Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-96-21-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

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4 Jeudi 12 juin 1997

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6 L'audience est ouverte à 10 heures 05 .

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8 M. le Président (interprétation). - Bonjour Mesdames et

9 Messieurs. Maître Ostberg, vous avez la parole.

10 M. Ostberg (interprétation). - Merci.

11 M. le Président (interprétation). - Qui comparaît aujourd'hui ?

12 M. Ostberg (interprétation). - Je m'appelle Eric Ostberg, je

13 comparais aujourd'hui avec Mme McHenry, Me Niemann et notre substitut

14 d'audience, Mme Von Dusschotem.

15 M. le Président (interprétation). - Du côté de la défense ?

16 Mme Residovic (interprétation) .- Bonjour, Madame et Messieurs

17 les Juges. Je m'appelle Edina Residovic, je suis le conseil de la défense

18 pour M. Delalic et je comparais avec, comme confrère, M. O'Sullivan,

19 professeur canadien.

20 M. Olujic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président. Je

21 m'appelle Olujic. Je comparais avec Me Greaves et nous représentons

22 M. Zdravko Mucic.

23 M. Karabdic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.

24 Je m'appelle Karabdic. Je comparais avec M. Thomas Moran pour la défense

25 de M. Hazim Delic. Monsieur Moran vient du Texas.

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1 M. Ackerman (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président.

2 Je m'appelle John Ackerman. Je comparais au nom de M. Esad Landzo et je

3 suis assisté par Cynthia McMurrey. Merci.

4 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Peut-on

5 faire rentrer le témoin.

6 M. Niemann (interprétation). - Avant de ce faire, Monsieur le

7 Président, je voudrais revenir sur une demande qui a été faite hier, tard

8 dans l'après-midi. Tout d'abord, si des membres de la défense ont été

9 vexés par la remarque que j'ai faite hier, je tiens à présenter mes

10 excuses. Je tiens en grande estime la défense. Ce sont des confrères d'une

11 grande compétence professionnelle et si le Tribunal n'a été insulté en

12 aucune manière par mes remarques, je présente mes excuses les plus

13 sincères.

14 Cela étant, Monsieur le Président, Me Ostberg est revenu parmi

15 nous et je demande votre permission de pouvoir me retirer.

16 M. Greaves (interprétation). - Avant que mon confrère ne se

17 retire, je voudrais le remercier des excuses qu'il a présentées. Je les

18 accepte volontiers.

19 M. le Président (interprétation). - Monsieur Niemann, je vous

20 remercie vivement de ces excuses qui correspondent à la meilleure

21 tradition du barreau. Nous vous en sommes extrêmement reconnaissant.

22 M. Niemann (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

23 M. le Président (interprétation). - Peut-on faire entrer le

24 témoin, maintenant ?

25 Mme McHenry (interprétation). - Nous avons un témoin qui est

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1 prêt à comparaître. Je ne sais pas si hier la décision a été prise de

2 verser au dossier certains éléments de preuve, y compris des cassettes et

3 des transcriptions de déclarations. Je crois que certains éléments ont été

4 versés au dossier déjà. Peut-être le greffier pourra-t-il nous aider à

5 dissiper tout malentendu. S'il y a une confusion, qu'il soit clair que

6 nous demandons que les cassettes et les transcriptions des interrogatoires

7 de MM. Mucic, Delalic et Landzo pris par l'accusation soient versées au

8 dossier.

9 M. le Président (interprétation). - Oui, je crois que c'est une

10 question qu'il faut régler ce matin.

11 Mme McHenry (interprétation). - Si effectivement vous attendez

12 M. D'Hooge, je crois seuls des points de droit restaient à régler.

13 Monsieur D'Hooge est présent dans le bâtiment. Il n'est pas présent dans

14 la salle des témoins. Si vous souhaitez sa présence, nous pouvons le faire

15 venir. Peut-être ai-je mal compris le Tribunal, mais j'avais compris qu'il

16 s'agissait uniquement d'un débat sur des points de droit, nous avons pensé

17 que sa présence n'était pas nécessaire.

18 M. le Président (interprétation). - Y a-t-il des réactions de

19 la part de la défense.

20 M. Greaves (interprétation). - Oui, Monsieur le Président. Je ne

21 m'attendais pas à ce que M. D'Hooge soit présent ici aujourd'hui et je ne

22 pense pas qu'il convienne qu'il le soit lors des débats sur les points de

23 droit qui se posent à la suite de cette question.

24 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur D'Hooge est présent à

25 l'extérieur de la salle. Si vous souhaitez sa présence, il peut venir.

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1 M. le Président (interprétation). - Je crois que nous allons

2 entendre vos arguments respectifs sur les versements de ces éléments de

3 preuve au dossier.

4 Je voudrais savoir, de la part des conseils de la défense, ce

5 qu'il en est exactement.

6 Monsieur Abribat, avais-je compris, avait participé à

7 l'interrogatoire. Alors, doit-il être rappelé afin d'être contre-interrogé

8 ou êtes-vous satisfaits à la lumière des éléments de preuve présentés et

9 jugez-vous que sa venue n'est pas nécessaire ?

10 M. Greaves (interprétation). - Je n'ai pas demandé à faire subir

11 un contre-interrogatoire à M. Abribat. Je ne crois pas que mes confrères

12 aient formulé cette demande non plus. Je pense que nous avons entendu tous

13 les moyens de preuve en rapport avec les interrogatoires menés par le

14 Bureau du procureur, moyens de preuve qu'il est possible d'entendre.

15 M. le Président (interprétation). - Nous pouvons donc passer à

16 la discussion sur les points de droit.

17 M. Greaves (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges,

18 vous avez sous les yeux je pense la requête que j'ai déposée le 8 mai,

19 ainsi que la réponse de l'accusation à cette requête.

20 Je ne vais pas revenir sur la teneur de ces documents, ce serait

21 inutile puisque vous en disposez par écrit et vous pouvez en extraire les

22 arguments respectifs. Je voudrais ajouter ce matin des arguments

23 concernant les points de droit et revenir aussi sur les faits.

24 Concernant les interrogatoires qui ont été menés auprès du

25 défendeur à Vienne, en mars 1996, les arguments relatifs à ces

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1 interrogatoires ont trait, à mon avis, non seulement au Bureau du

2 procureur mais aussi à l'interrogatoire de la police autrichienne. Nous

3 pensons qu'on ne peut pas compartimenter les deux éléments, comme s'ils

4 étaient complètement isolés des procédures menées par la police

5 autrichienne.

6 A notre sens, il faut y voir une continuité dans l'ensemble du

7 processus qui s'est déroulé sur une période d'environ quatre jours.

8 Une petite voix me chuchote à l'oreille de ralentir quelque peu,

9 je vais m'efforcer de le faire. Je m'excuse auprès de tous les intéressés.

10 Nous avançons donc que ce processus, qui s'est déroulé tout au

11 long de cette période de quatre jours à dater du 18 mars, est entaché de

12 défauts qui font que la seule conclusion possible à laquelle peut parvenir

13 le Tribunal est qu'il faut exclure les interrogatoires menés auprès de

14 M. Mucic à ce moment-là du dossier.

15 Comme je l'ai indiqué, nous avons formulé plusieurs arguments

16 dans notre requête datée du 8 mai et je passerai donc directement à

17 l'interrogatoire mené par la police autrichienne.

18 Nous avançons ceci : cet interrogatoire n'est pas recevable pour

19 deux raisons majeures. Tout d'abord, la façon dont l'interrogatoire a été

20 obtenu va à l'encontre de l'article 95 du Règlement de preuve et de

21 procédure. Je ne vais pas en donner lecture, vous le connaissez très bien

22 cet article 95, vous savez ce qu'il contient et quel en est l'objectif.

23 A notre sens, il faut examiner le document qui énonce les droits

24 des prisonniers. Un instant, si vous me le permettez.

25 Il s'agit du document qui apparaît en annexe 3 à la réponse de

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1 l'accusation à la requête de la défense.

2 Dans sa réponse, l'accusation décrit les procédures criminelles

3 autrichiennes comme étant attentives. A notre avis, et notre grand regret,

4 c'est complètement faux. En vertu du droit autrichien, on doit appliquer

5 des procédures qui sont bien en deçà des procédures déterminées par le

6 Tribunal comme étant d'application en l'occurrence.

7 Puis-je vous rappeler, pour commencer, si vous le voulez bien,

8 certains des éléments de cette feuille d'information données aux personnes

9 arrêtées. Ce paragraphe 4 de ce document, à notre avis, va à l'encontre du

10 Règlement de procédure et de preuve, puisque ce paragraphe 4 dit qu'il y a

11 pas de droit à la présence d'un avocat.

12 En traduction anglaise il est dit : "si vous souhaitez que votre

13 conseil juridique vienne vous voir le plus rapidement possible, faites le

14 savoir." Vous ne pouvez pas avoir de conseil juridique présent lorsque

15 vous êtes interrogé pour une infraction d'ordre criminel.

16 Ceci va à l'encontre des articles 42 et 43 et des règles

17 similaires qui existent concernant les accusés. Ces articles stipulent

18 explicitement qu'aux yeux Tribunal pénal international, l'accusé a droit à

19 la présence d'un conseil durant tout interrogatoire et a le droit de se

20 faire conseiller pendant l'interrogatoire.

21 Nous avançons, pour notre part, que cette phrase qui a été lue

22 aux suspects en Autriche va gravement à l'encontre de ce principe.

23 Ensuite, le même texte dit : "Dans ce cas, par conséquent, vous

24 aurez la possibilité de parler à un avocat, uniquement" -et j'insiste sur

25 le mot uniquement- "après que vous aurez été interrogés." Mais même à ce

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1 moment-là "uniquement" s'il a été déterminé que vous serez transféré à la

2 prison du Tribunal et s'il reste suffisamment de temps avant ce transfert.

3 J'insiste sur le mot "seulement" parce que cela indique

4 clairement, à mon sens, qu'il n'y a pas de droit entier à bénéficier des

5 services d'un conseil. Ce droit n'est accordé qu'après l'interrogatoire.

6 A notre avis, cela va aussi à l'encontre -et de façon très

7 grave- des règles du Tribunal et de l'esprit de ces règles.

8 Le texte se poursuit de la façon suivante : "ces consultations

9 avec votre avocat ne seront prises en considération que s'il n'y a pas de

10 risque de préjudice pour le cours de la justice". Vous vous souviendrez

11 des propos de Me Moran qu'il est évident que les faits de cette

12 disposition est que vous ne pouvez voir votre avocat que si la police

13 l'approuve.

14 Appeler cela une attitude prudente et active est, à mon avis,

15 avec tout le respect voulu, une position tout à fait extraordinaire. Un

16 système qui ne vous permet de voir votre avocat que si la police

17 l'approuve va à l'encontre -et je regrette de devoir dire ceci de

18 l'Autriche- des droits normaux qui sont reconnus par le présent Tribunal

19 et font penser à un Etat policier. C'est un droit policier reconnu par le

20 Tribunal. Et malheureusement, les droits accordés à la personne arrêtée

21 par le droit autrichien ne sont pas compatibles avec ceux reconnus par le

22 Tribunal.

23 Je passe maintenant au paragraphe 7, toujours dans la traduction

24 anglaise de ce document.

25 Ce paragraphe a trait aux questions qui ont été soulevées

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1 concernant ce qui vous a été dit de façon à pouvoir parler à la police.

2 Il est dit : "Vous aurez la possibilité de parler des

3 accusations portées contre vous, mais si vous n'usez pas de ce droit et

4 si vous gardez le silence, vous vous privez vous-même de la possibilité de

5 faire votre propre récit des faits et de vous défendre".

6 A notre avis, cela signifie que vous avez bien entendu le droit

7 de garder le silence, mais que si vous exercez ce droit au silence, vous

8 perdez par là même le droit à vous défendre. Et il me semble que cela va à

9 l'encontre de l'esprit du Règlement de preuve et de procédure dont le

10 Tribunal a jugé utile de se doter.

11 Il est encore dit :"Vous ne devez pas parler nécessairement de

12 l'affaire, mais s'il y a une sentence et si vous passez à des aveux, ou si

13 vous contribuez par votre déclaration à élucider la vérité, cela sera pris

14 en compte comme circonstance atténuante". Fin de citation.

15 Bien entendu, quand on parle à un juge appelé à prononcer une

16 sentence, l'une des caractéristiques d'un bon conseil plaidant les

17 circonstances atténuantes est la suivante : l'avocat dira sans doute ceci

18 à M. le juge : "Prenez en compte le fait que l'accusé a immédiatement

19 reconnu les faits lorsqu'il a été interrogé par la police..

20 Mais s'il est dit à l'accusé : "Tout ira mieux pour vous si vous

21 avouez", c'est là reprendre une phraséologie qui, pour les praticiens du

22 droit, correspond à une incitation à avouer.

23 L'on ne se souvient que trop bien qu'avant l'adoption de la loi

24 de procédure criminelle de 1944 en Angleterre, les policiers avaient

25 l'habitude de dire aux personnes suspectes qui étaient interrogées, par

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1 exemple : "Tu n'auras pas de libération sous caution à moins que tu

2 n'avoues", ou "Nous arrêterons votre femme et nous lui parlerons, à moins

3 que vous nous disiez ce que vous savez".

4 Cette phrase qui dit : "A moins que le suspect n'avoue"

5 contribue de toute manière à élucider la vérité aux fins de circonstances

6 atténuantes et est, à mon sens, une offre qui consiste à dire : "Si vous

7 avouez, tout ira mieux pour vous".

8 Dans l'esprit de celui qui écoute, ce dernier sait que s'il

9 avoue, il subira une peine plus légère. Et, dans la phraséologie

10 anciennement d'application en Common law, il s'agit d'une incitation aux

11 aveux qui n'est pas conforme au règlement de procédure et de preuve.

12 Le texte contesté se poursuit ainsi : "Si votre déclaration est

13 d'une grande importance pour la suite de la procédure, on peut se

14 demander qui va utiliser les éléments de preuve. De fait, c'est l'Etat qui

15 va utiliser les éléments de preuve contre la personne suspecte.

16 Donc, tout ce qui est dit par la police lorsqu'elle entre en

17 contact avec la personne suspecte vise à amener ces personnes à avouer,

18 qu'elles aient ou non quelque chose à avouer.

19 Un instant je vous prie.

20 Je voudrais maintenant rappeler au Tribunal ce qui est survenu

21 durant l'intervalle. Je ne veux pas ici faire l'apologie d'un système

22 particulier, mais cela nous aidera peut-être.

23 En 1984, nous avons, dans notre pays, eu une nouvelle loi qui

24 amende la loi antérieure et qui peut vous donner une idée de la façon dont

25 cette notion d'exclusion des éléments de preuve a évolué.

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1 A l'article 76 de la nouvelle loi, on peut lire que : "Dans

2 toute procédure, des aveux faits par un accusé peuvent être considérés

3 comme éléments de preuve contre lui dans la mesure ou ils concernent une

4 question afférente à la procédure et qu'elle n'est pas exclue par le

5 tribunal, conformément à cet article de la loi.

6 Le Paragraphe 2 de cet article dit : "Si une procédure comprend

7 des aveux d'une personne accusée, il est dit au tribunal que ces aveux

8 peuvent, ou ont été obtenus : 1) - par pression sur la personne qui a fait

9 ces aveux ;

10 2° - en conséquence de quelque chose qui aurait été ou dit, rendant non

11 fiable des aveux de l'accusé et les conséquences de ses aveux.

12 Le tribunal n'autorise alors pas ce genre d'aveux à être versés

13 au dossier, à moins qu'il ne soit prouvé à la Cour, au-delà de tout doute

14 raisonnable que ces aveux n'ont pas été obtenus par la force".

15 Et la définition des aveux est la suivante : "Les aveux

16 comprennent toutes déclaration entièrement ou partiellement au désavantage

17 de la personne qui les fait, que ces déclarations soient faites

18 verbalement ou autrement." Traduction officieuse.

19 En un sens, c'est une loi qui s'applique dans les juridictions

20 de Common law et qui nous intéresse au titre suivant : l'esprit de cette

21 règle inspire de nombreuses juridictions du monde et montre, à notre avis,

22 le préjudice que peut subir un suspect, lorsqu'il est amené à avouer, par

23 la police ou par les services de répression par des moyens inappropriés.

24 L'une des caractéristiques intéressantes de la loi de 1984 est

25 celle-ci : "Il est prévu l'enregistrement des interrogatoires ; cela pour

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1 protéger, non seulement les défendeurs mais aussi les policiers, contre

2 toutes les allégations qui seraient faites".

3 Il convient de noter que le tribunal s'est manifestement inspiré

4 de ce système dans l'article 43, puisqu'il y est exigé l'enregistrement

5 des interrogatoires selon des modalités bien précises.

6 J'utilise cet exemple pour montrer la façon dont le règlement de

7 preuve et de procédure du tribunal est conforme aux règles qui existent de

8 façon générale dans le monde extérieur.

9 Comme je l’ai dit, je ne suis pas particulièrement heureux

10 d'être amené à critiquer un pays européen avec lequel mon pays entretient

11 de bonnes relations mais, quand on examine les procédures criminelles dans

12 ce pays, les normes appliquées en matière de droits de l'homme sont en

13 deçà de celles appliquées par le Tribunal. Autoriser que l'interrogatoire

14 de la police autrichienne soit versé au dossier va à l'encontre des

15 articles 95 et 89 D du règlement de procédure et de preuve.

16 Deuxième argument pour lequel le Tribunal devrait rejeter la

17 recevabilité de ces interrogatoires :

18 1 - ni le son, ni l’image n’ont été enregistrés,

19 2 - ces interrogatoires ont été menés par M. Mörbauer qui devait

20 être extrêmement fatigué. M. Mörbauer a lui-même dit que la personne

21 arrêtée était très fatiguée. Vous pouvez très bien imaginer que, si

22 quelqu’un est interrogé de 14 h 15 jusqu’après minuit (M. Mucic en

23 l’occurrence), il peut se trouver très fatigué. Je ne conteste pas ici le

24 fait que M. Mucic ait été arrêté, ni le fait qu'il ait été interrogé, mais

25 on peut déduire des éléments de preuve qui ont été présentés que le

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1 suspect était extrêmement fatigué à l’issue de l'interrogatoire.

2 Il a été interrogé pendant 4 heures 3 quarts à peu près par

3 5 policiers différents qui se sont relayés dans la pièce. Il me semble

4 qu'un interrogatoire de cette longueur, en soi, est déjà exagéré. Ce fait

5 seul, d'autant plus s'il est considéré en rapport avec les infractions aux

6 droits de l'homme dont j'ai parlé précédemment, devrait suffire à

7 justifier l'exclusion des éléments de preuve du dossier.

8 J'en arrive au lien entre l'interrogatoire et la procédure qui a

9 été menée par le Bureau du Procureur.

10 Premier point : nous avons dit dans notre requête qu'il y avait

11 une bonne raison de considérer les aspects multiculturels de cette

12 procédure. C'est un homme qui vient de l’ex-Yougoslavie.

13 M. Jan (interprétation). - Je voudrais simplement vous poser une

14 question. En vertu du droit britannique, un accusé a-t-il le droit d'être

15 assisté par un avocat lorsqu’il est interrogé par la police ?

16 M. Greaves (interprétation). - Je n'ai jamais été jamais présent

17 pendant un interrogatoire.

18 M. Jan (interprétation). - Le droit autorise-t-il la présence du

19 conseil ?

20 M. Greaves (interprétation). - A tout moment il a droit à la

21 présence de son avocat selon le droit. Simplement, la présence de l’avocat

22 peut être retirée dans certaines conditions, mais ce n'est possible que si

23 des éléments particuliers sont réunis et sur ordre du superintendant. En

24 dehors de cela, il a droit à la présence de son avocat en toutes

25 circonstances aux termes du droit.

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1 Monsieur Mucic, à l’évidence, venait de l'ex-Yougoslavie. Cet un

2 homme qui a grandi en ex-Yougoslavie et qui a subi toutes les influences

3 culturelles de quelqu’un ayant grandi dans cet environnement. Bien

4 entendu, il a vécu en Autriche pendant quelque temps. Il connaissait bien

5 -cela ne fait aucun doute- les habitudes de ce pays. Mais le fait est que,

6 pendant une période de 4 jours, il a été soumis à une culture très

7 différente. Je viens de montrer quelle est la différence entre la

8 conception des droits civils en Autriche et la conception des droits

9 civils de ce Tribunal. Pendant ces 4 jours, il a été soumis à

10 deux systèmes très différents qui, à mon avis, sont très opposés l’un à

11 l’autre du point de vue de la façon dont ils abordent les droits accordés

12 à un suspect.

13 Cela m’amène à parler de M. Abribat. Il est évident que

14 l’accusation s'appuie sur M. Abribat en tant que témoin des faits. Il dit

15 la chose suivante. M. Abribat prétend que la conversation dont il a été

16 question, celle qui s'est située au début de sa première audition avec le

17 Bureau du Procureur, a duré une ou deux minutes le 18 mars 1996.

18 J’espère, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges,

19 que vous allez avoir la patience d'écouter mon évocation des faits.

20 Rappelez-vous de ce qui s’est passé le 14 mai de cette année et de ce que

21 ma collègue, Maître Mc Henry à ce sujet. Elle a dit -je cite- : « Le

22 règlement stipule très clairement qu’un accusé doit être informé de ses

23 droits et qu'un accusé peut volontairement, en étant bien informé,

24 renoncer à ce droit », fin de citation.

25 A mon avis, c'est une façon pour l’accusation d'admettre que les

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1 exigences, les conditions requises vont bien au-delà du simple fait qu'un

2 suspect peut dire « oui ». Il doit être au courant, informé pour le dire.

3 Je vous le rappelle car l'accusation a prononcé ces mots de façon très

4 claire. Ces mots, je les ai trouvés dans mon relevé d'audience dans mon

5 ordinateur.

6 J'aimerais vous rappeler ce qu’a dit M. Abribat lors de son

7 interrogatoire principal. Il a dit : « Nous avons demandé l'autorisation

8 de nous trouver en Autriche lorsque M. Mucic a été arrêté. Nous étions

9 quatre représentants du Bureau du Procureur plus un interprète ». Il

10 continue en décrivant l’homme qui s’appelle M. Dutoit et dit quelle était

11 l'identité des enquêteurs. Il décrit les contacts avec les autorités

12 autrichiennes et on lui pose la question suivante : « Le 18 mars, est-ce

13 que vous-même ou un autre représentant du Bureau du Procureur avez eu le

14 moindre contact avec M. Music ? »

15 Réponse : « Le jour de son arrestation ? Ce jour-là, nous sommes

16 retournés au poste de police. Nous avons discuté avec l'officier de police

17 chargé de l'opération et, après cette discussion, je lui ai demandé si je

18 pouvais rencontrer M. Mucic pour lui expliquer qui nous sommes et quelle

19 sera la procédure suivie s’il accepte de témoigner ou plutôt de faire une

20 déclaration. Ensuite, j’ai demandé à le voir ».

21 Question : « Que s'est-il passé, je vous prie ? »

22 Réponse : « L'officier de police autrichien a dit que c'était

23 acceptable, que je pouvais venir avec lui ainsi que l'interprète et qu'il

24 nous autoriserait à parler à M. Mucic. C'est ce qui s'est passé. J’ai

25 accompagné l'officier de police et l'interprète. Il nous a emmenés dans

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1 une espèce de cellule qui ressemble aux cellules que nous avons dans mon

2 pays et c’est là que j’ai rencontré M. Mucic ».

3 Question : « Pouvez-vous nous dire, je vous prie, ce qui s'est

4 passé lorsque vous avez rencontré M. Mucic ? »

5 Réponse : « Je me suis présenté, je lui ai dit qui j'étais. J’ai

6 présenté l’interprète. Je lui ai dit que nous étions représentant du

7 Bureau du Procureur du Tribunal International et qu'une procédure

8 particulières était suivie par ce Tribunal International, que nous

9 souhaitions lui poser des questions et que, pour ce faire, il fallait que

10 nous respections le règlement de procédure et de preuve. C’est ce que j’ai

11 fait. Je lui ai parlé une minute, peut-être deux ».

12 Ensuite, il a parlé de la langue utilisée pour s'adresser à

13 M. Mucic. Plus loin, il déclare : « Cela n'a pas vraiment été une

14 discussion. Je suis allé voir M. Mucic pour lui expliquer qui j'étais,

15 c'est-à-dire pour me présenter, lui expliquer le règlement et ce que je

16 voulais savoir simplement, c’est s’il acceptait ou refusait d'être

17 interrogé. Il a hoché de la tête, ce qui signifiait qu'il était d'accord,

18 et cela a été tout ».

19 Monsieur le Président, quand nous relisons ce texte, puis-je

20 vous demander de nous imaginer à l’époque où nous étions de jeunes

21 juristes et où nous nous adressions à nos clients pour leur expliquer le

22 Règlement de procédure et de preuve, et notamment les aspects contenus

23 dans les articles 42 et 43 ?

24 Je vous invite à faire la chose suivante, Monsieur le Président,

25 Madame et Messieurs les Juges. Pensez-vous que, vous adressant à quelqu'un

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1 qui parle une autre langue que la vôtre, vous pouvez lui expliquer tout

2 cela en une ou deux minutes ? Je vous pose cette question afin de vous

3 inciter à vous poser la question de savoir si le témoin a dit la vérité

4 lorsqu’il prétend avoir expliqué le contenu du Règlement de procédure et

5 de preuve à M. Mucic. A mon avis, tenter d’expliquer le contenu des

6 articles 42 et 43 à quelqu'un comme M. Mucic en à peine quelques minutes

7 est simplement quelque chose de ridicule.

8 M. Jan (interprétation). - (Hors micro).

9 M. Greaves (interprétation). - Et il n’y a pas eu de cassette

10 vidéo filmée. Si cela avait été le cas, M. Abribat aurait pu nous

11 expliquer ce qui s'est réellement passé. C'est pourquoi j'ai attiré votre

12 attention sur le fait que, au Royaume Uni, on filme les interrogatoires

13 et, ce, à des fins de protection du suspect et des officiers de police.

14 J’estime également que le règlement que nous avons ici a pour objet de

15 défendre à la fois l'accusé et les responsables du Tribunal. L'objet est

16 également d'empêcher des conversations du genre de celle qui vient d'être

17 évoquée, du genre de celle dont a parlé M. Abribat, une petite

18 conversation d'à peine quelques minutes, suivie d’une comparution devant

19 le Juge Seda et le début de l’interrogatoire avec le Bureau du Procureur.

20 Monsieur Abribat poursuit en décrivant ce qui s'est passé le

21 jour de l’arrestation. Il dit : « Nous sommes entrés dans le bureau du

22 juge d'instruction autrichien. Nous avons rencontré la personne qui était

23 responsable de l’affaire. Il nous a expliqué qu’il y aurait une discussion

24 avec M. Mucic afin d’informer celui-ci de la procédure d'extradition

25 engagée à son encontre. Nous avons dit que nous souhaitions pouvoir poser

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1 des questions à M. Mucic au nom du procureur ».

2 Ici, j'ai un point à souligner, qui est un point de détail. Il

3 est assez inhabituel d’autoriser une partie à s'adresser au juge avant le

4 début de la procédure. Ce fait à lui seul va à l'encontre des normes

5 convenues. Bien entendu, il existe des discussions ex parte qui engagent

6 l’avocat et les juges. Mais elles sont très rares et ne se produisent que

7 dans des circonstances très particulières. Autoriser quelqu’un à avoir une

8 conversation avec le juge avant l’entrée de l’accusé et en l’absence de

9 l’accusé porte atteinte, à notre avis, à une bonne conception de la

10 justice.

11 M. Jan (interprétation). - Mais, dans votre système, il n’existe

12 pas de juge d'instruction.

13 M. Greaves (interprétation). - Non, mais on n'est pas censé

14 aller parler au juge en l'absence d'une des parties concernées.

15 M. Jan (interprétation). - Mais il n'y a pas de juge

16 d'instruction.

17 M. Greaves (interprétation). - Bien sûr mais, là, nous sommes en

18 présence de personnes qui n’ont pas de statut juridique en Autriche et qui

19 parlent avec un juge. Rien au sujet de cette conversation n’a été dit à M.

20 Mucic.

21 Monsieur Abribat continue en décrivant leur rencontre qui a

22 ultérieurement eu lieu avec M. Mucic devant le juge Seda, l’interprète et

23 les cinq membres de l’équipe dont je vous ai déjà donné les noms, les

24 représentants du Bureau du Procureur : « M. Mucic est amené dans le

25 bureau. Le juge d'instruction parle à M. Mucic. Il parle en allemand et

Page 3910

1 M. Mucic entend l’interprétation fournie par l’interprète du juge. Nous

2 n’avons rien dit. Nous n’avons pas participé à cette discussion. Nous nous

3 sommes contentés d’écouter et nous avons demandé à notre interprète de

4 nous faire un résumé de ce qui était dit à M. Mucic.

