LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL INTERNATIONAL
M. le Juge Antonio Cassese
Assisté de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 11 novembre 1996
LE PROCUREUR
C/
ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias « PAVO »
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias « ZENGA »
___________________________________________________________________________
DÉCISION DU PRÉSIDENT RELATIVE À LA REQUÊTE DE LACCUSATION AUX FINS DE LA PRODUCTION DES NOTES ECHANGÉES ENTRE ZJENIL DELALIC ET ZDRAVKO MUCIC
___________________________________________________________________________
Le Bureau du Procureur :
M. Eric Ostberg
Mme Teresa McHenry
Le Conseil de la Défense :
Mme Edina Residovic, représentant Zejnil Delalic
M. Bradislav Tapuscovic, représentant Zdravko Mucic
I. INTRODUCTION
1. Par une décision rendue dans la présente affaire le 31 octobre 1996, (Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Hazim Delic et Esad Landzo, Décision relative à la Requête de lAccusation aux fins de la production des notes échangées entre Zejnil Delalic et Zdravko Mucic, No IT-96-21-T, T. Ch.II, 31 octobre 1996) ("Décision"), la Chambre de première instance II ma renvoyé la question, afin que je décide, en ma qualité de Président du Tribunal international, sil convient de communiquer au Procureur du Tribunal international en partie ou en totalité certaines pièces confisquées aux détenus. Les pièces en question sont des notes qui auraient été échangées par deux des accusés dans la présente affaire, Zejnil Delalic et Zdravko Mucic, en instance de jugement au quartier pénitentiaire de lOrganisation des Nations Unies ("Quartier pénitentiaire") situé à La Haye.
2. Par sa Décision, la Chambre "ordonne au Greffier de remettre une copie certifiée conforme des pièces confisquées au Président du Tribunal international afin quil décide si les pièces justifient leur communication partielle ou totale au Procureur". Après que le prononcé de la Décision a été rendue, le Greffier ma dûment transmis, le 1er novembre 1996, une copie certifiée conforme des pièces confisquées. Outre ces documents, jai lu et pris en considération les documents ci-après :
a) Mémorandum en date du 15 mai 1996 adressé par M. Eric Ostberg, Bureau du Procureur, à M. Dominique Marro, Bureau du Greffe, intitulé " Détention de Mucic et de Delalic" (figurant au registre du Greffe sous la cote ("RG") 1120);
b) Mémorandum en date du 5 juillet 1996 adressé par M. Dominique Marro, Greffier-adjoint, à Mme Teresa McHenry, Bureau du Procureur, intitulé "Pièces confisquées aux détenus" (RG 1119);
c) Mémorandum en date du 17 juillet 1996 adressé par M. Eric Ostberg, Bureau du Procureur, à Mme de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier, intitulé "Pièces confisquées aux détenus" (RG 1118);
d) Mémorandum en date du 16 août 1996 adressé par Mme de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier, à M. Eric Ostberg, Bureau du Procureur, intitulé "Pièces confisquées à Mucic et Delalic" (RG 1117-1116);
e) "Requête de lAccusation relative à la production des notes échangées entre les détenus Delalic et Mucic", en date du 26 août 1996 et pièces jointes (à savoir a) et d) ci-dessus) (RG 1130-1115) ("Requête du Procureur");
f) "Duplique de laccusé Zejnil Delalic à la Requête de lAccusation relative à la production des notes échangées entre les détenus Delalic et Mucic", en date du 4 septembre 1996 (RG 1180-1174) ("Duplique");
g) "Réponse de la Défense à la Requête de lAccusation relative à la production des notes échangées entre les détenus Delalic et Mucic", déposée au nom de Zdvrako Mucic en date du 20 septembre 1996 (RG 1397-1396);
h) Lordonnance de la Chambre de première instance "invitant le Greffier à répondre à la Requête de lAccusation relative à la production des notes échangées entre les détenus Zejnil Delalic et Zdvrako Mucic", en date du 23septembre 1996 (RG 1404-1403);
i) "Mémoire du Greffier" en réponse à linvitation de la Chambre de première instance II, en date du 25 septembre 1996 (RG 1407-1406);
j) La Décision.
3. Ayant examiné les documents susmentionnés, je rends la présente décision.
II. EXAMEN
A. Contexte
4. Pour les faits et les conclusions en cette affaire, on se reportera au résumé se trouvant aux paragraphes 1 à 15 de la Décision de la Chambre de première instance.
B. Décision de la Chambre de première instance
5. La Chambre de première instance a rendu sa "Décision" le 31 octobre 1996. Elle a constaté que seule une décision du Greffier pouvait restreindre le droit des détenus à communiquer librement entre eux ou avec dautres, en réponse à une requête déposée par le Procureur en application de larticle 66 du Règlement portant régime de détention des personnes en attente de jugement ou dappel devant le Tribunal ou détenues sur lordre du Tribunal ("Règlement sur la détention préventive"). La Chambre de première instance a conclu que, en fait, aucune décision navait été rendue par le Greffier en vertu de larticle 66 quand, vers le 14 mai 1996, les détenus auraient tenté déchanger des notes. Décision, paragraphe 17.
