LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit : M. le Juge Adolphus G. Karibi-Whyte, Président

Mme le Juge Elisabeth Odio Benito

M. le Juge Saad Saood Jan

Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Ordonnance rendue le : 2 juin 1997

 

LE PROCUREUR

C/

ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"

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ORDONNANCE RELATIVE À UNE PLAINTE
INTRODUITE PAR L’ACCUSATION

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Le Bureau du Procureur :

M. Eric Ostberg M. Guiliano Turone

Mme Teresa McHenry Mme Elles van Duschotten

Le Conseil de la Défense :

Mme Edina Residovic, M. Ekrem Galiatovic, M. Eugene O’Sullivan, représentant Zejnil Delalic

M. Howard Morrison, représentant Zejnil Delalic (intervenant dans le cadre de la question de l’outrage uniquement)

M.Zeljko Olujic, M. Michael Greaves, représentant Zdravko Mucic

M. Salih Karabdic, M. Thomas Moran, représentant Hazim Delic

M. John Ackerman, Mme Cynthia McMurrey, représentant Esad Landzo

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal pénal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le "Tribunal international");

SAISIE, à l’audience à huis clos du 15 mai 1997, d’une plainte orale introduite par le Bureau du Procureur (l’"Accusation") portant, d’une part, sur le fait que Slobodna Hercegovina, un journal diffusé à Sarajevo, République de Bosnie-Herzégovine, a publié le 15 avril 1997 un entretien avec Zejnil Delalic, individu présumé être l’un des accusés dans la présente affaire, ainsi qu’une liste de noms de certains témoins à charge en l’espèce et, d’autre part sur le fait qu’une édition ultérieure de ce journal contenait des commentaires relatifs aux informations publiées le 15 avril 1997 (la "Plainte");

ATTENDU que ladite liste de noms de témoins était confidentielle en vertu de deux ordonnances rendues par la présente Chambre de première instance, à savoir i) l’Ordonnance aux fins de non-divulgation de l’identité de témoins potentiels au public ou aux médias en date du 29 novembre 1996 (Répertoire général du Greffe ("RG"), pages D2004-D2005 et ii) la Décision relative aux requêtes déposées par l’Accusation aux fins d’obtention de mesures de protection pour les témoins à charge "B" à "M" en date du 28 avril 1997 (RG, pages D3457-D3483);

ATTENDU que lors de l’audience à huis clos du 16 mai 1997, la Chambre de première instance, à la demande de l’Accusation et avec l’accord des Conseils des quatre accusés, exprimant ainsi sa conviction qu’une telle fuite d’informations confidentielles est très grave et menace les fondements mêmes de l’administration de la justice, a décidé qu’il était opportun d’ouvrir une enquête judiciaire sur les points saillants de cette fuite;

VU le Renvoi d’un Grief en date du 16 mai 1997 (RG, pages D3678-D3679), par lequel la Chambre de première instance a saisi le Président du Tribunal international (le "Président") de la plainte, lui enjoignant d’ouvrir une enquête judiciaire selon les modalités suivantes : 1) enquêter sur les circonstances de la fuite; 2) prendre une décision sur la responsabilité ou le rôle éventuel de tout conseil intervenant dans la présente affaire et de toute autre personne concernée par la garde de la liste des témoins; 3) déterminer l’incidence de la fuite sur le déroulement de l’instance en cours; 4) déterminer, le cas échéant, le type de mesures à prendre, et décider des éventuelles implications au plan du traitement des informations confidentielles par le Tribunal; et 5) faire rapport à la Chambre de première instance;

ATTENDU que, à l’audience du 20 mai 1997, les Conseils représentant M. Zejnil Delalic, Mme Edina Residovic et M. Eugene O’Sullivan, ont informé la Chambre de première instance que, pour des raisons professionnelles, ils s’estimaient dans l’impossibilité de représenter l’accusé durant l’enquête judiciaire en raison d’un potentiel conflit d’intérêts qui avait surgi entre eux et leur client, et qu’ils demandaient pour cette raison que l’instance soit suspendue en attendant les résultats de ladite enquête;

ATTENDU que la Chambre de première instance, respectueuse du jugement professionnel des conseils, a décidé de suspendre l’instance conformément à la demande formulée;

ATTENDU que le Président a mené l’enquête judiciaire et a présenté le Rapport du Président sur la question du renvoi d’un grief, daté du 27 mai 1997 (le "Rapport"), contenant les conclusions de l’enquête en son paragraphe 7;

