Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mardi 6 juin 2000)

2 (Audience publique)

3 (L'audience, présidée par le Juge Hunt, est ouverte à 10 heures 35.)

4 M. le Président (interprétation): Veuillez annoncer le numéro de

5 l'affaire, s'il vous plaît.

6 Mlle Thomson (interprétation): Affaire IT-96-21-A, le Procureur contre

7 Delalic et consort.

8 M. le Président (interprétation): Nous avons commencé plus tard que prévu

9 en raison d'un certain nombre de difficultés au niveau du quartier

10 pénitentiaire. Le commandant du quartier pénitentiaire s'excuse du retard.

11 M. Farrell (interprétation): Nous avons parlé hier assez brièvement d'une

12 question qui était celle de la confidentialité de la requête déposée par

13 l'accusation, et bien entendu l'ordonnance que nous avons rendue à ce

14 sujet.

15 M. le Président (interprétation): Est-ce que j'ai bien compris? Est-ce que

16 vous ne demandez plus que cette requête soit confidentielle?

17 M. Farrell (interprétation): (Hors micro.) Non, cela n'est pas très

18 important à ce stade pour nous.

19 M. le Président (interprétation): Donc, à ce moment-là, nous allons rendre

20 une ordonnance afin d'annuler le caractère confidentiel de la requête et

21 de l'ordonnance y afférent. Qui va intervenir maintenant?

22 M. Farrell (interprétation): Vous voulez parler de ce matin, de l'ordre

23 des interventions?

24 M. le Président (interprétation): Oui.

25 M. Farrell (interprétation): En fait, M. Ackerman devait encore s'exprimer

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1 pendant dix minutes.

2 M. le Président (interprétation): Ah oui, j'avais complètement oublié que

3 vous deviez encore vous adresser à nous, Maître Ackerman.

4 M. Ackerman (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je n'ai pu

5 m'empêcher de remarquer qu'hier nous sommes parvenus à ennuyer tous les

6 spectateurs dans la galerie du public. Puisque aujourd'hui il n'y a plus

7 personne, j'espère que ce n'est pas le cas des Juges de cette Chambre. Il

8 me reste deux questions à aborder, je crois que je vais être assez concis.

9 Premier sujet, c'est l'affirmation de l'accusation selon laquelle la

10 Chambre a commis une erreur en ne leur permettant pas de présenter des

11 éléments de preuve dans le cadre de la réplique ou de ne pas leur

12 permettre de rouvrir l'affaire. La Chambre de première instance, en ce qui

13 concerne cette question, a conclu que l'accusation n'avait pas fait preuve

14 de la diligence souhaitée pour obtenir les documents en question au moment

15 voulu et pour les présenter au moment voulu, en temps utile, à la Chambre

16 de première instance.

17 Vous savez très bien que, dans l'affaire Tadic, cette question a fait

18 l'objet d'un certain nombre de discussions, la question de la diligence.

19 Et dans l'affaire Tadic, il a été conclu que ceci, la diligence à

20 manifester est telle qu'il n'est pas suffisant, cela signifie que l'on n'a

21 pas pris toutes les mesures qui sont à la disposition du Tribunal

22 international. C'était ce qui s’est passé avec l'accusation dans cette

23 affaire.

24 Autre chose que je souhaite dire au sujet des documents. Il s'agit des

25 mêmes documents très semblables à ceux qui nous ont été présentés hier par

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1 l'accusation. En fait, les documents que souhaitait introduire

2 l'accusation étaient présentés à la Chambre de première instance dans le

3 cadre de la réplique. Donc la Chambre de première instance savait très

4 bien de quoi il s'agissait. La Chambre était, bien entendu, dans une

5 position tout à fait particulière qui lui permettait d'apprécier

6 l'importance de ces documents et de savoir si ces documents auraient

7 modifié son appréciation de l'affaire et de décider s'il fallait faire

8 venir à la barre des témoins pour prouver la fiabilité des documents.

9 A cette époque, l'affaire Celebici avait commencé depuis de très nombreux

10 mois, avait duré beaucoup plus longtemps qu'on ne le pensait au départ. Et

11 la Chambre, à ce moment-là, avait décidé qu'il s'agissait de redites, que

12 ces documents reprenaient des informations qui avaient déjà été

13 communiquées à la Chambre.

14 Je pense que ce motif d'appel doit être rejeté par la Chambre d'appel.

15 Dans notre mémoire vous constaterez que nous avons exposé en détail tout

16 le contexte, aussi bien en ce qui concerne les faits que les arguments au

17 sujet de cette affaire.

18 Maintenant, je vais passer à la question de chef d'accusation numéro 48 et

19 à l’allégation de l'accusation selon laquelle la Chambre de première

20 instance a commis une erreur en ne considérant pas que M. Delalic était

21 coupable au titre du chef d'accusation n°48, coupable de détention

22 illégale de civils.

23 Comme je l’ai dit dans mon mémoire, nous affirmons que M. Delalic, dans

24 l'acte d'accusation, n'a pas été accusé de complicité dans le cadre du

25 chef d'accusation n°48. Si vous regardez est le chef 48, on voit qu'il est

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1 seulement accusé aux termes de l'article 2 G). Au chef d'accusation 48, on

2 ne mentionne nullement l'article 7.1 ou 7.3. Et dans mon mémoire j'ai

3 indiqué un grand nombre d'actes d'accusation qui ont été établis avant et

4 après.

5 M. Moran (interprétation): Je crois qu'il y a un petit problème au niveau

6 du compte rendu d'audience puisque, chaque fois qu'on prononce le nom de

7 Delalic, on peut voir celui de Delic apparaître sur l'écran. Je pense

8 qu'il faudrait que cela soit corrigé. Ce n'est pas la première fois,

9 d'ailleurs, que cela se produit.

10 M. le Président (interprétation): Je ne vois pas bien en quoi Me Ackerman

11 pourrait s'intéresser au sort de M. Delic. Donc, je pense que la logique

12 indiquerait tout à fait bien clairement de qui il parle. Mais nous allons

13 essayer de résoudre ce problème.

14 M. Ackerman (interprétation): Donc, nous avons donc indiqué un grand

15 nombre d'autres actes d'accusation établis par ce Tribunal au sujet de la

16 complicité, "aider et". Et chaque fois que l'accusation voulait accuser

17 quelqu'un de complicité, d'avoir aidé à encourager, ils le mentionnaient

18 spécifiquement. Si ce n'était pas fait directement, au moins ils faisaient

19 référence à l'article 7.1.

20 Or, dans l'acte d'accusation qui nous intéresse, on ne fait référence qu'à

21 l'article 2 G), au chef 48. Cependant, il est clair que si on lit le chef

22 48, l'accusation a l'intention de l'accuser en tant que supérieur

23 hiérarchique parce que cela figure dans le chef d'accusation, bien que

24 l'article 7.3 ne soit pas mentionné expressément. Il est clair qu'ils

25 avaient l'intention de lui reprocher ces faits au titre de l'article 7.3.

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1 Mais ici nulle part, on ne mentionne le fait qu'il soit accusé d'avoir

2 aidé et encouragé ces actes dans le cadre de la détention illégale de

3 civils au camp de Celebici. Et même s'il pouvait être établi qu'il a

4 effectivement été accusé de ces faits, dans ce cadre les éléments de

5 preuve ne vont pas du tout dans le sens du fait qu'il ait aidé et

6 encouragé.

7 Comme nous l'avons indiqué dans notre mémoire, la Chambre de première

8 instance, dans l'affaire Furundzija, a analysé en profondeur les éléments

9 que comporte cette accusation d'aider et d'encourager, et la Chambre a

10 conclu qu'il faut que l'accusé ait commis des actes qui avaient un effet

11 très important sur les actes criminels commis, et il fallait qu'il sache

12 que ces actes avaient participé à la commission des actes en question.

13 Au paragraphe 229 de la décision Tadic, on a adopté la même logique. Et

14 depuis lors, depuis le dépôt du mémoire de l'accusation, l'accusation en

15 fait l’a reconnu, l’a concédé. Dans l'affaire Kovcka, dans les écritures

16 de l'accusation, la nouvelle version de son mémoire préalable au procès,

17 l'accusation stipule qu’en ce qui concerne le fait d'aider et

18 d'encourager, il faut prouver que l'accusé a commis des actes qui ont eu

19 un effet important sur les actes qui ont été ensuite perpétrés.

20 Et ceci est différent de ce qu'ils disent dans leur mémoire, ici. Nous

21 estimons donc que la question est réglée au niveau du Tribunal et qu'il

22 n'y a aucune raison que la Chambre d'appel se penche à nouveau sur cette

23 question.

24 Je vais en terminer en intervenant brièvement au sujet de quelque chose

25 qui me paraît comme étant une incohérence flagrante dans le jugement de la

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1 Chambre de première instance au sujet du statut des personnes détenues à

2 Celebici. Si on examine le chef d'accusation 48 -et pour d'autres chefs

3 d'accusation, la Chambre a estimé que c'étaient des civils qui étaient

4 détenus de façon illégale; le Procureur a admis dans son mémoire préalable

5 au procès dans l'affaire Celebici et même dans les arguments présentés

6 hier dans ce prétoire-, donc, ils ont admis que, si les civils détenus

7 constituaient un risque pour le gouvernement de Bosnie-Herzégovine, à ce

8 moment-là, la détention de ces personnes n'est pas illégale.

9 D'autre part, la Chambre de première instance, afin d'établir que les

10 détenus de Celebici étaient protégés par la convention de Genève, étaient

11 des personnes protégées a déclaré, je cite: "Les Serbes avaient clairement

12 exprimé leur désir de ne pas être considérés comme des ressortissants de

13 la Bosnie-Herzégovine en proclamant leur Constitution et en s'engageant

14 dans un conflit armé." (fin de citation)

15 Donc, la Chambre de première instance, pour déterminer que ces personnes

16 étaient des personne protégées, a décidé qu'en fait il s'agissait de

17 rebelles qui s'opposaient au gouvernement légal de la Bosnie-Herzégovine.

18 Moi, j'affirme que les gens –on ne peut pas être deux choses en même

19 temps– soit ces personnes sont des personnes innocentes, des civils

20 détenus de façon illégale, soit ce sont des rebelles qui prennent les

21 armes contre leur gouvernement légitime. Mais on ne peut pas dire qu'ils

22 font partie de ces deux groupes en même temps.

23 Il semble que, pour moi, ces deux positions ne vont pas du tout ensemble,

24 sont complètement contradictoires. Et la Chambre de première instance en

25 est arrivée à un résultat dans son jugement qui est basé sur cette

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1 incohérence. D'une part, on a décidé que ces personnes étaient des

2 personnes qui avaient rejeté le gouvernement de la Bosnie-Herzégovine et

3 constituaient donc un risque pour la sécurité, même si elles ne prenaient

4 pas les armes, ces personnes. Mais si elles faisaient partie du processus

5 d'adoption d'une nouvelle Constitution de conflit armé contre le

6 gouvernement légitime, et même si elles étaient prêtes à fournir des

7 informations aux forces armées, etc.

8 Donc, d'après la Chambre de première instance, ces personnes avaient

9 déterminé qu'elles obéissaient à un pouvoir étranger. A ce moment-là, si

10 on adopte cette analyse, ces personnes constituent un risque et il était

11 normal, il était légal de les détenir. Donc là, il y a une incohérence.

12 J'en ai donc terminé de mon argumentation au sujet du chef d'accusation 48

13 et d'ailleurs de tout ce que j'avais à dire ce matin.

14 M. le Président (interprétation): Une dernière question au sujet de ce que

15 vous venez de mentionner. Si tout ce que ces personnes faisaient, c'était

16 d'affirmer qu'ils étaient indépendants, qu'ils appartenaient à une entité

17 qui, ensuite, est devenue la Republika Srpska, est-ce que cela ne

18 justifiait pas leur détention?

19 M. Ackerman (interprétation): Si tout ce qu'ils ont dit, c'est:

20 "Finalement, ce n'est pas une mauvaise idée que d'avoir une Republika

21 Srpska indépendante de la Yougoslavie", non. Je vous réponds non.

22 M. le Président (interprétation): Mais s'ils avaient signé un document

23 stipulant qu'ils considéraient qu'ils étaient indépendants, est-ce que

24 cela justifiait leur détention?

25 M. Ackerman (interprétation): Non, je ne pense pas. Le problème, c'est à

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1 l'accusation de prouver cela au-delà de tout doute raisonnable. Or,

2 l'accusation n'a fourni aucune preuve à ce sujet. Chacun des témoins que

3 nous avons entendus ne s'est jamais vu poser cette question par

4 l'accusation. On ne leur a jamais demandé quelle était leur position par

5 rapport au soulèvement contre le gouvernement légitime. Or, c'est à

6 l'accusation de prouver tout cela au-delà de tout doute raisonnable.

7 M. le Président (interprétation): Merci, Maître Ackerman.

8 Bien, maintenant je me tourne vers l'accusation. Qui va intervenir en

9 premier?

10 M. Staker (interprétation): Je vous prie de m'excuser pour cette

11 confusion, mais je voudrais simplement vous dire que c'est en fait M.

12 Fenrick qui va répondre au sujet de ce qui a été avancé dans le domaine

13 juridique au sujet du supérieur hiérarchique.

14 Ensuite, moi je vais répondre à Me Ackerman et à Me Moran au sujet des

15 faits eux-mêmes. Et ensuite, je vais répondre à Me Kuzmanovic au sujet des

16 motifs d'appel de M. Mucic, en ce qui concerne la responsabilité de

17 supérieur hiérarchique.

18 Ensuite, si j'ai bien compris, c'est Me Kuzmanovic qui va nous répondre.

19 Mais il y a un certain nombre de questions d'intendance dont je pense

20 qu'il serait utile de parler tout de suite pour s'en débarrasser.

21 Première question: c'est que M. Fenrick appartient à l'équipe de

22 l'accusation pour ce qui est de la responsabilité du supérieur

23 hiérarchique et avec votre permission, nous souhaiterions qu'il lui soit

24 possible de quitter le prétoire dès que nous aurons fini de parler de

25 cela.

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1 Autre chose que je souhaitais évoquer, c'est la traduction en espagnol de

2 certains documents sur lesquels on a trouvé un accord entre l'accusation

3 et les conseils de M. Landzo.

4 Hier, M. Murphy nous a fourni les traductions d'un certain nombre

5 d'articles de presse qui étaient en espagnol. Je voudrais donc signaler

6 que nous acceptons la traduction qui nous a été fournie et cela est, il en

7 va de même du côté du conseil de M. Landzo.

8 Comme nous l'avons déjà dit hier, nous avons une traduction des décrets

9 présidentiels auxquels on a fait référence dans des documents précédemment

10 déposés, ce sont des décrets qui ont été publiés dans le Journal Officiel

11 du Costa Rica. Si vous me le permettez, je pourrais remettre à l'huissier

12 un exemplaire de ces documents.

13 M. le Président (interprétation): Et ceci sous réserve de l'examen d'une

14 demande au fin de l'admission de ces documents.

15 M. Staker (interprétation): Non. En fait, il y a un accord.

16 M. le Président (interprétation): Est-ce qu'ils vont être admis?

17 M. Staker (interprétation): Non, nous sommes d'accord sur le fait qu'il

18 s'agit de documents qui viennent du Journal Officiel et nous, nous sommes

19 d'accord maintenant pour accepter la traduction des deux côtés.

20 Ce que je veux signaler, c'est qu'en raison des limites de temps qui

21 étaient les nôtres, il ne nous a pas été possible de traduire les deux

22 décrets dans leur intégralité.

23 Nous avons donc fourni avec la traduction une photocopie de l'original et

24 nous avons indiqué très clairement quelles parties de ces décrets avaient

25 été traduites.

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1 M. le Président (interprétation): Vous n'avez qu'une copie à nous

2 remettre?

3 M. Staker (interprétation): Nous pouvons vous fournir d'autres

4 exemplaires.

5 M. le Président (interprétation): Oui, je pense que cela serait utile.

6 M. Staker (interprétation): Autre chose au sujet de cette traduction. Du

7 fait de la qualité de l'original, qualité assez piètre, les traducteurs

8 n'ont pas toujours été en mesure de lire le texte original. Il y a des

9 points d'interrogation aux endroits où l'original n'était pas très lisible

10 mais, en fait, nous ne pensons pas que cela change quoi que ce soit à la

11 teneur du document.

12 Et nous avons remarqué qu'il semble qu'il y a une erreur de frappe qui,

13 malheureusement, touche ou affecte le nom de Mme Elisabeth Odio-Benito,

14 c'est regrettable.

15 M. Murphy (interprétation): Monsieur le Juge, si vous me permettez, j'ai

16 examiné ces traductions. Elles me semblent acceptables. La faute de frappe

17 en question ou l'erreur typographique fait qu'apparemment Mme Odio-Benito

18 semble venir des pays scandinaves, si on lit cette traduction. Mais

19 finalement, ce n'est pas très important en ce qui concerne l'appel.

20 M. le Président (interprétation): Merci.

21 M. Staker (interprétation): Eh bien, maintenant M. Fenrick va pouvoir

22 intervenir et va vous présenter nos arguments en réponse à ce qui a été

23 dit par nos éminents collègues de la défense.

24 M. Fenrick (interprétation): Messieurs les Juges, dans notre réponse, nous

25 souhaitons tout d'abord insister sur le fait que jamais l'accusation ne

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1 dit et n'avance que, pour qu'il y ait une relation supérieur à subordonné,

2 ou plutôt que la nécessité de l'existence d'une relation

3 supérieur/subordonné n'est pas un élément essentiel de la doctrine de la

4 responsabilité du commandement.

5 Ce dont nous parlons, nous, c'est de l'ampleur de cette relation

6 subordonné/supérieur, et pas de son existence et sa nécessité.

7 Hier, mon éminent collègue a cité un article que, moi-même, j'ai rédigé.

8 Si vous me le permettez, je vais vous donner lecture d'une partie de ce

9 document. Il s'agit d'un article qui s'intitule, je cite: "Difficulté du

10 droit international dans le cadre du travail de l'accusation au Tribunal

11 pénal international pour l'ex-Yougoslavie." (fin de citation) Article

12 publié en automne 1995 dans le journal Duke, journal de comparaison de

13 droit international.

14 Je cite: "En dépit des difficultés d'extrapolation au niveau de la

15 doctrine du commandement, de la responsabilité du commandant du supérieur

16 hiérarchique, la décision de Tokyo peut être utilisée pour établir que les

17 dirigeants civils sont parfois responsables de certains actes de leurs

18 subordonnés. La décision de Tokyo nous indique la validité d'un certain

19 nombre de conclusions dont l'une est la suivante: des dirigeants

20 politiques et administratifs peuvent être considérés responsables des

21 actes de leurs subordonnés lorsque ces dirigeants ont un devoir, ont un

22 devoir qui est établi, ou directement par le droit international, ou

23 indirectement par le droit national du pays en question, et que ces

24 dirigeants en question n'ont pas rempli leurs devoirs tels que stipulés

25 par ces textes juridiques." (fin de citation)

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1 En ce qui concerne la relation entre supérieur et subordonnés, nous, nous

2 avançons une fois de plus que les commandants, les supérieurs peuvent

3 avoir pratiquement n'importe quel grade, surtout dans l'armée. Vous pouvez

4 très bien avoir un commandant qui a le grade de caporal, comme vous pouvez

5 avoir un commandant qui aura le grade de général. En fait, le grade lui-

6 même n'a aucune importance. Ce qui compte en fait, c'est que la personne

7 est supérieure à ses subordonnés.

8 Deuxièmement, nous affirmons avec force que le fait d'être supérieur, la

9 position de supérieur hiérarchique peut impliquer une autorité de facto.

10 Exemple à ce sujet qui s'applique à beaucoup de nos arguments, je le tire

11 de l'affaire Aleksovski. On peut dire que, Aleksovski, c'est un exemple

12 d'autorité de fait, de facto. C'est aussi un exemple d'influence parce que

13 M. Aleksovski, c'était un civil, un civil qui a été nommé au poste de

14 directeur d'une prison, et les membres, le personnel de la prison, étaient

15 des policiers militaires. Dans une voie hiérarchique, dans une chaîne de

16 commandement militaire normale, il est inimaginable de voir un civil

17 exercer une autorité quelconque ou appartenir à une chaîne de commandement

18 et se trouver dans cette chaîne de commandement au-dessus de la police

19 militaire puisque la police militaire a sa propre chaîne de commandement

20 bien particulière.

21 Mais pourtant, dans l'affaire Aleksovski, la Chambre a conclu que non

22 seulement il y avait la chaîne de commandement militaire normale, mais que

23 M. Aleksovski, du fait peut-être de son influence, du fait d'une autorité

24 de facto, en tout cas exerçait une autorité, il commandait les gardes de

25 la prison.

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1 Et aussi bien la Chambre de première instance que la Chambre d'appel ont

2 conclu, ont indiqué que M. Aleksovski n'avait absolument aucune autorité

3 légale pour punir les gardes du camp: tout ce qu'il pouvait faire, c'était

4 de signaler les infractions aux supérieurs militaires. Et à ce moment-là,

5 c'étaient les supérieurs militaires qui devaient prendre les actions

6 disciplinaires qui s'imposaient.

7 Nous affirmons que l'influence, en tant que critère qui détermine la

8 relation supérieur/subordonné, l'influence, c'est un critère qui veut que

9 le supérieur, celui qui détient l'influence, exerce un contrôle effectif

10 sur les auteurs des crimes, si bien que ce supérieur a la possibilité

11 d'empêcher et de sanctionner. Mais il faut que cette influence soit

12 importante et que la personne qui la détient puisse prévenir toute

13 infraction.

14 Hier, on nous a donné, demandé des exemples. Eh bien, parmi ces exemples,

15 on pourrait citer M. Aleksovski qui n'appartient pas à une chaîne de

16 commandement. Et puis, il y a de très nombreuses affaires, par exemple

17 l'affaire des otages, l'affaire du haut commandement, des affaires qui ont

18 été jugées par les tribunaux de la Deuxième Guerre mondiale où vous aviez

19 des commandants de zones d'occupation qui n'appartenaient pas à une chaîne

20 de commandement en tant que telle, mais pourtant qui ont été considérés

21 comme responsables aux termes, en vertu de la responsabilité du supérieur

22 hiérarchique, qui est très semblable à celle stipulée dans l'article 7. 3.

23 D'autre part, il y a aussi le cas des conseillers militaires qui sont

24 mentionnés aux paragraphes 3.26 à 3.28 de notre mémoire, de notre premier

25 mémoire en appel.

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1 Pour ce qui est maintenant du critère de la connaissance, c'est le concept

2 de "avait des raisons de savoir" plus précisément, pour ce qui est de ce

3 critère, nous sommes tout à fait d'accord avec ce qu'a dit Me Moran

4 d'après qui le principe de nullem crimen sine lege s'applique à certaines

5 formes de participation criminelle, à des actes, ainsi qu'il s'applique à

6 la désignation de certains crimes.

7 Ceci étant dit, nous, nous estimons que l'évaluation qui est faite dans

8 notre mémoire ainsi que dans la décision du procès Blaskic fournit une

9 description plus détaillée, plus précise de ce que cela signifie, "avoir

10 des raisons de savoir", une décision plus détaillée ou une définition plus

11 détaillée que celle qui apparaît dans le jugement qui a été rendu dans

12 l'affaire Celebici.

13 D'ailleurs, si vous me le permettez, je voudrais citer ce qui a été dit

14 dans le cadre de la décision de la Chambre de première instance de

15 l'affaire Blaskic. Je cite -le code militaire fédéral des Etats-Unis, à

16 son paragraphe 3710, est quelque chose qui est tout à fait d'intérêt, en

17 l'occurrence. C'est un document qui a été cité dans le cadre de la

18 décision Blaskic, et au paragraphe 323, il y a une citation qui est tirée

19 de ce manuel militaire américain et on entend dire par la Chambre-, je

20 cite, que "le commandant est responsable dans la mesure où il avait une

21 connaissance réelle ou aurait dû avoir une connaissance, par le biais de

22 rapports lui ayant été transmis, de ce que ses troupes ou d'autres

23 personnes soumises à son contrôle étaient sur le point de commettre ou

24 avaient déjà commis, à savoir un crime de guerre.

25 Et si ce commandant omet d'utiliser les moyens qui sont à sa portée pour

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1 assurer qu'il y a conformité aux lois de la guerre pour ce qui est de la

2 conduite de ses troupes, il se place en situation illégale." (fin de

3 citation)

4 Pour ce qui est maintenant de l'observation qui a été faite par M.

5 Ackerman selon lequel la décision rendue dans l'affaire Aleksovski est

6 dans la droite ligne de la décision rendue dans la Chambre de première

7 instance du procès Celebici, pour ce qui est de la signification de cette

8 conception de "avait des raisons de savoir", eh bien je peux seulement

9 vous suggérer de lire le paragraphe 80 du jugement que j'ai cité, et je

10 peux simplement y référer également M. Ackerman pour vous dire que non, ce

11 n'est pas le cas, je ne suis pas d'accord: ce paragraphe n'est pas clair

12 et on ne comprend très précisément quel est le critère de droit qu'il

13 souhaite voir appliquer.

14 Pour ce qui est du fait de ne pas prendre des mesures de sanction, Me

15 Moran nous a fait part de son expérience au sein du système militaire

16 nord-américain. Nous, nous sommes d'avis que la justice, les systèmes de

17 justice militaire, effectivement, sont très différents d'un pays à un

18 autre, très différents notamment en matière de savoir qui est responsable

19 pour prendre des sanctions.

20 Et si l'on se penche sur les commentaires qui ont été faits par le CICR et

21 qui font partie des Protocoles complémentaires des conventions de Genève,

22 eh bien on s'aperçoit que la compétence en matière de sanctions peut être

23 parfois très limitée, cela dépend des circonstances. Parfois, ce pouvoir

24 est limité au simple fait d'avoir obligation de faire état de certains

25 actes qui ont été perpétrés. Si je regarde maintenant la décision qui a

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1 été rendue dans l'affaire Aleksovski, eh bien on s'aperçoit que la Chambre

2 de première instance a accepté que M. Aleksovski pouvait être tenu pour

3 responsable au titre de l'article 7.3, alors qu'il était très clair qu'il

4 n'avait pas vraiment les moyens de punir les membres de la police

5 militaire qui étaient les gardes de la prison. La seule chose qu'il

6 pouvait faire, c'était de faire rapport de ce que ces gardes perpétraient

7 comme actes.

8 Une dernière observation. L'accusation, dans son mémoire, affirme qu'il y

9 a trois éléments essentiels qui composent la doctrine de la responsabilité

10 du supérieur hiérarchique, à savoir la relation de supérieur à

11 subordonnés, le critère de la connaissance et le fait de ne pas prendre

12 des mesures nécessaires et appropriées pour prévenir ou sanctionner la

13 perpétration de crimes. Il n'y a pas de quatrième critère.

14 Mais Me Moran, lui, affirme que nous suggérons un quatrième critère. Eh

15 bien nous, nous disons que ce n'est pas le cas: il n'y a que trois

16 critères que nous retenons.

17 M. le Président (interprétation): Regardons les termes de l'article 7.3,

18 Monsieur Fenrick, article 7.3 qui nous donne nos compétences et qui dicte

19 le droit auquel nous devons nous référer. Le facteur de connaissance,

20 comme vous l'appelez, est "s'il savait ou avait des raisons de savoir", et

21 les mots "avait des raisons de savoir" incluent évidemment le fait que le

22 commandant avait connaissance de certains faits dont il devait absolument

23 être informé. Est-ce que vous affirmez que l'expression "avait des raisons

24 de savoir" devrait également inclure l'expression, je cite: "du fait du

25 poste de commandement qu'il occupe." (fin de citation) et du fait des

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1 fonctions que cela entraîne.