5 D'après ce que j'ai compris, le juge a expliqué la procédure

6 d'extradition. Quand nous avons eu l'autorisation, nous avons pu

7 l'interroger. Un peu plus loin pour ce que je me rappelle, j'ai suivi ce

8 qui se déroulait, d’une façon assez résumée, par l'intermédiaire de mon

9 interprète. J'ai eu l'impression que le Juge Seda doit avoir dit à

10 M. Mucic ce à quoi il avait droit dans le cadre de la procédure

11 d'extradition et notamment son droit à être assisté par un avocat.

12 J'ai ensuite interrogé M. Abribat quant aux raisons de son

13 arrivée à Vienne. Il nous a parlé de la requête en vertu de l'article 40.

14 A mon avis, il apparaît clairement que M. Abribat se trouvait en Autriche

15 aux fins de mener à bien la procédure d'extradition, bien qu'il l’ait nié.

16 Je lui ai demandé si tel n'était pas le cas et pourquoi il se trouvait en

17 Autriche. Monsieur Abribat a fini par admettre que l'un des objets de sa

18 visite était que chacun pensait que M. Mucic serait finalement extradé en

19 direction de La Haye.

20 On a demandé ensuite à M. Abribat, ce qui s'est passé à la fin

21 de la discussion, : «Etes-vous au courant du fait que la question a été

22 posée à M. Mucic de savoir s'il voulait l'aide d'un avocat dans le cadre

23 de sa comparution devant le juge d’instruction ?».

24 Réponse : «Pas du tout. Pour ce que je rappelle, et je me

25 rappelle assez bien, il a été question d'avocat, mais seulement dans le

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1 cas de la procédure d'extradition.».

2 A mon avis, ce que stipule le document, en fait c’est : «Je veux

3 un avocat». C’est une expression qui a été utilisée pas seulement une fois

4 mais trois fois au cours de la journée et également dans le Juge Ortner.

5 «Il a été expliqué à M. Mucic qu’il y aurait une audience, mais

6 avant cela M. Mucic a demandé une pause. Je crois qu’il a posé la

7 question, car M. Mucic a effectivement dit qu’il souhaitait une pause

8 avant que nous ne commencions.».

9 Ensuite, M. Abribat indique le déroulement de la rencontre en

10 question. Il dit la chose suivante : «Les gardes ont sans doute demandé à

11 M. Mucic de se retirer. Nous, nous sommes sortis également du bureau. Les

12 juges ont dit que nous ne pouvions pas nous servir du bureau dans lequel

13 nous étions, car ce bureau devait être utilisé à d'autres fins. Je ne me

14 rappelle pas exactement à quelles fins, mais il devait servir à autre

15 chose. Donc, nous avons dû nous rendre dans le bureau voisin.

16 C’était effectivement le bureau voisin. On peut parler de ce

17 bureau comme des cellules dans lesquelles on rencontre les prisonniers.

18 C'était une pièce de très petite taille et c'est là que nous l'avons

19 rencontré. Lorsque je dis nous, c’est le second enquêteur qui était avec

20 moi, avec l’interprète, M. Nicholson, et moi-même. Finalement, nous étions

21 quatre. L'expert juridique, M. Dutoit, avait d’autres obligations avec les

22 autorités autrichiennes, il n’a pas pu rester avec nous ce jour là.

23 Nous sommes entrés dans cette pièce qui, comme je l’ai dit,

24 était exactement à côté de la précédente. Nous avons préparé le matériel

25 d'enregistrement, à savoir l'enregistreur de son et la caméra. Cela a pris

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1 quelque temps, car il a été difficile de trouver un angle qui nous

2 permettait de prendre de bonnes images. Cela n'a pas été simple. Ensuite,

3 nous avons attendu le retour de M. Mucic.

4 Question : Que s'est-il passé à l’arrivée de M. Mucic ?

5 Réponse : Lorsque M. Mucic est arrivé, il s'est assis en face de

6 nous et à ce moment-là, nous avons commencé à lui avons poser nos

7 questions.

8 Question : Pouvez-vous nous dire les choses de plus façon plus

9 précise ? Le magnétophone et la caméra fonctionnaient-ils déjà lorsque

10 M. Mucic est arrivé ? Pouvez-vous dire exactement comment cela s’est passé

11 et s'il y a eu la moindre conversation avant le début de

12 l’enregistrement ? Pouvez-vous nous parler de cela ?

13 Réponse : M. Mucic est arrivé, il s'est assis. Je crois que je

14 lui ai dit bonjour à nouveau. Je dois lui avoir montré la caméra et je lui

15 ai dit : voilà le matériel que nous allons utiliser pour enregistrer cette

16 audience. Je lui ai montré également le magnéto, en lui disant : c'est le

17 deuxième appareil que nous allons utiliser et nous respecterons les formes

18 que je vous ai mentionnées hier. J'ai dit : Vous pouvez commencer quand

19 vous voulez. Il a dû dire : D'accord. C’est à ce moment-là que nous avons

20 commencé.

21 Question : Quand vous lui avez dit ce qui allait se passer,

22 l'enregistreur fonctionnait il ?

23 Réponse : A partir du moment où il a dit d'accord, c’est-à-dire

24 à partir du moment où il a donné son accord pour être enregistré, nous

25 avons démarré les appareils. A ce moment-là, nous lui avons dit où nous en

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1 étions et qui se trouvaient sur place. Je ne me rappelle pas exactement

2 toutes les formes juridiques que je lui ai citées. Voulez-vous que je vous

3 les redise dans leur intégralité ?».

4 Ensuite, M. Abribat décrit ces formes.

5 Au cours du contre-interrogatoire, il dit les choses suivantes.

6 Il déclare, lors de la rencontre qu'il a eu avec M. Mucic la veille, je

7 cite : «J'ai expliqué la procédure en anglais de façon à ce que l'officier

8 de police puisse me comprendre. Le texte est en anglais et en français.».

9 Il poursuit en disant : « Je voulais lui expliquer le Règlement

10 de procédure qui s'applique à l’interrogatoire d'un suspect et ensuite lui

11 demander s'il était d'accord pour être interrogé ».

12 Il nie avoir souhaité lui poser quelques questions que ce soit

13 et avoir déclaré cela clairement. Il déclare qu’il voulait simplement

14 expliquer le règlement à M. Mucic et qu'il n'a pas eu de dialogue avec

15 lui.

16 Il dit ensuite la chose suivante en réponse à une question.

17 «Question : Avez-vous posé la question de savoir s'il voulait un

18 avocat ? Réponse : Non, je ne lui ai pas posé la question, je lui ai

19 expliqué quel était le contenu du Règlement de procédure et de preuve du

20 Tribunal, et je lui ai expliqué dans quelles conditions et dans quelles

21 circonstances il pouvait bénéficier de l’aide d’un avocat».

22 Alors, Monsieur le Juge, je vous dis la chose suivante, pour ma

23 part, s’il ne lui a jamais demandé si M. Mucic voulait un avocat, comment

24 -depuis le début de l’interrogatoire- pouvait-il savoir que M. Mucic ne

25 souhaitait pas l’aide d’un avocat ?

Page 3914

1 La réponse est la suivante : M. Abribat savait que M. Mucic ne

2 souhaitait pas la présence d’un avocat parce qu'il a eu une conversation

3 sur ce sujet au cours des vingt minutes qui ont précédé le début de

4 l’interrogatoire, puisque M. Abribat affirme qu'il n'a posé la question

5 dans aucune autre conversation qu’il a eue avec M. Mucic. C’est ce qu’il a

6 dit au Tribunal.

7 Donc, il faut bien en déduire que M. Abribat lui a effectivement

8 posé la question de savoir s’il voulait un avocat et cela n’a pu se

9 produire que dans la période de vingt minutes qui a eu lieu entre la fin

10 de la rencontre qu’il a eu avec le Juge Seda et le début de

11 l’interrogatoire.

12 Je souhaite vraiment que vous vous rappeliez cette partie de la

13 déposition de M. Abribat.

14 Question : "Est-ce que vous lui avez demandé un avocat ?"

15 Réponse : "Non, je ne lui ai pas posé la question."

16 A notre avis, avec tout le respect que nous devons au Tribunal,

17 il s'agit là d'une réponse tout à fait cruciale dans la déposition de

18 M. Abribat qui montre que quelque chose de tout à fait irrégulier a eu

19 lieu, malgré ce qu'affirme l'accusation. J'invite, Monsieur le Président,

20 Madame et Messieurs les Juges, à rejeter ces éléments de preuve en raison

21 de ce qui s'est passé dans les 20 minutes pendant ce jour de mars entre la

22 fin de la rencontre avec le juge Seda et le début de l'interrogatoire.

23 Je dis, pour ma part, qu'une pression a été exercée sur M. Mucic

24 pour qu'il accepte de répondre aux questions en l'absence de son avocat.

25 Il est tout à fait extraordinaire que M. Mucic ait pu dire "je veux un

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1 avocat", à un moment donné et que quelques instants plus tard, il ait dit

2 "je n'en veux pas."

3 Il est tout à fait extraordinaire que l'interrogatoire ait

4 commencé sans que rien n'ait été fait pour satisfaire aux demandes de

5 M. Mucic. Nous disons que quelque chose a été fait et que M. Abribat a

6 caché ces faits au Tribunal.

7 La seule déduction que l'on peut tirer des preuves que je viens

8 d'apporter devant vous, c'est que quelque chose s'est passé et que ce

9 quelque chose relevait de pression, pression exercée pour inciter M. Mucic

10 à parler en l'absence d'un avocat. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire

11 que je vous parle en détail du reste de la déposition. Ce qui est

12 intéressant, c'est que M. Abribat semble ne pas s'être rappelé le contenu

13 de l'article 44b du Règlement, le Juge Jan ayant un échange avec moi au

14 cours de cette déposition sur ce point.

15 Il a été dit par vous-mêmes, Messieurs les Juges, que le contenu

16 de cet article aurait dû être expliqué à M. Mucic, alors que M. Abribat

17 semblait ne pas se rappeler ce contenu.

18 Je vous rappelle la déposition de M. Abribat lorsque

19 l'interrogatoire est devenu plus détaillé. Je crois que les réponses

20 fournies vont à l'encontre de tout ce que dit l'accusation puisque

21 M. Abribat déclare que ce que M. Mucic a dit équivalait à une renonciation

22 consciente et informée au droit d'être assisté d'un avocat, ce qui n'est

23 pas le cas.

24 Un instant, je vous prie Monsieur le Président.

25 Au cours du contre-interrogatoire, M. Abribat a déclaré que

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1 s'agissant de savoir si M. Mucic voulait ou pas un avocat, il a répondu :

2 "je n'ai pas obtenu une interprétation intégrale."

3 A notre avis, cet homme aurait dû s'informer complètement et

4 précisément de ce qui a été dit au juge, de façon à s'assurer qu'il avait

5 bien compris quel était le voeu de M. Mucic. Or il n'a pas agit de la

6 sorte et à notre avis, le fait qu'il ne l'ait pas fait va à l'encontre de

7 la régularité de la procédure.

8 Il ne s'est pas enquis du fait de savoir si M. Mucic voulait

9 avoir un avocat et avant l'interrogatoire, il ne s'est donc pas enquis de

10 savoir s'il y avait réellement renonciation libre et informée au droit à

11 l'assistance d'un avocat.

12 Il a été dit à M. Abribat qu'il avait exceptionnellement envie

13 d'interroger M. Mucic. Et Monsieur le Président, il y a une raison à cela.

14 Vous vous rappellerez de l'époque où vous étiez praticien. Si vous pouviez

15 avoir devant vous un homme qui était encore plongé dans la confusion due à

16 son arrestation, et si vous pouviez alors le faire parler, c'était très

17 avantageux pour vous car vous pouviez obtenir davantage de sa part.

18 Il n'était pas nécessaire de se hâter et de parler à M. Mucic.

19 Un acte d'accusation était en préparation, qui a été signé le 19 et

20 confirmé le 21. Une requête provisoire avait été présentée et déposée au

21 titre de l'article 40. Il y avait donc de grandes chances que cet homme

22 soit transféré rapidement à La Haye où tout était disponible et où il y

23 avait le Règlement qui permettait de l'interroger dans le temps nécessaire

24 et dans de bonnes conditions, plutôt que dans cette minuscule pièce en

25 Autriche, à la hâte.

Page 3917

1 Donc, Monsieur le Président, je vous pose la question. Pourquoi

2 cette hâte presque indécente d'interroger cet homme s'est-elle

3 manifestée ? Etait-ce parce qu'il savait que si M. Mucic obtenait l'aide

4 d'un avocat, cela risquait d'aboutir à ce que rien ne soit obtenu de sa

5 bouche. Cela pourrait être une des raisons pour lesquelles certaines

6 incitations ont été exercées afin qu'il n'ait pas d'avocat.

7 Je vous repose la question, Monsieur le Président, pourquoi une

8 telle urgence à l'interroger, puisque l'interrogatoire aurait pu avoir

9 lieu dans des conditions beaucoup plus confortables et avec beaucoup plus

10 de temps disponible ici même, à La Haye ?

11 Je voudrais maintenant revenir sur la déposition de

12 M. Gschwendt, dont vous vous souviendrez qu'il était -si je ne m'abuse-

13 capitaine dans la police autrichienne. Il n'a pas pu nous parler de la

14 nature de la conversation qui a eu lieu avec M. Mucic. Vous vous

15 rappellerez que selon la déposition de ce représentant de la police

16 autrichienne, M. Mucic est demeuré dans la pièce 331. Monsieur Abribat

17 prétend lui avoir parlé en personne pendant cette minute ou deux où il lui

18 a expliqué le contenu du Règlement de procédure et de preuve. Il dit

19 l'avoir vu dans une cellule.

20 Alors c'est à vous, Monsieur le Juge, qu'il appartient de savoir

21 si toute la vérité a été dite au sujet de cette prétendue conversation.

22 Monsieur Gschwendt est incapable, selon ce qu'il dit, de reconstituer la

23 conversation en question. Donc la seule personne à laquelle on peut faire

24 un tout petit peu confiance quant à la vérité de ces propos, c'est

25 M. Abribat lui-même.

Page 3918

1 Avec tout le respect que je dois au Tribunal, et pour les

2 raisons que je viens d'évoquer, je soutiens que M. Abribat n'est pas un

3 témoin auquel on peut faire confiance quant à la véracité et à la

4 précision de ses dires. Je ne dirai de la déposition de M. Mörbauer,

5 puisqu'il a déposé très récemment, donc vous vous rappelez sans doute ce

6 qu'il a dit. Je ne citerai pas ses propos.

7 Mais vous vous rappellerez que ce qui ressort de sa déposition,

8 si l'on examine l'ensemble de la procédure, c'est que premièrement la

9 situation est telle, s'agissant de l'activité de la police autrichienne,

10 qu'elle équivaut à une violation des Droits de l'homme.

11 Avec le respect que nous devons au Tribunal, nous soutenons que

12 si l'on tient compte de l'ensemble des facteurs que je viens d'évoquer,

13 les aspects multiculturels, les preuves que je viens d'apporter de

14 certains manquements dans cette affaire, la seule conclusion que cet

15 honorable Tribunal doit pouvoir tirer, c'est que l'ensemble de ces

16 interrogatoires ont été obtenus en violation de l'article 95. Ce Tribunal,

17 j'en suis sûr, prendra une décision courageuse.

18 Je dois dire que l'accusation n'a pas prouvé, au-delà de tout

19 doute raisonnable, que M. Mucic a renoncé au droit qui est le sien d'être

20 aidé par un avocat en toute connaissance de cause. Je dois dire qu'il est

21 impossible de dire que l'activité de la police autrichienne a été

22 équitable et que le suspect a agi librement.

23 Donc je considère, étant donné les violations de l'article 95 et

24 de l'article 89b, la seule possibilité pour le Tribunal est d'exclure ces

25 éléments de preuve, me semble-t-il. Voilà ce que j'avais à dire.

Page 3919

1 Puis-je encore vous apporter d'autres renseignements ? Bien,

2 dans ce cas, c'est tout ce que j'avais à dire à l'appui de ma requête.

3 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président, je

4 voudrais évoquer un point en préliminaire de ce que je vais dire, à savoir

5 que je ne vais pas répéter tout ce qui est contenu dans notre réponse à la

6 requête concernant M. Mucic. Nous pensons que cette réponse est

7 relativement longue, qu'elle constitue ce que nous considérons une analyse

8 appropriée qui présente des faits tout à fait importants. Donc je ne vais

9 pas en répéter le contenu, mais je m'appuierai sur ce contenu.

10 Par ailleurs, l'accusation tient à dire que le critère à

11 appliquer ici n'est pas celui d'absence de doute raisonnable. Pas plus que

12 dans l'affaire Tadic, ce critère n'est le critère fondamental ici.

13 Cela étant, il est absolument clair que les dépositions dont

14 nous discutons respectent ce critère ainsi que d'autres critères

15 d'ailleurs.

16 M. le Président (interprétation). - Essayons de comprendre ce

17 que vous dites. Etes-vous en train d'affirmer que le caractère volontaire

18 de l'acceptation ne doit pas répondre au critère, au-delà de tout doute

19 raisonnable ?

20 Mme McHenry (interprétation). - Oui, c'est ce que nous disons,

21 Monsieur le Président. Je sais que ce n'est pas le cas dans d'autres

22 systèmes. Je crois comprendre que dans le pays d'où vient Me Greaves,

23 c'est un critère applicable. Aux Etats-Unis, à mon avis, en vertu du

24 Règlement de ce Tribunal, et en vertu de l'affaire Tadic, ce n'est pas un

25 critère pertinent dans les circonstances qui nous intéressent aujourd'hui.

Page 3920

1 Bien sûr, c'est un critère pertinent pour prononcer la peine.

2 M. Jan (interprétation). - S'agissant de cette feuille

3 d'information que la police autrichienne présente au suspect, pourrions-

4 nous voir cette feuille ?

5 Mme McHenry (interprétation). - Je crois qu'elle a été versée au

6 dossier.

7 M. Jan (interprétation). - En avez-vous une traduction

8 anglaise ?

9 M. Greaves (interprétation). - Je regrette de vous dire que j'y

10 ai inscrit toutes sortes d'annotations que je ne souhaite pas que vous

11 voyiez, Monsieur le Juge.

12 M. Jan (interprétation). - Je comprends, ce sont vos notes

13 personnelles.

14 M. Greaves (interprétation). - C'est annexé à notre requête,

15 annexe 3.

16 Mme McHenry (interprétation). - Oui, je peux vous en fournir un

17 exemplaire. Annexe 3, effectivement, je crois que M. Gschwendt a identifié

18 l'original allemand. Mais vous en avez ici une copie.

19 Je vais dire quelques mots brièvement de cette feuille

20 d'information, puisque mon collègue Me Greaves l'a fait lorsqu'il a parlé

21 de l'interrogatoire mené par la police autrichienne.

22 Comme vous le savez, l'accusation a déjà proposé des détails au

23 sujet du droit autrichien et des détails également des critères qui

24 régissent la recevabilité des dépositions en Autriche. Vous êtes donc au

25 courant.

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1 Mais puisque Me Greaves a évoqué le problème en détail, je vais

2 dire quelques mots à ce sujet et je propose d'ailleurs que M. Wäspi, qui

3 connaît beaucoup mieux le droit autrichien et la conformité de ce droit

4 autrichien avec les conventions sur les Droits de l'homme, reprenne la

5 parole pour s'exprimer sur ce point de façon encore plus détaillée. Mais

6 pour le moment, je vais vous indiquer quelques éléments généraux.

7 M. Jan (interprétation). - J'ai quelques questions à vous poser.

8 Nous ne sommes liés par aucun droit national. Les critères qui

9 s'appliquent aux droits qui doivent être garantis au suspect avant tout

10 interrogatoire doivent émaner de l'article 42.

11 Donc le seul critère pour nous, c'est l'article 42. Rien à voir

12 avec les juridictions nationales.

13 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le juge, je suis sûr

14 que vous admettez des dépositions.

15 M. Jan (interprétation). - (hors micro).

16 Si les critères stipulés à l'article 42 ne sont pas respectés...

17 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Juge, le fait de

18 savoir si une déposition est recevable ou non par une cour autrichienne

19 n'a rien à voir avec le Tribunal où nous sommes aujourd'hui. Donc même

20 s'il y avait non recevabilité en Autriche, nous pensons que ce ne serait

21 pas un critère convaincant. Nous pensons que c'est le contenu de

22 l'article 95 et de l'article 42 qui conditionnent la recevabilité pour ce

23 qui nous concerne.

24 M. Jan (interprétation). - Vous semblez ne pas avoir bien

25 compris. L'article 42 régit les précautions à prendre pour interroger un

Page 3922

1 suspect. Nous ne critiquons aucun système national, mais si une déposition

2 ne respecte pas les critères évoqués à l'article 42, il ne suffit pas de

3 dire que cette déposition est acceptable dans le cadre d'un système

4 national particulier.

5 Mme McHenry (interprétation). - Je vous comprends tout à fait,

6 mais j'ai peut-être manqué de clarté dans mon expression. Bien entendu,

7 vous n'allez pas l'accepter simplement parce qu'elle est recevable dans un

8 autre système. Je comprends très bien, Monsieur le Juge, je ne critique

9 aucun système national.

10 Mais ce que dit l'accusation, c'est que vous n'êtes pas liés par

11 le fait qu'une déposition est recevable par un Tribunal national.

12 L'article 42 ne régit pas les interrogatoires reçus par des personnes

13 autres que les représentants du Bureau du Procureur, l'article 42 n'est

14 pas celui qui permet d'apprécier les dépositions prises en vertu de

15 critères existant dans d'autres systèmes.

16 Dans ce cas, c'est l'article 95 qui s'applique, qui traite des

17 éléments de preuve obtenus d'un accusé et qui apprécie le fait de savoir

18 si l'intégrité de la procédure a bien été respectée et si ces dépositions

19 ont été prises dans le respect des droits de la personne

20 internationalement protégée.

21 M. Jan (interprétation). - Les critères de droit fondamentaux

22 diffèrent d'un Etat à l'autre. Dans certains Etats, ces critères sont

23 beaucoup plus exigeants que dans d'autres. Ce ne sont pas les critères qui

24 comptent tellement, la question importante est de savoir si une

25 déclaration a bien respecté les critères établis dans notre Règlement de

Page 3923

1 procédure et de preuve pour régir la recevabilité des éléments de preuve.

2 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Juge, l'accusation

3 est d'accord sur le fait que les critères diffèrent d'un pays à l'autre,

4 d'un système à l'autre, mais je pense que la raison pour laquelle vous

5 avez adopté l'article 95 -qui stipule que nous ne sommes pas liés

6 positivement ou négativement par quelque droit national que ce soit, y

7 compris en ce qui concerne la recevabilité des éléments de preuve ou la

8 façon dont ces éléments sont obtenus- vient du fait qu'il y a un minimum à

9 respecter et que ce minimum, c'est l'intégrité.

10 M. Jan (interprétation). - Mais vous voyez, par exemple, dans

11 mon pays toute déclaration émanant d'un accusé et faite à la police est

12 irrecevable en tant qu'élément de preuve.

13 Le critère est tout à fait différent. Nous sommes dans un

14 Tribunal international où les critères établis sont notre règlement.

15 Mme McHenry (interprétation). - Vous avez raison, Monsieur le

16 Président. Nous disons que le critère approprié est celui qui figure à

17 l'article 95 alors que vous semblez affirmer que le critère applicable est

18 le 42.

19 M. le Président (interprétation). - Je voudrais préciser les

20 choses : n'êtes-vous pas d'accord pour dire que tout interrogatoire

21 recevable ou demandé à être reçu par le présent Tribunal doit satisfaire

22 aux critères de l'article 42.

23 Mme McHenry (interprétation). - Non, Monsieur le Président, nous

24 pensons qu'il peut y avoir des éléments de preuve, y compris les

25 déclarations d'accusés qui ne satisfont pas aux critères de l'article 42

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1 pour un certain nombre de raisons, y compris pour le simple fait que les

2 systèmes sont différents et pour autant que ces éléments de preuve soient

3 fondamentalement équitables.

4 Par exemple, je crois que dans l'affaire Tadic, il y a eu des

5 interrogatoires qui ont été faits auprès de M. Tadic dans des tribunaux

6 allemands qui ont été reçus, je ne peux pas trop parler sur ce sujet, mais

7 je pense que lorsqu'un autre système entre en ligne de compte, il n'est

8 pas possible de faire appliquer exactement les mêmes règles.

9 M. Jan (interprétation). - Cela voudrait dire que l'article 42

10 pourrait facilement être contourné parce que les interrogatoires seraient

11 produits en vertu de règles nationales, dans ce cas-là.

12 Mme McHenry (interprétation). - Il se peut fort bien que, dans

13 certain cas, s'il apparaît que le Bureau du Procureur a délibérément tenté

14 de contourner l'article 42 en utilisant un système national, le Tribunal

15 juge alors que l'intégrité de la procédure a été violée, s'il apparaît que

16 le Bureau du Procureur a volontairement manipulé la situation.

17 M. Jan (interprétation). - Il n'empêche que l'article 42 serait

18 alors très facilement contournable. Je ne dis pas que cela a été fait,

19 mais ce serait possible.

20 Je suis convaincu que vous êtes très honnête, mais je dis qu'il

21 serait alors possible de contourner l'article 42. Ce n'est pas une

22 allégation que je lance, mais l'on pourrait alors avoir recours aux

23 services de polices étrangères.

24 Mme McHenry (interprétation). - Si un interrogatoire a été mené

25 dans un autre système, dans des conditions qui portent atteinte aux

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1 critères du Tribunal en matière d'équité, vous auriez alors le devoir et

2 la possibilité d'exclure les éléments de preuve.

3 L'accusation dit que dans ce cas-là, et dans beaucoup d'autres

4 cas antérieurs, des gens ont été arrêtés dans d'autres endroits sous des

5 juridictions différentes qui s'appliquent et que les intérêts, les

6 procédures d'obtention de moyens de preuve sont différentes.

7 Ce sont donc des systèmes particuliers qui sont appliqués. Comme

8 cela s'impose, la question qui se pose est de savoir s'il y a eu violation

9 de l'équité et de l'article 95.

10 M. le Président (interprétation). - Mais n'est-ce pas la raison

11 pour laquelle nous ne sommes liés par aucun système national ?

12 De ce fait des systèmes nationaux pourraient être incompatibles

13 avec nos propres règles.

14 Mme McHenry (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

15 M. le Président (interprétation). - C'est pourquoi nous ne

16 sommes pas liés par ces juridictions nationales.

17 Mme McHenry (interprétation). - C'est tout à fait exact. C'est

18 pourquoi je pense que l'article 95 a été formulé.

19 M. le Président (interprétation). - J'imagine que vous pouvez,

20 en vertu de l'article 42 décider, pour cette raison, de procéder

21 vous-mêmes à l'interrogatoire.

22 Mme McHenry (interprétation). - C'est exact, je pense que la

23 définition que donne l'accusation de cette question se trouve dans les

24 définitions.

25 Il est dit conformément, à l'article 16 du statut :

Page 3926

1 "L'accusation etc..", suit la définition de l'accusation. Nous sommes

2 entièrement d'accord pour dire, sur ce point, que les articles 42 et 43 du

3 règlement s'appliquent à tous les interrogatoires effectués par

4 l'accusation ou le Bureau du Procureur.

5 Mme Odio-Benito (interprétation). - Pour être précis, nous avons

6 aussi l'article du statut qui traite des droits du suspect au

7 paragraphe 3. D'après vous, donc, nous devons comprendre que s'il est

8 interrogé, ce doit être par l'accusation ?

9 Mme McHenry (interprétation). - Oui, nous pensons qu'il ressort

10 clairement de l'ensemble de nos règles que c'est le Tribunal Bureau du

11 Procureur qui procède aux interrogatoires. Nous pensons que c'est

12 l'interprétation correcte du texte et que cela permet alors l'application

13 de l'article 42 du règlement de procédure et de preuve.

14 Le fait que le droit autrichien ne soit pas un critère est la

15 raison pour laquelle le Bureau du Procureur n'a pas donné de détails sur

16 la loi autrichienne et n'a pas l'intention de le faire. Nous ne pensons

17 pas que ce soit pertinent.

18 Ce qui est pertinent, c'est le fait que l'interrogatoire a été

19 effectué de façon juste et, encore une fois, il n'est pas question ici de

20 la recevabilité des interrogatoires faits par la police autrichienne, mais

21 de celui fait par le Bureau du Procureur.

22 Mon confrère de la défense a dit que ce droit autrichien était

23 incompatible et c'est pour cela que je me vois contrainte de formuler

24 quelques observations concernant l'interrogatoire mené par la police

25 autrichienne.