6. La Chambre de première instance a toutefois estimé que "la méthode utilisée lors de la tentative de communication" enfreignait le Règlement interne définissant les modalités des visites et des communications avec les détenus ("Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus"). Elle a fait valoir que "si, comme la laissé entendre le Greffier, il faut considérer les pièces échangées comme de la "correspondance", alors il sagirait dune correspondance envoyée en violation des dispositions de larticle 6 du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus, aux termes desquelles toute cette correspondance doit être soumise au Greffier pour examen." Décision, paragraphe 17. En conséquence, la Chambre a estimé que le Greffier avait le pouvoir de confisquer "toutes notes trouvées dans une partie commune du quartier pénitentiaire et qui nont pas été soumises à examen par les voies appropriées, que ces notes constituent ou non une violation dune décision en application de larticle 66" Id., paragraphe 18. Ayant constaté quen vertu du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus, le Greffier avait le droit de confisquer les notes et den faire une copie, la Chambre de première instance a conclu quen ne communiquant pas au Procureur les pièces confisquées, le Greffier avait agi dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés.
7. Quant à lopportunité de faire droit à la requête de lAccusation sollicitant la communication des notes, la Chambre a considéré, en se fondant sur larticle 33 du Règlement de procédure et de preuve ("Règlement") et larticle 85 du Règlement sur la détention préventive, ainsi que sur certaines réglementations pénitentiaires, que, dans les circonstances présentes, le Président du Tribunal international pouvait examiner la décision du Greffier et ma en conséquence renvoyé la question aux fins de décision.
III. ANALYSE
A. La question préliminaire de savoir si le point soulevé relève de la
compétence du Président
8. Dans la Requête du Procureur, le Procureur a demandé à la Chambre de première instance II dordonner au Greffier de lui remettre une copie des notes confisquées par le Greffier. Le Procureur a donc estimé quil appartenait à cette Chambre de se prononcer sur la question, conformément aux articles 72 A), 39 iv) et 54 du Règlement. Dans la Duplique, le Conseil de Delalic a fait valoir que, au contraire, la question soulevée par le Procureur ne relevait pas de la compétence de la Chambre de première instance, étant donné quelle avait trait à la détention (RG 1179). Pour sa part, la Chambre de première instance, tout en ne rejetant pas la Requête du Procureur comme irrecevable, a conclu quil appartenait au Président du Tribunal international, agissant en vertu de larticle 33 du Règlement, de statuer sur la question et elle me la donc renvoyée aux fins de décision.
9. Je conclus que la Chambre dinstance a rendu la décision appropriée à légard de cette question. En vertu de larticle 33 du Règlement, le Greffier exerce ses fonctions "sous lautorité du Président". Le problème litigieux découle de lexercice par le Greffier de ses fonctions de responsable du quartier pénitentiaire. En application du Règlement sur la détention préventive, les détenus peuvent formuler une plainte par écrit au Président. Il apparaît donc clairement que, à la demande de lune des parties concernées, il convient de soumettre au Président les questions relatives à la détention ou soulevées par celle-ci afin quil les examine et se prononce en dernier ressort. Cela est dautant plus le cas que, comme la fait observer la Chambre de première instance :
"il semble illogique quune partie à un différend de cette nature puisse demander à une autorité, en lespèce la Chambre de première instance, de le résoudre, alors que lautre partie peut recourir à une autre autorité, à savoir le Président du Tribunal international" Décision, paragraphe 31.
10. Jestime donc que jai compétence pour trancher la question que ma renvoyée la Chambre de première instance et quen conséquence, je peux légitimement passer à lexamen de la question au fond. Au préalable, je tiens cependant à ajouter une remarque. Etant donné que, comme je viens de lindiquer, cette question relève de ma compétence, je ne suis pas lié au sens strict par la requête (petitum) de la Chambre de première instance mais peux statuer sur toutes les questions soulevées par le Procureur et la Défense au sujet des notes litigieuses, y compris les questions que la Chambre de première instance aurait pu juger utiles de ne pas prendre en considération.
B. La demande orale du Procureur : a-t-elle été formulée en vertu de larticle 66 du Règlement sur la détention préventive ?
11. Je prends comme point de départ la demande formulée oralement par le Procureur le 8 mai 1996, date à laquelle laccusé Zejnil Delalic a été transféré au quartier pénitentiaire, quil ny ait aucun contact ni aucune communication entre Zejnil Delalic et son coaccusé Zdravko Mucic, qui était déjà incarcéré au quartier pénitentiaire.
12. Il me semble quil y a eu un malentendu fondamental à ce moment là, aussi bien de la part du Procureur que du Greffier, à savoir de considérer que la demande orale équivalait à une demande au sens de larticle 66 du Règlement sur la détention préventive.
13. Premièrement, nulle part il nest fait mention de larticle 66 dans le mémorandum adressé par lAccusation au Greffier le 15 mai 1996, rédigé après les tentatives des détenus de communiquer entre eux dont elle a eu connaissance. Le mémorandum ne précise pas non plus sur laquelle des raisons spécifiques énumérées à larticle 66 se fonde la demande. Etant donné quil ne peut être fait droit à une demande formulée en vertu de larticle 66 que si lune des raisons mentionnées à larticle sapplique, à savoir seulement si le Procureur
a des raisons de penser quun tel contact (entre un détenu et toute autre personne) a pour but dorganiser lévasion du détenu, pourrait compromettre ou affecter de quelque manière lissue des poursuites engagées contre lintéressé ou celle de toute autre enquête ou pourrait nuire au détenu ou à toute autre personne,
et, puisque, apparemment aucune de ces raisons na été spécifiquement invoquée lors de la demande, il nexiste aucun motif permettant de considérer la requête du Procureur comme une requête formulée au titre de larticle 66.
