LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE
Composée comme suit : M. le Juge Adolphus G. Karibi-Whyte, Président
Mme le Juge Elizabeth Odio Benito
M. le Juge Saad Saood Jan
Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 25 septembre 1997
LE PROCUREUR
C/
ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"
_____________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE AUX REQUÊTES DE LACCUSÉ ZEJNIL DELALIC
AUX FINS DIRRECEVABILITÉ DÉLÉMENTS DE PREUVE
_____________________________________________________________
Le Bureau du Procureur :
M. Grant Niemann
Mme Teresa McHenry
M. Giuliano Turone
Le Conseil de la Défense :
Mme Edina Residovic, M. Ekrem Galijatovic, M. Eugene OSullivan, représentant
Zejnil Delalic
M. Zeljko Olujic, M. Michael Greaves, représentant Zdravko Mucic
M. Salih Karabdic, M. Thomas Moran, représentant Hazim Delic
M. John Ackerman, Mme Cynthia McMurrey, représentant Esad Landzo
I. INTRODUCTION
Le 8 mai 1997, la Chambre de première instance du Tribunal
international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations
graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de
lex-Yougoslavie depuis 1991 (le "Tribunal international") a rendu une
décision aux termes de laquelle pouvaient être versées au dossier les transcriptions de
certaines déclarations préalables au procès faites par lAccusé Zejnil Delalic
(l"Accusé") et recueillies les 18-19 mars et les 22-23 août 1996 par les
enquêteurs du Bureau du Procureur (l"Accusation") (conjointement qualifiées de
"Déclarations"). De plus, la Chambre de première instance a également
déclaré recevables deux addenda aux déclarations des 18-19 mars 1996, recueillis le 22
juillet et le 10 août 1996 ("Addenda"). Les interrogatoires des 18-19 mars 1996
se sont déroulés au Bureau de la Police Bavaroise à Munich, Allemagne
("Déclarations de Munich") et à cette occasion, lAccusé nétait
représenté par aucun conseil. Les interrogatoires des 22-23 août 1996 se sont
déroulés au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à Scheveningue, La Haye
("Déclarations de Scheveningue"). Les Addenda ont également été recueillis
à Scheveningue. LAccusé était représenté par un Conseil à chaque fois
quil a été interrogé à Scheveningue.
Après avoir rendu une décision orale, la Chambre de première
instance a mis sa décision écrite en délibéré.
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE STATUE COMME SUIT.
II. EXAMEN
- La question de la recevabilité en tant quéléments de preuve des déclarations
préalables au procès recueillies auprès de chacun des quatre accusés se pose devant la
Chambre de première instance depuis un certain temps déjà. En ce qui concerne
lAccusé, elle a été soulevée pour la première fois en mai 1996. Considérant
limportance de cette question et la durée pendant laquelle elle a été soumise au
Tribunal, on se doit dexaminer avec beaucoup de soin un certain nombre de points
tenant au contexte avant daborder le coeur de la décision.
A. Contexte des Déclarations de Munich
- Le 9 octobre 1996, la Chambre de première instance (Juge McDonald, Président
et Juges Stephen et Vohrah) a rendu sa Décision relative à lexception
préjudicielle aux fins dirrecevabilité et de restitution déléments de
preuve et autres éléments saisis de laccusé Delalic (Registre général du
Greffe ("RG") Page D1612-D1621) ("Décision relative à lexception
dirrecevabilité"). La Décision relative à lexception
dirrecevabilité a été rendue en réponse, en partie, à une Requête en date du
28 mai 1996 (RG D1/403bis - 4/403bis) déposée par la Défense au nom de
lAccusé (la "Défense") au titre de larticle 73 A) iii) du
Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le
"Règlement"). En vertu de larticle 73 A) iii), qui stipule que
"(l)es exceptions préjudicielles soulevées par laccusé sont ...
lexception aux fins dirrecevabilité déléments de preuve obtenus de
laccusé ou lui appartenant", la Défense proposait de juger les Déclarations
de Munich irrecevables, au motif quelles avaient été obtenues en violation des
articles 42 et 43 du Règlement, qui sont repris ci-dessous.
Article 42
Droits du suspect pendant lenquête
A) Avant dêtre interrogé par le Procureur, le suspect est
informé de ses droits dans une langue quil parle et comprend, à savoir :
i) son droit à lassistance dun conseil de son choix ou
sil est indigent à la commission doffice dun conseil à titre gratuit ;
ii) son droit à lassistance gratuite dun interprète
sil ne comprend pas ou ne parle pas la langue utilisée lors de
linterrogatoire et ;
iii) son droit de garder le silence et dêtre averti que chacune
de ses déclarations sera enregistrée et pourra être utilisée comme moyen de preuve
B) Linterrogatoire dun suspect ne peut avoir lieu
quen présence de son conseil, à moins que le suspect nait renoncé à son
droit à lassistance dun conseil. Linterrogatoire doit néanmoins cesser
si un suspect qui a initialement renoncé à son droit à lassistance dun
conseil, sen prévaut ultérieurement ; linterrogatoire ne doit reprendre que
lorsque le suspect a obtenu de son chef ou doffice lassistance dun
conseil.
Article 43
Enregistrement des interrogatoires des suspects
Le Procureur ne peut interroger un suspect que si
linterrogatoire est consigné sous forme denregistrement sonore ou vidéo
selon les modalités suivantes :
i) le suspect est informé, dans une langue quil parle et
comprend, de ce que linterrogatoire est consigné sous forme denregistrement
sonore ou vidéo ;
ii) si linterrogatoire est suspendu, lheure de la
suspension et celle de la reprise de linterrogatoire sont respectivement
mentionnées dans lenregistrement avant quil ny soit procédé ;
iii) à la fin de linterrogatoire, il est donné au suspect la
possibilité de préciser ou de compléter toutes ses déclarations ; lheure de la
fin de linterrogatoire est alors mentionnée dans lenregistrement ;
iv) le teneur de lenregistrement est transcrite dès que possible
après la fin de linterrogatoire et copie du texte de la transcription est remise au
suspect ; copie de lenregistrement ou, sil a été utilisé un appareil
denregistrements multiples, lune des bandes originales, est également remise
au suspect ;
v) sil a été nécessaire de faire une copie de
lenregistrement aux fins de transcription, la bande originale de
lenregistrement ou lune des bandes originales est placée, en présence du
suspect, sous scellés contresignés par lui-même et par le Procureur.