Page 3927

1 De fait, il n'y a rien de particulièrement choquant qui s'est

2 passé à l'occasion de l'interrogatoire autrichien.

3 L'accusé a été informé qu'il pouvait consulter un avocat, y

4 compris avant de décider de savoir si, oui ou non, il allait déposer.

5 M. Jan (interprétation). - (Inaudible)...

6 Mme McHenry (interprétation). - Je vous parle de

7 l'interrogatoire autrichien, Me Greaves ayant indiqué que cet

8 interrogatoire était choquant et que cela avait des incidences sur celui

9 mené par le Bureau du Procureur. Je vais m'attarder quelque peu sur cette

10 question. En effet, le Bureau du Procureur ne pense pas que rien dans

11 l'interrogatoire mené par la police autrichienne soit incompatible avec

12 notre procédure et je dirai les raisons.

13 M. Jan (interprétation). - Un instant, si vous le voulez bien.

14 Vous n'avez pas l'intention de critiquer le système autrichien. Nous avons

15 l'air de dire que le système autrichien va à l'encontre des droits

16 fondamentaux. Nous ne critiquons pas le système.

17 Mme McHenry (interprétation). - Certes, mais Me Greaves le dit.

18 C'est l'un des arguments qu'il utilise.

19 Même si ce n'est pas quelque chose que vous-même seriez en train

20 de dire et s'il n'y a pas de raison légitime, à notre sens, à critiquer le

21 système autrichien, il faut faire quelques remarques brèves étant donné

22 les observations de Me Greaves.

23 M. le Président (interprétation). - Je dis que nous ne sommes

24 pas liés par le droit autrichien.

25 Cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas le prendre en

Page 3928

1 compte.

2 Mme McHenry (interprétation). - Absolument.

3 M. Jan (interprétation). - A nos propres fins.

4 Mme McHenry (interprétation). - Il se peut fort bien que les

5 systèmes nationaux soient utiles, donnent des indications intéressantes.

6 C'est pourquoi je dois m'attarder sur le droit autrichien pendant quelques

7 minutes pour répondre à Me Greaves, si je le puis.

8 M. le Président (interprétation). - Je rappelle ce fait pour que

9 vous puissiez juger de la pertinence de l'argument avancé par Me Greaves.

10 Mme McHenry (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

11 Pour ce qui est des perquisitions, Me Greaves lui-même reconnaît

12 que le droit autrichien a été respecté concernant l'interrogatoire de

13 l'accusé et tout le monde est d'accord pour dire qu'en l'occurrence

14 M. Mucic à bien été informé qu'il avait le droit de consulter un avocat et

15 qu'il a choisi de ne pas le faire.

16 Il est avéré aussi qu'aux yeux du droit autrichien, il en a

17 d'ailleurs été informé, on n'a ce pas le droit d'avoir un avocat durant

18 l'interrogatoire. C'est le cas de nombreux pays, y compris de nombreux

19 pays européens en dehors de l'Autriche.

20 Cela est conforme aux Droits de l'Homme, y compris à la

21 Convention européenne des Droits de l'Homme.

22 M. Jan (interprétation). - (Inaudible)...

23 Quelle est la position des Etats-Unis ?

24 Mme McHenry (interprétation). - Aux Etats-Unis, un accusé a le

25 droit à la présence d'un avocat quand il est interrogé.

Page 3929

1 Si je comprends bien, je ne suis expert ni en droit autrichien

2 ni en droit anglais, du Royaume-Uni, mais je pourrais vous donner des

3 détails supplémentaires par la suite, je pense qu'il y a au Royaume-Uni

4 des circonstances dans lesquelles un accusé n'a pas le droit à la présence

5 d'un avocat.

6 A la Cour européenne des Droits de l'homme, il y a eu une

7 affaire, Murrey contre le Royaume-Uni en date de février 1986, pages 39 à

8 51 du journal des droits de l'homme publié en 1996. Dans le cas de cette

9 affaire-là, il a été dit que le droit a un avocat pour un accusé pouvait

10 être repoussé de 48 heures et, dans l'affaire rapportée ici, la personne

11 interrogée avait été interrogée dix fois avant d'avoir la possibilité de

12 parler à un avocat. La Cour européenne des Droits de l'Homme n'a pas

13 trouvé cela inacceptable en vertu de la Convention européenne des Droits

14 de l'Homme.

15 M. Greaves (interprétation). - Je ne veux pas interrompre mon

16 confrère et le cours de son discours, mais cette législation visait

17 particulièrement les actes terroristes. C'est dans ces circonstances qu'un

18 accusé n'avait pas le droit à la présence d'un avocat et cela a été jugé

19 conforme aux droits fondamentaux des Droits de l'Homme y compris à la

20 Convention européenne

21 Mme McHenry (interprétation). - Le fait que l'Autriche prévoit

22 cette disposition ne nous paraît pas contraire aux Droits de l'Homme.

23 Deuxième question sur laquelle s'est attardé Me Greaves, les

24 circonstances atténuantes. L'idée de dire à quelqu'un quelque chose qui

25 est vrai, inscrit dans la loi, constitue une incitation irrégulière est,

Page 3930

1 de l'avis de l'accusation irrecevable comme argument. La police doit dire

2 ce qu'il en est aux personnes arrêtées.

3 M. le Président (interprétation). - Je vous interromps. Vous

4 êtes en train de dire que si quelqu'un est invité à avouer quelque chose

5 qu'il n'a éventuellement pas fait, c'est une procédure régulière ?

6 Mme McHenry (interprétation). - Non, Monsieur le Président.

7 Je ne dis pas que si l'on disait à quelqu'un qu'il doit avouer

8 indépendamment de la véracité des faits, il n'y aurait pas de problème.

9 L'accusation dit fermement que le fait de dire à quelqu'un quels

10 sont ses droits peut comprendre l'invitation à respecter la vérité et

11 comprendre la mention du fait que des aveux peuvent constituer des

12 circonstances atténuantes. Ce ne serait pas inhabituel, il n'y a rien de

13 mal là dedans et l'on pourrait dire que c'est approprié parce que cela

14 permet à l'accusé d'avoir toutes les informations dont il doit disposer.

15 Si l'on dit à l'accusé en même temps :"Vous ne devez pas

16 nécessairement parler et ce que vous direz peut être retenu contre, mais

17 peut vous aider par la suite", je ne vois pas où est le problème.

18 On est en train de dire quelque chose à la personne arrêtée qui

19 est tout à fait correct en vertu du droit.

20 Je ne vois pas en quoi cela peut constituer une incitation

21 irrégulière.

22 M. Jan (interprétation). - (Inaudible)...

23 Où franchit-on la limite de l'incitation, notamment dans le

24 cadre de ces aveux ?

25 Mme McHenry (interprétation). - On ne dit pas à l'accusé qu'il

Page 3931

1 va gagner quelque chose. On lui dit que tout ce qu'il peut dire peut être

2 retenu contre lui, mais aussi que s'il dit la vérité, cela peut être

3 retenu à son avantage.

4 A notre sens, c'est tout à fait honnête. Me Greaves a avancé un

5 argument et il a proposé comme exemple : "Si vous avouez, on n'arrêtera

6 pas votre femme". Ce serait bien sûr inacceptable, mais la question est de

7 savoir où commence l'incitation irrégulière.

8 Nous ne pensons pas qu'il soit irrégulier de dire à quelqu'un

9 qu'il peut donner sa propre version des événements et que cela peut servir

10 de circonstances atténuantes car si l'accusé est condamné, ses aveux

11 seront effectivement considérés comme circonstances atténuantes et il peut

12 avoir cette information dès le départ pour prendre une décision en

13 connaissance de cause.

14 Autre argument avancé par Me Greaves, M. Mucic était fatigué.

15 L'accusation estime que les éléments de preuve indiquent

16 effectivement que M. Mucic était fatigué, mais cela ne signifie pas qu'il

17 y ait eu irrégularité dans le cours de l'interrogatoire. M. Mucic a été

18 informé qu'il ne devait pas nécessairement parler et qu'il pouvait arrêter

19 l'interrogatoire à tout moment s'il le souhaitait.

20 Une personne arrêtée est souvent fatiguée, nous-mêmes sommes

21 souvent fatigués, la question est de savoir s'il est possible à l'accusé

22 de prendre une décision rationnelle ou de penser, de réfléchir.

23 De l'avis de l'accusation, rien n'indique que M. Mucic ait été

24 dans l'incapacité de réfléchir. Au contraire, à la lecture du compte

25 rendu, il apparaît que M. Mucic était en pleine possession de ses facultés

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1 mentales à tout moment de l'interrogatoire.

2 La question qui se pose est de savoir si l'accusé avait le

3 contrôle de ce qu'il disait, l'accusation pense que oui, et le fait qu'il

4 ait été fatigué renforce plutôt notre position pour ce qui est de

5 l'admissibilité de ces éléments de preuve.

6 L'accusation voudrait maintenant passer à ce que nous

7 considérons à ce stade particulier comme étant la question pertinente, à

8 savoir l'interrogatoire effectué par le bureau du procureur. Nous

9 voudrions indiquer à cet égard que l'interrogatoire du bureau du procureur

10 est entièrement isolé et n'a rien à voir avec l'interrogatoire mené par la

11 police autrichienne.

12 M. le Président (interprétation). - C'est là un point qui

13 m'intéresse : la continuité entre les deux interrogatoires. Y a-t-il eu

14 répétition des avertissements à l'accusé ?

15 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président, pour le

16 présent tribunal, chaque accusé, à différents stades, est confronté à

17 différents systèmes juridiques. Y a-t-il eu une confusion irrégulière

18 entre les systèmes ? C'est la question qui est soulevée.

19 A notre sens, nos interrogatoires ont toujours été organisés de

20 façon indépendante, et M. Mucic a toujours pu voir la différence entre nos

21 interrogatoires et ceux de la police autrichienne. Personne de la police

22 autrichienne n'était présent lors de nos interrogatoires. De la même

23 façon, les représentants du bureau du procureur n'étaient pas présents

24 lors des interrogatoires menés par la police autrichienne. Les procédures

25 étaient différentes, les personnes présentes étaient différentes, les

Page 3933

1 endroits étaient différents, et ces interrogatoires se sont tenus à des

2 heures différentes.

3 Chose plus importante : la procédure pour chaque interrogatoire

4 a été clairement expliquée à l'accusé. Si l'accusé n'y voyait plus clair,

5 il pouvait s'entretenir avec un avocat. Il a choisi de ne pas le faire.

6 Ses droits, à maintes reprises, lui ont été clairement

7 expliqués, et l'accusation pense qu'il ressort clairement des éléments de

8 preuve que M. Mucic a bien compris qu'il s'agissait de procédures

9 différentes.

10 Voilà l'une des raisons pour lesquelles l'accusation pense que

11 l'article 42 est si sévère. Il y aura toujours des systèmes différents qui

12 joueront, et il ne peut y avoir de confusion quant au règles qui

13 s'appliquent.

14 C'est pourquoi l'accusé a été, à six reprises je pense, informé

15 - tout cela a été enregistré sur cassette - des droits qu'il avait dans le

16 cadre de la procédure du tribunal.

17 Il a été informé par les représentants du tribunal en l'absence

18 de toute autre personne. Cela lui a été expliqué au début, lorsqu'il

19 s'agissait de représentants du bureau du procureur. L'accusation estime

20 que le fait qu'il y a eu deux interrogatoires différents ne signifie pas

21 que, d'une manière ou d'une autre, l'accusé ne pouvait comprendre ce qui

22 lui était expliqué très clairement.

23 Je poursuis. Les personnes qui ont déposé quant aux

24 interrogatoires du bureau du procureur et aux circonstances de ces

25 interrogatoires étaient MM. Abribat, D'Hooge et Gschwendt.

Page 3934

1 Encore une fois, répondant à Me Greaves, ce dernier a indiqué

2 que, le 18 mars, M. Abribat, pendant quelques minutes, a rencontré M.

3 Mucic, s'est présenté et lui a donné un aperçu général des règles qui

4 s'appliquaient pour voir si l'accusé voulait répondre à l'interrogatoire.

5 Etant donné les circonstances, étant donné que M. Mucic n'avait

6 pas à accepter cet interrogatoire, et que les autorités autrichiennes

7 n'avaient pas à autoriser nécessairement cet interrogatoire, il était tout

8 à fait raisonnable que les représentants du bureau du procureur se

9 présentent et décrivent rapidement à M. Mucic qui ils étaient et ce dont

10 ils souhaitaient parler avec lui pour voir si M. Mucic souhaitait

11 effectivement répondre à l'interrogatoire.

12 Messieurs Gschwendt et Abribat étaient tous les deux présents

13 lors de cet entretien. M. Gschwendt a déposé, disant que M. Mucic était

14 dans la cellule, y compris aux fins de la discussion à différents moments

15 que le bureau du procureur lui a parlé, que M. Gschwendt a suivi la

16 conversation, mais qu'il ne se souvenait pas exactement des mots qui

17 avaient été prononcés.

18 Mais il pouvait dire, et il l'a dit explicitement, qu'il n'y

19 avait rien d'irrégulier ni aucune forme de pression. Or, sa tâche

20 consistait précisément à vérifier cela. Il l'a dit très clairement : "Rien

21 ne s'es passé d'irrégulier."

22 Monsieur Abribat a expliqué avec beaucoup de détails comment

23 s'était passé l'interrogatoire. Maître Greaves souligne que M. Abribat dit

24 l'avoir rencontré pendant une brève période de temps. Monsieur Abribat n'a

25 jamais dit qu'il avait lu chaque mot, et il se peut fort bien que

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1 M. Abribat ait mal calculé et se soit trompé de quelques minutes sur la

2 longueur de l'interrogatoire. Mais l'accusation ne pense pas qu'il y ait

3 quelque controverse que ce soit sur des formes de pression ou des

4 irrégularité éventuelles.

5 Les deux témoins ayant des informations sur ce qui s'est passé,

6 ont déposé de façon claire et convaincante. Nous en arrivons aux

7 allégations de pression pour la fameuse période de vingt minutes.

8 L'accusation retient pour sa part qu'il n'y a aucun élément de

9 preuve, quel qu'il soit, à l'appui de cette allégation. Cette allégation

10 qui a été faite plus d'un an après les faits par l'accusé est pertinente,

11 nous le reconnaissons, mais cette allégation s'avère absolument non

12 fondée.

13 Messieurs Abribat et D'Hooge ont déposé. Il ressort de leurs

14 dépositions que durant ces vingt minutes, M. Mucic a été emmené par les

15 gardes afin qu'il puisse se reposer. Pendant ce temps-là, ils ont installé

16 l'équipement dans une autre pièce en l'absence de M. Mucic.

17 Lorsque M. Mucic a été ramené dans la pièce une vingtaine de

18 minutes plus tard, on lui a demandé s'il était d'accord pour que

19 l'interrogatoire soit enregistré. C'est alors que l'interrogatoire a

20 débuté.

21 Que s'est-il passé ? Monsieur Mucic s'est vu expliquer de façon

22 très attentive ses droits. Cela n'est pas contesté, cela figure sur la

23 cassette, et l'accusé pourra toujours dire que quelque chose s'est passé

24 avant.

25 Il n'y a aucune façon possible de l'établir autrement qu'en

Page 3936

1 écoutant les personnes qui ont été en contact avec l'accusé. Il est très

2 clair que M. Mucic a été traité en toute équité, car au début de

3 l'interrogatoire, on lui explique tous ses droits, et on lui demande s'il

4 souhaite répondre aux questions, s'il souhaite avoir la présence d'un

5 avocat. Et il indique qu'il est prêt à répondre aux questions sans la

6 présence d'un avocat.

7 L'idée que, d'une façon ou d'une autre, en l'absence de quelque

8 élément de preuve que ce soit, le tribunal devra écarter les témoignages

9 de tous les témoins qui nous paraissent fiables, que le tribunal jugera

10 fiables à notre sens, cette idée est, pour nous, absolument impossible.

11 Nous indiquerons aussi que, durant cet interrogatoire qui s'est

12 poursuivi sur trois jours à raison de quelques heures par jour avec de

13 longues interruptions, M. Mucic a été informé de ses droits au moins six

14 fois, je crois. Chaque fois, on lui demandait s'il voulait poursuivre sans

15 avocat ; on lui a demandé s'il voulait poursuivre l'interrogatoire tout

16 court. On lui a dit qu'il n'était pas obligé s'il ne le souhaitait pas. Il

17 a dit : "Oui, je veux poursuivre". Et s'il avait eu quelque question que

18 ce soit quant à ce qui s'est passé ou quant au comportement de M. Mucic.

19 ..

20 Monsieur le Président, M. Mucic vient de faire un signe des

21 lèvres comme s'il m'embrassait. Je ne pense pas que cela soit approprié,

22 si vous voulez bien le lui dire.

23 M. Greaves (interprétation). - (Hors micro.)

24 (L'Interprète : on n'a pas entendu Me Greaves. Il semble avoir

25 dit : "Je suis d'accord, Monsieur le Président, j'ai indiqué à M. Mucic

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1 que je désapprouvais".).

2 M. Jan (interprétation). - Il s'agit là d'une manoeuvre

3 d'intimidation.

4 M. Greaves (interprétation). - Il ne le fera plus.

5 M. le Président (interprétation). -.J'espère que les accusés ne

6 feront plus preuve d'indiscipline et se montreront plus attentifs dans le

7 prétoire. Peut-être ont-ils été habitués à l'indiscipline ailleurs. Ils ne

8 peuvent adopter ce comportement ici. .

9 Mme McHenry (interprétation). - Merci. S'il y a quelques

10 questions... ?

11 M. Jan (interprétation). -J'ai effectivement quelques questions

12 à vous poser.

13 M. le Président (interprétation). - Nous allons maintenant

14 suspendre l'audience, nous ferons une pause de trente minutes et

15 reviendrons ensuite.

16 L'audience, suspendue à 11 heures 30, est reprise à 12 heures.

17 M. Greaves (interprétation). - Monsieur le Président, avant que

18 nous ne continuions à entendre ma collègue Mme McHenry, je tiens à dire au

19 nom de mon client qu'il a compris avoir franchi la ligne de démarcation ce

20 matin et qu'il n'avait aucunement l'intention de manquer de respect au

21 Tribunal. Il vous prie de l'excuser pour ce manque de respect, si c'est

22 ainsi que vous l'avez ressenti. Je suis sûr que vous comprendrez qu'il est

23 très nerveux. Il est assis ici des heures et des jours d'affilé. Il vous

24 prie de l'excuser pour ce qu'il a fait ce matin et vous demande d'accepter

25 ses excuses.

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1 M. Jan (interprétation). - Les excuses doivent s'adresser à

2 Me McHenry.

3 M. Greaves (interprétation). - J'ai eu une conversation à ce

4 sujet et je crois bien que cela ne se reproduira pas. J'espère que la

5 question est ainsi réglée.

6 M. le Président (interprétation). - Je saisis l'occasion pour

7 dire un certain nombre de choses.

8 J'ai observé l'attitude des accusés, car je n'ai jamais pensé

9 qu'une offense de cette gravité pouvait survenir en ce lieu. Je pensais

10 que chacun allait s'y conduire avec la sobriété nécessaire. Nous ne sommes

11 pas dans un cirque. Ce n'est pas un théâtre. C'est un endroit où des

12 choses sérieuses se déroulent et sont discutées. Rien de ce genre ne s'est

13 produit jusqu'à la période récente.

14 L'attitude respectée jusqu'à présent est l'attitude souhaitable.

15 Je ne crois pas que ce qui s'est passé peut être totalement supprimé. Si

16 la conduite des accusés porte atteinte au respect que chacun doit

17 manifester ici, des mesures devront être prises. Je pense que chacun doit

18 comprendre que le respect est dû et que ce respect doit être réciproque.

19 Il doit provenir de toutes les personnes présentes dans le prétoire.

20 A partir d'aujourd'hui, je prie les conseils d'informer leurs

21 clients qu'ils doivent se comporter de la meilleure manière qui soit sans

22 contraindre la Chambre d'instance à prendre les mesures qui peuvent

23 s'imposer. Merci. Merci beaucoup, Maître Greaves.

24 M. Greaves (interprétation). - Je vous en prie.

25 M. Jan (interprétation). - Maître McHenry, est-ce que

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1 l'interrogatoire a été interrogé le 18 mars ?

2 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Juge, il n'y a pas

3 eu d'interrogatoire le 18 mars. La seule chose qui a eu lieu, c'est une

4 présentation brève de l'enquêteur du Bureau du procureur, M. Abribat. Il a

5 été dit également à M. Mucic que le Tribunal souhaitait l'interroger

6 conformément au Règlement du Tribunal.

7 M. Jan (interprétation). - (hors micro)

8 Je vous prie de m'excuser. Je m'intéresse à ce petit passage.

9 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Juge, je propose, si

10 vous le souhaitez, de conclure mon argumentation. Il ne me reste que

11 quelques minutes. Ensuite, s'il y a quelques questions que vous souhaitez

12 poser au sujet de M. Mucic de sa possibilité de comprendre ce qui lui a

13 été dit, nous pouvons diffuser la totalité de la cassette vidéo.

14 M. Jan (interprétation). - Je ne m'intéresse qu'à une petite

15 partie qui ne dure je pense que 5 minutes.

16 Mme McHenry (interprétation). - Effectivement, cela ne durerait

17 que 5 minutes. Je tiens à vous souligner qu'il a été informé de ses droits

18 dès la première entrevue et que cinq autres informations du même genre

19 sont également enregistrées le 19 mars. Je demanderai également

20 l'assistance du greffe. Peut-être les techniciens peuvent-ils préparer la

21 cassette pour nous montrer ces quelques minutes.

22 M. Jan (interprétation). - Ce qui m'intéresse, c'est de savoir

23 quelle est la position du juge d'instruction dans les systèmes juridiques

24 continentaux, européens, autrichiens. Je ne connais pas exactement le

25 statut du juge d'instruction dans l'ensemble du système judiciaire.

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1 Mme McHenry (interprétation). - Je répondrai en quelques mots et

2 ensuite mon confrère, Me Ostberg, pourra compléter l'information que je

3 vous fournis. Le juge d'instruction ne fait partie ni de l'accusation ni

4 de la défense. Il est un enquêteur neutre qui peut interroger l'accusé,

5 comme il l'a fait dans ce cas précis, en l'absence des représentants de

6 l'accusation. Il peut également parler au témoin. C'est une personne dont

7 le rôle consiste à enquêter au sujet des allégations et plus tard, s'il

8 estime que des charges se justifient formellement, eh bien ces charges

9 sont présentées et le processus de détermination de l'accusation ou de

10 l'innocence commence, l'enquête étant achevé.

11 M. Ostberg (interprétation). - J'ajouterai que la description

12 qui vient d'être faite est tout à fait juste. Il s'agit d'un juge qui

13 enquête en complément de l'enquête menée par la police.

14 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le juge, pour conclure

15 brièvement, outre ce qui a déjà été dit, je soulignerais qu'en Autriche,

16 le Bureau du procureur a mené son travail de façon tout à fait distincte

17 en expliquant à l'accusé de façon distincte quels étaient ses droits. Il

18 ne peut y avoir eu confusion.

19 Il a été expliqué à l'accusé qu'il était arrêté dans un pays

20 déterminé. Je souligne que la défense de M. Delalic a présenté les mêmes

21 arguments dans sa requête initiale demandant l'exclusion de la déposition

22 de M. Delalic qui a été prise en Allemagne. Le problème du droit

23 yougoslave et du droit allemand a été discuté à ce moment-là.

24 Je pense que la Chambre d'instance, à très juste titre, a

25 statué, que le règlement du Bureau du procureur avait été respecté, que le

Page 3941

1 Règlement du Tribunal avait été expliqué clairement à l'accusé avec toutes

2 les allégations qu'il suppose. La différence dans les systèmes juridiques

3 ne doit pas faire peser le moindre soupçon d'irrégularité sur la procédure

4 adoptée par le Bureau du procureur.

5 En outre, nous diffuserons les quelques premières minutes de la

6 cassette vidéo qui monteront bien qu'en de nombreuses occasions l'accusé,

7 sur les trois jours, a été informé de ses droits. Il a eu la possibilité

8 de demander des éclaircissements, si tout n'était pas clair à ses yeux,

9 d'y réfléchir et de changer d'avis.

10 En particulier, on lui a dit que s'il changeait d'avis, il

11 pouvait ne pas poursuivre l'interrogatoire. Nous estimons que l'idée selon

12 laquelle il n'a pas compris ses droits est véritablement et franchement

13 totalement dépourvue de fondement.

14 Nous soulignerons un point qui n'a pas été évoqué abondamment

15 ici : l'idée que l'accusé a eu la moindre confusion dans son esprit quant

16 à la nécessité de demander un avocat. L'idée qu'il ait pu souhaiter la

17 présence d'un avocat, mais que cet avocat ne lui a pas été fourni, ne

18 correspond pas à la conversation privée qui a eu lieu avec M. Mucic

19 lorsque celui-ci a déclaré qu'il ne souhaitait pas d'avocat dans le cadre

20 de son interrogatoire avec le Bureau du procureur.

21 Il peut avoir souhaité la présence d'un avocat et l'avoir

22 demandé, mais il ne la souhaitait pas lorsqu'il a été interrogé par les

23 représentants du Bureau du procureur. Il l'a établi très clairement au

24 cours des six occasions, ou occasions plus nombreuses, où il a renoncé

25 tout à fait formellement à ce droit.

Page 3942

1 Nous disons que dans ses réponses, il ne peut pas être estimé

2 qu'il ait souhaité la présence d'un avocat.

3 M. Greaves (interprétation). - Oui, nous avons lu les réponses

4 du Bureau du procureur. Je demandais que des preuves soient apportées

5 quant au contenu de cette conversation à laquelle il a été fait référence

6 plusieurs fois ce matin. Mais aucune preuve n'a été apportée jusqu'à

7 présent.

8 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président, nous

9 pensons, et nous pourrons le vérifier lorsque la cassette sera diffusée...

10 M. le Président (interprétation). - Vous avez parlé du

11 Dr Manfred.

12 Mme McHenry (interprétation). - Oui, une preuve est apportée

13 qu'un avocat est arrivé, qu'il a déclaré avoir été recruté par le Tribunal

14 dans le cadre de la procédure d'extradition, qu'il a eu la possibilité de

15 discuter avec M. Mucic en privé et que l'avocat a ensuite informé

16 M. D'Hooge que M. Mucic ne souhaitait pas son assistance. Cela figure dans

17 le compte rendu où il est stipulé que M. Mucic en fait ne souhaitait pas

18 la présence de l'avocat.

19 M. Greaves (interprétation). - Il y a de nombreuses preuves de

20 l'arrivée de quelqu'un qui s'appelle Dr Manfred. Mais à mon avis, aucune

21 preuve ne figure quant à ce qui a été dit au cours de la conversation avec

22 cette personne. Si j'ai tort, je vous prierais de me corriger.

23 M. le Président (interprétation). - Il est stipulé que le

24 Dr Manfred est arrivé et que finalement il a déclaré qu'il quittait les

25 lieux car M. Mucic ne souhaitait pas sa présence.

Page 3943

1 Mme McHenry (interprétation). - Apparemment, dans les arguments

2 que j'ai exposés précédemment, j'ai fait une erreur lorsque j'ai déclaré

3 que M. Gschwendt avait dit dans sa déposition que M. Mucic était à la fois

4 dans la pièce et dans la cellule. C'est M. Mörbauer qui a dit cela. Je

5 tenais à corriger le nom de la personne concernée.

6 Monsieur le Président, nous estimons que selon le procès-verbal,

7 il apparaît tout à fait clairement que M. Mucic ne souhaitait pas être

8 assisté par un avocat, en dépit du fait qu'on lui avait dit qu'il pouvait

9 bénéficier de l'aide d'un avocat et en dépit du fait qu'un avocat s'est

10 effectivement présenté. Malgré cela, M. Mucic a dit qu'il ne souhaitait

11 pas la présence de l'avocat.

12 L'accusation s'est comportée de façon raisonnable, de façon

13 régulière et, dans tous les cas, conformément au Règlement de ce Tribunal,

14 ainsi que conformément aux conceptions les plus fondamentales de l'équité.

15 Nous estimons qu'il serait tout à fait injuste d'autoriser des

16 allégations sans fondement relatives à des pressions qui auraient été

17 exercées. Nous estimons qu’il serait injuste que cela ait pour conséquence

18 l'exclusion des éléments de preuve.

19 En vertu de l'article 42 et de l'article 89 du Règlement, ces

20 éléments de preuve sont pertinents, à moins qu'il soit stipulé qu'il n'est

21 pas nécessaire qu'il y ait procès.

22 Et en vertu de l'article 95, nous estimons qu'il est tout à fait

23 clair que le contenu de l'interrogatoire, mené par le bureau du Procureur,

24 doit être versé au dossier.

