Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Lundi 5 juin 2000)

2 (Audience publique)

3 (L'audience, présidée par le Juge Hunt, est ouverte à 10 heures 05.)

4 M. le Président (interprétation): Peut-on introduire l'affaire inscrite au

5 rôle, s'il vous plaît?

6 Mlle Thomson (interprétation): Il s'agit de l'affaire IT-96-21-A, l'appel

7 de l'affaire Celebici.

8 M. le Président (interprétation): Est-ce que les parties peuvent se

9 présenter, s'il vous plaît? Je me tourne d'abord vers le banc de

10 l'accusation.

11 M. Yapa (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

12 Juges. Je m'appelle Upawansa Yapa, je comparais avec M. William Frederick,

13 M. Christopher Staker, M. Norman Farrell et M. Roland Bos. Nous

14 comparaissons au nom du Bureau du Procureur de ce Tribunal.

15 M. le Président (interprétation): Merci.

16 M. Ackerman (interprétation): Je m'appelle John Ackerman, je représente

17 ici M. Zejnil Delalic. A mes côtés, ma collègue de Sarajevo, Mme Edina

18 Residovic.

19 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Votre client est-il

20 présent?

21 M. Ackerman (interprétation): Non.

22 M. le Président (interprétation): Et pour M. Mucic, qui comparaît?

23 M. Kuzmanovic (interprétation): Je suis Tomislav Kuzmanovic et mon

24 collègue représente avec moi notre client M. Mucic.

25 M. le Président (interprétation): Merci. Et pour M. Delic?

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1 M. Karabdic (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

2 les Juges. Je représente Salih Karabdic, je représente M. Delic avec M.

3 Thomas Moran, un avocat du Texas.

4 M. le Président (interprétation): Merci. Et pour M. Landzo?

5 Mme McMurray-Sinatra (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, je

6 m'appelle Cynthia McMurray-Sinatra, et à mes côtés M. Murphy. Nous

7 représentons ensemble M. Esad Landzo.

8 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Je vais me tourner vers

9 les trois appelants et je vais m'enquérir auprès d'eux. Je voudrais savoir

10 s'ils entendent tout ce que nous disons et s'ils peuvent suivre les

11 travaux de cette Chambre dans une langue qu'ils comprennent.

12 M. Mucic (interprétation): Oui.

13 M. le Président (interprétation): M. Delic?

14 M. Delic (interprétation): Oui.

15 M. le Président (interprétation): M. Landzo?

16 M. Landzo (interprétation): Oui

17 M. le Président (interprétation): Je ne vais pas vous poser cette question

18 tous les jours, mais si vous avez quelque problème que ce soit, je le

19 ferai.

20 M. Bennouna (hors micro)

21 M. le Président (interprétation): Est-ce qu'il y a un problème technique,

22 Monsieur l'Huissier? Est-ce que tout marche?

23 M. Bennouna (Hors micro)

24 Les interprètes: Pouvez-vous entendre la cabine française, Monsieur le

25 Juge?

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1 M. Bennouna: C'est très bien, merci.

2 M. le Président (interprétation): Monsieur Yapa, vous avez la parole.

3 M. Yapa (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

4 avant que nous n'entrions dans le vif des arguments, puis-je avoir votre

5 permission afin de soulever trois questions?

6 La première a trait à la demande qui a été formulée par vous lors de la

7 dernière Conférence de mise en état, quant aux documents confidentiels qui

8 font partie de la réponse de l'accusation. Il n'y a pas de documents

9 confidentiels, il n'y a pas de documents dont nous souhaitions qu'ils

10 soient qualifiés de confidentiels. Nous avons indiqué que notre réponse à

11 l'appel interjeté par la défense pouvait être rendue publique.

12 La deuxième question que je voulais soulever est celle-ci: nous avons,

13 d'ores et déjà, remis aux parties les grandes lignes des arguments que

14 nous souhaitons vous soumettre dans le cadre de cet appel. Est-ce que je

15 peux faire circuler ce document qui en fait n'a pas encore été remis?

16 Je crois que ce document qui reprend les grandes lignes de nos

17 argumentations pourra être utile à la fois à vous Monsieur le Président et

18 à vous les collègues.

19 M. le Président (interprétation): Est-ce une synthèse de vos arguments?

20 M. Yapa (interprétation):Oui, tout à fait. Nous avons indiqué l'ordre dans

21 lequel nous avons souhaité soulever nos arguments et nous avons fait

22 référence dans ce document aux différentes pages qui peuvent être

23 consultées dans notre mémoire en réponse, dès lors que l'on souhaite avoir

24 plus de détails sur le type d'argument que nous souhaitons soulever.

25 La troisième chose que je voulais dire est que nous souhaitons peut-être

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1 formuler une requête, une portant sur des documents confidentiels. Des

2 documents que nous souhaiterions utiliser dans le cadre soit de ces

3 audiences soit d'audiences à venir. C'est M. Norman Farrell qui va

4 présenter dans le détail la requête que nous souhaiterions vous soumettre.

5 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

6 Monsieur Farrell, les documents que nous avons eus jusqu'à présents ont

7 tous été versés à titre confidentiel, alors pourquoi formuler une telle

8 requête?

9 M. Farrell (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Juge. Ce que

10 vient de dire M. Yapa, je le répète, les documents ne sont pas

11 confidentiels, nous ne citons pas de noms de témoins confidentiels qui ont

12 comparu durant le procès. Certains documents n'ont pas été versés, ne vous

13 ont pas été remis, ce qui ne nous empêche pas de les utiliser dans le

14 cadre des débats, nous utiliserons peut-être certains document pour

15 prouver un certain nombre de choses, mais l'authenticité de ces documents

16 ne peut en aucun cas être remise en cause. Ces documents traitent de

17 l'accusé, s'ils n'ont pas été versés c'est pour essayer à titre de

18 confidentialité de préserver la sécurité de tous et notamment de l'accusé.

19 Pour ce qui est de leur contenu, il n'y a rien qui préoccupe l'accusation

20 en particulier quant à ce qui est à l'intérieur de ces documents.

21 M. le Président (interprétation): Les allégations sont formulées chaque

22 jour dans les tribunaux, cela ne veut pas dire que ce sont des allégations

23 prouvées!

24 M. Farrell (interprétation): Tout à fait. Nous ne savions pas quelle

25 décision prendre quant au dépôt des documents. Peut-être que nous

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1 soumettrons une requête officielle aux fins de les verser au dossier,

2 c'est la seule chose que nous souhaitons faire pour le moment. Est-ce que

3 cela recueille votre assentiment?

4 M. le Président (interprétation): C'est difficile de se prononcer pour le

5 moment à partir des arguments que vous nous donnez.

6 M. Farrell (interprétation): La décision pour laquelle nous n'arrivons pas

7 à nous décider, c'est que nous ne savons pas exactement quelle valeur

8 attribuer à ces documents et c'est bien pour cette raison que nous

9 envisageons cette requête. Il y a déjà eu des requêtes aux fins de

10 prorogations de ces audiences et ces requêtes ont été rejetées. Nous ne

11 savons pas si ces documents sont vraiment pertinents et s'ils ont

12 effectivement traits aux questions qui sont en suspens devant la Chambre

13 d'appel.

14 Il y a une requête orale que nous avons déposée devant vous et devant les

15 conseils de la défense. Cette requête porte sur cinq documents, je suis en

16 train de faire en sorte qu'ils soient traduits et encore une fois la

17 question qui se pose est de savoir si ces documents sont vraiment

18 pertinents. Je voudrais en fait que la procédure que nous entamons

19 aujourd'hui ne soit pas clôturée à la fin de l'audition des arguments

20 oraux, à la fin de cette semaine. Et si vous faites droit à notre requête,

21 peut-être que dans une période raisonnable de temps nous pourrons déposer

22 des arguments par écrit portant sur les documents dont je parlais tout à

23 l'heure afin de savoir s'ils sont recevables au titre de l'article 115 du

24 Règlement de procédure et de preuve. S'ils sont recevables au titre dudit

25 article, et s'ils peuvent avoir un effet sur le verdict et sur la sentence

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1 qui est envisagée par la Chambre, alors peut-être que nous le ferons.

2 M. le Président (interprétation): Vous nous demandez simplement de garder

3 cette affaire ouverte. Vous ne nous demandez pas de prendre en compte ces

4 documents comme étant de nouveaux éléments de preuve. Vous nous demandez

5 de ne pas clôturer la procédure afin de pouvoir prendre une décision

6 relative à ces documents à un stade ultérieur.

7 M. Farrell (interprétation): Oui.

8 M. le Président (interprétation): Et puis il y a une troisième situation

9 que vous souhaiterez peut-être envisager. Si ces documents sont

10 pertinents, peut-être qu'il faudrait demander que les éléments de preuve

11 soient réexaminés plutôt que demander à ce que de nouveaux éléments de

12 preuve soient versés. Il faut peut-être réexaminer ce qui a déjà été

13 soumis, il faut peut-être que la Chambre d'appel se repenche sur les

14 éléments de preuve.

15 M. Farrell (interprétation): Je ne vous suis pas bien, Monsieur le juge.

16 M. le Président (interprétation): Si vous ne pouvez pas les verser en tant

17 qu'éléments de preuve nouveaux, et si cependant vous nous convainquez

18 qu'il nous faut absolument nous reposer la question de la responsabilité

19 du supérieur hiérarchique de M. Delalic, alors il faudra que nous nous

20 décidions sur les documents qui sont d’ores et déjà à notre disposition.

21 M. Farrell (interprétation): Tout à fait, l’objectif qui est le nôtre

22 cette semaine est de démontrer les erreurs de droit ou de fait qui ont été

23 commis. Si nous sommes décidés à verser ces documents au titre de

24 l'article 115, notre idée, c'est qu'ils peuvent permettre de démontrer que

25 la sentence rendue n'était pas totalement juste. Je me réfère là également

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1 à l'affaire Tadic qui a déjà été entendue par ce Tribunal.

2 M. le Président (interprétation): Cela, c'est quelque chose que nous

3 examinerons à un stade ultérieur mais, pour le moment, il n'y a rien

4 d'anormal dans la procédure que nous entamons et l'accusation fonctionne

5 de façon tout à fait normale pour ce qui est de M. Delic.

6 Si vous voulez simplement que nous laissions les choses en l'état et que

7 nous ne clôturions pas toute la procédure, c'est chose faite: nous vous

8 l'accordons.

9 M. Farrell (interprétation): Entendu.

10 M. le Président (interprétation): Que voulez-vous nous dire à propos de

11 cette petite question dont vous vouliez parliez tout à l’heure?

12 M. Farrell (interprétation): Il y a donc cinq documents qui nous

13 intéressent, Monsieur le Juge. Ils vous ont été remis et je crois qu’ils

14 ont été remis également au conseil de la défense. Il y a la version

15 originale qui est la version serbo-croate, et il y a une traduction.

16 M. le Président (interprétation): Nous n'avons pas la version originale,

17 seulement la traduction.

18 M. Farrell (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Juge. Je m'enquière

19 auprès de mes compagnons de ce qu'il en est.

20 J'ai ici, Monsieur le Juge, la version intégrale de ces documents.

21 La référence que nous faisons au document est une référence que nous

22 faisons parce que nous pensons qu'ils sont d'une importance potentielle et

23 qu'ils sont potentiellement pertinents puisqu'ils ont peut-être un lien

24 avec les problèmes qui vous ont été soumis et qui portent sur la

25 responsabilité de l'appelant. Je vais les passer en revue pour vous en

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1 montrer la pertinence.

2 Le premier document, le document 37, et je précise que le numéro du

3 document ne renvoie à rien en particulier. Peut-être que l'ordre

4 chronologique des chiffres n'est pas parfaitement respecté. Ce sont des

5 documents qui se sont vus attribuer un numéro au moment de leur arrivée

6 dans nos bureaux, c’est tout. Donc, le document 37, daté du 18 juillet

7 1992. Il s'agit d'un projet d’ordre qui porte des corrections manuscrites.

8 A la fin de ce projet d’ordre, il apparaît une signature. Apparemment

9 c'est M. Delalic qui a rédigé cet ordre. Il a signé cette ordonnance en sa

10 qualité de commandant de TGI. Si l'on regarde la date, 18 juillet 1992, et

11 si l'on s'aperçoit que dans la première phrase du document, il est indiqué

12 que c'est sur la base de la nomination qui a été réalisée par l'état-major

13 général … Je m'excuse auprès des interprètes, je crois que je vais un peu

14 trop vite et que je suis un peu confus.

15 M. le Président (interprétation): Ce n’est pas la première fois que les

16 interprètes vous reprennent, Maître Farrell, alors faites attention, s'il

17 vous plaît.

18 M. Farrell (interprétation): Je vais tâcher de m'en souvenir, Monsieur le

19 Président. Je vais peut-être reprendre depuis le début. Donc c’est un

20 document qui date du 18 juillet 1992. Ce document porte l'indication à sa

21 première phrase, je cite: "Sur la base de la nomination faite par l'état-

22 major général des forces armées de la Bosnie-Herzégovine suit le chiffre

23 02/349-343 du 11 juillet 1992, ordre ayant force de loi pour ce qui est

24 des forces armées de la Bosnie-Herzégovine".

25 Première phrase en lettres capitales: "Par la présente, je nomme au poste

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1 de TGI de Konjic les personnes suivantes…"

2 Et ce que je voudrais vous dire, Monsieur le Président, Messieurs les

3 Juges, c’est que le premier nom qui apparaît est celui d’une personne

4 appelée Cerovac. Si vous tournez maintenant la page du document traduit

5 que vous avez sous les yeux, vous verrez qu’aux deux tiers de la page vers

6 le bas, il est indiqué: "adjoint au commandant chargé des affaires

7 morales: M. Smajo Preveljak"; et puis un peu plus bas encore, il est

8 indiqué qu'un super intendant est nommé pour ce qui est du contrôle du

9 camp de Celebici et le nom de l'intendant est Zdravko Mucic...

10 D’après l’accusation, ce document peut être pertinent car il porte une

11 date, la date du 18 juillet 1992, qui est assez intéressante. Et puis, il

12 y a cette lettre apparemment signée par M. Delalic. Cette lettre démontre

13 qu'il avait connaissance d'un ordre émis le 11 juillet 1992. La position

14 de la défense lors du procès en première instance était que l'accusé, M.

15 Delalic, n'avait aucune connaissance de l'existence de cet ordre et qu'il

16 n'avait acquis cette connaissance qu'après le 27 juillet alors qu'il

17 menait à bien des opérations sur le mont Igman. En outre, la défense

18 indiquait qu’il n’avait pas assumé de responsabilité jusqu'au 30 juillet

19 pour ce qui est du contrôle des différentes forces en présence. Ceci a été

20 confirmé par les Juges de première instance. Mais ce document que nous

21 vous soumettons maintenant, indique que ce n'est pas le cas. M. Delalic,

22 très clairement, a pris ses fonctions avant le 30 juillet. Il était, à

23 cette date, conscient de sa nomination. Et sans doute l'était-il dès le 18

24 juillet. Et du fait de cette nomination, il prend un certain nombre de

25 décisions et de mesures.

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1 Autre élément qui nous permet d'affirmer que ce document est pertinent,

2 dans le jugement et dans le cadre de ce qui a été dit par la défense lors

3 du procès, et je me réfère au paragraphe 674 du jugement, M. Delalic ne

4 savait pas si M. Mucic était tenu superviseur de la prison. Pour ce qui

5 est de cette affirmation, ce document la contredit totalement, puisque si

6 l'on s'en tient à ce que dit le document, il apparaît que M. Delalic

7 désigne M. Mucic comme commandant régional de la prison de Celebici. Et il

8 indique quels seront ses devoirs en tant que responsables du Groupe

9 tactique I de Konjic. Donc, non seulement on désigne M. Mucic, mais on lui

10 assigne un certain nombre de fonctions dans le cadre de celles qui

11 relèvent normalement du commandant du Groupe tactique I. La défense lors

12 du procès a affirmé qu'il n'y avait rien qui permette d'affirmer une telle

13 chose. Ce document permet d'infirmer ce qu'a avancé la défense.

14 Troisièmement, il apparaît, si l'on regarde ce document, qu'il y a

15 nomination de M. Cerovac, qui est la personne dont le nom apparaît en

16 premier. Il est nommé adjoint au commandant responsable des opérations. En

17 juillet 1992, M. Delalic signe donc certains documents. Ces document sont

18 envoyés aux personnes concernées. La Chambre de première instance a conclu

19 que M. Delalic, entre autres documents, avait signé des documents de

20 libération au nom de M. Cerovac. Et M. Cerovac a déclaré que, même s'il

21 n'avait pas de contrôle directeur sur la prison, il avait demandé à M.

22 Delalic de signer ce type de document. Ce qui remet tout à fait en cause

23 le fait que M. Cerovac était simplement le subordonné de M. Delalic, son

24 adjoint.

25 M. le Président (interprétation): Est-ce que vous pouvez nous renvoyer à

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1 un paragraphe du jugement particulier?

2 M. Farrell (interprétation): Pour ce qui est de cette question de M.

3 Cerovac, non, pas pour le moment, Monsieur le Juge, je vais m’en informer.

4 Si vous voulez bien attendre quelques instants, je vais continuer mon

5 argumentation pendant que mes collègues cherchent la référence que vous

6 nous demandez.

7 Nous allons vous trouver cette référence, Monsieur le Juge. La dernière

8 chose que je voudrais dire relativement à ce document, c’est que ces

9 documents de libération qui ont été signés par M. Delalic et qui étaient

10 au nombre de trois au mois de juillet, sont des documents qui, pour le

11 premier d'entre eux a été écrit le 17 juillet, le second concernant le

12 docteur Grubevic a été signé le 22 juillet et celui concernant le témoin P

13 a été également signé le 22 juillet. La Chambre de première instance a

14 conclu que M. Delalic était en fait un coordinateur à ce moment-là parce

15 qu'il n'a pas assumé la fonction de commandant du Groupe tactique I. Cette

16 fonction, il ne l'a occupée qu'après le 27 juillet, peut-être même qu'il

17 est entré en fonction le 30 juillet.

18 Si c'est le cas, la Cour, la Chambre accepte qu'il a signé ces documents

19 au nom du responsable des enquêtes et, par conséquent, il n'avait pas lui-

20 même quelque pouvoir ou quelque compétence que ce soit.

21 Si vous regardez ce projet d'ordre, vous vous apercevrez qu'il est daté du

22 18 juillet. Nous sommes donc à la même période de temps que celle où le

23 premier ordre de mise en liberté a été signé. En tout cas, nous nous

24 trouvons bien avant la date du 22 juillet. Si ce document est accepté, eh

25 bien, cela veut dire que M. Delalic n'était pas le coordinateur des

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1 opérations à ce moment-là, qu'il n'était pas un civil, un coordinateur

2 civil, qu'il n'avait pas de compétences. En fait, il ne se contentait pas

3 de signer des documents au nom de quelqu'un d'autre.

4 Ce que l'on peut déduire de tout cela, c'est que le 22 juillet, lorsque M.

5 Grubevic et le témoin P ont été mis en liberté, leur ordre de mise en

6 liberté a été signé par M. Delalic en tant que commandant, en tant que

7 personne qui contrôlait ce qui se passait dans la prison de Celebici. Si

8 c'est bien le cas, ces ordres de mise en liberté n'ont pas été signés par

9 le coordinateur au nom de quelqu'un d'autre, mais ont été signés par

10 quelqu'un qui était parfaitement responsable du commandement. Voilà les

11 références que je voulais vous donner quant à ce premier document.

12 Pour ce qui est de votre question portant sur M. Cerovac, je crois que

13 vous pourrez trouver une référence dans le jugement au paragraphe 685.

14 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

15 M. Farrell (interprétation): Le deuxième document, Monsieur le Président,

16 Messieurs les Juges, porte le n°120, il est daté du 30 octobre 1992. Ce

17 document émane de M. Smajo Preveljak apparemment, qui était le commandant

18 adjoint chargé des questions de moralité. Il est daté du 30 octobre 1992,

19 comme je l'ai déjà dit. Et si le document précédent est accepté, eh bien,

20 vous pourrez en tirer la conclusion factuelle suivante: M. Preveljak était

21 en fait subordonné à M. Delalic et ce, conformément aux nominations

22 relatives aux fonctions à assumer dans le cadre du commandement du Groupe

23 tactique I de Konjic.

24 La lettre est adressée à la présidence de guerre de Konjic et elle porte

25 sur les fonctions du commandant du Groupe tactique I à partir d'une date

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1 précise. Le commandant du Groupe tactique I apparaît clairement comme

2 étant M. Delalic, et la Chambre de première instance s'est prononcée sur

3 ce fait et a confirmé qu'il était bien à ce poste en octobre 1992.

4 En haut de la deuxième page du document traduit, on trouve une indication

5 importante qui a trait aux enquêtes menées par la commission d'enquête

6 militaire, une commission qui, je vous le rappelle, était chargée de voir

7 quel était le statut des prisonniers de Celebici pour essayer de voir

8 s'ils pouvaient potentiellement être mis en liberté.

9 En haut de la page 2 du document donc, il est indiqué que les enquêtes

10 menées sur les prisonniers se trouvant à Celebici ont été menées par une

11 commission composée d'experts désignés par M. Delalic. La conclusion que

12 l'on peut tirer de cela, c'est qu'il avait effectivement un rôle

13 important, du moins en ce qui concerne la mise sur pied de cette

14 commission.

15 Vous vous rappellerez sans doute que la Chambre de première instance a

16 déterminé que, à un moment donné, M. Delalic -c'était, je crois, le 2

17 juin-, avait eu une réunion dans le bâtiment administratif de la prison de

18 Celebici. Je vous renvoie au paragraphe 678 du jugement. Le témoin qui a

19 permis de faire toute la lumière sur cette réunion était le témoin D, et

20 il a indiqué que M. Delalic et plusieurs membres de la commission

21 d'enquête militaire s'étaient retrouvés, donc, le 1er juin 1992, dans la

22 prison de Celebici.

23 Monsieur Delalic, d'après le témoin et d'après la Chambre de première

24 instance, semblait mener la réunion, la diriger. Il a lu à haute voix un

25 ordre qui était arrivé par fax et il a expliqué cet ordre aux membres de

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1 la commission, leur expliquant également de quelle façon ces membres du

2 comité devaient mener à bien les interrogatoires des détenus, détenus qui

3 devaient être classés en différentes catégories.

4 La Chambre de première instance l'a reconnu et a reconnu également qu'on a

5 donné lecture de la catégorie des détenus, paragraphe 681 du jugement. La

6 Chambre estime que ces catégories de prisonniers ont été déterminées par

7 M. Delalic, la Chambre estime que c'est lui qui les a déterminées. D'autre

8 part, la Chambre conclut qu'il n'y a aucun élément de preuve qui indique

9 que M. Delalic n'avait pas de position d'autorité sur aucun des membres

10 qui appartenaient à la commission et que M. Delalic ne pouvait exercer

11 aucune autorité sur le camp de prisonniers de Celebici, sur ses

12 commandants ou sur son personnel. Je vous renvoie au paragraphe 682.

13 Donc, il semble, sur la base de ce document, qu'au moins il avait un

14 certain pouvoir sur la commission d'enquête puisque la commission

15 d'enquête sur la prison elle-même, cette commission a été constituée par

16 M. Delalic lui-même: il en a nommé les membres.

17 Maintenant, je vais passer au troisième document qui porte le n°137. Il

18 s'agit d'un document en date du 14 novembre 1992. Vous vous souviendrez

19 qu'il semble, d'après les éléments de preuve, que vers la mi-novembre,

20 vers le 17 novembre ou après, il semble donc que M. Delalic à ce moment-là

21 ne soit plus le commandant du Groupe tactique I. Cela n'est pas clair,

22 mais il semble que cela se soit passé vers le milieu du mois de novembre.

23 Bien entendu, il y a un document qui a été exclus, qui n'a pas été admis

24 mais, enfin, j'y reviendrai ultérieurement.

25 Le document dont je vous parle maintenant, c'est une lettre adressée à M.

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1 Delalic en tant que commandant du Groupe tactique I. C'est une lettre qui

2 vient du chef des gardes de la prison de Musala. La prison de Musala,

3 comme vous le savez, ce n'est pas la prison de Celebici: c'est un centre

4 sportif où un certain nombre de personnes ont été détenues. C'est la

5 conclusion que j'ai tirée des informations que l'on m'a données. Il s'agit

6 donc d'une plainte adressée directement à M. Delalic en tant que

7 commandant du Groupe tactique n°I, plainte au sujet de M. Hazim Delic. Et

8 ceci semble un peu étrange, il semble étrange que, s'il n'y avait

9 absolument aucune relation entre ces deux, il semble étrange qu'un chef

10 des gardes d'une prison, qu'un chef de section se plaigne de la conduite

11 de M. Delic directement auprès du commandant d'un Groupe tactique I dont

12 on nous dit, soi-disant, qu'il n'aurait absolument aucun contrôle sur les

13 personnes qui travaillaient dans la prison. C'est étrange.

14 Cette plainte n'est pas directement liée à la prison de Celebici mais aux

15 actes, à la conduite de M. Delic. Et sur la base de ce document, il s'agit

16 d'une plainte qui est adressée à son commandant au sujet de la conduite de

17 cet homme. On peut donc en déduire très facilement que M. Delic est son

18 subordonné! Pourquoi sinon un autre commandant soumettrait un rapport au

19 sujet de la conduite de quelqu'un qui n'a aucun lien de subordination avec

20 la personne à qui cette note est adressée?

21 Ce document nous indique donc que M. Delalic avait une autorité de

22 supérieur hiérarchique sur M. Delic. Nous estimons également que cela

23 indique que M. Delic appartenait au Groupe tactique I. D'ailleurs, le

24 premier document que je vous ai montré montrait que la prison de Celebici

25 entrait dans le cadre des activités du Groupe tactique I.

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1 Je remarque qu'à la page 1 de la traduction, au bas de la page, le dernier

2 paragraphe commence par les termes suivants. Je cite: "Il se vantait

3 régulièrement que lui -c'est-à-dire que M. Delic, M. Delic qui se vante

4 auprès des personnes qui se trouvaient à la prison de Musala quand il y

5 entrait, donc il, M. Delic, -se vantait auprès des prisonniers qu'il -M.

6 Delic- pouvait libérer tous les prisonniers qu'il souhaitait, tandis que

7 moi -et ça c'est le commandant de la prison de Musala-, moi, je ne pouvais

8 pas le faire parce qu'il affirmait que, lui, il avait toute l'autorité qui

9 lui venait du Groupe tactique I -et le tampon du Groupe tactique I. Il a

10 donc libéré Ratko Vujicic de Celebici qui était un de ses collègues de

11 travail, mais le MUP va le ramener à la prison aujourd'hui."

12 Nous avançons que ceci montre que le Groupe tactique I avait une autorité,

13 un pouvoir sur la prison si M. Delic utilise le tampon du Groupe tactique

14 I pour sortir de la prison des gens qu'il connaissait, en l'occurrence, un

15 ancien collègue de travail.

16 A la deuxième page de ce document maintenant, au sujet d'un commentaire du

17 chef de la prison relatif à une visite d'une délégation de la Croix-Rouge

18 internationale. Il indique qu'il y a eu une plainte selon laquelle lui,

19 l'auteur de ce document, n'aurait pas permis aux membres de la délégation

20 de la Croix-Rouge internationale de venir dans la prison. En fait, ce

21 qu'il dit dans cette lettre, c'est qu'il avait accepté qu'ils viennent

22 dans la prison, mais qu'il n'était pas très chaud pour qu'ils

23 s'entretiennent avec les témoins. Or, c'est une condition qui est faite

24 par la Croix-Rouge lorsqu'elle se rend auprès de prisonniers de guerre

25 pour pouvoir leur parler.

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1 Et l'explication qu'il donne au fait qu'il ne voulait pas que les

2 prisonniers s'entretiennent avec ces gens sans témoin, c'est qu'en fait il

3 avait demandé l'autorisation de la personne chargée de surveiller la

4 prison, M. Mucic, ou d'une autre personne, ou bien du Groupe tactique I.

5 Or, il semble donc qu'il demande l'autorisation de personnes qui lui sont

6 supérieures, qui lui sont supérieures au niveau du Groupe tactique n°I.

7 Enfin, dans l'avant-dernier paragraphe, dernière ligne, et également dans

8 le dernier paragraphe, il demande à M. Delalic, en tant que commandant du

9 Groupe tactique I d'empêcher M. Delic d'entrer dans la prison de Musala et

10 il demande également à M. Delalic, dans la toute dernière phrase, de

11 passer en revue la liste des prisonniers libérés ainsi que tout le travail

12 de la prison de Celebici, travail administratif.

13 Une fois de plus, il semble bizarre, au vu du jugement de la Chambre de

14 première instance, qu'un membre d'une autre prison qui est chef d'état-

15 major indique que le commandant d'un Groupe tactique qui, soi-disant n'a

16 aucun pouvoir sur la prison, cependant il lui demande de donner des ordres

17 au sujet des personnes qui ont le droit d'entrer ou non dans la prison, de

18 déterminer si oui ou non, une organisation internationale pourra

19 s'entretenir avec des détenus, doit empêcher M. Delic d'entrer dans la

20 prison et ensuite de passer en revue la liste des prisonniers mis en

21 liberté ainsi que l'administration de la prison de Celebici:

22 Document suivant, il porte le numéro 62. Un document en date du 21 août

23 1992, signé par Pavo. On peut en déduire que Pavo, c'est M. Mucic, est

24 commandant de la prison. Et la première phrase nous dit la chose suivante,

25 je cite: "en ce qui concerne la détention de Petko Grubac dans la caserne

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1 de Celebici, le directeur de la caserne déclare la chose suivante". Et

2 nous avançons que cela signifie que M. Mucic ou Pavo rédige ici un rapport

3 au sujet de l'arrestation, de la détention et ensuite de la mise en

4 liberté d'un détenus à la prison de Celebici. Il s'agit en l'occurrence du

5 Dr Grubac et la Chambre de première instance fait référence d'ailleurs à

6 son témoignage: "c'est une des personnes pour lesquelles un ordre de

7 remise en liberté a été signé par M. Delalic, le 22 juillet".

8 Nous avançons que l'importance de ce document est le suivant: il s'agit

9 d'un rapport ici et d'un ordre. L'ordre n'a pas trait à la prison mais a

10 trait à des gens qui apparemment occupaient l'appartement de M. Grubac

11 mais pour nous l'importance de ce document, c'est que ce rapport lui-même,

12 rapport sur l'arrestation et ensuite la remise en liberté d'un prisonnier,

13 est envoyé au commandant du Groupe tactique n° 1. Or, si vous regardez la

14 deuxième page, j'en suis à la deuxième page de la traduction, ce document

15 doit être remis à la personne chargée du contrôle de la prison, il s'agit

16 apparemment de M. Mucic qui s'envoie une copie à lui-même, donc au

17 commandant du Groupe tactique I, à la personne détenue elle-même et au

18 secrétariat municipal. Voilà tous les destinataires de ce rapport.

19 Il est important de constater que le seul organe militaire, le seul organe

20 de pouvoir auquel on fait référence ici, c'est le Groupe tactique I. Ceci

21 n'est pas envoyé à la Défense territoriale de Konjic ou à la police, au

22 MUP. Il est clair pour l'accusation que l'on peut, si ce document est

23 accepté, en tirer une conclusion qui va dans le même sens que les autres,

24 à savoir que c'est le groupe tactique n°1 qui commande et auquel on fait

25 rapport.

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1 Dernier document que vous avez également sous les yeux, c'est un document

2 en date du 7 août 1992. Il ne s'agit pas d'un document qui ait un lien

3 directeur avec la prison elle-même, mais ce que nous montre ce document,

4 nous l'estimons, c'est le lien qui existe entre le Groupe tactique I et

5 l'état-major municipal des forces de Bosnie à Konjic. Il s'agit d'une mise

6 en garde au sujet d'un ordre qui avait été précédemment délivré, un

7 document adressé à l'état-major de Konjic, un document qui vient de M.

8 Delalic.

9 La Chambre de première instance, comme nous le savons, a fait une

10 différence entre le rôle du Groupe tactique n°1 et le rôle des forces

11 armées ou de la Défense territoriale à Konjic. Il semble ici qu'il

12 s'agisse d'un ordre de M. Delalic, ordre adressé à l'état-major municipal

13 des forces armées de Konjic. Donc, ils sont en dessous de lui dans la

14 chaîne hiérarchique, en tant que commandant du Groupe tactique I. Nous

15 estimons que cela va dans le sens du premier document que nous vous avons

16 montré.

17 Je vous remercie d'avoir pris un peu de temps qui était prévu pour autre

18 chose, mais nous estimons que je vous ai ainsi démontré la pertinence de

19 ces documents. C'est pourquoi nous demandons que ces documents soient

20 admis après que vous aurez eu la possibilité de les examiner. Nous

21 estimons en effet que ceci remet en question la condamnation, le jugement.

22 Et ceci est d'ailleurs une des exigences de l'article 115 pour que ces

23 documents soient admis. Nous souhaitons vous montrer ces documents.

