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1 Le mardi 30 mai 2006
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 35.
6 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Bonjour à tous.
7 Malheureusement, M. le Juge Parker n'est pas en mesure de siéger avec nous
8 aujourd'hui, là encore conformément aux dispositions du Règlement, M. le
9 Juge Thelin et moi-même allons siéger sans lui.
10 Avant de commencer l'audience, je souhaiterais que l'on aborde une question
11 d'intendance. Comme vous le savez peut-être, nous avons une séance plénière
12 cet après-midi qui commence à 14 heures 30. Nous vous proposons d'avoir
13 deux séances d'une heure et demie, ce qui nous permettrait d'aller jusqu'à
14 11 heures pour ce qui est de la première séance et d'avoir une pause à ce
15 moment-là. Nous poursuivrons ensuite jusqu'à 13 heures et nous lèverons
16 l'audience à 13 heures. C'est ce que nous proposons pour aujourd'hui.
17 Demain nous aurons des horaires normaux. Nous commencerons à 9 heures
18 30 et nous finirons à 16 heures 30. Pour ce qui est de jeudi, il y aura
19 également une modification au calendrier. Nous proposons de siéger le matin
20 à partir de 9 heures jusqu'à 13 heures 45. Pour ce qui est de vendredi,
21 nous proposons également de siéger de 9 heures à 13 heures 45.
22 Monsieur Moore.
23 M. MOORE : [interprétation] Il y a une question que j'aimerais
24 aborder. Nous avons ce témoin pour aujourd'hui. Nous espérons terminer
25 notre interrogatoire principal aujourd'hui. Nous espérons que le contre-
26 interrogatoire pourra être terminé d'ici demain. Ensuite, nous avons le
27 témoin Grujic, jeudi, mais il a des obligations pour le week-end. Il va
28 devoir partir vendredi après-midi ou en début de soirée. Il faudrait que
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1 mes confrères me disent si cela est possible ou non. D'après ce que j'ai
2 compris, il s'agit d'un engagement assez important.
3 [Le conseil de la Défense se concerte]
4 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Maître Vasic.
5 M. VASIC : [interprétation] Merci, Madame le Juge. Bonjour à tous.
6 S'agissant de M. Grujic, la position de la Défense dépend de la manière
7 dont se déroulera notre interrogatoire principal. Compte tenu de notre
8 emploi du temps pour cette semaine et pour le début de la semaine
9 prochaine, je pense qu'il est possible que M. Grujic rentre chez lui ce
10 week-end puisque nous n'aurons pas d'audience lundi, lundi étant férié.
11 Nous reprendrons nos travaux la semaine prochaine, mardi. Il pourrait alors
12 être de retour mardi pour terminer son contre-interrogatoire si nécessaire.
13 Mais nous ne pensons pas que la Défense aura terminé son contre-
14 interrogatoire d'ici vendredi soir.
15 Nous avons eu des contacts avec M. Smith, du bureau du Procureur, il
16 nous a indiqué que son interrogatoire principal devrait duré au moins trois
17 heures. Compte tenu de notre emploi du temps, la Défense ne peut pas
18 promettre qu'elle aura terminé son contre-interrogatoire d'ici vendredi car
19 nous avons peu de temps pour notre contre-interrogatoire. Voilà la position
20 des trois équipes de la Défense. Toujours est-il que M. Grujic pourrait
21 revenir mardi pour terminer sa déposition.
22 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Très bien. Merci, Maître
23 Vasic.
24 Qu'en pensez-vous, Monsieur Moore ?
25 M. MOORE : [interprétation] Je vais demander quels sont ses engagements et
26 j'espère être en mesure de vous dire assez rapidement ce qu'il en est. J'en
27 parlerai après la prochaine pause.
28 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Merci beaucoup.
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1 M. MOORE : [interprétation] J'appelle le témoin suivant.
2 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Bonjour, Monsieur. Veuillez
3 donner lecture du texte qui figure sur la carte que l'on vous remet.
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
5 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
6 LE TÉMOIN: P-030 [Assermenté]
7 [Le témoin répond par l'interprète]
8 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Merci beaucoup. Veuillez
9 vous asseoir.
10 M. MOORE : [interprétation] La déposition de ce témoin se déroulera à huis
11 clos. J'ai des documents confidentiels à lui présenter. Nous pensons que
12 nos mesures de protection octroyées sont la déformation de la voix et les
13 traits du visage. Cela suffira.
14 Interrogatoire principal par M. Moore :
15 Q. [interprétation] Monsieur le Témoin, veuillez examiner les informations
16 confidentielles que l'on vous présente afin de confirmer s'il s'agit bien
17 des renseignements vous concernant.
18 R. Oui, c'est exact.
19 Q. Je demande que ce document confidentiel soit versé au dossier sous pli
20 scellé.
21 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Le document est versé au
22 dossier.
23 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce à conviction 525
24 versé au dossier sous pli scellé.
25 M. MOORE : [interprétation] Il y a peut-être des problèmes de son. Il y a
26 deux microphones qui sont allumés, je vais essayer d'en garder seulement un
27 allumé, si c'est possible car je souhaiterais que mes conversations soient
28 confidentielles. J'espère que tout le monde peut m'entendre. Poursuivons.
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1 Q. Je vous appellerai, Témoin numéro 30. Nous allons parler d'abord de
2 votre parcours. Je pense qu'il est exact de dire que vous êtes étudiant,
3 que vous avez suivi vos études à Zagreb, mais que vous êtes né à Vukovar et
4 que c'est là que vous avez vécu jusqu'au mois de novembre en 1991; est-ce
5 exact ?
6 R. Oui, c'est exact.
7 Q. Je ne parlerai pas de vos parents, étant donné que nous pourrions alors
8 donner des indications concernant votre identité. Lorsque vous habitiez à
9 Vukovar, vous habitiez avec d'autres membres de votre famille, n'est-ce pas
10 ?
11 R. Non. J'habitais avec ma mère. Mais ma grand-mère habitait dans la même
12 ville et elle venait nous voir très souvent.
13 Q. Merci beaucoup. Parlons du mois de septembre 1991, si vous le voulez
14 bien. Où habitiez-vous à l'époque, à Vukovar même ?
15 R. En septembre 1991, j'étais dans la cave de ma maison à Vukovar.
16 Q. Je souhaiterais que l'on passe à huis clos, si possible, afin de parler
17 de l'endroit où vous habitiez.
18 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Huis clos partiel.
19 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.
20 [Audience à huis clos partiel]
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9 [Audience publique]
10 M. MOORE : [interprétation]
11 Q. Vous nous avez dit que vous aviez quitté votre domicile et vous avez
12 mentionné le quartier dans lequel vous habitiez. Quelle était la situation
13 à l'époque dans le quartier où vous habitiez ? Je veux parler du mois de
14 septembre.
15 R. Au mois de septembre, la guerre avait déjà commencé. Il y avait des
16 pilonnages quotidiens. Je ne pense pas avoir quitté la cave un seul jour au
17 mois de septembre. Je passais toute la journée dans la cave. A chaque fois
18 qu'on quittait la cave, on risquait sa vie. La maison avait été touchée au
19 moins une fois, bien que nous restions tout le temps dans la cave.
20 Q. Si l'on vous disait que les maisons civiles qui ont été touchées dans
21 votre quartier l'ont été parce qu'il s'agissait de cibles militaires
22 légitimes, que diriez-vous ? S'agissant de la maison dans laquelle vous
23 habitiez, est-ce qu'elle était habitée par des soldats ou par des civils ?
24 R. Je sais qu'un certain nombre de maisons qui se trouvaient dans mon
25 quartier étaient habitées par des civils. Certaines étaient abandonnées.
26 Elles aussi étaient prises pour cibles. Je me trouvais là avec deux autres
27 dames. Je peux vous dire que ma maison et les autres maisons ont été prises
28 pour cibles. Il s'agissait de cibles civiles.
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1 Q. Parlons de l'approvisionnement en eau pendant cette période, c'est-à-
2 dire durant les mois de septembre, octobre et novembre. Comment se passait
3 l'approvisionnement en eau dans la ville de Vukovar et dans les environs ?
4 Quelle était la situation à cet égard ?
5 R. Le système d'approvisionnement en eau ne fonctionnait plus et la
6 situation à cet égard s'est dégradée au cours des trois mois que vous avez
7 mentionnés. Il y avait plusieurs puits dans la ville, et au mois de
8 septembre, peut-être au début du mois d'octobre, les pompiers conduisaient
9 des camions-citernes remplis d'eau à travers la ville pour approvisionner
10 les civils en eau. Parfois, ils apportaient également de la nourriture. Les
11 gens apportaient leurs bidons pour chercher de l'eau, mais c'était très
12 dangereux, car les puits ou les fontaines, si vous préférez, étaient
13 toujours pilonnés en permanence. C'est là que les gens allaient chercher de
14 l'eau. A chaque fois qu'un camion-citerne arrivait - il s'agit d'un
15 véhicule très gros - à chaque fois, les gens faisaient la queue pour avoir
16 de l'eau, et rapidement, il y avait des pilonnages.
17 Q. Est-ce que vous aviez des châteaux d'eau à Vukovar à l'époque ?
18 R. Oui, il y en avait un. Il était en permanence pilonné. C'est un endroit
19 que l'on repère facilement. On le voit quelque soit l'endroit où l'on se
20 trouve en ville. Ce château d'eau se trouve sur la colline qui surplombe
21 les environs, et on voyait les avions qui bombardaient ce château d'eau
22 tous les jours.
23 Q. Est-ce qu'il y avait des citernes dans la région de Vukovar où les gens
24 pouvaient s'approvisionner en eau ?
25 R. Ces citernes appartenaient aux pompiers qui les transportaient dans des
26 endroits où les civils pouvaient y avoir accès. C'est à ce moment-là que je
27 suis allé dans le quartier d'Olajnica. Une citerne est arrivée avec de
28 l'eau potable. Les gens sont venus munis de leurs bidons, de leurs
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1 bouteilles, de leurs seaux, pour récupérer de l'eau. Ces foules ainsi
2 rassemblées étaient souvent prises pour cibles. A chaque fois que l'on
3 apportait de l'eau, les gens se rassemblaient et étaient pris pour cibles.
4 De nombreux pompiers ont été tués à ces occasions.
5 Q. Pour en terminer avec ce sujet, comment décririez vous les conditions
6 de vie pour les civils à l'époque ?