25 Je demanderai maintenant au technicien responsable de bien

Page 3944

1 vouloir diffuser le début, les premières minutes, de l'interrogatoire de

2 M. Mucic, le 19 mars.

3 M. Greaves (interprétation). - Avant que cette diffusion n'ait

4 lieu, je voudrais dire quelques mots en réponse à ce qui vient d'être dit.

5 Compte tenu de la déposition de M. Abribat, je cite : «Lui avez-

6 vous demandé s'il voulait un avocat ? Réponse : non, je ne lui est pas

7 posé cette question», à quel moment situez-vous la conversation préalable

8 à l'interrogatoire ?

9 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président,

10 l'accusation estime que les preuves disponibles montrent qu'après avoir

11 été informé de ses droits M. Mucic est interrogé sur le point de savoir

12 s'il souhaite être interrogé. Sa réponse est : «Oui».

13 Si vous lisez la totalité de la déposition de M. Abribat, il ne

14 dit pas que, pour chaque question posée, il a demandé : comprenez-vous

15 cela, êtes-vous d'accord avec cela, parce que tout cela devait se passer

16 le lendemain avec l’enregistrement.

17 Cette conservation n'était qu'une conversation brève destinée à

18 s'assurer que, conformément au droit autrichien, M. Mucic était d'accord,

19 que les autorités autrichiennes étaient d'accord, que le matériel

20 technique était disponible.

21 Je crois que M. Abribat a dit expressément dans sa déposition ce

22 que je viens de dire.

23 Je vous remercie et maintenant je vous demanderai que les

24 premières minutes de l'enregistrement soient diffusées.

25 (Diffusion de la cassette)

Page 3945

1 On va interroger pour la première fois M. Mucic Zdravko, alias

2 Pavo, qui a été interpellé le 18 mars 1996 par les autorités autrichiennes

3 devant son domicile. Aujourd'hui, 19 mars 1997, à 15 heures 30, nous nous

4 trouvons dans les locaux du Ministère de la Justice autrichien à Vienne et

5 nous nous apprêtons à interroger Zdravko Mucic dit Pavo qui a été

6 interpellé devant son appartement le 18 mars 1996.

7 Mme McHenry (interprétation). - Je vous prierai d'arrêter la

8 diffusion.

9 (Arrêt de la diffusion de la cassette.)

10 Monsieur le Président, je ne crois pas que la section

11 d'interprétation était prête à cette diffusion.

12 Si vous le souhaitez, je pense que vous avez une copie du compte

13 rendu, si nous pouvons disposer de quelques minutes, nous pourrions en

14 fournir un exemplaire à la section d'interprétation, ce qui permettrait

15 aux interprètes d'en prendre connaissance.

16 J'aimerais vous demander si vous souhaitez entendre

17 l'interprétation du français en anglais, ou du serbo-croate en anglais. Je

18 pense que c'est l’interprétation du serbo-croate en anglais qui est la

19 plus pertinente.

20 Dans ce cas, il suffirait de consacrer quelques minutes à la

21 transmission des exemplaires du compte rendu aux cabines, à moins que

22 M. Greaves souhaite que la diffusion se fasse à la fin de la discussion.

23 Sinon, le Greffe peut nous aider pour fournir des exemplaires

24 aux interprètes.

25 M. Jan (interprétation). - Je ne comprends pas le français.

Page 3946

1 M. le Président (interprétation). - Nous allons attendre

2 quelques minutes.

3 Maître Greaves, vous pouvez poursuivre pendant que ces questions

4 d'organisation sont en cours de règlement.

5 M. Greaves (interprétation). - Merci beaucoup. Quelques points

6 que je voudrais évoquer brièvement.

7 Premièrement, je n'accepte pas ce qui vient de nous être dit au

8 sujet de la charge de la preuve. Nous pensons que c'est l'accusation qui

9 porte la charge de la preuve dans l'ensemble des procédures menées dans

10 cette instance, et que c'est le critère de l'absence -de tout autre

11 raisonnable- qui prévaut.

12 Deuxièmement, il convient de prendre en compte le contenu de

13 l'article 95, à savoir que le Tribunal est invité à recherché la

14 fiabilité. C'est la fiabilité qui est donc l'élément le plus important

15 dans le Règlement.

16 Nous nous référons à l’affaire Tadic, à laquelle nous avons fait

17 référence à plusieurs reprises, qui établie, à notre sens, le fait que

18 c'est la fiabilité qui doit être le fondement de tout élément de preuve.

19 Donc, nous appelons les juges à se concentrer sur cet aspect de

20 la fiabilité, et au fait de savoir si l'accusation a établi les fondements

21 suffisants pour vérifier la fiabilité de ces éléments de preuve quant aux

22 informations fournies au suspect.

23 Sur ce point, nous estimons que la fiabilité est sapée à la

24 base.

25 J'aimerais maintenant revenir sur l'affaire Murray c/Royaume-

Page 3947

1 Uni. Je souhaiterais vivement que les juges aient entre les mains un

2 exemplaire de jugement avant que je ne procède, car la Bible que nous

3 utilisons tous au Royaume-Uni, Archbold, comporte un passage à ce sujet.

4 Avant de prononcer quelques mots sur ce point, il convient de

5 regarder le paragraphe 15.2 de l'édition 1997 qui va à l'encontre de ce

6 qu'a dit ma collègue.

7 «Il est interdit de tirer des conclusions à charge, sur la base

8 du silence. Commentaire : Retarder l’accès à un conseil juridique est

9 incompatible avec la nécessité d'un procès équitable garanti par

10 l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.».

11 Donc, il peut y avoir discussion sur le sens cette affaire.

12 Mais, vous ayant donné lecture de ce document, je pense que les choses

13 peuvent être rendues plus claires. Je suppose que ma collègue a eu les

14 mêmes problèmes que nous avons tous dans cette interprétation.

15 Le problème suivant que je tiens à évoquer est le suivant. Une

16 expression intéressante est utilisée par l'accusé dans ce qu'il a dit être

17 prêt à faire. Je vous renvoie aux propos de l'accusé. Page 5 de la réponse

18 de l'accusation, il déclare que : «Les mots enregistrés ont été prononcés

19 par l'accusé devant le juge Seda. »

20 Au paragraphe 12 qui s’achève en page 5, il dit la chose

21 suivante : «Je suis prêt à rencontrer les enquêteurs du Tribunal pénal

22 international et à leur donner des informations.».

23 J'aimerais vous rappeler Monsieur le Président ce qu'il a fait

24 en août de l'année dernière, à savoir fournir des informations. Je parle

25 de la déposition qui a été évoquée par mon confrère.

Page 3948

1 Cela indique la perception qu'il avait du processus auquel il

2 allait être soumis. Il pensait qu'il fournissait des informations au

3 Tribunal.

4 C'était une impression erronée quant à ce que souhaitait faire

5 le bureau du Procureur. Le bureau du Procureur, lui, voulait l'interroger

6 et pensait pouvoir retenir contre lui ses propos. Ce qui montre bien que

7 l'accusé n'a pas bien compris ce qui allait lui arriver.

8 Enfin, toujours à la lecture du même paragraphe, paragraphe 12

9 de la réponse de l'accusation qui montre ce qui s'est passé lors de la

10 rencontre avec le Juge Seda, vous verrez Monsieur le Président qu'il est

11 constamment fait référence au Tribunal pénal international.

12 Je le dis, car cela indique quelque chose qui s'est passé tout

13 au long de ce processus, à savoir que les actions du Tribunal autrichien

14 et du Tribunal pénal international sont allées de pair en permanence.

15 C'est pourquoi l'action du bureau du Procureur ne peut pas être

16 isolée du reste. A notre avis, il convient de prendre en compte la

17 totalité de ce qui s'est passé entre le 18 le 21 mars.

18 Il convient de tenir compte de l'ensemble de ces éléments de

19 preuve pour déterminer si oui ou non quelque chose à été irrégulier, si

20 cet homme a été trompé, s’il a été abusé, si on lui a bien expliqué la

21 nature de ses droits et s’il les a bien compris.

22 S'il n'a pas bien compris la nature de ses droits, nous disons

23 qu'il y a eu manquement et que ce manquement est tel qu'en vertu de

24 l'article 95 la fiabilité de ses propos n’est plus assurée.

25 La deuxième partie de l'article 95 parle de l'admission qui

Page 3949

1 irait à l'encontre d'une bonne administration de la justice et lui

2 porterait gravement atteinte.

3 Il faut prendre en compte l'article 42 et l’article 43 qui

4 portent sur l'interrogatoire des suspects et qui établissent des critères.

5 Si nous nous basons sur ces critères, quelque chose affecte la régularité

6 de l'ensemble de ce processus.

7 Le but du règlement c’est d’établir des critères. Si quoi que

8 soit dans la procédure tombe en deçà de ces critères, critères qui ont été

9 pesés et soupesés par les juges au moment où ils ont décidé quels seraient

10 les articles qui devraient prévaloir devant ce Tribunal, si quoi que ce

11 soit est en deçà du contenu des articles du Règlement, l’admission va à

12 l’encontre d'une bonne administration de la justice et lui porte gravement

13 atteinte.

14 Voilà, c’est tout ce que j'avais à vous dire. Madame et

15 Messieurs les Juges, j'ai tenté d'être aussi bref que possible. Bien sûr,

16 si j'ai oublié quoi que ce soit, je suis prêt à remédier à cet oubli.

17 M. Jan (interprétation). - La partie de la cassette qui sera

18 diffusée, nous montrera-t-elle dans quelle mesure les droits de l’accusé

19 lui ont été expliqués ?

20 M. Greaves (interprétation). - Je suis sûr que vous le verrez

21 vous-même.

22 M. Olujic (interprétation). - Monsieur le Président, si vous me

23 permettez avant la diffusion de la cassette de prendre la parole,

24 j'aimerais ajouter quelques mots simplement à l'appui de la thèse

25 présentée par mon éminent confrère qui a établi de la manière la plus

Page 3950

1 nette le lien qui existe entre l’action de la police d’une part et

2 l’action des enquêteurs venus à Vienne d’autre part.

3 J'aurais un point à ajouter : A partir de la cassette que nous

4 allons regarder et du compte rendu, il est absolument indiscutable que ni

5 M. Abribat, enquêteur du Tribunal international, ni M. D'Hooge n'ont agi

6 conformément à l'article 42 du règlement de procédure et de preuve qui

7 nous lie tous ici car, par les informations fournies à mon client, ils lui

8 ont dit que s'il ne choisissait pas un défenseur, un tel défenseur lui

9 serait commis d'office.

10 Il ne lui ont pas dit que s'il ne choisissait pas un défenseur,

11 ils considéreraient qu'il a renoncé à son droit à la défense. Autrement

12 dit, ce qu'on lui a communiqué, c'est son droit tout à fait élémentaire.

13 Mais lui vient d'une région du monde où une défense est obligatoire, ce

14 qu'il sait très bien. Donc, sans vouloir exagérément prolonger le débat,

15 il est tout à fait manifeste qu'en raison de ce fait, une situation a été

16 créée qui a bien été décrite par mon confrère.

17 Je n'y reviendrai pas, mais je vous prie de bien tenir compte de

18 la formulation utilisée lors des information censées avoirs été fournies à

19 mon client et nous le verrons bien dans la cassette que nous allons

20 maintenant visionner.

21 M. Jan (interprétation). - C'est précisément la raison pour

22 laquelle je souhaite voir cette cassette, pour bien comprendre ce qui lui

23 a été expliqué au moment de son interrogatoire.

24 M. le Président (interprétation). - Pouvons-nous voir la

25 cassette maintenant ?

Page 3951

1 Interprète - La cabine française n'a pas reçu le document.

2 Projection de la cassette

3 "...la première fois M. Mucic Zdravko, alias Pavo, qui a été

4 interpellé le 18 mars 1996 par les autorités autrichiennes devant son

5 domicile".

6 Interprète. - Répétition en serbo-croate de ce qui vient d'être

7 dit en français.

8 "Pour cet interrogatoire, sont présents dans cette pièce

9 M. Mucic lui-même, Mme Alexandra Pal, qui est interprète auprès du

10 Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, M. Bart D'Hooge, Peter Nicholson et moi-

11 même Régis Abribat. Tous trois sommes affectés au Bureau du Procureur de

12 ce Tribunal.

13 Conformément au statut et règlement de preuve en vigueur dans le

14 Tribunal, je vais donner à M. Mucic lecture de ses droits, à savoir qu'il

15 a droit à l'assistance d'un conseil de son choix ou, s'il n'en a pas la

16 possibilité, d'un conseil qui lui sera commis d'office ; qu'il a droit à

17 l'assistance gratuite de l'interprète et qu'il a droit de garder le

18 silence et qu'il est avisé que chacune de ses déclarations sera

19 enregistrée et pourra être utilisée comme moyen de preuve.

20 Je tiens à préciser aussi à M. Mucic que cet interrogatoire sera

21 enregistré à l'aide de moyens audios et vidéos et que nous ferons faire

22 une copie de ces enregistrements et que nous lui donnerons une copie dès

23 qu'elle sera prête.

24 Donc la première question est : M. Mucic acceptez-vous de

25 répondre à nos questions en dehors de la présence d'un avocat, tel que

Page 3952

1 vous l'avez évoqué ?

2 M. Mucic (interprétation). - Oui.

3 M. Abribat (en français). - C'est bon. Monsieur Mucic, je

4 voudrais que vous nous donniez votre état-civil complet, votre nom, votre

5 prénom, votre date et lieu de naissance.

6 M. Mucic (interprétation). - Je m'appelle M. Mucic Zdravko"

7 Mme McHenry (interprétation). - Je crois que l'on peut demander

8 l'arrêt de la cassette.

9 Madame et Messieurs les juges, j'ajouterai à cela que nous

10 pourrons retrouver une autre partie de la cassette qui apparaît à la

11 page 14 de la transcription anglaise, si vous le souhaitez. A 9 h 30, le

12 20 mars, en effet, M. Mucic a été informé de ces conseils. Je peux vous

13 citer le passage.

14 M. le Président (interprétation). - Une chose. Dans la lecture

15 des droits, l'on dit "Comme cela a été discuté" A quoi est-il fait

16 allusion

17 Mme McHenry (interprétation). - Effectivement, cette question a

18 déjà été posée à M. Abribat. "A quoi faisait référence cette question".

19 M. Abribat a indiqué que, dans les éléments de preuve à l'appui,

20 cela faisait référence à la brève conversation qu'ils avaient eue le

21 18 mars.

22 M. le Président (interprétation). - Mais il vient de lire ses

23 droits à M. Mucic et il fait référence à une discussion précédente ?

24 Mme McHenry (interprétation). - Je pense qu'il a indiqué qu'il

25 voulait être absolument clair qu'il y avait eu un entretien précédent très

Page 3953

1 bref qui était intervenu le 18 mars. Il voulait s'assurer que cela fasse

2 partie du compte rendu.

3 De la même façon, ultérieurement, durant l'interruption,

4 l'avocat chargé de la procédure d'extradition est apparu et lorsque

5 l'interrogatoire a repris, un autre enquêteur du Bureau du Procureur,

6 cette fois M. D'Hooge, l'a expressément mentionné pour que cela apparaisse

7 dans le compte rendu.

8 Il ressort de la déposition du témoin que cela visait à faire en

9 sorte que le compte rendu soit un reflet fidèle de tout ce qui s'était

10 passé. Comme il y avait eu cet entretien très bref le 18 mars, de cette

11 façon, le fait était enregistré. Il ne s'agissait pas de la toute première

12 fois que M. Mucic et M. Abribat parlaient ensemble.

13 M. le Président (interprétation). - Cette autre discussion

14 n'est pas enregistrée.

15 Mme McHenry (interprétation). - Il ne s'agit pas d'un entretien

16 enregistré car ce n'était pas un interrogatoire. Cela s'est passé le

17 18 mars et à duré quelques minutes.

18 M. Régis Abribat et M. Gschwendt étaient présents et ont déposé

19 sur ce point. Cet entretien a eu pour fonction de permettre la

20 présentation de chacun, de sorte que M. Mucic sache qui ils étaient et ces

21 deux personnes ont expliqué qu'elles voudraient interroger M. Mucic et que

22 cela se ferait conformément aux règles de procédure du Tribunal.

23 M. le Président (interprétation). - Merci. Je n'attends pas de

24 vous que vous donniez des éléments de preuve. C'est là quelque chose que

25 quelqu'un d'autre aurait dû nous dire.

Page 3954

1 Mme McHenry (interprétation). - Je peux retrouver la partie de

2 la déposition de M. Abribat sur ce point puisque la question lui a été

3 posée de façon très précise et il en a parlé.

4 Je note aussi que, à la page 14 de la transcription anglaise, la

5 même chose s'est passée. Tout le monde a été présenté le 20 mars, les

6 personnes présentes expliquent qui elles sont et M. Mucic est, une fois de

7 plus, informé de ses droits. Je peux vous lire la totalité de ce

8 transcript si cela vous est utile.

9 Après les présentations, M. Mucic est informé qu'il a droit à un

10 avocat de son choix et s'il ne peut se payer les services d'un avocat, un

11 avocat lui sera commis d'office. Il a droit aux services de l'interprète à

12 titre gracieux, en l'occurrence Mme Pal, interprète certifiée par le

13 Tribunal pénal international. Il a le droit de garder le silence et on lui

14 dit qu'il sera enregistré et que cela pourra être utilisé contre lui.

15 Il lui est également dit que le son et l'image de

16 l'interrogatoire seront enregistrés, que l'enregistrement sera transcrit

17 et qu'il recevra la transcription dès que possible.

18 Question : Monsieur Mucic, êtes-vous d'accord pour répondre à

19 nos questions en dehors de la présence d'un avocat ?

20 Réponse : Oui.

21 Ensuite, page 33,...

22 M. Jan (interprétation). - (hors micro). On lui a dit qu'un

23 avocat lui serait commis d'office, mais il n'a pas été dit que ce serait

24 gratuit.

25 Mme McHenry (interprétation). - On lui a dit qu'il avait droit

Page 3955

1 aux services d'un avocat commis d'office s'il n'avait la possibilité de

2 s'en procurer un lui-même.

3 M. Jan (interprétation). - Vous trouvez cela sur la cassette. Un

4 avocat peut lui être commis d'office, mais non pas que cela lui coûte

5 rien.

6 Mme McHenry (interprétation). - Il n'est pas dit explicitement

7 que ces services seraient gratuits. Mais nous pensons que si l'on dit à

8 l'accusé : "Si vous ne pouvez obtenir un avocat par vous-même", cela sous-

9 entend que, s'il ne peut se payer les services d'un avocat, il lui sera

10 commis d'office.

11 Je pense même que cette petite différence dans les termes donne

12 à M. Mucic davantage de droits plutôt que moins de droits.

13 M. Jan (interprétation). - Non, pas plus de droits, mais il a le

14 droit d'être informé qu'il n'a aucune responsabilité financière et qu'un

15 avocat peut lui être commis d'office.

16 Mme McHenry (interprétation). - Je comprends bien. Nous avançons

17 que, si on lui dit que s'il n'y a pas la possibilité de se procurer les

18 services d'un avocat, un avocat lui sera commis d'office, il n'y a pas

19 d'ambiguïté, à notre sens, puisque le 20 mars les mots "à titre gracieux"

20 ont été dit.

21 Je voudrais aussi indiquer qu'après l'interruption du déjeuner

22 du 20 mars, à la page 33 de la transcription, M. Mucic est encore une fois

23 informé de ses droits, y compris de son droit à un avocat de son choix. On

24 lui dit que, s'il n'a pas de moyens financiers suffisants pour payer les

25 services d'un avocat, il peut bénéficier des services d'un avocat commis

Page 3956

1 d'office.

2 M. Jan (interprétation). - (Inaudible)...

3 Mme McHenry (interprétation). - Excusez-moi, je n'ai pas été

4 claire semble-t-il. Je suis d'accord avec vous pour dire que le 19 mars,

5 ce qui a été dit à l'accusé ne comprenait pas les mots "à titre gracieux".

6 M. Jan (interprétation). - Mais sur votre transcription, cette

7 phrase apparaît comme quoi il peut recevoir les services d'un interprète à

8 titre gracieux.

9 Mme McHenry (interprétation). - Excusez-moi, les termes à "titre

10 gracieux" s'appliquent à l'interprète.

11 M. Jan (interprétation). - Ce n'est pas dans le scénario.

12 Mme McHenry (interprétation). - Pour l'interprète, pour l'avocat

13 il est dit : "Si vous n'êtes, etc."

14 Concernant l'avocat, les termes "à titre gracieux" ne sont pas

15 explicitement mentionnés, mais il nous semble que cela est implicite et

16 compris de façon suffisante dans l'idée que, si l'on ne peut se procurer

17 les services d'un avocat soi-même -et donc implicitement si l'on ne peut

18 se les payer- l'on peut en obtenir un à titre gracieux.

19 Le 20 mars, à deux reprises, et là je vous renvoie encore à la

20 page 14 et à la page 33 de la transcription, l'accusé est informé

21 explicitement qu'il peut obtenir les services d'un avocat sans que cela ne

22 lui coûte rien et il est dit ailleurs aussi que cette option lui est

23 offerte s'il n'a pas les possibilités et les moyens financiers suffisants

24 pour se procurer les services d'un avocat.

25 Nous pensons donc que s'il y avait eu quelque ambiguïté que ce

Page 3957

1 soit, ces précisions l'auraient dissipée. Nous renvoyons aussi à la

2 page 51 de la transcription anglaise où se conclut l'interrogatoire et où

3 il est dit : "M. Mucic, êtes-vous d'accord pour poursuivre

4 l'interrogatoire demain ?". Le suspect répond :"Oui, absolument". Il lui

5 est alors dit : "Vous avez le choix" et M. Mucic dit : "Je veux

6 poursuivre".

7 A la page 52, lorsque l'interrogatoire reprend le matin suivant,

8 M. Mucic, encore une fois, est informé de ses droits, entièrement, et,

9 encore une fois, il choisit de renoncer à ses droits.

10 Le 20 mars, un avocat qui avait été désigné par le Tribunal pour

11 offrir ses services à titre gracieux a été renvoyé par M. Mucic qui ne

12 souhaitait pas ses services dans le cadre de l'interrogatoire du Bureau du

13 Procureur.

14 Tels sont les arguments que nous avons avancés. Je vous

15 remercie, Madame et Messieurs les juges.

16 M. Greaves (interprétation). - Je voudrais revenir très

17 brièvement sur le témoignage et la déposition de M. Abribat et ce qu'il a

18 dit lors de l'interrogatoire principal concernant le 18 mars. Il y est

19 dit : "il n'y a pas eu de véritable discussion car je suis simplement

20 entré pour voir M. Mucic et pour expliquer qui j'étais, c'est-à-dire pour

21 me présenter, expliquer les règles. Je voulais simplement savoir s'il

22 était d'accord ou non pour être interrogé".

23 Il a opiné du chef, ce qui voulait dire "oui". M. Abribat nie

24 avoir jamais posé la question à M. Mucic de savoir s'il voulait un avocat.

25 Je pose encore une fois la question. Lorsque M. Abribat dit

Page 3958

1 qu'il a eu cet autre entretien et qu'il dit : "Nous en avons déjà

2 discuté", cela fait référence à M. Mucic qui n'avait pas d'avocat.

3 Quand cette conversation a-t-elle eu lieu ? Voilà la question

4 que je vous adresse, Madame et Messieurs les juges, si vous me le

5 permettez.

6 Je voudrais aussi, si vous le souhaitez, vous donner un

7 exemplaire de l'extrait de cet ouvrage de référence que j'ai lu. La

8 question est entièrement entre vos mains, mais vous trouverez peut-être ce

9 passage riche d'enseignements.

10 M. le Président (interprétation). - Je crois que nous allons

11 suspendre l'audience pour aller déjeuner, puisqu'il est presque 13 heures.

12 Nous reprendrons à 14 h 30.

13 L'audience est suspendue à 12 heures 45.

14

15 L'audience est reprise à 14 heures 35.

16 M. Ackerman (interprétation). - Monsieur le Président, nous

17 avons tenu il y a peu une conférence de mise en état où nous avons parlé

18 du calendrier du procès. Je crois que nous avons tous reconnu l'importance

19 d'établir un calendrier et surtout de savoir quand nous ne siégerions pas,

20 car cela nous permettra de prendre des dispositions, notamment pour ce qui

21 est de nos déplacements.

22 Nous avons dit que ces dates devaient être fixées. Nous avons

23 reçu un calendrier à l'époque qui est un peu modifié par rapport au

24 calendrier reçu hier. Nous avions cru comprendre que nous siégerions

25 lundi, la semaine prochaine, et que le reste de la semaine serait consacré

Page 3959

1 à l'affaire Tadic. Nous avons été informés, durant la pause déjeuner, que

2 le prétoire ne serait pas nécessaire pour l'affaire Tadic et que donc nous

3 pourrions poursuivre le procès toute la semaine prochaine.

4 Je ne sais pas si la Chambre le sait déjà, mais toujours est-il

5 que cela a perturbé les dispositions que certains d'entre nous ont prises

6 pour ce qui est de nos déplacements. La Chambre peut certes siéger, si

7 elle décide de le faire, et nous serons de toute évidence présents, mais

8 cela va à l'encontre de l'accord auquel nous étions parvenus lors de la

9 conférence de mise en état. Nous pensions au moins pouvoir nous fier aux

10 jours pour lesquels il était dit que nous ne siégerions pas.

11 M. le Président (interprétation). - Vous n'êtes pas le seul à

12 avoir cette préoccupation. Nous partageons votre souci. Ce n'est que

13 lorsque nous avons levé l'audience et que je me suis rendu dans mon bureau

14 que j'ai pu constater que le prétoire ne serait pas occupé dans l'affaire

15 Tadic, celle-ci étant retardée pour certaines raisons. Nous pouvons donc

16 poursuivre le procès, le prétoire étant disponible. Mais nous n'avons pas

17 encore décidé.

18 Voilà la situation pour l'instant. Rien n'a été prémédité. Nous

19 avons toujours notre propre calendrier. Nous avions indiqué sur papier les

20 jours où nous siégerions et ceux où nous ne siégerions pas. Cet élément

21 nouveau vient de nous être soumis.

22 Que sait l'accusation ?

23 M. Ostberg (interprétation). - Nous avons entendu des rumeurs,

24 mais voilà la première fois que j'entends vraiment parler de cette

25 question. Nous sommes même surpris.

Page 3960

1 M. Greaves (interprétation). - L'accusation pensait peut-être

2 que nous plaisantions.

3 M. Ostberg (interprétation). - Non, pas du tout.

4 M. Greaves (interprétation). - Je m'en félicite.

5 M. le Président (interprétation). - Voilà la situation pour

6 l'instant.

7 M. O'Sullivan (interprétation). - Certes cela pose des problèmes

8 car nous avons des témoins et nous devons savoir si nous pouvons les

9 appeler ou si nous devons les faire rentrer chez eux. Nous serions très

10 heureux, pour notre part, de connaître le plus rapidement possible votre

11 décision.

12 M. le Président (interprétation). - Je ne vois pas très bien

13 quelle décision nous pouvons prendre.

14 M. Ostberg (interprétation). - Je n'en sais rien non plus.

15 M. Greaves (interprétation). - Je crois que mon confrère vous

16 invite à faire preuve d'autorité dans votre propre maison.

17 (Rires.)

18 M. le Président (interprétation). - Comme je l'ai dit, il n'y a

19 pas eu d'information officielle qui m'ait été transmise. Il a simplement

20 été indiqué que le prétoire était disponible pour toute la semaine

21 prochaine, contrairement à ce qui avait été prévu au départ.

22 Nous allons poursuivre avec notre calendrier en l'état, je

23 pense. Mais il faudra rendre une courte décision à cet égard.

24 Poursuivons.

25 L'accusation cherche à faire verser au dossier les éléments de

Page 3961

1 preuve consistant en les interrogatoires de M. Mucic par la police

2 autrichienne, ainsi que les interrogatoires menés par les représentants du

3 Bureau du procureur.

4 Maître Greaves objecte au versement de ces pièces au dossier et

5 en demande l'exclusion. Dans leur argument présenté à la Chambre de

6 première instance, Me Greaves a indiqué que les droits de la personne

7 arrêtée, garantis par la loi autrichienne, étaient incompatibles avec les

8 dispositions de l'article 42 du Règlement de preuve et de procédure.

9 Il a ensuite souligné qu'il n'y avait pas de droit plein à la

10 présence d'un avocat et que le droit au silence était assorti de réserve.

11 De même, la disposition encourageant le suspect à avouer serait, d'après

12 Me Greaves, une incitation à parler pour lui garantir une réduction de

13 peine.

14 Notre confrère a fait référence à la loi sur les moyens de

15 preuve de 1984, article 76, qui régit la question des aveux pour

16 l'Angleterre. De plus, il a été argumenté que l'accusé était fatigué lors

17 de l'interrogatoire, l'interrogatoire par le Bureau du procureur ayant

18 continué pendant plus de 5 heures et demie, les interrogateurs se

19 relayant.