14. Larticle 66 est, de fait, mentionné pour la première fois dans le mémorandum du Greffier en date du 16 août 1996, environ trois mois après la demande orale. Le Greffier déclare que
le 8 mai 1996, conformément à larticle 66 du Règlement sur la détention préventive, le Bureau du Procureur a adressé une demande orale au Greffier dans laquelle il demandait quil ny ait pas de contacts entre Mucic et Delalic car ces contacts pourraient compromettre ou affecter de quelque manière lissue des poursuites engagées.
Mais, on peut lire à la ligne suivante ce qui suit : "Le Greffe a reçu une demande écrite à cet effet le 15 mai 1996" (non souligné dans le texte); de fait, cette demande écrite, comme indiqué, ne fait mention ni de larticle 66 ni du motif présumé de la demande. Le Procureur a mentionné larticle 66 pour la première fois à la page 2 de sa Requête du 26 août 1996, mais il fait aussi état du mémorandum du 15 mai 1996 comme indication que ledit article avait été invoqué. Je nai pas besoin dexaminer si le Procureur avait véritablement lintention de se fonder demblée sur larticle 66 ou sil la invoqué plus tard après que le Greffier lait lui-même invoqué. A mon avis, aux fins de la présente décision, ce qui importe cest détablir si oui ou non la demande orale de lAccusation se fondait valablement sur larticle 66. Je conclus que non.
15. Par ailleurs, il ne semble pas que le Greffier ait à lépoque considéré la demande orale du Procureur comme une demande au titre de larticle 66 puisque, dans ce cas, "le détenu est immédiatement informé dune telle demande". La Chambre de première instance a conclu que "le Greffier navait rendu aucune décision en application de larticle 66 lorsque, vers le 14 mai 1996, les détenus auraient essayé déchanger une correspondance" Décision, paragraphe 17. Si les détenus avaient été informés, ils auraient pu de surcroît exercer le droit, au titre de larticle 66, de "demander au Président du Tribunal de rejeter ou dannuler toute demande tendant à lui interdire un tel contact". Je considère donc quil nexistait aucune décision formelle en application de larticle 66 lors du contact présumé entre les détenus.
16. Je suis plutôt davis que le Greffier avait au départ pensé que la demande orale sinscrivait dans le cadre de la procédure normale de séparation des détenus. En réponse à la requête de lAccusation, le Greffier a déclaré "que la séparation des détenus et la prévention de toute communication étaient des procédures normales" Requête de lAccusation, page 3. Comme la Chambre de première instance la fait observer, "la restriction au droit de communiquer librement ne peut pas résulter dune "procédure normale" Décision, paragraphe 16. Ce que cela révèle, toutefois, cest que lorsque le Greffier a fait mention de cette "procédure normale", il fallait par là entendre la procédure normale de séparation des détenus, prévue par le Règlement sur la détention préventive (articles 40 à 44), et non une quelconque procédure normale supposée visant à imposer des restrictions au droit des détenus de communiquer librement avec des personnes se trouvant à lextérieur du quartier pénitentiaire. Le Greffier a le droit, en vertu de larticle 40 du Règlement sur la détention préventive, sur sa propre initiative, et après avoir demandé conseil au service médical, dinstituer une "procédure normale" permettant de séparer les détenus, cest-à-dire de les maintenir dans des logements séparés et de leur interdire de se rencontrer ou de pratiquer des exercices physiques ensemble. On est naturellement fondé à penser que, dans le cadre dun tel régime, les détenus ne seront pas non plus en mesure de communiquer. Ce régime est cependant très différent dune décision rendue en application de larticle 66 visant à "interdire tout contact entre un détenu et toute autre personne", qui, comme il est indiqué, ne peut être prise quà la demande motivée du Procureur.
17. Il est vrai, quen vertu du Règlement sur la détention
préventive, la séparation peut être effectuée "afin déviter tout conflit
éventuel à lintérieur du quartier pénitentiaire ou tout danger pour
lintéressé" (article 40) ou "afin de préserver la sécurité et le bon
ordre dans le quartier pénitentiaire ou dassurer la protection de
lintéressé" (article 41). Apparemment, ces deux dispositions ne
sappliquent pas à la séparation dans le but déviter des contacts entre les
détenus visant à entraver le cours de la justice en fabriquant des témoignages ou en
altérant des preuves. Néanmoins, je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas interpréter
ces dispositions avec une certaine souplesse de manière quelles sappliquent
également à la situation que nous venons dévoquer. Certes, même si les accusés
détenus au quartier pénitentiaire sont, comme tout accusé, "présumés innocents
jusquà ce que leur culpabilité ait été établie" (paragraphe 3 de
larticle 21 du Statut), ils ne sont pas pour autant autorisés à agir à
lencontre des intérêts de la justice. Le Greffier, ainsi que le Commandant placé
sous son autorité, ne doivent pas seulement veiller à "la bonne marche du quartier
pénitentiaire" (article 13 du Règlement sur la détention préventive; voir
aussi
larticle 37 de ce même Règlement); ils ont également le pouvoir, et même
lobligation, de prendre toutes les mesures qui simposent pour prévenir ou
faire cesser toute tentative des détenus dentraver le cours de la justice.