7 R. Elles étaient très difficiles. Les gens n'avaient plus de nourriture.
8 Ils n'avaient plus de provisions. L'électricité avait été coupée, si bien
9 qu'il était difficile de conserver la nourriture. En quelques jours, tout
10 pourrissait, car les réfrigérateurs ne pouvaient pas fonctionner. Les
11 magasins étaient fermés. Il y en avait quelques-uns qui étaient encore
12 ouverts, mais il était risqué de s'y rendre. Il y avait donc une pénurie en
13 vivres très grave, et la situation était particulièrement grave pour ce qui
14 est de l'eau. Les conditions sanitaires étaient très mauvaises. Il n'y
15 avait quasiment pas d'eau. Nous manquions de tout, et le simple fait de
16 soulager ses besoins était très difficile dans de telles conditions. Il y a
17 des gens qui ont été blessés ou tués en répondant à l'appel de la nature.
18 Q. Parlons de ce que vous faisiez à l'époque. Est-ce que vous avez pris
19 part de quelque manière que ce soit à la défense de Vukovar ? Est-ce que
20 vous avez aidé ce que l'on a appelé les défenseurs de Vukovar ?
21 R. J'ai quitté ma maison le 15 septembre, accompagné de ma mère. Nous
22 avons trouvé refuge dans le quartier d'Olajnica, et c'est là que je suis
23 resté jusqu'au moment où j'ai rejoint les rangs des défenseurs. Je devais
24 m'occuper des civils, essayer de les approvisionner en nourriture et en
25 eau, et j'ai dû également mettre en place un système de garde. Donc, il y
26 avait des citernes d'eau de plusieurs milliers de litres, donc citernes
27 remplies d'eau potable, et nous avons dû garder ces citernes pendant la
28 nuit. Voilà ce que nous devions faire. Nous nous sommes également occupés
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1 des civils à partir du 15 septembre, comme je l'ai déjà dit.
2 Q. Je pense qu'il est exact de dire que votre mère a été blessée par
3 balle, mais elle n'a pas été tuée; c'est bien cela ?
4 R. Oui, c'est cela. Le 8 novembre, une voiture est arrivée de l'hôpital.
5 Ils ont dit qu'ils avaient besoin de sang, car il y avait de nombreux
6 blessés. Ma mère et moi-même nous sommes portés volontaires ainsi que deux
7 autres femmes, et nous sommes montés à bord du véhicule tous les cinq.
8 Lorsque nous sommes arrivés dans la clairière située à l'extérieur
9 d'Olajnica, des coups ont été tirés, à la suite de quoi ma mère a été
10 blessée. Elle a été conduite à l'hôpital, où l'on a constaté qu'elle avait
11 été blessée au foie. Elle est restée à l'hôpital pendant toute cette
12 période, et je suis rentré à Olajnica dès que je l'ai pu.
13 Q. Parlons de la date du 18 novembre, date à laquelle, comme il est
14 communément admis, les forces croates se sont rendues. Où étiez-vous le 18
15 novembre ?
16 R. Le 18 novembre et dans la nuit du 18 ou 19, je me trouvais dans l'abri
17 nucléaire d'Olajnica. Plus de 500 civils s'étaient rassemblés à cet
18 endroit, ceux qui s'étaient cachés dans les bâtiments avoisinants. Donc,
19 ils étaient venus au refuge, car les bâtiments avaient été détruits. Ils
20 n'avaient plus d'endroit où aller. J'ai passé toute la journée du 18 et la
21 matinée du 19 à Olajnica.
22 Q. Est-ce que finalement vous êtes parti pour Olajnica ?
23 R. Le 19 dans la matinée, un groupe important est parti pour Olajnica, un
24 groupe de civils. Une femme est venue dans une Zastava blanche, un véhicule
25 pour passagers, et elle a dit que ceux voulaient aller vers la Serbie et
26 rejoindre l'armée devraient aller vers la place du marché et que ceux qui
27 choisissaient d'aller en Croatie devaient se rendre à l'hôpital.
28 Q. [aucune interprétation]
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1 R. Ma mère avait été blessée à ce moment-là, dans l'intervalle.
2 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]
3 M. BOROVIC : [interprétation] Madame le Juge, Monsieur les Juges.
4 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Maître Borovic.
5 M. BOROVIC : [interprétation] Je voudrais intervenir pour des raisons
6 techniques pour essayer d'aider M. Moore. Lorsque le témoin a mentionné une
7 femme qui est venue dans un véhicule Zastava blanc, je pense que ce que
8 voulait dire le témoin, c'est qu'elle avait un drapeau blanc, parce que
9 c'est le même mot en B/C/S. Peut-être que nous pourrions clarifier les
10 choses pour savoir quel était le type de voiture, si c'était une Zastava ou
11 si cette femme, en fait, portait un drapeau.
12 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Je vous remercie beaucoup,
13 Maître Borovic.
14 Monsieur Moore.
15 M. MOORE : [interprétation] Mon confrère a tout à fait raison et je suis
16 reconnaissant de cela.
17 Q. Monsieur le Témoin, il y a parfois des questions de traduction qui se
18 posent et je voudrais vous demander si vous êtes resté à Olajnica.
19 Pourriez-vous nous dire à nouveau ce que vous venez d'expliquer dans votre
20 déposition ? Que s'est-il passé exactement ? Je vous remercie beaucoup.
21 R. Cette femme est venue avec un drapeau blanc, un morceau d'étoffe, pour
22 parler clairement, littéralement.
23 Q. Et que vous a-t-elle dit ?
24 R. Elle a dit que ceux qui souhaitaient aller vers la Serbie et l'armée
25 devaient aller vers la place du marché tandis ceux qui voulaient aller vers
26 la Croatie devaient se rendre à l'hôpital. Ensuite, donc les gens sont
27 allés dans la direction qu'ils avaient choisie.
28 Q. Et vous-même, où êtes-vous allé, s'il vous plaît ?
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1 R. Ma mère avait été blessée dans l'intervalle, comme je l'ai expliqué,
2 c'est la raison pour laquelle je me suis rendu à l'hôpital, pour être
3 auprès d'elle. Je croyais aussi qu'à l'hôpital, il y aurait un transport
4 d'une façon ou d'une autre qui aurait été organisé pour les blessés et que
5 je serais autorisé à partir avec les personnes qui l'aurait organisé.
6 Q. Alors pourquoi avez-vous cru qu'il y aurait un transport organisé pour
7 les blessés et que vous-même, qui n'étiez pas blessé, seriez autorisé à
8 partir ?
9 R. Au début, ma seule pensée, c'était d'être réuni avec ma mère. Lorsque
10 nous sommes arrivés à l'hôpital dans la matinée du 19, il y avait un très
11 grand nombre de personnes qui se trouvaient là, et selon les rumeurs, les
12 blessés allaient être transportés avec l'aide de certaines organisations
13 internationales vers la Croatie. Quelqu'un m'a dit de rester auprès de ma
14 mère et m'a dit qu'il fallait que j'aide les blessés à monter dans les cars
15 et dans les camions, et que je serais autorisé à partir pour la Croatie
16 avec eux.
17 Q. Aviez-vous des renseignements ? Disait-on quelque chose concernant les
18 lieux où ces gens allaient être amenés en convoi ?
19 R. Les gens disaient qu'ils devaient aller à Zagreb ou cette partie de la
20 Croatie qui n'avait pas été touchée par la guerre.
21 Q. Parlons maintenant de la question de l'hôpital et de son environnement.
22 Vous êtes arrivé le 19. Avez-vous vu des soldats de la JNA à l'hôpital ou
23 des personnes portant des uniformes militaires ? Quand je dis des personnes
24 en uniformes militaires, je veux dire tout aussi bien des irréguliers que
25 des réguliers, des soldats de l'armée régulière et des autres du côté
26 serbe.
27 R. Lorsque nous sommes arrivés, il y avait un très grand nombre de
28 personnes. C'était des civils qui étaient là. Au moment d'entrer, j'ai vu
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1 plusieurs soldats en uniformes qui étaient placés tout autour de la cour et
2 qui étaient armés. Lorsque je suis entré dans le bâtiment de l'hôpital,
3 j'ai vu, cette nuit-là, plusieurs autres personnes qui portaient des
4 uniformes et qui sont entrées dans le bâtiment. Je suis entré moi-même et
5 j'ai cherché ma mère, et ensuite, je suis resté auprès d'elle. Le 19 dans
6 l'après-midi, des groupes importants de personnes ont commencé à se
7 déplacer vers Velepromet parce qu'on leur a ordonné de le faire. Il devait
8 y avoir des camions qui auraient été là. J'étais l'un des derniers à
9 partir, et une femme, à ce moment-là, m'a dit qu'il y avait une possibilité
10 pour moi d'être transporté avec les blessés en tant qu'assistant, en tant
11 qu'aide. Par conséquent, je suis resté sur place pendant cette nuit-là,
12 entre le 19 et le 20.
13 Q. Dans la réponse que vous avez faite, vous avez utilisé le membre de
14 phrase : "J'ai vu plusieurs autres personnes en uniformes qui sont entrées
15 dans le bâtiment." Est-ce que vous seriez en mesure d'être un peu plus
16 précis en ce qui concerne ces autres personnes en uniformes ? Pourriez-vous
17 vous rendre compte si c'étaient des soldats de l'armée régulière ou des
18 soldats irréguliers et s'ils portaient des armes ? Pourriez-vous nous faire
19 un tableau de tout cela ?
20 R. En fait, il y avait deux ou trois hommes à l'intérieur du bâtiment. Ils
21 portaient des uniformes de camouflage, mais ils étaient de Vukovar. Ils
22 allaient et venaient entre les civils qui se trouvaient dans l'entrée de
23 l'hôpital, le vestibule de l'hôpital qui était rempli à craquer, et il
24 était clair qu'ils cherchaient quelqu'un. Je pense que l'un d'entre eux
25 cherchait son frère. Ils ont donc passé dans tout l'hôpital ce soir-là,
26 puis ils ont quitté le bâtiment au bout de quelque dix minutes. Ils
27 portaient des uniformes de camouflage, ou plutôt, des effets d'uniformes
28 mélangés, parfois des effets de camouflage, donc certains étaient d'une
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1 seule couleur.
2 Q. Pouvez-vous vous rappeler s'ils étaient armés ou non ?
3 R. Oui, ils l'étaient.
4 Q. Passons donc, s'il vous plaît, à la matinée du 20. Pourriez-vous nous
5 parler de ce jour-là, s'il vous plaît ? Quel est votre premier souvenir
6 concernant cette journée ?
