Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-96-21-T

2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE

3 Lundi 27 Juillet 1998

4

5 L'audience est ouverte à 10 heures 10.

6 M. le Président (interprétation). - Bonjour Mesdames et

7 Messieurs. Est-ce que l'on pourrait avoir les présentations s'il vous

8 plaît ?

9 M. Cowles (interprétation). - Je m'appelle James Cowles, et je

10 représente l'accusation avec M. George Huber. Merci.

11 M. le Président (interprétation). - Est-ce que je peux avoir la

12 présentation de la défense s'il vous plaît ?

13 Mme Residovic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le

14 Président. Je m'appelle Edina Residovic, et je défends M Zejnil Delalic

15 avec mon collègue Eugène O'Sullivan, professeur au Canada.

16 M. Kusmanovic (interprétation). - Bonjour, Mesdames, Monsieur le

17 Président, je défends M. Mucic. Monsieur Olujic sera là plus tard.

18 M.Karabdic.(interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

19 je m'appelle Salih Karabdic, avocat à Sarajevo et je défends

20 M. Hazim Delic qui est défendu également par un avocat de Huston,

21 M. Thomas Moran.

22 Mme McMurrey (interprétation). - Bonjour, Monsieur le Président,

23 je m'appelle Cynthia McMurrey, je représente Esad Landzo avec

24 Mme Nancy Boler et M Calvin Sanders.

25 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Madame

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1 McMurrey, nous attendions votre prochain témoin.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Oui, Monsieur le Président.

3 J'ai une communication à vous faire. Le témoin ne sera disponible qu'à

4 14 heures 30 et je demande aux Juges de bien vouloir faire preuve

5 d'indulgence et de tolérance devant les problèmes que je rencontre. Nous

6 souhaiterions commencer à 14 heures 30 l'interrogation du témoin si les

7 Juges veulent bien m'accorder ce délai.

8 M. le Président (interprétation). - Est-ce que c'est encore un

9 témoin dont vous attendez l'arrivée ou bien est-ce un étranger ?

10 Mme McMurrey (interprétation). - Non, ce n'est pas un étranger.

11 M. le Président (interprétation). - Est-ce que vous pouvez

12 expliquer aux Juges pour quelle raison vous voulez retarder l'audition du

13 témoin jusqu'à 14 heures 30 ?

14 Mme McMurrey (interprétation). - C'est la raison pour laquelle

15 j'interviens, Monsieur le Président.

16 M. le Président (interprétation). - Bon. J'espère que

17 14 heures 30 est l'heure exacte au moment où nous pourrons entendre le

18 témoin. Ce n'est pas un moment où vous allez encore nous dire que nous

19 allons entendre une autre histoire de votre part. Donc nous espérons qu'à

20 14 heures 30 nous pourrons commencer à entendre ce témoin.

21 Mme McMurrey (interprétation). - Oui, je commencerai le contre-

22 interrogatoire à 14 heures 30, pardon l'interrogatoire, exactement comme

23 je l'ai indiqué à la cour.

24 M. Jan (interprétation). - (Hors micro.)

25 Mme McMurrey (interprétation). - Oui, vous avez fait preuve

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1 d'une grande tolérance et d'une grande indulgence tout au long du procès

2 et en ce qui concerne la présentation de l'accusation, les Juges ont fait

3 preuve d'une grande compréhension face aux difficultés que nous avons

4 rencontrées dans la présentation de nos témoins. Vous avez tout à fait

5 raison, Monsieur le Juge Jan, vous avez tous fait preuve d'une grande

6 tolérance et j'aimerais vous demander, Monsieur le Président, Messieurs

7 les Juges d'avoir deux heures et demie supplémentaires, ce qui nous

8 permettra de terminer la présentation de la défense.

9 M. le Président (interprétation). - Très bien. Très bien. Alors

10 nous allons lever l'audience avec l'accord de la défense, nous allons

11 lever l'audience et revenir ici à 14 heures 30.

12 Mme McMurrey (interprétation). - Merci

13 L'audience suspendue à 10 heures 15 est reprise à 14 heures 40.

14 M. Moran (interprétation). - Monsieur Karabdic est malade cet

15 après-midi et m'a demandé de le remplacer.

16 M. le Président (interprétation). - Merci de nous avoir donné

17 cette information, Maître Moran.

18 Madame McMurrey, alors allez-y, nous vous écoutons.

19 Mme McMurrey (interprétation). - - La défense d'Esad Landzo

20 demande qu'il soit écouté.

21 M. Cowles (interprétation). - Nous avons une objection. Nous

22 n'avons jamais reçu notification écrite. J'ai même demandé au Conseil de

23 la défense qui allait témoigner cet après-midi. Ils ont refusé de

24 répondre. Je comprends que nous ne pouvons pas l'empêcher de témoigner.

25 Toutefois, puisque nous n'avons pas eu l'avis de la notification de

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1 7 jours que nous avons toujours respecté, nous n'avons pas été informés de

2 façon adéquate, Monsieur le Président, et donc Monsieur le Président et

3 Mesdames et Messieurs les Juges, si vous autorisez le témoin à témoigner,

4 nous demandons une brève pause après son témoignage afin que nous

5 commencions le contre-interrogatoire.

6 M. le Président (interprétation). - Nous verrons si cela est

7 nécessaire de procéder à un contre-interrogatoire. Il appartiendra à la

8 Chambre de première instance d'en décider.

9 M. Cowles (interprétation). - Merci.

10 M. Jan (interprétation). - Un accusé est toujours un témoin

11 compétent pour son propre procès.

12 M. Cowles (interprétation). - Je comprends bien. Toutefois, nous

13 devons respecter les décisions de la Chambre de première instance et nous

14 n'avons jamais été informés qu'il serait appelé à témoigner.

15 M. le Président (interprétation). - Je comprends. Veuillez

16 amener le témoin à la tribune.

17 (Le témoin est introduit dans la salle d'audience.)

18 M. le Président (interprétation). - Qu'il prête serment.

19 M. Landzo (interprétation). - Je déclare solennellement que je

20 dirai la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

21 M. le Président (interprétation). - Veuillez vous asseoir.

22 Veuillez poursuivre, Maître McMurrey.

23 Mme McMurrey (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.

24 Bonjour, est-ce que vous pourriez décliner votre identité aux fins du

25 compte rendu ?

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1 M. Landzo (interprétation). - Je m'appelle Esad Landzo.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Je sais Monsieur Landzo que

3 vous avez appris l'anglais, mais que vous préférez déposer dans votre

4 langue maternelle aujourd'hui. Est-ce juste ?

5 (Le témoin acquiesce.)

6 Pouvez-vous dire à la Cour pour quelles raisons vous avez pris

7 cette décision de dernière minute afin de témoigner devant les Juges ?

8 M. Landzo (interprétation). - Il s'est produit un fait : mes

9 témoins qui devaient témoigner ne se sont pas présentés, pour des motifs

10 inconnus, pour déclarer cette vérité et, c'est la raison pour laquelle

11 j'ai décidé de déclarer ce qui s'est passé.

12 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce qu'il s'agit de témoins

13 qui avaient décidé de venir et puis qui ont changé d'avis avant de se

14 rendre à La Haye ? Est-ce que c'est ce que vous êtes en train de dire ?

15 M. Landzo (interprétation). - Oui, c'est ce qui m'a été dit dans

16 mes entretiens avec mes avocats. Il y a 14 jours, on m'a dit qu'ils

17 étaient prêts à venir alors qu'en dernière minute… Finalement, ils ont

18 déclaré qu'ils ne souhaitaient pas témoigner.

19 Mme McMurrey (interprétation). - Vouliez-vous témoigner devant

20 la Chambre de première instance auparavant ? Avez-vous eu ce souhait ?

21 M. Landzo (interprétation). - Oui, dès mon arrivée à La Haye,

22 j'ai demandé à mon premier défenseur, M. Brackovic, de déclarer la vérité

23 parce que je ne suis pas quelqu'un qui ment et je voulais immédiatement

24 dire cela et on m'a dit, pour des motifs que je ne connais pas, que je ne

25 devais pas le faire. Il m'a conseillé de procéder autrement, que je ne nie

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1 pas les chefs d'accusation.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Avez-vous essayé de parler au

3 Procureur cet été ?

4 M. Landzo (interprétation). - Tant que M. Ackerman a été mon

5 défenseur principal, il ne voulait pas prendre contact avec le Procureur

6 et j'ai simplement dit que Me McMurrey a parlé avec le Procureur, mais

7 finalement cela n'a rien donné.

8 Mme McMurrey (interprétation). - Avez-vous eu des préoccupations

9 concernant votre famille avant de déposer ici ?

10 M. Landzo (interprétation). - Oui, et c'est la raison pour

11 laquelle j'exprime mes remerciements et je vous remercie beaucoup d'avoir

12 fait le nécessaire pour qu'un membre de ma famille ait pu venir ici pour

13 témoigner.

14 Mme McMurrey (interprétation). - J'aimerais passer aux éléments

15 de preuve que nous aimerions présenter devant la Cour. Pourriez-vous

16 décrire comment vous étiez comme tout jeune garçon avant d'aller à l'école

17 primaire ?

18 M. Landzo (interprétation). - Et bien, avant la guerre, j’étais

19 quelqu'un de très réservé, je n'avais pas beaucoup d’amis et maintenant

20 non plus d'ailleurs. Je préférais passer mon temps en solitude et avec les

21 animaux.

22 Mme McMurrey (interprétation). - Non, mais je parle du moment où

23 vous étiez un tout petit garçon avant d'aller à l'école primaire. Quel

24 genre d'enfant étiez-vous ?

25 M. Landzo (interprétation). - J'avais une condition physique

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1 très difficile, j'avais une bronchite chronique et pour autant que je m'en

2 souvienne, d'après ce que me racontait ma mère, j'étais quelqu'un de

3 malade, que je toussais, sans mon frère. Enfin, j'étais un petit peu à

4 part par rapport aux autres enfants. C'est d'après mes souvenirs et

5 d’après ce que racontait ma mère, j'étais différent des autres enfants,

6 malade toujours et très souvent j'allais à l'hôpital, justement à cause de

7 problèmes respiratoires et j'évitais, pour des motifs que je ne connais

8 pas très bien d’avoir beaucoup d'amis. Donc je le rappelle, je jouais

9 souvent tout seul

10 Mme McMurrey (interprétation). - Vous vous estimeriez comme

11 étant timide ?

