Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 8 juin 2000)

2 (Audience publique)

3 (L'audience, présidée par M. le Juge Hunt, est ouverte à 10 heures.)

4 M. le Président (interprétation): Veuillez appeler l'affaire, s'il vous

5 plaît.

6 Mlle Thomson (interprétation): Affaire IT-96-21-A, le Procureur contre

7 Delalic et consorts.

8 M. le Président (interprétation): Tout d'abord, en ce qui concerne le

9 nombre de personnes qui ont été libérées, si c'est le mot qu'il convient

10 d'appliquer par la demande du Procureur, il ne semble pas qu'il n'y en a

11 pas plus que ce qui est indiqué dans les déclarations de presse. Nous

12 n'avons pas d'information qui nous permette de dire qu'il y en avait plus

13 de quatorze. J'ai vérifié toutes les écritures à ce sujet, il n'y a rien

14 de supplémentaire sur ce sujet.

15 Ce nombre de seize me paraît être soit une erreur, soit quelque chose qui

16 est dénué de tout fondement.

17 M. Staker (interprétation): Je peux vous expliquer ce qu'il en est. Je

18 crois qu'il y a un malentendu parce qu'il y avait onze noms sur l'acte

19 d'accusation Omarska, cinq sur celui de Keraterm. Donc, onze et cinq, cela

20 nous fait seize. Mais, en fait, il y avait deux accusés qui figuraient sur

21 les deux actes d'accusation. On les a comptés deux fois, cela nous donne

22 seize.

23 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.

24 M. Staker (interprétation): Et si vous me permettez, parce que la question

25 a été posée par M. le Juge Riad hier, il a demandé s'il y avait d'autres

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1 actes d'accusation retirés contre des accusés après que ceux-ci aient été

2 arrêtés.

3 Et j'ai été informé qu'il y a un acte d'accusation qui a été retiré dans

4 l'affaire Kupreskic contre Marinko Katava, donc, acte d'accusation retiré

5 contre cette personne après son arrestation. Et la raison pour laquelle

6 l'acte d'accusation a été retiré n'était pas du tout la même que pour les

7 quatorze autres accusés: il s'agissait d'insuffisance d'éléments de

8 preuve.

9 Il y a une autre question qui a été posée par le Juge Riad, c'est le

10 nombre de Musulmans de Bosnie qui ont été mis en accusation par le

11 Tribunal. Et on m'a fait savoir, qu'à ce stade, les seuls Musulmans de

12 Bosnie qui ont été mis en accusation publiquement, ce sont ceux qui sont

13 accusés en l'espèce.

14 M. le Président (interprétation): Merci. Avant que nous ne poursuivions,

15 nous sommes conscients qu'un certain nombre de conseils, aussi bien du

16 côté de l'accusation que de la défense, donnent lecture d'arguments qu'ils

17 ont déjà présentés par écrit.

18 Or, nous avons essayé de faire comprendre très clairement que vous devez

19 partir du principe que nous avons lu vos mémoires écrits et que, nous

20 n'avons donc pas besoin que vous nous en donniez de nouveau lecture.

21 Madame Sinatra, nous en arrivons maintenant au motif d'atténuation de la

22 responsabilité.

23 Mme Sinatra (interprétation): Oui. Bonjour, Messieurs les Juges. Eh bien,

24 il va peut-être falloir que je réduise considérablement ce que j'avais

25 l'intention de vous dire ce matin. Je comprends vos préoccupations, je ne

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1 sais pas si je me répète, mais je souhaitais vous signaler un certain

2 nombre de points qui entraînent une certaine confusion dans cette affaire

3 et je voulais donc citer un certain nombre de paragraphes dans le

4 jugement.

5 Pour que nous allions le plus rapidement possible et que les choses soient

6 claires, je souhaitais placer cela sur le rétroprojecteur.

7 M. le Président (interprétation): Oui, mais pas si cela nous prend plus de

8 temps. Nous avons accès aux documents écrits, nous n'avons pas besoin

9 qu'on nous en donne lecture.

10 Il m'est impossible de m'exprimer plus clairement, Madame Sinatra, et si

11 vous me permettez de le dire, si en regardant votre mémoire écrit, hier,

12 je crois que vous n'avez rien à ajouter dans votre intervention orale à ce

13 sujet.

14 S'il vous plaît, ne nous faites part que de ce que vous souhaitez ajouter

15 à votre mémoire écrit.

16 Mme Sinatra (interprétation): Oui. Mais je suis un petit peu… Je trouve

17 regrettable que l'on en arrive à cette modification de la procédure, le

18 jeudi de cette semaine.

19 M. le Président (interprétation): Ce n'est pas une modification de la

20 procédure. On a dit dès le début que vous ne deviez pas donner lecture de

21 vos mémoires écrits.

22 Mme Sinatra (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, je m'en souviens.

23 Eh bien, à ce moment-là, il y a trois sujets que je souhaite aborder et je

24 souhaiterais remercier M. Staker qui m'a fourni hier un article dont je

25 suis sûre qu'il va communiquer des exemplaires à la Chambre d'appel dans

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1 quelques instants.

2 C'est tiré de "l'American Journal of International Law", une revue

3 américaine sur le droit international. Et comme vous pouvez le voir ici,

4 on pose la même question que celle que Landzo posait à cette Chambre.

5 Si on examine ce document, on voit qu'il y a eu une erreur fondamentale

6 parce que M. Landzo a été forcé de présenter une défense positive, une

7 défense sans connaître les tenants et les aboutissants de ce qui se

8 passait.

9 Et quand les conséquences sont aussi graves qu'ici, il faut que les règles

10 du jeu soient connues de tous, et c'est pourquoi vous avez d'énormes

11 objectifs qui sont connus de tous avant le début du procès. De cette

12 façon, les conseils, les accusés connaissent exactement de quoi il

13 retourne.

14 Les conseils connaissent la charge de la preuve, les accusés savent de

15 quoi ils répondent. Mais ce qui est encore plus important, c'est que les

16 juges rendent leur décision sur la base de normes de droit objectives.

17 Lors de la conférence de mise en état, le Juge Hunt m'a posé une question

18 qui va revenir sans cesse aujourd'hui. Lorsqu'on est en Angleterre, en

19 Australie ou ailleurs, dans tous les pays où on accepte la notion de

20 responsabilité atténuée, sur la base de la loi sur l'homicide de 1957, à

21 ce moment-là, est-ce que cela constitue des circonstances atténuantes à la

22 sanction?

23 Ce Tribunal accepte la définition de la Chambre de première instance

24 d'homicide intentionnel et de meurtre, de meurtre et d'assassinat.

25 L'article 2 requiert que l'état mental de l'accusé soit prouvé. L'article

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1 3, "meurtre" stipule également que l'état mental de l'accusé, son

2 intention délictueuse soit prouvée par l'accusation.

3 Donc, tout ceci a un lien tout à fait direct avec l'état mental de

4 l'accusé. Et dans la plupart des systèmes juridiques, si quelqu'un est

5 déclaré aliéné mental, il est acquitté.

6 Je souhaite dire très clairement que je ne dis pas ici que M. Landzo a

7 affirmé, à aucun moment, que c'était son cas. Mais je pense qu'il y a un

8 seuil qu'il faut définir, à partir duquel on peut soit avoir des

9 circonstances atténuantes et même aller jusqu'à l'acquittement.

10 On parle donc d'homicide intentionnel délibéré avec toutes les facultés

11 mentales, jusqu'à l'instabilité mentale totale. Le problème, c'est que

12 nous n'avions aucune définition sur la base de laquelle travailler, nous

13 ne savions pas ce qu'il était nécessaire de prouver ou non.

14 Si on estime qu'il y a des troubles mentaux suffisants, à ce moment-là, il

15 faut acquitter l'accusé. Mais si l'atténuation de la responsabilité

16 mentale est légère, à ce moment-là, il y a circonstances atténuantes. Mais

17 si vous avez décidé qu'il y avait atténuation de sa responsabilité, à ce

18 moment-là, il faut savoir à partir de quel moment on décide qu’il y a

19 atténuation de la responsabilité. On ne l'a jamais su dans cette affaire.

20 L'appelant est prêt à accepter l'explication de la Chambre de première

21 instance, au paragraphe qui figure, 1164, où elle stipule que l'article 57

22 semble suggérer une défense complète, puisque ce genre de moyen n'est

23 assorti d'aucune restriction ou limitation.

24 Et dans quelques instants, M. Staker va vous dire que le Statut de la Cour

25 pénale internationale, à l'article 3.1, est sans limite également, sans

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1 restriction. Donc, c'est un moyen de défense totale.

2 M. le Président (interprétation): Cette disposition du Statut de la Cour

3 pénale internationale n'a absolument rien à voir avec l'atténuation

4 mentale. Il s'agit de destruction et non pas de réduction.

5 Mme Sinatra (interprétation): Oui, en effet, on parle de destruction, de

6 détruire.

7 M. le Président (interprétation): Oui, mais cela revient au même que la

8 folie.

9 Mme Sinatra (interprétation): Mais on peut y lire: "Cela détruit ou

10 anéantit la capacité personnelle d'apprécier le caractère légal de sa

11 propre conduite" (fin de citation). Vous avez raison. En effet, on dirait

12 qu'ici, il s'agit d'un moyen de défense de folie.

13 Notre argument, c'est que puisque l'article 67 n'apporte aucune

14 restriction, il peut y avoir moyen de défense totale. Nous ne voulons pas

15 que vous disiez qu'il faut que ce soit un moyen de défense totale à

16 l'avenir. Pas du tout. Mais nous, nous disons qu'il y a une erreur

17 fondamentale qui a été commise en l'espèce parce que nous avons été forcés

18 de présenter une défense proactive sans connaître les paramètres qui

19 entraient en jeu.

20 Le seul endroit dans le Statut où l'on mentionne cela, c'est l'article 67.

21 M. le Président (interprétation): Oui, mais, justement, dans votre

22 mémoire, vous dites que le Statut du Tribunal pénal international dit que

23 si ce moyen de défense est considéré comme valable, à ce moment-là, cela a

24 une influence sur la culpabilité ou l’innocence de la personne concernée.

25 Où avez-vous trouvé cela dans le Statut?

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1 Mme Sinatra (interprétation): Il n'y a pas de définition, donc je pense

2 qu'il faut tirer les conclusions du fait qu'il n'y a aucune restriction

3 qui soit placée à ce moyen de défense.

4 Il n'y a pas de définition qui figure dans le Statut et c'est à la Chambre

5 d'en fixer une. Et même si vous fixez une définition maintenant, il y a eu

6 une erreur fondamentale au niveau du procès, parce que nous avons été

7 forcés de mener notre stratégie de défense sans aucun critère sur lequel

8 nous orienter.

9 A moins que vous n'estimiez qu'il faille prendre en compte ce qu'a dit le

10 Juge Karibi-Whyte, au sujet de la loi d'homicide de 1957. Aucune

11 ordonnance n'a été rendue à ce sujet, aucune décision. Et quand, nous,

12 nous avons été obligés de marcher un peu à l'aveuglette, de voir s'il y

13 avait quoi que ce soit dans notre stratégie de défense qui pouvait

14 marcher, mais ce n'est pas une stratégie qui permet de défendre les droits

15 de l'accusé. J'espère que j'ai répondu à votre question.

16 M. le Président (interprétation): Je vous comprends. Il va bientôt bien

17 falloir qu'à un moment donné, vous parliez non pas de circonstances

18 atténuantes, mais de savoir si on parle ici d'un véritable moyen de

19 défense.

20 Mme Sinatra (interprétation): La Chambre a traité cela comme un véritable

21 moyen de défense.

22 M. le Président (interprétation): Non. C'est ce qu'on a décidé. C'est que

23 ce n'était pas un moyen de défense, mais que cela entrait en compte

24 uniquement au niveau des circonstances atténuantes. Je l'ai indiqué lors

25 de la conférence de mise en état. Vous n'en parlez pourtant pas dans votre

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1 mémoire écrit et j'aimerais bien que vous répondiez à cette préoccupation.

2 Mme Sinatra (interprétation): A ce stade du processus en appel, je ne

3 crois pas que les dispositions du nullem crimen sine lege ou de

4 l'application de la loi ex post facto après les faits changent quoi que ce

5 soit à votre conclusion, à la définition que vous pouvez donner.

6 L'article 67 stipule que c'est un moyen de défense. Il est exigé que je

7 dépose un acte indiquant que j'invoquais ce moyen de défense, c'est ce que

8 j'ai fait dans les délais prévus. Nous avons donc… Nous sommes partis du

9 principe que la Chambre estimait qu'il s'agissait d'un véritable moyen de

10 défense.

11 Si votre Chambre décide aujourd'hui qu'il ne s'agit pas d'un moyen de

12 défense, à ce moment-là, vous revenez sur ce qui a été accepté au niveau

13 de la Chambre de première instance.

14 M. le Président (interprétation): Non, si la Chambre de première instance

15 s'est trompée en acceptant votre argument, selon lequel il s'agit d'un

16 moyen de défense, à ce moment-là, cela n'a jamais été un moyen de défense.

17 Le problème, c'est celui de la possibilité pour les juges de décider que

18 quelque chose est, oui ou non, un moyen de défense. Or, nous estimons que

19 ce n'est pas le cas. Ils n'ont pas le droit de prendre des dispositions

20 pour un acte criminel affirmatif.

21 Mme Sinatra (interprétation): Est-ce qu'il n'aurait pas été plus

22 approprié, lorsque j'ai fait venir tous mes témoins experts et lorsque

23 j'ai parlé de cela pour la première fois, en 1997, que l'on convoque une

24 séance plénière et que l'on prenne une décision à ce sujet, que l'on

25 prenne une, que l'on définisse le concept?

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1 M. le Président (interprétation): La plénière n'a pas de pouvoir de

2 définir ce genre de chose. Le Règlement parle du moyen de défense d'alibi,

3 mais, vous, vous n’avancez pas qu'il s'agit là d'un moyen de défense,

4 n'est-ce pas?

5 Mme Sinatra (interprétation): Non.

6 M. le Président (interprétation): C'est une utilisation très, très souple,

7 permissive, du terme qui est utilisé partout dans le monde, mais ce n'est

8 pas un moyen de défense, n'est-ce pas? Dans ce Règlement, on parle du

9 moyen de défense d'alibi et pourtant ce n'est pas une défense, n'est-ce

10 pas?

11 Mme Sinatra (interprétation): Non, c'est un élément qui doit être, en

12 effet, prouvé par l'accusation. Mais au B, on nous dit qu'il y a un moyen

13 de défense particulier. A "A", on parle de la défense d'alibi, en

14 stipulant qu'il faut que la défense doit signaler son intention d’évoquer

15 cette défense.

16 Mais au point B de l'article 67, il s'agit d'une défense proactive, un

17 moyen de défense spéciale. Et nous sommes donc partis sur la base de cet

18 article.

19 Si cela n'avait pas été le cas, si on nous avait dit le contraire, eh bien

20 nous nous serions comportés différemment.

21 Je peux poursuivre, s'il vous plaît?

22 Dans le prétoire, tout le monde était un peu perdu et on peut le voir

23 d'ailleurs dans le jugement. Au paragraphe 1159, la Chambre de première

24 instance dit que la défense d'Esad Landzo a reproché à la Chambre de

25 première instance de ne pas avoir fixé le critère juridique applicable. La

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1 défense…

2 Mais ce qui figure ici n'est pas vrai.

3 Le 18 juin 1998, la Chambre a délivré une ordonnance au sujet de la charge

4 de la preuve. Au paragraphe 1160, un nouvel exemple de confusion. Et je

5 crois que cela montre que la Chambre ne comprenait pas exactement ce que

6 nous demandions.

7 Au paragraphe 1160, la Chambre de première instance n'a pas indiqué quels

8 étaient les éléments de preuve.

9 M. le Président (interprétation): Madame Sinatra, tout ceci figure dans

10 votre mémoire.

11 Mme Sinatra (interprétation): Je vous prie de m'excuser, mais je vous

12 invite à vous pencher sur la question de la confusion. Je ne pense pas que

13 ceci figure dans le mémoire écrit. Lorsqu'il a été dit que la Chambre de

14 première instance est arrivée à une conclusion, et elle a estimé que les

15 exigences du moyen de défense de l'atténuation de la responsabilité

16 mentale n'ont pas été respectées, mais nous, nous avions le droit de

17 savoir sur quels critères il fallait répondre.

18 Si vous estimez qu'il y a eu erreur sur le droit, dans le jugement, au

19 point III romain, nous vous demandons de vous pencher sur les paragraphes

20 402 à 413 qui parlent des principes fondamentaux de la certitude et sur la

21 façon dont la Chambre estime que les choses auraient dû se passer. Et les

22 principes sur lesquels nous nous sommes reposés, c'est celui de nullem

23 crimen sine lege ex post facto et l'absence d'ambiguïté dans les textes

24 juridiques sur lesquels on s'appuie.

25 Le refus de donner à l'appelant les critères juridiques et les paramètres

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1 juridiques de sa défense, préférant les construire après le procès, est

2 pour moi une indication du fait que la Chambre de première instance n'a

3 pas mené à bien son obligation de remplir les obligations juridiques et

4 légales qui sont les siennes. Mais je sais qu'il y a dans cette affaire

5 quelque chose dont vous pensez qu'on ne peut pas dire qu'il s'agit d'une

6 erreur fondamentale.

7 Le Juge Hunt a demandé quelle était la loi qui était d'application. Il y a

8 dans un article du "American Legal Journal", que M. Staker va lire tout à

9 l'heure, des éléments qui pourront essayer de répondre à cette question

10 que vous vous posez.

11 Il y a un certain nombre de questions dont nous pensons, nous, qu'elles ne

12 font pas sens, et notamment si vous acceptez la loi sur l'homicide qui a

13 été votée en Angleterre en 1957.

14 Nous, nous sommes vraiment confrontés à ce qui est pour nous une énigme et

15 nous la soumettons à la Chambre d'appel. Je ne vais pas vous lire cette

16 loi sur l'homicide de 1957, vous l'avez sous les yeux, mais elle semble

17 bien être la loi invoquée le plus fréquemment lorsque le moyen de défense

18 de responsabilité mentale atténuée est invoqué.

19 On m'a fait passer des textes de lois sur lesquels l'accusation,

20 apparemment, semble vouloir s'appuyer, des exemples de lois qui sont en

21 vigueur dans certains pays et qui peuvent, apparemment, soutenir les

22 arguments avancés par l'accusation. Très bien, nous n'avons pas

23 d'objection à cela.

24 Mais nous, notre argument est qu'il y a eu violation des droits de M.

25 Landzo parce que nous n'avons pas eu une définition de ce qu'était la

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1 responsabilité mentale atténuée avant d'avoir à présenter notre

2 argumentation. Nous avons fonctionné dans le vide.

3 Je vais en venir maintenant aux erreurs factuelles qui ont été commises

4 dans l'affaire, et bien sûr vous savez quel a été le critère dit de la

5 raison qui a été appliqué dans l'arrêt Tadic selon lequel aucun juge

6 raisonnable n'aurait pu atteindre telle ou telle conclusion. Et si vous me

7 donnez dix minutes, je voudrais vous diffuser une bande vidéo qui illustre

8 mon propos.

9 M. le Président (interprétation): Le problème, Maître Sinatra, est le

10 suivant. Aucune opinion d'expert n'est pertinente en la matière, à moins

11 que les fondements factuels sur lesquels repose cette opinion aient été

12 établis. C'est du droit fondamental. Et la Chambre de première instance a

13 indiqué qu'elle n'avait pas été convaincue par vous-même que cette base

14 factuelle avait été établie.

15 Mme Sinatra (interprétation): Mais sur quels paramètres?

16 M. le Président (interprétation): La Chambre de première instance a dit

17 qu'elle n'acceptait pas les éléments de preuve soumis par votre client

18 pour démontrer certaines choses. Alors cela étant, la situation, il ne

19 s'agit pas maintenant de choisir tel ou tel expert.

20 La Chambre de première instance n'a jamais dit qu'elle allait accepter les

21 experts de l'accusation plutôt que vos experts. Elle a simplement déclaré

22 que vos experts et les opinions de vos experts reposaient sur un certain

23 nombre de faits, et ils ont estimé que vous n'aviez pas réussi à démontrer

24 que ces faits étaient avérés, étaient exacts.

25 Mme Sinatra (interprétation): Je comprends ce qui vous préoccupe, Monsieur

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1 le Juge, et je voudrais indiquer à l'intention de la Chambre d'appel que

2 la Chambre de première instance, en décidant de la sorte, s'est trompée

3 parce que chacun de ces témoins experts a spécifié qu'il ne s'appuyait pas

4 sur la véracité des déclarations de M. Landzo. Ils ont bien dit qu'ils

5 étaient des experts formés dans un certain domaine d'expertise, et ce sont

6 des experts qui sont formés à déceler si quelqu'un dit, oui ou non, la

7 vérité.

8 Il y a des tests psychologiques qui sont appliqués pour déterminer une

9 telle chose, qui couvrent toutes les différences éthniques que vous

10 voudrez, qui n'ont rien à voir avec cela et qui permettent en toute

11 certitude de savoir si la personne qui s'exprime dit ou non la vérité.

12 M. le Président (interprétation): Pourriez-vous, s'il vous plaît, nous

13 présenter alors vos arguments relatifs à cette question particulière?

14 Parce que, d'après moi, ce qu'ont pu dire les témoins experts n'a aucune

15 pertinence, à moins que la base factuelle ait été avérée et prouvée.

16 Mme Sinatra (interprétation): Mais nous en revenons à l'argument de

17 l'erreur fondamentale. Comment est-ce qu'il y a pu y avoir établissement

18 du contexte factuel si nous ne savions pas ce que nous avions à prouver?

19 M. le Président (interprétation): Poursuivons, s'il vous plaît.

20 Mme Sinatra (interprétation): Donc vous refusez que je diffuse la séquence

21 vidéo?

22 M. le Président (interprétation): Je ne vois pas en quoi cela va pouvoir

23 nous aider.

24 Mme Sinatra (interprétation): Merci.

25 M. Bennouna: Maître Sinatra, sur ce point, vous nous dites ceci: vous ne

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1 saviez pas quel était le critère appliqué en ce qui concerne ce que la

2 Cour pénale internationale a appelé "les motifs d'exonération de la

3 responsabilité pénale". Or, vous savez bien que, devant un tribunal

4 international, vous avez ce qu'on peut appeler un principe général de

5 droit, c'est-à-dire des principes qui sont communs, qui se partagent, que

6 se partagent l'ensemble des systèmes juridiques et qui sont tirés par le

7 juge à partir de l'analyse des grands systèmes juridiques dans le monde.

8 C'est d'ailleurs comme cela que la Cour pénale internationale a procédé,

9 ou les rédacteurs ont procédé pour faire ces principes généraux qui sont

10 dans le Statut.

11 Ces principes généraux, vous deviez les connaître, vous-même, avant de

12 présenter vos éléments de preuve. Cela n'opère pas tout de même dans un

13 vide juridique, un Tribunal international. C'est cela, la question.

14 Mme Sinatra (interprétation): C'est parfaitement exact, c'est parfaitement

15 exact, Monsieur le Juge. Nous ne fonctionnons pas dans un vide juridique.

16 Et avant que nous ne commencions la présentation des éléments de preuve à

17 décharge, j'ai montré quels étaient les éléments qui existaient sur cette

18 question de la responsabilité atténuée dans nombre de pays: l'Italie,

19 l'ex-Yougoslavie, les Barbade, d'un certain nombre de systèmes juridiques

20 de common law et de droit civiliste.

21 Je demandais à la Chambre de première instance de nous donner la

22 définition qu'ils souhaitaient nous voir appliquer, quels étaient les

23 éléments qu'ils souhaitaient nous voir prouver. Et si je me tourne vers le

24 droit international, eh bien, je m'aperçois qu'aucune décision n'a été

25 rendue sur ce problème.

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1 Je suis d'accord, je vais répondre au Juge Hunt sur ce point. Je suis

2 d'accord pour dire que, dans la plupart des juridictions, à moins qu'un

3 certain seuil ne soit atteint, il y a application d'atténuation de

4 circonstances. Mais les juges ne nous ont pas guidés, ne nous ont pas dit

5 quelle était la loi d'application à ce stade. Donc moi, j'ai dû essayé de

6 chercher ce que je pouvais faire, j'ai dû proposer des choses dont je ne

7 savais pas quel accueil allait être réservé.

8 Est-ce que je réponds à votre question, Monsieur le Juge?

9 M. Bennouna: Merci, Madame.

10 Mme Sinatra (interprétation): C'est moi qui vous remercie. Pour en revenir

11 à ce que disait M. le Juge Hunt, qui me demandait d'être un petit peu plus

12 précise...

13 M. le Président (interprétation): C'était une suggestion, Maître Sinatra.

14 Mme Sinatra (interprétation): Eh bien, je tiens bon compte de votre

15 question, Monsieur le Juge.

16 Le fait que la Chambre de première instance a déclaré qu'il n'y avait pas

17 assez d'éléments de preuve permettant d'atteindre tel ou tel seuil qui n'a

18 pas été défini, la Chambre de première instance a également dit que,

19 quelles que soient les conclusions des témoins experts, que ces éléments

20 de preuve ne permettraient pas de satisfaire le critère de la

21 responsabilité mentale atténuée parce que de, toute façon, la Chambre de

22 première instance ne croyait pas l'accusé.

23 Je vous réfère à ce qu'a dit le professeur Lagazzi, le docteur Miroslav

24 Goreta de Zagreb en Croatie. Je vous renvoie à ce qu'a dit le professeur

25 Edward Grippon des Etats-Unis. Je vous renvoie à ce qu'a dit le professeur

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1 A.M.H. Van Leeuwen, un expert néerlandais.

2 Trois de ces experts ont été engagés par le Tribunal au nom de

3 l'accusation. Ils ont tous établi la même conclusion. Ils ont dit que,

4 s'ils savaient la vérité sur ce qui s'était produit dans le camp de

5 Celebici en 1992, certes, ils pourraient poser un diagnostic plus précis,

6 mais le critère qu'ils ont appliqué, c'est un critère de probabilité

7 psychiatrique médico-légale.

8 Et quand on regarde ce problème de la probabilité psychiatrique médico-

9 légale et que l'on établit un lien entre cela et le contexte dans lequel

10 évoluait M. Landzo, en 1992, eh bien, on s'aperçoit que tous les experts –

11 excepté le professeur Sparr– établissaient la même conclusion. A savoir

12 que M. Landzo souffrait d'une diminution de sa capacité mentale dans le

13 courant de l'été 1992.

14 Je sais qu'il y a beaucoup de questions qui se posent. Cet article que

15 j'ai entre les mains nous explique que les experts en sont arrivés à des

16 conclusions qui ne sont pas concordantes. Et je ne suis pas d'accord.

17 Je vous invite, Messieurs les Juges de la Chambre d'appel, à regarder la

18 pièce de la défense D82.4. La pièce de la défense D82.4 est en fait un

19 tableau. Il y a un certain nombre de critères internationaux qui

20 permettent de définir les handicaps mentaux. Le critère américain est le

21 critère appelé DSM-IV, c'est le critère qui est d'application aux Etats-

22 Unis et ce sont des critères que tous les experts que j'ai cités

23 connaissent bien.

24 Mais le critère le plus reconnu, à l'heure actuelle, est celui qui a été

25 défini par l'OMS. C'est donc un critère international qui s'applique. Et

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1 si la Chambre doit, à l'avenir, utiliser un critère particulier, elle

2 devrait utiliser le critère ICD-IV qui est le critère international

3 maintenant en vigueur.

4 Tous ces critères ne regardent pas, ne se posent pas la question des

5 différences culturelles, des différences ethniques qui peuvent exister au

6 sein d'un même pays.

7 Ce qui s'est donc passé, c'est que certains psychiatres ont établi des

8 diagnostics qui différaient quelque peu mais, si vous regardez la pièce

9 D82.4 de la défense, vous vous apercevrez tout de même que ces diagnostics

10 reposent sur les mêmes fondements. Ils disent, en fait, tous la même

11 chose. Simplement, la formulation, la terminologie diffère quelque peu,

12 mais on parle bien du même trouble de la personnalité.

13 Je pensais que l'une de vos questions, Messieurs les Juges, serait la

14 suivante: "Pourquoi pensez-vous qu'un trouble mental tel que celui-ci,

15 qu'un trouble de la personnalité tel que celui-ci équivaudrait à

16 anormalité du fonctionnement mental, quelle que soit la définition que

17 l'on adopte en fin de compte?"

18 Il ne s'agit pas seulement, ici, d'un trouble de la personnalité. On parle

19 d'un trouble de la personnalité dont le diagnostic a été établi par

20 l'ensemble des experts. Les experts de l'accusation l'ont appelé "trait de

21 personnalité anormale" et ils ont parlé également du fait qu'il était à

22 mettre en relation avec le critère PTSD qui est un trouble de

23 l'ajustement.

24 Bien, tous les experts dont j'ai parlé, les trois experts ont déclaré

25 qu'effectivement il y avait manifestation du symptôme PTSD. Le docteur Van

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1 Leeuwen, le docteur Sparr l'ont appelé "trouble de l'ajustement", mais la

2 seule différence entre le PTSD et le "trouble de l'ajustement", c'est la

3 durée pendant laquelle le symptôme se manifeste.

4 Il faut absolument que vous vous aperceviez que, même si la Chambre n'a

5 pas accepté des éléments de preuve qui étaient versés par les psychiatres,

6 elle a eu tort de ne pas les accepter, ces éléments de preuve parce qu'en

7 fait, tous ces éléments de preuve allaient dans le même sens. Simplement,

8 les termes linguistiques choisis différaient quelque peu.

9 En fait, l'idée générale, c'est qu'il y avait anormalité du fonctionnement

10 mental de la personne concernée et les paramètres utilisés par ces experts

11 psychiatres médico-légales étaient les mêmes. Ils ont d'abord essayé de

12 savoir quelle était la capacité mentale de M. Landzo et ensuite, ils ont

13 essayé d'établir un lien entre son état mental et la question de la

14 responsabilité mentale de M. Landzo dans le cadre du droit pénal.

15 Ils en sont arrivés à la conclusion selon laquelle M. Landzo souffrait

16 d'une responsabilité mentale atténuée sur la base des fondements

17 juridiques que, moi, je leur ai fournie.

18 Et je répète que la Chambre de première instance, elle, s'est contentée

19 systématiquement d'invoquer la loi sur l'homicide de 1957.

20 Je pense donc que la Chambre de première instance en est arrivée à une

21 conclusion erronée lorsqu'elle a déclaré qu'ils n'allaient pas accepter

22 les éléments de preuve versés par les témoins experts.

23 Si vous regardez le compte rendu, vous vous apercevez que chacun des

24 experts explique que ce sont là des gens formés, qui savent déceler si une

25 personne ment ou pas. Les tests psychologiques permettent de déceler le

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1 mensonge, les questions qui font partie de ces tests permettent d'aller

2 bien au-delà de cette question du mensonge et de tout mettre au clair.

3 Et moi, je crois que l'appelant a pu prouver qu'il souffrait d'un état

4 mental de responsabilité atténuée en 1992. Comme l'a dit Me Ackerman, les

5 procès qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale ont été critiqués parce

6 qu'on leur a reproché de faire en sorte que la loi soit conforme aux

7 faits.

8 Eh bien, il ne faut pas permettre à la Chambre de première instance, dans

9 cette affaire, de procéder de la même sorte.

10 Avez-vous des questions?

11 M. le Président (interprétation): Eh bien, non, pas pour le moment. Je

12 vous remercie, Maître. En avez-vous terminé sur ces deux questions, sur

13 ces deux motifs d'appel?

14 Mme Sinatra (interprétation): Oui. J'ai parlé du critère légal et du

15 critère factuel.

16 M. le Président (interprétation): Alors, j'aurais une question. Dans votre

17 réponse, au paragraphe 4.32, dans votre mémoire vous demandez à

18 l'accusation pourquoi elle s'appuie sur certains témoignages selon

19 lesquels votre client, M. Landzo, a pris plaisir à certains des actes

20 qu'il a perpétrés.

21 Vous affirmez, vous, que toute affirmation allant dans ce sens est

22 parfaitement erronée.

23 Mme Sinatra (interprétation): Eh bien, je retire cela, Monsieur le Juge,

24 parce que je ne sais pas si c'était faux ou pas.

25 M. le Président (interprétation): C'est bien ce que j'allais vous

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1 demander, parce que les docteurs experts ont bien dit que c'était ce que

2 votre client, lui, avait dit.

