LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald, Président
M. le Juge Ninian Stephen
M. le Juge Lal C. Vohrah
Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 25 septembre 1996
LE PROCUREUR
C/
ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"
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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX
FINS DE TRANSMISSION DES DOCUMENTS DANS
LA LANGUE DE LACCUSÉ
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Le Bureau du Procureur :
M. Eric Ostberg
Mme Teresa McHenry
Le Conseil de la Défense :
Mme Edina Residovic, pour Zejnil Delalic
I. INTRODUCTION ET CONTEXTE PROCÉDURAL
La présente Chambre de première instance du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 (le "Tribunal international") est saisie dune Requête aux fins de la transmission des documents dans la langue de laccusé (la "Requête") déposée au nom de laccusé Zejnil Delalic le 15 mai 1996. Le Bureau du Procureur ("lAccusation") a déposé une réponse le 29 mai 1996. Le 31 mai 1996, la Chambre de première instance a rendu une Ordonnance donnant instruction au Greffier de répondre à la Requête, "lobjet (de la Requête) relevant du champ des fonctions du Greffier en vertu de larticle 17 du Statut et de larticle 33 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international". Le Greffier a répondu au Conseil de la Défense par lettre en date du 14 juin 1996. Lors dune conférence de mise en état qui sest déroulée le 23 juillet 1996, la Défense a demandé que la Chambre de première instance se saisisse de la question et a sollicité lautorisation de présenter des éléments supplémentaires. Des éléments supplémentaires ont été présentés le 27 juillet 1996, auxquels le Procureur a répondu le 31 juillet 1996.
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE, AYANT EXAMINÉ les conclusions écrites et entendu les exposés des parties,
REND LA PRÉSENTE DÉCISION.
I. EXAMEN
1. Dans la Requête, la Défense demande que tous "les compte rendus et autres documents" soient communiqués en bosniaque, la langue de laccusé, Zejnil Delalic, en vertu de larticle 3 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le "Règlement"). La Défense affirme que la Requête est fondée sur le droit dun accusé demployer sa propre langue dans le but dassurer de lui garantir, en tant que partie, le même traitement devant le Tribunal international. La Défense soutient aussi que lobligation faite au Conseil de sadresser au Tribunal international dans lune des langues de travail de ce dernier est une restriction au droit de laccusé de choisir son propre Conseil.
2. LAccusation a convenu que certains documents doivent être communiqués dans la langue de laccusé mais elle soutient que ni le Règlement ni le Statut du Tribunal international (le "Statut") nexigent que tous les documents soient dans sa langue. Le Greffier a adopté une position semblable dans sa réponse au Conseil de la Défense.
3. Lors dune conférence de mise en état qui sest déroulée le 23 juillet 1996, les parties ont identifié quatre catégories particulières de documents que la Défense souhaite voir traduits dans la langue de laccusé ou être en mesure de présenter dans cette langue, à savoir : 1) les éléments de preuve admis au procès; 2) les documents couverts par la communication des pièces; 3) les requêtes déposées auprès du Tribunal international; et 4) la correspondance privée entre les parties.
4. Pour résoudre ce différend, la Chambre de première instance sest fondée sur les dispositions du Règlement et du Statut. Larticle 33 du Statut stipule : "Les langues de travail du Tribunal international sont langlais et le français". Dans ses parties pertinentes, larticle 3 du Règlement dispose :
Article 3
Emploi des langues
A) Les langues de travail du Tribunal sont le français et langlais.
B) Laccusé a le droit de parler sa propre langue.
C) Toute autre personne, à lexception du Conseil de laccusé, comparaissant devant le Tribunal peut, sous réserve du paragraphe D) du présent article, employer sa propre langue si elle na pas une connaissance suffisante de lune ou lautre des deux langues de travail.
D) Le Conseil de laccusé peut demander au Président dune Chambre lautorisation demployer une langue autre que les deux langues de travail ou celle de laccusé. Si une telle autorisation est accordée, les frais dinterprétation et de traduction sont pris en charge par le Tribunal dans les limites éventuellement fixées par le Président compte tenu des droits de la défense et de lintérêt de la justice.