Lune de ces mesures peut consister à séparer un détenu dun autre en vue
déviter toute communication entre eux destinée à fabriquer un témoignage. Le
Greffier est pleinement habilité à ordonner de telles mesures. Il doit non seulement
sacquitter des fonctions spécifiques que lui confèrent le Statut et le Règlement
afin dassurer "ladministration et les services du Tribunal"
(paragraphe 1 de larticle 17 du Statut); étant lun des principaux organes du
Tribunal, il doit nécessairement participer à la fonction première du Tribunal, à
savoir la bonne administration de la justice. Cest ce qui résulte de lesprit
du Statut et du Règlement et qui est corroboré, par exemple, par les dispositions de
larticle 8 du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus
qui prévoit, entre autres, que le Greffier doit sassurer que la correspondance des
détenus ne soppose pas à la bonne administration de la justice (non
souligné dans le texte). Il convient toutefois de souligner que le Greffier remplit cette
fonction générale de bonne administration de la justice de manière neutre et
indépendante, cest-à-dire en nagissant ni au nom du Procureur ni à celui de
la Défense. Dans la présente affaire, il a agi en qualité de responsable du quartier
pénitentiaire. A ce titre, il a sans conteste le droit non seulement dagir
"dans lintérêt de la sécurité et de la bonne marche du quartier
pénitentiaire" (article 37 du Règlement sur la détention préventive), mais aussi
de veiller à ce quaucun détenu ne nuise aux intérêts de la bonne administration
de la justice.
18. Dans une note de bas de page de la Décision, la Chambre de première instance a examiné la possibilité dappliquer à la situation présente la séparation, telle que prévue à larticle 40, mais ne la pas retenue, déclarant que larticle "ne vise pas à restreindre le droit des détenus de communiquer avec dautres personnes ou entre eux" Décision, page 7 (non souligné dans le texte). Sil est vrai que cet article na pas pour objet dempêcher les détenus de communiquer entre eux, et ils sont toujours libres de le faire par les voies appropriées, il est naturel de penser que, si les détenus sont effectivement séparés, ils ne pourront communiquer quen échangeant des notes écrites ou des lettres qui pourront être examinées par le Greffier en toute hypothèse (en vertu des articles 8 et 9 du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus, le Greffier peut refuser de poster le courrier dun détenu si ce courrier permet de penser que "le détenu tente dorganiser une évasion, dentrer en contact avec un témoin ou de lintimider, de sopposer à la bonne administration de la justice ou de menacer de toute autre manière la sécurité et le bon ordre du quartier pénitentiaire" (non souligné dans le texte)). Cest pourquoi, il était normal que le Greffier réponde à la préoccupation du Procureur, à savoir que les détenus ne communiquent pas entre eux, en lui assurant quils seraient séparés et quil ny aurait "aucun contact" ou de communication irrégulière entre eux.
C. Le contact non-autorisé entre les détenus
19. Létape suivante de laffaire est le contact au moyen de notes entre Zejnil Delalic et Zdravko Mucic le 14 mai 1996. Il convient tout dabord de faire observer que les détenus navaient pas été informés de la demande du Procureur en date du 5 mai 1996. Léchange de notes enfreignait-il donc la réglementation du quartier pénitentiaire ?
20. A mon avis, cest une erreur de considérer leur notes comme du "courrier" au sens du Règlement sur la détention préventive. Larticle 66 ne sapplique quentre un détenu et une autre personne se trouvant à lextérieur du quartier pénitentiaire. Au sens dudit Règlement, il est évident que la section dans laquelle se trouve larticle 66 ne vise, en fait, que les communications avec des personnes se trouvant à lextérieur du quartier pénitentiaire et non à des communications entre détenus. Larticle 66 figure à la section "Communications et visites", dont larticle 60 est libellé comme suit :
Sous réserve de larticle 66, tout détenu a le droit ... de communiquer avec sa famille et toute autre personne avec qui il est de son intérêt légitime de correspondre par lettre et par téléphone ... (les italiques sont de nous).
De toute évidence, ces articles nenvisagent que les seuls contacts avec lextérieur. Il se trouve, tout simplement, que la situation présente, cest-à-dire lexistence de contacts illicites entre détenus, na pas été expressément traitée dans le Règlement sur la détention préventive;
21. Cela est également valable pour le Règlement interne à la correspondance. Le Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus invoque le "droit déchanger de la correspondance" et fait état de "correspondance reçue par le détenu et envoyée par celui-ci" (article 6). Ici encore, ledit Règlement na pas expressément envisagé la situation dans laquelle nous nous trouvons. Les notes des détenus ne sont pas de la "correspondance reçue" ou "envoyée" et elles ne sont donc pas soumises au régime cité aussi bien par les parties que par le Greffier.