7 R. Le 20 dans la matinée, lorsque nous nous sommes réveillés, un officier
8 de la JNA est venu dans l'entrée de l'hôpital. Il portait un uniforme de
9 l'armée régulière, mais je n'ai pas pu reconnaître son grade. Il a dit que
10 tous les hommes qui pouvaient marcher devaient sortir du bâtiment. Avant
11 que les gens aient commencé à bouger, ils ont lu une liste de noms des gens
12 que l'on avait fait sortir avant qu'on nous fasse sortir nous. Il y avait
13 trois frères Dosen sur la liste, puis quelqu'un du nom de Harlan ainsi que
14 d'autres noms. On les a fait sortir de l'entrée du bâtiment avant les
15 autres. Puis tous les hommes qui étaient capables de marcher ont suivi.
16 Nous sommes allés à l'entrée à l'arrière de l'hôpital. On nous a placé à
17 côté d'un mur où les ambulances venaient se ranger.
18 Q. Je vous remercie beaucoup. Je voudrais qu'on parle maintenant de ceci :
19 vous avez dit qu'il y avait un officier de la JNA. Est-ce que vous pouvez
20 décrire, par exemple, quelle était sa taille ou comment il était bâti ?
21 R. Il devait faire environ un mètre 70, il était solide, il était bâti
22 très solide et il avait les cheveux gris.
23 Q. Vous avez dit que c'était un officier. Pourquoi êtes-vous parvenu à la
24 conclusion que c'était un officier plutôt que quelqu'un d'un autre grade ?
25 R. Il avait sur les épaules des étoiles jaunes ou d'autres insignes qui
26 d'habitude représentent un grade d'officier. Mais je ne pouvais pas dire
27 quel était son grade parce que je n'ai jamais moi-même été dans les forces
28 armées.
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1 Q. Vous avez employé, dans votre déposition, la formule : "Ils ont lu une
2 liste." Que voulez-vous dire lorsque vous employez "ils" ? De qui voulez-
3 vous parler ?
4 R. Je veux dire l'officier qui est entré. Il a donné lecture de cette
5 liste, il faisait un appel et on pouvait entendre du couloir les noms qui
6 étaient appelés pour que les gens sortent.
7 Q. Vous avez mentionné, par exemple, les frères Dosen et je crois que vous
8 avez également prononcé le nom de Harlan. Je pense que c'est juste de dire
9 qu'en temps utile, vous avez rédigé les différentes déclarations et que
10 dans l'une de ces déclarations, il y avait un document manuscrit où vous
11 avez écrit un certain nombre de noms. Maintenant, il se peut qu'il soit
12 utile maintenant, qu'il trouve application maintenant, mais il a
13 certainement une utilité plus tard. Est-ce que vous vous rappelez ce
14 document que vous avez écrit ? On vous l'a présenté avant que vous
15 n'entriez dans le prétoire.
16 R. Je me rappelle ce document, peut-être qu'on pourrait rafraîchir ma
17 mémoire en me donnant la possibilité de le revoir.
18 Q. Je pense qu'il est également juste de dire - je vais m'occuper de cette
19 déclaration dans une minute, si vous permettez - mais vous avez aussi
20 rédigé une déclaration au bureau du Procureur en juin 1995 où on vous a
21 donné un certain nombre de noms. Est-ce que vous essayeriez de vous
22 rafraîchir de la mémoire à partir de ce document, si on vous autorisait à
23 le faire ?
24 R. Cela s'est passé il y a 11 ans. En 1995, ma mémoire, mes souvenirs de
25 ce que j'ai vu étaient bien meilleurs. Cela m'aiderait effectivement si on
26 pouvait me donner quelque chose qui réveille ma mémoire.
27 M. MOORE : [interprétation] Madame le Juge, Monsieur le Juge, je voudrais
28 demander la permission que l'on présente au témoin ce document manuscrit
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1 maintenant afin d'essayer de nous assurer qu'il s'agit bien du document qui
2 a été rédigé parce que je ne lui ai pas, en fait, posé cette question.
3 Ensuite, je demanderais l'autorisation pour qu'il puisse regarder le
4 document pour se rafraîchir la mémoire, pour voir si ceci peut nous aider.
5 Là encore, je demanderais l'autorisation en ce qui concerne le document de
6 1995, c'est-à-dire, celui pour le bureau du Procureur qui a des noms
7 inclus. C'est évident que cela s'est passé il y a 11 ans, mais je soupçonne
8 que l'autre est peut-être encore plus ancien et plus proche du moment où
9 l'incident s'est produit.
10 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Vous pouvez poursuivre,
11 Monsieur Moore.
12 M. MOORE : [interprétation] Je vous remercie beaucoup. Je me demande si ce
13 document pourrait être présenté, il porte le numéro ERN 0033-4450 et il
14 devrait également pouvoir être présenté par le système e-court. Non,
15 apparemment pas. Bon, alors si on le met sur le rétroprojecteur, je pense
16 que ce serait une façon de procéder.
17 Q. Pourriez-vous juste jeter un coup d'œil à ce document, s'il vous
18 plaît ? Pouvez-vous vous rappeler ? C'était en 1992. Par rapport à
19 l'incident qui a eu lieu -- il est clair qu'il y a une erreur là. Mais
20 pouvez-vous vous rappeler quand est-ce que vous pensez que vous avez écrit
21 ce document ?
22 R. La date est fausse. C'est probablement une erreur de dactylographie.
23 C'était le 20 novembre 1991. Ce document aurait pu être fait à un moment
24 donné en 1992.
25 Q. Je vous remercie. Si on peut garder cela à côté. Je voudrais ensuite
26 que l'on vous montre votre déclaration de témoin qui a été établie pour le
27 bureau du Procureur en 1995.
28 M. MOORE : [interprétation] Si l'on pouvait montrer au témoin, s'il vous
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1 plaît, la déclaration du témoin avant de poursuivre. Je voudrais que l'on
2 parle de la question d'authentification des documents avant que nous ne
3 passions à la teneur du document.
4 Q. Maintenant, on vous a donné une déclaration de témoin devant le bureau
5 du Procureur qui est datée du 19 juin 1995. Si vous regardez tout au début,
6 vous allez voir un certain nombre de détails.
7 R. Oui. Il s'agit bien de cette déclaration.
8 M. MOORE : [interprétation] Madame le Juge, il est peut-être prudent de
9 montrer ceci en audience à huis clos partiel, compte tenu du nom qui figure
10 au bas de la page.
11 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Audience à huis clos
12 partiel.
13 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous nous trouvons en audience à
14 huis clos partiel, Madame le Juge, Monsieur le Juge.
15 [Audience à huis clos partiel]
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26 [Audience publique]
27 M. MOORE : [interprétation]
28 Q. Pourriez-vous nous dire, s'il vous plaît, ce qui est arrivé aux
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1 personnes dont les noms ont été appelés ?
2 R. On les a fait sortir, ils sont partis avant que nous ne partions. Je ne
3 sais pas ce qui leur est arrivé. Plus tard, l'un de ceux dont le nom avait
4 été appelé, mais qui n'était pas parti avec ce groupe était Tomislav
5 Baumgertner. Ils sont d'abord partis, et après cela je ne sais pas ce qui
6 s'est passé, ce qui est arrivé au groupe.
7 Q. Connaissiez-vous bien Tomislav Baumgertner à ce moment-là ?
8 R. Oui, très bien. Nous étions voisins. Je le voyais en ville. Je
9 connaissais son père, sa sœur. C'était un athlète comme moi. Je pense que
10 nous nous connaissions très bien. Je pense qu'on pourrait dire que nous
11 étions des pairs. Nous sommes nés dans la même année.
12 Q. Pour ce qui est des personnes qui ont été emmenées, quelles étaient
13 leurs nationalités ? Pouvez-vous vous rappeler ? Est-ce que c'était des
14 Croates ? Tous étaient des Croates ou était-ce un mélange ? Pourriez-vous
15 nous dire, s'il vous plaît ?
16 R. Tous étaient des Croates.
17 Q. Quand on a fait l'appel sur cette liste, quel est le point qui a attiré
18 votre attention ensuite, s'il vous plaît ?
19 R. Après cela, nous avons commencé sortir. Nous nous sommes tenus à côté
20 du mur dont je vous ai parlé. L'un des autres noms, c'était Harlan. Je ne
21 sais pas si c'était la personne qui avait été blessée à la jambe, en tout
22 cas, l'une des personnes sur la liste était blessée à la jambe et a été
23 approchée par l'officier, l'officier de la JNA dont j'ai parlé. Il lui a
24 demandé s'il souffrait. Il a utilisé une plume ou un bâton pour toucher sa
25 blessure. Je crois que c'était ses orteils qui étaient blessés, mais sa
26 blessure devrait être plus étendue, parce que son pied était entouré de
27 bandages, et le blessé à commencer à gémir comme si on l'avait touché sur
28 la blessure.
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1 Q. Que s'est-il passé après cela, s'il vous plaît ?
2 R. Après cela, nous sommes sortis et nous sommes tenus près du mur. Il y
3 avait là plusieurs centaines de personnes, c'était des hommes qui étaient
4 capables de marcher. Des officiers sont apparus. L'un d'entre eux a fait un
5 discours, il nous a dit que nous devrions être fouillés et transportés.
6 Ceux qui étaient coupables seraient accusés, et ceux qui n'étaient pas
7 jugés coupables seraient relâchés.
8 Il y avait un officier de haute taille avec une moustache qui portait une
9 casquette à la Tito. Il faisait face à la foule, c'est lui qui a dit cela.
10 Il y avait là un grand nombre de soldats qui étaient très jeunes. C'était
11 des soldats réguliers qui procédaient aux fouilles.
12 Il y avait également plusieurs membres de la Défense territoriale locale
13 portant divers types d'uniformes, tous venaient de Vukovar. L'officier, à
14 l'occasion, s'adressait à la personne qui était à côté de lui en l'appelant
15 : "Capitaine Radic, faites fouiller ces gens," et pour l'essentiel, il lui
16 donnait des ordres et l'autre obéissait à ses ordres.
17 Q. Je voudrais que nous parlions de l'officier de haute taille qui portait
18 une moustache. Est-ce que vous étiez très près de lui lorsque vous parliez
19 de cet officier qui portait une moustache ?
20 R. J'étais très proche. Je lui faisais face. Je ne sais pas si à ce
21 moment-là j'ai su que c'était Sljivancanin. Je crois que j'ai appris cela
22 plus tard, des médias. En tout cas, à ce moment-là, nous étions vis-à-vis
23 d'un d'autre peut-être à deux ou trois mètres. Il se trouvait juste devant
24 moi.