5. Bien que larticle 3 A) du Règlement suive le langage du Statut en disposant que les langues de travail sont langlais et le français, la Chambre de première instance est consciente que son interprétation de cet article au plan de lapplication doit être compatible avec les droits de laccusé prévus par le Statut. Larticle 21 dispose notamment :
Article 21
Les droits de laccusé
1. Tous sont égaux devant le Tribunal international.
4. Toute personne contre laquelle une accusation est portée en vertu du présent statut a droit, en pleine égalité, aux moins aux garanties suivantes :
a) À être informée, dans le plus court délai, dans une langue quelle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de laccusation portée contre elle;
b) À disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix;
f) À se faire assister gratuitement dun interprète si elle ne comprend pas ou ne parle par la langue employée à laudience.
6. Les parties et le Greffier conviennent que tous les éléments de preuve présentés par lune ou lautre des parties au procès doivent être disponibles dans lune des langues de travail du Tribunal et dans la langue de laccusé. Cest nécessaire pour remplir les garanties visées aux articles 21 1) et 21 4) a) du Statut. La Chambre de première instance conclut de surcroît que tous les éléments joints à lacte daccusation que lAccusation est tenue de communiquer à la Défense en vertu de larticle 66 A) doivent être fournis dans la langue de laccusé, quils soient ou non présentés au procès.
7. Les parties ne sont pas parvenues à sentendre sur la deuxième catégorie déléments : les documents couverts par la communication des pièces. LAccusation affirme que la Défense na aucun intérêt légitime dans bon nombre de documents en sa possession parce quils ne se rapportent pas à la décision de la Chambre de première instance sur les accusations portées contre laccusé et que le coût et le temps requis pour traduire tous ces documents sont injustifiés. Selon lAccusation, bien quune grande partie des éléments aient été initialement rédigés en serbo-croate et seront, de ce fait, communiqués à la Défense dans cette langue, elle ne devrait pas être tenue de traduire dans la langue de laccusé tous les documents quelle fournit à la Défense au titre de la communication des pièces et documents. Par conséquent, elle fournira tous les éléments couverts par la communication dans leur forme initiale, sils sont libellés dans la langue de laccusé, ou dans lune des deux langues de travail du Tribunal international.
8. La Chambre de première instance conclut que ni larticle 3 du Règlement ni larticle 21 du Statut ne confèrent à la Défense le droit de recevoir dans la langue de laccusé tous les éléments couverts par la communication des pièces. Les garanties de larticle 21 4) ne sétendent pas à toutes les pièces et documents mais seulement aux éléments de preuve qui fondent la décision de la Chambre de première instance sur les accusations portées contre laccusé. La Chambre de première instance prend cette décision après le procès et en tenant seulement compte des éléments de preuve produits durant linstance par les parties. Les droits de laccusé sont pleinement protégés en sassurant que tous les éléments de preuve produits au procès sont communiqués dans sa langue. La Chambre de première instance conclut que les documents couverts par la communication que se remettent les parties sont communiqués dans la langue originelle du document, sil sagit de la langue de laccusé, ou dans une des langues de travail du Tribunal international. Si la langue originelle du document nest ni celle de laccusé ni une langue de travail du Tribunal, ledit document est communiqué dans lune des langues de travail.
9. LAccusation affirme que laccusé ne peut se prévaloir du droit que les requêtes déposées auprès du Tribunal international lui soient communiquées dans sa propre langue mais elle ne prend pas de position définitive et sen remêt à la décision de la Chambre de première instance pour cette catégorie de documents. La Défense soutient quelle devrait être autorisée à déposer ses requêtes dans la langue de laccusé et que le Greffier devrait faire traduire dans cette même langue les requêtes déposées par lAccusation.
10. La rédaction en anglais ou en français de tous les documents qui sont déposés auprès du Tribunal international est implicite dans le concept des "langues de travail" visées à larticle 33 du Statut et à larticle 3 A) du Règlement. Ni larticle 21 1) ni larticle 21 4) a) du Statut ne confèrent à laccusé le droit de présenter ou de recevoir les requêtes dans sa langue parce quelles nentrent pas dans les paramètres des éléments de preuve sur lesquels la Chambre de première instance fondera sa décision sur les accusations portées contre lui. Les dispositions de larticle 21 4) a) et f) ne confèrent pas à la Défense le droit de demander au Greffier de consacrer le temps et le coût considérables exigés pour la traduction des requêtes dans la langue de laccusé. La Chambre de première instance décide que toutes les requêtes doivent être déposées dans lune des langues de travail du Tribunal international. Cette obligation sapplique à toutes les requêtes, mémorandums et documents semblables ainsi quà toute la correspondance entre les parties et à toute la correspondance à destination et en provenance du Tribunal international.