3 Mme Sinatra (interprétation): Eh bien, si c'est quelque chose qui apparaît

4 dans notre mémoire, je le retire. Je ne sais pas ce qu'a dit mon client au

5 psychiatre, je n'étais pas présente. Et si le psychiatre a dit que M.

6 Landzo l'avait dit, alors il doit bien en être ainsi.

7 M. le Président (interprétation): Il revenait à la Chambre de première

8 instance de se décider pour savoir si elle allait l'accepter ou pas,

9 n'est-ce pas?

10 Mme Sinatra (interprétation): Oui.

11 M. le Président (interprétation): Donc, votre suggestion qu'il puisse y

12 avoir eu une violation intentionnelle des lois de l'éthique de la part de

13 l'accusation est retirée, n'est-ce pas?

14 Mme Sinatra (interprétation): Je ne vous ai pas compris.

15 M. le Président (interprétation): Eh bien, relisez votre paragraphe 5.32

16 de votre mémoire.

17 Mme Sinatra (interprétation): Je le ferai. Je ne l'ai pas sous les yeux en

18 ce moment.

19 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

20 Je me tourne vers l'accusation, Maître Staker. Et je réitère ce que j'ai

21 dit tout à l'heure. Il ne saurait être question de vous voir lire des

22 choses que vous avez déjà écrites et que nous avons déjà lues.

23 M. Staker (interprétation): Je tiens bon compte de ce que vous avez dit.

24 Merci, Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

25 J'en viendrais tout d'abord à l'examen du motif d'appel qui repose sur le

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1 fait de ne pas avoir pu définir le moyen de défense de la responsabilité

2 mentale atténuée à l'avance.

3 Nous, ce que nous répondons, c'est qu'il n'est pas dans la pratique des

4 tribunaux de donner des conseils sur certains aspects du droit avant que

5 le procès commence. Maître Sinatra ne nous a donné aucun exemple de

6 situation où de tels conseils auraient été émis. Nous n'excluons pas la

7 possibilité qu'il pourrait être, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire

8 de la Chambre de première instance, d'adopter ce type de procédure, si

9 elle souhaitait le faire.

10 Mais ce serait là quelque chose qui reposerait entièrement sur la décision

11 de la Chambre de première instance et que la Chambre d'appel, au niveau de

12 l'appel, intervienne sur le critère d'examen à adopter. Là, il y aurait

13 abus de pouvoir discrétionnaire.

14 Etant donné qu'il n'est pas dans la pratique habituelle des tribunaux

15 d'adopter une telle procédure, nous, nous souhaitons qu'il y ait des

16 circonstances relativement exceptionnelles qui supposent une intervention

17 de la Chambre d'appel, dès lors que l'on a une situation où cette

18 procédure n'est pas adoptée.

19 Nous, nous disons qu'il n'y a pas eu abus de pouvoir discrétionnaire en

20 l'espèce. Le simple fait qu'il y ait un certain degré d’incertitude dans

21 le droit ne fait pas que ce droit, ne fait pas, pardon, ne signifie pas

22 qu'il est injuste d'adopter cette procédure.

23 Il est normal que les Chambres de première instance attendent de se voir

24 soumettre les éléments de preuve afin de pouvoir analyser. Ces éléments de

25 preuve leur servent à définir les critères légaux qui doivent s'appliquer,

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1 plutôt que de définir ces critères légaux dans l'abstraction la plus

2 totale.

3 La Chambre de première instance ne pouvait se prononcer en toute certitude

4 sur le droit applicable de toute façon, parce que, quelle qu’aurait été sa

5 décision, elle aurait été soumise à modification à un niveau de l'appel

6 après que le jugement ait été rendu.

7 Nous faisons également état, dans notre mémoire, du fait que le critère

8 d'examen basé sur l'abus de pouvoir discrétionnaire suppose qu'on fasse la

9 démonstration qu'il y a eu préjudice à l'égard de l'appelant. Nous disons

10 que cela n'a pas été démontré. Aucun élément, aucun argument juridique n'a

11 été avancé par l'appelant, élément de preuve qu'il n'aurait pas soumis à

12 la Chambre de première instance et qui aurait pu se révéler pertinent.

13 Maître Sinatra, je le reconnais, a bien précisé qu'elle avait fait de son

14 mieux, qu'elle avait essayé de prendre tous les arguments auxquels elle

15 avait pensé pour les soumettre à la Chambre de première instance, parce

16 qu'elle avait l'impression de ne pas avoir pu bénéficier de paramètres

17 très clairs.

18 Mais nous, nous soumettons que sur la base des arguments que j'ai invoqués

19 plus haut, ce motif d'appel devrait être rejeté.

20 Et, à moins que vous n'ayez des questions à me poser sur cette question

21 précise, je vais en venir au deuxième motif d’appel.

22 M. le Président (interprétation): Poursuivez.

23 M. Staker (interprétation): Le deuxième motif d'appel est le motif

24 reposant sur l'idée qu'il y a eu rejet du moyen de défense fondé sur

25 l'atténuation de la responsabilité mentale.

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1 Comme Me Sinatra l’a indiqué, dans son jugement, la Chambre de première

2 instance s'est reposée considérablement sur la loi sur l'homicide votée

3 dans le Royaume-Uni en 1957. Dans le mémoire de l'appelant, sans doute, il

4 y a également une démarche qui vise à s'appuyer notamment sur le Statut

5 dont j'ai parlé, sur des statuts similaires qui existent dans des

6 juridictions de common law.

7 Comme nous l’avons dit dans notre mémoire en réponse, s'appuyer sur cette

8 loi britannique pose un certain nombre de problèmes.

9 Tout d'abord, parce que ce texte juridique ne se penche que sur les

10 circonstances du fait d'un trouble du cerveau, un jugement pour assassinat

11 peut être réduit à un jugement pour homicide. Nombre des crimes qui sont

12 de la compétence de ce Tribunal ne traitent pas, ou pas nécessairement, du

13 meurtre de la victime. Il s'agit donc de se demander quelle est la

14 pertinence de l'invocation de la loi sur l'homicide britannique dans le

15 cadre du Tribunal dans lequel nous fonctionnons.

16 Deuxième idée fondamentale: dans ce Tribunal, il n'y a pas de crimes,

17 d'homicides auxquels on pourrait substituer un jugement pour assassinat.

18 Et dans le mémoire de l'appelant, il y a, je crois, reconnaissance du fait

19 que la Chambre de première instance aurait pu plutôt rendre un verdict de

20 "non coupable" du fait d'une atténuation de la capacité mentale.

21 Eh bien, nous, nous disons qu'on ne peut pas tirer une analogie entre les

22 faits de l’espèce et les faits qui ont été à l’origine du vote de la loi

23 sur l'homicide en Grande-Bretagne. Le résultat en serait complètement

24 différent.

25 Venons-en maintenant à la définition de l'atténuation de la capacité

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1 mentale. La première question à se poser est celle qui consiste à savoir

2 ce que disent le Règlement et le Statut du Tribunal. Le Statut ne dit rien

3 sur cette question. Le seul article qui en parle est l’article 67 A) et B)

4 du Règlement de procédure et de preuve, article qui demande à la défense

5 de faire part à l'accusation de sa volonté d'invoquer tout moyen de

6 défense spéciale, y compris le défaut total ou partiel de responsabilité

7 mentale.

8 Mais il s'agit là d'un article du Règlement de procédure qui fait partie

9 de la question plus générale de l'échange de moyens de preuve. L'article

10 reconnaît que ces moyens de défense existent mais elle ne les crée pas,

11 elle ne les définit pas non plus.

12 Puisqu'il n'y a pas de disposition dans le Statut ni dans le Règlement qui

13 permette de définir cette notion, eh bien, il faut s'en remettre au

14 principe de droit défini par le droit international. Mais il semble qu'il

15 n'y ait pas beaucoup de sources internationales qui nous permettent de

16 définir mieux cette notion, même si l'on regarde la jurisprudence des deux

17 tribunaux internationaux.

18 Il semble que cette affaire est la seule dans laquelle il ait fallu qu'une

19 Chambre de première instance se prononce sur la question.

20 La seconde étape consisterait à identifier si, oui ou non, il existe des

21 principes généraux du droit reconnus par les systèmes dits civilisés et

22 qui tombent sous l'article 38AC de la CIJ.

23 L'accusation estime que, dans la plupart des systèmes de droit, il y a

24 reconnaissance du fait qu'il peut y avoir un moyen de défense visant à

25 l'atténuation de la peine, dans les cas d'atténuation des facultés

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1 mentales. L'existence d'un tel principe, ou la nécessité de prendre en

2 compte un tel principe, peut être considérée comme un principe général de

3 droit prévalant dans un certain nombre de systèmes juridiques dits

4 civilisés. Mais l'ampleur et l'importance des règles qui découlent de ces

5 principes généraux varient d'un système à l'autre et on ne peut pas les

6 comparer à un principe général.

7 M. le Président (interprétation): Excusez-moi de vous interrompre. Vous

8 parlez d'incapacité mentale dans le cadre des circonstances atténuantes:

9 est-ce que vous maintenez cette terminologie?

10 M. Staker (interprétation): Mais c’est un petit peu difficile parce que,

11 justement, la terminologie est différente selon les systèmes juridiques

12 que l’on regarde.

13 Maître Sinatra vous a expliqué que j'allais notamment vous remettre un

14 exemplaire d'un article provenant d'un article juridique, et l’auteur de

15 cet article utilise ce terme "incapacité mentale". Pour lui, c'est un

16 terme suffisamment large pour qu'il puisse recouvrir à la fois l'absence

17 de la responsabilité mentale et l’atténuation de la responsabilité

18 mentale.

19 Est-ce que dans le système juridique dont il est question, là, il s'agit

20 d'un moyen de défense spéciale et intégrale ou bien est-ce qu'il s'agit

21 d'un moyen de défense qui permet simplement de demander des circonstances

22 atténuantes? Cela, on pourrait en discuter.

23 Mais là, c’est utilisé parque c'est un terme qui pense pouvoir recouvrir

24 des choses assez différentes. Mais ce que nous disons, c'est que, ici, il

25 y a un principe général de droit qui est reconnu par certaines nations

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1 civilisées. On ne peut pas vraiment rentrer dans les détails parce qu'ils

2 ont été définis de façon quelque peu différente, selon le pays sur lequel

3 on se penche.

4 On pourrait se dire qu'en l'absence de principe de droit reconnu par une

5 nation civilisée, ce que j'ai dit précédemment peut fournir une réponse.

6 Mais le Tribunal doit tout de même définir ses principes lui-même, en se

7 référant aux objectif de base qui sont ceux du droit pénal et du droit

8 humanitaire international, qui sont également les objectifs des principes

9 généraux du droit.

10 En faisant une telle chose, la Chambre de première instance doit avoir à

11 l'esprit quelle est la caractéristique unique de la "procédure du droit

12 pénal international". C'est une expression qui a été utilisée dans la

13 décision d'injonction de produire dans l'affaire Blaskic au paragraphe 23.

14 Dans notre mémoire, en réponse, nous disons, nous, qu'une définition de

15 ces principes à laquelle conduirait une telle approche –et je sais, M. le

16 Juge Hunt, que vous m'avez demandé de ne pas répéter ce qui apparaît dans

17 notre mémoire– mais je fais appel à votre indulgence.

18 Nous ne faisons ici que dire, de façon concise, ce que nous avons dit dans

19 notre mémoire. Mais je voudrais, tout de même, pour que tout soit clair,

20 vous relire le paragraphe de notre mémoire, je cite: "Nombre de

21 dispositions de notre Statut, et d'ailleurs le nom même de ce Tribunal,

22 font référence à la poursuite de personnes dites "responsables" de

23 violations graves du droit international humanitaire.

24 Le langage très clair du Statut indique qu'il y a l'intention que l'accusé

25 soit examiné par les juges du Tribunal, selon le degré de sa

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1 responsabilité. Dès lors qu'une personne présente un certain degré de

2 responsabilité mentale, pour de tels crimes, il n'y a pas de raison

3 flagrante permettant de justifier qu'elle soit exclue de la définition

4 des, je cite: "personnes responsables de violations graves du droit

5 international humanitaire". Le degré de responsabilité de ces personnes

6 serait, de toute façon, reflétée dans tout jugement passé par ce Tribunal.

7 Cela étant dit, la responsabilité mentale atténuée ne devrait pas

8 permettre, pardon, devrait permettre d'invoquer un moyen de défense

9 spécial seulement lorsque l'on peut tirer la conclusion que l'état mental

10 de l'accusé était tel qu'il ou elle ne pouvait être en aucune façon tenu

11 comme juridiquement responsable de ses actions." Et je finis ici la

12 citation de notre mémoire.

13 Lorsque je dis cela, je ne parle pas de la responsabilité mentale atténuée

14 comme étant un moyen de défense complet, et je vous renvoie notamment aux

15 dispositions qui existent dans diverses juridictions nationales telles que

16 la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Afrique du Sud et l'ex-Yougoslavie.

17 Comme on vous l'a dit, il y a eu dans le dernier numéro du journal

18 américain de droit international un article qui a été publié sur cette

19 question tout particulièrement. J'ai fait parvenir un exemplaire de cet

20 article à la défense et à la Greffière d'audience, et je voudrais

21 maintenant que cet article soit remis aux juges de la Chambre d'appel.

22 Je voudrais également que vous soient remis trois extraits de la

23 législation qui existe dans certains systèmes nationaux.

24 (L'huissier s'exécute.)

25 Il s'agit d'un article qui a été rédigé par Peter Krug et qui parle du

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1 moyen de défense d'incapacité mentale dans le cadre des poursuites

2 internationales, et on parle plus particulièrement du jugement de la

3 Chambre de première instance en l'espèce. Nous estimons que la logique

4 adoptée dans cet article est la même que celle qui figure dans notre

5 mémoire en réplique, mais en fournissant des détails et des arguments

6 supplémentaires. Et nous estimons que cet article permet de faire la

7 lumière sur la question.

8 Je voudrais vous renvoyer plus particulièrement à la page 328 de cet

9 article. Sur cette page, au premier paragraphe, sous le titre "III",

10 l'auteur remarque que, dans les systèmes juridiques municipaux, il y a

11 généralement trois conséquences possibles qui dérivent de l'"incapacité

12 mentale", terme qui est mis entre guillemets pour les raisons que j'ai

13 indiquées plus tôt.

14 Tout d'abord, cela peut être un moyen de défense totale.

15 Deuxièmement, cela peut être un moyen de défense partielle, et à ce

16 moment-là l'accusé sera reconnu coupable d'un crime moins grave que celui

17 dont on l'a accusé au départ. Ensuite, l'article déclare qu'il s'agit là

18 de la variante anglaise et donne comme exemple la loi anglaise sur

19 l'homicide dont on a déjà parlé aujourd'hui.

20 Troisième possibilité, c'est que ces moyens de défense fournissent des

21 circonstances atténuantes à l'accusé, et cette option est intitulée "la

22 variante continentale". L'auteur nous donne des exemples tirés de la loi

23 de la législation française, allemande, italienne, japonaise et de la

24 fédération russe.

25 Première possibilité, premières conséquences, moyen de défense totale.

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1 Ceci est généralement applicable lorsque l'accusé n'a aucune

2 responsabilité mentale. Mais en cas d'atténuation de la responsabilité

3 mentale, on appliquera les deux autres options. Et lorsque, comme on peut

4 le lire à la page 329 de l'article de M. Krug, troisième ligne du premier

5 paragraphe plein, je cite: "Peut-être, sous l'influence du progrès, des

6 progrès médicaux et de la reconnaissance de l'existence de nuances et de

7 variations dans les maladies mentales, ainsi que la conviction selon

8 laquelle il faut prendre en compte l'état mental de l'accusé au moment de

9 le juger, la réduction de la capacité mentale va plus loin que de classer

10 les gens entre, simplement, ceux qui sont fous et ceux qui sont sains

11 d'esprit." (fin de citation)

12 Exemple de ce que j'ai appelé "la variante continentale". J'ai ici fourni

13 des exemples qui viennent de trois systèmes juridiques. Je voudrais

14 d'ailleurs d'abord vous renvoyer à la traduction en anglais de l'article

15 12 du Code pénal de la République fédérale de Yougoslavie: c'est une

16 traduction que j'ai trouvée à la bibliothèque du Tribunal, mais je ne peux

17 pas vous dire quelle est l'origine exacte de ce texte. Mais vous pourrez

18 cependant remarquer qu'à l'article 12.1, il est stipulé que "ceci

19 constitue une, qu'il y a moyen de défense totale lorsque l'accusé pour,

20 par exemple raison de maladie mentale, est incapable de comprendre

21 l'importance de son acte ou incapable de contrôler sa conduite".

22 A l'article 12.2, il est stipulé que "il y aura réduction de la peine

23 lorsque l'accusé n'est plus capable ou n'est pas autant capable que cela

24 serait le cas s'il était dans un état normal, qu'il n'est pas vraiment

25 capable de comprendre la signification de son acte et de contrôler son

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1 comportement."

2 Ensuite, troisième exemple, Code pénal français, article 122.1. Je ne

3 dispose de ce document qu'en version française, je vais donc en donner

4 lecture en français et ce document va être traduit.

5 Premier paragraphe de cet article: (...) "N'est pas pénalement responsable

6 la personne qui était atteinte au moment des faits d'un trouble psychique

7 ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses

8 actes."

9 Le deuxième paragraphe: "La personne était atteinte au moment des faits

10 d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou

11 entravé le contrôle de ses actes demeure punissable. Toutefois, la

12 juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la

13 peine et en fixe le régime."

14 Dernier exemple, j'ai fourni un exemplaire d'une traduction en anglais du

15 Code pénal allemand. Je dois cependant dire que cette traduction provient

16 d'un ouvrage qui a été publié en 1961. Or, il semble que, depuis lors, le

17 Code pénal allemand ait été considérablement modifié. Les dispositions qui

18 nous intéressent dans la traduction en question sont l'article 51. La

19 disposition actuelle, ce sont les article 20 et 21 du Code pénal allemand,

20 le Code pénal actuel, mais la substance n'a pas vraiment évolué.

21 Nous avançons que, dans ces juridictions nationales, on voit tout à fait

22 la même approche que celle qui est adoptée par l'article 67 A) 2) ib),

23 avec une différence entre l'absence totale de responsabilité mentale et

24 l'atténuation de la responsabilité mentale.

25 Pour en revenir à l'article que je vous ai fourni, aux pages 330 à 333 de

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1 cet article, l'auteur explique la façon dont laquelle la variante anglaise

2 et la variante continentale peuvent être adaptées à un Tribunal

3 international, à des poursuites internationales. L'auteur indique

4 également combien il est difficile de mettre en œuvre la variante

5 anglaise. Son commentaire, en l'espèce, va dans le sens de ce que nous

6 avançons dans notre mémoire.

7 Ce qui fait qu'il est difficile d'appliquer la variante anglaise, c'est le

8 fait qu'il n'y ait pas de crime, au niveau duquel on puisse réduire un

9 crime donné. Par exemple, on ne peut pas passer d'assassinat à l'homicide.

10 D'autre part, dans cette option anglaise, il faut déterminer, dans un

11 crime donné, un élément composant qui soit moins grave et, cela, ce n'est

12 pas possible. Par exemple, si on estime que les crimes contre l'humanité

13 et les crimes de guerre sont considérés comme étant de la même gravité –

14 comme l'estime de la Chambre d'appel dans l'affaire Tadic– il est

15 impossible de déclarer, de passer d'un crime contre l'humanité à un crime

16 de guerre, en estimant que l'un est moins grave que l'autre, pour tenir

17 compte de l'atténuation de la responsabilité mentale.

18 D'autre part, l'objectif de cette option anglaise, c'est justement de

19 tenir compte de cette échelle de gravité. Or, ce n'est pas le cas ici. Et

20 ce n'est pas nécessaire puisqu'ici, nous n'avons pas de peine minimale.

21 Nous avons une peine maximale, celle de l'emprisonnement à vie.

22 Maintenant si on examine l'option continentale, elle est beaucoup plus

23 souple. Les Chambres de première instance ont un pouvoir discrétionnaire,

24 elles peuvent adapter la sentence aux crimes qu'elles examinent et prendre

25 en compte la responsabilité mentale, en étudiant les circonstances

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1 atténuantes. Et ceci permet de prendre en compte des préoccupations que

2 l'on s'est posées au sujet, au niveau de l'équité, si on appliquait la

3 version anglaise.

4 Maintenant, je vais passer aux pages 332 à 333 de l'article. Ici, l'auteur

5 de cet article nous indique ce qu'il faut prouver pour établir qu'il y a

6 effectivement existence d'atténuation de la responsabilité mentale. Il

7 identifie trois possibilités.

8 Premièrement, c'est que l'accusé doit prouver qu'il y avait effectivement

9 maladie mentale, fonctionnement anormal de la personnalité ou maladie

10 mentale.

11 Et deuxièmement, il doit montrer qu'il n'était pas capable d'apprécier ses

12 propres actions. Cela, c'est la variante continentale.

13 M. le Président (interprétation): Et puis aussi, je pense montrer que ceci

14 a eu un effet précis sur les faits qui sont reprochés à la personne en

15 question.

16 M. Staker (interprétation): Bien sûr.

17 Deuxième possibilité qui est mise en lumière par l'auteur, elle est moins

18 restrictive. Ici, on exige de l'accusé qu'il ne prouve que la première des

19 deux options que j'ai mentionnées auparavant. C'est-à-dire l'existence

20 d'un état mental anormal, voire maladie mentale.

21 Et troisième option, qui est mentionnée par l'auteur de cet article –qui

22 est encore moins restrictive et qui permet au Tribunal d'utiliser tous les

23 éléments relatifs à l'état mental de l'accusé– que ceci soit confirmé ou

24 non dans le domaine médical et c'est cet élément qui est, bien entendu, le

25 plus favorable à l'accusé.

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1 L'auteur de cet article dit qu'il est difficile de dire, si c'est la

2 deuxième ou la troisième option qui a été appliquée par la Chambre de

3 première instance dans Celebici. Mais nous, nous avançons que c'est la

4 troisième option qui a été utilisée par la Chambre d'appel.

5 Or, il se trouve que cette troisième option est celle qui est le plus

6 favorable à l'accusé. Et pour vous le démontrer, je voudrais vous référer

7 à trois paragraphes du jugement.

8 Le premier paragraphe, c'est le paragraphe 1186, je vais le lire: "Pour

9 ces motifs, la Chambre n'est pas convaincue par le moyen de défense, tiré

10 de l'atténuation de la responsabilité telle qu'invoquée en faveur de Esad

11 Landzo. La défense ne prétend pas que, pendant la période concernée, Esad

12 Landzo était incapable de distinguer le bien du mal.

13 Bien que les experts fassent ressortir que Esad Landzo souffraient de

14 troubles de la personnalité, les éléments de preuve attribuant son

15 incapacité à contrôler ses actes à un handicap mental, ne sont nullement

16 convaincants.

17 La Chambre estime que, malgré les troubles psychiques qu'il manifestait,

18 Esad Landzo était tout à fait capable de contrôler ses actes."

19 Donc, ici, on a considéré qu'il n'y avait pas maladie mentale ou état

20 mental anormal. Ceci exclut donc les deux premières possibilités que j'ai

21 mentionnées. Mais ensuite, au paragraphe 1283, la Chambre de première

22 instance poursuit en disant: "Alors que la défense particulière de

23 réduction de la responsabilité évoquée par la défense a été rejetée par la

24 Chambre de première instance, celle-ci peut, néanmoins, prendre en compte

25 les éléments de preuves présentées par de nombreux experts en santé

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1 mentale qui tous révèlent une image de la personnalité de M. Landzo qui a

2 été prise en compte dans la détermination de notre sentence." (fin de

3 citation).

4 En d'autres termes, alors que l'élément médical de réduction de

5 responsabilité n'a pas été établi, l'état mental de M. Landzo a tout de

6 même été pris en compte au moment du prononcé de la sentence. Et s'il est

7 impossible de savoir précisément quelle différence cela a apporté dans la

8 décision finale dans cette affaire, la comparaison de cette sentence avec

9 celle de son coaccusé M. Delic indique que cette différence peut avoir

10 joué un rôle significatif.

11 Le Procureur pense que la Chambre de première instance a eu raison en

12 adoptant cette troisième approche. Dans le cadre de violation grave du

13 droit humanitaire international, le Procureur admet qu'il serait

14 inapproprié d'autoriser une réduction considérable des sentences,

15 simplement parce que l'accusé était excité ou en colère ou qu'il avait du

16 mal à se contrôler.

17 C'est la première option qui est l'option normalement adoptée dans le

18 droit continental. Le droit continental est cohérent par rapport aux

19 normes internationales de la justice et il n'y aucune raison évidente,

20 justifiant qu'une application plus large de cette défense fondée sur une

21 réduction des capacités mentales, de la responsabilité mentale, se

22 justifie.

23 Cependant, ce n'est pas une question qui doit nécessairement être prise en

24 compte par la Chambre d'appel. Si la Chambre de première instance a commis

25 une erreur de droit à cet égard, elle l'a fait au profit de l'accusé,

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1 cette erreur ne peut pas justifier un appel en faveur de l'accusé. Donc,

2 nous affirmons qu'il n'y a pas eu erreur de droit.

3 Monsieur Landzo prétend également que la Chambre de première instance

4 s'est trompée sur les faits en rejetant sa défense d'atténuation de la

5 responsabilité mentale. Comme je l'ai déjà indiqué, l'atténuation de la

6 responsabilité mentale ne peut exister dans le droit continental que si

7 l'accusé, en raison de son état mental, a une capacité réduite, soit à

8 apprécier l'aspect erroné de ses actes, soit à contrôler ses actes.

9 A l'égard de ces deux éléments, je renvoie la Chambre d'appel au

10 paragraphe 12-83 du jugement de la Chambre de première instance.

11 S'agissant à présent de la capacité de M. Landzo à apprécier le caractère

12 coupable ou erroné de sa conduite, la Chambre de première instance a

13 déclaré, dans ce paragraphe, que la défense ne soutenait pas que M. Landzo

14 était incapable de distinguer entre le bien et le mal.

15 A moins que la défense ne puisse démontrer ceci, cette partie du jugement

16 de la Chambre de première instance ne peut pas être considérée comme une

17 erreur de fait.

18 Parlons à présent de l'incapacité de M. Landzo à contrôler ses actes. La

19 Chambre de première instance est arrivée à la conclusion, dans ce

20 paragraphe, que M. Landzo était tout à fait capable de contrôler ses

21 actes.

22 Cette conclusion était-elle si déraisonnable qu'aucun juge raisonnable des

23 faits n'aurait pu l'atteindre? Le Procureur affirme dans son mémoire, en

24 réponse, un certain nombre d'éléments que je ne vais pas répéter ici.

25 Comme c'est indiqué dans le mémoire, le témoin expert du Procureur cité au

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1 cours du procès a affirmé qu'un diagnostic de trouble de la personnalité

2 n'était pas garanti.

3 Les témoins experts de la défense ont proposé un certain nombre

4 d'hypothèses dont nous affirmons qu'elles ne permettent pas de tirer une

5 conclusion définitive. La défense admet, je crois le comprendre, que

6 l'établissement de l'atténuation de la responsabilité mentale est à sa

7 charge et fait l'objet de probabilités.

8 Dans ces conditions, nous affirmons qu'il n'est pas déraisonnable pour la

9 Chambre de première instance d'avoir conclu que la défense n'avait pas

10 rempli cette fonction et ne s'était donc pas acquittée de cette preuve.

11 A moins que je puisse assister les juges en répondant à des questions

12 supplémentaires, j'en suis arrivé au terme de mon exposé et nous affirmons

13 que la défense a demandé à la Chambre d'appel, dans son exposé,

14 d'entreprendre une révision des éléments de preuve, ce que la Chambre

15 d'appel ne devrait pas faire.

16 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Maître Sinatra, vous

17 avez la parole.

18 Mme Sinatra (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

19 si nous poursuivons le raisonnement de M. Staker, devons-nous comprendre

20 que les délits, que tous les délits ne doivent pas être définis avant le

21 début d'un procès? C'est un peu différent du fait de définir un délit de

22 façon affirmative avant de démarrer un procès.

23 L'accusation déclare également que tout système civilisé possède un tel

24 système de défense.

25 M. Bennouna: Maître Sinatra, je me demande et je vous demande si vous ne

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1 confondez pas la définition d'un crime, qui est une chose, avec ses

2 éléments, et les principes généraux du droit pénal qui s'appliquent au

3 crime en question. Je crois que ce sont deux choses différentes. Il y a la

4 définition du crime, que nous connaissons et qui relève de la compétence

5 de notre Tribunal; il y a les principes généraux du droit pénal. Et le

6 problème des exonérations de l'atténuation de la responsabilité pour des

7 troubles mentaux fait partie du chapitre sur les principes généraux du

8 droit pénal en matière de responsabilité. Je crois que ce sont deux choses

9 différentes.

10 Mme Sinatra (interprétation): Si je vous ai bien compris, vous parlez des

11 principes généraux du droit comme applicables à l'atténuation de la

12 responsabilité mentale. Mais là, il y a une foule d'éléments que nous

13 pouvons utiliser, et je devrais savoir quelle est la définition des

14 principes généraux du droit dans la communauté internationale.

15 Si c'est bien la question que vous posez, il me faut répondre que le

16 nombre des principes généraux du droit est si important que le nombre des

17 définitions d'une défense affirmative doit être connu avant le début d'un

18 procès, tout autant que les éléments du crime constitutif du crime. Non,

19 ce n'est pas cela?

20 M. Bennouna: Je crois que le Procureur vous a dit tout à l'heure que, dans

21 tous les systèmes juridictionnels, un tribunal n'annonce pas

22 nécessairement les critères qu'il va appliquer, ne les annonce pas dans

23 l'abstrait avant d'avoir analysé le cas qui lui est soumis. Un tribunal

24 n'est pas un organe de doctrine, ce n'est pas une académie. Il juge des

25 cas et il leur applique des principes. Il ne les annonce pas

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1 nécessairement à l'avance. Cela vous a déjà été dit, et je crois que vous

2 devriez y réfléchir.

3 Maintenant, le principe nullem crimen sine lege ou nullem poena sine lege,

4 c'est une autre affaire. Il n'y a pas de crime sans une loi préalable,

5 sans un droit existant, et le droit existe en matière de définition des

6 crimes. La mise en oeuvre, les principes de droit pénal qui s'appliquent à

7 la mise en oeuvre de ces crimes, à la responsabilité, sont des principes

8 de droit pénal en général, ils ne sont pas nécessairement définis à

9 l'avance par le Tribunal avant de les appliquer. Voilà ce qui vous a été

10 dit, réfléchissez-y.

11 M. le Président (interprétation): Permettez-moi d'ajouter quelques mots à

12 ce qui vient d'être dit. Cette Chambre a traité précisément du point du

13 nullem crimen récemment ainsi que de l'évolution du droit dans l'affaire

14 Aleksovski.

15 Mme Sinatra (interprétation): Eh bien, je crois que, dans tous les

16 principes fondamentaux du droit pénal, l'accusé a le droit de savoir quels

17 sont les éléments qu'il doit prouver avant le début du procès. Je

18 comprends ce que vous venez de me dire: vous dites que cela ne signifie

19 pas qu'il n'y a pas eu de crime à l'époque. Mais lorsqu'on parle de

20 défense affirmative, je pense que cette façon de décider postérieurement

21 au fait est une application du droit ex post facto.

22 Dans le droit romain où le risque de perte de liberté ou de perte de vie

23 n'existe pas aux Etat-Unis, on peut bien sûr dans un tribunal conclure sur

24 les faits et conclure sur le droit. Mais dans une affaire pénale, les

25 principes établis de la constitution du crime doivent être connus par

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1 l'accusé qui doit savoir ce qu'il doit prouver avant le début du procès.

2 Je pense que la différence par rapport à ce que vous dites, Monsieur le

3 Juge Bennouna, réside dans la différence qui sépare une affaire civile

4 d'une affaire pénale. Puis-je poursuivre?

5 Monsieur Staker a abondamment fait référence à l'article dont je le

6 remercie de me l'avoir remis à la fin de l'audience hier. Je ne fais pas

7 objection parce que je crois que cet article peut aider aussi bien

8 l'appelant que la Chambre. Mais je crois qu'il y a eu une ordonnance

9 portant calendrier qui déterminait les dates limites de dépôt de tels

10 documents.

