4 il faudra s'accommoder du fait qu'il y a des frontières entre les
5 Républiques; et par conséquent, faire modifier leur place. C'est à ce
6 moment-là que commence à germer l'idée d'une redistribution des
7 territoires".
8 La Croatie avait vu, selon un processus analogue, se former sur son
9 territoire des régions autonomes serbes, auxquelles la décision de
10 l'Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine fait référence. Cette
11 décision exprime dès lors assez clairement le projet envisagé: création de
12 régions autonomes se soustrayant au pouvoir central de chaque République,
13 réunion de ces régions en un nouvel Etat Yougoslave.
14 Le 24 octobre 1991, l'Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine
15 décide en outre de donner mandat à certaines personnalités pour la
16 représenter "au sein des organes de la Fédération, ainsi que dans les
17 relations avec d'autres Etats et organisations et institutions
18 internationales".
19 Radovan Karadzic, président du SDS, est chargé de la représentation auprès
20 de la présidence de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie. Le
21 21 novembre 1991, l'Assemblée du peuple Serbe en Bosnie-Herzégovine adopte
22 une décision sur la "vérification des territoires autonomes serbes
23 proclamés en Bosnie-Herzégovine".
24 Il s'agit d'une délimitation territoriale, encore imprécise, de ces
25 différentes régions qui constituent des "entités fédérales de l'Etat
Page 948
1 commun de Yougoslavie".Un mois plus tard, ce même organe décide de créer
2 la "République du peuple Serbe de Bosnie-Herzégovine" et de la doter d'un
3 conseil des ministres.
4 Le 9 janvier 1992, la République du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine est
5 proclamée.
6 L'article 1er de cette déclaration comprend une définition du territoire de
7 cette République. Il inclut les régions et districts autonomes et "les
8 autres ensembles ethniques serbes", enfin, "les régions dans lesquelles la
9 population serbe est restée minoritaire en raison du génocide dont elle a
10 été l'objet lors de la Deuxième Guerre mondiale".
11 Pour ses auteurs, la formule rend la définition du territoire extensive et
12 renvoie à un mythe nationaliste puissant, déjà évoqué dans le discours de
13 Radovan Karadzic lors de la constitution du SDS qui a été cité
14 précédemment.
15 L'article 2 de cette proclamation précise que "la République restera dans
16 l'Etat fédéral de Yougoslavie".
17 La Constitution de cette République est quant à elle proclamée le 28
18 février 1992. Son article 6 dispose que "les citoyens de la République ont
19 la citoyenneté de la République et de la Yougoslavie".
20 Son article 9 affirme que "la capitale de la République est Sarajevo". La
21 proclamation de cette Constitution intervient la veille du référendum sur
22 l'indépendance, organisé sur le territoire de la République de Bosnie-
23 Herzégovine, à la demande de la Communauté Européenne. Sur 63% de votants,
24 plus de 90% se prononcent pour l'indépendance de la République. Le scrutin
25 est boycotté par le SDS.
Page 949
1 Le contrôle local. Par-delà la structure institutionnelle parallèle
2 centralisée, fondée sur une définition extensive du territoire, le SDS
3 s'attache à constituer un réseau institutionnel au niveau local qui prend
4 tout d'abord forme avec les régions et districts autonomes serbes.
5 Le 19 décembre 1991, des instructions confidentielles sont émises par le
6 SDS, visant à instaurer des états-majors de crise locaux en vue de la
7 prise du pouvoir. Ces instructions doivent s'appliquer "sur l'ensemble du
8 territoire de la Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire dans toutes les communes
9 où le peuple serbe habite", que la population serbe y soit ou non
10 majoritaire.
11 Les comités de crise locaux sont constitués des membres de la municipalité
12 appartenant au SDS, notamment des membres de la police. Ils doivent
13 commencer à mettre sur pied des organes municipaux parallèles, préparer le
14 contrôle du personnel, des locaux et des équipements, et travailler en
15 coopération avec le commandement des forces armées.
16 "L'information et la propagande doivent être intensifiées dans le but
17 d'informer le peuple serbe rapidement et de manière exhaustive de la
18 situation politique et sécuritaire dans la municipalité". Les dispositions
19 finales expliquent que: "les rôles, les mesures et les autres activités
20 posées dans ces instructions ne sont appliqués que sur l'ordre du
21 Président du SDS de Bosnie-Herzégovine, selon une procédure secrète
22 établie à cet effet.
23 Ces structures locales sont reliées entre elles par un réseau de
24 communications dont le secret était assuré, comme en témoignent les
25 directives confidentielles du président du SDS en août 1991 et en mars
Page 950
1 1992.
2 L'utilisation des médias et la propagande. Les médias semblent avoir joué
3 un rôle essentiel dans la montée et le développement du nationalisme et de
4 la crise dans l'ex-Yougoslavie. Ainsi, le rappel des massacres de la
5 Deuxième Guerre mondiale est incessant dans la presse à partir de 1990.
6 L'idée de l'existence d'un complot international contre les Serbes est
7 omniprésente et se fonde sur une réécriture de l'Histoire. Les Serbes, qui
8 sont un peuple orthodoxe, dont l'église est autocéphale, auraient ainsi
9 toujours été en butte à de grands empires multinationaux, l'empire Ottoman
10 et l'empire des Habsbourg, et dominés par des religions elles-mêmes
11 internationales, l'Islam et le catholicisme. Ils auraient en outre subi la
12 domination de l'Internationale communiste à travers le régime du maréchal
13 Tito. La presse gouvernementale et la presse d'opposition développent en
14 commun des thèmes nationalistes.
15 L'importance du contrôle des médias est illustrée par Radovan Karadzic
16 dans son discours de novembre 1991. Il affirmait ainsi: "Nous ne pouvons
17 avoir un président de radio et un rédacteur en chef qui n'appliquent pas
18 la politique du parti au pouvoir. Ce sont les fonctions d'un Etat. Je vous
19 demande dès lors de limoger cette semaine, par une décision du comité
20 exécutif, tous les présidents de radio et rédacteurs en chef qui ne vous
21 écoutent pas ou ne suivent pas la politique officielle, ou pour toute
22 autre raison. Dans toutes les communes où nous contrôlons la radio, nous
23 avons le pouvoir."
24 Les éléments soumis au dossier permettent de penser que le contrôle
25 institutionnel au niveau de la République et des municipalités se double
Page 951
1 d'une préparation militaire.
2 La préparation militaire de la prise de pouvoir en Bosnie-Herzégovine.
3 Depuis l'année 1991, des contacts semblent exister entre le SDS et l'Armée
4 Populaire Yougoslave, la JNA, ainsi qu'avec les représentants du bloc
5 serbe dans les institutions fédérales.
6 A la suite de la paralysie de ces institutions, l'armée n'a de fait plus
7 vraiment de pouvoir civil au-dessus d'elle et devient, pour un temps, une
8 force autonome. La JNA, dont le Corps des officiers était majoritairement
9 serbe, mais les forces de réserve plurinationales, semble devenir, entre
10 le milieu de l'année 1991 et celui de l'année 1992, une force entièrement
11 composée de militaires serbes.
12 Ce changement dans la composition de l'armée paraît contemporain d'une
13 modification de son rôle. Dans un ouvrage publié à Belgrade en 1993, le
14 général Kadijevic, secrétaire fédéral de la Défense nationale et chef
15 d'état-major du commandement suprême des forces de la République
16 Fédérative de Yougoslavie, entre le 15 mai 1988 et le 6 janvier 1992,
17 expliquait que l'option choisie à partir du printemps 1991 par la JNA
18 signifiait en pratique: "La protection et la défense du peuple serbe en
19 dehors de la Serbie et le rassemblement de la JNA dans les frontières de
20 la future Yougoslavie."
21 Les premières opérations de la JNA, dans ce nouveau contexte, sont menées
22 en Slovénie, puis en Croatie, notamment à Vukovar. Cette Chambre a connu
23 d'un certain nombre d'événements liés à la prise de cette ville par la
24 JNA, voir sa décision du 3 avril 1996.
25 Selon les mêmes sources, le général Kadijevic dit: "Les idées principales
Page 952
1 à l'appui du déploiement de la JNA en Yougoslavie étaient: la défaite
2 totale de l'armée croate, si la situation le permettait, la coordination
3 complète avec les insurgés serbes dans la Krajina serbe, l'achèvement du
4 retrait des forces de la JNA restant en Slovénie, la conscience que le
5 rôle de la nation serbe de Bosnie-Herzégovine serait un instrument dans le
6 futur de la nation serbe en général. L'emplacement des forces de la JNA
7 devait être modifié en vertu de ces idées."
8 Des liens étroits entre la JNA et le parti SDS ont été mis en lumière à
9 l'occasion du procès Tadic par certains militaires de haut rang qui
10 servaient à l'époque dans cette armée. Ces liens pourraient permettre
11 d'éclairer, au regard d'une coordination dans la préparation militaire,
12 les demandes officielles des institutions parallèles créées par le SDS en
13 Bosnie-Herzégovine.
14 Le 11 décembre 1991, par exemple, l'Assemblée du peuple serbe en Bosnie-
15 Herzégovine demande à la JNA de protéger par tous les moyens possibles,
16 comme étant partie de l'Etat yougoslave, les territoires de la Bosnie-
17 Herzégovine, considérés comme serbes.
18 Il résulte des éléments soumis à ce stade à la Chambre que la préparation
19 militaire de la prise de pouvoir du SDS en Bosnie-Herzégovine comprenait
20 deux types d'actions: une aide en armement et logistique aux populations
21 serbes des régions contrôlées par le SDS, sous-jacente à la préparation
22 d'une intervention militaire plus directe de la JNA.