2 M. Fenrick (interprétation): Oui, en mettant l'accent effectivement sur

3 les devoirs et les obligations que cela entraîne. Comme je l’ai dit

4 précédemment, nous ne suggérons pas ici qu'il faut appliquer un critère de

5 responsabilité stricte.

6 Nous suggérons qu'il y a une interprétation qui doit être faite de cette

7 disposition, une interprétation qui doit être faite de la doctrine de la

8 responsabilité du supérieur hiérarchique. Effectivement, il faut avoir en

9 considération les responsabilités qui sont celles d’un supérieur

10 hiérarchique.

11 M. le Président (interprétation): Et vous dites que ces devoirs, ces

12 obligations sont imposés par le droit coutumier?

13 M. Fenrick (interprétation): Tout à fait, Monsieur le Juge. Nous dirions

14 que ces obligations découlent d'un certain nombre d'obligations légales

15 qui existent et qui s'appliquent aux individus dont nous parlons à l’heure

16 actuelle. Cela inclut effectivement le droit coutumier, peut-être même le

17 droit des traités s'ils s'appliquent ici.

18 Peut-être que nous pouvons même faire référence à un certain nombre

19 d'obligations légales qui découlent de droits internes, de droits

20 nationaux. Peut-être que ces obligations de facto découlent aussi d'une

21 certaine pratique. Tous ces éléments peuvent être pris en compte pour

22 essayer de déterminer quelle est l'ampleur de l'obligation d'un individu.

23 M. Bennouna: Monsieur Fenrick, juste une petite précision.

24 Si je comprends bien les trois conditions que vous nous avez citées pour

25 la responsabilité du supérieur hiérarchique à savoir, je vous cite en

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1 anglais: "the superior subordinate relationship, the knowledge standard,

2 the failure to take necessary and appropriate mesures to prevent or to

3 punish." Vous ne vous êtes pas rallié à un quatrième critère qui a été

4 avancé, qui était celui du lien de causalité.

5 Est-ce que ces trois conditions s'appliquent à ce que vous appelez "the

6 influence"? Je ne sais pas comment on peut traduire, c'est-à-dire

7 l'exercice d'une influence. Un homme qui a une influence. Est-ce que cette

8 notion d'influence qui reste quand même quelque peu floue est nécessaire

9 lorsque nous exigeons ces trois conditions? Parce que, que ce soit un

10 homme d'influence, il y a les hommes d'influence et les hommes sous

11 influence.

12 Est-ce que cela peut être tout simplement la relation du supérieur aux

13 subordonnés? Est-ce que cet homme d’influence, appelons-le comme cela,

14 n'est pas tout simplement un supérieur qui n'est pas un militaire, si je

15 comprends bien, qui n'est pas dans la chaîne de commandement de type

16 militaire? Et qui serait quelqu'un qui a un pouvoir de fait, effectif, qui

17 a une autorité, qui contrôle effectivement ses subordonnés.

18 Ma question, plus précisément: qu'est-ce qu'ajoute à tout cela la notion

19 d’homme d'influence? Qu'est-ce que ça nous ajoute par rapport à

20 l'application des trois critères que vous avez mentionnés?

21 M. Fenrick (interprétation): Eh bien, d'après l'accusation, Monsieur le

22 Juge, dès lors que la doctrine de la responsabilité du supérieur

23 hiérarchique est d'application, chacun de ces trois critères doit être

24 également retenu.

25 Peut-être que l'obligation de, je cite: "établir un système, un mécanisme

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1 permettant d'être tenu au courant de violations" (fin de citation) et

2 l'obligation d'établir également un système de surveillance de ce

3 mécanisme, peut-être que cette obligation peut être interprétée de façon

4 extrêmement vaste.

5 Mais tout de même, la personne qui est tenue pour responsable au titre de

6 l'article 7.3 doit être une personne vers laquelle on est légitimement en

7 droit de se tourner ou à laquelle on peut légitimement imputer ces trois

8 responsabilités.

9 Si on n'est pas vraiment conscient qu'il existe un devoir de facto de

10 déterminer si, oui ou non, des crimes ont été commis, alors d'après nous,

11 les critères de l'article 7.3 ne sont pas réunis.

12 M. Bennouna: Vous n'avez pas répondu à ma question sur l'influence.

13 Qu'est-ce qu'ajoute la notion d'influence? Vous avez bien parlé de

14 personne d'influence, influentes?

15 M. Fenrick (interprétation): C’est parfaitement exact, Monsieur le Juge.

16 D'après nous, l'influence, en fait, c'est une forme de commandement de

17 facto d'une certaine façon. Il faut voir en cela une certaine forme de

18 supériorité hiérarchique de facto.

19 M. Bennouna: Très bien.

20 M. Pocar (interprétation): Maître Fenrick, permettez-moi de revenir un

21 instant sur la question qui vous a été précédemment posée par le Juge

22 Hunt, sur la question de la connaissance, pour que je comprenne tout à

23 fait la position qui est la vôtre.

24 Vous avez déclaré que, si je vous ai bien compris, l'article 7.3 doit être

25 interprété à la lumière de certains types de droits: le droit coutumier,

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1 le droit des traités, le droit national parfois.

2 Permettez-moi de vous poser la question suivante: quelle est exactement la

3 place que vous accordez à l'article 86 des protocoles? Parce que, hier,

4 vous avez déclaré que cela ne faisait pas partie du droit coutumier et que

5 cela n'était pas dans la droite ligne du droit coutumier.

6 Pourrais-je savoir quelle est la place que vous attribuez à cet article

7 parce qu'il faut bien tenir compte de cette disposition tout de même?

8 Cette disposition fait partie d'un traité. Cela, c'est une chose. Et puis,

9 d'autre part, c'est aussi une composante du droit qui est pratiquée et

10 qui, peut-être, a été utilisée pour établir le droit coutumier qui parfois

11 a été ratifié par un certain nombre d’Etats. Quelle est votre position sur

12 ce point?

13 M. Fenrick (interprétation): Eh bien, ce que je dirai c'est qu’en dehors

14 du statut du droit coutumier qui est accordé au protocole complémentaire

15 I, on peut dire que ce protocole complémentaire I s'applique au conflit en

16 tant que droit des traités.

17 Mais si on va au-delà de cela, nous, nous pensons... enfin cela dépend un

18 peu de l'interprétation que l'on fait du protocole supplémentaire I, ou

19 pardon, des articles 86 et 87.

20 Ces articles peuvent être considérés comme une codification partielle du

21 droit coutumier ou on peut dire que ces articles reflètent l'intégralité

22 du droit coutumier. Nous, nous estimons que la juste interprétation du

23 protocole supplémentaire I est l'interprétation qui a été de la Chambre de

24 première instance dans l'affaire Blaskic, qui suit plus ou moins ce que

25 nous, nous avons dit dans notre mémoire et qui a trait au critère de la

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1 connaissance.

2 Cela étant dit, si cette interprétation de la signification des articles

3 86 et 87 est considérée comme inexacte, et si l'on préfère adopter

4 l'interprétation qui en a été faite par la Chambre de première instance

5 dans l'affaire Celebici, en première instance, eh bien, dans cette

6 situation, nous affirmons que les articles 86 et 87 ne sont pas une

7 codification complète du droit coutumier pour ce qui est du critère de la

8 connaissance.

9 M. Riad (interprétation): Bonjour Maître Fenrick.

10 M. Fenrick (interprétation): Bonjour Monsieur le Juge.

11 M. Riad (interprétation): Pour ce qui est de ce qui a été dit hier,

12 c'était quelque chose de très intéressant. C'est quelque chose qu'a

13 soulevé Me Ackerman et vous essayez de répondre à ce qu'a dit Me Ackerman

14 et vous semblez ne pas être d'accord avec ce qu'il avait dit.

15 Il avait dit que le supérieur hiérarchique avait une autorité de jure. Et

16 dans le cadre de cette autorité de jure, on peut dire qu'il y a

17 l'obligation inhérente de prévenir ou de sanctionner certains actes. Vous,

18 vous essayez de maintenir le fait que c'est l'autorité de facto qui compte

19 le plus. Alors, sans entrer dans des hypothèses, essayons tout de même de

20 supposer une situation où il y a une contradiction entre l'autorité de

21 jure et l'autorité de facto.

22 D'après vous, quelle est l'autorité qui prévaut, quelle est votre autorité

23 favorite, si je puis mettre les choses ainsi?

24 M. Fenrick (interprétation): Eh bien, il faudrait que les deux autorités

25 coïncident, ce serait l'idéal, Monsieur le Juge. Mais, dans l'hypothèse où

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1 ce n’est pas le cas, je crois qu'il faudrait d'abord tenir en compte la

2 gamme complète des circonstances qui prévalent dans une situation donnée.

3 Par exemple, exemple d'ailleurs que j'ai utilisé hier, la reine

4 d'Angleterre est sans aucun doute le commandant en chef des forces armées

5 du Royaume-Uni, si l'on s'en tient au droit dans sa lettre la plus

6 stricte.

7 M. Riad (interprétation): C'est un très bon exemple.

8 M. Fenrick (interprétation): Mais de facto, la souveraine du Royaume-Uni

9 n'a pas cette autorité de facto et, dans ce cas, il faut s'appuyer

10 intégralement sur l'autorité de facto. Mais en revanche, si on parle d'un

11 commandant militaire qui agit sur le terrain, si on parle d'un commandant

12 qui a très clairement une obligation légale de contrôler ses troupes, dans

13 une telle situation, eh bien, je crois qu'il faudrait aller très, très

14 loin pour dire: "Eh bien, mon Dieu, cet homme avait effectivement

15 l'obligation de contrôler ses troupes mais dans les circonstances qui

16 prévalaient, ce n'était pas très facile à faire." Il faut vraiment pousser

17 le bouchon un peu loin.

18 Je voudrais me référer à l'incident Sabra et Shatila qui a été cité par

19 certains de mes collègues. Je vous rappelle qu'il s'agissait de massacres

20 de Palestiniens dans les camps de Sabra et Shatila en 1981 et 1982, je

21 crois.

22 Suite à ces massacres, les Israéliens ont créé la commission Kahan qui a

23 été chargée de mener une enquête sur ce qui s'était passé. Cette

24 commission n'a jamais affirmé avoir l'autorité juridique d'établir des

25 règles juridiques, mais ce qu'elle a dit a été écouté très attentivement

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1 et ce qui a été fait a fait date.

2 Ce que j'essaie de souligner, c'est que notamment, il a été dit par cette

3 commission que, si vous avez un certain degré de contrôle sur des troupes

4 dont vous savez qu'elles vont commettre des actes criminels, alors vous

5 avez l'obligation de ne pas mettre ces troupes en situation de combat,

6 surtout, si vous savez qu'elles sont susceptibles de perpétrer des crimes

7 graves. Vous pouvez dire: "Elles étaient absolument incontrôlables. Moi,

8 je n'avais personne à ma disposition. Donc, je les ai envoyées sur le

9 terrain. Elles y sont allées, elles ont fait toute sorte d'infractions et

10 comme elles étaient incontrôlables, eh bien, je ne suis pas responsable."

11 M. Riad (interprétation): Je suis très satisfait de votre réponse, Maître

12 Fenrick. Merci beaucoup.

13 M. le Président (interprétation): Merci, Maître Fenrick. Vous êtes

14 autorisé à quitter le prétoire dès que vous le souhaitez.

15 M. Fenrick (interprétation): C'est moi qui vous remercie, Monsieur le

16 président, Messieurs les Juges.

17 M. le Président (interprétation): Je cède la parole à Me Staker, en

18 conséquence.

19 M. Staker (interprétation): Avec votre autorisation, Monsieur le

20 Président, merci.

21 Il y a deux choses que je souhaiterais dire quant aux faits et quant à ce

22 qu'a affirmé M. Ackerman au nom de M. Delalic. Et là, je me réfère bien

23 sûr à l'acte d'accusation et à son chef d'accusation n°48, "Détention

24 illégale des civils"

25 D'abord, il y a la notion d'aider et d'encourager. Nous, nous pensons

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1 avoir intégralement couvert ce point dans le mémoire, en réponse de

2 l'accusation au paragraphe 4.15 et dans les paragraphes suivants. Nous

3 disons ici qu'il est tout à fait normal de retenir le critère "d'aider et

4 d'encourager" dans le chef d'accusation.

5 Et puis au paragraphe 4.22 et dans les paragraphes suivants, nous donnons

6 les éléments juridiques qui font que, d'après nous, ce fait d'aider et

7 d'encourager est une forme de participation au titre de l'article 7.1.

8 M. le Président (interprétation): Pouvez-vous nous donner le paragraphe où

9 il est fait mention du chef d'accusation générale parce que lorsque je

10 regarde votre mémoire, je vois que vous avez suivi un ordre relativement

11 imprécis?

12 Vous avez effectivement cité l'article 7.1, mais c'est dans le cadre de la

13 référence à M. Delic.

14 M. Staker (interprétation): Eh bien, d'après nous, Monsieur le Juge, il

15 n'y a pas de forme procédurière précise pour un acte d'accusation. Il y a

16 des critères généraux qui doivent être appliqués et qui doivent être

17 satisfaits par un acte d'accusation. Si un accusé a le sentiment que

18 l'acte d'accusation ne satisfait pas ces critères minimaux, il est

19 possible de déposer une exception préjudicielle pour essayer d'obtenir un

20 acte d'accusation plus détaillé.

21 Mais comme nous l'avons déclaré dans notre mémoire, nous déclarons que la

22 façon dont l'acte est rédigé est très claire et qu'il y a d'abord une

23 allégation, dans cet acte d'accusation, de participation et ensuite il y a

24 une allégation de responsabilité du supérieur hiérarchique.

25 Et puis, il y a le mot participation. Nous avons ici un exemplaire du chef

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1 d'accusation 48 qui commence au paragraphe 36, je cite: "Entre les mois de

2 mai et d'octobre 1992, Zejnil Delalic, Zdravko Mucic et Hazim Delic ont

3 participé à la détention illégale de nombreux civils au camp de détention

4 de Celebici". (fin de citation)

5 Le mot n'apparaît pas dans l'article 7.1, mais c'est un mot dont nous

6 affirmons qu'il est régulièrement utilisé pour qualifier toute sorte de

7 participations au titre de l'article 7.1.

8 M. le Président (interprétation): Peut-être que c'est un manque de

9 précision. Mais peut-être que le moment n'est pas venu d'en débattre.

10 Mais, je pense qu'effectivement les styles employés par l'accusation

11 devraient être un petit peu revus et réétudiés.

12 M. Staker (interprétation): Le style que nous utilisons a évolué, je le

13 crois, Monsieur le Juge.

14 Ce que nous essayons de dire, c'est que c'est là une question de jargon

15 juridique utilisé, si vous voulez. On se réfère à différents types de

16 participations auxquels il est fait référence dans l'article 7.1.

17 Quand vous regardez encore une fois, le paragraphe 36 de l'acte

18 d'accusation, on s'aperçoit un peu plus loin qu'on fait référence, en

19 fait, aux articles 7.1 et 7.3. Ce sont ces deux articles qui sont

20 invoqués.

21 En fait, l'idée générale de l'accusation pour ce qui est de ce motif

22 d'appel n'était pas que la Chambre de première instance avait appliqué un

23 critère juridique erroné pour ce qui est de "aider et encourager" dans les

24 actes de M. Delalic. C'est simplement que nous disons que la Chambre de

25 première instance n'a pas appliqué du tout ce critère. Je vous réfère aux

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1 paragraphes 1144 où la Chambre de première instance a déclaré que M.

2 Delalic n'était pas responsable au titre du chef d'accusation 48 parce

3 qu'il n'était pas à même d'empêcher la détention illégale de civils.

4 Et, hier, j'ai évoqué un argument qui avait trait cette fois-ci à M.

5 Mucic. J'ai déclaré que cela n'avait rien à voir avec un élément

6 constitutif du crime de la détention illégale de civils. Ce que j'ai dit,

7 c'est que la Chambre ne s'est pas du tout prononcé sur cette question de

8 "aider et encourager".

9 Toujours pour ce qui est du chef d'accusation 48, il y a autre chose que

10 je souhaite dire. Il y a le fait qu'on a parlé de civils comme étant une

11 menace potentielle à la sécurité de l'Etat. Dans notre mémoire, nous

12 couvrons intégralement ce point, mais je reviens dessus tout simplement

13 parce que même si on peut parfois dire qu'il y a une population, en

14 l'occurrence la population serbe, qui a pris les armes et qui s'est

15 soulevée contre son gouvernement, cela ne justifie pas le fait de

16 rassembler chacun des membres de cette population serbe et de les placer

17 en détention.

18 Il y a une différence entre des civils qui présentent peut-être une menace

19 en matière de sécurité et des civils qui ne présentent aucune menace.

20 Maître Ackerman a déclaré qu'il revenait à l'accusation de prouver, au-

21 delà de tout doute raisonnable, ce qu'elle affirmait. Bien sûr que c'est

22 exact, mais cette obligation repose sur les épaules de l'accusation face à

23 la Chambre de première instance. Et la Chambre de première instance a

24 donné des conclusions très claires sur ce que l'accusation avait

25 effectivement rempli cette obligation qui était la sienne.

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1 Je vous renvoie au paragraphe 1134 du jugement de la Chambre de première

2 instance qui dit, je cite: "La Chambre de première instance est convaincue

3 qu'un nombre important de civils a été détenu dans le camp de Celebici,

4 même s'il n'existait pas de raison légitime et sérieuse de conclure que

5 ces personnes portaient préjudice à la sécurité du pouvoir en présence."

6 (fin de citation)

7 La Chambre de première instance a établi une conclusion factuelle sur la

8 base des éléments de preuve qui lui avaient été soumis et il revient

9 maintenant à la Chambre d'appel de voir si l'accusation réussit à

10 démontrer que la conclusion était totalement déraisonnable. Si

11 déraisonnable qu'aucun autre juge, sur les faits, n'aurait pu l'atteindre.

12 Et je crois que l'accusation a rempli sa mission en l'espèce.

13 Maintenant, si j'en viens à ce qu'a dit M. Moran. Monsieur Moran a parlé

14 de faits relatifs à M. Delic. Je me mélange un petit peu entre les

15 différents noms des accusés, mais c'est bien M. Delic.

16 M. Moran a déclaré que M. Delic était perçu par les détenus comme étant le

17 commandant des gardes, était quelque chose qui n'avait aucune importance.

18 Il a également dit que peu importait que les gardes l'appelle "patron" ou

19 pas. Nous, nous concédons qu'effectivement, ces deux faits ne sont pas

20 forcément des faits clés mais ils sont certainement des faits pertinents

21 et peuvent, en fait, avoir une importance assez considérable si l'on s'y

22 penche d'un peu plus près.

23 Monsieur Moran a déclaré que le fait que M. Delic pouvait donner des

24 ordres aux gardes ne démontrait pas forcément qu'il était un commandant.

25 Peut-être qu'il exerçait une autorité déléguée comme celle qui est parfois

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1 déléguée au chef d'état-major. Nous, nous répondons à cela que, même s'il

2 faut parfois effectivement démontrer qu'il y avait la présence d'une

3 chaîne de commandement direct, il revient de toute façon à la Chambre de

4 première instance de conclure quel type d'autorité était exercée par M.

5 Delic. Et je crois que cela peut être dérivé du type d'ordre qui était

6 donné.

7 Et nous, nous disons que M. Delic était physiquement présent parmi les

8 gardes, qu'il leur criait dessus, qu'il leur donnait des ordres en criant.

9 Il y a des éléments de preuve qui existent, et que ces éléments de preuve

10 établissent qu'il exerçait un contrôle de facto sur les gardes de la

11 prison.

12 Pour ce qui est maintenant du chef d'accusation 48, "Détention illégale

13 des civils", eu égard à M. Delic, M. Moran a déclaré qu'il n'y avait pas

14 dans le monde des systèmes dans lesquels il y a du personnel de prison qui

15 prenne la décision de savoir qui va être détenu ou qui ne va pas l'être et

16 que le personnel de la prison ne peut pas être tenu responsable s'il

17 apparaît que l'autorité qui a décidé de mettre la personne en prison a

18 fait une erreur. Nous, nous répondons à cela que cela n'est tout

19 simplement pas vrai. Si le personnel de la prison a une connaissance

20 réelle du fait que la détention se fait dans des circonstances illégales

21 -et je vais prendre un exemple.

22 Supposons qu'il y a un chef de la police locale qui est corrompu, et

23 supposons qu'il y a des officiers de la police locale qui sont également

24 corrompus. Si ces officiers sortent et décident de prendre un piéton qui

25 circule dans la rue, décident de le mettre en prison pour des raisons

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1 personnes, en fait décident de l'enlever et de placer dans la prison

2 locale en disant au commandant de la prison: "gardez cet homme en

3 détention"; et si le commandant de la prison est au fait de toutes les

4 circonstances qui ont entouré l'arrestation de cette personne, eh bien

5 nous, nous disons que, dans tout système civilisé, le commandant de la

6 prison peut être tenu responsable pour la détention illégale de la

7 victime.

8 Si le commandant de la prison donne un ordre à l'un des gardes de la

9 prison en lui demandant d'empêcher la personne de quitter les lieux, et si

10 le garde a lui aussi connaissance totale des circonstances qui prévalent,

11 eh bien le garde, lui aussi, peut être tenu pour responsable des

12 événements.

13 La question, ici, n'est pas de savoir si les gardes de la prison de

14 Celebici avaient le devoir de se poser la question des circonstances de la

15 détention des prisonniers ou s'ils auraient dû savoir. Nous, ce qui nous

16 importe, c'est le fait de savoir s'ils avaient une connaissance réelle.

17 Et d'après nous, pour ce qui est de M. Delic, il avait une connaissance

18 absolue de ce qui se passait. Peut-être que l'on peut se demander quelle

19 était l'intégralité de sa connaissance ou l'ampleur de sa connaissance,

20 peut-être que la question pourrait se poser. Mais en l'occurrence, nous ne

21 pensons pas que ce soit la chose qui soit la plus importante. Nous pensons

22 qu'il avait connaissance des faits, et c'est ce qu'affirme le Bureau du

23 Procureur.

24 Monsieur Moran a également parlé des forces de sécurité légitimes de la

25 Bosnie-Herzégovine et du fait qu'elles avaient le droit de placer des

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1 personnes en détention au milieu d'une guerre assez longue en attendant

2 qu'une détermination soit rendue sur le statut. Eh bien, je voudrais

3 appliquer à cet argument la même réponse que j'ai donnée à celle faite par

4 M. Ackerman.

5 Avez-vous d'autres questions? Si ce n'est pas le cas, je vais répondre à

6 ce qu'a dit M. Kuzmanovic.

7 M. Ackerman (interprétation): Permettez-moi, Monsieur le Président, de

8 rectifier ce qui me semble être une erreur de la part de M. Staker, et

9 permettez-moi également de lui rappeler que c'est lui, en tant

10 qu'appelant, qui est tenu responsable de la charge de la preuve pour ce

11 qui est du chef d'accusation 48. C'est vous, l'appelant, Maître Staker.

12 M. Staker (interprétation): Je prends bonne note de cela. Pour ce qui est

13 des arguments de Me Kuzmanovic, si je l'ai bien compris, M. Kuzmanovic est

14 d'accord avec l'accusation sur le critère de réexamen qui doit être

15 appliqué en appel, dès lors qu'il y a allégation d'erreur commise sur les

16 faits. C'est le critère du manque de raisons qui s'applique, et un certain

17 nombre d'arguments ont été avancés là-dessus.

18 Sur cette question particulière de la charge de la preuve, je crois que,

19 en l'occurrence, c'est à M. Mucic d'établir ce qu'il souhaite établir sur

20 la base des éléments de preuve qui se trouvent devant la Chambre d'appel.

21 Aucun Juge de faits raisonnable n'aurait pu atteindre la conclusion qui a

22 été celle de la Chambre de première instance.

23 Deuxièmement, toujours si je vous ai bien compris, Maître Kuzmanovic, je

24 crois que vous ne remettez pas en question la conclusion factuelle de la

25 Chambre de première instance selon laquelle une personne peut être tenue

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1 responsable au titre de l'article 7.3 sur la base de l'autorité de facto.

2 Pendant certaines des périodes indiquées dans l'acte d'accusation, au

3 titre de l'argumentation au moins, il semble accepter que des éléments de

4 preuve raisonnables et crédibles existent montrant que le commandement de

5 M. Mucic a commencé à la fin du mois de juillet ou au début du mois d'août

6 1992. Il précise pas quels sont ces éléments de preuve.

7 Nous remarquons au paragraphe 737 du jugement de la Chambre de première

8 instance que celle-ci déclare que, lors de son audition par le Procureur,

9 M. Mucic a admis avoir autorité sur le camp, au moins à partir du 27

10 juillet 1992. Sur cette base, il est, pensons-nous, impossible de discuter

11 que la Chambre de première instance n'aurait pas pu raisonnablement

12 conclure au fait que M. Mucic était commandant de la prison à partir de

13 cette date.

14 Ce dont M. Delic se plaint, c'est du fait que cette autorité de facto a

15 été antidatée au mois de mai 1992.

16 Maintenant, si le fait qui a poussé la Chambre de première instance à

17 conclure que M. Mucic était commandant à partir du 27 juillet 1992 n'est

18 pas discuté, il s'ensuit que, même si un succès est remporté au sujet de

19 ce motif d'appel, la responsabilité reste intacte s'agissant de tous les

20 crimes pertinents commis après cette date. Et ceci recouvre la

21 responsabilité pour les conditions inhumaines en vertu des chefs 46 et 47,

22 et l'emprisonnement illégal de civils en vertu du chef 48 pendant la

23 période où il était commandant.

24 Par ailleurs, même si le succès est remporté sur ce motif d'appel pour la

25 période antérieure au 27 juillet 1992, sa responsabilité n'est pas

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1 nécessairement exclue pour les crimes commis avant cette date. La

2 responsabilité d'un commandant ne consiste pas uniquement à punir des

3 crimes avant leur commission, mais à les punir également après leur

4 commission. Un commandant ne peut pas empêcher des crimes qui ont été

5 commis avant que lui ait été nommé au poste de commandant, mais il peut

6 punir les crimes commis avant qu'il ait été nommé au poste de ce

7 commandant.

8 Si ce n'était pas le cas, la responsabilité d'un supérieur hiérarchique,

9 dans les affaires où le commandant n'avait pas de connaissances

10 antérieures et par conséquent n'avait aucun moyen de prévenir le crime,

11 pourrait être évitée simplement en changeant le commandant immédiatement

12 après la commission du crime. L'ancien commandant pourrait plaider qu'il

13 n'avait pas eu suffisamment de temps pour prendre les mesures nécessaires

14 pour sanctionner les auteurs du crime avant d'être relevé de ses

15 fonctions. Et le nouveau commandant pourrait plaider que ces crimes ont

16 été commis avant qu'il ne devienne commandant.

17 A notre avis, si un commandant connaissait que des crimes ont été commis

18 par des subordonnés avant l'époque où il a pris le commandement, s'il sait

19 que ces crimes n'ont pas été punis, ce commandant -femme ou homme- a la

20 responsabilité de prendre les mesures nécessaires pour sanctionner ce

21 crime.

22 Nous concédons cependant que ceci, cet argument, peut avoir pertinence

23 pour la détermination de la sentence vis-à-vis d'un crime qui n'aurait pas

24 été commis pendant la période durant laquelle le commandant exerçait

25 réellement son commandement.

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1 M. le Président (interprétation): Vous pensez au temps?

2 M. Staker (interprétation): J'aurais besoin d'un peu plus de temps,

3 effectivement.

4 M. Riad (interprétation): J'aimerais un éclaircissement. Vous avez dit que

5 la responsabilité d'un commandant ne consistait pas à empêcher un crime

6 avant sa commission, mais à le punir?