11 M. le Président (interprétation): Si vous avez un problème par rapport au

12 délai et au temps qui est à votre disposition, cela serait bon peut-être

13 que vous déposiez une écriture la semaine prochaine. Mais si cela ne vous

14 pose aucun problème, je ne crois pas que des articles, de façon générale,

15 constituent de nouveaux documents au cours d'un procès.

16 Mais enfin, si vous avez besoin d'un délai complémentaire, vous pouvez le

17 demander car nous aimerions obtenir votre aide s'agissant des points

18 évoqués en rapport avec cet article.

19 Mme Sinatra (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Juge. J'ai eu le

20 temps de lire cet article hier soir, et j'aimerais traiter d'un certain

21 nombre de points qui figurent dans cet article.

22 A la page 318, si l'on en croit cet article, à la dernière phrase, nous

23 lisons: "Ceci a été appliqué en novembre 1998 dans le jugement sur le camp

24 de Celebici. Dans ce jugement, la Chambre de première instance a défini

25 l'atténuation de la responsabilité, concept tiré du droit pénal

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1 d'Angleterre et du Pays de Galle".

2 Cet article cite également un critère appliqué par la Chambre de première

3 instance de Celebici, page 321, dernière phrase. Je cite: "Dans son

4 jugement, la Chambre de première instance a établi un critère en deux

5 parties destiné à prouver l'atténuation de la responsabilité. A l'époque

6 des faits allégués, l'accusé doit, premièrement, avoir subi une anomalie

7 mentale ou, deuxièmement, avoir eu une capacité substantiellement réduite

8 de contrôler ses actes." (fin de citation)

9 Il est également stipulé dans cet article que, sur les faits, la Chambre

10 de première instance a admis l'anomalie mentale d'Esad Landzo à l'époque

11 des faits. Mais qu'elle a rejeté cet élément car elle a estimé que Landzo

12 ne satisfaisait pas à la deuxième partie du critère. Je ne crois pas que

13 ce que nous lisons là soit clair. Je ne crois pas que ce que nous tirons

14 du jugement de la Chambre de première instance soit clair.

15 Il est dit également dans cet article que les cinq experts, donc que cinq

16 experts ont été entendus: un pour l'accusation, trois pour la Chambre et

17 un pour la défense. Or, ce n'est pas le cas.

18 M. le Président (interprétation): Admettons que nous devrions nous fier

19 davantage au compte rendu du procès qu'à un article décrivant ce qui s'est

20 passé au cours de ce procès. La publication d'un article a différents

21 objectifs. Mais l'important, c'est l'évolution du droit international.

22 Mme Sinatra (interprétation): Oui, c'est très intéressant, et j'ai trouvé

23 cela passionnant d'un certain point de vue. Mais je ne vois pas de quelle

24 façon cela pourrait affecter le témoignage des témoins experts, et je

25 pense que certains règlements nouveaux sont intervenus dans ce Tribunal

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1 depuis.

2 J'ai commencé à travailler dans ce procès en 1997. Ici, il est question de

3 l'article 70bis qui traite des témoignages de témoins experts, qui

4 n'existait pas à l'époque. Donc, c'est cela qui explique, je pense, une

5 certaine confusion qui a régné dans le jugement de la Chambre qui s'est

6 prononcée sur l'affaire Celebici.

7 J'aimerais à présent revenir à la page 329 d'où M. Staker a tiré une

8 citation. Il a parlé de l'influence des constatations médicales actuelles,

9 de nouvelles réponses apportées quant au degré de maladie mentale et du

10 fait qu'il convient de tenir compte des circonstances particulières qui

11 caractérisent le criminel, de sa capacité réduite.

12 Il convient de se prononcer sur cette capacité.

13 Mais, à la fin de la page 335, nous lisons que ces excuses sont

14 disponibles parce qu'elles sont au service de l’équité fondamentale et

15 quelles sont considérées comme une composante fondamentale d'une culture

16 de légalité.

17 Et je crois que chacun ici sera d'accord sur le fait que, dans tous les

18 systèmes judiciaires, il existe le concept d’atténuation mentale et que ce

19 concept existe avant qu'un criminel ne se voit contraint de se défendre

20 devant le Tribunal.

21 J'ai d'autres notes ici qui nous ramèneraient encore une fois à une

22 discussion compétitive de point de droit. Je ne tiens pas à contester ce

23 qu'a dit M. Staker, mais a-t-il véritablement lu, de façon approfondie, le

24 jugement? Car, dans la dernière partie du jugement, la Chambre de première

25 instance fait référence au bien-fondé ou à l'erreur de la conduite de mon

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1 client et au fait qu'il pouvait ou ne pouvait pas distinguer le bien du

2 mal.

3 Dans tout système judiciaire civilisé, la maladie mentale, la folie,

4 l'absence complète de capacité mentale est prise en compte.

5 Nous n'allons pas jusque là, mais nous disons, en résumé, que ce qui s'est

6 passé n’est pas équitable pour Esad Landzo. N'est pas équitable pour

7 quelque accusé présenté à ce Tribunal qui ne peut que parvenir à la

8 conclusion que la Chambre de première instance a jugé comme elle l'a fait,

9 sans fonder, sans savoir sur quoi elle fondait sa décision.

10 Je ne sais pas quel critère a été appliqué, nous ne le saurons pas, nous

11 ne pouvons pas le savoir, c'est pour cette raison que la condamnation

12 d'Esad Landzo et les questions examinées en rapport avec cette

13 condamnation devraient être révisées par un nouveau procès, à moins que

14 cette Chambre d'appel ne prononce l’acquittement.

15 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Nous allons passer

16 maintenant au groupe 7 des motifs d’appel. Monsieur Murphy?

17 M. Bennouna: Pardon, Monsieur le Juge Hunt. Encore une question à Mme

18 Sinatra, pour être clair sur ce qu'elle a dit, qui pourrait nous aider à

19 compléter l'information.

20 Vous dites que vous estimez que la Chambre, vous ne voyez pas très bien

21 quel est le critère que la Chambre a appliqué. Est-ce que c'est la loi

22 anglaise de 1957? Est-ce que c'est un autre critère, vous ne voyez pas?

23 Est-ce que vous contestez l'absence de critères ou les conclusions qu'elle

24 a tirées, qu'a tiré la Chambre d’instance du principe général

25 d'atténuation de responsabilité pour maladie mentale? J'aimerais savoir

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1 exactement ce que vous contestez. Ou peut-être, vous contestez les deux?

2 Il reste une certaine confusion. Vous dites: "La Chambre n'a pas de

3 critère."

4 Est-ce que vous trouvez qu'elle n'a pas adopté le bon critère et quel est

5 selon vous le bon critère? Et, alors, est-ce qu’elle aurait dû tirer

6 d’autres conclusions et quelles conclusions, elle aurait dû tirer?

7 Je voudrais avoir une précision très rapidement là-dessus, si c'est

8 possible.

9 Mme Sinatra (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Juge, parce ce

10 que ce que vous venez dire résume précisément tout ce que j'ai dit.

11 Je conteste les deux. Je dis que la Chambre de première instance a tiré

12 une conclusion erronée, mais ce qui est encore plus important c'est que,

13 indépendamment de la conclusion tirée par la Chambre de première instance,

14 celle-ci a appliqué un critère erroné car, en fait, elle ne disposait

15 d'aucun critère.

16 Si elle s'est fondée sur l'insanité à laquelle elle fait référence, c'est-

17 à-dire le fait que l'accusé ne pouvait pas déterminer entre le bien et le

18 mal, ou ne contrôlait pas son comportement, alors le critère est erroné

19 car nous n'avons jamais demandé à la Chambre de considérer cette défense

20 sur la base d'insanité.

21 Puisque la Chambre ne nous a jamais dit quel critère elle appliquait, elle

22 était dans l’incapacité de tirer les bonnes conclusions et de... Elle n’a

23 appliqué aucun critère.

24 M. le Président (interprétation): Selon vous, quel serait le bon critère?

25 Mme Sinatra (interprétation): Je pense que le critère premier serait la

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1 loi sur l'homicide anglaise de 1957, mais au vu des complications que cela

2 suscite, compte tenu de la définition des délits –à moins de revenir à la

3 décision Ademovic et à la discussion qui a fait la distinction entre crime

4 de guerre et crime contre l'humanité– on peut se fonder sur une autre

5 version de cela.

6 Ce que la Chambre prendra en compte m'importe guère. Ce qui m'importe,

7 c'est d'avoir une information qui pourrait me guider. Donc, donnez-nous le

8 système du droit commun, donnez-nous le système continental, donnez-nous

9 un autre système, mais ne nous laissez pas dans le vide.

10 M. Bennouna: Vous ne savez pas, vous-même, quel serait le bon critère?

11 Mme Sinatra (interprétation): Non, Monsieur le Juge, je ne sais pas quel

12 serait le critère le plus applicable.

13 Je pensais d’abord à la loi sur l'homicide anglaise, mais cela pose toutes

14 sortes de problèmes, car cela nous réduit à "homicide involontaire" qui,

15 comme M. le Juge Hunt vient de le dire, est tout de même un problème

16 lorsqu'il s'agit de discuter de la sanction.

17 Je ne dis pas que l'on doive aller vers une extrémité ou l'autre. Je ne

18 sais pas vraiment. Je crois que c'est à la Chambre qu'il appartient de

19 nous dire quel est le bon critère à son avis. C’est ce que nous avons dit

20 avant le mois de juin 1998, avant que nous soyons contraints de présenter

21 nos éléments de preuve dans le cadre de défense affirmative. Je ne sais si

22 ce que je dis a le moindre sens, mais j’essaie d’expliquer notre position.

23 M. Bennouna: Merci.

24 M. le Président (interprétation): Maître Ackerman?

25 M. Ackerman (interprétation): Puis-je dire quelques mots?

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1 M. le Président (interprétation): Mais vous avez été très clair, Maître,

2 dans la réponse écrite que vous avez déposée, cela n'a aucune influence

3 sur la décision qui vous concerne.

4 M. Ackerman (interprétation): Non, aucune influence. J'ai cru comprendre

5 que ce matin le Procureur devait rendre compte des nouveaux documents.

6 J'ai discuté avec M. Farrell et j'ai appris que le Procureur avait décidé

7 de ne pas poursuivre dans ce sens.

8 Puisque je ne serai pas présent après la pause, je pense qu'il serait bon

9 tout de même que ceci soit inscrit au compte rendu d'audience puisque le

10 Procureur, si j'ai bien compris, n'entend pas poursuivre sa requête devant

11 la Chambre au sujet des nouveaux documents relatifs à M. Delalic.

12 M. le Président (interprétation): Oui, merci. J’avais l'intention de le

13 faire un peu plus tard. Quelque chose a-t-il été déposé Monsieur Farrell?

14 M. Farrell (interprétation): Rien pour le moment.

15 M. le Président (interprétation): Des documents seront-ils déposés?

16 M. Farrell (interprétation): Non, Monsieur le Juge, en conséquence de

17 l'ordonnance de la Chambre d'appel, j'ai cru comprendre que sur ce point

18 l’affaire était close.

19 M. le Président (interprétation): Merci.

20 M. Ackerman (interprétation): Merci.

21 M. le Président (interprétation): Maître Murphy, nous sommes un peu en

22 retard mais je vous donne la parole. Veuillez commencer.

23 M. Murphy (interprétation): Bonjour Monsieur le Président, Messieurs les

24 Juges, bonjour conseil de la défense, bonjour membres du Bureau du

25 Procureur.

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1 La Chambre va peut-être se demander qui je suis puisque j'ai gardé le

2 silence très longtemps. J'ai le sentiment d'être le poète auquel on a dit

3 que l'on se souviendrait de lui bien longtemps, après longtemps qu'on

4 oublie Shakespeare, mais pas jusqu'à ce moment-là. Donc, c’est dans ces

5 conditions que je me présente devant vous pour défendre trois motifs

6 d'appel que j'ai identifiés comme étant les deuxième, troisième et

7 quatrième motifs d'Esad Landzo.

8 Bien entendu, ces motifs d'appel ont été adoptés également par les accusés

9 Delic et Mucic, à l’heure qu'il est. Et je traiterai de chacun de ces

10 motifs d'appel séparément, mais avant cela, je pense qu'il pourrait être

11 bon que je traite devant la Chambre d'appel d'un certain nombre de points

12 qui concernent les trois motifs, qu'il est donc plus approprié, je pense,

13 de traiter conjointement.

14 Je dois d'emblée demander à la Chambre d'appel de faire une chose précise.

15 Cela fait trois jours, un peu plus de trois jours d’ailleurs, que nous

16 discutons en détail sur le fond de l'affaire des points de droit et, dans

17 une certaine mesure, des points de fait. Ces motifs d'appel, toutefois,

18 n’ont rien à voir avec le fond de l'affaire, absolument rien.

19 En fait, ces motifs d'appel ont à voir avec la seule chose qui,

20 éventuellement, pourrait être plus importante que le fond de l'affaire et

21 je caractériserais cela comme étant l'état de droit. J'aimerais dire

22 simplement qu’en utilisant cette expression, je pense à la chose suivante:

23 je pense que dans tous les systèmes juridiques civilisés, l'accusé jouit

24 du droit à un procès équitable.

25 Par ailleurs, et là nous sommes dans un domaine un peu différent, il a

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1 droit à un procès dont l'équité est visible. Lorsque j'utilise

2 l'expression "état de droit", je ne fais pas référence à un concept plus

3 élevé que cela, mais je l'utilise parce que c'est une expression qui me

4 convient. Cela étant, c'est un point important.

5 Je pense que dès le début de mon exposé, il importe que je dise aux juges

6 de cette Chambre d'appel que nous devions nous écarter de tout avis que

7 nous nous serions formé ou que les juges de cette Chambre se seraient

8 formé, s’agissant de l’innocence ou de la culpabilité de l'accusé, eu

9 égard à l’une quelconque des charges retenues contre lui.

10 Les questions dont nous traitons ici sont absolument d'un autre ordre et

11 ont une fonction sur le plan juridique très différente. Je pense qu'il

12 importe que nous laissions de côté toutes les opinions que nous nous

13 sommes formées quant à l'équité du procès jusqu'à présent ou à l'apparence

14 d'équité du procès auquel l'accusé avait droit.

15 Je pense, Monsieur le juge, que vous souhaiteriez que nous ayons une pause

16 maintenant.

17 M. le Président (interprétation): Si cela vous convient.

18 M. Murphy (interprétation): Oui, absolument.

19 M. le Président (interprétation): Merci, nous reprendrons nos travaux à

20 midi.

21 (L'audience, suspendue à 11 heures 32, est reprise à 12 heures 03.)

22 M. le Président (interprétation): Maître Murphy? Ah! Je vous prie de

23 m'excuser, c'est Me Morrison.

24 M. Morrison (interprétation): Je souhaite traiter d'un sujet parce que

25 cela correspond à ce qui a été dit par l'accusation au sujet des nouveaux

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1 documents. Et Me Ackerman y a d'ailleurs fait allusion.

2 La situation est la suivante: si l'accusation ne demande pas la permission

3 de présenter de nouveaux documents à la Chambre, au nom de M. Mucic, nous

4 nous en satisfaisons et nous ne demandons pas que des nouveaux documents

5 soient fournis à la Chambre, avec seulement une seule mise en garde. Nous

6 avons vu un certain nombre de documents, mais pas tous les documents.

7 Et nous demanderions l'indulgence de la Chambre pendant 24 heures, parce

8 qu'il est possible, il est fort possible que nous ne demandions pas,

9 effectivement, le versement de ces documents. Mais avant de les avoir tous

10 vus, je ne peux pas me prononcer à 100%.

11 M. le Président (interprétation): Je ne vois pas pourquoi vous n'auriez

12 pas plus de temps. Il faut, bien entendu, que vous examiniez tous ces

13 documents, mais vous savez que vous pourrez, à un moment donné, nous

14 soumettre vos arguments par écrit.

15 M. Farrell (interprétation): Je vous prie de m'excuser, vous ne m'avez pas

16 donné la parole. Je dois dire que l'accusation a communiqué ce matin tous

17 les documents qui devaient être communiqués aux termes de votre ordonnance

18 rendue, en vertu des articles 66 et 68, documents relatifs à M. Mucic. Et

19 je pense que Me Morrison demande la possibilité de voir les autres

20 documents. Nous souhaitons signaler que nous avons fait ce qui était

21 demandé par l'ordonnance, fourni tous les documents à M. Mucic et qui le

22 concerne, en vertu des articles 66 et 68.

23 Nous souhaiterions cependant avoir la possibilité de regarder les autres

24 documents. Et je vais en parler avec Me Kuzmanovic à la pause.

25 M. le Président (interprétation): Tant que, dans un délai raisonnable au

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1 cours de cette audience, vous nous fassiez savoir quelle est votre

2 décision. Mais je vais vous laisser le soin de traiter de la question

3 entre vous deux.

4 Maître Murphy, c'est à vous.

5 M. Murphy (interprétation): Je souhaiterais demander l'indulgence de la

6 Chambre pour dire la chose suivante, au sujet de ce que je m'apprête à

7 dire.

8 En ce qui me concerne, je pratique le droit, j'enseigne le droit depuis

9 trente ans, aussi bien aux Etats-Unis qu'au Royaume-Uni. Et je me permets

10 de dire cela parce qu'en Angleterre, là où j'ai pratiqué le droit, au

11 départ, on permet aux conseils de présenter ses arguments de façon plus

12 directe à la Chambre. Et, en l'espèce, je dois vous présenter un certain

13 nombre d'arguments qui seront extrêmement directs, très francs et peut-

14 être plus que cela n'a été le cas dans ma carrière jusqu'à présent.

15 Je voudrais commencer par vous lire ce qu'a écrit M. le Juge Nieto-Navia,

16 dans le cadre d'une décision qui a été prise après le dépôt de nos

17 mémoires en l'espèce.

18 Il s'agissait de l'affaire Baraguiza examinée par la Chambre d'appel. Une

19 affaire examinée en première instance par le Tribunal du Rwanda. Les

20 faits, bien entendu, dans cette affaire sont très différents de ceux qui

21 nous intéressent ici mais, dans sa déclaration individuelle en l'espèce,

22 M. le Juge Nieto-Navia a écrit quelque chose qui me semblait très

23 pertinent pour notre affaire.

24 Il a longuement parlé du devoir du Tribunal, devoir d'appliquer les

25 principes du droit pénal international tels qu'ils sont adoptés et

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1 appliqués par les différents systèmes juridiques des pays civilisés de la

2 planète.

3 Il a ajouté la chose suivante, je cite: "La communauté internationale doit

4 être sûre que la justice est rendue, mais qu'elle est également rendue en

5 application de ses Statuts et de son Règlement du Tribunal. Statuts et

6 Règlement, qui sont appliqués de façon systématique et impartiale."

7 Il conclut en disant: "Cela peut être difficile à comprendre mais il

8 s'agit des principes qui guident la procédure de ce Tribunal à tout

9 moment, même si l'application de ces principes donne parfois des résultats

10 qui sont un petit peu difficiles à avaler ou à accepter pour certains."

11 (fin de citation).

12 Je vous ai donné lecture de cette citation parce que, ce que je vais vous

13 demander d'écouter et d'accepter, c'est peut-être difficile à accepter. Je

14 voulais vous demander de mettre de côté le résultat d'un procès qui a été

15 extrêmement long et je vais vous demander de le faire, non pas sur le

16 fond, mais parce que certains des droits essentiels de l'accusé n'ont pas

17 été respectés dans le cadre de ce procès.

18 J'ai parlé, avant la pause, de deux droits fondamentaux auxquels a droit

19 tout accusé devant un Tribunal pénal, quel que soit le crime qui lui est

20 reproché, quelle que soit la nature du Tribunal en question.

21 Et ces principes s'appliquent aussi bien si vous êtes poursuivi pour vol à

22 la tire que pour des crimes aussi importants que ceux dont nous avons à

23 connaître. Et comme je l'ai dit auparavant, ces droits peuvent être

24 résumés, en disant que "l'accusé a droit à un procès équitable, un procès

25 qui a toutes les apparences de l'équité".

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1 Et si on analyse ce que cela signifie, eh bien, on se rend compte que cela

2 nous donne un certain nombre de règles extrêmement précises, dont on peut

3 dire que ce sont les règles fondamentales de l'équité.

4 Mais, en fait, cela nous donne un certain nombre de règles qui sont assez

5 limitées dans leur nombre et qu'il ne faut pas enfreindre. Il y a des

6 limites qu'il ne faut pas dépasser dans le cadre d'un procès au pénal. Et

7 du fait de ces règles qui sont universellement reconnues, eh bien, il est

8 très rare de voir qu'elles sont enfreintes, même l'une…

9 Or, en l'espèce, trois de ces règles fondamentales ont été violées.

10 Nous avons soumis beaucoup d'éléments de preuve à ce sujet, non pas au

11 sens d'éléments de preuve présentés par la Chambre de première instance

12 dans le cadre de l'examen du procès, mais nous avons présenté un grand

13 nombre d'éléments à la Chambre d'appel. Et moi, je vais essayer de résumer

14 ce qu'il en est au niveau de ces éléments que nous avons présentés.

15 Donc, ces trois règles qu'il ne faut pas enfreindre et qui ont été

16 enfreintes dans ce procès sont les suivantes.

17 Premièrement, un procès au pénal doit se tenir devant un Tribunal qui est

18 qualifié pour ce faire. Cela signifie que les juges en question doivent

19 être qualifiés aux termes du Statut du Tribunal. C'est-à-dire une personne

20 qui a les qualifications nécessaires pour occuper un poste au sein d'un

21 organe judiciaire.

22 C'est-à-dire que, non seulement le Juge doit avoir ces qualifications au

23 moment du début du procès –je crois que l'accusation est d'accord avec

24 cela– mais il faut que ce Juge continue à avoir ces qualifications pendant

25 toute la durée du procès.

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1 Or, en l'espèce, nous estimons que tous les éléments nous montrent que le

2 Juge Odio-Benito, même si c'est vrai, elle était qualifiée au moment où

3 elle a été élue en novembre 1993, plus tard. Mais ensuite, elle n'était

4 plus qualifiée ultérieurement, et ceci du fait de son élection au poste de

5 vice-présidente du Costa Rica en résultant des élections de 1998 dans ce

6 pays.

7 Je voudrais dire que… Je vais avoir des choses extrêmement franches à

8 dire, aussi bien au sujet du Juge Odio-Benito et du Juge Karibi-Whyte. A

9 aucun moment, je ne souhaite manquer de respect sur le plan personnel à

10 ces deux personnes.

11 La Chambre d'appel cependant est consciente du fait qu'il est de mon

12 devoir de montrer ce qui s'est passé effectivement.

13 La deuxième règle qu'il ne faut jamais enfreindre, c'est que le Juge ne

14 doit être frappé par aucun conflit d'intérêts qui résulte de son

15 engagement dans une cause personnelle, une cause qui a trait, qui a des

16 liens directs avec l'affaire qu'il -ou elle- est appelé à juger.

17 Or, nous avançons et c'est un motif d'appel commun aux accusés que,

18 pendant qu'elle connaissait de ce procès, le Juge Odio-Benito faisait

19 partie du conseil d'administration du Fonds volontaire des Nations Unies

20 pour l'aide aux victimes de la torture.

21 Bien entendu, nous ne critiquons pas le Juge Odio-Benito, parce que c'est

22 une institution tout à fait digne de respect. Nous ne nous opposons pas à

23 cette organisation.

24 Mais cependant, le droit, et je crois qu'à ce sujet il n'y a pas de

25 désaccord entre l'accusation et la défense, le droit stipule que s'il peut

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1 y avoir un conflit d'intérêt qui se pose pour un Juge, un conflit

2 d'intérêt de ce genre, qui peut donner l'impression qu'il y a impartialité

3 envers l'accusé, à ce moment-là, il faut que ce fait soit révélé par le

4 juge avant le procès, et sauf si l'accusé est d'accord, le juge ne doit

5 pas siéger dans le procès de l'accusé. Or, cela n'a pas été le cas.

6 Troisième règle fondamentale qui a été enfreinte en l'espèce, c'est que

7 les juges -et ceci s'applique bien entendu aux jurés dans les systèmes

8 juridiques où vous avez des jurés-, il faut que les juges ou les jurés

9 soient capables de donner toute leur attention à ce qui se passe dans le

10 procès pour écouter tout ce qui se passe et pour ensuite être à même de

11 statuer de façon, sur ce qui s'est passé.

12 Or, en ce qui concerne... Oui, je m'interromps, le juge doit également

13 être à même de rendre des décisions pendant le procès sur la base du

14 Règlement et d'une bonne compréhension du Règlement.

15 Or, nous avons un certain nombre d'extraits des vidéo prises pendant les

16 procès, et je crois que tout ce que peut dire M. Yapa ne changera rien du

17 tout à l'impression qu'aura eue la Chambre d'appel en regardant ces vidéo,

18 mais je dois dire -et c'est peut-être la seule chose à dire à ce sujet-

19 quand on regarde ces vidéo, il est indéniable que cette règle a été

20 enfreinte en l'espèce. Une fois de plus, il ne s'agit pas de critiquer

21 personnellement le Juge Karibi-Whyte, quelle qu'ait été la nature de son

22 état personnel, en tout cas, il y a quelque chose qui l'a empêché de jouer

23 à plein le rôle qui était le sien dans le cadre de ce procès.

24 Donc, maintenant, nous sommes en train d'examiner ce qui s'est passé

25 pendant le procès. Et là, il y a deux questions qui me viennent à l'esprit

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1 et je pense qu'il faut y répondre.

2 Premièrement, pourquoi est-ce que le procès s'est poursuivi alors que ces

3 trois règles ont été enfreintes?

4 Deuxièmement, que faut-il faire? Et faut-il faire quelque chose? Et je

5 parle ici de ce que doit faire la Chambre d'appel.

6 En ce qui concerne la première de cette question, je crois que la réponse

7 est la suivante. Il y a eu à la fois, il y avait d'un côté la facilité et

8 de l'autre côté l'équité; ou d'un côté, le côté pratique parce que

9 personne n'avait envie de recommencer le procès -pour des raisons tout à

10 fait compréhensibles, j'en suis bien conscient; et tout ce que je vais

11 dire, cette idée pratique a sans doute, a joué un rôle parce que nous

12 avions un procès qui était extrêmement long, qui a coûté extrêmement cher,

13 j'en suis sûr, qui a impliqué des heures et des heures de travail aussi

14 bien du côté de la défense, de l'accusation que des juges. Ce procès a

15 nécessité beaucoup de courage également de la part des témoins qui sont

16 venu déposer.

17 Je ne veux pas m'étendre à ce sujet, mais je souhaiterais quand même

18 mentionner, non pas d'une manière critique, mais je pense qu'il est tout à

19 fait légitime de le dire, il faut bien dire qu'il s'agissait là des seuls

20 Musulmans de Bosnie qui avaient été mis en accusation par ce Tribunal. Je

21 ne le nie pas, c'est important. Après tout, ce Tribunal a été mis en place

22 par le Conseil de sécurité, non pas seulement pour poursuivre des

23 criminels, mais pour contribuer à la restauration de la paix et de la

24 sécurité sur le territoire de l'ex-Yougoslavie.

25 Et l'égalité de traitement, en l'espèce, je ne le critique absolument pas.

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1 C'était une considération tout à fait légitime du point de vue du

2 Tribunal.

3 Si on prend donc en compte tous ces facteurs, tous ces facteurs allaient

4 dans le sens de la poursuite du procès à un moment ou à des moments où il

5 est apparu très clairement qu'il aurait mieux fallu interrompre le procès.

6 Il y a certains moments très précis dans l'histoire de ce procès où, avec

7 le recul, on peut dire qu'il aurait mieux valu mettre un terme à la

8 procédure. Je pense à ce qui s'est passé au début de l'été 1997, lorsqu'il

9 est apparu très clairement que le Juge, Président de la Chambre de

10 première instance, avait du mal à se concentrer tout au long de la

11 procédure.

12 Autre moment clé, c'est le moment où le Juge Odio-Benito a annoncé son

13 intention de se présenter au poste de vice-présidente du Costa Rica. Je ne

14 sais pas si nous avons une date précise, mais je crois que cela a dû se

15 passer avant février 1998.

16 Et bien entendu, avec tout cela, il y a eu également le fait que le mandat

17 des juges devait prendre fin en novembre 1997 et qu'ils n'ont pas été

18 réélus. Dès ce moment-là donc, on a commencé à se pencher sur la question.

19 Mais une fois encore, j'estime qu'à ce moment-là, en dépit de tous les

20 problèmes que cela aurait provoqué, il aurait fallu interrompre le procès

21 et rouvrir le procès devant une autre Chambre constituée de façon

22 appropriée. Ceci est extrêmement important non seulement en ce qui

23 concerne, bien entendu, les appelants. Moi, mon devoir, c'est de défendre

24 mon client, et je crois que cela aurait été tout à fait dans son intérêt

25 si l'on avait interrompu le procès et si on avait redémarré ce procès.

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1 Je vais demander l'indulgence de la Chambre parce que je m'apprête à

2 énoncer une généralité, mais je pense que c'est quand même important. Si

3 on regarde le droit pénal international aujourd'hui, nous voyons la chose

4 suivante: nous nous sommes éloignés de l'ère des tribunaux de Nuremberg et

5 de Tokyo avec tous leurs défauts. Et pour la première fois, nous avons

6 maintenant des tribunaux qui ont le devoir de statuer sur des crimes de

7 guerre qui ont été commis, et ces tribunaux ne sont pas seulement par les

8 vainqueurs mais par n'importe qui. Or, c'est très important. Et puis,

9 bientôt, nous allons avoir une Cour pénale internationale.

10 Aujourd'hui, ces tribunaux sont des tribunaux pénaux internationaux, et

11 lorsqu'on examinera le travail de ces tribunaux à l'avenir pour voir

12 quelle a été leur contribution au droit international, on ne se penchera

13 pas, je pense, sur le nombre de condamnations, il y en aura suffisamment.

14 On ne se penchera pas non plus sur la qualité de la jurisprudence parce je

15 pense qu'elle a déjà été établie. Mais ce que l'on fera, ce que les

16 universitaires et les chercheurs feront, c'est de voir ce qui a été fait

17 pour garantir aux accusés l'apparence et la réalité d'un procès équitable.

18 Et ceci, on peut le juger au moment où le fait d'accorder un procès

19 équitable à l'accusé a un prix très lourd pour le Tribunal, en

20 l'occurrence, ici, celui d'arrêter le procès et de le reprendre plus tard

21 avec une autre Chambre.

22 Or moi, j'estime que ce Tribunal a pour mission de respecter l'Etat de

23 droit. Il y a beaucoup de gens en ex-Yougoslavie et ailleurs qui regardent

24 ce que fait le Tribunal.

25 Si un tribunal est détruit, si les tribunaux sont détruits par des bombes

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1 et des mortiers, on peut les reconstruire. Si l'on perd tous les

2 professionnels juridiques, on peut en former de nouveaux. Mais si l'Etat

3 de droit est bafoué, il n'est pas très facile de le remettre sur pied.

4 C'était donc un commentaire de nature un peu philosophique dont je

5 souhaitais vous faire part, mais je pense, qui est prégnant ici.

6 Maintenant, je vais parler de ce qui s'est effectivement passé dans le

7 procès. Je ne sais pas s'il vaut mieux que je parle des trois motifs

8 d'appel ou bien que, après chacun d'entre eux, je m'arrête pour vous

9 demander quels sont vos commentaires.

10 M. le Président (interprétation): Initialement, nous vous avons accordé

11 une heure pour parler des trois motifs d'appel. Je pense que c'est la

12 meilleure chose à faire, étant donné que vous vous êtes organisé de la

13 sorte.

14 M. Murphy (interprétation): Eh bien à ce moment-là, je vais commencer avec

15 le deuxième motif d'appel de Landzo, selon lequel le Juge Odio-Benito a

16 été frappée d'incapacité et ne pouvait plus être Juge du Tribunal du fait

17 de son élection au titre de vice-président de la République du Costa Rica.

18 Je ne vais pas répéter ce qui figure dans mon mémoire d'appel. Je vais

19 essayer de résumer ce que nous montrent les éléments de preuve à ce sujet.

20 Les éléments les plus importants, personne ne les conteste. Nous savons

21 que le Juge a été élu à ce poste en 1993, elle devait quitter son poste en

22 novembre 1997, elle n'avait pas été réélue.