12 M. Landzo (interprétation). - Oui, extrêmement, et même à

13 l'école. Et beaucoup de gens se demandaient pourquoi j'étais si timide.

14 Mme McMurrey (interprétation). - Pouvez-vous vous dire

15 aux Juges, quand vous étiez petit et que vous avez eu des incidents avec

16 des oies, que s'est-il passé ?

17 M. Landzo (interprétation). - Oui, mes parents vivaient aux

18 abords de Konjic et un de mes voisins avait... Il a commencé à courir

19 derrière moi, bon, j'avais un petit peu peur et puis ce chevreau m’a

20 poussé sur 500 mètres et moi, j'ai eu un choc à cause de cela et le

21 médecin a déclaré à mes parents qu'ils soient gentils avec moi et qu'ils

22 arrêtent de me confier cette tâche. Donc voilà, il fallait que ces

23 problèmes s'arrêtent.

24 Mme McMurrey (interprétation). - Quel âge aviez-vous lorsque

25 vous êtes entré à l'école primaire ?

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1 M. Landzo (interprétation). – Sept ans.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Etiez-vous de la même taille

3 que les autres enfants à l'école ?

4 M. Landzo (interprétation). - Je ne peux pas le dire vraiment.

5 J'étais l’un des plus petits dans la classe.

6 Mme McMurrey (interprétation). - Aviez-vous beaucoup d'enfants à

7 l'école primaire ?

8 M. Landzo (interprétation). - Non, à part un de mes cousins et

9 avec qui j'étais assez ami et même en ayant passer quatre années dans la

10 même classe avec les mêmes élèves, je ne sais pas, ils étaient quasiment

11 tous des étrangers pour moi. Je passais tout mon temps tout seul ou avec

12 ce cousin.

13 Mme McMurrey (interprétation). - Aviez-vous un talent que vous

14 avez découvert à l'école primaire ?

15 M. Landzo (interprétation). - En quatrième, oui. Je me suis

16 inscrit en classe de dessin où j'avais un talent assez particulier pour le

17 dessin, pour la peinture.

18 Mme McMurrey (interprétation). - Aviez-vous un professeur

19 particulier qui vous avez encouragé dans ce domaine ?

20 M. Landzo (interprétation). - Oui, c'est l'institutrice

21 Vera Bratic qui m'a suivi de la quatrième jusqu'à la huitième.

22 Mme McMurrey (interprétation). - De quelle origine ethnique

23 était-elle ?

24 M. Landzo (interprétation). - Pour vous dire vrai, à l'époque,

25 je ne le savais pas, mais lorsque la guerre a commencé, apparemment elle

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1 était serbe et son mari était même membre de la même unité où j'étais moi-

2 même commandant. C'est son mari, son mari même était membre de cette

3 unité.

4 Mme McMurrey (interprétation). – Donc, il était membre de la

5 Défense territoriale ?

6 M. Landzo (interprétation). - Oui, au début.

7 Mme McMurrey (interprétation). - Estimez-vous que Mme Bratic est

8 l’une de vos amies proches ?

9 M. Landzo (interprétation). - Oui, de l'école, il n'y avait

10 qu'elle avec qui je pouvais me confier, comme à mes parents. C'était la

11 seule personne à part mes parents qui me permettait cela, je pouvais lui

12 faire confiance. Elle m'encourageait à peindre, etc…

13 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que d'autres élèves vous

14 ont demandé de faire des dessins pour eux ?

15 M. Landzo (interprétation). - Oui, à l'école, dans la rue où

16 j'habitais, les enfants voulaient qu'effectivement je leur fasse des

17 dessins. sur leurs vêtements et...

18 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous le faisiez ?

19 M. Landzo (interprétation). - Oui.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que les élèves, dans la

21 classe, vous demandaient de se joindre à eux pour faire des choses

22 ensemble ?

23 M. Landzo (interprétation). - Eh bien, la seule chose qu'ils me

24 demandaient, c'était cela, j'étais l'un des meilleurs, j'étais le meilleur

25 de toute l’école en dessin, donc, c'est le seul cas où ils prenaient

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1 contact avec moi, sinon ils se tenaient toujours à distance. Probablement

2 qu'ils ne considéraient pas que je faisais partie de leur groupe, alors

3 que quand il s'agissait de dessins et de peinture, la question était

4 différente.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Venez-vous d'une famille

6 pauvre, d'une famille moyenne, d'une famille aisée ? De quelle sorte de

7 famille venez-vous ?

8 M. Landzo (interprétation). - Il y a sept membres dans ma

9 famille. Bon, on ne peut pas vraiment dire que nous étions riches, seul

10 mon père travaillait. Alors quoi dire, quelque chose, disons catégorie

11 moyenne et peut-être même un petit peu inférieure. Nous n'étions pas

12 pauvres, mais enfin nous n'étions pas... Nous arrivions à vivre, mais

13 c'était assez difficile.

14 Mme McMurrey (interprétation). – Donc, il y avait sept personnes

15 qui vivaient dans un appartement d'une pièce ?

16 M. Landzo (interprétation). - Oui.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Et lorsque votre grand-mère

18 vivait avec vous, combien de personnes y avait-il dans l'appartement ?

19 M. Landzo (interprétation). - Huit.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Avez-vous un ami qui s'appelait

21 Valentin ?

22 M. Landzo (interprétation). - Oui. Disons entre la cinquième et

23 la huitième, nous étions amis et d'ailleurs nous sommes restés amis

24 jusqu'au début de la guerre, tout au long de l'école.

25 Mme McMurrey (interprétation). - Diriez-vous que vous étiez

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1 proches de vos parents à cette période de votre vie...

2 M. Cowles (interprétation). - Nous avons une objection. Nous

3 pensons que ces questions n'ont pas de pertinence.

4 Mme McMurrey (interprétation). - Tout ceci touche l'état mental

5 et les troubles de la personnalité que nous invoquons pour la question,

6 pour défendre la question de la responsabilité, et en ce sens, cela est

7 pertinent.

8 M. le Président (interprétation). - Veuillez poursuivre.

9 Mme McMurrey (interprétation). - Etiez-vous proches de vos

10 parents à l'école primaire ?

11 M. Landzo (interprétation). - Oui, surtout de ma mère parce que

12 lorsque nous étions enfants, ma mère passait tout son temps avec nous.

13 Etant donné que tout le temps où mon père travaillait, c'est elle qui

14 était chargée de toutes les tâches domestiques et donc c'était elle

15 effectivement qui passait le plus clair de son temps avec nous.

16 Mme McMurrey (interprétation). - L'école secondaire maintenant.

17 Avant d'y entrer, avez-vous demandé à entrer dans une autre école

18 secondaire ?

19 M. Landzo (interprétation). - Oui. Après avoir terminé l'école

20 élémentaire, sur instruction de Vera Bratic, mon professeur de dessin, je

21 me suis présenté à l'école de dessin de Sarajevo, j'ai passé un test

22 d'entrée. Mais, en raison de moyens financiers insuffisants, puisque mon

23 père avait cinq enfants à envoyer à l'école, j'ai donc dû m'inscrire à une

24 école de Konjic où il s'agissait de terminer l'école secondaire, point

25 final. Donc, je n'ai pas pu terminer ce que je souhaitais. Donc, à partir

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1 de ce moment-là, plus rien ne m'intéressait.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsqu'on vous a donc retiré

3 cette possibilité d'aller à l'école de dessin, comment vous êtes vous

4 senti ? Comment cela vous a affecté ?

5 M. Landzo (interprétation). - J'étais très fâché, surtout contre

6 mon père parce que je le rendais responsable de cela. Parce qu'il ne

7 pouvait pas tout simplement faire cela, et moi, je me suis donc retiré

8 encore plus. J'évitais les autres enfants pour ne plus parler et donc moi,

9 j'évitais d'entrer dans toute conversation où il s'agissait de dire quels

10 étaient mes souhaits. Je ne voulais absolument pas parler de quelque chose

11 qui devait m'amener à parler de l'avenir. Donc, j'avais honte et en même

12 temps j'en rendais mon père responsable.

13 Mme McMurrey (interprétation). – Donc, vous avez été contraint

14 d'aller à l'école secondaire de Konjic. Et c'était quoi comme

15 spécialisation ?

16 M. Landzo (interprétation). – J'aurais pu n'aller nulle part,

17 mais je voulais quand même terminer l'école secondaire et il fallait que

18 je termine quelque chose. Et ensuite, j'ai pensé peut-être que j'aurais

19 l'argent pour entrer dans une école de dessin. Donc, je me suis inscrit

20 dans une école de foresterie pour la menuiserie.

21 Mme McMurrey (interprétation). - Et comment cette école

22 secondaire de foresterie a eu... Quelles sont les incidences que cela a

23 eues sur votre asthme ?

24 M. Landzo (interprétation). – A partir de la seconde de l'école

25 secondaire, nous devions aller dans une société où l'on effectuait des

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1 travaux de menuiserie, où mon père travaillait également, et là nous

2 faisions des travaux pratiques sur machines et où il y avait beaucoup de

3 poussière, parce que tout ceci était fait à partir de matière de bois. Et

4 donc, j'ai été libéré de ces fonctions, précisément en raison de mes

5 problèmes respiratoires. Et à la fin, j'ai du donner… passer un examen qui

6 était comme un test pour que je puisse être diplômé de cette école.

7 Mme McMurrey (interprétation). – Donc vous avez eu, vous avez

8 terminé l'école secondaire ?

9 M. Landzo (interprétation). – Oui.

10 Mme McMurrey (interprétation). - Après avoir terminé l'école

11 secondaire, que vous est-il arrivé immédiatement après ? Est-ce que vous

12 avez pu trouver un travail à ce moment-là ?