23 Au début de septembre 1991, dans une note confidentielle au président du
24 SDS, Radovan Karadzic, Velibor Ostojic, un dirigeant du SDS, rapporte la
25 conversation qu'il a eue avec des personnalités du gouvernement de la
Page 953
1 République de Serbie. Les discussions et les accords paraissent avoir
2 porté principalement sur la fourniture d'armes et de matériel de
3 communication. Il semble que certaines unités de la Défense territoriale,
4 composées de réservistes et dépendant partiellement des autorités des
5 Républiques fédérées, aient dû, au cours de l'année 1991, remettre leur
6 équipement militaire à la JNA, ce qui aurait souvent privé de leurs
7 possibilités classiques de défense les populations non serbes. Les armes
8 ainsi remises auraient été redistribuées par la JNA à d'autres unités de
9 la Défense territoriale, dominées par les Serbes.
10 Il semble qu'à partir du printemps 1992, une distribution importante
11 d'armement aux forces de police serbes ait débuté. Cette assistance est
12 confirmée par les propos du président de la Serbie, Slobodan Milosevic,
13 déclarant en mai 1987, je cite: "Durant les deux dernières années, la
14 République de Serbie, en assistant les Serbes hors de la Serbie, a
15 contraint son économie à des efforts considérables et ses citoyens à des
16 sacrifices substantiels. (...) La plupart de l'assistance a été envoyée au
17 peuple et aux combattants de Bosnie-Herzégovine. (...) Après un an de
18 guerre et de négociations de paix, les Serbes ont acquis la liberté et
19 reconquis l'égalité dont ils avaient été privés lorsque la guerre a
20 commencé. La plupart des territoires de l'ex-Bosnie-Herzégovine
21 appartiennent désormais à des provinces serbes. Ceci constitue une raison
22 suffisante pour arrêter la guerre.
23 La Serbie a prêté une grande, grande assistance aux Serbes de Bosnie.
24 Grâce à cette assistance, ils ont atteint la plupart des objectifs qu'ils
25 s'étaient fixés."
Page 954
1 La JNA paraît également préparer en Bosnie-Herzégovine une intervention
2 militaire plus directe. Ainsi, les troupes et les équipements de la JNA
3 auraient été, après la guerre en Croatie, massivement redéployés en
4 Bosnie-Herzégovine. Selon le Général Kadijevic déjà cité: "Appréciant le
5 développement des événements, nous avons réalisé qu'après avoir quitté la
6 Croatie, nous devrions avoir des forces importantes de la JNA en Bosnie-
7 Herzégovine".
8 Plusieurs témoignages versés au dossier accréditent la thèse de
9 l'entraînement de groupes paramilitaires par la JNA.
10 Il résulte de l'ensemble de ces éléments que des préparations étaient
11 menées en Bosnie-Herzégovine, visant à réaliser le programme du SDS. Ces
12 préparations étaient conduites à plusieurs niveaux. Une structure
13 institutionnelle permettant d'assurer une chaîne de commandement cohérente
14 fut mise en place par le SDS au cours de l'armée 1991 et au début de
15 l'année 1992. Par ailleurs, le SDS se trouvait en contact, au moins depuis
16 l'automne 1999, avec les autorités fédérales, dominées par la République
17 de Serbie et la JNA.
18 Ces contacts visaient, par l'armement des populations serbes et
19 l'organisation d'une intervention plus directe de la JNA à permettre la
20 prise de pouvoir du SDS sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine que la
21 Chambre va maintenant développer.
22 La prise du pouvoir et la mise en oeuvre du "nettoyage ethnique".
23 D'abord, la prise de pouvoir du SDS.
24 Les éléments soumis à la Chambre par le Procureur permettent de considérer
25 qu'entre le mois de mars et le mois de mai 1992, le SDS, largement appuyé
Page 955
1 militairement par la JNA, s'engage dans des offensives visant certains
2 points stratégiques de Bosnie-Herzégovine, notamment à Foca, Bosanski
3 Samac, Vlasenica, Brcko, Prijedor, où la population était majoritairement
4 non-serbe. Ces attaques militaires d'envergure sont menées le plus souvent
5 de concert avec des unités paramilitaires tels que les groupes dirigés par
6 Zeljko Rarnatovic, dit "Arkan", Vojislav Seselj, les "Aigles blancs" à
7 Foca, les "Loups gris" à Bosanski Samac , qui reçoivent le soutien de
8 membres du SDS.
9 Ces offensives assurent au SDS le contrôle des territoires périphériques
10 de la Bosnie-Herzégovine. A la même période, la JNA commence à organiser
11 militairement le siège de Sarajevo.
12 Une série de cartes présentées à l'audience permet de constater que les
13 zones contrôlées par les forces militaires et l'administration du SDS en
14 Bosnie-Herzégovine, en novembre 1992, correspondent en grande partie à
15 l'ensemble des territoires déclarés autonomes par le SDS, tels que
16 vérifiés par l'Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine le 21
17 novembre 1991.
18 Certaines zones toutefois ont été conquises qui ne figuraient pas au
19 nombre des territoires autonomes, ainsi notamment la ville de Brcko et les
20 communes se situant dans la vallée de la Drina, notamment Bratunac et
21 Srebrenica.
22 Selon le professeur Paul Garde: "Les avancées supplémentaires ont été
23 particulièrement sanglantes puisque c'est dans ces régions que la
24 politique de persécution a été la plus violente."
25 A partir de mai 1992, une modification intervient au sein de la JNA. Cette
Page 956
1 armée est réorganisée et une structure militaire spécifique, liée
2 directement à la République du peuple Serbe de Bosnie-Herzégovine, est
3 créée. A la même époque, selon le général Kadijevic: "La JNA a fourni les
4 fondements nécessaires à la création des trois armées: l'armée de la
5 République Fédérale de Yougoslavie, l'armée de la Republika Sprska et
6 l'armée de la République de la Krajina serbe". Il note également: "Les
7 unités et les quartiers généraux de la JNA constituaient le pilier de
8 l'armée de la République serbe, y compris l'armement et l'équipement."
9 Selon le général Kadijevic, l'armée de la République serbe accomplit des
10 fonctions identiques à celles qu'exerçait la JNA: "En Bosnie-Herzégovine,
11 d'abord la JNA puis l'armée de la Republika Srpska, que la JNA a mise sur
12 pied, ont aidé à libérer le territoire serbe, à protéger la nation serbe
13 et à créer les conditions militaires favorables à l'accomplissement des
14 intérêts et des droits de la nation serbe en Bosnie-Herzégovine par des
15 moyens politiques, dans la mesure et dans les conditions autorisées par
16 les circonstances internationales".
17 Certains éléments soumis au dossier permettent de confirmer ces
18 affirmations et d'accréditer en outre la thèse selon laquelle la
19 dénomination de l'armée de "la République du peuple serbe en Bosnie-
20 Herzégovine, devenue armée de la "Republika Srpska", ne serait qu'une
21 nouvelle dénomination de la précédente structure militaire yougoslave qui
22 perdure en Bosnie-Herzégovine."
23 A cet égard, les instructions données en vue du retrait semblent consister
24 principalement en une redistribution des effectifs, afin que les membres
25 de l'armée de la République serbe soient majoritairement natifs de Bosnie-
Page 957
1 Herzégovine. Il semble que l'armée fédérale yougoslave et les autorités
2 politiques de Belgrade aient continué d'avoir un contrôle important sur
3 l'armée de la Republika Srpska, contrôle qui paraît s'être exercé parfois
4 même à l'encontre des autorités politiques serbes de Bosnie-Herzégovine.
5 Certains éléments permettent en outre de considérer que l'armée yougoslave
6 a continué à fournir matériel et équipement, mais aussi à intervenir
7 directement en Bosnie-Herzégovine après le mois de mai 1992.
8 L'offensive des forces serbes en Bosnie-Herzégovine permet la mise en
9 place extrêmement rapide des structures serbes parallèles contrôlées par
10 le SDS dans les municipalités, c'est-à-dire notamment des états-majors de
11 crise qui semblent avoir été pré-constitués. En certaines villes, les
12 forces serbes ne prennent pas le pouvoir mais exercent une pression
13 militaire constante, comme par exemple avec le siège de Sarajevo.
14 La Chambre n'est pas saisie par le Procureur de l'ensemble de l'offensive
15 militaire et de la prise de pouvoir politique menée par les forces serbes
16 en Bosnie-Herzégovine, il apparaît cependant que, pour les événements qui
17 lui sont soumis, une ligne de conduite délibérée et systématique désignée
18 "nettoyage ethnique" peut être caractérisée.
19 Il convient de l'analyser à présent.
20 La politique de "nettoyage ethnique".
21 Au printemps 1992, dans l'ensemble des municipalités sur lesquelles ont
22 porté les enquêtes du Procureur dans le cadre du premier Acte
23 d'accusation, c'est-à-dire celles de Foca, Bosanski Samac, Vlasenica,
24 Brcko et Prijedor, la même ligne de conduite délibérée est adoptée.
25 Les éléments du dossier permettent de considérer que, dans chacune de ces
Page 958
1 municipalités, les états-majors de crise du SDS s'imposent comme les
2 organes suprêmes du pouvoir. Ils lancent des ultimatums en ordonnant aux
3 habitants non-serbes des villages de déposer leurs armes et de prêter
4 allégeance aux nouvelles autorités.
5 Des mesures administratives discriminatoires sont instaurées, des meurtres
6 arbitraires et des viols sont perpétrés. Les hommes et les femmes non-
7 serbes, ou n'ayant pas prêté allégeance, sont séparés puis incarcérés dans
8 des centres de détention se trouvant sous le contrôle des autorités
9 policières ou militaires du SDS, centres dans lesquels les exactions
10 décrites dans la partie III ci-dessus sont commises.
11 Parmi ces camps, on peut citer: Omarska, commandant Mejakic; Keraterm,
12 commandant Sikirica; Trnopolje, commandant Kuruzovic; Luka, commandant
13 Jelisic; Manjaca, commandant Popovic; Susica, commandant Nikolic; KP Dom
14 Foca, commandant Krnojelac.
15 Les populations non loyales au SDS sont déportées à l'issue de leur
16 détention, ou transférées dans d'autres camps. Les personnes qui ne sont
17 pas détenues sont forcées à fuir en abandonnant leurs biens. L'ampleur des
18 dégâts, l'acharnement à détruire systématiquement des symboles sacrés ne
19 présentant aucun intérêt militaire, ou situés hors des zones de combat,
20 participent, de l'avis des témoins experts, d'un "mémoricide", d'une
21 politique de "nettoyage culturel" visant à éradiquer la mémoire.