23 A ce moment-là, quelque chose d'intéressant s'est passé, nous savons que

24 le Conseil de sécurité a voté une résolution, la résolution 1126. Et nous

25 estimons que cette résolution -et d'ailleurs c'était l'avis de

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1 l'accusation jusqu'à il y a peu-, le Conseil de sécurité a donc passé une

2 résolution qui avait pour effet de proroger le mandat des juges jusqu'à la

3 fin de l'affaire Celebici. J'y reviendrai parce que c'est très important

4 dans une autre perspective.

5 Donc, ceci est incontesté et il est contesté également que, peu de temps

6 avant février 1998, le Juge Odio-Benito a accepté l'invitation qui lui a

7 été faite par le Président Rodriguez, celui qui est aujourd'hui le

8 Président Rodriguez, de se présenter au poste de deuxième vice-président

9 du Costa Rica. Je suis sûr qu'il y a eu une campagne électorale, des

10 pressions, etc. En tout cas, elle a été élue à ce poste en février 1998.

11 Le 8 mai, elle a prêté serment et est devenue deuxième vice-présidente de

12 ce pays.

13 Quelque temps auparavant, nous avons appris que le Juge Odio-Benito, tout

14 à fait franchement, en toute conscience, a fait savoir au Tribunal ce

15 qu'elle avait l'intention de faire. Je crois que l'on est arrivés à un

16 accord, à un moment donné, un accord qui disait que le Juge s'engageait à

17 n'avoir aucune activité en tant que vice-présidente jusqu'à la fin des

18 audiences dans l'affaire Celebici. Et le Tribunal a estimé que cela

19 permettait de surmonter toutes les difficultés qui auraient pu résulter,

20 du fait qu'elle continuait à être Juge au Tribunal tout en étant vice-

21 présidente du Costa Rica.

22 Je reconnais que tout le monde a été de bonne foi lorsqu'on est arrivés à

23 cet accord et qu'on avait donc l'intention de trouver la meilleure façon

24 de faire face à cette situation un petit peu désagréable.

25 Tout le monde, je pense, était conscient du fait des conséquences que cela

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1 avait, la séparation des pouvoirs, le fait que le Costa Rica était membre

2 des Nations Unies, le fait que le Juge serait le n°3 au sein du pouvoir

3 exécutif de ce pays tout en occupant un poste dans un organe judiciaire.

4 Tout le monde était conscient de cela et je pense que ceux qui étaient

5 concernés au plus haut chef par cela ont pensé que l'accord qui avait été

6 passé permettait de résoudre ces difficultés.

7 Or, nous, nous avançons que ce n'est pas le cas. Nous avons présenté un

8 certain nombre d'éléments, c'est vrai, qui permettent de dire que le Juge

9 a eu un certain nombre d'activités en tant que vice-présidente, même avant

10 sa prestation de serment, mais ce n'est pas le plus important. Parce que,

11 quoi qu'est fait ou n'est pas fait le Juge Odio-Benito, de toute façon,

12 cet accord ne tenait pas debout dès le départ. C'était un accord d'une

13 grande fragilité.

14 Pourquoi? Eh bien, parce que c'est un accord qui ne prenait pas en compte

15 la séparation des pouvoirs qui se posaient, en l'espèce, justement. Cet

16 accord violait et enfreignait la Constitution du Costa Rica et c'est un

17 accord qui ne pouvait être mis en œuvre.

18 Vous vous en souviendrez, Messieurs les Juges, cette question a été

19 évoquée pendant le procès et le Bureau du Tribunal s'est réuni, s'est

20 penché sur la question de l'indépendance judiciaire.

21 Le Bureau a conclu qu'il n'y avait pas de violation de l'indépendance des

22 juges lorsque le Juge Odio-Benito est devenue présidente tout en restant

23 Juge.

24 Avec tout le respect que je dois au Bureau, je pense que le Bureau n'avait

25 pas été informé de ce qui comptait vraiment dans cette affaire.

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1 La question n'était pas celle de l'indépendance judiciaire, qui, je pense,

2 figure à l'article 15 du Règlement de procédure et de preuve. La question,

3 c'était une question de qualification, qualification des juges aux termes

4 de l'article 13 du Statut du Tribunal.

5 Mais, aussi bien dans le cadre de la Chambre de première instance que dans

6 le cadre de la préparation de cet appel, l'accusation ne s'est jamais

7 opposée à notre interprétation de la Constitution du Costa Rica. Mais je

8 crois qu'à un moment donné, dans leur mémoire en appel, ils indiquent

9 qu'ils ne sont pas tout à fait d'accord au sujet de la signification de la

10 Constitution. Nous avons donc fait appel à un expert sur le droit du Costa

11 Rica et son opinion a été reconnue par la Chambre.

12 L'accusation a fait de même, a appelé son propre expert. Et ayant examiné

13 l'opinion de cet expert, nous constatons qu'il arrive aux mêmes

14 conclusions.

15 Et je vais ici me reposer sur l'opinion de M. Batalla qui a été acceptée

16 par la Chambre et non pas celle de l'autre expert, mais de toute façon il

17 disait la même chose. Je crois que vous disposez de la déclaration de cet

18 expert, mais je voudrais mettre en lumière deux ou trois éléments à ce

19 sujet pour que cela soit inscrit à ce compte rendu-ci.

20 On se réfère à la deuxième page de son opinion. On voit que, ici, il

21 répond à une question qui lui a été posée par l'accusation et qui est la

22 suivante, je cite: "Est-ce qu'une personne peut être élue par l'assemblée

23 législative en tant que magistrat appartenant à la Cour suprême de son

24 pays si, au moment de son élection, cette personne occupe le poste de

25 vice-président du Costa Rica?"

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1 Je vous parle ici de la deuxième page de l'opinion de M. Batalla. La

2 réponse qu'il donne –je ne vais pas en donner lecture– est la suivante, je

3 cite: "Les dispositions de l'article 161 de la Constitution stipulent très

4 clairement que le poste de magistrat n'est pas compatible avec un poste

5 dans aucun des autres organes de pouvoir du pays.

6 Un magistrat ne peut donc pas être nommé à ce poste, au poste de magistrat

7 si, à ce moment-là, il est vice-président du Costa Rica. Ceci pour des

8 raisons historiques."

9 Ensuite, l'expert nous cite une partie de l'opinion d'un expert

10 constitutionnel auprès du Tribunal.

11 A la page suivante, juste avant la citation qui apparaît en bas de la page

12 3, le professeur Batalla ajoute la chose suivante: "Le corps législatif ou

13 le corpus de droit du Costa Rica stipule les raisons générales pour

14 lesquelles il ne peut y avoir compatibilité entre certains postes et le

15 poste de magistrat."

16 Il définit ensuite exactement ce que sont ces postes, en déclarant que

17 "seuls les magistrats et les juges sont à même d'administrer la justice."

18 (fin de citation).

19 Il y a donc incompatibilité entre certains postes et le poste de vice-

20 président. Et la justification se trouve dans le fait qu'il est absolument

21 impératif pour un Juge d'être totalement indépendant.

22 Une dernière des références que je souhaiterais vous donner qui se trouve

23 dans ce même document, à la page 7, en réponse à une question qui lui est

24 posée, à savoir: "Est-ce que cette personne, dans certaines circonstances,

25 serait à la fois un magistrat de la justice et un vice-président?"

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1 Le professeur Batalla répond, je cite: "En aucun cas, un magistrat ne peut

2 simultanément occuper le poste de magistrat et le poste de vice-président

3 de la République. Ceci compromettrait l'indépendance de ses fonctions qui

4 doivent exister à tout moment et ce, conformément aux concepts établis par

5 notre Constitution.

6 On ne peut pas assumer deux types de pouvoir et de fonction au même

7 moment." (fin de citation).

8 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous noterez que rien dans ces

9 différentes déclarations n'établit une distinction réelle entre la

10 situation dans laquelle se trouve un vice-président qui est,

11 effectivement, vice-président et un vice-président qui, comme le disait le

12 Bureau, était vice-président de nom seulement.

13 D'après nous, l'affirmation selon laquelle un vice-président peut être

14 seulement vice-président seulement de nom est une violation très claire

15 des articles 135 et 136 de la Constitution du Costa Rica. Et les vice-

16 présidents, au titre de cette Constitution, ont une fonction positive qui

17 est très clairement stipulée, les fonctions qui leur sont déléguées par le

18 Président.

19 M. le Président (interprétation): Je me permets de vous interrompre.

20 L'accusation adopte ou plutôt établit une distinction assez étonnante

21 entre une plainte qui a été formulée quant à des coupures de presse et

22 quant à des exemplaires de la Constitution. Il semble demandé à ce qu'il

23 soit effectivement prouvé qu'il s'agit bien de la Constitution du Costa

24 Rica.

25 Et moi, je remarque qu'ils s'appuient eux-mêmes sur la même édition de la

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1 Constitution que l'autre partie. A savoir, vous.

2 Alors, que pouvez-vous nous dire? Je me tourne vers l'accusation?

3 M. Staker (interprétation): Nous maintenons notre position originelle.

4 M. le Président (interprétation): Mais pourquoi est-ce que vous pouvez

5 vous appuyer là-dessus et pas la défense?

6 M. Staker (interprétation): Une des questions que nous nous sommes posées

7 est celle qui a été soumise notamment à l'avis du témoin expert.

8 Nous avons une copie de la Constitution du Costa Rica qui provient de la

9 bibliothèque du Tribunal. Il y a dedans le texte de la Constitution dans

10 sa version originale, en espagnol et puis, il y a une traduction en

11 anglais. Et les dates de cet exemplaire sont des dates qui remontent à

12 1995.

13 Lorsqu'on regarde ce texte, lorsqu'on le lit, il n'apparaît pas clairement

14 que les dispositions qui comparaissent soient nécessairement les mêmes que

15 le texte qui était en vigueur, au moment des faits qui nous intéressent

16 ici et dans le cadre de cet appel.

17 M. le Président (interprétation): Je vois le document dont vous parlez

18 puisque je l'ai sous les yeux. Il me semble qu'il identifie très

19 clairement les modifications intervenues entre les deux dates dont vous

20 nous parlez.

21 M. Staker (interprétation): C'est possible.

22 M. le Président (interprétation): J'essaie de savoir exactement ce qu'il

23 en est. Il me semble que si vous utilisez tous les deux la même édition,

24 il n'est pas question de dire que ce texte n'est pas digne d'être utilisé.

25 M. Staker (interprétation): Dès lors que l'on s'appuie sur le droit

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1 national, il faut prouver quel est l'Etat exact du droit national au

2 moment où on y fait référence.

3 Est-ce que le texte de cette édition reflète sincèrement le texte, tel

4 qu'il était en vigueur à l'époque des faits qui sont au cœur de cet appel

5 ou est-ce que la traduction en anglais qui a été faite de ce texte était

6 une traduction sincère et fidèle? Ce sont là les deux questions qui se

7 posent.

8 Notre expert nous a indiqué que les dispositions que nous avions

9 identifiées étaient, en fait, d'application au moment où les faits qui

10 nous intéressent se sont produits.

11 Il nous a dit également que la traduction anglaise était fidèle et, sur

12 cette base, nous déclarons qu'il y a un certain nombre d'éléments de

13 preuve dont peut disposer la Chambre d'appel, pour ce qui est du poids à

14 attribuer à ces dispositions. Mais nous déclarons aussi que prendre une

15 édition d'un texte et s'appuyer sur cela dans le cadre d'une demande de

16 recours juridique, surtout si l'on demande que des sentences soient

17 inversées, soient cassées à la fin d'un procès qui a duré un an et demi,

18 il nous semble qu'il faut absolument démontrer de façon très claire que

19 les sources sur lesquelles on s'appuie pour demander le recours sont

20 parfaitement établies et claires.

21 Si une disposition du droit national est utilisée dans le cadre d'une

22 demande de recours, il faut prouver que la disposition était formulée de

23 la même façon au moment des faits et au moment où nous parlons

24 aujourd'hui.

25 Peut-être que la loi a changé. La loi peut changer d'une semaine à

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1 l'autre. Il faut absolument que les bases de la demande du recours soit

2 éclaircies et soient prouvées. Sans preuve qui nous montre que c'est bien

3 les dispositions qui prévalaient à l'époque, qui est d'application, sans

4 preuve du fait que la traduction en anglais qui a été faite du texte est

5 bien une traduction sincère et fidèle, eh bien nous ne pensons pas qu'il y

6 ait une base suffisante sur laquelle s'appuyer.

7 M. le Président (interprétation): Et vous n'allez rien faire pour

8 coopérer, pour essayer d'obtenir le bon document de la part du Costa Rica?

9 M. Staker (interprétation): Mais nous avons essayé de savoir quel était le

10 bon texte.

11 M. le Président (interprétation): Mais vous nous dîtes après que vous

12 n’avez pas coopéré?

13 M. Staker (interprétation): Eh bien, si la Chambre d'appel nous intime

14 l'ordre de …

15 M. le Président (interprétation): Je formule cette demande. C'est un point

16 extraordinairement technique. Je comprends très bien l'argumentation que

17 vous nous soumettez.

18 Mais le fait que vous ayez demandé à votre expert qui se trouvait là sur

19 place, qui était prêt à faire ce que vous lui demandiez, le fait que vous

20 lui avez demandé quelque chose qui ne s'appliquait qu’à certaines

21 seulement des dispositions, me frappe comme étant quelque chose d’un petit

22 peu anormal. Ce document il faut le saisir dans sa totalité, le lire dans

23 sa totalité.

24 M. Staker (interprétation): Certes Monsieur le Juge, mais j'affirme

25 également qu'il est difficile et coûteux de demander à un expert...

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1 M. le Président (interprétation): Soit vous payez de votre poche, soit le

2 Tribunal paiera de sa poche, mais je crois que la poche est la même.

3 M. Staker (interprétation): Assurément, assurément. Dans une enveloppe

4 budgétaire différente mais un même budget. C’est payé par le Tribunal.

5 M. le Président (interprétation): Eh bien, nous allons laisser au Bureau

6 du Procureur le soin de savoir qui doit payer pour tout cela. Peut-être

7 pourrez-vous bénéficier du conseil de l’unité, des conseils de la défense.

8 Mais est-ce que vous allez tout de même vous charger de cela ou est-ce que

9 nous devons prendre le téléphone pour appeler l'expert nous-mêmes?

10 M. Staker (interprétation): Nous tâcherons de vous fournir toute notre

11 assistance.

12 M. le Président (interprétation): Parfait, nous continuerons lorsque nous

13 nous serons assurés que les documents auxquels vous, les deux parties,

14 faites référence sont parfaitement clairs.

15 M. Murphy (interprétation): Permettez-moi, Monsieur le Juge, d’aller au-

16 delà de ce que vous venez de dire. L'accusation ne contestait pas la

17 validité des dispositions constitutionnelles auxquelles nous vous avons

18 fait référence.

19 Jusqu’à ce que dans le mémoire de l'appelant il soit fait très

20 indirectement référence au fait qu'il serait inapproprié d'avoir à prouver

21 ces dispositions, tout simplement du fait qu'elles constituaient une

22 législation nationale, qu'elles étaient des dispositions d'un droit

23 national.

24 Nous nous sommes tournés vers nos experts qui ont examiné à la fois la

25 Constitution dans sa version anglaise et espagnole, dans la même édition

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1 que celle utilisée par l'accusation. Ils ont vérifié qu'il y avait bien là

2 des dispositions qui étaient utilisables et qui étaient d'ailleurs

3 traduites de façon tout à fait adéquate.

4 Ensuite, les experts ont déposé une opinion. L'expert de l'accusation de

5 son côté a vérifié de façon indépendante ces dispositions. Donc, la façon

6 dont Me Staker présente les choses me semble un petit peu outrageante.

7 M. le Président (interprétation): Pardon, je n'ai pas tout cela dans ma

8 chemise, mais est-ce que l’opinion de votre expert traite précisément de

9 ce dont nous parlons ici?

10 M. Murphy (interprétation): Oui, il traite des dispositions de la

11 Constitution. Il dit qu'elles sont tout à fait valides et qu'il y a une

12 traduction fidèle qui a été faite.

13 M. le Président (interprétation): Nous, ce qu'il nous faut c'est

14 l'intégralité du document.

15 M. Murphy (interprétation): Je ne sais pas si l'expert se prononce sur

16 l'intégralité du document.

17 M. le Président (interprétation): C'est là qu'intervient l'argumentation

18 de Me Staker. Ce que j’essaie de dire c’est qu’il y a, comme qui dirait,

19 un jeu qui implique les parties en présence. Un jeu qui consiste à savoir

20 qui va dépenser le moins d’argent. Eh bien, nous, nous voulons faire en

21 sorte que ce document et sa traduction soient des documents dignes de foi

22 et dignes d'être utilisés.

23 M. Murphy (interprétation): Laissez-moi à nouveau consulter cette opinion

24 d'expert.

25 Permettez-moi plutôt de le faire plutôt durant la pause déjeuner, Monsieur

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1 le Juge, permettez-moi d’y revenir un petit plus tard.

2 M. le Président (interprétation): Certainement.

3 M. Murphy (interprétation): Ce que j'affirme ici, c'est que nous avons une

4 édition tout à fait traditionnelle de la Constitution du Costa Rica. Nous

5 l'avons en anglais et en espagnol. Ce document a été versé dans son

6 intégralité devant la Chambre et nous n'avions pas l'impression que ce

7 document faisait l’objet de quelque contestation que ce soit. Précisément,

8 parce que les deux experts, celui de l’accusation et de la défense,

9 avaient utilisé la même édition. Mais, bien, nous verrons ce qu'il en est

10 après le déjeuner. Je continue.

11 L'accusation a également soumis à son expert un avis que l'accusation

12 avait elle-même émis dans le cadre de son mémoire en appel. Une

13 proposition qui permettait d'interpréter d'une certaine façon l'article

14 161 de la Constitution du Costa Rica.

15 L'argument de l'accusation était le suivant. D’après eux, il était

16 possible que la situation réelle était la suivante: qu’en fait l'élection

17 de Mme Odio-Benito au poste de vice-président était nulle et non avenue

18 parce qu'elle avait postulé à ce poste alors qu'elle était Juge en

19 fonction. Plutôt, que c'était cette optique qu'il fallait adopter plutôt

20 que l'optique inverse.

21 Nous savons qu'un juge qui est élu et qui est toujours le vice-président

22 du Costa Rica, nous savons plutôt que le Juge Odio-Benito a effectivement

23 été élue et qu’elle est toujours le vice-président du Costa Rica. . Il n'y

24 a pas de base factuelle à cela, mais c'est bien la situation.

25 Ensuite, l'accusation soumet à ses experts, c’est à la page 4 de l'avis de

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1 ce dernier, une question hypothétique très longue. En fait, c'est une

2 série de questions qui est posée.

3 D’abord, il y a la question de savoir si un magistrat peut continuer à

4 être un magistrat dès lors qu’il y a eu élection du vice-président. Ou

5 bien est-ce que cette élection est frappée d'invalidité? Et puis, la

6 réponse est donnée de façon relativement théorique. A savoir: "dans la

7 pratique et du fait d'un certain nombre de raisons, ces affirmations ne

8 peuvent en aucun cas refléter une situation qui peut survenir". (fin de

9 citation)

10 Bien sûr, il suffit de faire preuve de sens commun. Ce dont il est

11 question ici c'est précisément ce qui est dit dans l'article 13 de notre

12 Statut.

13 Bien, si l'on essaie de faire la synthèse, si on essaie d’analyser ce que

14 cela signifie. L'article 13 du Statut du Tribunal, outre d'autres

15 qualifications, demande qu'un juge présente les qualifications

16 personnelles les plus éminentes et qu'il soit membre d'une instance de son

17 Etat dans le cadre de fonction assez élevée.

18 Il n'y a aucun doute quant au fait qu’au moment de sa première élection le

19 juge Odio-Benito était plus que qualifiée en ce sens. Mais le fait qui

20 demeure est que le 8 mai 1998 le juge Odio-Benito a cessé d'être une

21 personne qui pouvait être considérée comme qualifiée en tant que membre de

22 la Cour suprême du Costa Rica.

23 Et j'applique tout simplement l'article 61 de la Constitution du Costa

24 Rica sur laquelle les deux experts se sont prononcés. Cet article a été

25 reconnu par les deux experts comme faisant intégralement partie des

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1 dispositions constitutionnelles.

2 Cela ne fait pas, cela ne signifie pas, en aucune façon, que Mme le Juge

3 Odio-Benito, du fait de cette élection, est devenue moins compétente en

4 tant que Juge.

5 Mais ce qui s’est passé au moment de cette élection, c’est qu’il y a eu

6 violation du principe de la séparation des pouvoirs, qui est bien ce qui

7 est envisagé par l'article 13 du Statut. Je crois que tout Tribunal

8 international qui a des dispositions statutaires semblables à celles que

9 nous avons ici, reposerait, ou se reposerait sur des arguments similaires.

10 J'en retourne à ce qui a été dit par le Juge Nieto-Navia dans l'affaire

11 que j’ai citée précédemment, où le juge a eu la possibilité de se

12 prononcer sur cette même question, même si le contexte était très

13 différent. Le Juge Nieto-Navia écrit la chose suivante, citation: "le

14 principe de l'indépendance du bras judiciaire est absolument essentiel, il

15 a toute primauté et devrait à tout moment avoir préséance dans le cadre de

16 conflit de pression politique ou d'interférence." (fin de citation)

17 Et nous, nous sommes tout à fait d'accord avec ce qui est dit par le Juge

18 Nieto-Navia. Je vous rappellerai que nous ne traitons pas ici des fonds de

19 l’affaire, à savoir est-ce que les accusés sont coupables ou non. Nous

20 traitons ici de la composition de la Chambre de première instance et nous

21 pensons qu'il s'agit là d'une question fondamentale, d'une question de

22 telle importance que le procès doit être déclaré invalide.

23 Je vais prendre un exemple tout hypothétique reposant sur des situations

24 différentes. Prenons un procès qui est déjà bien entamé et prenons

25 l'exemple d'un juge qui est considéré comme disqualifié par son propre

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1 pays, parce qu'il s’est rendu coupable de telle ou telle conduite. Il

2 n'est plus habilité à pratiquer le droit, il n'est plus habilité à être

3 désigné juge au sein de la plus haute instance de son pays. Je crois qu'il

4 n'y a pas de doute quant au fait que le résultat de cette situation serait

5 que le procès serait déclaré comme nul et non avenu. Le procès doit être

6 arrêté. Moi, je dis que dans la situation qui nous occupe ici, le procès,

7 aurait dû être arrêté le 8 mai.

8 Il y a eu un accord qui a été passé et que j'ai décrit tout à l'heure, et

9 cet accord, je crois, sur la question de ce qui devait être fait, était

10 bien réel à l'époque.

11 M. Bennouna: Vous nous avez lu l'article 13 qui dit...

12 M. Murphy: Je vous demande pardon, Monsieur le Juge, je n'ai pas de

13 traduction.

14 M. Bennouna: Je vous en prie. Vous nous avez lu l'article 13 qui dit: "Les

15 juges doivent être des personnes de haute moralité, impartialité et

16 intégrité, possédant les qualités requises dans leur pays respectif pour

17 être nommés aux plus hautes fonctions judiciaires."

18 Cela n'a rien à voir, cet article, avec la séparation des pouvoirs. Cela

19 veut dire simplement qu'ils doivent avoir un certain nombre de qualités,

20 comme le dit l'article, au niveau moralité, au niveau impartialité, au

21 niveau intégrité. Ils doivent être des personnes, ils doivent avoir les

22 qualités requises au niveau connaissance du droit, au niveau formation,

23 pour être nommés.

24 C'est donc une sorte de critère pour apprécier aussi bien leurs qualités

25 morales que leurs qualités professionnelles. On donne comme critère la

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1 possibilité d'être nommé aux plus hautes fonctions judiciaires.

2 Vous vous fondez là-dessus pour dire: "Mais comme elle est vice-présidente

3 du Costa Rica, ceci ne correspond pas à l'article 13." Ce n'est pas tout à

4 fait le sens de l'article 13, à mon avis. L'article 13, comme beaucoup

5 d'articles, comme beaucoup de dispositions dans les statuts des tribunaux

6 internationaux, donne le niveau au niveau moral et au niveau formation

7 professionnel, au niveau professionnel, que doivent avoir les juges pour

8 être élus, présentés et élus à ce type de fonction.

9 Voilà la question que je vous pose. Est-ce qu'il n'y a pas là une

10 confusion entre le problème de la séparation des pouvoirs qui se serait

11 posé si Mme Benito était candidate à un poste à la Cour suprême de son

12 pays, et le problème des qualités requises pour être juge international,

13 qui sont posées par l'article 13, et la compatibilité, éventuellement,

14 avec le poste de vice-président et du non exercice de cette fonction avec

15 la fonction de juge, international cette fois?

16 Voilà, monsieur Murphy, la question que je voudrais que vous nous

17 précisiez.

18 M. Murphy (interprétation): Je vois, Monsieur le Juge. L'article 13

19 effectivement traite directement des qualités morales et éthiques dont

20 doivent faire état les candidats au poste de juge devant ce Tribunal, et

21 fait état bien sûr des qualités en matière d'application de la loi qui

22 doivent être les leurs, notamment dans le domaine du droit pénal, mais

23 dans le domaine du droit international également.

24 Et si l'article 13 s'était arrêté là, il n'y aurait aucun problème. Il n'y

25 aurait aucun intérêt à essayé d'introduire une disposition tout à fait

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1 séparée qui exige également que ces juges aient les capacités nécessaires

2 pour être élus au poste le plus élevé de l'instance la plus élevée de leur

3 pays.

4 J'affirme par ailleurs que l'article 13, outre ce que je viens de dire,

5 traite bien de la séparation des pouvoirs, mais pas de la même façon que

6 cela peut être fait dans le cadre d'un système national. Nous ne traitons

7 pas ici d'une affaire dans laquelle Mme le Juge Odio-Benito essayait en

8 même temps à fois d'être vice-président et membre de la Cour suprême. Ce

9 n'est pas la situation qui se présentait.

10 Mais si on essaie d'appliquer cette situation au Tribunal international,

11 eh bien, on voit bien qu'est établie la règle selon laquelle il doit y

12 avoir une séparation entre le judiciaire et les membres de la branche

13 judiciaire qui appartiennent au Tribunal et toutes les autres branches du

14 gouvernement de quelque pays membre qu'il s'agisse.

15 Les raisons qui motivent cet argument, Monsieur le Président, apparaissent

16 dans nos écritures. Il faut absolument qu'il y ait l'apparence d'équité.

17 Dans tout procès devant ce Tribunal, il faut qu'il y ait totalement une

18 étanchéité entre une activité politique dans le cadre d'un pays membre des

19 Nations Unies et ce qui est fait dans le cadre du Tribunal.

20 Est-ce que je réponds à votre question?

21 M. Bennouna: Merci beaucoup, Monsieur Murphy.

22 M. Murphy: Je vous en prie.

23 M. Nieto-Navia (interprétation): Monsieur Murphy, permettez-moi de vous

24 poser une question moi aussi. Nous traitons de la question de la

25 séparation des pouvoirs. Vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il

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1 s'agit là de l'un des principes généraux du droit. Personne ne le

2 contestera, je pense.

3 J'aimerais toutefois savoir quelle est l'application que vous faites de ce

4 principe à ce qui se passe ici, dans ce Tribunal, et pas de façon

5 générale, très concrètement. Je me demande comment ou en quoi ce Tribunal

6 peut être affecté par ce que fait le pouvoir exécutif du Costa Rica, de

7 façon très concrète.

8 M. Murphy (interprétation): Eh bien, Monsieur le Juge, le Costa Rica, je

9 ne vous apprends rien, est membre des Nations Unies. Un de mes collègues

10 vient de me faire passer une note qui me dit qu'à l'époque le Costa Rica

11 était également membre du Conseil de sécurité. Et si cela est parfaitement

12 exact, cela signifierait que cet Etat avait un contrôle politique et

13 administratif direct sur ce qui se passe à l'intérieur de ce Tribunal.

14 Je ne vais pas essayer d'aller trop avant dans cette question, mais la

15 question de l'équité trouve sa source dans l'indépendance du judiciaire,

16 et ceci est traité d'un certain nombre de façons. Par exemple, par

17 l'article qui stipule qu'aucun pays ne peut être représenté par plus d'un

18 juge -c'est un exemple que je donne.

19 C'est donc un principe absolument crucial et nous n'affirmons pas que le

20 Costa Rica s'est d'une quelconque façon impliqué dans l'affaire qui nous

21 intéresse ici, en aucune façon, et ce n'est pas l'argument qui nous occupe

22 ici.

23 L'argument est qu'il est absolument fondamental -et c'est un principe

24 absolument essentiel qui est consacré par le Statut du Tribunal lui-même-

25 que de dire qu'il doit y avoir une séparation entre le judiciaire et les

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1 autres branches d'un gouvernement dans tous les Etats membres des Nations

2 Unies. Ce n'est pas une allégation par laquelle j'essaie de dire que

3 quelque chose s'est effectivement passé, concrètement, comme vous le

4 dites, c'est simplement une affirmation selon laquelle il doit y avoir une

5 indépendance totale du bras judiciaire.

6 Vous avez très éloquemment expliqué cela dans le document que j'ai cité,

7 Monsieur le Juge. C'est absolument fondamental, ce que vous avez dit, il

8 n'y a aucune exception qui puisse jouer. Mais ici, nous sommes confrontés

9 à une situation dans laquelle se trouve impliquée le Juge Odio-Benito.

10 J'ajouterai également que vous bénéficiez de ce que disent un certain

11 nombre de coupures de presse à ce sujet. Nous comprenons quelle est la

12 situation dans laquelle le vice-président a dû se trouver: elle s'est

13 trouvée dans une position absolument épineuse, et jamais elle n'aurait dû

14 se trouver dans ce type de position.

15 Je ne dis pas que ces coupures de presse sont d'une utilité fondamentale,

16 mais j'essaie simplement de m'en servir comme éléments permettant d'étayer

17 ce que j'essaie de dire.

18 M. le Président (interprétation): Permettez-moi de vous interrompre à mon

19 tour. Vous essayez de nous dire, d'après ce que je comprends que, parce

20 que le Juge Odio-Benito est devenue membre du pouvoir exécutif du Costa

21 Rica, elle a cessé d'être qualifiée pour ce qui est d'une nomination à un

22 poste judiciaire de la plus haute importance au Costa Rica?

23 M. Murphy (interprétation): Précisément.

24 M. le Président (interprétation): Je vous soumets la chose suivante. Peut-

25 être qu'il n'était pas dans l'intention du Conseil de sécurité, au moment

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1 où il a rédigé le Statut dans sa formulation actuelle, d'en faire quelque

2 chose qui disqualifiait un juge.

3 Vous voyez, au moment où le Juge Odio-Benito a été élue en 1993, elle

4 était ministre de la Justice de son Etat. Et cela apparaît dans les

5 documents des Nations Unies, eux-mêmes. Lorsque le Conseil de sécurité a

6 essayé d'éliminer un certain nombre de candidats pour essayer d'en réduire

7 le nombre, sans doute que l'un des éléments qu'il a tenu en compte c'est

8 notamment les qualifications desdits candidats et comme vous le soulignez

9 à ce moment-là le Costa-Rica était membre du Conseil de sécurité.

10 Dans le curriculum vitae du Juge Odio-Benito, il apparaissait que oui, à

11 l'époque elle était ministre de la Justice. Et d'ailleurs, d'après son

12 curriculum vitae, ainsi qu'il a été rédigé par la suite, il apparaît

13 qu'elle n'a démissionné de ce poste qu'en 1994. Pourtant le Conseil de

14 sécurité a précisé qu'il pensait que le Juge Odio-Benito était un candidat

15 tout à fait possible pour le poste de juge au sein de ce Tribunal. C'est

16 une chose que je voulais dire.

17 Et puis il y a autre chose. Nombre de pays ont des qualifications qui

18 reposent sur l'âge des juges, et notamment, pour être juge dans les Cours

19 suprêmes de tel ou tel Etat. Mon prédécesseur au sein de ce Tribunal était

20 le juge Ninian Stephen. Le juge Stephen avait 70 ans lorsqu'il a été élu

21 au poste de juge de ce Tribunal. A l'époque, il était tout à fait qualifié

22 pour ce poste et il était également qualifié pour un poste de la plus

23 haute importance en Australie.

24 C'est la Cour suprême des nouvelles Galles du sud qui a imposé un âge

25 limite de 72 ans. Au moment où la procédure de candidature a abouti, il

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1 avait 74 ans, donc il ne pouvait plus être élu à ce poste de la plus haute

2 importance en Australie et pourtant l’Australie l'a proposé comme juge

3 pouvant être candidat à un poste de juge au sein de ce Tribunal.