24 M. le Président (interprétation): Est-ce que votre demande se limite à ces

25 documents ou bien est-ce qu'il y a autre chose? Il y a peut-être d'autres

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1 documents?

2 M. Farrell (interprétation): Non, il s'agit simplement d'un exemple de

3 documents.

4 M. le Président (interprétation): Maître Ackerman, nous ne nous attendons

5 pas à ce vous répondiez au sujet de la pertinence de ces documents, à

6 moins que vous ne soyez en mesure de dire que tout ce qu'a dit

7 l'accusation est complètement erroné. Ce qu'il convient de décider à ce

8 stade, c'est s'il faut permettre à l'accusation de se laisser un certain

9 nombre d'options. Qu'avez-vous à répondre à cela?

10 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Président, en ce qui concerne

11 cette question en particulier, le Règlement permet à l'accusation de

12 garder un certain nombre d'options à sa disposition, mais nous sommes un

13 petit peu dans l'inconnu en ce qui concerne la procédure parce qu'en ce

14 qui concerne la présentation de nouveaux moyens de preuve à la Chambre

15 d'appel, le Règlement stipule que cela aurait dû être fait au moins 15

16 jours avant la date de l'audience en appel. L'autre option pour

17 l'accusation et pour la défense, c'est un an après la demande d'appel.

18 Je viens de voir ce matin, pour la première fois, ce document tout comme

19 vous, donc je ne suis pas en mesure de répondre au sujet de ces documents.

20 Il est possible qu'ultérieurement dans le cadre de cette audience, nous

21 souhaitions intervenir brièvement dans le même esprit que l'accusation. Il

22 est très clair que si on envisage d'admettre ces documents à un stade

23 quelconque de cette audience, il faudra beaucoup plus que simplement la

24 présentation de ces documents parce qu'il y a des questions qui se posent

25 à mon idée au sujet de l'authenticité de ces documents. Il y a un document

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1 sur lequel ne figure aucune signature. Il y a donc un grand nombre

2 d'informations dont nous aurons besoin avant que le contenu et la

3 pertinence alléguée de ce document soient envisagés et étudiés par cette

4 Chambre ou une autre Chambre.

5 Je pense que ce qu'il faudrait mieux faire, c'est de laisser les choses en

6 l'état et puis d'envisager que nous demanderons peut-être ultérieurement

7 dans le cadre de cette audience, quelques minutes pour nous adresser à la

8 Chambre au sujet de ces questions avant de partir de La Haye. Mais il me

9 semble que la façon de procéder à ce stade, c'est que l'accusation

10 poursuive ce qu'elle a à faire au sujet de ces documents et qu'une fois

11 que l'arrêt sera rendu dans cet appel, s'il y a une demande de révision

12 sur la base de ces documents, qu'elle le fasse à ce moment-là. Il est

13 clair que si on veut évaluer ces documents, il faudra interroger des

14 témoins au sujet de leur authenticité, savoir si ces documents étaient

15 signés, ont été communiqués, ont été signés lorsqu'ils ont été

16 communiqués, etc.

17 M. le Président (interprétation): Maître Ackerman, mais si nous reportons

18 une décision à ce sujet, cela signifie qu'à la fin des argumentations de

19 l'accusation sur la responsabilité du supérieur hiérarchique, ils vont

20 simplement dire: "Nous ne pouvons clore notre argumentation". Mais si vous

21 n'avez pas d'objection à ce qu'ils le fassent, peut-être demain aurez-vous

22 ou après souhaiterez-vous vous adresser à nous à ce sujet. Mais si vous

23 n'avez pas d'objection à ce qu'ils ne clôturent pas leur argumentation à

24 ce sujet, à ce stade, nous, nous n'avons pas besoin de prendre de décision

25 tout de suite.

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1 M. Ackerman (interprétation): Je ne suis pas tout à fait sûr de la

2 position que je vais prendre. Etant donné qu'ils n'ont pas présenté cette

3 demande quinze jours avant l'audience, l'accusation n'a donc qu'une

4 option, c'est de faire une demande après l'arrêt pour une révision du

5 procès. Je pense qu'il faut en finir avec cette question tout de suite et

6 que la Chambre prenne la décision qu'elle souhaite prendre, rende son

7 arrêt en l'espèce, l'annonce. Et à ce moment-là, si l'accusation, dans

8 l'année qui suit, estime qu'il y a des documents qui justifient une

9 révision de la décision judiciaire, qu'elle procède à une révision.

10 M. le Président (interprétation): Mais je ne suis pas sûr que vous ayez

11 tout à fait raison à ce sujet, cela constituerait une révision, non pas de

12 la décision de la Chambre d'appel, mais de la Chambre de première

13 instance.

14 M. Ackerman (interprétation): Ceci est possible aussi bien pour une

15 décision de la Chambre d'appel que de la Chambre de première instance.

16 M. le Président (interprétation): Nous n'allons pas nous lancer dans une

17 argumentation à ce sujet maintenant. Mais donc, en fait, si à la fin de

18 leur argumentation aujourd'hui ils disent: "Nous n'allons pas clore notre

19 argumentation", vous vous y poserez?

20 M. Ackerman (interprétation): Oui.

21 M. le Président (interprétation): Mais vous avez dit que vous aviez besoin

22 d'un peu de temps pour présenter vos arguments.

23 M. Ackerman (interprétation): Oui. Mais nous venons juste de voir ces

24 documents, je n'ai même pas eu le temps de consulter mon coconseil.

25 M. le Président (interprétation): Mais oui, je vous comprends. Nous non

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1 plus, nous les avons peut-être eus à peine quinze minutes avant vous. Mais

2 à la fin de l'argumentation de l'accusation se pose la question suivante:

3 est-ce que, à ce moment-là, ils sont en droit de dire: "Nous voulons que

4 vous envisagiez, que vous étudiez la possibilité d'admettre ces documents,

5 mais nous ne vous demandons pas de le faire tout de suite? Si vous vous

6 opposez, à ce moment-là, il faudra que nous décidions si, oui ou non, nous

7 permettons à l'accusation de se garder un certain nombre d'options."?

8 Je comprends très bien ce que vous dites au sujet de la règle de quinze

9 jours, cela peut faire l'objet d'une prorogation, c'est possible. Je ne

10 suis pas en train d'indiquer la décision que va prendre la Chambre

11 d'appel, mais ils ont demandé un ajournement. Nous avons refusé parce que

12 nous estimions que nous pouvions avoir quand même cette audience. Mais si

13 vous vous opposez à ce qu'ils ne clôturent pas leur argumentation, à ce

14 moment-là, il faudra que nous, nous décidions si, oui ou non, nous leur

15 permettons de se réserver un certain nombre d'options.

16 Si vous voulez un certain temps pour envisager votre réaction à ce sujet,

17 je suis tout à fait prêt à vous l'accorder en ce qui me concerne. Mais il

18 faudra que, d'une façon ou d'une autre, nous prenions une décision: soit

19 de reporter la décision, sur le fait de reporter ou non la décision à la

20 fin de la présentation des arguments de l'accusation.

21 M. Ackerman (interprétation): Je vous comprends bien, et je voudrais vous

22 présenter ma position un peu plus tard aujourd'hui, sans doute.

23 M. le Président (interprétation): Mais j'espère que l'accusation en aura

24 fini de son argumentation au sujet de la responsabilité du supérieur

25 hiérarchique aujourd'hui, et même avant la fin de la journée.

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1 M. Ackerman (interprétation): Je pense, en effet. Mais à un moment nous

2 allons avoir des pauses, je pourrai donc consulter mon coconseil à ce

3 sujet.

4 M. le Président (interprétation): Oui, bien entendu. Mais il va falloir

5 que nous prenions une décision à ce sujet à la fin de la présentation des

6 arguments de l'accusation.

7 M. Bennouna: Je voudrais ajouter quelque chose à l'intention de Me

8 Ackerman. Si j'ai bien compris, vous nous avez dit que, pour vous, dans la

9 mesure où le délai était dépassé, on se trouve dans la situation de, le

10 Procureur pourrait se trouver dans la situation où il devrait demander une

11 révision du jugement, "review of judgment", pour fait nouveau.

12 Le problème c'est que, ici, dans cette situation que vous évoquez, le fait

13 nouveau intervient après que le jugement soit rendu. Or, là, nous sommes

14 dans la situation de l'ouverture simplement des arguments oraux. Nous ne

15 sommes pas dans la situation où le Règlement parle de la révision d'un

16 jugement rendu, définitif, devenu définitif, et où il y a des faits

17 nouveaux qui apparaissent après. Or, aujourd'hui, le fait nouveau est

18 apparu, le fait est apparu avant que le jugement soit rendu.

19 Je voudrais que vous ayez cet élément aussi en tête lorsque vous

20 interviendrez. Je ne vous demande pas d'intervenir maintenant sur ce

21 point. Merci.

22 M. le Président (interprétation): Maître Ackerman, nous allons avoir une

23 pause. Pendant l'argumentation de l'accusation au sujet de la

24 coresponsabilité du supérieur hiérarchique et je voudrais que, à ce

25 moment-là, vous nous fassiez savoir votre position.

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1 M. Ackerman (interprétation): Ce sera le cas.

2 M. le Président (interprétation): Monsieur Yapa, qui va traiter du sujet

3 de la responsabilité du supérieur hiérarchique?

4 M. Morrison (interprétation): Vous constaterez que ces documents sont

5 également pertinents en ce qui concerne Pavo Mucic. La situation de M.

6 Mucic est très différente de celle des autres accusés, mais ces documents

7 nous préoccupent à ce stade de la procédure. Et ceci, Me Kuzmanovic a

8 essayé d'obtenir sans succès un grand nombre de documents venant de la

9 Croatie. Certains des documents dont dispose l'accusation, c'est

10 exactement le genre de documents que nous aurions pu voir, non seulement

11 dans le cadre de la procédure d'appel, mais ces document nous auraient été

12 extrêmement utiles dans le cadre du procès. Ce sont des documents

13 absolument essentiels pour M. Mucic puisque ce sont des documents qui ont

14 trait en direct, directement à sa condamnation, mais qui ont trait

15 également à la question de la responsabilité du supérieur hiérarchique en

16 ce qui concerne la prison de Celebici. Ce sont des documents qui sont tout

17 à fait pertinents en ce qui concerne cette question. Les répercussions de

18 ces documents sont donc considérables parce que cela a des répercussions

19 sur une grande partie du jugement lui-même.

20 Maître Kuzmanovic et moi-même sommes donc très reconnaissants à

21 l'accusation de nous avoir fourni un certain nombre d'exemples de ces

22 documents dont ils disposent. Cinq de ces documents nous ont été

23 présentés, dont trois sont extrêmement pertinents en ce qui nous concerne.

24 Nous souhaitons envisager tout à fait sérieusement leur utilisation, non

25 pas dans le cadre de cet appel de façon connexe, mais c'est au coeur de

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1 l'appel lui-même.

2 Il y a 149 documents, on nous l'a dit, nous n'avons aucune idée de la

3 nature de tous ces documents. Mais si tous ces documents sont aussi

4 importants que ces trois documents que j'ai mentionnés pour la défense de

5 M. Mucic, à ce moment-là la position de M. Mucic en appel va peut-être

6 être changée de façon considérable. Peut-être cela aurait-il signifié que

7 nous aurions pu appeler des témoins supplémentaires. Et puis, ces

8 documents modifient la position de l'accusation au sujet de M. Mucic parce

9 que l'accusation a avancé, notamment, un certain nombre de dates au sujet

10 du contrôle exercé par M. Mucic sur la prison. Il est possible qu'ils

11 adoptent une différente position sur la base de ces nouveaux documents.

12 L'accusation va donc peut-être faire un certain nombre de concessions à ce

13 sujet, mais ils ne peuvent pas tirer ce genre de conclusion avant d'avoir

14 examiné tous les documents.

15 Mais partons du principe que ces documents sont déclarés admissibles,

16 authentiques et venant de sources fiables, quelle sera la conséquence?

17 Est-ce que nous aurons un arrêt d'appel qui sera basé sur les faits

18 examinés par une Chambre de première instance dont il sera facile de

19 prouver qu'ils sont erronés et sur la base d'un jugement qui a été rendu

20 avec des informations insuffisantes ou erronées? Il me semble que, dans

21 ces circonstances, le potentiel d'une erreur judiciaire est tout à fait

22 probant.

23 Nous n'avons absolument pas, nous n'avons eu aucune intervention dans le

24 cadre de la demande d'ajournement présentée par l'accusation mais, en ce

25 qui concerne la défense de M. Mucic, nous sommes extrêmement préoccupés

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1 par les conséquences que cela peut avoir sur l'appel de M. Mucic. Nous

2 souhaitons pouvoir présenter la question de façon cohérente par M. Mucic.

3 Comme l'a dit votre éminent collègue, il ne s'agissait pas ici

4 d'informations qui arrivent après le jugement devant une Chambre d'appel,

5 il s'agit d'informations qui arrivent à la Chambre d'appel avant qu'elle

6 ait rendu son arrêt. Il ne faut donc pas, il faut que nous réfléchissions

7 bien à notre position.

8 M. le Président (interprétation): Est-ce que cela signifie donc qu'il est

9 possible que, vous-même, vous envisagiez de demander que ces documents

10 soient admis en tant que nouveaux éléments de preuve?

11 M. Morrison (interprétation): Oui, c'est possible pour trois de ces

12 documents. Nous aurions vraiment souhaité disposer de ces documents. Moi,

13 je n'ai pas participé au procès, je n'ai participé qu'au niveau de la

14 procédure d'appel, ou juste avant que le jugement soit rendu. Mais je

15 pense que ces documents auraient été très utiles à M. Mucic s'ils nous

16 avaient été communiqués plus tôt. Je pense que la position de l'accusation

17 et de M. Mucic aurait grandement varié. Bien entendu, je ne veux pas

18 causer des délais indus et des ajournements indus, mais si je ne le fais

19 pas à ce moment-là, je ne sers pas les intérêts de mon client. Nous

20 estimons qu'il y a ici un risque grave d'erreur judiciaire et je pense

21 qu'il convient de se pencher avec sérieux sur la question.

22 M. le Président (interprétation): Je vous suggère de vous entretenir avec

23 l'accusation pendant la pause, si l'accusation accepte de vous parler, et

24 de voir dans quel délai ils envisagent d'avoir la traduction de ces

25 documents pour que vous puissiez déterminer votre position.

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1 M. Morrison (interprétation): Bien entendu, ce n'est pas très… présenter

2 une telle demande devant une Chambre d'appel dix-huit mois après que le

3 jugement ait été rendu n'a que très peu d'attrait, mais je pense qu'il

4 faut que ce soit fait. Et d'ailleurs mes relations avec les membres du

5 Bureau du Procureur sont assez bonnes.

6 M. le Président (interprétation):Je vous propose de le faire afin de

7 déterminer votre position et nous pouvons poursuivre l'audience en appel,

8 sachant que vous pourrez éventuellement demander un ajournement pour tout

9 ce qui concerne la responsabilité hiérarchique de votre client.

10 Monsieur Yapa, qui est-ce qui traite de cette question du côté du

11 Procureur?

12 M. Yapa (interprétation): Nous parlerons donc des chefs d'appel du Groupe

13 n°1 qui a un rapport avec la responsabilité hiérarchique, c'est l'un des

14 chefs défendus par le Procureur en appel, et c'est M. William Fenrick qui

15 présentera les arguments du Procureur sur ce point.

16 M. le Président (interprétation): Merci. Monsieur Fenrick, vous avez la

17 parole.

18 M. Fenrick (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

19 ce que je vais m'efforcer de faire dans la demi-heure qui suit à peu près,

20 c'est vous donner une idée générale de la façon dont le Procureur conçoit

21 la responsabilité hiérarchique. Nous couvrirons un certain nombre de

22 questions de droit et nous nous efforcerons de vous présenter une image

23 complète de la doctrine en la matière. C'est d'ailleurs sans doute la

24 première fois que la Chambre va se trouver confronter à cet éventail

25 complet d'arguments en la matière.

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1 M. le Président (interprétation): Permettez-moi de vous interrompre,

2 Monsieur Fenrick, quelques instants. Dans votre présentation, vous faites

3 référence au procès et à des affaires qui datent de la Deuxième Guerre

4 mondiale. Je sais qu'à la bibliothèque ici, nous avons un certain nombre

5 de références à ce sujet, mais pas au sujet des procès japonais. Nous

6 aurons besoin d'exemplaires de ces comptes rendus d'audience.

7 M. Fenrick (interprétation): Monsieur le Président, en fait je ne vais pas

8 faire de très nombreuses références.

9 M. le Président (interprétation): Mais vous en parlez de façon générale

10 dans vos écritures. Donc, si vous faites référence à cela, je crains fort

11 d'être dans l'obligation de vous demander des exemplaires, des copies.

12 M. Fenrick (interprétation): Nous croyons savoir que tout se trouve dans

13 le Book of Authority, Monsieur le Président.

14 Permettez-moi de commencer mon exposé. D'abord, du point de vue du

15 Procureur, l'article 7.3 du Statut de ce Tribunal ne représente pas, à lui

16 seul, un code juridique. Ce qu'il fait, c'est reprendre un certain nombre

17 de lois existantes qui ont un rapport avec la doctrine de la

18 responsabilité hiérarchique et du commandement.

19 Deuxième argument du Procureur: dans la globalité de cette doctrine sur la

20 responsabilité hiérarchique, nous trouvons un certain nombre d'arguments

21 qui reposent sur la coutume, sur le droit coutumier. Si l'on examine, par

22 exemple, le statut régissant le Tribunal militaire international de

23 Nuremberg ou le statut qui a été appliqué au cours des procès de Tokyo ou

24 la loi de contrôle n°10 qui a réglementé un certain nombre de procédures

25 ultérieures à Nuremberg, nous ne trouvons nulle part une référence à la

Page 112

1 doctrine de la responsabilité hiérarchique. On entend parler de

2 responsabilités pénale, criminelle. On entend parler des dispositions d'un

3 certain nombre de traités qui traitent de l'aspect individuel de la

4 responsabilité pénale eu égard à un certain nombre de personnes qui ont

5 donné des ordres, qui ont aidé, qui ont encouragé, qui ont participé. Mais

6 le cœur de la responsabilité hiérarchique, à notre avis, voit le jour dans

7 la requête présentée en rapport avec la doctrine de la participation et de

8 l'encouragement lorsque l'on se trouve en poste de supériorité

9 hiérarchique et ce dans des affaires liées à la Deuxième Guerre mondiale.

10 Je crois avoir déjà dit que nous devons mettre l'accent sur les décisions

11 prises, sur les jugements rendus au cours de ces procès de la Deuxième

12 Guerre mondiale et prendre toute la mesure de ce qu'ils représentent. Ils

13 ne reposent pas simplement sur des dispositions de traités. Et au-delà de

14 ces affaires, nous avons également le protocole additionnel n°1 qui traite

15 des conflits internationaux, qui s'applique aux conflits internationaux

16 dans lequel nous trouvons l'article 86 et l'article 87 qui sont

17 particulièrement importants. Ces deux articles, s'il ont été cités comme

18 certains, comme des moyens de codifier la responsabilité hiérarchique

19 sont, de l'avis du Procureur, au mieux une codification partielle de cette

20 doctrine.

21 En effet, même si l'on interprète les articles 86 et 87 de cette façon, il

22 importe de tenir compte de ce que représente le droit coutumier en dehors

23 du champ d'application du Protocole additionnel I ou de ces articles

24 particuliers.

25 Le Procureur affirme, et nous pensons qu'il n'y a pas contestation sur ce

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1 point, que pour l'essentiel, trois éléments constituent la responsabilité

2 hiérarchique en cas de défaut d'action. Le premier de ces éléments

3 fondamentaux, à notre avis, est l'existence d'une espèce de relation entre

4 supérieur et subordonné. Cet élément particulier, ou l'interprétation qui

5 peut en être faite est particulièrement pertinente dans l'affaire qui nous

6 intéresse et ce à deux titres. Ce que je ferai plus tard, c'est reprendre

7 ces deux aspects l'un après l'autre.

8 Mais pour l'instant, je dirais que, s'agissant de cette relation entre

9 supérieurs et subordonnés, la question qui se pose consiste à déterminer

10 si cette relation s'applique à des exemples de ce qu'on pourrait appeler

11 l'influence. Ceci est particulièrement pertinent dans le cadre de l'appel

12 Delalic. Il importe également de déterminer si cette relation entre

13 subordonnés et supérieurs s'applique de facto, en dehors de s'appliquer de

14 jure et cela a pertinence dans l'appel de M. Mucic.

15 Le deuxième élément fondamental dont je parlais, c'est le fait de

16 déterminer si le supérieur hiérarchique savait ou avait des raisons de

17 savoir qu'un acte criminel était sur le point d'être commis ou avait été

18 commis. Cette interprétation de cette disposition particulière est, du

19 point de vue du Procureur, un point de droit important que nous avons

20 demandé aux Juges de prendre en compte dans leur décision, notamment du

21 point de vue de l'aspect "avoir des raisons de savoir" mais il n'est

22 pertinent dans le cadre de l'appel d'aucun des accusés particuliers qui

23 sont jugés dans la présente affaire.

24 Le troisième élément fondamental, c'est le fait de déterminer si le

25 supérieur n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour

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1 empêcher l'acte criminel ou en punir les auteurs. Du point de vue du

2 Procureur, la signification de cette disposition particulière n'est pas en

3 débat ici mais nous allons tout de même en parler brièvement.

4 Si vous me le permettez, j'aimerais commencer par discuter de cette

5 relation entre supérieurs et subordonnés qui, d'après nous, est le premier

6 élément dont l'existence est indispensable si l'on veut se prononcer sur

7 une affaire de responsabilité hiérarchique. Normalement, dans la plupart

8 des cas, lorsque la doctrine de la responsabilité hiérarchique s'applique,

9 il existe une espèce de rapport hiérarchique, donc une chaîne de

10 commandement qui lie l'auteur de l'acte ou l'unité à laquelle appartient

11 l'auteur de l'acte et la personne qui exerce le commandement ou la

12 personne qui occupe une fonction de supériorité hiérarchique. Mais

13 l'accusation affirme que cette doctrine peut également s'appliquer dans le

14 cadre d'une catégorie plus large de supériorité. Le Procureur affirme que

15 la responsabilité hiérarchique existe lorsque le supérieur exerce

16 effectivement un contrôle sur les personnes qui ont commis les infractions

17 prises en compte, dans le sens où ce supérieur hiérarchique a

18 matériellement les possibilités d'empêcher l'acte ou de le punir.

19 Le Procureur affirme également que la doctrine de responsabilités

20 hiérarchiques s'applique aussi bien à des dirigeants militaires qu'à des

21 dirigeants civils. Le devoir d'empêcher et de punir émane du pouvoir de

22 contrôler les auteurs de cet acte dans des circonstances particulières

23 ainsi que dans des circonstances plus générales. En particulier, le

24 Procureur affirme qu'un rapport direct entre supérieurs et subordonnés,

25 c'est-à-dire l'existence d'une chaîne de commandement directe entre le

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1 supérieur et l'auteur de l'acte, n'est pas indispensable. Le supérieur

2 peut être responsable dans une zone où l'auteur de l'acte commet

3 l'infraction.

4 Par exemple, dans l'affaire du haut commandement et dans l'affaire des

5 otages, deux affaires dont il est fait mention dans le jugement de la

6 Chambre de première instance, les commandants militaires ont été tenus

7 pour responsables dans certains cas parce qu'ils avaient une

8 responsabilité dans un secteur particulier, dans une zone d'occupation.

9 Ils ont été considérés responsables même s'ils n'exerçaient pas une

10 responsabilité de commandement direct sur les unités qui se trouvaient

11 dans cette zone et qui avaient commis les infractions.

12 De même, le supérieur peut exercer un degré important d'influence sur

13 l'auteur de l'acte ou sur l'entité à laquelle appartient l'auteur de

14 l'acte. Et à l'appui de ces propositions, nous citons l'affaire Muto qui a

15 été mentionnée dans le jugement de la Chambre de première instance ainsi

16 que l'affaire Hirota et Rockling, paragraphes 355, 363 du jugement de la

17 Chambre de première instance.

18 Ces affaires impliquaient des personnes qui se trouvaient dans des

19 circonstances très diverses. Muto était un général japonais, il était le

20 chef d'état-major du général Yamashita. Et il a été estimé que, bien que

21 le général Muto n'aie pas fait partie de la chaîne de commandement, en

22 raison des positions qu'il exerçait en tant que chef d'état-major, il

23 avait une influence importante sur les événements qui survenaient dans les

24 unités subordonnées au quartier général dont il était le chef d'état-

25 major.

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1 Dans l'affaire Hirota, manifestement, ce ministre des Affaires étrangères

2 japonais n'avait pas directement sous ses ordres les soldats qui ont

3 commis les infractions reprochées, il ne faisait pas partie de la chaîne

4 de commandement directe.

5 Et puis, dans les affaires allemandes, l'affaire Rockling en particulier,

6 une affaire impliquant un industriel allemand, il n'y avait pas là encore

7 de rapports hiérarchiques directs entre les auteurs de l'acte et les

8 supérieurs qui ont été jugés.

9 J'aimerais également faire référence à l'article 87 du Protocole

10 additionnel n°I qui parle du devoir qu'ont les commandants militaires,

11 s'agissant des membres des forces armées sous leur commandement et des

12 autres personnes sous leur contrôle, d'empêcher et éventuellement de punir

13 les infractions. Manifestement, les Protocoles additionnels vont plus loin

14 que d'envisager simplement l'existence d'une chaîne hiérarchique directe

15 lorsqu'ils traitent de la responsabilité hiérarchique, de la

16 responsabilité de supérieur hiérarchique.

17 Comme cela est indiqué dans l'appel du Procureur, dans notre mémoire,

18 paragraphes 3.22 et 3.27 à 3.53, le Procureur affirme que la doctrine de

19 responsabilité de supérieur hiérarchique implique la responsabilité d'une

20 personne qui, même si elle n'est pas supérieure dans une chaîne

21 hiérarchique directe, exerce toutefois un contrôle, une autorité, un

22 pouvoir ou une influence importante, et a donc matériellement la capacité

23 d'empêcher ou de punir la commission d'un crime.

24 Le Procureur, très certainement, ne suggère d'aucune façon que l'article

25 7.3 du Statut concerne une personne qui exercerait une quelconque

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1 influence dans une situation quelconque. Par exemple, on pourrait penser à

2 une situation dans laquelle un journaliste aurait connaissance d'une

3 infraction sur le point d'être commise ou déjà commise, et pourrait, en

4 rendant public ce fait, avoir une influence sur la réelle commission de

5 cette infraction ou sur sa punition.

6 Mais il est certain qu'un journaliste ou une personne d'influence n'est

7 pas concernée par cet aspect important de l'influence dans le cadre de la

8 doctrine de la responsabilité hiérarchique dont nous affirmons qu'il

9 existe. Et je vais vous donner un autre exemple.

10 Nous ne pensons pas que la doctrine s'appliquerait, par exemple à des

11 commandants militaires, dans le cas où nous serions en présence de deux

12 formations militaires l'une à côté de l'autre, l'une couvrant un secteur,

13 l'autre un autre secteur, et que le commandant d'une de ces formations,

14 pour une raison ou pour une autre, aurait connaissance ou n'aurait pas

15 connaissance d'infractions commises par une autre formation militaire du

16 même niveau située dans un secteur adjacent.

17 Nous n'affirmons pas qu'un commandant situé géographiquement dans une zone

18 adjacente pourrait être concerné par cette doctrine de la responsabilité

19 de supériorité hiérarchique. Mais ce que nous disons, c'est qu'il existe

20 cet élément d'influence importante qui doit être pris en compte au cas par

21 cas, dans les circonstances particulières. Si un supérieur a

22 matériellement la possibilité d'empêcher ou de punir un acte, ce

23 supérieur, qu'il soit un homme ou une femme, doit tomber sous le coup de

24 l'application de cette doctrine de la responsabilité hiérarchique évoquée

25 à l'article 7.3.

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1 Dernière observation s'agissant de cette relation de supérieur et

2 subordonné, il est tout à fait clair, sur la base de notre jurisprudence,

3 qu'un supérieur peut être tenu pour responsable, qu'il soit homme ou

4 femme, parce qu'il a une autorité de facto ou de jure, ou les deux. Il

5 n'est pas exigé que cette autorité soit uniquement de jure. En fait, si on

6 ne s'appuyait que sur la notion de responsabilité de jure, on obtiendrait

7 des résultats sans doute assez ridicules. Je cite cet aspect des choses

8 qui, à mon avis, ressort de l'affaire Aleksovski.

9 Je pense que la reine d'Angleterre est techniquement le commandant en chef

10 des forces armées britanniques, mais je ne dis pas que la reine pourrait

11 être tenue pour responsable dans le cadre de l'application de la doctrine

12 de la responsabilité hiérarchique de jure. Il importe de se pencher

13 également sur l'aspect de facto qui doit s'ajouter à l'examen des aspects

14 de jure.

15 Ce qui est donc significatif, ce n'est pas le titre détenu par une

16 personne, que cette personne soit appelée commandant ou commandant

17 adjoint, ou coordinateur, ou qu'elle ait telle ou telle autre étiquette.

18 Ce qui est important, c'est la réalité effective de l'autorité de

19 supérieur exercée par cette personne.

20 Voilà, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, tout ce que j'avais à

21 dire s'agissant de cet aspect lié à l'existence d'une relation entre

22 supérieur et subordonné. Je m'apprête à présent à traiter du deuxième

23 aspect, c'est-à-dire le fait de savoir ou d'avoir des raisons de savoir.

24 Mais avant cela, j'aimerais savoir si vous avez des questions. Non, eh

25 bien, dans ce cas, je peux passer à l'examen de l'aspect savoir ou avoir

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1 des raisons de savoir.

2 De ce point de vue, nous affirmons qu'il est incontestable que quelqu'un

3 peut être tenu pour responsable sur la base de l'article 7.3 du Statut

4 s'il est prouvé ou établi, et bien sûr cela peut être établi par des

5 preuves directes ou des preuves circonstancielles, mais la question qui se

6 pose, c'est la signification exacte de cette notion d'avoir des raisons de

7 savoir. Est-ce que cela signifie qu'il faut prouver que des informations

8 étaient virtuellement dans les mains du supérieur? Ou est-ce que cette

9 notion est un peu plus large?

10 Le Procureur affirme que cette notion d'avoir des raisons de savoir

11 renvoie à une situation dans laquelle un supérieur avait des informations

12 qui lui permettaient de savoir ou qui, en tout cas, lui permettaient de

13 penser que des subordonnés avaient commis un crime ou étaient sur le point

14 de commettre un crime. Je crois que c'est la démarche qui a été adoptée,

15 pour l'essentiel, par la Chambre de première instance, si ma mémoire est

16 bonne.

17 Mais en dehors de cela, en sus de cela, le Procureur affirme également que

18 le fait d'avoir des raisons de savoir recouvre également des situations

19 dans lesquelles un supérieur ne disposait pas de telles informations, mais

20 manquait de telles informations parce qu'il ou elle n'avait pas rempli

21 correctement les fonctions qui étaient les siennes pour obtenir les

22 informations générales qui lui étaient accessibles, s'agissant du

23 comportement de ses subordonnés, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme.

24 J'aimerais appeler votre attention, Monsieur le Président, Messieurs les

25 Juges, sur la décision Blaskic qui, à mon avis, doit s'ajouter à la

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1 décision Celebici. Dans l'affaire Blaskic, la Chambre de première instance

2 est arrivée à une conclusion au sujet de la signification de la notion

3 d'avoir des raisons de savoir qui est assez semblable, bien qu'un peu plus

4 large, que celle qui a été adoptée par le Procureur vis-à-vis de la

5 Chambre de première instance dans l'affaire Celebici.

6 Je serai très bref. Au paragraphe 332 du jugement Blaskic, la Chambre de

7 première instance déclare que: "Si un commandant a exercé en toute

8 diligence ses fonctions mais qu'il n'avait pas d'informations au sujet de

9 crimes qui étaient sur le point d'être commis ou avaient été commis, cette

10 absence de connaissance ne peut pas être retenue contre lui.

11 Cependant, si l'on tient compte de la position particulière du commandant

12 et des circonstances qui prévalaient à l'époque, une telle ignorance ne

13 peut pas être un moyen de défense car l'absence de connaissance résultait

14 d'une négligence dans l'exercice des fonctions du commandant en question.