20 Il ressort des interrogatoires eux-mêmes que M. Mucic devait

21 être fatigué à la suite de ce processus et que, donc, cette déclaration ne

22 serait pas recevable.

23 De plus, les aspects multiculturels de ces interrogatoires

24 auraient provoqué une certaine confusion dans l'esprit de M. Mucic. Les

25 interrogatoires supposaient des droits trop éloignés, voire

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1 contradictoires selon les systèmes juridiques concernés.

2 Monsieur Abribat reconnaît avoir expliqué les droits du suspect

3 en quelques minutes. Il était inutile de conduire l'interrogatoire en

4 Autriche, alors que la procédure d'extradition avait déjà commencé. Il

5 aurait été plus commode de le faire à La Haye où M. Mucic devait en tout

6 état de cause être extradé.

7 L'accusation n'a pas fourni la preuve du renoncement à la

8 présence d'un avocat. Reste la question de savoir ce qui a été discuté

9 avec M. Abribat.

10 La charge de la preuve incombe à l'accusation, au-delà de tout

11 doute raisonnable. Dans l'ensemble, les déclarations qui seraient versées

12 au dossier doivent être fiables, principe qui a déjà été affirmé dans

13 l'affaire Tadic. Les trois interrogatoires doivent être examinés ensemble

14 aux fins de la reconnaissance de la fiabilité et de la recevabilité de ces

15 éléments de preuve.

16 De son côté, Mme McHenry, au nom de l'accusation, soutient que

17 la charge de la preuve n'est pas le doute raisonnable, cette charge de la

18 preuve, différente selon les pays. L'avocat de l'accusation ne pense pas

19 que les règles de la police autrichienne, pour ce qui est des

20 avertissements à fournir au suspect, soient inadéquates ou incompatibles

21 avec les dispositions existant en matière de droits de l'homme. Il a été

22 dit que la fatigue du suspect n'était pas un facteur qui avait marqué tout

23 l'interrogatoire.

24 Effectivement, M. Mucic n'a jamais indiqué qu'il était fatigué

25 ou épuisé. Il a gardé le contrôle de lui-même durant tout l'interrogatoire

Page 3963

1 et a répondu aux questions.

2 L'avocat de l'accusation soutient que les deux interrogatoires

3 étaient séparés, distincts et effectués par différentes personnes à des

4 fins différentes et à des moments différents. Il faut donc les considérer

5 également séparément pour ce qui est de déterminer la recevabilité des

6 déclarations prises à la suite de ces interrogatoires.

7 Le conseil a fait référence aux témoignages de M. Gschwendt,

8 ainsi que de M. Abribat, cela aurait éclairci toute ambiguïté possible

9 quant à la question d'un entretien préalable entre M. Mucic et M. Abribat.

10 Rien ne prouve que l'intervalle de 20 minutes, après l'audience devant le

11 juge d'instruction, n'ait pas été enregistrée.

12 D'après l'accusation, il n'y a pas eu d'interrogatoire. Monsieur

13 Abribat n'a fait que présenter l'équipe d'enquête. Dans toutes ces

14 circonstances, le Bureau du procureur se serait comporté comme il

15 convenait et en conformité avec la loi.

16 Après avoir considéré tous les arguments en présence, la Chambre

17 de première instance décide ce qui suit.

18 La Chambre de première instance s'inspire de son propre

19 Règlement de procédure et de preuve.

20 En conséquent, tout élément de preuve jugé recevable dans une

21 procédure doit satisfaire au droit incarné par le Règlement de procédure

22 et de preuve.

23 Le Tribunal est établi en vue d’un jugement d'infraction

24 criminelle extrêmement grave.

25 La charge de la preuve est très lourde. Il est universellement

Page 3964

1 reconnu que cette charge de la preuve incombe entièrement à l'accusation

2 qui doit prouver les charges portées contre les accusés au delà de toute

3 raisonnable. Voilà la charge de la preuve requise par la Chambre de

4 première instance.

5 La question posée ici, est celle de la recevabilité des

6 déclarations faites par l’accusé en tant les accusés en temps que suspects

7 devant la police autrichienne et devant le bureau du Procureur.

8 L'avocat de la défense l’a décrite comme une opération unique

9 qui doit être jugée non recevable étant donné que les règles du Tribunal,

10 concernant les interrogatoires des suspects, ont été violées.

11 L'accusation avance, elle, que les deux interrogatoires sont

12 deux interrogatoires distincts à considérer séparément pour ce qui est de

13 la recevabilité et de la fiabilité des déclarations.

14 Il n'est pas contestable que les deux interrogatoires sont des

15 interrogatoires distincts tant sur le plan des faits que sur le plan du

16 droit. L'interrogatoire autrichien est régi par le droit autrichien,

17 tandis que l'interrogatoire mené par le bureau du Procureur est régi par

18 nos propres règles. Il n'y a pas de doute que les règles autrichiennes en

19 la matière sont manifestement différentes, voire incompatibles avec nos

20 propres règles.

21 Le droit au silence et la présence du conseil à

22 l'interrogatoire, et en particulier l’article 42, ne sont pas repris dans

23 les dispositions autrichiennes. Ainsi, il n'est pas dit non plus à

24 l'article 42 qu'on peut suggérer au suspect de passer à des aveux.

25 Par conséquent, du point de vue du droit , si les règles

Page 3965

1 autrichiennes étaient mises à l'aune de l'article 42 elles ne passeraient

2 pas le test.

3 Par ailleurs, il convient d’examiner ensemble les deux

4 interrogatoires. Le témoin aurait été exposé à un interrogatoire d'une

5 longueur qui aurait pu affecter son consentement et sa capacité de

6 répondre aux questions. C'est là cependant une question de fait.

7 Mais la Chambre de première instance prend aussi en

8 considération sa propre expérience et les circonstances entourant

9 l'interrogatoire et juge que là dessus l'accusé n'a pas été affecté par la

10 longueur de l'interrogatoire.

11 Rien ne montre qu'il était affecté par cette longueur, ni même

12 par l’aspect multiculturel de ces interrogatoires. La série

13 d'avertissements qui lui a été faite de la part des enquêteurs, du bureau

14 du Procureur, ont suffit à effacer toute impression ou toute incitation à

15 avouer ce qui aurait pu émergé des propos des enquêteurs autrichiens.

16 Il y a suffisamment d'éléments de preuve indiquant que le

17 suspect a renoncé à son droit à la présence d'un avocat.

18 La Chambre de première instance est donc convaincue que

19 l'interrogatoire de la police autrichienne ne satisfait pas à

20 l'article 42, que ces interrogatoires ne sont pas fiables et ne peuvent

21 être reçus comme éléments de preuve. En revanche, les interrogatoires

22 menées par le bureau du Procureur sont donc pas fiables et recevables.

23 L’interrogatoire est recevable. La valeur probante à attacher à cet

24 interrogatoire sera déterminée sur la base de toutes les autres

25 circonstances dans ces procédures. Voilà notre décision.

Page 3966

1 M. le Président (interprétation). - L’accusation avez-vous

2 quelque chose à dire ? Car, il y a maintenant une demande conjointe à

3 examiner.

4 Mme McHenry (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, deux

5 demandes conjointes sont à examiner concernant le prochain témoin.

6 Je crois comprendre qu'une décision orale serait acceptable. Il

7 s'agit d'une demande conjointe signée par tous les avocats de la défense

8 et par l'accusation visant à ce que la Chambre demande au Greffe de

9 désigner un expert médical impartial pour les deux témoins à venir.

10 M. le Président (interprétation). - Qu’avons-nous ici ?

11 Mme McHenry (interprétation). - Excusez moi, on me dit que vous

12 n'avez pas reçu un exemplaire de la demande introduite pour le témoin C.

13 Je crois que celui-ci va renoncer à ses mesures de protection, mais ce

14 n'est pas chose faite.

15 Il s'agit d'une demande à peu près identique. Nous en avons le

16 texte ici, si vous le souhaitez je peux vous le donner.

17 M. le Président (interprétation). - Vous devez considérer la

18 demande comme acquise étant donné que c'est une demande conjointe de

19 l'accusation et de la défense.

20 Mme McHenry (interprétation). - Merci.

21 Autre chose, nous avons également demandé que soient versés au

22 dossier les interrogatoires de M Landzo et M. Delic, interrogatoires

23 auxquels il a été procédés à La Haye en présence d'un avocat.

24 Je ne suis pas tout à faire sûre comprendre si ces

25 interrogatoires ont déjà été versés au dossier ou non. Dans la mesure ou

Page 3967

1 ce n'est pas tout à fait clair, je voudrais poser la question maintenant

2 pour éclaircir les choses.

3 M. le Président (interprétation). - Je ne suis pas sûr qu'ils

4 aient été reçus. Tous les interrogatoires sont gouvernés par la même

5 règle. Je ne suis pas sûr de leur versement au dossier.

6 Mme McHenry (interprétation). - S'ils n'ont pas été versés au

7 dossier, nous en demandons le versement, car M. D’Hooge, qui a effectué

8 l'interrogatoire, a identifié ces documents, ainsi que les transcriptions

9 des déclarations. Cela a été fait après que l'accusation a été transféré à

10 La Haye.

11 M. le Président (interprétation). - Si je me souviens bien de

12 l'historique de la requête, c'est l'article 73 qui a été invoqué pour la

13 soumission de la demande. La demande a été rejetée, mais cela ne signifie

14 pas que la recevabilité des documents ne soit pas encore contestable.

15 Mme McHenry (interprétation). - Je comprends bien Monsieur le

16 Président, mais j’essaie simplement de suggérer que tous les éléments de

17 preuve, concernant les circonstances des interrogatoires, ainsi que les

18 déclarations elles-mêmes vous ont été soumis. Nous ne demandons pas le

19 versement d'éléments de preuve supplémentaires, étant donné que M. D’Hooge

20 a parlé des circonstances, y compris du fait que les avocats de la défense

21 étaient présents et que les règles du Tribunal ont été entièrement

22 appliquées.

23 M. le Président (interprétation). - Je n'ai pas compris que le

24 témoin déposait propos des autres accusés. Parlait il de tous les

25 accusés ?

Page 3968

1 Mme McHenry (interprétation). - Oui, c'était la semaine

2 dernière. Je pense que les avocats de la défense en conviendront avec moi.

3 L'avocat de la défense était présent à cet interrogatoire. Il

4 était enregistré. Je ne pense donc pas qu'il y ait une controverse quelle

5 qu'elle soit à propos des circonstances. Les témoins ont déposé quant aux

6 circonstances entourant les interrogatoires de M. Landzo et M. Delic. Les

7 avocats de la défense ont procédé aux contre-interrogatoires.

8 M. Moran (interprétation). - Je suis d'accord avec l'exposé des

9 faits tel que le fait Mme McHenry. Je pense que, tant les avocats de

10 M. Delic que ceux de M. Landzo vont devoir simplement s'assurer que le

11 compte rendu est complet et que l'objection faite à ce moment-là a été

12 prise en compte dans le compte rendu.

13 Je ne sais pas si Me Ackerman a quelque chose à ajouter, mais je

14 voudrais simplement que cette objection que nous avions faite à l'époque

15 se trouve bien dans le compte rendu.

16 M. Ackerman (interprétation). - Monsieur le Président, vous vous

17 souviendrez sans doute qu'à la fin de la déposition de M. D'Hooge,

18 l'accusation a présenté les déclarations prises auprès de M. Landzo.

19 A ce moment-là, j'ai demandé que la question soit différée pour

20 que j'ai la possibilité de procéder au contre-interrogatoire et,

21 éventuellement, de soulever des objections.

22 J'ai procédé au contre-interrogatoire, je pense avoir mis à la

23 lumière des éléments de preuve pouvant étayer une objection légitime et je

24 voudrais rapidement défendre cette objection si vous me le permettez.

25 Je suis prêt à le faire.

Page 3969

1 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie.

2 M. Ackerman (interprétation). - Merci. Je voudrais répéter

3 l'argument que j'ai déjà formulé eu égard à une requête que j'ai déposée

4 précédemment dans cette affaire en vue de pouvoir déposer une requête.

5 Souvenez-vous, j'avais alors parlé des différences culturelles

6 et juridiques entre les avocats qui représentaient M. Landzo à l'époque.

7 La déclaration a été faite dans une certaine ignorance des règles de

8 Common Law s'appliquant en la matière. Je n'avais pas d'ordonnance de la

9 Chambre sur cette question, mais il ressortait assez clairement de votre

10 attitude ce que vous en pensiez. Je voudrais simplement, à des fins de

11 référence, reprendre cet argument dans mon plaidoyer d'aujourd'hui.

12 Deuxième chose, à la page 3 de la version anglaise de

13 l'interrogatoire de M. Landzo, M. D'Hooge, c'est tout au début, fait la

14 déclaration suivante : "J'ai demandé à l'interprète de ne pas interpréter

15 chaque mot que je prononçais, en particulier lorsque nous parlions des

16 questions de fond", et vous vous souviendrez que j'ai posé des questions

17 aussi sur ce plan lors du contre-interrogatoire.

18 Je suis intervenu assez tard dans cette affaire. Je l'ai rappelé

19 récemment et j'ai appris que la position de la Chambre était que les

20 règles étaient appliquées de façon assez stricte. Les règles de la Chambre

21 s'appliquent de façon assez stricte, je n'ai pas été autorisé, en

22 conséquence, à déposer une requête qui visait à soulever de nouvelles

23 objections à cette déclaration.

24 Je pense que la règle doit sans doute effectivement s'appliquer

25 de façon assez stricte et si tel est bien le cas, cette déclaration "j'ai

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1 demandé à l'interprète de ne pas interpréter chaque mot que je prononçais

2 en particulier pour ce qui est du contexte", est en violation complète

3 avec les articles 42 et 43. On peut régler le problème, je pense, mais il

4 ne l'a pas été, à ce stade.

5 L'accusation n'a pas cité tous les témoins nécessaires pour

6 l'étayer. Permettez-moi de m'expliquer, c'est un peu compliqué.

7 Si l'interprète, j'anticipe les arguments de Mme McHenry, ne

8 doit pas interpréter chaque mot, l'existence d'un compte rendu

9 contemporain en serbo-croate ne résout pas le problème car la question qui

10 se pose est de savoir si les questions posées par M. D'Hooge en anglais

11 ont été traduites en serbo-croate dans les mêmes termes.

12 La question que posait M. D'Hooge en anglais était comprise par

13 M. Landzo dans sa traduction serbo-croate et la réponse qu'il donnait

14 était donc interprétée de nouveau vers l'anglais est portait sur la

15 question posée en anglais au départ.

16 C'est là qu'il y a un défaut. En aucune manière M. D'Hooge, il

17 l'a reconnu lors du contre-interrogatoire, ne pouvait comprendre le serbo-

18 croate. Il est incapable de nous dire -et l'est toujours aujourd'hui- ce

19 que l'interprète aurait pu omettre dans son interprétation, quels termes

20 l'interprète aurait pu omettre, en particulier pour ce qui est du

21 contexte.

22 "N'interprétez pas chaque mot que je prononce, en particulier

23 pour ce qui est du contexte". Il est impossible de savoir, alors, si

24 l'interprète a effectivement traduit ce que l'interrogateur a dit. Il se

25 peut que des éléments importants aient été oubliés dans les questions

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1 posées.

2 Peut-être les questions ont-elles été très rétrécies et, au

3 contraire, il se peut que la traduction ait été très fidèle et que rien

4 n'ait été oublié. Il peut y avoir eu une interprétation complète.

5 La seule façon de le savoir est de citer l'interprète à

6 comparaître à la barre des témoins. Si l'interprète vient ici et nous

7 dit : "J'ai examiné la cassette en serbo-croate et comparé cela avec les

8 traductions et j'ai pu constater que toutes les questions posées ont été

9 entièrement interprétées et que toutes les réponses données ont été

10 entièrement interprétées", je n'aurais alors plus d'objection car les

11 articles 42 et 43 auraient été alors entièrement appliqués.

12 Je ne veux donc pas dire qu'il y ait un défaut systématique. Je

13 pense plutôt à un défaut provisoire, temporaire qui pourrait être réglé.

14 La seule façon de le savoir est que l'accusation fasse comparaître

15 l'interprète. Cela prendra peut-être cinq minutes. Nous pourrons dire :

16 "Avez-vous examiné les comptes rendus ?"

17 Si la réponse est : "Oui", et si rien n'a été oublié, nous

18 serons tous convaincus, alors, que l'interrogatoire a été mené

19 conformément au règlement. Sans cela, il impossible de se prononcer.

20 M. le Président (interprétation). - Avez-vous demandé à

21 M. D'Hooge ce qu'il considérait comme des informations liées au contexte ?

22 Car il a défini ce qu'il entendait ne pas entendre interpréter

23 complètement, à savoir les informations liées au contexte. Lui avez-vous

24 demandé de quoi il s'agissait.

25 M. Ackerman (interprétation). - Je ne me rappelle pas lui avoir

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1 posé une question dans ce sens.

2 M. le Président (interprétation). - Parce que, bien sûr, il

3 s'agit d'une restriction dans la définition.

4 M. Ackerman (interprétation). - Avec le respect que je dois au

5 Tribunal, entre ce que lui entendait dans ce qu'il a dit et ce que

6 l'interprète a pu entendre, il peut y avoir eu une différence.

7 M. D'Hooge ne peut pas nous dire de quelle façon l'interprète a

8 pu comprendre ce qu'il a dit. La seule chose qu'il peut nous dire, c'est

9 ce qu'il entendait lui-même dire par ces mots.

10 Il n'a aucun moyen de nous dire ce que l'interprète a compris

11 dans ce qui lui a été dit puisqu'il ne connaît pas un mot de serbo-croate

12 et n'a pas pu constater de quelle façon l'interprète a appliqué ses

13 instructions.

14 M. le Président (interprétation). - Mais cela, c'est si toute

15 interprétation doit être faite mot pour mot.

16 M. Ackerman (interprétation). - Non. S'il a dit ne traduisez

17 pas...

18 M. le Président (interprétation). - ...Même en tenant compte de

19 ce que vous dites, pensez-vous qu'une interprétation se fait mot pour mot,

20 littéralement ? Elle ne se fait pas comme cela.

21 M. Ackerman (interprétation). - Oui, mais il a demandé à

22 l'interprète : "N'interprétez pas chaque mot", notamment en ce qui

23 concerne le contexte.

24 Ce que je dis, simplement, c'est que nous ne savons pas comment

25 l'interprète a interprété cette instruction et la seule façon de le savoir

Page 3973

1 est de le lui demander.

2 M. le Président (interprétation). - Mais dans ces conditions,

3 nous devrons chaque fois appeler l'interprète et la citer à comparaître

4 car, pratiquement, chaque témoin aura un interprète qui sera en cause.

5 M. Ackerman (interprétation). - Je vous en prie, Monsieur le

6 Président, je ne suis pas du tout en train de proposer que les

7 interprétations fassent l'objet d'une vérification et d'une surveillance

8 en chaque occasion.

9 La seule fois où cela peut être demandé, c'est lorsque

10 l'interprète a reçu une instruction qui s'écarte de ce qui constitue le

11 travail normal de l'interprète. Nous comprenons tous ce qu'est le travail

12 normal d'un interprète. Mais lorsque la personne chargée de

13 l'interrogatoire, au début de la déposition, dit à l'interprète :

14 "N'agissez pas comme vous le faites d'habitude ; nous sommes pressés, nous

15 n'avons pas de temps. Donc n'interprétez pas chaque mot, notamment

16 s'agissant du contexte", à moins de pouvoir être assuré que M. Landzo a

17 bien compris dans sa langue à lui les questions que M. D'Hooge lui posait

18 en anglais, nous ne pouvons pas être certains que les réponses apportées à

19 ces questions puissent être effectivement liées au contenu de la question.

20 La question que je soulève ici ne consiste pas à exiger de

21 contester l'interprétation de tous les interprètes qui ont travaillé au

22 tribunal et de citer tous les interprètes à comparaître pour vérifier le

23 contenu de leur interprétation. Je suis ici dans une situation où il a été

24 dit à l'interprète : "N'agissez pas comme vous le faites d'habitude, ne

25 travaillez pas comme vous travaillez d'habitude mais faites-le autrement.

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1 N'interprétez pas chaque mot, notamment lorsqu'il s'agit du contexte".

2 Voilà l'argument que je voulais présenter. Je vous demande d'en

3 tenir compte.

4 Mme McHenry (interprétation). -. Pourrais je brièvement

5 répondre ? Comme je pense que chacun ici le comprend, les enregistrements

6 qui ont été faits reproduisent le serbo-croate qui a été parlé à M. Landzo

7 ; c'est ce qui est important. Monsieur D'Hooge ne parle pas serbo-croate,

8 mais il a dit dans sa déposition qu'il a vérifié, après la fin de

9 l'interrogatoire, que la section chargée de l'interprétation au tribunal a

10 bien comparé le contenu de la cassette vidéo du compte rendu et de

11 l'interprétation. Et la section chargée de la traduction nous a dit que

12 tout était fidèle et qu'il n'y avait aucun problème, donc qu'il y a eu

13 respect du règlement.

14 Bien sûr, Monsieur le Président, si vous voulez le vérifier,

15 vous pouvez le faire et reposer la question à la section d'interprétation.

16 Mais étant donné les éléments qui ont été stipulés ici dans le cours des

17 dépositions quant au fait que la transcription du serbo-croate reflète

18 fidèlement ce qui figure sur la cassette vidéo, et que l'interprétation de

19 l'interprète a été précise et fidèle, je pense que ces preuves sont

20 suffisantes, et qu'elles sont même plus que suffisantes.

21 Par conséquent, nous soulignons que la cassette vidéo a

22 immédiatement été fournie au conseil de la défense. Nous soulignons

23 également que le conseil de la défense, qui était présent, parle anglais

24 et a compris le contenu de l'interrogatoire en serbo-croate.

25 Monsieur D'Hooge a dit dans sa déposition que la section chargée

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1 de l'interprétation a déjà vérifié le contenu du compte rendu et de la

2 cassette vidéo ; que ces deux contenus coïncidaient. Je crois que c'est

3 plus que suffisant. Je vous remercie.

4 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup.

5 M. Ackerman (interprétation). - Quelques mots encore, Monsieur

6 le Président.

7 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie.

8 M. Ackerman (interprétation). - Peut-être que lorsque j'aurai vu

9 le compte rendu, ce que je dis s'avérera faux, mais je ne crois pas.

10 Monsieur D'Hooge, si j'ai bien compris, a eu une version anglaise du

11 compte rendu et a pensé que cette version anglaise reprenait bien et

12 fidèlement ce qui s'était passé.

13 Mais je dis que cela ne signifie pas... J'ai vraiment

14 l'impression qu'il y a impossibilité de communiquer ici. Je ne semble pas

15 me faire comprendre. Je ne suis pas en train de dire qu'il n'y a pas eu de

16 compte rendu immédiat fait en serbo-croate. Ce que je dis, c'est que la

17 seule personne impliquée dans cette affaire qui sait si les questions en

18 anglais ont bien été interprétées à M. Landzo, et que donc les réponses

19 fournies par M. Landzo répondaient bien aux questions qui lui étaient

20 posées, cette personne est l'interprète, ou n'importe quelle autre

21 interprète qui pourrait jeter un coup d'oeil sur les deux documents et

22 nous dire qu'ils concordent.

23 Mme McHenry (interprétation). - Me permettez vous, Monsieur le

24 Président, je vous prie, simplement de donner lecture d'une question

25 puisque M. Ackerman ma invitée à le faire si je trouvais cette question.

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1 La question que j'ai posée à M. D'Hooge était la suivante :

2 "Monsieur, puis-je vous demander si vous savez si oui ou non la section

3 chargée de l'interprétation au tribunal a comparé les versions anglaise et

4 Serbo-croate du compte rendu et de la vidéo de façon à s'assurer que le

5 compte rendu était bien fidèle et précis ?". Réponse : "Oui".

6 M. le Président (interprétation). - Et bien, je suppose que cela

7 devrait répondre à votre préoccupation. Votre argument a consisté à dire

8 que vous n'étiez pas sûr que l'interprète avait interprété tout ce que

9 M. D'Hooge disait en anglais, que tout cela n'avait pas été interprété en

10 serbo-croate à cause de l'instruction qu'il avait donnée.

11 M. Ackerman (interprétation). -- C'est ma position en effet. Je

12 suis d'accord que le compte rendu me donne tort dans la question et la

13 réponse qui viennent d'être lues.

14 M. le Président (interprétation). - Y a-t-il confusion au sujet

15 de l'interprétation ? Personne jusqu'à présent n'a contesté

16 l'interprétation.

17 M. Ackerman (interprétation). - Ce que je conteste, c'est

18 l'instruction qui a été donnée à l'interprète, à savoir ne pas interpréter

19 chaque mot, notamment lorsqu'il s'agit du contexte parce que cela va à

20 l'encontre de notre règlement.

21 M. le Président (interprétation). - Et bien, n'interprétez pas

22 cela. Si le règlement a été violé, il a été violé. La violation réside

23 dans l'instruction donnée. Donc, l'important n'est pas de savoir si

24 l'instruction a été appliquée ou pas en fait.

25 Nous comprenons bien ce que vous avez dit et nous tenterons de

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1 statuer sur votre demande.

2 M. Moran (interprétation). - Monsieur le Président, tout comme

3 Me Ackerman, j'ai déposé une requête en vertu de l'article 73 C. Je n'ai

4 pas reçu de réponse.

5 Je ne vais pas discuter la décision à venir du Tribunal. J'ai

6 une idée de ce qu'elle sera, mais je voudrais m'assurer en quelques

7 instants, si vous me le permettez, qu'aucune erreur n'a pu être faite. Je

8 pense qu'il me faut quelques minutes d'argumentation et quelques minutes

9 pour présenter mes objections quant à la recevabilité de la déposition de

10 M. Delic.

11 Pour l'essentiel, l'affirmation faite et étayée par une

12 déposition signée de M. Delic, c'est qu'il n'a pas renoncé de façon

13 informée et volontaire à son droit au silence. Comme le Tribunal se le

14 rappellera, il avait un conseil assis à ses côtés lorsqu'il a fait cette

15 déposition enregistrée, et personne n'a laissé entendre que le règlement,

16 à savoir les articles 42 et 43, n'ont pas été respectés.

17 Cependant, le droit à l'assistance d'un conseil - qui est

18 garanti par notre statut, qui est garanti par la Convention européenne des

19 Droits de l'homme, et que je trouve également mentionné à l'article 8 de

20 la Convention interaméricaine des Droits de l'homme - je dirais qu'il fait

21 plus que simplement garantir la présence d'un avocat, c'est-à-dire la

22 présence de quelqu'un qui a le droit de pratiquer le droit à un endroit

23 précis.

24 Cette disposition prévoit le droit de disposer d'un avocat

25 connaissant le droit appliqué. Le juge Jan a dit quelque chose ce matin

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1 que je ne connaissais pas au sujet du droit au Pakistan.

2 M. Jan (interprétation). -Une déclaration faite par un accusé

3 devant la police est recevable en tant qu'élément de preuve.

4 M. Moran (interprétation). - Monsieur le Président, c'est la

5 même chose s'agissant, si j'ai bien compris, du droit en Yougoslavie.

6 Aujourd'hui, je suis du même système juridique que le vôtre. Pour

7 l'essentiel, nous parlons - et le juge Kariby-White également - tous les

8 trois le même langage juridique avec les mêmes nuances, les mêmes

9 difficultés. Et à l'évidence, en dépit des différents pays dont nous

10 venons, je dirai que nous avons des bases communes.

11 Et puis, tout d'un coup, je me trouve en face de quelqu'un qui

12 vient du Pakistan et qui représente quelqu'un soupçonné d'un délit, qui

13 est interrogé par la police. J'ai les genoux qui tremblent car j'ai peur

14 de l'entendre dire : "Ne parlez pas parce que le droit américain et très

15 très différent du droit pakistanais". Par ailleurs, un juriste très

16 compétent du Pakistan, qui arrive à Houston, Texas, pour représenter un

17 accusé, pourrait dire : "Allez-y, parlez à l'officier untel parce qu'il ne

18 peut pas utiliser cette déclaration contre vous."

19 La question devient alors : Est-ce renoncer de façon informée à

20 son droit au silence si ce renoncement repose sur l'avis d'une tierce

21 personne ? Je propose qu'un tribunal pourrait estimer qu'une telle

22 renonciation n'est pas suffisamment informée, n'est pas suffisamment

23 volontaire, car cela ne fait que signifier en fait : "Et bien, allez-y, je

24 parlerai si vous m'y contraignez".

25 M. le Président (interprétation). - Préfériez vous qu'une erreur

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1 ait été commise ?