4 Cela revient à ce que dit le Juge Bennouna. Tout ce qui nous intéresse

5 ici, c'est que nous parlons bien d'une personne qui présentait toutes les

6 qualifications nécessaires pour pouvoir être considérée comme candidat

7 potentiel à une place de juge dans la Cour suprême de son pays. Et toute

8 autre considération n'est que de peu d'importance.

9 M. Riad (interprétation): J'ajoute quelque chose à ce qu'a dit le Juge

10 Hunt et peut-être que cela va vous aider, Maître, dans votre réflexion

11 parce que vous nous renvoyez à l'article 13 du Statut. Je reconnais que

12 l'article 13 requiert que le juge doit avoir les qualifications requises

13 dans les pays respectifs pour être nommé aux plus hautes fonctions

14 judiciaires.

15 D'après le professeur Batalla, dans son avis d'expert, et je vois qu'on

16 lui pose la question suivante, citation: "Est-ce que le magistrat continue

17 à être un magistrat s'il est élu au poste de vice-président?", et la

18 réponse apparaît en page 5: "Il apparaît que le magistrat continue d'être

19 magistrat et que l'élection au poste de vice-président devient nulle et

20 non avenue." Cela, c'est le problème qui se pose au Costa Rica. Et pour ce

21 qui concerne le candidat, eh bien, il continue à être magistrat. Et si

22 l'on s'en tient à l'interprétation que vous faites de l'article 13, eh

23 bien il continue à remplir le critère qui est exigé.

24 M. Murphy (interprétation): Certes, Monsieur le Juge, mais je répondrai

25 très brièvement à la question que vous me posez. Cela fait partie de

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1 l'avis d'expert, c'est vrai, mais un peu plus loin, ce même expert dit

2 qu'un magistrat qui se propose lui-même comme candidat à un poste du

3 pouvoir exécutif se rend coupable d'un crime au regard ou d'une offense au

4 titre de la loi du Costa Rica.

5 Cela, c'est la situation qui se produirait dans le cadre du droit

6 national. Une situation qui, je vous l'accorde, ne présente pas une forte

7 probabilité de se produire dans les faits.

8 Peut-être que je pourrais vous donner le complément à ma réponse après le

9 déjeuner mais, très brièvement, je dirai qu'il faut faire une distinction

10 entre des situations où, par exemple, l'âge du juge est un élément qui est

11 pris en considération et les situations où le juge est disqualifié pour

12 des motifs beaucoup plus graves, beaucoup plus sérieux.

13 Vous citez le juge Ninian Stephen. On ne peut que penser que le Tribunal

14 pénal s'est senti très honoré de pouvoir compter ce juge parmi les siens.

15 Mais, pour ce qui est de cette question de la disqualification des juges,

16 la disqualification qui repose sur le fait que l'on occupe un poste

17 politique découle d'une prémisse toute différente de celle qui sous-tend

18 la situation personnelle d'un juge ou son âge.

19 Peut-être que pour ce qui est du Juge Odio-Benito, peut-être

20 qu'effectivement elle était éligible au moment de sa nomination et peut-

21 être que la situation était la suivante: elle aurait sans doute

22 démissionné en tant que ministre de la Justice en temps voulu. Je n'ai pas

23 de doute quant au fait qu'elle l'aurait fait. Mais la question qui se pose

24 est de savoir s'il était juste pour elle de continuer au poste de juge du

25 Tribunal.

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1 M. le Président (interprétation): Mais, en tant que ministre de la

2 Justice, d'après votre argumentation, elle n'était pas éligible au poste

3 de juge de la Cour suprême du Costa Rica?

4 M. Murphy (interprétation): C'est exact.

5 M. le Président (interprétation): Nous vous avons beaucoup interrompu,

6 donc il vous faut un peu plus de temps que prévu, mais combien de temps

7 vous faut-il?

8 M. Murphy (interprétation): Pour les deux autres motifs d'appel, je n'ai

9 pas besoin de beaucoup de temps. Je crois qu'il me faudra vingt minutes.

10 M. le Président (interprétation): Mais c'est parfait. Peut-être, nous

11 faudra-t-il siéger plus longtemps ce soir pour que nous puissions en

12 terminer pour de bon. Je parlerai aux personnes qui sont compétentes en la

13 matière, mais peut-être que nous essaierons de prolonger la durée de

14 l'audience.

15 M. Murphy (interprétation): De mon côté, j'essaierai de faire de mon mieux

16 pour que les choses avancent rapidement.

17 M. le Président (interprétation): Nous suspendons jusqu'à 14 heures 30.

18 (L'audience, suspendue à 13 heures 02, est reprise à 14 heures 30.)

19 M. le Président (interprétation): Nous sommes reconnaissants de l'aide que

20 nous recevons des personnes responsables de l'interprétation et de la

21 sténotypie et nous siégerons donc jusqu'à 18 heures, cet après-midi.

22 M. Murphy (interprétation): J’avancerai aussi rapidement que possible,

23 mais je vous demande un instant pour m'efforcer de répondre aux questions

24 qui m'ont été posées avant le déjeuner.

25 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, s'agissant du Juge Odio-Benito

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1 et du ministère de la Justice, je me vois contraint de dire qu'à mon avis

2 il ne serait convenable qu’elle soit élue et confirmée dans son poste de

3 juge que si elle démissionnait de son poste actuel.

4 M. le Président (interprétation): Mais, à votre avis, elle n'était pas

5 éligible à ce poste? Elle ne pouvait pas se porter candidate?

6 M. Murphy (interprétation): Elle pourrait l’être, mais à partir du moment

7 où elle démissionnerait pour commencer un nouveau mandat.

8 M. le Président (interprétation): Mais nous parlons d'éligibilité ici.

9 M. Murphy (interprétation): Vous avez raison, mais ce que je voudrais

10 dire, c'est également ceci. Maître Moran a attiré mon attention sur

11 l’affaire Halton contre Raines qu'il a citée dans son mémoire. Bien

12 entendu, je sais bien qu’il s'agit de droit national qui repose sur des

13 dispositions nationales. Mais cette affaire peut nous être utile car elle

14 permet de montrer qu'il existe des cas où, lorsqu’un juge atteint un

15 certain âge par exemple, il doit démissionner, indépendamment du fait

16 qu'il soit au milieu d'un procès ou qu'il s’acquitte d'un certain nombre

17 de tâches judiciaires.

18 J'aimerais établir la distinction suivante. Bien sûr, l'âge est un facteur

19 involontaire que personne ne contrôle. Mais dans l’affaire Stephen, par

20 exemple, le Conseil de sécurité ou plutôt dans le cas du Juge Stephen, il

21 est fort possible que le Conseil de sécurité ait pu étendre son mandat

22 jusqu'à la fin d'un procès, comme cela a été fait avec les juges qui

23 siégeaient dans l'affaire Celebici.

24 M. le Président (interprétation): Vous acceptez donc l'argument du

25 Procureur s'agissant de l’effet de cette extension du mandat, ou bien

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1 n'est-ce pas ce que vous aviez à l'esprit?

2 M. Murphy (interprétation): J'y reviendrai dans quelques instants,

3 Monsieur le Juge.

4 Mais s'agissant du Juge Odio-Benito, je dirai que sa disqualification

5 n'était pas involontaire. Elle résultait d’un acte volontaire et

6 j’ajouterai que, outre le fait de devenir du gouvernement exécutif du

7 Costa Rica, elle est également devenue membre d'un organe exécutif par

8 rapport à ce Tribunal. Parce que le Costa Rica faisant partie des Nations

9 Unies, le Juge Odio-Benito a acquis une capacité exécutive par rapport à

10 ce Tribunal.

11 C'est là que le problème se pose. Aucun acte du Conseil de sécurité

12 n'aurait pu permettre de résoudre ce problème spécifique.

13 J'affirme qu'il y a deux éléments, en fait, qui indiquent que le Tribunal,

14 en tant que tel, accepte le point de vue de l'appelant sur le problème de

15 droit qui se pose ici. Le Juge Cassese a admis que, en 1997, le mandat des

16 juges allaient expirer et que le procès ne serait pas terminé.

17 Comme vous le savez, nous avons des documents, des éléments de preuve qui

18 sont des documents envoyés au Secrétaire général demandant une extension

19 du mandat. Le Secrétaire général a élaboré un rapport sur cette base et la

20 décision a été prise dans le cadre de la résolution 1126.

21 Mais s'agissant de l’argument du Procureur, rien de tout cela n'aurait été

22 nécessaire parce que, si les juges étaient qualifiés pour siéger au début

23 du procès, ils auraient dû, d'après l'accusation, continuer à être

24 éligibles. Et bien entendu, le Procureur déclare ensuite que l'effet de

25 tout cela n'a pas réellement consisté à étendre le mandat des juges malgré

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1 la formulation, le libellé très clair du document dont je viens de parler.

2 Or, à mon avis, la question se pose d'une façon tout à fait différente. Le

3 Procureur déclare que ce n'est pas exactement ce qu'a fait le Conseil de

4 sécurité qui a créé cette condition de Juge au Tribunal mais pas le

5 Tribunal.

6 Très franchement, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'aimerais

7 vous présenter cet argument. Mais, après l'avoir pris en compte de façon

8 très sérieuse, je pense que ce serait la fin de l’appel si la Chambre

9 devait l’admettre, parce que les accusés sont jugés par trois personnes

10 qui n'étaient pas Juges.

11 Puisque je ne pense pas que le Tribunal acceptera cet argument, je

12 continue à maintenir que ce qui s’est passé l’a été sur la base de

13 documents précis envoyés au Conseil de sécurité au Secrétaire général, et

14 que c'est sur cette base que le Conseil de sécurité a étendu le mandat des

15 Juges jusqu'à la fin du procès.

16 Le deuxième élément qui s’est produit et dont je pense qu’il est

17 d'importance pour ce Tribunal, c'est le problème dont je vais parler

18 maintenant, et c'est le cœur du problème.

19 S'il n'y a pas eu un problème lié au Juge Odio-Benito et au fait qu’elle

20 est devenue vice-président de son pays, pourquoi était-il nécessaire de

21 conclure un accord? La réponse en bref à cette question d'un point de vue

22 constitutionnelle et d'un point de vue d’équité pour l'accusé, c'est que

23 le Tribunal a admis à juste titre que quelque chose devait être fait.

24 J'affirme que ceci a été fait, mais que ce n’est pas suffisant pour régler

25 le problème. Monsieur le Juge, à moins que vous n'ayez des questions, je

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1 peux poursuivre avec le troisième motif d'appel.

2 M. le Président (interprétation): Poursuivez.

3 M. Murphy (interprétation): J'en dirai quelques mots uniquement. Ce motif

4 d'appel porte sur un fait qui n'est pas contesté, à savoir que le Juge

5 Odio-Benito faisait partie du Conseil d’administration du Fonds des

6 Nations Unies pour l’aide aux victimes de torture et ce, pendant une

7 grande partie du procès. A notre avis, cette situation est très similaire

8 à celle dont nous parlions dans notre mémoire, une affaire citée dans

9 notre mémoire, l'affaire Pinochet.

10 Les juges ont une copie de ce document, de la décision rendue par la

11 Chambre des Lords britannique. Les faits sont pratiquement les mêmes. Il y

12 a deux points que j’aimerais traiter brièvement. Le premier point, c’est

13 que l'affirmation affirme que, parce qu'Amnesty International est

14 intervenu au cours des débats, cela a donné une force plus grande à la

15 disqualification de Lord Hoffman.

16 Mais, lorsque nous avons examiné la décision des juges britanniques, nous

17 nous sommes rendus compte que l'un des éléments principaux à l'appui de la

18 disqualification de Lord Hoffman résidait dans le fait qu'à tout moment,

19 lorsqu'un juge se trouve confronté à un conflit d'intérêt dû à une

20 implication particulière du juge dans une autre instance, ce juge doit

21 dévoiler ce fait de façon active.

22 En l'absence de consentement éclairé de la part de l'accusé, il ne peut

23 pas poursuivre sa tâche de juge, donc c'est cela le problème dont nous

24 parlons.

25 Or, il y a un fait frappant ici. Lord Hoffman avait des activités qui

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1 étaient très semblables à celles du Juge Odio-Benito. Il était en fait

2 directeur d'une société recueillant de l'argent pour Amnesty

3 International. Il n'a jamais été dit qu'il aurait joué un rôle politique

4 par rapport à Pinochet ou qu'il aurait été partial dans le jugement. Mais

5 la réalité, c'est que du point de vue de l'aspect visible de l'équité, il

6 y avait conflit d'intérêt et la Chambre des Lords a finalement tranché sur

7 ce point, comme vous savez qu'elle l'a fait.

8 Le deuxième élément que j'aimerais évoquer, c'est que je me rends bien

9 compte que l'implication du Juge Odio-Benito, par rapport à ce Fonds,

10 était décrite dans certains documents soumis à ce Tribunal. Mais le fait

11 que Lord Hoffman ait été directeur de la société dont je parlais était un

12 fait public.

13 Chacun pouvait inspecter un certain nombre de documents. Les sénateurs

14 auraient, par exemple, pu inspecter ces documents s'ils avaient décidé de

15 le faire ou s'ils avaient voulu le faire.

16 La Chambre des Lords a décidé que tout cela n'avait pas d'importance mais

17 qu'il fallait qu'il y ait divulgation positive. Or, aucune divulgation

18 positive n'a été faite par le Juge Odio-Benito dans l'affaire qui nous

19 intéresse. Et il importe de se rappeler que la Chambre des Lords a décidé

20 qu'il n'était pas indispensable de prouver la partialité.

21 Nous ne disons, à aucun moment ici, que le Juge Odio-Benito a fait preuve

22 de partialité à l'égard de l'accusé Landzo ou des autres accusés. Mais ce

23 qui importe ici, c'est la possibilité qu'il y ait partialité. Or, les

24 activités du Juge Odio-Benito portent sur un organisme qui s'occupe de

25 tortures.

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1 Dans l'affaire Landzo, des tortures ont été invoquées et, du point de vue

2 du droit, il est raisonnable de penser qu'une partialité peut être

3 suscitée par ce fait, comme cela a été dit dans la décision Pinochet qui a

4 permis de disqualifier Lord Hoffman.

5 Je pense donc qu'il n'est pas nécessaire de s'enquérir des faits plus

6 avant. Et j'ajouterai ceci très brièvement, car cela figure dans nos

7 écritures, lorsqu'une personne accepte les fonctions de juge, cela

8 implique certaines limites sur d'autres activités que cette personne peut

9 avoir ailleurs.

10 Les juges s'engagent d'une certaine façon à se maintenir à l'écart des

11 troubles politiques, de la vie politique, des activités politiques parce

12 que cela pourrait avoir un effet négatif sur leur fonction de juge qui,

13 elle-même, exige une impartialité incompatible avec le type d'activité que

14 le Juge Odio-Benito et Lord Hoffman menait par ailleurs.

15 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je sais que mon confrère, Me

16 Morrison, a d'autres éléments à évoquer mais je suis prêt à répondre à vos

17 questions.

18 M. le Président (interprétation): Il y a un point que j'aimerais soulever.

19 C'est l'article 13, il traite de la qualification des juges. Ils doivent

20 être expérimentés en droit international, droit humanitaire, droit pénal,

21 droit humanitaire international et Droits de l'Homme.

22 M. Murphy (interprétation): Oui, Monsieur le Juge.

23 M. le Président (interprétation): Et, manifestement, la torture est un

24 point qui est couvert par ces expressions. Il semble qu'il soit difficile

25 d'admettre qu'il puisse y avoir qualification et disqualification sur les

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1 mêmes bases.

2 M. Murphy (interprétation): Monsieur le Juge, le fait que le Juge avait

3 ces activités était un élément qui la qualifiait pour ses fonctions de

4 juge mais ce que j'affirme, c'est qu'au moment où elle est devenue Juge,

5 elle a commencé à jouer un rôle tout à fait différent.

6 Et il est permis de dire qu'une qualification très valable pour être Juge

7 au Tribunal aurait pu consister à avoir une expérience de Procureur, dans

8 d'autres systèmes judiciaires. Au cas, par exemple, où ce rôle de

9 procureur aurait permis d'enquêter sur des actes de violence, cela aurait

10 pu constituer une qualification tout à fait valable. Mais, bien sûr, cela

11 ne peut pas être le cas pour un juge du Tribunal.

12 Donc, Monsieur le Juge, le problème se pose dès lors qu'un juge a des

13 activités personnelles, par ailleurs, qui peuvent créer un conflit avec

14 les faits jugés au cours du procès qu'entend ce juge. Bien entendu, dans

15 un Tribunal comme celui-ci, la torture est très souvent présente dans les

16 charges même si l'accusé n'est pas accusé de cela précisément, c'est un

17 chef que l'on trouve très souvent. Landzo, pour sa part, a été accusé de

18 trois chefs de torture.

19 Donc, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous comprendrez bien

20 que, dans ces circonstances, la potentialité d'une partialité négative est

21 tout à fait présente et raisonnablement envisageable.

22 C'est la raison pour laquelle la disqualification de ce juge était une

23 nécessité absolue, indépendamment du procès. Le procès aurait dû être

24 interrompu.

25 Je dirai également, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que ceci

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1 correspond à l'article 15 A) du Règlement de procédure et de preuve, qui

2 stipule clairement qu'un juge ne peut connaître en première instance ou en

3 appel d'une affaire dans laquelle il a un intérêt ou avec laquelle il a ou

4 a eu un lien quelconque, de nature à porter atteinte à son impartialité.

5 Cet article du Règlement poursuit en stipulant qu'en ce cas, il doit se

6 récuser dans cette affaire et le Président désigne un autre juge pour

7 siéger à sa place.

8 M. le Président (interprétation): Si c'est le cas, le Juge Odio-Benito

9 aurait dû ne rien faire du tout pendant quatre ans.

10 M. Murphy (interprétation): Eh bien, Monsieur le Président, j'ai le regret

11 de dire que c'est peut-être le cas.

12 Bien entendu, en toute conscience, je me rends bien compte que le Tribunal

13 n'en était qu'à ses débuts et que des questions très difficiles se

14 posaient à lui à cette époque qui, apparemment n'ont pas surgi depuis.

15 Mais c'est le devoir d'un Tribunal de tenir compte des circonstances, même

16 lorsqu'elles sont désagréables.

17 A moins qu'il y ait des questions, je peux passer au chef suivant.

18 M. le Président (interprétation): Je vous en prie.

19 M. Murphy (interprétation): Monsieur le Président, j'en arrive au dernier

20 motif d'appel que je vais traiter, qui concerne le Juge Karibi-Whyte et je

21 vous ai déjà dit, je vous le rappelle, que mon exposé risque d'être assez

22 direct sur ce point.

23 La Chambre d'appel a vu les extraits de cassettes vidéo élaborées qui

24 montrent des images de certains moments du procès. Une difficulté se pose.

25 En effet, les caméras qui filmaient le Juge Karibi-Whyte –il y en avait

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1 deux– n'étaient pas sur lui à tout moment. C'est la raison pour laquelle

2 nous n'avons pas un enregistrement complet de la participation du Juge

3 Karibi-Whyte au procès.

4 Le Procureur a essayé d'avancer un argument statistique en affirmant que,

5 sur le nombre total d'heures filmées, on ne voit le juge dormir que X du

6 temps. Je crois que le pourcentage cité était de 6% et que cela ne suffit

7 pas à motiver cet appel.

8 Mais, à notre avis, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'aspect

9 crucial de cette affaire, c'est: quelles sont les constatations que peut

10 tirer la Chambre d'appel quant aux périodes qui n'ont pas été couvertes

11 par… pendant lesquelles la caméra n'était pas sur le visage du Juge

12 Karibi-Whyte?

13 Alors, je pense que rien de ce que je pourrais dire sur ce sujet ne

14 s'écarterait grandement des observations que pourraient faire les membres

15 de cette Chambre. Mais sur un plan personnel, je dirai que, réellement,

16 j'ai été surpris de penser que je devrais me lever ici dans ce prétoire

17 pour parler de ce genre de sujet.

18 Je n'ai pas l'habitude de ce qui se passe dans les systèmes judiciaires

19 d'où viennent les juges de cette Chambre mais je dois dire que si je

20 parlais devant une Chambre d'appel en Angleterre ou au Pays de Galles, je

21 trouverais inconcevable d'imaginer que je pourrais me lever et prendre la

22 parole pour dire que ce que l'on voit sur ces extraits de bandes vidéo est

23 acceptable.

24 Bien entendu, ce n'est pas la faute du Juge, mais la situation qui

25 existait était une situation dans laquelle le Juge Karibi-Whyte, pour

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1 diverses raisons dont nous n'avons pas connaissance, était très souvent

2 profondément endormi et la plupart du temps incapable ou en tout cas

3 limité dans sa capacité de suivre les débats.

4 Il parlait de façon incohérente et n'était pas conscient de son

5 environnement. Il a dû souvent être réveillé par le Juge Jan. On l'a

6 entendu ronfler à plusieurs reprises. Et ce que je dis, avec tout le

7 respect que je dois au Tribunal, Monsieur le Président, Messieurs les

8 Juges, car il n'y a rien d'autre que je puisse dire dans mon exposé, mais,

9 enfin, je dis et j'affirme que ceci est totalement inacceptable.

10 Le Statut de ce Tribunal exige que l'accusé soit jugé par trois juges. Ces

11 juges, bien entendu, jugent aussi bien sur le droit que sur les faits et

12 dans ce qu'apprécie le Président parmi les juges a une responsabilité

13 supplémentaire car il doit rendre des décisions au sujet des éléments de

14 preuve et de la procédure.

15 Lorsqu'on se trouve dans une situation comme celle-ci, je dirai d'abord

16 que nous ne savons pas quel serait le point de vue adopté par le Juge

17 Karibi-Whyte sur les éléments de preuve relatifs au droit s'il avait pu

18 éveiller complètement son esprit.

19 Nous ne savons pas quel aurait été l'impact du Juge Karibi-Whyte dans les

20 discussions entre les trois juges, quelle aurait été sa participation à de

21 telles consultations. Nous ne spéculerons pas sur ce point.

22 Mais la réalité des faits, c'est que Landzo et les autres appelants

23 étaient habilités à bénéficier d'une participation pleine et entière du

24 Juge Karibi-Whyte dans ces débats et qu'ils n'en ont pas bénéficié. De

25 sorte que, autant du point de vue de la nécessité de bénéficier d'un

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1 procès équitable et de la nécessité que ce procès équitable soit

2 visiblement équitable, je pense que cette Chambre d'appel n'a pas d'autre

3 possibilité que de décider que ce procès doit être rejugé devant des juges

4 différents.

5 Maintenant, j'aimerais parler des raisons pour lesquelles, des raisons

6 liées au fait de savoir s'il a été renoncé à ce motif d'appel. Je dirai ce

7 qui suit. A notre avis, franchement, aucun article du Règlement de

8 procédure et de preuve de ce Tribunal n'empêche d'élever une objection de

9 cette nature à part, peut-être, l'article 15 F) qui a, depuis, été modifié

10 selon lequel l'accusé aurait droit de présenter une requête au Président

11 des Juges de la Chambre et de lui demander de recommander le changement

12 d'un juge en particulier.

13 Mais compte tenu des circonstances du procès dont nous parlons, la

14 difficulté résidait dans le fait que c'est précisément le Président des

15 juges qui aurait dû lui-même décider son propre remplacement. Nous sommes

16 donc dans une situation assez inhabituelle et c'est aux conseils qu'il

17 appartenait de s'adresser directement au juge sur cette question pour lui

18 parler de son état de santé.

19 Demander d'écrire un rapport adressé au Président d'une Chambre avec une

20 recommandation de remplacement de ce même Président est tout de même une

21 situation assez peu envisageable et assez difficile, vous le comprendrez,

22 assez peu attractif pour l'accusé.

23 Mais le fait fondamental dans cette affaire est le suivant, à mon avis:

24 l'état de santé du juge doit être porté à l'attention de la Chambre dans

25 des limites de temps permettant d'y porter remède. Or, cela n'était pas

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1 possible. La question qui se pose est: est-ce que cela a été fait?

2 Madame Sinatra, les Juges sont au courant de ce que Mme Sinatra a fait,

3 mais Me Sinatra a en fait attiré l'attention sur ce point de M. Hocking,

4 puis du greffier et enfin du Juge Cassese. Elle a écrit une lettre au Juge

5 Cassese sur ce point. Il y a ensuite eu une audience en appel, nous ne

6 savons pas exactement ce qui s'est passé au cours de cette audience mais,

7 apparemment, elle s'est tenue, et au cours de cette audience le Juge

8 Karibi-Whyte a été invité à présenter son point de vue sur la question. La

9 décision rendue suite à cette audience a été une autorisation accordée au

10 juge de poursuivre son travail.

11 Sur cette base, je ne vois pas qu'il y ait eu renoncement à ce motif

12 d'appel car la Chambre de première instance et le Président du Bureau

13 étaient parfaitement informés de l'existence d'un problème dans le

14 prétoire et avaient toute possibilité de régler ce problème à leur

15 convenance.

16 Alors, Monsieur le Président, Messieurs les Juges il se peut que dans

17 certains systèmes nationaux, un article du Règlement exige que l'on élève

18 une objection et qu'elle soit consignée au compte rendu d'audience mais, à

19 mon avis, Me Sinatra a pris toutes les mesures nécessaires pour attirer

20 l'attention des responsables du Tribunal sur la situation.

21 Et j'irai même encore plus loin en disant que, compte tenu de la nature un

22 peu délicate de cette situation, elle a agi dans le plein respect des

23 traditions du Barreau en s'efforçant de le faire sans créer d'embarras

24 pour quiconque.

25 Si cela avait été fait au moment où cela a été fait, le résultat

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1 inévitable en aurait été un arrêt antérieur du procès. Mais cette

2 initiative n'a pas été prise à une date antérieure, et c'est la raison

3 pour laquelle cet appel est présenté aujourd'hui. Ce n'est en tout cas pas

4 la faute de l'appelant.

5 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, dernier point sur cette

6 question. Si l'accusation est habilitée à évoquer le renoncement à ce

7 motif dans son mémoire, je ferai observer que, dans tous les systèmes de

8 jurisprudence civilisés, le Procureur a un devoir particulier d'avoir des

9 représentants dans le prétoire à tout moment dans le procès. Cela a été le

10 cas et pas à un seul moment le Procureur n'a pris la moindre initiative

11 pour essayer de régler ce problème.

12 Donc, si quelqu'un doit être blâmé de quelque façon que ce soit sur ce

13 point, je dirai simplement que la faute incombe aussi bien à la défense

14 qu'à l'accusation.

15 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce n'est un plaisir pour

16 personne -et en tout cas pas pour moi- de devoir se lever pour parler de

17 ce sujet. Mais la question qui se pose est très simple. L'équité et la

18 justice exigent que la Chambre d'appel ne prononce pas de condamnation

19 dans des circonstances de ce genre.

20 A moins que vous n'ayez des questions, j'en ai terminé.

21 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup, Maître Murphy.

22 Maître Morrison?

23 M. Morrison (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Je me

24 permettrai de reprendre le fil de la pensée de Me Murphy en traitant des

25 questions que je vais aborder comme un tout. Je prendrai le plus grand

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1 soin, bien sûr, de ne pas répéter ce qui est déjà écrit dans notre

2 mémoire.

3 Une question qui peut se poser est la suivante: pourquoi un tribunal

4 international devrait-il défendre davantage l'indépendance et les

5 principes permettant de disqualifier un juge qu'un tribunal national? Eh

6 bien, la réponse est très simple -en tout cas, un tribunal international

7 ne doit pas le faire moins que ne le ferait un tribunal national. Il y

8 aurait même des raisons qui justifient qu'un tribunal international le

9 fasse davantage.

10 En effet, ce Tribunal est un tribunal ad hoc qui a été créé pour juger de

11 situations qui se sont produites dans le cadre de conflits dus à des

12 extrêmes d'une politique nationale. Dans cette mesure, les questions

13 politiques sont un fil rouge qui traverse l'ensemble des actions entendues

14 par ce Tribunal et sont à la base des décisions prises par ce Tribunal.

15 Je ne dirai pas que ce Tribunal est politique, ce n'est pas du tout ce que

16 j'ai à l'esprit. C'est le contraire. Ce que je tiens à dire, c'est qu'à

17 mon avis ce Tribunal n'est pas politique, les juges viennent de différents

18 pays et, dans ce cas, il est encore plus important que jamais que le

19 Tribunal soit véritablement indépendant et que rien ne permette, ne

20 serait-ce que de supputer qu'une influence politique quelconque ou une

21 considération politique quelconque ait pu entrer dans la détermination des

22 juges sur quelque point que ce soit.

23 Ce sentiment de confiance, confiance dans la justice internationale, ne

24 peut être accrue que si les règles d'indépendance des juges et de

25 disqualification restent pures et absolument intactes. Personne ici, aucun

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1 des conseils de la défense, aucun des membres du Bureau du Procureur,

2 personne dans ce prétoire -et je le dis avec tout le respect que je dois,

3 bien sûr, aux Juges de ce Tribunal- ne cherchera à affirmer que nous

4 devrions agir autrement qu'en défendant fermement, le plus fermement

5 possible ces principes très simples.

6 J'en arrive au dernier paragraphe de la réponse du Procureur au mémoire en

7 appel déposé le 2 juillet. Je cite: "Ne perdons pas de vue que la

8 présomption que les juges sont capables de remplir leurs fonctions de

9 façon impartiale existe. Le Procureur affirme qu'aucun fondement n'a été

10 établi qui permette de conclure qu'il était raisonnable de penser à

11 l'existence de partialité, simplement parce que l'un des juges aurait eu

12 des fonctions politiques après l'achèvement de ses fonctions de juge."

13 (fin de citation)

14 Divisons cet argument en deux. La première phrase se lit comme suit: "Ne

15 perdons pas vue la présomption que les juges sont capables de remplir

16 leurs fonctions impartialement". (fin de citation)

17 Eh bien, d'où émane cette présomption? Elle émane de la règle d'or de

18 l'indépendance des juges, considérés comme impartiaux parce

19 qu'indépendants. Donc la question que le Procureur évoque n'est ni le

20 fruit, ni le résultat de cette présomption d'indépendance ou de la réalité

21 de cette indépendance; parce qu'il est possible qu'une présomption

22 d'impartialité existe, mais elle n'existe que lorsqu'on est en présence

23 d'une réalité d'indépendance. On non présume pas de l'indépendance, on la

24 voit et on la voit dans la réalité vivante, dans les actes et les

25 décisions d'un Tribunal. Donc oui, bien sûr, il est exact de dire que,

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1 sans perdre de vue la présomption que les juges sont capables de remplir

2 leur fonction en toute impartialité, cette impartialité est un fondement

3 très important de l'Etat de droit. C'est un point à ne jamais perdre de

4 vue. Mais aucun fondement ne permet d'établir qu'une possibilité

5 raisonnable de penser à l'existence d'une partialité ait existé. Aucun

6 critère ne permet d'évaluer ceci.

7 L'article 15 A) utilise des termes très simples, comme pourrait le faire

8 l'appréhension raisonnable d'une telle partialité. Mais reprenons les mots

9 très simples de l'article 15 A). Le Procureur s'est appuyé, entre autres,

10 sur une simple lecture du Statut. Eh bien, la défense s'appuiera sur cet

11 article 15 A)

12 Le Procureur poursuit en disant simplement que "parce qu'un juge allait

13 avoir des fonctions politiques à la fin de ses fonctions en tant que juge,

14 la question est posée." Eh bien, c'est une utilisation péjorative du mot

15 qui, à mon avis, n'a pas lieu d'être. Ceci est un point fondamental.

16 Deuxièmement, l'expression "à tort" aussi bien sur le point du fait que

17 sur le point du droit, découle du bon sens.

18 Le Juge Odio-Benito n'allait pas prendre des fonctions politiques après

19 l'achèvement de ses fonctions de juge. Elle avait déjà une nomination

20 politique, elle était vice-présidente du Costa Rica.

21 Si on lui avait posé la question très simple: "Etes-vous vice-présidente

22 du Costa Rica?", la réponse simple qu'elle aurait pu fournir était unique

23 et c'était une réponse affirmative. Donc, sur un point de droit, le

24 problème existe et la base de l'objection du Procureur repose donc sur une

25 mauvaise interprétation tout à fait fondamentale de la question.