25 Q. Parlons maintenant de ce domaine de votre déposition et des éléments de
26 preuve de façon un plus détaillée. Vous avez dit que cet homme que vous
27 pensiez être Sljivancanin, cet officier, se trouvait à deux ou trois mètres
28 devant vous. Est-ce qu'il est resté dans cette position pendant un moment ?
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1 Est-ce que vous êtes capable d'évaluer la durée de cette période ?
2 R. Je pense que son discours a duré une quinzaine de minutes. Il donnait
3 des ordres. En attendant, on fouillait les gens, à deux reprises même. Il y
4 en avait qui ont été fouillés à trois reprises. On nous prenait des objets,
5 genre des clés, des stylos à bille, et cetera. Tout ce qui était solide
6 nous a été enlevé. Il était là, à deux ou trois pas de nous. Il faisait son
7 discours et il donnait des ordres.
8 Q. Comment décririez-vous la façon dont il se comportait ?
9 R. Il se tenait droit, comme un vrai soldat. Il ressemblait à un vrai
10 soldat, vraiment un soldat, de la façon dont il parlait, dont il se tenait,
11 et cetera.
12 Q. S'il s'agit d'évaluer sa taille, est-ce que vous pourriez nous dire
13 quelle était la taille de cet officier qui avait une moustache ?
14 R. Un mètre 90 au moins, même quelques centimètres de plus même je dirais.
15 Il était très grand et il se tenait très droit. Il portait un uniforme,
16 vous le remarquiez.
17 Q. Quelle était l'attitude qu'il arborait pendant qu'il donnait ses
18 ordres ?
19 R. Il se tenait droit, droit dans ses bottes. Il donnait des ordres. Vous
20 aviez l'impression que c'était lui qui décidait de tout là-bas. Quand il
21 parlait, personne ne l'interrompait et personne ne lui disait quoi que ce
22 soit. C'était lui qui décidait. C'était lui qui était manifestement le
23 commandant de ces personnes.
24 Q. Vous avez dit qu'il donnait des ordres. Vous avez utilisé aussi le nom
25 du capitaine Radic. Est-ce que vous l'avez entendu, vous, personnellement
26 utilisé ce terme, cette phrase : "Le capitaine Radic," ou est-ce qu'on vous
27 en a parlé ?
28 R. Il donnait les ordres à l'homme qui était juste à côté de lui. C'est
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1 cet homme qui l'appelait capitaine Radic et il l'a dit à plusieurs
2 reprises, quatre à cinq fois, même plus. C'est ce que j'ai pu entendre
3 distinctement.
4 Q. Est-ce que vous l'avez entendu donner des ordres quatre ou cinq fois ou
5 est-ce que vous avez entendu le nom du capitaine Radic prononcé quatre ou
6 cinq fois ?
7 R. Il s'agissait des phrases. Par exemple : "Capitaine Radic, fouillez ces
8 gens-là", et cetera. C'était dans le cadre d'une phrase que l'on pouvait
9 entendre ces mots, ce titre.
10 Q. Vous avez dit qu'il existait à l'époque des soldats réguliers de la
11 JNA, mais vous avez aussi parlé des membres de la TO. Comment saviez-vous
12 qu'il y avait des soldats de la TO là-bas ?
13 R. Parce qu'ils étaient de Vukovar, ils étaient originaires de Vukovar.
14 Ils portaient aussi les uniformes de la JNA, mais c'était des uniformes
15 dépareillés. Parfois, le couvre-chef ne faisait pas partie de l'uniforme ou
16 la veste n'était pas vraiment une veste militaire, donc c'était des
17 uniformes dépareillés. Ils avaient des cheveux plus longs, ils avaient
18 l'air un peu négligés et on voyait bien la différence entre eux et les
19 soldats réguliers. Les soldats de la JNA étaient plus jeunes alors que les
20 autres parfois étaient plus âgés aussi. C'est comme cela que je pouvais
21 faire la différence, que je pouvais savoir qu'ils étaient bien membres de
22 la TO.
23 Q. Que faisaient les membres de la TO à l'hôpital ce matin-là ?
24 R. Ils circulaient, ils étaient là, ils parlaient avec les gens. Parfois,
25 ils menaçaient les gens qu'ils connaissaient ou qu'ils reconnaissaient,
26 leurs voisins, par exemple.
27 Q. Est-ce que vous avez vu le capitaine Radic ou Sljivancanin donner les
28 ordres aux membres de la TO ?
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1 R. Non. Non, ce n'était pas le cas. Je n'ai pas vu cela.
2 Q. En ce qui concerne les membres de la TO, est-ce que vous pourriez nous
3 dire combien de temps ils sont restés à l'hôpital ?
4 R. Jusqu'au moment où on parte dans des autocars. Ils sont restés derrière
5 nous.
6 Q. Les membres de la TO qui, comme vous avez vu, ont menacé des individus,
7 est-ce que vous avez vu si on a fait quoi que ce soit pour les éloigner de
8 l'hôpital, pour les arrêter, pour qu'ils ne menacent plus les patients ?
9 R. Non. On n'a rien fait. Ils continuaient à circuler librement dans la
10 masse des gens. Ils entraient et sortaient de l'immeuble de l'hôpital.
11 Personne ne leur posait de questions, personne ne leur disait quoi que ce
12 soit.
13 Q. Maintenant, nous allons parler des autocars. Je pense que vous avez dit
14 qu'à la fin, vous êtes monté sur un bus; est-ce exact ?
15 R. Oui.
16 Q. Par rapport à tous ces bus, les bus qui étaient là, est-ce que vous
17 étiez dans un bus qui était à la tête de la colonne ou parmi les derniers ?
18 R. J'étais soit dans le dernier, soit dans l'avant-dernier autobus. Je
19 dirais qu'ils étaient au nombre de cinq ou six.
20 Q. Est-ce que vous vous souvenez de la tenue vestimentaire du capitaine
21 Radic à l'époque ?
22 R. Il portait un uniforme militaire. Je pense qu'il portait un béret.
23 Q. Vous souvenez-vous de la couleur de ce béret ?
24 R. Bordeaux, ce béret était de couleur bordeaux.
25 Q. Est-ce que vous vous souvenez de sa corpulence, sa taille, et cetera ?
26 R. Je dirais qu'il mesurait à peu près un mètre 80. Il était assez fort et
27 portait une moustache, d'après ce que j'ai pu voir. Il était assez fort,
28 assez corpulent, effectivement.
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1 Q. Puisque nous en sommes à la moustache, nous avons vu différents types
2 de moustaches; est-ce que vous pourriez nous dire quelle était la
3 consistance de sa moustache ? Est-ce qu'il avait une moustache épaisse ?
4 Pouvez-vous caractériser -- enfin, comment était la moustache qu'il
5 portait ?
6 R. Il avait une moustache plutôt fine. Alors que Sljivancanin lui, il
7 avait une moustache forte, enfin dense. On voyait bien la différence.
8 Q. Puisque nous en sommes à parler de Sljivancanin, pourquoi pensez-vous
9 que cet homme d'une grande taille donnait des ordres à tout le monde et que
10 c'était apparemment lui qui était responsable de cet endroit ? Vous avez
11 dit qu'il s'appelait Sljivancanin. Comment avez-vous appris ce nom ?
12 R. Je ne sais pas. Mais par la suite, j'ai vu sa photo à la télévision,
13 dans les médias. C'est comme cela que j'ai pu savoir, que je peux dire que
14 c'est bien lui qui était là devant moi à l'époque.
15 Q. Est-ce qu'à l'époque on avait déjà dit qu'il s'agissait là du
16 commandant Sljivancanin ?
17 R. Je ne saurais vous répondre.
18 Q. Vous avez dit que vous avez vu cet homme, que vous croyiez être
19 Sljivancanin, que vous avez vu Radic puisqu'on on l'a apostrophé à
20 plusieurs reprises par son nom. Quand on parle de Radic, vous avez pu
21 l'observer pendant combien de temps ?
22 M. BOROVIC : [interprétation] Madame, Monsieur les Juges.
23 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Monsieur Borovic.
24 M. BOROVIC : [interprétation] Ce n'est pas plusieurs personnes qui se sont
25 adressées à lui. Le témoin a dit que c'est Sljivancanin qui l'a appelé par
26 ce nom à plusieurs reprises, mais pas les autres personnes. La façon dont
27 on a posé la question suggère que tout le monde l'a appelé par ce nom
28 pendant une certaine période.
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1 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Monsieur Moore pourriez-
2 vous nous dire de quoi il s'agit ?
3 M. MOORE : [interprétation] Tout d'abord, je pense que la question que j'ai
4 posée n'était pas de nature à guider le témoin. Je voulais tout simplement
5 évaluer quelle était la durée de temps pendant laquelle il a pu voir ce
6 monsieur, le monsieur qu'il croyait être le capitaine Radic. J'essaie de
7 demander au témoin de se concentrer sur cette personne et de nous dire tout
8 simplement pendant combien de temps il a pu le voir. Il l'a regardé, il
9 était là.
10 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Vous pouvez continuer
11 Monsieur Moore.
12 M. MOORE : [interprétation]
13 Q. Pouvez-vous nous dire pendant combien de temps vous avez pu observer ce
14 monsieur que vous croyiez être le capitaine Radic ?
15 R. Pendant aussi longtemps que j'ai pu observer cet homme qui donnait des
16 ordres. Ils étaient là ensemble pendant une quinzaine de minutes tous les
17 deux, 20 peut-être, 15 ou 20 minutes.
18 Q. A présent, je voudrais le thème des autocars. Le convoi d'autocars.
19 Nous savons qu'ils sont partis pour la caserne de la JNA. Ce n'est pas
20 vraiment un secret. Pouvez-vous nous dire combien de personnes y avaient-
21 ils à bord de ces autocars ?
22 R. Ils étaient tous pleins. Il y avait à peu près une cinquantaine de
23 sièges dans chaque autocar et si on multiplie cela par cinq ou six
24 autocars, on en arrive à un chiffre de 300 personnes.
25 Q. Pourrions-nous parler des individus que vous avez vus et que vous avez
26 reconnus dans votre autocar ? Est-ce que vous vous souvenez des noms des
27 personnes que vous avez vues à l'intérieur de votre autocar ?
28 R. Franjo Nadj était assis à côté de moi. Simunovic, les deux Simunovic
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1 étaient devant moi. Je pense qu'il y en avait un aussi qui s'appelait
2 Martic, il était quelque part dans le bus, je pense. Puis, il y avait
3 quelques autres personnes que je connaissais mais je les connaissais de
4 vue, je ne connaissais pas leurs noms.
5 Q. Là vous parlez de votre bus. Est-ce que nous pourrions parler d'autres
6 personnes qui vous auriez pu éventuellement reconnaître à bord d'autres
7 autocars ?
