Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mercredi 31 mars 2004

2 [Audience sentencielle]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 15 heures 02.

6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourriez-vous, s'il vous plaît, appeler

7 la cause inscrite au rôle.

8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

9 les Juges, c'est l'affaire IT-02-59-PS, le Procureur contre Darko Mrdja.

10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Greffier.

11 Avant que je demande qui représente les parties, Monsieur Mrdja, pourriez-

12 vous confirmer que vous pouvez m'entendre dans une langue que vous

13 comprenez.

14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, oui, je peux vous

15 entendre. Je vous remercie.

16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez vous asseoir,

17 Monsieur Mrdja.

18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci.

19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je veux savoir qui représente les

20 parties, s'il vous plaît.

21 Tout d'abord pour l'Accusation.

22 M. TIEGER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Alan Tieger,

23 Timothy Resch, pour l'Accusation, assistés par Skye Winner.

24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Tieger.

25 Pour l'équipe de la Défense.

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1 M. DIMITRIJEVIC : [interprétation] Vojislav Dimitrijevic pour la Défense

2 avec mon co-conseil, M. Wachenheim.

3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie. Bonjour à tous dans

4 cette salle d'audience, ainsi qu'à ceux qui nous assistent aujourd'hui en

5 dehors de la salle d'audience.

6 Nous nous réunissons en ce jour afin de prononcer le jugement, portant

7 condamnation de Darko Mrdja, pour sa participation aux meurtres d'environ

8 200 civils et aux actes inhumains (sous forme de tentatives d'assassinat)

9 commis contre 12 autres civils à Koricanski Stijene en Bosnie-Herzégovine,

10 le 21 août 1992.

11 Ce qui suit n'est qu'un résumé du jugement écrit et n'en fait pas partie

12 intégrante. Le texte complet du jugement sera mis à la disposition du

13 Procureur, des avocats de la Défense et du public, à l'issue de l'audience.

14 Nous rappellerons brièvement le contexte et les faits de la cause avant de

15 passer en revue les facteurs pris en compte pour fixer la peine.

16 Darko Mrdja est né le 28 juin 1967, à Zagreb en Croatie. Il a grandi à

17 Tukovi, dans la municipalité de Prijedor, en Bosnie-Herzégovine et a

18 travaillé non loin de là, à la mine d'Omarska. En 1992, lors du conflit en

19 Bosnie-Herzégovine, il était membre d'une unité spéciale de la police

20 dénommée escouade d'Intervention, placée sous le contrôle des autorités

21 serbes de Prijedor.

22 Le 26 avril 2002, le Juge Liu a confirmé l'acte d'accusation établi par le

23 Procureur à l'encontre de Mrdja, qui comprenait à l'origine trois chefs

24 d'inculpation : extermination en tant que crime contre l'humanité, chef

25 d'inculpation 1; meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la

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1 guerre, chef d'inculpation 2; et actes inhumains en tant que crime contre

2 l'humanité, chef d'inculpation 3.

3 Le 13 juin 2002, Darko Mrdja a été arrêté, et transféré au Quartier

4 pénitentiaire du Tribunal, le 17 juin 2002. Il a comparu devant le Tribunal

5 et a plaidé non coupable.

6 Une année plus tard, le 24 juillet 2003, Darko Mrdja conclut avec le

7 Procureur, un accord sur le plaidoyer au terme duquel le Procureur a retiré

8 le chef d'inculpation 1, avec le consentement de la Chambre de première

9 instance. Mrdja, reconnaissant, quant à lui sa responsabilité pour les

10 meurtres et les actes inhumains (sous forme de tentatives d'assassinat)

11 reprochés sous les chefs d'inculpation 2 et 3, s'engageant à coopérer avec

12 le Procureur. Lors de l'audience du 24 juillet 2003, Mrdja a, en

13 conséquence, plaidé coupable des crimes visés aux chefs d'inculpation 2 et

14 3 de l'acte d'accusation. La Chambre de première instance a accepté ce

15 plaidoyer de culpabilité après s'être rassurée qu'il avait été fait

16 délibérément, en connaissance de cause, qu'il n'était pas équivoque, et

17 qu'il existe des éléments factuels suffisants pour établir les crimes et la

18 participation de Mrdja à ceci.

19 Voici à présent, un résumé des faits dont Mrdja a été reconnu coupable,

20 tels qu'ils sont décrits dans l'accord sur le plaidoyer.