ATTENDU que, en son paragraphe 7 a), le Rapport indique que le Président n’a trouvé aucune preuve de faute commise par les conseils représentant l’accusé Zejnil Delalic, Mme Edina Residovic et M. Eugène O’Sullivan;

ATTENDU en outre que, au paragraphe 7 b) de son Rapport, le Président déclare qu’il semble vraisemblable que l’accusé Zejnil Delalic a accordé une entrevue téléphonique au journal Slobodna Hercegovina et qu’à l’occasion de cette entrevue, l’accusé a mentionné le nom d’au moins un témoin visé par les ordonnances susmentionnées de la Chambre de première instance;

ATTENDU de surcroît que, dans ce même paragraphe 7 b), le Président indique qu’il semble donc que Zejnil Delalic n’a pas respecté l’ordonnance de non-divulgation susmentionnée et que, à cet égard, l’Accusation pourrait souhaiter examiner la question de savoir s’il est opportun d’engager des poursuites contre Zejnil Delalic pour outrage au Tribunal international, en application de l’article 77 c) de son Règlement de procédure et de preuve (le "Règlement");

VU en outre la Réponse de l’Accusation à la demande relative à d’éventuelles poursuites futures pour outrage, datée du 28 mai 1997 (la "Réponse") (RG, pages D3747-D3749), dans laquelle l’Accusation déclare ne pas disposer actuellement d’éléments de preuve lui permettant de porter des accusations d’outrage et que, par conséquent, elle n’a pas l’intention d’introduire une action contre quiconque à ce titre;

ATTENDU cependant que, dans sa Réponse, l’Accusation déclare avoir l’intention d’enquêter de manière approfondie sur cette fuite et d’engager des poursuites pour outrage si elle le juge opportun à l’avenir;

ATTENDU que tous les conseils de la Défense s’entendent à soutenir que, si l’Accusation est susceptible à l’avenir de poursuivre pour outrage l’un quelconque des intervenants en l’espèce, elle devrait commencer d’urgence ses investigations pour être immédiatement en mesure de décider s’il existe des éléments de preuve étayant de telles accusations et, dans l’affirmative, engager des poursuites pour outrage, de sorte que les questions soulevées dans la plainte puissent être réglées et que la suspension de la présente instance puisse être levée;

ATTENDU que le Président devait communiquer ses conclusions à la Chambre de première instance;

ENTENDU les exposés de l’Accusation et des conseils des quatre accusés en date du 28 mai 1997 à propos des constatations et conclusions du Rapport;

ATTENDU que, conformément à l’article 20 du Statut du Tribunal international, la Chambre de première instance a le devoir de diligenter le procès;

ATTENDU de plus que la Chambre de première instance a le pouvoir et l’obligation de protéger la dignité et l’intégrité de ses débats contre tout outrage;

 

PAR CES MOTIFS,

VU L’ARTICLE 54 DU RÈGLEMENT DE PROCÉDURE ET DE PREUVE,

1. ACCEPTE la conclusion mentionnée au paragraphe 7 a) du Rapport, selon laquelle on ne relève aucune preuve d’une faute commise par Mme Edina Residovic et M. Eugene O’Sullivan, conseils de Zejnil Delalic,

2. REJETTE le paragraphe 7 b) du Rapport aux motifs que les constatations figurant dans ce document ne présentent aucun élément de preuve sur lequel le Président aurait pu se fonder pour jeter le moindre doute sur l’affirmation catégorique et non démentie de l’accusé Zejnil Delalic selon laquelle il n’a ni accordé d’interview ni communiqué d’informations au journal Slobodna Hercegovina,

3. ACCEPTE le paragraphe 7 c) du Rapport, selon lequel l’enquête concernant l’auteur de l’article du 15 avril 1997, M. Tahir Pervan, et le rédacteur en chef de Slobodna Hercegovina n’a donné aucun résultat tangible,

4. CONSTATE qu’aucun motif rationnel ne justifie la poursuite d’enquêtes en vue de poursuivre pour outrage l’accusé Zejnil Delalic ou tout autre intervenant à l’instance,

5. DÉCLARE l’affaire classée,

6. LÈVE la suspension de l’instance.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

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Adolphus Godwin Karibi-Whyte

Président de la Chambre de première instance

Fait le deux juin 1997

La Haye

(Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]