D. Le droit du Greffier de confisquer les notes
22. Après mûre réflexion, je pense que le Greffier avait toutefois le droit de confisquer les notes litigieuses. Comme je lai déjà indiqué ci-dessus au paragraphe 17, il a le droit de sassurer quaucun acte nest commis dans le quartier pénitentiaire dans le but dentraver le cours de la justice. Dans lexercice de ce droit général, il avait séparé les deux détenus et, ce faisant, sétait assuré quil pourrait examiner tout contact ou toute communication entre eux. Certes, si les détenus souhaitaient communiquer, ils pouvaient le faire par "courrier", cest-à-dire en échangeant des communications écrites par les voies officielles du quartier pénitentiaire. Ce "courrier" devait cependant être soumis pour inspection aux autorités compétentes du quartier pénitentiaire : à cet égard, lapplication par analogie des articles 61 et 66 du Règlement sur la détention préventive est justifiée pour les raisons suivantes. Les articles 60 à 66 visent à fixer les droits fondamentaux des détenus en matière de communication et de visite en ce qui concerne des personnes se trouvant à lextérieur du quartier pénitentiaire. Dans le même temps, ces articles précisent les restrictions qui peuvent être légalement imposées à ces communications et à ces visites par le Greffier ou le Commandant. Etant donné léquilibre rigoureux entre les droits et les restrictions énoncés auxdits articles concernant les relations des détenus avec le monde extérieur, il ne serait pas abusif ni contraire aux droits des détenus daffirmer que certains de ces articles devraient aussi sappliquer mutatis mutandis aux relations entre détenus. En dautres termes, la ratio legis qui sert de base aux articles 61 et 66 du Règlement sur la détention préventive sapplique aussi aux communications entre détenus toutes les fois que les détenus auront été séparés : dans un tel cas, la situation entre détenus nest pas très différente de celle existant entre un détenu et le monde extérieur.
23. Etant donné que jai évoqué lanalogie, et je reviendrai plus loin sur cette notion, je pense quil est utile de sy attarder, ne serait-ce que brièvement. Il est bien connu que, dans bon nombre de systèmes juridiques internes, lanalogie, tout en étant généralement admise comme un moyen de combler une lacune du droit, est exclue du droit pénal en vertu des principes nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege; dans certains systèmes juridiques, lanalogie est aussi considérée comme inapplicable aux lois dexception ou aux lois spéciales. En droit international, lanalogie peut sappliquer sans conteste aux règles coutumières. Sagissant du droit des traités, on se montrera prudent. On ne peut recourir à lanalogie que si elle na pas été clairement exclue par les Etats dans leurs négociations intergouvernementales portant sur des questions spécifiques. Elle doit satisfaire le principe de la souveraineté dEtat (lors des négociations entre Etats), ainsi que, de manière plus générale, le principe du respect des droits fondamentaux de lhomme. La thèse de lapplicabilité de lanalogie en droit international a été soutenue à la fois par des juridictions internationales et par déminents auteurs.
24. Je suis davis quen droit international également, il nest généralement pas admis de recourir à lanalogie pour ce qui est des règles de fond du droit pénal; à linverse, ce recours peut être justifié afin de combler déventuelles lacunes dans linterprétation et lapplication des règles internationales de procédure pénale ou des règles internationales définissant les régimes pénitentiaires. La seule réserve est que, bien entendu, le raisonnement analogique naboutisse pas à des résultats contraires aux intentions du législateur ni quil contredise le ratio fondamental sur la base duquel le législateur a adopté les textes de loi. De surcroît, le recours à lanalogie ne doit pas aboutir à la violation des droits fondamentaux de lhomme ou à la restriction manifestement injustifiée de ces droits.
25. Pour en revenir à laffaire, de toute évidence, les deux détenus nont pas respecté le Règlement sur la détention préventive mais ils ont échangé des notes en les cachant subrepticement dans un lieu auquel ils avaient tous deux accès, bien quà des moments différents. Ils ont donc essayé délibérément de déjouer la surveillance des autorités pénitentiaires compétentes.
26. Jestime également que les notes ne bénéficient pas dun statut privilégié et nont pas droit à une protection particulière. A cet égard, le Procureur a fait une remarque pertinente : Selon lui, laffirmation selon laquelle les communications entre détenus ne bénéficient pas dun statut privilégié
"est particulièrement exacte lorsque des détenus ne sont pas autorisés à communique entre eux et quils échangent subrepticement des notes en essayant déchapper aux restrictions. Par ailleurs, on ne peut légitimement sattendre au respect de la vie privée lorsquon écrit une note sur un magazine mis à la disposition de tous les détenus par le quartier pénitentiaire ou lorsquon laisse une note dans une partie commune. Les détenus ne devraient pas être autorisés à contourner une restriction sous le prétexte de vie privée ou de statut privilégié" (Requête du Procureur, page 5).