22 Cette politique a eu pour résultat une modification radicale de la
23 composition de la population. La municipalité de Foca était peuplée de
24 40.513 habitants dont 51,6% de Bosniaques musulmans. Selon les autorités
25 serbes, il ne reste plus que 9 Musulmans dans la ville au mois d'août
Page 959
1 1993.
2 Bosanski Samac était peuplée de 32.835 habitants, dont 45% de Croates, 41%
3 de Serbes et 7% de Musulmans. Selon le Bureau du Procureur, 10 Croates et
4 250 Musulmans étaient encore présents dans la municipalité en mars 1995.
5 Dans la municipalité de Prijedor, 88% de la population musulmane,
6 d'environ 49.000 habitants, a été tuée ou expulsée.
7 Les estimations du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés,
8 HCR, présentées par le Dr James Gow, montrent qu'au mois de juillet 1994,
9 à peu près 750 000 non-Serbes ont été déplacés de la Bosnie du nord et de
10 l'est, la population de la République de Bosnie-Herzégovine étant, en
11 1991, de 4,4 millions d'habitants.
12 Cette politique s'est apparemment poursuivie tout au long du conflit,
13 comme en témoigne la création, par le Conseil de sécurité des Nations
14 Unies, de zones de sécurité tendant à enrayer les départs forcés de la
15 population et la politique de "nettoyage ethnique".
16 A Srebrenica, la prise définitive de l'enclave en juillet 1995 a entraîné
17 l'exécution ou la déportation de ses 40.000 habitants.
18 Il résulte des éléments soumis au dossier que la prise de pouvoir par le
19 SDS et ses alliés militaires en Bosnie-Herzégovine a été suivie de la mise
20 en oeuvre systématique de cette politique. Cette mise en oeuvre n'a pas
21 été l'effet du hasard. Elle correspond en effet au projet de ce parti,
22 exprimé dès l'année 1991, qui était de créer une nouvelle entité peuplée
23 de manière homogène de Serbes et de permettre son rattachement à un nouvel
24 Etat fédéral dominé par la République de Serbie.
25 Radovan Karadzic, dans un entretien publié le 16 juillet 1995, affirmait:
Page 960
1 "Notre première priorité est d'être une partie de la Serbie; notre seconde
2 priorité est de constituer une partie de la Yougoslavie, entité fédérale".
3 Il poursuivait: "Les enclaves musulmanes ne sont pas viables et doivent
4 disparaître. Autrement, nous les ferons disparaître par la force. Les
5 Musulmans et la Communauté internationale doivent accepter le fait que ce
6 pays est totalement serbe".
7 Ces projets illustrent parfaitement l'esprit et les moyens de la politique
8 suivie par le SDS en Bosnie-Herzégovine: une politique de "purification
9 ethnique".
10 Selon le professeur Garde: "Le nettoyage ethnique est une pratique qui
11 consiste à faire en sorte que, dans un territoire donné, les membres de
12 tel ou tel groupe ethnique soient éliminés, et qui tend à ce que tel ou
13 tel territoire devienne "ethniquement pur", c'est-à-dire qu'il ne
14 contienne plus que des membres du groupe ethnique qui a pris l'initiative
15 de ce nettoyage".
16 Selon Elisabeth Relin, amicus curiae déjà cité, la politique pratiquée est
17 "destinée à éliminer la présence d'un certain groupe ethnique d'un
18 territoire déterminé. Pour ce faire, il est manifestement nécessaire
19 d'appliquer des méthodes sérieuses".
20 Ces méthodes de "nettoyage ethnique" comprennent notamment l'assassinat,
21 les violences sexuelles, l'intimidation, le harcèlement, la destruction de
22 monuments du culte et de monuments culturels; ces faits ont été écrits
23 dans la partie III ci-dessus.
24 A la lumière des éléments recueillis lors des audiences, la Chambre estime
25 cependant qu'elle doit souligner certains aspects marquants de cette
Page 961
1 politique de "nettoyage ethnique".
2 La Chambre tient à se pencher d'abord sur le siège, le pilonnage et les
3 tirs isolés sur les villes, et particulièrement sur la capitale de la
4 Bosnie-Herzégovine, Sarajevo.
5 Le 19 avril 1992, avant le début du siège, l'assemblée municipale de
6 Sarajevo adoptait un communiqué affirmant notamment: "La ville de
7 Sarajevo, avec plus de 5 siècles d'histoire, marquée par la coexistence
8 d'une communauté pluriculturelle, pluriconfessionnelle et plurinationale
9 est indivisible".
10 Durant tout le siège de Sarajevo, la population civile a été touchée par
11 des pilonnages qui se concentraient sur les rassemblements de civils ou
12 par des tirs isolés prenant pour cible des victimes clairement
13 individualisées.
14 Par ailleurs, les conditions minimales de subsistance imposées aux
15 habitants semblent avoir contribué à démoraliser et affaiblir
16 progressivement la population nationalement mélangée, puisque, selon le
17 témoin M. Kupusovic, maire de cette ville, près de 40.000 Serbes de
18 Sarajevo ont refusé l'autorité du SDS et sont restés dans la ville durant
19 tout le siège.
20 A Sarajevo, il semble que ce soit l'exemple de la vie pacifique entre les
21 différents groupes qui soit visée depuis le début du siège et qui
22 s'exprime dans les projets de partition évoqués par Radovan Karadzic.
23 Ainsi, ce dernier affirmait, dans l'entretien précité: "Sarajevo deviendra
24 deux villes, deux villes voisines, si les Musulmans l'acceptent, ou sinon
25 une ville serbe parce que la ville a été construite dans une région serbe.
Page 962
1 Nous insisterons pour que la moitié de la ville devienne serbe ou nous
2 prendrons l'ensemble de la ville".
3 Il apparaît des éléments soumis à la Chambre que ce siège devrait être
4 analysé dans le contexte de la politique de "nettoyage ethnique". Il a
5 toutes les caractéristiques d'un instrument visant à expulser les
6 populations non-serbes ou serbes refusant d'accepter le projet du SDS et à
7 faire ainsi de Sarajevo, comme d'autres villes de la Bosnie-Herzégovine,
8 des territoires ethniquement homogènes.
9 D'autre part, de l'avis de la Chambre, les violences sexuelles méritent
10 une attention particulière parmi les méthodes du "nettoyage ethnique", en
11 raison de leur systématisation et de la gravité des souffrances infligées
12 à la population civile. Sur l'ensemble de cette question, la Chambre a
13 tenu à entendre un amicus curiae.
14 Le Procureur a mis l'accent, dans son Acte d'accusation du 25 juillet
15 1995, sur les violences sexuelles commises dans les camps d'internement
16 tenus par les Serbes bosniaques. Les gardiens ou les commandants des
17 camps, des soldats, des membres de la police ou de groupes paramilitaires
18 et même des civils avaient accès à ces camps et ont pratiqué des violences
19 sexuelles contre les détenus civils musulmans bosniaques ou croates
20 bosniaques.
21 Il apparaît cependant à la Chambre que les sévices sexuels dans les camps
22 ne constituent qu'un aspect d'une pratique plus vaste. Les violences
23 sexuelles étaient commises par des individus ou des groupes, avant
24 l'éclatement du conflit, dans un contexte de pillage et d'intimidation de
25 la population. Lors des attaques militaires contre des rassemblements
Page 963
1 civils, d'autres abus sexuels étaient pratiqués, en particulier le viol en
2 public. Il apparaît que les femmes étaient particulièrement touchées par
3 la pratique des violences sexuelles.
4 Certains camps étaient spécialement consacrés aux viols dans le but de
5 procréation forcée d'enfants serbes, les femmes étant souvent détenues
6 jusqu'à ce qu'il fut trop tard pour avorter. Il semblerait qu'il existait
7 également des hôtels ou des maisons privées où les femmes étaient violées
8 pour le simple divertissement des soldats.
9 Les caractéristiques de toutes ces violences sexuelles permettent
10 d'affirmer qu'elles faisaient partie d'une politique généralisée de
11 nettoyage ethnique. Les victimes étaient principalement des civils non-
12 Serbes, très majoritairement des Musulmans. Les violences sexuelles ont
13 été pratiquées dans plusieurs régions de Bosnie-Herzégovine, de façon
14 systématique et selon des méthodes récurrentes: viols multiples, violences
15 sexuelles dans les camps, usage de moyens brutaux, concours avec d'autres
16 violations du droit international humanitaire, etc.
17 Elles ont été accomplies en concomitance avec un effort pour déplacer des
18 populations civiles et leurs modalités dévoilent l'intention de renforcer
19 la honte et l'humiliation des victimes et de la communauté à laquelle
20 elles appartenaient afin de les contraindre au départ. Il apparaît que
21 l'objectif de nombreux viols était la fécondation forcée, plusieurs
22 témoignages soulignent en outre que les auteurs de ces violences, souvent
23 des soldats, avaient reçu des ordres en ce sens et que les commandants des
24 camps et les officiers étaient informés de telles violences et y
25 participaient.
Page 964
1 Enfin, la Chambre considère qu'il est important de souligner une
2 caractéristique générale de la politique de "nettoyage ethnique". Ainsi
3 que le montrent les conclusions du premier rapporteur spécial de la
4 commission des droits de l'Homme de l'ONU, M. Tadeusz Mazowiecki, dont les
5 rapports ont été rappelés à cette Chambre lors du témoignage de Mme
6 Elisabeth Rehn, son successeur, se trouvent à ce stade confirmées: le
7 "nettoyage ethnique" paraît bien avoir été, en Bosnie-Herzégovine, non pas
8 une conséquence de la guerre initiée par le SDS et ses alliés militaires,
9 mais bien le but de celle-ci.
10 A présent la Chambre va examiner la position des accusés et le type de
11 responsabilité encourue.