- Sagissant de larticle 42, la Chambre de première instance a
conclu quil ny avait eu aucune violation des droits de lAccusé
prescrits aussi bien par larticle 42 A) que par larticle 42 B). En
particulier, la Chambre de première instance a conclu que lors de linterrogatoire,
lAccusé était conscient de son statut de personne suspectée davoir commis
des crimes relevant de la compétence du Tribunal international ainsi que des droits que
ce statut lui conférait. De plus, elle a conclu que lAccusé avait renoncé à son
droit à lassistance dun conseil, "explicitement et de son plein gré ...
conformément à son droit de le faire en vertu de larticle 42 B)" (Décision
relative à lexception dirrecevabilité, para. 13).
- La Défense a allégué quil y avait eu des interruptions dans
lenregistrement des interrogatoires de Munich, en violation de larticle 43 du
Règlement. À cet égard, la Chambre de première instance a déclaré que si les faits
allégués par la Défense étaient exacts, la procédure dinterrogatoire des
suspects, établie par larticle 43, savérerait entachée
dirrégularité. Cependant, la Chambre a ajouté que si une telle irrégularité
avait été commise, la Défense devrait démontrer quelle a conduit à une
violation des droits de lAccusé et que cette violation entraîne lexclusion
du dossier des Déclarations de Munich (Décision relative à lexception
dirrecevabilité, au para. 15). De surcroît, la Chambre de première instance a
considéré que le moment opportun pour que la Défense fasse une telle démonstration est
celui où lAccusation demandera à verser les Déclarations de Munich au dossier. La
Chambre de première instance a jugé quà ce stade du procès, la Défense pourra
sopposer à la recevabilité des Déclarations de Munich en se fondant sur les
articles 89 ou 95 du Règlement. Les dispositions des articles 89 et 95 sénoncent
comme suit.
Article 89
Dispositions générales
A) En matière de preuve, les règles énoncées dans la présente
section sappliquent à toute procédure devant les Chambres. La Chambre saisie
nest pas liée par les règles de droit interne régissant ladministration de
la preuve.
B) Dans les cas où le Règlement est muet, la Chambre applique les
règles dadministration de la preuve propres à parvenir, dans lesprit du
Statut et des principes généraux du droit, à un règlement équitable de la cause.
C) La Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent
quelle estime avoir valeur probante.
D) La Chambre peut exclure tout élément de preuve dont la valeur
probante est largement inférieure à lexigence dun procès équitable.
E) La Chambre peut demander à vérifier lauthenticité de tout
élément de preuve obtenu hors audience.
Article 95
Éléments de preuve obtenus par des moyens contraires
aux droits de la personne internationalement protégés
Nest recevable aucun moyen de preuve obtenu par des moyens
qui entament fortement sa fiabilité ou si son admission irait à lencontre
dune bonne administration de la justice et lui porterait gravement atteinte.
- Ainsi, en résumé, trois éléments se détachent dans la Décision relative à
lexception dirrecevabilité. Le premier est que lorsque les Déclarations de
Munich ont été recueillies, il ny a eu aucune violation des droits de
lAccusé à lassistance dun conseil ou dun interprète ou au
silence, garantis par larticle 42. Deuxièmement, lAccusé a, de son plein
gré, renoncé à son droit à lassistance dun conseil. Troisièmement, la
Défense sest vu offrir une voie de recours contre le versement des Déclarations de
Munich au dossier, à la condition sine qua non quelle puisse démontrer que
les irrégularités, dont elle allègue quelles ont été commises lors de
lenregistrement de linterrogatoire, ont conduit à une violation des droits de
lAccusé et que cette violation entraîne, au titre des articles 89 ou 95,
lirrecevabilité des Déclarations de Munich.
- Dans une lettre en date du 5 décembre 1996 (RG 3655 - 3660), lAccusation a
informé le Conseil de la défense de chacun des quatre accusés de son intention
dutiliser leurs déclarations préalables comme éléments de preuve lors du
procès. En réponse à cette lettre, le 16 janvier 1997, la Défense a déposé sa
"Requête aux fins dexclusion de la transcription et des enregistrements audio
et vidéo de la conversation remis au Procureur les 18 et 19 mars 1996 à Munich par
Zejnil Delalic, pour cause dirrecevabilité" ("Requête"), (RG D2415
- D2424), dans laquelle elle demandait que les Déclarations de Munich soient exclues du
dossier.
- Pour fonder la Requête, la Défense a de nouveau eu recours à de présumées
violations à larticle 42. Elle a avancé que lAccusé navait pas été
suffisamment informé de son droit à lassistance dun conseil en conformité
à larticle 42 et que de ce fait, il navait pas réalisé, à lépoque
des interrogatoires, les conséquences de sa renonciation à ce droit. La Défense a donc
avancé quil y avait eu violation du droit de laccusé à lassistance
dun conseil, violation qui devrait conduire la Chambre de première instance à
exclure les Déclarations de Munich du dossier. De surcroît, la Défense a avancé que
linterrogatoire navait pas été enregistré conformément aux dispositions de
larticle 43 du Règlement et quà ce titre, il devait être déclaré
irrecevable.