E. Le Greffier était-il tenu ou non de communiquer les notes au Procureur ?
27. Lautre question quil convient dexaminer est de déterminer si le Greffier, après avoir confisqué les notes à juste titre, avait lobligation de les communiquer au Procureur. En vertu des dispositions de larticle 9 de la section "Correspondance" du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus, il ressort clairement du membre de phrase "le Greffier peut également informer le Procureur" quil a tout pouvoir pour décider dinformer le Procureur lorsquune "correspondance" est en cause. Jai conclu que les notes échangées entre les détenus nétaient pas de la "correspondance" au sens dudit règlement, sauf par analogie. Cest pourquoi, également par analogie, je considère que le Greffier avait le pouvoir discrétionnaire dinformer le Procureur et, a fortiori, de communiquer au Procureur les notes confisquées. Le recours à lanalogie se justifie ici pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 23 et 24 ci-dessus. Chaque fois que les détenus auront été séparés par le Greffier, toute communication entre eux pourra être légitimement assimilée à de la correspondance envoyée par un détenu à une personne se trouvant à lextérieur du quartier pénitentiaire. Il sensuit que si une communication nest pas soumise au Greffier pour inspection mais quelle est par la suite saisie ou, si elle est soumise pour inspection mais quil a été estimé quil y a eu violation dudit règlement, le Greffier a le droit dinformer le Procureur de lexistence de la violation et de la nature du courrier litigieux ainsi que de communiquer le contenu de ce courrier. Il nexiste aucune obligation de communiquer les pièces au Procureur. Il nest pas possible dadmettre largument du Procureur sur ce point : même si ce dernier a le droit de demander que toutes les pièces utiles ..." cela ne veut pas dire pour autant quil a le droit dobtenir toute pièce pouvant présenter un intérêt.
28. Par contre, compte tenu de lesprit du Statut et du pouvoir de
contrôle général sur les activités du Greffier conféré au Président du Tribunal
international par
larticle 33 du Règlement, je considère que le Greffier doit informer le Président
dans pareille situation.
29. Ayant conclu que les notes peuvent être communiquées au Procureur, ma question suivante est de savoir : sur quel critère nous allons nous fonder pour décider si, dans une affaire déterminée, le Procureur doit obtenir les notes. Dans leurs conclusions, les parties ont proposé deux critères éventuels : i) outrage au Tribunal, tel que le prévoit larticle 77 du Règlement; ii) la nécessité dobtenir les pièces en question aux fins de lenquête, conformément aux articles 39 iv) et 54 du Règlement. Je vais maintenant examiner le premier critère.
F. Outrage au Tribunal
30. Les arguments développés sur ce point ont été compliqués inutilement par la question de loutrage au Tribunal en vertu de larticle 77 qui a été soulevée par les deux organes, tout dabord par le Greffier-adjoint dans sa note du 5 juillet 1996 et, de manière plus approfondie, par le Greffier dans son mémorandum du 16 août 1996, et ensuite par le Procureur dans la Requête du Procureur. Je considère cependant que la question de loutrage au Tribunal na aucune pertinence dans la présente espèce.
31. Je considère, respectueusement, que le Greffier a commis une erreur dans son interprétation de la disposition du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus, concernant loutrage au Tribunal. Selon son interprétation de larticle 12 dudit Règlement, le Greffier ne peut remettre au Procureur les pièces confisquées que si elles constituent un éventuel outrage. Il sagit clairement dune interprétation erronée de cette disposition. Comme la souligné le Procureur, larticle 12 est tout simplement une "disposition de notification". Le Procureur indique à juste titre quil nexiste aucune disposition à larticle 12 "qui empêche le Greffier de remettre au Procureur des pièces ne faisant pas outrage au Tribunal" Requête du Procureur, page 7. Le Procureur poursuit en donnant des exemples convaincants daffaires où des lettres adressées à lextérieur du quartier pénitentiaire par un détenu pouvaient être assimilées à des pièces pertinentes pour les poursuites contre le détenu, et donc à des pièces que le Procureur devrait être en droit dobtenir du Greffier. En somme, le Greffier limite par erreur son droit de remettre des pièces au Procureur aux seules pièces constituant un outrage au Tribunal. Comme je lai indiqué plus haut, chaque fois que le Greffier confisque des pièces dans le quartier pénitentiaire parce que létablissement, la diffusion ou la communication desdites pièces constituent une infraction au Règlement sur la détention préventive ou au Règlement pénitentiaire, il appartient au seul Greffier de décider de communiquer ou non ces pièces au Procureur. Certes, les protections prévues à larticle 12 du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus ayant trait à la correspondance (à savoir que le Conseil du détenu en soit préalablement averti et ait pu en prendre connaissance) devraient être appliquées par analogie, car elles garantissent le respect des droits du détenu.
32. Par ailleurs, le Greffier limite à tort loutrage à des événements ne se produisant que lorsque laffaire en est au stade du procès. Comme le Procureur le fait observer correctement, ladoption dune telle position "signifie quune partie peut essayer dentrer en contact, harceler, menacer ou essayer de toute autre manière dinfluencer les témoins potentiels de lautre partie en toute impunité jusquau début effectif du procès" Requête du Procureur, page 8.
33. Par contre, le Procureur semble penser à tort quil a non seulement le pouvoir, mais peut-être même le pouvoir exclusif denquêter et de poursuivre loutrage au Tribunal. Cest loin dêtre le cas. Larticle 77 ne prévoit pas que le Procureur intente les poursuites pour outrage; au contraire, au paragraphe A) de larticle 77, loutrage est avant tout interprété comme survenant en présence dune Chambre et cest pourquoi celle-ci, dans lexercice du pouvoir propre dont elle dispose pour réglementer sa procédure, a le pouvoir de répondre à loutrage. Les Juges en session plénière navaient le pouvoir dadopter un article portant sur loutrage quen vertu de ce pouvoir propre de la Chambre. A lévidence, le Statut ne contient aucun article conférant au Procureur la responsabilité en dernier ressort dintenter des poursuites pour outrage.