7 M. Staker (interprétation): Ah oui, excusez-moi! Ce que je voulais dire,

8 c'est qu'il existe un devoir d'empêcher le crime avant sa commission, mais

9 aussi de sanctionner le crime après sa commission. Et il est concédé qu'un

10 commandant ne peut pas empêcher un crime commis avant que cet homme ne

11 devienne commandant.

12 M. Riad (interprétation): Avant, mais s'il était commandant à ce moment-

13 là, sa responsabilité s'étend...

14 M. Staker (interprétation): Elle consiste toujours à punir le crime.

15 M. Riad (interprétation): Mais à le prévenir avant? Je vous cite: "La

16 responsabilité d'un commandant ne consiste pas à prévenir un crime avant

17 sa commission, mais à le punir..."

18 M. Staker (interprétation): Excusez-moi, c'est une erreur!

19 M. Riad (interprétation): Ce n'est pas ce que vous vouliez dire?

20 M. Staker (interprétation): Non, ce n'est pas ce que je voulais dire. Il y

21 a obligation de prévenir le crime avant sa commission.

22 M. Riad (interprétation): Oui?

23 M. Staker (interprétation): Oui, en effet, et également le devoir de punir

24 le crime après sa commission.

25 M. Riad (interprétation): C'est tout à fait clair?

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1 M. Staker (interprétation): Ce que je voulais dire dans cette phrase,

2 c'est que si le crime a été commis avant que le commandant ne devienne

3 commandant, il ne peut pas être tenu responsable de la prévention de ce

4 crime.

5 M. Riad (interprétation): Seulement dans ce cas-là?

6 M. Staker (interprétation): Oui, seulement dans ce cas-là, parce qu'il

7 n'était pas commandant à l'époque.

8 M. Riad (interprétation): C'est tout à fait clair.

9 M. Staker (interprétation): Oui.

10 M. le Président (interprétation): Nous suspendons pendant une demi-heure.

11 (L'audience, suspendue à 11 heures 35, est reprise à 12 heures 05.)

12 M. le Président (interprétation): Monsieur Staker?

13 M. Staker (interprétation): Monsieur le Président. Avant de reprendre le

14 cours de mon exposé, j'aimerais apporter un éclaircissement sur un point.

15 Durant l'exposé de M. Ackerman, nous avons entendu un certain nombre de

16 choses et j'ai fait référence à la charge de la preuve, donc de l'erreur

17 de fait qui incombait à M. Delalic. Mon collègue de la défense a eu

18 l'amabilité de me rappeler que nous étions l'appelant, s'agissant de ce

19 motif d'appel.

20 Je souhaite dire très clairement que bien entendu l'accusation accepte,

21 admet qu'elle est l'appelant par rapport à ce motif d'appel. Nous portons

22 l'obligation de faire la charge de la preuve en tant qu'appelant et

23 lorsque nous parlons d'erreur de fait par la Chambre de première instance,

24 la charge de le prouver nous incombe à nous, en tout cas, s'agissant

25 d’établir le comportement déraisonnable.

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1 En revanche, nous affirmons également que nous sommes en droit de nous

2 appuyer sur les faits qui ont été établis par la Chambre de première

3 instance dans son jugement. Et qu'en réponse à un motif d'appel, M.

4 Delalic souhaite présenter une argumentation sur les faits que nous

5 considérons incorrects. Donc nous y répondrons, mais c'est sur lui que

6 repose la charge de la preuve à ce moment-là.

7 Je pense qu'il est clair qu'il a été, que le jugement a été prononcé,

8 l'appel a été interjeté, il n'y a pas eu contre-appel mais allégations

9 d'erreur sur les faits. Donc, la charge pertinente s'agissant de cette

10 affirmation ne fait aucune ambiguïté. Je répète, s'agissant de prouver les

11 erreurs de fait, la charge repose sur M. Delalic. Et au départ de cette

12 procédure, il a été indiqué qu'un appel incident serait interjeté, c'est

13 seulement depuis, que techniquement la clarification a été apportée. Donc,

14 il y a pour moi, motif de m'exprimer comme je le fais ici aujourd’hui sur

15 ce point.

16 Je vais maintenant reprendre mon exposé. La question de savoir s'il est

17 impossible pour un juge des faits raisonnable, de conclure sur la base des

18 éléments de preuve que M. Mucic était commandant de facto du camp, avant

19 la fin du mois de juillet 1992, se pose. Le premier témoin dans la

20 déposition a été mentionné par M. Kuzmanovic et celle du témoin P au

21 paragraphe 746 du jugement de la Chambre de première instance.

22 Celle-ci déclare, je cite: "les éléments de preuve montrant l'exercice

23 effectif de l'autorité sur le camp de prisonniers de Celebici par Zdravko

24 Mucic ont été obtenus dans le témoignage du témoin P, qui a déclaré avoir

25 été transféré au début du mois de juin 1992 dans ce camp de prisonniers,

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1 en provenance de l'école du 3 mars par M. Mucic". (fin de citation)

2 Ensuite, il y a une référence au compte-rendu d'audience page 4518. M.

3 Kuzmanovic déclare que si l'on examine le compte-rendu d'audience, celui-

4 ci ne révèle pas que le témoin P a été transféré de Celibici, en juin

5 1992.

6 L'accusation affirme que ce n'est pas ce que dit la Chambre de première

7 instance. A la page du compte-rendu d'audience, le témoin P décrit la

8 façon dont M. Mucic est arrivé à l’école du 3 mars pour lui dire que, pour

9 des raisons de sécurité, lui-même et d'autres allaient être déplacés. Il a

10 lu le nom d'un certain nombre de personnes qui ont été emmenées dans le

11 gymnase de Musala et d'autres noms, y compris celui du témoin P, qui ont

12 été emmenés à Celebici.

13 En réponse aux questions figurant dans les trois pages suivantes du

14 compte-rendu d'audience, le témoin explique que le 10 juin, à peu près

15 quelques jours avant ce transfert, M. Mucic lui avait dit dans l’école du

16 3 mars qu'il serait bientôt au commandement du camp de Celebici. La

17 déduction que la Chambre de première instance semble avoir tiré de tout

18 cela, c’est qu'à l'époque, c’est qu’au moment où Mucic est revenu quelques

19 jours plus tard pour rassembler quelques prisonniers pour ce transfert, il

20 était déjà devenu commandant de facto du camp de Celebici.

21 Ceci est confirmé par le fait que la Chambre de première instance fait

22 également au témoignage de Mirko Dzordjic, page 4795, qui a aussi vu M.

23 Mucic organiser un transfert de prisonniers en provenance de l'école du 3

24 mars, et qui déclare avoir vu M. Mucic, pour la première fois, au mois de

25 juin. Le témoignage du témoin P est corroboré par l'autre médecin, le

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1 docteur Grubac qui déclare également en pages 5965 à 5968 du compte-rendu

2 d'audience, qu'il a été transféré de l'école vers le camp de Celebici au

3 début du mois de juin par M. Mucic.

4 Au paragraphe 748 de son jugement, la Chambre de première instance fait

5 ensuite référence au témoignage du témoin D dont elle déclare qu'il, je

6 cite: "a témoigné que M. Mucic était commandant et qu'il avait un bureau

7 dans le camp de prisonniers". (fin de citation) Ce qui est le plus

8 important par rapport à ce témoin, c'est que la Chambre de première

9 instance affirme, au paragraphe 762 de son jugement, où il apparaît

10 expressément que les éléments de preuves fournis par ce témoin sont

11 fiables et dignes de crédibilité et qu'il était en mesure de connaître

12 exactement le statut de M Mucic.

13 Ce témoin, le témoin D, était membre de la commission d'enquête militaire.

14 Il a témoigné que M. Mucic était commandant du camp, qu'il avait un bureau

15 dans le camp. Et que, lorsque la commission s'est réunie au début du mois

16 de juin, pour discuter des modalités de son travail, M. Mucic était

17 présent à cette réunion. J'ai fait référence aux pages du compte-rendu

18 d'audience 6174 et notamment à la ligne 19, et page 5175, lignes 18 à 21.

19 Le témoin D a déclaré ensuite dans sa déposition que, lorsqu'il a commencé

20 à travailler avec la commission au mois de juin, M. Mucic a fourni à cette

21 commission les premières listes de prisonniers. Ceci figure au compte-

22 rendu d'audience page 5183. Il a aussi témoigné qu'une documentation

23 écrite provenant du terrain était exigée par la commission pour travailler

24 et que c'était également M. Mucic qui détenait cette documentation. Ceci

25 figure au compte-rendu d’audience pages 5188 à 5189.

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1 En outre, les éléments de preuves mentionnés par les Juges ne sont pas les

2 seuls que ceux-ci ont vus, ceux qui sont cités dans le jugement ne sont

3 pas les seuls vus par les Juges. Tous n'ont pas été cités dans le détail,

4 s'agissant de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Nous affirmons

5 aujourd'hui que si la Chambre de première instance doit prononcer un

6 jugement raisonné, il n'est pas absolument requis d'elle qu'elle cite tous

7 les éléments de preuves sur lesquels elle s'est appuyée pour arriver à sa

8 conclusion. Et qu'en se prononçant quant au fait de savoir si une Chambre

9 de première instance raisonnable aurait pu aboutir à une conclusion

10 particulière sur les éléments de preuve, elle n'est pas obligée de citer

11 tous ces éléments de preuve. Il est permis d'examiner les éléments de

12 preuve dans leur globalité et pas simplement des parties ponctuelles de

13 ces éléments de preuves mentionnés dans le jugement pour se prononcer sur

14 une question.

15 Des éléments de preuve existent dans le témoignage du témoin D qui déclare

16 qu'il a été affecté à Celebici, pour la première fois, immédiatement après

17 la capture de Donje Selo. Ceci figure au compte-rendu d’audience, page

18 44761, lignes 19 à 12. Et à ce moment-là, nous étions en mai 1992, ce qui

19 est montré clairement au compte-rendu d’audience page 6814. Ce témoin a

20 déclaré que, très peu de temps après avoir pris ses fonctions en tant que

21 chauffeur du camp –ceci figure à la page 57 lignes 25 du compte-rendu

22 d’audience jusqu'à la page 5868– on lui a demandé qui était le commandant

23 pendant la période où il était chauffeur. Et il a répondu que c'était

24 Zdravko Mucic, compte-rendu d'audience, page 6673.

25 Le coaccusé de M. Mucic, Landzo, a aussi témoigné qu'il faisait partie des

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1 soldats affectés à Celebici à la mi-juin et je fais référence à la page du

2 transcript 15027, qu'il a rencontré M. Mucic à son arrivée. Celui-ci était

3 responsable du choix des personnes qui devaient prendre les fonctions de

4 garde et il a expliqué à Landzo quelles seraient ses obligations. Ceci

5 figure à la page 15029, 15030 du compte-rendu d'audience.

6 Gordana Grubac a témoigné qu'une semaine à peu près ou dix jours avant la

7 libération du docteur Grubac, le 22 juillet 1992, elle s'est rendue dans

8 le camp, page 96 du compte-rendu d'audience. Elle a témoigné qu'à son

9 arrivée elle a rencontré un garde et que ce garde l’a emmenée auprès du

10 commandant Pavo, qui lui a dit que le commandant Pavo voulait la voir. Et

11 ensuite, Pavo a envoyé le garde chercher son mari.

12 Monsieur Kuzmanovic a fait référence à certains témoignages mentionnés

13 dans le jugement de la Chambre de première instance, il a cherché à

14 prouver qu'il était raisonnable de s'appuyer sur ces éléments de preuve.

15 Il affirme que le témoignage de plusieurs témoins ne prouve pas que M.

16 Mucic a exercé un contrôle effectif sur le camp, notamment parce que ces

17 témoins ont placé M. Mucic dans le camp à une période pertinente, ne l'ont

18 pas placé dans le camp à la période pertinente ou ne l'ont pas identifié

19 comme commandant à moins de l'avoir identifié mais de ne l'avoir pas placé

20 à la période pertinente.

21 Il doit être évident que les témoignages des témoins bien qu'à prendre en

22 compte et à apprécier à leur juste valeur ne constituent pas à eux seuls

23 tous les détails des éléments à prouver. Les témoignages des témoins

24 peuvent être cumulatifs. Plusieurs témoins, sans être précis quant au

25 temps, ont témoigné que M. Mucic était commandant de la prison. Rien ne

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1 suggère dans le témoignage d’un témoin que M. Mucic est apparu à un moment

2 particulier, en juillet, en tant que commandant du camp.

3 Les témoignages de façon générale stipulent simplement qu'il était

4 commandant. D'autres témoins le situent dans le camp à un certain moment

5 avant le 27 juillet 1992. Pris dans leur ensemble avec le témoignage dont

6 je parlais, il y a un instant, je pense qu'il est permis de dire qu'il

7 était commandant avant le mois de juillet 1992 et qu'une Chambre de

8 première instance raisonnable aurait pu conclure qu'il était commandant

9 pendant toute la période de l'acte d'accusation.

10 Monsieur Kuzmanovic a déclaré hier que la Chambre de première instance

11 s'était vanté du fait qu'il y avait pléthore d’éléments de preuve sur

12 cette question. En fait le mot pléthore a été utilisé au paragraphe 679 du

13 jugement de la Chambre, s’agissant des éléments de preuve portant sur la

14 connaissance qu’avait M. Mucic du fait que des gardes du camp commettaient

15 des crimes contre les détenus. Le Procureur affirme cependant que les

16 éléments de preuve pris dans leur ensemble sont suffisants pour montrer

17 qu'une Chambre de première instance raisonnable aurait pu aboutir à la

18 même conclusion que l'accusation sur ce point.

19 J'en ai terminé pour l'instant, Monsieur le Président.

20 M. le Président (interprétation): Merci. Avez-vous d'autres arguments?

21 Est-ce la fin de la réponse de l'accusation?

22 M. Staker (interprétation): Je crois que ce sera tout sur le motif 1.

23 M. le Président (interprétation): Merci. Monsieur Kuzmanovic, avez-vous

24 une réponse à la réponse?

25 M. Kuzmanovic (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Monsieur

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1 Morrison et moi-même, nous nous partagerons la tâche pour une réponse très

2 brève et c'est M. Morrison, assis à ma gauche, qui prendra la parole le

3 premier.

4 M. Morrison (interprétation): Je remercie mon cher confrère de m'avoir

5 pris entièrement par surprise. Ma réponse est brève et simple. C'est la

6 qualité des éléments de preuve qui a de l'importance et pas le nombre de

7 personnes qui ont dit telle ou telle chose.

8 Mon confrère, Me Kuzmanovic, a parlé de contradictions hier. Ce sont ces

9 contradictions qui déterminent la qualité ou l'absence de qualité d'une

10 déposition.

11 Vous pouvez voir autant de témoins que vous voulez, vous donnez des

12 témoignages partiels. Si on fait l'addition de ces témoignages partiels,

13 on n'arrive pas à un témoignage de qualité. Donc, il appartient à la

14 Chambre d'appel de se prononcer après avoir examiné l'ensemble des

15 dépositions pour déterminer si, à première vue, ces dépositions sont de

16 bonne qualité. Nous affirmons que ce n'est pas le cas. Si l'on examine, en

17 particulier, les éléments de preuve ou les informations dont nous espérons

18 que la Chambre d'appel les aura sous les yeux en temps utile, et là, je

19 franchis un pas important en parlant de la sorte, mais nous espérons que

20 la Chambre aura ces éléments sous les yeux en temps utile, eh bien, au vu

21 de ces éléments, la véracité et la qualité des anciens éléments de preuve

22 seront encore davantage mises en cause.

23 M. le Président (interprétation): Merci, Maître Morrison.

24 Maître Kuzmanovic, vous avez la parole.

25 M Kuzmanovic (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Mon collègue

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1 de l'accusation, M. Staker, a posé la question de savoir si un Juge sur

2 les faits pouvait raisonnablement conclure que M. Mucic était commandant

3 de facto avant la date du mois de juillet 1992.

4 J'affirme pour ma part que la possibilité n'est pas suffisante lorsqu'il

5 s'agit de se prononcer au-delà de tout doute raisonnable. Tout est

6 possible, comme chacun d'entre nous le sait, mais la norme à appliquer est

7 celle d'une détermination au-delà de tout doute raisonnable.

8 Deuxième point, l'aspect raisonnable dont j'ai déjà parlé hier, dont M.

9 Staker et moi même avons débattu longuement. Eh bien, les témoignages nous

10 fournissent des informations contradictoires. Nous affirmons que ce serait

11 déraisonnable et que ce serait même une erreur judiciaire que de se saisir

12 de chacun des détails de ces dépositions contre les accusés.

13 C'est ce que semble faire le jugement, notamment s'agissant de M. Mucic et

14 de la responsabilité de supérieur hiérarchique lorsqu'ils repoussent la

15 date à laquelle M. Mucic était censé être commandant du camp au mois de

16 mai 1992. Merci.

17 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup, Maître Kuzmanovic.

18 Eh bien, nous en avons fini avec le premier motif d'appel plus tard que

19 nous ne le pensions, malheureusement, et nous pouvons maintenant passer au

20 motif n°2, deuxième groupe.

21 M. Ackerman (interprétation): Monsieur Hunt, il est tout à fait évident

22 que nous sommes très en retard.

23 M. le Président (interprétation): Mais cela ne veut pas dire que nous vous

24 invitons à parler plus vite, Maître Ackerman.

25 M. Ackerman (interprétation): J'ai bien compris. Mais je vais essayer de

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1 jouer le rôle qui est le mien pour aider l'audience à progresser plus

2 rapidement. Je serai donc le plus bref possible. J'inviterai également

3 tous mes collègues à faire de même car, selon le calendrier prévu, nous

4 n'en sommes même pas encore arrivés au terme du premier jour d'audience.

5 Ce qui a été dit au sujet de l'article 3 commun est décrit de façon très

6 détaillée dans le mémoire que nous avons déposé auprès de la Chambre. Ceci

7 n'a de pertinence qu'eu égard à M. Delalic, n'a de pertinence par rapport

8 à M. Delalic que si la Chambre décide qu'il faudrait y avoir un nouveau

9 procès ou que d'autres dispositions devraient être prises en matière de

10 responsabilité pénale en vertu de l'article 3 du Statut.

11 Les coaccusés Delic et Mucic, cependant, ont adopté cette partie du

12 mémoire de M. Delalic et, apparemment donc, ceci leur importe s'agissant

13 de savoir s'il y aura un nouveau procès ou pas.

14 Vous nous avez demandé très clairement, Monsieur le Président, Messieurs

15 les Juges, d'examiner la décision de la Chambre d'appel dans l'affaire

16 Tadic. Récemment, l'arrêt d'appel Aleksovski, donc la Chambre d'appel qui

17 s'est occupé de l'affaire Aleksovski, a traité de cette question

18 longuement, et il serait sans doute bon de partir de là.

19 Il a été établi dans cette décision que tout précédent doit être pris en

20 compte dans l'intérêt de la justice. J'affirme qu'il ne fait absolument

21 pas de doute qu'une injustice a été commise, qui n'existait pas dans la

22 jurisprudence pénale internationale, en s'appuyant sur l'article 3 commun.

23 Dans mon mémoire, je parle de l'interprétation statutaire qui permet,

24 semble-t-il, à l'article 3 commun de faire son chemin jusqu'à son

25 adaptation en article 3 du Statut. Or, comme vous le savez, dans l'article

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1 3 du Statut, il n'est même pas fait la moindre petite allusion à l'article

2 commun 3.

3 Il me semble donc que la conclusion à tirer, c'est que le Conseil de

4 sécurité n'avait aucune intention que l'article commun 3 fasse partie de

5 la jurisprudence de ce Tribunal. En effet, lorsqu'on examine la

6 déclaration du Secrétaire général des Nations unies, lors de l'adoption du

7 Statut du Tribunal du Rwanda, nous voyons qu'il déclare que l'article

8 commun 3 a été pénalisé pour la première fois. Il n'aurait pas dit cela

9 s'il estimait que l'article commun 3 faisait déjà partie du Statut de ce

10 Tribunal.

11 La question qui se pose est donc la suivante: la Chambre d'appel Tadic a—

12 elle eu tort dans sa décision? Et ce que j'affirme pour ma part, c'est

13 très nettement oui. Je vous affirme que la décision prise sur ce point est

14 erronée. On n'y trouve rien qui ressemble à l'analyse rigoureuse qui est

15 nécessaire pour établir qu'un principe fait désormais partie du droit

16 international coutumier. On n'y trouve rien non plus qui ressemble à

17 l'analyse rigoureuse que l'on trouve dans la décision de l'affaire

18 Nicaragua qui a été prise comme point d'appui, dans une certaine mesure,

19 dans la décision juridictionnelle de la Chambre Tadic.

20 En simplifiant à l'extrême -mais je crois que c'est acceptable-, le droit

21 coutumier international est un droit qui a été considéré comme étant le

22 droit par la communauté mondiale à un certain moment dans le passé, et

23 cette communauté se sentait liée par ce droit particulier. La difficulté,

24 c'est le sens qu'accordait à ce droit la communauté internationale en

25 1992, et notamment à l'article 3 commun.

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1 La Chambre devant laquelle nous nous trouvons, aucune Chambre d'instance

2 ou d'appel d'ailleurs, ne doit faire de spéculation sur ce point en

3 concluant qu'un principe fait partie du droit coutumier international s'il

4 n'est pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable.

5 La dernière fois que la communauté internationale, avant 1992, a eu la

6 possibilité d'exprimer son point de vue s'agissant de l'article commun 3,

7 c'était au moment de l'adoption en 1949 de cet article. Et à ce moment-là,

8 il était très clair, en 1949, que cela ne faisait pas partie du droit

9 pénal international. La notion d'infraction grave a été adoptée comme

10 faisant partie du droit pénal international et la responsabilité pénale

11 indépendante a été décidée.

12 Mais comme il y avait de grosses préoccupations au sujet de la

13 souveraineté, aucune des nations qui se sont réunies en 1949 ne souhaitait

14 voir s'appliquer la notion d'infraction grave à leurs propres actes dans

15 le cadre de conflits internes. C'est la raison pour laquelle la notion

16 d'infraction grave n'a pas été adoptée en rapport avec des conflits armés

17 internes. Simplement, c'est un principe qui a été adopté, et c'est ce

18 principe qui s'est mué en article commun 3.

19 La décision en appel dans l'affaire Tadic est arrivée très tôt dans la vie

20 du Tribunal. Rien n'indique que cette question a été suffisamment examinée

21 dans le détail ou qu'elle a été suffisamment documentée et bien présentée

22 au Tribunal. En fait, la Chambre d'appel Tadic n'a pas eu suffisamment

23 d'éléments pour la guider dans sa décision. Tout indique que cette Chambre

24 n'a été informée d'un certain nombre de questions contenues dans notre

25 mémoire, notamment la déclaration du Secrétaire général au moment de

Page 326

1 l'adoption du Statut du Rwanda, qu'assez tardivement.

2 Nous admettons que se fonder pour démarrer notre défense sur l'appel Tadic

3 est une mesure assez difficile à prendre puisque pas mal de temps s'est

4 écoulée depuis au sein de ce Tribunal.

5 Il est tentant, je sais, de prendre en compte le résultat d'une décision

6 que vous pourriez prendre et de son impact, mais il importe également

7 d'éviter de faire du droit erroné. Les tribunaux postérieurs à la Deuxième

8 Guerre mondiale ont été très justement critiqués pour la façon dont ils

9 ont élaboré, façonné le droit pour les aider dans leurs décisions.

10 Tout ce que nous demandons, s'agissant du traitement de ce point, c'est

11 que vous réfléchissiez avec le plus grand soin à tous les éléments et que

12 vous laissiez de côté, comme tout Juge doit le faire, l'impact possible de

13 votre décision. Mais que vous fondiez votre décision sur votre analyse,

14 sur votre propre analyse de cette question qui vous fera apparaître que

15 l'article commun 3 -comme le montre notre mémoire- ne fait pas partie du

16 droit coutumier international. Ceci est la fin de mes remarques sur ce

17 sujet et j'aimerais maintenant passer au groupe suivant de motifs.

18 Je devais m'exprimer sur la question des personnes protégées, je ne le

19 ferai pas pour gagner du temps et pour d'autres raisons également. J'ai

20 dit brièvement tout ce que j'avais à dire s'agissant du chef 48, et je

21 crois que cela suffit.

22 M. le Président (interprétation): Merci, Maître Ackerman.

23 Nous passons en fait au groupe n°4 après celui-ci mais nous ne perdons pas

24 de vue que vous ne souhaitez pas vous exprimer sur la question des

25 personnes protégées.

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1 M. Ackerman (interprétation): C'est exact, Monsieur Hunt.

2 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.

3 Monsieur Staker?

4 M. Staker (interprétation): J'espère que je pourrai être encore plus

5 concis que Me Ackerman.

6 Notre position est la suivante. Nous nous reposons sur le principe de la

7 jurisprudence du précédent, tel qu'il apparaît dans l'arrêt Aleksovski,

8 dans notre mémoire, en réplique. Il y a également une partie qui a trait

9 au précédent dans le cadre de ce Tribunal et nous estimons que ce qui a

10 été décidé dans le cadre d'appel Aleksovski va dans notre sens et c'est

11 notre position.

12 Nous avançons donc que l'appel sur la compétence dans l'affaire Tadic

13 n'est pas nul et non avenu comme cela a été dit, n'est pas imprecurium.

14 Mais la Chambre d'appel en l'espèce s'est penchée avec attention sur ce

15 sujet. Il y a eu de nombreuses discussions, contrairement à ce qui a été

16 dit.

17 Me Ackerman nous dit qu'on n'a pas procédé avec assez de rigueur dans la

18 logique qui a mené à cette décision. Et Me Ackerman invite la Chambre

19 d'appel à suivre sa propre logique à lui.

20 L'article 3 commun fait partie du droit international coutumier et nous

21 estimons donc que l'arrêt Aleksovski dit exactement cela, à savoir ce

22 qu'une Chambre d'appel doit faire en ce qui concerne le précédent. Et il

23 n'y a donc pas de raison que cette Chambre d'appel s'éloigne d'une

24 décision qui a été prise par elle-même précédemment, dans une autre

25 affaire, sans avoir de bonnes raisons pour le faire.

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1 Comme l'a dit Me Ackerman, la décision sur la compétence dans Tadic a été

2 prise très tôt, tout au début, dans l'avis de ce Tribunal. C'est donc

3 aussi une décision qui a beaucoup de force en tant que précédent

4 puisqu'elle a été prise au début.

5 Il y a de nombreuses affaires qui se sont appuyées sur cette décision, non

6 pas seulement des jugements mais aussi des décisions interlocutoires

7 relatives à des vices de forme dans l'acte d'accusation. Et il y a de

8 nombreuses affaires qui se basent sur la décision en appel au sujet de la

9 compétence dans l'affaire Tadic.

10 Plus on s'est appuyé sur une décision, sur un précédent, eh bien, plus on

11 doit continuer à le faire.

12 Et voilà donc ce que j'avais à répondre à Me Ackerman.

13 M. Bennouna: Monsieur le Président, j'ai deux questions à poser sur ce

14 point, l'article 3 commun.

15 La première, je vais la poser au représentant du Procureur, à M. Staker

16 pour commencer et ensuite je m'adresserai à la défense.

17 Je vais donc essayer de nouveau. Je vois qu'il y a une traduction

18 maintenant sur le compte rendu.

19 J'ai deux questions à poser, l'une au Procureur et l'autre à la défense,

20 sur l'article 3.

21 La question que je voudrais poser au Procureur puisqu'il est debout, c'est

22 de nous dire, tout en s'appuyant sur la décision Tadic, si j'ai bien

23 compris, dans l'appel interlocutoire, comment il justifie que l'article 3

24 commun aux conventions de Genève peut fonder une responsabilité pénale

25 individuelle?