- LAccusation na pas déposé de réponse écrite à la Requête. Cependant,
lors de la conférence de mise en état qui sest tenue le 17 janvier 1997 devant la
Chambre de première instance, composée à lidentique, Mme Teresa McHenry
sest exprimée, au nom de lAccusation, sur les points soulevés par la
Requête. Mme Edina Reidovic et M. Eugene OSullivan, conseils de
lAccusé, se sont également exprimés le même jour sur la Requête. Le Conseil de
la Défense est longuement revenu sur les arguments de la Requête. Daprès la
Défense, lorigine socioculturelle yougoslave de lAccusé devrait constituer
un élément déterminant pour évaluer sil y a eu ou non violation des droits de
lAccusé garantis par larticle 42. Il avance que la simple lecture à voix
haute de larticle 42 nétait pas suffisante pour informer lAccusé de
ses droits car, à cause de sa culture juridique issue du système du droit romain, il
nétait pas en mesure de comprendre les conséquences de la renonciation à ses
droits à lassistance dun conseil et au silence. Au nom de lAccusation,
Mme McHenry a soutenu que la question des violations présumées à larticle 42
avaient déjà été traitées dans la Décision relative à lexception
dirrecevabilité, à loccasion de laquelle la Chambre de première instance
avait conclu quil ny avait pas eu de violation. Elle a déclaré que
lAccusation ne sopposait pas à ce que la Chambre de première instance
entende les arguments de la Défense sur de présumées violations à larticle 43.
Elle a ensuite expliqué que toutes les interruptions dans les enregistrements des
interrogatoires résultaient des précautions excessives prises par lAccusation dans
lutilisation des bandes audio et vidéo, qui sarrêtaient de défiler à des
moments différents. Elle a déclaré que lAccusation entendait ainsi sassurer
que les transcriptions présentées lors du procès constituent un reflet fidèle de tout
ce qui avait été enregistré aussi bien sur les cassettes audio que sur les cassettes
vidéo.
- Ayant entendu les arguments avancés lors de la conférence de mise en état, la Chambre
de première instance a conclu que les questions soulevées avaient déjà été
tranchées par la Décision relative à lexception dirrecevabilité et
quà ce titre, elle navait pas compétence pour les examiner de nouveau.
Déclarant que la seule question encore en suspens était celle du versement au dossier
des Déclarations de Munich, la Chambre de première instance a décidé que la Défense
pourrait sy opposer lorsque lAccusation demanderait, lors du procès, le
versement des Déclarations comme éléments de preuve.
- . Le 1er avril 1997, lAccusation a déposé sa "Réponse relative à la
recevabilité des Déclarations de lAccusé" ("Réponse"), (RG D3203
- D3211). La Réponse traitait en fait des arguments invoqués en différentes occasions
par les Conseils de la défense de chacun des quatre accusés, en ce qui concerne les
déclarations recueillies auprès des accusés. Sagissant de lAccusé,
lAccusation a indiqué quelle entendait verser au dossier les Déclarations de
Munich et de Scheveningue. Elle a avancé que ces Déclarations étaient recevables
puisquelle sétait bien conformée aux dispositions des articles 42 et 43 du
Règlement et quelle avait annoncé en temps opportun son intention de les verser au
dossier, comme larticle 66 le requiert. Enfin, au chapitre des Déclarations de
Munich, lAccusation a rappelé quen ce qui la concernait, elle considérait
que la question des prétendues violations de larticle 42 du Règlement avait été
tranchée en sa faveur par la Décision relative à lexception
dirrecevabilité.
- . LAccusation a concédé dans sa Réponse que la Défense pourrait sopposer
à la recevabilité des Déclarations des Munich au titre dune violation de
larticle 43 du Règlement mais elle a précisé quelle sétait en tous
points conformée aux dispositions dudit article. Elle a admis quil y avait eu des
difficultés au niveau de lenregistrement des interrogatoires car ils ne se sont pas
déroulés au siège du Tribunal international à La Haye. Elle a affirmé que le
problème apparent au niveau de lenregistrement résultait de lutilisation de
bandes de différentes durées pour les enregistrements audio et vidéo. En conséquence,
les cassettes vidéo ne sarrêtaient pas en même temps que les cassettes audio, si
bien quil est impossible dobtenir une transcription complète de
linterrogatoire sans utiliser les deux enregistrements. Elle a affirmé quelle
avait soigneusement vérifié chacun des enregistrements par rapport à la transcription
et que cette dernière contenait bien lintégralité de ce qui avait été dit dans
les enregistrements. Dans ces circonstances, daprès lAccusation, il
nexiste pas de raison pour que la Chambre de première instance exclue les
Déclarations au titre de larticle 43, en particulier puisque la Défense na
présenté aucune preuve que les difficultés étaient préméditées par
lAccusation ou que cette dernière sétait comportée de manière inadéquate
durant les parties prétendument non enregistrées de linterrogatoire et
puisquil ny a eu aucune tentative pour verser au dossier des portions non
enregistrées de linterrogatoire.
- . Dans sa "Réplique à la Réponse du Procureur relative à la recevabilité des
Déclarations de lAccusé" (RG D3293 - D3301), en date du 15 avril 1997, la
Défense a, entre autres, répété sa demande que la Chambre de première instance exclue
les Déclarations de Munich du dossier. Cette fois, la Défense a fondé son argument sur
larticle 54 du Règlement qui stipule qu"(à) la demande dune des
parties ou doffice un juge ou une Chambre de première instance peut délivrer les
ordonnances, citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution
forcées, mandats et ordres de transfert nécessaires aux fins de lenquête, de la
préparation ou de la conduite du procès". La Défense a déclaré que pour
quune déclaration extrajudiciaire soit versée au dossier, il faut dabord
sassurer quil y a eu respect total des dispositions de larticle 43 du
Règlement. Elle a déclaré que tel navait pas été le cas lors du recueil des
Déclarations de Munich, du fait de plusieurs interruptions dans les enregistrements audio
et vidéo et des disparités entre eux et la transcription. Elle a soutenu que comme
lAccusé nétait pas représenté par un conseil, le strict respect de
larticle 43 était dautant plus crucial pour garantir la fiabilité des
Déclarations de Munich. Cest pourquoi elle a demandé que la Chambre de première
instance décrète les Déclarations de Munich irrecevables, en application de
larticle 95 du Règlement, car elles ont été obtenues par des moyens qui entament
fortement leur crédibilité et que leur admission irait à lencontre dune
bonne administration de la justice et lui porterait gravement atteinte. La Défense
na avancé aucun argument concernant la recevabilité ou non des Déclarations de
Scheveningue ou des Addenda.
B. Requête dune procédure similaire à un voir dire
- . Le 7 mai 1997, la Défense a déposé une "Requête aux fins dune audience
visant à exclure des éléments de preuve du défendeur Delalic" (RG D3582 - D3585).
