Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-96-21-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Jeudi 14 août 1997

4

5 L'audience est ouverte à 10 heures 05.

6 M. le Président (interprétation). - Mesdames et Messieurs,

7 bonjour. Nous pouvons introduire le témoin, s'il vous plaît.

8 (Le témoin est introduit dans la salle.)

9 Nous pouvons procéder aux comparutions, s'il vous plaît

10 M. Niemann (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges,

11 bonjour. Je m'appelle Grant Niemann. Je comparais avec mes confrère et

12 consoeur, Mme McHenry et M. Turone, et Mlle Vandusschoten, au nom de

13 l'accusation.

14 M. le Président (interprétation). - Pouvons-nous avoir la

15 comparution pour les conseils de la défense, s'il vous plaît ?

16 Mme Residovic (interprétation). - Je m'appelle Edina Residovic.

17 Je défends M. Zejnil Delalic en compagnie de mon confrère

18 Eugene O'Sullivan, professeur au Canada. Merci.

19 M. Olujic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président. Je

20 m'appelle Zeljko Olujic. Je défends M. Zdravko Mucic en compagnie de mon

21 confrère, Michael Greaves. Merci.

22 M. Karabdic (interprétation). - Bonjour, je m'appelle

23 Salih Karabdic. Je suis avocat à Sarajevo. Je défends M. Hazim Delic, en

24 compagnie de mon confrère, M. Thomas Moran, avocat de Houston au Texas.

25 M. Ackerman (interprétation). - Je m'appelle John Ackerman et

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1 je défends Esad Landzo, en compagnie de ma consoeur, Mme Cynthia McMurrey.

2 J'aimerais ici préciser qu'aujourd'hui le Pakistan célèbre ses 50 ans

3 d'indépendance et je voudrais féliciter le Juge Jan. Je sais que mes

4 collègues joindront leurs voix à la mienne pour vous témoigner leurs

5 félicitations.

6 M. Jan (interprétation). - Je vous remercie infiniment.

7 M. le Président (interprétation). - Veuillez rappeler au témoin

8 qu'elle est toujours sous serment.

9 M. le Greffier (interprétation). - Madame Grubac, je vous

10 rappelle que vous êtes toujours sous serment.

11 M. le Président (interprétation). - Madame Residovic, veuillez

12 poursuivre votre contre-interrogatoire, s'il vous plaît.

13 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie, Madame et

14 Messieurs les Juges. Madame Grubac, bonjour. J'espère que vous avez réussi

15 à vous reposer un peu. Nous respirons un peu mieux, il fait un peu plus

16 frais. J'espère que vous comprenez que les accords que nous avons passés

17 hier sont toujours valables aujourd'hui. Je vous demande d'attendre

18 l'interprétation de ce que nous disons.

19 Madame Grubac, vos parents avaient une maison de famille à

20 Bradina et, par conséquent, vous devez bien connaître cette région, n'est-

21 ce pas ?

22 Mme Grubac (interprétation). - Oui, je connais bien cette

23 région.

24 Mme Residovic (interprétation). - Et vous savez que les hameaux

25 qui entourent Bradina se trouvent sur les pentes d'une montagne, n'est-ce

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1 pas ?

2 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

3 Mme Residovic (interprétation). - Et vous savez que, dans la

4 région, il y a beaucoup de maisons isolées, des maisons de famille, des

5 maisons qui sont isolées, qui se trouvent sur les différentes petites

6 collines ?

7 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

8 Mme Residovic (interprétation). - Et vous serez d'accord avec

9 moi pour dire qu'après les combats qui ont eu lieu à Bradina, lorsque

10 pratiquement tous les hommes avaient été emmenés, dans de telles

11 circonstances, il était très dangereux pour des familles, notamment pour

12 des enfants et des femmes, de rester dans ces maisons isolées, n'est-ce

13 pas ?

14 Mme Grubac (interprétation). - Dans les maisons de Bradina, les

15 femmes ne pouvaient pas rester parce que les maisons avaient été brûlées

16 pour la plupart.

17 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie. En fait,

18 cela explique sans doute la raison pour laquelle vous-même et bien

19 d'autres personnes ont essayé de se rendre à Bradina pour rester chez des

20 proches, n'est-ce pas ?

21 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

22 Mme Residovic (interprétation). - C'est pour cela que j'ai

23 compris que vous et votre témoin au mariage, Drago Pavlovic, vous vous

24 êtes rendus dans la ville de Konjic, trois jours plus tard. Comme vous

25 n'étiez pas à même de pouvoir rentrer dans votre appartement, vous êtes

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1 restée un mois dans un appartement d'amis, vous-même et vos enfants, dans

2 l'appartement de Pavo Zdrakovic ?

3 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact. Je m'y trouvais,

4 mais les autres femmes n'ont pas pu quitter l'école dans laquelle elles

5 avaient été enfermées.

6 Mme Residovic (interprétation). - Madame Grubac, s'il vous

7 plaît, est-il exact que la raison pour laquelle vous restiez dans cet

8 appartement, outre les raisons que vous avez déjà avancées ici, étaient

9 que ce monsieur vivait proche de M. Bozo Lokas, qui est l'oncle de

10 M. Lokas.

11 Mme Grubac (interprétation). - Oui, c'est exact. C'est une des

12 raisons pour lesquelles j'ai pris cette décision.

13 Mme Residovic (interprétation). - Vous connaissiez Goran Lokas

14 qui, avant la guerre, était le juge qui présidait le tribunal ? Vous

15 saviez aussi qu'il était le président de la commission pour les

16 interrogatoires de détenus de Celebici ?

17 Mme Grubac (interprétation). - Je ne savais pas qu'il était le

18 président de cette commission. Je savais cependant qu'il jouait un certain

19 rôle au sein de cette commission, mais je ne savais pas exactement quel

20 était son rôle.

21 Mme Residovic (interprétation). - Madame Grubac, vous désiriez

22 entrer en contact avec lui, en tant qu'ami et également en tant qu'homme

23 qui avait une certaine influence, un certain statut, parce qu'à l'époque

24 tout le monde devait savoir que Goran Lokas avait aidé un certain nombre

25 de prisonniers à quitter Celebici.

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1 Mme Grubac (interprétation). - Je savais que Goran se trouvait

2 dans cette commission. Je savais qu'il voulait aider les Serbes qui se

3 trouvaient dans la région de Konjic.

4 Mme Residovic (interprétation). - Cela dit, malheureusement, à

5 cette époque-là, vous n'avez pas été capable d'entrer en contact avec

6 M. Lokas, parce que M. Lokas avait été victime d'un accident de voiture et

7 ne se trouvait plus dans la région de Konjic, n'est-ce pas ?

8 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

9 Mme Residovic (interprétation). - Je vais vous poser un certain

10 nombre de questions relatives à d'autres choses que vous avez déclarées

11 devant ce Tribunal. Plus précisément, vous avez déclaré que vous avez

12 rendu visite à votre mari un jour avant sa libération et que, lors de

13 votre retour du camp de Celebici, vous et votre belle-soeur vous avez raté

14 le train, vous avez raté le train qui fait la liaison entre Jablanica et

15 Konjic.

16 Mme Grubac (interprétation). - Oui, c'est exact.

17 Mme Residovic (interprétation). - Je voulais vous demander :

18 vous savez que lorsque vous vous êtes rendue à Konjic, quelque temps après

19 votre arrivée, disons vers le début du mois de juin, ce train a repris sa

20 circulation entre deux villes.

21 Mme Grubac (interprétation). - Oui, en effet, il circulait, je

22 ne sais pas à partir d’où il circulait mais je sais qu'effectivement il

23 allait de Jablanica à Konjic.

24 Mme Residovic (interprétation). - Vous vous êtes rendu à

25 Celebici à bord de ce train, n'est-ce pas ?

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1 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

2 Mme Residovic (interprétation). - Et ce train était gratuit pour

3 tous les passagers à cette époque-là, n'est-ce pas ?

4 Mme Grubac (interprétation). - Oui, c'était gratuit.

5 Mme Residovic (interprétation). - Tous ceux qui le souhaitaient,

6 quelle que soit leur appartenance ethnique, toute personne pouvait

7 emprunter ce train pour voyager, n'est-ce pas ?

8 M. Grubac (interprétation). - Oui, c'est exact.

9 Mme Residovic (interprétation). - Vous savez également que pour

10 permettre la mise en route de ce train M. Delalic a joué un rôle

11 fondamental. Il a permis que ce train soit à nouveau opérationnel et ce

12 train a été baptisé d'une certaine façon, n'est-ce pas ?

13 Mme Grubac (interprétation). - Je ne suis pas au courant de

14 cela.

15 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie. Vous avez

16 raté le train parce qu'il n'y avait pas de train à heures régulières. Donc

17 vous êtes partis à pied. C'est bien ce que vous avez dit devant ce

18 Tribunal. Alors que vous passiez devant la maison de M. Delalic, vous avez

19 vu un attroupement de soldats. Il y avait des chiens et cela vous a

20 rappelé que Zejnil Delalic pouvait être chez lui à ce moment-là. Est-ce

21 bien ce que vous avez dit ?

22 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

23 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez également dit que

24 comme, d'une certaine façon, vous étiez amis, comme vous aviez également

25 des rapports avec son frère Sefik, vous saviez en fait qu'à ce moment-là

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1 Zejnil se trouvait à Konjic mais de façon très occasionnelle.

2 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

3 Mme Residovic (interprétation). - C'est la raison pour laquelle

4 le fait de savoir cela vous a permis de penser que vous pouviez peut-être

5 l’appeler.

6 M. Grubac (interprétation). - J'ai attendu que Zejnil vienne à

7 Konjic parce que son frère m'a dit que je pouvais tout à fait l'appeler

8 une fois qu'il arriverait à Konjic. Comme on me l'avait dit, j'ai saisi

9 l'occasion et je l'ai fait.

10 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie. Vous avez

11 décrit précisément devant ce Tribunal la conversation téléphonique que

12 vous avez eue avec M. Delalic. Je n'ai pas d'autres questions à poser

13 concernant cette conversation. Cela dit, j'aimerais vous demander, en

14 rapport avec cette conversation téléphonique, avez-vous compris que Zejnil

15 était décidé à vous aider s’il le pouvait ?

16 Mme Grubac (interprétation). - Oui, sur la base de cette

17 conversation j'ai pensé qu'il était prêt à m'aider, dans le sens où mon

18 mari allait être libéré de prison.

19 Mme Residovic (interprétation). - Madame Grubac, vers le début

20 du mois de juin, vous vous êtes rendue à Konjic et c'est alors que vous

21 vous êtes aperçue que Konjic durant votre absence, c'est-à-dire du 7 mai

22 jusqu'à la date de votre arrivée, vous vous êtes aperçue donc que Konjic

23 avait été victime de pilonnages et qu'il y avait de nombreux dégâts dans

24 la ville.

25 Mme Grubac (interprétation). - Après mon arrivée de Bradina, je

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1 n'ai pas vraiment observé cela dans la partie de la ville dans laquelle je

2 me trouvais. Il n'y avait pas de dégâts visibles dûs aux pilonnages.

3 C'était au début du mois de juin. La partie de la ville dans laquelle je

4 me trouvais est là également où se trouve la gare. Cette partie de la

5 ville n'avait subi que des dommages relativement légers à cette époque-là,

6 du moins, c'est ce que j'ai vu lorsque je suis arrivée de Bradina. En

7 fait, c'est la partie qui s'appelle le quartier Traznica. C'est ce qu'on

8 aperçoit lorsqu’on arrive dans la ville de Bradina.

9 Mme Residovic (interprétation). - A quelle date êtes-vous

10 arrivée ?

11 Mme Grubac (interprétation). - Il me semble que c'était le

12 28 mai, trois jours après avoir été à Bradina, ou peut-être était-ce au

13 début du mois de juin. Je ne sais pas. Entre le 28 mai et le début du mois

14 de juin ; je n'en suis pas absolument certaine.

15 Mme Residovic (interprétation). - Un peu plus tard, après avoir

16 demeuré à Konjic, vous avez été le témoin d'un pilonnage assez sévère de

17 la ville, n'est-ce pas ?

18 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

19 Mme Residovic (interprétation). - Et le 4 juin, c'est

20 précisément ce quartier qui a été soumis à un pilonnage intensif. Vous le

21 rappelez-vous ?

22 Mme Grubac (interprétation). - Oui. Des obus sont tombés sur ce

23 quartier de la ville.

24 Mme Residovic (interprétation). - En vous appuyant sur ces

25 faits, Madame Grubac, et au vu de tout ce qui se produisait, avez-vous

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1 senti comme un courant antiserbe parcourir la ville, parcourir les

2 habitants de la ville ?

3 Mme Grubac (interprétation). - J'ai senti cela même avant que ce

4 pilonnage n'ait lieu. Je dois dire que, même quand je travaillais encore,

5 vers la fin du mois d'avril, j'avais déjà pressenti ce courant, lorsque

6 j'allais au travail.

7 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez également été à même

8 d'observer par vous-même que nombre de réfugiés de Bosnie-Herzégovine et

9 de Herceg-Bosna étaient arrivés dans la ville et que, par conséquent, la

10 population avait changé de nature, d'une certaine façon.

11 Mme Grubac (interprétation). - Oui, c'est exact. Il y avait

12 beaucoup de réfugiés.

13 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez remarqué que

14 certains de vos amis refusaient de vous adresser la parole ?

15 Mme Grubac (interprétation). - Ils ne refusaient pas de me

16 parler ; simplement, ils ne communiquaient pas avec moi, ils n'entraient

17 pas du tout en contact avec moi.

18 Mme Residovic (interprétation). - Mais hier, vous avez déclaré

19 qu'il y avait des personnes qui n'avaient pas changé d'attitude à votre

20 égard, des amis, des proches ?

21 Mme Grubac (interprétation). - Oui, deux ou trois personnes,

22 mais vraiment une poignée de personnes.

23 Mme Residovic (interprétation). - Vous saviez qu'à cause de

24 cela, cette poignée de personnes était le sujet de critiques, de rumeurs,

25 qu'elles étaient la cible des critiques de leurs concitoyens.

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1 Mme Grubac (interprétation). - Ils étaient avec moi, mais très

2 rarement. Nous nous rencontrions de façon extrêmement discrète ; on ne

3 s'affichait pas, loin de là.

4 Mme Residovic (interprétation). - Mais justement, du fait de ce

5 risque, de ce danger, du fait qu'on avait dit qu'ils appartenaient à la

6 cinquième colonne, il y avait bien un risque ?

7 Mme Grubac (interprétation). - Oui, c'est bien ce que j'ai

8 compris en ce qui concerne ces personnes-là. Je ne peux pas avancer

9 d'explication quant au comportement des autres personnes.

10 Mme Residovic (interprétation). - Madame Grubac, vous avez

11 déclaré qu'après un certain nombre de tentatives, vers la deuxième moitié

12 du mois de septembre ou disons après le 20 septembre, à cette date vous-

13 même et votre mari, vous vous êtes rendus au domicile de M. Delalic et

14 vous avez eu une conversation ?

15 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

16 Mme Residovic (interprétation). - Cela dit, il est également

17 vrai qu'avant cette date, vous aviez essayé d'entrer une deuxième fois en

18 contact avec M. Delalic. Mais M. Delalic était plutôt, à ce moment-là,

19 dans un autre lieu, n'est-ce pas ?

20 Mme Grubac (interprétation). - Non, ce n'est pas exact. Lorsque

21 nous avons décidé de rendre visite à Zejnil, c'était un jour seulement

22 avant la date que vous avez mentionnée et pas plus tôt.

23 Mme Residovic (interprétation). - Ce soir-là, lorsque vous êtes

24 arrivés au domicile de M. Delalic, on vous a reçus comme étant des amis,

25 n'est-ce pas ? Son comportement à votre égard était un comportement

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1 amical, n'est-ce pas ?

2 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

3 Mme Residovic (interprétation). - Vous êtes restés dans la

4 maison. Vous avez tenu une conversation tout à fait amicale, une

5 conversation qui a duré près de trois ou quatre heures ; est-ce exact ?

6 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

7 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez dit, ici, quels

8 avaient été les sujets de cette conversation ; vous avez expliqué quelle

9 était la raison de votre visite. Je ne vais pas vous poser de questions à

10 ce sujet : tout figure dans le compte rendu. Vous avez également déclaré

11 que M. Delalic vous a immédiatement déclaré qu'il était extrêmement

12 difficile pour lui de vous aider, en tout cas qu'il était difficile pour

13 lui de satisfaire à vos souhaits. Mais il a proposé que votre mari

14 l'accompagne à Igman si votre mari ne se sentait pas tout à fait en

15 sécurité.

16 Mme Grubac (interprétation). - Il l'a dit. Mais nous ne l'avons

17 pas cru, lorsqu'il a dit qu'il était à même de nous aider.

18 Mme Residovic (interprétation). - Fort bien. Vous avez déclaré

19 également qu'il vous a dit qu'il pourrait vous aider à retourner dans

20 votre appartement ?

21 Mme Grubac (interprétation). - Oui, il l'a dit, mais en fait il

22 ne nous a pas aidés. Si je puis élaborer un peu sur ce point...

23 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez expliqué au Tribunal

24 que, quelques jours après que vous aviez été arrêtée, vous n'avez plus

25 rencontré M. Delalic.

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1 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

2 Mme Residovic (interprétation). - En ce qui concerne cette

3 conversation, j'ai encore une question à poser. Durant cette conversation,

4 vous avez compris qu'il avait changé d'opinion pour un certain nombre de

5 personnes. Vous avez vu l'avis de recherche qui se trouvait dans le

6 journal. J'aimerais savoir, cependant, ce qu'il vous a dit : non seulement

7 il vous a proposé de vous aider, mais il vous a également proposé de

8 l'argent. Vous avez déclaré que vous n'en aviez pas besoin et vous l'avez

9 remercié en déclinant son offre. Est-ce exact ?

10 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

11 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez dit que votre mari,

12 une fois de plus, avait été arrêté au début du mois d'octobre par les

13 forces du MUP. Il est vrai qu'au mois de décembre, Goran Blazevic,

14 officier du HVO, vous a relâchés, vous, de prison.

15 Mme Grubac (interprétation). - Oui, il nous a fait sortir de

16 prison. Par conséquent, oui, on peut dire qu'il nous a libérés.

17 Mme Residovic (interprétation). - Lorsque vous avez quitté la

18 prison, vous avez bien dû entendre dire que Zejnil Delalic avait quitté

19 Konjic ? Vous avez certainement également entendu dire ou vu à la

20 télévision une émission réalisée par Jasmin Guska, entre autres, émission

21 dans laquelle on accusait M. Delalic d'avoir collaboré avec les Croates et

22 de s'être enfui de Konjic à bord d'un hélicoptère.

23 Mme Grubac (interprétation). - Je sais simplement que Zejnil

24 avait quitté Konjic. J'ai compris qu'il l'avait quittée, alors que nous

25 étions encore en prison. J'ai appris cela des gardes qui nous

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1 surveillaient.

2 Mme Grubac (interprétation). - En ce qui concerne cette

3 émission, je n'en ai aucune connaissance.

4 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Grubac, je vous

5 remercie infiniment. Je crois que vous avez fidèlement fait part de votre

6 connaissance des faits.

7 Mme Grubac (interprétation). - Je vous remercie, Madame.

8 M. Olujic (interprétation). - Monsieur le Président, si vous le

9 voulez bien.

10 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie,

11 Maître Olujic.

12 M. Olujic (interprétation). - Je vous remercie, Madame et

13 Messieurs les Juges. Bonjour, Madame Grubac.

14 Mme Grubac (interprétation). - Bonjour.

15 M. Olujic (interprétation). - Vous vous trouvez à La Haye depuis

16 quelques jours, en compagnie de votre mari. J'espère que d'ici la fin de

17 la journée nous en aurons fini avec ces questions.

18 Je défends Zdravko Mucic J'ai un certain nombre de questions à

19 vous poser. J'aimerais vous demander de vous souvenir des remarques qui

20 ont été émises concernant les aspects techniques de notre entretien. Je

21 vous demande donc d'attendre que mes questions soient interprétées avant

22 de répondre à ces questions. Ainsi, tout le monde pourra suivre les

23 débats. J'espère que nous nous comprenons.

24 Mme Grubac (interprétation). - Absolument.

25 M. Olujic (interprétation). - Je vous remercie. Madame Grubac,

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1 au cours de l'interrogatoire principal, vous avez dit qu'avant que les

2 attaques ne commencent, qu'avant que n'éclate cette malheureuse guerre sur

3 le territoire de cet ancien Etat, vous travailliez dans une banque, est-ce

4 exact ?

5 Mme Grubac (interprétation). - Oui, c'est exact.

6 M. Olujic (interprétation). - Avez-vous travaillé ailleurs que

7 dans une banque au cours de votre carrière ?

8 Mme Grubac (interprétation). - Oui, j'ai travaillé dans le

9 service des comptes sociaux à Konjic.

10 M. Olujic (interprétation). - Donc votre carrière a toujours eu

11 à voir avec les banques, les comptes, etc.

12 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

13 M. Olujic (interprétation). - Lorsque vous avez quitté Konjic et

14 Bradina, et maintenant que vous avez définitivement quitté cette région,

15 avez-vous rencontré des gens qui, eux aussi, ont été forcés de quitter

16 cette région ?

17 Mme Grubac (interprétation). - Oui oui, j'en rencontre de temps

18 en temps.

19 M. Olujic (interprétation). - Vous rencontrez des gens qui

20 viennent du camp de Celebici, des personnes qui étaient des anciens

21 détenus ?

22 Mme Grubac (interprétation). - Oui.

23 M. Olujic (interprétation). - Leur parlez-vous de votre région

24 natale ?

25 Mme Grubac (interprétation). - Bien sûr, nous en parlons. Bien

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1 sûr, c'est ce qui nous aide le plus d'en parler justement.

2 M. Olujic (interprétation). - Abordez-vous les événements,

3 abordez-vous la guerre ?

4 Mme Grubac (interprétation). - Bien évidemment, c'est le sujet

5 de la plupart de nos conversations.

6 M. Olujic (interprétation). - Quelqu'un s'occupe-t-il de toutes

7 ces personnes ? Existe-t-il une association, une association d'anciens

8 détenus, qui essaient de prendre en charge ces anciens détenus et de les

9 aider ?

10 Mme Grubac (interprétation). - Oui, il existe une telle

11 association. Mais qu'entendez vous par prendre soin d’eux, les prendre en

12 charge. Elle ne leur donne pas d'aide financière. Elle n'a pas trouvé de

13 logement pour ces personnes. C'est simplement une association avec

14 laquelle les détenus travaillent dans l'optique d'aider le Tribunal

15 international, c'est tout.

16 M. Olujic (interprétation). - Qu’en est-il des autorités ? Est-

17 ce que les autorités prennent soin de ces personnes ?

18 Mme Grubac (interprétation). - Personne ne s'occupe d'elles, ne

19 prend soin d’elles.

20 M. Olujic (interprétation). - Peut-on dire que ces personnes ont

21 été trahies d'une certaine façon ?

22 Mme Grubac (interprétation). - Trahir, qu'est-ce que cela

23 implique dans ce cas précis ?

24 M. Olujic (interprétation). - Mais quand personne ne prend soin

25 d’elles ?

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1 Mme Grubac (interprétation). - Eh bien, elles se prennent en

2 charge toutes seules.

3 M. Olujic (interprétation). - Madame Grubac, faisiez-vous partie

4 du Parti communiste ou de la Ligue communiste de Yougoslavie ?

5 Mme Grubac (interprétation). - Oui, depuis l'âge de 18 ans

6 j'étais membre de ce parti.

7 M. Olujic (interprétation). - Au cours de votre déclaration, de

8 votre déposition, vous avez dit concernant M. Rusmir Hadzihuseinovic qu'il

9 avait bénéficié de ces déclarations de tendances extrémistes.

10 Mme Grubac (interprétation). - Je ne sais pas. Je ne me rappelle

11 pas avoir dit cela. Je n'ai pas dit qu'il en avait tiré profit.

12 M. Olujic (interprétation). - Pensez-vous qu'il est pu tirer

13 bénéfice du fait d'avoir fait part de ces tendances extrémistes ?

14 Mme Grubac (interprétation). - Non, j'étais vraiment surprise.

15 Je n'avais pas compris pourquoi il avait accepté de prendre la tête d'un

16 parti nationaliste.

17 M. Olujic (interprétation). - Mais c'était le maire, n’est-ce

18 pas ?

19 Mme Grubac (interprétation). - C'est exact.

20 M. Olujic (interprétation). - Qui était le maire précédent ?

21 Mme Grubac (interprétation). - Je ne me souviens plus

22 exactement. Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que Tomo Kurès a jouer

23 un rôle proéminent en politique ainsi que d'autres personnes. Mais à vrai

24 dire je ne me souviens plus de tout cela.

25 M. Olujic (interprétation). - Madame Grubac, pourrait-on dire

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1 qu'au vu de tout ce qui s'est passé et à cause de tout cela beaucoup de

2 Sertes ont perdu le poste qu'ils occupaient, les biens qu'ils possédaient

3 avant la guerre à cause des atrocités qui se sont produites dans cette

4 région ?