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1 M. Staker (interprétation): La réponse que j'ai à vous donner n'est peut-

2 être pas d'un niveau intellectuel satisfaisant, mais je pense qu'elle est

3 valable.

4 C'est que c'est la décision qui a été prise par la Chambre d'appel au

5 début et que cela fait partie maintenant de notre jurisprudence. Si je

6 devais entrer, au fond, donner plus de détails, à ce moment-là, il

7 faudrait que je reprenne tous les tenants et aboutissants de cette

8 décision, au fond. Et justement, nous, nous estimons que ce n'est pas

9 nécessaire de le faire puisque c'est un précédent.

10 Et comme nous le disons dans notre mémoire en appel, nous disons qu'il

11 faut adopter le raisonnement de la Chambre d'appel.

12 M. Bennouna: Pouvez-vous répondre à la question directement sans vous

13 cacher derrière le parapluie de l'affaire Tadic? Question qui vous est

14 posée: "quels sont les arguments en faveur de la responsabilité pénale

15 individuelle, sur la base de l'article 3 commun?"

16 (Le Bureau du Procureur se consulte.)

17 M. Staker (interprétation): Nous nous appuyons, Monsieur le Juge, sur le

18 précédent. Et si vous avez besoin d'une réponse sur le fond, sur la

19 substance, à ce moment-là, peut-être avons-nous besoin de plus de temps et

20 peut-être pourrons-nous répondre après la pause?

21 M. Bennouna: Je vous précise ma question et vous pourrez revenir après.

22 Elle concerne surtout le cas lorsque le conflit armé est un conflit

23 international, lorsqu'il est qualifié de conflit international. Nous

24 savons que c'est un peu plus simple, si je puis dire, pour les conflits

25 internes puisque nous avons, notamment le Statut du Tribunal sur le

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1 Rwanda.

2 Maintenant, je vais me tourner vers la défense. Je crois que c'est Me

3 Ackerman.

4 Première question. Vous nous avez dit concernant le stare decisis qu'une

5 Chambre d'appel peut changer sa décision dans l'intérêt de la justice. En

6 citant Aleksovski, dans Aleksovski, il est dit que vous êtes allé un peu

7 vite. C'est-à-dire que l'intérêt de la justice est ici envisagé, dans

8 l'affaire Aleksovski, comme la finalité et elle peut changer sa décision,

9 en anglais, puisque nous n'avons pas encore la traduction en français.

10 "The appel Chamber can depart from a decision, for cogent reason, in the

11 interest of justice." Le fondement, ce n'est donc pas l'intérêt de la

12 justice mais le cogent reason et l'objectif, c'est l’intérêt de la justice

13 évidemment.

14 Selon vous, ce sera ma première question, qu'est-ce que c'est que les

15 cogent reasons, les raisons impératives, qui nous pousseraient, qui nous

16 imposeraient, qui nous amèneraient à changer d'opinion par rapport à

17 l'affaire Tadic en tant que Chambre d'appel?

18 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Juge, vous avez tout à fait

19 raison. C'est exactement ce que stipule l'arrêt dans Aleksovski.

20 Mais si on examine, si on se demande ce que sont des raisons impératives

21 dans l'intérêt de la justice, en fait ce qu'on commence à faire rechercher

22 à ce moment-là, c'est que la décision Tadic, en fait, crée une injustice

23 manifeste.

24 Et moi, j'avance qu'il s'agit d'une injustice manifeste s'il y a des

25 personnes qui sont condamnées de crimes extrêmement graves et qui sont

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1 condamnées à des peines de prison extrêmement longues. Si on les condamne

2 donc, sur la base d'une analyse qui est erronée, qui est viciée et qui

3 donne donc apparemment à ce Tribunal une compétence au titre de l'article

4 3 commun.

5 Si ce Tribunal n'a pas cette compétence, à ce moment-là, c'est très clair

6 dans mon mémoire que si on fait une analyse rigoureuse de ces principes et

7 si on utilise les règles que l'on utilise d'habitude pour juger du droit

8 coutumier international, eh bien, il est clair que l'article 3 commun ne

9 répond pas à ces critères.

10 Il n'y a pas d'opinion juriste, d'obligation, il n'y a rien du tout. Le

11 mieux qu'a pu faire la Chambre d'appel dans Tadic, c'est de trouver un

12 certain nombre d'articles de presse où on reportait des affaires au

13 Nigeria où des gens avaient été poursuivis pour meurtre, c'est tout. Et la

14 seule autre chose qu'ils ont trouvée, ce sont des manuels militaires qui

15 indiquaient que l'article 3 commun a pu être invoqué dans le cadre des

16 cours martiales. Mais cela est bien loin d'estimer que la communauté des

17 nations doit s'estimer tenue par les dispositions de l'article 3 commun,

18 au sens où on peut dire que violation de cet article 3 commun entraîne la

19 responsabilité pénale individuelle et c'est là justement que cela devient

20 important.

21 Moi, j'estime qu'il y a une raison impérative dans l'intérêt de la justice

22 parce qu'il faut voir que, ici, il y a des gens qui sont condamnés, qui

23 sont envoyés en prison sur la base d'une théorie qui n'est pas valable.

24 M. Bennouna: Ma deuxième question est la suivante, vous nous dites que cet

25 article 3 n'a pas le caractère coutumier et que sur le caractère

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1 coutumier, en tant que tel, je crois que nous avons tout de même toute une

2 jurisprudence, y compris internationale aujourd'hui, et ce sera ma

3 question que vous connaissez. Je ne sais pas ce que vous faites de toute

4 cette jurisprudence internationale qui a classé l'article 3 commun parmi

5 les considérations élémentaires d'humanité. Vous avez toute une

6 jurisprudence internationale là-dessus.

7 Maintenant, vous nous dites que, pour ce qui est de l'incrimination dans

8 les conventions de Genève, selon vous, cela ne concerne que les violations

9 graves, "the grave breaches", vous avez dit "the grave breaches scheme of

10 a matter of international criminal law". Comme vous le savez, les

11 violations graves dans les conventions de Genève, c'est une notion

12 destinée à opérer dans les conflits de caractère international en vue de

13 donner la compétence juridique universelle, compétence à tous les

14 tribunaux sur toutes les personnes qui auraient commis de telles

15 violations. C'est en fonction de cela.

16 Mais cela ne veut pas dire du tout que, en dehors de cette compétence

17 universelle, sur la base des violations graves, les Etats n'aient pas créé

18 d'autres crimes. Notamment, ceci a été reconnu dans la jurisprudence du

19 Tribunal par rapport aux violations des lois ou coutumes de guerre, c'est

20 l'article 3 de ce Statut.

21 La question que je vous pose: qu'est-ce que vous faites de l'article 3 du

22 Statut? Je dis l'article 3: c'est l'article 3 sur les violations des lois

23 et coutumes de guerre que vous connaissez. Il y a bien sûr les violations

24 graves, c'est l'article 2, mais nous avons aussi l'article 3 du Statut. Je

25 ne parle pas de l'article 3 commun des conventions de Genève. Je parle de

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1 l'article 3 du Statut du Tribunal. Qu'est-ce que vous faites de cet

2 article 3?

3 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Juge, si l'on examine le rapport

4 du Secrétaire général au moment où ce Tribunal a été créé, on voit que

5 celui-ci souligne d'abord que ce Tribunal ne doit traiter que de questions

6 qui font indubitablement partie du droit coutumier international ou du

7 droit des traités.

8 Et c'est dans ce contexte que le Secrétaire général mentionne trois ou

9 quatre choses, si je ne m'abuse, dont l'une est les conventions de Genève

10 de 1949 et sa disposition "infraction grave"; et la deuxième chose, c'est

11 le droit de La Haye. Troisième, la charte du Tribunal de Nuremberg.

12 Se faisant, il suggère que chacun de ces éléments est arrivé au statut, au

13 même statut que le droit coutumier international. Si l'on examine donc les

14 articles qui ont résulté de cette analyse, les articles du Statut de ce

15 Tribunal, on trouve à l'article 2 une résultante du droit issue des

16 conventions de Genève, et à l'article 3 une résultante du droit de La

17 Haye.

18 Et si on voit ce qui est stipulé précisément à l'article 3, on y trouve

19 les violations de cet article, c'est-à-dire tout ce qui dérive de la

20 convention de La Haye de 1907.

21 Donc, Monsieur le Juge, j'ai l'impression que le Conseil de sécurité et le

22 Secrétaire général avaient sans doute pour intention de voir cet article

23 recouvrir également un certain nombre de questions qui pourraient être

24 prises en compte par ce Tribunal dans sa compétence, en décidant que ce

25 n'était pas convenable.

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1 Je pense que tout ce que la clause résiduelle de l'article 3 signifie,

2 c'est que les autres dispositions de la convention de La Haye de 1907 ne

3 sont pas précisément stipulées ici.

4 M. Bennouna: Vous dites que l'article 3 ne concerne pas la compétence de

5 ce Tribunal?

6 M. Ackerman (interprétation): L'article 3 limite cette compétence, je

7 crois, Monsieur le Juge, au droit de La Haye, à ce qu'on appelle en

8 général le droit de La Haye.

9 Voyez-vous, j'aimerais consacrer, si vous me le permettez, quelques

10 minutes à la question de la construction statutaire. Lorsqu'on est en

11 présence d'un statut pénal qui dit: "il est illégal de faire, entre autres

12 choses, ceci ou cela", ceci amène quelqu'un à conclure qu'il existe peut-

13 être d'autres choses qui peuvent être pénalisées, mais que ce n'est pas la

14 façon dont un statut doit être rédigé pour être valable.

15 Un statut pénal, un code pénal qui dit: "Vous n'avez pas le droit de faire

16 telle et telle chose et puis d'autres choses aussi qui viendront plus

17 tard", c'est un code pénal qui n'a pas le droit de survivre. Notamment si

18 l'on examine une disposition statutaire telle que l'article 3, qui

19 comporte un certain nombre de choses très précises, on voit qu'il n'y a

20 rien dans les dispositions précises de cet article qui ne traitent de la

21 gravité du crime de meurtre. Il me semblerait bizarre que le Conseil de

22 sécurité rédige un statut qui contienne avec précision la liste d'un

23 certain nombre de choses à ne pas faire au cours d'un conflit en omettant

24 de signaler quelque chose d'aussi grave que le meurtre.

25 Je ne vois donc vraiment pas comment vous pouvez vous saisir d'un code,

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1 d'un statut; ayant une portée aussi limitée et l'appliquer de façon

2 globale à des délits d'une grande gravité qui s'ajouteraient à celui de

3 meurtre.

4 M. Bennouna: Merci beaucoup.

5 M. le Président (interprétation): Mais ce que je me rappelle de la charte

6 qui est annexée au traité de Londres, c'est que cela impliquait la

7 responsabilité de ceux qui avaient participé à la violation d'un traité.

8 Est-ce que cela ne pourrait pas indiquer la façon dont on peut interpréter

9 l'article 3, qui stipule que ces violations incluent, comprennent sans y

10 être limitées, tout ce qui est stipulé par les textes de La Haye?

11 M. Ackerman (interprétation): Oui, mais toutes les questions relatives qui

12 sont incluses dans le droit de La Haye mais qui sont stipulées ici.

13 M. le Président (interprétation): Donc vous estimez que les conventions de

14 Genève sont un traité?

15 M. Ackerman (interprétation): Oui.

16 M. le Président (interprétation): Et donc en 1945, on estimait que cela

17 faisait partie du droit coutumier et que, si à ce moment-là on pouvait

18 dire qu'il y avait responsabilité individuelle, si on était en infraction

19 d'un traité, à ce moment-là pourquoi est-ce que cela ne s'applique pas à

20 l'article 3 commun?

21 M. Ackerman (interprétation): Eh bien, ce Tribunal, comme tout le monde,

22 doit analyser sa compétence pour déterminer exactement ce qu'est le droit

23 coutumier international. Et là, il faut suivre une démarche extrêmement

24 rigoureuse pour arriver à une conclusion. Moi, j'avance que l'article 3

25 commun, cela ne fait pas partie du droit coutumier international, cela

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1 n'en a jamais fait partie. Je comprends très bien votre argument. Cela

2 fait partie de ce qui a été dit au moment de Nuremberg, mais ce n'est pas

3 ce que dit cet article. Le Tribunal ne nous le dit pas.

4 M. le Président (interprétation): Mais vous nous demandez de réviser tout

5 cela?

6 M. Ackerman (interprétation): Je crois que je vous ai donné la meilleure

7 réponse que je pouvais faire.

8 M. Riad (interprétation): Maître Ackerman, vous avez semblé un peu surpris

9 en disant que, dans l'article 3, on fait référence à des crimes qui ne

10 sont pas graves. Pourtant, on dit que c'est sans y être limité. Or, vous

11 êtes tout surpris parce qu'on ne mentionne pas les crimes de guerre comme

12 le meurtre, etc. Je vous ai bien compris?

13 M. Ackerman (interprétation): Oui.

14 M. Riad (interprétation): Oui, mais est-ce que les termes "sans y être

15 limité", cela veut dire que l'on inclut également les crimes beaucoup plus

16 graves auxquels vous faites référence?

17 M. Ackerman (interprétation): Moi, j'estime que lorsqu'il comporte une

18 phrase "fourre-tout" comme celle-là, cela ne veut pas dire qu'il faut y

19 comprendre des crimes plus graves que ceux qui figurent dans le Statut.

20 M. Riad (interprétation): Pour moi, cela voudrait plus dire qu'il ne

21 faudrait pas s'en servir pour prendre en compte des crimes moins graves

22 car "qui le plus peut le moins". Moi, j'aurais tendance à adopter une

23 logique plus différente.

24 M. Ackerman (interprétation): Je pense que, à ce moment-là, c'est qu'on

25 enfreint le principe de nullem crimen sine lege, c'est ce qui se passe.

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1 M. Riad (interprétation): Le principe de nullem crimen sine lege ne

2 s'applique pas parce que, si blesser quelqu'un c'est un crime, le tuer

3 c'est encore un crime encore plus grave, même si ce n'est pas stipulé. On

4 peut opposer, n'est-ce pas, crime, infraction moins grave à crime beaucoup

5 plus grave.

6 M. Ackerman (interprétation): Là, nous nous lançons dans une discussion un

7 petit peu difficile. Bien entendu, tuer quelqu'un, c'est un crime, c'est

8 dans tous les systèmes juridiques du monde. C'est un crime.

9 La question n'est donc pas de savoir si le meurtre, c'est un crime. La

10 question est de savoir si ce meurtre en particulier, commis dans le cadre

11 d'un conflit international, relève de la compétence de ce Tribunal de La

12 Haye en tant que violation du droit pénal international, ou bien si c'est

13 un acte qui relève du système judiciaire du pays où ce crime a été commis.

14 Je ne dis pas que les gens ne doivent pas être poursuivis mais moi, je

15 parle de la compétence de ce Tribunal. Je dis que la compétence de ce

16 Tribunal est limitée et que le droit international n'a pas pour but de

17 poursuivre quelqu'un pour un meurtre qui a été commis dans le cadre d'un

18 conflit armé international à part infraction grave, violation grave aux

19 conventions de Genève, si ce meurtre, donc, n'est pas une violation grave

20 des conventions de Genève.

21 M. Pocar (interprétation): Une petite question pour rebondir sur ce qui a

22 été dit. Je voudrais savoir quelle est votre position -je parle de

23 l'article 3 commun: est-ce que vous pensez qu'on pourrait dire que

24 l'article 3 commun peut être appliqué au conflit international sur le

25 fond, au vu de l'article 75 du Protocole additionnel n°I? Parce que, si on

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1 veut bien voir, cela se base sur le même fondement que l'article 3 commun.

2 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Juge, les conventions de Genève

3 établissent un système qui permet de poursuivre des meurtres et d'autres

4 crimes dans le cadre de conflits internationaux, si bien que l'article 3

5 commun, il n'est même pas besoin de même se demander s'il s'applique ou

6 non à un conflit armé international parce que cela figure déjà dans les

7 conventions de Genève. Cette question ne se pose, je pense, que dans le

8 cadre d'un conflit armé international.

9 Est-ce que j'ai bien compris votre question?

10 M. Pocar (interprétation): Ma question est que, après les conventions de

11 Genève, on a adopté le Protocole additionnel dont l'article 75 reprend

12 exactement ce qui est dit à l'article commun 3 -on utilise le même

13 libellé-, et cela s'applique aux confits armés internationaux. Donc, le

14 libellé de cet article 75 est le même que celui de l'article commun 3.

15 M. Ackerman (interprétation): Il va falloir que moi-même je demande un peu

16 de temps pour pouvoir répondre à votre question.

17 M. le Président (interprétation): Bien, Maître Ackerman. Nous attendons

18 avec impatience de pouvoir entendre votre réponse ultérieurement.

19 Maître Moran, maintenant vous allez nous parler du motif n°3?

20 M. Moran (interprétation): Messieurs les Juges, ici, il s'agit de savoir

21 si les quatre conventions de Genève s'appliquent à la Bosnie-Herzégovine

22 avant le 31 décembre 1992, moment où la République de Bosnie-Herzégovine

23 est devenue signataire de ces traités.

24 Nous sommes tous d'accord ici, dans ce prétoire, sur le fait qu'un

25 gouvernement, n'importe quel gouvernement, a le droit de signer un traité,

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1 une convention internationale, ou de ne pas le faire.

2 Nous convenons tous ici également qu'un gouvernement, lorsqu'il ratifie

3 une convention internationale, un traité bilatéral, peut estimer que ce

4 traité ou cette convention a un caractère obligatoire rétroactivement

5 parlant. Cela, tout le monde est d'accord à ce sujet.

6 Mais la question est de savoir si un gouvernement ou si quiconque peut

7 déterminer, décider qu'un acte constitue un crime aux termes d'une

8 convention internationale avant que cette convention internationale ne

9 soit entrée en vigueur.

10 Moi, j'estime que, là, on violerait le principe de nullem crimen sine

11 lege, et il s'agit de loi ex post facto, après les faits. C'est-à-dire il

12 s'agit de droit qui fait qu'un acte qui a été commis avant la ratification

13 de la loi devient un acte criminel, et il s'agit de toute loi qui change,

14 par exemple, les règles au niveau des éléments de preuve, etc. Moi,

15 j'avance que ces principes sont universels.

16 Nous avons cité le professeur Barsioni, nous avons cité, grâce à lui et à

17 ses connaissances, un grand nombre de systèmes judiciaires partout dans le

18 monde qui appliquent ces principes. Et en conformité avec cela, nous

19 savons que tous les actes qui sont mentionnés dans l'acte d'accusation

20 sont arrivés avant le 31 décembre 1992, au moment où la Bosnie-Herzégovine

21 a ratifié les conventions de Genève.

22 Et l'accusation nous dit dans son mémoire que les quatre conventions de

23 Genève constituent des instruments de droit coutumier international. Moi,

24 ce que j'ai à leur dire à ce sujet, c'est "prouvez-le!"

25 Dans l'affaire de la plate-forme Continental de la mer du Nord, dans

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1 d'autres affaires examinées par la Cour de justice internationale que j'ai

2 mentionnées dans mon mémoire, il est stipulé qu'une partie doit prouver

3 que quelque chose fait partie du droit coutumier international. Or,

4 l'accusation ne l'a pas fait.

5 Et puis, même si on part du principe que cela fait partie du droit

6 coutumier international, ce Tribunal aurait compétence non pas aux termes

7 de l'article 2, mais de l'article 3, aurait compétence donc pour

8 sanctionner et statuer sur des violations du droit coutumier

9 international. Tout le monde est d'accord à ce sujet.

10 Il y a un autre facteur que je souhaite mentionner et qui a trait

11 directement à la date à laquelle la Bosnie-Herzégovine est devenue

12 signataire des conventions de Genève.

13 M. Bennouna: J'ai un point à clarifier, qui est un point très simple, sur

14 le fait que vous nous dites: "le 31 décembre, la Bosnie-Herzégovine est

15 devenue partie aux conventions de Genève". Est-ce que vous savez comment

16 la Bosnie-Herzégovine est devenu partie aux conventions de Genève le 31

17 décembre?

18 M. Moran (interprétation): Je sais qu'ils ont déposé auprès du

19 gouvernement suisse ces articles.

20 M. Bennouna: Il y a plusieurs façons de devenir partie à une convention:

21 on peut ratifier une convention quand on l'a signée; on peut aussi adhérer

22 à une convention si on ne l'a pas signée et on vient adhérer après; mais

23 il y a aussi une autre façon de faire partie d'une convention, c'est par

24 voie de succession. Je suppose que vous connaissez cette façon d'être

25 partie à une convention: on succède à un autre Etat dont on faisait

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1 partie.

2 La Bosnie-Herzégovine, j'ai demandé justement le texte sur sa

3 participation dans le rapport tenu par la Croix-Rouge, par le conseil

4 fédéral suisse, pardon. La Bosnie-Herzégovine est devenue partie le 31

5 décembre par voie de succession.

6 Alors, est-ce que ceci n'a pas des conséquences, quand on est partie par

7 voie de succession à une convention? On fait simplement une déclaration

8 comme quoi on succède à l'Etat de Yougoslavie en ce qui concerne, donc au

9 droit et aux obligations, en ce qui concerne les conventions de Genève.

10 Est-ce que ceci n'a pas, selon vous, une signification?

11 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge, je pense que c'est important

12 en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat de la République de Bosnie-

13 Herzégovine.

14 M. Bennouna: Je ne vais pas prolonger. Je ne suis pas en train de vous

15 faire un questionnaire, un interrogatoire ou un examen. Tout simplement,

16 cela a une conséquence sur le plan du droit international, c'est que

17 l'Etat qui succède est censé être partie à la convention à partir du

18 moment où il est devenu lui-même Etat. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de

19 rupture dans la participation conventionnelle. Il n'y a pas de rupture

20 dans les obligations assumées. C'est cela, la succession. La succession,

21 cela veut dire que c'est un héritage, c'est-à-dire que l'on a un héritage

22 d'un Etat. Il existait un Etat. Ici il y a eu plusieurs autres Etats qui

23 se sont créés par voie de sécession, si on peut dire, à partir d'un même

24 Etat. Et il n'y a pas de rupture dans les obligations assumées au titre

25 des conventions, il y a une succession, une continuité. Et par conséquent,

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1 la Bosnie, au moment des faits, était liée par les conventions de Genève

2 dans la mesure où elle a succédé à la Yougoslavie.

3 Cela change un peu, si vous voulez, cet argument. C'est simplement pour

4 vous dire que cet argument en lui-même est un argument d'ailleurs qui n'a

5 pas beaucoup d'importance puisque ce dont on parle lie les Etats en dehors

6 de la convention. Cela a une valeur coutumière. Mais l'argument, purement

7 conventionnel dans la mesure où c'est une participation par voie de

8 succession, n'est pas un argument qui a un quelconque poids, je crois ici.

9 Je clos ce point-là.

10 M. Moran (interprétation): Bien. Monsieur le Juge, si vous me permettez de

11 répondre en quelques instants. D'abord il m'apparaît qu'il y a une

12 certaine confusion ou plutôt pour être plus précis un certain désaccord

13 quant au fait que la succession des Etats implique l'ancienne République

14 socialiste fédérative de la Yougoslavie. Par exemple les Etats qui ont

15 fait sécession de la RSFY et qui ont donc succédé à cet Etat ont été admis

16 aux Nations Unies par l'assemblée générale en tant que nouveaux Etats ou

17 bien ne l'ont pas été du tout.

18 La République fédérale de la Yougoslavie, c'est-à-dire la Serbie et le

19 Monténégro adoptent la position de dire qu'ils sont un Etat successeur de

20 la RSFY et le Conseil de sécurité s'est toujours opposé à cette vue. Si

21 l'on laisse de côté ce détail, la question continue à se poser de savoir

22 si le gouvernement de Bosnie-Herzégovine en prenant une position le 31

23 décembre 1992 et en s'adressant au Conseil fédéral suisse peut se

24 présenter comme le successeur de la RSFY pour devenir partie aux

25 conventions. En tant que successeur à la RSFY, est-il possible de créer

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1 une responsabilité pénale, individuelle en droit international pour des

2 infractions graves des conventions commises dans la période située entre

3 le moment où la Bosnie est devenue un Etat indépendant et le moment où

4 elle est devenue partie aux conventions? Parce qu'il y a eu un laps de

5 temps qui s'est écoulé entre son indépendance et son adhésion aux

6 conventions.

7 Elle est restée silencieuse pendant cette période et c'est la période sur

8 laquelle nous nous concentrons dans notre procès.

9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, une autre question se pose

10 immédiatement comme corollaire de la première et c'est la suivante: la

11 Bosnie était-elle ou non partie aux conventions? L'article 4 des

12 conventions de Genève qui traite des civils, entre autre définition et

13 exclusion, stipule précisément que les nations et les Etats qui ne sont

14 pas partie à la convention ne sont pas protégés par elle. S'il n'existe

15 pas de notion de responsabilité pénale, pendant cette période séparant

16 avril et décembre 1992, c'est-à-dire cette période où la Bosnie-

17 Herzégovine n'était pas encore partie aux conventions de Genève eh bien,

18 en tout cas dans ces quelques mois, les ressortissants de Bosnie-

19 Herzégovine n'étaient pas ressortissants d'un Etat partie à la convention.

20 Peut-on en faire rétroactivement des personnes protégées? Moi, ce que je

21 réponds à cette question encore une fois, c'est qu'on se heurte au

22 principe du nullem crimen. On rend un acte illégal alors qu'il s'est

23 produit avant le moment où la convention s'applique et je crois qu'il est

24 impossible d'agir de la sorte.

25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, à moins qu'il n'y ait des

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1 questions de votre part, je vous rends quelques minutes.

2 M. le Président (interprétation): Nous acceptons ces quelques minutes et

3 nous reprendrons nos travaux à 14 heures 30 après la suspension.

4 (L'audience, suspendue à 13 heures 10, est reprise à 14 heures 35.)

5 M. le Président (interprétation): Je vous prie de nous excuser pour ce

6 retard, mais certains d'entre nous sont de garde.

7 Maître Farrell, est-ce qu'il vous convient maintenant de vous exprimer?

8 M. Farrell (interprétation): (hors micro)

9 Je crois que c'est à moi, mais d'autre part mon collègue, Me Staker,

10 voudrait répondre à la question qui a été posée par le Juge Bennouna.

11 M. le Président (interprétation): Très bien. Nous allons donc procéder

12 dans cet ordre.

13 M. Staker (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Avant la pause

14 déjeuner, le Juge Bennouna m'a posé une question de droit substantielle

15 sur l'application de l'article 3 commun des conventions de Genève.

16 Au départ, je souhaitais me reposer sur la doctrine de la chose décidée,

17 du précédent. Mais puisque l'on m'a posé cette question, nous souhaitons

18 apporter notre aide aux Juges de la Chambre d'appel dans la mesure de nos

19 moyens.

20 Comme toute question ayant trait au droit substantiel, les questions de ce

21 type peuvent recevoir une réponse courte ou une réponse longue. Alors, je

22 ne sais pas quel est le temps qui m'est imparti.

23 Il m'a semblé que la meilleure chose à faire était d’appeler Mlle Sonia

24 Boelart-Suominen. C'est elle qui va essayer de répondre à cette question

25 et peut-être même qu'elle pourrait répondre à des questions qui seraient

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1 soulevées par ce qu'elle va vous expliquer. Si c’est le cas, si vous avez

2 d’autres questions à poser, eh bien, elle y répondra également. Je vais

3 donc lui céder la parole.

4 Mlle Boelart-Suominen (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs

5 les Juges, c’est la première fois que je comparais devant la Chambre

6 d’appel. C’est un très grand honneur pour moi. Je tenais à le préciser.