8 R. En passant à côté d'un autocar, en me dirigeant vers l'autocar où je
9 devais m'asseoir, j'ai l'impression que j'ai vu Sinisa Glavasevic que je
10 connaissais en tant que journaliste puisqu'il travaillait à Vukovar. Je ne
11 souviens pas d'autres personnes qui se trouvaient dans d'autres autocars.
12 Q. Y avait-il quoi que ce soit qui a attiré votre attention par rapport à
13 Sinisa Glavasevic ?
14 R. Je le connaissais évidemment, cela a attiré mon attention parce qu'il
15 venait de temps en temps pendant la guerre chercher de la nourriture chez-
16 nous. On lui donnait de la nourriture de temps en temps. J'ai pu voir aussi
17 qu'il était blessé au niveau de la joue, je pense que c'était un éclat
18 d'obus, Il avait un pansement qui couvrait pratiquement toute sa joue. Il
19 était assis le bus et regardait par la fenêtre.
20 Q. Avant de quitter l'hôpital dans cet autocar, est-ce que vous avez vu, à
21 aucun moment, un quelconque membre de la Croix-Rouge internationale
22 s'approcher ou venir à l'hôpital ?
23 R. Non.
24 Q. Je vais vous poser la question autrement. Quand vous êtes arrivé à la
25 caserne, est-ce que vous pourriez nous dire comment étaient garés les
26 autocars, de quelle façon ?
27 R. Les autocars étaient garés en demi-cercle, l'un derrière l'autre, dans
28 la cour de la caserne.
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1 Q. Est-ce que vous pourriez aux Juges de la Chambre ce qui s'est passé à
2 partir du moment où ces autocars sont arrivés dans la caserne ? Est-ce que
3 vous pourriez nous dresser un tableau; nous décrire ce que vous avez vu ?
4 R. Nous sommes arrivés là-bas. Nous y sommes restés deux ou trois heures.
5 Pendant toute cette période-là, nous étions dans les autocars et autour il
6 y avait un tohu-bohu incroyable, beaucoup de gens qui arboraient des
7 uniformes différents qui étaient là. Ils étaient tous en uniforme; des
8 uniformes dépareillés, différents, de camouflage ou militaires, et cetera.
9 Ils nous menaçaient et ils arboraient des couteaux, des battes. Il y en a
10 même qui se sont faits prendre en photo devant le bus avec un couteau dans
11 la bouche comme si c'était un trophée, cet autocar. Ensuite, ils ont cassé
12 la boîte à pharmacie de la protection civile et ils ont pris des haches qui
13 étaient à l'intérieur et ils nous menaçaient avec ces haches. En vérité,
14 ils ne voulaient pas vraiment les haches, ils voulaient juste les manches.
15 Ensuite, ils nous menaçaient avec cela. Ils ont commencé à aiguiser leurs
16 couteaux. On entendait le bruit des couteaux en train d'être aiguisés. Dans
17 le bus, pendant toute cette période-là, il y avait un gardien armé, il y
18 avait aussi le chauffeur. On avait très peur. Les gens étaient terrifiés.
19 Cette scène était terrifiante.
20 Q. Pendant que vous étiez dans la caserne de la JNA, est-ce que vous avez
21 vu des soldats de la JNA ou est-ce que vous avez vu des officiers qui
22 étaient là ?
23 R. Je n'ai pas vraiment vu d'officiers pendant tout ce temps, jusqu'au
24 moment où ce même capitaine Radic, celui qui était à l'hôpital, ne vienne.
25 Il est venu avec une liste. Il a donné lecture d'un certain nombre de
26 personnes se trouvant dans le bus et ces gens sont sortis. D'après mon
27 meilleur souvenir, de mon bus, Simunovic et Martic sont sortis. Je ne me
28 souviens pas d'autres personnes. Peut-être qu'il y en avait. Donc, ils sont
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1 sortis de ce bus et ils sont entrés dans un autre bus. Chemin faisant,
2 entre les deux bus, on les a passés à tabac. Ce sont justement ces gens qui
3 portaient des uniformes qui les ont passés à tabac.
4 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Monsieur, pourriez-vous
5 vous approcher du micro, s'il vous plaît ?
6 M. MOORE : [interprétation]
7 Q. Pourrions-nous parler du capitaine Radic ? Vous nous avez dit qu'il est
8 monté dans le bus avec une liste.
9 R. C'est vrai. Il est monté dans le bus. Il s'est mis à côté du chauffeur
10 et il a donné lecture de quelques noms qui figuraient sur cette liste qu'il
11 avait entre ses mains.
12 Q. Vous souvenez-vous des noms, proprement dit ? Je sais que vous en avez
13 mentionné deux. Est-ce que vous souvenez des autres noms ?
14 R. Il y avait les deux Simunovic. Simunovic est leur nom de famille, mais
15 je ne me souviens pas de leurs prénoms. Il y a un lien de parenté entre
16 eux. Il y avait aussi un certain Ivan Martic. On a donné lecture de leurs
17 noms et ces hommes sont sortis de l'autocar. Peut-être qu'on a donné
18 lecture de quelques autres noms, mais je ne m'en souviens pas.
19 Q. Vous nous avez parlé de quel était le comportement des gens qui se
20 trouvaient à l'extérieur du bus, mais vous nous avez dit aussi que les gens
21 étaient terrifiés. Est-ce que vous regardiez vraiment avec beaucoup
22 d'attention cet homme, le capitaine Radic, à partir du moment où il est
23 entré dans le bus pour donner lecture des noms qui figuraient sur la
24 liste ?
25 R. A partit du moment où il est entré dans le bus, il s'est mis à côté du
26 chauffeur. J'étais assis près de la dernière porte d'entrée de l'autocar.
27 Comme je suis assez grand, j'ai pu le voir clairement au-dessus des têtes
28 des autres personnes. Comme je l'avais vu plus tôt dans la journée, j'ai
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1 bien compris qu'il s'agissait du même homme d'autant qu'il était en train
2 de donner lecture de la liste. Il lisait les noms, donc on écoutait avec
3 beaucoup d'attention. On écoutait, on écoutait ce qu'il avait à dire, même
4 si à l'époque on ne savait pas si justement ces gens-là, ils allaient être
5 les premiers tués ou sauvés. Le sentiment qu'on éprouvait, c'était à la
6 fois un sentiment de peur, d'une grande peur pour sa propre vie, la peur de
7 se faire tuer, et il y avait une lueur d'espoir que justement on allait
8 peut-être donner lecture de votre nom, et que ceci allait vous sauver. On
9 était là à le regarder, à le regarder avec beaucoup d'attention, à
10 l'écouter aussi avec beaucoup d'attention.
11 Q. Vous nous avez parlé de ce comportement menaçant, des menaces des gens
12 à l'extérieur de l'autobus. Est-ce qu'à aucun moment vous avez vu qui que
13 ce soit qui a essayé d'arrêter ce comportement ou d'éloigner ces individus
14 des autocars, ces individus qui vous menaçaient de la sorte ?
15 R. A l'extérieur du bus, dans l'enceinte de la caserne, c'était
16 complètement libre. Personne ne les empêchait de faire quoi que ce soit.
17 Ils faisaient ce qu'ils voulaient. Il y avait trois hommes en uniforme qui
18 sont entrés dans l'autocar, mais le soldat armé qui était là -- enfin, le
19 garde qui se trouvait dans le bus les a empêchés d'y pénétrer. Là, ils se
20 sont mis à nous dire, mais pourquoi vous avez eu besoin de cela ? Nous
21 aurions pu continuer à vivre en paix ensemble. Puis, il y en avait un qui
22 est venu nous dire qu'on n'avait pas à s'inquiéter, qu'il se contenterait
23 de couper les nez et les oreilles. Ils sont venus à l'entrée de l'autocar.
24 Ils ont fait leurs discours, enfin ils ont dit ce qu'ils avaient à dire,
25 ensuite ils sont ressortis. Ceux qui étaient à l'extérieur, ils ont
26 continué à faire ce qu'ils voulaient faire. Ils se comportaient comme des
27 sauvages.
28 Q. Etiez-vous en mesure de reconnaître un quelconque visage parmi les
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1 visages des gens ou les gens qui se comportaient comme cela ?
2 R. Il y en avait que je connaissais, que je connaissais de Vukovar. Ils
3 étaient à l'extérieur, ils arboraient des uniformes et ils se comportaient
4 comme cela. Je ne connais pas leurs noms. Je ne me souviens pas leurs noms.
5 Je les connaissais de vue.
6 Q. Pendant combien de temps vous êtes resté dans le bus à l'intérieur de
7 la caserne ? Je sais qu'il est difficile d'évaluer cela.
8 R. Je n'avais pas de montre et j'avais peur. C'est difficile d'évaluer
9 exactement le temps qui passe, mais je dirais qu'on y est resté deux à
10 trois heures.
11 M. MOORE : [interprétation] Madame, Monsieur les Juges, je vais passer à un
12 autre sujet. Je pense que le moment est opportun pour prendre la pause.
13 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Très bien. Nous allons
14 reprendre nos travaux à 11 heures et quart.
15 M. MOORE : [interprétation] Je pense qu'il y a une expurgation à faire
16 puisqu'un document a été montré. Peut-être qu'il n'a pas même pas été
17 montré, je ne suis pas sûr.
18 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Non.
19 M. MOORE : [interprétation] Il n'a pas été montré, bien.
20 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Très bien. Alors, 11 et
21 quart.
22 --- L'audience est suspendue à 10 heures 58.
23 --- L'audience est reprise à 11 heures 20.
24 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Etant donné que les bobines
25 tournent pendant une heure et demie, il nous faudra nous arrêter à moins
26 10, à moins que nous poursuivions jusqu'à 13 heures. Très bien. Pas de
27 problème, allez-y.
28 M. MOORE : [interprétation] Le Témoin Grujic peut venir la semaine
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1 prochaine, mais cela posera des problèmes pour les autres témoins. J'espère
2 que mes confrères pourront terminer cette semaine.
3 Q. Monsieur le Témoin, vous nous avez dit que vous étiez à la caserne de
4 la JNA. Je souhaiterais que nous parlions du moment où vous avez quitté la
5 caserne de la JNA. Lorsque vous êtes allé à Ovcara, combien y avait-il
6 d'autocars, pour autant que vous vous en souvenez ?
7 R. Je me souviens qu'il y en avait quatre ou cinq.
8 Q. Lorsque vous êtes arrivé à Ovcara, pouvez-vous nous raconter ce qui
9 s'est passé ?