12 La description de faits incriminés a mis en évidence que leurs exécutants
13 faisaient partie d'une organisation institutionnelle, politique et
14 militaire dont le but était de créer un territoire avec une population
15 homogène et qui couvrait l'ensemble des régions de la Bosnie-Herzégovine
16 contrôlées par l'administration des Serbes de Bosnie.
17 Selon les deux Actes d'accusation, les faits incriminés ont été commis par
18 le personnel militaire et policier obéissant aux ordres de
19 l'administration des Serbes de Bosnie-Herzégovine. Les deux Actes
20 d'accusation soulignent que les exécutants agissaient sous le contrôle, le
21 commandement et la direction de Radovan Karadzic et Ratko Mladic.
22 Toutes les accusations concernent donc la responsabilité pénale
23 individuelle de supérieurs hiérarchiques, deux dispositions du Statut du
24 Tribunal sont pertinentes à cet égard:
25 Le paragraphe 1 de l'Article 7: "Quiconque a planifié, incité à commettre,
Page 965
1 ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier,
2 préparer ou exécuter un crime, visé aux Articles 2 à 5 du présent Statut,
3 est individuellement responsable dudit crime";
4 Et le paragraphe 3 du même Article: "Le fait que l'un quelconque des actes
5 visés aux Articles 2 à 5 du présent Statut a été commis par un subordonné
6 ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s'il savait ou
7 avait des raisons de savoir que le subordonné s'apprêtait à commettre cet
8 acte ou l'avait fait, et que le supérieur n'a pas pris les mesures
9 nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis,
10 ou d'en punir les auteurs."
11 Dans tous les chefs d'accusation de l'Acte du 25 juillet 1995, à
12 l'exception du chef 1, génocide, le Procureur s réfère aussi bien au
13 paragraphe 3 qu'au paragraphe 1 de l'Article 7.
14 Pour l'accusation de génocide du chef 1, seule la responsabilité pénale
15 individuelle des accusés en vertu du paragraphe 3 serait engagée, c'est-à-
16 dire qu'ils seraient responsables pour avoir su ou avoir eu des raisons de
17 savoir que leurs subordonnés commettaient un génocide et ne pas avoir pris
18 les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher leurs actes ou pour
19 en punir les auteurs.
20 L'Acte d'accusation du 16 novembre 1995 souligne que les accusés sont
21 individuellement responsables pour les faits incriminés, conformément au
22 paragraphe 1 de l'Article 7, mais également ou à défaut conformément au
23 paragraphe 3 dudit Article.
24 La Chambre doit à présent porter son analyse sur la responsabilité pénale
25 individuelle de Radovan Karadzic et e Ratko Mladic. Il s'agit d'étudier la
Page 966
1 position de chacun des deux accusés dans l'organisation générale décrite,
2 afin de mettre en évidence leurs fonctions institutionnelles et l'exercice
3 de leurs pouvoirs.
4 Radovan Karadzic est président du parti démocratique serbe, SDS, depuis sa
5 création en juillet 1990. Il est ainsi investi du pouvoir exécutif dans
6 les activités du parti. Selon le statut du SDS, le Président est l'un des
7 six organes principaux du parti. Il est élu par l'Assemblée et ses
8 fonctions sont celles de coordination du travail des organes du parti, de
9 convocation du Comité principal et du Comité exécutif, de contrôle sur la
10 réalisation du programme et des buts du parti, ainsi que de représentation
11 du SDS.
12 Il est de droit Président du Comité principal, organe suprême du parti
13 lorsque l'Assemblée n'est pas en session, composée de 57 membres, et ayant
14 des fonctions telles que la préparation de tous les actes votés par
15 l'Assemblée, l'adoption de toute décision déléguée par l'Assemblée et
16 l'exécution des décisions de l'Assemblée.
17 Le Président du parti est aussi à la tête du Comité exécutif de onze
18 membres qui prépare et exécute les décisions du Comité principal, met en
19 œuvre toute la politique du parti et conduit ses affaires courantes. Il a
20 vu en outre ses fonctions s'élargir au cours de l'année 1991.
21 Le SDS s'articule également en une vaste organisation répartie sur le
22 territoire de la Bosnie-Herzégovine, aux niveaux régional, sous-régional,
23 municipal et communal. Les organes locaux ont une certaine autonomie dans
24 l'évaluation de la situation politique dans le territoire de leur
25 compétence et pour les décisions relatives au personnel.
Page 967
1 Le pouvoir politique du parti reste entre les mains des organes centraux
2 du Président en particulier. Il l'exerce par l'adoption de décisions et
3 l'envoi d'ordres ou instructions à leurs subordonnés. Les principes de la
4 discipline, de la coopération et de la coordination sont jugés nécessaires
5 pour le fonctionnement du SDS, et un système efficace de transmission des
6 informations entre les différents niveaux de l'organisation du parti a été
7 mis en place. (Voir partie IV A ci-dessus.)
8 Radovan Karadzic occupe également une position centrale dans toute la
9 structure de pouvoir parallèle organisée par le SDS en Bosnie-Herzégovine.
10 Ainsi, lorsque le 13 octobre 1990, une assemblée serbe de Bosnie-
11 Herzégovine crée un Conseil national serbe pour garantir l'égalité civile
12 et politique des Serbes de Bosnie-Herzégovine, Radovan Karadzic en est
13 nommé Président.
14 Le 24 octobre 1991, Radovan Karadzic se voit confier la représentation du
15 peuple serbe de Bosnie auprès de la présidence yougoslave, et une décision
16 du 21 novembre 1991 de l'Assemblée du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine
17 l'autorise notamment à négocier avec les peuples musulmans et croates pour
18 organiser la future vie commune dans le territoire de la Bosnie-
19 Herzégovine.
20 Le 19 décembre 1991, un Conseil de crise du SDS donne instruction aux
21 comités municipaux du parti de créer des conseils de crise locaux,
22 composés de membres du parti, donc étant sous les ordres de ses organes
23 centraux, en particulier du Président.
24 Le pas décisif dans la préparation institutionnelle et la prise de pouvoir
25 par les Serbes de Bosnie-Herzégovine se produit le 28 février 1992, avec
Page 968
1 la proclamation de la République serbe de Bosnie-Herzégovine. Dans cette
2 phase encore, Radovan Karadzic assumera rapidement une position d'autorité
3 dans la structure de pouvoir parallèle.
4 Depuis le 12 mai 1992, Radovan Karadzic est le Président de ce qui est
5 dénommé alors "la République serbe de Bosnie-Herzégovine", République
6 autoproclamée. Ce jour-là, trois personnes sont élues membres de la
7 Présidence de la République, par l'Assemblée des Serbes de Bosnie-
8 Herzégovine: il s'agit de Radovan Karadzic, Biljana Plavsic et Nikola
9 Koljevic. Au sein de cette Présidence, Radovan Karadzic est élu Président.
10 Quelques mois plus tard, l'Assemblée l'élira directement Président de la
11 Republika Srpska. Au titre de Président, conformément à la Constitution de
12 cette entité, il assure les fonctions caractérisant celles de chef d'Etat,
13 y compris la représentation de la République. A la suite d'un amendement,
14 la Constitution du 12 mai 1992, il devient Commandant en chef de l'armée
15 pouvant nommer promouvoir et limoger ses officiers. Ses pouvoirs
16 constitutionnels sont plus étendus en cas d'état de guerre, ou de danger
17 immédiat de guerre; il peut alors légiférer par décrets.
18 Cependant, la position dominante du Président de cette République doit
19 être évaluée à la lumière d'autres textes législatifs qui lui attribuent
20 un pouvoir considérable dans l'administration politique et militaire des
21 Serbes de Bosnie. Il préside de droit le Conseil national de sécurité,
22 organe créé par l'Assemblée du peuple serbe le 27 mai 1992, aux pouvoirs
23 étendus sur les questions d'intérêt pour la sécurité du peuple serbe en
24 Bosnie-Herzégovine.
25 La loi serbe bosniaque sur la défense populaire du 28 février 1992 lui
Page 969
1 confie le rôle d'assurer l'unité et l'indivisibilité du système de défense
2 nationale: en cas de guerre ou de toute autre urgence, il dirige
3 l'utilisation des forces de police et le déploiement des unités de défense
4 du territoire.
5 En vertu de la loi d'affaires intérieure, adoptée le même jour, la
6 mobilisation des forces de réserve de la police, en cas d'urgence, peut
7 être également ordonnée par le Président de la République.
8 Ainsi, Radovan Karadzic, en tant que Président du SDS, puis de la dénommée
9 République serbe de Bosnie-Herzégovine, a-t-il d'importants pouvoirs
10 institutionnels le mettant à la tête d'une organisation politique et de
11 forces armées s'étendant sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine
12 contrôlé par les Serbes bosniaques.
13 La Chambre doit examiner à présent l'effectivité de l'exercice de ses
14 pouvoirs et les décisions politiques de Radovan Karadzic à l'aide des
15 documents qui lui ont été soumis.
16 Les interventions du Président du SDS revêtent très vite un ton polémique.
17 Il prône une République serbe de Bosnie en union avec les autres pays
18 serbes et une séparation entre les nationalités du pays. Il désigne les
19 Musulmans comme le peuple contre lequel se défendre afin de préserver
20 "l'espace vital" et parle de guerre "sanglante et dure".
21 Dans le discours prononcé les 14 et 15 octobre 1991, déjà cité, il
22 rappelle que dans une guerre les Musulmans sont sans défense et qu'ils
23 pourraient disparaître.
24 Le Procureur a présenté à la Chambre divers documents, signés Radovan
25 Karadzic, contenant des ordres ou des instructions aux divers organes du
Page 970
1 SDS. Radovan Karadzic souligne souvent le besoin d'un contrôle fort et
2 centralisé des activités du parti: toute la structure du SDS vise à
3 assurer ce contrôle, comme souligné plus haut.
4 Le 18 octobre 1991, Radovan Karadzic déclare l'état d'urgence pour tous
5 les organes du parti; des ordres quotidiens étant dès lors envoyés aux
6 conseils municipaux. En sa qualité de Président du SDS, il a assuré la
7 représentation du parti auprès des autorités bosniaques et étrangères.