15 Donc ce commandant avait des raisons de savoir dans le cadre de la

16 signification prise en compte par le Statut du Tribunal". (Fin de

17 citation)

18 J'aimerais brièvement indiquer ce qui me semble s'être passé pour aboutir

19 à la décision prise par la Chambre de première instance dans l'affaire

20 Celebici. Si j'ai bien compris l'affaire, la décision a été prise parce

21 que, dans les affaires jugées, dans les crimes jugés après la Deuxième

22 Guerre mondiale, cette notion d'avoir des raisons de savoir, donc cet

23 élément mental destiné à établir la responsabilité hiérarchique recouvrait

24 en droit coutumier une norme connue qui est très proche de celle que le

25 Procureur avance dans la présente affaire.

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1 Mais, lorsque le Protocole additionnel n°I a été rédigé pour diverses

2 raisons, la norme juridique a été rétrécie, et bien qu'à l'époque les

3 Chambres qui jugeaient de ces crimes avaient déjà adopté un certain nombre

4 de positions, le sens donné à cette notion par le droit coutumier a été un

5 peu élargi dans le temps et, avec les Protocoles additionnels, on était en

6 présence d'une norme un peu plus étroite s'agissant de la signification à

7 accorder à cette notion d'avoir des raisons de savoir, notamment dans le

8 Protocole additionnel n°I.

9 Si l'on examine la logique qui a permis à la Chambre de première instance

10 de Celebici de parvenir à sa décision, on se rend compte que les Juges ont

11 accordé une très grande attention aux négociations, aux travaux

12 préparatoires qui ont débouché sur la rédaction du Protocole additionnel.

13 Le Procureur, dans cette affaire, affirme qu'en fait les Juges ont accordé

14 trop d'attention à ces travaux préparatoires et que, en fait, il est

15 également possible d'interpréter les dispositions du Protocole additionnel

16 I d'une façon qui aboutisse à la même norme que celle que nous défendons

17 ici, notamment à la lecture des articles 86 et 87 conjointement.

18 Même si cette interprétation du Protocole additionnel I est erronée, et

19 nous affirmons le contraire, mais même si elle est erronée, la norme du

20 droit coutumier continue à coexister avec les dispositions du Protocole

21 additionnel n°I. J'aimerais vous donner un exemple à l'appui de ce

22 deuxième aspect de notre argumentation, si vous me le permettez.

23 Suite aux jugements pour crimes de guerre de la Deuxième Guerre mondiale,

24 la doctrine qui a été élaborée, c'est que les ordres provenant d'un

25 supérieur ne constituaient pas un moyen de défense dans le cas de

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1 jugements de crimes de guerre. Lorsque le Protocole additionnel n°I a été

2 négocié, la discussion a été abondante sur ce point: il était question

3 d'ajouter, donc, cette notion d'ordres provenant de supérieurs, mais

4 aucune décision n'a pu être prise. Et on ne trouve rien dans le Protocole

5 additionnel n°I -d'ailleurs pas plus que dans le Protocole additionnel

6 n°II- qui fasse référence à ces ordres provenant d'un supérieur.

7 J'affirme donc que, depuis cette date, personne n'a déclaré que, parce que

8 le Protocole additionnel n°I ne traitait pas de cette question d'ordres

9 venant d'un supérieur, la notion d'existence d'ordres venant d'un

10 supérieur pouvait être un moyen de défense. Le droit coutumier a continué

11 à s'appliquer comme par le passé en l'absence de toute référence dans ces

12 textes à une telle défense.

13 Alors, nous avons deux dispositions qui traitent de la responsabilité du

14 supérieur hiérarchique dans les Protocoles additionnels, et j'affirme que

15 la base tout à fait légitime d'une interprétation conjointe des articles

16 86 et 87 qui permet de défendre notre position sur l'existence d'une quasi

17 notion de "devrait avoir eu des raisons de savoir" existent.

18 Nous disons également qu'il y a toute raison de dire que l'ancien droit

19 coutumier continue à coexister avec les Protocoles additionnels, notamment

20 si l'on tient compte du fait que les Statuts des tribunaux pénaux

21 internationaux ont eu tendance à adopter des dispositions assez semblables

22 à celles que nous décrivons ici.

23 Sur ces mots, j'en suis arrivé au terme de mon exposé s'agissant des

24 concepts de savoir et d'avoir des raisons de savoir. J'aimerais, avant de

25 passer à la suite de mon exposé, Monsieur le Président, Messieurs les

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1 Juges, savoir si vous avez des questions.

2 M. Bennouna: Oui. Maître, j'ai une question à vous poser. Vous avez évoqué

3 la question, la jurisprudence Blaskic où il est question de négligence

4 "the absence of knowledge is the result of negligence". Est-ce que, selon

5 vous, puisque vous avez aussi évoqué le droit coutumier, ceci recoupe la

6 théorie de la "due diligence", c'est-à-dire la doctrine de la

7 responsabilité, justement, pour négligence, pour défaut d'avoir adopté les

8 mesures nécessaires, ce que l'on appelle donc la théorie, la doctrine de

9 la "due diligence" en droit international? C'est ma question.

10 M. Fenrick (interprétation): Eh bien, oui, Monsieur le Juge, c'est

11 effectivement la position que nous adoptons. D'après nous si, pour

12 utiliser les termes du Protocole additionnel I, si l'on considère

13 l'ampleur de la connaissance de ce critère de la connaissance, et si l'on

14 considère que cette ampleur ne peut être évaluée que s'il y a

15 effectivement absence de conformité aux devoirs d'information, information

16 du commandant qui est en fonction, eh bien il y a effectivement la

17 nécessité, pour le commandant, d'assumer l'obligation qui lui demande de

18 prendre toutes les mesures pratiques lui permettant de s'assurer que ses

19 forces armées agissent conformément à la loi.

20 Dans le cadre de ses responsabilités, il doit notamment s'assurer que ses

21 forces sont entraînées de façon adéquate. Il doit également mettre sur

22 place un mécanisme de rapport des événements, et il doit s'assurer que ce

23 mécanisme fonctionne de façon appropriée. Le supérieur hiérarchique ne

24 peut pas juste prendre la parole pour dire: "Ecoutez, moi, j'étais de

25 l'autre côté de la barrière, j'étais en train de m'occuper de la guerre,

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1 de la formation, et je ne faisais pas attention à ce que faisaient mes

2 hommes, à ce qu'ils faisaient notamment quant au traitement qu'ils

3 réservaient aux prisonniers".

4 La responsabilité du supérieur hiérarchique est d'être informé. Cela ne

5 veut pas dire qu'il y a un critère très strict de responsabilités qui

6 s'applique ici en toute circonstance. Mais cela veut dire qu'effectivement

7 le commandant, homme ou femme, doit essayer d'établir un système qui lui

8 permet de se tenir informé du mieux qu'il le peut. S'il n'applique pas ce

9 type de mécanisme et si, du fait d'absence d'un tel mécanisme, il n'est

10 pas informé du fait que certains faits ont été commis ou sont sur le point

11 d'être commis. Alors, de façon générale, je dis que oui, cet homme ou

12 cette femme, ce commandant peut être tenu pénalement responsable pour ne

13 pas avoir mis en place ce type de mécanisme et pour ne pas avoir rempli

14 cette obligation. Mais gardons bien à l'esprit ce critère du devoir.

15 M. Bennouna: Merci.

16 M. Pocar (interprétation): Monsieur Fenrick, je reprends ce que vient de

17 dire mon éminent collègue, le Juge Bennouna.

18 En répondant à la question qui vous a été posée, vous avez précisé que

19 vous ne vous référiez pas au critère de la responsabilité au sens le plus

20 strict. Vous vous basez plutôt sur le concept de la négligence. J'aimerais

21 savoir quelle est la distinction que vous établissez entre ces deux

22 notions. Parce que je me demande s'il ne serait pas nécessaire de

23 démontrer qu'il y a eu négligence, mais de le montrer en des termes très

24 précis. Parce que si vous ne voulez pas appliquer le critère strict de la

25 responsabilité, il vous faut définir de façon assez précise ce qu’est pour

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1 vous la négligence. Est-ce que vous voulez faire un commentaire sur la

2 distinction que vous établissez?

3 M. Fenrick (interprétation): Ce que vous venez de dire est très juste,

4 Monsieur le Juge, mais ce que je dirai moi c’est que l'on peut établir

5 qu’il y a eu négligence en se basant sur des éléments de preuve indirecte.

6 De la même façon que l'on peut établir, grâce à des éléments de preuve

7 indirecte, que l'accusé ou que le supérieur hiérarchique devait forcément

8 savoir. Dans le jugement de Celebici, il y a discussion de ce critère de

9 la preuve qu'il y avait connaissance spécifique des faits par le biais

10 d'éléments de preuve indirecte. Et il y a une liste de critères que l'on

11 peut consulter pour essayer de savoir si, sur la base d'éléments de preuve

12 indirecte, l'accusé avait connaissance des faits qui étaient perpétrés.

13 Moi, ce que je dis, c’est que des éléments de preuve de cette nature

14 peuvent également suffire lorsqu'il s'agit de démontrer, si oui ou non,

15 l'accusé aurait dû savoir, telle que cette expression a été citée dans le

16 cadre du jugement Blaskic. Et puis, d'un point de vue plus pratique, on

17 peut se demander si le commandant ou l'accusé avait à sa disposition des

18 éléments d’information qui auraient pu lui être transmis par le biais de

19 ce mécanisme d'information dont je parlais.

20 M. le Président (interprétation): Je vous interromps, je crois qu'il est

21 temps de prendre une pause.

22 M. Fenrick (interprétation): Mais, ne vous faudrait-il pas ajouter à la

23 réponse que vous avez donnée au Juge Pocar le fait que le système qu'il

24 aurait dû mettre sur pied aurait dû lui permettre de savoir que des

25 offenses étaient commises? Il devrait y avoir un lien factuel, un lien de

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1 cause à effet entre le fait de ne pas s'être tenu au courant de ce que qui

2 se passait et le fait d'être à même d'intervenir et d'empêcher que ces

3 choses soient perpétrées.

4 Un peu plus tôt, Monsieur le Juge, j’ai expliqué qu’il ne fallait pas

5 seulement que ce système d’information devait être établi mais il fallait

6 également s'assurer qu'il fonctionnait de façon efficace.

7 M. le Président (interprétation): Oui, mais vous devez démontrer que s'il

8 fonctionnait, il aurait dû être informé. C'est ça que je voulais vous

9 dire. Nous suspendons et nous reprendrons dans une demi-heure.

10 (L'audience, suspendue à 11 heures 34, est reprise à 12 heures.)

11 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Morrison?

12 M. Morrison (interprétation): Monsieur le Juge, je me suis entretenu avec

13 l'accusation, comme vous me l'aviez recommandé. Le résultat est le

14 suivant. Au nom de l'appelant Mucic, nous formulons la demande suivante:

15 pour ce qui est de son cas particulier, pour ce qui est des questions y

16 afférant nous demandons à ce qu'une décision finale ne soit pas rendue par

17 la Chambre d'appel jusqu'à ce que nous ayons eu la possibilité de passer

18 en revue tous les documents sur laquelle l'accusation choisira peut-être

19 de s'appuyer.

20 Par la suite, nous demanderons à être autorisés à déposer les requêtes qui

21 nous sembleront nécessaires, après examen desdits documents. On me signale

22 que tous ces documents sont entre les mains des traducteurs à l'heure

23 actuelle. Douze traducteurs travaillent sur ces documents, la plupart

24 d'entre eux ne sont pas plus longs que ceux qui vous ont déjà été soumis

25 ce matin, nous parlons donc de documents de deux ou trois pages.

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1 Personne ne peut se prononcer précisément sur le temps qu'il sera

2 nécessaire jusqu'à l'obtention des documents traduits. Peut-être que

3 l'accusation obtiendra des précisions au fil des heures, mais je formule

4 la demande suivante que l'on essaie le plus rapidement de faire traduire

5 ces documents et de nous les faire parvenir.

6 M. le Président (interprétation): Il va falloir donner un délai à

7 l'accusation, bien sûr si nous choisissons de lui permettre de garder un

8 certain nombre d'options ouvertes. Donc, le délai qui lui sera imposé sera

9 également le vôtre. Vous aurez un délai dans le cadre duquel vous devrez

10 modifier vos motifs d'appel. Mais je vous remercie de votre intervention,

11 Maître Morrison.

12 Maître Ackerman, c'est à vous.

13 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Juge, ce que nous avons vu ce

14 matin est d'après moi la face immergée de l'iceberg. Nous aurons sans

15 doute de gros problèmes à affronter. D'après moi, la Chambre doit décider

16 du moment où l'affaire est déclarée close. La situation qui prévaut en ex-

17 Yougoslavie, à l'heure actuelle, est telle qu'il est tout à fait

18 envisageable que, pour chacune des affaires entendues par ce Tribunal, il

19 y ait à un moment donné, après jugement de la Chambre de première instance

20 ou après arrêt de la Chambre d'appel, possibilité de découvrir des

21 documents supplémentaires qui auraient pu s'avérer pertinents dans le

22 cadre de telle ou telle procédure. C'est la nature même des affaires qui

23 le veut.

24 J'en veux pour preuve les difficultés auxquelles nous sommes confrontées

25 lorsque nous essayons d'obtenir des documents de l'ex-Yougoslavie. Nous

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1 savons que pour chacune des affaires qui intéressent ce Tribunal, il y a

2 des documents quelque part en ex-Yougoslavie qui s'avéraient utiles au

3 moment où la Chambre de première instance doit rendre sa décision. Mais

4 dans l'intérêt de ce Tribunal, je crois qu'il y a un moment où les Juges

5 doivent prendre la parole et dire: "qu'il y ait des documents

6 supplémentaires ou pas, cela nous est égal". A moins qu'il y ait un cas

7 dans lequel il existe effectivement des documents cruciaux qui indiquent

8 qu'une personne condamnée est en fait innocente. Bien sûr, dans ce cas

9 précis, il faudrait intervenir, mais à l'heure actuelle et dans la

10 situation actuelle, je ne crois pas qu'il serait avisé pour les Juges de

11 la Chambre d'appel de décider que l'affaire ne doit pas être close.

12 Vous devez établir un précédent.

13 M. le Président (interprétation): Tout ce que vous soulevez, Maître

14 Ackerman, serait parfaitement pertinent dans le cadre d'une décision qui

15 serait prise lorsque l'accusation décidera officiellement de verser au

16 dossier ces nouveaux éléments de preuve.

17 M. Ackerman (interprétation): J'en suis conscient, Monsieur le Juge, mais

18 j'ai l'impression qu'il est de mon devoir de m'opposer en mon nom propre

19 et au nom de mes collègues à la demande de l'accusation.

20 M. le Président (interprétation): Nous en prenons note.

21 Maître Farrell, vous avez la parole.

22 M. Farrell (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Juge, une ou deux

23 choses simplement. La première chose, c'est que le service de la

24 traduction nous a informés du fait que le vendredi 23 juin serait sans

25 doute la date à laquelle les documents seraient disponibles dans leur

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1 version traduite. Donc, dans trois semaines à peu près.

2 M. le Président (interprétation): Cela, c'est pour les 145 documents de

3 deux ou trois pages?

4 M. Farrell (interprétation): Oui, je crois que c'est pour ces documents-

5 là.

6 M. le Président (interprétation): Est-ce qu'il y a douze traducteurs qui

7 travaillent dessus?

8 M. Farrell (interprétation): Non, je crois qu'il y a eu une petite erreur.

9 Vous le savez, la section de traduction fait partie du Tribunal et c'est

10 au Bureau du Procureur qu'il revient de classer les documents. Le Bureau

11 du Procureur a placé douze de ses collaborateurs dans la pièce où sont

12 conservés les éléments de preuve afin qu'une classification soit menée à

13 bien. C'est de ces douze personnes dont nous avons parlé tout à l'heure,

14 nous nous sommes trompés en disant qu'il s'agissait de douze traducteurs.

15 M. le Président (interprétation): Et combien de temps nous faut-il

16 prévoir?

17 M. Farrell (interprétation): La section de traduction nous a donné le

18 délai dont je vous ai informé. Il lui faut de toute façon obtenir les

19 documents dans un certain ordre de classification. Nous essayons de

20 subvenir à leur demande. C'est tout ce que je peux vous dire.

21 M. le Président (interprétation): Mon Dieu, la date du 23 juin semble bien

22 lointaine, Maître Farrell!

23 M. Farrell (interprétation): Je peux essayer d'obtenir un délai plus

24 court.

25 M. le Président (interprétation): Si ces documents étaient lus en

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1 audience, les interprètes pourraient nous en donner une version dans les

2 moments qui suivraient, n'est-ce pas?

3 M. Farrell (interprétation): Peut-être que c'est le cas, mais je ne peux

4 pas me prononcer là-dessus. Le problème, vous comprenez, c'est qu'il y a

5 1,5 millions de documents qui sont en train d'être classés au vu de

6 traductions et, à moins que cette affaire soit considérée comme une

7 affaire prioritaire, je ne sais pas si nous pourrons obtenir un délai plus

8 court. Mais je peux peut-être essayer de me pencher sur la question

9 pendant la pause déjeuner.

10 M. le Président (interprétation): Oui, je crois que ce serait une bonne

11 idée.

12 M. Farrell (interprétation): Je le ferai, Monsieur le Juge Hunt.

13 Est-ce que vous voulez que je me prononce également sur les autres

14 arguments qui ont été soulevés par mes collègues de la défense?

15 M. le Président (interprétation): Allez-y.

16 M. Farrell (interprétation): Pour ce qui est de ce qui a été dit par Me

17 Morrison. Il nous dit que, d'après lui, ces documents sont très proches de

18 ceux qu'il a essayé d'obtenir et par conséquent, il souhaite que l'affaire

19 ne soit pas close. Mais au vu des formulations qu'il a utilisées, il

20 s'agit sans doute effectivement de documents très importants qui sont à

21 même d'avoir une influence considérable sur la phase ultérieure de la

22 procédure.

23 M. le Président (interprétation): Eh bien, bien sûr qu'il peut décider de

24 modifier son motif d'appel. Et je crois qu'il a fait spécifiquement

25 référence à cette question de la responsabilité du supérieur hiérarchique

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1 mais il faut savoir si Me Morrison est en position de considérer que ces

2 documents sont des éléments de preuves qui sont versés au dossier parce

3 qu'il faut qu'il puisse s'appuyer sur eux dans le cadre de son

4 argumentation, au titre du motif 9.

5 M. Farrell (interprétation): C'est le motif 7.

6 M. le Président (interprétation): Très bien. Je ne m'oppose pas au fait

7 que nous lui donnions un délai supplémentaire pour aborder cette question

8 de son argumentation. Mais est-ce qu'il va avoir la possibilité de

9 considérer, d'examiner ces documents?

10 M. Farrell (interprétation): Il y a peut-être eu un malentendu entre Me

11 Morrison et moi-même pour ce qui est de l'application de l'article 115. Il

12 s'agit d'abord de savoir si une erreur a été commise au niveau du procès

13 qui a été entendu en première instance et là nous parlons à la fois

14 d'erreur de fait et d'erreur de droit.

15 Et puis la deuxième question qui se pose qui est de savoir si, au titre de

16 l'article 115 du Règlement, des moyens de preuve nouveaux pourraient faire

17 que le jugement n'est pas un jugement valable, ne peut pas être considéré

18 comme un bon jugement. Les motifs d'appel sont suffisants ou insuffisants,

19 mais il faut avoir à l'esprit cette question supplémentaire qui est la

20 suivante: "si on prend en compte les nouveaux éléments de preuve, est-ce

21 que ces nouveaux faits pourraient avoir eu une influence sur le jugement

22 qui a été rendu? Si c'est effectivement le cas, alors il ne convient pas

23 que vous vous prononciez à nouveau sur tous les faits qui ont fait l'objet

24 du procès. Il s'agit simplement de se prononcer sur la validité du

25 jugement et éventuellement de se tourner à nouveau vers la Chambre de

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1 première instance pour que le procès soit réexaminé.

2 M. le Président (interprétation): Mais si c'est le cas, nous n'avons pas à

3 nous prononcer sur le fait de savoir si la Chambre de première instance a

4 fait une erreur de fait, sur la base des documents qui lui ont été soumis.

5 M. Farrell (interprétation): Oui, mais si vous prenez la décision

6 contraire, si vous décidez qu'il y a effectivement eu erreur de fait, vous

7 renvoyez toute l'affaire devant la Chambre de première instance.

8 M. le Président (interprétation): Effectivement.

9 M. Farrell (interprétation): Maintenant, pour ce qu'a dit Me. Ackerman,

10 nous comprenons bien ce qu'il veut dire lorsqu'il dit qu'il faut savoir

11 tirer un trait et établir une limite à la durée d'une affaire. De façon

12 générale, nous sommes d'accord avec lui. Mais nous avons le Règlement de

13 procédure et de preuve qui établit exactement quelles sont les procédures

14 qui doivent être suivies devant cette Chambre, notamment. Et l'article 115

15 précise exactement ce qu'il en est, de même que les articles 119 et 120 du

16 Règlement. Donc, si la Chambre d'appel n'invoque pas l'article 127 du

17 Règlement pour prendre une décision qui va dans le sens de ce qui est dit

18 dans ledit article, et bien moi je dis, que nous essayons simplement

19 d'obtenir la bonne décision sur ces documents. Des documents qui ont été

20 trouvés, il y a très peu de temps et des documents qui effectivement ne

21 tombent pas dans le délai qui est prescrit par le Règlement, le délai de

22 15 jours. Mais, est-ce qu’on ne peut pas simplement les admettre?

23 M. le Président (interprétation): Eh bien, c'est à vous de choisir ce que

24 vous voulez faire au moment où vous en ferez la demande formelle.

25 M. Farrell (interprétation): Effectivement, il faudra essayer de savoir

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1 également s'il y a eu, si toutes les mesures qui auraient dû être prises

2 ont été prises à l'époque des faits. Merci.

3 M. le Président (interprétation): Mais si nous vous donnons la permission

4 de vous ménager un certain nombre d'options, nous vous opposerons des

5 délais très stricts. Et je crois que, là, la question de la traduction des

6 documents se pose de façon très aiguë.

7 M. Farrell (interprétation): Effectivement.

8 M. le Président (interprétation): Il faut essayer de voir si on ne peut

9 pas obtenir ces documents d'ici la fin de la semaine.

10 M. Farrell (interprétation): Je vais m'en enquérir.

11 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Président, est-ce que je peux

12 rajouter quelque chose?

13 M. le Président (interprétation): Je vous en prie.

14 M. Ackerman (interprétation): Si la Chambre d’appel décide qu’il faut

15 effectivement permettre à l’accusation de se ménager certaines options,

16 nous, nous demanderons qu'une ordonnance soit rendue qui demande que ces

17 documents soient immédiatement transmis à la défense sous leur forme

18 traduite ou pas. Nous nous contenterons des documents originaux en BCS,

19 dès lors que ceux-ci peuvent nous être remis immédiatement. Et lorsque les

20 documents auront été traduits en anglais, nous en demanderons la

21 communication.

22 M. le Président (interprétation): Très bien.

23 M. Farrell (interprétation): Pour que ce qui est des deux questions que

24 vous m'avez posées, Monsieur le Juge Hunt, mon assistant juridique m'a

25 indiqué qu'il avait demandé à la section de traduction quelle était la

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1 date à laquelle les documents pourraient être remis au plus tôt. Il semble

2 que cette date est celle du 19 juin parce qu'il faut également compter le

3 délai nécessaire à la révision de la traduction. Il faudra que ces dates

4 soient confirmées mais je vous fais part des informations qui viennent de

5 m'être communiquées.

6 M. le Président (interprétation): Je suis sûr que la traduction peut faire

7 mieux.

8 M. Farrell (interprétation): Je ferai part de vos préoccupations à la

9 section de traduction. Pour ce qui est de la communication immédiate des

10 documents dans leur version originale, eh bien j'aurai quelques

11 commentaires à faire.

12 Tout d'abord, tous les documents n'ont pas été examinés, vous en êtes bien

13 conscients. Et l'accusation a pour devoir de s'assurer que certains

14 documents ne doivent pas faire l'objet de certaines expurgations. Peut-

15 être qu'il y a dans ces documents des informations de nature assez

16 sensible.

17 M. le Président (interprétation): Et c'est là qu'intervient votre équipe

18 de douze personnes?

19 M. Farrell (interprétation): Précisément. D'après ce que j'ai compris ici,

20 il n'est pas habituel de demander la communication de documents qui n'ont

21 pas fait l'objet d'une décision quant à leur pertinence ou quant à leur

22 importance. D'autre part l'accusation, je le précise, ne s’est pas encore

23 prononcée sur l'importance qu'elle souhaite attribuer à ces documents.

24 D'après nous, jusqu’à ce que nous ayons eu le temps d'examiner

25 l’intégralité de ces documents et de nous prononcer sur leur importance,

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1 nous demandons qu'il n'y ait pas communication des documents originaux, en

2 tout cas pas pour l'instant.

3 M. le Président (interprétation): Je vous propose la chose suivante: vous

4 donnez à la défense ce dont vos douze enquêteurs ont déjà pu s'occuper et

5 au fur et à mesure que vos enquêteurs continuent de vous faire parvenir

6 des documents qui vous semblent intéressants, eh bien, vous nous les

7 soumettez et vous vous prononcez sur leur importance.

8 M. Farrell (interprétation): Dès lors que nous demandons leur versement au

9 titre de l'article 115, Monsieur le Président, dès lors que nous évoquons

10 l'article 115, alors oui, nous les communiquerons.

11 M. le Président (interprétation): Non, moi je me disais qu'il fallait

12 également garder à l'esprit ce que voulait M. Mucic qui considère que

13 certains de ces documents sont absolument cruciaux... Je me repose à la

14 fois sur ce qu'a dit Me Morrison et sur ce qu’a dit Me Ackerman.

15 M. Farrell (interprétation): Mais il faut déjà savoir quels sont les

16 documents qui nous semblent être ceux qui ont le plus d'importance. Et il

17 faut également nous assurer que ces documents ne contiennent rien qui

18 doivent faire l'objet d'une expurgation. Il y a des personnes qui

19 travaillent à temps complet sur ces documents. Alors dès lors que nous

20 sommes à même de nous prononcer sur l’exacte teneur de ces document, nous

21 tâcherons d'accéder à votre demande. Oui, Monsieur le Président.

22 M. Bennouna: Maître Farrell, vous comprenez bien que la Chambre d'appel

23 doit avoir au moins la liste des documents que vous voulez introduire

24 comme moyen de preuve supplémentaire. Nous ne pouvons pas vous attendre

25 comme une espèce de machine qui sortirait des documents au fur et à

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1 mesure, ça ce n'est pas possible. C’est à dire que nous devons, à un

2 moment donné, nous prononcer. D'abord accepter que les moyens de preuves

3 supplémentaires, comme le prévoit l'article 115, soient présentés hors des

4 délais, ce qui est une décision d'opportunité qui revient à la Chambre

5 d'appel. Et ensuite, vous donnez un délai supplémentaire pour la

6 présentation à travers un agenda précis. Pour cela nous devons avoir la

7 liste de ces moyens de preuve supplémentaire même si nous n'avons pas la

8 traduction pour l'instant.

9 Donc vous devez vous arranger dans les meilleurs délais pour nous donner

10 la liste des documents que vous comptez présenter comme moyens de preuve

11 supplémentaire, en vue de nous permettre de prendre la décision vous

12 autorisant à les présenter en dehors des délais prévus par l'article 115.

13 C’est clair que notre décision ne peut pas être prise si nous n'avons pas

14 la liste et une indication sur le contenu de ce document, même résumé.

15 Alors pour ça, cela ne nécessite ni une équipe de douze ni une équipe de

16 cent, cela nécessite que vous ayez quelqu'un qui pratique le BCS et qui

17 puisse vous traduire le contenu à vous, pour savoir si ce contenu est

18 pertinent ou non. Et pour savoir si vous allez retenir ou non tel

19 document. Et ceci doit être fait dans la semaine, il est bien entendu,

20 pour permettre à la Chambre d'appel de prendre sa décision. Nous ne

21 pouvons pas prendre une décision laissant une affaire ouverte dans le

22 vide. Vous comprenez bien que l'on ne peut pas vous laisser un chèque en

23 blanc, c’est ce qu’on appelle un chèque en blanc. Et personnellement je

24 m'y opposerai.

25 M. Farrell (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Juge. Nous

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1 tâcherons bien entendu de vous faire parvenir dans la mesure du possible

2 un sommaire du contenu de ces documents, mais très franchement jusqu’à ce

3 que nous soyons à même de nous décider sur le fait de savoir si, oui ou

4 non, nous devons déposer au titre de l'article 115, nous ne pouvons pas

5 communiquer ces documents, les divulguer. Oui, je vais tâcher de ralentir

6 un peu. Tant que nous ne prenons pas cette décision, il ne nous paraît pas

7 approprié de communiquer des documents qui prouveront ou ne prouveront pas

8 la culpabilité de l'accusé. Je ne dis pas que la Chambre d’appel ne peut

9 pas se prononcer toute seule. Je ne dis pas qu’elle va être influencée en

10 quelque manière que soit par ces documents.

11 La Chambre d'appel se prononcera à la lumière de ce qui a été entendu lors

12 du procès, à la lumière de ce que nous pouvons ajouter ici dans le cadre

13 de la procédure d'appel. Mais tant que nous ne rendons pas une décision,

14 nous l’accusation, au titre de l'article 115, et je tiens bien compte des

15 préoccupations qui sont celles du Juge Bennouna, nous ne pensons pas qu’il

16 soit une bonne chose de communiquer ces documents.

17 M. le Président (interprétation): Je partage les préoccupations exprimées

18 par le Juge Bennouna. Je ne peux pas accepter le fait que vous ayez une

19 équipe de douze personnes qui ne fassent que numéroter ces documents, que

20 classifier ces documents. Ces personnes travaillent sur ces documents

21 depuis deux jours simplement pour les numéroter. Certainement, ces

22 personnes commencent à avoir une petite idée de ce que contiennent ces

23 documents. Et je suis bien certain qu'un membre de l'équipe juridique du

24 bureau du Procureur peut se pencher sur ces documents pour essayer de vous

25 permettre de prendre une décision beaucoup rapidement.

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1 Il y a des documents, cinq documents, dont vous dites qu'ils sont peut-

2 être très pertinents pour ce qui est de l'affaire qui nous intéresse ici.

3 Je ne dis pas le contraire, ils semblent effectivement très intéressants,

4 mais il me semble que quelqu'un qui aurait fait la synthèse du travail des

5 douze enquêteurs serait à même de se forger une opinion et de vous aider à

6 prendre une décision quant au fait de savoir si, oui ou non, vous allez

7 faire la demande au titre de l'article 115. Vous ne pouvez pas vous

8 reposer sur ces raisons bureaucratiques que vous avancez.

9 M. Farrell (interprétation): Eh bien, l'accusation fera tout son possible

10 pour vous informer de sa décision d'ici la fin de la semaine.

11 M. le Président (interprétation): Oui mais nous, nous voulons nous

12 prononcer aujourd'hui sur le fait de savoir si l'accusation a, oui ou non,

13 l'autorisation de se ménager un certain nombre d'options. La décision doit

14 être, je crois, rendue aujourd'hui. Sinon, vous allez retarder l'évolution

15 des débats. Nous ne voulons pas rendre cette décision demain.

16 Je propose donc qu'après le déjeuner vous nous fassiez parvenir des

17 éléments d'information supplémentaires.

18 M. Farrell (interprétation): Je tâcherai de le faire.

19 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Juge, permettez-moi

20 d'intervenir. Pour ce qui est de cette question de la communication des

21 documents, l'article 66bis est l'article que l'accusation souhaite peut-

22 être utiliser, mais il me semble...

23 M. le Président (interprétation): Oui, je crois que l'accusation accepte

24 parfaitement ce qui est dit par ledit article: il dit simplement que

25 l'équipe juridique du Bureau du Procureur doit faire une décision sur ces

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1 documents. Et cette décision sera peut-être facilitée par le travail des

2 douze enquêteurs.

3 M. Ackerman (interprétation): Mais j'espère que nous ne sommes pas à des

4 semaines de cette décision!

5 M. le Président (interprétation): Je peux vous assurer que nous ne sommes

6 pas à des semaines de cette décision. Je m'en assurerai personnellement.

7 M. Ackerman (interprétation): Merci.

8 M. le Président (interprétation): Maître Fenrick, vous avez à nouveau la

9 parole. Je souhaiterais d'entrée de jeu vous poser une question sur cette

10 notion du savait ou avait des raisons de savoir, ou aurait dû savoir. Est-

11 ce que l'accusation a modifié son argumentation sur cette question précise

12 après examen de ces documents qui pourraient ou pas avoir un lien avec

13 cette question de la responsabilité directe ou du contrôle direct?

14 Vous avez fait de tout ceci un exercice purement théorique, académique,

15 mais qu'en est-il exactement?

16 M. Fenrick (interprétation): Eh bien, Monsieur le Juge, je crois que tout

17 ceci n'a pas un lien direct avec l'un quelconque des accusés dans cette

18 affaire.

19 M. le Président (interprétation): Il s'agit donc d'un exercice purement

20 académique, important assurément, mais un exercice théorique et

21 académique?

22 M. Fenrick (interprétation): Tout à fait.

23 M. le Président (interprétation): Qui n'a pas de lien direct avec les

24 questions qui nous concernent ici?