13 M. Landzo (interprétation). – C'était à un moment très

14 difficile, pas seulement pour moi, pour tout l'état de la Yougoslavie. Il

15 y avait une crise concernant l'argent pour tout le monde. Donc, je me suis

16 trouvé dans une situation très, très difficile. Personne ne savait quoi

17 faire. Les gens qui travaillaient en usine étaient rarement payés, si bien

18 que j'attendais mon service militaire pour pouvoir obtenir un certain

19 salaire. Moi, je ne faisais rien, précisément à cause de mes problèmes

20 physiques, au tout début. Donc j'essayais d'aider ici et là contre

21 versement d'un petit salaire. Je faisais des petits travaux comme cela.

22 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous étiez souvent

23 avec votre frère et ses amis, à cette époque-là ?

24 M. Landzo (interprétation). – Non, j'ai commencé à les

25 connaître, à les fréquenter après la deuxième classe de l'école

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1 secondaire, quand mon frère est parti à l'armée et que je me suis trouvé

2 dans cette compagnie, en compagnie de ces gens. C'était des gens que je

3 connaissais un petit peu mieux que les autres, bien qu'ils étaient tous

4 assez âgés, de plusieurs années plus âgés que moi. Donc, j'étais en

5 compagnie de ces gens. J'aurais pu trouver peut-être d'autres gens, mais

6 j'avais peur toujours de nouveaux amis, de nouvelle connaissance, de

7 rencontrer de nouvelles personnes. Ces gens-là je les connaissais, alors

8 bon... Je les connaissais, tout simplement. C'était les amis de mon frère,

9 les connaissances de mon frère.

10 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que les amis de votre

11 frère ont tiré profit de vous, notamment du point de vue de l'argent ?

12 Chaque fois que vous aviez de l'argent à dépenser.

13 M. Landzo (interprétation). – C'est maintenant que je comprends

14 cela, mais à l'époque je ne le comprenais pas. Parfois, si j'arrivais à

15 obtenir de l'argent de poche de mon père, je donnais cet argent pour que

16 l'on achète de l'alcool. Et si nous étions ensemble, c'est moi qui était

17 un peu le garçon de course, qui devait aller chercher ceci, apporter cela.

18 Puisque j'étais le plus jeune, tout ce dont ils avaient besoin, ils me le

19 confiaient.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Et est-ce que vous faisiez tout

21 ce qu'ils vous demandaient, pour vous faire accepter par ce groupe ?

22 M. Landzo (interprétation). – Oui. Si je devais aller chercher

23 de l'alcool et ne pas le trouver dans un magasin, ils m'y renvoyaient

24 10 fois jusqu'à ce que je le trouve. Je ne pouvais pas rentrer sans ce

25 qu'ils m'avaient demandé. Mais, à cette époque, je pensais que je devais

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1 le faire. Maintenant, je m'aperçois que c'était...

2 Mme McMurrey (interprétation). - Parlant d'alcool, parlant de

3 médicaments, je vais avancer dans le temps. En 1996, vous avez dit à des

4 experts militaires, vous leur avez parlé, vous avez parlé à des experts en

5 santé mentale d'alcool et de médicaments. Pourquoi ?

6 M. Landzo (interprétation). – A l'époque, mon avocat maître

7 Brackovic m'a demandé, je crois qu'on peut le dire, il m'a demandé de dire

8 que j'avais consommé de l'alcool et des médicaments. Selon lui, c'était

9 une façon de me défendre pour dire que je ne contrôlais pas mes actes, que

10 je n'en étais pas responsable. Il a fondé sa défense là-dessus. C'est la

11 raison pour laquelle, que suite à son conseil, j'ai dit cela et je pense

12 que je l'ai dit également aux représentants de l'accusation ainsi qu'aux

13 médecins qui ont procédé aux expertises, même si ce n'était pas la vérité.

14 Mme McMurrey (interprétation). - J'aimerais passer à une

15 personne qui habitait dans votre immeuble. Est-ce que vous pouvez nous

16 parler de quelqu'un qui s'appelait Ibo ou Ibro et pouvez-vous nous dire ce

17 que vous pensiez de lui ?

18 M. Landzo (interprétation). - Erakmet Ibo était mon voisin. Il

19 a été mon voisin pendant dix-huit ans. Il habitait l'étage au-dessous du

20 mien. Je le connaissais depuis dix-huit ans et dès mon enfance, il y

21 était. Il avait un certain rapport avec moi-même, ainsi qu'avec ses

22 enfants et il souhaitait me protéger et surtout plus tard, lorsque ma mère

23 a commencé à garder son fils, Arman, ma mère lui a dit qu'elle ne

24 souhaitait pas que je fréquente les amis de mon frère, car de l'alcool

25 était impliqué, etc… Alors, d'une certaine manière, il souhaitait me

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1 protéger et s'il me trouvait en ville avec ces gens-là, il me donnait une

2 claque et il me ramenait à la maison. Il vérifiait également, si j'étais

3 bien rentré à la maison. D'une certaine manière, il essayait de m'écarter

4 de cette mauvaise compagnie et de ces soi-disant amis.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Et quels étaient vos sentiments

6 vis-à-vis de Ibo ? Est-ce que vous l'appréciiez ?

7 M. Landzo (interprétation). - Oui, je l'appréciais, car il était

8 plus âgé que moi, car il s'agissait de quelqu'un que je connaissais depuis

9 dix-huit ans, de nos voisins. Il s'est montré très positif vis-à-vis de

10 moi. Je ne pouvais donc pas le détester, car il avait été bon pour moi.

11 Je l'aimais en tant que voisin, en tant que personne qui me

12 protégeait de mauvaises influences et en tant que voisin, en tant que

13 personne plus âgée.

14 Mme McMurrey (interprétation). - Au début de l'année 1991, que

15 vous est-il arrivé au doigt de votre main droite ?

16 M. Landzo (interprétation). - Je ne sais pas pourquoi j'ai

17 commencé à me disputer avec mon père. C'était en 1991, à l'occasion de mon

18 entrée à l'école et après le fait que je n'étais pas en mesure de

19 m'inscrire à l'école, je rejetais la faute sur mon père, toujours, et à un

20 moment donné, nous avons commencé à nous disputer, mon père et moi, et je

21 me suis énervé, j'ai pris la première chose que j'ai trouvée sous la main.

22 C'était un couteau et je n'ai pas fait attention à cela, j'ai frappé et

23 étant donné que c'était un couteau, mes doigts sont entrés en contact avec

24 ce couteau et je me suis coupé quatre doigts.

25 Mme McMurrey (interprétation). - Mais vous n'aviez jamais eu

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1 d'intention d'utiliser ce couteau contre votre père ?

2 M. Landzo (interprétation). - Non. Non.

3 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous avez coupé vos

4 doigts, qu'est-ce qui s'est produit suite à cette blessure ?

5 M. Landzo (interprétation). - Le quatrième et le cinquième

6 doigt, je les ai coupés jusqu'à l'os. On voyait l'articulation. Pour ce

7 qui est du deuxième et du troisième, la coupure était plus légère. Il y

8 avait donc une blessure plus légère et une blessure plus grave.

9 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous vous êtes

10 retrouvé à l'hôpital à l'époque ?

11 M. Landzo (interprétation). - Oui, un de nos voisins, qui par

12 ailleurs était Serbe, m'a immédiatement emmené en voiture. C'était en

13 début de soirée, je crois. Et ils m'ont bandé la main, ils m'ont demandé

14 de contacter le Dr Buturovic, un chirurgien, le lendemain, qui allait

15 procéder à l'opération sur ces doigts. Le lendemain, je l'ai fait. Mon

16 frère aîné m'a accompagné à l'hôpital.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que le Dr Buturovic a pu

18 réparer vos tendons ?

19 M. Landzo (interprétation). - Je ne sais pas ce qu'il a réussi à

20 faire, mais je sais qu'il m'a traité et qu'il m'a fait passer un fil dans

21 le quatrième et le cinquième doigts pour que je puisse faire des exercices

22 et, grâce à cela, j'arrive maintenant à replier le quatrième et le

23 cinquième doigts et le troisième a également souffert.

24 Est-ce que c'est en raison du fait qu'il ne m'a pas bien traité

25 ou parce que je n'ai pas pu poursuivre les exercices, je l'ignore, en tout

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1 état de cause, je sais que je suis devenu en quelque sorte handicapé de la

2 main droite.

3 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous pourriez lever

4 la main et montrer à la Chambre de première instance comment elle se

5 présente à l'heure actuelle ? Et est-ce que c'est là, la manière dont

6 votre main a été depuis 1991 ?

7 M. Landzo (interprétation). - Oui.

8 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous avez manqué

9 l'école suite à cet accident ?

10 M. Landzo (interprétation). - Oui. A l'époque, j'allais encore à

11 l'école et après l'opération, j'ai passé cinq jours à l'hôpital. Par la

12 suite, j'ai été dispensé de cours pendant une période prolongée et, en fin

13 de compte, j'ai fini mes études en passant un examen. J'ai été dispensé de

14 sport et d'autres cours. Parfois j'y allais, mais tout d'un coup j'avais

15 mal et le professeur devait me laisser partir à l'hôpital pour qu'on me

16 fasse une piqûre.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Cette blessure à la main ne

18 vous a pas empêché d'obtenir votre diplôme de l'école secondaire, n'est-ce

19 pas ?

20 M. Landzo (interprétation). - Même si, pour ce qui est du sport

21 et des matières techniques, on m'a donné une note passable pour que je

22 n'échoue pas, car physiquement j'étais dans l'incapacité de réussir dans

23 ces deux matières -s'il fallait, par exemple, façonner une pièce sur une

24 machine, je n'étais pas en mesure de le faire- et pour ce qui est du

25 sport, il fallait faire un certain nombre d'activités physiques que je ne

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1 pouvais pas accomplir... Donc, on m'a donné une note passable pour ces

2 deux matières-là, pour que je n'échoue pas en raison de ces deux matières

3 uniquement. Ils m'ont donc donné la moyenne.

4 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que ce handicap de votre

5 main vous a plongé dans l'embarras, par la suite ?