21 En août 1992, la Bosnie-Herzégovine était la proie d'un conflit armé, qui

22 s'est traduit par une attaque généralisée et systématique contre la

23 population civile non-serbe, dans la municipalité de Prijedor. Mrdja a

24 reconnu que les crimes, dont il a plaidé coupable, s'inscrivaient dans le

25 cadre de cette attaque généralisée et systématique.

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1 Le 21 août 1992, Mrdja faisait partie de l'escouade d'Intervention de

2 Prijedor que nous venons de mentionner. Ce jour-là, dans l'exercice de ses

3 fonctions officielles de policier, Mrdja a participé à l'escorte d'un

4 convoi organisé, de civils musulmans et d'autres civils non-serbes, qui a

5 quitté Tukovi et le camp de Trnopolje, dans la région de Prijedor, en

6 direction de la municipalité de Travnik. Ce convoi se composait d'autocars

7 et de camions chargés de civils.

8 Sur la route longeant la rivière Ilomska, le convoi s'est arrêté à un lieu

9 situé entre Skender Vakuf et le mont Vlasic. Là, Mrdja et d'autres membres

10 de l'escouade d'Intervention se sont activement employés, en exécution

11 d'ordres reçus, à séparer les hommes en âge de porter les armes du reste du

12 convoi. Mrdja a lui-même sélectionné des hommes du convoi, sachant

13 pertinemment qu'ils allaient être tués. Un grand nombre d'hommes, estimé à

14 plus de 200, ont dû monter à bord de deux autocars.

15 Mrdja et les autres membres de l'escouade d'Intervention ont conduit les

16 hommes, séparés du reste du convoi, à Koricanski, à bord des deux autocars.

17 Les hommes, de l'un des autocars, ont reçu l'ordre d'en descendre et ont

18 été menés au bord de la route qui surplombait un précipice. Ils ont alors

19 reçu l'ordre de s'agenouiller, et ils ont été abattus. Les hommes qui se

20 trouvaient dans l'autre autocar, en ont été sortis par petits groupes de

21 deux ou trois personnes. Eux aussi ont été abattus. De concert avec les

22 autres membres de l'escouade d'Intervention, Mrdja a participé directement

23 et personnellement au débarquement, à la surveillance, à l'escorte, à la

24 fusillade et au meurtre de ces hommes non armés à Koricanski Stijene. A

25 l'exception de 12 hommes, qui ont survécu au massacre, tout ceux qui se

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1 trouvaient à bord des deux autocars, ont été tués.

2 Nous allons à présent exposer succinctement les éléments pris en compte

3 pour évaluer la gravité des crimes perpétrés. Nous évoquerons ensuite

4 brièvement les circonstances aggravantes et atténuantes applicables en

5 l'espèce.

6 La gravité des crimes.

7 Pour déterminer la gravité des crimes, nous avons tenu compte de l'ampleur

8 et de la nature générale des infractions commises, du rôle joué par Darko

9 Mrdja, ainsi que des conséquences des crimes sur les victimes et leurs

10 familles.

11 S'agissant de l'ampleur des crimes, il n'a pas été possible de déterminer

12 le nombre exact de civils que Mrdja a lui-même tué. Sa participation à un

13 massacre à grande échelle, qui a coûté la vie à 200 civils environ, ne fait

14 toutefois aucun doute.

15 Quand au rôle qu'il a jouté, Mrdja n'était certes pas le maître d'œuvre des

16 crimes. De concert avec d'autres membres de l'escouade d'Intervention, il a

17 agi en exécution d'ordres de ses supérieurs. Nous considérons, toutefois,

18 que le fait d'avoir participé personnellement à la sélection des civils,

19 qui allaient être tués et, à leur meurtre et à la tentative d'assassinat

20 contre 12 d'entre eux, sachant qu'une attaque généralisée et systématique

21 contre les civils, était en cours, rend les crimes dont il a à répondre

22 particulièrement graves.

23 Nous avons enfin mesuré la gravité des crimes commis par Mrdja à la lumière

24 de leurs conséquences sur les victimes et leurs familles. Pour ce faire,

25 nous avons examiné les déclarations, de certains survivants des massacres,

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1 présentés par le Procureur. Nous avons également entendu deux témoins, lors

2 de l'audience du 24 juillet 2003, M. Mujkanovic, rescapé des crimes et Mme

3 Karabasic, présidente de l'association Izvor des femmes de Prijedor. Il en

4 est ressorti que les crimes ont eu des répercussions sérieuses sur les

5 familles des victimes, ce qui ajoute à leur gravité. Quant à leurs

6 conséquences sur les victimes elles-mêmes, nous avons été convaincus, au-

7 delà de tout doute raisonnable, que la plupart de ces personnes se sont

8 vues infliger des souffrances sensiblement plus grandes que celles

9 habituellement endurées par les victimes de meurtres et d'actes inhumains.