25 M. Fenrick (interprétation): Tout à fait. Et si vous n'avez pas d'autre

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1 question, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, sur cette notion du

2 savoir ou avait des raisons de savoir, j'aimerais en venir à la question

3 des mesures nécessaires et raisonnables, et à la capacité de pouvoir

4 empêcher ou sanctionner certains actes.

5 D'après nous, certaines des Chambres de première instance de ce Tribunal

6 ont décidé que des mesures raisonnables ou nécessaires, qui sont

7 susceptibles d'être prises par un supérieur hiérarchique, sont des mesures

8 qui se trouvent dans la limite des compétences de ce dernier. Bon. Tout

9 dépend des circonstances particulières de telle ou telle affaire. Peut-

10 être que, dans certaines circonstances, l'obligation d'empêcher ou de

11 sanctionner peut être satisfaite par le simple fait de faire état d'une

12 situation aux autorités compétentes.

13 Mais, dans nombre de systèmes militaires à l'heure actuelle, Monsieur le

14 Président, Messieurs les Juges, des efforts très conscients sont faits qui

15 visent à séparer le système de la justice militaire de l'influence que

16 serait susceptible d'exercer le commandement militaire. Et dans de telles

17 circonstances, dès lors que l'on parle d'un commandant, on parle de

18 quelqu'un qui a la compétence nécessaire pour sanctionner un accusé. Dans

19 la situation inverse, le commandant n'a pas la compétence lui permettant

20 de prendre des mesures de sanction et, par conséquent, il n'est pas

21 considéré comme un commandant ou comme quelqu'un qui occupe une position

22 de responsabilité hiérarchique.

23 Dans nombre de systèmes, il serait considéré comme parfaitement normal

24 d'avoir le système militaire judiciaire qui fonctionnerait de façon

25 totalement séparée du système du commandement hiérarchique. Il y aurait

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1 donc, dans ce cadre, possibilité pour une partie de déposer une plainte

2 relative à tel ou tel niveau de commandement et de responsabilité.

3 Et si on prend l'exemple d'un général, par exemple, eh bien peut-être que

4 ce général ne sera pas autorisé à prendre des sanctions vis-à-vis de tel

5 ou tel auteur d'un acte. Voilà ce que l'on peut dire, il y a différentes

6 situations qui se présentent, et c'est tout ce que je peux dire sur cet

7 aspect précis de la question de la responsabilité du supérieur

8 hiérarchique.

9 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Nous allons maintenant

10 nous tourner vers Me Moran qui doit répondre à tout ce qui a été dit.

11 M. Farrell (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Juge, d'intervenir à

12 nouveau. Je ne veux pas essayer d'obtenir vos faveurs, mais les motifs

13 d'appel relatifs à l'article 7.3 tels qu'ils apparaissent dans le document

14 qui fait état des grandes lignes de notre argumentation, ce que je veux

15 dire, c'est que, dans ce document, nous invoquons le 7.3 et son

16 implication en matière de responsabilité de commandement pour ce qui est

17 des questions qui ont été soulevées par M. Fenrick.

18 Mais il y a d'autres motifs d'appel, les motifs 2 et 3, qui n'ont pas fait

19 l'objet d'une démonstration par M. Fenrick. Monsieur Fenrick a parlé

20 simplement du point de vue juridique. Or, le deuxième motif d'appel a

21 trait à l'application de la loi aux faits qui sont au coeur de cette

22 affaire.

23 M. le Président (interprétation): Donc en fait, ce que vous nous dites,

24 c'est que c'est à vous de prendre la parole, que vous prenez le relais,

25 que c'est à vous qu'il revient maintenant de prendre la parole?

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1 M. Farrell (interprétation): Eh bien, oui, tout à fait.

2 M. le Président (interprétation): Eh bien, si j'avais su, je n'aurais pas

3 commencé par donner la parole à Me Moran auprès de qui je m'excuse,

4 d'ailleurs. C'est à Me Farrell de s'exprimer.

5 J'ai en effet examiné la synthèse et le plan de vos interventions, et je

6 comprends bien ce que vous venez de nous dire.

7 M. Farrell (interprétation): Oui, mais j'aurais sans doute dû dire à M.

8 Fenrick de vous prévenir dès le départ, cela aurait été plus clair. Je

9 vais donc essayer d'être aussi concis que possible, tout en parlant à un

10 débit raisonnable.

11 Le motif n°2, c'est une application du droit présentée par M. Fenrick aux

12 faits qui nous intéressent en l'espèce. Quand il y a une conclusion, si

13 vous estimez qu'il y a une erreur au niveau du droit, il y a deux

14 solutions. Premièrement, si l'on se base sur les faits, si l'on estime

15 qu'il ne peut y avoir d'autres conclusions que la culpabilité, à ce

16 moment-là nous estimons qu'il devrait y avoir verdict de condamnation. Si

17 les faits ne sont pas suffisants pour conclure à la culpabilité, s'il y a

18 équivoque, ambiguïté et erreur au niveau du droit, à ce moment-là il faut

19 renvoyer cela devant la Chambre de première instance.

20 En ce qui concerne le motif n°2, notre position est la suivante. Si l'on

21 estime les faits tels qu'ils ont été déterminés, nous estimons que, à ce

22 moment-là, en utilisant ce qui a été dit par M. Fenrick, il faut conclure

23 à la culpabilité.

24 Monsieur Fenrick a stipulé qu'une des erreurs, telles qu'elles sont

25 présentées par l'accusation au sujet du critère utilisé, c'est celle de la

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1 relation entre le subordonné et son commandant. Et comme il l'a indiqué,

2 il y a trois éléments qui entrent en compte pour déterminer cette

3 relation.

4 Premièrement, le supérieur a un contrôle effectif sur les personnes

5 responsables des violations.

6 Deuxièmement, que ce contrôle effectif fait partie ou implique la

7 possibilité de sanctionner le crime commis ou l'offense commise.

8 Et troisièmement, que ce contrôle est aussi bien contrôle de fait que de

9 droit.

10 D'après nous, la Chambre de première instance a commis une erreur en ce

11 qui concerne la responsabilité de commandement de M. Delalic parce que la

12 Chambre semble se concentrer sur la nécessité de l'existence d'une chaîne

13 de commandement, d'une structure de commandement, rejetant ainsi

14 l'argumentation de l'accusation selon laquelle, dans certaines

15 circonstances, il existe des supérieurs qui ont une influence

16 considérable, des supérieurs qui peuvent empêcher la commission de crimes

17 et puis, qu'il y a également des circonstances où cette personne

18 n'appartient pas à une filière hiérarchique mais détient ce pouvoir.

19 Donc, en fait, en l'essence, la Chambre de première instance a insisté

20 pour qu'il y ait effectivement une chaîne de commandement et qu'il y ait

21 un lien direct et nous estimons que cette insistance portée par la Chambre

22 de première instance fait qu'elle a nié deux possibilités ou négligé deux

23 possibilités dont nous estimons qu'elles consistent la démarche qu'il

24 aurait fallu adopter.

25 Premièrement, qu'une personne peut toujours être considérée comme

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1 responsable, même s'il n'y a pas de chaîne de commandement en l'espèce ou

2 identifiable et formelle.

3 Ou deuxièmement, qu'il y a des circonstances dans lesquelles un supérieur

4 n'a pas de fonctions de commandement. Et malgré tout, ce supérieur doit

5 être considéré comme responsable.

6 Ces circonstances font que, à ce moment-là, il ne faut pas adopter la

7 définition très étroite de la Chambre de première instance entre les liens

8 en ce qui concerne le supérieur et son subordonné. M. Fenrick a fait

9 allusion à l'affaire Muto, à l'affaire des otages. Il faut bien entendu

10 examiner ces affaires mais il arrive que quelqu'un qui n'ait pas une

11 position de commandement soit pour autant considéré comme étant

12 responsable du point de vue pénal. Et nous avançons qu'il est absolument

13 essentiel de se souvenir que l'objectif de cette responsabilité de

14 commandement, présenté dans le protocole, c'est d'empêcher l'occurrence de

15 crime de guerre.

16 L'article 68.1 parle de l'obligation générale d'empêcher les violations.

17 D'après nous, il est tout à fait illogique, si on estime que des crimes de

18 guerre ont été commis, si on estime qu'une personne a suffisamment de

19 pouvoir, une responsabilité suffisante pour les empêcher, on estime qu'il

20 est illogique que cette personne ne soit pas considérée comme responsable.

21 En ce qui concerne Muto, cet officier d'état-major qui n'avait pas une

22 position de commandement, c'est tout à fait clair. Ces circonstances sont

23 peut-être extrêmement rares, mais dans les circonstances où ces personnes

24 peuvent empêcher que ces crimes soient commis, cette position de M.

25 Fenrick a trait à M. Delalic. Donc, au sujet des faits en ce qui concerne

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1 M. Delalic, je souhaite insister sur la chose suivante: il est juste que,

2 dans le mémoire d'appel de l'accusation, nous avançons que la Chambre

3 d'appel peut faire soit une chose soit l'autre. Soit se baser sur les

4 faits tels qu'il ont été déterminés, soit sur des éléments de preuve qui

5 n'ont pas été rejetés par la Chambre de première instance. C'est ce

6 deuxième aspect des choses que je souhaite évoquer rapidement maintenant.

7 Nous estimons que le jugement pose problème parce que, dans ce jugement,

8 la Chambre de première instance fait des conclusions sur les faits mais ne

9 va pas au bout de sa logique. Par exemple, en ce qui concerne les éléments

10 de preuve au sujet de M. Grubevic, la Chambre reconnaît que le Dr Grubevic

11 a été libéré, qu'il y a eu un ordre de remise en liberté qui a été signé

12 par M. Delalic. On ne fait nullement référence, dans la déposition de M.

13 Grubevic, qu'il savait que c'était Delalic qui allait le libérer. On ne

14 fait pas référence à cela dans les faits et je me fais référence ici au

15 compte-rendu d'audience. Il n'y a pas de référence au fait que la femme de

16 cet homme est allée voir Delalic lui-même pour que son mari soit libéré.

17 Il semble donc qu'il y ait des éléments de preuves qui montrent que M.

18 Delalic avait un rôle à jouer, qu'il pouvait signer des documents

19 permettant de libérer des gens. Il est vrai qu'il ne les signait qu'au nom

20 de quelqu'un d'autre.

21 L'accusation souhaite soumettre la chose suivante: que la Chambre d'appel

22 pourrait tirer de nouvelles conclusions sur les faits, sur des moyens de

23 preuve qui n'ont pas été rejetés ou pas été contredits. Après l'arrêt dans

24 Tadic et la décision Aleksovski, l'accusation estime que la Chambre

25 d'appel ne peut pas intervenir et tirer des conclusions sur les faits.

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1 Lorsqu'il doit y avoir intervention sur les faits, nous estimons que la

2 Chambre d'appel doit pouvoir intervenir au moins dans trois cas. A savoir

3 que personne n'aurait pu tirer les conclusions qui ont été tirés par la

4 Chambre de première instance, ceci apparaît dans Tadic et Aleksovski,

5 aussi bien d'ailleurs dans l'opinion individuelle du Juge Shahabuddeen.

6 C'est un critère habituellement utilisé pour savoir si les conclusions

7 d'une Chambre ou d'un Tribunal sont erronées. Nous estimons donc que

8 lorsqu'il y a une seule conclusion que l'on peut tirer d'un fait et que ce

9 n'est pas cette conclusion qui a été tirée par le Tribunal, à ce moment-

10 là, il y a eu erreur.

11 Deuxième chose, que la Chambre de première instance n'ait pas pris en

12 compte des faits pertinents ou ait pris en compte des faits qui ne sont

13 pas pertinents. Et troisième, que ce soit des critères juridiques erronés

14 qui aient été appliqués aux faits présentés. Nous avançons que la Chambre

15 d'appel peut intervenir dans le cadre de ces trois options. Mais la

16 Chambre d'appel doit accepter les faits présentés par la Chambre de

17 première instance. Lorsque les parties avancent qu'il y a eu une erreur

18 sur les faits, et dans l'espèce, nous estimons que c'est le cas, que la

19 Chambre de première instance aurait dû prononcer la personne coupable, à

20 ce moment-là, nous estimons donc que la Chambre peut examiner tous les

21 éléments de preuve qui n'ont pas été rejetés par la Chambre.

22 Paragraphe 167, dans la décision Aleksovski, à moins qu'il ne soit

23 possible de déduire que la Chambre de première instance s'est formée une

24 vue sur d'autres faits que ceux qui ont été présentés, la Chambre d'appel

25 ne peut pas en tirer d'autres conclusions.

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1 Nous avançons que si on applique le droit tel qu'il a été présenté par M.

2 Fenrick, je vais maintenant faire référence aux fait tels qu'ils ont été

3 présentés dans la décision de la Chambre d'appel. En ce qui concerne M.

4 Delalic, les faits paraissent clairs. Il était civil dans la municipalité

5 de Konjic en avril, il n'avait aucune position officielle aussi bien dans

6 la structure civile que militaire mais, début mai, il recevait déjà

7 l'autorisation d'agir au nom de l'Etat pour essayer d'acheter des armes et

8 de l'équipement dans un autre Etat, à savoir la Croatie.

9 La Chambre de première instance a constaté que c'était quelqu'un qui avait

10 beaucoup d'influence. Et au bout d'un mois à peine ou deux mois après son

11 arrivée à Konjic, il a été nommé coordinateur dans la région. Et il avait

12 le pouvoir de coordonner directement le travail des forces de défense de

13 la municipalité de Konjic et de la présidence de guerre. Il intervenait

14 très couramment afin de faciliter le travail de la présidence de guerre

15 avec diverses formations militaires. Il a signé un document relatif à

16 l'ouverture de la ligne de chemin de fer entre Basajic et Jablanica et la

17 Chambre a conclu, il faut bien le dire, que ceci montre que le

18 coordinateur avait un pouvoir, avait une intervention concrète.

19 Mais d'après un des généraux de brigade qui a témoigné, il était

20 nécessaire qu'il appose sa signature sur les documents pour que ces

21 documents soient mis en œuvre. Monsieur Delalic a cordonné et a dirigé une

22 réunion de la commission d'enquête militaire en juin 1992.

23 La Chambre a jugé qu'il intervenait au nom d'un commandement supérieur

24 mais nous estimons que, dans ce cas-là, c'est lui qui dirige la réunion de

25 la commission, il donne lecture d'un ordre, il leur explique comment il

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1 convient de procéder à l'interrogatoire des détenus qui sont dans la

2 prison. Tout ceci s'est passé alors qu'il était coordinateur, alors que

3 théoriquement il n'avait pas d'autorité de fait ou de droit dans la

4 prison. Mais en fait, il avait des fonctions au sein de la prison de

5 Celebici et ceci n'a absolument rien à voir avec ses fonctions officielles

6 de coordinateur qui s'occupait de la logistique. Il a signé des ordres en

7 juillet 1992, des ordres aux fins de libérer des détenus. Nous l'avons

8 constaté et des ordres signés au nom du chef de la présidence de guerre et

9 ceci se passait au moment où il était coordinateur chargé de se procurer

10 des armes, des équipements, chargé de la logistique. La Chambre de

11 première instance a conclu que le responsable de la commission d'enquête

12 lui avait donné cette autorité et qu'il avait également l'autorité de

13 libérer des prisonniers.

14 Or, cela n'a rien à voir avec des fonctions de coordinateur, tout cela. Il

15 a été nommé à la tête du Groupe tactique I, comme cela a été conclu par la

16 Chambre. Il a assumé ses fonctions à partir de la fin juillet 1992, un

17 ordre d'ailleurs qui a été signé par le président de la Bosnie-

18 Herzégovine. Il avait des contacts avec le CICR qui se rendait dans les

19 prisons et qui faisait rapport sur la façon dont les prisonniers étaient

20 traités. Et une fois de plus, nous estimons que cela n'a absolument rien à

21 voir avec ses fonctions officielles puisque nous estimons qu'il était

22 commandant.

23 Nous estimons que la Chambre de première instance a utilisé le mauvais

24 critère pour déterminer si, oui ou non, il avait une fonction supérieure

25 du point de vue hiérarchique puisqu'on estimait qu'il ne pouvait pas être

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1 considéré comme coupable.

2 D'autre part, il a été conclu qu'il avait signé deux ordres au sujet de ce

3 qu'il fallait faire à Celebici, du 24 et du 28 août 1992. Ce sont des

4 ordres qui ont été délivrés par M. Delalic en tant que commandant du

5 Groupe tactique n°I à l'intention du commandement suprême, ou plutôt de

6 l'état-major de Konjic, et une copie a été adressée à l'administrateur de

7 la prison de Celebici.

8 Ces ordres ont trait au fonctionnement de la prison de Celebici, et dans

9 cet ordre, il indique que le commandant des forces armées de Konjic relève

10 de lui en ce qui concerne la mise en oeuvre de ces ordres.

11 Il a insisté également qu'il y avait un ordre à M. Mucic, ordre pour

12 mettre en place une commission de trois hommes qui étaient chargés

13 d'interroger les prisonniers. Une fois encore, la Chambre examine ces

14 documents et dit: "Oui, eh bien, il agissait au nom de quelqu'un d'autre.

15 Il n'avait pas d'autorité directe au niveau de la prison."

16 Nous avançons que M. Delalic, même s'il n'appartenait pas formellement à

17 la chaîne de commandement directe, eh bien, il faut se demander si ce

18 n'était pas quelqu'un qui avait une position d'autorité et dont on peut

19 dire qu'il avait en effet un contrôle effectif sur les personnes chargées,

20 responsables des délits et qu'il aurait pu punir.

21 Nous estimons que tout montre que ce n'était pas seulement quelqu'un qui

22 avait une fonction dans le domaine de la logistique et qui devait

23 participer à la levée du siège de Sarajevo. Il avait des fonctions au

24 niveau du commandement suprême à Sarajevo, de la présidence de guerre. Il

25 agit au nom de la commission d'enquête pour les prisonniers, il délivre

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1 des ordres au sujet du fonctionnement de la prison de Celebici. Il indique

2 que le commandement des forces armées à Konjic est responsable auprès de

3 lui, personnellement, pour mettre en oeuvre ses ordres. Et le seul moment

4 où on voit qu'il relève de quelqu'un, c'est que lui doit faire rapport au

5 commandement suprême à Sarajevo. Il donne des ordres au nom de la

6 commission d'enquête. Il fait rapport auprès des instances de Sarajevo.

7 Sur la base des faits qui ont été constatés par la Chambre de première

8 instance, on peut déduire que ses fonctions étaient telles qu'il exerçait

9 un pouvoir suffisant qui lui permettait d'empêcher ou de sanctionner des

10 infractions.

11 Bien entendu, il n'appartient pas à une chaîne de commandement formelle,

12 mais il est en relation avec toutes les instances qui comptent, dont la

13 présidence de guerre, notamment. Il fait rapport, il relève du

14 commandement de Sarajevo, il peut intervenir à tous ces niveaux, au niveau

15 de toutes ces instances.

16 Et du fait de la position bien particulière qu'il occupe, de quelqu'un qui

17 a reçu des pouvoirs qui lui viennent des instances les plus élevées, nous

18 estimons qu'il exerçait en effet un pouvoir de commandant et de supérieur

19 hiérarchique.

20 D'autre part, nous estimons que l'on peut déduire la même chose à partir

21 de la logique suivante: en fait, il appartient à la chaîne de

22 commandement, c'est lui, c'est le chaînon entre le commandement supérieur

23 de Sarajevo et les forces de Konjic. C'est lui qui établit le lien en ce

24 qui concerne la prison de Celebici le 24 août. C'est lui aussi qui sert de

25 lien entre les différentes autorités, en ce qui concerne la commission

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1 d'enquête puisqu'on a constaté que c'est lui qui pouvait déterminer si un

2 prisonnier pouvait être libéré ou non. Il a donné des ordres également à

3 la commission d'enquête.

4 Nous, nous affirmons donc qu'il fait partie de la voie hiérarchique. Il en

5 fait partie, de cette chaîne de commandement, bien que le lien qui existe

6 ne soit pas aussi formel que l'a estimé la Chambre de première instance.

7 Nous avançons donc que, si l'on applique les critères juridiques et légaux

8 qui ont été expliqués par M. Fenrick, on doit constater que M. Delalic

9 avait la possibilité de prévenir et de sanctionner des infractions parce

10 qu'il avait la position de supérieur hiérarchique.

11 En ce qui concerne les mesures à adopter, en ce qui concerne ce point,

12 c'est que la Chambre d'appel accepte le fait que la Chambre de première

13 instance a commis une erreur. Et nous estimons que, si on applique les

14 critères qui conviennent aux faits qui ont été constatés, la seule

15 conclusion que l'on peut en tirer, c'est qu'il y a culpabilité de la

16 personne. Nous demandons donc à la Chambre d'appel de décider que, à ce

17 moment-là, l'accusé est coupable.

18 Si vous estimez qu'il y a une erreur, en effet, dans le critère juridique

19 qui a été adopté, mais que vous estimez que vous n'êtes pas en mesure de

20 réviser ce jugement pour prononcer un jugement de culpabilité, à ce

21 moment-là que vous renvoyiez l'affaire devant la Chambre de première

22 instance.

23 Troisièmement, dans le cadre de notre mémoire et de nos arguments, nous

24 avons inclus un argument subsidiaire selon lequel la Chambre de première

25 instance a commis une erreur en excluant un certain nombre d'éléments de

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1 preuve.

2 M. Ackerman (interprétation): Excusez-moi, mais j'ai une objection. Je

3 partais du principe, peut-être m'étais-je trompé, que l'accusation avait

4 décidé d'abandonner ce point, cette argumentation. Ils avaient demandé

5 dans leur mémoire que la Chambre leur donne la possibilité de présenter

6 des témoins et des éléments de preuve à ce sujet. Mais finalement, ils

7 n'ont pas donné suite, ils n'ont fait aucune requête aux fins d'entendre

8 des témoins supplémentaires, comme ils indiquaient qu'ils allaient le

9 faire dans leur mémoire.

10 Eh bien moi, je pensais qu'ils avaient abandonné cette idée. Ils n'en ont

11 pas parlé lors de la conférence de mise en état, ils n'ont pas dit que

12 c'était un point qu'ils allaient évoquer dans le cadre de cette audience.

13 Pendant la conférence de mise en état, nous avons passé en revue tous les

14 faits qui allaient faire l'objet d'une discussion, d'une argumentation, et

15 l'accusation n'a jamais dit que cela serait un sujet évoqué devant cette

16 Chambre d'appel.

17 Moi, j'étais donc parti du principe qu'ils avaient décidé de ne pas en

18 parler après l'avoir mentionné dans leur mémoire. Mais ils n'ont fait

19 aucune requête formelle devant la Chambre pour demander l'appel ou la

20 comparution de témoins supplémentaires. J'estime donc qu'il est

21 inacceptable qu'ils évoquent maintenant cette question. Il était clair

22 qu'ils avaient abandonné l'idée d'utiliser ce point.

23 M. le Président (interprétation): Oui, en effet, c'est un petit peu

24 surprenant. J'ai lu cela en effet l'autre jour, et j'ai remarqué qu'aucune

25 requête n'avait été présentée.

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1 M. Farrell (interprétation): Non, il s'agit uniquement de recours ou du

2 remède à apporter, et non pas du motif, de l'abandon du motif.

3 M. le Président (interprétation): Mais nous devons savoir de quels

4 éléments de preuve vous parlez!

5 M. Farrell (interprétation): Oui, mais vous avez les éléments de preuve.

6 La question est de savoir s'il y a eu erreur au niveau du droit adopté, à

7 ce moment-là les recours qui sont envisageables.

8 La question ici, c'est une question d'erreur de droit. La question, c'est

9 de savoir si la Chambre de première instance a utilisé le critère

10 juridique qui convient.

11 M. le Président (interprétation): Oui, mais une fois de plus, c'est une

12 discussion bien théorique. S'ils ne s'étaient pas trompés, à ce moment-là

13 le résultat aurait été différent, et nous ne pouvons pas le décider sans

14 savoir quels sont ces éléments de preuve.

15 M. Farrell (interprétation): Je suis désolé du malentendu, mais vous avez

16 tous ces documents, vous avez tous les documents pertinents: ce sont trois

17 annexes aux mémoires.

18 Dans son premier mémoire, nous disons que ce qui pourrait être fait, si on

19 constate qu'il y a eu erreur, c'est d'appeler à la barre de nouveaux

20 témoins pour voir, effectivement, quels sont les faits. Et ceci ferait

21 qu'il ne serait pas nécessaire de renvoyer l'affaire devant la Chambre de

22 première instance.

23 M. le Président (interprétation): Oui, je vous comprends bien, mais est-ce

24 qu'il s'agit là d'un exercice purement théorique disant que l’accusation

25 peut présenter des éléments de preuve de façon directive ou non?

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1 M. Farrell (interprétation): Non. Nous estimons que la Chambre de première

2 instance a commis une erreur en excluant un certain nombre d'éléments de

3 preuve et nous estimons que ces documents sont pertinents pour déterminer

4 la responsabilité de M. Delalic. Des documents par exemple, ce sont les

5 documents relatifs au transfert du 17 novembre, c'est un document signé

6 par M. Delalic où il transfère l’autorité du commandant de la prison, M.

7 Mucic, au commandant qui lui a succédé, M. Delic.

8 Nous estimons que ces documents sont très pertinents et auraient pu

9 influencer le verdict. Le recours, le remède que nous proposons, c'est

10 que, une fois qu'on détermine qu'il y a eu erreur, une fois que l'on

11 décide que ce n'était pas une erreur anodine, une fois que l'on a décidé

12 cela, à ce moment-là, la question qui se pose, c'est: "Que faire?". Ce que

13 l'on doit faire normalement, ce qu'on ferait normalement, c'est renvoyer

14 la question devant la Chambre de première instance.

15 Dans notre mémoire d'appel, nous nous proposons la situation suivante: au

16 lieu de renvoyer cela devant la Chambre de première instance pour vingt-

17 trois ou vingt et un documents et trois témoins, pour un procès qui a duré

18 18 mois, nous proposons que la Chambre d'appel, une fois que cette

19 conclusion a été faite, une conclusion qu'il y a eu une erreur et que les

20 documents qui ont été exclus étaient importants pour le jugement, à ce

21 moment-là, que l'on envisage que la Chambre d'appel entende les témoins,

22 examine ces éléments de preuve, tire des conclusions sur les faits.

23 Si on se réfère, en conséquence de la décision Tadic et de la décision

24 Aleksovski, nous comprenons bien que la Chambre d'appel n'est pas là pour

25 prendre de nouvelles conclusions au sujet des faits. Mais nous le savons

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1 bien. Et à ce moment-là, on décide normalement qu'il faut que ceci soit

2 renvoyé devant la Chambre de première instance. Tout ceci figure dans la

3 partie consacrée au recours et au remède.

4 M. le Président (interprétation): Vous nous dites donc qu'il y a une

5 erreur au niveau du droit, que les documents qui sont portés en annexe de

6 votre requête démontrent qu'il y a une erreur au niveau du droit, qui a

7 pénalisé l'accusation et donc vous voulez un nouveau procès. Et vous

8 refusez donc de nous montrer des documents supplémentaires à part ceux mis

9 en annexe du mémoire d'appel.

10 M. Ackerman (interprétation): Avec tout le respect que je vous dois,

11 l'accusation, sans demander la possibilité de modifier son mémoire,

12 soudain adopte une position complètement différente de ce qui était

13 auparavant.

14 Dans leur mémoire, ils avaient demandé que la Chambre de première instance

15 entende des témoins et qu'à ce moment-là la Chambre de première instance

16 décide si, oui ou non, il fallait admettre ces éléments de preuves

17 supplémentaires. Ils avaient affirmé que la Chambre de première instance

18 avait commis une erreur en refusant l'admission de ces éléments de preuve.

19 M. le Président (interprétation): Oui, mais vous avez répondu à cette

20 demande dans votre mémoire.

21 M. Ackerman (interprétation): Oui, en effet, j'ai répondu à cette demande,

22 mais j'avais eu l'impression qu'ils avaient abandonné cette idée.

23 Maintenant, ils vous demandent d’envisager la possibilité d'entendre ces

24 témoins.

25 M. le Président (interprétation): Oui, mais ils limitent la nature du

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1 recours envisagé.

2 A un autre endroit, ils ont dit que c'était soit la Chambre d'appel qui

3 pouvait décider ou on pouvait renvoyer l’affaire devant la Chambre de

4 première instance. Je ne vois pas en quoi vous êtes pris par surprise par

5 cette option qui est présentée par l'accusation ici?

6 M. Ackerman (interprétation): Non, mais ce qui me surprend, c'est qu’on

7 n'en a jamais parlé lors de la conférence de mise en état. Cela ne fait

8 pas partie de la synthèse qui nous a été présentée, du plan de leur

9 intervention. Ils n'en ont pas parlé à la conférence de mise en état. Je

10 pensais qu'ils avaient abandonné cette idée.

11 M. le Président (interprétation): Oui, mais je ne sais pas si vous avez

12 vraiment raison. Un des motifs d'appel, c'est celui qui stipule que la

13 Chambre de première instance a commis une erreur en déterminant qu'elle ne

14 pouvait pas présenter ces éléments de preuve. Et l'accusation estime donc

15 qu'elle aurait dû pouvoir présenter ces éléments de preuve. Cela figure

16 très clairement dans les motifs d'appel qui étaient prévus pour

17 aujourd'hui.

18 Donc, je ne pense pas que vous puissiez dire que vous ayez été vraiment

19 pris par surprise. Que vous soyez pris par surprise par le recours qu'ils

20 demandent, cela, vous pouvez y réagir par écrit aujourd'hui.

21 M. Ackerman (interprétation): Je pourrais répondre à toutes vos

22 préoccupations aujourd'hui.

23 M. Riad (interprétation): Une courte question, Maître Farrell.

24 Vous avez, en fait, résumé la position qui est celle de M. Delalic. Vous

25 avez déclaré qu'il avait la compétence lui permettant d'entrer en

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1 communication et d'être en relation avec toutes les parties en présence,

2 c'est bien cela, n'est-ce pas, Maître Farrell?

3 M. Farrell (interprétation): Tout à fait.

4 M. Riad (interprétation): Bon, alors vous avez conclu de cela qu'il avait

5 les capacités pertinentes pour empêcher et pour sanctionner certaines

6 mesures?

7 Donc, il était comme un intermédiaire, toujours à faire l'entregent et

8 est-ce que c’est ça qui lui permettait d’empêcher de sanctionner ou est-ce

9 que c’est ça qui lui permettait de faire un rapport? Quelle est votre

10 conclusion?

11 M. Farrell (interprétation): Eh bien, la position du Procureur, c'est

12 qu’en tant qu'intermédiaire, qu'en tant que chaînon fondamental de la

13 chaîne, et il y a des documents qui prouvent que certains lui rendaient

14 compte et que, lui, rendait compte également.

15 Tout cela prouve donc qu'il avait une grande capacité matérielle à agir en

16 personne dans certains cas. Et s'il n'est pas établi qu'il faisait partie

17 d'une chaîne de commandement, il avait en tout cas la possibilité de

18 rendre compte.

19 Si le commandement; c’est la Défense territoriale de Konjic, lui en tant

20 que chaînon et compte tenu de l'existence du système de compte rendu,

21 devait rendre compte, si l'action raisonnable avait consisté à agir de la

22 sorte. Donc, bien sûr, il avait la capacité de le faire, nous savons que

23 deux fois Sarajevo lui a donné la possibilité d'agir en son nom. Le

24 commandement suprême de Sarajevo.

25 S'agissant maintenant de la commission d'enquête, les éléments disponibles

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1 à la Chambre de première instance montrent très clairement qu'il a demandé

2 une réunion de la commission d'enquête, qu'il y a pris à la parole et

3 qu'il a indiqué aux personnes présentes ce qu'il convenait de faire. Alors

4 c’est un comportement qui n'existe pas en dehors de toute connaissance des

5 événements. On ne peut pas avoir une fonction, on ne peut pas avoir le

6 pouvoir, exercer une certaine autorité et ne pas subir la responsabilité

7 qui va avec.

8 A notre avis, avec tout le respect que nous devons au Tribunal, la

9 responsabilité en question consistait à rendre compte. Puisqu'il ne fait

10 pas partie d'une chaîne de commandement direct, avec des subordonnés

11 directs, par référence à d'autres affaires que nous citons, il aurait dû

12 prendre des mesures. Il aurait en tout cas dû rendre compte, rapporter les

13 faits pour que les personnes responsables puissent agir.

14 M. Bennouna. Je reviens à la question des moyens de preuve. Vous avez dit

15 en anglais: "The Chamber had an excluding evidence", en quelque sorte que

16 la Chambre a donc exclu, n’a pas pris en compte certains moyens de preuve

17 et donc c'est à tort qu'elle n'a pas pris en compte.

18 Est-ce que ceci est lié à la position sur le moyen de droit? C'est-à-dire

19 que, si je vous ai bien suivi, en n'appliquant pas le bon critère

20 juridique, la Chambre a eu tort de ne pas retenir un certain nombre de

21 faits? Est-ce bien cela l'explication que vous avez donnée?