5 Mme Grubac (interprétation). - Les Serbes ont tout perdu, dans

6 cette guerre, leurs terres... Excusez-moi.

7 M. Olujic (interprétation). - Vous serait-il possible d'énumérer

8 certaines des personnes importantes, des personnalités, qui auraient perdu

9 leurs biens ?

10 Mme Grubac (interprétation). - Ce n'est pas leurs bien matériels

11 qui comptent, parce que ces gens ont perdu des gens vivants, leurs

12 proches. C'est ce qui compte le plus. Après tous, ils ont tout perdu, leur

13 identité tout. Excusez-moi je suis un peu bouleversée, mais ils ont tout

14 perdu, tout littéralement. Nous sommes des personnes privées de passé.

15 M. Olujic (interprétation). - Vous travailliez dans une banque,

16 dans des services de comptabilité sociale. Ce sont des postes importants.

17 Vous faisiez partie du Parti communiste. Aviez-vous un rôle social ou

18 politique important, actif, avant la guerre ?

19 Mme Grubac (interprétation). - Hormis le fait que j'étais membre

20 du parti, je n'avais aucune activité politique.

21 M. Olujic (interprétation). - Vous connaissiez bien

22 M. Drago Peric ?

23 Mme Grubac (interprétation). - Je le connaissais simplement,

24 parce que sa femme a été mon professeur.

25 M. Olujic (interprétation). - Quel est le groupe ethnique qui

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1 détenait la majorité à Konjic à l'époque, en 1992 ?

2 Mme Grubac (interprétation). - C'étaient les Musulmans qui

3 étaient majoritaires. Ils représentaient plus de 50 %. Mais je ne connais

4 pas le pourcentage exact. Je sais qu'il représentait plus de 50 % de la

5 population.

6 M. Olujic (interprétation). - Au cours de l'interrogatoire

7 principal, vous avez déclaré être de Bradina. C'est là que vos parents ont

8 une maison. Est-ce exact ?

9 Mme Grubac (interprétation). - Oui.

10 M. Olujic (interprétation). - Vous connaissez donc bien

11 Bradina ?

12 Mme Grubac (interprétation). - Effectivement, je connais bien

13 Bradina.

14 M. Olujic (interprétation). - Vous avez dit que toutes les

15 maisons de Bradina avaient été incendiées. Est-ce exact ?

16 Mme Grubac (interprétation). - Au cours de la première

17 offensive, toutes les maisons n'ont pas été incendiées. Mais il restait

18 quelques rares maisons debout et intactes.

19 M. Olujic (interprétation). - Pourriez-vous nous dire quels

20 étaient les propriétaires des maisons qui ont été incendiées, pour autant

21 que vous le puissiez ?

22 Mme Grubac (interprétation). - C’est un gros village que celui

23 de Bradina. Je ne pourrais pas vous citer le nom de tous les

24 propriétaires. Je pourrais vous en citez quelques-uns tout au plus. Il y

25 avait les Djordjic, les Gligorevic, les M. Kuljanin.

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1 M. Olujic (interprétation). - Lorsque Bradina a été attaquée,

2 est-il exact qu'il y avait quelques 3000 assaillants ?

3 Mme Grubac (interprétation). - C'est ce que j'ai appris plus

4 tard. Enfin, c'est ce que j'ai entendu dire. Je ne connaissais pas le

5 nombre exact. Mais, apparemment, il a été dit qu’il y en avait 3000

6 effectivement. Ce sont les rumeurs qui circulaient dans Konjic par la

7 suite.

8 M. Olujic (interprétation). - Vous n'avez donc pas une

9 connaissance immédiate, directe, de ces faits. C'est simplement ce que

10 vous avez entendu dire.

11 Mme Grubac (interprétation). - Exactement.

12 M. Olujic (interprétation). - Combien de personnes y avait-il

13 qui défendaient Bradina ?

14 Mme Grubac (interprétation). - Peut-être de 200 à 300 personnes

15 parce que c'est tout ce qu'il y avait en matière d’hommes à Bradina.

16 M. Olujic (interprétation). - Les défenseurs disposaient-ils

17 d'équipements militaires ?

18 Mme Grubac (interprétation). - Ils n'avaient pas d'uniforme. Ils

19 avaient quelques armes, quelques fusils.

20 M. Olujic (interprétation). - Et en sus de ces fusils ?

21 Mme Grubac (interprétation). - Impossible de vous dire. Je sais

22 ce que j'ai vu dans mon quartier, dans la partie du village où je me

23 trouvais.

24 M. Olujic (interprétation). - Avant la guerre, vous habitiez

25 Konjic. Votre mari est psychiatre. On peut donc dire que vous évoluiez

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1 dans la société, dans la bonne société de Konjic. Votre famille était très

2 respectée. Pourriez-vous nous dire comment s'appelait le commandant de la

3 JNA à Konjic jusqu'au moment où la JNA a quitté Konjic ?

4 Mme Grubac (interprétation). - Vraiment je ne sais pas, parce

5 que je n'avais pas de rôle actif en politique. Pour moi, il n'était pas

6 important de savoir qui était le commandant de la JNA. Impossible de vous

7 le dire.

8 M. Olujic (interprétation). - Vous ne savez donc pas qui était

9 le commandant, vous ne savez pas non plus qu'elle était son appartenance

10 ethnique.

11 Mme Grubac (interprétation). - Non, je ne savais pas du tout qui

12 était le commandant de la JNA.

13 M. Olujic (interprétation). - Connaissiez-vous l'un quelconque

14 des officiers des casernes de Konjic ou de la garnison de Konjic ?

15 Mme Grubac (interprétation). - Non, non je ne pense pas.

16 M. Olujic (interprétation). - Madame Grubac, dites-moi, vous

17 connaissez M. Zdravko Mucic, n'est-ce pas ?

18 Mme Grubac (interprétation). - C'est seulement de vue que je le

19 connaissais. Nous ne nous disions pas bonjour quand nous nous rencontrions

20 dans la rue. C'était ce niveau-là de connaissance que nous avions l'un de

21 l'autre.

22 M. Olujic (interprétation). - Quels furent et quand se

23 produisirent les premiers contacts avec lui ?

24 Mme Grubac (interprétation). - J'ai pris contact avec lui pour

25 la première fois au camp.

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1 M. Olujic (interprétation). - Quel genre d'accueil vous a-t-il

2 réservé ? Etait-il courtois ou plutôt arrogant ? Etait-il disposé à vous

3 aider ?

4 Mme Grubac (interprétation). - Je dirai qu'il était cordial.

5 M. Olujic (interprétation). - Au cours de l'interrogatoire

6 principal, vous avez déclaré que M. Mucic aurait dit que c'est

7 M. Jusufbegovic qui avait envoyé votre mari au camp. Est-ce exact ?

8 Mme Grubac (interprétation). - En réponse à la question de mon

9 mari qui a demandé si j'avais contacté M. Jusufbegovic, Pavo est

10 intervenu. Il leur a dit : "Tu ne sais pas qui t’as envoyé en prison ? ".

11 Il entendait par là que c'était le Dr Jusufbegovic et Rusmir qui l'avaient

12 envoyé en prison.

13 M. Olujic (interprétation). - Du fait de ce contact que vous

14 avez eu avec M. Mucic au camp, pensez-vous qu'il avait suffisamment

15 d'influence pour permettre la remise en liberté de votre mari ou celle-ci

16 dépendait-elle d’autres personnes ?

17 M. Grubac (interprétation). -Je n'y ai pas pensé à l'époque. En

18 effet, je connaissais Pavo, mais trop mal pour pouvoir lui demander une

19 telle faveur.

20 M. Olujic (interprétation). - Madame Grubac, pourrait-on dire

21 que vous n'avez aucun reproche, rien de négatif à dire à l’égard de

22 M. Mucic ?

23 Mme Grubac (interprétation). - Il était au camp et il aurait dû

24 savoir que des gens étaient tués dans ce camp. Il aurait dû faire quelque

25 chose pour venir à l’aide de ces personnes, pour que ces personnes ne

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1 soient pas rouées de coups, tabassées.

2 M. Olujic (interprétation). - Mais, à en juger par les contacts

3 que vous vous avez eus ?

4 Mme Grubac (interprétation). - Non, rien de négatif dans ces

5 contacts que j'ai eus avec lui.

6 M. Olujic (interprétation). - Pourrait-on dire, Madame Grubac,

7 que MM. Delalic et Mucic —et d'autres personnes qui vous ont aidée plus

8 tard— ont été critiqués, ont été écartés, ont subi un certain ostracisme

9 dans leur propre environnement ?

10 Mme Grubac (interprétation). - M. Pavo et M. Delalic n'ont rien

11 fait pour nous venir en aide. Tout Konjic était un camp pour les Serbes.

12 La seule aide que nous pouvions recevoir, c'était en vue de nous faire

13 sortir de la ville et personne ne nous a fourni cette aide.

14 M. Olujic (interprétation). - Qu'entendez-vous lorsque vous

15 dites que "tout Konjic était un camp" ?

16 Mme Grubac (interprétation). - Je m'explique : mon mari était en

17 résidence surveillée ; même après sa libération du camp, il ne pouvait se

18 déplacer nulle part. Ensuite, n'importe qui pouvait nous arrêter, nous

19 incarcérer, nous priver de nourriture. On ne donnait rien aux Serbes.

20 C'était manifeste. Par exemple, deux jours après la mise en liberté de mon

21 mari, nous avons été arrêtés à nouveau et nous avons été gardés en prison

22 pendant deux mois. Mes enfants étaient seuls. Mon fils avait 18 ans, mais

23 il est tout gris maintenant tellement il a eu des soucis. Tout ce que nous

24 voulions, c'était sortir de la ville ; c'était la seule aide que nous

25 demandions.

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1 M. Olujic (interprétation). - Il n'y avait donc pas vraiment de

2 grande différence entre Konjic et le camp de Celebici ?

3 Mme Grubac (interprétation). - Enfin, personne n'a battu ni

4 frappé les gens à Konjic. Mais il y avait effectivement des gens qui

5 étaient en résidence surveillée.

6 M. Olujic (interprétation). - Vous pensez donc que Konjic était

7 une sorte de camp du fait de l'impossibilité ou de la restriction en

8 matière de liberté de circulation ?

9 Mme Grubac (interprétation). - Mais on ne pouvait pas sortir de

10 nos maisons, on ne nous donnait rien à manger : il n'y avait aucune

11 instance, aucun organisme qui donnait de la farine, de la nourriture aux

12 Serbes. Si l’on n'avait pas eu un peu d'argent, nous serions morts de

13 faim.

14 M. Olujic (interprétation). - Madame Grubac, savez-vous que

15 M. Mucic a conseillé à votre mari de quitter la ville de Konjic, ce que

16 votre mari a refusé de faire ?

17 Mme Grubac (interprétation). - Je n'en étais pas au courant.

18 C'est la première fois que j'apprends cela.

19 M. Olujic (interprétation). - Pourriez-vous confirmer, Madame,

20 le fait que les gens plus tranquilles —groupe dont faisait partie

21 M. Mucic— s'opposaient à la violence et que, de ce fait, ils étaient

22 exposés à certains risques dans leur propre environnement. Je sais que

23 c'est une question qui ressemble à une question que je vous ai déjà posée.

24 Quelles sont vos impressions personnelles, pouvez-vous le dire ?

25 Mme McHenry (interprétation). - Peut-être y a-t-il une petite

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1 question de traduction. Il y a une question que je ne comprends pas. Le

2 transcript nous dit : "Pouvez-vous confirmer que, parmi les gens plus

3 tranquilles —groupe dont faisait partie M. Mucic— ..." ; pourrais-je

4 demander une explication ?

5 M. Jan (interprétation). - (Hors micro.)

6 Mme McHenry (interprétation). - Fort bien, merci Monsieur

7 le Juge Jan.

8 Mme Grubac (interprétation). - Je crois qu'ils n'ont pas empêché

9 les crimes d'être commis et, de ce fait, ils les ont tolérés, voire

10 encouragés.

11 M. Olujic (interprétation). - Merci, Madame Grubac, je n'ai plus

12 de question à vous poser.

13 Mme Grubac (interprétation). - Merci.

14 M. Moran (interprétation). - Un petit instant pour que je

15 branche mes écouteurs... Puis-je commencer, Monsieur le Président ?

16 M. le Président (interprétation). - Allez-y.

17 M. Moran (interprétation). - Monsieur le Président, pourrait-on

18 passer à huis clos parce que je veux évoquer certaines questions qui le

19 nécessitent.

20 M. le Président (interprétation). - Que l'on passe à huis clos.

21 Audience à huis clos

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10 Audience publique

11 Mme McMurrey (interprétation). - Nous n'avons pas de questions à

12 poser à ce témoin, Monsieur le Président.

13 M. le Président (interprétation). - Merci.

14 Y a-t-il un interrogatoire supplémentaire ?

15 Mme McHenry (interprétation). - Très rapidement. Il y a peut-

16 être une erreur de retraduction. Peut-être faut-il vérifier ?

17 Madame, dans l'interprétation en anglais que nous avons reçue de

18 vos propos dans le cadre du contre-interrogatoire, en réponse, je pense, à

19 Me Olujic, vous auriez dit que "deux jours après la libération de votre

20 mari du camp de Celebici, vous et lui-même avez été arrêtés à nouveau".

21 Ai-je bien compris ?

22 M. Jan (interprétation). - C'est ce qui a été dit, mais il me

23 semblait que c'était deux mois plutôt que deux jours.

24 Mme McHenry (interprétation). - C'est précisément le point que

25 je voulais tirer au clair.

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1 M. Jan (interprétation). - (Hors micro.)

2 Mme McHenry (interprétation). - C'est donc plutôt deux mois

3 après votre libération plutôt que deux jours.

4 Mme Grubac (interprétation). - Oui.

5 Mme McHenry (interprétation). - Il a donc été arrêté de nouveau

6 et vous, vous avez été arrêtée pour la première fois. Vous a-t-on emmenée

7 à Celebici ou ailleurs, là où vous avez dû passer plusieurs mois ?

8 Mme Grubac (interprétation). - Nous avons été emmenés au

9 commissariat de police, au MUP de Konjic.

10 M. le Président (interprétation). - Madame, nous en avons

11 terminé. Vous pouvez disposer. Nous vous remercions beaucoup.

12 Mme Grubac (interprétation). - Je vous remercie, Madame et

13 Messieurs les Juges.

14 (Le témoin est reconduit hors de la salle d’audience.)

15 M. le Président (interprétation). - Le moment est peut-être venu

16 d'examiner la requête aux fins de mesures de protection.

17 M. Niemann (interprétation). - A votre guise, Monsieur

18 le Président.

19 S'agissant de la requête que nous avons déposée eu égard à ce

20 point, je tiens simplement à apporter une correction et quelques

21 éclaircissements en ce qui concerne le mémoire que nous avons soumis,

22 avant de passer aux exposés des arguments.

23 Au premier paragraphe, on fait référence à des documents qui

24 n'auraient pas été divulgués ou qui ne sont pas divulgués au public ni aux

25 médias. C’est dit de façon assez collatérale ou, si l'on parle de

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1 photographies, de croquis, éventuellement produits par le témoin, il

2 faudrait effectivement que cela ne soit pas divulgué aux médias.

3 Au deuxième paragraphe, pour ce qui est de la requête que nous

4 formulons, nous faisons référence à la déformation, au dispositif de

5 déformation de l'image et du son. En fait, ce que nous demandons par ce

6 biais, c'est simplement la déformation de l'image. Nous ne demandons pas

7 que la voix soit déformée, s'agissant de ce témoin précis.

8 Madame et Messieurs les Juges, il est sans doute inutile que je

9 demande une audience à huis clos pour ce qui est de cette requête, mais

10 peut-être, tôt ou tard, au cours de l'exposé des arguments, si une

11 question surgit, je me permettrai de vous demander l'autorisation de

12 passer à huis clos. Mais le fondement de cette requête est le suivant. Ce

13 témoin est venu à La Haye, lors du week-end dernier du 10 août. Peu après

14 son arrivée, il a demandé des mesures de protection, évoquées dans le

15 mémoire, que nous avons déposées dans nos écritures. Le témoin ne demande

16 pas d'autres limitations. Il ne demande pas de limitation en ce qui

17 concerne le compte rendu, ni à propos de son nom, de son identité dans un

18 sens large. Il demande simplement que la présentation visuelle des traits

19 de son visage soit déformée. Il se trouve, pour le moment, dans une partie

20 de la Bosnie où il y a un mouvement de retour des habitants vers leur

21 région natale. Il a une femme, un enfant et il estime qu'il va déposer à

22 propos de ce qui lui est arrivé et des circonstances dans lesquelles il a

23 été placé, notamment au camp de Celebici, et que cela pourrait représenter

24 un certain risque pour sa famille.

25 Il est difficile d'évaluer la teneur de telles affirmations,

Page 6132

1 mais il est certain qu'il y a beaucoup d'instabilité en Bosnie-Herzégovine

2 et surtout dans la partie où il se trouve en ce moment. L'accusation

3 estime que les craintes nourries par le témoin sont réelles et qu'il

4 serait justifié, eu égard à ces circonstances, au fait qu'il vient d'une

5 partie très instable de la Bosnie, de faire droit à sa requête. C'est un

6 témoin très important pour l'accusation, parce qu'il a été le témoin

7 oculaire d'éléments qui sont vraiment au coeur des accusations et des

8 chefs d'accusation évoqués dans l'acte d'accusation. Rien ne nous pousse à

9 suggérer ou à penser que ce témoin ne soit pas digne de foi. Les cinq

10 critères repris dans la décision Tadic, qui ont été repris dans

11 l'affaire Blaskic, ne sont sans doute pas tout à fait pertinents. Ce n'est

12 pas une demande de protection aux fins d'anonymat du témoin, mais aux fins

13 de restriction du caractère de publicité concernant ce témoin. Le Tribunal

14 a beaucoup de peine à veiller à la protection des témoins une fois que les

15 témoins ont quitté ce prétoire. Je répète ce que j'ai déjà dit à ce

16 propos.

17 La protection la plus efficace qu'on puisse accorder à un témoin

18 se trouve au sein du prétoire ; cette protection, ce niveau de protection

19 diminue rapidement dès la sortie du témoin de ce prétoire et dès le retour

20 de ce témoin chez lui. Le Tribunal peut accorder cette protection au cours

21 de l'audience et pendant le séjour du témoin à La Haye.

22 S'agissant des critères à respecter, la mesure de protection

23 demandée est la moins restrictive en matière de publicité. Etant peu

24 restrictive, elle n'encourt pas de contraintes significatives pour ce qui

25 est de la publication des éléments et des faits. Dans d'autres affaires,

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1 et dans le cadre de cette question précise, la notion de procès équitable,

2 la notion de publicité des débats doit s'interpréter, à notre avis, dans

3 un contexte qui est vraiment le caractère tout à fait unique de ce

4 Tribunal. Nous fonctionnons dans un environnement inverse, par exemple, à

5 celui du procès de Nuremberg : ici, nous n'avons pas d'influence ni de

6 contrôle directs sur ce qui se passe en ex-Yougoslavie, là où vivent les

7 témoins. Ce manque de contrôle n'existait pas à Nuremberg parce que les

8 forces alliées et les pouvoirs alliés disposaient d'un pouvoir de contrôle

9 que nous n'avons pas. Je pense que les mesures de protection demandées

10 respectent, bien sûr, les accords de Dayton et tout ce que fait la SFOR,

11 mais nous sommes loin des possibilités qu'il y avait à Nuremberg.

12 S'agissant de la compétence dont dispose cette Cour, il faut

13 bien dire que nous n'avons pas autant de pouvoir que des tribunaux

14 nationaux ou des forces de police relevant de juridictions nationales. A

15 notre avis, la mesure demandée est la moins restrictive possible. C'est

16 une mesure que nous estimons justifiée. Sauf avis contraire de vous,

17 Madame et Messieurs les Juges, nous estimons qu'il est seyant que vous

18 fassiez droit à cette requête.

19 M. le Président (interprétation). - Qu'en pense la défense ?

20 M. Ackerman (interprétation). - La seule préoccupation que

21 j'aimerais émettre, c'est que, d'après les premiers indices —et nous

22 n'avons pas encore les moyens de le prouver—, on nous a fait savoir que le

23 dernier témoin qui avait demandé ces mesures, M. Sudar, avant de quitter,

24 avait donné à la télévision de Belgrade une interview qui allait passer

25 sur les écrans après que M. Sudar ait comparu devant nous. Si ce témoin a

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1 fait de même, qu'il a accordé une interview soit à la télévision de

2 Belgrade ou à quelqu'un d'autre, il semblerait que, si un témoin vient à

3 La Haye, demande ce type de protection, c'est peut-être pour se donner de

4 l'importance et non pas parce que la protection est absolument impérieuse.

5 Si des gens donnent des interviews à Belgrade, il n'est pas nécessaire

6 d'accorder ce degré de protection, me semble-t-il.

7 Mme Residovic (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges,

8 j'allais avancer exactement les mêmes arguments que mon confrère,

9 Me Ackerman.

10 Je comprends, certes, qu'un témoin puisse évoquer des

11 circonstances particulières. Je comprends aussi que cette Chambre peut

12 accorder des mesures de protection. Pourtant, hier, Me Ackerman a soulevé

13 une question capitale lors d'une audience à huis clos. Et il nous faut

14 tous garder à l'esprit le fait que, lorsqu'un témoin rentre chez lui, il

15 va peut-être être exposé à des risque divers sur place. Toutefois, du fait

16 que des mesures de protection peuvent transformer ce procès en procès

17 secret —et cela représente un danger certain—, des témoins, tels que celui

18 qui demande des mesures de protection, voient leur nom apparaître

19 entièrement sur les écrans de la télévision de Belgrade, le lendemain.

20 M. Olujic (interprétation). - M. le Président, avec tout le

21 respect que je dois à mon collègue de l'accusation, je pense que, compte

22 tenu de l'esprit du statut et du règlement de procédure et de preuve, il y

23 a un point qui est largement souligné, à savoir la nécessité pour le

24 procès d'être public. Mon collègue a rappelé le procès de Nuremberg. Mais,

25 si un procès doit être public, il faut aussi qu'il soit équitable et

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1 l'introduction d'arguments portant sur la possibilité pour un témoin de

2 bénéficier de mesures de protection ou de ne pas en bénéficier, la

3 combinaison de cela, suivie par l'accord que donne un témoin à la

4 télévision de Belgrade de donner une interview, tout cela s'est simplement

5 une manière de saper la bonne administration de la justice : un témoin qui

6 demande des mesures, qui engage le Tribunal —Tribunal qui va lui accorder

7 ces mesures— et qui, le lendemain, se rend à la télévision de Belgrade ou

8 d'ailleurs pour parler, ce témoin insulte en fait le Tribunal.

9 C'est la raison pour laquelle nous sommes opposé à ce qu'une

10 telle carte puisse être jouée, à ce qu'une telle optique puisse être

11 appliquée. Nous pensons que, ce faisant, nous ne nuisons à personne et ne

12 lésons le droit de personne.

13 M. Karabdic (interprétation). - Monsieur le Président, la

14 défense de Hazim Delic ne peut pas accepter les raisons fournies par

15 l'accusation dans sa requête. Le retour des réfugiés est l'une des

16 dispositions les plus essentielles qui figurent à l'accord de paix. Le

17 Tribunal également oeuvre en faveur du maintien de la paix, notamment dans

18 son enceinte, puisque le chapitre 7 de la Charte des Nations-unies a

19 permis au Conseil de sécurité de créer ce Tribunal à cette fin.

20 Prétendre que la mise en oeuvre des Accords de Dayton,

21 s'agissant des réfugiés, va avoir des conséquences particulières sur un

22 nombre très restreint de réfugiés, car il est tout à fait manifeste que le

23 témoin dont nous parlons vit en Republica Srpska où très peu de réfugiés

24 sont retournés. Prétendre donc qu'il court un risque en se rendant sur les

25 lieux, c'est réellement une façon de ridiculiser le processus de paix tout

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1 entier, ce qui signifierait que le processus de paix en lui-même est une

2 source de danger. Ces arguments sont inacceptables et devraient être

3 rejetés.

4 Mme McMurrey (interprétation). - Je voudrais être entendue une

5 seconde. J'ai une question à poser.

6 M. le Président (interprétation). - Maître, votre conseil

7 principal a déjà pris la parole. Il s'est exprimé.

8 Mme McMurrey (interprétation). - Monsieur le Président, juste un

9 mot.

10 M. le Président (interprétation). - Vous auriez dû demander à

11 votre conseil principal de se charger de dire ce que vous aviez à dire.

12 Mme McMurrey (interprétation). - Je ne vais alors pas pouvoir

13 poser une seule question ?

14 M. le Président (interprétation). - Je crains que cela ne soit

15 le cas, effectivement.

16 Mme McMurrey (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

17 M. Jan (interprétation). - Le témoin, M. Sudar, est-il apparu à

18 la télévision de Belgrade après avoir comparu devant nous et avant d'avoir

19 demandé des mesures de protection ? Cela rend les choses tout à fait

20 ridicules.