6 M. Landzo (interprétation). - Oui, jusqu'au début de la guerre.

7 Je tendais toujours la main gauche pour serrer la main à quelqu'un. Quand

8 quelqu'un s'approchait de moi, il me tendait la main droite, moi je lui

9 tendais la main gauche et j'avais toujours la main soit dans ma poche,

10 soit dans ma veste, surtout l'hiver, car il fallait que je la garde au

11 chaud. Je tendais toujours la main gauche pour serrer la main, et bien des

12 gens ne comprenaient pas, et bien des personnes même qui me connaissaient

13 depuis longtemps, ne savaient pas que j'avais eu cet accident, car

14 j'essayais de le cacher. J'avais honte, j'estimais que j'étais diminué.

15 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous avez terminé votre

16 école secondaire et lorsque vous n'avez pas pu trouver d'emploi à ce

17 moment-là, quel était votre état émotionnel, à l'époque ?

18 M. Landzo (interprétation). - Je me sentais très mal sur le plan

19 émotionnel, et sur tous les autres plans. Je pensais que je n'avais pas

20 d'avenir alors, surtout quand on est jeune, quand on a réussi une école et

21 qu'on ne voit rien à l'avenir, on n'a plus envie de rien, on n'a plus

22 envie de vivre, on n'a plus envie de se réveiller le lendemain et encore

23 moins les années suivantes. C'était particulier à toute ma génération. Il

24 s'agissait de se forger un avenir et tout avenir était impossible. J'avais

25 l'impression que tous les bateaux avaient fait naufrage.

Page 14243

1 Mme McMurrey (interprétation). - Revenons sur cette période de

2 1991-1992. Est-ce que vous pouvez nous expliquer quelle était votre

3 personnalité avant la guerre en Croatie et à Konjic, si vous trouvez les

4 mots pour le décrire ?

5 M. Landzo (interprétation). - Comment entendez-vous cela ? Est-

6 ce que vous parlez de l'aspect psychologique, de ma personnalité ?

7 Mme McMurrey (interprétation). - De votre personnalité.

8 M. Landzo (interprétation). - Je crois qu'il n'est peut-être pas

9 bien approprié que je m'exprime sur moi-même, peut-être qu'il faudrait

10 demander cela à quelqu'un d'autre. Mais, je crois pouvoir dire que j'ai

11 toujours été quelqu'un qui essayait de faire plaisir aux autres, surtout

12 aux personnes plus âgées et mêmes aux enfants. J'ai passé plus de temps à

13 jouer avec des petits enfants qu'avec des personnes qui ne m'auraient pas

14 compris, avec des personnes qui ne me comprenaient pas, des animaux. Donc,

15 si je peux m'exprimer sur moi-même, j'étais une personne modèle,

16 exemplaire pour les enfants plus jeunes.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Au mois de mars, est-ce que

18 vous avez reçu une convocation pour faire votre service militaire au sein

19 de la JNA début 1991 ?

20 M. Landzo (interprétation). - Je ne sais pas quel mois c'était

21 exactement. Je sais que j'ai reçu une convocation qui me demandait de

22 contacter la division militaire à Mostar et non pas à Konjic, car à

23 l'époque la JNA avait pris tous ce qui se trouvait dans le quartier

24 général de la TO à Konjic et l'avait transféré à Mostar, et nous étions

25 tous convoqués à Mostar. Oui, j'ai reçu cette convocation. Je n'y ai pas

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1 répondu, car à l'époque, ce n'était pas dans l'intérêt des Musulmans et

2 des Croates d'y répondre, car à l'époque il y avait la guerre contre la

3 Croatie et ce n'était pas dans l'intérêt des Musulmans et des Croates de

4 se battre de ce côté.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que votre père vous a

6 dit de ne pas répondre à cette convocation pour servir dans la JNA ?

7 M. Landzo (interprétation). - Oui, mon père, et bien des

8 connaissances avec qui j'ai parlé, qui avaient également reçu une

9 convocation, ont refusé. Bien sûr, j'ai suivi les conseils de mon père et

10 je crois que c'était essentiellement ses conseils qui m'ont poussé à le

11 faire. Peut-être que si je n'avais pas reçu de conseil dans ce sens,

12 j'aurais répondu à cet appel.

13 Mme McMurrey (interprétation). - Et que vous a-t-il recommandé

14 de faire ?

15 M. Landzo (interprétation). - Il m'a recommandé de me cacher et

16 il pensait que le mieux serait de me cacher et de me mettre à l'abri chez

17 mon grand-père qui habitait à vingt ou trente kilomètres de Konjic, dans

18 un village. Il y avait toujours la possibilité pour moi de me cacher, même

19 si la police militaire était venue me chercher là-bas, alors qu'à Konjic

20 la police militaire effectuait des patrouilles, tous les jours et essayait

21 de trouver des personnes qui n'avaient pas répondu à l'appel de la JNA.

22 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous auriez été

23 arrêté, si vous n'aviez pas accepté de servir dans la JNA ?

24 M. Landzo (interprétation). – Oui.

25 Mme McMurrey (interprétation). - Qu'avez-vous fait, suite à

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1 cela ? Vous avez dit que vous vous êtes mis à l'abri, que vous vous êtes

2 caché. Où êtes-vous allé ?

3 M. Landzo (interprétation). – Je ne sais plus exactement, je ne

4 peux pas vraiment vous dire où je me suis caché. J'avais une connaissance,

5 quelqu'un que je connaissais de l'école. Son nom de famille était Cipetic.

6 J'ai travaillé avec lui et nous nous connaissions de l'école. Il m'a

7 proposé, à l'occasion d'une conversation, de faire la chose suivante. Il

8 avait un frère en Croatie, à Rijeka et j'aurais pu me mettre à l'abri là-

9 bas, car la ville de Rijeka était très éloignée des premières lignes de

10 front en Croatie. Il pensait que grâce à son aide, j'aurais pu trouver un

11 emploi là-bas, j'aurais pu travailler et, par la suite, aller ailleurs.

12 J'ai donc décidé de m'y rendre et j'ai dit à mes parents que

13 j'allais chez mon grand-père vingt à trente jours, en attendant que cela

14 se tasse et que la situation se calme et qu'ensuite je reviendrais.

15 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que c'était là, le mois

16 d'avril et le mois de mai 1991 ?

17 M. Landzo (interprétation). – C'est possible. Je sais que

18 c'était au début de l'été. Je sais que la chaleur s'est installée. Il

19 faisait très, très chaud. C'est possible que c'est cette période. Je ne

20 peux vous le dire avec exactitude maintenant, mais je sais que c'était le

21 début des chaleurs. En Herzégovine, l'été et les périodes chaudes

22 commencent très tôt. Dans d'autres régions, par exemple en Bosnie, cela

23 commence plus tard. Vous savez qu'il y a la Bosnie et l'Herzégovine, et

24 chez nous les chaleurs commençaient plus tôt qu'en Bosnie. C'était donc

25 probablement cette période-là.

Page 14246

1 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous avez quitté Konjic

2 avec votre ami Cipeta ou votre ami d'un autre nom, où êtes-vous allé à ce

3 moment-là ?

4 M. Landzo (interprétation). – Dès notre première conversation,

5 il m'a dit qu'il connaissait quelqu'un qui se rendait en Croatie et que

6 nous pourrions nous joindre à lui. Quant à son frère, au moment où nous

7 arriverions à Rijeka, il devrait nous payer ce voyage. Il faisait déjà

8 pratiquement nuit au moment où nous sommes partis. Nous avons emprunté une

9 route de terre. Il était impossible de prendre une route goudronnée vers

10 Mostar en raison de la JNA qui se trouvait sur cette partie et qui

11 interceptait les déserteurs. Nous avons emprunté donc une route de terre.

12 Je ne connaissais pas la région, je ne savais pas où nous allions ni de

13 quelle région il s'agissait.

14 Mme McMurrey (interprétation). - Où êtes-vous arrivé en fin de

15 compte ?

16 M. Landzo (interprétation). – Nous sommes arrivés vers minuit.

17 Nous nous sommes arrêtés dans un village. Il s'agissait d'une camionnette

18 et autant que je pouvais voir à travers les vitres, il s'agissait d'une

19 maison de pierre et j'en ai conclu, immédiatement, qu'il s'agissait soit

20 de la Dalmatie, soit de l'Herzégovine, car c'est dans ces régions-là

21 uniquement qu'ont construit les maisons de cette manière, en pierre. C'est

22 là que nous nous sommes arrêtés. Le chauffeur nous a fait sortir et il

23 nous a emmenés chez un particulier, dans sa maison. Nous allions y passer

24 la nuit. Quant à lui, il devait rentrer à Konjic. Il allait s'occuper de

25 la suite de notre voyage.

Page 14247

1 Mme McMurrey (interprétation). - Vous parlez du chauffeur. Est-

2 ce que vous voulez parler de votre ami ?

3 M. Landzo (interprétation). – Non. C'était un homme plus âgé qui

4 nous avait amenés de Konjic. Je ne connaissais pas cette personne. Il

5 était de Konjic. La voiture était immatriculée à Konjic, mais c'est la

6 première et la dernière fois que je l'ai vu. Je ne sais pas s'il était de

7 Konjic.

8 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce qu'il était un ami de

9 votre ami Cipetic ?

10 M. Landzo (interprétation). – Je ne sais pas. Je sais qu'il m'a

11 dit qu'il connaissait quelqu'un qui allait nous conduire, mais je ne sais

12 pas si c'était lui. Lui-même n'a pas parlé avec cette personne pendant le

13 trajet. Je ne sais pas s'ils se connaissaient, s'ils étaient amis.

14 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous êtes resté,

15 est-ce que vous avez passé la nuit dans la maison de cet inconnu ce soir-

16 là ?

17 M. Landzo (interprétation). – Oui. Cette personne-là nous a

18 offert un dîner, nous y avons passé la nuit et le lendemain, sur ses

19 conseils, il nous a conduits... Enfin, le lendemain, nous avons vu qu'il

20 s'agissait soit de la Dalmatie, soit de l'Herzégovine, car toutes les

21 maisons du village étaient faites de pierre. Il n'y avait pas de prairie

22 et nous avons décidé qu'il s'agissait de la Dalmatie ou de l'Herzégovine.