22 M. Farrell (interprétation): Nous disons qu'il y a erreur en droit de la

23 part de la Chambre de première instance parce qu'il n'y a pas eu

24 application du bon critère au document. Ce qui a abouti à l'exclusion d'un

25 certain nombre de documents qui auraient dû être pris en compte par la

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1 Chambre de première instance dans le cadre du processus amenant à la

2 décision.

3 M. Bennouna. Merci.

4 M. le Président (interprétation): Nous allons maintenant suspendre nos

5 débats et reprendrons à 14 heures 35 pour ceux qui n'aiment pas les 14

6 heures et 14 heures 35 pour ceux qui ne connaissent que les 24 heures par

7 jour.

8 M. Farrell (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Président. J'en

9 ai terminé avec mon exposé. Pour être tout à fait clair, donc, mon

10 intervention est terminée. C'est M. Staker qui prendra la parole cet

11 après-midi après la suspension.

12 M. le Président (interprétation): Merci.

13 (L'audience, suspendue à 13 heures 05, est reprise à 14 heures 40.)

14 M. Murphy (interprétation): Monsieur le Président, pourrais-je avoir

15 quelques secondes? S'agissant de la requête et de la demande présentées

16 par la défense, le Tribunal a indiqué que nous devrions obtenir les

17 articles de presse traduits d’eux et les déposer aujourd'hui avant 16

18 heures. Et également, Monsieur le Président, le problème de la traduction

19 des décrets du gouvernement du Costa Rica, s'agissant du juge Odio-Benito,

20 est en cours d'examen.

21 M. le Président (interprétation): Seulement si vous voulez vous y référer.

22 M. Murphy (interprétation): Monsieur le Président, en effet, nous le

23 souhaitons. Je souhaite vous informer que nous avons fait traduire ces

24 deux articles de presse, je les ai sur le bureau de Me Karabdic et ils

25 sont donc disponibles.

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1 Monsieur le Président, l'accusation prend la responsabilité de ce qu'il

2 convient de faire pour les décrets. Je pense que tout n'est pas encore

3 prêt, mais l'accusation a fait savoir qu'elle n'avait pas d'objection à

4 une extension du délai jusqu'à demain matin pour le dépôt de ce document.

5 M. le Président (interprétation): Très bien, nous les aurons à temps pour

6 les lire avant le début des exposés oraux, n'est-ce pas?

7 M. Murphy (interprétation): Monsieur le Président, oui je comprends tout à

8 fait.

9 M. le Président (interprétation): Merci. Monsieur Farrell?

10 M. Farrell (interprétation): S'agissant de la demande qui vient d'être

11 faite, l’assistante d'audience est encore en train de vérifier un certain

12 nombre de points. Mais je peux vous dire que j'ai parlé avec les

13 responsables de la traduction, j'ai fait valoir les préoccupations de la

14 Chambre dans les termes les plus sérieux qu'il soit, et les responsables

15 de la traduction m'ont appris qu'ils cherchent à obtenir l'aide de

16 traducteurs extérieurs.

17 Mais pour le moment, la date la plus proche qu'ils peuvent citer, c'est

18 celle du 19. C'est-à-dire à peu près une semaine avant le 23. On m'a

19 indiqué qu'un certain nombre de traducteurs travaillaient sur la

20 traduction de ces 250 pages, donc on m'a parlé d'un délai de neuf jours

21 comme étant le minimum extrême.

22 M. le Président (interprétation): Puis-je vous dire ce qui suit? Vous avez

23 fait savoir que vous aviez besoin des traductions dans le cadre de votre

24 requête, mais vous examinez encore la nécessité de présenter cette

25 requête. Vous avez besoin donc d’un délai supplémentaire dans le cadre de

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1 l'article 115 du Règlement et, pour ce qui nous concerne, nous devons

2 avoir une idée de ce dont nous parlons. Vous pouvez certainement nous

3 décrire succinctement les documents dont vous disposez sur la base de ce

4 que vous avez déjà examiné. Douze représentants du Bureau du Procureur, si

5 je ne m'abuse, il s'agit d’enquêteurs, ont travaillé à ces documents. Ils

6 ont numérotés ces documents, ils les ont lus et vous ont indiqué qu'il

7 conviendrait peut-être de nous remettre un résumé de ce qu'ils appellent

8 un produit de travail. Vous devez donc sans doute disposer de la

9 possibilité de nous décrire la nature des éléments de preuve que vous

10 souhaitez présenter, de façon à ce que nous sachions que nous ne

11 travaillons pas dans le vide.

12 M. Farrell (interprétation): Oui, Monsieur le Président, j'allais aborder

13 ce thème en deuxième lieu. J'ai parlé avec certains des enquêteurs,

14 certains des membres de l’équipe, j’ai demandé des résumés de tous les

15 documents examinés et une liste pour répondre à la demande de M. le Juge

16 Bennouna.

17 On m'a indiqué qu'avant la fin de la présente audience le Bureau du

18 Procureur pourra fournir une liste de tous les documents à notre

19 disposition pour autant que nous puissions les identifier.

20 Il y aura également un titre et ils fourniront un résumé, peut-être pas de

21 tous les documents, mais en tout cas de la majorité des documents qui vous

22 sera remis.

23 M. le Président (interprétation): Vous nous avez fourni cinq documents

24 accompagnés de leur traduction, vous pouviez les décrire brièvement avant

25 d'obtenir la traduction, n’est-ce pas. Donc, c'est cela que nous vous

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1 demandons simplement pour nous permettre de déterminer si nous allons vous

2 accorder un délai supplémentaire pour la présentation de votre requête.

3 Mais bien sûr, au moment de la présentation de la requête, il faudra que

4 celle-ci s’accompagne des traductions.

5 M. Farrell (interprétation): Monsieur le Président, nous vous

6 communiquerons le maximum de résumés.

7 M. le Président (interprétation): Et à ce moment-là, il faudra que vous

8 décidiez si vous allez utiliser vos possibilités de requête. Cela

9 raccourcira le temps de cette réflexion, n'est-ce pas?

10 M. Farrell (interprétation): Si nous pouvons vous remettre les résumés.

11 M. le Président (interprétation): Vous avez douze personnes qui

12 travaillent à cette tâche, n'est-ce pas, depuis mercredi.

13 M. Farrell (interprétation): Monsieur le Juge Hunt, il faut que je vous

14 donne un éclaircissement. Les douze personnes en question ne sont pas des

15 enquêteurs, ce sont des personnes qui travaillent avec l’unité chargée des

16 éléments de preuve. Ils soumettent donc les documents à la traduction

17 après les avoir répertoriés. Mais ils ne connaissent pas de façon

18 approfondie l'ensemble des arguments, ils prennent les documents qui leur

19 arrivent, ils appliquent un numéro d'identification, les résument, comme

20 vous venez et de l'indiquer, de façon à permettre l’identification de ces

21 documents et de leur octroyer un numéro de référant. Voyez-vous, il ne

22 s'agit pas d'enquêteurs spécialisés dans la présente affaire.

23 M. le Président (interprétation): Eh bien, nous ne perdrons pas cela de

24 vue au moment de l'examen du délai demandé éventuellement par vous, mais

25 nous avons besoin d'une description rapide, brève de ces documents. Quand

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1 pouvez-vous nous remettre cette description?

2 M. Farrell (interprétation): Dans deux jours, nous pensons pouvoir au

3 moins vous décrire brièvement les documents pertinents. Je ne pense pas

4 que nous pourrons vous résumer les 154 documents.

5 M. le Président (interprétation): Oui, mais vous ferez de votre mieux?

6 M. Farrell (interprétation): Absolument.

7 M. le Président (interprétation): Et que cela ne retardera pas la

8 présentation de votre requête. Nous vous accordons la possibilité de

9 présenter cette requête, mais nous insistons sur la nécessité que cette

10 demande s'accompagne d'un résultat évaluable par nous.

11 M. Farrell (interprétation): Très bien.

12 M. le Président (interprétation): Eh bien, cela nous amène à mercredi, si

13 vous avez besoin de deux jours, n'est-ce pas?

14 M. Farrell (interprétation): Oui.

15 (Les Juges se concertent sur le siège.)

16 M. le Président (interprétation): On me parle de jeudi, mais mercredi

17 après-midi serait préférable. Cela nous donnerait plus de temps pour lire

18 ces documents avant d'en discuter. Nous espérons en tout cas que jeudi

19 sera notre dernier jour d'audience cette semaine.

20 Tout cela sera par écrit, n'est-ce pas, nous aurons bien des documents que

21 nous pourrons lire? C'est ce que j'espère en tout cas, documents dans

22 lesquels nous espérons que vous pourrez décrire les raisons pour

23 lesquelles la Chambre de première instance, si elle avait eu ces documents

24 sous les yeux, serait parvenue à une conclusion différente?

25 M. Farrell (interprétation): Vous parlez bien de la requête dans le cadre

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1 de l'article 115?

2 M. le Président (interprétation): Oui. Je ne vous demande pas de nous

3 faire cette requête par écrit mais il nous faut nous faire une idée des

4 points pertinents par rapport au jugement dans votre argumentation,

5 l’argumentation que vous avez présentée ce matin.

6 M. Farrell (interprétation): Tout cela dans le cadre des documents à

7 présenter jeudi, n'est-ce pas, pour la demande de délai supplémentaire?

8 M. le Président (interprétation): Oui, mais s'agissant donc de ce délai,

9 il faut que vous démontriez qu'il y a quelque chose dans vos arguments qui

10 entre dans le cadre de l'application de l'article 115 et qui nous permet

11 de prendre la décision que vous demandez.

12 M. Farrell (interprétation): Ce sera le résultat, effectivement.

13 M. le Président (interprétation): Donc, si vous pouvez nous donner quelque

14 chose jeudi matin au plus tard ou si possible, nous l'espérons, mercredi

15 après-midi ce serait bien.

16 M. Farrell (interprétation): Si c'est ce que demande la Chambre, nous le

17 ferons.

18 M. le Président (interprétation): Le Procureur a donc besoin d'une

19 modification du délai dans le cadre de l'article 115 du Règlement pour

20 présentation d'éléments de preuve nouveaux dans le cadre de l’appel.

21 Et tenant compte de cela, la Chambre d'appel estime qu'il est raisonnable

22 de demander au Procureur de déposer un document le matin du 8 juin dans

23 lequel les objectifs poursuivis seront stipulés et dans lequel les

24 documents que le Procureur entend déposer en tant qu’éléments de preuve

25 seront décrits succinctement. Ce document devra identifier de quelle façon

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1 ces éléments de preuve entraînent une possibilité significative pour la

2 Chambre de première instance si elle avait agi raisonnablement, pourquoi

3 cela entraîne la possibilité pour la Chambre de première instance de

4 condamner M. Delalic, si les éléments de preuve sont devant les juges.

5 Entre-temps, la Chambre d'appel traitera l'appel du Procureur contre M.

6 Delalic comme une affaire encore ouverte si aucun document du type que je

7 viens de décrire n'est déposé dans les délais, la Chambre d'appel traitera

8 cet appel comme une affaire close. Si un document est déposé, la Chambre

9 d'appel émettra une ordonnance portant calendrier pour la suite de la

10 procédure relative à la requête. La Chambre d'appel souligne que les

11 obligations du Procureur relatives à la communication dans le cadre de

12 l'article 66 et 68 du Règlement incombe toujours à M. Delalic et à M.

13 Mucic également et qu'elle attend donc une communication complète dans les

14 délais impliqués par la requête déposée. Monsieur Staker, c'est à vous, je

15 crois?

16 M. Yapa (interprétation): Monsieur le Président, je ne sais pas si j'ai

17 totalement rempli mes obligations ce matin lorsque j'ai demandé le

18 versement d'un document sans le décrire. Je parlais des deux motifs

19 d'appel 5 et 6 qui seront abordés par M. Staker. Par la suite, je pense

20 que ce sera le conseil de M. Mucic qui s'exprimera sur le motif 7.

21 M. le Président (interprétation): C'est devenu le motif 9 à présent.

22 M. Yapa (interprétation): Oui, excusez moi.

23 M. le Président (interprétation): Et je prévois une demande similaire de

24 leur part, de la part de la défense, similaire à la vôtre. Donc l'appel de

25 la défense restera en suspens tant que nous n'aurons pas vu les documents

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1 en question.

2 M. Yapa (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

3 Nous entendrons ensuite la réponse du conseil de M. Delic, c'est-à-dire M.

4 Moran qui traitera donc de sa réponse par rapport à nos motifs d'appel 5

5 et 6.

6 M. le Président (interprétation): Oui.

7 M. Yapa (interprétation): Et par la suite, c'est Me Ackerman qui répondra

8 à nos motifs d'appel 1, 2 et 3.

9 M. le Président (interprétation): Oui.

10 M. Yapa (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

11 Monsieur Staker va maintenant s'exprimer.

12 M. Staker (interprétation): Les motifs d'appel, le motif 5 du Procureur

13 porte sur les conclusions de la Chambre de première instance selon

14 laquelle Hazim Delic n'était pas responsable en tant que supérieur

15 hiérarchique en application de l'article 7/3 du Statut. Monsieur Delic a

16 donc été acquitté des charges pesant contre lui dans l'acte d'accusation

17 en matière de responsabilité. S'agissant de ce motif d'appel, vous

18 trouverez les motifs de l'accusation au paragraphe 8.1, sous-paragraphes 4

19 et 5 du mémoire du Procureur qui demande donc une révision au sujet de ces

20 motifs.

21 S'agissant de la demande du Procureur, j'aimerais renvoyer également la

22 Chambre d'appel aux paragraphes 6.22 et 6.23 du mémoire du Procureur.

23 M. le Président (interprétation): On vous demande également, Monsieur

24 Staker, de parler plus lentement.

25 M. Staker (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

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1 Je ferai donc référence aux paragraphes 6.22 et 6.23 du mémoire du

2 Procureur en appel, qui établit de la façon la plus claire que dans la

3 mesure où un subordonné de M. Delic n'a pas été considéré coupable, M.

4 Delic ne peut pas non plus être jugé coupable sur les mêmes chefs.

5 Nous affirmons que la Chambre de première instance dans cette affaire, a

6 déclaré que M. Delic était le commandant-adjoint du camp de Celebici. Les

7 parties pertinentes du jugement Celebici figurent aux paragraphes 6.12 à

8 6.14 du mémoire du Procureur en appel et nous croyons comprendre que cette

9 conclusion est, en fait, acceptée par M. Delic dans sa réponse au

10 paragraphe 245.

11 Nous affirmons donc que cet appel se poursuit sur la base du fait que M.

12 Delic était bien commandant-adjoint du camp de prisonniers de Celebici.

13 Pour l'essentiel, ce que la Chambre de première instance a établi, c'est

14 que M. Delic n'avait pas de responsabilité pénale en tant que supérieur

15 hiérarchique. Parce que rien dans les éléments de preuve n'indiquait qu'il

16 faisait partie d'une chaîne de commandement précise entre les personnes

17 qui ont commis les crimes et M. Mucic qui a été établi comme étant le

18 commandant de ce camp de prisonniers.

19 La Chambre de première instance, par conséquent, semble avoir envisagé la

20 possibilité qu'il existait une chaîne de commandement reliant les gardes

21 directement au commandant de la prison sans inclure le commandant-adjoint.

22 Comme les juges de la Chambre de première instance l'on dit, et je cite

23 brièvement le paragraphe 810 du jugement: "Après avoir examiné les

24 éléments de preuve qui leur ont été soumis, les juges de la Chambre de

25 première instance estiment que l'accusation n'a pas réussi à établir, au-

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1 delà de tout doute raisonnable, que Hazim Delic faisait partie d'une

2 chaîne de commandement dans le camp de prisonniers de Celebici et qu'il

3 avait pouvoir d'émettre des ordres destinés aux subordonnés ou destinés à

4 empêcher ou à punir les actes criminels de ses subordonnés. En

5 conséquence, il ne peut pas être considéré comme ayant été un supérieur

6 hiérarchique dans les limites de la responsabilité pénale envisagée à

7 l'article 7.3 du Statut du Tribunal." (Fin de citation)

8 Nous affirmons que ce passage du jugement de la Chambre de première

9 instance traite la responsabilité hiérarchique de M. Delic comme si celui-

10 ci ne faisait pas partie d'une chaîne de commandement précise reliant les

11 gardes à M. Mucic.

12 Ceci rend compte de la conclusion de la Chambre de première instance

13 stipulée au paragraphe 647 du jugement où il est stipulé que la Chambre de

14 première instance est incapable d'être d'accord avec la proposition de

15 l'accusation, selon laquelle une chaîne de commandement n'est pas

16 indispensable pour l'exercice d'une autorité hiérarchique.

17 Maintenant, mon collègue, M. Fenrick, a présenté les arguments du

18 Procureur sur les principes juridiques qui régissent la responsabilité de

19 supérieur hiérarchique et ceci a été également traité longuement dans nos

20 écritures.

21 Ce qu'affirme le Procureur, c'est que la responsabilité de supérieur

22 hiérarchique émane du pouvoir de contrôler les auteurs de certains actes

23 dans toutes les circonstances et ce même en l'absence d'une chaîne de

24 commandement directeur reliant l'accusé et son subordonné.

25 Cependant, nous affirmons également que le critère légal appliqué par la

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1 Chambre de première instance a été considéré comme le critère utilisable

2 mais qu'elle l'a appliqué de façon incorrecte dans les circonstances

3 précises caractérisant cette affaire. Monsieur Fenrick a également

4 présenté les arguments du Procureur selon lesquels la responsabilité de

5 supérieur hiérarchique peut exister de facto aussi bien que de jure.

6 En rapport à cela, j'aimerais vous renvoyer à la décision récente de la

7 Chambre d'appel dans l'affaire Aleksovski, au paragraphe 78, où la

8 possibilité d'une autorité de supérieur hiérarchique de facto est reconnue

9 dans le cas de commandant civil ainsi que de commandant militaire.

10 Cette possibilité est abordée aux paragraphes 354, 378, et 376 du jugement

11 prononcé par la Chambre de première instance. Peut-être n'est-il pas

12 important de rentrer dans tous les détails de ces paragraphes, mais la

13 formulation qui y est utilisée inclut les mots suivants, je cite: "Il est

14 nécessaire que le supérieur contrôle effectivement les personnes qui ont

15 commis les infractions dans le sens qu'il a la possibilité réelle

16 d'empêcher et de punir les auteurs de telles infractions." (Fin de

17 citation)

18 Et au paragraphe 736, il est stipulé que quelle que soit la nomination

19 officielle de la personne considérée, l'exercice d'une autorité de

20 commandement ou d'une autorité de supérieur hiérarchique est un élément

21 important en l'absence, y compris, d'une nomination officielle à tel ou

22 tel poste et que cela suffit pour établir la responsabilité pénale.

23 En conséquence, l'exercice, s'il existe, d'un pouvoir de contrôle sur les

24 actes des subordonnés est un élément pertinent du point de vue du contrôle

25 de facto propre à établir l'existence d'une responsabilité pénale de

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1 supérieur hiérarchique. Donc, le critère appliqué, c'est le contrôle

2 effectif ou l'exercice d'une autorité réelle ou la possibilité matérielle

3 d'empêcher et de punir, plutôt que ce critère de chaîne de commandement de

4 jure ou de facto.

5 Pour ce qui est du cas particulier de Hazim Delic, la question est de

6 savoir s'il avait un contrôle effectif de facto ou de jure ou s'il

7 existait une autorité sur les gardes du camp de Celebici. Les éléments de

8 preuve et les conclusions de fait qui ont été tirés sur ces points précis

9 ont été traités par la Chambre de première instance dans le paragraphe

10 798, paragraphe 799 également.

11 Ces deux paragraphes font référence au fait que les détenus considéraient

12 M. Delic comme étant le commandant ou le supérieur hiérarchique des

13 gardes. Il y a des éléments de preuves qui montrent que les gardes

14 qualifiaient M. Delic comme étant le patron, le responsable.

15 Au paragraphe 803, il y a des éléments de preuve qui indiquent que M.

16 Delic donnait des ordres aux gardes, que les gardes lui obéissaient, que

17 les gardes craignaient M. Delic même. Monsieur Delic apparemment

18 critiquait parfois sévèrement la conduite des gardes ou leur criait

19 dessus.

20 Aux paragraphes 804 et 805, il apparaît qu'il y a des éléments de preuve

21 qui indiquent que M. Delic a donné aux gardes l'ordre de maltraiter des

22 prisonniers. Et puis, dans le paragraphe 804, il est fait référence à un

23 incident à propos duquel la Chambre de première instance a déclaré qu'il

24 n'a pas été prouvé que les passages à tabac avaient été ordonnés par M.

25 Delic.

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1 Mais dans le deuxième paragraphe, le paragraphe 805, on fait état

2 d'incidents au cours desquels des témoins étaient présents et ils ont fait

3 état du fait que M. Delic avait ordonné un passage à tabac collectif. Or,

4 la Chambre de première instance n'a pas dit que ces témoignages n'étaient

5 pas dignes de foi.

6 D'autres éléments de preuve sont cités aux paragraphes 801 et 802 du

7 jugement. Ces éléments de preuves ont été fournis par le coaccusé de M.

8 Delic, M. Landzo, et la Chambre de première instance a déclaré qu'elle ne

9 pouvait s'appuyer sur ces éléments de preuve qui n'étaient pas corroborés

10 par d'autres témoignages.

11 Par ailleurs, comme je l'ai déjà déclaré, il a été établi que M. Delic

12 était effectivement le commandant adjoint de la prison. Cela veut que,

13 après M. Mucic, c'est M. Delic qui occupait le poste de plus haute

14 importance dans le camp, étant chargé d'organiser la gestion quotidienne

15 du camp. Tout cela apparaît aux paragraphes 807 et 809 du jugement de la

16 Chambre, 807 à 809.

17 La Chambre de première instance a conclu que tous ces éléments de preuve

18 ne permettaient pas d'établir la responsabilité de supérieur hiérarchique

19 de M. Delic. Ces conclusions apparaissent au paragraphe 806 du jugement où

20 il est dit, je cite: "En conclusion, ces éléments de preuve indiquent un

21 certain degré d'influence exercée par M. Hazim Delic à certaines occasions

22 dans le camp de Celebici. Ceci dit, cette influence peut être attribuée

23 aux craintes qui étaient celles des gardes vis-à-vis d'un individu qui

24 pouvait exercer une certaine influence morale, mais ne repose pas sur les

25 faits qui sont soumis à cette Chambre de première instance et ne peuvent

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1 pas permettre d'établir la responsabilité supérieure de M. Delic, ne

2 suffisent pas à établir qu'il était en poste de supériorité hiérarchique."

3 L'accusation estime que cette conclusion n'est pas raisonnable. Aucun

4 autre Juge sur les faits n'aurait atteint cette conclusion qui a été

5 celle, pourtant tirée, par la Chambre de première instance.

6 L'examen des éléments de preuves versés quant à M. Delic peut être comparé

7 avec l'approche qui était celle de la Chambre de première instance pour ce

8 qui est des faits relatifs à M. Mucic. Monsieur Mucic a été considéré

9 comme étant le commandant de facto du camp. Au moment de l'examen de ces

10 éléments de preuve, la Chambre de première instance a dit, et je cite ici

11 le paragraphe 750 du jugement: "Il semble, au vu des différents

12 témoignages de détenus, il semble inévitable que Zdravko Mucic était

13 effectivement le commandant du camp. Les détenus en sont arrivés à cette

14 conclusion parce que Hazim Delic l'a appelé commandant du camp ou parce

15 que M. Mucic s'est présenté à eux en tant que commandant du camp, et son

16 comportement vis-à-vis des gardes était celui d'un commandant de camp.

17 La Chambre de première instance estime que ce dernier facteur est celui le

18 plus important, dès lors qu'il s'agit d'attribuer la supériorité de

19 responsable hiérarchique à M. Mucic. Il y a toutes sortes d'évidences qui

20 montrent que M. Mucic exerçait ce type d'autorité hiérarchique et, même

21 s'il n'y a pas exercice de jure, il y a un contrôle de facto qui est

22 exercé et ceci le rend pénalement responsable vis-à-vis de ses

23 subordonnés. Monsieur Mucic faisant preuve du comportement d'un commandant

24 désigné formellement, il ne s'agit pas maintenant d'essayer de trouver

25 d'autres éléments de preuve." (Fin de citation)

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1 Donc, quelles sont les conclusions qui doivent être tirées de tout cela?

2 Nous avons là une personne qui est le commandant adjoint du camp, et là je

3 parle de M. Delic. Cet homme est perçu par les prisonniers comme étant le

4 commandant du camp: il donne des ordres aux gardes du camp, il est obéi

5 par ces derniers et les gardes l'appellent "le patron", "le chef".

6 L'accusation estime que la seule conclusion raisonnable que la Chambre de

7 première instance aurait dû tirer de ces éléments de preuve, c'est qu'un

8 contrôle de facto sinon de jure était exercé -M. Delic était le commandant

9 adjoint du camp-, et qu'il exerçait donc un contrôle effectif et une

10 autorité sur les gardes.

11 Les conclusions selon lesquelles les gardes n'obéissaient à ses ordres que

12 parce qu'ils le considéraient comme un individu potentiellement dangereux

13 et intimidant n'est pas une conclusion valable, n'est pas une conclusion

14 qui aurait pu être atteinte par quelque autre Juge se penchant sur les

15 faits.

16 Et même si les subordonnés peuvent parfois craindre leurs supérieurs

17 -parce qu'il s'agit peut-être effectivement d'un individu intimidant-,

18 cela n'a rien à voir avec la question du statut supérieur d'une personne

19 qui est elle-même un supérieur hiérarchique. La question est de savoir si

20 M. Delic a effectivement exercé un contrôle effectif. Et c'est bien le

21 cas, c'est un contrôle de facto.

22 Etait-ce là dans le cadre de ses fonctions? C'est une question qui ne se

23 pose pas vraiment mais, de toute façon, de facto il a exercé ce contrôle.

24 Il y avait donc de facto une chaîne de commandement qui reliait les gardes

25 à M. Delic et à M. Mucic.

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1 Pour que M. Delic puisse être considéré comme responsable hiérarchique au

2 titre de l'article 3 pour ce qui est des crimes perpétrés par les gardes

3 du camp, il faut également établir qu'il avait des raisons qui lui

4 permettaient de savoir que ces crimes étaient commis, qu'il n'a pas pris

5 les mesures nécessaires pour en prévenir la perpétration. Ceci apparaît

6 dans notre mémoire, paragraphes 6.18 à 6.21.

7 Nous concédons que la Chambre de première instance, en n'établissant pas

8 que M. Delic n'était pas un supérieur hiérarchique au titre de l'article

9 7.3, n'a pas établi les bonnes conclusions sur les faits qui lui étaient

10 présentés. Ceci apparaît dans le paragraphe 810 du jugement.

11 Cependant, l'accusation estime que les conclusions de faits rendues par la

12 Chambre de première instance ne sont pas des conclusions raisonnables qui

13 n'auraient en aucun cas pu être tirées par un autre Juge se penchant sur

14 les faits.

15 Nous, nous établissons ici, devant la Chambre d'appel, qu'il est possible

16 de substituer un verdict de culpabilité à celui de non culpabilité,

17 culpabilité de M. Delic au titre de l'article 7.3 et des chefs

18 d'accusation y afférent.

19 A moins que la Chambre d'appel ait des questions, je me propose maintenant

20 d'en venir au motif d'appel 6 de l'accusation?

21 Puisque vous n'avez pas de question, Monsieur le Président, Messieurs les

22 Juges, je poursuis.

23 Le motif d'appel n°6 de l'accusation a trait à la conclusion de la Chambre

24 de première instance selon laquelle M. Delic ne pouvait pas être considéré

25 coupable du chef d'accusation 48, détention illicite de civils. Monsieur

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1 Delic s'est vu attribuer un chef d'accusation au titre de l'article 7.1 et

2 de l'article 7.3 du Statut pour ce qui est du crime dont j'ai parlé tout à

3 l'heure. Et même si ceci est inclus dans le motif d'appel n°1 pour les

4 besoins de la construction de notre argumentation, l'accusation fait

5 reposer son argument principal sur l'article 7.1.

6 Nous, nous déclarons qu'il y a eu détention illégale de civils dans le

7 camp de Celebici et nous ajoutons que M. Mucic, le commandant de la

8 prison, est responsable de leur détention illégale et est coupable de

9 cette détention.

10 Monsieur Delic, le commandant adjoint, a fait l'objet d'un chef

11 d'accusation similaire mais a été déclaré non coupable pour la simple

12 raison que l'accusation n'avait pas réussi à démontrer que M. Delic était

13 à un poste tel qu'il pouvait empêcher la détention illégale de civils dans

14 le camp de Celebici. Cette conclusion apparaît au paragraphe 1144 du

15 jugement de la Chambre de première instance.

16 Dans ce paragraphe, il est dit, je cite: "Du fait de ces circonstances, M.

17 Delic ne peut pas être considéré comme ayant pris part à ce type d'acte."

18 (Fin de citation)

19 L'accusation estime qu'il s'agit là d'un point de droit et que ce point de

20 droit est erroné puisqu'il part du principe que seules les personnes qui

21 avaient la capacité de mettre en liberté des personnes du camp peuvent

22 être tenues responsables de la détention illégale de ces mêmes civils. En

23 d'autres termes, la Chambre de première instance a considéré que la

24 possibilité de remettre en liberté des victimes était un élément

25 constitutif du crime. Eh bien nous, nous ne considérons pas qu'il s'agit

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1 là d'un élément constitutif du crime de détention illégale de civils.

2 La détention illégale d'un nombre important de civils est un crime qui a

3 été perpétré dans cette affaire, et ce n'est pas quelque chose dont un

4 individu peut se rendre responsable à lui tout seul. La détention d'un si

5 grand nombre de personnes ne peut être rendue possible que par la

6 collaboration d'un certain nombre de personnes travaillant dans le camp et

7 agissant de concert.

8 Comme il apparaît dans notre acte d'appel, tout détenu qui aurait tenté de

9 quitter le camp en aurait été empêché non pas par le commandant du camp,

10 mais par l'un des gardes de ce même camp. La cause la plus immédiate de la

11 détention de chacun des détenus était donc le garde du camp et non pas le

12 commandant du camp. On peut dire que, si les gardes n'étaient pas là, les

13 civils auraient pu à tout moment choisir de choisir le camp de leur propre

14 gré.

15 On peut essayer de tirer une analogie entre cela et la situation qui s'est

16 présentée dans l'affaire Erdemovic, affaire où, je vous le rappelle, un

17 individu placé à un poste de subordination a reçu l'ordre de tuer un

18 certain nombre de personnes. L'accusé obéissait peut-être à des ordres

19 émis par un supérieur et peut-être que l'accusé n'avait pas le choix de

20 ses victimes, n'avait pas la possibilité de décider qui allait survivre ou

21 qui allait être tué, mais cela ne change en rien la responsabilité pénale

22 de l'accusé.

23 Nous, nous estimons que, si un garde individuel se tient à la porte d'un

24 camp, au portail d'un camp et si, par sa simple présence, il empêche les

25 civils qui se trouvent dans ce bâtiment d'en partir, nous estimons que ce

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1 garde est en train de détenir ces civils de façon illégale. Il s'agit bien

2 de l'intention délictueuse qui est à la base de la détention illégale de

3 civils. Ce que nous disons, c'est que ce garde peut se voir reprocher ce

4 crime dès lors qu'il peut être établi que le garde avait une intention

5 délictueuse.

6 Pour prouver qu'il y a bien intention délictueuse, le garde individuel ou

7 l'autre membre du personnel du camp doit, d'après nous.... Nous devons

8 essayer de savoir si les détenus du camp étaient effectivement détenus de

9 façon illégale, et nous devons savoir si le garde a continué à prendre

10 part à la détention illégale de civils. Il faut également que le garde ait

11 été au courant que ces civils étaient détenus de façon illégale.

12 Je ne veux pas dire qu'il aurait dû savoir de toute façon savoir quelle

13 était la loi -parce que chacun est d'accord pour dire que l'absence de

14 connaissance de la loi ne peut pas être considérée comme une défense face

15 à une inculpation pénale-, mais un accusé qui commet de graves infractions

16 aux conventions de Genève ne peut, d'après nous, se soustraire à la

17 responsabilité pénale qui est la sienne, simplement parce que l'accusé

18 déclare que lui ou elle n'avait jamais entendu parler des conventions de

19 Genève. C'est quelque chose qui apparaît dans les paragraphes 8.12 à 8.18

20 de notre appel.

21 D'après nous, le simple fait que les gardes savaient que les détenus

22 étaient des civils, des civils qui ne posaient aucune menace à la sécurité

23 d'Etat, dès lors que les gardes savent que ces civils sont détenus dans le

24 cadre d'une mesure collective qui n'a rien à voir avec une mesure de

25 sécurité, dès lors que le garde sait tout cela, eh bien il présente tous

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1 les signes d'une intention délictueuse, ce qui suffit à lui faire porter

2 sa responsabilité pénale.