2 M. Moran (interprétation). - Une renonciation à l'erreur.

3 M. le Président (interprétation). - Non pas qu'il ait dit... Ce

4 n'est pas qu'il a dit qu'il renonçait parce qu'il pensait pouvoir faire

5 mieux à l'avenir.

6 M. Moran (interprétation). - Monsieur le Président, je pense que

7 c'est une façon correcte d'agir. La connaissance que nous avons aux Etats-

8 Unis signifie que l'on comprend les conséquences de sa renonciation.

9 Encore une fois, il ne s'agit pas d'une renonciation par erreur.

10 Je pense que, étant donné les positions écrites de M. Delic faites au

11 tribunal, qui sont annexées à ma requête en vertu de l'article 73, étant

12 donné la législation en vigueur en Yougoslavie, en vertu de l'article 73,

13 étant donné la législation en vigueur en Yougoslavie, le genre de conseil

14 qu'on peut donner à quelqu'un connaissant bien le système utilisé par le

15 Tribunal, c'est de parler au moment où ils sont interrogés, de parler

16 franchement aux enquêteurs du Tribunal et de ne pas penser que le droit

17 appliqué sera le même que le droit yougoslave ou pakistanais. Le conseil

18 au client doit reposer sur cet fait.

19 M. Jan (interprétation). - Je ne doute pas de la compétence du

20 conseil que M. Delalic avait à l'époque, mais je suis sûr que tout juriste

21 qui a vu le Règlement du Tribunal ne peut que lui donner un avis justifié.

22 Il est dit dans le compte rendu de la déposition qu'il a été informé du

23 fait que les éléments de preuve pouvaient être retenus contre lui, que

24 cette déposition pouvait être considérée comme un élément de preuve retenu

25 contre lui. Tout juriste aura lu le règlement avant de lui donner un

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1 conseil.

2 Je ne doute pas de la compétence de son conseil. C'est sûrement

3 un conseil qui a une longue pratique, qui a lu le Règlement. Ce Règlement

4 signifie clairement que cette déposition peut être utilisée contre son

5 client.

6 M. Moran (interprétation). - Je dis simplement que je ne me

7 concentre pas sur le conseil à ce stade. Je disais...

8 M. Jan (interprétation). - Je pense que votre argument au sujet

9 du conseil n'est pas conforme.

10 M. Moran (interprétation). - Je pense que le conseil et tout ce

11 que le conseil a pu dire à son client a dû lui faire comprendre et doit

12 être considéré en fonction du droit que les différentes personnes

13 connaissent.

14 M. le Président (interprétation). - De temps en temps, nous

15 avons à réfléchir à cela vous savez. Considériez-vous une erreur juridique

16 comme une excuse dans ce cas ?

17 M. Moran (interprétation). - En tant que défense, Monsieur le

18 Président ?

19 M. le Président (interprétation). - Dans ce cas précis, oui.

20 M. Moran (interprétation). - Dans ce cas précis, je n'y ai pas

21 encore réfléchi de façon approfondie. A mon avis, ce serait une erreur

22 juridique, ce serait une défense absolue par rapport à un délit.

23 M. le Président (interprétation). - Maintenant, vous avez

24 ajouté le mot "raisonnable".

25 M. Moran (interprétation). - Monsieur le Président, je suis

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1 assis à côté d'un professeur de droit qui a probablement une bonne

2 connaissance de ce genre de problème. Il pourrait vous dire : "modifions

3 les faits". L'article du Règlement que j'utilise n'est pas une erreur.

4 S'il y a erreur raisonnable sur le droit, alors c'est une erreur qui

5 repose sur...

6 M. le Président (interprétation). - Il s'agit de la

7 connaissance du droit devons vous faites un facteur pertinent.

8 M. Moran (interprétation). - S'il y a décision du Tribunal ou

9 un statut ou quelque chose comme cela qui me permettrait de penser que

10 j'ai le droit de faire tel ou tel acte, d'emporter cet ordinateur chez moi

11 et qu'il s'avère à la fin que je ne sois pas coupable d'un délit, parce

12 que je me suis appuyé sur une ordonnance de la Chambre d'instance me

13 permettant d'emporter cet ordinateur chez moi, et même si le greffe

14 pouvait s'en plaindre par la suite.

15 M. le Président (interprétation). - Cela ne serait pas une

16 erreur si vous disiez que vous aviez une ordonnance à l'appui de ce que

17 vous avez fait. Mais il faudrait qu'il y ait une ordonnance.

18 M. Moran (interprétation). - Quand nous parlons de renonciation

19 à un droit, nous avons à examiner si cette renonciation est informée, si

20 la personne savait à quoi elle s'exposait.

21 M. le Président (interprétation). - Je suis d'accord. Une

22 personne ne renonce pas à quelque chose à moins de savoir à quoi elle

23 s'expose. C'est la sens même de cette action, c'est la seule condition à

24 laquelle on peut renoncer.

25 M. Moran (interprétation). - La conséquence d'une renonciation

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1 doit être reconnue. Je propose, de la façon dont ceci a été appliqué à

2 M. Delalic, bien que je ne sois pas en train de présenter des arguments en

3 lieu et place de quelqu'un qui serait mieux habilité à le faire, personne

4 n'accuse le Bureau du procureur d'avoir fait quoi que ce soit de mal. Je

5 ne pense pas que je sois en train de le faire non plus.

6 Je suggère que son avocat s'est trouvé plongé dans une situation

7 régi par un système juridique qui est tout à fait différent de celui qu'il

8 connaissait. C'est la première fois qu'il voyait un tel règlement. Je suis

9 très habitué, pour ma part, à ce genre de règlement, du moins dans son

10 aspect général. Mais quelqu'un qui vient d'un pays qui a un système

11 juridique complètement différent, un juriste, un avocat et un client

12 habitué à des systèmes juridiques complètement différents, encore une fois

13 je dis que cela serait peut-être une base suffisante pour mon objection

14 vis-à-vis de la recevabilité.

15 Ce serait peut-être une bonne idée que la Chambre d'instance

16 statue sur ma requête en vertu de l'article 73 du Règlement.

17 M. Jan (interprétation). - N'anticipez pas.

18 M. Moran (interprétation). - Si par chance je devais me

19 tromper, je serais tout à fait heureux de l'admettre. Si j'ai raison, je

20 ne souhaiterais pas que la Chambre d'instance pense que je présente mes

21 arguments après qu'elle ait statué. Dès qu'une décision est prise; il faut

22 l'appliquer. Je remercie la Chambre d'instance.

23 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup, c'est très

24 intéressant. Nous examinerons vos arguments.

25 M. Greaves (interprétation). - Je ne sais pas si vous aimeriez

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1 que je vous apporte quelque assistance quant à la connaissance ou à

2 l'ignorance du droit britannique, qui est différent de celui de M. Moran.

3 L'ignorance du droit en Angleterre n'est pas un délit, même si elle peut

4 donner lieu à circonstances atténuantes, ce qui je pense est une position

5 un peu différente de celle de mon compétent confrère vient de vous

6 présenter pour son système juridique. Je pense que c'est plus compatible

7 avec les systèmes juridiques dont proviennent M. le Président et le

8 Juge Jan.

9 Je vois que Mme Odio-Benito semble d'accord également.

10 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président, je

11 voudrais répondre brièvement. Je remarque également qu'une décision orale

12 peut être prise au sujet de l'article 73, mais je me trompe peut-être. En

13 tout cas, l'accusation estime qu'il est hors de question que l'accusé

14 n'ait pas compris quels étaient ses droits ainsi que les conséquences que

15 pouvait avoir pour lui le fait de renoncer à ses droits. Nous estimons que

16 toute prétention toute intention de prétendre le contraire serait

17 franchement incroyable.

18 Nous ne pensons pas que la défense devrait être autorisée à

19 présenter des allégations vagues quant à ce qui peut ou ne peut pas avoir

20 été dit à l'accusé, quant à ce dont il a pu ou n'a pas pu être informé

21 dans sa langue ou dans une autre langue au sujet de ses droits, notamment

22 au sujet du droit au silence qui devait et pouvait être utilisé contre

23 lui. Je ne pense pas qu'il y ait eu malentendu quant aux conséquences très

24 claires de cette disposition très simple.

25 Le conseil de la défense et l'accusé lui-même ont eu la

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1 possibilité de poser des questions s'ils n'avaient pas bien compris. Ils

2 ne l'ont pas fait. Nous notons également, bien que nous pensons que ce ne

3 soit pas nécessaire, que le langage très clair des articles du règlement

4 doit prévaloir et établir clairement que l'accusé, qui est compétent sur

5 le plan mental, a compris exactement ce qu'il faisait en juin 1996 avant

6 le premier interrogatoire

7 Par exemple, la défense de M. Delalic avait déjà déposé une

8 requête cherchant à exclure la déposition préalable de M. Delalic en

9 établissant clairement qu'elle avait compris que les dépositions des

10 accusés pouvaient être utilisées contre eux au cours d'un procès.

11 Au début du mois de décembre, avant le deuxième interrogatoire

12 de M. Delic, l'accusation a en fait envoyé à la défense, et notamment à

13 celle de M. Delic, une lettre dans laquelle nous disions formellement que

14 nous utiliserions les dépositions de tous les accusés en tant qu'éléments

15 de preuve à leur encontre si telle était notre intention.

16 Si bien que nous n'estimons pas qu'il puisse être prétendu que

17 l'accusé n'a pas compris exactement ce qu'il faisait.

18 Le Règlement a totalement été respecté, c'est un élément de base

19 que les dépositions sont recevables et nous estimons que les faits et les

20 circonstances appuient également la recevabilité de ces dépositions.

21 Merci.

22 M. Moran (interprétation). - Monsieur le Président, je pense que

23 j'ai établi mes arguments et que la Chambre d'instance a compris mon point

24 de vue. S'il y a les moindres questions, je serai heureux d'y répondre.

25 S'il n'y en a pas, je vais me rasseoir.

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1 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup. Je ne vais

2 pas vous faire perdre votre temps. Je vais faire en sorte que vous n'ayez

3 pas les mêmes préoccupations pour tous les témoins.

4 Je statuerai en vous disant que je recevrai les dépositions en

5 tant qu'éléments de preuve, mais comme je l'ai dit au moment de ma

6 dernière décision, toutes les dépositions seront examinées au vu des

7 autres circonstances qui peuvent influer sur la façon dont leur

8 recevabilité est appréciée.

9 Le fait de les recevoir en tant qu'éléments de preuve ne

10 signifie rien en ce qui concerne l'appréciation de la véracité de ce

11 qu'elles contiennent. Nous examinerons également si elles satisfont aux

12 exigences du Règlement.

13 M. Moran (interprétation). - Oui. Monsieur le Président. Je

14 souhaite remercier la Chambre d'instance pour avoir tenu compte de nos

15 arguments. Je tiens à souligner que la façon dont la Chambre d'instance à

16 statué sur un certain nombre de choses dans la période récente est

17 vraiment une attitude que devraient adopter de nombreux tribunaux.

18 Vous acceptez d'y regarder à deux fois quant à la recevabilité

19 des éléments de preuve déjà admis.

20 M. le Président (interprétation). - Nous tenons compte de tout.

21 Ce n'est pas notre dernier mot. Je maintiens ce que j'ai dit. Je n'ai pas

22 encore dit mon dernier mot.

23 Simplement parce qu'une déposition est admise, cela ne signifie

24 pas que sa véracité soit avérée.

25 M. Moran (interprétation). - Je souhaite franchement que les

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1 tribunaux du système d'où je viens adoptent la même attitude éclairée que

2 cette Chambre d'instance et qu'ils y regardent toujours à deux fois quant

3 à la recevabilité des éléments de preuve.

4 M. Jan (interprétation). - Vous établissez une distinction entre

5 la recevabilité et la valeur probante ?

6 M. le Président (interprétation). - La valeur probante doit être

7 déterminée après avoir tenu compte de tous les éléments de preuve.

8 M. Moran (interprétation). - C'est vrai quelque chose de

9 recevable n'a pas de valeur probante automatiquement.

10 M. Jan (interprétation). - Nous n'avons pas encore statué sur ce

11 point.

12 M. le Président (interprétation). - Il faut apprécier tous les

13 autres facteurs.

14 M. Moran (interprétation). - Comme je l'ai dit, cette Chambre

15 d'instance semble avoir une position tout à fait éclairée sur tous ces

16 sujets. Je voudrais en voir davantage qui agissent de la sorte.

17 M. Jan (interprétation). - Ne nous félicitez pas encore, parce

18 que vous anticipez sur notre décision.

19 M. Moran (interprétation). - Je n'ai pas bien compris.

20 M. Jan (interprétation). - Vous ne devez pas anticiper sur notre

21 décision.

22 M. Moran (interprétation). - J'ai été formé à une faculté de

23 droit où nous devons essayer de deviner ce que vont faire les juges. J'ai

24 pensé que j'avais bien deviné.

25 M. Greaves (interprétation). - Il est toujours difficile de

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1 décider à l'avance ce que les jurys pensent. C'est un art très raffiné.

2 M. le Président (interprétation). - Je suppose que c'est tout

3 sur ce point.

4 Mme McHenry (interprétation). - Nous avons un témoin. Si

5 M. le Président nous autorise à l'appeler, nous pouvons le faire entrer.

6 M. le Président (interprétation). - Entendons le prochain

7 témoin.

8 Mme McHenry (interprétation). - L'accusation appelle M. Dordic

9 (Le témoin, M. Dordic, est introduit dans la salle.)

10 M. le Président (interprétation). - Veuillez faire prêter

11 serment au témoin.

12 M. Dordic (interprétation). - Je déclare solennellement que je

13 dirai la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité.

14 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, voulez-vous nous

15 donner votre identité complète, s'il vous plaît ? Le témoin ne semble pas

16 entendre. M'entendez-vous ?

17 Le Témoin (interprétation). - Je n'entends pas.

18 Mme McHenry (interprétation). - Est-ce que vous m'entendez

19 maintenant ?

20 Le Témoin (interprétation). - Oui, Madame McHenry.

21 Mme McHenry (interprétation). - Voulez-vous nous donner votre

22 identité complète ?

23 M. Dordic (interprétation). - Je m'appelle Novica Dordic.

24 Mme McHenry (interprétation). - Est-il vrai que vous n'avez

25 demandé aucune mesure de protection eu égard à votre déposition

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1 d'aujourd'hui, en d'autres termes que vous acceptez que votre nom soit

2 divulgué ?

3 M. Dordic (interprétation). - Oui.

4 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, lorsque vous répondez

5 à mes questions je vous demanderai de parler très lentement et je vous le

6 rappellerai sans doute durant votre déposition.

7 Quel âge avez-vous, Monsieur ?

8 M. Dordic (interprétation). - J'ai 28 ans.

9 Mme McHenry (interprétation). - Quelle formation scolaire

10 avez-vous reçue ?

11 M. Dordic (interprétation). - J'ai terminé le cycle secondaire.

12 Mme McHenry (interprétation). - Quelle est votre origine

13 ethnique ?

14 M. Dordic (interprétation). - Serbe.

15 Mme McHenry (interprétation). - Au début de 1992, où vous

16 viviez-vous ?

17 M. Dordic (interprétation). - J'habitais le village de Zukici,

18 près de Konjic.

19 Mme McHenry (interprétation). - Quelle était votre profession ?

20 M. Dordic (interprétation). - Je travaillais dans les chemins de

21 fer à Sarajevo, section de Bradina. Je travaillais aux chemins de fer dans

22 les services de Sarajevo au département de Bradina.

23 Mme McHenry (interprétation). - Avez-vous jamais quitté Zukici ?

24 Avez-vous arrêté de vivre à Zukici ?

25 M. Dordic (interprétation). - Je travaillais à Bradina et

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1 j'allais régulièrement travailler tant qu'il y a eu des transports, tant

2 que les transports fonctionnaient. J'ai quitté Zukici vers le 24 avril

3 parce qu'il était devenu dangereux de rester à Zukici. Je suis alors allé

4 à Bradina.

5 Mme McHenry (interprétation). - En mai 1992, y avait-il des

6 opérations militaires à Bradina ?

7 M. Dordic (interprétation). - A Bradina, des opérations

8 militaires...

9 Les problèmes avaient déjà commencé à Sarajevo et à Mostar. Je

10 ne sais pas moi-même ce qui se passait, une espèce de guerre. Il y avait

11 des combats. Je ne sais pas pour quelle raison. Tous les gens ont rallié

12 leur groupe ethnique. C'est comme cela que je suis allé à Bradina. De

13 même, les forces serbes, croates et musulmanes se séparaient. Il n'y avait

14 plus de communication entre les groupes ethniques comme auparavant, il n'y

15 avait plus de contact entre les gens d'ethnies différentes. Les gens se

16 séparaient.

17 M. Moran (interprétation). - La question portait sur les

18 opérations militaires à Bradina en mai 1992.

19 Mme McHenry (interprétation). - Je pense que le témoin en arrive

20 à sa réponse à la question que j'ai posée.

21 Après ce que vous venez de décrire, étiez-vous au fait

22 d'opérations militaires, d'attaques, d'opérations de défense ou de combats

23 à Bradina en mai 1992 ?

24 M. Dordic (interprétation). - Il y a eu des opérations en bas de

25 Bradina, au niveau du tunnel de chemin de fer. Je ne sais pas exactement

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1 la date, mais ce tunnel a explosé -on a fait exploser ce tunnel- et cela a

2 accru les tensions dans l'ensemble de la municipalité.

3 Personnellement, j'étais encore à Zukici à ce moment-là et j'ai

4 vu le tunnel. J'étais avec quelqu'un de ma famille près du tunnel, près de

5 la voie de chemin de fer, à 250 ou 300 m du tunnel. Dans la soirée, un

6 véhicule est venu.

7 A ce moment-là, il n'y avait plus de mouvement de véhicules, en

8 particulier la nuit. Ainsi donc, des véhicules sont venus. Il faisait

9 noir. Ils sont entrés dans le tunnel. Nous nous regardions pour voir ce

10 qui était en train de se passer car il y avait quatre ou cinq véhicules en

11 mouvement. Ils sont arrivés au tunnel, ils ont éteint leurs lumières, nous

12 les avons regardés, nous ne pouvions voir que les lumières.

13 A un moment donné, deux ou trois véhicules sont repartis et puis

14 quelque chose de terrible s'est passé. Il y a eu une lumière aveuglante et

15 une terrible explosion qui venait sans doute de l'un des véhicules sur la

16 voie de chemin de fer, en bas.

17 Mme McHenry (interprétation). - Après l'explosion du tunnel, y

18 a-t-il eu d'autres opérations militaires à Bradina même ?

19 M. Dordic (interprétation). - A Bradina, les gens étaient

20 affolés après cela. Les gens qui avaient des postes de radio, des

21 transistors à piles, écoutaient la radio de Konjic. Il n'y avait plus

22 d'électricité. C'est nous qui étions accusés d'avoir fait sauter le

23 tunnel.

24 Mme McMurrey (interprétation). - Le témoin ne répond pas à la

25 question de savoir s'il y a eu d'autres opérations militaires. Il se lance

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1 dans un discours tout à fait différent.

2 Mme McHenry (interprétation). - A ce stade, il n'est pas

3 nécessaire de décrire le contexte. Veuillez simplement me dire si, à un

4 moment donné, pour telle ou telle raison, il y a eu des actions

5 militaires. Le village a-t-il été attaqué ou des forces se sont-elles

6 engagées dans quelque combat que ce soit, dans des pilonnages ou des tirs.

7 Mme McMurrey (interprétation). - Nous n'avons pas d'objection à

8 ce que Mme McHenry guide le témoin, en l'occurrence, dans ses questions.

9 M. le Président (interprétation). - Vous voulez limiter vos

10 questions à Bradina ? Le voulez-vous ?

11 Mme McHenry (interprétation). - Oui.

12 M. le Président (interprétation). - Alors n'élargissez pas les

13 questions, contentez-vous de Bradina.

14 M. Jan (interprétation). - Cela élargirait la portée du

15 contre-interrogatoire.

16 Mme McHenry (interprétation). - Merci, Monsieur le Président de

17 l'avertissement.

18 Concernant Bradina uniquement, Monsieur, y a-t-il un moment où

19 des combats ont eu lieu, des tirs ou des pilonnages ?

20 M. Dordic (interprétation). - Oui, je voulais simplement vous

21 donner quelques détails. Il y a eu des combats sur la colline de Velika le

22 13 mai, si je me souviens bien de la date. C'est une colline près de

23 Bradina. Il y a eu des tirs. Qui tirait sur qui ? Je n'en sais rien. Je

24 sais simplement que nous avons eu des nouvelles comme quoi nous allions

25 être attaqués, que nous devions nous défendre et que tous ceux qui avaient

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1 des armes devaient se rendre là. Cela a duré pendant environ 2 jours.

2 Ensuite, la situation s'est calmée jusqu'au 25 mai.

3 Mme McHenry (interprétation). - Très rapidement, Monsieur, que

4 s'est-il passé le 25 mai ?

5 M. Dordic (interprétation). - Le 25 mai, dans l'après-midi, je

6 ne sais pas à quelle heure précisément, les combats ont repris sur cette

7 même colline et des obus ont commencé à tomber sur Bradina. Cela a duré

8 pendant tout l'après-midi jusque tard dans la nuit, ainsi que le jour

9 suivant. J'étais dans les bois, près de la voie ferrée. Personne ne tirait

10 sur moi et il n'y avait pas d'opération militaire à cet endroit-là.

11 Ensuite, nous sommes retournés à Bradina. C'était le deuxième jour. Nous

12 voulions voir ce qui se passait. La plus grande partie de Bradina était en

13 feu. Presque toutes les maisons avaient été touchées par des obus.

14 Mme McHenry (interprétation). - Au moment de ces événements,

15 étiez-vous armé, Monsieur, et, si oui, quelle arme portiez-vous ?

16 M. Dordic (interprétation). - Oui, j'étais armé. J'avais une

17 arme automatique de fabrication yougoslave.

18 Mme McHenry (interprétation). - Où avez-vous obtenu cette arme ?

19 M. Dordic (interprétation). - Je l'ai reçue par le truchement

20 d'un ami.

21 Mme McHenry (interprétation). - Avant l'attaque, aviez-vous

22 participé à la défense armée de Bradina ?

23 M. Dordic (interprétation). - Non. Après le trêve, mais des

24 tours de garde ont été organisés dans les collines avoisinantes.

25 Mme McHenry (interprétation). - Avez-vous participé à ces tours

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1 de garde ? Etiez-vous armé à ce moment-là ?

2 M. Dordic (interprétation). - Oui. J'ai participé à ces tours de

3 garde et j'étais armé. Il est normal d'être armé si on se trouve sur une

4 colline la nuit, en particulier une colline dans les bois et en

5 particulier la nuit.

6 Mme McHenry (interprétation). - Pourriez-vous rapidement nous

7 décrire ce que vous avez fait lorsque l'attaque a commencé sur Bradina et

8 lorsque vous êtes allé dans les bois, puis lorsque vous êtes revenu, et ce

9 jusqu'au moment où vous avez été capturé ou arrêté ?

10 M. Dordic (interprétation). - Lorsque nous sommes arrivés à

11 Bradina, nous étions trois dans mon groupe. Il y avait beaucoup de

12 désordre à Bradina. Il y avait un drapeau rouge qui flottait dans le

13 centre. On nous a dit qu'il y avait beaucoup de victimes. Mais nous ne le

14 savions pas. Nous n'avions aucune idée de ce qui était en train de se

15 passer. Nous sommes arrivés à un café qui avait une cave très grande et

16 beaucoup de femmes et d'enfants y avaient trouvé refuge.

17 C'était donc le désordre le plus total. Il y avait beaucoup de

18 cris, de pleurs. On nous a dit qu'il fallait décider ce que nous allions

19 faire : ou bien fuir ou bien nous rendre. Donc nous avons fui. Nous avons

20 fui vers l'autre partie de Bradina qui est plus éloignée du centre et plus

21 proche des montagnes. Nous avons, là aussi, trouvé une vingtaine de

22 personnes qui étaient également prêtes à prendre la fuite. Elles n'osaient

23 pas attendre que les forces croates et musulmanes entre dans Bradina.

24 Nous avons donc escaladé et traversé les montagnes pendant les

25 quatre ou cinq jours qui ont suivi, en essayant d'atteindre Kalinovik. En

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1 effet, à Hadzici à Sarajevo, il y avait déjà des combats et nous ne

2 savions pas ce qui nous arriverait à cet endroit-là. On a tiré sur nous

3 depuis les collines avoisinantes. Nous ne savions pas qui tirait. Nous

4 avons eu quatre ou cinq blessés légers.

5 Nous sommes arrivés à un village qui s'appelait Ljuta. Là, il y

6 avait des combats très intenses, des tirs tirés depuis les collines

7 avoisinantes. Nous nous sommes dispersés. L'un d'entre nous est descendu,

8 il s'agissait de Zare Mrkajic. Ensuite, j'ai entendu dire qu'il était allé

9 au village. Il nous a ensuite appelés pour que nous nous rendions. Il nous

10 a dit que ces personnes ne faisaient rien de mal, qu'elles voulaient

11 simplement collecter nos armes et que nous serions transférés à Kalinovik.

12 Nous sommes descendus ce sentier. Effectivement, ces personnes

13 nous ont traités décemment. Personne ne nous a battus ni rien fait de mal.

14 On a simplement pris nos armes.

15 Il faisait déjà noir, de sorte qu'ils ne pouvaient plus nous

16 transférer ce même jour à Kalinovic. Mais le jour suivant, ils ont dit

17 qu'il nous y emmènerait, qu'il n'y aurait aucun problème. Nous avons

18 accepté. On nous a alors amenés dans une école du village. Je pense que

19 c'était une école, c'était en tout cas un bâtiment. On nous y a logés et

20 ils nous ont dit de nous sécher. En effet, nous étions mouillés, fatigués,

21 affamés.

22 Peu de temps après, un homme est rentré avec une arme

23 automatique. Il a commencé à tirer vers le plafond du bâtiment dans lequel

24 nous nous trouvions. Il nous a donné l'ordre de nous allonger par terre.

25 Ensuite, d'autres hommes sont entrés pas ceux que nous avions vus avant.

Page 3995

1 Ils ont commencé à nous battre avec toutes sortes d'objets, des fusils,

2 n'importe quoi, sur lesquels ils pouvaient mettre la main.

3 Ils nous ont appelé Chetniks et ils ont dit que de homme qui

4 était venu le premier que son beau-frère avait été tué ou quelque chose de

5 ce style, et ils ont continué à nous battre jusque tard dans la nuit.

6 A ce moment-là, j'ai vu deux jeunes hommes avec l'insigne sur

7 leur uniforme ; l'insigne du HOS. Les passages à tabac se sont poursuivis

8 et ils ont trouvé un morceau de fil. Je n'ai pas vu de menottes, mais ils

9 ont lié les mains avec ce fil. Je pense que cela devait être juste avant

10 l'aube, vers 3 heures. On nous a fait sortir de l'école et on nous a

11 amenés.

12 Nous avions tous été battus. Les gens du village étaient

13 réveillés à ce moment-là et ils nous ont aussi battus avec toutes sortes

14 d'objets à mesure que nous passions en colonne. Ils nous ont insultés,

15 nous ne savions pas pourquoi. Nous avons dû continuer à travers un bois,

16 passer une colline. Là je ne savais plus où nous étions et nous avons

17 continué à marcher jusqu'à un sentier où deux petits camions nous

18 attendaient.

19 Les coups ont continué. Ils nous ont fait grimper dans ces deux

20 petits camions. Sous la protection de gardes, ils nous ont amenés quelque

21 part. A ce moment-là, en tout cas, je ne savais pas où j'étais.

22 Ils nous ont fait descendre du camion dans un village. Plus

23 tard, j'ai appris...

24 Je me souviens qu'il y avait un immeuble en préfabriqué, une

25 école, ou quelque chose dans le genre. J'ai entendu des gens mentionner le

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1 village de Sabici. J'imagine que c'était le village de Sabici. Nous avons

2 passé une heure sans doute dans cette école.

3 Ils ont continué à nous battre, à nous maltraiter, à nous

4 insulter et ensuite, ils nous ont fait monter dans un plus gros camion. Je

5 ne sais pas de quelle marque était ce camion. Là, encore une fois sous

6 escorte, sous la garde de cinq ou six hommes jeunes, des hommes très

7 jeunes qui avaient l'air d'avoir 16, 17 ou 18 ans, nous avons donc encore

8 été emmenés et encore une fois j'ai entendu, d'après les conversations

9 entre les gardes, que nous étions en train de traverser le Mont Igman.

10 Durant tout ce temps, ces garçons nous frappaient, nous

11 battaient avec différents objets qu'ils portaient en plus de leur fusil

12 qu'ils avaient normalement. Ils nous frappaient à coups de botte. Ils

13 montaient sur nos épaules.