10 Nous avons aussi retenu l'intensité de ces souffrances comme une

11 circonstance aggravante.

12 En guise de conclusion, nous disons que la peine doit refléter toute la

13 cruauté et l'inhumanité dont Darko Mrdja a fait preuve en participant

14 directement à la fusillade de plus de 200 civils qui tous, sauf 12, ont été

15 tués.

16 Circonstances aggravantes et atténuantes.

17 En plus du facteur d'aggravation de la peine, déjà mentionné en relation

18 avec les conséquences des crimes sur les victimes, nous avons retenu deux

19 circonstances aggravantes invoquées par le Procureur, à savoir la

20 vulnérabilité des victimes, et d'autre part la position d'autorité de

21 Mrdja. S'agissant de la première, nous estimons le fait que les victimes

22 étaient des civils ne peut être considéré en soi comme une circonstance

23 aggravante, étant donné qu'il s'agit là déjà d'un élément constitutif du

24 crime de meurtre en tant que violation des lois et coutumes de la guerre,

25 et de celui d'actes inhumains en tant que crime contre l'humanité. Nous

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1 estimons en revanche que, le fait que la plupart des victimes étaient

2 précédemment détenues dans des camps et particulièrement vulnérables, ce

3 fait doit être considéré comme une circonstance aggravante. Nous avons

4 également retenu la position d'autorité de Darko Mrdja, en tant que

5 policier, comme circonstance aggravante, sans toutefois lui accorder

6 beaucoup de poids.

7 Par ailleurs, la Chambre de première instance a examiné les circonstances

8 atténuantes, sept au total, alléguées par le Procureur et la Défense, à

9 savoir la contrainte et l'obéissance aux ordres de supérieurs

10 hiérarchiques, la coopération avec le Procureur, le plaidoyer de

11 culpabilité, les remords de Mrdja, sa situation personnelle, le temps

12 écoulé entre les crimes et le procès, et enfin, l'obligation pour Mrdja de

13 purger sa peine en dehors de l'ex-Yougoslavie, là où il vivait avec sa

14 famille.

15 S'agissant de la contrainte, nous estimons que la Défense n'a pas démontré

16 que Mrdja aurait payé de sa vie, le fait de ne pas exécuter les ordres de

17 ses supérieurs ou que cela aurait à tout le moins eu pour lui des

18 conséquences graves.

19 Nous pensons que les circonstances difficiles qui régnaient au moment des

20 faits peuvent avoir exercé une certaine influence sur le comportement

21 criminel de Mrdja, mais nous n'admettons pas quelles aient été telles que

22 Mrdja n'avait d'autre choix que de participer aux massacres d'environ 200

23 civils. En l'absence de toute preuve convaincante permettant d'établir que

24 Darko Mrdja serait clairement désolidariser du massacre au moment des

25 faits, nous n'avons pas pu retenir la contrainte comme circonstance

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1 atténuante. En concluant de la sorte, nous avons pleinement pris en compte

2 l'âge de Mrdja et son rang peu élevé.

3 S'agissant du fait d'avoir agi en exécution d'ordres de supérieurs

4 hiérarchiques, facteur qu'au terme de l'Article 7(4) du statut du Tribunal,

5 les juges peuvent dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire

6 considérer comme un motif de diminution de la peine, nous estimons que les

7 ordres en vertu desquels Mrdja a agi étaient si manifestement illicites,

8 que l'accusé devait forcément savoir qu'il violait les droits les plus

9 élémentaires de la guerre et les principes fondamentaux d'humanité. Le fait

10 que Mrdja n'ait pas agi de sa propre initiative mais ce soit conformé à de

11 tels ordres, ne justifie aucune atténuation de la peine.

12 S'agissant de la coopération de Mrdja avec le Procureur, nous nous rangeons

13 à l'avis de ce dernier qui affirme qu'elle a été substantielle et nous la

14 retenons à titre de circonstance atténuante.

15 Nous estimons également que le plaidoyer de culpabilité de Mrdja aide à

16 l'établissement de la vérité autour des crimes commis à Koricanski Stijene

17 et peut contribuer à promouvoir la réconciliation entre les peuples de

18 Bosnie-Herzégovine.

19 Accessoirement, nous notons que ce plaidoyer a permis de faire l'économie

20 d'un long procès et d'éviter qu'un grand nombre de victimes et de témoins

21 doivent venir témoigner devant le Tribunal. Nous considérons le plaidoyer

22 de culpabilité comme une circonstance atténuante.