23 Il nous a emmenés dans une autre partie du village, dans une maison

24 allongée. C'était comme une communauté locale.

25 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que c'était le

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1 lendemain ? Est-ce que vous nous parlez de ce soir ? Est-ce que vous y

2 avez passé la nuit ? Est-ce que le lendemain, ils vous ont emmené dans une

3 autre partie du village ?

4 M. Landzo (interprétation). - Oui, c'était le lendemain après

5 que nous avions passé la nuit. Le lendemain, il nous a conduit jusqu'à une

6 autre maison et, pendant notre trajet, nous avons constaté qu'il y avait

7 des hommes armés, des hommes en uniforme. Il y avait essentiellement des

8 uniformes noirs. Lorsque nous sommes entrés dans cette maison, il nous a

9 emmenés vers une salle de classe. Il y avait des salles de classe, en

10 effet. Il nous a fait entrer dans une pièce où quelqu'un -j'ai appris par

11 la suite qu'il s'agissait d'un officier en uniforme- était assis. Il ne

12 s'est pas présenté. Nous lui avons décliné notre identité. Il nous a dit

13 de nous asseoir et nous a demandé qui nous étions, d'où nous venions, tout

14 ce type de renseignements.

15 Ensuite, au moment où nous lui avons tout dit, il nous a tendu

16 des formulaires à remplir pour que nous y inscrivions notre nom, prénom,

17 date de naissance, est-ce que nous avions fait notre service dans la JNA,

18 etc. Lorsque nous lui avons dit que nous n'avions pas servi dans la JNA et

19 que nous étions en train de fuir ce service, il nous a dit d'une manière

20 peu aimable qu'il n'était pas possible de le faire tant que nous n'avions

21 pas fini notre instruction. Nous n'avons pas eu le choix. Nous ne pouvions

22 pas nous rendre là où nous souhaitions aller et nous ne pouvions pas

23 rentrer non plus, car nous n'avions pas de moyen de transport. Donc, nous

24 avons dû rester dans ce village et effectuer cette formation.

25 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous dites que vous ne

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1 pouviez pas y aller, est-ce que vous voulez dire par-là que vous ne

2 pouviez pas vous rendre en Croatie sans effectuer une formation au

3 préalable ?

4 M. Landzo (interprétation). - Oui, c'est une chose. Mais par

5 ailleurs, nous ignorions où nous nous trouvions. Nous ne connaissions pas

6 la région, ne savions pas où aller et nous n'avions pas le choix. Nous

7 devions rester où nous étions, car nous ne savions pas ce qui nous

8 attendait au prochain tournant. Est-ce qu'on trouverait la JNA, un groupe

9 armé, quelqu'un d'autre ? Nous ignorions où nous nous trouvions.

10 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce qu'à ce moment-là, on

11 vous a emmenés dans une sorte de caserne ? Est-ce que l'on vous a donné un

12 endroit où dormir ? Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ?

13 M. Landzo (interprétation). - Nous avons passé la nuit dans

14 cette maison où se trouvait une sorte de bureau. Ils nous ont donné une

15 pièce où nous pouvions dormir. Moi-même et Cipeta, à cet endroit-là, nous

16 avons retrouvé un groupe de cinq, six jeunes hommes. Par la suite, nous

17 avons appris qu'ils venaient également de Bosnie Centrale, qu'ils étaient

18 également partis vers la Croatie. Il y avait des Croates et des Musulmans

19 et là, pendant 15 à 20 jours, nous avons effectué une formation pour

20 apprendre à tirer, à monter et démonter des armes, etc.

21 Mme McMurrey (interprétation). - J'allais vous demander quel

22 type de formation vous avez reçu. Est-ce qu’il y avait beaucoup de soldats

23 ou peu de soldats ? Combien de personnes se trouvaient dans ce centre de

24 formation, d'instruction ?

25 M. Landzo (interprétation). - Je ne sais pas s'il s'agissait

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1 d'un centre, mais je sais que cette unité disposait d'une base provisoire.

2 Il s'agissait de membres du HOS qui allaient sur le front en Croatie,

3 peut-être vers Sadar* ou vers Knin et ils revenaient à cet endroit-là.

4 J'en ai conclu que la frontière croate n'était pas éloignée.

5 Par ailleurs, j'ai compris qu'il s'agissait là d'un endroit qui

6 acceptait les personnes qui n'étaient pas vraiment pour l'ex-Yougoslavie.

7 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous parlez du HOS et

8 d'uniformes noirs, de quoi voulez-vous parler ?

9 M. Landzo (interprétation). - Il s'agissait d'uniformes noirs

10 unis. Vous savez, il y avait des personnes isolées qui portaient des

11 uniformes noirs, mais le HOS portait uniquement des uniformes noirs et on

12 les reconnaissait de par cet uniforme. On les appelait d'ailleurs les

13 chemises noires.

14 Mme McMurrey (interprétation). - Au début de 1991, en avril, en

15 mai 1991, est-ce que l'on estimait qu'il s'agissait de groupes

16 paramilitaires ou de groupes de l'armée régulière ?

17 M. Landzo (interprétation). - Cela dépend du point de vue d'où

18 vous vous placez. Pour des Serbes, y compris l'armée régulière croate

19 était qualifiée de groupe paramilitaire. La Croatie, après l'indépendance

20 de la Croatie, estimait que la JNA était des unités paramilitaires et

21 jusqu'à un certain moment, les membres du HVO ont également été considérés

22 de cette manière. Par la suite, un général du HOS a été tué par des

23 membres du HVO. Je pense que cela est intervenu en 1992.

24 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous pourriez nous

25 décrire la formation que vous avez reçue dans ce camp militaire ?

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1 M. Landzo (interprétation). - Les 15, 20 premiers jours, nous

2 avons reçu une instruction normale. Ils nous ont donné d'anciens uniformes

3 de camouflage, d'anciens fusils avec lesquels nous sommes entraînés à

4 tirer. Nous sommes entraînés à démonter et à remonter les fusils. Par la

5 suite, pendant cinq, six jours, nous avons eu une instruction politique,

6 comme il l'appelait. Ils nous emmenaient dans une salle de classe ou

7 plutôt une grande pièce où nous étions assis autour d’eux, ils ont amené

8 des civils qui étaient selon eux des Serbes. Il y avait également des

9 femmes, il y avait des gens en uniforme et ils nous montraient de manière

10 pratique, enfin, ils les faisaient se mettre au milieu de la pièce et

11 cette personne-là l'approchait pour nous montrer comment il fallait monter

12 la garde et comment on pouvait procéder. Ils montraient comment on pouvait

13 égorger quelqu'un et nous nous devions rester là assis et regarder. Par la

14 suite, ils nous demandaient également de le faire. Ils amenaient quelqu'un

15 et ils nous forçaient à lui tenir les mains alors qu'ils lui coupaient la

16 tête.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Vous parlez de ces individus ?

18 Qu'est-ce que vous voulez dire par-là, qu'il y avait une personne, deux

19 personnes, trois personnes ? Est-ce qu’ils agissaient tous dans le même

20 temps où est-ce qu'ils s'occupaient d'eux, en même temps ou de manière

21 individuelle ?

22 M. Landzo (interprétation). - Il y avait environ quatre ou cinq

23 personnes qui nous donnaient ces cours, comme on les appelait. Deux ou

24 trois s'occupaient des aspects pratiques et d'autres nous montraient des

25 vidéos de villages où on avait mis le feu, des femmes, d’enfants, de

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1 civils. Ils nous disaient que cela s’était passé en Croatie pour les

2 Croates, et que la même chose allait se reproduire pour les Croates et les

3 Musulmans en Bosnie, car les Chetniks étaient prêts au massacre, tout

4 comme en 1941. Ils étaient prêts à massacrer les Musulmans et les Croates.

5 Donc, ils nous montraient ces vidéos, ils nous montraient ces

6 photographies.

7 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous parlez de ces

8 personnes qui semblaient être en état d'ébriété, est-ce que ces personnes

9 étaient ivres ou est-ce que vous pensez qu'elles ont été droguées ?

10 M. Landzo (interprétation). - Une ou deux fois ils étaient

11 ivres, au moment où ils nous montraient comment maîtriser quelqu'un par

12 les armes. A d'autres reprises, je n'ai pas pu voir s'ils étaient ivres ou

13 non, mais ils m'avaient l'air dans un état normal. Je n'ai rien remarqué

14 de particulier alors que les deux autres fois, dont j'ai parlées, il était

15 tout à fait clair qu'ils étaient ivres.

16 Mme McMurrey (interprétation). - Vous dites qu'ils étaient

17 ivres, est-ce que vous parlez des soldats qui vous entraînaient comme

18 étant ivres ou des soldats qu'ils amenaient avec eux comme étant ivres ?

19 M. Landzo (interprétation). - Je parle des deux hommes qui

20 exécutaient la démonstration, les deux hommes qui nous montraient ce qu'il

21 fallait faire. Je ne parle pas de l’homme qui subissait cette

22 démonstration, mais de ceux qui exécutaient la démonstration.

23 Mme McMurrey (interprétation). - Vous parlez de démonstration,

24 s'agissait-il véritablement d'une formation, d'un entraînement auquel vous

25 deviez participer ou était-ce simplement quelque chose que vous étiez

Page 14253

1 censés regarder ?

2 M. Landzo (interprétation). - Au début, nous regardions, et puis

3 ensuite, un jour, et j'en ai déjà parlé, ils ont utilisé une scie à métaux

4 et ils lui ont mis la tête sur une espèce de chaise et nous, nous devions

5 lui tenir les mains dans le dos de cette façon, de façon à l'empêcher de

6 se relever pendant qu'ils lui faisaient cela.

7 Mme McMurrey (interprétation). – Mais, combien de jours avez-

8 vous dû subir ce genre d'entraînement ?

9 M. Landzo (interprétation). - Cinq ou six jours. Peut-être un

10 jour de plus, un jour de moins, mais enfin c'est à peu près cela, cinq ou

11 six.