7 Si je peux me permettre, Monsieur le Juge Bennouna, de répondre à la

8 question que vous avez posée, je dirai cela.

9 D'après ce que j'ai compris, la question que vous avez posée ce matin est

10 la suivante: "Pourquoi l'accusation pense-t-elle que la décision sur

11 l'incompétence de Tadic et concernant l'application de l'article 3 du

12 Statut et son inclusion de l’article 3 commun des conventions de Genève

13 devrait-elle être suivie?"

14 Comme mon collègue, Me Staker, vous l’a dit tout à l'heure, on ne peut pas

15 répondre très rapidement à ce type de question.

16 Je vais donc essayer de passer en revue très rapidement les différents

17 points qui ont été abordés par la Chambre d'appel dans le cadre de l’appel

18 Tadic. Et s’il y a un moment où vous souhaitez m’interrompre pour me poser

19 une question particulière, eh bien, interrompez-moi. Je tâcherai d'y

20 répondre du mieux que je le pourrai.

21 Lorsqu'on regarde la décision de l’appel dans Tadic, on s'aperçoit que la

22 Chambre d'appel s'est penchée sur plusieurs questions. D'abord une

23 question de fond. A savoir, y a-t-il un acte ou une omission qui soit

24 prohibé par le droit international? Ensuite, elle s'est penchée sur la

25 question de la criminalité.

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1 Si un certain comportement est interdit, est-ce qu'il conduit forcément la

2 responsabilité pénale individuelle? Et puis, il y a la question de la

3 compétence. Y a-t-il eu un Tribunal, comme ce Tribunal, qui soit compétent

4 pour ce type d'infraction. Comme nous le savons tous, la Chambre d'appel

5 dans le cadre de l'arrêt Tadic a examiné le champ que couvraient les

6 différents articles du Statut. Mais les articles qui nous intéressent

7 aujourd'hui sont l'article 2 et l'article 3.

8 Si vous regardez le Statut, l'article 2, à première vue, ne traite que des

9 infractions graves aux conventions de Genève. Quant à l'article 3,

10 apparemment, il ne traite que des violations des lois ou coutumes de la

11 guerre. Bien.

12 Pour la plupart des observateurs extérieurs, on fait référence là aux

13 violations des lois de La Haye de 1907.

14 Mais dans l’arrêt Tadic, la Chambre d'appel a décidé que, pour un certain

15 nombre de raisons, l'article 2 devait être interprété de façon

16 restrictive. Quant à l'article 3, il devait avoir une interprétation

17 beaucoup plus vaste. Et il a été décidé qu'il couvrait les violations des

18 lois ou coutumes de la guerre telles que stipulées par les lois de La Haye

19 de 1907, mais également un certain nombre de points couverts par le droit

20 coutumier international.

21 Je vais passer en revue très rapidement ce type d'infraction. La Chambre

22 d'appel a déclaré que l'article 3 couvrait non seulement les violations

23 des conventions de La Haye de 1907 mais également les infractions des

24 conventions de Genève qui ne sont pas citées à l'article 2 qui, lui,

25 traite des infractions graves très précises. La Chambre d'appel a

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1 également stipulé que l'article 3 du Statut couvrait les violations de

2 l'article 3 commun aux conventions de Genève, ainsi que les violations

3 d'accords qui étaient contraignants pour les parties, du fait de

4 l'application du droit des traités.

5 La Chambre d'appel a estimé que l'article 3 devait être interprété de

6 façon très large parce que, d'après elle, cet article vise à rendre le

7 Statut parfaitement infaillible, parfaitement complet, étanche, afin

8 qu'aucune infraction grave du droit international n'échappe à la

9 compétence du Tribunal. Donc, voilà le lien qui existe entre l'article 2

10 et l'article 3.

11 Nous, nous avons utilisé l'article 3 comme une disposition annexe si vous

12 voulez, mais nous pouvons l'utiliser comme indiqué par la Chambre d'appel,

13 chaque fois que nous avons à faire à un comportement qui ne tombe pas sous

14 le coup de l’article de 2, de l’article 4 ou de l’article 5 du Statut.

15 Pour ce qui est maintenant de la question qui a été posée par M. le Juge

16 Bennouna, ce matin. A savoir, pourquoi est-ce que l’accusation est

17 convaincue du fait que l'article 3 commun peut être d'application dans le

18 cas d'espèce, dans le cas de l'affaire Celebici où, d'après l'accusation,

19 il y a bien présence d'un conflit international armé. Il ne s'agit pas

20 seulement d'un point de fond mais d'un point lié aux éléments constitutifs

21 d'un crime. Si l'on regarde l'appel Tadic et la décision qui a été rendue

22 dans ce cadre, on voit que la Chambre d'appel a utilisé ce qu'avait

23 déclaré la CIJ, à savoir que l'article 3 commun ne s'applique pas

24 seulement dans les conflits internes armés.

25 Il est exact que lors de la rédaction des conventions de Genève, les

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1 rédacteurs voyaient l’article 3 comme une disposition qui visait

2 spécifiquement les conflits armés internes. Mais en 1984, dans le cadre de

3 l'affaire du Nicaragua, la CIJ a un peu nuancé la chose en disant que "si

4 l'article 3 s'appliquait aux conflits internes et tient compte des

5 critères essentiels de l'humanité, tient compte d'éléments évidents

6 d'humanité, alors ceci est d'application également dans le cadre d'un

7 conflit international armé".

8 Depuis lors, on considère que l'article 3 commun s'applique dans toute

9 situation quel que soit le caractère de conflit dans le cadre duquel on se

10 trouve et tient compte de considérations d'humanité élémentaire. C'est la

11 raison pour laquelle l'accusation pense que, dans le cadre de l'affaire

12 Celebici, on peut parler d'un conflit international armé et que l'on peut

13 s'appuyer sur l'idée qu'il y a eu violation de l'article 3 commun des

14 conventions de Genève. Parce que, je le répète, il est aujourd'hui

15 généralement accepté que l’article 3, effectivement, tient compte de

16 considérations d'humanité élémentaire qui s'appliquent quelle que soit la

17 nature du conflit auquel on a affaire.

18 Je voudrais maintenant en venir très rapidement à cette question des

19 éléments constitutifs d'un crime. Avant l'arrêt qui a été rendu dans

20 l'affaire Tadic, aucune décision n'avait été rendue par une instance

21 internationale qui précisait que des personnes pouvaient être poursuivies

22 à titre individuel pour des violations de l'article 3 commun. Mais cela,

23 en soi, ne soulève en rien la question de la légalité.

24 Comme un commentateur éminent l’a observé, je le cite: "Si la violation

25 des lois de la guerre doit être considérée comme des infractions pénales

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1 au regard du droit international, on ne voit pas pourquoi, une fois que

2 ces lois sont étendues à un contexte de conflit interne armé, leur

3 violation dans ce contexte n'est pas considérée comme pénale du moins en

4 l'absence claire d'une situation contraire" (fin de citation)

5 Enfin, je voudrais faire référence à une affaire de Regina qui a été

6 tranchée en 1991 par la Maison des Lords en Grande-Bretagne. C'est dans un

7 cas de viol conjugal. Cette affaire a établi un principe très clair: "A

8 savoir que le principe de l'égalité ne pré-exclut pas la possibilité de

9 faire évoluer le droit pénal. Par exemple, sous la forme d'une

10 jurisprudence, dès lors que ces évolutions ne rendent pas criminel un

11 comportement qui, au moment où il a été suivi, pouvait raisonnablement

12 être considéré légitime". (fin de citation)

13 Il n'y a donc pas de doute que lorsque la Chambre a rendu sa décision en

14 1995, lorsque la Chambre d'appel a rendu cette décision, il n'y a aucun

15 doute quant au fait que la conduite prescrite ou prohibée par l'article 3

16 commun était illégitime. Et ce, indépendamment du caractère même du

17 comportement. Le fait que la Chambre d'appel en 1995 a très clairement

18 établi que les personnes qui se rendent responsables d'une violation de

19 l'article 3 commun peuvent être poursuivies devant ce Tribunal ne soulève

20 pas la question du principe de la légalité.

21 Voilà les arguments que nous souhaitons avancer dans le cadre de la

22 question posée par M. le Juge Bennouna, ce matin.

23 Monsieur le Juge Bennouna, est-ce que j'ai répondu à votre question?

24 M. Bennouna: Oui, oui, très bien, je vous remercie. Un simple complément

25 que vous n'avez pas mentionné: est-ce que le fait que nous nous trouvons

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1 devant un Tribunal international, et donc que ce type de violation soit

2 jugé par un Tribunal international, a un quelconque impact sur la

3 responsabilité pénale individuelle, au titre de l'article 3 commun?

4 Je m'explique. A Genève, les conventions de Genève ne prévoyaient pas de

5 compétences d'un Tribunal international. Elles ne prévoyaient que les

6 violations graves où effectivement des personnes ressortissants d'un pays

7 pouvaient être jugées dans un autre pays, par les tribunaux d'un autre

8 pays. C'est pour cela que la compétence était très limitée,

9 l'incrimination était très limitée. L'article 3 commun était censé

10 s'appliquer au niveau des conflits internes et donc par les juridictions

11 du pays concerné.

12 Lorsque nous nous trouvons devant un Tribunal international tel que celui-

13 ci, créé par la communauté internationale et par une décision qui s'impose

14 à tous les Etats, est-ce qu'il y a une quelconque différence, un

15 quelconque changement en ce qui concerne la responsabilité pénale

16 individuelle?

17 Mlle Boelaet-Suominen (interprétation): Pour répondre à votre question,

18 Monsieur le Juge, je voudrais souligner l'élément suivant. En 1949, les

19 conventions de Genève ont été ratifiées et vous avez tout à fait raison de

20 dire qu'à l'époque les Etats qui ont signé ces conventions de Genève ne

21 pensaient qu'à des infractions graves à ces conventions. Mais quand on se

22 penche sur les dispositions relatives aux infractions graves, je crois

23 qu'elles sont une déclaration très concise de ce que nous appelons "la

24 juridiction universelle" aujourd'hui, la compétence universelle

25 puisqu'elles obligent les parties contractantes à soit poursuivre les

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1 personnes responsables des infractions graves ou de les extrader vers tout

2 autre Etat qui pourrait être susceptible de les juger sur la base des

3 éléments de preuve disponibles.

4 Nous sommes maintenant en l'an 2000, le droit coutumier, l'opinion

5 publique ont changé de façon telle que nous ne pouvons plus accepter que

6 des infractions graves du droit humanitaire international ne soient pas

7 soumises au même principe.

8 Et c'est ainsi que je définirai l'exercice de la compétence que l'on

9 demande au Tribunal de mener à bien. En votant le Statut, en 1993, les

10 rédacteurs du Statut réclamant voulaient faire passer un message, le

11 message qui dit que le monde ne peut plus accepter ce type d'infraction

12 grave au droit humanitaire international.

13 Et pour répondre à votre question sur la compétence, comme vous le savez,

14 au titre de notre Statut, le Tribunal n'a pas une juridiction, une

15 compétence exclusive. Il est simplement prioritaire dans l'application de

16 ses compétences. Et la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui,

17 c'est parce que le Conseil de sécurité, lorsqu'il a voté le Statut,

18 voulait envoyer un message aux parties belligérantes leur disant que, si

19 elles ne menaient pas à bien les fonctions qui étaient les leurs, si elles

20 ne remplissaient pas leurs obligations en poursuivant les personnes qui

21 s'étaient rendues coupables d'infractions graves du droit international

22 humanitaire, il revenait à la communauté internationale, à l'opinion

23 publique de se charger de cette tâche.

24 Donc, nous n'avons pas une compétence exclusive. Pour résumer, je dirai

25 qu'il est vrai que, depuis 1949, le droit coutumier et le droit

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1 humanitaire international ont évolué de telle sorte que nous ne pouvons

2 plus affirmer, aujourd'hui, que la compétence universelle n'existe que

3 lorsque l'on traite des infractions graves de conventions de Genève. Elles

4 interviennent dès lors que l'on parle d'infractions au droit humanitaire

5 international, au sens large. Et c'est la raison pour laquelle la Chambre

6 d'appel, dans l'arrêt Tadic en 1995, pouvait en toute confiance déclarer

7 que des actes qui sont prohibés par l'article 3 commun des conventions de

8 Genève constituent une infraction grave du droit humanitaire international

9 qui mène à l'invocation de la responsabilité pénale individuelle dès lors

10 que ce Tribunal est compétent. Pas de façon exclusive mais, simplement, il

11 est prioritaire en matière d'exercice de sa compétence.

12 Si à terme, les Etats où les actes criminels ont été perpétrés font

13 effectivement leurs devoirs et poursuivent en justice les personnes qui se

14 sont rendues coupables de ce type d'infraction, alors peut-être qu'à une

15 date donnée ce Tribunal dira: "Eh bien, voilà, nous avons rempli notre

16 devoir".

17 Mais voilà la réponse que je souhaitais apporter à votre question.

18 M. Bennouna: Merci. Un dernier point. Je crois qu'il me semble que, tout à

19 l'heure, votre collègue a estimé que le raisonnement dans Tadic, dans la

20 "interlocutory appeal" de Tadic, n'était pas suffisamment rigoureux. Est-

21 ce que vous partagez ce point de vue?

22 Mlle Boelaet-Suominen (interprétation): Monsieur le Juge, excusez-moi. Je

23 vous ai mal suivi. Vous faites référence à l'argument qui a été avancé par

24 le conseil de la défense?

25 M. Bennouna: Je crois que c'était dans l'intervention du Procureur en

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1 disant que: "les conclusions ont été correctes mais le raisonnement

2 n'était pas assez rigoureux dans l'appel Tadic". Que pensez-vous de cela?

3 Mlle Boelaet-Suominen (interprétation): Eh bien, Monsieur le Juge, avec

4 votre permission, je vais laisser à Me Staker le soin de vous répondre.

5 M. Bennouna. - Merci.

6 M. Staker (interprétation): Monsieur le Juge, je voudrais simplement

7 clarifier ce que j'essayais de dire en émettant ce type de commentaire. Je

8 ne voulais pas dire que le raisonnement qui sous-tendait les conclusions

9 de l'appel Tadic n'était pas suffisamment rigoureux, j'essayais simplement

10 de dire que, au titre de la doctrine du précédent telle qu'énoncée dans la

11 décision Aleksovski, ce type de raison ne suffirait pas au réexamen d'une

12 décision rendue préalablement.

13 Peut-être que des juges individuels, à titre personnel, pensent que le

14 raisonnement sous-tendant cette conclusion aurait pu être plus rigoureux.

15 Nous, nous disons qu'il faudrait trouver des raisons beaucoup plus

16 irréfragables que celles qui ont été avancées. Nous ne disons pas que ce

17 raisonnement n'est pas assez rigoureux et nous ne disons pas que d'autres

18 ont peut-être ce point de vue.

19 Je ne voudrais pas que mes propos soient mal interprétés. Et c'est bien ce

20 que la défense a dit de son côté également, si je ne m'abuse.

21 M. le Président (interprétation): Maître Ackerman?

22 M. Ackerman (interprétation): Eh bien, j'ai une réponse à apporter de mon

23 côté à ce qu'a dit le Juge Pocar, ce matin…

24 M. le Président (interprétation): Est-ce qu'on peut traiter les choses une

25 par une, s'il vous plaît, pas toutes à la fois?

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1 Voyons, est-ce que l'accusation a fini? Avez-vous dit tout ce que vous

2 voulez dire en réponse aux commentaires faits par M. le Juge Bennouna?

3 Mlle Boelaet-Suominen (interprétation): Oui, c'est tout ce que

4 l'accusation avait à dire quant à la question posée par M. le Juge

5 Bennouna.

6 M. le Président (interprétation): Merci infiniment, Madame, merci de

7 l'aide que vous nous avez apportée.

8 Maître Ackerman, maintenant je me tourne vers vous, vous avez la parole et

9 ensuite nous reviendrons à Me Farrell, n'est-ce pas.

10 M. Farrell (interprétation): Je crois.

11 M. le Président (interprétation): Mais c'est à vous d'abord, Maître

12 Ackerman.

13 M. Ackerman (interprétation): Je voudrais commencer par apporter une

14 réponse très, très brève à ce que nous venons d'entendre, si vous me le

15 permettez.

16 M. le Président (interprétation): Attention, nous ne pouvons pas faire

17 durer ces débats de façon indéfinie. Si vous voulez nous dire quelque

18 chose de concis, eh bien, présentez-nous des arguments séduisants et nous

19 vous écouterons. Et si ce n'est pas bref, je crois que nous vous

20 écouterons tout de même. Mais tout de même, soyez aussi rapide que

21 possible.

22 M. Ackerman (interprétation): Je serais très rapide. L'accusation a

23 déclaré à l'instant que la raison pour laquelle l'article 3 commun était

24 d'application était qu'il ne serait pas normal d'avoir quelque chose qui

25 est d'application dans le cadre d'un conflit interne, qui ne soit pas

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1 d'application dans un conflit international.

2 Mais dans le cadre d'un conflit international, lorsque l'on parle

3 d'homicide, il y a les infractions graves qui entrent en compte, et il n'y

4 a pas de lacune dans le cadre d'un conflit international qui est à être

5 rempli par quelque chose qui est prévu dans le cadre d'un conflit interne.

6 En ce cas précis, la Chambre de première instance a déclaré qu'il

7 s'agissait d'un conflit armé interne. Je crois donc que l'invocation des

8 infractions graves devrait suffire.

9 Pour ce qui est maintenant de l'intervention du Juge Pocar, qui portait

10 sur l'article 75 du Protocole additionnel I, je crois que la réponse à

11 apporter est celle-ci, même si je n'ai pas eu beaucoup de temps pour

12 réfléchir à tout cela.

13 Les accusés dans l'affaire Celebici étaient accusés au titre de l'article

14 3 commun tel que formulé lors des conventions de Genève. Au moment de

15 décider si, oui ou non, l'article 3 commun fait partie du droit

16 international coutumier, il convient de se pencher sur un certain nombre

17 de sources. Et l'une des sources qui peut être d'utilité est l'article 75

18 du Protocole additionnel I. Cela peut aider à la compréhension de

19 quelqu'un qui essaie de savoir si, oui ou non, cela fait désormais partie

20 du droit international coutumier.

21 Deuxièmement, il ne faut pas lire une disposition telle que l'article 75

22 en la sortant de son contexte. Le Protocole supplémentaire I vise

23 spécifiquement les conflits armés internationaux. Le Protocole additionnel

24 II, lui, vise spécifiquement les conflits armés internes.

25 De quoi s'aperçoit-on lorsqu'on lit ces deux articles et lorsqu'on les

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1 replace dans leur contexte? On s'aperçoit qu'entre 1974 et 1977, dates

2 entre lesquelles ces Protocoles supplémentaires ont été élaborés, il a été

3 suggéré que le Protocole supplémentaire II étende la portée de l'article 3

4 commun. Quarante-sept articles ont été proposés qui auraient pu étendre le

5 champ d'application de l'article 3 commun. Les nations qui se sont posé la

6 question de savoir s'il fallait voter le Protocole supplémentaire

7 refusaient cette idée en s'appuyant sur les mêmes arguments qui avaient

8 motivé leur réaction lors de l'adoption des conventions de 1949. Et l'idée

9 à la base de tout cela était la question de la souveraineté des Etats.

10 Donc seuls vingt-huit articles ont été acceptés sur les quarante-sept

11 proposés. Et au moment où ils ont été adoptés, le champ d'application de

12 l'article 3 commun a été restreint par rapport à ce qu'il avait été

13 jusqu'alors.

14 Le Protocole supplémentaire II s'assure du fait que, une fois que l'on

15 sort de l'article 3 commun, des situations telles que des perturbations

16 internes et des tensions telles que révolte, soulèvement, actes

17 sporadiques et isolés de violence et autres actes de nature similaire, et

18 dès lors qu'on les considère non plus comme des conflits armés, eh bien il

19 y a limitation de l'article 3 commun par le biais du Protocole additionnel

20 II. Voilà ce que j'avais à dire.

21 Je ne sais pas si vous souhaitez que j'apporte une réponse plus complète.

22 Si vous le souhaitez, je serais heureux de déposer par écrit quelque chose

23 dans les meilleurs délais, bien sûr. Mais quoi qu'il en soit, j'aimerais

24 vous renvoyer de toute façon au mémoire que nous avons déposé sur le

25 sujet. Ce sujet est couvert aux pages 26 et 27 de notre mémoire. Voilà ce

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1 que j'avais à dire.

2 M. le Président (interprétation): Monsieur Farrell, allez-vous répondre à

3 Me Moran?

4 M. Riad (interprétation): Maître Ackerman, je vous demanderai de bien

5 vouloir vérifier le compte rendu d'audience en anglais. Il me semble qu'un

6 "not" en anglais a sauté: vous avez dit qu'il ne faut pas lire cette

7 disposition en la sortant de son contexte, alors que le compte rendu dit

8 qu'il faut le faire.

9 M. Ackerman (interprétation): Oui, effectivement il y avait une négation.

10 M. Riad (interprétation): Eh bien, je vous demanderai donc de vérifier.

11 M. Ackerman (interprétation): Je crois que tout est clair maintenant

12 puisqu'il y a eu une référence ultérieure, qui vient d'être faite, au fait

13 qu'il convient de ne pas sortir cette disposition de son contexte. Merci

14 beaucoup.

15 M. Farrell (interprétation): Nous allons faire quelques commentaires pour

16 nous efforcer d'aider les Juges de cette Chambre. En réponse au motif

17 d'appel relatif au groupe 3, M. Delic, les conventions de Genève et leur

18 application ont été mentionnées. Sa position, si je l'ai bien comprise,

19 c'est que les conventions de Genève ne font pas partie du droit coutumier

20 international et que, par conséquent, elles ne sont pas contraignantes

21 pour l'Etat de Bosnie-Herzégovine ou ses ressortissants entre le moment où

22 l'indépendance a été déclarée et le moment où les instruments de la

23 succession ont été déposés, c'est-à-dire le 31 décembre.

24 L'accusation estime que la Bosnie-Herzégovine était liée aussi bien par le

25 droit coutumier international que, en conséquence, par les instruments de

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1 succession déposés le 31 décembre 1992, instruments déposés auprès d'une

2 instance suisse et marquant le début de l'application des conventions de

3 Genève à la date de l'indépendance, c'est-à-dire le 6 mars.

4 S'agissant de ce que mon collègue a dit quant au fait que les conventions

5 de Genève ne faisaient pas partie du droit coutumier international, ou en

6 tout cas que ce n'était pas prouvé, je voudrais simplement indiquer que le

7 Procureur s'appuie sur le rapport du Secrétaire général en application du

8 paragraphe 2 de la résolution 808 du Conseil de sécurité créant ce

9 Tribunal international. Et selon ce texte, il ne fait aucun doute que

10 certains règlements du droit international humanitaire font partie

11 intégrante du droit coutumier.

12 Le problème d'adhésion de certains Etats, mais pas de tous les Etats, à

13 des conventions précises ne se pose pas. Et l'une des conventions qui est

14 mentionnée dans le rapport du Secrétaire général est la convention de

15 Genève du 12 août 1949 ainsi que les autres conventions de Genève.

16 Deuxièmement, à l'appui de l'idée selon laquelle les conventions de Genève

17 font partie du droit coutumier, on peut citer des décisions de la Cour

18 internationale de justice, paragraphe 81 notamment, de l'affaire des armes

19 nucléaires où nous voyons la Cour internationale de justice indiquer qu'il

20 existe des dispositions fondamentales respectées par tous les Etats,

21 indépendamment du fait qu'ils ont ou non ratifié les conventions qui les

22 contiennent parce qu'il s'agit de principes du droit coutumier

23 international qu'il n'est pas permis de transgresser.

24 La Cour international de justice, se faisant, s'appuie sur le rapport du

25 Secrétaire général dont je viens de parler moi-même à l'instant, et

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1 conclut que les conventions de Genève font partie du droit international

2 conventionnel qui, sans aucun doute, font elles-mêmes partie du droit

3 coutumier international.

4 Je vais maintenant faire d'autres références à des décisions du Tribunal,

5 même s'il ne s'agit pas de décisions de Chambre d'appel. La décision Tadic

6 du 7 mai 1997, paragraphe 577, quand elle fait référence à la décision

7 Tadic sur la compétence, déclare, je cite: "Implicitement dans la

8 déclaration sur la compétence, on trouve la conclusion selon laquelle les

9 conventions de Genève font partie du droit coutumier international et, en

10 tant que telles, leur application dans la présente affaire ne constitue

11 pas une violation du principe nullem crimen sine lege."

12 Devant la Chambre de première instance III, le Procureur contre Simic et

13 consort, lors de l'étude, de l'examen de la requête du 27 juillet 1999,

14 paragraphe 48, on trouve la conclusion suivante: "Les conventions de

15 Genève bénéficient d'une participation pratiquement universelle puisque

16 presque tous les Etats sont partie aux conventions de Genève. Il est

17 également généralement admis que la plupart de leurs dispositions sont

18 considérées comme des déclarations appartenant au droit coutumier

19 international."

20 Et enfin, s'agissant de la jurisprudence de ce Tribunal, je vous renverrai

21 à la décision de la Chambre de première instance dans l'affaire Kupreskic,

22 paragraphes 519 et 520, où la Chambre a décidé, je cite: "Par ailleurs, la

23 plupart des normes du droit international humanitaire, notamment celles

24 qui s'opposent aux crimes de guerre, aux crimes contre l'humanité et au

25 génocide sont également considérées comme des crimes aux termes du jus

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1 cogens, du droit coutumier international et ont donc un caractère qui

2 prévaut." (fin de citation)

3 Enfin, il convient de se pencher sur la date à partir de laquelle les

4 conventions s'appliquent, si l'on admet qu'elles font partie du droit

5 coutumier international. La date de l'indépendance est le 6 mars 1992, et

6 puisqu'elles s'appliquent à partir de la date de l'indépendance, il n'est

7 pas difficile dans la présente affaire de déterminer que l'acte

8 d'accusation démarre en mai 1992.

9 Même si le Tribunal devait décider que c'est seulement lorsque l'Etat a

10 été reconnu, c'est-à-dire en avril 1992 que cette application est

11 possible, nous sommes en tout état de cause bien avant la date prise en

12 compte dans l'acte d'accusation.

13 J'aimerais faire remarquer que, lorsque nous parlons de l'intention de la

14 Bosnie-Herzégovine à être liée à ce cadre de compétences, nous devons

15 parler également de l'acte d'accusation des ressortissants de Bosnie-

16 Herzégovine qui étaient liés par les dispositions "infraction grave" des

17 conventions de Genève qui faisait partie de leur droit interne.

18 Monsieur Delic aurait dû savoir qu'il commettait une violation et

19 infraction grave aux conventions de Genève telles que mises en oeuvre en

20 Bosnie-Herzégovine par un décret-loi du 11 avril 1992 lorsque la Bosnie-

21 Herzégovine a décidé de mettre en oeuvre cette législation, la législation

22 que l'on trouvait dans l'ancien Code pénal de la RSFY qui, elle-même,

23 tient compte des conventions de Genève et des Protocoles additionnels.

24 Ceci est remarqué dans la décision sur la compétence Tadic au paragraphe

25 132. La Chambre d'appel, dans cette décision sur la compétence, fait

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1 remarquer l'effet de ce décret du 11 avril 1992 et déclare, je cite: "Par

2 conséquent, les ressortissants de l'ex-Yougoslavie ainsi que ceux de la

3 présente Bosnie-Herzégovine savaient ou auraient dû savoir que la

4 compétence de leurs tribunaux pénaux nationaux prenait en compte les

5 violations du droit international humanitaire." (fin de citation)

6 Je suis sûr que vous connaissez les faits qui ont été pris en compte par

7 la Chambre de première instance dans cette affaire au paragraphe 312.