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1 Le professeur Murphy a traité de la possibilité pour le Costa Rica de

2 faire partie du procès car il était membre du Conseil de sécurité. Le

3 Procureur affirme que rien ne permet de penser, s'agissant du Costa Rica,

4 qu'il y avait conflit d'intérêts lié aux fonctions gouvernementales du

5 Juge Odio-Benito. Eh bien, ce n'est pas le cas, le critère ne correspond

6 pas à cela. L'impartialité des juges ne doit pas être affectée, comme nous

7 le disons dans notre mémoire écrit. Le problème, ici, est un problème de

8 détermination.

9 La question qui se pose n'est pas s'il y a eu nécessité d'indépendance.

10 Nous savons que l'indépendance est importante, mais nous parlons de

11 partialité. Ce point est très important et s'il faut le prendre en compte,

12 nous avons l'article 15 A) qui voulait dire quelque chose de différent que

13 ce que le Procureur affirme, il le dit de la façon la plus simple.

14 Ces articles du Règlement n'ont pas été rédigés au dos d'une feuille de

15 papier par quelqu'un qui y a pensé tout d'un coup. Nous savons très bien

16 que les articles du Règlement qui régissent le travail de ce Tribunal ont

17 été réfléchis dans le plus grand détail, ont fait l'objet de conférences

18 avec de nombreux juristes et ont été étudiés, jour après jour, pour

19 aboutir à la version que nous avons sous les yeux aujourd'hui, afin de

20 servir au travail d'un Tribunal pénal international.

21 Il est très instructif de voir que les projets de documents régissant le

22 travail d'un tribunal pénal international sont très semblables à ce que

23 propose le fond de l'article 15 A). Pourquoi? Parce que le sujet est très

24 fondamental.

25 Maître Murphy a parlé en ce qui concerne le Fonds pour les victimes de la

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1 torture, qu'en ce qui concerne l'affaire Pinochet, Amnesty International

2 est intervenue directement dans l'affaire. Et je vais répéter ce qu'a dit

3 Me Murphy, car cela mérite d'être répété: "Cela ne constitue qu'une partie

4 de la décision, et ce n'est pas la décision essentielle dans cette

5 affaire, ni la logique qui a été utilisée."

6 Vous avez devant vous le compte rendu d'audience intégral de cette

7 affaire. Je vais, je pense, devoir vous en lire une certaine partie. Je

8 pense que c'est absolument indispensable. J'extrais ceci du rapport, de la

9 revue "All England Lord Reports" de 1999, je cite Lord Wildchase.

10 M. le Président (interprétation): Quand on lit, on parle automatiquement

11 plus vite et donc les interprètes ont dû mal à vous suivre.

12 M. Morrison (interprétation): Je vais ralentir. D'ordinaire, je lis à la

13 vitesse qui est celle de ma pensée donc cela ne va pas très vite. "Il n'y

14 a pas de meilleure règle de la justice naturelle que celle qu'un homme ne

15 doit pas être jugé dans sa propre cause." En fait, cela veut dire qu'il ne

16 doit pas être jugé, là où il y a un intérêt pécuniaire qui est le sien.

17 Mais cette règle fait que le juge en question a un intérêt des deux côtés,

18 si bien qu'il lui est impossible de faire son travail correctement. De ce

19 fait, on peut demander l'annulation d'un jugement sur la base de

20 l'impartialité sans prouver qu'il y a intérêt pécuniaire.

21 Un point de vue semblable a été exprimé par le Juge Dean. La doctrine de

22 la disqualification sur la base de l'apparence d'impartialité comprend au

23 moins quatre catégories qui se recoupent parfois.

24 Premièrement, disqualification du fait des intérêts, c'est-à-dire les

25 affaires dans lesquelles il y a intérêt direct ou indirect dans l'affaire,

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1 que ce soit pécuniaire ou non et où on peut raisonnablement craindre la

2 partialité ou la présomption.

3 Troisième catégorie, c'est la qualification par l'association. Et souvent,

4 elle recoupe la première. Il s'agit d'affaires où la possibilité

5 d'impartialité résulte d'une relation directe ou indirecte ou d'un contact

6 avec les personnes qui sont impliquées dans l'affaire.

7 J'affirme, Messieurs les Juges, que l'on ne peut pas être plus complet en

8 la matière que dans cet article dont je viens de vous donner lecture. Si

9 cet article ou si cette règle est compromise, à ce moment-là, où s'arrête-

10 t-on?

11 C'est la question qui se pose lorsqu'on se demande, effectivement, si

12 cette règle ne doit pas rester pure parce qu'à ce moment-là, dès qu'il y a

13 compromission, où s'arrête-t-on?

14 Nous estimons que c'est un point de droit essentiel qui fait que c'est une

15 limite que personne ne doit dépasser, jamais. Et il est inutile de dire:

16 "On s'est contenté de dépasser cette ligne un tout petit peu. Personne ne

17 va rien remarquer si je dépasse cette ligne."

18 Non, parce que la règle aura été enfreinte et la prestation de serment du

19 Juge est invalidée et je prononce peut-être des paroles très dures, mais

20 c'est approprié puisque cela concernait le Barreau de Grande-Bretagne et

21 des Pays-Bas au cours de l'affaire Pinochet.

22 C'est une question de l'honneur et de la mission et des devoirs des juges.

23 Et le devoir et l'honneur à la fois des avocats et des juges, c'est d'être

24 totalement équitable. S'il y a quelque compromis que ce soit, à ce moment-

25 là, cela consiste à détourner la règle qui doit s'appliquer qui est la

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1 seule qui soit acceptable.

2 M. le Président (interprétation): Merci, Maître Morrison.

3 Monsieur Yapa, c'est à vous.

4 M. Yapa (hors micro.) Je suis bien conscient de la mise en garde que vous

5 nous avez dite, à savoir que nous ne devons pas répéter ce que nous vous

6 avons dit dans nos mémoires et écrits.

7 J'ai donc essayé de prendre en compte ce que j'ai déjà dit. Ce que je veux

8 dire, ce qu'ont dit Messieurs Murphy et Morrison, ce que nous avons dit

9 dans notre mémoire, je dois dire qu'un certain nombre des arguments –peut-

10 être pas tous– que je voulais vous formuler l'ont déjà été, dans le cadre

11 de nos mémoires écrits. Certaines de leurs interventions, nous y avons

12 répondu dans nos mémoires écrits.

13 Mais, cependant, il y a trois éléments qui ont été évoqués par mes

14 éminents collègues de la défense et aux sujets desquels je souhaiterais

15 intervenir.

16 J'ai écouté avec beaucoup d'attention, c'était très intéressant, j'ai

17 écouté avec beaucoup d'attention Me Murphy au sujet de l'équité d'un

18 procès, de l'apparence d'équité. Ce qui est essentiel, Messieurs les

19 Juges, dans un procès au pénal, c'est d'appliquer ces théories au fait

20 constitutif d'une affaire et il est essentiel, il était nécessaire pour

21 mon collègue d'appliquer ce qu'il a affirmé à ce qui est apparu clairement

22 dans cette affaire.

23 En ce qui concerne le premier motif selon lequel le Juge Odio-Benio –ayant

24 été élue au poste de vice-présidente du Costa Rica et donc étant frappée

25 d'incapacité ici au Tribunal– ne pouvant plus continuer à être juge au

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1 Tribunal; à ce sujet, un certain nombre de questions ont été posées mais,

2 malheureusement, les réponses qui ont été données n'ont pas été

3 satisfaisantes. Comme cela a été indiqué, lorsqu'elle a été nommée,

4 lorsqu'elle a été élue au poste prestigieux de juge de notre Tribunal, Mme

5 Odio-Benito était membre de l'exécutif du Costa Rica puisqu'elle était

6 ministre de la Justice de ce pays. C'est donc une des qualifications qui

7 figuraient dans son curriculum vitae, c'était une des qualifications

8 officielles du juge Odio-Benito. Eh bien, elle a été nommée, elle a été

9 élue au poste de juge.

10 Ensuite, on a parlé des dispositions de la Constitution du Costa Rica

11 actuellement. Et là, je voudrais vous rappeler l'argumentation présentée

12 par mon confrère M. Christopher Staker au sujet du désaccord qui est le

13 nôtre avec l'appelant, Monsieur Murphy, ou plutôt Maître Murphy, sur la

14 preuve de la véracité de la Constitution ou des dispositions que vous avez

15 devant vous.

16 En ce qui concerne les dispositions qui ont été citées par les experts,

17 nous n'avons aucun désaccord. Monsieur Staker a déclaré qu'il serait peut-

18 être nécessaire, pour la forme du moins, que la Constitution, lorsqu'elle

19 serait présentée, qu'il y ait donc preuve de la véracité de cette

20 Constitution.

21 D'autre part, si nous acceptons que l'on se contente de présenter ce

22 document, cela constituera peut-être un précédent. Mais en tout cas, en ce

23 qui concerne les experts, les deux experts, sur beaucoup de points, il n'y

24 a pas de désaccord entre nous et la défense.

25 La question qui se pose est la suivante: le professeur Murphy, en citant

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1 je crois l'article 161, 132.5 de la Constitution -ce sont les articles

2 pertinents qui ont été étudiés-, donc on a dit la chose suivante: Mme

3 Odio-Benito était juge du Tribunal pénal international; alors, se pose la

4 question de savoir si on applique cette argumentation logiquement. Est-ce

5 qu'elle aurait pu être nommée au poste de vice-présidente du Costa Rica si

6 on prend en compte les dispositions de la Constitution?

7 Or, ce qui est très important ici pour nous, c'est qu'elle a informé la

8 plénière, elle a informé le Tribunal qu'elle s'apprêtait à accepter ce

9 poste. Elle a demandé s'il y avait des objections à ce qu'elle le fasse et

10 ensuite, comme aucune objection n'a été formulée, elle a promis, elle

11 s'est engagée à ne pas prendre tout de suite ses fonctions en tant que

12 vice-présidente.

13 Cela, c'est essentiel, il convient de s'en souvenir parce que nous sommes

14 face à une situation tout à fait concrète. J'avance que, lorsqu'on

15 interprète le Règlement, le fonctionnement du Tribunal en l'espèce, eh

16 bien il faut faire preuve de pragmatisme. Madame le Juge Odio-Benito a

17 informé le Tribunal du fait qu'elle ne prendrait pas ses fonctions de

18 vice-présidente. Qu'est-ce cela signifie? Cela signifie qu'elle a dit

19 qu'elle serait nominalement, en nom, le vice-président, qu'elle n'en

20 assurerait pas les fonctions, mais qu'elle poursuivrait au contraire son

21 travail en tant que juge du Tribunal. Et cela, c'était ce qui comptait

22 pour le Tribunal. Savoir si elle aurait pu être nommée vice-présidente du

23 Costa Rica, cela, c'est une autre question.

24 Si l'on se pose cette question, à ce moment-là il faudra examiner la

25 Constitution du Costa Rica. Mais ce n'est pas à vous de le faire, ce n'est

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1 pas votre fonction parce que n'importe qui aurait pu soulever cette

2 objection au Costa Rica. Je le dis uniquement pour élargir ou expliquer la

3 discussion qui est la nôtre.

4 Mais disons que l'on avance qu'elle n'avait pas les qualifications

5 nécessaires pour être nommée vice-présidente. Eh bien, cela aurait pu

6 faire l'objet d'un débat au Costa Rica. Mais il n'est pas nécessaire que

7 vous, au niveau de la Chambre d'appel, le fassiez parce que cela n'a

8 aucune importance. Ce qui compte, c'est qu'elle avait les qualifications

9 nécessaires pour être nommée au poste de juge de ce Tribunal et qu'elle

10 l'ait effectivement été.

11 D'autre part, il y a une autre question dont nous avons parlé, d'ailleurs,

12 dans notre mémoire au sujet de ce point. Maître Murphy n'en a pas parlé,

13 il n'a rien dit à ce sujet. Cela figure dans notre mémoire, mais je

14 souhaite quand même y faire référence parce que cela indique quelle doit

15 être l'approche pragmatique que vous devez adopter, Messieurs les Juges.

16 Le mandat d'un juge au Tribunal, le mandat du Juge Odio-Benito touchait

17 donc à sa fin. Il est devenu, il s'est avéré nécessaire de proroger ce

18 mandat. Pourquoi? Eh bien, pour une seule raison: pour pouvoir finir le

19 procès Celebici. Je dis pour une raison bien particulière. Pourquoi? Parce

20 que ce collège de juges avait uniquement cette tâche, cette mission.

21 On peut dire soit le Tribunal, soit le Conseil de sécurité qui a attribué

22 cette mission, cette fonction, au collège de ces trois juges: à savoir

23 terminer les auditions dans l'affaire, terminer le procès Celebici. C'est

24 uniquement pour cette raison que l'on a prorogé leur mandat.

25 On a parlé de cette question, de ce terme de prorogation ou d'extension du

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1 mandat. Moi, je pense qu'il faut interpréter ce terme dans le cadre de ce

2 qui figure également dans la résolution où on peut lire: "pour achever le

3 procès Celebici". C'est uniquement dans ce contexte qu'il faut prendre ce

4 terme de "prorogation", uniquement dans ce contexte et pas dans un autre

5 contexte.

6 Il ne faut pas dire que l'on a prorogé son mandat de juge dans le

7 Tribunal, c'était uniquement pour le procès Celebici.

8 Nous affirmons donc que, étant donné la situation très particulière qui

9 était celle Mme le Juge Odio-Benito, l'objection qui est présentée au

10 titre de l'article 13 1) est nulle et non avenue.

11 Ils n'étaient pas membres du Tribunal. L'article 13 1) du Statut

12 s'applique aux membres du Tribunal. Or, la résolution nous dit qu'ils vont

13 être remplacés en tant que membres du Tribunal.

14 Un instant, je recherche le texte même de cette résolution. Un instant,

15 s'il vous plaît.

16 Le libellé est important, je cite: "Acceptant la recommandation du

17 Secrétaire général que les Juges Karibi-Whyte, Odio-Benito et Jan, une

18 fois qu'ils seront remplacés en tant que membres de ce Tribunal, achèvent

19 l'audition de l'affaire Celebici". (fin de citation)

20 Et c'est en utilisant ces termes bien précis que cette résolution stipule

21 que le mandat des juges est prorogé. Ce terme de "prorogation" est

22 mentionné dans une lettre du Secrétaire général des Nations Unies, ou

23 plutôt une lettre adressée au Secrétaire générale des Nations Unies par le

24 Président de la Chambre, et également dans la lettre du Secrétaire général

25 au Conseil de sécurité et à l'assemblée générale. J'affirme que le terme

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1 de "prorogation" ou d'"extension" doit être lu en ayant bien à l'esprit le

2 texte même de la résolution.

3 Cela signifie que, en ce qui concerne la prorogation du mandat, c'était

4 uniquement pour cette affaire, ce n'était pas en tant que membres du

5 Tribunal.

6 M. Bennouna: Pardon, Monsieur, Maître Yapa. Je n'ai pas compris votre

7 dernière phrase. «so far as the extension was concerned we were not

8 concerned as members of the Tribunal.» Est-ce qu'ils restent membres du

9 Tribunal ou ils ne restent pas membres du Tribunal?

10 M. Yapa (interprétation): Excusez-moi, je ne vous ai pas compris.

11 M. Bennouna: Est-ce que votre phrase signifie que le fait d'avoir prolongé

12 leur mandat pour l'affaire Celebici les maintient comme membres du

13 Tribunal ou non?

14 M. Yapa (interprétation): Si on lit la résolution, moi je m'en tiens au

15 libellé de la résolution. Ils sont remplacés. Une fois remplacés en tant

16 que membres du Tribunal, ils termineront l'affaire Celebici. Donc, cela

17 peut signifier qu'ils auront fini le procès.

18 M. le Président (interprétation): Oui, mais ce que vous demande le Juge

19 Bennouna, c’est s’ils le font en tant que juges de Tribunal et vous vous

20 dites que non puisqu'ils n'auront plus les qualifications de juges. Si

21 nous suivons votre logique, à ce moment-là la résolution aurait dû au

22 moins prévoir que le jugement rendu par ces juges était un jugement du

23 Tribunal parce que, si on vous suit, ils ne sont plus juges du Tribunal.

24 Or, ce n'est pas le cas. Donc, le jugement qu'ils ont rendu n’est pas un

25 jugement du tribunal, donc il n'est pas valable.

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1 M. Yapa (interprétation): Moi, ce que j'avance, c'est non pas qu'ils ne

2 continuaient pas d'être membres du Tribunal ou juges du Tribunal, mais que

3 leur fonction était limitée à l'affaire Celebici, c'est ce que je dis.

4 M. le Président (interprétation): Donc, ils sont toujours juges du

5 Tribunal mais leurs fonctions sont limitées à l'affaire Celebici.

6 M. Yapa (interprétation): Oui.

7 M. le Président (interprétation): Oui, mais s'ils sont toujours juges du

8 Tribunal, il faut qu'ils soient qualifiés pour le faire.

9 M. Yapa (interprétation): Oui.

10 M. le Président (interprétation): Donc, je ne comprends pas l'intérêt de

11 votre nouvel argument.

12 M. Yapa (interprétation): Cet argument a trait à l’applicabilité et au

13 libellé de cette résolution.

14 M. le Président (interprétation): Excusez-moi, je crois que vous n'avez

15 pas compris ma question. Votre argument est le suivant, si je vous

16 comprends bien. L’argument supplémentaire que vous nous présentez, c’est

17 que les exigences de l'article 13 du Statut ne s'appliquent pas ici parce

18 que, si j'ai bien compris ce que vous nous dites, enfin c’est ce que j’ai

19 compris, ils ne sont plus juges du Tribunal.

20 Maintenant j’ai compris. Vous dites: ils étaient juges du Tribunal, mais

21 leur fonction était limitée. Mais donc, à ce moment-là, s'ils sont

22 toujours juges du Tribunal, il faut qu'ils aient les qualifications

23 nécessaires et vous avez dit oui. Donc je ne comprends absolument pas

24 l’intérêt de cet argument supplémentaire parce que c'est la prise de

25 position de la défense.

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1 M. Yapa (interprétation): Les qualifications dont nous parlons sont

2 limitées et elles sont précisées et limitées, c'est ce que j'avance.

3 M. Bennouna: Maître Yapa, si je peux me permettre de vous suggérer ce qui

4 est, la réalité telle vue que l’on peut la voir, je voudrais bien avoir

5 votre avis. C’est que tout simplement, par cette résolution, le Conseil de

6 sécurité a décidé qu'au lieu que ces juges soient élus pour siéger, comme

7 cela est prévu par le Statut, exceptionnellement leur mandat sera prolongé

8 au-delà des quatre ans, n'ayant pas été réélus, sur décision du Conseil de

9 sécurité et pour siéger dans l'affaire Celebici.

10 C'est simplement le mode de désignation, au lieu que ce soit par élection,

11 c'est directement une décision du Conseil de sécurité. Voilà, tout

12 simplement l'effet de cette résolution que vous nous avez citée. Pour le

13 reste, ils doivent obéir exactement, strictement aux mêmes conditions sur

14 le plan moral et sur le plan professionnel que tous les autres juges

15 puisqu'ils sont amenés à juger et à rendre un jugement.

16 M. Yapa (interprétation): Oui, je m'en remets à l'opinion de votre

17 opinion, Monsieur le Juge.

18 M. le Président (interprétation): Mais peut-être. Poursuivez votre

19 argumentation, Monsieur Yapa.

20 M. Yapa (interprétation): Merci. En ce qui concerne le motif suivant, à

21 savoir le fait que Mme le Juge Odio-Benito était membre du Fonds

22 volontaire des Nations Unies pour l'aide aux victimes de la torture, M. le

23 professeur Murphy au nom de M. Landzo a avancé qu'ici nous nous trouvons

24 dans une situation qui est semblable à l'affaire Pinochet, sur laquelle il

25 y a eu une décision en Angleterre.

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1 Or, nous, nous estimons qu'il n'y a pas similitude, qu'il y a des

2 différences entre ces deux affaires pour des raisons tout à fait valables.

3 Dans l'affaire Pinochet, la Chambre des Lords a examiné la question sous

4 deux aspects. En ce qui concerne Lord Hoffman et en analysant les faits

5 relatifs aux liens qui existaient entre lord Hoffman et Amnesty

6 International, deux critères ont été évoqués par la Chambre des Lords. Ces

7 deux aspects qui ont été mentionnés sont les suivants.

8 Premièrement, on s'est demandé si, lorsqu'un juge est une des parties à un

9 procès ou a des intérêts en ce qui concerne l'issue du procès, à ce

10 moment-là la disqualification de ce juge est automatique, automatique et

11 systématique.

12 Deuxièmement, ils ont examiné un deuxième critère, celui dans lequel le

13 juge n'est pas partie au procès et n'a pas d'intérêt en ce qui concerne

14 l'issue du procès, mais où d'une autre façon le comportement du juge peut

15 mener à se demander s'il est vraiment impartial.

16 Ici, on essaie de faire une comparaison avec cette affaire, de faire le

17 parallèle. Dans l'affaire Pinochet, il se trouve que Lord Hoffman était un

18 des juges qui devaient statuer sur l'affaire. Il a été disqualifié, frappé

19 d'incapacité parce qu'il était une des parties dans cette affaire.

20 On a examiné les éléments qui pouvaient indiquer si véritablement il était

21 partie à cette affaire. Or, il se trouvait qu'il était administrateur

22 d'une société qui était affiliée à Amnesty International. D'autre part, il

23 avait assuré la défense d'Amnesty International dans un procès

24 précédemment.

25 Ensuite, la Chambre des Lords s'est penchée sur les objectifs d’Amnesty

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1 International et d'autre part Amnesty International avait l'autorisation

2 d'intervenir dans l'affaire sur laquelle devait statuer la Chambre des

3 Lords.

4 Donc, nous nous trouvons dans une situation où le juge présidant à

5 l'affaire a devant lui une partie avec laquelle il entretient des liens

6 étroits et un juge qui a un intérêt immédiat dans l'issue qui va être

7 donnée à la question posée par cette partie à l’affaire. Donc, c'est une

8 situation très particulière, c’est une situation où le juge est

9 automatiquement frappé d'incapacité.

10 C’est un critère extrêmement élevé, extrêmement serré qui a été retenu par

11 la Chambre des Lords dans cette affaire. Ce qui est important ici, c'est

12 la chose suivante: lorsqu'on essaie de tirer une analogie, il faut

13 démontrer que du fait que le juge Odio-Benito faisait partie du conseil

14 d'administration de ce Fonds volontaire des Nations Unies et si on essaie

15 maintenant de faire intervenir l'affaire Pinochet, il faut montrer de la

16 même façon que le général Pinochet avait lui aussi une situation similaire

17 où la disqualification du juge devait intervenir de la même façon.

18 Quelle était la mission du Fonds? Le Fonds avait pour mission d'apporter

19 son aide aux victimes de la torture. Les victimes de la torture, je crois

20 que la torture, c'est bien en effet le seul lien commun qui existe entre

21 cette affaire et l'affaire Pinochet.

22 Le Juge Odio-Benito siégeait en tant que membre du conseil

23 d'administration de ce Fonds et c'est un lien extrêmement tenu, c’est un

24 lien extrêmement tenu qui ne doit avoir aucune influence sur l'issue de

25 l'affaire. Je crois que le général Pinochet avait entretenu ce même lien

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1 et qu'il devait avoir ce même intérêt dans l'issue de l'affaire. Mais

2 l'influence de ce facteur est tout à fait ténue.

3 Qu'a-t-on essayé de faire? On a essayé de dire que les juges doivent se

4 tenir dans une tour d'ivoire et qu'ils ne doivent prendre un intérêt dans

5 aucune des choses qui intéressent le genre humain. Ils ne doivent avoir

6 aucune intervention dans ce qui préoccupe la plupart des gens dans leur

7 quotidien.

8 Et ce qu'a dit la Chambre des Lords dans le cadre de la situation du

9 général Pinochet est parfaitement pertinent et intéressant. Monsieur

10 Morrison, qui a cité cette affaire, nous a soumis le critère dit de la

11 raison, et je crois que c'est un critère qui peut être tout à fait utile

12 lorsqu'on se penche sur les faits de cette affaire.

13 D'après moi, on ne peut pas dire que, du simple fait de l'appartenance au

14 conseil d'administration du Fonds volontaire des Nations Unies pour l'aide

15 aux victimes de la torture, on ne peut pas dire de ce simple fait que le

16 Juge Odio-Benito devait être disqualifiée.

17 Une autre chose encore. Au moment de son élection, tout cela a été dit. A

18 l'époque, il a été dit que le Juge Odio-Benito était membre de ce Fonds,

19 et je me demande même si elle ne l'a pas dit elle-même. Et pourtant, le

20 Juge Odio-Benito a été élue, et ceci va à l'encontre des arguments

21 présentés par mon éminent collègue.

22 Dire que, jusqu'au 8 mai 1998, elle était parfaitement qualifiée pour

23 rester à son poste de juge de ce Tribunal, c'est dire la stricte vérité.

24 D'ailleurs, mon éminent collègue le dit dans son mémoire. A cette époque-

25 là, le Juge Odio-Benito était totalement qualifiée pour rester à son

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1 poste.

2 Mais si on applique la ligne logique qui a été celle de la défense, si

3 elle n'était pas qualifiée, elle a été élue sur une qualification, quelque

4 qualification qu'elle ait choisi d'invoquer, au poste de ministre de la

5 Justice. Elle a bien été élue. Je dis donc que l'argument présenté dans le

6 mémoire de la défense ne peut être raisonnablement invoqué.

7 Je voudrais très rapidement parler du troisième motif d'appel. Je ne vais

8 pas vous soumettre d'autres arguments que ceux qui sont dans mon mémoire.

9 Vous les avez sous les yeux, vous avez pu les lire et vous en imprégner.

10 Mais je voudrais simplement revenir sur les points relevés par la défense

11 pour ce qui est de la situation des accusés.

12 Nous avons analysé de façon très précise toutes les séquences vidéo

13 pertinentes pour essayer d'établir très précisément le temps qui a été

14 consacré à filmer le Juge Karibi-Whyte. Il a été dit que nous ne savions

15 pas à quel moment la caméra ne filmait pas le juge, que nous ne savions

16 pas à quel moment la caméra s'était éloignée du juge alors que celui-ci,

17 peut-être, s'était assoupi. Bon, on peut beaucoup spéculer sur la

18 question. Mais ce qui s'est produit, c'est que le juge s'est assoupi, et

19 il y a là des séquences vidéo qui sont disponibles à tous et qui peuvent

20 être visionnées.

21 Mais il y a dans cette question un aspect intéressant que je souhaite

22 rappeler. L'accusé se plaint qu'il a subi un préjudice, qu'il n'y avait

23 pas d'équité, qu'il n'a pas eu un procès équitable. Mais d'où est-ce que

24 cette plainte découle? D'une source seulement, d'une source unique. Dans

25 cette affaire, il y a d'autres accusés et il y a d'éminents conseils de la

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1 défense qui défendent ces autres accusés. Or, ces éminents conseils de la

2 défense n'ont pas déposé de plainte. Ils ne l'ont déposée qu'au tout

3 dernier moment: c'est à ce moment qu'ils ont décidé d'invoquer le fait

4 qu'il y avait iniquité, que l'affaire devait être déclarée nulle.

5 Quelle conclusion peut-on tirer de cette situation? Eh bien, d'après nous,

6 à l'examen des extraits vidéo et après analyse de la façon dont tout ceci

7 peut avoir un effet sur l'accusé en question, à savoir M. Landzo,

8 lorsqu'on essaie de savoir en quoi cela peut affecter la condamnation qui

9 a été prononcée contre lui, eh bien, on s'aperçoit qu'il n'y a pas eu de

10 préjudice, qu'il n'y a pas eu iniquité. Tous les éléments de preuve que

11 nous avons fournis vont dans le sens de ce que j'affirme.

12 Voilà, Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

13 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Maître Murphy,

14 souhaitez-vous répondre?

15 M. Murphy (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Juge, oui,

16 Messieurs les Juges.

17 Tout d'abord, pour ce qui est du motif, le deuxième motif d'appel relatif

18 à l'élection du Juge Odio-Benito, on a utilisé la phrase selon laquelle le

19 Juge Odio-Benito n'était pas simplement le vice-président du Costa Rica.

20 Mais la seule fonction positive que la Constitution du Costa Rica impose à

21 l'un des deux vice-présidents, c'est de se tenir disponible afin d'agir au

22 nom du Président dans le cas où cela s'avère nécessaire.

23 Si au cours du procès, grâce au ciel cela ne s'est pas produit, mais si au

24 cours du procès un assassin, par exemple, avait réussi à perpétrer un

25 crime contre le Président et le premier vice-président du Costa Rica, eh

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1 bien, Elisabeth Odio-Benito serait devenue ipso facto et dès ce moment-là

2 le Président du Costa Rica. On n'aurait rien pu faire. Elle-même n'aurait

3 pu en aucun cas refuser cette fonction puisqu'elle découlait de

4 l'application de l'article 135 de la Constitution. Donc, il n'y a à cela

5 rien de nominal. Elle aurait dû, d'office, occuper cette fonction.

6 Effectivement, là, on parle de la seule fonction réellement importante

7 d'un vice-président parce que la Constitution ne cite pas d'autres

8 missions importantes pour ce qui est des vice-présidents. Certes, le vice-

9 président peut, si elle s'en voit chargée par le Président, effectuer un

10 certain nombre de tâches. Mais dans une telle situation, le vice-président

11 peut dire: "Soit, j'accepte de le faire", ou peut refuser de le faire.

12 Mais pour ce qui est de remplacer le Président dans l'exercice de ses

13 fonctions, c'est une mission qu'il revient au vice-président d'assumer dès

14 lors que les circonstances font qu'elle doit prendre la place du Président

15 et prononcer, notamment, la déclaration solennelle. Et il n'y a rien de

16 nominal dans ce type de fonction.

17 Je ne sais pas si l'accusation a abandonné l'argument selon lequel les

18 juges n'étaient pas des membres du Tribunal. Mais s'ils persistent dans

19 cet argument et si j'en ai les moyens de par la procédure qui est la

20 nôtre, eh bien, je vais demander à ce qu'il y ait un jugement sommaire sur

21 cette affaire.

22 M. Bennouna: A propos de ce que vous venez de dire sur le fait que Mme

23 Odio-Benito était vice-présidente. Vous avez plaidé tout à l'heure en ce

24 qui concerne le Juge Karibi-Whyte que, en vertu de l'article 15, on ne

25 peut pas dire qu'il y ait un "waver", que vous êtes forclos. Vous avez

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1 bien soulevé cela au cours du procès, en tout cas c'est votre

2 argumentation. Vous ne pouvez donc pas être forclos de ne pas l'avoir

3 soulevée au cours du procès.

4 Est-ce que vous avez soulevé au cours du procès le fait que la fonction de

5 Mme Odio-Benito comme vice-présidente était devenue, du fait qu'elle a été

6 élu vice-présidente, elle ne pouvait plus siéger en tant que juge, cela

7 était incompatible avec sa fonction de juge; ou l'inverse: sa fonction de

8 juge ne pouvait pas être compatible avec le fait d'être vice-président du

9 Costa Rica?

10 Est-ce qu'il vous est déjà arrivé de soulever cette question pour récuser

11 le juge au cours du procès?

12 (Pas de traduction)

13 M. Murphy (interprétation): Oui, absolument, Monsieur le Juge.

14 Le Bureau a décidé que, vu la promesse du Juge de ne pas se lancer dans

15 quelque activité politique que ce soit, il était autorisable de lui

16 permettre de siéger en tant que juge.

17 M. Bennouna: (...) la décision du Bureau à ce moment-là?

18 M. Murphy (interprétation): Je ne le crois pas, Monsieur le Juge.

19 Permettez-moi de m'en enquérir auprès de ma collègue.

20 On me dit que la décision n'a été rendue qu'après la fin du procès.

21 M. Bennouna: Je vous remercie.

22 M. Murphy (interprétation): Bien. Pour ce qui est du motif d'appel

23 suivant, motif qui traite donc de l'appartenance du Juge Odio-Benito au

24 conseil d'administration du Fonds volontaire des Nations Unies, je crois

25 que la Chambre d'appel a très bien distingué les différences qui

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1 existaient entre l'accusation et nous-mêmes.