21 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, je n'ai

22 pas vu...

23 M. Jan (interprétation). - Si un seul témoin a abusé des

24 concessions qui lui ont été faites, cela ne signifie pas qu'il faut

25 refuser ces mesures à tout le monde. C'est un problème grave.

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1 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président,

2 Maître Olujic dit que telle et telle chose se sont passées. Nous avons

3 procédé à une enquête auprès de la division de protection des victimes et

4 des témoins et nous avons été informés à cette époque, que l'émission a eu

5 lieu à Belgrade, qu'à l'époque où l'émission a eu lieu à Belgrade le

6 témoin se trouvait à La Haye et il n'avait pas encore quitté La Haye.

7 Il nous semble, Monsieur le Président, que les allégations de

8 mépris du Tribunal sont un peu exagérées. Mais bien entendu, nous

9 poursuivons notre enquête, car nous voulons découvrir quelle est la

10 réalité des faits. Nous ne voulons pas nous appuyer sur des supputations

11 ou des rumeurs.

12 Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Juges, il est

13 possible que ce témoin ait donné une interview avant de venir à La Haye.

14 Cela est, bien sûr, regrettable. Ce n'est pas quelque chose que

15 l'accusation savait à l'avance. Il est possible de donner des interview

16 avant de comparaître. C'est ce que cet homme nous a laissé entendre. Cette

17 interview a été publiée par la suite. Mais nous allons poursuivre notre

18 enquête.

19 S'agissant de cela, Monsieur le Président, vous avez tout à fait

20 raison. Il ne faut pas qu'un témoin puisse, parce qu'il a fait quelque

21 chose, entraîner une sanction qui serait infligée à l'ensemble des autres

22 témoins comparaissant dans un même procès. Nous ferons tout ce que nous

23 pouvons pour décourager ce genre d'incident, notamment lorsque les

24 émissions ont lieu après les comparutions. C'est tout à fait regrettable.

25 Bien entendu, vous comprendrez bien que nous n'avons pas le contrôle sur

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1 l'ensemble des événements. Il y a parfois des gens qui agissent d'une

2 manière qui peut être qualifiée de mépris du Tribunal. Mais je serais

3 surpris que ce soit le cas dans cette affaire.

4 Monsieur le Président, s'agissant des procès secret, je crois

5 que parler de la sorte, c'est aller vraiment trop loin. Ce n'est pas une

6 question de procès secret. Dans la plupart des systèmes judiciaires, les

7 liaisons vidéo avec les moyens d'information sont utilisées. Le Tribunal

8 est ouvert, les gens peuvent s'asseoir dans les galeries. Ici, le public

9 est autorisé à écouter l'ensemble du procès, les dépositions. La seule

10 chose qui est empêchée en cas de huis clos, c'est de voir le visage du

11 témoin. Cela n'a rien à voir avec un procès secret. Dire cela, c'est

12 vraiment aller trop loin. S'agissant uniquement des stores qui sont

13 baissés, je voudrais qu'on utilise d'autres expressions.

14 M. Ackerman (interprétation). - Apparemment, je n'ai pas réussi

15 à convaincre le Tribunal au sujet de ce témoin, mais nous allons en tout

16 cas procéder à une enquête et voir si l'interview a été accordée avant ou

17 après la comparution. Nous allons voir si cela a un sens d'accorder des

18 mesures de protection à un seul témoin. Voilà ce je voulais dire.

19 M. le Président (interprétation). - Je partage tout à fait les

20 positions de Me Ackerman quant à des témoins qui ne se seraient pas

21 conduits de façon appropriée. Si les témoins agissent de la sorte

22 désormais, ce sera effectivement un motif de poursuite pour mépris du

23 Tribunal.

24 Autrement, je ne pense pas que dans les circonstances de cette

25 requête proposée par l'accusation, l'accusation ait été informée à

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1 l'avance. Il est donc, tout à fait impossible d'agir dans ce ce sens, en

2 ce cas précis.

3 En tout état de cause, ce qui est demandé aujourd'hui à la

4 Chambre de première instance, c'est simplement de déformer l'image du

5 visage du témoin, rien d'autre. Sa voix peut continuer d'être entendue, sa

6 voix authentique. Ceux qui le reconnaissent d'après sa voix, le

7 reconnaîtront. Son identité n'est donc pas totalement masquée. Je ne sais

8 pas comment la Chambre d'instance peut satisfaire à la troisième condition

9 que vous avez demandée, celle qui consiste à empêcher que des

10 photographies de cet homme soient prises alors qu'il se trouve dans

11 l'enceinte du Tribunal international.

12 L'ordonnance a été prise. Il faut donc procéder selon les

13 dispositions de cette ordonnance. C'est une question un peu difficile pour

14 cette Chambre d'instance.

15 M. Niemann (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

16 J'imagine que des photos ont pu être prises ou des dessins ont pu déjà

17 être faits et l'ordonnance, bien sûr, ne s'applique pas à ce qui a pu être

18 fait jusqu'à présent.

19 S'agissant du paragraphe n°°3, j'imagine bien qu'une ordonnance

20 de la Cour serait difficile à appliquer dans ces conditions. Mais je pense

21 que cette requête porte davantage sur les problèmes de galerie du public

22 et de Chambre d'instance en tant que telle.

23 M. le Président (interprétation). - A l'intérieur de la salle

24 d'audience, bien entendu, nous pouvons imposer des mesures de sécurité,

25 celles que proposent le Tribunal international. Mais le Tribunal

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1 international dans son ensemble, ce n'est pas uniquement la salle

2 d'audience.

3 M. Niemann (interprétation). - Je comprends bien,

4 Monsieur le Président. S'agissant de cela, nous nous satisferions d'un

5 amendement qui stipulerait "dans la salle d'audience du Tribunal

6 international" en remplacement des mots qui existent actuellement à ce

7 paragraphe, si cela rend l'ordonnance plus facile à appliquer.

8 M. le Président (interprétation). - A mon avis, il serait plus

9 simple de garder cette disposition dans le paragraphe n°°2.

10 M. Niemann (interprétation). - C'est, en fait, l'aspect

11 principal de notre requête, Monsieur le Président.

12 M. le Président (interprétation). - C'est la seule chose que

13 nous pouvons faire. Si nous maintenons le paragraphe n°°2 et si nous

14 introduisons cela au paragraphe n°°2, cela vous convient-il ? Nous ne

15 parlerons plus de procès secret, puisqu'on peut entendre la voix du

16 témoin. Il n'y a aucun secret au sujet des événements relatés. Merci. Nous

17 faisons donc droit à cette requête

18 M. Jan (interprétation). - Vérifier si l'interview a déjà été

19 accordée à la télévision.

20 M. Niemann (interprétation). - Je le ferai sans aucun doute,

21 Monsieur le Juge.

22 M. le Président (interprétation). - Dans ces conditions, je

23 pense que nous pouvons poursuivre.

24 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous m'excuser quelques

25 instants ? Je voudrais dire quelques mots au témoin.

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1 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie.

2 Nous allons maintenant avoir une pause. Nous reprendrons à midi

3 moins le quart.

4 L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 45.

5 M. Niemann (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges, je

6 voudrais soulever deux points.

7 D'abord, en ce qui concerne la question selon laquelle il faut,

8 concernant le témoin pour lequel j'ai demandé les mesures de protection

9 selon le fait qu'il a oui ou non donné des interviews auparavant, il a

10 déclaré qu'il n'a pas donné une interview par le passé. Il me dit qu'il

11 n'a pas le projet de donner une interview dans un futur. Il ne le fera

12 pas.

13 Concernant la question concernant Branco Sudar, le témoin

14 précédent qui a effectivement donné une interview à la télévision de

15 Belgrade, ce sujet a été soulevé par la défense l'autre jour.

16 Nous nous sommes assurés du fait que, suite à nos enquêtes, il

17 s'agissait en fait d'un programme du Tribunal qui a été envoyé à Belgrade

18 où il y avait une déformation des traits du témoin, déformation qui avait

19 été réalisée par nos techniciens. C'est tout ce qu'il y avait. Nous

20 poursuivons bien sûr nos enquêtes dans ce cadre.

21 M. le Président (interprétation). - Mais, à part cela, à part le

22 souhait de M. Vukalo de ne pas accorder d’interview, avez-vous obtenu de

23 lui un engagement selon lequel il comprenait que c'était vraiment tout à

24 fait différent de simplement sa décision de ne pas accorder d’interview ?

25 M. Niemann (interprétation). - Je lui ai posé cette question et

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1 je lui ai demandé s'il était prêt à s'engager dans ce sens. Il m’a dit

2 qu'il le ferait.

3 M. le Président (interprétation). - Vous avez parlé de ce

4 circuit de télévision britannique. De quoi s'agit-il ?

5 M. Niemann (interprétation). - Effectivement, c’est parti de

6 chez nous. C'est passé par la télévision britannique et c'est arrivé à

7 Belgrade. On a retransmis les images de ce qui s'était passé précisément

8 ici.

9 M. le Président (interprétation). - Il ne s'agissait donc pas

10 d'une interview qu’il aurait accordée ?

11 M. Niemann (interprétation). - Tout à fait, c'est simplement la

12 diffusion d'images prises au Tribunal.

13 M. le Président (interprétation). - Fort bien.

14

15 M. le Président (interprétation). - Vous pouvez poursuivre avec

16 votre prochain témoin, M. Vukalo.

17 (Le témoin est introduit dans la salle d’audience.)

18 M. Niemann (interprétation). - Fort bien. J'appelle à la barre

19 M. Vukalo.

20 M. le Président (interprétation). - Veuillez faire prêter

21 serment au témoin.

22 M. Vukalo (interprétation). - Je déclare solennellement que je

23 dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

24 M. le Président (interprétation). - Vous pouvez vous asseoir.

25 M. Vukalo (interprétation). - Je vous remercie.

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1 M. Niemann (interprétation). - Veuillez décliner votre identité

2 devant le Tribunal, s'il vous plaît.

3 M. Vukalo (interprétation). - Je m’appelle Hristo Vukalo.

4 M. Niemann (interprétation). - Monsieur Vukalo, je dois vous

5 informer du fait que le Tribunal vous a accordé un certain nombre de

6 mesures de protection quant à votre déposition au cours de ces débats.

7 C'est-à-dire qu'il n'y aura pas d'image de votre visage. Nous avons pris

8 des mesures techniques. Il ne paraîtra pas sur les écrans. Vous comprenez

9 les mesures qui ont été prises ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Je vous remercie.

11 M. Niemann (interprétation). - Monsieur Vukalo, voulez-vous nous

12 dire quel est votre lieu de naissance ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Je suis né à Bjelovcina dans la

14 municipalité de Konjic.

15 M. Niemann (interprétation). - Quelle est votre date de

16 naissance, s'il vous plaît ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Je suis né le 29 mars 1964.

18 M. Niemann (interprétation). - Où avez-vous suivi votre

19 formation, votre éducation ?

20 M. Vukalo (interprétation). - J'ai suivi quatre années à l'école

21 élémentaire de Bjelovcina.

22 M. Niemann (interprétation). - Par la suite ?

23 M. Vukalo (interprétation). - J'ai également suivi des études

24 par la suite. J'ai été jusqu'à la sixième à Konjic, dans l’école de

25 Konjic, dans une école qui s'appelle Znonimir Nono qui se trouve à Musala.

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1 Par la suite, j'ai suivi tous les cours de l'école secondaire à Konjic

2 également dans une école qui forme à l'utilisation des machines-outils.

3 M. Niemann (interprétation). - Dans cette école, vous avez reçu

4 une formation particulière pour une profession spéciale ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je suis devenu mécanicien. Je

6 suis formé pour me servir des machines-outils.

7 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous fait votre service

8 militaire dans le sein de l'armée populaire yougoslave ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Oui, c'est là que j'ai fait mon

10 service militaire. Je n'avais que des fonctions limitées, parce que je

11 souffre de problèmes cardiaques et j'ai subi une intervention

12 chirurgicale.

13 M. Niemann (interprétation). - A quel moment avez-vous suivi

14 cette formation au sein de la JNA, vous en rappelez-vous ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je m'en souviens. Je suis

16 rentré dans l'armée en 1984 au milieu du mois de novembre. Je n'ai pas la

17 date exacte. J'ai fait tout mon service militaire et j'ai terminé mon

18 service en 1985, au mois de décembre. Donc j'ai fait l'intégralité de mon

19 service militaire.

20 M. Niemann (interprétation). - Quels sont vos antécédents au

21 point de vue ethnique ?

22 M. Vukalo (interprétation). - Je suis Serbe.

23 M. Niemann (interprétation). - Avant 1992, aviez-vous un

24 emploi ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

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1 M. Niemann (interprétation). - Que faisiez-vous ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Je travaillais pour une

3 entreprise, en fait une usine en Slovénie. C'était une entreprise serbe de

4 Vranje. Elle s'appelait SZP.

5 M. Niemann (interprétation). - Quelle était l'activité

6 principale de cette entreprise ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Moi, j'étais soudeur dans cette

8 entreprise.

9 M. Niemann (interprétation). - Et avant 1992, où habitiez-vous ?

10 Quel était votre lieu de résidence principal ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Je me contenterai de dire ceci :

12 j'ai trouvé un emploi en 1990 dans l'usine IGMAN à Konjic, et j’ai vécu à

13 Bjelovcina.

14 M. Niemann (interprétation). - Travailliez-vous encore à l'usine

15 IGMAN juste avant que le conflit n'éclate en 1992 ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Oui, absolument.

17 M. Niemann (interprétation). - Où viviez-vous juste avant que

18 les opérations militaires ne soient lancées en 1992 ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Je vivais à Bjelovcina.

20 M. Niemann (interprétation). - Etiez-vous marié à cette époque-

21 là ?

22 M. Vukalo (interprétation). - Oui, et j'ai un enfant.

23 M. Niemann (interprétation). - A cette époque-là, vous aviez

24 déjà un enfant, des enfants ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Mon enfant avait 4 ans a l'époque.

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1 M. Niemann (interprétation). - Vous-même, Monsieur, preniez-vous

2 part à des activités militaires de quelque sorte que ce soit au cours des

3 mois qui ont précédé le début des activités militaires qui ont commencé au

4 début de 1992 ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Non.

6 M. Niemann (interprétation). - Environ à quelle période avez-

7 vous cessé de travailler ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Je pense que c'était au début du

9 mois d'avril. Ils nous ont dit de partir. Peut-être que c'était au mois de

10 mars. Je n'en suis pas absolument certain. En fait, nous étions sur ce qui

11 était appelé "la liste d'attente". Nous étions au chômage. On nous avait

12 dit qu'il n'y avait pas de travail.

13 M. Niemann (interprétation). - Cette liste avait été établie par

14 l'usine pour laquelle vous travailliez ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Nombre de Serbes, hormis moi-

16 même, figurions sur cette liste.

17 M. Niemann (interprétation). - La période entre le moment où

18 vous avez perdu votre emploi jusqu'au moment où les opérations militaires

19 ont commencé, quelle a été la durée de cette période ? Qu'avez-vous fait

20 au cours de cette période ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Je suis resté chez moi et j'ai

22 travaillé la terre.

23 M. Niemann (interprétation). - Vous souvenez-vous à quelle

24 époque les activités militaires ont été lancées dans la région dans

25 laquelle vous habitiez ?

Page 6147

1 M. Vukalo (interprétation). - Avant que mon village ne soit

2 attaqué, il y avait des postes de contrôle qui avaient été établis aux

3 abords de la ville de Konjic. Ils ont été établis par la population croate

4 et la population musulmane.

5 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous dire au Tribunal,

6 au cours de quel mois ces postes de contrôle ont-ils été établis dans le

7 courant de l'année 1992 ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Quand ont-ils été mis sur pied ?

9 Je ne sais pas exactement. Je sais qu'en avril, il y avait déjà ces postes

10 de contrôle, parce que je ne pouvais pas me rendre en ville.

11 M. Niemann (interprétation). - Monsieur, à quelle date

12 Bjelovcina a-t-elle été soumise à une attaque ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Elle a été attaquée le

14 20 mai 1992.

15 M. Niemann (interprétation). - Lors de cette attaque, où vous

16 trouviez-vous vous-même ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Ce jour-là, je me trouvais en

18 compagnie de mon père et nous rentrions les tas de foin dans la grange. Il

19 devait être 16 heures ou 17 heures. On entendait des coups de feu en

20 direction des villages de Donje Selo et de Cerici.

21 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous avez entendu ces

22 coups de feu éclater, qu'avez-vous fait ?

23 M. Vukalo (interprétation). - J'ai tout arrêté. Je suis rentré

24 dans la maison. Quant à mon père, il est parti vers les prairies, parce

25 que nous avions des moutons là-bas. Il voulait les rassembler et les

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1 reconduire dans la grange. Je ne comprenais pas ce qui se passait.

2 M. Niemann (interprétation). - En dehors de votre père, y avait-

3 il quelqu'un d'autre avec vous à ce moment-là ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Il y avait ma femme, mon enfant.

5 Tous les deux se trouvaient dans la maison. Il y avait ma mère également

6 et mon frère.

7 M. Niemann (interprétation). - Les tirs, les opérations

8 militaires se sont intensifiés à ce moment-là. Avez-vous cherché à trouver

9 un abri ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Non. Après environ quarante

11 minutes, les tirs ont éclaté dans le village même. Il y a cinq maisons qui

12 forment un groupe que l'on appelle Vukalo, et là, nous pouvions entendre

13 des coups de feu. Les tirs provenaient de la colline de Lovno. Ils

14 provenaient également des villages Hasanovici et de Dzajici qui se

15 trouvent à deux centsou trois cents mètres de mon village.

16 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé ? Qu'avez-vous

17 fait ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Nous avions très peur. Nous étions

19 surpris. Ils tiraient dans les cours des maisons. Les enfants, les femmes,

20 les personnes âgées, les malades, toutes ces personnes s'enfuyaient dans

21 toutes les directions. En fait, ils se dirigeaient vers la forêt qui se

22 trouvait à deux cents ou trois cents mètres de cet endroit.

23 M. Niemann (interprétation). - Vous-même, avez-vous cherché à

24 vous enfuir vers la forêt ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Bien entendu, avec ma femme et mon

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1 enfant, et avec ma mère et mon frère. Et puis, tous nos voisins, les

2 femmes, les enfants., les femmes et les enfants qui vivaient dans ces

3 quatre ou cinq maisons dont j'ai parlé tout à l'heure.

4 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous vous êtes enfuis,

5 avez-vous emmené des armes avec vous ?

6 M. Vukalo (interprétation). - Non.

7 M. Niemann (interprétation). - Aviez-vous des armes dans votre

8 maison au moment de l'attaque ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Non.

10 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps êtes-vous restés

11 dans la forêt ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Nous y sommes restés jusqu'au

13 matin suivant. Tôt le matin —je ne sais plus exactement à quelle heure—,

14 nous sommes rentrés chez nous, dans notre maison.

15 M. Niemann (interprétation). - "Nous", cela veut dire votre

16 femme, votre enfant, votre mère ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Oui, bien sûr, tout le monde.

18 M. Niemann (interprétation). - A ce moment-là, avez-vous

19 remarqué, avez-vous vu si quelqu'un défendait le village contre les

20 attaquants ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Mon village se trouvait, ou plutôt

22 notre petit groupe de maisons se trouvait un peu à l'écart des autres

23 maisons, à cinq cents ou mille mètres, peut-être un kilomètre des autres

24 maisons. Je n'ai pas entendu de tirs provenant du village.

25 M. Niemann (interprétation). - A ce moment-là, saviez-vous qui

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1 était en train d'attaquer le village ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Lorsqu'ils tiraient sur la maison,

3 ils criaient, il chantaient ; en fait, ils hurlaient. Ils disaient des

4 choses comme "Allah-o-akbar".

5 M. Niemann (interprétation). - Vous avez vu qui étaient ces

6 personnes ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Oui, bien sûr.

8 M. Niemann (interprétation). - Qui étaient-elles ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Des Musulmans, des Croates qui

10 provenaient des villages voisins.

11 M. Niemann (interprétation). - Je vous remercie. Quelle était la

12 population du village de Bjelovcina ? Quelle était la répartition des

13 populations dans les différents groupes ethniques ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Il y avait cinquante à soixante

15 foyers dans ce village. Sur ce nombre, quatre foyers étaient musulmans. Il

16 y avait aussi six ou sept maisons croates. Et puis, il était entouré par

17 huit ou plus maisons croates et musulmanes.

18 M. Niemann (interprétation). - Quel était le groupe ethnique

19 majoritaire à Bjelovcina ?

20 M. Vukalo (interprétation). - La majorité de la population était

21 serbe.

22 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu ce dont les

23 attaquants se servaient pour attaquer le village ? Je parle des armes qui

24 étaient utilisées.

25 M. Vukalo (interprétation). - Ils avaient des fusils

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1 automatiques qui envoyaient des rafales.

2 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il des tirs de mortier,

3 de l'utilisation d'artillerie lourde ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Il y avait des grenades qui

5 étaient lancées. On utilisait des fusils. Et puis, le jour suivant, c'est-

6 à-dire le 21 mai, j'ai également entendu des obus. Mais enfin, ce n'était

7 pas tout proche. Ils tombaient vers le bas du village. J'ai entendu deux

8 obus tomber.

9 M. Niemann (interprétation). - Saviez-vous si la JNA, l'armée de

10 la Republika Srpska était en activité dans la région ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Avant que tout cela ne commence,

12 la JNA avait un certain nombre de centres militaires à Celebici. Je parle

13 des bâtiments militaires. Il y en avait aussi à Ljuta, à Konjic, à Zlatar.

14 Ils ont été chassés et, à Celebici, les soldats de la JNA ont été

15 capturés ; c'est ce qu'un voisin m'a dit. Ils ont été emmenés à Split. Par

16 conséquent, il n'y avait pas de membres de l'armée yougoslave à cette

17 époque-là. Dans le village, il n'y avait pas d'armée serbe.

18 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il une autre forme de

19 résistance militaire organisée face à cette attaque, ou du moins en avez-

20 vous eu connaissance ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Je ne dirais pas qu'il y avait une

22 résistance organisée. Il y avait cinquante, soixante hommes en âge de

23 combattre, pas plus.

24 M. Niemann (interprétation). - Ces hommes-là prenaient-ils part

25 à la défense du village ?

Page 6152

1 M. Vukalo (interprétation). - Pour ce qui est de la population

2 du village de Bjelovcina, je n'ai pas entendu dire, ni à ce moment-là ni

3 plus tard, qu'il y avait eu une résistance quelconque.

4 M. Niemann (interprétation). - Vous avez dit être retournés au

5 village le jour suivant, le 21 mai, après avoir passé la nuit dans la

6 forêt. A votre retour, que s'est-il passé ? Pouvez-vous nous le dire ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Lorsque nous sommes rentrés

8 dans notre maison, c'était vraiment le chaos : les portes avaient été

9 abattues, les fenêtres avaient volé en éclat., tout était sans dessus

10 dessous dans la maison, tous les meubles avaient été cassés. C'était comme

11 si un ouragan avait balayé la maison. Nous sommes restés dans la maison.

12 Nous avons essayé de réparer des choses, de remettre les choses en ordre.

13 Vers 9 heures du matin, le 21 mai, nous avons vu à deux cents ou trois

14 cents mètres de la maison, de l'autre côté de la prairie qui s'appelle

15 Lopata, nous avons donc vu trois ou quatre soldats qui se dirigeaient vers

16 notre maison.

17 M. Niemann (interprétation). - Lorsque cela s'est passé, vous

18 avez décidé de passer à l'action ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Lorsqu'ils sont arrivés, à quelque

20 cent cinquante mètres de nous, ils couraient. A ce moment-là, ils ont à

21 nouveau ouvert le feu sur nous, vers le groupe de maisons oùje me

22 trouvais. Une fois de plus, nous nous sommes enfuis vers la forêt avec nos

23 femmes, avec les enfants, avec les personnes âgées, avec les malades.

24 M. Niemann (interprétation). - A un moment donné, vous êtes-vous

25 véritablement dirigés vers les soldats ?

Page 6153

1 M. Vukalo (interprétation). - Les soldats n'arrêtaient pas de

2 tirer, n’arrêtaient pas de crier. Qui s'approcherait de ces soldats ? Il

3 faudrait être fou pour faire cela. Moi, je me suis caché derrière un gros

4 rocher. Ma femme, mon enfant aussi, eux ne sont pas parvenus à sortir de

5 la forêt. Ma femme et mon enfant ont été emmenés.

6 M. Niemann (interprétation). - Qui les a emmenés ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Des soldats de l'armée musulmane,

8 des Croates aussi.

9 M. Niemann (interprétation). - Est-ce que plus tard les soldats

10 vous ont emmenés vous aussi ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Non. Nous sommes descendus sans

12 trop savoir que faire. Nous sommes descendus vers le village musulman de

13 que Kralupi et un de mes parents, alors que nous étions à peu près à

14 200 mètres du village de Kralupi, est allé voir cet homme qui avait été

15 son témoin au mariage, Arif Dzelilovic. Nous avions peur.