8 Dernier point, simplement pour faire suite à ce qui a été dit par le Juge

9 Bennouna, à savoir la référence faite au concept de succession. Il ne

10 s'agit pas tant de succession que de sécession. Les instruments déposés

11 auprès de l'Etat dépositaire, la Suisse, le 31 décembre 1992, étaient des

12 instruments de sécession. En conséquence, l'application des conventions de

13 Genève commence à la date d'indépendance.

14 Enfin, sur le principe des Etats successeurs, nous n'en parlons pas dans

15 notre mémoire, je vous prie de nous excuser pour cela. Nous ne traitons

16 dans notre mémoire que de l'application du droit coutumier international.

17 Mais puisque le problème a été évoqué, je dirai que deux décisions

18 existent, ce sont des décisions très courtes de Chambres de première

19 instance que je vais vous remettre pour vous aider, Messieurs les Juges,

20 et je vous prie de nous excuser pour ne pas les avoir déposées avant. Je

21 prie également la défense de m'en excuser.

22 La première de ces décisions porte sur l'affaire Kovacevic, elle est datée

23 du 12 mai 1998. Il s'agit d'une ordonnance à la demande du Procureur,

24 demande de constat judiciaire. L'accusation, dans une requête, demande

25 donc un constat judiciaire pour plusieurs choses. Deux d'entre elles sont

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1 la succession de la Bosnie-Herzégovine à l'application des conventions de

2 Genève à la date réelle du 6 mars, et puis la déclaration d'indépendance

3 de la République fédérale socialiste de Yougoslavie le 3 mars 1992.

4 D'ailleurs là, il y a une erreur, une faute de frappe: c'est la date du 6

5 mars qu'il convient de lire.

6 Ce qui est important dans ces documents du Procureur, ce n'est pas

7 nécessairement le fait qu'une requête a été déposée pour succession à la

8 convention sur le génocide. Le fait que la Chambre de première instance a

9 admis ces deux faits aux paragraphes 3 et 4, contenu dans les paragraphes

10 3 et 4 des documents du Procureur, est constaté par le fait que le constat

11 judiciaire en a été dressé. La convention sur le génocide de la Bosnie-

12 Herzégovine a donc été désormais considérée comme un instrument de

13 succession justifiant de telles décisions.

14 S'agissant de la décision du 2 mars 1999, la deuxième, elle a été prise

15 dans l'affaire Kordic où il était question, entre autres, de

16 responsabilité du supérieur hiérarchique, article 7: les accusés sont

17 poursuivis pour responsabilité de supérieur hiérarchique qui concerne

18 également les civils puisque, comme vous le savez, M. Kordic était un

19 civil.

20 Au paragraphe 12, la Chambre de première instance conclut que le principe

21 de la responsabilité pénale du supérieur hiérarchique, s'il n'a pas

22 empêché ou puni un crime commis par ses subordonnés, peut être considérée

23 comme faisant partie du droit coutumier international. La même conclusion

24 a été atteinte par une autre Chambre de première instance, celle qui a

25 jugé l'accusé Blaskic. Et ceci me ramène à ma première proposition selon

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1 laquelle les conventions de Genève font partie du droit coutumier

2 international.

3 A la fin du paragraphe 13, nous lisons, comme cité dans l'affaire Blaskic:

4 "La République de Croatie et la République de Bosnie-Herzégovine sont

5 liées par le Protocole additionnel n°I, dans ce cas précis, en tant

6 qu'Etats successeurs de la République fédérale de Yougoslavie qui a été

7 ratifié en juin 1979." Ici donc, nous voyons le terme "successeurs" qui

8 utilisé, "Etats successeurs", et il est reconnu que ces Etats sont liés

9 après dépôt des instruments de succession.

10 Voilà les points, pour l'essentiel, que je souhaitais mettre en exergue en

11 réponse aux déclarations relatives aux conventions de Genève.

12 M. le Président (interprétation): Merci. Maître Moran, vous avez la

13 parole.

14 M. Moran (interprétation): Oui, Messieurs les Juges. J'aimerais évoquer un

15 ou deux points, si vous me le permettez.

16 D'abord, s'agissant du statut des conventions de Genève en tant que partie

17 intégrante du droit coutumier international. Je ferai d'abord remarquer

18 que, plus grand est le nombre des Etats qui deviennent partie à une

19 convention internationale, plus difficile il devient de déterminer si tel

20 ou tel Etat accepte et respecte ces conventions, car les traités qui lient

21 ces Etats ou les exigences du droit coutumier international créent parfois

22 un paradoxe. Je ne sais pas si le Procureur est parvenu à supprimer ce

23 paradoxe.

24 A l'évidence, je pense que la décision du Secrétaire général ou son

25 rapport, puisque c'est lui qui fait l'histoire s'agissant du Statut du

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1 Tribunal, eh bien, je ne suis pas sûr qu'il soit exécutoire pour le

2 Tribunal s'agissant de cette question du droit coutumier international.

3 Monsieur Farrell a déclaré que les ressortissants de Bosnie-Herzégovine

4 étaient liés par les mêmes dispositions que les dispositions des

5 infractions graves applicables au droit interne. Tout cela, c'est très

6 bien, je ne suis pas en désaccord, et si les tribunaux de Sarajevo, les

7 tribunaux municipaux, nationaux décident de poursuivre quelqu'un en

8 justice pour violation du droit national, c'est tout à fait leur droit.

9 Les tribunaux internationaux ne jugent personne pour violation d'un droit

10 national. Mais si nous examinons ce droit national -et je pense que ceci

11 peut être pertinent par rapport à ce dont nous allons probablement parler

12 demain, la sanction la plus importante est probablement évaluée par

13 comparaison à ce qui est applicable en droit national.

14 Si nous décidons de poursuivre, de juger des violations du droit national

15 devant ce Tribunal, il convient d'appliquer le droit national y compris

16 pour déterminer le maximum de la peine.

17 M. Bennouna: Sans aller plus loin dans votre raisonnement, ce n'est pas du

18 tout ce qu'a dit le Procureur. Vous construisez tout un raisonnement à

19 partir d'un postulat qui n'est pas vrai. La Bosnie-Herzégovine, on vous a

20 dit et cela a été repris d'ailleurs dans l'affaire Tadic que j'ai sous les

21 yeux, a appliqué, a en quelque sorte rendu compétents les tribunaux d'un

22 certain nombre d'incriminations, sur la base des conventions de Genève de

23 1949 et du protocole I, auquel elle a succédé. Elle les a introduits dans

24 sa législation nationale.

25 Mais le fait qu'elles soient dans la législation nationale, cela ne veut

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1 pas dire que ce n'est pas en vertu des traités internationaux. Les traités

2 internationaux ont pour vocation de s'appliquer au sein des Etats. Ce ne

3 sont pas des abstractions, les traités internationaux. Je ne vois pas ce

4 que vous nous dites là.

5 Les traités internationaux s'appliquent à l'intérieur des Etats,

6 évidemment. Et ils s'appliquent lorsque l'Etat est partie et ils sont

7 appliqués par les tribunaux de l'Etat national. C'est ce qu'on vous a dit,

8 c'est tout.

9 Vous pouvez très bien avoir un Tribunal national et un Tribunal

10 international qui appliquent la même convention internationale.

11 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge, peut-être n'ai-je pas bien

12 compris M. Farrell. Mais j'avais cru comprendre qu'il a dit, entre autres,

13 que la Bosnie-Herzégovine avait adopté dans leur droit, national, le Code

14 pénal de la RSFY qui, pour l'essentiel, reprend à son compte l'article

15 relatif aux infractions graves et qu'en conséquence les accusés présents

16 ici ne devraient pas être surpris d'être tenus de respecter les

17 infractions, la disposition aux infractions graves puisqu'elles faisaient

18 partie du droit national de leur pays.

19 Donc, ce que je voulais dire simplement –je ne voulais pas dire que les

20 traités internationaux ne s'appliquent pas à l'intérieur des Etats– mais

21 que, apparemment, quelqu'un qui sait qu'il est lié par le droit national

22 qui reprend la disposition "infraction grave", ne doit pas être surpris à

23 une date ultérieure d'être accusé de violation de ces infractions graves.

24 J'espère que je ne réduis pas en bouillie l'argument de M. Farrell, mais

25 j'essayais de reprendre l'essentiel, et si je me trompe sur un point ou un

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1 autre, j'accepte une correction de sa part.

2 Enfin, si nous décidons d'agir de cette façon, cela signifie que l'on ne

3 peut pas prendre le droit national en partie, on doit le prendre en

4 totalité. Et j'ai bien dit que l'accusé ne devrait être surpris d'être

5 jugé sur la base de cette disposition mais j'ai dit également que nous y

6 reviendrions demain, plus en détail.

7 Enfin, et je pense que c'est vraiment la position la plus fondamentale que

8 je vais adopter, c'est que si l'on prend la date de départ de l'acte

9 d'accusation "1er juillet 1992", imaginons quelqu'un qui, le 1er juillet

10 1992, prend son téléphone pour appeler le Conseil suisse, le gouvernement

11 suisse répondra: "Est-ce que la Bosnie-Herzégovine est partie aux

12 conventions de Genève? Est-ce que la Bosnie-Herzégovine est liée par

13 l'article relatif aux infractions graves?"

14 Eh bien, la réponse du gouvernement suisse, dans ce cas, aurait

15 probablement été négative pour la simple raison que les instructions de

16 succession n'avaient pas encore été déposés et que la Bosnie-Herzégovine

17 n'avait pas adhéré à la convention à cette date.

18 Maintenant est-il fondamentalement équitable de traduire un individu en

19 justice pour la violation d'une loi, qu'il s'agisse d'une loi nationale ou

20 d'une loi internationale, mais en tout cas pour la violation d'une loi

21 qui, à l'époque où l'acte a été commis ne pouvait pas être considéré comme

22 une violation de la loi par l'individu en question?

23 Je crois que, fondamentalement, il est injuste d'agir de la sorte et, à

24 moins que les Juges de cette Chambre n'aient des questions à me poser,

25 j'en ai terminé.

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1 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup, Maître Moran. Mais vous

2 pouvez rester debout car nous allons maintenant passer au groupe 4 et

3 c'est vous, je crois, qui êtes chargé de l'exposé.

4 M. Moran (interprétation): Oui, en effet. C'est mon rôle. Le conflit armé

5 international. La différence entre conflit armé interne et conflit armé

6 international, je crois que ma tâche va être assez difficile sur ce point.

7 M. le Président (interprétation): Vous avez promis de ne pas parler trop

8 longuement.

9 M. Moran (interprétation): En effet, Monsieur le Juge, mais ce sera

10 difficile. Voilà ce que j'aimerais proposer. Le Procureur vient de nous

11 dire que le droit coutumier ou, plutôt, que l'article 3 commun fait partie

12 du droit coutumier international. Et nous le savons parce que c'est la CIJ

13 qui nous l'a dit dans l'affaire "Nicaragua contre Etats-Unis". Et en fait,

14 dans l'affaire Tadic, la Chambre d'appel a fait de cette décision une

15 source de ses jugements.

16 Eh bien, demandons-nous si cette affaire "Nicaragua contre Etats-Unis"

17 fait autorité et si elle lie le Tribunal ou pas. A mon avis, il est fort

18 possible que ce soit le cas en vertu de la charte, la CIJ est la première

19 instance judiciaire de l'organisation des Nations Unies.

20 Si ce Tribunal était une instance judiciaire dépendant d'un autre organe,

21 ce ne serait pas le cas mais elle dépend d'un autre organe des Nations

22 Unies, le Conseil de sécurité.

23 Dans deux affaires devant la Chambre d'appel, l'affaire Tadic et l'affaire

24 Aleksovski, la Chambre d'appel a rejeté le critère de l'affaire "Nicaragua

25 contre Etats-Unis", s'agissant de définir le caractère interne d'un

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1 conflit armé. En fait, dans la décision Aleksovski, la Chambre d'appel a

2 déclaré que le critère employé par le Tribunal n'était pas, je cite:

3 "aussi rigoureux" (fin de citation) que le critère appliqué dans l'affaire

4 "Nicaragua contre Etats-Unis". Paragraphe 125 de l'arrêt de la Chambre

5 d'appel.

6 Dans l'affaire Aleksovski, la Chambre d'appel a beaucoup discuté et une

7 opinion dissidente du Juge Hunt a également été publiée, que j'ai lue.

8 Mais jamais n'a été discutée l'existence de précédents provenant de procès

9 de décision qui sortent du champ d'application du Tribunal international.

10 Ce que je tiens à dire, c'est que puisque la CIJ... D'ailleurs, je ne sais

11 pas si c'est le Juge Hunt ou d'autre qui a parlé des Cours suprêmes, ce

12 matin, dans différents systèmes judiciaires qui pouvaient changer d'avis.

13 Ce n'est peut-être pas vous, Monsieur le Juge.

14 M. le Président (interprétation): Ce n'était pas moi mais j'allais vous

15 poser cette question plus tard de toute façon ou dans la décision sur la

16 compétence de la Chambre Tadic, le mot "lié" a-t-il été utilisé?

17 M. Moran (interprétation): Le mot "faire autorité" a été utilisé.

18 M. le Président (interprétation): Mais le mot "lié" n'a pas été utilisé,

19 c'est sans doute délibéré.

20 M. Moran (interprétation): Je parle donc de cette possibilité d'être lié

21 ou pas par une telle décision, mais je ne voulais pas rentrer dans détail

22 de l'affaire Tadic, Monsieur le Juge, de toute façon.

23 La question qui se pose, c'est la suivante: si la Cour internationale de

24 justice est le principal organe judiciaire des Nations Unies, en fait, on

25 pourrait dire le premier Tribunal des Nations Unies, la Cour suprême des

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1 Nations Unies, si tel est bien le cas, est-ce qu'un autre Tribunal

2 dépendant des Nations Unies peut se permettre d'appliquer un autre critère

3 que celui qui a été utilisé par la Cour suprême?

4 Voilà la façon dont je poserai la question et je propose que la chose est

5 impossible.

6 Lorsque la CIJ a déclaré que ceci fait partie du droit coutumier

7 international ou que ceci est le critère juridique qui s'applique à telle

8 ou telle question, eh bien, notre Tribunal, à mon avis, doit suivre la

9 CIJ. Elle doit le faire pour cette raison mais aussi pour d'autres

10 raisons.

11 Premièrement, la position de la CIJ par rapport à la charte des Nations

12 Unies est à prendre en compte.

13 Deuxièmement, il y a la valeur du précédent: rappelez-vous que devant la

14 Chambre de première instance Kupreskic, les débats ont porté sur le

15 précédent à un certain moment et si ma mémoire est bonne, la Chambre de

16 première instance a indiqué qu'elle n'était pas liée par rien sauf par les

17 décisions de cette Chambre.

18 Peut-être n'ai je pas bien compris, peut-être ma mémoire me fait-elle

19 défaut, mais c'est ce que me disent mes souvenirs.

20 Je ne pense pas que ce soit juste, qu'il soit juste de rouvrir le débat à

21 chaque fois. Si par exemple dans l'affaire des otages et du Haut

22 commandement, nous estimons que le droit coutumier international

23 s'applique s'agissant de la responsabilité du supérieur hiérarchique, eh

24 bien, le Tribunal est lié par cette décision. Et chaque fois que le

25 Procureur utilise l'expression "droit coutumier international" ou

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1 "responsabilité de supérieur hiérarchique", je crois qu'il appartient au

2 Procureur de prouver qu'il a des motifs pour le faire.

3 Or, je ne pense pas que ce soit ce que le Tribunal a fait. Je pense que ce

4 Tribunal sur des questions de ce genre est donc lié par les décisions de

5 la CIJ, ainsi que par les décisions d'autres tribunaux qui sont considérés

6 comme tout à fait acceptables s'agissant de la définition qui fait partie

7 du droit coutumier international.

8 Et ayant dit cela, j'ajouterai que la Chambre de première instance a

9 utilisé un critère impropre pour déterminer ce qui était un conflit armé

10 international. La Chambre de première instance a mis en rapport les faits

11 dont elle a eu connaissance avec un critère juridique qui n'était pas le

12 bon. Or, la Chambre d'appel, elle, peut utiliser le critère qui s'impose.

13 J'ai lu rapidement les éléments de preuve sans entrer dans le détail, ce

14 n’était pas indispensable. Mais ayant lu ces éléments de preuve, je dirai

15 qu'ils prouvent que les responsables de la République Fédérale de

16 Yougoslavie ont lu la décision "Nicaragua contre Etats-Unis" ou, en tout

17 cas, savaient que cette décision existait. Et qu'ils ont limité leur

18 participation à la guerre menée en Bosnie, en tout cas sur le plan public

19 à un domaine comparable à celui que les Etats-Unis ont mis en pratique

20 dans leur lutte contre le Nicaragua.

21 Rappelez-vous que les Etats-Unis ont payé des officiers de la Contra, eh

22 bien, la RFY, République Fédérale de Yougoslavie, a payé les salaires des

23 officiers de l'armée de la Republika Srpska, ce genre de chose.

24 Enfin, c'est une idée qui me vient en dernière minute, même si les

25 décisions de la CIJ ne sont pas exécutoires par ce Tribunal, il semble peu

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1 probable que deux tribunaux –d'ailleurs il n'est jamais bon d'avoir deux

2 tribunaux qui géographiquement sont à peine à un kilomètre l'un de

3 l'autre, disons à un kilomètre et demi– il n’est jamais souhaitable qu'ils

4 prennent des décisions contradictoires face au même.

5 Et sur ce dernier argument, à moins que des questions me soient posées par

6 les Juges, je vais me rasseoir et laisser la parole au Procureur.

7 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Monsieur Farrell vous

8 avez à nouveau la parole.

9 M. Farrell (interprétation): Tout d'abord, on nous dit que ce Tribunal est

10 lié par les décisions de la Cour internationale de justice. En dépit de la

11 proximité géographique, il est bien évident que nous parlons de deux

12 organes qui sont tout à fait différents et qui ont une compétence

13 différente.

14 La CIJ a une compétence au niveau des Etats et si on se penche sur ses

15 statuts, on voit qu'il n'y a pas le concept de précédents dans ses

16 statuts. Les jugements de la CIJ n’ont un caractère obligatoire que pour

17 les parties en présence. Et de toute façon, je pense qu'il serait un peu

18 bizarre de dire que les décisions de la CIJ ne la lient absolument pas

19 alors qu'elles lieraient ce Tribunal.

20 Au paragraphe 115 de la décision Tadic, on peut lire la chose suivante:

21 "la Chambre d'appel n’estime pas que le critère Nicaragua soit pertinent."

22 (Fin de citation) Et je pense que la Chambre était tout à fait au fait de

23 la décision de la CIJ.

24 Ensuite, je noterai que le Juge Shahabuddeen, dans cas Kuniyabasi, avait

25 présenté une opinion dissidente et donc dans l'affaire Nsengiyomva, le

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1 Juge Shahabuddeen a fait un commentaire sur les différences entre la CIJ

2 et le Tribunal.

3 Il y a une différence, bien entendu, mais cette différence n'empêche pas

4 d’invoquer la jurisprudence de ces deux organes, si cela est nécessaire.

5 D'autant plus que ces deux institutions sont des organes judiciaires qui

6 sont en relation avec le même organe d'origine.

7 Mon collègue n’insiste pas tellement, bien qu'il estime que le critère du

8 contrôle effectif c'était le critère qu'il fallait adopter dans Tadic et

9 Aleksovski. Mais inutile même de préciser que ceci a été refusé par la

10 Chambre.

11 Je voudrais simplement dire deux choses. Dans la décision Tadic, on a pris

12 en compte trois critères, trois situations pour prouver qu'il y a conflit

13 armé international. Premièrement, eh bien le concept traditionnel d'un

14 conflit armé international entre deux Etats ou plus.

15 Deuxièmement, quand vous avez un conflit interne, un conflit national qui

16 s'internationalise au moment où vous avez un troisième Etat qui intervient

17 en envoyant des troupes.

18 Et troisième cas de figure qui est reconnu par la Chambre, c'est lorsqu'un

19 conflit interne s'internationalise, si au moins l'un des belligérants agit

20 au nom d'un Etat étranger.

21 Et c'est ce troisième Etat de figure, quand vous avez un groupe militaire

22 organisé qui agit au nom d'un Etat étranger qui a été pris en compte ici

23 et qui est remis en question. C'est là où on nous dit que le critère du

24 contrôle effectif ne s'applique pas.

25 Moi, je souhaite simplement indiquer que la Chambre de première instance a

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1 pris en compte ces trois cas de figure. Pour ce qui est du premier cas de

2 figure, conflit international entre deux Etats ou plus, jusqu'au 19 mai ou

3 à ce moment-là on a vu la JNA se retirer.

4 Ensuite, de mai à octobre, la Chambre a conclu que jusqu'au, si on prend

5 le premier cas de figure, il y avait conflit international parce que la

6 République Fédérale de Yougoslavie était présente en Bosnie-Herzégovine.

7 Si on regarde les conclusions sur les faits de la Chambre de première

8 instance, il stipule expressément qu'il y a eu intervention par les forces

9 de la JNA après le 19 mai, en Bosnie-Herzégovine.

10 Et ceci répond au deuxième critère, sans même parler de critère de

11 contrôle effectif ou de contrôle global. Je remarque qu'il est stipulé et

12 reconnu dans le mémoire de Delic, mémoire en appel, au paragraphe 200, on

13 peut y lire, je cite: "l'appelant convient de manière générale avec la

14 Chambre de première instance que les troupes de VJ, à différents endroits

15 et à différents moments, ont aidé la VRS de différentes manières."

16 Donc, le conseil de cet accusé reconnaît qu'il y avait des troupes de la

17 VJ en Bosnie-Herzégovine et ceci nous permet de nous convaincre sans même

18 utiliser le troisième critère.

19 Mais si on évoque quand même ce critère de contrôle global, et si on

20 l'applique aux faits en l'espèce, je voudrais dire deux choses.

21 Premièrement, le critère appliqué par la Chambre de première instance

22 allait tout à fait dans le sens d'un critère de contrôle global, même si

23 on n'utilisait pas ces termes parce que cela n'avait pas encore été

24 défini.

25 Et ceci a été appliqué, un test qui figure dans les décisions Aleksovski

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1 et Tadic. Dans Aleksovski, on stipule que le critère de contrôle global

2 nécessite que l'on évalue tous les éléments de contrôle dans leur

3 globalité. Et il faut déterminer sur cette base si effectivement le niveau

4 de contrôle requis prévalait.

5 Et le jugement ou l'arrêt, en fait, c'est intéressant, passe en revue les

6 mêmes faits que ceux qui sont évoqués dans l'affaire Tadic. On examine

7 tous les éléments de contrôle dont on stipule dans la décision Aleksovski

8 qu'ils sont nécessaires, et on en arrive à la conclusion que le

9 gouvernement de la République fédérale de Yougoslavie était la force qui

10 détenait le contrôle derrière la VRS qui, comme tout le monde le sait,

11 était l'armée des Serbes de Bosnie en Bosnie. On ne peut donc contester le

12 fait que ce critère est tout à fait pertinent.

13 Dernière chose que je souhaiterais dire, c'est que les éléments et les

14 faits tels qu'ils ont été définis par la Chambre de première instance sont

15 pratiquement identiques ou du moins très semblables aux faits qui sont

16 examinés dans la décision en appel Tadic.

17 Je souhaite attirer votre attention sur la position originelle des

18 appelants dans leur mémoire. Au début, ils nous ont dit que les faits

19 étaient tout à fait semblables à ceux de Tadic. Dans le mémoire Landzo, le

20 conseil de l'accusé a dit que les faits étaient remarquablement similaires

21 à ceux de l'affaire Tadic. Bien entendu, cela, c'était au moment où, dans

22 l'affaire Tadic, on avait utilisé le critère du contrôle. Leurs arguments

23 juridiques donc, c'était: puisque le test à appliquer, le critère à

24 appliquer, c'était le contrôle et que les faits étaient les mêmes, il

25 fallait en arriver à la même conclusion.

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1 Moi, je souhaite attirer votre attention sur le fait qu'aujourd'hui le

2 critère qui est utilisé dans Tadic sur les mêmes faits a tiré exactement

3 la même conclusion que la Chambre de première instance, en l'espèce.

4 M. le Président (interprétation): Maître Moran, souhaitez-vous répondre à

5 ce qui vient d'être dit?

6 M. Moran (interprétation): Nous demandons que soit appliqué le critère

7 adéquat, et tout le monde reconnaît que, à certains moments, le conflit

8 qui nous intéresse a été interne et à d'autres moments il a été

9 international. Exemple: rapport rédigé par une commission d'experts à son

10 gouvernement dans lequel il est stipulé que les activités au sein de la

11 Bosnie-Herzégovine avant le 6 avril 1992 doivent être considérées comme

12 internes, mais qu'à partir du 6 avril 1992 et de mai 1992, il faut

13 considérer que l'on a affaire à des activités internationales. Et que,

14 après le 19 mai de nouveau, on est dans une situation nationale.

15 Et là, je vous renvoie à la page 102, paragraphe 225 de mon mémoire, et je

16 cite un certain Elsy Green qui a écrit un ouvrage sur le droit

17 contemporain en matière de conflits armés, ouvrage qui date de 1996.

18 Nous demandons donc tout simplement que l'on applique le critère juridique

19 adéquat aux faits qui ont été déterminés par la Chambre de première

20 instance. Nous souhaitons que ce soit ce qui se passe et vous considérez

21 si vous appliquez ce critère juridique que le conflit qui nous intéresse

22 était un confit de nature interne.

23 M. le Président (interprétation): Ne vous asseyez pas parce que c'est vous

24 qui allez vous exprimer en premier au sujet du groupe 3 de motif, les

25 personnes protégées, parce que Me Ackerman a dit qu'il ne souhaitait

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1 finalement pas intervenir à ce sujet au-delà de ce qu'il a dit dans son

2 mémoire.

3 M. Moran (interprétation): Oui, je vais en effet traiter de la question,

4 mais si vous le permettez, je vais me déplacer pour me rendre au pupitre.

5 M. Bennouna: Monsieur Moran, pendant que vous êtes debout, une question

6 sur le caractère international du conflit qui est la suivante: vous nous

7 dites en résumé que la Chambre dans cette affaire n'a pas appliqué le bon

8 critère juridique qui doit être celui du Nicaragua. Vous faites tout un

9 raisonnement sur le fait que ce Tribunal est lié par la Cour

10 internationale de justice.

11 Dans l'affaire Tadic en appel en 1999, je vous signale que la Chambre ne

12 s'est pas écartée du Nicaragua, de l'affaire Nicaragua et l'a interprétée

13 différemment. Qu'a dit la Chambre? Et c'est là où je voudrais avoir votre

14 opinion. Elle a dit en anglais "vice criterium will be used in practice.

15 The criterium of effective control will be used in practice only with

16 regard to individual or unorganized groups, of individual actings on the

17 half of test".

18 Voilà en quoi elle limite la question du Nicaragua, le test du contrôle

19 effectif pour les individus et les groupes d'individu non organisés parce

20 qu'il s'agit d'imputer le comportement de ces individus à un Etat dans le

21 cadre de la responsabilité internationale.

22 "By contrast, it has applied a different test, that is a test of federal

23 control with regard to military or paramilitary groups with appeal Chamber

24 attend overal control". Voilà la question, si vous voulez. La vraie

25 question, c'est que dans l'affaire Tadic, en 1999, le critère du contrôle

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1 effectif a été limité aux actes des individus et des groupes d'individus

2 non organisés en vue d'imputer leur comportement à un Etat -parce que nous

3 sommes dans la question de l'imputation. Alors que, pour ce qui est des

4 groupes militaires ou paramilitaires qui nous concernent ici, on a estimé

5 que c'est le critère de l'overal control, du contrôle global, qui doit

6 être utilisé pour imputer leur comportement à un Etat. Et pour cela, donc,

7 conduire à l'internationalisation du conflit parce qu'on dirait qu'un Etat

8 intervient dans un autre Etat par l'intermédiaire d'un groupe, par un

9 groupe interposé.