14 Mme McHenry (interprétation). - Où vous ont-ils emmenés ?

15 M. Dordic (interprétation). - Pas moi, mais d'autres personnes

16 ont compris qu'on nous avait emmenés à l'hôtel Famos, sur le mont Igman.

17 Mme McHenry (interprétation). - Et où êtes-vous allés après

18 avoir été emmenés à l'hôtel Famos ? Etes-vous restés là où vous a-t-on

19 emmenés ailleurs encore ?

20 M. Dordic (interprétation). - Après l'hôtel Famos, ils nous ont

21 fait sortir devant l'hôtel et nous nous sommes dirigés vers les camions.

22 Il y avait 100 à 150 personnes à cet endroit-là, surtout des femmes et des

23 personnes âgées et de l'autre côté l'armée, les militaires. Ils ont

24 continué à nous frapper en nous insultants, en disant que nous étions des

25 Chetniks et en proférant toutes sortes d'insultes jusqu'au camion.

Page 3997

1 Nous sommes montés dans le camion et les mêmes gardes se

2 trouvaient là. Tout d'un coup, le camion a quitté la route asphaltée. Il

3 devait y avoir un trou dans la chaussée. J'ai entendu des tirs au-dessus

4 de ma tête. Un garde qui était assis sur le côté du camion, derrière moi,

5 était en train de tirer. J'ai vu un homme qui était allongé sur mes

6 genoux. Son pull était déchiré près du coeur. Il s'agit de Dragan Vujicic,

7 un parent à moi, qui est mort sur le coup à la suite de ce coup tiré.

8 Deux ou trois autres personnes ont également été blessées lors

9 de cet incident. L'un d'entre eux a perdu un oeil. Je pensais qu'il était

10 mort. Personne n'a rien fait, sauf mettre un pansement pour qu'on ne voit

11 rien, pour cacher l'oeil pour qu'on ne voit rien, parce que c'était

12 terrible à voir.

13 Dans les conversations, j'ai encore entendu qu'on nous emmenait

14 à Konjic. On nous a maltraités. Tout le long du chemin, on nous a battus.

15 Ils ont tiré de leur poche des badges du SDA et du HDZ en nous obligeant à

16 les embrasser. Ils ont ensuite jeté quelque chose dans le camion en nous

17 l'obligeant à l'embrasser, en disant que c'est notre symbole, un cochon

18 semble-t-il.

19 Ensuite, nous avons été emmenés devant un bâtiment à Konjic. Mes

20 yeux étaient presque fermés, je ne pouvais plus les ouvrir à la suite des

21 coups que j'avais reçus. Je ne pouvais presque rien voir et de toute

22 façon, on ne nous autorisait pas à regarder.

23 Mme McHenry (interprétation). - Après qu'on vous ait emmenés au

24 bâtiment du SUP à Konjic, vous a-t-on encore emmenés ailleurs ?

25 M. Dordic (interprétation). - Non. C'est dans la cour du

Page 3998

1 bâtiment du SUP à Konjic qu'on nous a emmenés. Le directeur du SUP, Jasmin

2 Guska, Sefik Niusic, Diksa et Miro Stenek, tous ces gens étaient présents.

3 Je les ai entendus insulter Rajko Djordic qui était un ami à eux en disant

4 que c'était le pire de tous, que c'était un Vojvoda.

5 Je n'osais pas lever la tête, mais à un moment donné j'ai vu que

6 nous étions devant le motel de Konjic, sur la route à l'extérieur de la

7 ville. J'ai pu voir, à la terrasse du motel, qu'il y avait beaucoup de

8 soldats qui lançaient des insultes, qui tiraient en l'air et qui fêtaient

9 le fait qu'ils nous avaient capturés.

10 Ensuite, nous avons poursuivi. Très rapidement, nous nous sommes

11 retrouvés dans un immeuble que je ne connaissais pas d'avant. C'était la

12 première fois que je m'y trouvais. De toute façon, ma liberté de mouvement

13 était limitée. Je ne pouvais pas regarder autour de moi. On nous a fait

14 aligner le long d'un mur, le visage tourné vers le mur, de sorte que je ne

15 pouvais rien voir. Je pouvais uniquement sentir les coups.

16 Mme McMurrey (interprétation). - J'objecte à cette façon de

17 répondre car je perds le fil de ce récit.

18 Mme McHenry (interprétation). - Oui, certes. A ce moment-là,

19 étiez-vous à l'intérieur d'un immeuble, à quel endroit ?

20 Mme McMurrey (interprétation). - Excusez moi, sommes-nous encore

21 à Konjic ou ailleurs ?

22 Mme McHenry (interprétation). - Ce moment que vous venez de

23 décrire où l'on vous a fait aligner le long d'un mur, étiez-vous à

24 l'intérieur ou à l'extérieur du bâtiment ?

25 M. Dordic (interprétation) - Nous étions dans une espèce de

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1 camp, nous avions passé un portail. Je ne savais pas à l'époque que

2 c'était le camp de Celebici et que c'étaient les casernes de l'ex-JNA. On

3 nous a fait aligner le long du mur, on nous a battus et là, j'ai vu le

4 corps de Dragan Vujicic qui a été jeté dans un container.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Madame McHenry a demandé de

6 quel bâtiment il s'agit. Pourrait-on poursuivre dans cette veine en

7 limitant les réponses ?

8 Mme McHenry (interprétation). - Je voudrais vous poser la

9 question suivante. Le camp dans le lequel vous étiez, vous avez appris

10 ensuite qu'il s'agissait du camp de Celebici, et que c'étaient les

11 anciennes casernes de l'armée populaire yougoslave. Est-ce exact ?

12 M. Dordic (interprétation) - Oui. Je savais que nous devions

13 être près de Celebici parce que nous avions roulé pendant environ 10

14 minutes. J'étais né à Konjic, et je connaissais bien la municipalité de

15 Konjic.

16 Mme McHenry (interprétation). - Voulez-vous nous dire à peu près

17 quel est le jour où vous avez été emmené à Celebici ?

18 M. Dordic (interprétation) - Je pense que c'était le 30 ou le 31

19 mai 1992.

20 Mme McHenry (interprétation). - Et combien de temps dans

21 l'ensemble êtes vous resté à Celebici ?

22 M. Dordic (interprétation). - A partir de ce jour-là jusque, je

23 ne connais pas la date exacte mais je pense que c'était vingt jours avant

24 la fermeture du camp.

25 Mme McHenry (interprétation). - Savez vous le mois ?

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1 M. Dordic (interprétation). - Octobre je pense.

2 Mme McHenry (interprétation). - Octobre 1992 ?

3 M. Dordic (interprétation). - Oui.

4 Mme McHenry (interprétation). - Combien de personnes environ ont

5 été emmenées à Celebici en même temps que vous ?

6 M. Dordic (interprétation). - Environ 22 à 23 personnes, peut-

7 être moins.

8 Mme McHenry (interprétation). - Y avait-il déjà d'autres

9 prisonniers à Celebici lorsque votre groupe est arrivé ou étiez-vous parmi

10 les premiers prisonniers à arriver au camp ?

11 M. Dordic (interprétation). - A ce moment-là, je ne savais pas

12 même pas qu'il s'agissait d'un camp, ni même qu'il y avait des prisonniers

13 dedans.

14 Mme McHenry (interprétation). - Quand avez-vous su alors si vous

15 étiez... Y a-t-il eu un moment alors où vous avez su si, oui ou non, vous

16 étiez le premier groupe de prisonniers à se trouver au camp ?

17 M. Dordic (interprétation). - Longtemps après cela, j'ai appris

18 qu'avant moi, longtemps avant moi, il y avait des prisonniers. Mais je

19 l'ai su plus tard.

20 Mme McHenry (interprétation). .Monsieur, voulez-vous rapidement

21 décrire ce qui est arrivé lorsque vous êtes arrivé la première fois au

22 camp. Je crois que vous aviez commencé ce récit. On vous a fait aligner le

23 long du mur. Pourriez-vous nous décrire rapidement ce qui s'est passé ?

24 M. Dordic (interprétation). - Je commençais à décrire ces

25 événements. Comme je le disais, on nous a fait aligner le long du mur.

Page 4001

1 Nous étions déjà épuisés et nos mains étaient liées. Ils ont fait sortir

2 une ou deux personnes de cette colonne dans laquelle je me trouvais. Je ne

3 savais pas où j'étais, je n'osais pas tourner la tête.

4 Mais ce corps était très près de moi, et donc je l'ai vu comme

5 on l'emportait dans un conteneur. Je le dis pour montrer à quel point

6 c'était brutal, avec quelle brutalité on traitait ce corps. Ensuite, ils

7 sont venus, deux hommes bien bâtis, beaucoup plus forts que moi, sont

8 venus vers moi.

9 Mme McHenry (interprétation). - Le corps que vous avez vu, vous

10 dites que c'était le corps de Dragan Vujicic. Est-ce la personne qui avait

11 été tuée dans le camion, pour que ce soit bien clair ?

12 M. Dordic (interprétation). - Oui, oui. Oui..

13 M. le Président (interprétation). - Je voudrais que nous

14 suspendions l'audience maintenant pour une pause. Nous reprendrons les

15 débats à 16 h 30.

16 L'audience, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 30.

17 M. le Président (interprétation). - Peut-on faire entrer le

18 témoin, je vous prie ?

19 Maître McHenry, j’espère que vous allez essayer de canaliser un

20 peu les propos de votre témoin qui souhaite dire tout ce qu'il a en tête.

21 Mme McHenry (interprétation). - Effectivement,

22 Monsieur le Président, il a beaucoup de choses à dire. Dès que nous

23 parlerons de Celebici, cela ira sûrement un peu mieux.

24 M. le Président (interprétation). - Faites-lui savoir tout de

25 même que nous avons un temps limité pour tout ce que nous faisons.

Page 4002

1 (Le témoin, M. Dordic, est introduit dans la salle d'audience)

2 M. le Président (interprétation). - Veuillez rappeler au témoin

3 qu'il dépose sous serment.

4 M. le Greffier. - Je vous rappelle que vous témoignez toujours

5 sous serment.

6 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, je crois me rappeler

7 que vous avez indiqué que, après ce moment où vous étiez contre le mur et

8 où des gens ont été passés à tabac, deux hommes se sont approchés de vous.

9 Pouvez-vous nous dire ce qui s'est passé à ce moment-là, quand ces

10 deux hommes se sont approchés de vous ?

11 M. Dordic (interprétation). - Quand ces deux hommes assez

12 corpulents se sont approchés, ils m'ont pris par les bras -j'avais les

13 mains liées- et par l'épaule et ils m'ont emmené dans ce bâtiment qui se

14 trouvait derrière moi à ce moment-là. Ils m’ont fait passer dans un

15 couloir. Dans ce couloir est arrivé un jeune homme qui venait d'une autre

16 pièce. Il m'a frappé 2 ou 3 fois à coups de pied et, après cela, on m'a

17 fait entrer dans un bureau. Dans ce bureau, était assis Miro Stenek et

18 Sefik Niksic, deux personnes qui travaillaient au MUP jusque là. Il y

19 avait aussi une femme qui était assise.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Objection. La question était :

21 « Quand ces deux hommes se sont approchés de vous auprès du mur, que

22 s'est-il passé ? » Maintenant, le témoin nous raconte autre chose. Je fais

23 objection car ce n’est pas une réponse à la question.

24 Mme McHenry (interprétation). - C’est totalement une réponse à

25 la question car je lui ai demandé ce qu'il s'est passé à ce moment-là. Il

Page 4003

1 me répond. C’est tout à fait l’information que je crois être pertinente.

2 Je crois que les juges devraient l'entendre. Je lui ai demandé ce qui

3 s'est passé par la suite. C'est tout à fait dans le cadre de nos débats.

4 M. le Président (interprétation). - On lui a demandé ce qui

5 s'est passé après l'arrivée de ces deux hommes. C’est la suite du récit.

6 Mme McMurrey (interprétation). - Ce qui s'est passé ensuite est

7 une question vague, Monsieur le Président. Elle est trop large pour cet

8 interrogatoire. Si la question avait été plus spécifiée, je crois que le

9 témoin aurait pu y répondre de façon plus précise.

10 Mme McHenry (interprétation). - Puisqu'il répond en nous donnant

11 un témoignage pertinent, Monsieur le Président, je demande qu'il soit

12 autorisé à continuer à nous dire ce qui s'est passé quand il a rencontré

13 ces deux hommes et cette femme dans la pièce. Que s’est-il passé ensuite ?

14 M. le Président (interprétation). - Ce qui lui est arrivé à lui.

15 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, que s’est-il passé

16 lorsqu’on vous a fait rentrer dans cette pièce. Que vous est-il arrivé à

17 vous quand on vous a fait pénétrer dans cette pièce où se trouvaient les

18 deux personnes que vous venez d’évoquer ? Je vous demande de continuer.

19 M. Dordic (interprétation). - On m'a fait asseoir sur une

20 chaise. J'étais en face de ces deux hommes qui m'ont demandé si je savais

21 pourquoi j'étais là. J'ai répondu « non ». Ils m'ont demandé de faire une

22 déclaration au sujet de tout ce qui s'était passé à Bradina et aux

23 environs de Bradina, comment j'étais arrivé dans ce bâtiment. J'ai répété

24 que je ne savais pas dans quel bâtiment je me trouvais. C'était le cas à

25 ce moment-là.

Page 4004

1 Ils ont commencé à m’interroger pour savoir si j'étais armé, par

2 qui j’avais été armé, où je me trouvais pendant que nous attaquions. Ils

3 ont dit que nous avions attaqué et pas que nous étions attaqués. C'est

4 Sefik Niksic qui posait les questions pour l'essentiel au cours de cet

5 interrogatoire.

6 Comme je viens de le dire, j’ai été interrogé au sujet

7 d'événements dont je n'avais pas connaissance. Je ne savais pas qu'il y

8 avait eu tant de morts à Bradina. Ils m'ont dit qu'il y avait eu beaucoup

9 de morts. Ils m'ont demandé si j'étais conscient de ce que nous avions

10 fait. J’ai exprimé mon étonnement en disant : « Qu’avons-nous fait ? En

11 quoi sommes-nous responsables ? » Par qui j'avais été armé, comment

12 j’avais reçu des armes, toutes ces questions étaient prises en note par la

13 femme.

14 M. le Président (interprétation). - Comprenez-vous ce qu'il

15 dit ?

16 Mme McHenry (interprétation). - Oui, il parle de son

17 interrogatoire.

18 M. le Président (interprétation). - Quand il dit « nous »,

19 comprenez-vous qui sont toutes ces personnes ?

20 Mme McHenry (interprétation). - Je crois que je comprends, mais

21 je vais demander des éclaircissements.

22 Monsieur, quand vous dites « nous », parlez-vous des gens qui se

23 trouvaient à Bradina ? Ils vous ont interrogé au sujet des événements

24 survenus à Bradina. Lorsque vous dites : « Ils m’ont demandé pourquoi nous

25 avions fait cela », parlez-vous de vous et des autres gens de Bradina ?

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1 M. Dordic (interprétation). - Oui, oui, je pense aux habitants

2 de Bradina. Ce qu'ils ont fait, eux, ils nous en ont accusés. Ils ont dit

3 que nous étions responsables de ce qui s'était passé à Bradina. C'est à ce

4 moment-là que j'ai appris qu'il s'était passé quelque chose de grave à

5 Bradina, qu’il y avait eu beaucoup de morts. Je n'avais aucune

6 connaissance de tout cela, vous comprenez ? J’étais passé par Bradina, je

7 m'étais enfui et, par la suite, je ne savais pas ce qui était arrivé ; je

8 savais seulement que Dragan Vujicic était mort.

9 Mme McHenry (interprétation). - Très bien, très bien, Monsieur.

10 Ils vous ont posé les questions que vous venez de citer. Après cela, vous

11 ont-ils demandé de signer quelque chose ?

12 M. Dordic (interprétation). - Oui, ils ont exigé que je signe la

13 déposition que j'avais faite. Ils m’ont mis un papier sous les yeux et

14 m’ont donné un stylo. Je me suis levé mais j'avais encore les mains liées.

15 Nikcic a montré du doigt le papier et m’a donné l'ordre de signer. Je ne

16 savais pas comment signer avec les mains attachées, vous comprenez ?

17 C'était la première fois que j'étais dans une situation où quelqu'un me

18 forçait à faire quelque chose, où quelqu’un me frappait, où j’étais

19 attaché. C'était la première fois.

20 J'ai essayé avec les mains liées de signer. Je me suis retourné.

21 J’ai essayé de prendre le stylo. A ce moment-là, l’un de ces jeunes gens

22 qui m’avaient amené dans cette pièce m'a frappé, m'a fait asseoir sur ma

23 chaise et Nikcic, à ce moment-là, a donné l'ordre qu’on me détache les

24 mains. On m’a détaché les mains et j'ai signé quelque chose, une espèce de

25 déposition.

Page 4006

1 Mme McHenry (interprétation). - Avez-eu la possibilité de lire

2 ce que vous avez signé ou quelqu'un vous en a-t-il donné lecture avant que

3 vous ne signiez ?

4 M. Dordic (interprétation). - Non.

5 Mme McHenry (interprétation). - Avec quoi vos mains étaient-

6 elles attachées ?

7 M. Dordic (interprétation). - Avec un fil de fer de trois à

8 quatre centimètres de diamètre.

9 Mme McHenry (interprétation). - Est-ce que vous savez si la

10 pièce dans laquelle vous étiez donnait sur l'extérieur du camp, le

11 bâtiment médical ?

12 M. Dordic (interprétation). - Sur la pièce qui est devenue par

13 la suite une infirmerie. J'ai appris après que le Dr Belja et Petko

14 étaient dans cette salle et que c'était l'infirmerie. Donc quand je

15 regardais à l'extérieur de cette pièce, je voyais ce qui est devenue

16 l'infirmerie plus tard.

17 Mme McHenry (interprétation). - Après votre interrogatoire, que

18 s'est-il passé ? Vous a-t-on emmené quelque part .

19 M. Dordic (interprétation). - On m'a rattaché les mains et on

20 fait sortir. On m'a ramené auprès du mur où se trouvaient les autres

21 personnes qui étaient arrivées avec moi. Autrement dit, on m'a ramené à

22 l'endroit d'où j'étais parti.

23 Mme McHenry (interprétation). - Que s'est-il passé ensuite ?

24 M. Dordic (interprétation). - A ce moment-là, nous avons passé

25 encore quelque temps à attendre sur place. Je crois qu'il y avait encore

Page 4007

1 deux hommes qui devaient être interrogés. Quand leur interrogatoire s'est

2 terminé, ils nous ont donné l'ordre de commencer à marcher dans une

3 certaine direction. Après, par la suite, j'ai appris que nous allions vers

4 le bâtiment 9 où nous avons passé tous le temps par la suite.

5 Nous sommes donc arrivés devant le tunnel n° 9 et un homme est

6 arrivé sur ces entrefaits. J'ai appris plus tard qu'il s'agissait de Hazim

7 Delic. Ils ont ouvert la porte du tunnel n° 9 et ils ont fait sortir un

8 certain nombre de personnes. Je sais pas exactement combien ils étaient,

9 mais sûrement dans les 70-80. C'étaient des gens qui étaient pour la

10 plupart de Bradina et qui étaient pour la plupart assez âgés. Ils les ont

11 alignés en face de nous.

12 A ce moment-là, Hazim leur a donné l'ordre de se tourner vers

13 nous et nous nous regardions les uns les autres, à une distance de trois à

14 quatre mètres. Il leur a raconté que le groupe dans lequel je me trouvais

15 était responsable de tout ce qui leur était arrivé à Bradina. Il nous a

16 qualifiés de bande de Chetniks. Après, il a donné l'ordre à ces personnes

17 de se retourner. On les a emmenés quelque part et on nous a enfermés dans

18 le tunnel d'où eux étaient sortis.

19 Cette cellule était un tunnel de 1,40 mètre maximum de largeur.

20 Il y avait une pente vers le bas. La longueur était au maximum de

21 30 mètres. Sur les murs on voyait des traces de sang et des restes de

22 vêtements des gens qui avaient été enfermés dans ce tunnel avant nous. La

23 porte s'est refermée et plus personne ne nous a touchés.

24 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, je vous prierais de

25 regarder devant vous. Vous pouvez utiliser le pointeur et je vous prierais

Page 4008

1 de me dire si sur cette grande maquette qui se trouve devant vous, vous

2 reconnaissez les lieux et si vous pouvez pointer les endroits que vous

3 venez de mentionner, notamment l'endroit où on vous à emmené pour

4 l'interrogatoire, le mur contre lequel vous avez été aligné et le bâtiment

5 n° 9 que vous avez mentionné.

6 M. Dordic (interprétation). - Au début on nous a amenés ici,

7 devant ce bâtiment que je montre. Au début, nous avons été alignés ici

8 devant ce bâtiment qui porte la lettre C. De là, on nous a emmenés vers ce

9 bâtiment-ci. Le bureau dont j'ai parlé se trouve sans doute à la première

10 ou la deuxième fenêtre après la porte.

11 De là, on nous a alignés à nouveau ici et on nous a fait marcher

12 le long de ce chemin jusqu'à ce mur qui se trouve là. Je ne vois pas bien

13 depuis la place où je me trouve. On nous a alignés quelque part ici, sur

14 le chemin et les gens dont je parle sont sortis de ce bâtiment qui

15 correspond à la lettre O, si je ne me trompe pas. C'est là que la porte a

16 été ouverte.

17 Là il y avait une porte et c'est par cette porte que sont sortis

18 les 80 personnes environ qui ont été alignées et c'est par cette porte que

19 sont sorties les 80 personnes qui ont été alignées le long de ce mur. Nous

20 étions debout, ici.

21 Après ce que j'ai raconté, on les a emmenés, eux, le long de ce

22 chemin et nous, nous sommes entrés par cette porte.

23 Mme McHenry (interprétation). - Très bien, Monsieur. Puisque

24 vous avez déjà utilisé la maquette, pour gagner du temps, je vous

25 demanderais de nous indiquer d'autres lieux sur cette maquette que vous

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1 avez fini par connaître dans le camp ?

2 M. Dordic (interprétation). - Pour la période que je viens

3 d'évoquer, je suis arrivé jusqu'à cet endroit-ci. Par la suite, au cours

4 de mon séjour dans le camp, j'ai fait connaissance avec les autres

5 bâtiments également.

6 Mme McHenry (interprétation). - Pourquoi ne nous parleriez-vous

7 pas d'ores et déjà des autres bâtiments que vous avez fini par connaître

8 par la suite. Cela pourrait nous aider pour gagner du temps.

9 M. le Président (interprétation). - Mais pourquoi lui posez-

10 vous la question maintenant ? Ce n'est pas pertinent.

11 Mme McHenry (interprétation). - Très bien, Monsieur le

12 Président. Monsieur le témoin, veuillez vous rasseoir, je vous reposerai

13 la question quand nous en arriverons à ces bâtiments.

14 Pouvez-vous décrire les conditions d'existence dans le bâtiment

15 n° 9, Monsieur ?

16 M. Dordic (interprétation). - Comme je l'ai déjà dit, il y avait

17 une porte métallique qui constituait la totalité du mur de façade. Cette

18 porte s'ouvrait en deux parties. Il y avait une pente de 10 % environ,

19 comme je l'ai dit, et au bout de 20 mètres environ le sol était plat.

20 Autrement dit, la pente n'allait pas d'un bout à l'autre. La pente

21 commençait au départ et ensuite tournait vers la gauche. Elle n'allait pas

22 jusqu'au bout du tunnel. Il y avait trois ou quatre mètres de plat à la

23 fin.

24 Au bout de cette pièce, il y avait une grosse porte métallique

25 équipée d'un ventilateur. Au plafond, il y avait, si je ne m'abuse, deux

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1 ampoules au néon. Il n'y avait pas d'autres ouvertures, sauf peut-être une

2 ouverture de 50 à 40 centimètres environ sur les deux parties de la porte

3 d'entrée. Le sol était en béton, assez grossier. Voilà ce que je peux

4 dire.

5 Mme McHenry (interprétation). - Pouvez-vous nous dire où vous

6 dormiez, où vous alliez aux toilettes, nous parler des conditions

7 d'existence qui étaient les vôtres pendant votre séjour dans le bâtiment

8 n° 9.

9 M. Dordic (interprétation). - Au début, pendant que nous

10 n'étions pas très nombreux, qu'il n'y avait en fait à l'intérieur que le

11 groupe auquel j'appartenais, il y avait assez de place pour s'asseoir

12 convenablement, c'est-à-dire que chacun d'entre nous pouvait s'adosser au

13 mur.

14 Au fil du temps, au maximum il y avait 45 personnes dans cet

15 espace parce que d'autres personnes sont arrivées par la suite qui ont

16 peut-être été transférées d'autres bâtiments, je ne sais pas. C'était un

17 espace relativement réduit pour un nombre aussi important de personnes.

18 Nous devions laisser de l'espace libre à côté de la porte.

19 C'était un ordre nous devions nous débrouiller pour trouver une place au

20 sol. Nous ne pouvions pas nous allonger dans le sens de la pente, mais

21 perpendiculairement à la pente, pas dans le sens de la pente. Si bien que

22 la nuit, si nous arrivions à dormir, nous devions nous allonger sur le

23 côté pour pouvoir tous dormir. Si quelqu'un en avait assez d'être tourné

24 d'un côté, il fallait que tout le monde se retourne de l'autre côté en

25 même temps que cette personne.

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1 S'agissant des conditions de sommeil, c'était vraiment des

2 conditions inexistantes. Nous n'avions rien de plus que nos vêtements. Les

3 gens s'arrangeaient comme ils pouvaient, ils se mettaient les chaussures

4 sous la tête, c'est tout ce que nous avions. Au départ, nous n'avions pas

5 de couvertures. Rien ne nous a été donné.

6 Mme McHenry (interprétation). - Pouvez-vous décrire les

7 toilettes, la nourriture et l'eau dont vous disposiez pendant votre séjour

8 dans le tunnel. T

9 M. Dordic (interprétation). - Je ne sais pas si on peut parler

10 de nourriture et de boisson, mais je vais essayer de vous décrire de quoi

11 il s'agissait. Dans la partie plate de cet espace dont j'ai parlé, il y

12 avait un bidon en métal de 15 litres au maximum dans lequel nous étions

13 censés uriner.

14 Un peu plus tard, dans le sol de cet espace dans lequel nous

15 étions enfermés, des prisonniers ont creusé un trou et c'est là que nous

16 satisfaisions nos besoins, si les gardiens nous le permettaient. Mais

17 quelquefois les gardiens ne nous y autorisaient pas.

18 La nourriture se limitait à trois pains par jour pour les

19 45 personnes de notre groupe. C'est moi qui apportait le point depuis le

20 bâtiment administratif. Plus tard, c'est Zara Mrkajic qui l'a fait.

21 Mme McHenry (interprétation). - Pendant combien de temps à peu

22 près avez-vous été responsable pour ce transfert du pain depuis le

23 bâtiment administratif jusqu'au tunnel ?

24 M. Dordic (interprétation). - Je crois que cela a duré les

25 quinze premiers jours.

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1 Mme McHenry (interprétation). - A part les fois où on vous

2 permettait de sortir pour aller aux toilettes ou bien les fois où vous

3 sortiez pour chercher le pain, y avait-il d'autres occasions où vous

4 sortiez du tunnel et dans ce cas, où vous emmenait-on ?

5 M. Dordic (interprétation). - Moi personnellement, je n'allais

6 nulle part sauf pour aller chercher à manger et chaque fois que je

7 sortais, je me faisais frapper par les soldats qui se trouvaient devant le

8 bâtiment administratif ou par le garde. Au début, ces coups n'étaient pas

9 bien graves, une gifle par ci par là, un coup de pied, un coup de poing,

10 mais rien qui n'ait pu avoir des conséquences sur ma santé par la suite.

11 Mme McHenry (interprétation). - Pendant votre séjour dans le

12 tunnel, la porte était-elle ouverte ou fermée ?.

13 M. Dordic (interprétation). - La porte était la plupart du temps

14 fermée. Quand il n'y avait plus de gardien devant la porte, ou bien

15 lorsqu'il n'y avait pas d'interrogatoire particulier ou lorsqu'il n'y

16 avait pas de passage à tabac, la porte était la plupart du temps fermée.

17 La nuit en particulier, la porte était fermée avec une grande barre de

18 bois qui bloquait la porte au niveau de l'escalier et la porte était

19 également fermée à clé parce qu'il y avait trois marches.

20 Mme McHenry (interprétation). - A part ce qui vous est arrivé au

21 moment de votre arrivée dans le camp, dont vous avez déjà parlé, à part

22 les gifles, les coups de pied et les coups de poing que vous avez

23 également décrits, avez-vous subi d'autres sévices, d'autres mauvais

24 traitements plus graves pendant votre séjour au camps dont on pourrait

25 parler comme étant de réels passages à tabac ?