12 Mme McMurrey (interprétation). - Quels étaient vos sensations à

13 ce moment-là ? Que vous est-il arrivé ?

14 M. Landzo (interprétation). - En fait, j'ai vu ma grand-mère au

15 moment de sa mort. Elle est morte de mort naturelle. C'est le seul être

16 humain que j'ai vu mort dans ma vie, et là tout d’un coup, vous arrivez et

17 vous voyez des gens qui sont morts sous le coup de la violence et pas de

18 mort naturelle. Donc, moi-même et les autres au départ, nous ne pouvions

19 plus dormir. Nous avons demandé des cachets pour dormir, au médecin.

20 Enfin, tout simplement il y avait beaucoup de problèmes psychologiques.

21 Dès que tu fermes les yeux, tu vois les images des événements vécus dans

22 la journée, qui surgissent. Et puis, tu commences à marcher dans la

23 chambre, tu bois un cachet et si tu ne t'endors toujours pas, tu en bois

24 un deuxième. De toute façon, impossible de dormir.

25 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous-même et votre

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1 ami Cipatolovic, aviez peur à ce moment-là ?

2 M. Landzo (interprétation). - Quand ils étaient ivres, oui.

3 Enfin, quand on le savait. Parce qu'en fait, dès qu'on les entendait

4 arriver, on ne savait pas s'ils allaient tourner leurs fusils contre nous.

5 Ils tiraient un peu partout. Ils tiraient en l'air, ils tiraient sur les

6 collines avoisinantes. On avait l'impression d’être dans un nid de guêpes

7 et on ne savait pas du tout ce qui allait nous arriver. Ils pouvaient très

8 bien se tourner contre nous et décider d'exécuter leurs démonstrations

9 contre moi. Nous étions obligés d'être là. Nous n'avions pas le choix.

10 Donc, nous ne nous sentons pas en sécurité, tout simplement. En tout cas,

11 c'était mon impression, mon sentiment. Je ne sais pas quel était le

12 sentiment des autres.

13 Mme McMurrey (interprétation). - Quel était votre âge et celui

14 de Cipeta en avril, mai 1991, à ce moment-là ?

15 M. Landzo (interprétation). - Je crois que j'avais à peu près

16 18 ans. A peu près 18 ans. Lui et moi avions le même âge, à ce moment-là.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Et quand est-ce que vous avez

18 eu 18 ans ?

19 M. Landzo (interprétation). - En mars, le 3 mars.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Donc, vous pouvez dire que vous

21 aviez à peine 18 ans, à ce moment-là ?

22 M. Landzo (interprétation). – Oui, oui, en effet.

23 Mme McMurrey (interprétation). - Comment est-ce que vous êtes

24 parvenu à quitter ce lieu d'entraînement ?

25 M. Landzo (interprétation). - Après 25-30 jours à peu près.

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1 Enfin, c'est toujours la période dont je suis entrain de parler, 25-

2 30 jours. Donc, après 25-30 jours, ils nous ont rappelés auprès du

3 commandant dans son bureau. Il nous a félicités. Il nous a dit que nous

4 avions réussi cette espèce d’entraînement et que nous pouvions aller

5 désormais en Croatie. Mais, pas là où nous voulions aller, mais dans une

6 unité militaire, le HOS ou autre. En tout cas, nous avions pour obligation

7 de nous faire connaître auprès d'une unité militaire. Nous ne pouvions pas

8 rester civils. Donc, nous devions, soit nous rendre auprès de cette unité

9 militaire, soit rentrer chez nous. Et évidemment, Cipeta et moi avons

10 choisi de rentrer à la maison parce que si nous allions être versés dans

11 une armée, ce serait sans aucun doute la JNA et nous n'avions pas envie,

12 compte tenu de ce que la JNA faisait à l'époque en Croatie.

13 Mme McMurrey (interprétation). - Donc, lorsque vous avez décidé

14 tous les deux que vous vouliez rentrer chez vous, est-ce que vous avez

15 restitué vos uniformes et vos fusils ?

16 M. Landzo (interprétation). - Je n'avais pas de revolver,

17 j'avais un fusil et nous avons rendu tout cela, bien sûr. Nous l'avions

18 reçu de façon temporaire. Il s'est trouvé, à un moment, un convoi d'une

19 dizaine de camions. Je ne sais pas ce qu'ils transportaient. Moi, j'ai

20 supposé qu'ils transportaient des armes, mais je n'en sais rien avec

21 certitude. Donc, ils nous ont mis à bord d'un de ces camions, et nous y

22 sommes restés jusqu'à Jablanica, après quoi, nous avons fait le trajet

23 Jablanica-Konjic. Ces camions allaient de Jablanica dans la direction de

24 Prozor et après je ne sais pas exactement où. Mais, nous avons utilisé ces

25 camions jusqu'à Jablanica et ensuite, nous avons voyagé par nos propres

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1 moyens jusqu'à Konjic.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Et ces camions étaient des

3 camions du HVO ?

4 M. Landzo (interprétation). - Je ne sais pas. C'étaient des

5 camions militaires, des camions normaux qui sans doute appartenaient à une

6 entreprise. Nous nous sommes assis avec le chauffeur. Nous n'avons pas

7 demandé beaucoup de renseignements. En fait, nous n'avons pas beaucoup

8 parlé avec le chauffeur. Cela ne nous intéressait pas vraiment. Moi, ce

9 qui m'intéressait le plus c'était d'arriver le plus vite possible à la

10 maison.

11 Mme McMurrey (interprétation). - Quand vous êtes arrivé chez

12 vous, que s'est il passé ? Qu'est-ce que vous avez fait quand vous êtes

13 arrivé chez vous, à la maison, à Konjic ?

14 M. Landzo (interprétation). - Avant notre départ, Cipeta

15 travaillait déjà pour Miro. Nous l'appelions toujours Miro, un certain

16 Miroslav. Avant notre retour, j'ai passé quelques jours à me promener en

17 ville. Je ne savais pas quoi faire exactement. J'avais le besoin de

18 raconter cela à quelqu'un, mais j'avais peur qu'on me traite de fou, parce

19 que vous savez, à l'époque, la guerre n'avait pas encore commencé chez

20 nous. Alors si je m'étais approché de quelqu'un pour lui raconter ce genre

21 de choses, il m'aurait traité de fou, car à l'époque, c'était considéré

22 comme impossible. Donc, j'ai passé quelques jours en ville et Cipeta, à ce

23 moment-là, m'a appelé et m'a proposé de venir avec lui chez Miro pour

24 l'aider. Donc, j'ai aidé un petit peu Miro, et ensuite j'ai continué a

25 être employé par Miro jusqu'au début de la guerre, dix ou onze mois à peu

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1 près.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que c'est à peu près en

3 juin ou juillet que vous avez commencé à travailler pour Miro,

4 juin-juillet 1991 ?

5 M. Landzo (interprétation). - Il est possible que cela se soit

6 situé à la fin juin. Je ne sais pas exactement. Je sais simplement que

7 c'était l'été, que les enfants allaient se baigner et que moi je devais

8 aller travailler. Je travaillais chez Miro quand tout le monde allait se

9 baigner.

10 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous aviez travaillé

11 pour Miro peu de temps avant votre départ avoué à Cipeta de Konjic ou est-

12 ce que vous n'aviez jamais travaillé pour lui avant ?

13 M. Landzo (interprétation). – Non, quand je suis revenu, c'est

14 la première fois que j'ai travaillé pour Miro, après notre retour, quand

15 Cipeta m'a demandé de l'aider à faire quelque chose. Après cela, je suis

16 resté employé chez lui, sur la recommandation de Cipeta. C'est Cipeta qui

17 m'a recommandé à Miro.

18 Mme McMurrey (interprétation). - Quelles étaient les closes qui

19 régissaient votre emploi chez Miro ? Comment étiez-vous payé ?

20 M. Landzo (interprétation). - Je faisais tout ce qu'il me

21 demandait, mais comme les temps étaient très difficiles, il y avait à

22 l'époque des bons, on n'utilisait plus d'argent, il y avait des bons et

23 avec ces bons, on ne pouvait faire ses courses que dans des endroits

24 déterminés, pas dans tous les magasins. Donc moi, je ne prenais pas ces

25 bons, mais je prenais des vivres, des vêtements pour moi-même, pour ma

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1 soeur, mes frères, et j'emportais tout cela à la maison. Donc, j'étais

2 payé en nature, pas en argent. Je ne touchais pas de salaire.

3 Mme McMurrey (interprétation). - Quel genre de travail faisiez-

4 vous exactement pour Miro ?

5 M. Landzo (interprétation). - Tout ce qu'il me demandait, tout

6 ce qu'il exigeait de moi. Il arrivait que je travaille comme vendeur dans

7 un magasin ou que je travaille dans un entrepôt ou je contrôlais les

8 articles qui étaient emmagasinés dans l'entrepôt. Quelquefois, j'allais

9 même chercher certains produits dans d'autres villes avec Miro. Cipeta

10 allait à Novi Sad, Zagreb et moi j'allais plutôt à Zenica, Tuzla, Visoko,

11 dans ce genre de villes pour chercher des marchandises. Je travaillais

12 chez son père et quelquefois, s'il fallait donner un coup de main après

13 les heures de travail, j'allais le faire chez lui. Je passais en fait

14 24 heures par jour à travailler pour lui. Il arrivait parfois que je passe

15 trois semaines sans rentrer chez moi, que je dorme sur place. J'ai

16 travaillé même comme gardien de nuit et je passais les nuits pratiquement

17 dehors, devant le magasin parce que quelquefois, il était impossible de

18 rentrer toutes les marchandises dans l'entrepôt. Donc, il fallait dormir

19 dehors pour garder tout cela.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Où est-ce que vous dormiez

21 quand vous restiez ?