10 R. Lorsque nous sommes arrivés à Ovcara, nous avons traversé les champs et
11 nous sommes arrivés devant un hangar où l'on conservait l'équipement
12 agricole. Les bus ont été alignés les uns à côté des autres devant le
13 hangar. Les gens sont descendus des autocars les uns après les autres. En
14 descendant de l'autocar, chacun devait passer entre deux rangées de
15 personnes et ils étaient frappés. Il y avait une dizaine de personnes en
16 uniformes qui frappaient ceux qui passaient de façon assez brutale,
17 notamment à l'aide de bâtons qu'ils avaient récupérés à la caserne. On leur
18 donnait également des coups de pied, on les frappait avec des crosses de
19 fusil et on leur donnait des coups-de-poing.
20 Après quoi on leur a confisqué leur argent et d'autres objets de
21 valeur. On nous a contraints d'enlever nos vestes, nos vêtements, et de les
22 laisser en tas à côté de la route. Nous sommes ensuite entrés à l'intérieur
23 du hangar où les sévices se sont poursuivis. Tous ceux qui entraient
24 étaient frappés par un autre groupe composé de cinq hommes en uniformes.
25 Q. Je souhaiterais que l'on parle de façon plus détaillée de cette partie
26 de votre témoignage. Vous nous avez dit que les autocars avaient quitté la
27 caserne de la JNA et vous nous avez également dit, me semble-t-il, et si je
28 me trompe excusez-moi, qu'il y avait des soldats de la JNA à bord des
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1 autocars, à ce moment-là. Si je me trompe, corrigez-moi. Y avait-il des
2 soldats dans les autocars qui vous ont conduits de la caserne à Ovcara ?
3 R. En route pour Ovcara, il y avait un chauffeur et ce même soldat en
4 uniforme qui nous accompagnait depuis l'hôpital, le garde dont j'ai parlé.
5 Q. Si nous parlons de ce garde, est-ce que vous êtes en mesure de nous
6 dire quel était son âge ? Est-ce qu'il avait les cheveux longs ou courts ?
7 Est-ce que vous pouvez nous le décrire ?
8 R. Il était âgé de 20 ans environ. Il avait les cheveux courts. Il s'était
9 fait couper les cheveux assez récemment. Il avait l'air propre sur lui, de
10 corpulence moyenne. Je ne me souviens pas vraiment de son visage.
11 Q. Peu importe. Lorsque vous avez parlé de cette rangée à travers laquelle
12 les gens étaient obligés de passer, vous nous avez dit qu'il y avait une
13 dizaine de personnes en uniformes. Est-ce que vous pourriez nous décrire le
14 type d'uniformes que portaient ces hommes ?
15 R. J'ai dit qu'il y en avait environ 20. Peut-être que je n'ai pas bien
16 articulé. Il y avait une dizaine d'hommes de chaque côté. Au total, ils
17 étaient une vingtaine. Ils portaient toutes sortes d'uniformes. Certains
18 d'entre eux portaient des uniformes de camouflage, d'autres des vêtements
19 civils. Il y avait des hommes barbus, d'apparence négligée, qui portaient
20 des toques en fourrure avec une cocarde. La plupart de ces hommes portaient
21 des uniformes de camouflage et des brodequins noirs de la JNA. D'autres
22 portaient des chaussures jaunes, civiles. En fait, il y avait toutes sortes
23 d'uniformes.
24 Q. En évoquant cette partie de votre témoignage, je vous demanderais
25 d'essayer de faire la distinction entre les jeunes soldats, les soldats
26 d'âge plus mûr qui portaient les cheveux plus longs et ceux qui étaient
27 barbus et portaient une cocarde. Ainsi, nous pourrons mieux savoir qui
28 faisait quoi. Vous nous avez dit qu'il y avait toutes sortes d'uniformes.
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1 Alors que vous étiez dans le hangar et avant cela, avez-vous vu de jeunes
2 soldats au hangar ? Y en avait-il à ce moment-là ?
3 R. Un ou deux, peut-être, auraient pu être qualifiés de jeunes soldats.
4 Ils portaient des tenues réglementaires de la JNA. Il y avait toutefois
5 plusieurs hommes de Vukovar qui portaient des uniformes dépareillés, et
6 d'autres qui étaient barbus et portaient des tenues négligées; ils
7 portaient des toques en fourrure avec une cocarde, et leurs uniformes
8 étaient différents et dépareillés. Ils pouvaient porter un ceinturon
9 militaire, mais un uniforme qui ressemblait davantage à une tenue civile,
10 donc tout cela était très dépareillé.
11 Il y avait plusieurs personnes de Vukovar qui portaient des uniformes de
12 l'armée. Ces hommes-là étaient plus âgés. Il s'agissait de membres de la
13 Défense territoriale. De même, il y en avait qui portaient des uniformes
14 réglementaires, mais je ne les ai pas reconnus, car ils venaient
15 d'ailleurs. Il y en avait qui portaient des uniformes dépareillés avec des
16 cocardes des Chetniks. Ils étaient barbus et ils portaient des toques en
17 fourrure avec une cocarde.
18 Q. Lorsque vous parlez de la Défense territoriale de Vukovar et de cette
19 rangée d'hommes qui frappaient les gens, est-ce que vous avez vu des
20 membres de la Défense territoriale parmi ces personnes qui frappaient les
21 gens au moment où ils traversaient cette rangée ?
22 R. Au bout de la rangée, il y avait quelqu'un qui confisquait les objets
23 de valeur et l'argent. Il y avait peut-être quelqu'un d'autre, mais je ne
24 m'en souviens pas. Lorsque vous traversez, lorsque vous passez entre ces
25 deux rangées d'hommes, vous ne pouvez pas vraiment regarder autour de vous.
26 Vous devez baisser la tête et essayer d'éviter les coups.
27 Q. Ces coups étaient-ils particulièrement violents lorsque vous avez
28 traversé ?
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1 R. Oui, très violents. Il y avait au total une vingtaine d'hommes qui
2 frappaient les gens. Si chacun des hommes vous frappent une fois ou deux
3 fois, vous donnent un coup-de-poing, un coup de pied, vous donnent un coup
4 de bâton, comme tous ces coups sont portés de près, même si la distance est
5 courte, les coups peuvent être particulièrement violents.
6 Q. Vous nous avez dit que lorsque vous êtes entré à l'intérieur du hangar,
7 il y avait quatre ou cinq personnes qui vous ont frappé. Avez-vous reconnu
8 ces hommes qui se trouvaient à l'intérieur du hangar et qui vous ont
9 frappé ?
10 R. Je parle de la partie du hangar où j'étais. Il y avait quatre ou cinq
11 personnes à cet endroit, mais il y en avait d'autres de l'autre côté du
12 hangar, à l'autre bout. Ces cinq hommes qui se trouvaient à la porte
13 accueillaient, en quelque sorte, tous les gens qui entraient. Lorsque je
14 suis entré, l'un d'entre eux a couru vers moi et a brisé mes lunettes à
15 l'aide d'une matraque de la police. J'ai enlevé ce qui restait de mes
16 lunettes. Il y avait donc un groupe de cinq hommes qui m'ont battu.
17 Ensuite, une autre personne est arrivée pour poursuivre les sévices, et
18 voilà ce qui se passait à chaque fois que quelqu'un entrait dans le hangar.
19 A chaque fois qu'ils voyaient quelqu'un de plutôt jeune, ils prétendaient
20 que cette personne avait égorgé des enfants serbes et commençaient à passer
21 à tabac cette personne ou alors, on prétendait que vous étiez un tireur
22 embusqué. Donc, ils inventaient toutes sortes d'histoires pour essayer de
23 justifier ces passages à tabac.
24 Il y avait un homme dans ce groupe qui a demandé s'il y avait des Albanais
25 parmi nous. Une personne s'est avancée, il s'appelait Kemal Saiti, et il a
26 été violemment frappé par deux ou trois personnes au début, puis un autre
27 homme s'est chargé de le passer à tabac et l'a jeté à terre. Il lui a donné
28 des coups de pied à la tête comme s'il s'agissait d'un ballon de football.
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1 Il lui a donné des coups sur l'ensemble du corps et il l'a piétiné. Kemal
2 saignait de la bouche et des oreilles. Il gisait là, sans vie. Je ne sais
3 s'il est mort à ce moment-là, je ne sais pas, mais il gisait sans vie, il
4 saignait, il ne bougeait plus.
5 Damjan Samardzic, un homme de forte corpulence, est entré. Ils l'ont frappé
6 lui aussi. Ils l'ont piétiné jusqu'à ce qu'il cesse de bouger. Au bout du
7 hangar, ils frappaient d'autres gens pendant ce temps. Donc, les sévices se
8 poursuivaient sans interruption. Je me trouvais dans la partie du hangar où
9 il y avait de la paille par terre. Nous nous tenions au milieu. Il y avait
10 un officer de la JNA avec un sifflet, donc il sifflait et demandait aux
11 gens d'arrêter les passages à tabac. Ensuite, lorsqu'il s'approchait de
12 quelqu'un qui avait procédé à un passage à tabac, on voyait clairement que
13 rien n'allait arriver. On entendait les gémissements de ceux qui étaient
14 frappés à mort, tout le monde pouvait entendre ces gémissements, mais lui
15 restait au milieu du hangar et ne faisait rien.
16 Q. Est-ce que vous avez vu d'autres personnes dans le hangar à ce moment-
17 là, qui d'après vous étaient des officiers ?
18 R. Outre l'officier que j'ai mentionné, il y avait un ou deux autres
19 hommes qui, selon moi, étaient des officiers. On voyait leur grade à
20 l'épaulette. Ils portaient des uniformes réglementaires de la JNA et
21 étaient plus âgés.
22 Q. Avez-vous pu faire la différence entre les officiers de la JNA et les
23 officiers de la Défense territoriale ?
24 R. Je ne savais pas qu'il y avait des officiers au sein de la Défense
25 territoriale. Je ne savais pas grand-chose au sujet de la structure de la
26 TO ni de la chaîne de commandement. Je ne pense pas qu'il y ait des
27 officiers. Pour ce qui est des autres officiers, on les reconnaissait
28 facilement, car ils portaient ces étoiles de couleur jaune sur leurs
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1 épaulettes et on voyait que c'étaient des gradés, des officiers de la JNA.
2 Je ne sais pas reconnaître les différents grades, cependant.
3 Q. Pourriez-vous nous préciser si vous avez vu des personnes sur les
4 lieux, qui portaient ces étoiles de couleur jaune et qui, donc, auraient pu
5 être des officiers ?