11. Le Conseil de la Défense a informé le Tribunal international quelle maîtrise suffisamment le français pour lire et rédiger des documents dans cette langue. Par conséquent, laccusé nest pas désavantagé par cette condition. Les requêtes peuvent être déposées par la Défense en français et seront traduites en anglais, le cas échéant, par le Greffe. De même, lAccusation peut continuer de déposer ses requêtes en anglais et le Greffe les traduira en français. Pour éviter tout doute, la date de dépôt effective de toutes ces requêtes sera la date de dépôt de la version dans la langue originelle mais tous les délais pour les réponses et autres courront de la date du dépôt de la traduction.
12. Durant tous ses débats, le Tribunal international a des interprètes dont la responsabilité est dassurer leur interprétation simultanée dans la langue de laccusé. Ce système couvre la condition de larticle 21 4) f) et garantit le droit de laccusé à comprendre la nature et les motifs de laccusation portée contre lui, visé à larticle 21 4) a). Larticle 3 C) du Règlement prévoit clairement que, à la différence de toute autre personne comparaissant devant le Tribunal, le Conseil na pas un droit automatique à utiliser sa propre langue, y compris si elle est la même que celle de laccusé. Cependant, les Conseils sont autorisés à sadresser à la Chambre de première instance dans la langue de laccusé, en vertu de larticle 3 D) du Règlement. Le droit visé à larticle 3 D) qui permet au Conseil de laccusé demployer la langue de celui-ci sans en demander lautorisation de la Chambre de première instance est fondé sur la prémisse quil est désirable que le Conseil puisse communiquer facilement avec laccusé.
13. La Chambre de première instance va maintenant examiner largument de la restriction du droit dun accusé à choisir son propre Conseil en vertu de larticle 21 4) b). Etant donné la possibilité fournie par le Tribunal international pour que le Conseil sexprime dans la langue de laccusé durant les débats, en plus des deux langues de travail du Tribunal, ce droit nest entaché daucune restriction.
14. Deux catégories supplémentaires de documents, qui nont pas été spécifiquement identifiées par les parties lors de la conférence de mise en état mais qui ont fait lobjet de discussions entre la Défense et le Greffier, sont les compte rendus des audiences et les Ordonnances et Décisions rendues par le Tribunal international. Les compte rendus des audiences sont fournis sur demande dans lune ou dans les deux langues de travail seulement en tant quaide-mémoire pour les participants à ces audiences. Comme dans le cas des requêtes et autres documents semblables, la Défense na pas un droit à ce que tous les compte rendus soient traduits dans la langue de laccusé. Enfin, la Chambre de première instance observe que toutes les Décisions et Ordonnances du Tribunal international sont publiées simultanément dans ses deux langues de travail puis traduites dans la langue de laccusé par le Greffe. Cette procédure sera maintenue et elle satisfait pleinement les droits de laccusé.
III. MOTIFS
Par ces motifs, LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE,
VU LES ARTICLES 3 ET 54 DU RÈGLEMENT
ET SOUS RÉSERVE DE TOUTE FUTURE ORDONNANCE INTÉRESSANT DES AFFAIRES PARTICULIÈRES
ORDONNE ce qui suit :
1) Tous les éléments de preuve, y compris les éléments joints à lacte daccusation, sont traduits par le Greffe dans la langue de laccusé;
2) Les documents couverts par la communication des pièces sont communiqués dans la langue dans laquelle le document a été initialement obtenu sil sagit de la langue de laccusé, ou dans une langue de travail du Tribunal, et la responsabilité de toute traduction incombe à la partie qui la demande;
3) Toutes les requêtes, conclusions écrites et autres documents sont déposés dans lune des langues de travail du Tribunal international;
4) Toute la correspondance à destination et en provenance dun organe du Tribunal international, y compris le Bureau du Procureur, est rédigée dans lune des langues de travail;
5) Le Conseil de la Défense peut employer la langue de laccusé durant tous les débats devant la Chambre de première instance;
6) Les compte rendus daudiences devant le Tribunal international sont disponibles, sur demande, dans lune ou dans les deux langues de travail;
7) Toutes les Ordonnances et Décisions rendues par le Tribunal international sont déposées dans les deux langues de travail et traduites par le Greffe dans la langue de laccusé.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de
première instance
(signé)
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Gabrielle Kirk McDonald
Le vingt-cinq septembre 1996
La Haye
(Pays Bas)
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Sceau du Tribunal]