3 Si un garde est au courant de tout cela et s'il continue à détenir

4 illégalement ces civils, il se rend coupable pénalement et on ne peut

5 invoquer l'ordre émanant du supérieur hiérarchique pour essayer de se

6 soustraire à un crime reconnu par le Statut de ce Tribunal.

7 Nous pensons que la position de la défense et celle de l'accusation sur ce

8 point précis ne sont pas si différentes. Nous parlons ici des personnes

9 qui travaillent au plus bas niveau de l'administration du camp, qui ne

10 savent peut-être pas ce que sont les règles qui sont en application, qui

11 ne sont peut-être pas à même d'imaginer ce que peuvent être les

12 circonstances qui ont entouré la mise en détention des civils.

13 Mais je vous renvoie dès lors au paragraphe 265 du mémoire en réponse

14 déposé par les conseils de la défense de M. Delic, pages du Greffe A2393 à

15 A2392. Ce paragraphe indique, je cite: "On peut dès lors dire que la

16 détention est illégale de la même façon que l'on peut dire que, parfois,

17 un l'ordre militaire est illégal. La détention qui a été celle qui a été

18 pratiquée à une échelle très grande pendant la Seconde Guerre mondiale

19 était illégale. Les gardes qui ont déchargé les trains, qui ont séparé les

20 hommes des femmes, qui ont supervisé l'arrivée de ces personnes dans les

21 chambres à gaz ne pouvaient pas comprendre qu'ils faisaient partie d'une

22 activité légale, ne pouvaient pas croire qu'ils prenaient part à une

23 activité légale. Et de la même façon, le garde d'une prison qui accepte un

24 détenu en se basant sur la décision d'un Tribunal compétent est en train

25 d'agir comme si le jugement était la loi d'application, même s'il s'avère

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1 que le jugement est par la suite réexaminé et fait l'objet d'un appel."

2 Je vous renvoie maintenant à ce qui a été dit quant à la connaissance

3 qu'avait M. Delic de ce qui se passait dans le camp et nous établissons

4 tout cela dans notre mémoire au paragraphe, notamment, 7.16. L'accusation

5 est d'avis que, sur la base des éléments de preuve qui ont été soumis, la

6 seule conclusion raisonnable qui aurait dû être tirée par la Chambre de

7 première instance était que M. Delic, comme M. Mucic, était conscient du

8 fait que des civils étaient détenus dans des camps, qu'ils étaient détenus

9 sur la base de leur seule appartenance ethnique, et que leur détention

10 était totalement illégale.

11 Dans la mesure où la détention d'aucun de ces détenus n'avait trait à la

12 nécessité d'assurer la sécurité de l'Etat, dans la mesure où aucune

13 enquête n'a été engagée pour essayer de s'assurer du statut de ces civils,

14 eh bien ces civils étaient détenus de façon illégale et auraient dû être

15 immédiatement remis en liberté. Voici ce que nous avons à dire pour ce qui

16 est de la responsabilité de M. Delic au titre de l'article 7.1.

17 Pour ce qui est de sa responsabilité au titre de l'article 7.3, l'appel

18 que nous interjetons s'appuie sur une conclusion selon laquelle M. Delic

19 avait un certain nombre de subordonnés sous ses ordres qui se sont rendus

20 coupables de crime de détention illégale de civils. Là également

21 intervient le cinquième motif d'appel qui a trait au statut du supérieur

22 hiérarchique.

23 Et puis, il y a également la nécessité de se rappeler du fait qu'il y

24 avait dans ce camps des gardes individuels qui étaient placés sous la

25 direction de M. Delic et qui avaient suffisamment de connaissances pour

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1 savoir qu'ils se rendaient coupables d'un crime en se livrant à la

2 détention illégale de civils.

3 La Chambre de première instance ne s'est pas prononcée sur le fait qu'il y

4 avait peut-être des gardes qui savaient qu'ils étaient en train de se

5 livrer illégalement à la détention de civils. Effectivement, la Chambre ne

6 s'est pas prononcée expressément là-dessus, et nous le reconnaissons.

7 Ceci étant dit, l'accusation estime que, sur la base de l'ensemble des

8 éléments de preuve, la seule conclusion qui pouvait être tirée était qu'au

9 moins certains des gardes étaient au courant de la situation. Je ne

10 donnerai qu'un exemple. Au paragraphe 1269 du jugement, on fait référence

11 au témoignage d'un témoin, témoignage qui est accepté par la Chambre de

12 première instance, témoignage qui indique qu'à un moment donné M. Delic

13 est arrivé dans le hangar n°6, et je cite: "nous a dit: vous êtes tous

14 détenus parce que vous êtes serbes." (fin de citation) Il apparaît donc

15 que les circonstances de la détention des détenus étaient connues de tous

16 dans le camp, n'étaient pas un aspect confidentiel dont les gardes

17 n'étaient pas au courant.

18 Pensons également à la composition des détenus: qui étaient ces détenus?

19 Il y avait notamment des hommes âgés de 60 ans, de 70 ans, et je vous

20 renvoie à ce qui a été dit par la Chambre de première instance aux

21 paragraphes 823, 839, 850 et 892. Vu la façon dont les détenus étaient

22 traités, la seule conclusion qui aurait dû être tirée était qu'au moins

23 certains des gardes étaient conscients du fait que la détention des civils

24 était une mesure collective, que la détention visait des personnes qui

25 étaient détenues seulement du fait de leur appartenance ethnique et que

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1 ceci n'avait rien à voir avec des intérêts de sécurité intérieure.

2 Si la Chambre d'appel n'accepte pas que c'est là la seule conclusion

3 raisonnable qui aurait dû être tirée, eh bien l'accusation demande que

4 l'acquittement qui a été prononcé pour le chef d'accusation 68 soit

5 renversé dans la mesure où il y a responsabilité au titre de l'article 7.1

6 du Statut, et si ce n'est pas le cas, au titre de l'article 7.3. Et voici

7 ce que l'accusation a à dire sur le sixième motif d'appel qui est le sien.

8 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Maître Staker. Vous

9 pouvez reprendre place. Maître Moran, je me tourne désormais vers vous.

10 M. Moran (interprétation): (Hors micro.) Avec votre permission, Monsieur

11 le Président, Messieurs les Juges, merci. Je m'appelle Tom Moran et en

12 compagnie de M. Salih Karabdic, je représente M. Hazim Delic dans le cas

13 d'espèce.

14 La première chose que je voudrais aborder, c'est la question de la

15 responsabilité du commandant et du responsable hiérarchique. Je crois que

16 nous en avons plus dit sur ce sujet que vous ne souhaitez en entendre

17 dire. Je crois que tout a été dit, ou presque. Ce que je voudrais faire

18 simplement, c'est apporter les éclaircissements sur certains points qui

19 sont peut-être encore ambigus et peut-être, surtout, répondre aux

20 questions qui sont peut-être les vôtres.

21 La responsabilité du supérieur hiérarchique suppose qu'un commandant est

22 responsable des actes commis par d'autres, même si lui n'a pas de lien

23 direct avec les actes perpétrés. C'est un type très particulier de

24 responsabilité. Cela n'a rien à voir avec la responsabilité personnelle

25 qui peut être celle d'un commandant ou de toute autre personne qui ordonne

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1 qu'un crime soit commis, qui encourage à la perpétration d'un crime, qui y

2 prend part, même. La doctrine de la responsabilité du supérieur

3 hiérarchique a souvent été abordée et l'accusation veut en faire une épée

4 à double tranchant où toute personne est déclarée responsable parce qu'ils

5 n'arrivent pas à les coincer sur un autre sujet.

6 Mais derrière cette doctrine juridique, il y a la nature même du

7 commandement et de la position de supérieur hiérarchique. Le seul document

8 que j'ai pu trouver sur la responsabilité du supérieur hiérarchique

9 apparaît au paragraphe 42 de mon rapport: c'est un document qui a été

10 dressé en 1775 au niveau fédéral américain, document qui établit que les

11 commandants sont responsables pour les actes perpétrés par leurs

12 subordonnées si ces subordonnés ont, par exemple, commis des actes de

13 pillage et s'ils n'ont pas été punis pour cela. S'il n'y a pas eu de

14 sanction, le commandant est considéré comme responsable, comme si c'était

15 lui qui avait perpétré l'acte criminel.

16 A la base de la question de la responsabilité du supérieur hiérarchique,

17 il y a l'idée que le commandant est responsable de tous les actes de son

18 unité ou de tout ce que son unité ne fait pas. Le commandant a l'autorité

19 qui lui permet d'exercer sa volonté sur ses subordonnés. Le commandant

20 peut exercer cette responsabilité, peut la déléguer, mais cette

21 responsabilité est toujours la sienne. Ce n'est pas le premier sergent, le

22 premier lieutenant qui peut en être investi, c'est toujours le commandant

23 qui est investi de cette responsabilité.

24 Les trois conventions de Genève de 1949, lorsqu'elles parlent de ce qu'est

25 une partie belligérante, exigent que les unités belligérantes soient

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1 placées sous la responsabilité d'un commandant qui se dit responsable des

2 actes de ses subordonnés.

3 Alors que je me rendais à l'aéroport pour prendre mon avion pour La Haye,

4 j'ai ouvert un livre, une autobiographie qui a été rédigée par un amiral

5 de la marine américaine durant la Seconde Guerre mondiale. Il y a quelque

6 chose qui apparaît dans ce livre et je voulais vous en faire part, vous le

7 lire. Lorsque cet homme est devenu commandant d'un navire, un de ses

8 subordonnés a émis un ordre qui était presque illégal, ou du moins qui

9 était tout à fait erroné.

10 Cet ordre était tellement ridicule qu'il aurait pu mener à la suspension

11 du capitaine, et voilà ce que dit le capitaine, je cite: "Je n'avais pas

12 du tout connaissance de cet ordre, et si j'en avais eu connaissance, je

13 l'aurais sanctionné. Mais cet ordre a été émis sur mon bâtiment et il

14 aurait été de ma responsabilité de parler à tous les officiers du bâtiment

15 de telle sorte que, jamais, ils ne se disent qu'il leur était possible de

16 répondre à des ordres si stupides. J'aurais dû organiser le bâtiment de

17 telle façon que, jamais, un tel ordre n'aurait pu être émis. J'aurais dû

18 superviser les choses de telle façon que jamais une telle erreur n'aurait

19 pu être commise." (Fin de citation) Voilà le commandement lorsqu'il est

20 exercé de façon pleine et entière, Monsieur le Président, Messieurs les

21 Juges.

22 L'étendue des responsabilités qui sont celles d'un commandant ou d'un

23 supérieur hiérarchique est immense. Plus le commandant a de l'autorité, de

24 la compétence, plus ses devoirs et ses charges sont importants.

25 Je vous renvoie à l'affaire des otages et à l'affaire du haut commandement

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1 dont a parlé M. Fenrick un peu plus tôt ce matin. Il faut établir une

2 distinction entre un commandant d'une force d'occupation qui a toute

3 l'autorité qui est celle de l'Etat, pour exercer une autorité dans une

4 zone donnée. Et par exemple, dans cette affaire du haut commandement, le

5 maréchal Van Leeb a été tenu non responsable par la Chambre, non

6 responsable des abus dont avaient souffert les prisonniers parce qu'il

7 n'était pas responsable des secteurs où ces abus avaient été perpétrés.

8 Je ne suis pas d'accord quant à l'interprétation qui est faite des

9 articles 86 et 87, et je ne suis pas d'accord avec ce qu'a dit M. Fenrick

10 sur ce point. Mais là où je suis d'accord avec lui, c'est que, de façon

11 générale, il faut se pencher sur le droit international coutumier, et

12 notamment les affaires qui ont suivi la seconde mondiale, l'affaire du

13 haut commandement, l'affaire des otages notamment.

14 Il faut se pencher sur ces affaires pour essayer de savoir quand une

15 personne peut-être tenue responsable au titre de la théorie de la

16 responsabilité du hiérarchique.

17 L'accusation s'appuie notamment sur trois affaires lorsqu'elle essaie

18 d'évoquer cette question de la responsabilité du supérieur hiérarchique

19 telle qu'elle découle de la théorie de l'influence. Deux sont tirées des

20 affaires de Tokyo, il y a la condamnation du général Muto et puis il y a

21 la condamnation de l'ancien ministre Hirota.

22 Je voudrais lire quelque chose qui a été écrit par un commentateur

23 juridique sur le Tribunal de Tokyo.

24 Le commentaire dit, je cite: "Parce que la décision de Tokyo est unique en

25 son genre, sa valeur en termes de jurisprudence n'est pas claire. Sur la

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1 base de cette décision, il est difficile de savoir si les dirigeants

2 politiques et bureaucratiques ont exactement les mêmes responsabilités que

3 les commandants militaires lorsqu'il s'agit de parler des actes commis par

4 leurs subordonnés.

5 D'abord, parce que la doctrine de la responsabilité peut s'appliquer de

6 façon différente dans un système militaire et dans un système non

7 militaire. Et l'autre question qui se pose est de savoir si les

8 commandants militaires exercent effectivement un commandement. Est-ce

9 qu'ils ont contrôle sur leurs subordonnés? Est-ce qu'ils appartiennent à

10 un système hiérarchique rigide où les pouvoirs disciplinaires sont

11 énormes?

12 L'étendue de l'autorité militaire inclut le pouvoir de donner des ordres à

13 des subordonnés, même de leur demander de risquer leur propre vie, alors

14 que les dirigeants bureaucratiques et politiques n'ont pas ce type de

15 pouvoir sur la la vie et la mort des gens, n'ont pas ce type de

16 compétence." (Fin de citation)

17 Et moi, je participe entièrement ce que dit ce commentateur juridique.

18 Lorsque M. Fenrick nous dit ce qui s'est passé à Tokyo, il a parfaitement

19 raison, si l'on regarde la situation du commandant Muto et si l'on regarde

20 la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique, eh bien, on ne

21 peut qu'être d'accord avec la décision qui a été prise à Tokyo.

22 Mais les personnes qui n'appartiennent pas à un système militaire peuvent

23 également être tenues responsables, dans le cadre de la théorie de la

24 responsabilité du supérieur hiérarchique. La seule différence, c'est qu'il

25 va s'agir de quelqu'un qui exerce un certain nombre de pouvoirs sur des

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1 subordonnés, pouvoirs qui sont relativement comparables à ceux d'un

2 commandant militaire, mais ce type de pouvoir est très rarement exercé par

3 un civil.

4 Il faut alors se référer à des personnes qui interviennent dans le système

5 de la police à un niveau très élevé ou bien il faut se tourner vers des

6 bureaucrates qui occupent un rang très élevé, qui ont des pouvoirs en

7 matière de prise de décision, qui ont de réels pouvoirs en matière de

8 prise de sanction vis-à-vis de leurs subordonnés.

9 Le meilleur exemple de supérieur hiérarchique, c'est l'affaire Aleksovski.

10 Il s'agissait du commandant de la prison, il a été désigné à ce poste. Il

11 avait donc, en tant que tel, tout pouvoir sur tout ce qui se trouvait à

12 l'intérieur de la prison. Peu importait qu'il s'agissait d'un militaire ou

13 d'un civil dès lors qu'il était investi de ce type d'autorité

14 individuelle.

15 Voyons ce que n'est pas un supérieur hiérarchique... Un supérieur

16 hiérarchique n'est pas forcément quelqu'un qui occupe un poste très élevé

17 dans la hiérarchie. Prenons par exemple, le chef d'état-major d'une unité

18 militaire. Nous savons grâce aux affaires des otages et du haut

19 commandement, qu'un chef de l'état-major n'est pas forcément responsable

20 pénalement au titre de la théorie de la responsabilité du supérieur

21 hiérarchique. Même vis-à-vis des personnes placées directement sous sa

22 compétence.

23 Pourquoi est-ce qu'il ne peut pas être considéré responsable? Parce qu'il

24 n'est pas investi d'une responsabilité de commandement suffisante. Et

25 pourtant, ce chef d'état-major, par la simple nature de son rang va être

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1 la personne d'expérience vers laquelle la plupart des subordonnés vont se

2 tourner, vers laquelle la plupart des commandants d'unités vont se

3 tourner. Peut-être que tous les commandants de régiment et de brigade

4 auront les yeux tournés vers lui, au moment de se tourner vers un

5 supérieur hiérarchique.

6 Par conséquent, il faut essayer de voir quels sont les pouvoirs

7 personnels, quelle est l'autorité personnelle dont jouit un individu? Ce

8 n'est pas l'autorité officielle, ce ne sont pas les pouvoirs délégués qui

9 sont importants. L'autorité qui est importante, c'est l'autorité qui est

10 inhérente au statut de commandant. Chacun d'entre nous ou ceux d'entre

11 nous qui ont occupé un poste important dans le système militaire, ont

12 signé des documents au nom du commandant.

13 Cela a été mon cas, j'ai fait carrière, et j'ai signé ce type d'ordre. Et

14 pourtant, mon commandant n'a jamais vu l'ordre. Je l'ai signé en son nom

15 et c'est lui qui était responsable de cet ordre. Si moi, je faisais une

16 erreur, je devais répondre de mon acte devant lui. Mais j'ai signé cet

17 ordre tout en sachant que je n'étais pas investi d'une autorité de

18 commandant. Et ce que je dis pour mon exemple personnel prévaut dans tout

19 système militaire digne de ce nom.

20 Etre supérieur hiérarchique, ça ne signifie pas que l'on ait une

21 personnalité particulièrement exceptionnelle et qu'on exerce une sorte de

22 contrôle informel sur d'autres personnes appartenant soit à une unité

23 militaire, soit à une administration. Pourquoi? Eh bien, pour deux

24 raisons.

25 Premièrement, parce que ce commandant de jure, à ce moment-là ne serait

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1 pas responsable. Il pourrait dire: "Eh bien, moi, je n'étais pas en mesure

2 de contrôler Ratko Mladic. Il était incontrôlable, cet homme. Il a une

3 personnalité beaucoup plus forte que moi". La responsabilité de

4 commandement réside dans le commandant, c'est le commandant qui en est

5 investi et nul autre.

6 Comme vous pouvez le voir à la lecture de mon mémoire, ce qui me gêne le

7 plus dans la décision de la Chambre de première instance, c'est le concept

8 du commandant de fait, je ne sais pas bien ce qu'est un commandant de

9 facto. Si un commandant de facto, c'est quelqu'un comme Aleksovski qui

10 était un civil, qui exerçait les mêmes pouvoirs qu'un commandant militaire

11 sans posséder aucun titre, à ce moment-là, ça va. Je l'accepte.

12 Vous considérez également qu'un commandant de facto, c'est quelqu'un

13 plutôt que l'on imagine dans un conflit interne où une force rebelle n'a

14 pas le pouvoir de désigner quelqu'un d'officiel. Donc, par définition, ils

15 vont désigner des gens qui seront des commandants de facto et non pas de

16 jure.

17 Mais si l'on commence à appliquer ce genre de raisonnement à des personnes

18 qui exercent une autorité déléguée ou qui ont une personnalité

19 particulièrement forte et qui, de ce fait, détiennent un certain pouvoir,

20 des gens qui ont donc un certain pouvoir, une certaine influence sur des

21 troupes, à ce moment-là, tout devient extrêmement confus.

22 L'influence: je ne suis pas très sûr de ce que signifie l'influence. Une

23 influence suffisante: je ne vois pas comment on peut définir un critère

24 qui peut la déterminer. Comment savoir si cette personne ou cette autre

25 avait ou n'avait pas une influence suffisante pour être tenue responsable

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1 au titre de critère du supérieur hiérarchique, dans la perspective adoptée

2 par l'accusation? Je ne vois pas.

3 Il est clair que dans une unité militaire, la personne qui a le plus

4 d'influence au sein d'une unité, en dehors du commandant, c'est sans doute

5 le chef d'état-major. Puisque le chef d'état-major, c'est le bras droit du

6 commandant, c'est lui qui est en charge du fonctionnement quotidien de

7 l'état-major. Et de tous les membres de l'état-major qui font tout ce que

8 le commandant lui-même n'a pas le temps de faire. Et pourtant, cette

9 personne d'influence n'est pas responsable au titre de la responsabilité

10 du supérieur hiérarchique.

11 Si nous parlons simplement de pouvoir, d'une influence importante, je vais

12 vous donner un exemple, c'est l'assistant juridique du commandant. Or,

13 l'assistant juridique du commandant d'une unité, si ce juriste n'a pas

14 assez d'influence sur le commandant, à ce moment-là, le commandant doit le

15 renvoyer parce qu'il doit avoir quelqu'un en qui il puisse avoir

16 confiance. Or, cet assistant juridique du commandant peut très bien être

17 le supérieur du commandant. A ce moment-là, si on utilise cette logique

18 puisqu'il a une certaine influence sur le commandant. Là, cela devient

19 complètement absurde tout cela, si on suit cette logique.

20 Dans le droit pénal, il faut avoir un certain nombre de certitudes est et

21 il faut interpréter le droit pénal de façon stricte et étroite, si je puis

22 dire.

23 Si on adopte la théorie de l'influence présentée par l'accusation, je ne

24 ne vois pas comment on peut se forger une certitude quelconque pour savoir

25 si quelqu'un est responsable parce qu'il a de l'influence. L'accusation

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1 nous dit: "eh bien, il faut regarder les choses au cas par cas".

2 S'il faut examiner les choses au cas par cas, à ce moment-là, la certitude

3 est complètement inexistante, la certitude dont je parlais tout à l'heure.

4 Dans cette affaire, la connaissance qu'a le commandant n'entre absolument

5 pas en jeu.

6 L'accusation, je crois, souhaite... Quelqu'un d'ailleurs a parlé de débat

7 théorique au sujet de ce que nous disait l'accusation et je ne crois pas

8 que ce soit quelque chose qui soit très utile à la Chambre d'appel et que

9 la Chambre d'appel va utiliser. Mais si c'est le cas cependant, eh bien,

10 on peut démarrer avec l'article 7 du Statut. Et si vous me permettez de

11 m'éloigner un peu de mon sujet, je vais parler brièvement du statut.

12 Moi, j'estime que le Statut ne définit pas les comportements criminels.

13 Ces comportements criminels sont définis par d'autres textes juridiques.

14 Le Secrétaire général l’a dit très clairement dans son rapport au Conseil

15 de sécurité. Ce que fait le Statut de ce Tribunal c'est de mettre en place

16 un Tribunal qui est destiné à poursuivre les crimes, les violations de

17 certains textes de loi à un moment donné et à un endroit donné.

18 Et ce Statut confère la compétence qui lui appartient à ce Tribunal. Je

19 reprends l'article 7-3: "savait ou avait des raisons de savoir que le

20 subordonné s'apprêtait à commettre cet acte". Or, ceci est complètement

21 différent de ce qui apparaît du critère utilisé dans l'affaire du haut

22 commandement. Dans l'affaire du haut commandement, le Tribunal a estimé

23 qu'un commandant a le devoir de recevoir des rapports et si ces rapports

24 ne sont pas suffisants. Il ne peut pas invoquer cela comme un moyen de

25 défense. Cela signifie qu’il n’a pas répondu à ses devoirs.

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1 Je pense qu'il est indéniable qu'à tout niveau que ce soit, un commandant

2 dispose de toutes les informations et de toutes les connaissances de ce

3 qui se passe dans son quartier général. C'est le seul critère sur lequel

4 on peut se baser. Dans une des affaires, dans l’affaire de Mylai au

5 Vietnam, il est apparu que le commandant de compagnie savait exactement

6 qu’il y avait des massacres qui étaient en train de se produire et dès

7 qu'il l'a appris, il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour mettre

8 un terme à ce genre de chose. Et l'article 7-3 prévoit que la personne

9 sait qu'il y a des actes criminels qui sont en train de se produire. Je ne

10 pense pas que l'article 7-3, qui a trait à la responsabilité du supérieur

11 hiérarchique, vous autorise à regarder au-delà des connaissances dont

12 disposait effectivement le commandant et de ce qu'il aurait dû faire sur

13 la base des informations dont il disposait. Maintenant si je reviens aux

14 arguments présentés par l'accusation: la sanction, les sanctions.

15 Suivant les commandants, le moyen de sanctionner varie. Et moi, dans le

16 système militaire que je connais, ceux qui n'ont pas un poste de

17 commandant ne sont pas en mesure d'imposer des sanctions, du point de vue

18 légal, du point de vue juridique. Ils peuvent très bien emmener le type ou

19 le soldat derrière la caserne, mais légalement, ils n'ont pas l'autorité

20 d'imposer des sanctions juridiques à des hommes qui appartiennent à leur

21 unité.

22 Et on nous a parlé de l'influence du commandant, d'une doctrine de

23 l'influence du commandant. Je n'allais pas en parler mais, finalement, je

24 pense que c'est important. C’est-à-dire que c'est la possibilité pour le

25 commandant d'intervenir dans le cadre de la justice militaire, la

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1 discipline. Dans le système militaire que je connais bien, bon je ne suis

2 pas un expert dans tous les systèmes militaires, mais dans mon système

3 c'est le commandant qui décide si quelqu'un passe en cour martiale ou non.

4 Si quelqu'un passe en justice pour un crime, ce n'est pas l’assistant

5 juridique du commandant de l’état major, ce n'est pas le juge militaire,

6 c'est le commandant qui décide que quelqu'un va passer devant la cour

7 martiale et quels vont être les faits qui vont lui être reprochés. La

8 doctrine de l’influence du commandant nous dit tout simplement que le

9 commandant n'a pas le droit d'influencer le résultat de cette sanction, de

10 cette démarche. Le commandant ne peut pas aller voir le jury, les membres

11 du Tribunal militaire et leur dire: "Bon, vous allez le prononcer coupable

12 ou non coupable?" Cela, c'est l'influence juridique du commandant.

13 Le commandant a en revanche une influence, une autorité légitime à savoir

14 le pouvoir de décider, il convient d’entamer une procédure juridique

15 contre quelqu'un. C'est la raison pour laquelle la responsabilité pénale

16 est limitée au commandant et pourquoi elle ne s'applique à personne

17 d'autre.

18 La chaîne de commandement maintenant. La chaîne de commandement, c’est

19 quelque chose d'extrêmement simple, c'est une chaîne qui passe de

20 commandant à commandant, de l’échelon le plus élevé à l’échelon le plus

21 bas. Les gens qui ne sont pas commandant ne figurent pas dans une chaîne

22 de commandement, c'est aussi simple que cela. Les gens qui n'ont pas un

23 poste de commandant ne doivent pas être considérés comme responsables au

24 titre de la théorie de la responsabilité de commandement.

25 Maître Ackerman va en parler mais je remarque dans mes notes que le

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1 Procureur a parlé d'un lien, d'un maillon, de quelqu'un qui fait le lien

2 entre le commandement suprême, la commission d'enquête, le gouvernement

3 municipal, etc. dans la région de Konjic. Donc, il avait une influence, il

4 était supérieur dans le sens de la doctrine de la responsabilité du

5 supérieur hiérarchique. Le simple fait qu'une personne soit un lien, ne

6 fait pas que cette personne soit un commandant. Un officier de liaison lui

7 aussi établit le lien, l'opérateur de la radio lui aussi, celui qui

8 conduit la Jeep qui emmène un coursier, lui aussi c'est un lien, le chef

9 d'état-major aussi.

10 Le travail du chef de l'état-major, c'est de rassembler toutes les

11 informations à l'intention du commandant pour que le commandant puisse

12 comprendre exactement ce qui est en train de se passer.

13 Monsieur Staker en parlant de M. Delic a dit que nous acceptons, et c'est

14 vrai nous acceptons, qu'il était commandant adjoint au moment de l'acte

15 d'accusation. Et c'est vrai qu'après la période de temps couverte par

16 l’accusation, il est devenu commandant pendant une brève période de temps.

17 Or, il n'y a rien dans l'acte d'accusation, rien dans le jugement qui

18 porte sur ce qui s'est passé pendant la période de temps où il était

19 commandant. Le fait qu'il ait été perçu, qu’il ait été tenu comme

20 commandant les gardes n'a absolument aucun intérêt et aucun lien avec rien

21 du tout. Le fait qu'il ait été en mesure de donner des ordres aux gardes

22 ne montre pas forcément qu'il était commandant.

23 Il y a ici la question de l'autorité déléguée dont dispose le chef d'état-

24 major et d'autres personnes que j'ai évoquées en parlant du commandement.

25 Le fait qu'on l'appelait le patron, je ne pense pas que ça change quoi que

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1 ce soit.

2 Quand vous statuerez sur ce qui concerne M. Delic, je pense qu'il faut

3 garder à l'esprit la chose suivante: l’affaire du haut commandement, en ce

4 qui concerne le chef d'état-major d'une armée, d'une unité d'armée, le

5 Tribunal a stipulé que le chef d'état-major n'était pas responsable de ses

6 propres subordonnés dans l'état-major, à savoir les personnes qui

7 relevaient de lui. Et la raison pour laquelle il n'était pas considéré

8 comme étant pénalement responsable de leurs actes, c'est parce que lui

9 n'avait pas un poste de commandant, il n’avait pas la responsabilité de

10 commandement. Il était au mieux quelqu'un qui contrôlait ce qui se

11 passait.

12 Détention illégale, et ensuite je retournerai à ma place, je ne vais pas

13 prendre beaucoup plus de votre temps. Le chef d’accusation relatif à la

14 détention illégale n'a pas trait aux conditions de la détention illégale

15 mais au fait de la détention.

16 Moi je ne connais aucune société civilisée, bien entendu je suis sûr que

17 dès que j’ai dit ça, on va m’en trouver une, mais je ne connais aucune

18 société civilisée où ce sont ceux qui gèrent les prisons qui décident qui

19 va en prison. Il est clair que M. MacFaden, le commandant du quartier

20 pénitentiaire des Nations Unies ne va pas décider qui doit être incarcéré

21 ou non. Si un juge ici fait une erreur au sujet des présomptions qui

22 pèsent contre quelqu'un M. MacFaden, cela lui est bien égal. Tout ce qui

23 est important pour lui, c'est l'autorité.

24 Et sur la base d'un ordre qui lui est donné et qui ne semble pas légal, eh

25 bien, il prendra, il gardera quelqu'un dans son unité de détention. La

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1 même chose s'applique à la prison de Celebici.

2 Les gens qui étaient détenus sont des gens qui ont été mis en détention

3 après avoir lutté contre les forces légitimes de la Bosnie-Herzégovine, un

4 gouvernement qui était reconnu par la plupart des pays du monde et qui

5 avait déjà un siège à l'assemblée générale des Nations Unies. C'est au

6 milieu d'une guerre que cela s'est passé. Les autorités, à ce moment-là,

7 ont le droit de mettre quelqu'un en détention jusqu'à ce que l'on prenne

8 une décision finale. Et qui prend cette décision? Est-ce que ce sont les

9 gardes de la prison ou quelqu'un d'autre, un autre organe de pouvoir? Eh

10 bien moi, j'avance que c'est un autre organe de pouvoir, autre que ces

11 gardes qui prenaient ces décisions.

12 La détention de ces personnes n'était pas aussi illégale, illégale de

13 façon aussi frappante qu'on veut nous le dire, de façon aussi évidente.

14 L'accusation nous dit que la seule qui est, pour démontrer l'intention

15 délictueuse, c'est que ces personnes étaient détenues dans le cadre d'une

16 mesure collective qui s'appliquait à une communauté.

17 Moi, j'estime qu'il faut démontrer plus que cela. Il est vrai que si on

18 est garde à Auchwitz, on sait qu'on participe à une mesure illégale. Mais

19 quand vous avez des personnes qui participent à un conflit armé, des

20 personnes qui luttent contre votre gouvernement légitime, est-ce que le

21 garde de la prison doit encourir des poursuites pour responsabilité pénale

22 si les organes du pays dont il relève ne conduit pas les enquêtes qu'il

23 faut au sujet des personnes détenues?

24 Moi, je ne pense pas qu'il y avait responsabilité pénale individuelle, pas

25 plus qu'on ne pourrait dire qu'un membre du personnel d'une prison est

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1 responsable pénalement s'il reçoit des prisonniers, les met en cellule sur

2 la base d'un ordre d'une autorité légitime, et qu'ensuite il remet en

3 liberté ces personnes sur la base d'un ordre donné par cette autorité.

4 J'ai promis, Messieurs les Juges, d'être aussi concis que possible. Je ne

5 sais pas si j'ai tenu ma promesse mais je me rassois, à moins que vous

6 n'ayez des questions à me poser.

7 M. le Président (interprétation): Permettez-moi de vous poser la question

8 suivante. Je voudrais savoir si j'ai bien compris: vous n'allez donc pas

9 dans le sens de la décision de la Chambre stipulant que le droit coutumier

10 avait été modifié par le Protocole additionnel n°I? Vous dites simplement

11 que ce Tribunal n'avait pas de compétences à cause des limites imposées

12 par l'article 7.3?