6 R. Oui, ce dont je suis en train de parler; il y avait deux ou trois
7 officiers de la JNA qui portaient ces insignes.
8 Q. Y avait-il des membres de la Défense territoriale à l'intérieur du
9 hangar, d'après ce que vous avez pu voir ?
10 R. Il y en avait plusieurs. L'un d'entre eux faisait partie de ce groupe
11 de cinq hommes qui frappaient les gens. Il a également frappé un adolescent
12 qui était blessé. Il l'a frappé de façon plus violente parce que c'était
13 son voisin.
14 A l'intérieur du hangar, plus tard, j'ai vu deux autres hommes qui
15 frappaient des gens, y compris cet homme qui m'a sélectionné dans la foule
16 qui m'a sauvé. Lui aussi portait un uniforme réglementaire, mais il m'a dit
17 qu'il appartenait à la Défense territoriale.
18 Q. Quels types d'armes ont été utilisés à l'intérieur du hangar, d'après
19 ce que vous avez pu voir ?
20 R. On se servait d'objets contondants, de bâtons, de manches, de pelles,
21 de chaînes, de haches, de matraques, de béquilles, de crosses de fusils.
22 Ils frappaient les gens et leur donnaient des coups de pieds, des coups-de-
23 poing. Voilà les armes dont ils se servaient pour frapper les gens.
24 Q. Ces passages à tabac qui avaient lieu à l'intérieur à hangar étaient-
25 ils violents ?
26 R. Oui, violents comme vous pouvez l'imaginer. Ils en ont tué deux. Tous
27 les autres saignaient. Les gens saignaient du nez, de la tête, certains
28 saignaient, d'autres non, mais tout le monde était roué de coups. Ces deux
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1 hommes ont probablement été tués. Ils sont probablement morts des suites du
2 passage à tabac qu'ils ont subi.
3 Q. Vous nous avez parlé d'un "adolescent qui était blessé". Est-ce que
4 vous pourriez mentionner son nom ?
5 R. Damir Kovacic. Il était blessé au poumon. Il venait juste de
6 recommencer à marcher. Il était alité à l'hôpital à quelques lits plus loin
7 de celui où se trouvait ma mère. Je le connaissais avant la guerre, c'est
8 pour cela que je l'ai reconnu. Il était alité à l'hôpital, je savais qui
9 c'était, lui aussi se trouvait à l'intérieur du hangar, à deux ou trois
10 mètres de moi. Il était membre de l'armée croate. Cet homme qui le frappait
11 lui a demandé : "Pourquoi as-tu fait cela ? Pourquoi as-tu rejoint les
12 gardes ?" Il a continué à lui donner des coups de pied.
13 Entre Damir et moi-même se trouvait un homme qui s'appelait Tomislav Pap.
14 Il a demandé aux soldats de lui apporter un pansement pour qu'il panse ses
15 blessures, mais personne ne lui a apporté de pansement. Il a mis du papier
16 sur cette blessure au poumon qui avait recommencé à saigner. C'était une
17 blessure récente.
18 Q. S'agissant de l'âge de Damir, inutile de nous dire votre propre date de
19 naissance, vous savez quand vous êtes né. Ce Damir, était-il plus jeune ou
20 plus vieux que vous, à l'époque ?
21 R. Il avait deux ou trois ans de plus que moi.
22 Q. Qu'est-il arrivé à Damir ? Etes-vous en mesure de le dire ? Lorsque je
23 dis ceci, c'est par rapport à ce qui se passait dans le hangar proprement
24 dit.
25 R. Il a été battu, il a reçu des coups et il est tombé. Il a commencé à
26 cracher le sang. Il y avait des tâches de sang sur sa chemise. C'était la
27 blessure qui se trouvait sous sa chemise qui commençait à saigner, et cet
28 homme a commencé à nouveau à le battre. Ensuite, ils nous ont dit de nous
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1 asseoir sur la paille. Ceci nous a été dit par l'officier qui se trouvait
2 au milieu du hangar, dès qu'on lui a dit de s'asseoir, il l'a fait.
3 Ensuite, j'ai été appelé. On m'a dit de me tenir près de la porte. A ce
4 moment-là, je n'étais plus en mesure de voir Damir, et je ne sais pas ce
5 qui lui est arrivé.
6 L'INTERPRÈTE : Note de l'interprète, peut-on demander au témoin ou de
7 parler plus fort ou de se rapprocher du micro ? Merci.
8 M. MOORE : [interprétation]
9 Q. Vous nous avez parlé de l'attaque qu'a subie Damir, et que cet officier
10 qui se trouvait au milieu du hangar vous avait dit de vous asseoir ou qu'on
11 lui avait dit à lui de s'asseoir. Est-ce que vous avez jamais vu cet
12 officier essayer d'une façon quelconque d'arrêter ou de retenir ceux qui
13 attaquaient les patients qui arrivaient de l'hôpital ?
14 R. Il criait en leur disant d'arrêter de frapper les gens. Je crois que
15 c'est un moment où ils étaient en train de battre Kemal. Mais il se bornait
16 à entrer, à dire cela, et à repartir. Ce n'était pas dit sur un ton de
17 commandement. Cela n'était pas pris au sérieux. Cela semblait plutôt être
18 sarcastique pour se moquer de nous. C'étaient des appels sarcastiques. Il
19 disait : "Arrêtez, arrêtez de les battre," tandis que dans l'intervalle, un
20 autre homme était en train de sauter sur le corps sans vie d'un autre
21 homme. Il ne pouvait pas être sincère, n'est-ce pas ?
22 Q. Pouvons-nous maintenant parler de votre propre cas ? Est-ce que vous
23 avez subi des blessures à ce moment-là, que ce soit à la caserne où à
24 Ovcara ?
25 R. Il n'y a pas eu de contacts physiques à la caserne, tout au moins pas
26 pour ce qui est de la plupart des blessées ou des personnes qui étaient sur
27 les cars, à l'exception de ceux dont les noms ont été appelés sur la base
28 de cette liste. Ensuite, lorsqu'on les a emmenés à l'autre car, l'autre
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1 bus, ils recevaient des coups alors qu'ils allaient de l'un à l'autre.
2 En ce qui me concerne, comme toutes autres personnes qui ont dû passer
3 entre ces deux rangées où on nous frappait, comme je l'ai dit parfois
4 c'étaient deux fois 20 hommes qui faisaient la haie, parfois, deux fois dix
5 hommes avec toutes sortes d'objets contondants. Donc, on a reçu beaucoup de
6 coups. Une fois que je me suis trouvé à l'intérieur du hangar, cet homme
7 qui avait brisé mes lunettes avec une matraque -- ma pommette a éclaté et
8 j'en ai encore la cicatrice. J'ai encore des cicatrices sur tout le corps.
9 J'ai subi des contusions, des hématomes, mais rien n'avait été vraiment
10 fracturé sauf à la tempe.
11 Q. Est-ce que vous avez vu s'il y avait un communication quelconque entre
12 les officiers au moment où vous vous trouviez au hangar d'Ovcara ?
13 R. Je n'ai pas remarqué qu'il y ait eu d'entretiens importants en cours.
14 Q. Je voudrais maintenant que nous parlions d'un autre domaine. Pourriez-
15 vous aider la Chambre sur le point de savoir s'il y avait eu des listes
16 établies ou non ?
17 R. Quand on m'a appelé, on a commencé par me dire de me tenir près de la
18 porte à l'intérieur. Après cela, on m'a fait sortir du hangar et, là
19 encore, on m'a dit de me tenir à côté de la porte, mais ce coup-ci, à
20 l'extérieur. Une fois là, Igor Kacic se trouvait déjà là.
21 A mesure que le temps passait, d'autres personnes sont arrivées
22 formant un groupe de neuf personnes. Nous nous tenions à l'extérieur, nous
23 y sommes restés peut-être au moins une heure, peut-être même plus long. Il
24 est difficile pour moi d'être plus précis sur la durée. L'un des hommes en
25 uniforme parmi les plus jeunes - je ne crois pas que c'était un soldat de
26 l'armée régulière, il avait davantage l'air d'un membre de la Défense
27 territoriale - a établi une liste portant les noms de ces neuf personnes
28 sur deux feuilles de papier. C'était les mêmes noms sur les deux listes. Il
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1 a dit ou plutôt il a tendu cette liste et nous a fait rentrer dans le
2 hangar. Il a donné une de ces listes contenant les noms à l'officier qui
3 s'y trouvait. Il l'a appelé et il a dit que c'était un officier du service
4 de la Sécurité d'Etat, officier de la sécurité. Il l'a appelé quelque chose
5 comme cela. Il lui a donné une des deux feuilles de papier et il a dit que
6 nous étions des citoyens loyaux et qu'il allait nous sauver, que nous
7 n'étions pas des criminels ou quoi que ce soit de ce genre et il a gardé
8 l'autre feuillet sur lui. L'officier a pris la liste et nous avons quitté
9 le hangar.
10 Voilà pour la liste. Tout au moins, c'est ce que j'ai pu voir à
11 l'intérieur du hangar et autour du hangar.
12 Q. Je voudrais que nous parlions maintenant de la manière dont on vous a
13 appelé en vous choisissant, en vous faisant sortir du hangar. Ceci s'est
14 passé comme cela.
15 M. MOORE : [interprétation] Je voudrais que nous allions maintenant à huis
16 clos partiel, s'il vous plaît.
17 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Huis clos partiel.
18 M. LE GREFFIER : [interprétation] Huis clos partiel, Madame le Juge.
19 [Audience à huis clos partiel]
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6 [Audience publique]
7 M. MOORE : [interprétation]
8 Q. Je voudrais revenir au hangar et ce que j'appellerais la Défense
9 territoriale de Vukovar. Avez-vous reconnu et seriez-vous en mesure de
10 nommer certaines des personnes appartenant à la Défense territoriale de
11 Vukovar qui étaient présentes au hangar ?
12 R. A l'intérieur du hangar, il y avait Guja, Miroslav Savic et Goran
13 Mugosa, mais je l'ai vu devant le hangar. Ensuite, devant le hangar, j'ai
14 vu aussi Stjepan Zoric et Nebojsa Zoric. Le père et le fils. Excusez-moi,
15 oui, le père et le fils. Ce sont tous les noms que je parviens à me
16 rappeler pour le moment.
17 Q. Pouvez-vous vous rappeler ou avez-vous vu quelqu'un que vous
18 considériez comme étant chargé de la Défense territoriale à ce moment-là ?