8 En tant que Président de la République autoproclamée des Serbes de Bosnie-
9 Herzégovine, Radovan Karadzic a utilisé pleinement ses pouvoirs de
10 commandant en chef de l'armée des Serbes de Bosnie. Il a placé sous un
11 commandement unifié l'armée et la police, promu des officiers ayant mené
12 des opérations victorieuses au cours de la guerre, soutenu publiquement
13 les actions de ses subordonnés militaires.
14 Il est important de souligner qu'à la suite d'une décision de la
15 présidence intérimaire du 15 avril 1992, confirmée par l'Assemblée le 12
16 mai 1992, une mobilisation générale et pérenne du système de défense
17 territoriale ait décrétée dans tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine
18 en vertu de ses pouvoirs institutionnels.
19 Radovan Karadzic a donc, dès le moment où il assume ses fonctions, le
20 contrôle (…)
21 (fin de l'enregistrement audio officiel.)
22 [(…) des mesures exceptionnelles prises dans ce contexte.
23 Par ailleurs, Radovan Karadzic se déclare lui-même et a été traité par les
24 officiers sous ses ordres et par les autres parties au conflit comme le
25 chef de l'administration des Serbes de Bosnie. Il a également signé de
Page 971
1 nombreux accords au nom de l'administration des Serbes de Bosnie, accords
2 qui ont tous été par la suite exécutés par les autorités de son
3 administration.
4 En outre, Radovan Karadzic connaissait les obligations du droit
5 international humanitaire et était informé des nombreuses résolutions des
6 Nations Unies condamnant les violations graves du droit international
7 humanitaire commises en Bosnie-Herzégovine.
8 Un témoin a en particulier souligné que Radovan Karadzic était au courant
9 des conditions de vie dans les camps d'internement tenus par les forces
10 serbes en Bosnie-Herzégovine et qu'un grand nombre des transferts de
11 prisonniers entre les divers camps étaient effectués en exécution directe
12 de ses ordres, ce qui révèle son commandement et son contrôle sur ces
13 camps.
14 Le contrôle de Radovan Karadzic sur ses troupes en relation avec les
15 bombardements de rassemblements de civils est démontré. Ses déclarations
16 en relation avec la prise en otage des membres des forces de maintien de
17 la paix des Nations Unies tendent à démontrer sa connaissance de ces faits
18 et l'exécution de ces actes conformément à ses ordres. Il est enfin
19 suffisamment établi que Radovan Karadzic n'a pris aucune mesure pour punir
20 ses subordonnés auteurs de violations graves du droit international
21 humanitaire.
22 En ce qui concerne plus spécifiquement les événements de Srebrenica,
23 Radovan Karadzic n'a pas hésité à affirmer devant la presse que les
24 enclaves musulmanes devaient disparaître, même par la force, ne niant
25 aucunement la prise pour cible de civils et se déclarant ensuite
Page 972
1 "satisfait" de la manière dont ses propres instructions avaient été
2 exécutées lors de la prise de la zone de sécurité.
3 De même, en ce qui concerne le siège de Sarajevo et le massacre allégué de
4 plusieurs milliers de ses habitants, les éléments de preuve fournis en
5 vidéo par le Procureur confirment la présence et le contrôle directs de
6 Radovan.]
7 (Reprise de l'enregistrement audio officiel.)
8 (…)Le rôle central de Radovan Karadzic dans la préparation politique et
9 militaire de la prise de pouvoir par les Serbes de Bosnie-Herzégovine
10 apparaît clairement. L'ensemble des éléments de preuve et des témoignages
11 soumis par le Procureur démontrent que Radovan Karadzic a été, depuis
12 juillet 1990, le dirigeant incontesté des Serbes de Bosnie. Ses actions et
13 ses déclarations démontrent non seulement qu'il était informé des
14 agissements de ses subordonnés, mais en plus, et surtout, qu'il en
15 soutenait le comportement, qu'il a participé, dès le premier moment, à 1a
16 planification de la politique de nettoyage ethnique en Bosnie-Herzégovine
17 et qu'il était en position d'ordonner lui-même les opérations des Serbes
18 de Bosnie ayant menées à la commission des actes incriminés.
19 Il est démontré que Radovan Karadzic a toujours gardé une position
20 d'autorité dans l'administration des Serbes de Bosnie-Herzégovine et qu'il
21 a exercé ses fonctions avec pleine effectivité. Son parcours montre une
22 progression constante dans les postes clés de la prise de pouvoir à la
23 tête du SDS d'abord et dans les différentes structures de pouvoir
24 parallèle créées par les Serbes de Bosnie ensuite.
25 A présent la Chambre va examiner le type de position et donc de
Page 973
1 responsabilité de Ratko Mladic.
2 Ratko Mladic a été officier de carrière dans l'armée populaire yougoslave,
3 JNA, jusqu'en mai 1992. Entre 1989 et 1991, il a servi comme chef du
4 département d'éducation du 3e district militaire de Skoplje. Entre janvier
5 et juin 1991, il fut Commandant adjoint du corps de Pristina au Kosovo. En
6 juin 1991, il fut envoyé à Knin, comme chef du corps de Knin. C'était la
7 période de lutte contre les forces croates. Deux mois après son arrivée à
8 Knin, ses exploits militaires lui valurent une promotion au rang de
9 Brigadier Général.
10 En avril et mai 1992, la JNA combattait en Bosnie-Herzégovine. Cependant,
11 le 19 mai 1992, l'armée populaire yougoslave se retira officiellement du
12 territoire de la Bosnie-Herzégovine. En fait, il ne s'agissait que d'une
13 réorganisation des troupes: les unités de la JNA en Bosnie seraient dès
14 lors composées presque exclusivement de soldats serbes originaires de
15 cette République. Toutes les unités et leur matériel restèrent en Bosnie.
16 C'est dans ce contexte que Ratko Mladic fut nommé à la tête de l'état-
17 major du 2e district militaire à Sarajevo, succédant aux généraux
18 Stankovic et Kukanjac, renvoyés à Belgrade. Dès que le retrait officiel de
19 la JNA est intervenu, Ratko Mladic, vraisemblablement en liaison étroite
20 avec les autorités de Belgrade, commença à établir une structure de
21 commandement autonome pour la Bosnie-Herzégovine. Il a, semble-t-il, lui-
22 même décrit de façon précise ce processus, dans une interview à la revue
23 "Nin" de Belgrade
24 Le 12 mai 1992, l'Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine décidait
25 la création de l'armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine et
Page 974
1 nommait le Lieutenant général Ratko Mladic comme chef de l'état major de
2 cette armée. Cet événement n'a pas comporté de grands changements dans
3 l'organisation et le mode de fonctionnement de l'armée en Bosnie.
4 Tout le financement de l'armée -y compris le salaire des officiers-
5 continuait à être assuré par les autorités fédérales et la structure. Les
6 armements et les tactiques de l'armée serbe bosniaque étaient calqués sur
7 celles de la JNA.
8 Ratko Mladic est l'officier de plus haut rang dans l'armée de la
9 République autoproclamée des Serbes de Bosnie. Il est assisté par un
10 Commandant adjoint, Milan Overo. Il dirige l'état-major composé de cinq
11 membres et exerçant les fonctions d'assistance et celles qui lui sont
12 déléguées par le commandant en chef. Les commandants des sept Corps de
13 l'armée, répartis sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine sous
14 contrôle serbe, se trouvent eux aussi sous les ordres directs de Ratko
15 Mladic. Ils ont une certaine liberté dans la conduite des opérations
16 militaires sur le territoire sous leur responsabilité mais doivent
17 respecter la stratégie générale décrétée par l'état major et par le
18 commandant en chef.
19 Ratko Mladic a ainsi le contrôle de l'armée des Serbes de Bosnie. Il a
20 démontré, à plusieurs reprises, un contrôle absolu sur ses troupes. Le
21 commandant en chef de cette armée reste cependant Radovan Karadzic,
22 président et dirigeant politique de la République des Serbes de Bosnie,
23 dont l'autorité est reconnue par Ratko Mladic lui-même. Les deux accusés
24 opéraient ainsi en étroite collaboration.
25 Les éléments de preuve fournis par le Procureur donnent à la Chambre des
Page 975
1 indications précises sur la façon dont Ratko Mladic a exercé ses pouvoirs.
2 Il apparaît en premier lieu, que Ratko Mladic avait un contrôle complet
3 sur ses généraux et qu'il intervenait souvent personnellement dans les
4 décisions opérationnelles des différents Corps, arrivant même jusqu'à
5 changer les ordres des commandants et à prendre des décisions tactiques à
6 leur place.
7 Son pouvoir s'étendait aussi au niveau politique. Il jouait un rôle
8 essentiel dans les décisions de l'administration des Serbes de Bosnie et a
9 participé, au nom de cette administration, à des négociations et signé
10 plusieurs accords, tous ensuite exécutés par ses troupes.
11 Sa connaissance des faits incriminés et sa participation sont suffisamment
12 prouvées à ce stade de la procédure. Bon nombre des camps d'internement
13 étaient administrés par des membres de l'armée sous ses ordres et
14 inspectés par des officiers de haut rang de l'armée. A une occasion au
15 moins, il montré être au courant des conditions de vie dans ces camps. Son
16 contrôle sur les bombardements de rassemblements de civils a été démontré
17 par l'exécution des accords signés et par des témoignages.11 est prouvé
18 que Ratko Mladic contrôlait même les mouvements de civils dan le
19 territoire de Bosnie-Herzégovine: le 19 mai 1992, par exemple, il retint
20 en otages à Ilidza un groupe de 3000 femmes et enfants et n'accepta de les
21 libérer, à la suite de négociations, que trois jours plus tard. Sa
22 connaissance des obligations du droit international humanitaire et en
23 général des faits incriminés, ainsi que l'absence de toute mesure
24 disciplinaire pour punir les violations graves commises par ses
25 subordonnés sont suffisamment prouvées en l'état de la procédure.