34. Il ressort du paragraphe C) de larticle 77, lu parallèlement au paragraphe A) du même article, que le pouvoir de condamner quelquun pour outrage est une prérogative de la Chambre. Le Procureur peut mener des enquêtes et appeler lattention de la Chambre sur lintervention auprès dun témoin ou sur lintimidation de celui-ci, dans la mesure où elle relève des dispositions du paragraphe A) de larticle 77, mais, la Défense ou la Chambre peut, proprio motu, en faire de même, et la Chambre conserve la prérogative de décider ou non de condamner quelquun pour outrage. Il nest donc tout simplement pas exact que, comme laffirme le Procureur dans ses conclusions, il incombe au Procureur "en dernier ressort dintenter une action en justice pour outrage" (point IV de la Requête du Procureur, RP 1123). Même si le Procureur intente des poursuites pour outrage devant la Chambre, le pouvoir qui lui est conféré pour agir ainsi découle des pouvoirs propres à la Chambre et non dun quelconque pouvoir indépendant qui serait conféré à laccusation.
35. Le Procureur nest pas non plus tout à fait convaincant
lorsquil affirme que Zejnil Delalic et Zdravko Mucic doivent être traités comme
des "témoins" au sens de
larticle 77 et que, par conséquent, chacun deux est passible de poursuites
pour outrage au Tribunal pour avoir essayé d"entrer en contact" avec
lautre. Il existe une différence fondamentale entre le fait dêtre un accusé
qui peut déposer en qualité de témoin sil le souhaite et le fait dêtre un
témoin, comme je vais le démontrer par deux arguments : tout dabord, il ressort de
la lecture de larticle 90 du Règlement "Témoignages" quil existe
des dispositions qui sont totalement inapplicables à laccusé et incompatibles avec
ses droits. Le paragraphe D) dispose quun témoin ne doit pas être présent lors de
la déposition dun autre témoin; or, laccusé est de fait présent dans le
prétoire pour le témoignage de tous les témoins. Le paragraphe E) de
larticle 90 précise quun témoin peut être obligé de répondre à une
question qui risquerait de lincriminer; laccusé nest pas soumis à
cette contrainte : en vertu de lalinéa g) du paragraphe 4 de larticle 21 du
Statut, toute personne accusée a le droit fondamental de "ne pas être forcée de
témoigner contre elle-même ou de savouer coupable". Deuxièmement, le
Règlement donne des définitions distinctes de laccusé et des témoins et a des
dispositions de fonds différentes les concernant. Cest pourquoi, de toute
évidence, un accusé ne peut être considéré à toutes fins utiles comme témoin.
36. Un accusé peut sans aucun doute comparaître en qualité de témoin pour sa propre défense (voir paragraphe C) de larticle 85). Si des détenus tentent dentrer en contact en tant que témoins (par exemple, si un accusé comparaît en qualité de témoin pour le compte dun autre accusé, après avoir inventé un élément de preuve tel quun alibi) la question doutrage peut alors se poser. Comme je lai fait observer plus haut, conformément à larticle 8 du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus, il peut être demandé au Greffier de déterminer si le détenu tente d"entrer en contact avec un témoin ou de lintimider, (ou) de sopposer à la bonne administration de la justice ...". Je considère donc que, compte tenu du rôle quil joue en tant que responsable du quartier pénitentiaire, le Greffier a le droit dappeler lattention de la Chambre sur cette question conformément à larticle 77 du Règlement.
G. Le critère permettant de déterminer si, dans une affaire déterminée, le Greffier doit communiquer au Procureur les pièces confisquées.
37. Ayant écarté le bien-fondé de loutrage au Tribunal dans la présente espèce, jaborde les critères qui doivent être utilisés pour déterminer si je dois, en ma qualité de Président du Tribunal international, ordonner la communication totale ou partielle au Procureur des notes confisquées. Le Procureur ne peut justifier sa demande que si les pièces confisquées sont utiles à son enquête sur une violation grave du droit international humanitaire. Etant donné que la demande émane du Procureur, il lui appartient de démontrer quil a le droit de la formuler. Il mérite dêtre remarqué que le Procureur se contente daffirmer ce qui suit "... il y a tout lieu de croire que les pièces litigieuses contiennent des éléments de preuve utiles pour la procédure en cours" (Requête du Procureur page 5), et quil entend sassurer "que les accusés nauront pas la possibilité dentraver le cours de la justice, comme, par exemple, fabriquer un témoignage qui ... disculperait lun ou lautre ou les deux" (id, page 1). Le Procureur ninvoque pas de motif précis pour justifier son affirmation. On doit toutefois reconnaître que sans voir les notes le Procureur peut difficilement trouver une base plus solide pour étayer sa demande.
38. La Requête déposée par le Procureur devant la Chambre de première instance se fonde sur les trois articles 39 iv), 54 et 72. Larticle 72 nest pas dun grand secours en la matière. Il confère simplement au procureur le droit de soulever des exceptions préjudicielles, mais ne dit rien sur le moment où il y sera fait droit. Larticle 39 iv) invoque "toute ordonnance nécessaire ...", et larticle 54 invoque "les ordonnances ... nécessaires aux fins de lenquête, de la préparation ou de la conduite du procès" (les italiques sont de nous). A la lumière de ces deux articles, je conclus que le critère quil convient dutiliser est le suivant : est-il nécessaire (et non simplement utile et souhaitable) aux fins de lenquête, de la préparation ou de la conduite du procès quil soit ordonné au Greffier de produire les notes en question ?