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1 Votre réponse est-elle "oui" ?

2 M. Dordic (interprétation). - Oui.

3 Mme McHenry (interprétation). - J'aimerais que nous parlions

4 dans l'ordre chronologique. Pourriez-vous nous parler du premier mauvais

5 traitement de ce genre. Je vous prierais de parler le plus lentement

6 possible.

7 M. Dordic (interprétation). - C'est le troisième jour, je crois,

8 parce que les trois premiers jours nous ne sommes pas sortis du tout et

9 personne n'est venu nous voir, je crois. Alors le troisième jour, je suis

10 allé chercher la nourriture et j'ai rencontré quelqu'un qui me connaissait

11 très bien et que je connaissais bien, mais je ne me rappelais pas son nom.

12 Nous nous sommes sans doute rencontrés peu de temps quelque part par le

13 passé.

14 Le gardien m'a emmené jusqu'à à cet endroit à côté du camion où

15 se trouvait une balance pour que je prenne le pain. Cet homme s'est avancé

16 vers moi avec un sourire comme si c'était un ami, c'est le souvenir que

17 j'en avais. Mais quand il est arrivé à un mètre de moi, il a changé

18 d'expression très brutalement et m'a frappé du pied à l'avant du corps.

19 J'ai perdu conscience pendant un moment, puis j'ai repris conscience.

20 Là je dois vous prier d'excuser mon vocabulaire grossier, si

21 vous m'y autorisez.

22 Mme McHenry (interprétation). - Oui, vous pouvez citer

23 exactement les mots qui vous ont été dits.

24 M. Dordic (interprétation). - Il m'a dit que "j'avais des

25 couilles très dures, que nous les Chetniks nous étions connus pour cela".

Page 4014

1 Il m'a encore donné un coup de pied dans le dos et s'est éloigné de moi.

2 Le gardien m'a donné l'ordre de me lever. J'avais tellement mal que je ne

3 pouvais pas me relever. Je suis sûrement resté au sol environ 40 minutes.

4 Le gardien me frappait du pied. Je ne me souviens pas de l'identité du

5 gardien parce que je ne pouvais même pas croire que j'étais en train de

6 vivre tout ce qui m'arrivais. J'étais complètement perdu. Je n'arrivais

7 pas à me rendre compte que de telles choses pouvaient m'arriver.

8 Le gardien m'a menacé de mort si je ne me relevais pas. C'est

9 pratiquement à quatre pattes que je suis parti vers le bâtiment

10 administratif. J'ai ramassé les pains que j'étais venu chercher et je suis

11 retourné vers le bâtiment n° 9.

12 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, est-ce la seule fois

13 où vous avez été victime de mauvais traitements graves. Si tel n'est pas

14 le cas, pouvez-vous nous parler du deuxième incident que vous avez vécu.

15 M. Dordic (interprétation). - Au début, tout à fait au début, je

16 n'ai pas été maltraité. Mais chaque fois qu'on sortait pour aller aux

17 toilettes, on me faisait arrêter le long de ce mur qui se trouvait à côté

18 du bâtiment n° 9. On se trouvait là en général à cinq, six, jusqu'à dix et

19 on recevait un coup ou deux coup de batte de base-ball ou de crosse de

20 fusil. Cela, pratiquement chacun d'entre nous l'a subi à plusieurs

21 reprises.

22 Mme McHenry (interprétation). - Est-ce qu'il y a eu moment où

23 les coups ont été plus graves que ce que vous venez de décrire ?

24 M. Dordic (interprétation). - Oui. Une fois, on nous a laissé

25 sortir un peu plus tôt que d'habitude. Je sais que le soleil brillait. On

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1 nous a donc laissé aller aux toilettes à l'extérieur. J'étais le premier

2 d'un groupe de cinq ou six hommes et bien que la place où je dormais était

3 au milieu du tunnel, je sais que j'étais le premier. Hazim se trouvait sur

4 place.

5 Mme McHenry (interprétation). - Connaissez-vous le nom complet

6 de Hazim ?

7 M. Dordic (interprétation). - Hazim Delic.

8 Mme McHenry (interprétation). - Veuillez continuer votre récit.

9 M. Dordic (interprétation). - J'étais en train de sortir,

10 j'étais sur les marches et j'ai vu qu'en face, de l'autre côté de ce

11 chemin qui passe devant le tunnel n° 9, de l'autre côté de la barrière, se

12 trouvaient assis deux voisins à moi qui jusque là étaient des amis. L'un

13 s'appelle Hajla Balic et l'autre Emin Spiljak.

14 Ils étaient assis là-bas en face et avec eux étaient assis Hazim

15 Delic.

16 J'ai vu qu'à ce moment-là Hazim Delic portait dans les mains

17 quelque chose qui ressemblait à une batte de base-ball. Il nous a dit de

18 nous aligner devant le mur et de lever les mains en l'air. J'ai entendu

19 l'un de ces deux hommes dire, je cite : «Frappes bien le premier -c'est-à-

20 dire moi- parce que je suis son voisin».

21 Je n'ai pas vu grand chose parce que j'étais la tête contre le

22 mur, mais à un moment j'ai senti une terrible douleur sur le côté droit,

23 je me suis pratiquement replié en deux sur le côté, bien que ce soit

24 difficile, et sous l’effet de ce coup je me suis retrouvé à un

25 mètre et demi, deux mètres plus loin sur la gauche. Je suis resté plié en

Page 4016

1 deux, je n'arrivais plus à me relever. Hazim s’est approché de moi et m'a

2 dit : «Vas uriner». J'ai continué vers le trou comme j'ai pu, lui est

3 resté sur place et a frappé les quatre ou cinq hommes qui se trouvaient

4 derrière moi. Ils sont tous arrivés à côté de moi autour du trou. Quand

5 nous avons eu fini, il a donné l'ordre que nous rentrions dans le bâtiment

6 n° 9.

7 Jusqu’en 1995, j'ai eu une tuméfaction sur le côté droit, sous

8 l'effet de ce coup. Plus tard, j'ai vu un médecin, le docteur Macic, mais

9 je n'ai pas eu de traitement au camp.

10 Mme McHenry (interprétation). - Savez-vous qui vous a frappé ?

11 M. Dordic (interprétation). - C'était Hazim Delic.

12 Mme McHenry (interprétation). - Pendant que vous étiez au tunnel

13 n° 9, pendant votre séjour au tunnel n° 9, y a-t-il eu d’autres incidents

14 au cours desquels vous avez été gravement maltraité ?

15 M. Dordic (interprétation). - Oui. Outre, ces coups

16 systématiques, il y avait des passages à tabac systématiques. On emmenait

17 les gens souvent le soir, beaucoup de prisonniers. Damjan Dorjic par

18 exemple, Rajko Dorjic et beaucoup d'autres. Je ne me souviens pas de tous

19 les noms, mais on les faisait sortir, on les battait et on les ramenait.

20 Mme McHenry (interprétation). - A ce moment, pour vous-même en

21 particulier, en dehors des incidents que vous avez décrits alors que vous

22 étiez au tunnel n° 9, vous a-t-on encore fait sortir et maltraité pendant

23 que vous étiez dans le tunnel ?

24 M. Dordic (interprétation). - Comme je l’ai dis, personnellement

25 on m'a fait sortir une fois le soir. Un garde m'a fait sortir.

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1 Mais, je peux vous raconter un incident qui s’est passé avant le

2 jour où Pavo Mucic était présent. Nous étions sortis pour aller aux

3 toilettes. Mucic était là. Mrkajic était là aussi. Mucic a demandé : «Qui

4 est le dernier, là ?» et j’ai entendu mon nom, on a dit mon nom.

5 Cependant, personne n'est arrivé. On m'a ramené. Quand il a fait

6 noir, un garde a prononcé mon nom et m'a dit de le suivre. C'était vers

7 9 heures ou vers 9 heures et demie du soir, je ne sais pas à quelle heure

8 exactement, il commençait à faire noir. Je crois que c'était le même

9 bureau dans lequel j'avais été en arrivant.

10 Un garde était assis, on l'appelait Focak, je ne connais ça pas

11 son nom exact. Il était assis, il était correct avec moi et m'a donné une

12 cigarette. Il m'a demandé ce qui s'était passé avec l’arme que j'avais, je

13 lui ai dit que je ne l’avais plus. Il m'a demandé si je l'avais remise. Il

14 m'a parlé d'un frère en prison qui avait le même âge. Mais, il insistait

15 pour me parler d'un pistolet qui était très vieux. J'ai dit que je n’avais

16 pas de pistolet.

17 Il m'a dit : «Très bien, vas-t’en», mais que si je ne me

18 souvenais pas, avant le soir suivant, où se trouvait ce pistolet on allait

19 me faire revenir et ça se passerait moins bien. J'ai dit : «Ce n’est pas

20 la peine de me rappeler, je ne sais vraiment rien». On m'a alors

21 dit : «Vas-t’en et souviens toi».

22 Devant le bâtiment, il y avait sept ou huit gardes et on m'a dit

23 de les suivre au n° 9. Cependant, il faisait très noir. Il y avait très

24 peu de lumière et j’étais à ce moment-là presque aveugle. Je n'avais pas

25 été exposé à suffisamment de lumière depuis un certain temps. Donc, je

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1 marchais le long de cette ligne blanche qui est phosphorescente. Je

2 suivais la ligne, cela faisait rire les gardes.

3 De cette façon, nous sommes arrivés au tunnel n° 9 où on m'a dit

4 de me mettre debout le long du mur et de lever les bras. Je l’ai fait. Ils

5 ont commencé à me frapper, j’ai commencé à gémir. J’ai alors entendu la

6 voix de Focak, alors qu'il me battait avec des crosses de fusil. Je ne

7 sais pas s’il y avait d’autres objets, je ne voyais pas bien. Ensuite,

8 j'ai entendu la voix de Focak qui a dit quelque chose du style : « Qu'est-

9 ce que tu attends ici ? Qu'est-ce que vous attendez ici ? Laissez-moi le

10 frapper ?». Il m'a alors frappé avec quelque chose et j'ai eu l'impression

11 qu'on m'avait jeté par terre. Je suis tombé sur le seuil de la porte, et

12 après cela je ne me souviens de rien. Je suis revenu à moi j'avais un

13 pansement. J'avais le crâne blessé à l'arrière et une bosse à la tête à la

14 suite de ces coups. C'est un cas.

15 Mme McHenry (interprétation). - Pouvez-vous nous dire à peu près

16 quand cela s'est passé, quel mois c'était et pendant combien de temps, à

17 peu près, vous avez été au camp ?

18 M. Dordic (interprétation). - Je pense que c'était à la fin du

19 mois de juin, au début du mois de juillet.

20 Mme McHenry (interprétation). - Vous avait dit, Monsieur,

21 qu'avant ces coups vous aviez vu M. Mucic et qu’il avait demandé qui vous

22 étiez. C’était la première fois que vous voyiez M. Mucic au camp où y

23 avait-il eu encore d'autres moments où vous l'aviez vu ?

24 M. Dordic (interprétation). - Excusez-moi, vous m'avez mal

25 compris ou peut-être ai-je mal expliquer quelque chose. Il n'a pas demandé

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1 quel était mon nom. Il a demandé à Mrkajic qui j’étais.

2 Mme McHenry (interprétation). - Oui, c'est peut-être une erreur

3 de transmission. Je pense que c'est effectivement ce que j'avais dit et

4 que j'avais bien compris.

5 Est-ce la première fois que vous avez vu M. Mucic ou l'aviez-

6 vous vu précédemment ?

7 M. Dordic (interprétation). - Je ne connaissais pas M. Mucic

8 personnellement, je ne savais pas à quoi ressemblait cette personne. Mais

9 il y avait d’autres gens qui le connaissaient, par exemple Zarko Mrkajic

10 le connaissait, d’autres aussi. Je ne sais pas de quelle façon ils le

11 connaissaient, mais ils savaient quelle voiture il conduisait. Par leur

12 intermédiaire, j'ai appris que c'était le commandant du camp.

13 Mme McHenry (interprétation). - Je reviens un instant à une

14 question précédente. La personne que vous avez rencontrée, qui s'est

15 avérée être Pavo Mucic, le jour des coups était-ce la première fois que

16 vous voyez M. Mucic, ou y avait il eu des occasions pour vous de le voir

17 avant cela ?

18 M. Dordic (interprétation). - Oui, je l’avais vu déjà avant,

19 c’est certain, mais je n'avais pas eu de contact direct avec lui.

20 Mme McHenry (interprétation). - Pouvez-vous me dire combien de

21 fois environs vous avez vu M. Mucic dans le camp durant l'ensemble de

22 votre séjour au camp ?

23 M. Dordic (interprétation). - Personnellement, je l'ai vu au

24 moins vingt fois, peut-être plus.

25 Mme McHenry (interprétation). - M. Mucic est-il venu au tunnel ?

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1 M. Dordic (interprétation). - Oui. Il n’est jamais entré dans le

2 tunnel, mais il est venu jusqu'à la porte.

3 Mme McHenry (interprétation). - Que faisait-il quand il venait à

4 la porte du tunnel ? Pour quelle raison y venait-il ? Le savez vous ?

5 M. Dordic (interprétation). - Pour l'essentiel, il ne m'a pas

6 parlé où n'a parlé à personne, en général. Il venait sans doute pour nous

7 voir. Je ne sais pas très bien pourquoi il était là.

8 Mme McHenry (interprétation). - Même s’il ne vous a pas parlé à

9 vous, a-t-il jamais parlé ou fait sortir des prisonniers ?

10 M. Dordic (interprétation). - Oui, lui et Hazim Delic parlaient

11 à Zarko Mrkajic. Lorsqu'il y a eu ce dernier transfert de prisonniers du

12 tunnel n° 9 au bâtiment 6, Pavo était présent. Il était là et il a demandé

13 à tout le monde de sortir des cellules pour qu'il puisse les regarder. Lui

14 et Hazim ont décidé qui resterait au numéro 6 et qui irait au n° 9.

15 Mme McHenry (interprétation). - Quand cet incident s’est-il

16 passé à peu près, où M. Mucic et M. Delic ont décidé qui resterait au

17 numéro 6 et qui irait au n° 9 ?

18 M. Dordic (interprétation). - Encore une fois, vous avez fait

19 une erreur ou peut-être y a-t-il eu une erreur de traduction.

20 Moi, j'ai compris qui allait au numéro 6 et au n° 9. Je pense

21 que cela s'est passé après la visite du CICR, donc cela doit être à la fin

22 du moi d’août.

23 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, vous avez indiqué que

24 vous avez appris que M. Mucic était commandant du camp. Si vous le pouvez,

25 pouvez-vous nous dire quand vous avez appris cela et comment ?

Page 4021

1 M. Dordic (interprétation). - Comme je l’ai dit, il est entré en

2 contact avec des gens qu'il connaissait. Je ne sais pas pour quelle

3 raison. C'était par l'intermédiaire de Djaro que nous l'avons appris et

4 par l'intermédiaire de gardes qui se trouvaient là. Donc, il venait au

5 camp. Il devait y avoir une espèce de discipline militaire. En tout cas,

6 pendant qu'il était là, personne ne venait nous battre ou nous

7 maltraitait.

8 Par exemple, j'ai entendu de la part de Esad Macic qui était

9 garde au camp, qu’il fallait se dépêcher, si nous étions aux toilettes

10 pour rentrer, parce que le commandant arrivait. Il avait une Toyota, je

11 pense. On peut donc voir le portail directement et voir la voiture entrer.

12 Mme McHenry (interprétation). - Vous souvenez-vous quel mois, ou

13 depuis combien de temps vous étiez au camp, lorsque cela s’est passé pour

14 la première fois ? Lorsque pour la première fois, on vous a dit que

15 M. Mucic était commandant du camp ?

16 M. Dordic (interprétation) - Je ne sais pas, je pense que

17 c'était encore au mois de juillet.

18 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, y a-t-il eu un moment

19 où vous étiez au tunnel n° 9, où l'on vous a fait sortir et où l'on vous a

20 emmené ailleurs pour un certain temps ?

21 M. Dordic (interprétation) - Oui.

22 Mme McHenry (interprétation). - Pouvez vous nous en dire plus ?

23 M. Dordic (interprétation) - Oui, une fois un groupe de

24 prisonniers a été sélectionné et c'était à peu près la moitié d'entre

25 nous. Je ne sais pas le nombre exact, mais la moitié à peu près.

Page 4022

1 Nous sommes sortis et on nous a emmenés dans la direction

2 opposée au portail d'entrée, donc vers le bout du camp, en s'éloignant du

3 portail d'entrée ; nous avions les mains liées derrière le dos... Non,

4 nous devions garder une main derrière le dos, l'autre main sur le

5 prisonnier devant nous.

6 Delic était là, Zenga était là, tous les autres gardes étaient

7 là, et j'avais l'impression qu'ils nous ont fait parcourir trois ou quatre

8 cents mètres. Etant donné l'état dans lequel nous étions, c'était une

9 longue distance pour nous.

10 Je ne sais pas comment l'appeler, mais on nous a emmenés dans

11 une espèce de bâtiment ou une structure quelconque. Ensuite, j'ai pu voir

12 que c'était un trou d'homme. On nous a poussés, on nous a donné des coups,

13 on nous a poussés dans ce trou d'homme. Il y avait un couvercle métallique

14 qui était un peu au-dessus du sol. Il y avait plusieurs marches pour

15 monter, et ensuite on descendait.

16 Je ne savais pas à quoi servait ce trou d'homme, mais à

17 l'intérieur il y avait des tuyaux et quelques ventilateurs.

18 Mme McHenry (interprétation). -Monsieur, puis-je vous demander

19 d'indiquer sur la maquette l'endroit approximatif où l'on vous a emmenés

20 si vous le savez ?

21 M. Dordic (interprétation) - C'était ici. On nous a donc fait

22 sortir du numéro neuf, nous avons suivi ce chemin. Et comme je l'ai dit,

23 cela m'a paru une très longue distance parce que j'étais épuisé. Ils nous

24 ont amenés à ce mur de béton, nous nous sommes retrouvés là et le trou

25 d'homme était là, juste en haut, ici quelque part dans cette partie de la

Page 4023

1 maquette.

2 Mme McHenry (interprétation). - Très bien merci. Et que s'est-il

3 passé après que l'on vous ait fait entrer dans ce trou d'homme ?

4 M. Dordic (interprétation) - Nous avions été battus avec des

5 manches d'outils agricoles. Ensuite, le couvercle a été fermé, et puis on

6 a placé un joint en caoutchouc autour, de sorte que le couvercle était

7 hermétiquement scellé. Il y avait deux tuyaux : un qui ressemblait à une

8 bouche d'air ; j'imagine que c'était pour la ventilation.

9 Ces deux tuyaux ont aussi été fermés pour que l'air n'entre pas,

10 et nous avons passé trois à quatre heures dans cet endroit. Ensuite, ils

11 ont rouvert le trou d'homme ; ils ont fait sortir Ratko Vujicic pour aller

12 chercher la nourriture pour nous. Ils nous ont amenés un ou deux pains et

13 deux ou trois pâtés.

14 Quand Ratko Vujicic est monté, ils l'ont encore frappé avec les

15 manches d'outils agricoles. Nous étions là, sans air depuis longtemps ;

16 lorsqu'ils en ont eu assez de nous battre, ils ont jeté le pain et le pâté

17 dans le trou.

18 Ensuite, le trou d'homme n'a été rouvert que le jour suivant, le

19 matin. Je ne sais pas à quelle heure exactement, mais je sais que la nuit

20 était passée parce que j'ai surpris les conversations des gardes. Ceux-ci

21 avaient dit qu'il avait bien fermé le trou d'homme, et que donc nous

22 n'avions aucune chance, qu'ils pouvaient partir pour la nuit.

23 Il faisait très chaud à l'intérieur, il n'y avait pas d'air qui

24 entrait par quelque côté que ce soit, et j'ai du mal à croire encore

25 aujourd'hui que nous ayons pu survivre à cela.

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1 Cela a duré très longtemps, certains sont restés dans cet espace

2 qui faisait deux mètres sur deux, et peut-être deux à deux mètres et demi

3 de haut.

4 Quoi qu'il en soit, j'étais déjà épuisé. Je me souviens qu'à un

5 certain moment, une lumière est apparue en haut, et j'ai pu avoir un peu

6 d'air. Je me suis évanoui presque à cause de cette arrivée d'air frais.

7 L'ordre ensuite est arrivé de sortir et les coups ont repris. On

8 nous a fait aligner une fois de plus contre le mur de béton qui se

9 trouvait à côté du trou d'homme, et j'ai entendu les gardes dire pendant

10 la nuit que nous allions être exécutés, avec toutes les insultes

11 habituelles qui accompagnaient ce genre de propos.

12 Dix d'entre nous ont été alignés le long du mur, et sur les

13 marches du trou d'homme, j'ai vu Hazim Delic et Pavo Mucic debout près du

14 trou d'homme. Encore une fois, je n'étais pas entièrement conscient à

15 cause du manque d'oxygène.

16 A côté d'eux, il y avait Ratko Djordic et Mrkajic, je ne sais

17 pas si c'est Petko Mrkajic qui était là aussi. J'ai entendu une

18 conversation ou Pavo Mucic disait essentiellement que nous allions être

19 exécutés le long du mur. Il y avait là beaucoup de soldats et quelqu'un

20 est apparu dans une voiture. Je pense que c'était une Golf rouge, et de

21 l'intérieur de la voiture à travers la vitre, quelqu'un a dit : "Il faut

22 reporter." Je ne sais pas s'il faisait référence à notre exécution ou à

23 quelque chose d'autre, mais on nous a alors fait entrer au numéro neuf

24 avec les coups habituels.

25 Mme McHenry (interprétation). - Pouvez vous décrire l'incident

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1 suivant dans l'ordre chronologique, incident où l'on vous a maltraité ?

2 M. Dordic (interprétation) - Au numéro neuf, à l'exception des

3 coups, pendant que nous allions aux toilettes - je parle de moi-même -

4 j'ai été témoin d'autres brutalités. Je ne sais pas s'il faut que j'en

5 parle.

6 Mme McHenry (interprétation). - Pour l'instant, je voudrais

7 simplement que nous parlions de vous même.

8 L'incident du trou d'homme, savez-vous quel mois, quelle date

9 c'était à peu près ? Ou depuis combien de temps vous étiez dans le camp

10 lorsque l'incident s'est produit ?

11 M. Dordic (interprétation) - Je pense que c'était déjà la fin

12 du mois de juillet.

13 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur, vous avez déjà dit

14 que lorsque vous avez été frappé à la cage thoracique par M. Delic avec

15 une batte ou quelque chose qui ressemblait à une batte, pouvez-vous nous

16 décrire l'instrument utilisé, et si vous l'avez jamais vu, y a-t-il eu

17 d'autres occasions où vous avez pu le voir ?

18 M. Dordic (interprétation) - Oui, c'était très probablement une

19 batte de base-ball, au départ utilisée pour jouer au base-ball. Elle était

20 plutôt jaune et au départ j'ai cru qu'elle était en cuivre, mais quand

21 j'ai reçu un coup, j'ai compris que c'était du bois.

22 Mme McHenry (interprétation). - Et quand vous avez vu encore

23 cette batte, qui l'avait ?

24 M. Dordic (interprétation) - Qui l'avait ? Surtout Hazim Delic.

25 Et lorsqu'il n'était pas là, c'est Focak qui avait la batte, selon les

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1 besoins.

2 Mme McHenry (interprétation). - Très bien. Pendant que vous

3 étiez au tunnel numéro neuf, avez-vous été brutalisé de façon grave ou non

4 par la personne à laquelle vous faites référence comme étant Landzo ?

5 Mme McMurrey (interprétation). - Question tendancieuse, Monsieur

6 le Président, il n'a jamais dit qu'il avait été brutalisé. Il n'a jamais

7 dit qu'il avait été brutalisée par Landzo. C'est donc une question

8 tendancieuse.

9 Mme McHenry (interprétation). - Je ne voulais pas laisser

10 entendre qu'il l'avait dit, je pose la question. Il a mentionné Landzo et

11 je lui demande si ceci s'est jamais passé.

12 Mme McMurrey (interprétation). - C'est une question

13 tendancieuse, Monsieur le Président.

14 Mme McHenry (interprétation). - Qu'avez vous vu faire M. Landzo

15 pendant que vous étiez au tunnel numéro neuf si vous l'avez vu faire

16 quelque chose ?

17 M. Dordic (interprétation) - Il était rarement de garde devant

18 le numéro neuf. La plupart du temps, il venait, ou bien Hazim Delic ou

19 bien seul. Un jour, alors que Slavko Susic avait été amené - c'est comme

20 cela que j'ai remarqué Landzo - Hazim était en train de le frapper, mais

21 d'autres gardes qui étaient présents aussi..

22 Mme McMurrey (interprétation). - J'objecte ! Je ne pense pas

23 qu'il a dit qu'il a vu ces passages à tabac. Nous n'avons pas encore pu

24 comprendre si le témoin avait une connaissance personnelle des événements

25 qu'il rapporte.

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1 M. le Président (interprétation). - Nous allons devoir arrêter

2 ici et poursuivre demain.

3 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur le Président, je

4 prierai l'accusation de nous communiquer le nom des témoins suivants, car

5 nous n'avons que le nom d'un témoin après celui-ci, ce qui est tout à fait

6 insuffisant pour la défense.

7 Je prierai également l'accusation, si elle le peut, de bien

8 vouloir nous donner les noms des témoins pour lesquels elle a déclaré

9 devant ce tribunal qu'il est fort probable qu'ils ne viennent pas.

10 Mais puisque la possibilité existe que ces témoins viennent, je

11 pense qu'étant donné le nombre important des témoins qui sont encore à

12 entendre, à savoir 35, il faudrait que l'on nous donne le nom des témoins

13 qui ont déjà refusé de venir de façon à ne pas préparer notre défense par

14 rapport à eux et si, puisque la possibilité existe, ces témoins devaient

15 revenir sur leur décision et d'accepter de témoigner ici, je demanderais

16 que l'on nous le dise au moins dix jours à l'avance.

17 Merci.

18 M. le Président (interprétation). - Je me rappelle que

19 l'accusation s'est plainte de certaines difficultés quant à la possibilité

20 de garantir la présence ou l'absence de quelqu'un sur la liste des témoins

21 mais, bien entendu, l'accusation peut vous dire qui sera le témoin

22 suivant.

23 Si elle ne le fait pas, je suis sûr que ce n'est pas dans un

24 quelconque intérêt personnel pour elle. Tout dépend de la possibilité dans

25 laquelle se trouve l'accusation de vous dire qui sera le témoin suivant,

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1 donc il faut que l'accusation le sache.

2 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président, je reçois

3 une note du conseil principal de notre équipe qui concerne le témoin

4 suivant. Je vous demande quelques instants, s'il vous plaît.

5 M. Ackerman (interprétation). - Monsieur le Président, j'ai eu

6 quelques indications quant au fait que le programme prévu pour la semaine

7 prochaine n'est pas encore certain.

8 M. le Président (interprétation). - Je sais avec certitude que

9 nous siégeons lundi. C'est sûr.

10 M. Ackerman (interprétation). - Nous le savons aussi, mais y

11 a-t-il des possibilités que nous siégions les autres jours de la semaine.

12 M. le Président (interprétation). - Je ne peux pas encore le

13 dire.

14 M. Ackerman (interprétation). - J'ai quelques remarques à

15 présenter, à faire en conclusion. Je crois, Monsieur le Président, que

16 j'ai déjà passé une semaine sans insulter personne. Même si ce n'est pas

17 prévu, je présente d'ores et déjà mes excuses.

18 M. Ostberg (interprétation). - Ma question ou ma réponse, quelle

19 qu'elle soit dépend de la réponse que vous venez d'apporter à Me Ackerman

20 ou que vous allez apporter à Me Ackerman, Monsieur le Président, à savoir

21 siégeons-nous uniquement lundi de la semaine prochaine ou toute la

22 semaine ?

23 J'ai une question urgente qui vient de la division chargée de la

24 protection des victimes et des témoins. Avons-nous la moindre indication

25 quant au programme de la semaine prochaine ?

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1 M. le Président (interprétation). - Pour autant que je le sache,

2 je n'ai prévu aucune autre disposition que la conférence de mise en état.

3 Je sais que la Chambre d'instance chargée de l'affaire Tadic ne siège pas

4 la semaine prochaine, mais nous n'avons pas encore décidé si nous siégions

5 ou pas. Je crois que la décision définitive sera prise lundi.

6 M. Ostberg (interprétation). - Au moment de notre audience ?

7 M. le Président (interprétation). - Oui, lundi.

8 M. Ostberg (interprétation). - Merci beaucoup, Monsieur le

9 Président.

10 La Chambre d'instance suspend ses travaux pour ce soir.

11 L'audience est levée à 17 heures 30.

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