Dans cette requête, la Défense priait la Chambre de première instance de bien vouloir
tenir une audience similaire à celles des procédures de voir dire dans la
common law , à savoir tenir "un procès dans le procès" pour déterminer
la recevabilité des Déclarations de Munich et de Scheveningue.
- . La Défense a avancé que, puisque le Règlement ne précise pas la procédure à
suivre pour déterminer la recevabilité des déclarations des accusés dans les
circonstances qui lui semblent sêtre développées en lespèce, il lui
paraît approprié de suivre une procédure semblable à ce que la common law
désigne par "voir dire" et qui est également reconnue par la Convention
Européenne des droits de lhomme. La Défense fonde cette proposition sur
larticle 89 B), qui stipule quen cas de lacune dans les dispositions du
Règlement du Tribunal en ce qui concerne ladministration de la preuve, à savoir
les articles 89 à 99, la Chambre de première instance appliquera "les règles
dadministration de la preuve propres à parvenir, dans lesprit du Statut et
des principes généraux du droit, à un règlement équitable de la cause".
- . En sous-entendant que les Déclarations sapparentent à des aveux, la Défense a
avancé que lorsque des aveux sur lesquels lAccusation compte sappuyer ont
été ou ont pu être obtenus dans des circonstances qui pourraient en compromettre la
recevabilité, la Chambre de première instance ne devrait autoriser le versement de ces
aveux au dossier que si lAccusation a établi au delà de tout doute raisonnable
quils nont pas été obtenus en de telles circonstances. Cest pourquoi
la Défense a proposé que la Chambre de première instance ne déclare ces aveux
recevables que si lAccusation établit, au delà de tout doute raisonnable, lors
dune procédure similaire à un voir dire, quils nont pas été
obtenus dans de telles circonstances. La Défense propose, comme autre possibilité, que
la Chambre de première instance, de sa propre initiative, exige de lAccusation
quelle prouve, comme condition préalable au versement des aveux au dossier,
quils nont pas été obtenus dans des conditions qui en compromettraient la
recevabilité. La Défense a soutenu que le moment opportun pour tenir une telle audience
est celui où les éléments de preuve contestés sapprêtent à être versés au
dossier.
- . Laccusation na déposé aucune réponse écrite à cette requête.
C. Exposés
- . Le 8 mai 1997, lAccusation a annoncé son intention dappeler à la barre,
en tant que prochain témoin, Mme Sabine Manke, lun des enquêteurs du Bureau du
Procureur, qui avait participé au recueil des Déclarations. De plus, lAccusation a
également annoncé son intention de présenter, par lintermédiaire de Mme Manke,
les Déclarations à la Cour en vue de leur versement au dossier. À ce stade, les
conseils de chacun des quatre accusés se sont opposés au témoignage de Mme Manke et à
la présentation des Déclarations à la Cour. Il nentre pas dans le cadre de la
présente décision de dresser un résumé de ces oppositions. Cependant, le Conseil de la
défense de lAccusé, M. OSullivan, a instamment prié la Chambre de première
instance de tenir une audience similaire à un voir dire avant dentendre Mme
Manke. Il a annoncé que la Défense souhaitait appeler à la barre un certain nombre de
témoins lors de cette procédure, afin de démontrer lirrecevabilité des
Déclarations. La Chambre de première instance, après avoir entendu cette proposition, a
jugé que la Défense navait pas démontré quune telle procédure était
nécessaire à ce stade du procès. Elle a déclaré quelle entendrait dabord
Mme Manke, afin dêtre informée de la manière dont les Déclarations avaient été
recueillies et quelle écouterait ensuite lexposé au fond des Parties
concernant la tenue dune procédure similaire à un voir dire, avant de
trancher la question de la recevabilité des Déclarations.
i) Dispositions applicables
- . Avant de traiter du détail des arguments exposés, il convient de citer in extenso
certaines dispositions du Statut et du Règlement qui ont été citées lors des exposés
présentés devant la Chambre de première instance, à la suite du témoignage de Mme
Manke.
Article 21 du Statut
Les droits de laccusé
. . .
4. Toute personne contre laquelle une accusation est portée en vertu
du présent statut a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :
a) À être informée, dans le plus court délai, dans une langue
quelle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de
laccusation portée contre elle ;
b) À disposer du temps et des facilités nécessaires à la
préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix ;
c) À être jugée sans retard excessif ;
d) À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à
avoir lassistance dun défenseur de son choix ; si elle na pas de
défenseur, à être informée de son droit den avoir un, et, à chaque fois que
lintérêt de la justice lexige, à se voir attribuer doffice un
défenseur, sans frais, si elle na pas les moyens de le rémunérer ;
e) À interroger ou faire interroger les témoins à charge et à
obtenir la comparution et linterrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes
conditions que les témoins à charge ;
f) À se faire assister gratuitement dun interprète si elle ne
comprend pas ou ne parle pas la langue employée à laudience ;
g) À ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de
savouer coupable.
Article 37 du Règlement
Fonctions du Procureur
A) Le Procureur remplit toutes les fonctions prévues par le Statut
conformément au Règlement et au règlements internes quil adopte, pour autant que
ceux-ci soient compatibles avec le Statut et le Règlement. Toute incompatibilité
présumée des règlements internes est portée à la connaissance du Bureau, dont
lopinion prévaut.
B) Les pouvoirs et les devoirs du Procureur, tels que définis dans le
Règlement, peuvent être exercés par le personnel du Bureau du Procureur quil
autorise à cette fin ou par toute personne mandatée par lui à cet effet.
Article 40 du Règlement
Mesures conservatoires
En cas durgence le Procureur peut demander à tout État :
i) de procéder à larrestation et au placement en garde à vue
dun suspect ;
ii) de saisir tous éléments de preuve matériels ;
iii) de prendre toute mesure nécessaire pour empêcher lévasion
du suspect ou de laccusé, lintimidation ou les atteintes à
lintégrité physique des victimes ou des témoins, ou la destruction
déléments de preuve.