2 Je ne vais pas revenir sur cela, je crois, mais je remercie de toute façon

3 M. Yapa de nous avoir rappelé quelle était la mission du Fonds. Parce que,

4 lorsqu'on se penche sur la mission du Fonds volontaire, on s'aperçoit

5 qu'effectivement ce Fonds supposait le même type d'activité que le type

6 d'activité dans lequel s'était engagé Lord Hoffman pour le compte

7 d'Amnesty International. Comme Me Morrison l'a démontré, l'argument qui a

8 étayé la décision, n'était pas que ce Lord avait un lien avec la partie au

9 procès –dans le sens ou lui-même était partie "au procès"– mais a bien

10 montré qu'il a été étroitement lié à une des parties au procès, du fait

11 d'une similarité d'intérêts. Mais je suis bien sûr que les Juges de la

12 Chambre d'appel auront bien compris ce point.

13 Je ne sais pas si j'ai besoin de répondre à ce que dit M. Yapa. Mais il me

14 semble que M. Yapa a déclaré que ces deux motifs d'appel étaient l'un et

15 l'autre incohérents.

16 Je voudrais simplement en revenir aux motifs d'appel alternatifs. Nous,

17 nous affirmons qu'il y a eu disqualification du Juge Odio-Benito du simple

18 fait de son appartenance au Fonds. C'est quelque chose que nous aurions pu

19 dire dès le tout début du procès. Et même si nous avons tort quant au fait

20 qu'elle ait été disqualifiée pour d'autres motifs, à partir du 8 mai 1998,

21 je crois que ce que nous avançons, en premier lieu, peut être maintenu.

22 Et puis, je ne suis pas d'accord avec Me Yapa lorsqu'il dit que nous avons

23 soulevé cela au dernier moment. Les éléments de preuve montrent très

24 clairement que cela a été soulevé, au plus tard, dans le courant du mois

25 d'août 1997. Je ne suis donc pas d'accord avec lui.

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1 Maître Yapa affirme par ailleurs qu'on peut spéculer sur la question de

2 savoir si le Juge dormait à certaines périodes du procès ou pas, s'il

3 dormait lorsque les caméras n'étaient pas portées sur lui. Ce n'est pas là

4 une question de spéculation. C'est une question qui peut être tranchée sur

5 la base d'éléments de preuve. Nous avons soumis des éléments de preuve qui

6 démontrent que le Juge s'est assoupi pendant nombre de journées, pendant

7 des périodes de temps assez longues et ce, pendant toute la durée du

8 procès.

9 Et quand il s'agit de savoir ce qui s'est passé pendant ces autres

10 périodes de temps où il n'était pas filmé, eh bien, on a deux

11 possibilités. Une, que le juge se comportait, pendant ces périodes-là, de

12 la même façon qu'il se comportait lorsque les caméras étaient sur lui. Et

13 deux, on peut dire que peut-être que le juge, lorsque la caméra a quitté

14 son visage, était subitement métamorphosé et qu'il entrait dans une phase

15 d'activité que les caméras n'ont pas réussi à capter. Voilà.

16 Et cela, je pense que c'est une possibilité qui est beaucoup moins logique

17 que la première que j'ai invoquée.

18 La dernière chose que je souhaite dire est la suivante. Pendant que M.

19 Yapa parlait, je voulais entendre l'accusation dire que c'était un

20 comportement inacceptable. "Jamais", M. Yapa l'a dit, je m'en surprends

21 quelque peu parce que je ne crois pas que qui ce soit puisse avoir un

22 point de vue différent.

23 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.

24 Est-ce que Me Morrison souhaite ajouter quoi que ce soit?

25 M. Morrison (interprétation): Je serai excessivement bref. Je ne fais pas

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1 partie des conseils de la défense qui sont intervenus au tout dernier

2 moment du procès mais puisqu'on a qualifié ces conseils de la défense de

3 "très éminents collègues de la défense", j'aurais bien aimé en faire

4 partie.

5 Bref, la question de savoir si le Juge Karibi-Whyte a dormi pendant la

6 majorité du procès est quelque chose qui, effectivement, a été repris par

7 tous les accusés au fur et à mesure des requêtes qui ont été déposées.

8 Comme me l'a dit mon éminent collègue, en août 1997, la suggestion a été

9 faite que, du moment qu'une personne commence à s'assoupir en procès, on

10 se trouve dans une situation qui est absolument inconcevable et

11 insupportable.

12 Je pensais que d'autres personnes allaient revenir sur l'article 15 A) et

13 je pensais qu'on allait en dire un petit peu plus que ce qui apparaît

14 comme étant évident lorsqu'on lit cet article.

15 "Un juge ne peut connaître en première instance d'une affaire dans

16 laquelle il a un intérêt personnel ou avec laquelle il a eu ou il a eu un

17 lien quelconque de nature à porter atteinte à son impartialité." C'est ce

18 que dit l'article.

19 Il y a là, je crois, une certaine façon d'interpréter cet article. Une

20 approche plus intellectuelle peut être choisie si l'on préfère cette

21 approche plus intellectuelle à la solution qui consisterait à s'en tenir

22 uniquement aux mots.

23 Personne n'a essayé d'adopter cette approche plus intellectuelle et j'en

24 suis heureux. Sans doute, le Juge Karibi-Whyte est un homme honnête et

25 d'une très grand autorité professionnelle et d'une très grande intégrité

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1 professionnelle. Mais le fait qu'il n'ait pas pu maintenir cette intégrité

2 pendant l'intégralité du procès, eh bien, remet en question ce qui a été

3 fait au cours de cette affaire.

4 M. le Président (interprétation): Très bien.

5 Nous en venons au huitième motif d'appel et au huitième groupe.

6 M. Staker (interprétation): Merci beaucoup. Avant que je commence mon

7 argumentation sur ces motifs d'appel, je voudrais avoir votre

8 autorisation. Me permettez-vous de clarifier quelque chose qui a été dit

9 par nous sur la doctrine de la responsabilité du supérieur hiérarchique?

10 M. le Président (interprétation): Voyons, nous avons très peu de temps

11 devant nous. Si vous voulez clarifier quelque chose, pourriez-vous le

12 faire par écrit? Parce que nous devons avancer.

13 M. Staker (interprétation): J'ai besoin de trente secondes, Monsieur le

14 Juge, donnez-m'en l'autorisation, je vous en prie.

15 M. le Président (interprétation): Eh bien, soit. Les trente secondes sont

16 écoulées, alors dépêchez-vous!

17 M. Staker (interprétation): Pardon, pardon! Je voudrais en revenir à ce

18 qu'a dit M. Fenrick à propos de la souveraine du Royaume-Uni. On a parlé

19 du fait qu'elle pouvait aussi décorer certains membres de ses forces

20 armées. En fait, cette référence qui a été faite par M. Fenrick à la

21 souveraine du Royaume-Uni était simplement là à titre d'illustration. Ce

22 qu'on voulait dire, c'était que l'autorité de jure suffit, même s'il n'y a

23 pas de pouvoir de facto.

24 Je voulais simplement que tout soit clair. Bien, merci.

25 Je vais tâcher d'éviter de répéter ce qui apparaît dans notre mémoire

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1 d'appel sur ce sujet en particulier, parce qu'il y a 88 pages qui lui sont

2 consacrées.

3 Monsieur Mucic, lui aussi, fait appel de sa sentence parce qu'il l'a

4 considère comme excessive. Nous, nous disons que cette sentence est

5 inadéquate. Donc, il y a deux appels différents mais qui sont liés, d'une

6 certaine façon.

7 La première chose qu'il faut citer, c'est que le critère d'examen qui doit

8 être utilisé dans le cas d'un appel contre une sentence est un critère

9 tout à fait précis. Nous avons fait des écritures ou nous avons déposé des

10 écritures qui stipulent très précisément ce que nous pensons qu'il doit

11 être. Mais j'attire votre attention sur ce qui a été dit par la Chambre

12 d'appel dans l'arrêt Tadic, au paragraphe 20.

13 Je ne vais pas lire ce paragraphe mais il se prolonge par le paragraphe

14 21. Et il y a dans ce paragraphe ce qui a été appliqué par la Chambre

15 d'appel et dont je crois qu'il faut l'appeler le critère de l'erreur

16 détectable ou discernable.

17 Les Juges de la Chambre d'appel disent que l'on doit pouvoir discerner une

18 erreur véritable dans l'exercice de leur fonction par les Juges de la

19 Chambre de première instance, notamment en matière d'exercice de leur

20 pouvoir discrétionnaire en matière de détermination de la sentence. Et il

21 y a une référence similaire qui peut être trouvée au paragraphe 73 du

22 jugement de l'arrêt de Tadic.

23 Ce critère de l'erreur qui peut être détecté a été retenu également dans

24 l'arrêt de la Chambre d'appel dans l'affaire Aleksovski, le 24 mars de

25 cette année. Je vous renvoie au paragraphe 187 de cet arrêt. Nous

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1 suggérons que c'est là encore, dans l'affaire qui nous occupe, ce critère

2 qu'il faut retenir parce que nous parlons, là encore, d'un appel interjeté

3 contre la sentence.

4 J'attire votre attention sur les paragraphes 5-27 et 5-28 de notre mémoire

5 où nous expliquons ce que font la plupart des systèmes juridiques

6 nationaux. Et ces systèmes, par ailleurs, nous permettent d'avoir accès à

7 un corpus de jurisprudence assez étendu en matière de principes qui

8 régissent sa détermination de la peine.

9 La jurisprudence de ce Tribunal, pour l'instant, est encore très limitée.

10 Il nous faut donc nous tourner plutôt vers cette jurisprudence nationale

11 pour avoir des idées quant à l'argumentation à proposer.

12 Ce que nous pensons, c'est que de, toute façon, et quel que soit le

13 système dans lequel on se trouve, il revient à l'appelant d'établir qu'il

14 y a eu une erreur détectable qui a été commise. Et cette charge peut aussi

15 bien être celle de l'accusation que celle de la défense. Nous acceptons

16 qu'en l'occurrence c'est la charge qui nous revient et nous suggérons, par

17 ailleurs, que nous avons rempli notre obligation de faire la démonstration

18 de cela.

19 Les erreurs dont nous pensons qu'elles se trouvent dans le chapitre

20 consacré à la détermination de la sentence dans le jugement de la Chambre

21 de première instance apparaissent de façon très claire dans notre mémoire.

22 Nous pensons que la première erreur commise a été celle de ne pas accorder

23 suffisamment d'importance à la gravité des crimes. Au paragraphe 1225, la

24 Chambre de première instance a déclaré que la gravité des crimes était, de

25 loin, la considération la plus importante à avoir à l'esprit lorsqu'on

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1 prononçait une sentence.

2 L'accusation est tout à fait d'accord avec cette déclaration qui porte sur

3 les principes de base qui doivent s'appliquer en matière de détermination

4 de la sentence. Mais il faut également que ce principe soit maintenu

5 pendant l'intégralité de cette procédure de détermination de la sentence.

6 Je vous renvoie à nouveau à l'arrêt dans l'affaire Aleksovski, au

7 paragraphe 182 où la Chambre d'appel cite cette déclaration de la Chambre

8 de première instance dans Celebici et l'approuve. La Chambre d'appel

9 ajoute, par ailleurs, je cite: "Que la prise en compte de la gravité du

10 comportement de l'accusé est normalement le point de départ de la

11 procédure qui permet de déterminer la sentence appropriée. La pratique du

12 Tribunal international n'est pas une exception en la matière." (fin de

13 citation).

14 Dans l'arrêt Aleksovski, la Chambre d'appel a, en fait, augmenté la

15 sentence dans le cadre de l'appel parce qu'elle a conclu, je cite: "Une

16 erreur discernable a été commise dans le cadre de l'exercice qu'a fait la

17 Chambre de première instance de son pouvoir discrétionnaire au moment

18 d'imposer la sentence.

19 Cette erreur a consisté en le fait de ne pas donner suffisamment de poids

20 à la gravité du comportement de l'appelant, en ne tenant pas compte du

21 fait qu'il occupait une position de commandant, caractéristiques

22 aggravantes dans le cadre de sa responsabilité, au titre de l'article 7-1

23 du Statut.

24 Par conséquent, la sentence rendue par la Chambre de première instance est

25 manifestement inappropriée." (fin de citation). C'est le paragraphe 187 de

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1 l'arrêt. Et puis, il y a le paragraphe 182 de la Chambre d'appel dans le

2 jugement Kupreskic qui dit, je cite: "La sentence qui est passée doit

3 refléter la gravité inhérente du comportement criminel de l'accusé. La

4 détermination de la gravité du crime commis suppose que l'on tienne compte

5 des circonstances particulières de l'affaire et que l'on tienne compte

6 également de la forme et du degré de participation de l'accusé dans les

7 crimes." (fin de citation). Je viens donc de citer l'arrêt Kupreskic,

8 paragraphe 852.

9 Et pour que tout soit dit sur l'importance de la gravité des crimes en

10 matière de détermination de la sentence, je vous renvoie au jugement

11 Jelisic, paragraphe 121 et je vous renvoie au jugement Blaskic, au

12 paragraphe 765.

13 La question est donc de savoir si, dans le cas d'espèce, dans l'affaire

14 Celibici, la Chambre de première instance a effectivement pris la gravité

15 du crime comme point de départ de la procédure de détermination de la

16 sentence.

17 Nous traitons de ce point dans notre mémoire où nous soulignons que la

18 partie du jugement de la Chambre de première instance, qui traite de la

19 sentence de M. Mucic est une partie de cinq pages complètes. Et ce n'est

20 qu'au tout dernier paragraphe, au paragraphe 1252, ce n'est que dans les

21 six dernières phrases de ce dernier paragraphe de la dernière page que la

22 Chambre de première instance ajoute, comme si c'était une arrière-pensée,

23 qu'elle s'était effectivement posé la question de gravité des crimes

24 commis.

25 La Chambre de première instance a choisi comme point de départ, en matière

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1 de détermination de la sentence, et a choisi de consacrer la majorité de

2 ces cinq pages, des choses telles que les circonstances personnelles de

3 l'accusé et des facteurs relatifs à la possibilité d'appliquer des

4 circonstances atténuantes.

5 L'accusation pense que de donner une telle importance à de tels facteurs

6 et de ne considérer qu'après la gravité du crime, comme s'il s'agissait

7 d'une arrière-pensée, constitue une erreur discernable. L'accusation, pour

8 ce qui est de la détermination de la sentence dans une affaire qui

9 implique la responsabilité du supérieur hiérarchique, ces arguments

10 apparaissent donc dans notre mémoire, notamment les paragraphes 5.13 à

11 5.23. Mais pour étayer cette argumentation, nous souhaitons également vous

12 renvoyer au jugement Blaskic, paragraphe 789, dans laquelle la Chambre de

13 première instance dit, je cite: "Lorsqu'un commandant ne satisfait pas à

14 ses fonctions et ne prévient pas un crime ou n'en punit pas le

15 perpétrateur, il doit recevoir une peine plus lourde que le subordonné

16 qui, lui, a commis le crime dans la mesure où son omission permet de

17 penser qu'il y a eu tolérance ou même approbation de la part du commandant

18 vis-à-vis de la perpétration d'un crime par ses subordonnés. Par un tel

19 comportement, le commandant encourage la perpétration de nouveaux actes."

20 (fin de citation)

21 Il ne serait pas cohérent de punir un simple perpétrateur avec une

22 sentence qui est égale à celle qui est rendue contre le commandant lui-

23 même. Pour ce qui est de la détermination de la sentence qui doit être

24 rendue à l'égard d'un commandant, on peut se référer à ce qui a été fait

25 dans l'affaire Aleksovski. D'après nous, il ne faut pas essayer d'établir

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1 des comparaisons simplistes entre ce qui a été fait en matière de

2 détermination de la sentence dans une affaire et ce qui a été fait dans

3 une autre affaire, parce que toute sentence tient compte de ces caractères

4 uniques qui sont spécifiques à une affaire et à une seule.

5 Mais il peut être instructif jusqu'à une certaine mesure de prendre compte

6 du fait que, dans Aleksovski, l'accusé qui a été jugé et qui a reçu

7 sentence était lui aussi commandant d'une prison. Le degré, la gravité des

8 crimes commis contre les prisonniers dans la prison de Celebici est,

9 d'après nous, bien plus importante que la gravité des crimes commis dans

10 l'affaire Aleksovski.

11 En revanche, dans l'affaire présente et contrairement à l'affaire

12 Aleksovski, il n'a pas été suggéré que le commandant de la prison avait

13 pris une part active à la perpétration des crimes.

14 Cela étant dit, dans l'affaire Aleksovski, dans le cadre de l'appel la

15 sentence a été augmentée, alourdie à sept ans, et la Chambre d'appel a

16 indiqué que la sentence aurait pu être beaucoup plus lourde si certaines

17 caractéristiques très spécifiques de l'affaire n'avaient été tenues en

18 compte: en particulier le fait que l'accusé avait déjà été remis en

19 liberté après que la Chambre de première instance eut rendu son jugement

20 et qu'il avait dû être remis en détention après avoir passé neuf mois en

21 liberté.

22 Si on part du principe que, dans l'affaire Aleksovski, la sentence aurait

23 dû être plus importante que sept ans et si on la compare à la sentence

24 rendue dans l'affaire Celebici, eh bien, on ne peut pas dire effectivement

25 qu'il est bon de tirer des comparaisons strictes, mais tout de même, en

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1 l'occurrence, la comparaison peut être assez instructive.

2 Notre mémoire traite également de la question des circonstances

3 atténuantes ou aggravantes qui a pu être tranchée par la Chambre de

4 première instance dans le cas d'espèce. Nous soumettons nos arguments sur

5 la question de savoir pourquoi, d'après nous, tout cela ne justifie pas

6 une réduction de la sentence. Je ne vais pas répéter ce que nous avons

7 dit.

8 Mais avant d'en venir à la deuxième erreur, est-ce que je peux peut-être

9 proposer que nous prenions la pause?

10 M. le Président (interprétation): Oui. Nous nous retrouverons à 16 heures

11 30 et nous continuerons jusqu'à 18 heures..

12 (L'audience, suspendue à 16 heures 02, est reprise à 16 heures 32.)

13 M. le Président (interprétation): Monsieur Staker, vous avez la parole.

14 M. Staker (interprétation): Merci Monsieur le Président. La deuxième

15 erreur qui, selon nous, entache le jugement de la Chambre de première

16 instance se trouve, est décrite dans les paragraphes 534 à 543 de notre

17 mémoire écrit.

18 Selon nous, l’erreur consiste pour la Chambre de première instance à avoir

19 fait erreur sur la sentence en tenant compte des crimes commis dans le

20 camp, en dehors des autres crimes pour lesquels les accusés avaient

21 précisément été considérés comme coupables. L'acte d'accusation dans cette

22 affaire invoque la responsabilité du supérieur hiérarchique pour certains

23 crimes bien précis.

24 Je retire ce que je viens de dire.

25 L'acte d'accusation dans la présente affaire invoque la responsabilité du

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1 supérieur hiérarchique pour plusieurs crimes commis dans le camp. Par

2 exemple, au paragraphe 22, M. Mucic est accusé de responsabilité de

3 supérieur hiérarchique par rapport à des meurtres commis dans le camp. Le

4 texte se poursuit avec le terme: "y compris" et ensuite nous avons une

5 liste.

6 Nous affirmons que le terme "y compris" signifie que les allégations ne se

7 limitaient pas au crime précisé. Nous disons qu'il n'y a rien

8 d'inacceptable dans cette façon de plaider dans le sens, Monsieur le

9 Président, Messieurs les Juges, où dans certaines affaires, où les auteurs

10 de crimes sont de très au niveau, des crimes peuvent être imputés aux

11 accusés qui portent sur des milliers de victimes.

12 Nous affirmons qu'il est suffisant de dire que des milliers de victimes

13 ont été tuées ou ont subi des crimes à leur encontre. Nous disons qu'il

14 n'est pas indispensable de donner le nom de chacune de ces victimes

15 individuellement ou de conclure que l'accusé ne peut être condamné que, eu

16 égard, à une victime identifiable nommément.

17 M. le Président (interprétation): Puis-je vous poser la question? le

18 Procureur a-t-il cherché à obtenir des constatations par rapport aux

19 autres meurtres commis à l'époque?

20 M. Staker (interprétation): Mon collègue a, je crois, déjà répondu à cette

21 question. Nous affirmons que la Chambre de première instance a abouti à

22 des conclusions précises sur ce point. Il est également dit de façon

23 précise que les actes criminels non précisés font partie des charges

24 contre l'accusé, ce dont il suit qu'ils n'ont pas été pris en compte au

25 moment du prononcé de le sentence.

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1 M. le Président (interprétation): L'absence de déclaration peut faire

2 croire cela, mais le fait de garder le silence n'est pas une forme de

3 plaidoyer acceptable.

4 M. Staker (interprétation): Nous affirmons simplement qu'au moment du

5 prononcé de la sentence, un facteur à prendre en compte était, outre les

6 crimes spécifiques, d'autres crimes également.

7 La troisième erreur de la Chambre de première instance dans son jugement

8 porte sur les chefs 36 et 37 liés aux conditions inhumaines dans le camp.

9 Les conditions inhumaines qui ont été constatées englobaient l'absence

10 d'eau potable, l'absence de vivres, l'absence de soins médicaux, le fait

11 de devoir dormir dans des toilettes et l'ambiance de terreur générale qui

12 régnait dans le camp.

13 Ces chefs d'accusation ne portent donc pas sur des incidents ou des actes

14 précis commis dans le camp, mais sur les conditions globales. Nous disons

15 qu'en tant que commandant M. Mucic aurait dû exercer plus d'influence sur

16 ce type de situation que n'aurait dû le faire ses subordonnés.

17 Et pourtant, il semble que la même sentence lui a été imposée que celle

18 qui a été imposée à ses subordonnés, s'agissant de ces chefs précis de

19 l'acte d'accusation. Nous disons qu'il s'agit là d'une erreur discernable

20 qui réside dans le fait que sa responsabilité distincte en tant que

21 commandant du camp n'a pas été prise entièrement compte.

22 La quatrième erreur, à notre avis, porte sur le prononcé de la peine

23 relatif au chef 48 "emprisonnement illégal de civils, détention illégale

24 de civils." S'agissant de ce chef, M. Mucic a été déclaré responsable au

25 seul titre de l'article 7.1.

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1 Comme indiqué dans le paragraphe 547 de notre mémoire, dans son jugement

2 la Chambre de première instance a ignoré ce fait d'après nous, puisqu'elle

3 conclut au paragraphe 1248 du jugement, que la responsabilité pénale de M.

4 Mucic est liée entièrement au fait qu'il n'a pas exercé son autorité de

5 supérieur au bénéfice des détenus du camp de Celebici.

6 Nous disons également, pour les motifs invoqués dans notre mémoire écrit,

7 que la Chambre de première instance dans son jugement a adopté une

8 attitude générale selon laquelle la responsabilité de M. Mucic aurait été

9 purement passive et secondaire. Or, ceci, à notre avis, ne tient pas

10 compte suffisamment du fait que sa responsabilité au titre de ce chef

11 d'accusation était une responsabilité de participant au titre de l'article

12 7.1.

13 Dans le paragraphe 551 de notre mémoire, nous disons que la détention

14 illégale est un délit grave dans de nombreux systèmes judiciaires du monde

15 et que dans le contexte du droit international humanitaire la détention

16 illégale d'un grand nombre de personnes sur des périodes prolongées dans

17 des conditions d'existence inhumaine, dans des circonstances où ces

18 personnes risquent la mort ou la torture ou d'autres mauvais traitements

19 est à l'évidence un délit encore beaucoup plus grave.

20 Le Procureur affirme que le fait que la Chambre de première instance n’ait

21 pas pris suffisamment en compte ce fait constitue une erreur discernable.

22 La cinquième erreur qui, à notre avis, entache le jugement de la Chambre

23 de première instance porte sur le fait que la Chambre a ordonné que toutes

24 les sentences soient servies de façon concurrente. Ceci fait référence aux

25 paragraphes 554à 575 de notre mémoire écrit.

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1 Le Procureur reconnaît que la Chambre de première instance avait un

2 pouvoir discrétionnaire lui permettant de déterminer si ces sentences

3 devaient être servies de façon consécutive ou concurrente. Mais le

4 Procureur affirme également que pour que l'exercice de ce pouvoir

5 discrétionnaire soit valable, il fallait que la Chambre de première

6 instance tienne compte, comme il se doit, de cette question et que

7 l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit se faire conformément à

8 certains principes liés aux objectifs de la sentence.

9 Nous ne considérons pas que le jugement de la Chambre de première

10 instance…Nous ne nions pas le fait que des exemples peuvent être trouvés

11 dans le jugement de la Chambre de première instance où des sentences ont

12 été prononcées qui devaient être servies de façon concurrente sans

13 qu'aucun raisonnement ne soit apporté à l'appui de cette décision.

14 Cette pratique n'a pas jamais été contestée en appel par le passé, mais

15 cela ne signifie pas que l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la

16 Chambre de Première instance ait été nécessairement exercé comme il se

17 doit.

18 Dans la présente affaire, la Chambre de première instance a donné une

19 seule raison pour cette décision de concurrence des peines. Elle a déclaré

20 dans de nombreux paragraphes de son jugement que l'accusé avait été accusé

21 de façon cumulative par rapport à d'autres crimes démontrant le même type

22 de comportement.

23 Nous disons que ceci ne fournit pas nécessairement l'explication des

24 raisons pour lesquelles les sentences liées à des comportements divers

25 devraient automatiquement aboutir à une peine concurrente.

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1 Notre proposition générale, c'est qu'une personne qui commet plusieurs

2 crimes et qui donc commet plusieurs actes criminels différents a une

3 responsabilité plus importante qu'un accusé qui ne commet qu'un seul de

4 ces crimes. Et que l'on peut s'attendre dans ce cas à ce que la sentence

5 en rende compte.

6 Pour dire les choses très simplement, toute chose égale par ailleurs, un

7 accusé qui a tué dix victimes devrait se voir condamner à une peine plus

8 importante qu'un accusé qui n'en a tué qu'une. Cela semble logique. Comme

9 nous le disons dans notre mémoire écrit cela ne signifie pas

10 automatiquement que toutes les sentences relatives à des comportements

11 multiples doivent être consécutives. Si deux crimes distincts ont été

12 commis, dont chacun d'entre eux individuellement aurait pu donner lieu à

13 une peine de vingt ans par exemple, le fait que deux crimes du même genre

14 ont été commis ne conduira pas automatiquement à une peine de vingt ou

15 vingt-cinq ans. Mais la gravité supplémentaire du comportement de l'accusé

16 doit être pris en compte par la Chambre de première instance.

17 De même, même si un accusé est accusé de plusieurs crimes liés à un même

18 comportement, une sentence cumulative étant prononcé, nous disons que cela

19 ne signifie pas automatiquement que les sentences doivent être

20 concurrentes.

21 Hier, j'ai déjà dit, s'agissant de condamnations cumulatives que, dans

22 certains systèmes juridiques nationaux, la peine maximum prononcée pour un

23 crime peut être accrue si ce crime constitue en même temps un autre crime

24 selon le principe de la concurrence.

25 Dans le cas présent, la Chambre de première instance a prononcé une peine

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1 de sept ans d'emprisonnement pour tous les crimes pour lesquels M. Mucic

2 avait été déclaré coupable. Il a donc été condamné à la même peine que

3 s'il n'avait commis qu'un seul de ces crimes multiples.

4 Nous disons que, dans cette affaire particulière, le fait de rendre les

5 peines concurrentes ne rend pas correctement compte de la multiplicité des

6 actes que constituent le meurtre, la torture, le viol, les mauvais

7 traitements, les conditions d'existence inhumaines pour les détenus et la

8 détention illégale. Et que, compte tenu de la multiplicité des crimes, le

9 Procureur estime qu'il y a erreur discernable dans le prononcé de la

10 sentence.

11 Pour résoudre ces problèmes, le Procureur affirme que la Chambre d'appel

12 peut réviser la sentence imposée par la Chambre de première instance et la

13 remplacer par une nouvelle instance. Ceci est confirmé par le Président

14 dans l'affaire Aleksovski,. Et s'agissant des raisons qui motivent le

15 Procureur, elles se trouvent dans son mémoire écrit. Le Procureur demande

16 donc une substitution de la sentence.

17 Si je puis vous aider, je suis prêt à répondre à vos questions.

18 M. le Président (interprétation): Merci.

19 M. Riad (interprétation): Excusez-moi, avez-vous bien dit que ceci était

20 confirmé par le Président de la Chambre Aleksovski?

21 M. Staker (interprétation): Par le précédent Aleksovski.

22 M. Riad (interprétation): Merci.

23 M. Morrison (interprétation): Tout d'abord, je voudrais présenter les

24 excuses de mon collègue, Me Kuzmanovic, qui n'a pu être présent. Lui-même

25 a dû rentrer aux Etats-Unis, tout comme Me Ackerman.

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1 S'agissant maintenant de la question en débat, il est évident -et je le

2 dis avec tout le respect que je dois au Tribunal- que la Chambre de

3 première instance dans cette affaire n'a pris compte que de l'aspect

4 général des choses et prononcé une sentence générale après avoir passé

5 dix-neuf mois à apprécier les témoignages des témoins ainsi que ceux des

6 accusés, très souvent au détriment de l'accusé, compte tenu de son

7 comportement personnel.

8 En effet, la Chambre s'est plainte, ceci est en rapport avec un autre

9 motif mais également avec la sentence, la Chambre s'est plainte du fait

10 qu'il n'a pas témoigné. J'ai élevé une objection par rapport à cette

11 plainte dans mon mémoire écrit, je n'y reviens pas. Je dis simplement que

12 cela semble assez extraordinaire compte tenu de la charge de la preuve.

13 On peut penser que, ayant exécuté l'exercice très difficile de passer en

14 revue les questions contenues dans les documents relatifs à la sentence,

15 on peut être bref et se contenter du mémoire. Mais je dirai simplement

16 qu'il est extraordinaire et que dans mon expérience et dans l'expérience

17 de la plupart des juges présents ici sans doute également, il est assez

18 extraordinaire que des témoins de l'accusation -puisque c'étaient des

19 témoins de l'accusation- aient dit des choses comme celle-ci au sujet de

20 l'accusé.

21 Madame Golubovic a dit, nous l'avons inscrit dans le mémoire, je cite: "Si

22 au moins 20% du peuple de Bosnie avait été comme Mucic, il n'y aurait pas

23 eu de guerre." (fin de citation) Je dis que c'est un commentaire assez

24 étonnant.

25 Et puis, un autre témoin au sujet de Mucic a dit: "Je ne pense pas que je

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1 serais assis ici s'il n'avait pas été là". Répondant à une question au

2 sujet du fait de savoir si les gens parlaient de Pavo Mucic dans le

3 village, il a répondu: "Bien sûr, ils parlaient de lui. Tout le monde,

4 tous les gens qu'il avait aidés étaient reconnaissants et parlaient de

5 lui."

6 Un autre témoin qui a très bonne réputation a dit, lui aussi, que Pavo

7 Mucic avait une bonne réputation et qu'il était un homme auquel il était

8 reconnaissant. C'était un autre prisonnier du camp.

9 Ces témoins font référence à Mucic, par exemple, comme ayant empêché le

10 viol d'une jeune fille de 13 ans. Le témoin P a dit qu'il avait présenté

11 une demande urgente pour que des vivres soient délivrés au camp de

12 Celebici et décrit également son avis subjectif en répondant "oui" à la

13 question suivante: "Est-il permis de dire que M. Mucic protégeait, d'une

14 certaine façon, les prisonniers au maximum de ses capacités?"

15 M. le Président (interprétation): On se plaint de votre vitesse, Maître.

16 M. Morrison (interprétation): Oui, je lis encore une fois. Le témoin T, au

17 cours du contre-interrogatoire mené par Me Ackerman, a dit ce qui suit,

18 littéralement: "Je crois que vous avez dit hier, si je vous ai bien

19 compris, que ces échanges ont été principalement réalisés grâce aux

20 interventions de M. Mucic, M. Pavo Mucic, qui s'agitait sans cesse en

21 faveur des jeunes, des innocents ou des personnes âgées en demandant leur

22 libération du camp de Celebici. Est-ce exact ou pas?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Monsieur Mucic a aidé les Serbes autant qu'il l'a pu, n'est-ce

25 pas?

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1 Réponse: Oui."

2 Si tout cela n'a aucun rapport avec les éléments de plainte du Procureur

3 dans cette affaire, il est très difficile de s'imaginer ce qui pourrait le

4 faire.

5 Ce dont la défense, elle, se plaint dans son mémoire en appel, c'est que

6 ces faits n'ont pas suffisamment été pris en compte. A l'époque où ces

7 observations ont été consignées dans un contexte écrit, le jugement

8 Aleksovski n'était pas encore disponible. L'affaire était évidemment tout

9 à fait différente et M. Aleksovski a été condamné à deux ans et demi qui

10 font une différence par rapport aux sept ans dont nous parlons dans la

11 présente affaire.