10 Est-ce que vous avez bien cette distinction en tête à ce qui concerne le

11 critère qui est utilisé pour apprécier le caractère international du

12 conflit? Voilà ma question.

13 M. Moran (interprétation): Je ne sais pas si je vais vous donner une

14 réponse, je vais vous donner la meilleure que je puisse vous donner. Et ma

15 réponse est la suivante: les Contras dans l'affaire "Nicaraguan contre

16 Etats Unis", les Contras, c'était une organisation paramilitaire qui était

17 pas mal organisée. Ils ont été financés parce que le Congrès américain a

18 décidé de les financer, donc ils avaient un bon niveau de financement. Ils

19 recevaient l'appui de différentes agences du gouvernement américain et ils

20 ont mené une campagne tout à fait bien organisée contre le gouvernement

21 élu du Nicaragua.

22 Je pense que l'on ne peut, en tout état de cause, que les qualifier de

23 paramilitaires. Le CIJ nous dit que ce groupe avait une organisation, des

24 officiers, des sous-officiers, etc. Mais je pense que, pour déterminer si

25 vous avez un conflit national ou international, je ne pense pas qu'il

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1 faille les traiter...

2 M. Bennouna: Je ne veux pas entrer ici dans l'analyse de l'affaire du

3 Nicaragua et des Contras. Mais c'est vrai que la Chambre d'appel de notre

4 Tribunal, du Tribunal pénal international a critiqué la Cour

5 internationale de justice dans la façon dont elle a appliqué le droit

6 international de la responsabilité dans affaire du Nicaragua. Elle a

7 estimé que la Cour internationale de justice n'a pas appliqué le bon

8 critère. A savoir, pour un groupe militaire ou paramilitaire, le critère

9 du contrôle global, et qu'elle a appliqué un mauvais critère, un critère

10 qui n'était pas adapté: le critère du contrôle effectif qui, d'après la

11 Chambre d'appel, ne s'applique que pour les individus ou les groupes

12 d'individus non organisés. Voilà la situation.

13 La Chambre d'appel a effectivement critiqué la manière dont la Cour

14 international de justice a mis en oeuvre le droit coutumier relatif à la

15 responsabilité internationale. Ce qui fait qu'un fait d'un groupe

16 paramilitaire peut être rapporté à un Etat en vertu du critère du contrôle

17 global sans nécessairement d'ailleurs que cet Etat soit responsable dans

18 tous les cas du comportement de ce groupe en question. Ceci laisse en

19 entier le problème de la responsabilité pénale individuelle et de la

20 responsabilité du supérieur hiérarchique.

21 Voilà le problème qui était posé, c'est que, effectivement, la Chambre

22 d'appel a critiqué la Cour internationale de justice sur ce point parce

23 qu'elle a estimé que la Cour internationale de justice n'a pas appliqué

24 valablement le droit international de la responsabilité telle qu'il existe

25 sur le plan coutumier.

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1 M. Moran (interprétation): Oui, bien. Je comprends. Je ne voulais pas

2 combattre, refaire la guerre qu'ont mené les Contras et je suis heureux de

3 ne pas avoir à le faire. La Chambre d'appel, et je crois que cela est très

4 clairement exprimé dans Aleksovski où l'on dit que le critère qui doit

5 être utilisé par la Chambre d'appel n'est pas, je cite: "aussi rigoureux

6 que celui utilisé par la CIJ". Et le Tribunal et la Chambre d'appel ont

7 émis des critiques vis-à-vis de la CIJ. Moi, cela ne me gêne pas que cette

8 Chambre critique la CIJ mais ce que j'avance ici et, en fait, c'est autant

9 une question d'ailleurs qu'un argument juridique.

10 Ce que je demande, c'est si, quand vous avez le même point de droit,

11 savoir si un conflit est un conflit interne ou international? Est-ce qu'il

12 faut que ces deux tribunaux doivent… Est-ce qu'il est possible que ces

13 deux tribunaux aient des critères juridiques différents et si c'est le

14 cas, à ce moment-là, lequel prévaut? Et aux termes de la charte, en tant

15 que principal et premier organe judiciaire des Nations Unies, moi, je

16 pense que c'est la CIJ qui doit primer.

17 Que ce que la CIJ dit me plaise ou non, ce n'est pas cela. Je parle de

18 leur position en tant de la charte.

19 M. Bennouna: Sur ce point, vous partez du principe que la Cour

20 internationale de justice doit prévaloir sur le Tribunal pénal

21 international. Le problème qui est posé, c'est que leurs compétences et

22 leurs fonctions sont complètement différentes. Ils n'ont aucune relation

23 de subordination. Ils ne sont pas du tout fondés pour s'occuper des mêmes

24 problèmes.

25 M. Moran (interprétation): Je vous comprends bien. Monsieur le Juge, mais

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1 la question est la suivante: "Est-ce qu'on peut avoir deux règles de droit

2 différentes sur la même question qui nous viennent de deux tribunaux? Une

3 règle de droit qui s'applique aux Etats et l'autre qui s'applique aux

4 individus?"

5 Moi, je viens d'un système juridique où nous avons deux Cours suprêmes.

6 Dans mon Etat, à la différence de tous les Etats des Etats-Unis, nous

7 avons une Cour suprême qui s'occupe de certaines affaires au civil et nous

8 avons une Cour d'appel qui s'occupe d'affaires au pénal. Et parfois, ils

9 sont amenés à interpréter un même Statut et ils font tout ce qui est en

10 leur pouvoir pour arriver à la même conclusion.

11 Et quand ce n'est pas le cas –et je crois que cela s'est passé à deux ou

12 trois reprises– celui qui arrive en deuxième, le deuxième tribunal qui

13 prend une décision différente est souvent critiqué ouvertement. Pourquoi?

14 Parce que sa jurisprudence n'est pas cohérente avec celle de l'autre

15 instance judiciaire.

16 Et moi, je pense que ce que je viens de vous décrire, ce n'est pas

17 extrêmement différent de la situation que nous avons avec la CIJ et le

18 TPI.

19 M. le Président (interprétation): Oui, mais c'est parce que chacun de ces

20 organes est au niveau de l'appel dans cet Etat, dont vous nous parlez.

21 Donc, les tribunaux subordonnés seraient sans doute surpris d'avoir des

22 décisions différentes venant de ces juridictions d'appel, mais ce n'est

23 pas la question qui se pose ici.

24 Nous ne lions personne du fait de nos décisions, à l'exception de la

25 Chambre d'appel et la CIJ. Il en va de même puisque leurs décisions ne

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1 sont pas contraignantes, autres que pour les parties.

2 M. Moran (interprétation): Oui, bien entendu.

3 Je sais qu'il est stipulé que ce qu'ils décident n'a pas valeur de

4 jurisprudence mais cependant, quand ils constatent que quelque chose a

5 valeur d'instrument du droit coutumier international, ils continuent à

6 appliquer la règle en question.

7 Mais vous nous dites que personne d'autre n'est lié par les décisions de

8 Tribunal pénal international ou de la CIJ. Sauf, ici, les Chambres de

9 première instance, et pour la CIJI, les Etats parties.

10 Mais en fait, ce qui se passe, c'est que les individus, les Etats sont

11 liés par les décisions de notre Tribunal. Les personnes physiques, les

12 Etats sont liés par les décisions de la CIJ parce que quand vous avez,

13 comme dans la plupart des pays du monde, une armée, des militaires en

14 uniforme et vous avez des avocats, des spécialistes juridiques qui

15 essaient de déterminer ce qu'est le droit coutumier international, qui

16 déterminent ce qu'il faut faire pour être en accord avec le droit

17 coutumier international, que disent les conventions de Genève?

18 Vous imaginez que des gens qui étudient ce genre de choses, eh bien, ils

19 se trouveront dans la situation de la loi du conseil n°10 du Tribunal de

20 Nuremberg, etc.

21 En fait, ici, nous créons le droit international pour déterminer ce qu'il

22 est possible ou non de faire. Et cela permet de déterminer ce qu'est le

23 droit international coutumier qui lie les Etats du monde entier et ceux

24 qui sont chargés de déterminer tout cela. Eh bien, il faut qu'ils arrivent

25 à la même conclusion.

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1 On ne peut pas avoir d'un côté des instruments de droit coutumier

2 international pour les personnes physiques et de l'autre quelque chose qui

3 lie les Etats.

4 M. Bennouna: Je crois qu'il vaut mieux peut-être passer au point suivant

5 parce que, là, vous êtes en train de vous lancer dans toute une analyse,

6 une transposition du droit international qui risquerait d'aller au-delà du

7 propos qui est le nôtre. Il me semble.

8 Je parle sous le contrôle, bien sûr, du Juge Hunt.

9 M. Moran (pas d'interprétation)

10 (Dix minutes sans interprétation)

11 (L'audience, suspendue à 16 heures 05, est reprise à 16 heures 33.)

12 M. le Président (interprétation): Maître Moran, vous pouvez poursuivre.

13 M. Moran (interprétation): Merci Monsieur le Juge, comme je le disais

14 avant la pause, le plus haut degré de protection dont on peut jouir au

15 titre du droit international est celui qui est accordé aux agents

16 diplomatiques, conformément à la convention de Vienne sur les relations

17 diplomatiques.

18 En gros, le diplomate peut perpétrer tous les crimes qu'il souhaite dans

19 la nation de son choix et il ne peut pas être traduit en justice pour une

20 allégation, à moins que son propre Etat indique qu'il peut renoncer, qu'il

21 souhaite voir son immunité levée.

22 Il y a une exception à cette règle, c'est l'article 38.1 de la convention

23 de Genève qui précise quelle est cette exception.

24 Et je vous ai fait distribuer un article qui porte sur ce point, c'est

25 l'article du haut de la page qui m'intéresse et qui traite de ce qui s'est

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1 passé entre l'ambassadeur de la Bosnie-Herzégovine auprès des Nations

2 Unies qui a été arrêté parce qu'il trichait au casino. Il a fait valoir

3 son immunité diplomatique et, au départ, les personnes des Nations Unies

4 qui étaient chargées de ce type d'affaire ont été d'accord pour dire que,

5 effectivement, il pouvait jouir de son immunité. Mais par la suite, ces

6 personnes ont rappelé pour dire qu'elles avaient eu tort parce que, comme

7 il s'agissait d'un ressortissant des Etats-Unis, il n'avait pas d'immunité

8 diplomatique vis-à-vis des Etats-Unis dès lors qu'il sortait du cadre de

9 ses fonctions officielles.

10 Maintenant, si on revient à la question de la nationalité, de la

11 citoyenneté, eh bien, cette nationalité est déterminée par le facteur qui

12 consiste à savoir si, oui ou non, on peut jouir de l'immunité

13 diplomatique. Cela peut être un facteur clé au moment de savoir si une

14 personne est ou non protégée au titre de la définition donnée par

15 l'article 4 des conventions de Genève relatives aux civils.

16 La conclusion fondamentale de la Chambre de première instance et ce qui a

17 été dit également dans les affaires Tadic et Aleksovski est la chose

18 suivante. Etant donné la façon dont les guerres sont menées à l'heure

19 actuelle, les conventions de Genève sont peut-être un petit peu désuètes,

20 dans la mesure où elles ne tiennent pas compte de certaines réalités qui

21 surgissent de nos jours. Peut-être est-ce exact? Peut-être que ces

22 conventions sont aujourd'hui obsolètes. Si c'est le cas, eh bien, peut-

23 être que nous devrions réunir une nouvelle conférence diplomatique à

24 Genève, semblable en tous points à celle qui a été réunie en 1949, et

25 peut-être qu'il nous faudrait essayer de penser à la façon de rédiger à

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1 nouveau ces conventions. Peut-être en votant les Protocoles additionnels

2 III et IV, si cela s'avère nécessaire. Et peut-être qu'à ce moment-là, les

3 Etats et la communauté internationale peuvent décider s'ils souhaitent

4 ratifier cette nouvelle convention, ces nouvelles dispositions et s'ils

5 souhaitent être tenus par lesdites dispositions.

6 Mais si ces conventions sont réécrites, si les protections qui sont

7 précisées sont étendues à des personnes qui ne sont pas couvertes par le

8 libellé des conventions de 1949, eh bien, c'est quelque chose qui peut se

9 produire. Mais cela ne me revient pas à moi, cela ne revient pas au Bureau

10 du Procureur. Je crois que cela revient aux Etats, ce n'est pas non plus

11 au Conseil de sécurité de faire cela.

12 C'est aux Etats de décider qu'ils veulent introduire des modifications

13 substantielles aux conventions de Genève. De par leur nature même, les

14 conventions internationales font l'objet de négociations de toutes sortes

15 entre les parties intéressées. Elles sont le résultat de différents

16 compromis qui sont passés entre lesdites parties.

17 Il n'y a dans mon esprit aucun doute quant au fait que le Tribunal a toute

18 liberté en matière d'interprétation des conventions de Genève. Il peut

19 faire comme bon lui semble. La question qui est présente à mon esprit est

20 de savoir s'il doit le faire ou si, au contraire, il doit appliquer les

21 règles traditionnelles en matière d'interprétation des traités.

22 Est-ce qu'il doit se contenter de lire les mots qui constituent les

23 dispositions du traité, tels qu'ils ont été ratifiés par quasiment tous

24 les pays de la planète, à l'exception peut-être de la Birmanie?

25 Il faut se poser la question de savoir si le traité doit être appliqué tel

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1 qu'il est rédigé ou bien s'il est obsolète et s'il ne faut peut-être pas

2 le rédiger à nouveau.

3 Moi, je crois que c'est la première hypothèse qui est la bonne, il faut

4 appliquer ce qui est écrit. Les éléments de preuve dans cette affaire,

5 depuis le tout début, indiquent que les personnes dont nous parlons

6 étaient des ressortissants de Bosnie-Herzégovine. Tous les témoins ont

7 parlé dans ce sens, personne n'a essayé de renoncer à sa citoyenneté,

8 personne n'a essayé de s'y soustraire. Toutes ces personnes étaient

9 résidentes de Bosnie-Herzégovine depuis leur naissance, pour la plupart

10 d'entre elles. Nous avons entendu que ces personnes étaient nées sur

11 place, qu'elles y avaient fait leurs études, qu'elles s'y étaient mariées,

12 qu'elles y votaient.

13 Ces personnes vivaient sur ce territoire et présentaient tous les indices

14 qui contribuent à faire que l'on détermine qu'une personne est

15 ressortissante d'un pays. Et si l'on commence à attribuer certains droits

16 et certaines responsabilités aux citoyens, si on commence à les répartir

17 entre telle et telle catégorie sur la base de leur ethnicité, je crois que

18 c'est une démarche extraordinairement dangereuse. Mon pays a souvent

19 essayé de faire cela et, à chaque fois, nous nous en sommes amèrement

20 repentis.

21 Il y a à peine plus de 24 heures, la Cour suprême des Etats-Unis, dans une

22 affaire appelé "Saldano contre l'Etat du Texas" –je ne peux pas vous faire

23 passer cet arrêt parce que je n'en ai qu'une copie– a prononcé la peine de

24 mort parce que l'accusation dans la phase d'établissement de la peine a

25 présenté des éléments de preuve qui tentaient à indiquer que M. Saldano

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1 était susceptible de commettre des crimes à l'avenir parce qu'il avait des

2 antécédents assez lourds, et notamment en matière d'ethnicité. Il

3 s'agissait d'un ressortissant national argentin.

4 Et moi qui suis son avocat, j'ai trouvé cette conclusion extrêmement

5 offensante parce que tout cela s'appuie sur son appartenance ethnique. Et

6 cela n'a rien à voir avec son statut ou eu égard à la loi.

7 Et je crois que la Cour suprême était d'accord avec moi.

8 Je vais maintenant m'asseoir et laisser la parole à Me Karabdic.

9 M. le Président (interprétation): Très bien, je vous remercie.

10 Maître Karabdic a maintenant la parole.

11 M. Karadic (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

12 je m'appelle Salih Karabdic. Je suis avocat à Sarajevo et je vais parler

13 de la citoyenneté de Bosnie-Herzégovine.

14 Dans le paragraphe 251 du jugement de la Chambre de première instance, il

15 est stipulé que l'analyse des lois relatives à la citoyenneté de Bosnie-

16 Herzégovine, en 1992, ne donne pas une image claire.

17 De même, dans le paragraphe 252 du même texte, il est indiqué que, même si

18 la Bosnie-Herzégovine a proclamé son indépendance en mars 1992, c'est

19 seulement en octobre 1992 qu'elle a adopté une certaine loi relative à la

20 citoyenneté dans le cadre d'une législation qui a ensuite été complétée

21 par d'autres lois.

22 Avec tout le respect que je dois à ce Tribunal, je me vois contraint de

23 dire d'emblée que les positions du Tribunal sont erronées et ne

24 correspondent pas à la réalité des choses. Ces positions erronées

25 relatives aux lois de la citoyenneté de Bosnie-Herzégovine ont abouti à

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1 une façon erronée de traiter le concept de citoyenneté de Bosnie-

2 Herzégovine dans le jugement en première instance.

3 Ceci a considérablement contribué à faire traiter les conventions de

4 Genève sur les personnes protégées de la façon dont elles l'ont été, et

5 mon client s'en est trouvé condamné pour infraction grave aux conventions

6 de Genève dans le cadre de l'article 2 du Statut de ce Tribunal.

7 Un tel jugement, en application de l'article 2 du Statut, n'aurait pas été

8 possible si l'appartenance à la citoyenneté bosniaque avait été traitée

9 comme une appartenance à une citoyenneté souveraine, comme c'est le cas

10 pour tout autre Etat.

11 La République de Bosnie-Herzégovine a immédiatement été reconnue sur le

12 plan international, elle est devenue membre de la communauté

13 internationale et, en application du droit international, elle était sur

14 un pied d'égalité avec tous les autres Etats.

15 J'ajouterai qu'au paragraphe 168 de l'arrêt interlocutoire Tadic, la

16 Chambre d'appel admet la possibilité qu'avant le 6 octobre 1992, date de

17 la déclaration de l'indépendance, les ressortissants de la République

18 yougoslave avaient la même citoyenneté que les ressortissants de Bosnie-

19 Herzégovine, à savoir celle de la République fédérale de Yougoslavie. Or,

20 cela non plus ne correspond pas à la réalité.

21 Si l'on analyse les lois relatives à la citoyenneté, il faut partir de la

22 RSFY, il faut partir de la Constitution de la République socialiste de

23 Bosnie-Herzégovine, il faut partir de la création de l'Etat fédéral et des

24 lois qui régissaient les républiques socialistes, comme elles s'appelaient

25 à l'époque.

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1 L'article premier de la Constitution de la RSFY de 1974 stipule que la

2 RSFY est un Etat fédéral, donc une communauté fédérale qui fait partie en

3 tant que telle de la communauté internationale comme en font partie ces

4 républiques. De même, l'article 2 de la Constitution de la République

5 socialiste de la Bosnie-Herzégovine, comme elle s'appelait à l'époque,

6 stipule que la République socialiste de Bosnie-Herzégovine est un Etat

7 souverain, nation de citoyens égaux, Musulmans, Serbes et Croates, ainsi

8 que ressortissants de toutes les autres nationalités qui y résident.

9 Dans la Constitution de la RSFY, article 1 paragraphe 2, un principe

10 fondamental est stipulé. Les individus et les peuples égaux mettent en

11 oeuvre leurs droits fondamentaux, leurs droits élémentaires dans le

12 respect de la loi. Et cette loi est prévue par la Constitution au niveau

13 de la RSFY quand c'est dans l'intérêt commun.

14 Cela est prévu également dans l'article 2 de la Constitution de la Bosnie-

15 Herzégovine. Tous les peuples de Bosnie-Herzégovine, les Serbes, les

16 Croates et les Musulmans, ainsi que les membres des autres peuples et des

17 autres nationalités jouissent de droits égaux sur le territoire de la

18 République de Bosnie-Herzégovine, hormis les droits pour lesquels il est

19 dans l'intérêt commun des travailleurs des populations, des nationalités

20 et des peuples d'être stipulés dans la Constitution de la RSFY.

21 Selon la Constitution de 1974, la RSFY était donc un Etat fédéral qui

22 présentait un grand nombre d'éléments rattachés au niveau de la

23 fédération. Les éléments fédéraux avaient un rôle important s'agissant de

24 la citoyenneté. Il existait la citoyenneté ou l'appartenance à la

25 République socialiste fédérale de Yougoslavie, ainsi qu'une appartenance

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1 de chacune des républiques qui constituaient cet Etat fédéral.

2 Dans le jugement en première instance, au paragraphe (que l'interprète n'a

3 pas entendu), il est signalé que la Constitution de chacune des

4 républiques fait du citoyen de la république un citoyen à part entière de

5 la république, mais également et automatiquement un ressortissant de

6 l'Etat fédéral.

7 Article 6, paragraphe 2, Constitution de la République socialiste de

8 Bosnie-Herzégovine: Tout citoyen de la RSBH est également citoyen de la

9 RSFY.

10 Article 249.2 de la Constitution de la RSFY: Tout citoyen de la RSFY est

11 automatiquement citoyen de la RSBH.

12 Donc il existait deux lois relatives à la citoyenneté: la loi de 1976 pour

13 la RSFY et la loi de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine votée

14 en 1977.

15 Sur le plan des fondements juridiques, ces deux lois présentaient

16 pratiquement les mêmes aspects. Simplement, la loi de la RSFY indiquait un

17 certain nombre de dispositions permettant de se défaire de cette

18 citoyenneté et comportait également des normes précises en cas de conflit

19 entre différentes lois relatives à la citoyenneté.

20 S'agissant de ces deux lois, c'est-à-dire la loi de la RSFY et la loi de

21 la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, dans les deux il est

22 stipulé que, lorsqu'il y a problème de citoyenneté, à savoir qu'il est

23 nécessaire de décider que quelqu'un va abandonner sa citoyenneté ou

24 l'acquérir, ce sont les républiques qui en décident, les organes de la

25 république. De sorte que les citoyens de Bosnie-Herzégovine avaient en

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1 fait deux citoyennetés officielles: la citoyenneté de la RSBH et la

2 citoyenneté de la RSFY.

3 Dans notre terminologie, on disait que c'était la citoyenneté de la

4 République socialiste de Bosnie-Herzégovine qui primait, elle était donc

5 prioritaire, alors que celle de la RSFY n'était un complément, un ajout

6 par rapport à la citoyenneté au sein de la république.

7 Il était impossible d'être ressortissant de la RSFY uniquement, sans être

8 ressortissant d'une république. Telle était donc la situation au début de

9 la guerre.

10 Il y a eu le référendum du 29 février, 1er et 2 mars 1992. Une majorité de

11 la population s'est déclarée pour l'indépendance. L'indépendance a été

12 internationalement reconnue le 6 mars 1992, et la République socialiste de

13 Bosnie-Herzégovine est devenue de ce fait la République de Bosnie-

14 Herzégovine. Cependant, ce nouvel Etat a immédiatement été attaqué et la

15 guerre a commencé.

16 Par l'admission et la reconnaissance de l'indépendance, la citoyenneté de

17 Bosnie-Herzégovine est devenue citoyenneté de la République de Bosnie-

18 Herzégovine indépendante. La République de Bosnie-Herzégovine ne se

19 trouvait plus dans le giron de la République fédérale de Yougoslavie, et

20 la citoyenneté de Bosnie-Herzégovine ne pouvait plus, comme par le passé,

21 donner droit à la citoyenneté de la RSFY.

22 La loi de la République de Bosnie-Herzégovine, de la République socialiste

23 de Bosnie-Herzégovine a été totalement adoptée par la République de

24 Bosnie-Herzégovine. Et dans les premiers jours suivant l'indépendance, la

25 citoyenneté de Bosnie-Herzégovine a été réglementée de façon intégrale.

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1 La présidence de la République de Bosnie-Herzégovine a adopté un décret

2 ayant force de loi le 11 avril 1992, qui adoptait donc les lois de

3 l'ancien Etat et en faisait les nouvelles lois de la république. Par ce

4 décret, plus de deux mille lois fédérales ont été adoptées et mises en

5 vigueur en tant que lois de la république, y compris les lois sur la

6 citoyenneté, avec quelques modifications indispensables.

7 Selon la Constitution de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine,

8 lorsqu'il y avait danger ou imminence de guerre et qu'il était impossible

9 de réunir le Parlement, des décrets ayant force de loi étaient adoptés.

10 Plus tard, un décret ayant force de loi au sujet de la citoyenneté et de

11 la République de Bosnie-Herzégovine a été adopté qui donc a remplacé les

12 anciens textes équivalents de la RSFY et de la RSFY. Et en octobre 1992,

13 d'autres décrets ont été votés qui constituaient une manière de codifier

14 les deux lois de citoyenneté dans un texte officiel et qui ne

15 constituaient pas, comme l'a estimé la Chambre de première instance, une

16 modification fondamentales des anciennes lois de citoyenneté.

17 Selon le paragraphe 252 du jugement en première instance, tous les

18 ressortissants de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine étaient

19 en même temps citoyens de la République socialiste fédérative de

20 Yougoslavie, ce qu'ils sont restés jusqu'au démantèlement.

21 Le docteur Gaw a témoigné devant la Chambre de première instance, c'est un

22 témoin du Procureur. Selon lui, la RSFY s'est démantelée au plus tard en

23 avril 1992, date à laquelle elle a cessé d'exister en tant qu'Etat.

24 Le 27 avril 1992, la République fédérale de Yougoslavie a été proclamée

25 république qui a adopté sa propre Constitution. Donc la RSFY a

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1 officiellement cessé d'exister à cette date.

2 A ce moment-là, il ne fait aucun doute que la citoyenneté de RSFY a

3 disparu et donc en aucun cas les citoyens de Bosnie-Herzégovine ne

4 pouvaient à partir de cette date être traités également comme citoyens de

5 la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

6 Dans le droit international, le droit de succession des Etats, les

7 citoyens d'un ancien Etat qui devient un nouvel Etat obtiennent, qui

8 quittent cet Etat obtiennent la citoyenneté d'un nouvel Etat tout en

9 conservant leur ancienne citoyenneté. Mais lorsque l'ancien Etat n'existe

10 plus, les ressortissants de ce territoire n'ont que la citoyenneté de

11 l'Etat successeur.

12 Devant ce Tribunal, le témoin de l'accusation, le professeur Ekonomides a

13 bien indiqué, a bien décrit ces principes, le professeur Ekonomides étant

14 membre d'une commission spécialisée en la matière.

15 En avril 1992, les citoyens de Bosnie-Herzégovine, y compris ceux qui

16 appartenaient sur le plan ethnique au groupe serbe, n'ont plus eu qu'une

17 seule citoyenneté, la citoyenneté de Bosnie-Herzégovine. Les citoyens de

18 Bosnie-Herzégovine n'ont absolument pas réussi à obtenir la citoyenneté de

19 la République fédérale yougoslave puisque la République fédérale

20 yougoslave a limité la citoyenneté à son Etat uniquement aux

21 ressortissants de Serbie et du Monténégro. C'est prévu à l'article 17 et à

22 l'article 21 de la nouvelle Constitution de la RFY.