LÉtat concerné sexécute sans délai, en application de
larticle 29 du Statut.
Article 55 du Règlement
Exécution des mandats darrêt
A) Tout mandat darrêt doit être signé par un juge et
revêtu du sceau du Tribunal. Il est accompagné dune copie de lacte
daccusation et dun document rappelant les droits de laccusé. Au titre
de ces droits figurent ceux qui sont énoncés à larticle 21 du Statut et, mutatis
mutandis, aux articles 42 et 43 ci-dessus, ainsi que le droit de garder le silence et
dêtre averti que chacune de ses déclarations sera enregistrée et pourra être
utilisée comme moyen de preuve.
B) Sous réserve de toute ordonnance dun Juge ou dune
Chambre, le Greffier transmet le mandat darrêt concernant laccusé et
lordonnance de défèrement de laccusé au Tribunal à la personne ou aux
autorités auxquelles il est adressé, y compris aux autorités nationales de lÉtat
sur le territoire ou sur la juridiction ou le contrôle duquel laccusé réside, ou
a eu sa dernière résidence connue, ou est considéré par le Greffier comme susceptible
de se trouver. Ce mandat est accompagné dinstructions selon lesquelles au moment de
son arrestation, lacte daccusation, le document rappelant les droits de
laccusé et la mise en garde de laccusé lui sont lus dans une langue
quil comprend.
C) Lorsquun mandat darrêt émis par le Tribunal est
exécuté, un membre du Bureau du Procureur peut être présent à compter du moment de
larrestation.
Article 92 du Règlement
Aveux
Sous réserve du respect rigoureux des conditions visées à
larticle 63 ci-dessus, laveu de laccusé donné lors dun
interrogatoire par le Procureur, est présumé libre et volontaire jusquà preuve du
contraire.
ii) Arguments
a) La Défense
- . La Défense a fourni les détails relatifs aux événements qui, à son sens, peuvent
rendre irrecevables les Déclarations de Munich. Tout dabord, la Défense a soutenu
que le droit de lAccusé à lassistance dun conseil, tel que garanti par
larticle 21 4) d) du Statut, a été violé car, avant de commencer
linterrogatoire, les enquêteurs du Bureau du Procureur lui ont simplement lu à
voix haute les dispositions de larticle 42, sans fournir dexplications. Le
Conseil de la défense a avancé que lesprit de la protection fournie par
larticle 42 est quun accusé devrait être informé de ses droits dune
manière compréhensible par une personne ordinaire, qui nest pas un juriste formé.
La simple lecture de larticle à lAccusé ne satisfaisait pas aux exigences de
larticle 21 4) d). De surcroît, le Conseil de la défense a attiré
lattention de la Chambre de première instance sur le fait que Mme Manke a
concédé, durant le contre-interrogatoire, quelle ne comprenait pas elle-même
pleinement le sens du droit à lassistance dun conseil. En second lieu, la
Défense a avancé que les dispositions de larticle 43 du Règlement navaient
pas été strictement respectées durant linterrogatoire de lAccusé à
Munich. Elle a affirmé que lenregistrement des Déclarations de Munich était
entaché de nombreux vices et que les Déclarations en devenaient ainsi irrecevables.
- . De plus, la Défense a avancé que puisque lAccusé avait été arrêté par les
autorités allemandes suite à une requête du Procureur au titre de larticle 40 du
Règlement, les enquêteurs du Bureau du Procureur navaient pas le droit
dêtre présents et dinterroger lAccusé à Munich. En effet,
daprès la Défense, larticle 40, à la différence de larticle 55 C),
ne prévoit en aucun cas la présence de membres du Bureau du Procureur lors dune
garde à vue. La Défense a soutenu que comme les articles 42 et 43 font seulement mention
de linterrogatoire de laccusé par un Procureur, les enquêteurs, qui ne
possèdent pas la capacité de procureur, navaient en aucune manière le droit
dinterroger laccusé.
- . Se fondant sur larticle 92 du Règlement, la Défense a affirmé que lors du
contre-interrogatoire, Mme Manke avait montré que linterrogatoire de lAccusé
à Munich navait été ni correct ni équitable et que ses droits fondamentaux
garantis par larticle 21 du Statut navaient pas été respectés. La Défense
a soutenu que tout au long des interrogatoires, les mesures prises à lencontre de
lAccusé, y compris sa garde à vue, étaient totalement injustes et que trancher en
faveur de la recevabilité des Déclarations reviendrait à légaliser larrestation
illégitime et le recueil de déclarations à un moment où lAccusé ne comprenait
manifestement pas la substance de ce que lon lui lisait. En particulier, le Défense
a soutenu que la garde à vue était illégitime car elle avait une finalité autre que
celle de réunir des éléments de preuve ou dempêcher lévasion de
lAccusé, ce qui constitue une violation de larticle 40. En somme, les
Déclarations de Munich devraient être jugées irrecevables car les droits de
lAccusé garantis par le Statut nont pas été respectés.
- . La Défense na pas formulé dallégations précises concernant les
Déclarations de Scheveningue mais, en concluant son exposé, elle a demandé que la
Chambre de première instance organise une procédure similaire à un voir dire
aussi bien pour les Déclarations de Munich que pour celles de Scheveningue.
b) LAccusation
- . LAccusation a avancé que les enquêteurs et toutes les personnes de son Bureau
ayant participé aux interrogatoires de lAccusé se sont conformés aux dispositions
du Règlement du Tribunal international qui garantissent un procès équitable. Elle a
affirmé que tous les arguments de la Défense concernant de prétendues violations du
Règlement avaient été soulevés et tranchés au détriment de la Défense dans la
Décision relative à lexception dirrecevabilité, dans laquelle la Chambre de
première instance avait conclu à juste titre que lAccusation sétait
conformée aux exigences dun procès équitable lors des interrogatoires de Munich.
La Chambre de première instance avait également conclu que lAccusé avait renoncé
de son plein gré à son droit à lassistance dun conseil. Daprès
lAccusation, la Défense na donc aucun droit à être de nouveau entendue sur
ces questions.