19 R. Il y avait un homme qui portait un couvre-chef de cuir, une casquette
20 de cuir. Il était chauffeur de taxi. Son nom était Stanko. A ce moment-là,
21 je ne pouvais pas savoir que c'était un des chefs de la Défense
22 territoriale. Ils ont appelé quelqu'un en lui donnant pour nom Miroljub. Il
23 semblait avoir été un dirigeant en quelque sorte, mais je ne savais pas qui
24 il était et je ne savais pas effectivement que c'était un chef.
25 M. MOORE : [interprétation] Je vais demander à la Chambre de me permettre
26 de vérifier un fait un instant.
27 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
28 M. MOORE : [interprétation]
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1 Q. Je voudrais appeler votre attention sur le document qui j'ai mentionné
2 plus tôt au cours de l'interrogatoire principal et qu'on a vu sur ce que je
3 crois qu'on appelle le rétroprojecteur.
4 M. MOORE : [interprétation] Est-ce qu'on pourrait remonter ceci, le
5 préparer. Je voudrais demander que nous allions à huis clos, s'il vous
6 plaît. Plutôt à huis clos partiel ?
7 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Huis clos partiel, oui.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel, Madame,
9 Monsieur le Juge.
10 [Audience à huis clos partiel]
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2 [Audience publique]
3 M. MOORE : [interprétation]
4 Q. Vous nous avez dit qu'on vous a fait sortir. Je voudrais parler de la
5 lumière à l'époque, puisque c'est difficile d'évaluer l'heure dans des
6 circonstances semblables. Quand vous étiez à l'extérieur en attendant à
7 côté du hangar, est-ce que vous pourriez nous dire s'il faisait jour, nuit
8 ou crépuscule, et cetera ?
9 R. Quand nous sommes venus là, il faisait jour. Ensuite, nous avons
10 attendu devant le hangar et là c'était le crépuscule. Au moment où nous
11 avons pris cette camionnette, il faisait déjà nuit. Pendant le trajet, il
12 faisait nuit, c'est vrai.
13 Q. Est-ce que vous avez, à l'époque, entendu travailler des machines ?
14 R. Au moment où nous étions devant le hangar, j'ai entendu fonctionner les
15 machines lourdes à proximité et peut-être un petit peu plus loin.
16 Q. Nous allons parler à présent de votre voyage de retour. Il y avait
17 combien de personnes dans la camionnette avec vous à ce moment-là ? A peu
18 près, vous pouvez me répondre de façon approximative.
19 R. Il y avait un groupe de sept personnes dans cette camionnette. Je pense
20 qu'il y avait aussi un chauffeur qui était là. Nous avons emprunté le même
21 chemin pour revenir de Vukovar. Ensuite, on nous a fait entrer à Velepromet
22 par un porche. C'est là qu'ils nous ont dit qu'il n'y avait pas de place,
23 et ils nous ont emmenés à Modateks. Nous avons continué le chemin et nous
24 sommes arrivés à Modateks. Il y avait à peu près 300 femmes là-bas. Il y en
25 avait pas mal que je connaissais d'entre elles, puisqu'elles étaient à
26 Olajnica pendant la guerre. Nous étions au nombre de sept à avoir été
27 hébergés au niveau d'une usine de textile. C'était une grande table en
28 marbre qui servait pour étirer les tissus, les rouler, et c'est sur cette
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1 table-là qu'ils ont passé la nuit.
2 Q. En décrivant la route entre la caserne de la JNA et Ovcara, vous avez
3 dit que vous avez "traversé les champs." Qu'est-ce que vous vouliez dire
4 par là ? Parce qu'ensuite, vous avez dit que vous avez pris le même chemin,
5 donc qu'est-ce que vous vouliez dire par cette "traversée des champs" ?
6 R. Bien, c'est un chemin qui va en direction de Negoslavci, en sortant de
7 la caserne. Ensuite, il s'agit de tourner à gauche, c'est une route
8 goudronnée. Autour, à l'époque, il y avait les champs de l'entreprise qui
9 existait à l'époque, Vupik. Ce sont des zones agricoles exploitées qui sont
10 assez larges. Justement, la route était goudronnée à cause des engins
11 agricoles qui devaient passer par là. Cette route mène à Ovcara, et une
12 fois arrivé à Ovcara, vous tournez à droite pour arriver dans le hangar.
13 Q. Est-ce que vous voulez dire que vous êtes allé à Negoslavci ou est-ce
14 que vous avez pris la direction de Negoslavci avant de tourner à gauche ?
15 R. Non, nous avons pris la direction de Negoslavci. Nous ne nous sommes
16 pas approchés de Negoslavci.
17 Q. Bien. Je vais passer à un autre sujet. Vous étiez à Modateks. Pendant
18 que vous y étiez, est-ce que vous, personnellement, est-ce que vous avez
19 quitté Modateks ?
20 R. J'ai quitté Modateks le lendemain, c'était le 21. Au matin, on s'est
21 réveillés et plusieurs personnes se sont approchées de nous. Toute la nuit,
22 on était gardés par des hommes armés en uniformes. Quand on s'est réveillés
23 le matin, plusieurs personnes sont arrivées. Il y en avait un parmi eux qui
24 s'est présenté en disant qu'il était officier de la JNA. Il portait un
25 uniforme -- enfin, tous les éléments de sa tenue vestimentaire relevaient
26 d'un uniforme de la JNA, à part la veste, qui était une veste civile. Je
27 dirais aussi qu'il avait un accent macédonien très prononcé et je dirais
28 avec une grande probabilité de ne pas me tromper qu'il était Macédonien. Il
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1 nous a posé des questions, il nous a demandé où on habitait, où on a vécu
2 exactement, quelle était notre appartenance ethnique, et cetera. Les autres
3 étaient là en train de regarder. Une jeune fille était parmi eux, elle
4 portait l'uniforme classique de la JNA. Elle était originaire de Vukovar et
5 assez jeune, et je dirais plutôt qu'elle venait de la TO de Vukovar, parce
6 qu'elle était plus jeune, elle était de Vukovar.
7 Pendant cet interrogatoire ou juste après, Miroslav Savic est venu me
8 chercher et il m'a séparé du groupe, donc j'étais le premier à avoir quitté
9 le groupe. Il m'a emmené dans une maison dans la rue Svetozara Markovica.
10 Q. Est-ce que qui ce soit vous a jamais dit ce qui se passait avec le
11 groupe de personnes à Ovcara pendant que vous y étiez ?
12 R. J'y suis resté jusqu'au 14 décembre. Les membres de la TO à Vukovar
13 venaient tous les jours pour nous interroger. Ce sont des gens que l'on
14 connaissait, parce qu'on était de la même génération, soit parce qu'il y en
15 avait parmi eux qui étaient un petit peu plus âgés, mais on se connaissait
16 quand même. Cela les intéressait de savoir ce que j'ai vu de l'autre côté
17 de la ligne de front. Ils m'ont posé des questions de façon quotidienne,
18 ils voulaient savoir ce qui s'était passé là-bas, ce qu'ils faisaient, donc
19 ils venaient me voir pour me poser des questions. Je n'ai pas vraiment posé
20 de question pendant qu'ils étaient deux ou trois. Je continuais à raconter
21 la même histoire. Une fois, c'est vrai que j'ai réussi à poser une question
22 à Savic Morislav. Je lui faisais relativement confiance parce qu'il m'a
23 sauvé, donc je lui ai demandé ce qui s'était passé avec les gens à Ovcara.
24 Il m'a répondu : "Ils sont tous sous l'herbe."
25 C'est tout ce que j'ai appris concernant le sort de ces personnes à
26 l'époque. Ensuite, je n'ai plus posé d'autres questions à qui que ce soit.
27 M. MOORE : [interprétation] Je voudrais encore poser une question, une
28 seule question.
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1 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
2 M. MOORE : [interprétation]
3 Q. Je voudrais vous demander d'examiner la pièce 205. C'est une
4 photo. J'espère que vous êtes en mesure de voir la photo.
5 Est-ce que vous connaissez cette personne ? Est-ce que vous l'avez jamais
6 vue ?
7 R. C'est le capitaine Radic. C'est la personne que l'on apostrophait comme
8 capitaine Radic. Je l'ai vu aussi bien à l'hôpital que dans le bus de la
9 caserne.
10 M. MOORE : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions. Merci.
11 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Merci, Monsieur Moore.
12 Monsieur Vasic, je vous donne la parole.
13 M. VASIC : [interprétation] Merci. J'ai besoin de quelques instants pour
14 m'organiser.
15 M. LE GREFFIER : [interprétation] Je voudrais faire une correction pour le
16 compte rendu d'audience. La feuille avec le pseudonyme concernant le Témoin
17 P-030 portera la cote 526 et sera versée sous pli scellé, et pas 525, comme
18 cela a été dit auparavant.
19 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Je vous remercie.
20 Je vois que M. Vasic est prêt.
21 M. VASIC : [interprétation] Oui. Merci, Madame la Juge. J'espère que ces
22 micros qui sont maintenant rallongés vont nous permettre de mieux
23 communiquer, que les interprètes vont mieux nous entendre.
24 Contre-interrogatoire par M. Vasic :
25 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur. Je m'appelle Miroslav Vasic, je
26 suis avocat. Je suis le conseil de la Défense de M. Mrksic. Je vais vous
27 poser un certain nombre de questions. Puisque nous parlons une langue que
28 nous partageons et comprenons tous les deux, je vous demanderais de faire
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1 une pause après les questions que je vais vous poser, avant de répondre,
2 pour que les interprètes puissent interpréter aussi bien mes questions que
3 vos réponses, pour que tout ceci soit consigné au compte rendu d'audience
4 et que pour que toutes les parties présentes dans ce prétoire puissent
5 suivre les débats.
6 Je voudrais parcourir un certain nombre de détails techniques concernant
7 différentes déclarations que vous avez faites.
8 Je vais demander de passer à huis clos partiel pour quelques instants.
9 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Nous sommes à huis clos
10 partiel.
11 M. LE GREFFIER : [interprétation] Oui, Madame le Juge.
12 [Audience à huis clos partiel]
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13 Pages 9767-9775 expurgées. Audience à huis clos partiel.
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2 [Audience publique]
3 M. VASIC : [interprétation] Merci beaucoup, Madame et Monsieur les Juges.
4 Je pense que nous en avons terminé. Nous n'avons plus de temps.
5 Mme LE JUGE VAN DEN WYNGAERT : [interprétation] Effectivement.
6 Nous allons poursuivre la déposition demain et lever l'audience. Nous
7 reprendrons nos travaux demain matin à 9 heures 30.
8 --- L'audience est levée à 13 heures 01 et reprendra le mercredi 31
9 mai 2006, à 09 heures 30.
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