22 M. Landzo (interprétation). - Dans le bureau de Miro, moi et

23 Cipeta nous dormions là, quelques fois ensemble, quelques fois il allait à

24 la maison et moi, je restais là. Quelques fois, c'est moi qui rentrais et

25 lui restait là. Mais, enfin, en général, nous dormions sur place parce

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1 qu'il arrivait souvent le matin vers cinq heures, que le camion arrive et

2 qu'il faille préparer toutes ces marchandises pour le transport. Donc, il

3 fallait être disponible 24 heures sur 24.

4 Mme McMurrey (interprétation). - Quand vous dites que vous

5 chargiez et déchargiez, est-ce que Cipeta vous aidait ? Est-ce que vous

6 avez jamais déchargé quelque chose de très lourd tout seul ?

7 M. Landzo (interprétation). - Cipeta et moi ne déchargions que

8 les petits camions, les camionnettes, 5-6 tonnes à peu près. Mais, si le

9 camion qui arrivait était de plus grande taille, nous appelions quelqu'un

10 pour nous aider, et nous le payions pour nous aider à décharger. Il y

11 avait toujours cinq ou six hommes, quelquefois même dix, s'il y avait deux

12 camions, qui faisaient ce genre de travail. Moi, j'étais en général debout

13 dans le camion et je remettais les marchandises. Si quelqu'un avait du mal

14 à saisir la marchandise, moi je poussais l'objet en question jusqu'au bord

15 du camion pour aider la personne qui déchargeait à le récupérer. Ensuite,

16 Cipeta et moi, nous travaillions dans l'entrepôt, c'est-à-dire que nous

17 dressions l'inventaire des marchandises qui venaient d'arriver. Et Cipeta

18 était en fait un peu mon chef parce qu'il connaissait mieux ce travail. Il

19 travaillait là depuis plus longtemps que moi. Donc moi, je m'adressais à

20 Miro quand j'avais un problème et ensuite à Cipeta.

21 Mme McMurrey (interprétation). - Quel était votre rapport avec

22 Miro ? Est-ce que vous aviez une bonne relation avec Miro ?

23 M. Landzo (interprétation). - Oui, oui. Il nous appelait

24 "frère", moi et Cipeta. Il ne nous considérait pas comme des ouvriers. Il

25 nous appelait "frère" et nous l'appelions en utilisant le même mot.

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1 C'était plutôt un ami qu'un chef. Tout ce que nous lui demandions, il nous

2 le donnait et tout ce que lui nous demandait, nous acceptions de le faire.

3 Donc, c'était davantage un rapport d'amitié qu'un rapport de

4 chef à travailleur. En tout cas, c'est de cette façon que je l'ai vécu et

5 lui se conduisait de cette façon.

6 Mme McMurrey (interprétation). – Mais, en dehors de ce que

7 stipulait votre description de poste, est-ce que vous faisiez d'autres

8 choses pour Miro ?

9 M. Landzo (interprétation). - Ecoutez, moi j'étais censé

10 travailler de 7 heures du matin à 8 heures du soir. Après 8 heures du

11 soir, je n'étais pas obligé de travailler, j'aurais très bien pu dire que

12 j'étais en dehors de mes horaires de travail, mais je le faisais.

13 Quelquefois, il arrivait qu'un camion arrive après minuit et il fallait

14 bien que nous le déchargions. C'était en dehors de mes heures de travail,

15 mais je le faisais pour respecter sa demande et, ce que je n'appellerai

16 pas son ordre parce que je ne voyais pas cela comme des ordres à l'époque,

17 mais sa prière. Donc, il n'y avait pas de limite à mes horaires de

18 travail.

19 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous faisiez des

20 choses pour lui, chez lui, à la maison également, en dehors du lieu de

21 travail ?

22 M. Landzo (interprétation). - Oui, oui. Si par exemple du bois

23 arrivait la nuit, il fallait que j'y aille pour ranger ce bois dans la

24 cave. Ce n'était pas une obligation, mais je le faisais. Je n'avais pas

25 non plus pour obligation d'aller au restaurant, commander des marchandises

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1 pour lui. Je n'avais pas pour obligation de sortir les ordures, mais je le

2 faisais. S'il me le demandait, je le faisais.

3 D'après les règles, pourrais-je dire, j'aurais dû travailler au

4 magasin et pas chez lui, ni au restaurant, mais moi je faisais tout ce

5 qu'il me demandait. Cipeta aussi, d'ailleurs, je n'étais pas le seul.

6 Mme McMurrey (interprétation). - Pouvez-vous nous dire d'où

7 vient le nom de Zenga ? Que signifie ce nom ?

8 M. Landzo (interprétation). - Au début, je ne le savais pas,

9 mais je l'ai appris plus tard. C'est un sigle pour les membres de la garde

10 nationale. Les premiers représentants de la Croatie qui ont défendu

11 l'indépendance croate par rapport à la JNA qui avait agressé la Croatie.

12 A notre retour, Cipeta et moi, lorsque nous sommes rentrés en

13 Bosnie-Herzégovine, c'est Cipeta qui a commencé à me donner ce surnom et

14 peu à peu, j'ai acquis ce surnom. Même Miro m'appelait comme cela. Il ne

15 savait pas exactement pourquoi. C'était une espèce de plaisanterie. Donc,

16 Miro m'appelait aussi comme cela et, peu à peu, les gens en ont pris

17 l'habitude. Aujourd'hui, 70 % des gens qui m'entourent me connaissent par

18 mon surnom de Zenga et pas par mon prénom réel, surtout les plus jeunes.

19 Mme McMurrey (interprétation). – Donc, est-ce que Cipeta a

20 commencé à vous appliquer ce surnom à cause de l'expérience que vous aviez

21 vécue en Herzégovine occidentale ?

22 M. Landzo (interprétation). - Oui, oui. Il a commencé à

23 m'appeler Zenga et moi j'ai commencé à l'appeler Barman, non Kosovac,

24 l'homme de Kosovo. Vous savez comment cela se passe : d'abord les garçons

25 de café dans les cafés commencent à vous appeler Zenga et ensuite tout le

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1 monde utilise ce surnom.

2 Mme McMurrey (interprétation). - J'aimerais que nous parlions

3 maintenant du début de la guerre à Konjic. Est-ce que vous travailliez

4 pour Miro à ce moment-là ?

5 M. Landzo (interprétation). - Oui, j'ai travaillé pour Miro

6 jusqu'au début du mois de juin 1992, c'est-à-dire jusqu'au début de la

7 guerre. J'ai même ressenti le choc des premiers obus quand je travaillais

8 chez Miro, parce que les premiers obus ont frappé le bâtiment du MUP de la

9 police, également l'endroit où le restaurant et le magasin de Miro se

10 trouvaient. Donc, au moment où le pilonnage a commencé, Cipeta et moi

11 avons vécu ces explosions et la pression dans l'air nous a forcé à nous

12 jeter au sol. C'est l'explosion entre les bâtiments qui nous a jetés au

13 sol. Moi, je suis tombé contre un mur et Cipeta dans un jardin. Et une

14 deuxième fois, nous étions dans la cave du magasin quand trois obus ont

15 frappé le magasin. Puis, par la suite, il y a eu d'autres occasions, quand

16 je travaillais pour Miro, il est arrivé à plusieurs reprises que nous

17 subissions des pilonnages.

18 Mme McMurrey (interprétation). - Et au début de la guerre, est-

19 ce qu'il y avait des réfugiés qui affluaient dans Konjic ?

20 M. Landzo (interprétation). - Oui, d'ailleurs je ne suis pas

21 tout à fait sûr, mais je crois que Miro avait même organisé une

22 distribution de repas gratuits dans son restaurant pour ces réfugiés. Je

23 sais qu'il en arrivait beaucoup. Je ne sais pas si c'était eux qui

24 payaient ou qui payait exactement, mais je sais qu'ils venaient dans le

25 restaurant. Cipeta et moi nous devions faire des heures supplémentaires

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1 d'ailleurs, pour aller faire des courses.

2 Les premiers soldats armés qui étaient en ville d'ailleurs

3 venaient aussi au restaurant. Miro donnait à manger à tout le monde

4 gratuitement. Les représentants du MUP et les membres des autres groupes

5 qui se créaient à l'époque venaient aussi manger au restaurant.

6 Mme McMurrey (interprétation). - En avril-mai 1992, est-ce que

7 ces réfugiés venaient de l'est de la Bosnie-Herzégovine ?

8 M. Landzo (interprétation). - Je crois que les premiers réfugiés

9 sont arrivés de l'ouest de l'Herzégovine, c'est-à-dire de municipalités

10 avoisinantes de Konjic : Neveska, Gacko. Puis, ensuite, ils sont arrivés

11 d'une région plus orientale, de Foca, et puis ensuite des villages qui

12 avaient été incendiés, des villages de la région. Donc il y avait des

13 réfugiés qui venaient des localités voisines et des réfugiés qui venaient

14 de plus loin. Il y en avait beaucoup, ils étaient nombreux et ils ont été

15 logés dans un bâtiment public.

16 Mme McMurrey (interprétation). - A leur arrivée, quels étaient

17 les récits que faisaient ces réfugiés lorsqu'ils arrivaient dans la

18 municipalité de Konjic ?

19 M. Landzo (interprétation). - Moi, je les entendais surtout

20 parler quand ils venaient dans le restaurant de Miro. Il y avait surtout

21 des femmes et des enfants, vous savez, et on entendait dire qu'il était

22 difficile pour les hommes en âge de combattre d'éviter d'aller se battre.

23 On entendait parler de viols, de filles de 15 ou 16 ans qui avaient été

24 violées, des histoires très difficiles qu'on entendait tous les jours. Les

25 serveurs commençaient à leur parler, et toutes ces personnes disaient d'où

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1 elles venaient. Cipeta et moi, nous servions et nous pouvions donc

2 entendre leurs histoires. En ville, on voyait d'ailleurs des groupes de

3 réfugiés qui portaient tout ce qu'ils avaient dans des sacs et qui se

4 déplaçaient, des sacs en plastique, et qui se déplaçaient avec leurs

5 enfants. Il y en avait beaucoup.