Page 976
1 En ce qui concerne plus spécifiquement les événements de Srebrenica
2 décrits dans l'Acte d'accusation du 16 novembre 1995, plusieurs éléments
3 de preuve viennent caractériser la responsabilité encourue par Ratko
4 Mladic. Sa connaissance des faits incriminés est évidente de par sa
5 présence et son comportement à Bratunac et Potocari dans plusieurs des
6 sites à divers moments des faits et même dans les lieux d'exécution
7 massive. Selon les témoignages, la prise de Srebrenica avait toutes les
8 caractéristiques d'une opération préparée à l'avance. La participation de
9 Ratko Mladic dans cette préparation, mais également sa maîtrise sur tout
10 le processus de prise en main de Srebrenica, de l'évacuation et de
11 l'extermination des réfugiés musulmans sont corroborées par des
12 témoignages et par ses propres déclarations.
13 Quelle est donc la responsabilité pénale individuelle des accusés?
14 A la lumière de l'analyse des fonctions institutionnelles et de l'exercice
15 effectif des pouvoirs des deux accusés, la Chambre peut à présent
16 caractériser leur responsabilité pénale individuelle.
17 Les conditions de la responsabilité des supérieurs hiérarchiques en vertu
18 de l'Article 7, paragraphe 3 du Statut, c'est-à-dire celles constituant
19 une négligence criminelle des supérieurs hiérarchiques, sont remplies:
20 Les forces militaires et policières bosniaques ayant commis les faits
21 incriminés étaient, pendant toute la période visée dans les Actes
22 d'accusation, sous le contrôle, le commandement, et la direction de
23 Radovan Karadzic et Ratko Mladic.
24 De par leur position dans l'administration des Serbes de Bosnie, Radovan
25 Karadzic et Ratko Mladic savaient ou avaient des raisons de savoir que
Page 977
1 leurs subordonnés commettaient ou s'apprêtaient à commettre les actes
2 incriminés.
3 Il est enfin établi que Radovan Karadzic et Ratko Mladic n'ont pas pris
4 les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne
5 soient commis ou pour en punir les auteurs.
6 La Chambre considère cependant que la responsabilité encourue est mieux
7 caractérisée par les dispositions du paragraphe I de l'Article 7 du
8 Statut. Les éléments de preuve et les témoignages présentés concourent
9 tous à démontrer que Radovan Karadzic et Ratko Mladic non seulement
10 étaient informés des crimes commis sous leur autorité, mais également et
11 surtout qu'ils ont exercé leur pouvoir afin de planifier, inciter à
12 commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à
13 planifier, préparer ou exécuter lesdits crimes.
14 De par la position de Radovan Karadzic comme dirigeant du parti
15 démocratique serbe, souvent éclairée par ses discours, la conception même
16 de la politique de nettoyage ethnique doit lui être attribuée,
17 probablement de concert avec d'autres personnes non visées dans l'Acte
18 d'accusation. Le fait qu'il a toujours occupé les postes clé dans les
19 structures de pouvoir parallèle démontre son rôle central dans la
20 planification de la prise de pouvoir par le SDS en Bosnie-Herzégovine et
21 l'organisation institutionnelle poursuivant cet objectif. Sa position
22 d'autorité après la prise de pouvoir, au sein de la République serbe de
23 Bosnie-Herzégovine autoproclamée, l'exercice effectif de ses fonctions,
24 autant sur le plan politique que sur le plan militaire, et ses propres
25 déclarations publiques démontrent qu'il a également ordonné, ainsi qu'aidé
Page 978
1 et encouragé, la préparation et l'exécution de la politique de nettoyage
2 ethnique et, en particulier, des crimes qui lui sont imputés.
3 La Chambre considère que, sur la base des éléments soumis par le
4 Procureur, cette responsabilité doit également être retenue pour les
5 crimes commis en juillet 1995, lors de la prise de Srebrenica.
6 Ratko Mladic assurait pleinement dans toute la période visée par les deux
7 Actes d'accusation, le commandement de l'armée des Serbes de Bosnie-
8 Herzégovine. Ses déclarations et l'exercice qu'il a fait de ses pouvoirs,
9 non seulement dans le domaine militaire mais aussi dans le domaine
10 politique, démontrent qu'il a pleinement adhéré à la politique de
11 purification ethnique menée par l'administration des Serbes de Bosnie et
12 en est devenu l'un des acteurs principaux. De sa position d'autorité, à la
13 tête de toute la structure militaire, il apparaît qu'il a planifié et
14 organisé les crimes décrits dans les Actes d'accusation et commis par des
15 troupes sous son commandement.
16 En outre, des témoignages concordants permettent d'affirmer que son rôle
17 ne s'est pas limité à la planification d'une stratégie générale, mais que
18 Ratko Mladic a également été présent sur les lieux de commission de
19 certains crimes et qu'il a personnellement supervisé certaines opérations,
20 dont la prise de Srebrenica et les atrocités commises par la suite, dans
21 les moindres détails.
22 Par ailleurs, il convient de porter un regard particulièrement attentif à
23 la responsabilité pénale individuelle pour le crime de génocide, décrite
24 dans le chef 1 de l'Acte d'accusation du 25 juillet 1995.
25 De l'avis de la Chambre, les éléments de preuve et les témoignages
Page 979
1 présentés sont suffisants pour soutenir l'existence d'une participation
2 active des plus hauts dirigeants politiques et militaires dans la
3 commission des crimes par les forces militaires et policières serbes ou
4 bosniaques dans les camps d'internement. Les modalités uniformes dans la
5 commission desdits crimes, leur systématicité, leur étendue sur tout le
6 territoire contrôlé par les Serbes de Bosnie, les mouvements de
7 prisonniers entre les différents camps, ainsi que la teneur de certaines
8 déclarations des accusés, sont des indices graves permettant de montrer
9 que Radovan Karadzic et Ratko Mladic ont planifié, ordonné ou de toute
10 autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter le
11 génocide perpétré dans les camps d'internement.
12 En conséquence, la Chambre considère que le chef I, génocide, de l'Acte
13 d'accusation du 25 juillet 1995 devrait être complété afin de faire valoir
14 la responsabilité pénale individuelle des deux accusés en vertu du
15 paragraphe I de l'Article 7 du Statut.
16 Enfin, la Chambre, en déterminant ainsi le type de responsabilité encourue
17 par les accusés, responsabilité de commandement militaire ou étatique, ne
18 peut qu'inciter le Bureau du Procureur à enquêter sur des responsabilités
19 à des échelons décisionnels du même ordre, voire plus élevés.
20 La qualification des faits incriminés. La Chambre s'est assurée qu'il
21 existe des raisons suffisantes de croire que les faits décrits dans l'Acte
22 d'accusation ont été planifiés et ordonnés par les accusés, ou à tout le
23 moins n'ont pas été prévenus ou punis par eux. Elle doit à présent
24 vérifier que ces faits relèvent de la compétence du Tribunal, c'est-à-dire
25 qu'ils peuvent faire l'objet d'une qualification juridique de crimes de
Page 980
1 guerre, de crimes contre l'Humanité ou de génocide s'agissant des crimes
2 de guerre, Convention de Genève de 1949 et violations des lois aux
3 coutumes de la guerre.
4 Le Procureur invoque une qualification de crime de guerre pour un certain
5 nombre d'actes décrits en III. Il convient dès lors ici de vérifier que
6 les conditions générales d'application des Articles 2 -infractions aux
7 Conventions de Genève de 1949- et 3 -violations des lois ou coutumes de la
8 guerre-, telles que posées par la Chambre d'appel dans sa décision du 2
9 octobre 1995, sont réunies dans la présente affaire. L'existence d'un
10 conflit armé est une condition nécessaire à l'application des Articles 2
11 et 3 du Statut du Tribunal. La Chambre d'appel de ce Tribunal a estimé,
12 dans l'affaire TADIC: "l'existence d'un conflit armé existe chaque fois
13 qu'il y a recours à la force armée entre Etats ou un conflit armé prolongé
14 entre les autorités gouvernementales et des groupes armés ou entre de tels
15 groupes au sein d'un Etat."
16 Selon le témoin expert, le Pr Garde, dont la déposition est similaire au
17 rapport du Dr Gow soumise au dossier, un conflit armé se déroule depuis
18 l'été 1991 sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Il est apparu clairement
19 des audiences que ce conflit n'avait pas cessé à la date des derniers
20 faits dont est saisie la Chambre, c'est-à-dire au mois de juillet 1995. En
21 ce qui concerne la République de Bosnie-Herzégovine, il peut, à ce stade,
22 être considéré que les hostilités ont débuté en avril 1992, avec la prise
23 de certaines municipalités et le début du siège de Sarajevo.
24 La Chambre d'appel a, en outre, affirmé, dans l'affaire précitée, que
25 l'Article 2 du Statut ne trouvait d'application que si le conflit pouvait
Page 981
1 être qualifié d'international. La Chambre doit à ce stade, sans préjudice
2 de l'appréciation souveraine des Juges du fond, considérer dans quelle
3 mesure les éléments qui lui ont été soumis suffisent à évaluer le
4 caractère international du conflit.
5 Apprécié dans son ensemble, le conflit dans l'ex-Yougoslavie a très vite
6 impliqué plusieurs Etats, ainsi qu'il résulte de nombreux documents versés
7 au dossier et des témoignages entendus à l'audience. En ce qui concerne
8 plus précisément le conflit qui s'est déroulé sur le territoire de la
9 République de Bosnie-Herzégovine, il apparaît des éléments soumis à la
10 Chambre que son caractère international est suffisamment établi à ce
11 stade.
12 En effet, le début des opérations militaires en Bosnie-Herzégovine
13 pourrait être situé au mois d'avril 1992, alors que cet Etat était déjà
14 indépendant. Ces opérations ont été menées par la JNA, en coordination
15 avec les acteurs serbes locaux et des groupes paramilitaires. Ainsi qu'il
16 a déjà été relevé dans cette décision, il semble qu'à cette époque la JNA
17 se trouvait sous le contrôle ou agissait en coordination avec les
18 autorités de la République Fédérale de Yougoslavie, largement dominée par
19 la République de Serbie.