- . LAccusation a concédé que la Défense avait le droit de contester la
recevabilité des éléments de preuve en invoquant larticle 43, qui requiert que
les interrogatoires soient intégralement enregistrés. Elle a cependant précisé
quaucune partie de linterrogatoire navait échappé à
lenregistrement. De surcroît, elle a affirmé que les Déclarations de Munich,
telles quelles avaient été présentées à la Cour, constituent une transcription
exhaustive de tout linterrogatoire, tel quil a été enregistré sur les
bandes vidéo et audio. Elle a déclaré quil ny avait ni suggestions,
allégations ou preuves tendant à faire croire quil sétait produit quelque
chose dincompatible avec le Règlement.
- . LAccusation a soutenu que ses enquêteurs à Munich se sont assurés que
lAccusé comprenait ses droits. À plusieurs reprises durant linterrogatoire,
on lui a lu ses droits, demandé sil les comprenait et sil était sûr de
vouloir renoncer à son droit à lassistance dun conseil. On lui a également
fait lecture de larticle 42 du Règlement. LAccusation a soutenu quen
fait, elle avait fait plus que ce quelle était simplement tenue de faire et que le
rejet par la Chambre de première instance des Déclarations de Munich en tant
quéléments de preuve constituerait, dans ces circonstances, une erreur judiciaire.
- . LAccusation, en réponse à lallégation de la Défense selon laquelle les
enquêteurs avaient interrogé lAccusé sans en avoir lautorité, sest
appuyée sur larticle 37 B) du Règlement qui stipule que les pouvoirs et les
devoirs du Procureur, tels que définis dans les Chapitres Quatre à Huit du Règlement,
peuvent être exercés par le personnel du Bureau du Procureur quil autorise à
cette fin ou par toute personne mandatée par lui à cet effet. LAccusation a donc
soutenu quen vertu de cet article, un enquêteur peut légitimement exercer les
pouvoirs du Procureur.
- . LAccusation na présenté aucune conclusion spécifique concernant les
Déclarations de Scheveningue.
III. CONCLUSIONS
A) Requête dune procédure similaire à un voir dire
- . Exprimée de manière concise, la question posée à la Chambre de première instance
est de savoir si une procédure similaire à ce que la common law désigne par le
terme anglo-normand de voir dire, ou "procès dans le procès", devrait
être employée pour établir si les Déclarations devraient être exclues du dossier. Le
recours à la procédure de voir dire issue de la common law dans le cadre
du Tribunal international, qui a son propre règlement de procédure, est permis par
larticle 89 B) de ce même Règlement. Il dispose clairement que la Chambre de
première instance peut avoir recours à cette procédure lorsque les circonstances le
commandent, nommément lorsquil sagit dappliquer la procédure propre à
parvenir, dans lesprit du Statut et des principes généraux du droit, à un
règlement équitable de la cause, en lespèce : faut-il ou non verser les
Déclarations au dossier ? Larticle 89 B) fournit au Tribunal international, dans
des circonstances qui ne sont pas prévues par les dispositions relatives à
ladministration de la preuve énoncées aux articles 89 à 99, une liberté de choix
nécessaire en vue dassurer la bonne administration de la justice.
- . En général, dans les systèmes issus de la common law, la procédure de voir
dire est employée dans des affaires où la recevabilité des aveux est contestée au
motif quils nont pas été faits de plein gré. Ce principe de la common
law est affirmé dans la fameuse affaire anglaise Ibrahim v R (1914) A.C. 609,
à loccasion de laquelle la Cour a déclaré :
Il est établi depuis longtemps, en tant que règle du droit pénal
positif anglais, quaucune déclaration faite par un accusé ne saurait être retenue
contre lui, sauf si laccusation fait la preuve du caractère volontaire de
cette déclaration, dans le sens quelle na été obtenue de laccusé ni
par la peur de représailles, ni par lespoir dun traitement de
faveur exercés ou évoqués par une personne représentant lautorité.
Ce principe remonte à Hale. (Non souligné dans loriginal.) (Traduction non
officielle)
- . Cette affirmation a été confirmée par la Chambre des Lords à loccasion de
laffaire Commissioners of Customs and Excise v Harz and Power (1967) 51
Cr.App.R. 123 en page 155. Il sagit de la formulation classique de la règle, dont
la clarté na jamais été contestée ou mise en doute. La règle dispose que,
lorsque la recevabilité dune déclaration est contestée au motif quelle
na pas été faite du plein gré de laccusé, il appartient au juge de
déterminer si oui ou non laccusation a prouvé quelle avait été faite de
manière volontaire. Il entend pour ce faire les éléments de preuve présentés par les
parties. La règle a aussi été étendue à des affaires dabus dautorité
(voir Callis v Gunn (1963) 48 Cr.App.R. 36). Cette règle est également en vigueur
en Australie (voir Cases and Materials on Evidence 2nd ed., Wright, P.K. and
Williams, C.R. aux pages 774 - 776 et Litigation Evidence and Procedure 5th ed.,
Aronson, M. and Hunter, J. aux pages 371 - 389) et dans les cours fédérales des
États-Unis dAmérique. (voir 18 USC para. 3501).
- . Promulguée en 1984, La Police and Criminal Evidence Act ("PACE") au
Royaume-Uni, a codifié et élargi les types de circonstances dans lesquelles une
procédure de voir dire peut se tenir en Angleterre et au pays de Galles. En vertu
de la section 76 2) de la PACE, une audience de voir dire peut se tenir au sujet de
la recevabilité daveux, si la défense affirme à la cour que les aveux ont été
ou probablement ont été obtenus par abus dautorité sur la personne qui les a
faits ou à la suite de toute parole ou de tout événement qui, dans les circonstances
précises, étaient en mesure de rendre pas fiables les aveux que la personne pourrait
alors faire. Si la défense est en mesure de convaincre la cour que lune de ces
différentes situations sest réellement produite, la Cour tiendra une audience de voir
dire et ne versera les aveux au dossier que si laccusation prouve, au delà de
tout doute raisonnable, quils nont pas été obtenus dans de telles
circonstances.