16 Nous avions peur d’entrer et d’aller avec les femmes et les

17 enfants parce que nous craignons qu'on ouvre le feu sur nous depuis le

18 village de Kralupi. C'est alors que Amir Dzelilovic est venu. Il nous a

19 amené devant une maison où il y avait beaucoup de soldats, temps des

20 Musulmans que des Croates. Je connaissais certain d'entre eux.

21 C'est alors qu'arrive Dzelilovic. Ils nous ont emmenés, mon

22 frère et moi, chez lui. Quant à ma mère et aux autres femmes, elles sont

23 restées devant ce qui semblait être un petit poste de commandement qu'ils

24 semblaient avoir à Kralupi, mais de la maison de Arif.

25 C'est alors que Vahid Masic est venu. Nous étions compagnons de

Page 6154

1 travail à l'usine IGMAN. Il était armé, porté un uniforme de camouflage.

2 Il y avait aussi un jeune homme, un Croate du village de Turija, homme que

3 je ne connaissais pas.

4 M. Niemann (interprétation). - Cet homme, faisait-il parti de

5 l'armée musulmane ?

6 M. Vukalo (interprétation). - Oui, il était armé, mais il

7 n'était pas avec les Musulmans. Il y avait des soldats musulmans dans le

8 village de Kralupi, mais quelqu'un avait sans doute dit à quelqu'un de

9 haut rang, au commandement, que nous étions arrivés à Kralupi. Cet homme

10 là avait sans doute été dépêché, avait été chargé de m'emmener à cet

11 endroit-là.

12 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il alors passé lorsque

13 vous êtes arrivé à cet endroit ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Dès qu'il est arrivé, il m'a

15 insulté mais ne m'a pas frappé. Nous avons été emmenés à la maison

16 Vejsil Salilovic, moi et mon frère Branko.

17 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous avez Vahid Masic,

18 vous, votre frère, ou une autre personne du groupe, portiez-vous une arme

19 à ce moment-là ?

20 M. Vukalo (interprétation). - Non.

21 M. Niemann (interprétation). - Fort bien. Que s'est il passé à

22 ce moment-là ?

23 M. Vukalo (interprétation). - Tout au long du chemin,

24 Vahid Masic n'arrêtait pas de nous insulter, mais il ne nous a pas

25 frappés, ni mon frère, ni moi. Nous sommes arrivés à la maison de

Page 6155

1 Vejsil Salilovic, qui se trouve près de l'école élémentaire de Bjelovcina,

2 et là nous avons vu toute une troupe, tout un attroupement, de soldats

3 armés.

4 Dès que nous nous sommes approchés, l'un d'entre eux a frappé

5 mon frère. Cet homme -là, qui a frappé mon frère, je ne le connaissait

6 pas. Mon frère est tombé. Ils ont commencé à le rouer de coups. Ils

7 criaient : "Tuez les Chetniks". Et puis, ils ont commencé à me frapper moi

8 aussi.

9 M. Niemann (interprétation). - Connaissiez-vous les personnes

10 qui vous frappaient ? Vous les avez reconnues ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Alors que j'étais au sol,

12 couvert de sang, Redjo Balic, du village de Zukici, a sorti, un couteau.

13 Il hurlait. Il voulait me trancher la gorge. Il a appuyé la langue du

14 couteau contre ma nuque. C'est alors qu'un autre soldat, que je ne

15 connaissais pas, l’a retenu, l’a écarté parce qu'il avait le genou sur ma

16 poitrine à ce moment-là. Je n'ai pas perdu connaissance, mais j'étais

17 vraiment en mauvais état après ce tabassage. J'avais du sang qui me

18 coulait du nez, de la bouche. Il y avait aussi Smajic. Je connais son

19 surnom, on le connaît sous le surnom de Duda, mais je ne connaissais pas

20 son prénom.

21 J’ai été emmené en direction d'une maison qui se trouvait à

22 environ 50 mètres de distance de la maison de Vejsil. Cette maison était

23 celle de Bozo Tomic.

24 M. Niemann (interprétation). - Cette personne, c'était un des

25 soldats ou c'était une des personnes qui avaient été arrêtées ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - En tout cas, il portait un

2 uniforme. C'était un Musulman. Il avait un fusil.

3 M. Niemann (interprétation). - Que vous est-il arrivé lorsque

4 vous êtes arrivé à la maison de Bozo Tomic ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Ils m'ont emmené à l'étage, au

6 premier étage de la maison. Ils m'ont fait pénétrer dans une pièce où ce

7 Duda m’a de nouveau frappé. Duda m'a dit de me coucher au sol. Il m'a

8 frappé avec sa crosse de fusil. Il m'a donné des coups de pied. Il avait

9 des bottines de soldat au pied. Il avait aussi un bâton avec lequel il m'a

10 aussi frappé. En fait, c'était plutôt une espèce de barre, de gros câble

11 industriel.

12 M. Niemann (interprétation). - Sur quelles parties de votre

13 corps vous a-t-il frappé ?

14 M. Vukalo (interprétation). - C'est surtout au dos qu'il me

15 frappait, bien qu'il m'ait battu sur tout le corps. Il m'a surtout frappé

16 au dos et aux jambes. Plus tard il a trouvé un balai, entre temps je

17 perdais connaissance. Lorsqu'il a trouvé ce balai, il s'en est servi aussi

18 pour me battre. Il n'était pas le seul à le faire. Un jeune homme blond,

19 plus jeune que moi,s’y est mis aussi, mais je ne connais pas son nom. Je

20 sais qu'il était Croate. C'est ainsi que les deux m’ont frappé.

21 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous perdu connaissance une

22 seule fois ou avez-vous à plusieurs reprises perdu connaissance ?

23 M. Vukalo (interprétation). - J’ai perdu connaissance plusieurs

24 fois, mais chaque fois il me versait de l'eau dessus.

25 M. Niemann (interprétation). - Qui vous a fait revenir à vous ?

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1 Vous avez pu revenir à vous ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

3 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il quelqu'un d'autre dans

4 cet endroit qui était battu à ce moment-là ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Non, j'étais le seul à me trouver

6 à l'étage avec ces deux hommes, avec ce Duda et ce soldat croate.

7 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il alors produit ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Ce tabassage a duré à peu près une

9 heure dans cette pièce. Puis, ils m'ont dit de descendre à la cave. Il

10 m'était impossible de bouger, de marcher. En effet, mes jambes ne

11 répondaient plus, elles me faisaien très mal. Ils m'ont donc tiré pour

12 descendre les escaliers.

13 M. Niemann (interprétation). - Qui la fait ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Ceux qui m'avaient torturé, les

15 tortionnaires de la pièce, Duda et ce soldat qui venait de Turija dont je

16 ne connais plus le nom.

17 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé une fois que

18 vous êtes arrivés dans la cave ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Ils m'ont projeté contre le mur.

20 Je me suis assis. J'ai vu le propriétaire de la maison Bozo Tomic qui se

21 trouvait là. Lui aussi était couvert de sang. Mon frère se trouvait aussi

22 dans cette cave. Et Vlado, Vukalo, Milenko. Là, je n'ai pas reçu trop de

23 coups. Nous avons été giflés par un des soldats, mais je ne sais plus

24 lequel.

25 M. Niemann (interprétation). - Que s'est-il alors passé ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Nous avons été emmenés en

2 direction du village de Pokoiste. Il m’était impossible de marcher. Ces

3 soldats ou ce soldat croate a dû m’aider à le faire. C'est ainsi que j'ai

4 réussi tant bien que mal à arriver à Pokoiste. Ils nous ont emmené au

5 domicile de Branko Juzic, connu aussi sous le surnom de Aga. Ils m'ont

6 adossé à un mur, mais j'ai dû m'asseoir adossé au mur et c’est là que j'ai

7 vu beaucoup de soldats en uniforme, armés. Parmi eux, j'ai reconnu

8 certains de mes voisins.

9 M. Niemann (interprétation). - Quels voisins avez-vous vu dans

10 ce groupe ? Pourriez vous les citer ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Oui. J'ai reconnu Ivica Kozara un

12 Croate du village, Niko Jozic un Croate du village, Branko Jozic surnommé

13 Aga. Je me suis alors rendu compte que le poste de commandement important

14 se trouvait à son domicile.

15 M. Niemann (interprétation). - Ces Croates, dont vous venez de

16 citer le nom, étaient-ils en uniforme à ce moment-là ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Oui, ils portaient des armes, des

18 fusils.

19 M. Niemann (interprétation). - Vous arrivez donc à ce centre de

20 commandement. Où vous a-t-on emmené par la suite ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Là, je n'ai pas été frappé. Mais

22 il y avait deux hommes assis à mes côtés et ils m'ont frappé au visage,

23 sur le nez. Ils m'insultaient aussi. Puis, une camionnette est arrivée.

24 Ils m'ont enlevé les souliers. Mon frère, Bozo Tomic, Vlado Vukalo,

25 Milenko Vukalo et moi-même, nous avons été emmenés au motel de Konjic.

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1 J'ai pu constater qu'il y avait beaucoup de soldats à cet endroit.

2 M. Niemann (interprétation). - C’était bien au motel de Konjic

3 qu'il y avait beaucoup de soldats ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

5 M. Niemann (interprétation). - Ces soldats se trouvaient aussi

6 en uniforme, étaient armés ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Oui, bien sûr.

8 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous qui vous a emmenés au

9 motel ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Je ne connaissais pas le

11 conducteur, le chauffeur. Je ne connaissais pas non plus les deux soldats

12 armés. Je sais simplement que c'étaient des Musulmans.

13 M. Niemann (interprétation). - Une fois arrivés au motel, où

14 avez-vous été emmenés précisément ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Le groupe tout entier, Vlado, mon

16 frère, Milenko, Bozo Tomic et moi-même, nous avons été conduits à l'étage,

17 dans une pièce, une pièce pour invités... Oui, puisque c'était un hôtel.

18 C'était simplement une chambre ; vant la guerre, c'était pour les clients.

19 Ils nous ont dit de nous reposer et nous étions surveillés par deux

20 soldats armés.

21 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous nous dire à quel

22 moment cela s'est passé ? Etait-ce pendant la journée ou pendant la nuit ?

23 M. Niemann (interprétation). - Cela s'est passé le 21. La nuit

24 était déjà tombée, c'est exact. Mais je ne sais pas exactement quelle

25 heure il était. Mais il était exclu de dormir. Toutes les cinq minutes,

Page 6160

1 ces deux hommes entraient, nous frappaient, nous donnaient des coups de

2 pieds, nous insultaient, nous lançait des injures.

3 M. Niemann (interprétation). - Vous parlez des deux soldats qui

4 vous surveillaient, qui vous gardaient ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Oui. C'est de ceux-là que je

6 parle.

7 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé le lendemain

8 matin ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Le matin —je ne sais pas à quelle

10 heure c'était, mais l'aube était déjà levée—, ils nous ont dit de

11 descendre. Apparemment, nous allions recevoir un petit déjeuner et du

12 café. Nous sommes descendus dans la salle à manger, mais on n'a rien vu.

13 Pas de déjeuner ni de café. J'ai vu quelqu'un de Celebici, Masic, un

14 certain Masic. Je crois qu'il s'appelait Masic, mais je ne me souviens

15 plus de son prénom ; on le surnommait Barba. Il portait un uniforme et il

16 nous a emmenés un à un dans la cuisine où il nous a frappés. J’ai donc

17 subi le même sort que les autres.

18 M. Niemann (interprétation). - Ont-ils dit quoi que ce soit

19 lorsqu'ils vous ont fait venir dans cette cuisine ?

20 M. Vukalo (interprétation). - Non. Ils se sont contentés de nous

21 appeler un à un pour entrer dans cette cuisine où ils nous ont tabassés.

22 Puis, ils nous ont fait sortir à nouveau. Et puis, c'était le tour du

23 suivant. C'est ainsi que Vlado, Milenko, Bozo, Branko et moi-même avons

24 subi le même traitement.

25 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il ensuite passé ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Duda est alors arrivé ; j'ai déjà

2 parlé de Duda. Il y avait aussi un soldat de Zlaticevo ou Glavaticevo. Je

3 ne connais ni son prénom ni son nom de famille. J'ai alors été emmené,

4 seul cette fois-ci, à l'étage, dans une chambre du motel. C'est là qu'ils

5 ont commencé à me frapper partout sur le corps. J'avais déjà été tabassé

6 précédemment. C'est à peine si je pouvais garder mes esprits.

7 Quelqu'un est alors entré dans la pièce ; je crois que c'était

8 un officier de l'armée musulmane d'alors. Je l'ai revu plus tard, quand je

9 travaillais dans la ville de Konjic, à l'extérieur du bâtiment de

10 commandement, qui se trouvait juste en face du standard. Cet homme m'a

11 demandé s'il y avait quelque chose que je voulais, un souhait quelconque.

12 Il s'est bien comporté, cet officier. J'ai dit que je voulais voir ma

13 femme, mon enfant, si c'était possible. Il s'est arrêté un instant de me

14 battre et il a interrompu les tortures que me faisaient subir mes

15 tortionnaires. Ma femme est venue, dix ou quinze minutes plus tard. Ils

16 l'ont fait entrer dans la pièce où je me trouvais, où j'étais couvert de

17 sang. Il y avait des taches de sang aussi sur le lit, là où je me

18 trouvais.

19 M. Niemann (interprétation). - Qu’a-t-elle fait lorsqu'elle est

20 entrée dans la pièce ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Elle a commencé à pleurer.

22 M. Niemann (interprétation). - Ont-ils fait quoi que ce soit à

23 votre femme quand elle a fondu en larmes ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Ils lui ont dit qu'elle

25 allait subir le même sort que moi parce que c'était une femme Chetnik.

Page 6162

1 Mais un seul des hommes l’a frappée, l’a giflée. L'officier l’a fait

2 sortir de la pièce et je suppose qu'ils l'ont emmenée à Musala, au centre

3 sportif, là où mon père, mon enfant, ainsi que d'autres femmes, d'autres

4 enfants étaient aussi emprisonnés, parce que c'était déjà devenu une

5 prison.

6 M. Niemann (interprétation). - Après le départ de votre femme,

7 d'autres prisonniers ont-ils étaient emmenés dans cette pièce ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Ils ont fait entrer Slobodan

9 Babic et Novica Ivkovic qui venaient de mon village.

10 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il alors passé ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Duda, que j'ai déjà mentionné, et

12 ce soldat de Zlaticevo, ainsi que d'autres, ont commencé à nous frapper,

13 partout ; mais ils se sont surtout concentrés sur le dos. Je suis tombé

14 entre deux lits, j'ai perdu connaissance ; ils ont sans doute cessé de me

15 battre à ce moment-là. Quand je suis revenu à moi, ils étaient occupés

16 avec les deux autres, avec Slobodan Babic et Novica Ivkovic. Vraiment, le

17 tabassage était très sérieux. Je me suis soulevé pour me mettre sur le

18 lit. Non, je me corrige : je ne sais pas comment je suis parvenu sur le

19 lit alors qu'avant je me trouvais au sol. Sans doute, quelqu'un m'a-t-il

20 transporté. En tout cas, je me suis retrouvé allongé sur le lit. J'ai

21 repris connaissance et j'ai vu de mes propres yeux le moment où Duda, à

22 l’aide de son couteau, a coupé un morceau de chair de l'avant-bras de

23 Novica Ivkovic. Il a piétiné la poitrine de Novica Ivkovic, il lui a brisé

24 les bras, parce qu'il marchait aussi sur les bras de Novica. D'autres ont

25 frappé Novica aussi. Ils se relayaient : ils entraient, ils sortaient.

Page 6163

1 Finalement, je ne les ai plus reconnus. Ils portaient tous l'uniforme.

2 Duda a introduit le canon du fusil dans la bouche de Slobodan Babic et lui

3 a perforé le palais. Slobodan était couvert de sang. Il ne pouvait plus

4 parler ; il émettait des gargouillements, tout au plus.

5 Cela s'est poursuivi. Combien de temps ? je ne sais pas. Jusqu'à

6 14 heures, à peu près. Puis, un officier est venu, que j'ai déjà

7 mentionné, dont j'avais dit qu'il avait un comportement assez correct

8 jusqu'alors, puisqu'il ne nous avait pas frappés. Il a interrompu ces

9 tortures. Il poussait les soldats à l'extérieur de la pièce, les faisait

10 sortir. Il nous a dit de descendre au rez-de-chaussée. Novica a pu

11 marcher ; quant à moi, un soldat que je ne connaissais pas m'a aidé et

12 j'ai quand même réussi à me remettre sur les pieds. J'ai vu que ce

13 Slobodan, lui, ne pouvait pas du tout se relever. Duda et un autre soldat

14 l'ont alors tiré, traîné pour descendre les escaliers. Sa tête heurtait

15 chacune des marches. Les soldats riaient pendant que cela se passait ; ils

16 faisaient des blagues, des plaisanteries.

17 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous reçu un traitement

18 médical quelconque, vous ou les autres ?

19 M. Vukalo (interprétation). - J'étais sur le point de le dire,

20 j'avais oublié. Cet officier, lorsqu'il a réussi à mettre fin à ce

21 tabassage, nous a demandé si nous voulions voir un médecin. Il était

22 évident que nous avions besoin de soins. Une dame, un médecin qui avait

23 travaillé à l'hôpital de Konjic avant la guerre, est arrivée ainsi qu'un

24 infirmier qui s'appelait Vinco Jozic. Je connaissais cet infirmier.

25 M. Niemann (interprétation). - Connaissez-vous l'appartenance

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1 ethnique de ce médecin ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Elle était musulmane. Quant à

3 l'infirmier, c'était un Croate.

4 Quand le médecin et l'infirmier sont arrivés dans la pièce,

5 celle-ci avait l'air d'un abattoir. Il y avait du sang sur les murs, sur

6 les lits ; c'était vraiment horrible. Le médecin a dit à propos de

7 Slobodan Babic qu'apparemment il était saoul, qu'il était tombé et s'était

8 blessé en tombant. Elle riait en disant cela. Elle a dit que nous n'avions

9 pas besoin d'aide, alors que nous étions couverts de sang.

10 Mais j'ai quand même demandé à l'infirmier de me panser la main

11 droite. —je pense que c'était la main droite—, car je ne ressentais plus

12 rien au coude. Je croyais que mon avant-bras était cassé. L'infirmier m'a

13 dit qu'il n'osait pas, à cause du médecin. Quand le médecin est sorti

14 quelque instants et a quitté la pièce, il m'a alors bandé le bras. ; en

15 tout cas, il me l'a mis en attelle autour du cou. Mais il n'a pas osé

16 soigner Slobodan. Quant à Novica, dont la chair avait été tranchée par

17 Duda, l'infirmier l'a rapidement pansé, avant le retour du médecin.

18 Ensuite, le médecin et l'infirmier sont partis.

19 M. Niemann (interprétation). - Vous a-t-on transféré du motel en

20 un autre endroit ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Oui

22 M. Niemann (interprétation). - Où vous a-t-on transféré ?

23 M. Vukalo (interprétation). - Lorsque je suis descendu et que je

24 me suis trouvé devant le motel, j'ai vu Mirko Babic qui était couvert

25 d'ecchymoses et qui avait le visage tuméfié, plein de sang à cause des

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1 coups. Alors, on nous a fait asseoir dans la voiture.

2 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous dites "on", de qui

3 parlez-vous ? Qui vous a fait monter dans la voiture ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je sais : il s'agissait des

5 soldats. Je ne connais ni leurs noms ni leurs prénoms. Il s'agit des

6 soldats qui se trouvaient sur place dans le motel.

7 M. Niemann (interprétation). - Après être montés dans la

8 voiture, vous a-t-on emmenés quelque part ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Moi-même et Mirko Babic, nous

10 avons été emmenés à Celebici. Et une fois sur place, on nous a fait entrer

11 dans le bâtiment 22. C'est à cet endroit que nous avons passé notre séjour

12 à Celebici. Dans ce camp.

13 M. Niemann (interprétation). - Vous parlez d'un bâtiment 22 ;

14 vous voulez dire la pièce 22 ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Oui, le hangar 22.

16 M. Niemann (interprétation). - Bien. Et Celebici, c'était un

17 ancien camp de la JNA ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Oui, c'était une ancienne caserne

19 de la JNA, une petite caserne.

20 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il beaucoup de monde dans

21 la pièce 22 lorsque vous y êtes arrivés ?

22 M. Vukalo (interprétation). - Lorsque je suis arrivé au 22, dans

23 ce hangar, j'ai trouvé quelques personnes que je connaissais, Veljko Babic

24 de mon village, et d'autres hommes qui sont aussi de mon village : Ranko

25 Djordjic, Scepo Vukalo et six ou sept jeunes gens du village de Brdjani.

Page 6166

1 Cela faisait déjà cinq à dix jours qu'ils étaient dans le camp ; je ne

2 sais pas exactement combien. Ils étaient les premiers détenus du camp de

3 Celebici.

4 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous décrire l'intérieur

5 de la pièce 22 au moment de votre arrivée dans le camp de Celebici.

6 M. Vukalo (interprétation). - C'était une espèce d'entrepôt qui

7 servait aux pompiers ; il y avait pas mal de tuyaux, des pompes, toutes

8 sortes d'équipements qui servaient à la lutter contre le feu.

9 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il des lits dans la

10 pièce 22, au moment de votre arrivée ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Non, il n'y avait pas de lit.

12 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il du matériel médical

13 que vous ayez pu apercevoir au moment de votre arrivée ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Je n'ai pas compris. Pouvez-vous

15 me répéter la question ?

16 M. Niemann (interprétation). - Excusez-moi. Avez-vous vu du

17 matériel médical, des médicaments, des articles de ce genre dans la

18 pièce 22, au moment de votre arrivée ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Maintenant, je vous comprends. Je

20 n'ai rien vu de ce genre.

21 M. Niemann (interprétation). - Vous avez déjà donné les noms

22 d'un certain nombre d'hommes que vous avez vus dans la pièce 22, au moment

23 de votre arrivée. Etes-vous capable d'estimer le nombre d'hommes enfermés

24 à cet endroit au moment de votre arrivée ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Lorsque j'y suis arrivé, lorsqu'on

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1 m'a fait pénétrer dans le 22, il s'y trouvait environ douze à quinze

2 hommes ; je ne sais pas exactement combien. Mais je ne pense pas qu'il y

3 en ait eu plus de quinze. Plus tard, des groupes d'hommes ont été amenés,

4 des hommes qui venaient de mon village, de Donje Selo et de Cerici. Si

5 bien que, le soir, nous étions nombreux. Nous étions si nombreux que nous

6 pouvions à peine nous tenir debout à l'intérieur du hangar.

7 M. Niemann (interprétation). - Après votre arrivée à Celebici,

8 avez-vous revu Slobodan Babic ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Plus tard, deux à trois heures

10 après mon arrivée —je ne sais pas exactement combien—, ils ont amené mon

11 frère Branko, Vlado, Milenko, Bozo Tomic et Novica Slobodan Babic. Ils ont

12 transporté Slobodan Babic, parce qu'il ne pouvait pas du tout marcher. Ils

13 l'ont jeté à l'intérieur du 22.

14 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps Slobodan Babic

15 est-il resté dans la pièce 22 ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Il y est resté quelques jours ; je

17 ne sais pas exactement combien, mais pas longtemps : peut-être un jour ou

18 deux. Je ne me rappelle pas exactement combien de jours. Après quoi, il a

19 soi-disant été emmené à l'hôpital du 3 Mars qui avait été créé, mis en

20 place depuis deux jours à peine. C'est une école primaire, l'école du

21 3 Mars à Konjic. Ensuite, ils l'ont renvoyé. Il était complètement nu.

22 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous dites qu'ils l'ont

23 renvoyé, ils l'ont renvoyé à Celebici ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Oui, dans le bâtiment 22. C'est là

25 qu'ils l'ont ramené.

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1 M. Niemann (interprétation). - Quand l'ont-ils ramené ? Combien

2 de temps ? Lorsqu'ils l'ont ramené, combien de temps avait-il passé dans

3 le bâtiment 22 ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Je ne sais pas combien de jours.

5 Il était sans mouvement, inerte, mais je ne sais pas combien de jours il

6 est resté. Après quoi, ils l'ont de nouveau emmené. Je crois qu'ils l'ont

7 ramené au 3 Mars, mais je ne sais pas exactement où. Plus tard, j'ai

8 appris qu'il y était mort, là-haut.

9 M. Niemann (interprétation). - A part le fait de s'être trouvé

10 dans la pièce 22, à Celebici, lorsqu'ils l'ont ramené complètement nu,

11 l'avez-vous vu dans d'autres endroits du camp ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Dans le 22, déjà, je ne l'ai plus

13 vu à Celebici. Ce que je veux dire, en fait, c'est que, pendant mon séjour

14 à Celebici, je ne l'ai vu que dans le 22.

15 M. Niemann (interprétation). - Bien. Lors votre séjour à

16 Celebici, avez-vous été interrogé au moment de votre arrivée ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Oui, j'ai été interrogé, mais

18 avant cela, j'avais déjà été frappé. C'est ce Duda Smajic dont j'ai déjà

19 parlé qui m'a frappé avec d'autres que je ne connais pas.