13 M. Moran (interprétation): Oui, en ce qui concerne la connaissance des

14 faits. Et moi, j'estime qu'à ce moment-là on se baserait sur une opinion

15 incidente. Il y a des limites qui sont imposées par le Statut, ce sont des

16 limites qui s'imposent sur la compétence du Tribunal et ceci, pour des

17 raisons tout à fait légitimes.

18 Il est tout à fait possible que le Conseil de sécurité ait décidé que

19 certaines personnes, étant donné les ressources disponibles... Je

20 m'interromps.

21 Vous savez qu'au moment où le Statut a été voté, il n'y avait que onze

22 Juges de Chambre de première instance et la Chambre d'appel. On est donc

23 partis du principe qu'on ne pouvait juger qu'un nombre minimum de gens

24 dans le cadre de ce Tribunal. Peut-être ont-ils donc eu l'intention de

25 limiter le nombre de procès qui seraient jugés devant ce Tribunal.

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1 M. le Président (interprétation): Mais donc cela signifie qu'il faudrait

2 aussi, c'est ce que vous voulez dire, si je poursuis votre logique, qu'on

3 n'allait juger que les petits poissons et pas les gros?

4 M. Moran (interprétation): Je crois que ce n'est pas tout à fait ce que je

5 voulais dire. Je ne pense pas que, lorsque le Conseil de sécurité a

6 envisagé la mise en place du Tribunal, je ne pense pas que dans le Bureau

7 du Secrétaire général on ait pensé quoi que ce soit au sujet des personnes

8 qui seraient jugées. Ce n'était pas la question.

9 M. le Président (interprétation): Oui, mais vous semblez nous dire que

10 nous n'avons la possibilité de juger personne en vertu de l'autorité du

11 supérieur hiérarchique, que nous ne pouvons juger et poursuivre que ceux

12 qui sont les auteurs des crimes, à savoir le menu fretin?

13 M. Moran (interprétation): Non, ce que je vous dis, c'est que la

14 responsabilité du commandement, c'est la responsabilité unique que l'on

15 peut reprocher uniquement aux commandants qui exerçaient un commandement

16 et qui ont dit à leurs subordonnés ou ordonné à leurs subordonnés de

17 commettre des crimes. Ce sont ces personnes-là qui doivent être jugées.

18 Et si le Procureur peut prouver que ces personnes savaient ou avaient des

19 raisons de savoir que des crimes allaient être commis ou avaient été

20 commis, et qu'ils n'ont rien fait pour l'empêcher. Et moi, je pense que

21 cela limite la portée, par exemple, qui avait été adoptée dans l'affaire

22 du haut commandement où on disait que le commandant était responsable

23 parce qu'il n'avait pas reçu des rapports dignes de ce nom.

24 Je pense que c'est la question de savoir ou aurait dû savoir, le fait de

25 ne pas être délibérément ignorant de ce qui se passe.

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1 M. Bennouna: Maître Moran, une question très précise qui concerne la

2 distinction entre le supérieur de jure et le supérieur de facto. Le

3 Procureur a dressé cette distinction en disant que, finalement, ce qui

4 compte au niveau de la responsabilité, c'est le pouvoir effectif du

5 supérieur et non pas sa position juridique ou sa position légale. Et pour

6 apprécier ce pouvoir effectif, il a dit que ceci revient le plus souvent à

7 examiner le cas par cas, "case by case basis".

8 Vous avez apparemment rejeté cette idée ou cette proposition d'examiner

9 sur le cas par cas en disant que ceci manque de certitude, "there is an

10 complete lack of certitude if one have to look on a case by case basis".

11 C'est ce que vous avez dit: "Je ne vois pas comment on peut

12 personnellement examiner le pouvoir effectif de quelqu'un sans que ce soit

13 au cas par cas." La règle générale, c'est que c'est le pouvoir effectif,

14 le pouvoir que l'on a dans les faits, quelqu'un dont on sait qu'il donne

15 des ordres et qu'il est perçu comme un supérieur, et ceci ne peut se

16 prouver que dans le cas par cas.

17 Je vous pose la question: est-ce que vous voulez dire que vous êtes contre

18 la proposition qui consiste à dire que la responsabilité dépend du pouvoir

19 effectif?

20 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge, je vais essayer d'être plus

21 clair. Mais si vous me permettez, je vais réfléchir deux secondes. Oui, ma

22 position, c'est que l'autorité, au sens militaire du terme, implique le

23 commandement, cela va ensemble. Mais quand on commence à faire une

24 confusion entre qui est commandant et qui n'est pas commandant, à ce

25 moment-là la situation juridique devient elle aussi très confuse.

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1 Je pense que le commandant de facto, de fait, si on prend en compte le

2 contrôle effectif, eh bien, cette notion est beaucoup plus pertinente

3 lorsque vous parlez du monde civil: quand on décide si un bureaucrate

4 civil, si un dirigeant civil est responsable au titre de la responsabilité

5 de commandement.

6 Mais même là, même dans ce cas, il va falloir prendre en compte d'une

7 certaine façon le contrôle effectif, mais aussi le contrôle qui lui

8 revient du fait de la loi.

9 M. Bennouna: Vous connaissez quand même la doctrine de l'agent de fait

10 telle qu'elle a été développée dans la jurisprudence du Tribunal et dont

11 l'affaire du Nicaragua par la Cour internationale de justice?

12 M. Moran (interprétation): Oui.

13 M. Bennouna: L'agent de fait qui n'est pas nécessairement quelqu'un qui

14 est investi d'une quelconque compétence légale officiellement.

15 M. Moran (interprétation): Oui, Monsieur le Juge. Mais je crois que nous

16 ne parlons pas tout à fait de la même chose. Peut-être ne pensez-vous pas

17 cela, mais je pense qu'il y a une chose: d'abord vous avez la

18 responsabilité d'un Etat qui exerce une influence et un contrôle sur ses

19 agents, par exemple ce que les Etats-Unis ont fait, l'influence qu'ils

20 exerçaient sur les Contras au Nicaragua. Et là, vous avez un conflit armé,

21 un conflit interne qui peut se transformer en conflit international de ce

22 fait.

23 Mais quand on parle de la responsabilité du commandant, eh bien, tous les

24 commandants ont des agents. Un commandant ne peut pas faire tout tout

25 seul: il a automatiquement un état-major, il a automatiquement un aide, un

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1 assistant qui doit lui dire où il doit être à quel moment, etc. Il a

2 automatiquement un chef d'état-major.

3 M. Bennouna: Je crois que j'ai eu assez pour ma réponse, Monsieur Moran.

4 Est-ce que vous pensez que la théorie du command responsability se limite

5 aux militaires ou bien est-ce qu'elle s'étend aussi aux politiques?

6 M. Moran (interprétation): Il est très clair que cela s'étend également

7 aux hommes politiques, cela me semble tout à fait indéniable. Mais je

8 pense que dans le monde civil, c'est un petit peu plus difficile à

9 appliquer. Pourquoi?

10 Eh bien, parce que généralement dans le monde civil, dans la vie civile,

11 on n'a généralement pas les indices, les éléments qui permettent de

12 déterminer qu'il y a effectivement autorité et l'autorité militaire parce

13 que le militaire, le commandant militaire dit aux soldats: "Prenez cette

14 colline sinon vous allez en prison".

15 Tandis que quelqu'un qui est responsable, un administrateur dans une

16 compagnie ne peut pas faire la même chose, il peut simplement dire: "Vous

17 faites ça ou je vous mets dehors".

18 Donc, ces éléments qui indiquent l'existence de l'autorité, la capacité

19 d'imposer sa volonté, c'est différent dans le monde civil et c'est

20 beaucoup plus difficile à déterminer et c'est pourquoi les commentateurs

21 juridiques parlent généralement de civils qui ont une autorité qui

22 s'apparente à celle des militaires.

23 M. le Président (interprétation): Il y a une autre question que l'on

24 souhaite vous poser mais, tout d'abord, je pense qu'il vaut mieux faire la

25 pause.

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1 Mais avant, j'aurai dû annoncer ce matin qu'en ce qui concerne les motifs

2 d'appel appartenant au groupe 3, nous allons les examiner après les motifs

3 du groupe 4. Cela me semble plus logique à la lecture de ces motifs. Donc,

4 tout d'abord les motifs du groupe 4 et ensuite du groupe 3,

5 vraisemblablement demain. Nous allons suspendre l'audience et nous

6 reprenons à 16 heures 30.

7 (L'audience, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 32.)

8 M. Riad (interprétation): Bonjour, Maître Moran.

9 M. Moran (interprétation): Bonjour, Monsieur le Juge.

10 M. Riad (interprétation): J'aimerais poursuivre votre raisonnement un peu

11 plus loin. Le raisonnement que vous avez tenu, s'agissant du fait que le

12 commandant a la capacité d'empêcher l'auteur d'un acte ou de prévenir cet

13 acte. Vous avez dit que ce commandant doit avoir de l'influence ou du

14 pouvoir et qu'il doit être capable de poursuivre en justice l'auteur de

15 tel ou tel acte.

16 Je vous comprends très bien s'agissant de la punition. Il faut qu'il ait

17 la possibilité de poursuivre en justice pour qu'une punition existe et

18 bien sûr vous parlez, n'est-ce pas, du commandant de jure en droit et pas

19 du commandant de facto?

20 M. Moran (interprétation): Oui, absolument.

21 M. Riad (interprétation): Donc, dans ces conditions, le fait qu'il soit

22 commandant de jure implique-t-il automatiquement qu'il a la possibilité de

23 poursuivre en justice l'auteur d'une infraction ou bien, tout en étant

24 commandant de jure, doit-il prouver qu'il a les moyens de poursuivre en

25 justice?

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1 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge, tout cela va un tout petit

2 peu plus loin que les affaires militaires auxquelles je suis accoutumé.

3 Mais il me semble qu'il est inhérent au poste de commandant de dire que ce

4 commandant a la possibilité de poursuivre en justice, de convoquer une

5 Cour martiale et que c'est, en effet, le commandant de la division qui va

6 être celui qui convoque la Cour martiale. Il a donc le pouvoir de décider

7 s'il convient ou pas de le faire.

8 M. Riad (interprétation): Il a ce pouvoir inhérent donc vous n'aurez pas

9 une condition supplémentaire.

10 M. Moran (interprétation): Je ne pense, Monsieur le Juge, à moins que nous

11 soyons dans une situation où un militaire qui est un commandant n'avait

12 pas la possibilité de lutter contre un défaut de punition.

13 M. Riad (interprétation): Merci beaucoup, parce qu'il faut être très

14 prudent dans ce genre d'argumentation.

15 M. Moran (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, mais je parle bien du

16 commandant militaire parce que, à l'évidence, un supérieur hiérarchique

17 civil n'aura pas ce genre d'autorité.

18 Il pourrait avoir l'autorité de révoquer quelqu'un de son emploi, de

19 licencier quelqu'un ou de réaffecter une personne à un autre poste mais il

20 n'aura pas la possibilité, l'autorité d'un commandant militaire.

21 M. Riad (interprétation): Mais à l'article 7, paragraphe 3, nous lisons:

22 "Prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit

23 acte ne soit commis ou en punir les auteurs". (Fin de citation)

24 M. Moran (interprétation): Oui, Monsieur le Juge.

25 M. Riad (interprétation): Est-ce que cela s'applique à l'inverse

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1 également? Est-ce que cela signifie que l'on peut dire: "Puisque je ne

2 suis pas en mesure de poursuivre en justice, je n'ai pas l'obligation

3 d'empêcher l'auteur d'un acte"?

4 M. Moran (interprétation): Je pense que ce sont deux devoirs distincts

5 d'un commandant.

6 Nous avons d'une part le devoir inhérent à un commandant de veiller à

7 l'accomplissement de sa mission, quelle que soit la nature de cette

8 mission, dans le domaine du droit international. Il est dans l'obligation

9 de le faire, il doit organiser son unité. Il doit superviser cette unité

10 de façon à accomplir sa mission tout en veillant à empêcher des

11 infractions au droit.

12 Par conséquent, si ces infractions se produisent, et cela arrive. Nous

13 savons tous que cela arrive quel que soit le soin apporté par le

14 commandant à sa mission. Il a dans ce cas le devoir de punir. Mais c'est

15 le premier élément qui lui permet d'empêcher également l'auteur d'un acte.

16 Si un commandant ne punit pas une infraction au droit, il encourage

17 pratiquement les gens à commettre des crimes à l'avenir.

18 M. Riad (interprétation): Donc, c'est un devoir qui est inhérent à sa

19 position en tant que commandant de jure?

20 M. Moran (interprétation): Cela va avec l'emploi, effectivement, Monsieur

21 le Juge.

22 M. Riad (interprétation): Et si ce qui est associé à la tâche, consiste à

23 ne pas poursuivre, cette tâche demeure néanmoins identique?

24 M. Moran (interprétation): En droit international coutumier, on ne parle

25 pas de poursuivre en justice, on parle de punir. Et les commandants ont la

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1 possibilité, sur un autre plan que formel, de convoquer une cour martiale

2 pour prendre des sanctions judiciaires.

3 Il y a toutes sortes de moyens pour un commandant de punir un membre de

4 ses troupes sans organiser un procès devant une cour martiale. Cela dit je

5 suis sûr que chacun s'en rend compte.

6 M. Riad (interprétation): Merci beaucoup.

7 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge Bennouna, je pense que je n'ai

8 pas répondu à l'une de vos questions et j'y ai pensé pendant la pause. Je

9 voudrais donc essayer d'y répondre.

10 Vous avez parlé de l'absence de certitude et vous avez demandé si cette

11 absence de certitude était applicable au concept d'influence.

12 M. Bennouna: Monsieur Moran, la question de l'absence de certitude en

13 droit concerne la règle de droit elle-même.

14 M. Moran (interprétation): Absolument.

15 M. Bennouna: Et non pas les conséquences qu'on a tiré de la règle du droit

16 ou la qualification que l'on a faite d'un fait particulier sur la base de

17 la règle de trois.

18 La certitude concerne la règle de droit elle-même.

19 M. Moran (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, mais vous avez aussi...

20 M. Bennouna: C'est pour cela que... Et la règle de droit est fonction de

21 l'état de la règle coutumière elle-même.

22 M. Moran (interprétation): Oui, Monsieur le Juge.

23 Mais il faut que je sois suffisamment certain pour conseiller mon client,

24 qu'il soit commandant ou pas, que si vous agissez de telle façon, vous

25 agissez dans le cadre de la loi et si vous agissez de telle autre façon,

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1 vous risquez de vous retrouver à La Haye, ou ailleurs effectivement aussi.

2 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur Moran.

3 M. Moran (interprétation): Merci.

4 M. le Président (interprétation): Est-ce Me Kuzmanovic, à présent, ou Me

5 Morrison qui prendra la parole le premier, pour la défense de M. Mucic?

6 M. Kuzmanovic (interprétation): C'est moi, Monsieur le Président qui

7 commencerai.

8 M. le Président (interprétation): Vous êtes prêt à commencer?

9 M. Kuzmanovic (interprétation): Oui, si cela vous convient, Monsieur le

10 Président.

11 M. le Président (interprétation): Eh bien, à vous la parole, Monsieur

12 Kuzmanovic.

13 M. Kuzmanovic (interprétation): Bonjour Monsieur le Président, Messieurs

14 les Juges. Puis-je commencer?

15 Je ne sais pas très bien dire si ce que je vais faire maintenant est la

16 fin du début ou le début de la fin de ce procès. Mais dans l'incertitude

17 dans laquelle je me trouve, je vais tout simplement me jeter à l'eau. Le

18 Tribunal, par le biais de M. le Juge Hunt, a très clairement dit qu'il ne

19 souhaitait pas que nous répétions mot pour mot ce que nous avons écrit

20 dans nos mémoires. Je respecterai donc, je me plierai donc à ce désir.

21 La défense de M. Mucic estime que s'agissant de la responsabilité de

22 supérieur, la Chambre de première instance n’a pas examiné suffisamment

23 d’éléments de preuve en concluant qu’il était un commandant de facto

24 pendant toute la durée prise en compte dans l'acte d'accusation. Je pense

25 donc que l'appui sur les éléments de preuve n'était pas raisonnable et

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1 qu’en appel, la Chambre peut substituer sa propre décision à celle de la

2 Chambre de première instance suite aux conclusions dans les affaires Tadic

3 et Aleksovski.

4 Il est possible de dire que le statut de commandant a commencé à partir du

5 mois de juillet. La Chambre de première instance a, à notre avis,

6 déraisonnablement reculé cette date en parlant de commandement de facto à

7 partir du mois de mai. La norme de révision dans l'affaire Tadic et

8 Aleksovski est une norme factuelle et la norme qui doit être prise en

9 compte, à notre avis, c'est ce concept de conclusion déraisonnable.

10 En effet, la conclusion prise par la Chambre de première instance n'est

11 pas acceptable par quelque personne raisonnable que ce soit, ce qui fait

12 que la Chambre d'appel est en droit de modifier, de transformer le

13 jugement de la Chambre de première instance. Ceci figure au paragraphe 64

14 du jugement Tadic du 15 juillet 1999.

15 Même si la Chambre d'appel doit accorder une marge de manoeuvre, la

16 conclusion que les éléments de preuve qui ont été pris en compte n'ont pas

17 été acceptés par un Tribunal raisonnable ou que l'évaluation de ces

18 éléments de preuve était totalement erronée, doit être prise en compte.

19 C'est ce que nous voyons dans le jugement du 24 mars 2000 au paragraphe 10

20 de l'affaire Aleksovski.

21 Outre les arguments présentés, je vais également parler de la conclusion

22 selon laquelle M. Mucic était au moins au mois de mai, juin ou juillet

23 1992. Je dirai que c'est totalement erroné et je pense que je serai

24 d'accord avec ce que M. Farrell a déjà défini plus tôt, parlant de

25 l'application de l'article 7.3 du Statut du Tribunal s'agissant de la

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1 responsabilité de supérieur hiérarchique. Je pense également que le

2 jugement Aleksovski s’applique ici.

3 M. le Président (interprétation): Maître Kuzmanovic, quand vous lisez, je

4 crains fort que vous n'accélériez considérablement votre débit, ce qui est

5 d’ailleurs tout à fait naturel. Mais je vous prierai de veiller à parler

6 plus lentement.

7 M. Kuzmanovic (interprétation): Je vous prie de m'excuser, Monsieur le

8 Président, Messieurs les Juges, et je prie également les interprètes de

9 m'excuser.

10 Le paragraphe 70 du jugement Aleksovski se lit comme suit, je cite: "Toute

11 personne, y compris un civil, peut être tenue pour responsable en

12 application de l'article 7.3 du Statut, s'il est prouvé que cet individu

13 jouissait d'une autorité effective sur les auteurs des crimes. Cette

14 autorité peut être déduite de la capacité de l'accusé à donner des ordres

15 ou à punir en cas d'infractions commises par ces auteurs." (Fin de

16 citation)

17 Il est ensuite stipulé que l'appelant avait effectivement une autorité sur

18 les gardes, qu'il avait une autorité sur eux car il avait également le

19 moyen de rendre compte à des supérieurs de la situation dans la prison, y

20 compris lorsque certains prisonniers étaient maltraités.

21 Je crois que les mots les plus importants ici, sur lesquels il convient de

22 se concentrer, sont les termes "autorité effective". Qu'est-ce qui

23 constitue une autorité effective? Acte d'accusation, paragraphe 20, il y

24 est stipulé entre autre que M. Mucic était commandant du camp de

25 prisonniers de Celebici, à partir à peu près du mois de mai et ce jusqu'au

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1 mois de novembre 1992. C'est tout ce que nous avons comme précision dans

2 l'acte d'accusation.

3 Son autorité, en tout cas d'après l’acte d’accusation, découle du fait

4 qu'il a été nommé à ce poste par Zejnil Delalic, dont la Chambre de

5 première instance se souviendra qu'il a été acquitté. La Chambre n'a donc

6 pas concilié son acquittement de Delalic avec la source de l'autorité de

7 Mucic.

8 Au lieu de cela, la Chambre de première instance, à notre avis, a appliqué

9 un critère déraisonnable pour essayer de légitimer ses conclusions selon

10 lesquelles il aurait été commandant depuis le premier jour. La Chambre

11 reconnaît elle-même, au paragraphe 736 de son jugement, que je cite: "La

12 nomination officielle est un aspect important de l'exercice d'une autorité

13 de commandant ou de supérieur hiérarchique". (Fin de citation)

14 Dans ce même paragraphe, la Chambre de première instance souligne

15 également, je cite: "Le fait critique relativement à l'exercice d'une

16 autorité de commandement réside dans la possession effective ou la non-

17 possession effective du pouvoir de contrôler les actes de ses

18 subordonnés". (Fin de citation)

19 Jusqu'à aujourd'hui nous n'avons jamais eu la possibilité de parler de la

20 nomination officielle de M. Mucic en disant qu'elle ne s'est certainement

21 pas produite avant la fin de juillet 1992. Et je suis sûr que chacun ici

22 se rend compte de la différence. Il est bien sûr important qu'une

23 nomination soit faite par le biais d'un document écrit, d'un document qui

24 comporte un sceau.

25 Il y a tout de même une différence entre un tel document et des ordres.

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1 Jusqu'à aujourd'hui, nous n'avons pas eu la possibilité de décrire

2 exactement ce qu'était cette nomination. Je ne vais pas le faire dans le

3 détail aujourd'hui, mais je crois que ce que la Chambre a fait lorsqu'elle

4 a imputé à M. Mucic l'autorité d'un commandant depuis le mois de mai 1992,

5 c'est-à-dire depuis le début, elle l'a fait en s'appuyant sur sa présence

6 sur les lieux à Celebici et a estimé qu'il s'agissait de la preuve

7 positive de l'exercice par lui du commandement.

8 Le témoignage évoqué par la Chambre de première instance se trouve au

9 paragraphe 739 du jugement, je cite: "A tout moment, l'autorité de facto

10 dans la prison de Celebici était exercée par M. Mucic." (Fin de citation)

11 Malheureusement, comme Me Moran vient de le dire, la Chambre ne nous a pas

12 dit exactement ce qu'était à son sens l'autorité de facto. Je pense que

13 pour nous rendre justice, il faut parler du jugement de la Cour suprême

14 des Etats-Unis, lorsqu'elle définit le terme pornographie. Elle le fait

15 avec presque autant de vague que la Chambre s'agissant d'une autorité de

16 facto. Nous avons beaucoup parlé la date de la nomination réelle de Mucic

17 et de l'autorité exercée par lui dans cette période. Pourquoi?

18 Parce qu'il est important d'établir la date de son commandement, qu’est-ce

19 qui est pertinent? Ça l’est, parce que la plupart des actes répréhensibles

20 qui se sont produits dans le camp de Celebici se situent en mai, juin et

21 juillet 1992. Alors en dehors des buts poursuivis par nous, dans notre

22 exposé, en dehors du fait que M. Mucic a admis et reconnu avoir exercé le

23 commandement du camp à la fin du mois de juillet 1992, comment peut-il

24 être tenu responsable de ce qui s'est passé en juin, juillet.

25 La Chambre dit au paragraphe 745 du jugement que c'est à l'accusation que

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1 revient la charge de la preuve, quant au fait de prouver que M. Mucic

2 commandait le camp de prisonniers de Celebici et ce, en dehors de tout

3 doute raisonnable.

4 Par ailleurs, si l'on joue sur les dates, cela allège la charge de la

5 preuve pour le Procureur, on voit cela au paragraphe 745 du texte. Nous

6 pensons que c'est un passage très important. La Chambre de première

7 instance parle de pléthore de preuves présentées par le Procureur sur le

8 fait de montrer que l'autorité de facto était exercée déjà en mai 1992.

9 A notre avis, c'est une façon de s'appuyer sur les éléments de preuve qui

10 n'est pas raisonnable et est également une évaluation de ces éléments de

11 preuve qui n'est pas convenable.

12 J'aimerais faire remarquer à la Chambre que certains des éléments de

13 preuves sur lesquels elle s'est appuyée, et j'entrerai plus dans le détail

14 plus tard, sont de façon inhérente déraisonnables.

15 La Chambre cite la déposition de plusieurs témoins qui disent que

16 l'exercice effectif du pouvoir au camp de prisonniers de Celebici était

17 exercé par Mucic. C'est le début au paragraphe 745 du jugement, la Chambre

18 déclare que le témoin P aurait dit que M. Mucic l'avait transféré en juin

19 1992 dans un autre endroit que Celebici. Or, si l'on regarde la citation à

20 la page 4518 du compte rendu d'audience, on voit révélé le fait que le

21 témoin P n'a jamais été transféré hors de Celebici en juin 1992. Ce témoin

22 n'a pas dit non plus que M. Mucic était commandant. Le témoin P s'est

23 contenté de dire que M. Mucic avait déclaré être forcé de prendre le

24 commandement du camp un peu plus tard dans l'avenir. Ceci se trouve à la

25 page 4519 du compte rendu d'audience.

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1 Pourquoi est-ce important? Parce que la Chambre de première instance cite

2 le témoin P comme ayant déclaré que Mucic l'aurait transféré en juin 1992,

3 alors qu'en fait cela n'a pas eu lieu. C'est un des exemples de manque de

4 raison dans les décisions de la Chambre de première instance s'agissant de

5 l'exercice effectif de l'autorité.

6 Au paragraphe X du jugement, le témoin N prétend que M. Mucic était

7 commandant parce que Pavo est venu dans le hangar et que M. Delic aurait

8 dit que c'était le commandant qui arrivait.

9 Alors, examinons le compte rendu d'audience, pages 1923 à 1924. La

10 question est posée au témoin N de dire quand il a vu Mucic pour la

11 première fois. Et la réponse, c'est qu'il ne se rappelle pas la date

12 exacte, mais il se rappelle l'avoir vu en août 1992!

13 Alors, je reviens sur cette question, simplement parce que la date de

14 l'exercice de facto du commandement au mois de mai 1992 est appuyée par

15 les témoins qui sont cités dans le jugement de la Chambre de première

16 instance. Nous ne pensons pas que l'évaluation de cet élément de preuve

17 ait été raisonnable.

18 Parlons de Gregorovic qui a été cité comme ayant témoigné d'une façon

19 similaire au témoin N et au témoin P. Or, la question qui lui a été posée

20 sur laquelle s'appuie la Chambre, s'agissant de "l'exercice de

21 l'autorité", entre guillemets, était la suivante: "Avez-vous vu M. Mucic

22 dans le camp?" Et la réponse de ce témoin en page 1453 du compte rendu

23 d'audience est: "Je l'ai vu, mais je ne me rappelle pas exactement à quel

24 moment. Je crois que c'était à la fin du mois juin ou au début du mois de

25 juillet 1992."

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1 Ensuite vient la question suivante, ou plutôt la question précédente:

2 pages 1451 et 1552 du compte rendu d'audience. "Question: avez-vous vu

3 l'une quelconque de ces personnes exercer un commandement dans le camp?"

4 Et s'agissant de ces personnes quelconques, la question portait sur Mucic,

5 Delic ou Delalic. La réponse est la suivante: "Oui, j'ai vu Delic parce

6 que nous devions tous lui obéir, tous les gardes devaient lui obéir. Ils

7 avaient y compris peur de lui. Je ne sais pas ce qu'il en était de Pavo

8 Mucic, je ne me rappelle pas quand je l'ai vu pour la dernière fois, je ne

9 me rappelle pas exactement, mais je crois que c'était vers la fin du mois

10 de juin ou le début du mois de juillet." (fin de citation)

11 Lorsqu'on examine donc certaines des citations dans le jugement de la

12 Chambre de première instance, s'agissant de prouver que l'exercice

13 effectif du pouvoir était exercé par Mucic, le résultat auquel on aboutit,

14 c'est qu'il n'y avait aucune autorité de ce genre, aucun exercice de ce

15 genre de pouvoir.

16 Prenons maintenant le témoin Gregorovic. On lui demande: "Est-ce que vous

17 avez vu M. Mucic exercer le pouvoir, le commandement?" Et la réponse est:

18 "C'est incontestable, en tout cas à l'époque c'était incontestable, il n'y

19 avait aucun doute raisonnable quant au fait que M. Mucic était

20 commandant."

21 Vaso Mirko est cité également pages 43, 48 du compte rendu d'audience. La

22 Chambre de première instance s'appuie donc sur le témoignage de ce témoin

23 qui dit que Mucic s'est identifié comme étant le commandant à la date du

24 13 juillet. Il ne l'a vu que dix jours plus tard et, lors du contre-

25 interrogatoire, M. Dzordjic souligne qu'il n'a jamais parlé de la date du

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1 13 juillet dans d'autres déclarations faites devant les représentants du

2 Bureau du Procureur.

3 Paragraphe 747 du jugement. Mirko Cosic, page 4787 du compte rendu

4 d'audience, dit l'avoir vu une fois au mois de juin. Ensuite, il dit que

5 cela s'est passé fin juillet début août 1992. Monsieur Bralko Zudar

6 également, page 5751 du compte rendu d'audience, dit que le nom de Pavo

7 Mucic a été mentionné par les gardes qui commençaient à frapper les

8 détenus.

9 Ce qui est intéressant dans toutes ces situations, me semble-t-il, c'est

10 qu'il déclare, je cite: "Entre-temps, il a dit que la moitié d'entre nous

11 allions à Musala Konjic. La moitié est partie, moi je suis resté. Lorsque

12 la camionnette est revenue, tous ceux qui étions restés là sommes montés à

13 bord de la camionnette et on nous a emmenés dans une autre prison, celle

14 de Musala, à Konjic." (fin de citation)

15 Personne n'a mentionné le nom de M. Mucic. Personne ne l'a associé à un

16 quelconque transfert, personne n'a y compris dit l'avoir vu sur les lieux.

17 La Chambre de première instance dans son jugement parle beaucoup également

18 de la pièce à conviction 192, un article de presse qui a été montré sous

19 forme de copie au camp: compte rendu d'audience pages 8476 à 8515. La

20 Chambre n'accorde pas une grande validité à ce point, à cet élément de

21 preuve. Il est totalement déraisonnable pour la Chambre de s'appuyer sur

22 cette pièce pour déterminer l'autorité de commandement de Mucic. L'article

23 lui-même n'indique en rien quelle est la fiabilité que l'on peut accorder

24 à cet article de presse s'agissant de l'autorité de commandement ou de la

25 responsabilité de commandant de M. Mucic.

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1 Nedeljko Draganic, autre témoin entendu par la Chambre de première

2 instance, paragraphe 756 du compte rendu d'audience. Monsieur Mucic

3 l'aurait libéré le 30 août 1992, mais il ne se rappelle pas quand il l'a

4 vu pour la première fois. Pages 1612 et 1613 du compte rendu d'audience,

5 ce même témoin dit: "Je ne sais pas qui avait l'autorité sur le camp." Or,

6 ce témoin y est resté pendant trente jours.

7 Dragan Kuljanin, autre témoignage s'agissant de la période pendant

8 laquelle le commandement a été exercé. Dragan Kuljanin, dans le compte

9 rendu d'audience cité par les Juges dans leur jugement, déclare avoir vu

10 M. Mucic plusieurs fois dans le camp au mois de septembre. Il a été

11 interrogé au mois de juin dans le camp, dans le bâtiment du commandement

12 par deux hommes dont ni l'un ni l'autre n'était M. Mucic.

13 Paragraphe 758 du jugement. Plusieurs témoins: Novica Dzordjic, le témoin

14 B, Zoran Ninkovic sont cités. Aucun d'entre eux n'a identifié M. Mucic

15 comme étant le commandant, aucun d'entre eux n'avait la moindre idée de

16 qui était M. Mucic s'agissant du commandement.

17 Ce qui est intéressant, c'est que M. Ninkovic a déclaré avoir vu M. Mucic

18 pour la première fois à Celebici le 6 juin et dit également que cela a été

19 également la dernière fois qu'il l'a vu. Dans le compte rendu d'audience,

20 il d'écart: "Le premier commandant qui s'est présenté était Rale

21 Musinovic, témoignage pages 5152 et 5153 du compte rendu d'audience.

22 Ce que je veux dire en faisant toutes ces citations dans mon exposé, c'est

23 que le seul élément de preuve crédible selon lequel M. Mucic aurait été

24 commandant se situe à la fin du mois de juillet ou au début du mois d'août

25 1992.

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1 Le fait que la Chambre de première instance dise que M. Mucic était à

2 Celebici avant la fin du mois de mai 1992 ne nous perturbe pas parce que

3 je crois que c'est assez clair. Ceci étant dit, le fait que la Chambre de

4 première instance utilise cette présence pour dire que, non seulement il

5 était présent sur place, mais qu'il exerçait une autorité de facto sur les

6 prisonniers et sur son personnel, cela, c'est autre chose. Nous pensons

7 qu'au vu d'un certain nombre des témoignages que j'ai cités jusqu'à

8 présent, c'est quelque chose d'assez déraisonnable.

9 Nous pensons qu'il est également assez peu raisonnable de dire qu'il y

10 avait contrôle en mai, juin et juillet 1992, déraisonnable donc de citer

11 des documents, et je me réfère au paragraphe 754 du jugement, pièces à

12 conviction 75, 84, 95 et 158: tous ces documents ont été signés à la fin

13 du mois d'août.