- . Dans le système de la common law, la charge de la preuve incombe à
laccusation, qui doit démontrer, au delà de tout doute raisonnable, que les
déclarations dune personne accusée ont été faites volontairement et
quelles nont été obtenues ni par la peur de représailles ni par
lespoir dun traitement de faveur évoqués par les auteurs des
interrogatoires. Il importe peu que laccusation démontre quil ny avait
pas dintention dextorquer des aveux ou que lincitation à laveu
navait aucun caractère inapproprié. Dès quil y a menace, promesse ou
incitation implicites, les déclarations obtenues en de telles circonstances sont
systématiquement irrecevables.
- . Ayant rappelé ci-dessus les conditions préalables à la tenue dune procédure
de voir dire dans les systèmes de la common law, la Chambre de première
instance aborde maintenant la question de savoir si, sur la foi des affirmations de la
Défense, elle devrait organiser une procédure similaire à un voir dire afin
détablir la recevabilité ou non des Déclarations.
i) Les Déclarations de Munich
- . Mme Reidovic, Conseil de lAccusé, sest, durant son exposé,
longuement attardée sur la prétendue violation du droit de lAccusé à
lassistance dun conseil visé à larticle 42 du Règlement et à
larticle 21 4) d) du Statut, sur lillégitimité de larrestation de
lAccusé et sur le statut des enquêteurs qui lont interrogé. Le Conseil de
la défense a soutenu que lon ne pourra pas considérer que lAccusé a eu
droit à un procès équitable si les Déclarations sont jugées recevables en dépit de
ces violations. Cest pourquoi elle a proposé que ces allégations soient examinées
lors dune procédure de voir dire afin de trancher sur la recevabilité des
Déclarations.
- . La Chambre de première instance a été convaincue par le point de vue de
lAccusation, qui a soutenu que la question des violations à larticle 42, et
en particulier les atteintes au droit de laccusé à lassistance dun
conseil, avait déjà été tranchée dans la Décision relative à lexception
dirrecevabilité. Les prétendues violations sont donc des questions quil ne
convient pas de réexaminer.
- . Sagissant de larticle 21 4) d) du Statut, les droits quil garantit
sont ceux dun accusé et non ceux dun suspect interrogé par
lAccusation. LAccusé ne peut se prévaloir des droits stipulés à
larticle 21 4) d) - droits spécifiques de laccusé - alors quil
nétait encore quun suspect. Le droit dun suspect de se voir attribuer
un défenseur, qui est garanti par larticle 18 3) du Statut, est exprimé dans
larticle 42 du Règlement, un article dont la Décision relative à lexception
dirrecevabilité a considéré quil navait pas été violé pour ce qui
est de lAccusé.
- . La Chambre de première instance est également totalement convaincue par
linterprétation de larticle 37 B) du Règlement que propose
lAccusation, à savoir que les enquêteurs autorisés ou mandatés par le Procureur
exercent les pouvoirs de celui-ci conformément à larticle 37 A). Ces enquêteurs,
une fois autorisés, acquièrent la compétence de mener des interrogatoires au même
titre que le Procureur. Cest pourquoi lallégation de la Défense selon
laquelle les déclarations ont été recueillies par des personnes non investies de
lautorité nécessaire est totalement sans fondement.
- . De plus, la Chambre de première instance na pas été convaincue par
linterprétation très restreinte de larticle 40 du Règlement proposée par
la Défense. Rien dans larticle 40 ne permet dinférer que le Procureur ne
peut demander larrestation et le placement en garde à vue dun suspect
quaux seules fins de réunir des éléments de preuve ou dempêcher
lévasion du suspect. Il est clair quil sagit là de motifs pour
lesquels le Procureur peut décider de demander à un État, au titre de larticle
40, de procéder à une arrestation, mais il ne constituent en aucun cas les seuls motifs
valables. LAccusation est chargée denquêter sur les crimes relevant de la
compétence du Tribunal international et, dans le cadre de ces enquêtes, elle peut, de
bonne foi, prendre la décision de demander quil soit procédé à
larrestation et au placement en garde à vue dun suspect. Limiter de la
manière suggérée lexercice des pouvoirs discrétionnaires de lAccusation
constituerait une entrave injustifiée à sa capacité de remplir efficacement ses
fonctions. Larticle 40 ne précise pas les raisons pour lesquelles une demande peut
être faite, il nindique que les types de demandes qui peuvent lêtre.
- . De plus, la Chambre de première instance rejette largument selon lequel le
Procureur ne peut interroger un suspect arrêté en application de larticle 40 du
Règlement et nestime pas que le seul cas de figure où la présence du Procureur ou
de son représentant est possible est celui de lexécution dun mandat
darrêt en application de larticle 55 C). Les articles 42 et 43, qui
régissent les rapports du Procureur et des suspects lors de leur interrogatoire,
sappliquent à tous les suspects en général. Ils ne font pas de distinction entre
ceux arrêtés en application de larticle 40 et les autres, si bien quil
ny a pas de raison de supposer quil existerait une catégorie spéciale de
suspects à laquelle les pouvoirs du Procureur en matière dinterrogatoire ne
sétendraient pas. Le fait quil ne soit pas fait explicitement référence à
la présence du Procureur lors dune arrestation en application de larticle 40
ne peut être interprété comme signifiant que lAccusation ne puisse mener ses
enquêtes de toute manière légitime quelle juge appropriée aux circonstances en
procédant à linterrogatoire du suspect.
- . Il apparaît que la Défense a mal compris le contexte dapplication de la
procédure de voir dire. La procédure, comme exposé ci-dessus, nest un
recours envisageable que lorsque la déclaration est contestée au motif de son caractère
involontaire, cest-à-dire lorsquelle est réputée avoir été obtenue soit
par la peur de représailles soit par lespoir dun traitement de faveur
évoqués par une personne ayant autorité sur laccusé ou, comme stipulé par la
PACE en vigueur en Angleterre et au pays de Galles, lorsque il existe de divers indices de
son manque de fiabilité. Aucun des motifs qui ont été exposés par la Défense devant
la Chambre de première instance ne relève de ces catégories. La Défense na pas
placé sa requête dans les limites prévues par la common law et na pas
démontré le bien-fondé de sa demande dexamen des Déclarations de Munich dans une
procédure similaire à un voir dire.
ii) Déclarations de Scheveningue et Addenda
- . La Chambre de première instance ne voit aucune raison pour que les Déclarations de
Scheveningue et les Addenda soient examinés lors dune procédure similaire à un voir
dire et la Défense na présenté aucun argument en ce sens.