20 La Chambre considère, à ce stade, que le conflit présente, à son début en
21 Bosnie-Herzégovine, un caractère international dans la mesure où il
22 implique deux Etats distincts, la République de Bosnie-Herzégovine et la
23 République Fédérale de Yougoslavie.
24 Selon la Chambre d'appel, dans la décision précitée: "Le droit
25 international humanitaire s'applique à partir du début des conflits armés
Page 982
1 et continue à s'appliquer, après la fin des hostilités, jusqu'à ce que la
2 paix soit généralement restaurée."
3 En vertu de cette formule ainsi que de certaines dispositions des
4 Conventions de Genève invoquées par le Procureur dans le mémoire qu'il a
5 soumis à la Chambre le 24 juin 1996,l'Article 6, paragraphe 2 de la IVe
6 Convention de Genève, il peut être considéré que le droit des conflits
7 armés internationaux continue à s'appliquer jusqu'à la restauration
8 générale de la paix. La paix n'était pas restaurée au moment de la
9 commission des derniers faits incriminés.
10 La Chambre note en outre qu'un certain nombre d'éléments factuels qui lui
11 ont été présentés par le Procureur, pourraient permettre de caractériser
12 l'internationalité du conflit, jusqu'à la date de la commission des
13 derniers faits incriminés. Ainsi, notamment, il semble que la JNA ait
14 continué à être impliquée en Bosnie-Herzégovine après son retrait formel.
15 La JNA, devenue l'armée Yougoslave, aurait permis la création de l'armée
16 des Serbes de Bosnie, en mai 1992, puis exercé, sur une longue période, un
17 contrôle important sur cette armée. Voir ci-dessus IV B.
18 Selon la Chambre d'appel, en outre, pour conclure à l'applicabilité de
19 l'Article 2 du Statut, les victimes des faits criminels doivent être des
20 personnes protégées aux termes des dispositions de la Convention de Genève
21 pertinentes. Il apparaît à ce stade que les victimes des actes décrits
22 peuvent être considérées comme telles.
23 La Chambre estime que pour l'ensemble des faits visés par les deux Actes
24 d'accusation une qualification de crime contre l'humanité ou de génocide
25 est néanmoins plus adéquate, ceci sans préjudice de l'appréciation
Page 983
1 souveraine des Juges du fond. Exception devrait être faite des faits
2 relevant de la troisième partie du premier Acte d'accusation qui ne
3 peuvent faire l'objet que d'une qualification de crime de guerre, prise en
4 otage des soldats de la FORPRONU, "boucliers humains".
5 C'est donc cette qualification plus adéquate de crime contre l'humanité ou
6 , on pourrait dire, préférentiel que nous allons examiner à présent.
7 Crime contre l'humanité et génocide. L'analyse conduite dans les parties
8 III et IV de cette décision, je rappelle les faits incriminés et le type
9 de responsabilité encourue, permet de considérer que les faits sur
10 lesquels reposent les deux Actes d'accusation, à l'exception de ceux
11 couverts par la troisième partie de l'Acte I susvisé, présentent une
12 nature similaire. Ces faits ont pour objet les membres d'une population
13 civile identifiée comme un ou plusieurs groupes, qu'ils soient nationaux
14 ou politiques. Leur commission se répète selon un schéma identique, ils
15 sont planifiés et préparés à un niveau étatique. Ils paraissent avoir une
16 fonction commune, qui est de permettre la constitution de territoires
17 "ethniquement purs", et de créer par là un nouvel Etat. Ces faits
18 constituent les moyens de la mise en oeuvre de la "politique de nettoyage
19 ethnique" élaborée, en complicité ou en coordination avec d'autres, par le
20 SDS de Bosnie-Herzégovine et appliquée par ses organes avec d'autres.
21 L'Article 5 du Statut, relatif aux crimes contre l'humanité, dispose que
22 le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées
23 responsables des crimes suivants lorsqu'ils ont été commis au cours d'un
24 conflit armé de caractère interne ou international, et dirigé contre une
25 population civile quelle qu'elle soit: assassinat, extermination,
Page 984
1 réduction en esclavage, expulsion, emprisonnement, torture, viol,
2 persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses, autres
3 actes inhumains.
4 Cet article est interprété par le Secrétaire général des Nations Unies
5 dans les termes suivants dans son rapport établi conformément à la
6 résolution 808.
7 "Les raisons des crimes contre l'humanité désignent des actes inhumains
8 d'une extrême gravité, tels que l'homicide intentionnel, la torture ou le
9 viol, commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique
10 contre une population civile quelle qu'elle soit, pour des raisons
11 nationales, politiques, ethniques, raciales ou religieuses."
12 Dans une précédente décision, Affaire Nikolic, 20 octobre, cette Chambre
13 avait précisé le contexte dans lequel doivent s'inscrire les actes
14 criminels énumérés par l'Article 5 pour être qualifiés de crimes contre
15 l'humanité. Elle avait estimé, en outre, dans une autre affaire, l'affaire
16 Vukovar, affaire Mrskic, Radic, Sljivancanin, décision du 3 avril 1996,
17 que si ces actes criminels doivent avoir pour objet une population civile.
18 Des individus qui ont pu se livrer, à un moment donné, à des actes de
19 résistance peuvent, dans certaines conditions, être victimes d'un crime
20 contre l'humanité.
21 Elle confirmait, par cette même décision, que les faits constituant des
22 crimes contre l'humanité devaient être généralisés ou présenter un
23 caractère systématique.
24 La Chambre, dès lors, considère que les faits évoqués plus haut relèvent
25 plus particulièrement d'une qualification de crime contre l'humanité.
Page 985
1 S'agissant de l'Article 4 du Statut concernant le génocide. Cet Article
2 précise: "Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après,
3 commis dans l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe
4 national, ethnique, racial ou religieux, comme tel: meurtres de membres du
5 groupe, atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du
6 groupe, soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence
7 devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, mesures
8 visant à entraver les naissances au sein du groupe, transfert forcé
9 d'enfants du groupe à un autre groupe."
10 Sont punissables en vertu de cet Article, poursuit le Statut: "Le
11 génocide, l'entente en vue de commettre le génocide, l'incitation directe
12 et publique à commettre le génocide, la tentative de génocide, la
13 complicité dans le génocide."
14 Il résulte de cette définition que le génocide requiert que des actes
15 soient perpétrés contre un groupe, avec une intention criminelle
16 caractérisée, celle de détruire le groupe, en tout ou partie.
17 L'effectivité de la destruction partielle ou totale du groupe n'est pas
18 nécessaire pour conclure à l'existence d'un génocide ; il suffit que l'un
19 des actes énuméré dans la définition soit perpétré dans une intention
20 spécifique.
21 Certains des actes soumis à cette Chambre peuvent être caractérisés en
22 vertu des a), b) et c) du paragraphe 2 de l'Article 4. Ainsi, des meurtres
23 de membres du ou des groupes ont été suffisamment décrits dans la partie
24 III de cette décision. L'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale
25 des membres du ou des groupes a été portée par le biais des traitements
Page 986
1 inhumains, de la torture, des viols et de la déportation. La soumission
2 intentionnelle des membres du ou des groupes à des conditions d'existence
3 devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle (c) a été
4 pratiquée dans les camps de détention, ainsi que par le moyen du siège et
5 du bombardement de villes ou de zones protégées.
6 La Chambre estime devoir s'attacher plus précisément ici à l'analyse de
7 l'intention de détruire, en tout ou partie, un groupe national, ethnique,
8 racial ou religieux. Elle doit, dans la mesure où elle connaît une
9 responsabilité de commandement, s'interroger aux fins de savoir si la
10 ligne de conduite dont elle est saisie, ligne de conduite que l'on a pu
11 appeler "nettoyage ethnique", révèle dans son ensemble une telle intention
12 génocidaire.
13 L'intention spécifique au crime de génocide n'a pas à être clairement
14 exprimée. Comme l'avait noté cette Chambre dans l'affaire Nikolic
15 précitée, elle peut être inférée d'un certain nombre d'éléments, tels la
16 doctrine générale du projet politique inspirant les actes susceptibles de
17 relever de la définition de l'Article 4 ou la répétition d'actes de
18 destruction discriminatoires. L'intention peut également se déduire de la
19 perpétration d'actes portant atteinte au fondement du groupe, ou à ce que
20 les auteurs des actes considèrent comme tels, actes qui ne relèveraient
21 pas nécessairement en eux-mêmes de l'énumération du paragraphe 2 de
22 l'Article 4, mais qui sont commis dans le cadre de la même ligne de
23 conduite.
24 En l'espèce, le projet du SDS de Bosnie-Herzégovine paraît contenir des
25 éléments tendant à la destruction des groupes non-serbes. En effet, le
Page 987
1 projet d'un Etat ethniquement homogène, formulé dans un contexte de mixité
2 des populations, envisage nécessairement l'exclusion de tout groupe non
3 identifié au groupe serbe. Les expressions concrètes de ce projet par le
4 SDS avant le conflit confirmeraient qu'il existe une intention d'exclusion
5 violente de ces groupes. Ce projet n'écarte pas l'emploi de la force
6 contre des populations civiles. Il semble en outre que certains groupes
7 visés ne pouvaient prétendre, en vertu du projet du SDS, à aucun
8 territoire spécifique. Dans ce cas, les déportations massives peuvent être
9 interprétées comme le premier pas dans un processus d'élimination.
10 L'ensemble de ces éléments confirmerait que le projet, inspirant les actes
11 dont la Chambre est saisie, entrevoit, en dernier lieu, une destruction
12 des groupes non-serbes et particulièrement du groupe bosniaque musulman.
13 Par ailleurs, certaines modalités de la mise en œuvre du projet de
14 nettoyage ethnique révèlent apparemment d'une intention aggravée. Ainsi,
15 la massivité des effets destructeurs, le seul nombre des victimes
16 sélectionnées du fait de leur appartenance à un groupe conduirait à penser
17 que l'intention de détruire le groupe, au moins en partie, est constituée.