14 En quoi est-ce que ceci indique contrôle effectif, de facto, en mai, juin

15 et juillet? Eh bien, à vrai dire nous ne le savons pas et cela nous

16 dépasse! Ce qui est assez intéressant, c'est qu'il y a eu témoignage d'un

17 témoin assez important au nom de M. Delalic: il s'appelait M. Sadik

18 Dzummur. C'est une personne qui se trouvait dans le camp en tant que

19 commandant du MUP aux mois de mai et juin 1992. Après que tout le monde a

20 eu fini de lui poser des questions, le Juge Karibi-Whyte, aux lignes 2305

21 et 2306 du compte rendu, lui pose la question suivante:

22 "Question: Savez-vous qui était la personne responsable du camp de

23 prisonniers de Celebici? Qui était responsable à l'époque?

24 Réponse: Jusqu'au 15 juin 1992 au moins, je sais que c'est l'unité du MUP

25 qui était installée à Celebici. A la tête de cette unité, il y avait Rale

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1 Musinovic."

2 Question du Juge Karibi-Whyte: "Savez-vous que le MUP était responsable

3 des prisonniers? Est-ce que le MUP veillait au contrôle de ce qui se

4 passait dans le camp?

5 Réponse: A cette époque-là, oui."

6 Question du Juge Karibi-Whyte: "Quand est-ce que le MUP a cessé d'exercer

7 ce contrôle sur le camp de prisonniers?

8 Réponse: Eh bien, je ne le sais pas exactement. Ce que je pense, c'est que

9 cela s'est passé vers la moitié du mois de juin parce qu'à ce moment-là

10 des forces de la Défense territoriale sont arrivées et des policiers sont

11 repartis." (fin de citation)

12 Je ne crois donc pas qu'il y ait quelque doute que ce soit quant au fait

13 que M. Mucic n'était pas un membre du MUP. Mais en tirer la conclusion

14 qu'il était commandant du camp en mai, juin, juillet de 1992, c'est allé

15 un petit peu loin. Et choisir de ne pas tenir compte du témoignage de M.

16 Dzummur, c'est ne pas prendre le risque de tirer une conclusion

17 raisonnable. La conclusion qui a été tirée est déraisonnable puisqu'elle

18 indique que M. Mucic était commandant pendant une période de temps à

19 laquelle il ne l'était pas!

20 Il y a des éléments de preuve qui montrent que M. Mucic était dans le camp

21 avant la fin du mois de juillet, mais d'après notre humble opinion, une

22 telle présence n'indique pas, au-delà de tout doute raisonnable, qu'il

23 avait à un moment quelconque à ce moment-là exercé la fonction de

24 commandant ou d'administrateur du camp.

25 Vous avez lu le jugement et vous avez lu les éléments de preuve qui ont

Page 249

1 été versés. Ce que je dis à propos du contrôle de facto, c'est la chose

2 suivante: la responsabilité effective du supérieur hiérarchique est la

3 seule question qui est importante ici, et moi je la pose dans le contexte

4 du contrôle de jure ou de facto.

5 Est-ce qu'il y avait responsabilité effective du supérieur hiérarchique

6 aux mois de mai, juin et juillet 1992?

7 Nous vous demandons de vous repencher sur le jugement et de regarder de

8 très près certaines des citations de la Chambre de première instance,

9 citations qui ont été utilisées pour prouver le contrôle dans le cadre de

10 la période de temps de mai à juin 1992. Et nous pensons qu'il n'y a rien

11 qui indique qu'un tel contrôle existait.

12 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Votre collègue, Me

13 Morrison, a la parole.

14 M. Morrison (interprétation): Je serai très concis, Monsieur le Président,

15 Messieurs les Juges, d'abord parce que Me Moran en a cité un certain

16 nombre déjà et parce que, d'autre part, la situation a changé en ce qui

17 nous concerne. Et nous pensons que les documents qui nous seront peut-être

18 communiqués nous permettrons de répondre à certaines questions que nous

19 nous posons de façon affirmative.

20 M. le Président (interprétation): Avant que vous ne poursuiviez, Maître,

21 n'oublions pas que, pour l'instant, le statut de votre appel n'est pas

22 encore clairement tranché. Il faut absolument que nous arrivions à une

23 réponse sur cette question précise. Je ne veux pas que vous essayez de

24 m'aider à trancher cette question maintenant, mais nous n'avons pas encore

25 abordé ce sujet.

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1 M. Morrison (interprétation): Eh bien, dans une certaine mesure Monsieur

2 le Juge Hunt, je comprends bien que l'on me demande de mesurer le morceau

3 d'une ficelle qui peut en fait devenir une pelote. Mais est-ce que je vous

4 ai peut-être mal compris? Est-ce que ce n'est pas cela que vous voulez

5 dire à propos de l'appel?

6 M. le Président (interprétation): Non, ce que je veux dire, c'est que vous

7 pouvez d'ores et déjà vous sentir bénéficiaire d'un délai comparable à

8 celui qui sera donné à l'accusation mais nous n'avons pas encore examiné

9 la durée de ce délai.

10 Je ne vous demande pas de nous donner une estimation du temps dont vous

11 avez besoin, mais vous savez que l'on vient de demander à l'accusation de

12 rendre une décision relative au document, de façon rapide.

13 Vous vous trouvez dans une situation différente parce que vous essayez de

14 rassembler tout ce qui serait susceptible de vous intéresser. C'est tout

15 ce que je veux dire.

16 Il va falloir que nous nous penchions sur le délai de temps qui vous est

17 imparti avant que vous n'en arriviez au terme de l'argumentation sur vos

18 motifs d'appel, le motif d'appel 9, si je ne m'abuse.

19 M. Morrison (interprétation): Tout à fait, nous y penserons Monsieur le

20 Juge et nous tâcherons de vous fournir des explications raisonnables.

21 M. le Président (interprétation): De toute façon, c'est quelque chose que

22 nous aborderons demain.

23 M. Morrison (interprétation): Tout à fait. Merci, Monsieur le Juge. Donc,

24 comme je le disais, je souhaite être concis. Je ne voudrais pas répéter

25 quoi que ce soit.

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1 La seule chose qui vaille la peine d'être répétée ici, c'est qu'il faut

2 toujours nourrir les enfants et respecter la monarchie constitutionnelle

3 mais, enfin, je m'égare.

4 L'argument que je souhaite vous soumettre est le suivant et, en fait, je

5 vous demande à vous, Juges de la Chambre d'appel, d'examiner cette

6 question plutôt que d'essayer d'y apporter une réponse.

7 Voilà l'argument que je souhaite vous soumettre: en tant que Chambre

8 d'appel, vous êtes ceux qui façonnent le droit. Le droit qui a trait à la

9 responsabilité du supérieur hiérarchique de facto ou de jure est loin

10 d'être figé. Comme Me Moran l'a dit lui-même, il n'est même pas certain de

11 ce qu'est la responsabilité du commandement de facto parce que nous

12 manquons de définition précise et établie.

13 Ce que je vous demande de faire à vous, Juges de la Chambre d'appel, c'est

14 tout simplement la chose suivante. Il doit sûrement y avoir des espèces

15 d'autorités exécutives qui sont exercées par des individus qui ont la

16 capacité dans le feu de l'action ou dans des circonstances données,

17 d'exercer une telle autorité sans que cette autorité relève d'une

18 responsabilité de commandement de facto ou de jure.

19 Car s'il en était différemment, si chaque acte de pouvoir exécutif, aussi

20 mineur soit-il, devait se retrouver dans l'une ou l'autre des deux

21 catégories, de jure ou de facto, alors il n'y aurait pas de limite posée à

22 la responsabilité du supérieur hiérarchique et nous nous éloignerons de ce

23 qui constitue l'essence même de la notion de commandement. Et nous nous

24 retrouverions dans une situation où toute personne, exerçant quelque

25 initiative ou autorité que ce soit, se trouverait dans la situation où il

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1 y aurait le risque de voir ce type d'autorité associé à la responsabilité

2 du supérieur hiérarchique et, en conséquence, la responsabilité pénale du

3 supérieur hiérarchique. C'est une lapalissade.

4 Toute la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique vise à

5 invoquer des sanctions pénales qui viendront punir un comportement

6 criminel. On n'envisage pas du tout la perpétration ou la commission

7 d'actes humanitaires ou bénéfiques, ce sont seulement les actes pénaux qui

8 sont envisagés. Et donc je vous invite à vous pencher sur cette question.

9 D'après moi, il est évident que Pavo Mucic a choisi de faire un certain

10 nombre de choses qui ne peuvent être décrites que comme des choses bonnes

11 et non pas des choses susceptibles de faire l'objet de poursuites pénales.

12 Et je viendrai à ces actes un peu plus tard, dans le cadre de mes

13 arguments relatifs à la sentence qui doit être d'application.

14 Mais je vous demande de vous pencher sur la question qui va être soulevée

15 et je vous demande de repenser à ce secteur du droit que je viens

16 d'aborder.

17 Je ne sais pas si vous avez d'autres questions ou si je peux poursuivre?

18 M. le Président (interprétation): Non. Je vous remercie.

19 M. Morrison (interprétation): J'en ai donc terminé.

20 M. le Président (interprétation): Merci.

21 Maître Ackerman, il vous revient maintenant de répondre aux motifs

22 d'appel, de l'accusation, 1, 2 et 3.

23 M. Ackerman (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Messieurs les

24 Juges.

25 Mon Dieu! Le son est très très fort, excusez-moi un instant. Voilà.

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1 Cet après-midi, je me suis retrouvé dans une situation similaire à celle

2 où je me suis retrouvé ce matin quand l'accusation a commencé à aborder un

3 sujet dont je ne pensais pas qu'il était prévu à l'ordre du jour.

4 D'après mes notes, je devrais aborder la question du chef d'accusation 48

5 et l'affirmation de l'accusation selon laquelle M. Delalic aurait dû être

6 considéré coupable au titre du chef d'accusation 48, du fait de son statut

7 en tant que personne ayant aidé et encouragé certains actes.

8 L'accusation, les choses ont été dites si rapidement que je n'ai même pas

9 suivi, n'a pas soulevé ce problème et c'est le point 3, je crois. Je ne

10 sais pas si l'accusation souhaite abandonner cette question, je ne le sais

11 pas. Mais je ne vais pas répondre à un argument qui n'a pas été soulevé.

12 Or, je ne sais pas si M. Farrell souhaite y répondre maintenant ou

13 souhaite nous annoncer qu'il va abandonner ce point.

14 M. le Président (interprétation): Il s'appuie sur des arguments qui

15 apparaissent dans son mémoire et il peut choisir de les aborder ou pas en

16 prétoire, mais je ne crois pas qu'il soit en train de retirer quoi que ce

17 soit. Il ne retire pas ce qu'il a écrit.

18 Et nous avons précisé que nous ne voulions pas que les conseils répètent

19 oralement ce qu'ils avaient déjà écrit. Nous, ce que nous voulons bien

20 tenir en compte, c'est ce qui a été écrit de façon ferme et définitive.

21 M. Ackerman (interprétation): Eh bien, vous avez répondu à ma question,

22 Monsieur le Juge, je vous remercie.

23 Donc, dans ces circonstances, je vous dirai que dans le cadre de la

24 Conférence de mise en état, lorsque vous nous avez dit qu'il ne fallait

25 pas que nous vous répétions ce que nous avions écrit dans nos mémoires, je

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1 vous ai écouté de façon très attentive. Et j'espère bien que vous prêterez

2 toute votre attention à ce que j'ai écrit dans mon mémoire quant à toutes

3 les questions qui ont été soulevées.

4 Mais lors de ma présence en prétoire aujourd'hui, ici, je me suis aperçu

5 qu'un certain nombre de parties ont saisi l'occasion qui leur a été

6 offerte de vous répéter ce qu'elles avaient écrit dans leur mémoire et moi

7 je ne le ferai pas.

8 Moi, ce que je vais faire, c'est vous parler des choses qui se sont

9 produites depuis que les mémoires ont été déposés et qui sont susceptibles

10 de vous intéresser puisqu'elles portent, elles aussi, sur des questions

11 qui nous intéressent tous.

12 Je vais commencer par me pencher sur la question de la définition du

13 concept de savoir ou avoir des raisons de savoir. L'accusation a tout à

14 fait raison, la vraie question ici, c'est la définition de savoir ce que

15 cela veut dire ici "avoir des raisons de savoir".

16 Très candidement, l'accusation a admis ce que j'affirmais dans mon

17 mémoire, à savoir qu'il s'agissait là d'un exercice académique et

18 théorique parce que tout cela n'avait rien à voir avec la décision qui

19 avait été rendue par la Chambre de première instance concernant M.

20 Delalic.

21 Ceci étant dit, je soulignerais, toujours dans le cadre de cet exercice

22 théorique, depuis la décision Celebici a été rendue, la Chambre de

23 première instance dans l'affaire Aleksovski s'est posé la question de la

24 définition "savait ou avait des raisons de savoir", et a adopté la

25 définition du jugement Celebici dans le paragraphe 80 de son propre

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1 jugement, donc le jugement Aleksovski.

2 A ce jour donc, il y a six Juges qui sont d'accord avec la définition qui

3 a été établie dans le jugement Celebici par la Chambre de première

4 instance qui a entendu l'affaire.

5 Je crois qu'il est très important de remarquer que, dans l'appel interjeté

6 dans l'affaire Aleksovski, le Bureau du Procureur a choisi de ne pas

7 contester la décision rendue par la Chambre de première instance dans

8 l'affaire Aleksovski, Chambre de première instance qui avait adopté la

9 définition donnée par la Chambre de première instance dans l'affaire

10 Celebici.

11 Dans l'affaire Aleksovski, la Chambre de première instance a abordé -et là

12 nous entrons dans un certain nombre des questions qui nous intéressent

13 ici-, s'est donc posé la question de savoir quel était le type d'élément

14 de preuve indirecte qui serait susceptible d'être examinée au moment de

15 savoir si quelqu'un avait à un moment donné des raisons de savoir quelque

16 chose.

17 Je ne vais pas rentrer dans le détail de cet argument, je me contenterai

18 de dire que ceci apparaît très précisément à la fois dans les jugements

19 Celebici et Aleksovski, dans les deux décisions rendues par les deux

20 Chambres de première instance pertinentes.

21 Pour ce qui est de l'affaire Blaskic, la Chambre de première instance en

22 est arrivée à une définition un petit peu différente du concept de "savait

23 ou avait des raisons de savoir". Dans l'affaire Blaskic, on parle du fait

24 que l'ignorance ne peut être invoquée comme moyen de défense si l'absence

25 de connaissance est le résultat d'une négligence du commandant dans

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1 l'exercice de ses fonctions, paragraphe 332 du jugement.

2 Ceci n'a pas d'effet particulier sur le cas Delalic puisque M. Delalic

3 n'avait pas comme fonction de savoir, il n'avait pas pour fonction de

4 savoir ce qui se passait dans le camp de Celebici. Et cela, la Chambre de

5 première instance l'a dit. Il n'a pas pu donc faire preuve de négligence

6 puisqu'il n'était pas censé avoir une connaissance particulière de ce qui

7 se passait dans le camp.

8 Voilà, je crois, l'essentiel de ce que je voulais dire sur ce point

9 précis. Et ce point est un problème qui a surgi depuis que la Chambre de

10 première instance a rendu son jugement. Si vous n'avez pas de question,

11 j'en viens au problème de la responsabilité du supérieur hiérarchique.

12 J'ai entendu un certain nombre de choses en prétoire depuis ce matin. Il

13 me semble que la première de celle que je voudrais aborder est celle-ci.

14 Monsieur Moran s'est vu poser la question de savoir quels étaient les

15 pouvoirs inhérents à un commandant. Si vous êtes un commandant, est-ce que

16 vous avez le pouvoir inhérent de sanctionner? Et la réponse donnée par M.

17 Moran a été: "Oui, cela peut être affirmé."

18 Ceci étant dit, s'il y a des preuves qui indiquent le contraire, alors il

19 faut se poser la question, et c'est bien ce qui a été fait dans l'affaire

20 Celebici pour ce qui est du rôle de M. Delalic en tant que commandant du

21 Groupe tactique I.

22 Un certain nombre d'experts militaires sont venus ici pour témoigner, M.

23 Polutak notamment. Ils ont bien expliqué que, dans une situation où il y a

24 un Groupe tactique -Groupe tactique qui est constitué d'unités régulières

25 qui sont détachées de leur structure normale et qui deviennent composantes

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1 d'un Groupe tactique chargé d'une mission particulière puis qui

2 réintègrent leurs unités de départ -, les experts qui ont parlé de tout

3 cela ont déclaré que les commandants de Groupe tactique n'ont pas le

4 pouvoir de sanctionner des violations ou des actes criminels perpétrés par

5 des membres dudit Groupe tactique.

6 Son seul pouvoir, c'est de les référer au commandant du Groupe à laquelle

7 l'unité qui fait partie maintenant de son Groupe tactique était attachée

8 au départ.

9 Monsieur Farrell, quant à lui, a parlé assez longuement de certains

10 éléments de preuve que l'on peut trouver dans le compte rendu d'audience,

11 des éléments de preuve qui tendent à prouver que M. Delalic exerçait une

12 certaine autorité sur les perpétrateurs allégués des crimes commis à

13 Celebici. Et très clairement, la Chambre de première instance était bien

14 consciente de l'existence de ces éléments de preuve. Il serait surprenant

15 que l'accusation aie dressé un acte d'accusation contre M. Delalic et

16 l'aie poursuivi devant le Tribunal sans bénéficier d'éléments de preuve

17 qui tendaient à montrer que M. Delalic avait ce type de lien avec

18 Celebici.

19 En revanche, ce que nous n'avons pas entendu M. Farrell dire, c'est ce qui

20 est le plus important: c'est que la charge qui était celle de l'accusation

21 n'était pas seulement de montrer quelques éléments de preuve, mais de

22 prouver quelque chose au-delà de tout doute raisonnable.

23 Si vous regardez l'ensemble du corpus des éléments de preuve qui

24 constituent l'affaire Celebici et qui ont trait au rôle de M. Delalic en

25 1992 dans le secteur de Konjic, vous vous apercevrez que les éléments de

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1 preuve, de façon presque catégorique, indiquent qu'il n'exerçait pas

2 quelque contrôle ou commandement que ce soit sur Celebici.

3 La Chambre de première instance a estimé qu'il n'y avait pas de lien de

4 supérieur à subordonné entre M. Delalic et les personnes qui travaillaient

5 dans ce camp, et la Chambre de première instance a déduit cela de tous les

6 éléments de preuve qui ont été examinés. C'est ce qu'ils disent, qu'ils

7 ont examiné tous les éléments de preuve. Ils ont également ajouté que

8 l'accusation n'avait pas pu prouver au-delà de tout doute raisonnable

9 qu'il y avait existence d'un lien de supérieur à subordonné.

10 Il y a quelque chose qui me préoccupe depuis que j'ai lu le mémoire en

11 réponse de l'accusation et c'est quelque chose qui a été évoqué

12 aujourd'hui. Ce qui me préoccupe, c'est que l'accusation ne cesse de faire

13 référence à des éléments de preuve qui n'ont pas été rejetés par la

14 Chambre de première instance. L'accusation vous expliquera qu'il y avait

15 sept pièces ou ce témoignage, et que cette pièce ou ce témoignage n'a pas

16 été rejeté par la Chambre de première instance. Vous devez donc l'examiner

17 attentivement.

18 Mais il n'y a pas de règle au sein de ce Tribunal qui dit que, lorsqu'une

19 Chambre de première instance rédige son jugement, elle doit identifier

20 chacun des éléments de preuve dont elle a jugé qu'ils n'étaient pas

21 pertinents ou crédibles. Elle ne doit pas stipuler pour chacun d'entre eux

22 si elle choisit de les rejeter.

23 Ce que l'on peut faire lorsqu'on lit un jugement -et c'est la meilleure

24 des choses à faire-, ce que l'on peut essayer de faire donc, c'est de

25 comprendre que certains éléments de preuve se sont vu attribuer plus de

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1 poids que d'autres. Et ce n'est pas parce qu'il y a un témoignage qui va

2 dans le sens d'une affirmation -et là j'ai en tête le témoignage dont

3 parlait M. Farrell et qui avait trait au docteur Grubac et à sa remise en

4 liberté du camp-, ce n'est pas parce que des gens ont dit que M. Delalic

5 avait dit qu'il allait mettre quelqu'un en liberté, ce n'est pas parce que

6 ces gens disent cela qu'il faut que la Chambre de première instance

7 attribue un poids particulier à cette déclaration. Et ce n'est pas parce

8 que la Chambre de première instance n'a pas dit: "Nous rejetons cet

9 élément de preuve", qu'il faut que vous, Juges de la Chambre d'appel,

10 décidiez qu'il faut donner une particulière importance à cette

11 déclaration.

12 Il apparaît très clairement au vu de la décision de la Chambre de première

13 instance que beaucoup d'éléments de preuve de cette nature n'ont pas été

14 considérés comme crédibles. Et ce sont ces Juges qui étaient assis à votre

15 place, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce sont eux qui

16 regardaient le témoin dans le blanc des yeux. Ce sont eux qui ont vu le

17 comportement des témoins. Ce sont eux qui ont vu de quelle façon les

18 témoins s'exprimaient. Ce sont eux qui ont vu comment les témoins parfois

19 dissimulaient leur visage derrière leurs mains et se tournaient pour ne

20 pas avoir à leur faire face.

21 Seul le Juge qui a vu cela est à même de se prononcer sur la crédibilité

22 d'un élément de preuve, sur la crédibilité et la recevabilité d'un

23 témoignage.

24 Si vous regardez le compte rendu d'audience, si vous regardez simplement

25 ces pages, vous ne voyez que les mots. Vous ne voyez pas ce qui est

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1 arrivé, vous n'entendez pas le ton de la voix, vous ne voyez pas ces yeux

2 qui se dérobent, vous ne voyez pas toutes ces choses qui font partie de ce

3 que nous transmettons lorsque nous sommes en communication avec les

4 autres. Vous ne savez pas tout ce qui s'est passé qui vous aurait peut-

5 être permis de savoir si, oui ou non, ce témoin disait la vérité.

6 Faites confiance aux Juges qui se tenaient à votre place et qui ont suivi

7 l'affaire Celebici. Faites confiance à ceux qui ont rendu cette décision

8 de façon parfaitement adéquate.

9 Et puis, il y a cette question. Et franchement, lorsque je l'ai vue pour

10 la première fois dans le mémoire de l'accusation, cela m'a coupé le

11 souffle! Il y a donc cette affirmation selon laquelle, dans un contexte de

12 commandement du supérieur hiérarchique, il devrait y avoir un composant

13 qui indique que, si vous êtes une personne qui exerce une certaine

14 influence, même si cette influence ne s'exerce pas dans le cadre d'une

15 relation de supérieur à subordonné, si vous êtes une personne qui a une

16 certaine influence et s'il y a des circonstances dans lesquelles cette

17 personne peut être tenue responsable -comme si l'on était une personne

18 occupant un poste de supériorité hiérarchique-, il y a donc cette

19 affirmation de l'accusation. Et l'accusation, à mon avis, vous demande de

20 dicter un nouveau droit, d'adopter une théorie toute nouvelle, relative à

21 cette question de la responsabilité du supérieur hiérarchique.

22 Lorsque d'autres personnes vous ont soumis des arguments aujourd'hui,

23 certains de mes collègues vous ont parlé aujourd'hui, ils ont notamment

24 parlé de cette question de l'incertitude, incertitude lorsqu'on essaye de

25 délimiter cette question de la responsabilité du supérieur hiérarchique.

Page 262

1 Monsieur Fenrick, de l'accusation, en a parlé. Il a dit combien il était

2 difficile de délimiter cela précisément, et il n'a pu vous donner que

3 quelques exemples de ce que cette responsabilité n'est pas: elle n'est pas

4 ceci, elle n'est pas cela. Mais il n'a pas été à même de vous donner

5 quelque exemple que ce soit de ce qu'est ce principe.

6 L'un des critères que requiert la règle de droit est le suivant: si vous

7 allez faire en sorte que tel comportement va être passible de sanctions

8 pénales vous devez le définir de telle façon que des personnes

9 raisonnables seront à même de comprendre ce qu'on leur demande de faire ou

10 de ne pas faire.

11 Lorsque l'on demande à ce Tribunal d'adopter un principe que personne ne

12 peut définir à votre place, comment peut-on s’attendre à ce que des

13 personnes qui ne sont pas des experts juridiques et qui se trouvent sur le

14 terrain dans la région qui nous intéresse et de qui on s'attend qu'elles

15 respectent le critère que vous établissez, comment est-ce que vous voulez

16 qu’elles sachent ce qu’elles doivent faire ou ce qu'elles ne doivent pas

17 faire?

18 Prenez Konjic en 1992, prenez un village, prenez les personnes qui ont une

19 influence, prenez par exemple le maire, prenez par exemple le médecin

20 réputé du village, prenez par exemple le Président de la présidence de

21 guerre à Konjic, il s'agissait là d'une personne d'influence à Konjic,

22 prenez toutes les personnes qui exercent une influence, l'accusation dit

23 en somme: si vous saviez quelque chose ou si vous aviez quelque influence

24 que ce soit sur les personnes qui étaient à la tête du camp, qui étaient

25 responsables de la gestion de Celebici, alors il vous incombait de prendre

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1 des mesures visant à mettre un terme à ce qui était en train de se

2 produire dans le camp.

3 Et moi j'estime que tout cela ne fait pas partie du tout du droit

4 coutumier international et cette Chambre ne peut appliquer que ce qui fait

5 partie, ce qui constitue le droit international coutumier et si vous

6 décidez d'appliquer le droit international coutumier vous devez appliquer

7 le critère de la preuve au-delà de tout doute raisonnable.

8 En aucune façon, lorsqu'on regarde tout ce qui a été dit à propos du

9 concept de responsabilité du supérieur hiérarchique, en aucun cas, on ne

10 peut dire que le droit international coutumier stipule qu'une personne qui

11 exerce une influence dans une communauté peut être tenue en tant que

12 commandant ou que supérieur hiérarchique, même s'il ne fait pas partie du

13 lien de supérieur à subordonné.

14 La Chambre de première instance a conclu et l’accusation abonde dans son

15 sens dans son mémoire, la Chambre a conclu donc que M. Delalic ne faisait

16 pas partie d'un lien de subordonné à supérieur pour ce qui est de ce qui

17 s'est passé à Celebici. Donc la seule façon de le tenir responsable, et

18 c'est pour cela que l'accusation vous suggère cette nouvelle approche,

19 c’est de le considérer comme étant une personne d'influence se situant à

20 l’extérieur de ce lien de supérieur à subordonné, une personne qui d'une

21 certaine façon peut avoir une influence sur ce qui va se passer.

22 La Chambre dans l'affaire Celebici a adopté un point de vue sur la loi

23 régissant le concept de responsabilité du supérieur, une opinion qui a été

24 largement suivie par les décisions qui ont été suivies dans le cadre de ce

25 Tribunal. Le procès Blaskic s’est conformé à la définition de Celibici aux

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1 paragraphes 300 et 301 de sa décision, dans l’arrêt de la Chambre d’appel,

2 dans l'affaire Aleksovski il y a adoption de la définition donnée par le

3 procès Celebici .

4 Et il y a un certain nombre d'éléments que l'on trouve partout. Premier

5 élément: existence d'un lien de supérieur à subordonné. Ca c’est l’élément

6 numéro 1 qui permet de définir si oui ou non on peut tenir quelqu'un pour

7 responsable ou pas.

8 La décision qui a été prise par la Chambre de première instance dans

9 l'affaire Aleksovski n'a pas fait l'objet d'un appel par le Bureau du

10 Procureur. Le Bureau du Procureur n'a pas contesté le fait que la Chambre

11 de première instance était en accord avec la définition donnée par les

12 juges de l’affaire Celibici pour ce qui est de la définition de la

13 responsabilité du supérieur hiérarchique.

14 La Chambre d’appel dans l'affaire Aleksovski a dit que ce rapport de

15 supérieur à subordonné peut être établi lorsqu'on demande à l'accusé s'il

16 avait la capacité de donner des ordres et de sanctionner les personnes qui

17 travaillaient. Et très clairement, la Chambre dans Celibici a déclaré que

18 Delalic n’avait pas cette capacité et a affirmé cela en s'appuyant sur

19 tous les éléments de preuve qui avaient été examinés.

20 Si nous examinons ce qu'ont fait ceux qui ont préparé le projet de Statut

21 pour la Cour pénale permanente, eh bien on s'aperçoit que le Statut

22 déclare et je cite: "un supérieur sera tenu pénalement responsable de

23 crimes commis et qui relèvent de la juridiction de ce Tribunal dès lors

24 que ces crimes ont été commis par des subordonnés qui étaient placés sous

25 son contrôle ou son autorité effective." (Fin de citation)

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1 Je dois reconnaître à l'égard de M. Fenrick, que même s'il y a eu des

2 instances où il ne pensait pas que c’était très important, il y a des

3 affaires qui ont eu lieu après la Seconde Guerre Mondiale qui traitent de

4 cette question précisément et qui vont même au-delà de ce qu'il a pu en

5 dire. On peut dire très clairement que certaines des choses qui ont été

6 affirmées à l'époque dans le cadre de ces affaires ont été rejetées plus

7 tard par la communauté internationale.

8 Vous avez la preuve la plus récente de cela dans le cadre de ce qu'a fait

9 la communauté internationale au moment d’adopter le Statut de la Cour

10 permanente de Rome. Le langage qui est utilisé dans le Statut de Rome

11 représente ce qu'est la perception actuelle de la communauté

12 internationale, de ce qu'est le droit coutumier international. C’est cela

13 qui a été codifié dans le Statut de la Cour permanente internationale.

14 Avant que ce Statut ne voit le jour vous pouviez-vous référer à un travail

15 qui avait été réalisé précédemment après la Seconde Guerre Mondiale, par

16 la Commission de Droit International, qui en fait, si on regarde les

17 choses de près, en est arrivé à peu près à la même conclusion sur cette

18 définition dont nous parlons.

19 Je vous suggère qu'il ne serait pas bon, de fait ce serait même une

20 violation de votre mandat, mandat qui vous a été confié par les Nations

21 Unies, d'adopter une approche aussi nouvelle, que ce serait en violation

22 du droit international, de la Commission du Droit International et du

23 Statut de Rome.

24 Je crois que cela violerait le principe de Nullem crimen sine lege, et je

25 crois qu'il serait impropre pour ce Tribunal d'établir un critère et une

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1 règle concernant la responsabilité du supérieur hiérarchique. Une règle

2 qui s'applique aux personnes qui comparaissent devant ce Tribunal, mais

3 qui ne saurait être imposée, par exemple, la Cour pénale permanente,

4 lorsque cette Cour commencera effectivement à fonctionner.

5 Enfin je voudrais insister sur le fait que dans le procès Celebici, au

6 sujet la position de M. Delalic dans la zone de Konjic en 1991, donc M.

7 Delalic avait un certain nombre de témoins, mais la Chambre n'a pas

8 accepté que ces personnes viennent témoigner. La Chambre ne lui a donc pas

9 permis de faire venir ces gens qui auraient pu parler de sa position en

10 1992. Il me semble que dans ces conditions, la Chambre de première

11 instance avait décidé qu’elle avait entendu assez de témoins au sujet de

12 M. Delalic et du fait qu'il n'avait vraiment pas beaucoup de

13 responsabilité au sein de Celebici et donc elle n'avait plus besoin d'en

14 entendre plus de témoins à ce sujet.

15 Je pense qu'il serait tout à fait inapproprié de renverser, d'inverser

16 cette décision, ce jugement et de considérer que M. Delalic est coupable

17 alors qu'on l'a empêché en fait de se défendre correctement lorsqu'il

18 était devant la Chambre de première instance.

19 J'en ai terminé de mon argumentation au sujet de cette question. Je ne

20 sais pas jusqu’à quelle heure vous entendiez que nous siégions? Je peux

21 poursuivre si vous le souhaitez.

22 M. le Président (interprétation). Vous voulez dire au sujet de l'appel de

23 l'accusation?

24 M. Ackerman (interprétation): Au sujet des questions que je suis chargé de

25 traiter. Je crois qu'il y en a deux autres sur lesquelles je vais

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1 intervenir, celui de la détention illégale et celui des nouveaux témoins.

2 Je pense que je ne peux en avoir que pour dix minutes au maximum.

3 M. le Président (interprétation): Je pense qu'il vaut mieux que nous

4 traitions de cela demain matin et donc nous commencerons par votre

5 intervention le matin. Et l'accusation nous aura donné la réponse à

6 l'appel de M. Mucic et pourra répondre à tout le monde. Vous êtes trois,

7 j'imagine que vous avez décidé du côté de l'accusation qui va parler de

8 quoi. Et j'espère qu'il n'y aura pas de redites.

9 Bien, nous allons maintenant lever l'audience jusqu'à 10 heures demain

10 matin.

11 (L'audience est levée à 17 heures 33.)

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