20 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous avez été interrogé,

21 qui vous a interrogé ?

22 M. Vukalo (interprétation). - C'est Mirsad Subasic et Idbar Sala

23 qui ont effectué le premier interrogatoire.

24 M. Niemann (interprétation). - Le connaissiez-vous d'avant la

25 guerre ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

2 M. Niemann (interprétation). - Saviez-vous quel était son métier

3 avant la guerre ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Je crois qu'il avait un travail au

5 sein de l'armée, dans une unité militaire. Il avait un diplôme ; il avait

6 fait quelques études. Mais où travaillait-il ? Je ne sais pas, parce que

7 je ne le connaissais pas extrêmement bien. Je le connaissais comme cela,

8 de vue.

9 M. Niemann (interprétation). - Pendant qu'il vous interrogeait,

10 quelles étaient les questions qu'il vous posait ? Quelle sorte de

11 questions vous posait-il ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Il me demandait comment j'étais

13 arrivé là, si je connaissais d'autres jeunes gens en âge de combattre qui

14 se trouvaient dans mon village, à Bjelovcina, et, si oui, où ces jeunes

15 gens se trouvaient ?

16 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous été frappé lors de cet

17 interrogatoire ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Mirsad Subacic s'est conduit de

19 façon convenable. Il ne m'a pas frappé. Personne ne m'a frappé pendant

20 qu’il menait l'interrogatoire. Mais, plus tard, lorsqu'on m'a ramené, les

21 gardiens m'ont frappé.

22 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous reconnu l'un quelconque

23 des gardes qui vous a frappé ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Je crois que c'étaient des membres

25 de la police militaire parce qu'ils portaient des ceinturons blancs. Mais

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1 je sais qu'ils étaient deux. Je crois que l'un d'entre eux venait de

2 Dzajici. Je crois que certains de ces gardes étaient de Idbar.

3 M. Niemann (interprétation). - Avec quoi vous a-t-on frappé ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Eh bien, ils nous frappaient à

5 coups de poing, à coups de pied, à coups de matraque et à coups de crosse

6 de fusil.

7 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps êtes-vous resté

8 dans la pièce 22 ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Je crois que j'ai passé une

10 quinzaine de jours dans le hangar 22. Je ne sais pas exactement combien de

11 jours, mais je dirais une quinzaine de jours ; après quoi j'ai été

12 transféré dans le hangar n° 6.

13 M. Niemann (interprétation). - Pendant le séjour que vous avez

14 passé dans la pièce 22, pouvez-vous estimer le nombre approximatif de

15 prisonniers qui y étaient détenus au moment où ce nombre de prisonniers a

16 atteint son niveau maximum ?

17 M. Vukalo (interprétation). - A un certain moment, je crois que

18 nous devions être environ une centaine, sinon davantage. Nous n'avions pas

19 la place de nous asseoir. Nous ne pouvions que rester debout, et encore

20 c'était difficile.

21 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous étiez dans la

22 pièce 22, en une quelconque occasion vous êtes-vous rendu dans un autre

23 endroit à l'intérieur du camp ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Lorsqu'ils ont commencé à

25 massivement amener les habitants du village de Bradina, ils ont placé les

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1 hommes dans le hangar n° 6. Un jour, je portais du pain dans ce hangar,

2 parce que les gardiens m'en avaient donné l'ordre.

3 M. Niemann (interprétation). - Je voudrais vous demander ce que

4 vous avez vu lorsque vous êtes revenu de ce hangar. Mais peut-être est-ce

5 le moment de nous interrompre.

6 M. le Président (interprétation). - Oui, nous allons nous

7 interrompre pour le déjeuner. Nous reprendrons l'audience à 14 heures 30.

8 L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 35.

9 (Le témoin est introduit dans la salle.)

10 M. le Président (interprétation). - Veuillez, s'il vous plaît,

11 rappeler au témoin qu'il parle toujours sous serment.

12 M. le Greffier (interprétation). - Monsieur Vukalo, je vous

13 rappelle que vous parlez toujours sous serment.

14 M. le Président (interprétation). - Monsieur Niemann, je vous en

15 prie.

16 M. Niemann (interprétation). - Je vous remercie.

17 Monsieur Vukalo, lorsque vous vous trouviez dans le hangar n°°22, vous

18 avez déclaré que, une ou deux fois, vous êtes entré dans le hangar n°°6

19 pour prendre du pain. Qu'avez-vous vu, à cette occasion, dans le

20 hangar n°°6 ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Je voudrais simplement préciser

22 que je ne suis pas entré dans le hangar. Je me trouvais devant le hangar.

23 La porte était ouverte. Je pouvais apercevoir des choses à travers cette

24 porte ouverte.

25 M. Niemann (interprétation). - De là, qu'avez-vous pu voir ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Je voyais des gens qui avaient été

2 frappés ou qui étaient frappés. Certains portaient des bandages. La quasi-

3 totalité des personnes que j'avais vues, avaient été frappées.

4 M. Niemann (interprétation). - Vous avez dit que vous avez tout

5 d'abord été interrogé par quelqu'un qui portait le nom de Subasic. Par la

6 suite, avez-vous été interrogé par quelqu'un d'autre dans l'enceinte du

7 camp de Celebici ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Au cours de mon séjour à Celebici,

9 j'ai été interrogé à de nombreuses reprises. J'ai été interrogé par

10 Miro Stenek. Une autre personne m'a interrogé. Je ne me rappelle pas de

11 son nom. Je pense qu'elle travaillait au Tribunal de Konjic. Je pense que

12 c'était un Croate.

13 M. Niemann (interprétation). - Vous a-t-on maltraité, vous a-t-

14 on battu au cours de ces interrogatoires ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Il y a eu de nombreux

16 interrogatoires. Au cours de certains d'entre eux, nous avons été battus.

17 Lorsque Miro Stenec nous interrogeait, nous n'étions pas battus. On ne

18 nous battait pas pendant qu'on nous interrogeait à proprement parler, mais

19 avant et après l'interrogatoire, oui. On nous battait à ces moments-là.

20 M. Niemann (interprétation). - N'avez-vous jamais été interrogé

21 par des gardes qui travaillaient dans le camp, par opposition à des

22 personnes qui vous interrogaient, mais qui venaient de l'extérieur ? Avez-

23 vous été interrogé par des personnes qui étaient dans le camp ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Nous avons été interrogés par les

25 gardes. J'ai également été interrogé par Hazim Delic.

Page 6173

1 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous étiez interrogé par

2 Hazim Delic, à quelle époque cela s’est-il passé ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Je ne me rappelle pas de la date

4 précise. Un jour, j'ai été appelé. On m'a dit de sortir. Je me trouvais

5 dans le hangar n°°6 à ce moment-là. Il m'a interrogé à l'extérieur du

6 hangar. Là, j'ai été frappé.

7 M. Niemann (interprétation). - Lors de cet interrogatoire, qui

8 vous a frappé ?

9 M. Vukalo (interprétation). - C'est Hazim Delic qui l'a fait et

10 Esad Landzo que l'on connaît aussi sous le nom de Zenga.

11 M. Niemann (interprétation). - Avec quoi vous a-t-on frappé ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Hazim m'a frappé avec son

13 instrument favori qu'il portait quasiment toujours avec lui, c'est une

14 batte de base-ball.

15 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous à quel endroit

16 du corps il vous a frappé ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Sous les bras, au niveau des

18 côtes, sur les côtes.

19 M. Niemann (interprétation). - Vous a-t-il posé des questions au

20 cours de cet interrogatoire ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Oui, il m'a posé des questions. Il

22 m'a posé des questions à propos d'un tireur isolé.

23 M. Niemann (interprétation). - Que lui avez-vous répondu ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Je ne savais pas quoi lui

25 répondre. Je ne savais pas de quoi il parlait. Je lui ai dit qu'il n'y

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1 avait pas de tireurs embusqués, rien de tel.

2 M. Niemann (interprétation). - Vous a-t-il dit quoi que ce soit

3 d'autre au cours de cet entretien ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Il m'a surtout frappé.

5 M. Niemann (interprétation). - Connaissiez-vous Hazim Delic

6 avant d'être emmené au camp de Celebici ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Non, je ne le connaissais pas

8 personnellement. Mais je l'avais aperçu en ville, à Konjic. Plus tard,

9 j'ai appris que c'était lui, que c'était la personne que j'avais repérée

10 auparavant.

11 M. Niemann (interprétation). - Saviez-vous de quelle ville il

12 était originaire, de quelle ville il venait ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Vous voulez dire, là où il était

14 né ?

15 M. Niemann (interprétation). - Oui, absolument.

16 M. Vukalo (interprétation). - Il est né à Orahovica, près de

17 Konjic.

18 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous quelle était sa

19 fonction ou son rang au camp ?

20 M. Vukalo (interprétation). - Quand il était au camp, il était

21 le commandant adjoint du camp et par la suite, il est venu lui même

22 commandant du camp.

23 M. Niemann (interprétation). - Au cours de votre séjour à

24 Celebici, l'avez-vous souvent vu dans l'enceinte du camp ou ne l'avez-vous

25 pas souvent vu ? Pouvez-vous nous donner une idée de la fréquence de ses

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1 venues ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Je le voyais assez souvent pendant

3 que j'étais à Celebici. Parfois, il venait jusqu'à trois fois par jour.

4 Pendant un certain temps, il y passait aussi ses nuits. Il dormait dans le

5 bâtiment administratif où les hauts responsables avaient leur quartier

6 général. Il venait souvent.

7 M. Niemann (interprétation). - Si vous le voyez, vous le

8 reconnaîtriez ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Bien évidemment.

10 M. Niemann (interprétation). - Il me semble que vous avez dit

11 que lors de l'interrogatoire auquel vous avez été soumis, il y avait

12 M. Landzo. Landzo était présent ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Landzo menait également des

14 interrogatoires tout seul avec les gardes. Et puis, il a également pris

15 part à cet interrogatoire lorsque j'ai été interrogé par M. Delic.

16 M. Niemann (interprétation). - Vous connaissiez M. Landzo sous

17 un surnom peut-être ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Lorsque j'ai été interrogé par

19 Delic, je savais déjà qu'il avait un surnom.

20 M. Niemann (interprétation). - Quel était ce surnom ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Zenga.

22 M. Niemann (interprétation). - Avant la guerre, aviez-vous déjà

23 vu Zenga ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Non, je ne le connaissais pas

25 avant d'être à Celebici.

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1 M. Niemann (interprétation). - Combien de fois l'avez-vous vu

2 dans l'enceinte de Celebici ? Vous l'avez vu souvent ? Plus rarement ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Au début, Zenga n'était pas un

4 garde dans le camp de Celebici, mais il était présent. Il se trouvait dans

5 l'enceinte du camp. Par la suite, il est devenu garde. Il passait beaucoup

6 de temps dans l'enceinte du camp.

7 M. Niemann (interprétation). - Vous le reconnaîtriez si vous le

8 revoyiez ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Bien évidemment.

10 M. Niemann (interprétation). - Outre les personnes que vous avez

11 mentionnées comme faisant partie des personnels du camp, y avait-il

12 d'autres personnes dans le camp que vous connaissiez, que vous avez appris

13 à connaître ? Je parle des personnes qui se trouvaient dans le camp, qui

14 occupaient des postes de responsabilité.

15 M. Vukalo (interprétation). - J'ai appris -je n'ai pas pu le

16 constater de mes propres yeux- j'ai entendu que Hazim Delalic venait de

17 temps en temps.

18 M. Niemann (interprétation). - Y a-t-il quelqu'un d'autre dans

19 le camp que vous connaissiez ou que vous avez vu ? Je pense notamment à

20 des personnes qui occupaient des postes de responsabilité dans le camp.

21 Ces personnes, les avez-vous vues ?

22 M. Vukalo (interprétation). - Oui, il y avait les gardes. Mais

23 je ne sais pas quels étaient les postes de ces personnes.

24 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous du nom de

25 certains de ces gardes ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Il y a un nom, il y a quelque

2 chose qui est vraiment inscrit dans ma mémoire, c’est un souvenir assez

3 douloureux. Outre Zenga, il y avait Osmo Dedic, il y avait Salko. Je crois

4 qu'il venait de Konjic. Je ne me rappelle pas de son prénom.

5 M. Niemann (interprétation). - Vous avez donné le nom du

6 commandant adjoint, M. Delic, savez-vous qui était le commandant du camp

7 lorsque vous vous y trouviez ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Oui, bien sûr. Le commandant du

9 camp, le gérant, c'était Mucic, Zdravko Mucic, qu'on appelle aussi Pavo.

10 M. Niemann (interprétation). - Pavo, c'est son surnom, n'est-ce

11 pas ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Oui, c'est cela.

13 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous de quel village, de

14 quelle ville, il est originaire ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Pavo -et je me référerai à lui en

16 utilisant son surnom si cela vous convient-, vient de Konjic. Je ne sais

17 pas quelle est son adresse exacte. Je crois qu'il était à Polje Bijela.

18 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous s'il travaillait à

19 Konjic ou travaillait-il ailleurs, avant la guerre ?

20 M. Vukalo (interprétation). - Avant que je commence à travailler

21 à l'usine IGMAN, il y travaillait lui aussi. Par la suite, il est parti

22 pour Vienne, du moins c'est ce que je crois savoir.

23 M. Niemann (interprétation). - Vous le voyiez dans le camp

24 souvent, de façon occasionnelle ou rarement ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Je le voyais de temps en temps.

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1 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous le voyiez dans

2 l'enceinte du camp, comment était-il habillé

3 M. Vukalo (interprétation). - Il portait un uniforme.

4 M. Niemann (interprétation). - Vous pensez que si vous le

5 revoyiez maintenant vous pourriez le reconnaître ?

6 M. Vukalo (interprétation). - Bien sûr que je pourrais le

7 reconnaître.

8 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous vous trouviez dans

9 le camp, y avez-vous vu une personne qui était prisonnière dans ce camp,

10 qui s'appelait Pero Mrkajic ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Lorsque je suis arrivé au

12 hangar n° 6 en venant du hangar 22, c'est-à-dire après notre transfert du

13 hangar 22 au hangar 6, je l'ai vu, j'ai vu Pero Mrkajic qui était dans un

14 état pitoyable. Il était couvert de blessures. Il avait été battu. Il

15 était étendu sur quelques boîtes.

16 M. Niemann (interprétation). - Vous connaissiez avant la guerre

17 Pero Mrkajic ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Oui, oui, je le connaissais.

19 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous l'avez vu étendu sur

20 ces boîtes, vous saviez depuis combien de temps il était étendu là,

21 combien de temps il est resté étendu sur ces boîtes ?

22 M. Vukalo (interprétation). - Je ne peux pas vraiment vous le

23 dire mais je ne crois pas qu'il soit resté longtemps.

24 M. Niemann (interprétation). - L’a-t-on retiré de là à un moment

25 donné ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Oui, oui. On l'a enlevé et on l'a

2 emmené au hangar 22, où ils avaient mis en place un quartier de détention

3 où j'avais moi-même été placé pendant un certain temps.

4 M. Niemann (interprétation). - En fait, on avait fait du

5 hangar 22 une espèce d’infirmerie, n'est-ce pas ? C'est ce que vous voulez

6 dire ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Oui, enfin c'est ce qu'on nous a

8 dit.

9 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous jamais revu

10 Pero Mrkajic après qu'on l'ait enlevé du hangar n° 6 et qu’on l’ait placé

11 dans l'infirmerie, au hangar 22 ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Non. Par la suite, mais je ne sais

13 pas combien de temps s'était écoulé, nous avons appris qu'il était mort.

14 Il avait succombé à ses blessures.

15 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous étiez dans le camp,

16 avez-vous connu une personne portant le nom de Kuljanin, dont le surnom

17 était Corba ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je l'ai vu au hangar n° 6 au

19 moment où nous y avons été transférés.

20 M. Niemann (interprétation). - Quelque chose lui est-il arrivé

21 alors qu'il se trouvait au camp, en avez-vous été témoin ? Y a-t-il

22 quelque chose qui vous revienne à l'esprit ?

23 M. Vukalo (interprétation). - Pendant la fête du Bairam,

24 en 1992, d'abord on a appelé son nom, ensuite il est sorti du hangar. On

25 l'a battu, je pouvais l’entendre crier.

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1 M. Niemann (interprétation). - Qui l’a appelé dehors ?

2 M. Vukalo (interprétation). - C’est Esad Landzo qui l’a appelé

3 dehors. Ensuite, il est entré dans le hangar. Après un moment, je ne sais

4 pas combien de temps s'est écoulé, il a appelé son nom.

5 M. Niemann (interprétation). - Vous dites que quelqu'un a appelé

6 son nom, mais qui a appelé son nom ?

7 M. Vukalo (interprétation). - C’est Esad Landzo qui a appelé son

8 nom. Puis, on a entendu un coup de fusil. Par la suite, nous avons entendu

9 dire qu'il avait été exécuté, qu'il avait été tué.

10 M. Niemann (interprétation). - Vous n'avez pas vu cela ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Non, je n'en ai pas été le témoin,

12 je ne l'ai pas vu de mes propres yeux. Mais certains des détenus dans le

13 camp ont vu ce qui s'est passé.

14 M. Niemann (interprétation). - Cet homme, Kuljanin, quel âge

15 avait-il ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Je ne sais pas exactement. Il

17 était peut-être un peu plus âgé que moi.

18 M. Niemann (interprétation). - Si vous pouviez simplement nous

19 aider en nous disant s'il avait la trentaine, la quarantaine. Si vous

20 pouviez nous donner ce type d'appréciation ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Disons qu'il était dans la

22 trentaine, 30 ans disons.

23 M. Niemann (interprétation). - Vous savez à quel groupe ethnique

24 il appartenait ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Il était Serbe. Il venait du

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1 village de Bradina.

2 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous vous trouviez dans

3 le camp, y avez-vous également vu une personne que vous connaissiez,

4 appelée Scepo Gotovac ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Scepo Gotovac venait du même

6 village que moi, bien évidemment je le connaissais. Il a été amené au

7 hangar n° 6. Je n'ai pas le souvenir de la date de son arrivée. Je crois

8 qu'il est arrivé sur l'ordre de Hazim Delic, parce que lorsqu'il est

9 arrivé, lorsqu'il a été placé dans le hangar n° 6, Hazim Delic l’a giflé

10 et il lui a dit qu'il allait pouvoir se venger de lui.

11 M. Niemann (interprétation). - Vous avez entendu cela ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Nous l'avons tous entendu.

13 M. Niemann (interprétation). - Vous l'avez vu ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Je l'ai vu, oui, oui, c'était à

15 l'intérieur du hangar.

16 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé alors ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Il est sortie du hangar, Zenga l’a

18 appelé, puis nous avons entendu un cri. Pendant une demi-heure, trois

19 quarts d'heure, nous l'avons entendu crier. Puis ils l'ont remis dans le

20 hangar et, plusieurs heures plus tard, on l'a encore appelé.

21 M. Niemann (interprétation). - Qui l’a appelé ?

22 M. Vukalo (interprétation). - C’est Zenga. Il tenait quelque

23 chose à la main.

24 M. Niemann (interprétation). - Que tenait-il dans ses mains ?

25 Qui tenait quelque chose dans sa main ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - C'est Zenga qui avait quelque

2 chose dans ses mains. Ce qu'il avait dans la main, il l'a mis sous le cou

3 de Scepo Gotovac et il l'a poussé à l'extérieur. Puis, nous avons entendu

4 un cri, une fois de plus. Puis, Zenga est arrivé à l'intérieur du hangar

5 après qu'une demi-heure ou quarante minutes se soient écoulées. Il a

6 demandé à deux des détenus ou plutôt il a donné l'ordre à deux des

7 détenus...

8 M. Niemann (interprétation). - Qui a donné l'ordre ?

9 M. Vukalo (interprétation). - C'est Zenga qui a donné l'ordre.

10 Il a donc donné l'ordre d'aller chercher Gotovac et de l'amener à

11 l'intérieur. Alors qu'il se trouvait à l'extérieur pour la deuxième fois,

12 alors qu'on le battait pour la deuxième fois, nous l'avons entendu crier

13 pendant un moment. Puis, tout s'est arrêté, nous ne l'avons plus entendu.

14 Parmi les détenus, c'est Novica qui est sorti et son frère, Toso; ils ont

15 ramené à l'intérieur du hangar Gotovac qui était à moitié mort. Le matin,

16 je me suis aperçu qu'il était mort.

17 M. Niemann (interprétation). - Comment saviez-vous qu'il était

18 mort ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Nous sommes sortis pour aller aux

20 toilettes et je l'ai vu parce qu'il était tout proche.

21 M. Niemann (interprétation). - Vous êtes à même de nous donner

22 son âge, l'âge de Scepo Gotovac ?

23 M. Vukalo (interprétation). - C'était un homme âgé. Peut-être

24 qu'il était né en 1929. ; je crois qu'il est né cette année-là.

25 M. Niemann (interprétation). - A quel groupe ethnique

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1 appartenait-il ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Il était Serbe.

3 M. Niemann (interprétation). - Alors que vous vous trouviez au

4 camp, avez-vous fait la connaissance d'un homme dénommé Bosko Samoukovic ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

6 M. Niemann (interprétation). - Cet homme, où se trouvait-il au

7 camp par rapport à la place où, vous, vous vous trouviez ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Il était assis face à la porte,

9 près de la paroi du hangar.

10 M. Niemann (interprétation). - Du hangar n° 6 ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Oui, du hangar n° 6.

12 M. Niemann (interprétation). - Quelque chose s'est-il passé

13 quand il se trouvait au camp ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Il a été tabassé, tant à

15 l'intérieur qu'à l'extérieur du hangar. Zenga l'a frappé avec la crosse de

16 son fusil, lui a donné des coups de pied et l'a frappé avec une espèce de

17 matraque.

18 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous pu le voir de vos

19 propres yeux ?

20 M. Vukalo (interprétation). - A l'intérieur, je pouvais le voir,

21 mais pas à l'extérieur. Après cela, cet homme a été transféré dans ce

22 qu'on appelait l'infirmerie, au bâtiment 22. Un certain laps de temps

23 s'est écoulé, mais je ne sais plus combien de temps. Cet homme avait deux

24 fils au camp : l'un s'appelait Nedelco et l'autre Milan. Ces deux fils ont

25 été informés du décès de leur père qui avait succombé à ses blessures.

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1 M. Niemann (interprétation). - L'avez-vous revu après avoir été

2 emmené vous-même au hangar 22 ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Non.

4 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous nous dire quel

5 était son âge, à peu de chose près ?

6 M. Vukalo (interprétation). - Il avait entre 50 et 60 ans.

7 M. Niemann (interprétation). - Quelle était son appartenance

8 ethnique ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Il était Serbe, du village de

10 Bradina.

11 M. Niemann (interprétation). - Vous avez passé un certain temps

12 au camp de Celebici. Quand cet incident est-il intervenu ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Avant que nos noms ne soient

14 recueillis par la Croix-Rouge internationale. Cela a dû se passer vers le

15 mois de juin ou au début juillet. Mais je ne sais pas exactement.

16 M. Niemann (interprétation). - Et, au camp, avez-vous fait la

17 connaissance d'une personne surnommée Keljo ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

19 M. Niemann (interprétation). - Vous le connaissiez d'avant la

20 guerre ou bien vous aviez entendu parler de lui ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Non, je ne le connaissais pas

22 avant la guerre, mais je savais qu'il tenait un café en ville.

23 Personnellement, je ne le connaissais pas, lui, avant le camp.

24 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous fait sa connaissance au

25 camp ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je l'y ai vu. C'est plus tard

2 qu'il a été amené au camp, après que j'ai été transféré au hangar n° 6.

3 M. Niemann (interprétation). - Lui aussi, a-t-il été placé dans

4 le hangar numéro n° 6 ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Oui, c'est là que je l'ai

6 rencontré.

7 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps a-t-il passé au

8 camp ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Je ne sais pas exactement. Il a

10 peut-être passé un mois, voire deux.

11 M. Niemann (interprétation). - Quelque chose lui est-il advenu ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Un soir, un de ses amis, un

13 Musulman, est venu qui lui a apporté des cigarettes. Nous tous, qui nous

14 trouvions dans le hangar —en tout cas, ceux qui se trouvaient tout près de

15 lui— ont entendu Hazim Delic dire à cet ami, à l'ami de Keljo : "Pourquoi

16 lui donnes-tu tout cela ? Il ne verra pas le jour se lever demain". Et

17 cela s'est avéré : aux premières heures du jour, on l'a fait sortir. C'est

18 indicible. Un des gardes...

19 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé quand on l'a

20 fait sortir ?

21 M. Vukalo (interprétation). - On a tiré sur lui, on l'a abattu.

22 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous entendu ce qui s'est

23 passé ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Il y avait quelques détenus à

25 l'extérieur, à ce moment-là, qui nettoyaient. C'est Padalovic qui l'a

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1 tué ; c'est ce qu'on m'a dit, plus tard. C'est ce que nous avons entendu

2 dire, par la suite, nous qui nous trouvions dans le hangar.