18 En outre, la spécificité de certains moyens de nettoyage ethnique tend à
19 signaler que leur perpétration vise à atteindre les fondements du groupe
20 ou ce que l'on considère comme tels. Le viol systématique des femmes,
21 confirmé par un certain nombre d'éléments soumis à la Chambre, vise dans
22 certains cas, par la conception forcée, à la transmission à l'enfant d'une
23 identité ethnique nouvelle. Dans d'autres cas, c'est un moyen de
24 désorganisation du groupe à travers l'humiliation et la terreur. La
25 destruction des mosquées ou des églises catholiques vise à
Page 988
1 l'anéantissement de la présence séculaire du ou des groupes. La
2 destruction des bibliothèques à l'annihilation d'une culture enrichie de
3 la participation des diverses composantes nationales de la population.
4 La Chambre considère ainsi, à ce stade, que certains des actes qui lui
5 sont soumis ont pu être planifiés ou ordonnés dans une intention
6 génocidaire. Cette intention ressort de l'effet conjugué des discours ou
7 projets préparant ou justifiant ces actes, de la massivité de leur effets
8 destructeurs ainsi que de leur nature spécifique, visant à miner ce qui
9 est considéré comme les fondements du groupe. Sont visés par ces actes les
10 groupes nationaux bosniaques, bosniaques croates et, particulièrement,
11 bosniaques musulmans.
12 La Chambre invite, dès lors, le Procureur à envisager une extension de la
13 qualification de génocide à d'autres faits visés à l'Acte d'accusation I
14 que ceux commis dans les camps d'internement.
15 A présent la Chambre se doit de s'interroger sur la constatation du
16 manquement de la Republika Srpska et de la République Fédérale de
17 Yougoslavie à leur devoir de coopération avec le Tribunal.
18 Après avoir initialement confirmé les Actes d'accusation soumis à la
19 Chambre, le Juge Claude Jorda, le 25 juillet 1995, et le Juge Fouad Riad,
20 le 16 novembre 1995, ont délivré des mandats d'arrêt à l'encontre de
21 Radovan Karadzic et Ratko Mladic, adressés notamment à ce qui était alors
22 l'administration des Serbes de Bosnie et à la République Fédérale de
23 Yougoslavie (Serbie et Monténégro). Ils ont été transmis à leurs autorités
24 compétentes par le Greffier de ce Tribunal, le 1e août 1995, pour le
25 premier Acte d'accusation, et le 21 novembre à la République fédérale de
Page 989
1 Yougoslavie et le 22 novembre 1995 à l'administration des Serbes de
2 Bosnie, pour le deuxième Acte d'accusation.
3 En outre, à la requête du Procureur, le Greffier a demandé, le 10 mai 1996
4 à la Republika Srpska et le 13 mai 1996 à la République Fédérale de
5 Yougoslavie, de veiller à la publication des Actes d'accusation dans les
6 journaux à grand tirage de la Republika Srpska et de la République
7 fédérale de Yougoslavie conformément aux dispositions de l'Article 60 du
8 Règlement.
9 A ce jour, les Actes d'accusation n'ont pas été signifiés à la personne de
10 Radovan Karadzic et de Ratko Mladic et les mandats d'arrêt susvisés n'ont
11 pas été exécutés.
12 De l'ensemble des normes statutaires et réglementaires de ce Tribunal,
13 notamment de l'Article 29 du Statut et de l'Article 2 A) (Etat) du
14 Règlement de procédure et de preuve, il résulte que l'administration des
15 Serbes de Bosnie, dénommée officiellement Republika Srpska à la suite des
16 accords de paix signés le 14 décembre 1995 ou accords de Dayton, est tenue
17 de coopérer avec le Tribunal international.
18 Malgré la présence de Radovan Karadzic et Ratko Mladic sur le territoire
19 sous son contrôle, la Republika Srpska n'a ni signifié les deux Actes
20 d'accusation aux accusés, ni exécuté les mandats d'arrêt à leur encontre.
21 Il apparaît à la Chambre que Radovan Karadzic et Ratko Mladic se sont
22 rendus à diverses reprises en République Fédérale de Yougoslavie. Le
23 Procureur a produit quatre notes envoyées par le Juge Antonio Cassese,
24 Président du Tribunal Pénal international, à M. Slobodan Milosevic,
25 Président de Serbie. Dans ces lettres, à l'occasion de certains séjours,
Page 990
1 des accusés sur le territoire de la République Fédérale de Yougoslavie, le
2 Président Antonjo Cassese requérait l'assistance des autorités yougoslaves
3 afin d'exécuter les mandats d'arrêt délivrés par le Tribunal. Ces lettres
4 concernent notamment le séjour de Ratko Mladic à Belgrade, pour soins
5 médicaux, en septembre 1995 (lettre du 18 septembre 1995); la présence de
6 Radovan Karadzic à Belgrade le 23 septembre 1995 (lettre du 27 septembre
7 1995); le voyage de Radovan Karadzic à Belgrade pour des entretiens
8 officiels avec le Président Slobodan Milosevic, le 24 octobre 1995 (lettre
9 du 23 octobre 1995); le séjour de Ratko Mladic à Belgrade, pour soins
10 médicaux, fin novembre 1995 (lettre du 29 novembre 1995).
11 La République Fédérale de Yougoslavie n'a jamais fourni l'assistance
12 requise aux termes de l'Article 29 du Statut.
13 Par ailleurs, le Procureur fait état de la présence, à de nombreuses
14 autres reprises, à Belgrade des accusés. Notamment à l'occasion de
15 rencontres à haut niveau, les 3 août 1995, 29 août 1995 et 7 février 1996.
16 De plus, le 22 mai 1996, le Président Cassese a envoyé une lettre au
17 Président du Conseil de sécurité pour signaler que malgré la présence de
18 Ratko Mladic à Belgrade, à l'occasion des funérailles du Gl Djordje
19 Djuklic, le 21 mai 1996, les autorités de la République Fédérale de
20 Yougoslavie n avaient pas exécuté le mandat d'arrêt à son encontre.
21 En outre, la Chambre constate que, à l'occasion des négociations tenues à
22 Dayton, la République fédérale de Yougoslavie s'est engagée à prendre
23 toutes les mesures nécessaires pour assurer que la Republika Srpska
24 respecte pleinement et se conforme aux obligations prévues dans les
25 annexes 1-A et 2 des Accords de paix signés le 14 décembre 1995.
Page 991
1 En vertu de l'Article 10 de l'annexe 1-A, la Republika Srpska notamment a
2 souscrit l'obligation de coopérer pleinement avec toutes les entités
3 impliquées dans la mise en œuvre des accords de paix, y compris avec le
4 Tribunal pénal international.
5 Ainsi, la République fédérale de Yougoslavie s'est engagée à garantir que
6 la Republika Srpska coopère pleinement avec le Tribunal international. Cet
7 engagement a été pris à la suite de la demande, faite le 20 novembre 1995
8 par la délégation de la Republika Srpska à Dayton, demande faite à la
9 République fédérale de Yougoslavie pour que celle-ci se porte garante des
10 obligations internationales de la Republika Srpska.
11 Comme la Chambre l'a relevé plus haut, la Republika Srpska n'a pas
12 respecté ses obligations envers le Tribunal, ce qui emporte également
13 manquement de la République fédérale de Yougoslavie.
14 Au regard de l'ensemble de ces éléments, la Chambre considère que le
15 défaut de signification à la personne de Radovan Karadzic et Ratko Mladic
16 et d'exécution des mandats d'arrêt émis à leur encontre est imputable au
17 refus de la Republika Srpska et de la République fédérale de Yougoslavie
18 de coopérer avec le Tribunal. Elle en dresse, en conséquence, constat, aux
19 fins d'information du Conseil de sécurité.
20 A présent la Chambre décide par ces motifs,
21 Vu les Articles 59 bis et 61 du Règlement de Procédure et de Preuve; vu
22 les décisions de confirmation des Actes d'accusation rendus par le Juge
23 Jorda et le Juge Riad, en date des 25 juillet et 16 novembre 1995; vu les
24 mandats d'arrêts délivrés les 25 juillet et 16 novembre 1995; vu les
25 décisions en date du 18 juin 1996 par lesquelles le Juge Jorda et le Juge
Page 992
1 Riad ont ordonné au Procureur de saisir la Chambre de première instance,
2 entendu le Procureur en ses observations, les amici curiae en leurs
3 exposés et les témoins en leurs déclarations au cours des audiences tenues
4 les 27 et 28 juin, 1e, 2, 3, 4, 5 et 8 juillet 1996 au siège de ce
5 Tribunal,
6 La Chambre de première instance statuant publiquement, à l'unanimité,
7 ordonne la jonction des dossiers IT-95-5-R61 et IT-95-18-R61,
8 invite le Procureur à compléter les Actes d'accusation,
9 dit qu'il existe des raisons suffisantes de croire que Radovan Karadzic et
10 Ratko Mladic ont commis les infractions mises à leur charge dans les Actes
11 d'accusation établis les 25 juillet et 16 novembre 1995,
12 confirme en conséquence en ses 16 chefs, l'Acte d'accusation du 25 juillet
13 1995 et en ses 20 chefs l'Acte d'accusation du 16 novembre 1995,
14 délivre mandat d'arrêt international à l'encontre de Radovan Karadzic et
15 de Ratko Mladic,
16 dit que ces mandats seront transmis à tous les États et, en tant que de
17 besoin, à la Force de mise en oeuvre, IFOR,
18 constate que le défaut de signification des Actes d'accusation est
19 imputable au refus de coopération de la République Fédérale de
20 Yougoslavie, Serbie et Monténégro, et de l'Administration des Serbes de
21 Bosnie à Pale devenue Republika Srpska avec le Tribunal, laissant le soin
22 au Président du Tribunal, selon les modalités de l'article 61 E), d'en
23 informer le Conseil de Sécurité. Fait en français et en anglais, la
24 version française faisant foi, ce jour, le 11 juillet 1996, au Tribunal
25 pénal international à La Haye au Pays-Bas.
Page 993
1 (L'audience est levée.)