23 Au paragraphe 27 du jugement en première instance, la Chambre de première

24 instance déclare que, puisque la commission Badinter avait un point de vue

25 différent sur la succession, les minorités telles que les Serbes de

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1 Bosnie-Herzégovine devraient obtenir le droit à la citoyenneté... Plutôt,

2 même si la commission Badinter établit que les Etats successeurs doivent

3 laisser la possibilité à tous les citoyens d'opter pour une nouvelle

4 citoyenneté, la République de Bosnie-Herzégovine n'a pas nui à ce droit

5 pour les Serbes de Bosnie.

6 Je dois ici dire que la commission Badinter n'a jamais donné aux groupes

7 minoritaires la possibilité d'exercer ce droit. Ce n'était qu'une

8 recommandation et c'était assez inapproprié.

9 La République fédérale yougoslave n'admettant pas des citoyens comme ses

10 ressortissants, la loi de Bosnie-Herzégovine prévoit l'abandon de cette

11 citoyenneté. C'est ce que prévoit toutes les lois, mais à une condition

12 fondamentale, c'est de prouver que l'autre Etat accepte le ressortissant

13 qui demande à obtenir sa citoyenneté.

14 J'ajouterai que la citoyenneté de Bosnie-Herzégovine est reconnue sur le

15 plan international. Je ne citerai que les accords de paix de Dayton,

16 annexe 4, article 1 7) c), où il est indiqué que tous les ressortissants

17 de la République de Bosnie-Herzégovine deviennent ressortissants de l'Etat

18 de Bosnie-Herzégovine en vertu des accords de Dayton et que la citoyenneté

19 des personnes naturalisées après le 6 avril 1992 sera traitée comme un cas

20 à part.

21 Il ressort de cela que les accords de Dayton admettent que la citoyenneté

22 de Bosnie-Herzégovine existait déjà le 6 avril 1992. Voilà la fin de mon

23 exposé.

24 Je suis maintenant prêt à entendre les questions des Juges, à y répondre.

25 M. Bennouna: Merci, Maître Karabdic, de ces informations extrêmement

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1 intéressantes sur une pratique que vous connaissez de l'intérieur

2 concernant l'évolution de la nationalité depuis la République fédérale,

3 fédérative de Yougoslavie jusqu'à la Bosnie-Herzégovine.

4 J'ai une question à vous poser, étant donné le temps, qui est la suivante

5 concernant l'article 4 de la convention de Genève qui s'applique. Cette

6 question s'adresse peut-être aussi à M. Moran qui a développé ce point,

7 qui concerne la notion de personne protégée.

8 Nous en sommes donc au point que les deux conditions pour la mise en

9 oeuvre de l'article des violations graves telles qu'elles sont prévues par

10 l'article 2 de notre Statut, c'est le caractère international du conflit.

11 En supposant que le conflit a un caractère international, il faut encore

12 que les victimes soient des personnes protégées au sens de l'article 4 de

13 la convention de Genève.

14 Cet article 4, je l'ai ici en anglais, il nous dit: "Les personnes

15 protégées sont des personnes qui se trouvent, d'une façon ou d'une autre,

16 en cas d'occupation ou de résistance, entre les mains de l'ennemi."

17 (L'interprète a cité sans le texte sous les yeux.)

18 Voilà où on en est de la notion de personne protégée. Ce sont ceux qui, à

19 un moment donné, ce sont celles, ces personnes, qui a un moment donné se

20 trouvent entre les mains d'une des parties au conflit. Et le texte ajoute:

21 "ou d'une puissance occupante dont ils n'ont pas la nationalité." Ce sont

22 des personnes qui se trouvent aux mains d'une partie au conflit dont ils

23 n'ont pas la nationalité.

24 Vous nous avez dit, ainsi que M. Moran, qu'il faut en fait lire ce texte

25 de la convention, cet article 4, selon le sens du texte tel qu'il est.

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1 Dans l'affaire Tadic, il est ajouté quand même, vous avez cité la

2 convention de Vienne sur les droits de (inaudible), qu'un texte doit être

3 lu selon le sens naturel et ordinaire des mots, mais aussi en fonction des

4 buts et des objectifs du traité, ce qu'on appelle l'interprétation

5 théologique.

6 Or, si on prend le sens naturel et ordinaire des mots, les personnes qui

7 sont aux mains d'une partie au conflit dont ils n'ont pas la nationalité

8 dans un conflit entre deux Etats, cela est assez clair, ce sont les

9 personnes qui ont la nationalité de l'autre Etat, de l'Etat ennemi.

10 La question que je pose est la suivante: qu'en est-il d'un conflit comme

11 celui qui nous concerne, qui se déroule en Bosnie, qui est qualifié

12 d'international? C'est ce qu'on appelle un conflit interne

13 internationalisé entre la Bosnie-Herzégovine et une partie à ce conflit

14 internationalisé, qui sont les Serbes de Bosnie, qui ont peut-être la même

15 nationalité formelle mais qui sont des individus qui appartiennent à

16 l'autre partie.

17 Comment va-t-on appliquer l'article 4 de la convention de Genève sur les

18 personnes protégées? Voilà la question que je souhaite vous poser.

19 L'interprétation qui a été donnée c'est que la convention, contrairement à

20 ce qu'a dit M. Moran, la convention de Genève de 1949, comme toutes les

21 conventions internationales, a une vie propre. Ce qui a été donné par une

22 cour d'appel, par la Chambre d'appel de ce Tribunal.

23 Et notamment certaines conventions sont complétées par le comportement des

24 parties qui a une valeur coutumière. Or, l'article 4 dont nous parlons

25 maintenant c'est un article qui date de 1949. Il est bien entendu que, de

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1 1949 à 1992 tout au moins, il s'est passé beaucoup d'années et par

2 conséquent il faut interpréter cet article en fonction de l'objet de la

3 convention qui est de protéger les civils impliqués dans un conflit de

4 caractère international.

5 Et d'autre part en fonction de l'évolution des confits qui sont devenus le

6 plus souvent des conflits inter-ethniques, comme c'est le cas du conflit

7 dans l'ex-Yougoslavie, ou dans un Etat en particulier où interviennent

8 auprès d'une ethnie ou d’une autre des Etats étrangers. Voilà la situation

9 où nous sommes.

10 Oui, Monsieur Moran ou Monsieur Karabdic?

11 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge, c'est moi qui prendrai la

12 parole du mieux que je pourrai, si vous me le permettez.

13 M. Karabdic (interprétation): Oui, je laisse la parole à Me Moran.

14 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge, la convention est un accord

15 conclu entre Etats. En l'absence d'un accord entre Etats, rien n'existe.

16 J'ai fourni à la Chambre de première instance et à la Chambre d'appel que

17 vous représentez les différentes sources juridiques fournies par

18 différents gouvernements s'agissant de leur façon d'interpréter l'article

19 4 des conventions de Genève. Je pense notamment à la source produite par

20 le gouvernement américain, la loi de la guerre de 1997.

21 Toutes ces sources gouvernementales que j'ai eues sous les yeux

22 conviennent lorsque la convention parle de quelqu'un qui se trouve au

23 pouvoir d'une partie au conflit dont il ou elle n'est pas ressortissant,

24 cela signifie être au pouvoir d'une partie belligérante. Comme je l’ai

25 dit, il est possible que les conventions de Genève soient obsolètes.

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1 En 1949, une conférence diplomatique a été réunie pour rédiger un nouveau

2 texte suite à la convention de 1920 et à la Deuxième Guerre mondiale, et

3 le résultat c'est le texte que nous avons entre les mains aujourd'hui. Il

4 est fort possible que nous ayons besoin d'une réunion diplomatique en l'an

5 2001 en vue de rédiger de nouvelles conventions applicables au monde tel

6 qu'il est dans ce nouveau millénaire où nous vivons.

7 Mais tant que cela ne sera pas fait, nous avons à appliquer une loi, un

8 traité qui est rédigé en termes très précis et qui traite d'éléments très

9 précis qui protègent des catégories très précises de personnes. Et la

10 situation dans laquelle nous nous trouvons est une situation dans

11 laquelle, au cours d'un conflit armé international, rappelez-vous

12 Messieurs les Juges, que dans un conflit armé interne à l'exception de

13 l'article commun 3, aucun des autres articles des conventions de Genève ne

14 s'applique. Ici on parle d'un conflit qui s'est internationalisé.

15 C'est-à-dire qu'un Etat étranger a repris les commandes d'une partie au

16 conflit à l'intérieur des frontières de l'Etat souverain de Bosnie-

17 Herzégovine. Cet Etat, tous les Etats ont les mêmes droits, votre Etat,

18 mon Etat et tous les Etats du monde ont les mêmes droits. La question, dès

19 lors, est de savoir quel est le degré de protection que donne le droit

20 international aux personnes qui sont ressortissantes d'un pays et qui se

21 trouvent à l'intérieur de ce pays, qui doivent se montrer loyales à ce

22 pays. Des personnes qui, nonobstant, prennent part à un conflit

23 international armé en liaison avec l'autre partie au conflit. Et je crois

24 que c'est bien là l'idée principale.

25 A l'heure d'aujourd'hui et au regard du droit international tel qu'il se

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1 présente à nous aujourd'hui, ces personnes bénéficient de la protection

2 que leur accorde leur droit interne. Elles jouissent des droits qui leur

3 sont donnés par leur propre constitution, le droit à un procès équitable

4 et que sais-je encore.

5 Je ne sais pas s'il convient de revenir sur ce problème. Nous avons

6 beaucoup parlé de l'application de l'article 3 commun aux conflits armés

7 internationaux, parce que cet article, par sa formulation même, ne

8 s'applique qu'au conflit interne. Mais si cet article est d'application

9 alors ces personnes peuvent jouir des dispositions de cet article, elles

10 n'ont donc plus besoin de la protection de leur propre Etat. Elles sont

11 considérées par la IVe convention de Genève comme étant des personnes

12 protégées. Une protection leur serait accordée quelle que soit leur

13 nationalité, leur Etat d'appartenance.

14 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je crois qu'au bout du compte

15 il faut regarder ce que dit le droit. Et personne ici n'a la prérogative

16 lui permettant de modifier ce droit, de modifier le texte de cette

17 convention. Cette convention peut être critiquée et moi je serai le

18 premier à me lever pour essayer de la critiquer de façon constructive.

19 Mais ici nous avons sous les yeux un document écrit très clair qui doit

20 être appliqué. Ses termes ne sont pas ambigus et ce n'est pas demandé

21 quelque chose d'impossible que de demander qu’une application très stricte

22 de ces termes soit faite.

23 Ce texte reflète très clairement les intentions des parties signataires de

24 la convention et reflète quelle était l’intention qui animait les parties

25 contractantes et les parties qui ont rédigé cette convention. Est-ce que

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1 je vous ai répondu?

2 M. Bennouna: Le seul point que j'ai posé, sans reprendre ce que vous avez

3 déjà dit dans votre intervention avant, c'est le suivant: comment vous

4 appliquez la notion de "protected person" de personne protégée dans le cas

5 d'un conflit internationalisé, d'un conflit à caractère international où

6 les deux parties sont membres d'un même Etat, mais sont deux parties

7 ennemies? Il faut pourtant protéger les civils de la partie adverse? Est-

8 ce que cela veut dire que ces civils, dans ce conflit internationalisé

9 n'ont pas la protection donnée par le droit humanitaire?

10 M. Moran (interprétation): Bien sûr qu'il y a une protection, la

11 protection qui s'applique à toutes les personnes de tous les Etats contre

12 des choses comme les crimes contre l'humanité et le génocide. Peu importe

13 quelle est la nationalité des victimes de ce génocide ou de ce crime

14 contre l'humanité.

15 M. Bennouna: Vous êtes en train de parler des violations graves des

16 conventions de Genève, c'est tout.

17 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge, ils n'ont pas de protection

18 tant qu'on s'en tient à la lettre même du traité.

19 Ce que ces personnes peuvent faire, c'est de cesser d'être citoyennes ou

20 ressortissantes de l'Etat dans lequel elles se trouvent par la procédure

21 de leur choix. Oui.

22 M. Riad (interprétation): Monsieur Moran, vous nous avez parlé de la

23 primauté des décisions de la Cour internationale de justice et peut-être

24 connaissez-vous l'affaire Nottebohm.

25 M. Moran (interprétation): Parfaitement.

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1 M. Riad (interprétation): Tant mieux, vous avez déclaré que la seule issue

2 possible, c'était que les citoyens deviennent citoyens d'un autre pays.

3 M. Moran (interprétation): Ou d'un Etat.

4 M. Riad (interprétation): Soit. Et M. Karabdic de son côté, a déclaré que

5 jusque après la déclaration d'indépendance, la dénationalité de la RSFY ne

6 pouvait pas découler de la nationalité de la RSBH.

7 Cela, c'est quelque chose d'officiel, c'est une nationalité officielle et

8 rappelons-nous maintenant l'affaire Nottebohm dans le cadre de laquelle la

9 notion de liens réels avait été établie, de liens authentiques. Si ces

10 personnes peuvent prouver qu'elles ont un lien authentique avec la RSFY,

11 et ce lien a été défini par la CIJ qui en décrit les composants, parmi

12 lesquels notamment il me semble me souvenir ce sens d'appartenance

13 émotionnelle à l'Etat, sentimentale à l'Etat. Si on a tout cela à

14 l'esprit, est-ce que vous pouvez dire qu'en dépit du fait que la

15 nationalité de la RSFY ne pouvait plus désormais découler de la

16 nationalité de la RSBH, elle pouvait en fait exister sur la base de cette

17 idée du lien authentique et, en ce cas, effectivement, ces personnes

18 n'étaient pas ressortissantes de Bosnie?

19 M. Moran (interprétation): Nous parlons beaucoup d'une date mais je crois

20 que la date clé, c'est le 22 avril…

21 M. Riad (interprétation): Pardon de vous interrompre, j'essaie de

22 renverser votre argument. Vous avez déclaré que les décisions de la CIJ

23 étaient absolument prépondérantes.

24 M. Moran (interprétation): Oui. Après la fondation de la RFY en 1992, tout

25 le monde est d'accord pour dire que la RSFY cesse d'exister. Lorsque la

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1 RSFY cesse d'exister, sa nationalité, elle-même, cesse d'exister.

2 M. Riad (interprétation):Oui et puis il y avait un autre Etat qu'on

3 appelait la Serbie.

4 M. Moran (interprétation): Il y avait un autre Etat.

5 M. Riad (interprétation): Et est-ce qu'il y a un lien?

6 M. Moran (interprétation): Et qu'est-ce que c'est qu'un lien authentique?

7 M. Riad (interprétation): C'est ce que je vous demande.

8 M. Moran (interprétation): Eh bien, moi je dis que si une personne est née

9 dans un Etat, si elle y réside, si elle y vote, si elle y fait ses études,

10 si elle s'y marie et si elle y demeure physiquement et si les proches de

11 cette personne sont également nés dans cet Etat, meurent dans cet Etat,

12 font leurs études dans cet Etat et demeurent présents physiquement dans

13 cet Etat; je crois que c'est, là, quelque chose qui constitue un lien

14 authentique et chacun sera d'accord pour le dire.

15 Vous parlez de l'affaire Nottebohm, Monsieur le Juge. Eh bien, cette

16 affaire était de savoir si c'était bien au Guatemala… Pardon, c'est le

17 Liechtenstein. C'était de savoir si le Liechtenstein pouvait exercer sa

18 protection diplomatique vis-à-vis du Guatemala. Et chacun sait bien que

19 c'est un cas extrêmement peu clair que celui qui s'est présenté dans le

20 cadre de cette affaire.

21 M. Riad (interprétation): Oui, mais moi j'en viens à l'essence de cette

22 affaire, à la notion de lien authentique.

23 M. Moran (interprétation): Mais la Cour ne s'est pas prononcée dessus. Et

24 quoi qu'il en soit, si l'on regarde les documents que, nous, nous avons

25 versés et qui ont trait à chacune des personnes qui sont retenues dans

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1 l'acte d'accusation et qui ont trait, par ailleurs, à tous les témoins qui

2 ont été cités par l'accusation; eh bien, on trouve les certificats de

3 naissance de ces personnes, leur carte d'électeur, etc.

4 Et tous ces témoins sont venus témoigner pour dire qu'ils vivaient sur les

5 lieux. Personne n'a essayé de dire qu'à un moment quelconque ils avaient

6 essayé de se distancier de la nationalité bosnienne. Personne n'a dit

7 qu'ils avaient fait des démarches officielles pour essayer d'y renoncer.

8 De façon très cohérente, ces témoins ont tous dit que même si, parfois ils

9 n'avaient pas voté lors du référendum de 1992, ils auraient pu le faire,

10 l'option leur était proposée.

11 Si l'on regarde tout ce faisceau d'éléments, eh bien, on s'aperçoit que

12 très clairement la Bosnie-Herzégovine avait le droit de concéder sa

13 nationalité à ces personnes lorsque la Bosnie-Herzégovine est devenue un

14 Etat indépendant en 1992.

15 M. Riad (interprétation): Je vous remercie. Je crois que je comprends

16 l'idée générale de votre argumentation, une argumentation puissante.

17 M. le Président (interprétation): Maître Moran, merci.

18 Maître Farrell, vous avez la parole.

19 M. Farrell (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

20 je vais tâcher de rester aussi concis que possible parce que je vois bien

21 que l'heure avance.

22 Il y a un argument que l'accusation souhaiterait avancer d'emblée, non pas

23 pour déformer ce qui a été dit, mais pour dire que certaines des

24 références qui ont été faites aux lois qui prévalaient en Bosnie-

25 Herzégovine et que certaines des interprétations qui ont été faites de ces

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1 lois ne sont pas des choses qui découlent des éléments de preuves versés,

2 Enfin, d'après ce que je comprends, on ferait référence à la loi de la

3 nationalité de 1976, on fait référence à la loi sur la nationalité de

4 Bosnie-Herzégovine en 1977. On fait référence au décret présidentiel daté

5 du 11 avril 1992, décret par lequel plus de 200 lois sont adoptées. Tous

6 ces éléments, à ma connaissance, ne font pas partie du dossier, n'ont pas

7 été versés. Et l'accusation va essayer de s'en tenir aux conclusions

8 factuelles tirées par la Chambre de première instance.

9 Voilà ce que je souhaite faire, je pense avoir bien saisi la situation, si

10 ce n'est pas le cas, vous me le direz.

11 Je voudrais, pour commencer, ne pas aborder la question que nous venons

12 d'évoquer mais la question est de savoir si cette question a été tranchée

13 de toute façon. Et d'après nous, très respectueusement, même si le débat a

14 été très nourri et très intéressant, même s'il s'agit plutôt d'un débat

15 académique et théorique, nous pensons que cette question a été tranchée à

16 la fois dans l'affaire Tadic et l'affaire Aleksovski.

17 Les explications qui sont avancées, du moins l'une d'entre elles,

18 explications qui essaient de justifier qu'il faut réexaminer la question

19 et qu'il n'est pas forcément nécessaire de trancher ce type de question

20 dans les types d'affaires qui nous intéressent. Et mon collègue s'appuie

21 pour affirmer une telle chose sur l'approche qui est généralement celle

22 qui est généralement celle retenue par la common law.

23 Si c'est le cas, je dirai deux choses: la Chambre d'appel dans l'arrêt

24 Tadic devait se pencher sur deux problèmes et… Pardon, je vais

25 m'interrompre.

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1 Monsieur le Juge Hunt, Monsieur le Juge Riad, est-ce que je peux vous

2 demander d'éteindre vos micros? Merci. Parce que cela rend les choses un

3 petit peu plus difficile pour les interprètes et pour moi également.

4 Comme je le disais, l'arrêt de la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic

5 établit un certain nombre de conclusions juridiques sur des questions qui

6 ont surgi mais qui n'ont pas eu de répercussion sur le jugement. Par

7 exemple, une de ces questions était le fait qu'un crime contre l'humanité

8 ne peut pas être commis que pour des raisons purement personnelles. Cela

9 n'a pas eu des conséquences sur le jugement mais, tout de même, il a été

10 considéré que c'était là une question d'importance pour la jurisprudence

11 du Tribunal et qu'il était nécessaire de formuler une telle conclusion.

12 On pourra toujours dire qu'il s'agissait là d'une interprétation erronée

13 ou peu rigoureuse de la loi et qu'on n'a pas à se sentir tenu par ce type

14 de décision, tout simplement parce que cette décision n'avait pas, de

15 toute façon, à être rendue. Mais, ce n'est pas cela qui m'intéresse.

16 Ce qui m'intéresse, c'est la deuxième chose. Au paragraphe 168 de l'arrêt

17 Tadic, il apparaît que si cette décision ou cette question a été évoquée,

18 elle a été évoquée justement parce qu'on se posait la question de savoir

19 si la loi du 6 octobre 1992, portant sur la citoyenneté en Bosnie-

20 Herzégovine, avait pu résulter en le fait que les ressortissants de la RFY

21 avaient la même nationalité que les citoyens de Bosnie-Herzégovine.

22 La question n'est pas de savoir si c'était le cas ou non. La question est

23 de savoir si c'était une possibilité dont la Chambre avait l'impression

24 que c'était quelque chose à propos de quoi elle devait se prononcer.

25 Indépendamment de ce qu'a dit mon éminent collègue de la partie adverse,

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1 ce que nous disons, c'est que les citoyens de la RFY et les citoyens de la

2 Bosnie-Herzégovine étaient des citoyens de la RSFY, et si c'était le cas,

3 il n'y aurait pas eu de différence de citoyenneté puisque tous dépendaient

4 de la RSFY.

5 La Chambre s'est posée cette question, a tâché d'y répondre et a abordé la

6 possibilité que nous avons évoquée aujourd'hui dans Celebici: que faire

7 dans une telle situation? C'est bien la situation que nous avons dressée

8 aujourd'hui. Et d'après nous, la Chambre d'appel a tout à fait tranché la

9 question dans Aleksovski. La Chambre s'est prononcée, la Chambre d'appel

10 dans Celebici doit se reporter à ce qui a été dit par la Chambre d'appel

11 dans l'affaire Aleksovski.

12 La Chambre d'appel dans Aleksovski elle-même s'était tournée vers les

13 arrêts rendus dans l'affaire Tadic. Je n'affirme pas, loin de là, que la

14 Chambre d'appel dans Aleksovski ne s'est pas posée la question en termes

15 très clairs et ne l'a adoptée que parce que c'était quelque chose qui

16 avait été dit par une Chambre d'appel à un stade antérieur. Ce n'est pas

17 du tout ce que j'affirme.

18 Mais pour ce qui est de cette question du conflit international armé, je

19 crois que c'est précisément cette question qui a donné naissance à cet

20 examen du problème du statut des personnes protégées.

21 La convention de Vienne, dans son libellé, stipule que le traité doit être

22 appliqué de bonne foi selon le sens ordinaire donné à cette expression. Et

23 ce sens ordinaire est rendu plus clair par la note suivante, c'est-à-dire

24 selon l'objet et l'objectif et les termes du traité. Donc on ne se

25 contente pas de lire les mots en se fondant sur l'interprétation normale

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1 que l'on donne à ces mots et puis tout s'arrête là. En fait, la démarche

2 plus logique semble consister à trouver un point de départ, à se guider

3 d'emblée par cette règle d'interprétation naturelle, ce qui ne doit pas

4 empêcher de rechercher l'intention réelle des parties contractantes.

5 Comme la Chambre d'appel Tadic l'a dit, si l'on regarde cette décision, la

6 Chambre d'appel en tout cas s'est penchée sur les conventions de Genève de

7 1949. Elle a examiné le lien juridique de la nationalité et dans sa

8 décision au paragraphe 165, elle stipule que le lien de nationalité sur le

9 plan juridique n'est pas considéré comme crucial en 1949.

10 Lorsque nous examinons les interprétations actuelles, contemporaines des

11 conventions de Genève, il n'importe pas de changer la loi comme mon

12 collègue de la défense l'a dit, mais peut-être d'appliquer une loi

13 différente. Le Tribunal a fait remarquer, la Chambre d'appel Tadic l'a

14 constaté également, qu'il y avait des exceptions aux conventions de

15 Genève, par exemple les personnes apatrides et également les civils sur

16 territoires occupés.

17 Manifestement, les civils présents sur un territoire occupé ont la

18 nationalité de la partie sous le contrôle de laquelle elle se trouve. Un

19 bon exemple, ce sont les juifs allemands réfugiés en France.

20 Manifestement, il n'y avait pas intention de déterminer que la nationalité

21 était le seul critère à prendre en compte.

22 Lorsque vous examinez la décision Tadic également, ou plutôt en sus de ce

23 que je viens de dire, il faut reconnaître également que le type de conflit

24 considéré a une influence sur la loi pertinente dans le cadre de la loi

25 des traités et de son interprétation et de la façon dont ces traités

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1 doivent être lus selon le contexte auquel ils s'appliquent.

2 Monsieur le Juge Bennouna, vous avez parlé d'approche théologique il y a

3 quelques instants et dans ce cas je pense que c'est l'objet, l'objectif,

4 la protection des populations civiles au maximum qui est l'objet

5 principal.

6 Je soulignerais que le même type d'interprétation est préconisé par mes

7 collègues de la défense dans des situations où un confit armé

8 international se déroule où à première vue les conventions de Genève

9 s'appliquent, tous les arguments pour se faire existent, où des citoyens

10 ont allégeance vis-à-vis d'un Etat étranger où il y a démantèlement de cet

11 Etat et où des citoyens sont détenus en tant qu'ennemis civils sans

12 application des conventions de Genève parce qu'on n'applique pas une

13 convention à un objet différent de cette convention. A mon avis, il est

14 donc logique de penser le contraire sur la base de l'objet.

15 Je peux répondre à vos questions maintenant.

16 M. le Président (interprétation): Maître Ackerman, je sais que vous aviez

17 quelque chose à dire. Vous pouvez répondre si vous le souhaitez.

18 M. Ackerman (interprétation): Non, pas pour le moment, Monsieur le

19 Président.

20 M. le Président (interprétation): Maître Moran?

21 M. Moran (interprétation): Je n'en aurai que pour quelques instants, après

22 quoi je reprendrai ma place assise.

23 L'interprétation des traités, le libellé des traités est donc considéré

24 comme le premier guide de l'interprétation. Eh bien, le libellé des

25 traités c'est le libellé des traités, c'est l'intention des rédacteurs des

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1 traités qui est importante. Qu'ont-ils voulu écrire et qu'ont-ils écrit?

2 Le Procureur affirme, il nous dit: mais qu'en est-il des citoyens sur un

3 territoire occupé? Il cite l'exemple des juifs allemands, mais il ne parle

4 pas des auteurs des conventions.

5 Il est pensable, il est imaginable que les auteurs des conventions ont

6 pris cela en compte. Je peux vous citer l'article 68 qui stipule qu'un

7 réfugié qui a quitté son Etat avant le début du conflit jouit d'un statut

8 particulier en application de la convention. Les auteurs des conventions

9 de Genève ont bien tenu compte de cet élément.

10 Maintenant, faut-il que le Tribunal international revoit les conventions

11 de Genève? Eh bien, nous avons déjà parlé des arrêts Tadic et Aleksovski

12 qui ont déjà été réexaminés. La première chose que je voudrais dire c'est

13 que la Chambre d'appel a, de fait, est revenue sur un précédent par le

14 passé lorsqu'elle l'a jugé erroné; cela s'est passé au moment de l'appel

15 sur la sentence dans l'affaire Tadic où la Chambre d'appel est revenue sur

16 sa décision sans même prendre la peine de le citer de façon particulière.

17 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce que j'affirme c'est que la

18 loi des traités doit être interprétée comme reposant sur l'intention des

19 parties de l'adopter. Si elle est obsolète, ce Tribunal doit le dire et

20 doit prendre une décision allant dans le sens inverse.

21 Merci.

22 M. le Président (interprétation): Merci. Nous nous retrouvons demain à 10

23 heures.

24 (L'audience est levée à 17 heures 32.)

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