3 M. Niemann (interprétation). - Après qu'il a été tué, avez-vous

4 dû faire quelque chose à son égard ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Une heure s'était peut-être

6 écoulée ; Esad Landzo, sur nommé Zenga, m'a fait sortir. Il m'a emmené à

7 l'arrière du hangar. Il tenait en main une grenade. Il m'a dit : "Retire

8 la bague qui se trouve au doigt de Keljo". Je ne sais pas comment il avait

9 encore cette bague, cet anneau. Moi, j'étais terrifié. Zenga m'a dit que

10 si je refusais de le faire, il me tuerait avec la grenade qu'il avait en

11 main. Je me suis approché du cadavre. Je ne sais plus aujourd'hui comment

12 j'ai réussi à sortir cette bague, à lui retirer, mais peut-être que la

13 peur m'y a aidé. Auparavant, avant que je ne le fasse, j'avais beaucoup de

14 difficultés à le faire et Zenga m'a dit : "Si tu n'y parviens pas à lui

15 retirer la bague, tu devras lui couper le doigt". J'ai finalement donné

16 cette bague, parce que j'avais réussi à la retirer. Zenga m'a dit que je

17 ne devais parler de cela à personne, sinon il me tuerait.

18 M. Niemann (interprétation). - Au moment où vous retiriez la

19 bague du doigt de Keljo, vous semblait-il déjà mort où était-il encore

20 vivant ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Il était mort.

22 M. Niemann (interprétation). - Toujours pendant votre séjour

23 dans le camp, avez-vous vu une personne que vous connaissiez sous le nom

24 de Zeljko Cecez ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Je connaissais Zeljko Cecez déjà

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1 avant mon arrivée dans le camp. Il venait de Donje Selo.

2 M. Niemann (interprétation). - Avait-il un surnom ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Déjà avant la guerre, il

4 était surnommé l'Espagnol. Ses voisins l'appelait comme cela dans les

5 années 1970/1980. Pourquoi a-t-il été surnommé l'Espagnol, je ne sais pas.

6 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous nous dire quel était

7 son âge approximatif ?

8 M. Vukalo (interprétation). -Zeljko Cecez avait peut-être à

9 l'époque, à ce moment-là, 28 ans. Je crois qu'il était né en 1961/1962.

10 M. Niemann (interprétation). - Connaissiez-vous son origine

11 ethnique ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Serbe.

13 M. Niemann (interprétation). - Où se trouvait-il dans le camp au

14 moment où vous y étiez vous-même ? A quel endroit ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Il était dans le bâtiment n°°6. Il

16 était assis dans la rangée qui se trouvait derrière moi.

17 M. Niemann (interprétation). - Pendant votre séjour au camp de

18 Celebici, au hangar n°°6, avez-vous vu quelque chose qui a concerné

19 Zeljko Cecez ?

20 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Egalement pendant cette fête

21 de Bairam, je ne sais plus si c'était le premier soir ou le deuxième,

22 peut-être bien le premier, il a reçu l'ordre de sortir. C'est Zenga qui

23 lui a ordonné de sortir. On a entendu des plaintes, des gémissements. Cela

24 se passait le soir. On a entendu ces cris pendant je ne sais combien de

25 temps, et puis la porte du hangar s'est ouverte. Il est tombé à

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1 l'intérieur comme un sac. Zenga le frappait encore à ce moment-là.

2 M. Niemann (interprétation). - Avec quoi le frappait-il ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Il le frappait à coups de pied. Je

4 ne sais pas exactement avec quoi, mais je crois que c'était une espèce de

5 planche. Il a marché à quatre pattes jusqu'à son emplacement, mais ses

6 forces l'ont lâché et il est tombé. Nous, nous n'osions pas bouger.

7 Personne d'entre nous n'a osé bouger pour l'aider à rejoindre sa place.

8 Quand Zenga est sorti, quand la porte s'est refermée, je ne sais pas

9 exactement qui s'est levé, mais quelqu'un s'est levé pour le traîner

10 jusqu'à sa place. Le matin, il était mort. Il était allongé au sol, mort.

11 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu son corps, le

12 lendemain matin ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

14 M. Niemann (interprétation). - Qui y avait-il sur son corps qui

15 vous a fait penser qu'il était mort ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Ceux qui étaient assis à côté de

17 lui, à sa droite et à sa gauche, nous ont fait un signe indiquant que cela

18 en était fini de lui, qu'il était mort. A son visage, on voyait qu'il

19 était tout jaune, même s'il avait été frappé avant.

20 M. Niemann (interprétation). - Toujours pendant votre séjour

21 dans le camp, avez-vous fait la connaissance d'une personne qui s'appelait

22 Milosevic ?

23 M. Vukalo (interprétation). - Je ne connaissais pas Milosevic

24 avant mon arrivée dans le camp. Je sais seulement qu'il venait du village

25 de Dzepa et cela, je l'ai appris dans le camp. C'est là, d'ailleurs, que

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1 j'ai fait sa connaissance.

2 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu ou entendu, en

3 quelque occasion que ce ce soit, quelque chose qui serait arrivé à

4 Milosevic ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Pour autant que je le sache,

6 Milosevic à été sévèrement frappé, aussi bien à l'intérieur qu'à

7 l'extérieur. M. Delic, aussi, le frappait. Il est mort sous les coups,

8 mais je ne peux pas décrire exactement ce qui s'est passé.

9 M. Niemann (interprétation). - Toujours pendant votre séjour

10 dans le hangar n°°6, vous rappelez-vous d'un incident au cours duquel des

11 prisonniers jouaient aux cartes ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

13 M. Niemann (interprétation). - A quel moment, à peu près, cet

14 incident s’est-il produit ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Je ne peux pas vous dire

16 exactement à quel moment, mais je crois que cela a dû se passer à la fin

17 du mois doute ou au début du mois de septembre.

18 M. Niemann (interprétation). - Que s’est-il passé ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Les détenus, certains détenus ont

20 fabriqué des cartes avec du carton pour tuer le temps, pour passer le

21 temps. Mais personne n'avait demandé à l'adjoint du directeur du camp

22 l'autorisation de le faire. Je veux parler de Delic. Un gardien a vu ce

23 qui se passait et l'a rapporté à Delic. Delic est arrivé très rapidement

24 et il nous a sévèrement passés à tabac.

25 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous dites : "Passés à

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1 tabac", vous parlez uniquement de ceux qui jouaient aux cartes ou

2 également des autres hommes ?

3 M. Niemann (interprétation). - Il a frappé aussi bien ceux qui

4 jouaient que ceux qui avaient fabriqué les cartes.

5 M. Niemann (interprétation). - Faisiez-vous partie de ce

6 groupe ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Oui, parce que je jouais.

8 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps a duré ce

9 passage à tabac ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Peut-être une heure.

11 M. Niemann (interprétation). - Delic était-il seul à vous

12 frapper ou y avait-il d'autres personnes qui vous frappaient également ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Il y avait aussi les gardiens,

14 mais c'est surtout Hazim qui frappait.

15 M. Niemann (interprétation). - Vous a-t-il dit quoi que ce soit

16 pendant qu'il vous frappait ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Non, simplement : "Tourne-toi vers

18 le mur du hangar". A ce moment-là, il commençait à frapper. Ensuite, il

19 passait au suivant.

20 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous avec quoi vous

21 avez été frappé ?

22 M. Vukalo (interprétation). - A ce moment-là, je parle du moment

23 où nous jouions aux cartes, il a frappé avec une pelle, c'est-à-dire que

24 nous étions contraints d'écarter les jambes, d'écarter les bras, de rester

25 debout, le visage tourné vers le mur du hangar.

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1 M. Niemann (interprétation). - Sur quelle partie de votre corps

2 avez-vous été frappé, vous rappelez-vous ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Des genoux vers le haut; sur les

4 jambes, sur les cuisses.

5 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous été témoin d'un

6 incident pendant votre séjour au hangar n° 6 durant lequel des personnes

7 ont été brûlées avec des couteaux chauffés ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

9 M. Niemann (interprétation). - Où est-ce que vous vous trouviez

10 lorsque vous avez vu cela ?

11 M. Vukalo (interprétation). - J’ai vu (expurgé)au moment

12 où il a reçu l'ordre de sortir et, après un certain temps, on l’a fait

13 rentrer dans le hangar. Il portait des marques terribles sur le visage. On

14 pouvait voir qu'il souffrait et il nous a montré sur ses mains les marques

15 d'un couteau et, à cet endroit, la peau était brûlée.

16 A ce moment-là, il nous a dit que cela lui était arrivé à lui,

17 ainsi qu'aux autres hommes qui avaient reçu l'ordre de sortir en même

18 temps : que Zenga avait pris un couteau et qu'il l'avait chauffé à blanc.

19 Ensuite, eux ont été obligés de se saisir de ce couteau avec la main et

20 leur peau a donc brûlé, la peau des mains.

21 M. Niemann (interprétation). - Vous avez parlé d'un jour où un

22 groupe de prisonniers a été frappé alors qu'ils jouaient aux cartes. Y a-

23 t-il eu d'autres occasions où des passages à tabac ont été infligés à des

24 groupes d'hommes ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Oui, il y a eu plusieurs passages

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1 à tabac collectifs. Il y avait des moments où chacun des détenus était

2 passé à tabac. Nous, nous appelions cela des "passages à tabac

3 collectifs".

4 M. Niemann (interprétation). - Où ces passages à tabac

5 collectifs se passaient-ils ?

6 M. Vukalo (interprétation). - Dans le hangar n° 6.

7 M. Niemann (interprétation). - Qui participait à ces passages à

8 tabac ? Qui était l'auteur des coups infligés aux détenus ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Je me rappelle le jour où la

10 Croix-Rouge internationale est venue pour enregistrer nos noms. Certains

11 des détenus, ce jour-là, ont tenté de parler de la situation dans laquelle

12 nous nous trouvions.

13 Mais, par la suite, alors que les représentants de la Croix-

14 Rouge internationale n'étaient pas encore sortis de Celebici -de Celebici

15 c'est sûr, mais je pense même qu'ils n'étaient pas encore sortis du camp-

16 quelques instants après Delic est entré, accompagné de douze ou treize

17 gardiens. Il nous a donné l'ordre à tous de mettre les mains sur la nuque

18 et ils se succédaient devant nous en nous frappant à coups de pied dans la

19 colonne vertébrale.

20 M. Niemann (interprétation). - Hormis le fait qu'ils vous

21 frappaient à la colonne vertébrale, utilisaient-ils des instruments pour

22 vous frapper ?

23 M. Vukalo (interprétation). - Certains utilisaient des crosses

24 de fusil. Je me rappelle un autre passage à tabac collectif. C'était un

25 jour où des soldats musulmans étaient tombés dans une embuscade entre

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1 Bradina et Repovci. Certains d'entre eux se sont fait tuer dans cette

2 embuscade qui avait été provoquée par les leurs.

3 A ce moment-là, Delic est arrivé avec d'autres gardiens et il a

4 frappé pratiquement tous les détenus, mais surtout ceux qui venaient du

5 village de Bradina. Il frappait à coups de poings, à coups de pieds. A

6 certains, il a porté des coups de karaté. Ranko Gligorevic, par exemple,

7 celui qu'on surnommait Buco, a reçu des coups de karaté.

8 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous un incident au

9 cours duquel vous avez été brûlé à l’aide d'une mèche de détonateur ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Oui, oui, je me rappelle.

11 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous nous dire à quel

12 moment cela s'est passé ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Je ne sais pas exactement à quel

14 moment. Je ne me rappelle pas. Je ne me rappelle pas la date exacte. Zenga

15 s'est approché de moi, ce jour-là, et il m'a ligoté avec un cordon, avec

16 une mèche de détonateur qui brûle lentement. Ou, plutôt, il a ligoté des

17 détenus qui étaient torse nu.

18 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu cela ? Avez-vous vu

19 quand cela a été fait sur d'autres hommes ?

20 M. Vukalo (interprétation). - Oui, c'était à l'intérieur du

21 hangar. Moi aussi, il m'a appelé. Il m'a donné l'ordre de me lever et il

22 m'a ligoté avec cette mèche de détonateur entre les jambes. J'étais

23 déshabillé. J'ai reçu l'ordre de me déshabiller jusqu'aux genoux. C’est-à-

24 dire que j'ai enlevé mon tee-shirt et j'ai enlevé le pantalon de jogging

25 que je portais. Ensuite, j'ai reçu l'ordre de remettre mon pantalon de

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1 jogging et il m'a ligoté les mains derrière le dos, puis, il a allumé la

2 mèche.

3 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous dites que vous avez

4 dû vous déshabiller, avez-vous dû vous déshabiller complètement ? Etiez-

5 vous complètement nu ?

6 M. Vukalo (interprétation). - J'étais déshabillé de la taille

7 jusqu'aux genoux, j'étais nu de la taille jusqu'aux genoux.

8 M. Niemann (interprétation). - Où cette mèche de détonateur a-t-

9 elle été placée ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Il m'a entouré les jambes et a

11 fait passer la mèche entre les jambes. Et puis, une des extrémités de

12 cette mèche, il m'a donné l'ordre de la faire courir jusqu'en bas, en

13 passant à l'intérieur des sous-vêtements, sur la peau nue. L'autre

14 extrémité était à l'extérieur.

15 M. Niemann (interprétation). - Mais une fois que vous avez placé

16 cette mèche sur votre peau nue, avez-vous dû remettre vos sous-vêtements ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Oui. A ce moment-là, on m'a ligoté

18 les mains dans le dos.

19 M. Niemann (interprétation). - Est-ce cela aussi que vous avez

20 vu faire aux autres prisonniers ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Oui, cela a été fait à

22 Vukasin Mrkajic, à Veseljko Djordjic je crois, à moins que ce ne soit à

23 son frère. Cela a été fait sous mes yeux et à d'autres aussi.

24 M. Niemann (interprétation). - Que leur est-il arrivé que vous

25 ayez vu, avant que quoi que ce soit ne vous arrive à vous ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Eh bien, quand ils ont fait tout

2 cela, quand Zenga les a tous ligotés, quand ces hommes ont remis leurs

3 sous-vêtements et leur pantalon, il leur a ligoté les mains dans le dos et

4 il a mis le feu à la mèche. Les hommes souffraient terriblement. Il

5 faisait des sauts de 50 centimètres de haut, à cause de la douleur.

6 Quand la mèche se consumait et qu'elle s’approchait du corps, de

7 la peau, ils ont fini par se rouler sur le sol en béton jusqu'au moment où

8 ils arrivaient à éteindre la mèche avec le poids de leur propre corps en

9 se roulant sur le sol.

10 M. Niemann (interprétation). - Zenga était-il seul quand il a

11 fait cela ou était-il accompagné d'autres hommes, d'autres gardiens ?

12 M. Vukalo (interprétation). - C’est Osman Dedic, surtout, qui a

13 agi avec lui.

14 M. Niemann (interprétation). - A-t-il dit quoi que ce soit ou

15 fait quoi que ce soit pendant que cela s'est passé ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Il riait, il riait. On aurait dit

17 vraiment que c'était quelque chose de très amusant pour lui.

18 M. Niemann (interprétation). - Que vous est-il arrivé à vous ?

19 M. Vukalo (interprétation). - A ce moment-là, il m'a donné

20 l'ordre, à moi aussi, de me lever. Il m'a ordonné d'enlever mon pantalon

21 de jogging, de le baisser jusqu'aux genoux, de baisser également mes sous-

22 vêtements et il m'a aussi attaché cette mèche de détonateur autour du

23 corps. Il m'a donné l'ordre de remettre mes sous-vêtements et le pantalon

24 de jogging par-dessus cette mèche. Les mains dans le dos, une des

25 extrémités de cette mèche à combustion lente se trouvait à l'extérieur des

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1 vêtements, peut-être 10 centimètres pendaient à l'extérieur des vêtements.

2 Quand il a mis le feu à cette mèche, puisque j'avais vu les

3 autres avant moi, j'ai pensé tout de suite que le mieux était de

4 m’allonger le plus rapidement possible au sol, de me tourner sur le sol

5 pour essayer d'éteindre la mèche. Je suis arrivé à éteindre la mèche avant

6 qu'elle ne brûle jusqu'à la peau. Je l'ai éteinte, mais à lui cela ne lui

7 a pas plu.

8 M. Niemann (interprétation). - Vous dites que cela ne lui a pas

9 plu. A qui cela n’a-t-il pas plu ?

10 M. Vukalo (interprétation). - A Zenga, à Zenga. Il m'a frappé à

11 coups de crosse de fusil. Après, il m'a renvoyé à ma place.

12 M. Niemann (interprétation). - S’est-il produit un autre

13 incident au cours duquel une balle vous a été montrée ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

15 M. Niemann (interprétation). - Quand cela s’est-il passé ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Je suis incapable de vous dire la

17 date exacte, mais il y avait beaucoup de passages à tabac. Les situations

18 désagréables étaient très nombreuses. Je pense que cela a dû se passer au

19 mois d’août, sans doute.

20 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous décrire cet incident

21 à notre intention, je vous prie ?

22 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Il m'a donné l'ordre de

23 sortir.

24 M. Niemann (interprétation). - Qui vous a donné l'ordre de

25 sortir ?

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1 M. Vukalo (interprétation). - Zenga, Zenga. Il m'a donné l’ordre

2 de sortir. Lui se trouvait à l'extérieur.

3 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous dites : "à

4 l’extérieur", vous parlez de l’extérieur du hangar, n'est-ce pas ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Oui, oui. Avant de me faire cela à

6 moi, il a fait ce que je vais décrire à Vukasin Mrkajic, à

7 Bosko Samoukovic, à (expurgé)et à quelques autres encore.

8 Quand ce fut le tour de Vukasin Mrkajic, quand il a fait à

9 Vukasin Mrkajic ce que je vais maintenant décrire..., donc ce qu'il m'a

10 fait plus tard, il l'avait aussi fait à Vukasin Mrkajic. Après s’être

11 occupé de Vukasin Mrkajic, il a dit à Vukasin de m’appeler.

12 M. Niemann (interprétation). - Mais vous n'avez pas vu ce qu'il

13 a fait aux autres hommes ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Non. Mais, plus tard j'en ai

15 entendu parler.

16 M. Niemann (interprétation). - Dites-nous simplement ce qui vous

17 est arrivé à vous ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Je suis sorti. Je me suis approché

19 de lui. J'étais à peu près à 5 mètres de distance.

20 M. Niemann (interprétation). - Vous voulez dire que vous vous

21 êtes approché de Zenga ?

22 M. Vukalo (interprétation). - Oui, de Zenga. C'est à Zenga que

23 je pense. Il m'a donné l’ordre de me mettre à genoux. Je me suis mis à

24 genoux. Il m'a montré une balle en me demandant : "Qu'est-ce que c'est ?

25 ", j'ai répondu : "C'est une balle". A ce moment-là, il m'a montré un

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1 fusil en me demandant ce que c'était, j'ai répondu : "Un fusil".

2 Je l'ai vu, de mes yeux, introduire la balle dans le canon,

3 mettre la sécurité, actionner le chien du fusil. Il m'a dit de tirer la

4 langue. J'ai tiré la langue. Je pensais que c'était la fin de mes

5 tortures, que c'était la fin. Il a tiré et moi, je ne savais pas si

6 j'étais mort ou vivant J'ai simplement ressenti une sensation de feu dans

7 la bouche. Il m'a fallu une minute pour reprendre mes esprits et pouvoir

8 même me poser la question de savoir si j'étais vivant. Lui, riait. Il m'a

9 renvoyé dans le hangar.

10 M. Niemann (interprétation). - Que pensez-vous qu'il s'est

11 réellement passé ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Plus tard, nous avons appris de la

13 bouche des autres gardiens qu'il avait sorti la poudre de la balle, d'une

14 façon ou d'une autre, de sorte que, quand il a tiré, le fusil n'a pas

15 fonctionné. Simplement, cela m'a brûlé un peu à l'intérieur de la bouche.

16 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous un autre

17 incident qui s'est passé dans ce chenal où les prisonniers avaient

18 l'habitude d'aller uriner ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Cela s'est passé avant ce

20 dont je viens de parler, avant cette embuscade, quand ils se sont fait

21 capturer dans une embuscade organisée par leurs propres hommes.

22 M. Niemann (interprétation). - Dites-nous simplement ce qui

23 s'est passé. Ne répétez pas ce que vous avez déjà dit.

24 M. Vukalo (interprétation). - Le matin, nous allions uriner.

25 Nous sortions par groupe de vingt environ.

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1 M. Niemann (interprétation). - Etait-ce une procédure standard,

2 ces sorties par groupe ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Oui, à cette époque-là, c'est

4 ainsi que cela se passait.

5 M. Niemann (interprétation). - Où alliez-vous uriner ?

6 M. Vukalo (interprétation). - En sortant par la porte, sur la

7 gauche. Nous urinions dans ce chenal qui se trouvait à dix ou quinze

8 mètres, à peu près, je ne sais pas exactement, du hangar n° 6.

9 M. Niemann (interprétation). - Ce jour-là, que s'est-il passé ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Avant que la porte ne s'ouvre,

11 nous avons entendu des bruits devant le hangar. Dès que la porte s'est

12 ouverte, Zenga a commencé à en frapper quelques-uns en leur donnant

13 l'ordre de s'approcher de lui. Plus tard, quand le premier groupe est

14 revenu -le premier groupe qui était allé uriner-, j'ai appris ce que je

15 suis en train de vous raconter. Nous avions peur : nous ne savions pas

16 exactement ce qui se passait ; nous n'avions aucune information. Quand le

17 groupe de vingt hommes, dont je faisais partie, est sorti pour aller

18 uriner, Zenga m'a appelé en me disant de m'approcher de lui. Je me suis

19 approché de lui et il m'a frappé deux ou trois fois. A deux mètres du

20 dernier détenu, sur la droite, dans cette rangée d'hommes qui était en

21 train d'uriner, il m'a donné l'ordre de boire l'urine.

22 M. Niemann (interprétation). - Où étiez-vous censé prendre cette

23 urine que vous deviez boire ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Dans le chenal où les autres

25 étaient en train d'uriner, à ce moment-là, ensemble.

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1 M. Niemann (interprétation). - Les hommes étaient-ils en train

2 d'uriner à ce moment-là ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Les hommes de mon groupe, du

4 groupe dont je faisais partie. Il m'a poussé la tête vers le bas, vers le

5 sol et il me frappait très fort avec la crosse de son fusil. Il m'a

6 enfoncé la tête dans le chenal, si bien que j'avais la bouche toute

7 souillée d'urine et j'ai bu l'urine. Il a continué à m'appuyer sur la tête

8 comme cela, aussi longtemps que j'ai pu supporter.

9 M. Niemann (interprétation). - Etiez-vous couché avec la tête

10 dans le chenal ou étiez-vous à genoux ?

11 M. Vukalo (interprétation). - J'étais agenouillé.

12 M. Niemann (interprétation). - Comment vous maintenait-il la

13 tête dans le chenal ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Avec la crosse de son fusil. Il

15 appuyait avec la crosse de son fusil sur l'arrière de ma tête.

16 M. Niemann (interprétation). - L'urine vous a-t-elle recouvert

17 le visage ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Oui j'avais le visage trempé

19 d'urine. J'avais la bouche, tout le visage, le nez dans l'urine.

20 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous ingéré cette urine ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

22 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous un autre

23 incident au cours duquel des détenus ont été forcés de manger de l'herbe ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

25 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous décrire ce qui s'est

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1 passé ce jour-là ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Je vais décrire ce qui m'est

3 arrivé, à moi.

4 M. Niemann (interprétation). - Oui.

5 M. Vukalo (interprétation). - Zenga a appelé mon nom. Il m'a

6 fait sortir. Dehors, il y avait également d'autres gardiens. Je crois

7 qu'il y avait Cosic, un certain Cosic, de Idbar, un village musulman des

8 alentours. Ils ont commencé à me frapper et ils m'ont donné l'ordre de

9 paître l'herbe. J'ai mangé l'herbe, je l'ai avalée. Après, ce même gardien

10 de Idbar a renouvelé l'opération sur moi, plus tard, à plusieurs reprises.

11 Mais Zenga ne m'a plus forcé par la suite à manger de l'herbe.

12 M. Niemann (interprétation). - C'est ce que j'allais vous

13 demander. Il n'y a eu qu'une seule occasion où Zenga vous a forcé à manger

14 de l'herbe ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

16 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous un incident au

17 cours duquel vous avez été témoin d'une scène où un détenu a été forcé de

18 boire de grandes quantités d'alcool ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Oui. C'était Vukasin Mrkajic. On

20 nous avait fait sortir. C'est Hazim Delic qui a fait cela. Il nous a donné

21 l'ordre de sortir et de nous placer devant le hangar n° 6. Il nous a dit

22 de nous placer en rang, de nous asseoir en rang sur le béton. Il fallait

23 que nous nous mettions torse nu et, un jour où il nous a donné ces ordres,

24 il a apporté à Vukasin Mrkajic une bouteille de cognac. Il lui a ordonné

25 de boire très rapidement toute la bouteille.