B. Recevabilité des déclarations
i) Déclarations de Munich
- . La Chambre de première instance a décidé daccepter le versement au dossier
des Déclarations de Munich car elle na été persuadée par aucun des arguments
avancés par la Défense aux différents stades de lexamen de cette question.
- . En dépit de laffirmation claire et sans équivoque figurant dans la Décision
relative à lexception dirrecevabilité au sujet de labsence de
violation de larticle 42 du Règlement, la Défense a, à plusieurs reprises,
réitéré ses allégations de violations des droits de lAccusé garantis par
larticle 42 et, en particulier, du droit à lassistance dun conseil. La
Chambre de première instance nest pas une instance dappel ni de révision. La
Chambre de première instance se retrouve ipso facto déchargée de ses fonctions
dès quune question a été tranchée et ni la répétition dun argument ni sa
présentation sous une autre forme ne peuvent lautoriser à dépasser le cadre de sa
compétence. La Chambre de première instance refuse dexercer une compétence dont
elle nest pas dotée et a donc refusé dexaminer de nouveau les arguments
reposant sur des violations de larticle 42. Dans la Décision relative à
lexception dirrecevabilité, la conclusion à la non violation de
larticle 42 est opposable à toutes les Parties et à la Chambre de première
instance elle-même : elle est donc maintenue.
- . Sagissant de larticle 43 du Règlement, les allégations de la Défense
reposent toutes sur une violation dudit article lors des enregistrements, une violation
qui selon elle devrait conduire la Chambre de première instance a exclure le versement
des Déclarations de Munich au dossier. LAccusation na pas nié quil y
ait eu quelques difficultés tenant à léquipement utilisé pendant les
enregistrements, du fait de lemploi de deux modes denregistrement, à savoir
audio et vidéo, et non pas dun seul, comme requis par larticle 43. Cependant,
afin dobtenir que lon fasse droit à sa requête, à savoir lexclusion
des Déclarations de Munich du dossier au motif dune violation de larticle 43,
la Défense doit satisfaire aux conditions énoncées dans la Décision relative à
lexception dirrecevabilité. Elle doit dabord prouver que, suite à ces
difficultés, il y a eu une irrégularité de procédure car des informations ont été
obtenues de lAccusé pendant une suspension de lenregistrement et démontrer
ensuite que cette irrégularité a conduit à une violation de ses droits. Malgré le
choix de la Défense de sappuyer, au premier chef, dans toutes les requêtes
déposées concernant cette question et dans tous ses exposés devant la Cour, sur
largument de la violation de larticle 43, elle na pas convaincu la
Chambre de première instance que lun quelconque des droits de lAccusé a
été violé suite à des difficultés ou irrégularités. Il est également significatif
que la Défense na pas contesté la déclaration de lAccusation selon laquelle
tout linterrogatoire a été enregistré, soit sur des cassettes vidéo, soit sur
des cassettes audio, et que la transcription finale est le reflet fidèle de ces deux
enregistrements. Elle a préféré en revanche attirer continuellement lattention de
la Chambre de première instance sur les problèmes au niveau de lenregistrement,
dont lAccusation na jamais nié lexistence. La Chambre de première
instance est convaincue que ces problèmes sont nés dune différence de durée
denregistrement des bandes audio et vidéo et, de manière regrettable, de la
qualité initialement médiocre de la transcription dressée par lAccusation.
- . À la lumière de ce qui précède, il paraît difficile daccepter
largument de la Défense selon lequel il y aurait eu une violation de larticle
43 de nature à rendre irrecevables les Déclarations de Munich, en application de
larticle 95. On ne peut pas affirmer que les difficultés rencontrées lors de
lenregistrement des Déclarations "entament fortement (leur) fiabilité"
ou que leur admission "irait à lencontre dune bonne administration de la
justice et lui porterait gravement atteinte". De telles difficultés seront
naturellement prises en compte pour déterminer limportance à accorder aux
Déclarations de Munich lors des délibérations de la Chambre de première instance.
- . Si, cependant, la Défense souhaite sopposer à la recevabilité des
enregistrements audio et vidéo des interrogatoires de Munich, elle pourra le faire au
moment où lAccusation les présentera à la Cour pour versement au dossier. La
Décision de la Chambre de première instance se limite aux Déclarations de Munich,
cest-à-dire à la retranscription des interrogatoires de Munich et ne sétend
donc pas aux enregistrements.
ii) Déclarations de Scheveningue et Addenda
- . La Défense na présenté aucune raison pour laquelle la Chambre de première
instance pourrait décréter ces déclarations irrecevables. Par ces motifs et parce
quelle conclut de prime abord quil ny a pas eu de violations des droits
de lAccusé lors du recueil de ces Déclarations, la Chambre de première instance
accepte quelles soient versées au dossier.
IV. DISPOSITIF
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE, saisie des requêtes de la
Défense relatives à la recevabilité des Déclarations de lAccusé,
VU les articles du Statut et du Règlement cités dans lesdites
requêtes,
EN APPLICATION DE LARTICLE 54 du Règlement,
1. REJETTE la requête de la Défense aux fins dune procédure similaire à
un voir dire visant à déterminer sil convient ou non dexclure les
déclarations de lAccusé du dossier.
2. ADMET le versement au dossier des Déclarations de Munich.
3. ADMET le versement au dossier des Déclarations de Scheveningue.
4. ADMET le versement au dossier des Addenda.
5. AUTORISE la Défense à sopposer à la recevabilité des enregistrements
audio et/ou vidéo des interrogatoires de Munich au moment où, au cour du présent
procès, lAccusation demandera leur versement au dossier.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la
Chambre de première instance
(signé)
Adolphus G. Karibi-Whyte
Fait le vingt cinq septembre 1997
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]