12 Il a été dit, s'agissant de M. Aleksovski, que l'une des raisons pour

13 lesquelles sa sentence n'a pas été plus importante, c'est qu'il était en

14 liberté, ce qui peut sembler un peu étonnant puisque cet accusé était en

15 prison depuis quatre ans et trois mois, attendant le jour d'aujourd'hui.

16 Cela semble bizarre que M. Aleksovski ait pu bénéficier d'une peine plus

17 courte parce qu'il était en liberté.

18 M. le Président (interprétation): Je ne vous ai pas interrompu, mais

19 Aleksovski n'est pas la question dont nous parlons ici, et il y a peut-

20 être eu double jugement du même crime à son égard.

21 M. Morrison (interprétation): Oui, le double jugement d'un même crime

22 s'applique dans son affaire mais, selon mon expérience au Royaume Uni,

23 lorsqu'une personne a été condamnée à une peine et attend pendant de

24 nombreuses années une date potentielle de libération, ceci bien sûr est

25 toujours pris en compte.

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1 Je cite l'affaire Von Lee dans mon mémoire écrit. Je ne vais pas répéter

2 ce que j'ai écrit. C'est l'exemple d'un commandant suprême qui a été

3 condamné pour des actes de meurtre commis par ses subordonnés et il a été

4 condamné à trois ans par le tribunal de Nuremberg. Le Tribunal avait

5 toutes sortes d'options s'agissant du prononcé de la peine, y compris bien

6 sûr la peine de mort, ne l'oublions pas.

7 Et pour aller un peu plus loin que ce que j'ai fait jusqu'à présent, je

8 pense que je ne pourrais que revenir que sur les 56 pages de réponse aux

9 documents du Procureur, ce que je ne ferai pas, malgré la tentation qui

10 est la mienne car, lorsque je regarde M. le juge Hunt, je me rends compte

11 que ce ne serait pas le plus approprié.

12 M. le Président (interprétation): Merci. Maître Moran, vous avez la

13 parole.

14 M. Moran (interprétation): Monsieur le Juge, pour ne pas être tenté de

15 lire ce qui est écrit dans le mémoire, j'ai apporté ici une seule et

16 unique feuille de papier. Puis-je commencer?

17 J'ai un motif d'appel à traiter, après quoi j'aimerais faire une

18 suggestion et je traite d'abord du motif d'appel.

19 Le fait de savoir si l'appréciation de la sanction dans la présente

20 affaire a abouti à une augmentation ex post facto de la sanction maximale

21 se pose. Et sans rentrer dans le détail de ce qui figure dans notre

22 mémoire, je dirai ce qui suit: les conventions de Genève ne constituent

23 pas un nouveau Code pénal international. Cela n'a jamais été leur objet.

24 En fait, il semble qu'à l'époque il y a eu présomption...

25 Monsieur le Juge Riad me regarde avec un air interrogateur. Monsieur le

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1 Juge, l'une des choses que je dis dans mon rapport, c'est qu'un mémoire du

2 Comité des Affaires étrangères américain relatif à la ratification par les

3 Etats-Unis de la convention de 1956 utilise cette expression. Ce n'est pas

4 un Code pénal international.

5 Il semble que ce à quoi on s'attend, c'est que ces conventions soient

6 mises en œuvre par le biais des tribunaux nationaux. Ce Tribunal est le

7 premier tribunal pénal international depuis… Quelle date? 1948. Il semble

8 donc que les auteurs des conventions avaient cela à l'esprit.

9 Ils ont également créé une compétence universelle, mais cette compétence

10 universelle ne fait qu'autoriser quelque Etat que ce soit à se saisir de

11 crimes de guerre. Elle ne les oblige pas à le faire.

12 Et puis, un autre argument que j'avancerais, c'est que la loi sur les

13 crimes de guerre aux Etats-Unis qui limitent la compétence des tribunaux

14 américains à des affaires impliquant des ressortissants, des citoyens ou

15 des membres de l'armée américaine, aussi bien en tant que victimes qu'en

16 tant qu'auteurs des crimes est également un document à prendre en compte.

17 Rien, aucun élément de preuve présenté à ce Tribunal ne permet de penser

18 qu'il existe un autre Etat que l'ex-Yougoslavie où des tribunaux aient

19 compétence pour traiter de ce genre de crime avant la création de ce

20 Tribunal, en mai 1993. C'est-à-dire après les actes commis et consignés

21 dans les actes d'accusation. Je crois que c'était en mai, je ne me

22 rappelle pas la date exacte, le 20 mai peut-être. Enfin.

23 Par conséquent, la seule échelle de peines disponible à un tribunal dont

24 nous savons qu'il avait compétence pour juger ces crimes se trouve

25 consignée dans le Code pénal de la RSFY.

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1 Nous avons entendu un expert, le Pr Tomic, de la Faculté de droit de

2 Sarajevo. Et ce que le Dr Tomic a dit, c'est que "la peine

3 d'emprisonnement la plus lourde que pouvait prononcer un tribunal

4 yougoslave, en application de son Code pénal de l'époque, était une peine

5 de quinze ans, avec une exception." Et c'étaient des affaires où la peine

6 de mort existait.

7 Le Tribunal pouvait donc prononcer une peine de mort et immédiatement la

8 commuer, cette peine de mort, en peine d'emprisonnement de vingt ans. A

9 mon avis, cela signifie que la peine la plus lourde que ce Tribunal

10 pourrait prononcer pour un crime commis, avant la date de création du

11 Tribunal, donc avant le mois de mai 1993, est une peine de quinze ans. Et

12 ceci au motif suivant: ce Tribunal n'a pas compétence pour prononcer une

13 peine de mort, donc il ne peut pas prononcer une peine de mort et ensuite,

14 au titre de grâce, la commuer en peine de vingt ans.

15 Je crois que les autres arguments sont dans mon mémoire écrit et, si les

16 Juges n'ont pas de question à me poser, j'ai une suggestion à proposer.

17 Nous avons bien sûr parlé du caractère suffisant ou insuffisant des

18 éléments de preuve pour certains chefs d'accusation. Il serait

19 inconcevable de penser que nous puissions remporter un succès sur certains

20 chefs et pas sur d'autres.

21 Je vais prendre pour exemple les quatre premiers chefs d'accusation. Si

22 les Juges de cette Chambre estimaient que les chefs d'accusation n'étaient

23 pas suffisants et prononçaient un acquittement sur les chefs n°1 et 2 mais

24 pas sur les chefs n°3 et 4, les sentences étant identiques –c'est-à-dire

25 vingt ans– je dirai, comme M. Staker vient de le dire, qu'un accusé qui

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1 tue dix personnes doit être condamné à une peine plus lourde qu'une

2 personne qui ne tue qu'une personne.

3 Donc, si les Juges de la Chambre estiment qu'il y a eu insuffisance

4 d'éléments de preuve sur les chefs 1 et 2 ou sur les chefs 3 et 4, la

5 Chambre –dans ce cas– devrait revoir la sanction relative aux autres chefs

6 d'accusation. Voilà.

7 Messieurs les Juges, je vous remercie.

8 M. le Président (interprétation): Merci, Maître Moran.

9 Maître Sinatra?

10 Mme Sinatra (inteprétation): Puis-je commencer, Monsieur le Président?

11 Merci. Monsieur Landzo a été condamné pour avoir tué trois personnes,

12 torturé quatre personnes et pour avoir causé des souffrances graves ou des

13 atteintes graves à l'intégrité physique de trois personnes.

14 Dragan Erdemovic a plaidé "coupable de crime contre l'humanité" pour avoir

15 participé à l'exécution d'environ 1200 Musulmans civils sans armes. C'est

16 ce qu'il a dit lorsqu'il a plaidé coupable pour la première fois. Le

17 résultat suite à l'appel, ce qu'il a avoué, a été déclaré coupable d'avoir

18 tué 75 personnes au cours d'une seule et même journée, le 16 juillet 1995.

19 Il a été condamné à cinq ans et, aujourd'hui, il circule librement à La

20 Haye.

21 Il y a là une certaine injustice. Monsieur Landzo a été condamné à quinze

22 ans. Je sais bien qu'il y a un certain nombre d'éléments caractéristiques

23 dans la sentence de M. Erdemovic mais la différence n'est pas grande avec

24 M. Landzo. Monsieur Landzo a proposé de collaborer avec le Procureur et,

25 si l'on laisse de côté la décision Erdemovic, la nouvelle peine en appel

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1 dans l'affaire Tadic a été prononcée alors que la Chambre a estimé qu'il

2 fallait tenir compte du rôle significatif joué par l'accusé, par

3 l'appelant, ainsi que la situation particulière du conflit dans l'ex-

4 Yougoslavie.

5 Landzo a été plongé dans la situation globale de la guerre dans l'ex-

6 Yougoslavie et, en appel dans l'affaire Tadic, la Chambre a estimé que la

7 personne, qui établit une politique responsable d'atrocités à grande

8 échelle, doit être considérée comme plus responsable.

9 M. le Président (interprétation): C'est une erreur de tout le monde ici.

10 Maître Sinatra, lorsque vous lisez, vous parlez plus vite.

11 Mme Sinatra (interprétation): Mes excuses aux interprètes.

12 Quoi qu'il en soit, l'arrêt Tadic stipule que la personne qui érige une

13 politique, qui ordonne des atrocités à grande échelle doit être punie plus

14 sévèrement qu'un accusé qui, s'il est coupable d'actes qu'il a commis

15 personnellement, est un acteur beaucoup moins important que dans un jeu

16 qui est dirigé par d'autres acteurs, les acteurs principaux. Or, difficile

17 de trouver un acteur plus mineur qu'Esad Landzo dans ce qui s'est passé en

18 ex-Yougoslavie.

19 Et je pense que la Chambre de première instance a manqué de considérer la

20 situation de M. Landzo. Il n'avait absolument aucune autorité, ce jeune

21 homme qui s'est trouvé pris dans l'invasion de son pays, il n'a eu aucune

22 responsabilité en ce qui concernait les décisions relatives à la

23 politique, aucun rôle dans le domaine militaire. Il avait un rôle tout à

24 fait insignifiant dans le contexte du conflit de l'ex-Yougoslavie.

25 Monsieur Staker a parlé de l'atténuation de la responsabilité mentale qui

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1 a été prise en compte par la Chambre de première instance.

2 La seule référence que fait la Chambre de première instance à ce fait,

3 figure au paragraphe 1283 de son jugement. Et si on passe à la deuxième

4 ligne, on peut lire: "Si le moyen de défense spéciale sur l'altération des

5 facultés mentales évoquées par la défense a été rejetée par la Chambre de

6 première instance, celle-ci prend toutefois note des éléments de preuve

7 présentés par de nombreux experts psychiatriques qui font tous état de

8 traits de personnalité de Landzo, devant être pris en compte pour fixer la

9 peine." (fin de citation).

10 Eh bien, nous avançons que la Chambre de première instance, c'est clair,

11 n'a pas quantifié, n'a pu quantifier l'effet de ceci sur la peine

12 prononcée contre M. Landzo. La Chambre de première instance n'a pas

13 reconnu que la responsabilité de M. Landzo était diminuée, en diminuant sa

14 peine. Ils ont… Le simple fait de dire qu'on a pris en compte les traits

15 de sa personnalité ne revient pas à reconnaître l'atténuation de sa

16 responsabilité.

17 Nous demandons à la Chambre d'appel, aujourd'hui, de faire la chose

18 suivante, c'est une des alternatives évoquées par le professeur Murphy. Si

19 vous estimez que le moyen de défense d'altération des facultés mentales ne

20 constitue pas un moyen de défense aux termes de l'article 77, je vous

21 demande au moins de constater qu'il y avait suffisamment d'éléments de

22 preuve, dans le cadre des éléments présentés pour montrer qu'effectivement

23 il y avait atténuation de la responsabilité mentale et qu'il faut en

24 prendre compte dans la peine.

25 Si on estime donc qu'il n'a pas fourni tous les éléments nécessaires dans

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1 le cadre du procès pour prouver l'existence du moyen de défense spéciale,

2 au moins, il faut le prendre en compte dans le prononcé de la peine et

3 l'utiliser pour réduire sa peine.

4 Le simple fait de dire que la Chambre de première instance a pris en

5 compte les éléments présentés par les experts psychiatriques au sujet des

6 traits de personnalité de M. Landzo ne signifie pas qu'on le prend en

7 compte véritablement.

8 Mais cela montre que si cela ne revient pas un moyen de défense, il y a

9 quand même altération des facultés mentales. Or, cela n'a pas été pris en

10 compte dans la peine.

11 La Chambre n'a pas dit: "nous l'avons en fait condamné à quinze ans, mais

12 du fait de l’altération de ses facultés mentales, nous avons réduit cette

13 peine de cinq ou dix ans." Or, cela n'apparaît nulle part.

14 D'autre part, M. Staker a dit que la peine de M. Landzo a été réduite

15 proportionnellement à celle de Hazim Delic. Il a dit qu'il y a eu

16 réduction de la peine sur la base de l’atténuation des responsabilités

17 mentales. Mais ce n’est pas vrai. Hazim Delic, lui, on lui reprochait des

18 chefs d'accusation bien différents.

19 M. Landzo n'a jamais été accusé de viol, il n'a jamais été considéré…

20 (Mme Sinatra se reprend).

21 Il n'y avait pas contredit les mêmes chefs d'accusation que ceux qui

22 pesaient contre M. Delic.

23 M. Landzo demande à la Chambre d'étudier à nouveau les éléments de preuve

24 que nous avons fournis dans le cadre du prononcé de la sentence et de la

25 peine. Nous estimons que l'état mental altéré de M. Landzo, l'état fragile

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1 de M. Landzo avant le conflit, son incapacité d'utiliser sa volonté, son

2 libre-arbitre et aussi ce qui a été décidé dans l'affaire Tadic signifie

3 qu'il faut revoir les éléments de preuve que nous avons présentés en ce

4 qui concerne la peine.

5 Aussi bien en Amérique qu'aux Etats-Unis, des concepts ont été développés

6 autour de ce thème qui reviennent à dire une seule chose. C'est que chaque

7 homme a droit à sa dignité, dignité qui est inviolable. Ce n'est pas un

8 concept théorique, c'est quelque chose de bien réel pour chacun d'entre

9 nous.

10 A Tokyo, quatre juges ont publié des opinions individuelles. L'un d’eux ,

11 le juge Bernard, a dit que si un tribunal rend une peine, une sentence en

12 ayant suivi une procédure qui n’est pas digne de ce nom, eh bien, la

13 décision rendue n'est pas valable.

14 Je vous demande donc, s'il vous plaît, de prendre en compte tous les

15 arguments que vous avez entendus aujourd'hui et de faire en sorte de

16 préserver l'intérêt de la justice et de la dignité humaine.

17 M. le Président (interprétation): Bien, merci Madame Sinatra.

18 Monsieur Staker, vous devez répondre à Me Morrison, ainsi qu'aux deux

19 autres personnes qui sont intervenues, aux deux autres conseils qui sont

20 intervenus.

21 M. Staker (interprétation): Oui. Mon intervention sera brève. D'abord, en

22 ce qui concerne la réponse de M. Morrison. Il dit que si on regarde le

23 jugement portant sentence de la Chambre de première instance, on voit que

24 cela se base sur une image globale de la situation. Nous ne disons rien

25 d'autre.

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1 Nous ne faisons pas appel de l'arrêt, de la décision en ce qui concerne M.

2 Delic. Non pas en ce qui concerne les faits mais les principes appropriés,

3 nous estimons qu'on n'a pas pris suffisamment en compte les faits. On n'a

4 pas appliqué les principes qui s’imposaient. Certains facteurs n'ont pas

5 suffisamment été pris en considération, des facteurs que nous estimons

6 qu’ils sont essentiels.

7 Maintenant, en ce qui concerne Me Moran qui s'exprime au nom de M. Delic.

8 Il nous dit qu'il aurait droit, d’après les faits… Cela reviendrait à, si

9 l'on impose une sentence, une peine de plus de quinze ans, vu la grille

10 des peines qui s’applique en ex-Yougoslavie à l'époque.

11 Moi, je vous renvoie tout simplement à un arrêt de la Chambre d'appel, en

12 ce qui concerne l'affaire Tadic, paragraphe 21. Puis, conformément aux

13 principes relatifs aux précédents énoncés dans l'appel Tadic, nous

14 estimons qu'il n'y a aucune raison qui permette de constater que son

15 argument est valable.

16 D'autre part, au paragraphe 836 du jugement Kupreskic, ceci est remis en

17 question également dans l'affaire Blaskic où une sentence de 45 ans a été

18 prononcée. Donc, cela va à l'encontre de ce qui nous a été dit au sujet de

19 la peine maximale que devrait imposer ce Tribunal. Dans le cadre du

20 précédent et de la jurisprudence, elle a imposé des peines supérieures.

21 Me Moran dit que si une des déclarations de culpabilité doit être annulée

22 contre M. Delic, il faut diminuer les peines qui ont été imposées contre

23 lui, du fait que sa responsabilité à ce moment-là serait moindre. Ce

24 serait peut-être une des conséquences à tirer si on applique les principes

25 pour lesquels je me suis prononcé, dans le cadre du prononcé de la

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1 sentence, mais ce n'est pas la logique adoptée par la Chambre de première

2 instance puisqu’elle a dit qu’il devait y avoir confusion des peines.

3 Donc, la Chambre de première instance a estimé que les peines imposées

4 pour chacun de ces crimes ou pour chacun des chefs d'accusation

5 constituait la peine appropriée, même si le chef d'accusation en question,

6 chacun des chefs d'accusation avait en fait constitué le seul chef

7 d’accusation pour lequel l'accusé était déclaré coupable.

8 Ensuite, j'en passe à ce qu'a dit Me Sinatra au nom de son client, M.

9 Landzo. Premièrement, elle nous a parlé de l’affaire Erdemovic. Je crois

10 que nous avons déjà répondu à cette comparaison dans le cadre de notre

11 mémoire écrit.

12 Je vais être très bref.

13 Nous estimons donc que le facteur de la contrainte qui existait dans

14 l’affaire Erdemovic fait que cette affaire est totalement extraordinaire.

15 Elle sort de l'ordinaire. Donc, il est difficile de la comparer à quoi que

16 ce soit.

17 La Chambre d'appel a déclaré que c'était quelqu'un qui était dans une

18 position où soit il tuait, soit il était tué lui-même. Cela n'a rien à

19 voir avec l’affaire qui nous intéresse, puisqu’il n’a jamais été avancé,

20 d'une manière ou d'une autre, que M. Landzo était contraint de faire quoi

21 que ce soit ou qu’il aurait subi des conséquences graves s’il avait refusé

22 de faire ce qu'il a fait.

23 Il a été également fait mention de l'offre qu'il a fait de coopérer avec

24 l'accusation.

25 Premièrement, nous estimons que c'est une façon, que cela ne correspond

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1 pas aux faits et nous souhaitons. Nous en avons parlé, d'autre part, dans

2 notre mémoire au paragraphe 1279 d'ailleurs du jugement, il y est fait

3 référence. On parle de certaines discussions qui ont eu lieu au sujet de

4 la recherche d'un accord. La Chambre de première instance a estimé que ce

5 n'était pas une offre de coopération valable qui justifiait de diminuer la

6 peine.

7 Et le paragraphe 1282 traite de la même chose.

8 En ce qui concerne ce qui a été dit au sujet de l'appel Tadic, à savoir

9 que la peine prononcée doit refléter le poste de la personne concernée, sa

10 position dans l’ex-Yougoslavie, nous estimons que c'est exactement ce qu'a

11 fait la Chambre de première instance si on se penche sur le paragraphe

12 1280 du jugement de la Chambre de première instance.

13 Autre point qui a été évoqué, la Chambre de première instance n'a pas pu

14 ou n'a pas quantifié les conséquences que devait avoir l'altération de la

15 responsabilité mentale. Si j'ai bien compris, en fait, il s'agit tout

16 simplement d'arguments qui sont liés aux motifs d'appel relatifs à

17 l'atténuation de la responsabilité mentale. Or, nous avons déjà amplement

18 répondu en ce qui concerne ce motif d'appel.

19 Maître Sinatra a dit que l'on ne peut pas dire que, sur la base de

20 l'atténuation de la responsabilité mentale, on a imposé à M. Landzo une

21 peine inférieure qu'à M. Delic. Je n'ai pas dit que c'était le cas, j'ai

22 dit qu'il était impossible de dire dans quelle mesure cela avait entraîné

23 une réduction de la peine, mais si on compare les peines imposées là où

24 ils ont été reconnus coupables pour les mêmes chefs d'accusation, la

25 différence dans les peines prononcées montrent qu’en effet différents

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1 facteurs ont été pris en compte dans le cadre du prononcé de la peine

2 contre M. Landzo.

3 Dernière chose que nous a dit Mme Sinatra, elle a parlé d'une demande, ou

4 plutôt elle a demandé à la Chambre d'appel de passer en revue tous les

5 éléments de preuves présentés dans le cadre du prononcé de la peine. Or,

6 il s'agirait en fait de recommencer tout le processus relatif au prononcé

7 de la peine, or ce n'est pas à la Chambre d'appel de le faire.

8 M. le Président (interprétation): Est-il approprié, dans le cadre de

9 tribunaux, de procès internationaux ou pénaux que lorsque des peines sont

10 prononcées avec confusion des peines, on adopte la peine la plus grave

11 pour représenter les peines, toutes les autres peines qui ont été

12 présentées?

13 M. Staker (interprétation): Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris, vous

14 voulez dire qu'il faudrait établir cette pratique ou si c'est le cas?

15 M. le Président (interprétation): Non, c'est quelque chose qui a été

16 évoqué par Me Moran mais vous n'y avez pas répondu. Dans mon pays, et dans

17 le système juridique de mon pays, pendant très longtemps, jusqu'à une date

18 assez récente, il était accepté qu'il pouvait y avoir confusion des peines

19 ou les peines étaient purgées de façon consécutive à condition que le

20 total de la peine soit juste, si on prenait en compte les crimes en

21 question. Et si on décidait qu'il y avait confusion des peines, la plus

22 longue des peines, ou si elles étaient les mêmes, la longueur totale des

23 peines devait représenter une peine appropriée pour tous les crimes dont

24 l'accusé avait été reconnu coupable.

25 Est-ce que vous estimez que c'est là une pratique acceptable dans le cadre

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1 du droit pénal international et qu'elle est appliquée par ce Tribunal ou

2 qu'elle doit l'être?

3 M. Staker (interprétation): Je pense qu'on ne peut nullement dire que

4 c'est la pratique, que cela a été la pratique. Je ne vois pas pourquoi

5 cela ne serait pas approprié. Ici, je ne pense pas que cela ait été le

6 cas. La Chambre de première instance a simplement prononcé un certain

7 nombre de peine et a dit qu'il y aurait confusion des peines dans tous les

8 cas.

9 Au Tribunal pénal international, on constate que la pratique a varié selon

10 les cas et surtout, d'ailleurs, en ce qui concerne le Tribunal du Rwanda

11 et également en ce qui concerne le Tribunal pour la Yougoslavie dans

12 l'affaire Blaskic. La démarche adoptée a été la suivante: on a imposé une

13 peine globale pour tous les chefs d'accusations dont l'accusé a été

14 reconnu coupable et, si j'ai bien compris, c'est la pratique en France, et

15 je pense dans d'autres pays, en particulier ceux qui ont des systèmes

16 judiciaires semblables à celui de la France.

17 La difficulté que cela représente ici, dans ce Tribunal, c'est lorsqu'en

18 appel vous avez un certain nombre d'acquittements sur certains chefs

19 d'accusations qui sont annulés, à ce moment-là, on se demande quelle doit

20 être la sentence prononcée. Mais si l'on impose des peines différentes

21 pour chacun des chefs d'accusations, à ce moment-là, on comprend très bien

22 ce qui se passe si ces peines sont ensuite annulées, si l'une de ces

23 peines est annulée, d'ailleurs les conséquences sont, à ce moment-là, très

24 claires.

25 Si les peines étaient exécutées de façon consécutive, à ce moment-là, ce

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1 serait beaucoup plus simple si on annulait les condamnations pour

2 certaines d'entre elles. La solution que vous avez présentée me paraît, en

3 effet, tout à fait utile peut-être pour le Tribunal mais, à ma

4 connaissance, aucun principe n'a été énoncé jusqu'à présent.

5 M. le Président (interprétation): Vous avez dit précédemment qu'il

6 s'agissait, que c'était à la Chambre de décider s'il devait y avoir

7 confusion des peines ou non. Je pense que ce pouvoir discrétionnaire

8 dépend du fait que la sentence, ou la peine prononcée, la peine globale

9 prononcée correspond aux crimes dont on a reconnu coupable l'accusé. S'il

10 y a donc deux peines de 20 ans qui sont prononcées, si on a confusion des

11 peines, cela fait 20 ans, sinon 40 ans et cela nous fait une grosse

12 différence.

13 Il me semble que c'est une question qui doit être prise en compte au

14 moment où l'on décide s'il doit y avoir confusion des peines ou non. Et il

15 en va de même dans l'autre sens parce qu'il faut que la peine prononcée

16 soit juste, aussi bien pour l'accusé qui doit purger la peine que pour

17 l'accusation qui poursuit au nom de la communauté internationale. Ceci

18 doit être pris en compte lorsque la peine est décidée. Mais est-ce que

19 vous nous dites que la sentence aurait dû être de 40 ans ou de 20 ans?

20 M. Staker (interprétation): Je sais bien qu'on dit que les peines doivent

21 être purgées de façon consécutive ou confondue et qu'il y a l'un ou autre,

22 mais moi j'avance que cela ne doit pas être l'un ou l'autre, qu'elles ne

23 doivent pas s'exclure systématiquement. Par exemple, j'estime que s'il y

24 avait trois meurtres, trois assassinats, chacun de ces assassinats, on

25 aurait dû avoir une peine de vingt ans.

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1 M. le Président (interprétation): Oui, mais parfois vous avez plus d'un

2 assassinat.

3 M. Staker (interprétation): Je ne pense pas qu'il y ait de différence si

4 vous avez trois assassinats sous un chef d'accusation ou trois assassinats

5 et trois chefs d'accusations. Mais nous pensons que quand vous avez trois

6 assassinats, il faudrait qu'il y ait trois fois vingt ans. Nous ne disons

7 pas qu'il faudrait qu'il y ait 60 ans de peine, mais si vous choisissez la

8 confusion des peines, à ce moment-là, vous avez 20 ans. C'est-à-dire la

9 même chose que si quelqu'un avait été déclaré coupable d'un seul

10 assassinat et cela, cela ne nous paraît pas approprié. Il aurait donc

11 mieux valu prononcer une peine différente, une peine supérieure, 22 ans,

12 25 ans, une peine dont la Chambre de première instance estime qu'elle soit

13 appropriée.

14 M. le Président (interprétation): Donc, une peine où il y ait en partie

15 des peines qui soient purgées de façon consécutive, en partie?

16 M. Staker (interprétation): Oui, c'est cela.

17 Autre solution, c'est d'avoir confusion des peines totales mais avec une

18 peine totale qui reflète les crimes commis. Nous pensons que dans le cadre

19 de son pouvoir discrétionnaire, la Chambre de première instance doit avoir

20 à l'esprit, la totalité, la conduite de l'accusé dans sa totalité. Et non

21 pas se contenter de prononcer des peines pour chacun des chefs

22 d'accusation et ensuite de dire qu'elles seront confondues.

23 M. le Président (interprétation): Mais, en fait, ce que vous nous dites

24 c'est qu'il y ait confusion des peines en totalité ou non, ce que vous

25 dites c'est qu'il faut prendre en compte la totalité des actes criminels

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1 pour décider de la façon dont la Chambre utilise son pouvoir

2 discrétionnaire pour décider s'il y a peine purgée de façon consécutive ou

3 confondue. Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose?

4 M. Staker (interprétation): Non.

5 M. le Président (interprétation): Maître Morrison, vous avez le droit de

6 répondre.

7 M. Morrison (interprétation): Je dois dire uniquement une seule chose, au

8 nom de nous tous, je souhaiterais remercier les interprètes et les

9 sténotypistes pour leur travail. Je pense que tout a été dit. Et je pense

10 que traducteurs ou interprètes et sténotypistes seront contents de savoir

11 que nous n'avons rien à ajouter.

12 M. le Président (interprétation): Maître Moran, souhaitez-vous ajoutez

13 quelque chose?

14 M. Moran (interprétation): Très brièvement. Monsieur Staker nous dit que

15 la totalité ou la peine totale doit refléter le comportement criminel dans

16 sa totalité. Je suis d'accord, mais à ce moment-là, si la Chambre d'appel

17 estime que le comportement criminel de l'accusé est moindre que ce qui a

18 été décidé par la Chambre de première instance, à ce moment-là, il faut le

19 prendre en compte.

20 D'autre part, je voudrais me joindre à ce qu'a dit Me Morrison, je vois

21 derrière les fenêtres des interprètes que je connais et que j'ai pratiqués

22 depuis longtemps et qui ont dû me subir ainsi que d'autres personnes et je

23 leur suis très reconnaissant ainsi qu'à tous les membres du personnel.

24 M. le Président (interprétation): Madame Sinatra, avez-vous quelque chose

25 à ajouter?

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1 Mme Sinatra (inteprétation): Je n'ai rien à ajouter au sujet du prononcé

2 de la peine, mais je souhaiterais remercier non seulement les interprètes

3 mais également les sténotypistes, les représentants du Greffe ainsi que

4 les membres de la sécurité qui nous ont été d'une grande aide pendant

5 toute cette période difficile et très intéressante que nous avons passée

6 ici. Merci de nous avoir écoutés.

7 Mon confrère a quelque chose à ajouter.

8 M. Murphy (interprétation): Dans le feu de l'action précédemment, je me

9 suis ensuite demandé, j'ai eu une incertitude au sujet de la Constitution

10 du Costa Rica et des preuves à apporter en ce qui concerne ce document.

11 M. le Président (interprétation): Oui, justement, j'y pensais. Ce que nous

12 avons besoin de savoir, c'est si l'accusation accepte comme étant

13 véridique la traduction de l'intégralité de la Constitution du Costa Rica

14 dans la version qui est utilisée par les deux parties, les deux côtés.

15 Traduction qui est publiée par l'éditeur Oceana et sous la direction d'un

16 certain M. Flans,, édition de mai 1995.

17 Monsieur Staker, pouvez-vous nous dire à peu près quand vous pourrez nous

18 donner votre réponse à ce sujet?

19 M. Staker (interprétation): J'espère que je pourrais le savoir assez

20 rapidement, mais je ne peux pas répondre à votre question. Mais j'espère

21 que nous pourrons déposer notre réponse à cette question très rapidement

22 si nous pouvons le faire par écrit.

23 M. le Président (interprétation): Dans le document lui-même, on peut voir

24 les moments ou les endroits où des modifications ont eu lieu et il n'y a

25 eu aucune modification entre 1992 et 1995. Ce qu'il faudra vérifier, c'est

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1 s'il y a eu des modifications dans le texte ultérieurement, des

2 modifications qui ont trait à certains des sujets qui nous intéressent

3 ici.

4

5 M. Staker (interprétation): Monsieur le Juge, j'espère que vous

6 comprendrez que je n'essaye pas ici de faire des difficultés, mais il y a

7 parfois des omissions dans les publications de ce genre. Or ici, ce texte

8 est extrêmement important pour nous, donc nous ne pouvons pas nous

9 contenter d'accepter ce texte sans vérification.

10 M. le Président (interprétation): Je vous comprends bien. Mais j'espère

11 que cela ne dépend pas de qui va payer pour tout cela parce que,

12 finalement, ce sont toujours les mêmes personnes qui paient, cela revient

13 du même endroit.

14

15 M. Staker (interprétation): Bien entendu.

16 M. le Président (interprétation): Eh bien, la Chambre d'appel remercie

17 tous les conseils qui sont intervenus et nous rendrons notre décision en

18 temps utile.

19 Et au nom de la Chambre d'appel, je voudrais remercier les sténotypistes

20 ainsi que les interprètes qui ont travaillé très dur dans le cadre de

21 cette procédure d'appel, qui se trouvent dans une situation un peu

22 différente de celle qui prévaut dans les procès en première instance où

23 vous avez quand même des pauses entre les questions et les réponses.

24 Sur ce, je lève l'audience.

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2 (L'audience est levé à 17 heures 27.)

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