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1 M. Niemann (interprétation). - Qui lui a dit de faire cela ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Delic. Vukasin Mrkajic a dû boire

3 cette bouteille. Ensuite, il a reçu l'ordre d'imiter le klaxon d'une

4 voiture, pour que ce soit ressemblant, et de le faire très fort. Cela

5 rendait très gais les gardiens et Delic. Ils riaient.

6 M. Niemann (interprétation). - Pendant votre séjour dans le

7 camp, avez-vous eu connaissance d'un incident impliquant deux frères qui

8 étaient prisonniers dans le camp et qui s'appelaient Djordjic ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Oui. J'ai fait leur connaissance

10 dans le camp, mais je ne les connaissais pas avant.

11 M. Niemann (interprétation). - Où se trouvaient-ils dans le

12 camp ? Comment avez-vous pu faire leur connaissance ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Ils ont été amenés après mon

14 arrivée dans le hangar n° 6. Je crois qu'ils ont été amenés le jour où cet

15 incident s'est passé, le jour où leurs soldats sont tombés dans une

16 embuscade et ont été tués. Je crois que c'est ce jour-là, mais je n'en

17 suis pas absolument sûr. Ils ont été amenés et placés à droite de la

18 porte, à l'intérieur, dans le même hangar.

19 M. Niemann (interprétation). - Dans le même hangar que vous ?

20 M. Vukalo (interprétation). - Oui, dans le hangar n° 6.

21 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu ce qui est arrivé à

22 ces personnes, à ces deux hommes ?

23 M. Vukalo (interprétation). - Oui, j'ai vu quelque chose. J'ai

24 vu qu'on les frappait de façon répétée, qu'on les frappait brutalement. A

25 un moment, Zenga a ordonné à l'un des deux hommes, je dirais même a forcé

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1 l'un des deux hommes à pratiquer une fellation sur l'autre homme. Il a dit

2 à l'un des hommes de se dévêtir de la taille jusqu'en bas et l'autre a dû

3 se saisir de ses organes génitaux et lui faire une fellation.

4 M. Niemann (interprétation). - Vous avez été capable de voir

5 cela, de là où vous étiez ?

6 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

7 M. Niemann (interprétation). - L'homme a donc bien mis les

8 organes génitaux de l'autre homme dans sa bouche. C'est bien ce que vous

9 avez vu, n'est-ce pas ?

10 M. Vukalo (interprétation). - L'un des deux frères a dû mettre

11 le sexe de l'autre dans sa bouche, parce que Zenga avait menacé de les

12 tuer tous les deux s'ils ne respectaient pas ses ordres.

13 M. Niemann (interprétation). - Zenga les avait-il battus avant

14 de leur ordonner de faire cela ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Oui, bien sûr. Il les avait battus

16 sauvagement.

17 M. Niemann (interprétation). - En dehors de Zenga, y avait-il

18 d'autres gardes à ce moment-là dehors ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Il y avait Osmo Dedic parmi ceux

20 qui étaient à l'intérieur. Je ne sais pas qui était à l'extérieur. Ils

21 riaient en regardant la scène. Nous entendions des voix qui provenaient de

22 l'extérieur. On entendait les rires devant la porte.

23 M. Niemann (interprétation). - En dehors de ces incidents, les

24 prisonniers ont-ils eu à chanter des chansons, à réciter des prières ? Ce

25 genre d’incidents s’est-il produit ?

Page 6204

1 M. Vukalo (interprétation). - Je n'ai pas chanté, mais j'ai

2 entendu certains détenus dire que certains devaient chanter, oui. A une

3 occasion, Dedic nous a fait sortir devant le hangar n° 6 et nous a donné

4 l'ordre de nous asseoir sur le béton.

5 Et puis, de Konjic, est alors arrivé un homme aisé du nom de

6 Smajic ; on le surnommait Kurecen. A ce moment-là, Delic nous a ordonné de

7 dire "Allah Ekber". Il fallait dire que Delic était le meilleur. Il

8 fallait dire "Allah" une fois et puis, une autre fois, il fallait dire :

9 "Kurecen". M. Delic disait : "Qui est le plus grand ?" Nous répondions une

10 fois : "Allah" et une fois : "Kurecen".

11 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps cela a-t-il

12 duré ?

13 M. Vukalo (interprétation). - De 20 minutes à une demi-heure, je

14 pense.

15 M. Niemann (interprétation). - Cet incident ne s'est produit

16 qu'une seule fois à votre connaissance ou bien s’est-il reproduit ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Non. Cela ne s'est produit qu'une

18 fois. Du moins, c'est ce que je pense, du moins en ce qui me concerne.

19 M. Niemann (interprétation). - Lorsque la Croix-Rouge

20 internationale s'est rendue au camp, vous vous souvenez de cet événement

21 ?

22 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je m'en souviens.

23 M. Niemann (interprétation). - A quel moment se sont-ils rendus

24 au camp ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Nous avions donné nos noms le

Page 6205

1 12 août 1992. C'était la première fois qu'ils se rendaient au camp de

2 Celebici. Il y avait un Michel dans ce groupe ; je pense qu'il était

3 Français. Il était à la tête de cette délégation qui a visité le camp de

4 Celebici.

5 M. Niemann (interprétation). - Ils ont pris les noms des

6 prisonniers, mais ont-ils fait autre chose ? En avez-vous été le témoin ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Ils ont fait un certain

8 nombre d'autres choses. Au cours d'une de leurs visites, ils sont arrivés

9 au moment où nous sortions pour aller uriner. Ce M. Michel avait un

10 chronomètre à la main. Il est resté à la porte ; il a calculé le temps qui

11 s'écoulait durant lequel nous avions le droit de sortir pour uriner. Je

12 crois que nous avions à peu près deux minutes par groupe de vingt détenus.

13 Je sais qu'il a secoué la tête. Mais rien n'a changé, rien ne s'est

14 amélioré après cet incident.

15 M. Niemann (interprétation). - La Croix-Rouge est-elle revenue

16 après cette première visite ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Ils étaient présents à cette

18 occasion-là. Par la suite, après qu'ils eurent pris nos noms, ils sont

19 partis. Plus tard, ils sont revenus après qu'un certain laps de temps se

20 fut écoulé. Mais combien de temps après ? Je ne peux pas vous le dire.

21 Peut-être deux mois.

22 M. Niemann (interprétation). - Si vous le voulez bien, je

23 voudrais que vous nous décriviez, que vous décriviez au Tribunal, les

24 conditions de détention du camp de Celebici lorsque vous vous y trouviez.

25 Tout d'abord, pouvez-vous dire aux Juges quelles étaient les

Page 6206

1 installations sanitaires, les toilettes que les détenus pouvaient

2 utiliser ? Vous avez décrit l'endroit où vous alliez uriner, mais pouvez-

3 vous dire au Tribunal, dans le détail, les installations qui étaient à

4 votre disposition du point de vue sanitaire ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Oui, oui. Je vais vous les

6 décrire. Lorsque j'étais dans le hangar 22, nous sortions pour aller aux

7 toilettes qui se trouvaient à l'extérieur. Cela se passait ainsi : nous

8 devions mettre une casquette sur notre tête. Puis, nous sortions pour

9 aller aux toilettes, habillés ainsi ; sur le chemin pour y aller, et sur

10 le chemin du retour, ils nous frappaient. Nous avions cette espèce de

11 casquette que les gardes nous avaient donnée. Je ne sais pas d'où venaient

12 ces casquettes. Chacun d'entre nous devait mettre cette casquette de telle

13 sorte que nous ne pouvions pas être reconnus au moment où ils nous

14 battaient.

15 Après un certain temps, nous n'avons plus utilisé ces

16 casquettes. Les conditions qui prévalaient dans le hangar 6 étaient

17 absolument horribles. Dans ce hangar, nous étions allongés à même le sol,

18 le sol en béton. Moi, je dormais sur ce sol de béton. J'y ai dormi pendant

19 deux ou trois mois. Il n'y avait pas du tout de douche, rien pour se

20 laver. Nous n'avions pas le droit de recevoir de visite. Personne ne

21 pouvait venir nous apporter des vêtements de rechange, ni de sous-

22 vêtements. Nous utilisions un seau comme toilettes ; il se trouvait à

23 l'intérieur du hangar à côté de la porte.

24 M. Niemann (interprétation). - Aviez-vous un endroit privé où

25 vous retirer pour vous soulager ?

Page 6207

1 M. Vukalo (interprétation). - Je ne comprends pas la question.

2 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il un écran qui vous

3 protégeait du regard des autres lorsque vous vous rendiez aux "toilettes",

4 entre guillemets ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Non, bien sûr que non. Aucun

6 écran. Il y avait un mètre qui nous séparait des autres. Tous les détenus

7 qui se trouvaient à droite de la porte étaient tout proches. A gauche de

8 la porte, il y avait également des détenus.

9 Nous utilisions surtout ce seau la nuit, lorsque nous étions

10 enfermés dans le hangar. Dans la journée, nous n'osions pas nous trouver

11 là au moment de l'entrée d'un garde. Je veux dire que, quand les gardes

12 entraient, quand M. Delic entrait, il fallait que nous soyons assis à nos

13 places respectives. Il y avait une odeur épouvantable.

14 Nous prenions nos repas dans ce même endroit. C'était plein de

15 poussière. C'était vraiment très sale. Les gens étaient couverts de poux

16 et, moi-même, j'étais recouvert de poux. Les conditions étaient vraiment

17 effroyables.

18 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous étiez à vos places,

19 aviez-vous quelque chose sur quoi vous asseoir ou étiez-vous à même le sol

20 de béton ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Pendant les trois premiers mois,

22 j'ai été assis sur le béton, directement. Par la suite, on nous a permis

23 d'utiliser, d'avoir une couverture ; une couverture chacun : nos proches

24 pouvaient nous apporter une couverture. J'ai donc obtenu une couverture

25 et, par la suite, je me suis assis dessus.

Page 6208

1 M. Niemann (interprétation). - Vous a-t-on jamais proposé des

2 médicaments pendant que vous vous trouviez dans l'enceinte du camp.

3 M. Vukalo (interprétation). - Lorsque je me trouvais dans le

4 camp, dans le hangar n° 6, j'ai été battu à de nombreuses reprises.

5 Jamais, jamais, on ne m'a donné de soins médicaux.

6 M. Niemann (interprétation). - Et comme nourriture, comme

7 boisson, que vous donnait-on ?

8 M. Vukalo (interprétation). - La nourriture était infâme.

9 Pendant un moment, nous ne recevions qu'un pain pour 17 prisonniers. Il

10 fallait que ce pain soit réparti entre 17 personnes. Il n'y avait aucun

11 légume. Par la suite, nous avons reçu des plats cuits, des légumes. Nous

12 allions manger par groupe de cinq. Nous mangions là, juste à côté de la

13 porte, juste à côté du seau dont j'ai parlé. Ce seau, nous le sortions au

14 cours de la journée. Ainsi, un détenu pouvait peut-être avaler quatre,

15 cinq cuillerées de riz ; c'était surtout du riz que nous avions. Parfois,

16 il y avait du sel, parfois, il n'était pas du tout salé ou pas assez salé.

17 Le plus important, c'est qu'il n'y en avait jamais assez ; il n'y avait

18 pas une quantité suffisante. Tous, nous n'avalions que cinq cuillerées et

19 nous mangions par groupes de cinq.

20 M. Niemann (interprétation). - Est-ce le bon moment de nous

21 arrêter ?

22 M. le Président (interprétation). - Oui, nous allons lever la

23 séance et nous reviendrons à 16 heures 30.

24 L'audience, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 35.

25 M. le Président (interprétation). - Bonjour, à nouveau,

Page 6209

1 Mesdames et Messieurs. Maître Niemann, je vous en prie.

2 M. Niemann (interprétation). - Je vous remercie,

3 Monsieur le Président.

4 Monsieur, lorsque vous vous trouviez au camp de Celebici,

5 connaissiez-vous une personne également détenue dans ce camp qui

6 s'appelait Damir Gotovac ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Damir Gotovac? Oui, je le

8 connaissais avant la guerre, parce qu'il est de mon village, Bjelovcina.

9 Il vivait à Celebici pendant un certain temps. Il est né à Bjelovcina.

10 M. Niemann (interprétation). - Lorsqu'il se trouvait au camp, se

11 trouvait-il dans le même hangar que vous-même ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Oui, il se trouvait dans le

13 hangar n°°6.

14 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous un incident

15 auquel vous-même et Damir Gotovac avez pris part ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

17 M. Niemann (interprétation). - Que s'est-il passé ?

18 M. Vukalo (interprétation). - A un moment donné, on l'a appelé.

19 Il est sorti.

20 M. Niemann (interprétation). - Qui l'a appelé ?

21 M. Vukalo (interprétation). - C'est Zenga. On a entendu un cri.

22 Dix minutes plus tard environ, l'un des gardes -je ne sais plus lequel-

23 m'a appelé. Il m'a dit de sortir et je suis sorti. Là, j'ai vu Damir.

24 Zenga était en train de le frapper. Il a perdu connaissance. Il est tombé

25 par terre. Puis, Zenga m'a déclaré : "Tue-le", ou plutôt : "Frappe-le à

Page 6210

1 mort". J'ai dit que je ne pouvais pas faire cela. Je préférais qu'il me

2 tue. Par la suite, ils ont commencé à me frapper. Zenga était là. Je pense

3 qu'Osmo Dedic se trouvait là également. Ils m'ont frappé. Puis ils ont

4 donné l'ordre à Damir de me tuer, moi. Il a refusé. Il a dit qu'il ne

5 pouvait pas faire une telle chose. Puis, ils nous ont battus tous les

6 deux. Je ne sais pas combien de temps cela a duré -pas très longtemps-

7 peut-être une demi-heure. Puis, ils nous ont renvoyés dans le hangar.

8 M. Niemann (interprétation). - Quand vous êtes sorti et que vous

9 avez vu que Damir avait été battu, portait-il quoi que ce soit, vous en

10 rappelez-vous ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Oui, il avait un masque de

12 protection, un masque militaire.

13 M. Niemann (interprétation). - Ce masque recouvrait-il son

14 visage ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Oui, ce masque se trouvait sur sa

16 tête. C'était un masque à gaz.

17 M. Niemann (interprétation). - Vous avez déclaré précédemment

18 que vous avez vu le commandant du camp, M. Mucic, venir au camp un certain

19 nombre de fois.

20 M. Vukalo (interprétation). - M. Zdravko Mucic, c'est quelqu'un

21 que je ne connaissais pas auparavant. Mais lors de ma première nuit à

22 Celebici, dans le camp, dans le hangar n°°22, Pavo est arrivé accompagné,

23 je crois, de Pero Serbia, comme on l'appelait. J'ai appris cela plus tard.

24 Ce sont les autres détenus qui me l'ont appris. Il a franchi la porte, la

25 porte du hangar n°°22, et il a dit que c'était lui le commandant du camp,

Page 6211

1 le chef du camp. Moi je me trouvais debout, à côté de la porte, et l'homme

2 qui l'accompagnait nous poussait. Pavo a déclaré que nous sentions très

3 mauvais, nous puions. Il nous a examinés. Je ne sais pas s'il a adressé la

4 parole à l'un d'entre nous et il est parti peu de temps après.

5 M. Niemann (interprétation). - Vous avez également déclaré que

6 lorsque vous êtes arrivé pour la première fois au camp de Celebici, vous

7 vous trouviez dans le hangar n°°22. Ensuite, vous avez été transféré au

8 hangar n°°6. Vous êtes resté dans le hangar n°°6 pendant tout le reste du

9 temps que vous avez passé à Celebici ou êtes-vous allé ailleurs ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Non. Du hangar n°°6, lorsqu'un

11 grand nombre de détenus ont été envoyés à la salle de sport de Musala, il

12 restait trente-deux détenus. Nous étions trente-deux détenus et nous avons

13 été transférés au hangar n°°22 où j'avais déjà séjourné.

14 M. Niemann (interprétation). - Quand avez-vous quitté le camp

15 finalement ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Le 9 décembre. On nous a

17 transférés à la salle de sport à Konjic.

18 M. Niemann (interprétation). - M. Landzo est-il resté dans le

19 camp pendant toute la durée de votre séjour ou est-il parti ?

20 M. Vukalo (interprétation). - Pendant un certain temps, je ne

21 sais plus exactement entre quand et quand, il ne se trouvait pas au camp

22 de Celebici. Mais c'est une période qui n'a pas été très longue.

23 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous quoi que ce soit

24 concernant les circonstances qui ont présidé à son départ du camp ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Non, je ne sais pas exactement

Page 6212

1 mais j'ai entendu dire que...

2 Mme McMurrey (interprétation). - Objection,

3 Monsieur le Président. Nous ne savons pas d'où le témoin a entendu cela et

4 je sais fort bien que M. Niemann doit être plus précis.

5 M. Niemann (interprétation). - Je ne poursuis pas.

6 Mme McMurrey (interprétation). - Je vous remercie.

7 M. Niemann (interprétation). - Veuillez nous dire simplement ce

8 que vous, vous savez. Monsieur Mucic se trouvait-il dans le camp pendant

9 toute la durée de votre séjour -je parle du camp de Celebici- ou a-t-il

10 quitté le camp à un moment donné ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Zdravko Mucic, également connu

12 sous le nom de Pavo, passait de temps en temps. Parfois, il est resté

13 absent pendant dix jours de suite.

14 M. Niemann (interprétation). - Après avoir quitté le camp de

15 Celebici, où vous êtes-vous rendu, ou plutôt où vous a-t-on emmené ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Vous voulez dire de Celebici ?

17 M. Niemann (interprétation). - Oui.

18 M. Vukalo (interprétation). - On m'a emmené à la salle de sport,

19 la prison de Musala, à Konjic avec les trente-deux autres détenus, le

20 dernier groupe de détenus du camp.

21 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous qui était responsable

22 de Musala, de ce centre ?

23 M. Vukalo (interprétation). - Lorsque je suis arrivé à Musala

24 -je ne sais pas exactement quand- il y avait là quelqu'un qui s'appelait

25 Broceta. Je ne connais pas son prénom.

Page 6213

1 M. Niemann (interprétation). - Est-il resté commandant de ce

2 camp, de cette structure, ou bien le commandement a-t-il changé à un

3 moment donné ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Durant notre séjour au centre

5 sportif à Konjic, plusieurs fois les responsables ont changé.

6 M. Niemann (interprétation). - Parmi les prisonniers qui se

7 trouvaient à Musala, parmi les personnes qui se trouvaient détenues, y

8 avait-il les anciens gardes de Celebici qui étaient détenus avec les

9 autres personnes ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Il y avait des gardes.

11 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous nous dire qui ils

12 étaient ?

13 M. Vukalo (interprétation). - Il y avait Esad qui se trouvait à

14 Celebici, Kemo ; je crois que son nom était Mrndzic. Pendant un certain

15 temps, il était responsable du camp à Konjic. A Celebici, il nous battait,

16 mais à Konjic c'était un bon commandant.

17 M. Niemann (interprétation). - Y avait-il quelqu'un d'autre ?

18 Vous en rappelez-vous ? Quelqu'un d'autre était-il détenu à Musala ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Je ne comprends pas.

20 Qu'entendez-vous par là, "Détenu" ?

21 M. Niemann (interprétation). - Qui se trouvait détenu là... ? Y

22 avait-il encore d'autres ex-gardes du camp de Celebici ?

23 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je comprends, je vois ce que

24 vous voulez dire à présent. Pendant un certain temps, Esad Landzo se

25 trouvait en prison. Hazim Delic se trouvait à Celebici. Il y avait

Page 6214

1 également des prisonniers à Konjic, dans le centre de Musala.

2 M. Niemann (interprétation). - Hazim Delic était donc prisonnier

3 à Musala. Avez-vous eu un entretien avec lui ?

4 M. Vukalo (interprétation). - A cette époque-là, nous nous

5 trouvions à l'étage, dans une partie du bâtiment qu'on appelait le

6 gymnase. Il pouvait s'y rendre quand il voulait dans la journée. Il ne me

7 parlait pas à moi, mais il parlait à d'autres détenus.

8 M. Niemann (interprétation). - Que disait-il au cours de ces

9 conversations ? Entendiez-vous les conversations ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Il entrait...

11 M. Niemann (interprétation). - Je vous demande si vous l'avez

12 vous-même entendu s'exprimer.

13 M. Vukalo (interprétation). - Une fois, je ne sais pas

14 exactement à qui il parlait, à l'un des détenus... Une fois, il a dit les

15 informations relatives à toutes les victimes du camp de Celebici, leur

16 date de naissance, leur village d'origine, leur âge, il a parlé de cela.

17 Je ne peux pas en dire plus.

18 M. Niemann (interprétation). - Pendant votre séjour au camp de

19 Musala, les prisonniers ont-ils été maltraités ? En avez-vous été le

20 témoin ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Oui. Pendant un certain temps,

22 quand Edo Zilic était responsable du camp, ou de la prison devrais-je

23 dire, dix d'entre nous -et je faisais partie de ce groupe de dix- ont reçu

24 l'ordre d'aller travailler...

25 M. Niemann (interprétation). - Je voudrais seulement que vous

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1 répondiez par l'affirmative ou la négative. Y a-t-il eu des mauvais

2 traitements pendant votre séjour à Musala ? Je ne vous demande pas de nous

3 donner des détails.

4 M. Vukalo (interprétation). - Il y a eu moins de mauvais

5 traitements, mais il y en avait un peu. Il y en avait beaucoup, beaucoup

6 moins.

7 M. Niemann (interprétation). - Je vous remercie. Je n'ai rien à

8 ajouter.

9 M. le Président (interprétation). - Dans quel ordre allez-vous

10 procéder au contre-interrogatoire ?

11 M. O'Sullivan (interprétation). - Tout d'abord, le conseil de

12 M. Delalic, le conseil de M. Mucic, en troisième position le conseil de

13 M. Delic et, enfin, le conseil de M. Landzo.

14 M. le Président (interprétation). - Je vous en prie,

15 Madame Residovic.

16 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie,

17 Monsieur le Président. Bonjour, Monsieur Vukalo.

18 M. Vukalo (interprétation). - Bonjour.

19 Mme Residovic (interprétation). - Je m'appelle Edina Residovic.

20 Je suis conseil de la défense représentant M. Delalic. J'aimerais vous

21 demander, M. Vukalo, d'attendre que l'interprétation de ma question soit

22 achevée -l'interprétation en anglais- et, une fois que l'interprétation

23 est terminée, vous pouvez alors répondre à ma question, parce que, ainsi,

24 tout le monde pourra suivre les débats et nos entretiens. Suis-je claire ?

25 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

Page 6216

1 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie.

2 Monsieur Vukalo, lors de l'interrogatoire principal du

3 procureur, vous avez donné des informations de base vous concernant. Nous

4 savons que vous venez de Konjic. Nous savons qu'avant la guerre, vous

5 travailliez à l'usine Igman jusqu'à ce ce que vous soyez renvoyé avant la

6 guerre.

7 M. Vukalo (interprétation). - C'est exact.

8 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, j'aimerais

9 savoir si vous êtes devenu un membre du SDS tout de suite après sa

10 création dans la municipalité de Konjic.

11 M. Vukalo (interprétation). - Après la création du SDS et après

12 la création du SDA et du HDZ, je ne suis pas devenu immédiatement membre.

13 Mais, à une certaine occasion, un homme du village de Bjelovcina qui était

14 un "Sudar", je ne sais pas comment cela s'est fait, est devenu membre du

15 parti. Il a emporté quelques cartes de membre et il les a ensuite

16 distribuées dans le village. Bien évidemment, en échange, il demandait de

17 l'argent. C'est ainsi que, dans mon village, un certain nombre de

18 personnes sont devenues membres de ce parti. Donc, vraiment, ce n'était

19 pas un engagement sérieux.

20 Mme Residovic (interprétation). - Par conséquent, en 1992, avant

21 que le conflit n'éclate sur le territoire de la municipalité de Konjic,

22 Monsieur Vukalo, vous êtes devenu un membre du SDS de cette manière, est-

23 ce exact ?

24 M. Vukalo (interprétation). - C'est exact.

25 Mme Residovic (interprétation). - Pouvez-vous me donner le nom

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1 de l'homme qui a distribué ces cartes de membre du parti ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je le peux. Son nom était

3 Bozo Bendzo.

4 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie.

5 Saviez-vous que le SDS de Konjic se préparait à adopter, et , en

6 mars 1992, a de fait adopté une décision portant sur la municipalité serbe

7 de Konjic, municipalité à laquelle votre village de Bjelovcina devait

8 faire partie ?

9 M. Vukalo (interprétation). - Je n'étais pas vraiment au courant

10 de ce genre de chose. En fait, je ne savais pratiquement rien.

11 Mme Residovic (interprétation). - Vous saviez peu de chose, mais

12 saviez-vous que certains des citoyens non serbes de Konjic savaient cela

13 et s'opposaient violemment à de telles activités, parce qu'ils pensaient

14 que cela allait diviser la municipalité, que c'était une décision anti-

15 constitutionnelle ?