39. Le critère comprend deux parties : a) le Procureur doit être en possession dune ordonnance du Tribunal international pour obtenir les pièces; b) les pièces sollicitées doivent être utiles à lenquête ou à la poursuite menée par le Procureur. Comme pour tout mandat de perquisition ou de saisie, le Procureur ne peut pas purement et simplement aller à "la pêche aux documents" dans les dossiers du Greffier.
40. La Chambre de première instance II a déjà examiné la question de la "pertinence" ou de l"importance" en relation avec larticle 66 du Règlement ("Communication de pièces par le Procureur") dans la présente affaire dans sa Décision relative à la Requête de laccusé Zejnil Delalic aux fins de communication déléments de preuve, dans laquelle elle a examiné et approuvé les décisions de juridictions fédérales des Etats-Unis selon lesquelles :
Les éléments de preuve demandés doivent "contribuer de manière significative à la compréhension déléments de preuve à charge ou à décharge importants"; ils sont importants si tout porte à croire que ... ils "contribueront de manière significative à découvrir des éléments de preuve recevables, à aider à la préparation des témoignages, à corroborer des témoignages ou à aider à la récusation ou à la réfutation".
Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo, Décision relative à la Requête de laccusé Zejnil Delalic aux fins de communication déléments de preuve, paragraphe 7 (N° IT-96-21-T, T.Ch. II, 26 septembre 1996) ("Décision relative à la communication déléments de preuve") citant United States v. Jackson, 850 F. Supp. 1481, 1503 (U.S. Dist. Ct. D. Kan. 1994) et United States v. Lloyd, 992 F.2d 348, 351 (U.S. Ct. App. D.C. Cir. 1993). Dans la même Décision, la Chambre de première instance a également examiné la procédure à suivre par les parties, en se fondant cette fois sur une décision de la Cour dappel anglaise dans R v. Keane, 99 CR. App. R.1, et concluant que "cest à la partie en possession des éléments de preuve" quil appartient au départ de déterminer limportance des éléments de preuve quelle possède. Décision relative à la communication déléments de preuve, paragraphe 9.
41. Dans laffaire dont je suis saisi, je suis maintenant la partie en possession des éléments de preuve et il mincombe de déterminer leur importance. Il me semble opportun de le faire conformément aux paramètres fixés dans la Décision relative à la communication déléments de preuve rendue par la Chambre de première instance. A cette occasion, cependant, il faut tenir compte des droits fondamentaux de laccusé, étant donné que le Statut accorde la plus haute importance à ces droits. Il convient notamment de prendre en considération le droit de laccusé au respect de sa vie privée.
H. Application
42. La Requête du Procureur remplit clairement la première partie du critère. Il a été admis que le Greffier avait agi légitimement en ne communiquant pas les notes et il ne peut donc pas être contraint à les communiquer sans une ordonnance. En ce qui concerne la deuxième partie du critère, après avoir lu les notes et examiné la question attentivement, appliquant le critère et les paramètres énoncés ci-dessus et tenant également compte des droits fondamentaux de laccusé, je considère que les notes justifient leur communication totale au Procureur.
43. En outre, jestime opportun de faire droit à la demande formulée dans la Requête du Procureur selon laquelle le Greffier doit également transmettre au Procureur "un exemplaire du rapport sur les circonstances" dans lesquelles a eu lieu léchange de notes. Même si la Chambre de première instance na pas statué sur cette question, comme je lai indiqué plus haut (paragraphe 10), jestime que je suis habilité à trancher des questions qui, bien quayant été soulevées par les parties, nont pas été examinées par la Chambre de première instance, car elle na pas jugé nécessaire de le faire.
44. Jajouterai quil convient de transmettre également une copie certifiée conforme des notes en cause aux Conseils des deux détenus. A cet égard, je suis davis que lapplication par analogie de larticle 12 du Règlement relatif aux visites et aux communications avec les détenus est pleinement justifiée. Dans la présente affaire, autant que dans le cas de la correspondance envoyée par le détenu et reçue par lui, il est nécessaire de mettre la Défense et lAccusation sur un pied dégalité en gardant à lesprit le principe fondamental de l"égalité des armes".
45. Je mempresse dajouter que la présente Décision na aucune incidence sur la question de la recevabilité desdites notes lors du procès. Il sagit dune question quil appartiendra bien entendu à la Chambre de première instance de trancher si le Procureur sollicite la production des notes ou dune partie des notes lors du procès.
IV. DISPOSITIF
PAR CES MOTIFS,
EN MA QUALITE DE PRESIDENT DU TRIBUNAL,
EN VERTU des articles 33 et 54 du Règlement de procédure et de preuve,
JE CONCLUS quen ne communiquant pas au Procureur les pièces confisquées, le Greffier a agi dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés.
JORDONNE néanmoins au Greffier de remettre aussi bien au Procureur quaux Conseils de Zejnil Delalic et Zdravko Mucic une copie certifiée conforme de toutes les pièces confisquées, ainsi quune copie certifiée conforme du rapport sur les circonstances dans lesquelles léchange de ces pièces a eu lieu.
Fait en anglais et français, la version en anglais faisant foi.
Le Président
(signé)
____________________
Antonio Cassese
Le 11 novembre 1996
La Haye
(Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]