23 Quant aux remords, nous estimons que ceux exprimés par Mrdja sont sincères

24 et méritent d'être pris en compte comme facteur d'atténuation de la peine.

25 S'agissant de la situation personnelle de Mrdja, en particulier du fait

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1 qu'il a grandi dans des circonstances difficiles, qu'il s'est bien comporté

2 en détention, et que depuis les événements d'août 1992, il s'est marié et

3 il a eu deux enfants, dont l'un souffre d'une maladie chronique, nous

4 estimons que cette situation doit dans sa globalité être considéré comme un

5 facteur de diminution de la peine qui n'a toutefois que peu de foi.

6 S'agissant du long laps de temps qui s'est écoulé entre les crimes et le

7 procès, nous notons que la Défense semble confondre cette question avec

8 celle du droit d'être jugé dans un délai raisonnable. Or, la violation de

9 ce droit là ne peut être invoqué dans la présente affaire puisqu'un tel

10 droit ne prend effet qu'à partir du moment où un accusé a été

11 officiellement mis en accusation par le Tribunal ou arrêté. Or Mrdja a été

12 mis en accusation le 26 avril 2002, et arrêté le 13 juin 2002, c'est-à-

13 dire, moins de deux ans avant le début des audiences.

14 De plus, nous sommes d'avis que pour des crimes du type de ceux qui sont

15 reprochés en l'espèce des crimes d'une telle gravité qu'elle justifie leur

16 imprescriptibilité, une période de presque 12 ans entre la perpétration des

17 crimes et la fixation de la peine n'est pas d'une longueur telle qu'il

18 faille la considérer comme une circonstance atténuante.

19 Enfin, nous reconnaissons que pour Mrdja l'obligation d'exécuter sa peine

20 dans un pays autre que celui où réside sa famille et dont il ne parle pas

21 la langue peut représenter une épreuve supplémentaire. Ce facteur doit être

22 pris en compte dans la fixation d'une peine appropriée, mais il ne

23 constitue pas en soi une circonstance atténuante.

24 Monsieur Mrdja, veuillez vous lever, s'il vous plaît.

25 Monsieur Mrdja, nous avons dûment analysé les éléments permettant de

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1 déterminer avec précision la gravité des meurtres constitutifs de crimes de

2 guerre et des actes inhumains, à savoir, tentative d'assassinats,

3 constitutifs de crimes contre l'humanité dont vous avez été déclaré

4 coupable. La peine qui vous est infligée doit être proportionnelle à toute

5 la gravité, la cruauté et l'inhumanité du massacre qui a coûté la vie à

6 environ 200 civils et infligé des souffrances considérables aux survivants

7 et aux familles des victimes.

8 Nous considérons comme des circonstances aggravantes la vulnérabilité

9 particulière des victimes au moment où ces crimes ont été commis et les

10 souffrances exceptionnellement grandes que vous leur avez infligées. Votre

11 position d'autorité en tant que policier a également été retenue comme une

12 circonstance aggravante d'un poids toutefois limité. Nous avons, en outre,

13 tenu compte de la plupart des circonstances atténuantes que vous avez

14 invoquées. Vous avez coopéré de façon substantielle avec le Procureur. Vous

15 avez plaidé coupable et vous avez exprimé des remords. Votre situation

16 personnelle et familiale a elle aussi été pris en compte. Nous avons en

17 revanche rejeté les arguments que vous avez invoqués s'agissant de la

18 contrainte, du fait d'avoir agi sous les ordres de supérieurs hiérarchiques

19 et du temps écoulé depuis la commission des crimes.

20 La Chambre de première instance vous condamne, Darko Mrdja, à 17 années

21 d'emprisonnement. La durée de votre détention préventive, soit 658 jours,

22 sera déduite de cette peine.

23 Veuillez vous rasseoir.

24 En prononçant le résumé du jugement, j'ai dit que nous avions entendu des

25 témoins le 24 juillet 2003. Il convient que j'apporte maintenant une

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1 correction puisqu'en fait ces témoins ont été entendus lors de l'audience

2 consacrée à la détermination de la peine qui s'est en vérité tenue en

3 octobre de cette année, en octobre 2003.

4 L'audience est levée.

5 --- L'audience sentencielle est levée à 15 heures 25.

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