16 M. Vukalo (interprétation). - Mon village se trouvait à l'écart

17 de la ville de Konjic. Je n'ai rien su de tout cela ; qui était pour, qui

18 était contre cette décision ? Je n'en savais rien. Moi, je me trouvais

19 dans le village à ce moment-là.

20 Mme Residovic (interprétation). - Cela dit, comme vous l'avez

21 déjà déclaré devant le Tribunal, à cette époque-là vous travailliez à

22 l'usine Igman, à Konjic. C'est l'usine la plus importante. Une entreprise

23 de poids dans cette municipalité. Elle produit notamment des outils

24 militaires. Vous, vous étiez dans le département civil, mais avez-vous

25 remarqué parmi vos collègues appartenant à différents groupes ethniques,

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1 si certaines de ces personnes étaient gênées par ce type d'activité ?

2 M. Vukalo (interprétation). - J’ai déjà déclaré que l’on m’a

3 renvoyé chez moi et que j’attendais, et j’étais chez moi.

4 Mme Residovic (interprétation). - Pouvez-vous me dire, s’il vous

5 plaît, Monsieur Vukalo, qu’avec cette décision dont vous saviez peu de

6 chose, on a commencé à armer la population serbe de façon illégale et cela

7 s’est fait par le biais de la JNA et du SDS.

8 M. Vukalo (interprétation). - En ce qui concerne la distribution

9 d’armes, je répète que je vivais dans ce petit hameau, ce hameau se

10 trouvait à un km du hameau le plus proche. Je ne sais pas ce qui se

11 produisait, je ne sais pas exactement quels étaient les événements qui se

12 produisaient.

13 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, vous savez où

14 se trouve Borci Bjela. Elle se trouve à l’est de la municipalité de

15 Konjic, en direction du mont Prenj.

16 M. Vukalo (interprétation). - Oui bien sûr, je sais où cela se

17 trouve.

18 Mme Residovic (interprétation). - Et vous savez sans doute,

19 Monsieur Vukalo, que dès avril une partie de la population serbe de la

20 ville se dirigeait vers le lac de Borci.

21 M. Vukalo (interprétation). - Pour autant que je sache, je ne

22 crois pas que qui que ce soit de mon village soit parti dans cette

23 direction. Pour ce qui est des autres villages, des autres villes, peut-

24 être que des gens sont partis, je n’en sais rien.

25 Mme Residovic (interprétation). - Mais vous savez sans doute que

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1 Kister et Borci étaient sous le contrôle des forces serbes à ce moment-là.

2 M. Vukalo (interprétation). - Je ne sais pas du tout, je ne sais

3 rien quant à la façon dont l’armée serbe à cet endroit-là, je n’en sais

4 absolument rien.

5 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, savez-vous

6 que les autres villages dans lesquels la population serbe était

7 majoritaire, savez-vous que dans ces villages aussi il y avait

8 distribution d’armes, savez-vous qu’il y avait des tours de gardes dans

9 ces villages, des tours de gardes sur les voies principales qui arrivaient

10 dans ces villages, qu’il y avait des barrages de routes ? Ces villages

11 procédaient à ces activités pour se défendre, selon ce qu’ils disaient.

12 M. Vukalo (interprétation). - Comme je l’ai déjà dit, mon

13 village était entouré par sept, huit ou plus, villages musulmans. En

14 direction de la ville, il y avait un village croatePokoiste. La population

15 majoritairement serbe se trouvait dans le village de Bradina. Par

16 conséquent, je n’ai aucune idée de ce qui a pu se produire, ou comment

17 cela s’est produit.

18 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, vous

19 travailliez dans une usine militaire, l’usine Igman, et vous savez sans

20 doute que la distribution d’armes à la Défense territoriale de Konjic et

21 d’autres municipalités se passait dans la région de Ljuta, à Konjic.

22 M. Vukalo (interprétation). - Je travaillais dans le département

23 civil de l’usine Igman. Je n’ai jamais, jamais, au cours de ma vie,

24 franchi la porte du département militaire de cette usine. Et je ne sais

25 pas du tout ce qui pouvait se trouver dans ce département-là.

Page 6220

1 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, avant votre

2 témoignage ici aujourd’hui, avant votre témoignage devant les enquêteurs

3 officiels de ce Tribunal, avez-vous fait une déclaration devant le

4 Tribunal de district de Belgrade, en octobre 1995 ?

5 M. Vukalo (interprétation). - Oui, j’ai fait une déclaration, à

6 Belgrade. Je l’ai faite devant ce Comité, le Comité qui s’occupe des

7 crimes de guerre. Je ne sais pas devant qui j’ai fait cette déposition.

8 J’ai également fait une déclaration au Bureau du Tribunal international

9 qui se trouve à Belgrade. C’est tout.

10 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, êtes-vous le

11 fils de Spaso ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

13 Mme Residovic (interprétation). - Et vous êtes né le

14 29 mars1964.

15 M. Vukalo (interprétation). - Oui.

16 Mme Residovic (interprétation). - Vous êtes conscient du fait

17 que vous parlez sous serment, n’est-ce pas ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Absolument.

19 Mme Residovic (interprétation). - Et vous dites à présent qu’en

20 octobre 1995 vous n’avez pas fait une déclaration aux responsables du

21 Tribunal de district de Belgrade, le 22 octobre 1995 ?

22 M. Vukalo (interprétation). - J’ai fait une déclaration à un

23 homme de ce Comité, c’est ainsi qu’il s’est présenté à moi : le Comité de

24 Belgrade. C’est un tribunal qui enquête sur les crimes de guerre.

25 Mme Residovic (interprétation). - Cette homme qui vous a

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1 interrogé, s’est-il présenté comme étant M. Miodrag, enquêteur ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Oui, je crois que c’est ainsi

3 qu’il s’est présenté à moi.

4 Mme Residovic (interprétation). - Et ce juge, Monsieur Vukalo,

5 vous a-t-il averti du fait qu’il était de votre devoir de dire la vérité,

6 que vous ne deviez pas retenir quelque information que ce soit, vous a-t-

7 il averti du fait que si vous cherchiez à tromper le tribunal cela

8 entraînerait des conséquences importantes, vous aviez le devoir de

9 répondre aux questions qui vous étaient posées ?

10 En fait, il vous a dit que seules les questions qui concernaient

11 directement vous-même, vos proches et qui pouvaient avoir des conséquences

12 terribles pour eux, vous pourriez ne pas répondre à ce genre de question.

13 M. Vukalo (interprétation). - Il m’a posé des questions, il m’a

14 demandé d’y répondre, bien sûr il m’a demandé de dire la vérité, c’est

15 bien ce que j’ai fait.

16 Mme Residovic (interprétation). - Et vous aviez paraphé toutes

17 les pages de la déclaration que vous avez faite devant ce juge ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Oui, j’ai signé quelque chose, il

19 devait s’agir de ce document-là.

20 Mme Residovic (interprétation). - Je vais vous lire une partie

21 de cette déclaration, je vous prie de dire si c’est bien ce que vous avez

22 dit au juge.

23 En page 2, il est stipulé que dans votre région : nous sommes

24 minoritaires mais nous avons fait confiance à la JNA, nous croyions que la

25 JNA allait nous protéger. Cette croyance, cette foi s’appuyait sur les

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1 garanties données à Rajko Djordjic et à d’autres serbes bien connus de la

2 région par des commandants de l’armée.

3 En avril 1992, pour autant que je me le rappelle, la JNA s’est

4 retirée de la région de Konjic en tant que force armée et les forces

5 musulmanes ont pris le contrôle des bâtiments militaires. Est-ce bien cela

6 que vous avez dit, Monsieur Vukalo?

7 M. Vukalo (interprétation). - Formulé de cette manière, est-ce

8 que vous pourriez répéter, je vous prie de m’excuser.

9 Mme Residovic (interprétation). - Dans cette région, nous les

10 Serbes sommes minoritaires, mais nous avons fait confiance à la JNA, nous

11 croyions que la JNA allait nous défendre. Cette conviction s’appuyait sur

12 des promesses faites par les commandants de l’armée à Rajko Djordjic et à

13 d’autres Serbes bien connus de la région. Pour autant que je me le

14 rappelle, en avril 1992, la JNA s’est retirée en tant que force armée de

15 la région de Konjic.

16 M. Vukalo (interprétation). - C’est seulement à ma sortie du

17 camp, lorsque j’ai été échangé, que j’ai entendu parler de ce genre de

18 chose, des promesses faites à Rajko, mais moi je ne suis pas au courant,

19 je ne sais pas cela. Je ne sais pas si elles ont été données ou pas, je ne

20 le sais pas. Mais quand je suis sorti du camp, c’est ce que j’ai entendu

21 dire par des gens de la région.

22 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, est-ce sur la

23 base de ces connaissances que vous avez déclaré être vos connaissances

24 personnelles, au juge, est-ce que sur cette base vous pouvez conclure que

25 la JNA, en tant que force armée, a distribué des armes par l’intermédiaire

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1 du SDS à la population serbe de la région ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Je ne suis pas au courant qu’elle

3 ait donné ou distribué des armes à la population serbe de Konjic.

4 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, devant ce

5 tribunal vous avez déclaré que dans votre village aucune défense du

6 village n’a été préparée, vous avez déclaré que vous n’aviez pas d’armes,

7 est-ce bien cela ?

8 M. Vukalo (interprétation). - J’ai dit que je vivais dans mon

9 hameau qui ne comptait que cinq ou six maisons, où toutes les familles

10 s’appelaient Vukalo et pour autant que je le sache, il y avait très peu de

11 garçons dans ce village, très peu de jeunes gens aptes à porter les armes.

12 Le village était encerclé, entouré de sept à huit villages musulmans, ou

13 même davantage, et il y avait aussi des villages croates et je ne suis au

14 courant d’aucun préparatif destiné à assurer la défense du village.

15 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, dans cette

16 déclaration, quand on vous a rappelé le devoir qui est le votre de dire la

17 vérité, j’aimerais vous rafraîchir la mémoire, je vais donc vous lire la

18 teneur de cette déclaration et vous me direz s’il est exact que c’est bien

19 cela que vous avez dit au juge à Belgrade.

20 Page 2 : paragraphe 2, je cite : "Afin de se protéger et de

21 protéger notre vie ainsi que celle des membres de notre famille, afin de

22 protéger aussi nos biens, nous nous sommes organisés pour nous défendre à

23 l’aide des quelques armes que nous possédions. Nous avons organisé des

24 tours de garde de façon à éviter d’être attaqués par surprise." Est-ce que

25 ce sont bien les mots que vous avez employés dans votre déclaration au

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1 juge à Belgrade ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Je suis arrivé à Belgrade en

3 provenance de la Republika Srpska, à ce moment-là j’étais fatigué, j’avais

4 dû utiliser plusieurs moyens de transports au cours du voyage, et bien sûr

5 il y avait des armes de chasse, des fusils de chasse dans le village, et

6 certains possédaient un revolver personnel. Mais je ne les connais pas.

7 Peut-être qu’il y avait quelques armes mais je ne sais pas combien. Les

8 gens habitaient dans différents hameaux, ces hameaux comptaient 5 à

9 10 maisons chacun et ils étaient séparés les uns des autres de 500 mètres

10 à un kilomètre.

11 Mme Residovic (interprétation). - Merci. Mais, Monsieur Vukalo,

12 vous venez de nous expliquer une chose particulière. Or, ce matin, lorsque

13 vous répondiez aux questions posées par mes collègues de l’accusation,

14 lorsque mes collègues vous ont interrogé au sujet de l’existence d’armes,

15 vous avez répondu par la négative. Ce faisant, vous n’avez pas vraiment

16 répondu authentiquement ou par la vérité à ces questions.

17 M. Vukalo (interprétation). - J’ai dit que, dans mon hameau, il

18 n’y avait eu aucune tentative de défense organisée, rien de ce genre.

19 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, si au

20 Tribunal de district de Belgrade, où vous avez également parlé sous la foi

21 du serment, si vous avez déclaré à ce tribunal -je cite- : « Nous avons

22 opposé une résistance, le combat a duré environ une heure, mais puisqu’ils

23 étaient en surnombre ils ont réussi à nous diviser et nous avons circulé

24 dans les forêts, sur les routes avoisinantes jusqu’au moment où nous nous

25 sommes réunis avec nos épouses et nos enfants dans les jours qui ont

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1 suivi », donc, ce que vous dites là est différent de ce que vous avez dit

2 ici.

3 M. Vukalo (interprétation). - Lorsque mon village a été attaqué,

4 lorsque mon hameau a été attaqué, pas une balle n’a été tirée, en tout cas

5 je n’ai pas entendu un seul coup de feu provenant des maisons qui

6 composaient mon hameau. Je n’ai pas entendu un coup de feu en provenance

7 du village. Plus tard, alors que j’étais déjà en prison, à Celebici, j’ai

8 appris que personne n’avait été tué après l’action de l’armée musulmane ou

9 croate, je ne sais plus comment elle s’appelle.

10 Mme Residovic (interprétation). - Mais je viens de vous donner

11 lecture des mots que vous avez utilisés dans votre déclaration faite

12 devant le Tribunal de district de Belgrade. Je ne vous dis pas autre chose

13 que -je cite- : « Nous avons opposé une résistance le combat a duré

14 environ une heure » ; je vous dis que ces mots figurent dans la

15 déclaration qui a été faite au Tribunal de Belgrade. Est-ce que ces mots

16 ont été prononcés devant le juge ?

17 M. Vukalo (interprétation). - Peut-être que c’est ainsi qu’ils

18 sont inscrits, mais ce n’est pas ce qui a été dit.

19 Mme Residovic (interprétation). - Donc, les Juges ont consigné

20 ces propos même si vous ne les avez pas proférés ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Je n’ai sûrement pas fait cette

22 déclaration, je n’ai pas dit cela. Peut-être que cela a été formulé de

23 cette façon mais je ne l’ai pas dit, parce que personne n’a opposé de

24 résistance. Il n’y a eu aucune résistance, et ceux qui possédaient un

25 fusil de chasse n’ont pas tiré. C’est ce que j’ai appris plus tard à

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1 Celebici.

2 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, vous venez de

3 dire à l’instant que c’est Dusko Bendzo qui vous a fait rentrer au SDS ?

4 M. Vukalo (interprétation). - Non, Bosko.

5 Mme Residovic (interprétation). - Ah, Bosko, excusez-moi.

6 Est-ce que vous connaissez Dusko Bendzo ?

7 M. Vukalo (interprétation). - Il habite à l’entrée du village de

8 Bjelovcina et moi j’habite à l’autre bout. Mais je le connais, comme ça.

9 Mme Residovic (interprétation). - Mais Bjelovcina n’est pas un

10 grand village, combien y a-t-il d’habitants ?

11 M. Vukalo (interprétation). - Il n’y a pas beaucoup d’habitants,

12 mais les distances sont importantes entre un hameau et un autre.

13 Mme Residovic (interprétation). -Est-ce que vous connaissez

14 Strahinza Zivac surnommé Strajo ?

15 M. Vukalo (interprétation). - C’est l’homme dont les fils ont

16 été exécutés à Bradina ? Deux de ses fils ont été tués à Bradina. C’est ce

17 que j’ai entendu dire. C’est cela dont vous parlez ?

18 Mme Residovic (interprétation). - Je ne sais pas, je vous pose

19 la question. Est-ce que vous connaissez Zivac Strahinja qui a été

20 vice-président de l’assemblée municipale de Bradina, dans la municipalité

21 de Konjic ?

22 M. Vukalo (interprétation). - J’ai entendu que deux de ses fils

23 ont été tués à Bradina, peut-être que je le connais un peu, mais pas plus

24 que cela.

25 Mme Residovic (interprétation). - Est-il exact, Monsieur Vukalo,

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1 que Dusko Bendzo a été chargé en même temps que Strahina Zivak, de

2 distribuer des armes à la population serbe sur le territoire de votre

3 village.

4 M. Vukalo (interprétation). - Je ne suis pas au courant de cela.

5 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, est-il exact

6 que l’adjoint de Dusko Bendzo était Slavoljub ? Est-ce que vous le

7 connaissez ?

8 M. Vukalo (interprétation). - Je connais Slavoljub Bendzo et je

9 ne crois pas qu’il ait eu quelque activité de ce genre.

10 Mme Residovic (interprétation). - Est-ce que vous connaissez

11 Miro Djurdjic et Mirko Babic, Monsieur Vukalo ?

12 M. Vukalo (interprétation). - Bien sûr que je connais

13 Miro Djurdjic et Mirka Babic. Ce sont des gens qui habitent mon village,

14 mais simplement ils habitent des hameaux différents.

15 Mme Residovic (interprétation). - Savez-vous qu’ils avaient été

16 chargés par le SDS, dont vous étiez membre un peu par hasard, de maintenir

17 le contact avec Strahinja Zivak ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Peut-être, mais je ne peux rien

19 affirmer.

20 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, vers la fin

21 du mois de janvier, avez-vous été appelé au sein des forces de réserve de

22 la JNA et, à la fin du mois de février 1992 avez-vous rejoint les

23 réservistes de la JNA à Mostar ?

24 M. Vukalo (interprétation). - C’est à peine si je suis parvenu à

25 servir au sein de l’armée populaire yougoslave en raison de l’opération du

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1 coeur que j’avais subie. Je peux en apporter la preuve. C’est Papo Isidor

2 qui m’a opéré. Je n’étais pas vraiment apte à servir dans l’armée.

3 Mme Residovic (interprétation). - Oui, Monsieur Vukalo, je vous

4 ai entendu dire que telle était la raison pour laquelle vous n’aviez pas

5 terminé votre service militaire. Ce qui m’intéresse, c’est la chose

6 suivante : avez-vous reçu une feuille de route pour rejoindre les

7 réservistes de la JNA ? Etes-vous allé à Mostar rejoindre les réservistes

8 de la JNA où vous avez passé quelques jours, sans doute deux ou trois

9 jours avant de rentrer chez vous. Est-ce exact ?

10 M. Vukalo (interprétation). - Non.

11 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, vous avez

12 devant ce Tribunal déclaré que vous ne possédiez pas de fusil, que vous

13 n’aviez pas d’arme. C’est bien cela ?

14 M. Vukalo (interprétation). - Effectivement, je n’avais pas un

15 fusil à moi ; je n’avais pas de fusil.

16 Mme Residovic (interprétation). - Mais est-il néanmoins exact,

17 Monsieur Vukalo, que l’on vous avait remis un fusil mitrailleur ?

18 M. Vukalo (interprétation). - Peut-être quelqu’un a-t-il écrit

19 que tel avait été le cas. Peut-être quelqu’un voulait-il m’en charger,

20 mais je ne suis pas au courant. Je ne sais pas comment se faisaient les

21 affectations. Je ne sais même pas qu’il y avait des affectations.

22 Mme Residovic (interprétation). - Connaissez-vous,

23 Monsieur Vukalo, Amir Dzelilovic ?

24 M. Vukalo (interprétation). - Je le connais.

25 Mme Residovic (interprétation). - Il est de Kralupi, n’est-ce

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1 pas ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Oui, de Kralupi.

3 Mme Residovic (interprétation). - Est-il exact, Monsieur Vukalo,

4 que vous-même et un de vos cousins avez remis des fusils mitrailleurs à

5 Amir Dzelilovic à Kralupi ?

6 M. Vukalo (interprétation). - Quand je suis arrivé non loin de

7 Kralupi, à quelques centaines de mètres du village -je ne sais pas

8 exactement à quelle distance-, en fait j’emmenais ma vieille mère qui

9 était malade et mon frère avec moi. Le groupe dans lequel se trouvaient

10 les femmes et les enfants de ce hameau nous suivait, si bien que nous

11 n’étions pas tous ensemble dans le même groupe. Moi, je n’avais aucune

12 arme avec moi, sur moi.

13 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Vukalo, vous avez

14 déclaré qu’un représentant de l’accusation du Tribunal international vous

15 avait également entendu avant le présent procès.

16 M. Vukalo (interprétation). - Je n’ai pas bien compris.

17 Pouvez-vous répéter ?

18 Mme Residovic (interprétation). - En 1996, le 13 novembre 1996,

19 avez-vous été entendu par un représentant de l’accusation du Tribunal

20 international de La-Haye ?

21 M. Vukalo (interprétation). - A Belgrade, dans les bureaux du

22 Tribunal de La-Haye, j’ai effectivement donné une déclaration, mais je ne

23 me rappelle pas la date. Elle est sans doute inscrite sur une feuille de

24 papier.

25 Mme Residovic (interprétation). - Est-il exact que vous avez dit

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1 la vérité à cet enquêteur, au mieux de vos possibilités ?

2 M. Vukalo (interprétation). - Je ne me rappelle pas exactement

3 ce que j’ai dit. Demandez-le leur.

4 Mme Residovic (interprétation). - A ce moment-là,

5 Monsieur Vukalo, avez-vous signé une attestation lorsque l’on vous a remis

6 votre déclaration, attestation dans laquelle vous déclarez avoir accordé

7 cette déclaration de votre gré, que cette déclaration pouvait être

8 utilisée devant ce Tribunal et que la teneur de cette déclaration était

9 fidèle et exacte dans la mesure de vos souvenirs ?

10 M. Vukalo (interprétation). - J’ai donné une déclaration, oui,

11 mais je ne me rappelle pas ce que j’ai signé exactement.

12 Mme Residovic (interprétation). - De façon à vous rappeler ce

13 que vous avez déclaré à l’accusation, je vais vous donner lecture de ce

14 passage de cette déclaration. Je cite : "J’ai décidé d’essayer de me

15 rendre à des amis de mon cousin de Kralupi, Amir Dzelilovic, parce que les

16 soldats tiraient un peu partout. Valdo est allé le chercher. A près de

17 cent mètres de Kralupi, nous nous sommes rendus à Amir et nous avons

18 restitué deux fusils que nous avions sur nous pour nous défendre. Au

19 total, nous étions vingt à nous rendre y compris ma mère. Avez-vous bien

20 dit cela à l’enquêteur ?

21 M. Vukalo (interprétation). - Le mot "se rendre"... Moi, je ne

22 fuyais devant personne. Simplement, je me suis rapproché du village de

23 Kralupi avec des malades, des femmes, des enfants, parce que nous étions

24 terrorisés par les coups de feu. Nous avons fui dans ce village qui n'est

25 pas loin, dans ce village de Kralupi, pour essayer d'y trouver un abri.

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1 Vous savez, nous ne savions plus quoi faire. Nous avions été surpris.

2 Mme Residovic (interprétation). - Donc, c'est bien cela ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Nous nous sommes approchés du

4 village de Kralupi.

5 Mme Residovic (interprétation). - Mais est-il exact que vous

6 ayez remis à Vlado deux fusils mitrailleurs, en fait ?

7 M. Vukalo (interprétation). - J'ai déclaré que j'emmenais avec

8 moi ma vieille mère malade et mon cousin et que nous avons rencontré un

9 groupe d'hommes qui se trouvait tout près, à une vingtaine de mètres. Mais

10 nous n'avons remis aucune arme. En fait, nous devions porter ma mère,

11 moi-même et mon cousin.

12 Mme Residovic (interprétation). - Donc, si ces mots figurent

13 dans le texte comme étant des mots prononcés par vous, cela signifie que

14 l'enquêteur a consigné des propos que vous n'avez pas tenus ?

15 M. Vukalo (interprétation). - Peut-être n'ont-ils pas compris,

16 je ne sais pas.

17 Mme Residovic (interprétation). - Mais vous avez eu la

18 possibilité d'entendre l'interprétation de tout ce que vous avez dit ?

19 M. Vukalo (interprétation). - Quand j'ai parlé, je me sentais

20 assez mal. Je n'étais pas à l'aise. A un certain moment, je ne savais plus

21 exactement ce que je disais tellement il était désagréable pour moi de me

22 rappeler tout cela. J'essaie vraiment d'oublier le plus de choses

23 possible. J'espère y parvenir, si j'y parviens. A un moment, nous avons dû

24 interrompre parce que je ne pouvais plus le supporter.

25 Mme Residovic (interprétation). - Mais vous confirmez qu'il y a

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1 une différence entre ce que j'ai lu et ce que vous avez dit aujourd'hui au

2 Tribunal. Est-ce exact ?

3 M. Vukalo (interprétation). - Peut-être que les choses ont été

4 formulées dans le texte comme vous l'avez dit au cours de votre lecture,

5 mais, moi, je suis sûr que je n'avais aucune arme. Ce que j'ai dit

6 aujourd'hui, c'est que je n'avais pas d'arme. Maintenant, quelqu'un a pu

7 écrire quelque chose. Comment il l'a écrit ? Je ne sais pas. Je sais que,

8 à Belgrade, dans les bureaux du Tribunal de La-Haye, j'étais très

9 bouleversé. J'ai dû demandé une interruption de l'entretien, tellement je

10 me sentais mal.

11 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur le Président, je

12 pense qu'il est peut-être temps que j'arrête mon contre-interrogatoire

13 pour aujourd'hui.

14 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup. Vous avez

15 tout à fait raison. Nous reprendrons demain à 10 heures le

16 contre-interrogatoire de ce témoin.

17 L'audience est levée à 17 heures 30.

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