6 Mme McMurrey (interprétation). - Ces récits d'horreurs que ces

7 réfugiés ont introduit dans Konjic, quelle est l'incidence qu'ils ont eu

8 sur vous-même et les membres de votre famille, ainsi que les habitants de

9 Konjic ?

10 M. Landzo (interprétation). - Je peux vous citer en exemple un

11 cas particulier. En face de l'école, dès 1990, lorsque les partis

12 nationaux sont arrivés au pouvoir à Konjic, il y avait trois partis

13 nationaux, eh bien dans cette école, en 1990, j'avais des cours d'histoire

14 où on nous parlait des événements de la seconde guerre mondiale, et à une

15 centaine de mètres de l'école, il y avait un petit café qui n'était

16 fréquenté que par des Serbes et dans ce café, pendant mon cours

17 d'histoire, on entendait des chants chetniks et on voyait qu'ils portaient

18 les vêtements de la Deuxième guerre mondiale. Alors tu comprends, tu

19 entends à l'école parler de la Deuxième guerre mondiale et à cent mètres

20 de là, ils sont là assis et ils tirent avec leurs armes, si bien que même

21 les institutrices, les enseignantes ont commencé à avoir peur et à la

22 télévision on n'arrêtait pas d'entendre parler d'un tel et d'un tel qui

23 était mauvais. Il n'y avait aucun obstacle qui pouvait les arrêter. Donc

24 nous pensions qu'à Konjic nous allions subir le même sort, mais

25 heureusement cela n'a pas été le cas.

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1 Mme McMurrey (interprétation). - Vous venez de dire qu'à côté de

2 votre école secondaire, vous avez entendu des Chetniks. Qu'est-ce que cela

3 veut dire exactement, parce qu'il y a pas mal de gens qui ne connaissent

4 pas le passé, qui ne savent pas ce que sont les chants chetniks à opposer

5 aux chants oustachis, etc., tout cela datant de la Seconde guerre

6 mondiale. Quel était le rapport avec votre cours d'histoire ?

7 M. Landzo (interprétation). - Eh bien, je ne connais pas le

8 texte de ces chants, mais plus tard je les ai réentendus, et dans ces

9 chants il est question de tueries, de massacres, par exemple : "Qui dit,

10 qui chante que la Serbie était petite ? Oui, la Serbie était petite, mais

11 elle sera trois fois plus grande, et à ce moment-là elle reprendra la

12 guerre". Vous savez, tout cela n'est pas innocent. Les gens se

13 regroupaient, s'organisaient. On était obligé d'organiser des patrouilles

14 dans les rues parce que plus personne ne savait rien, plus personne

15 n'était sûr de ce qui allait se passer. Les femmes, les enfants avaient

16 très peur. La terreur s'est répandue notamment parmi les réfugiés, mais

17 aussi parmi les autres habitants, chez tout le monde.

18 Mme McMurrey (interprétation). - J'aimerais revenir à vos cours

19 d'histoire et à ces chants chetniks. Cela se passait au début 1991, avant

20 que vous ne commenciez à travailler pour Miro, avant que vous n'ayez reçu

21 la convocation de la JNA ? C'est bien à ce moment-là que cela s'est

22 passé ?

23 M. Landzo (interprétation). – Oui, quand j'allais encore à

24 l'école, dés 1990, dès la victoire des partis nationaux. A ce moment-là,

25 les individus ont joui d'une liberté un peu plus grande, notamment de

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1 s'organiser en partis nationaux. Il était possible de porter des insignes

2 chetniks, des armes chetniks, y compris des armes automatiques. Les gens

3 portaient des armes tout à fait ouvertement. Il y avait des Serbes, la

4 population était à peu près à moitié serbe, et donc il était difficile

5 d'effectuer quelque contrôle que ce soit. On entendait des coups de feu

6 dans les restaurants, des coups de feu un peu partout, des grenades qui

7 sautaient et la police ne pouvait pas faire grand-chose. Elle avait du mal

8 à vérifier la situation, surtout la nuit.

9 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que le premier pilonnage

10 de Konjic a commencé au mois de mai, en 1992 ?

11 M. Landzo (interprétation). – Je ne connais pas la date exacte,

12 mais je sais que les premiers obus ont frappé les cimetières catholique et

13 musulman. En fait, ils visaient le bâtiment du MUP, mais comme le bâtiment

14 du MUP était situé entre le cimetière catholique et le cimetière musulman,

15 les premiers obus sont tombés à cet endroit-là. En fait, il s'agit d'un

16 quartier de la ville, le quartier ancien, qui est très urbanisé et ce

17 quartier s'appelle Prkan. C'est là que sont tombés les premiers obus qui

18 ont fait beaucoup de dégâts. Donc j'ai vu tout cela. J'en ai ressenti les

19 effets, mais je ne peux vraiment pas vous donner la date exacte. Il est

20 possible que cela se soit situé au mois de mai ou avril-mai. Je ne peux

21 pas le dire avec certitude.

22 Mme McMurrey (interprétation). - Après le début des pilonnages,

23 est-ce que vous travailliez toujours pour Miro en mai 1992 ?

24 M. Landzo (interprétation). – Oui j'ai continué à y travailler

25 jusqu'au mois de juin, or les pilonnages ont commencé bien avant que je

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1 quitte qu'on travaille chez Miro et c'était des pilonnages très durs. Je

2 travaillais d'ailleurs pour Miro au moment où j'ai entendu parler de la

3 prise de la caserne de Ljuta, au moment où j'ai entendu parler des combats

4 de Bradina. Tout cela se passait pendant que je travaillais pour lui. J'ai

5 entendu des gens raconter que Bradina avait été libérée et que Donje Selo

6 avait subi des combats et que la caserne avait été prise, la caserne de

7 Ljuta. Tout cela, je l'entendais pendant que je travaillais chez Miro, au

8 restaurant. Donc pendant toute cette période, je travaillais pour lui.

9 Mme McMurrey (interprétation). - Au début, qui a constitué les

10 premiers rangs de la résistance ? Vous avez parlé des gens qui venaient

11 manger chez Miro, mais qui a donc créé ces premiers rangs de la

12 résistance ?

13 M. Landzo (interprétation). – Moi je connaissais Asaf. Je

14 connaissais aussi d'autres personnes qui venaient de ce quartier, Prkan,

15 qui portaient des uniformes qu'ils mettaient surtout la nuit, quand ils

16 venaient dans le restaurant de Miro. Moi, je n'étais pas présent

17 personnellement. J'étais devant le restaurant. Cipeta et moi montions la

18 garde pour éviter que la police n'arrive, et eux discutaient pour savoir

19 ce qu'il convenait de faire si les Serbes décidaient d'attaquer Konjic.

20 J'entendais tout cela. Mais ces hommes, je ne les connaissais pas. Je les

21 voyais avec des uniformes, avec des armes pendant la nuit. Mais, dans la

22 journée, ils étaient habillés normalement, ils ne portaient pas d'uniforme

23 militaire. C'est seulement la nuit qu'ils s'habillaient ainsi.

24 Mme McMurrey (interprétation). - Quand vous dites Asaf, est-ce

25 que vous parlez d'Asaf Jusufovic qui est venu témoigner ici ?

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1 M. Landzo (interprétation). – Oui, oui, il avait un petit chien

2 qui l'accompagnait partout, donc je le connaissais déjà à cause de ce

3 chien. On le reconnaissait très bien. Tout le monde l'appelait Asaf, mais

4 nous ne connaissions pas son nom de famille. Et je connais son frère

5 aussi, Aziz.

6 Mme McMurrey (interprétation). - Serait-il permis de dire que de

7 nombreuses actions militaires commençaient à se dérouler dans la région de

8 Konjic au mois de mai 1992 ?

9 M. Landzo (interprétation). - Oui, c'est à ce moment-là que j'ai

10 entendu ces récits relatifs à toutes ces activités à Donje Selo, la prise

11 de certains villages, la libération de certains villages, que j'ai entendu

12 parler des combats à Bradina. Je crois même qu'il y a un habitant de ce

13 quartier de Prkanj qui a été grièvement, très grièvement blessé au cours

14 des combats à Bradina et qui est resté invalide à vie. Donc j'entendais

15 tous ces récits. C'est un peu avant que je ne quitte Miro.

16 Mme McMurrey (interprétation). - Mais toutes ces actions

17 militaires, cette planification, cette résistance s'organisaient donc à

18 l'époque. Et vous, est-ce que vous vous êtes senti exclu ?

19 M. Landzo (interprétation). - Oui, absolument, voyez-vous

20 j'étais jeune et d'ailleurs je n'étais pas le seul, sans doute qu'il y

21 avait beaucoup d'autres jeunes qui souhaitaient défendre leur pays.

22 C'était notre devoir en tant que ressortissants de Bosnie-Herzégovine.

23 Nous ne voulions pas qu'il arrive à nos mères, à nos soeurs ce qui était

24 arrivé à ces réfugiés dont nous entendions parler.

25 Et Miro un jour m'a envoyé à la Défense territoriale qui avait

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1 son siège dans le bâtiment du MUP. J'y suis allé, mais ils n'ont pas

2 accepté de m'intégrer. J'étais le dernier sur la liste et le commandant

3 qui était là m'a dit : "Qu'est-ce que tu fais là, espèce de gamin, rentre

4 chez toi". Et moi, j'étais venu pour m'inscrire. Mais il m'a refusé. Donc

5 j'étais exclu d'une certaine façon. Plus tard, j'ai encore essayé d'entrer

6 dans les rangs la Défense territoriale, au début du mois de juin.

7 M. le Président (interprétation). - Je crois qu'il va nous

8 falloir interrompre notre audience. Nous reprendrons nos travaux à

9 16 h 30.

10 Mme McMurrey (interprétation). – Merci, Monsieur le Président.

11 Suspendue à 16 heures, l'audience est reprise à 16 heures 35.

12 Mme McMurrey (interprétation). - Je vous rappelle, monsieur, que

13 vous êtes toujours sous serment.

14 M. Landzo (interprétation). - Oui.

15 M. le Président (interprétation) - Madame McMurrey, voulez-vous

16 poursuivre ?

17 Mme McMurrey (interprétation). - Oui, mais Teresa McHenry est de

18 retour, j'ai constaté.

19 M. le Président (interprétation) - Veuillez poursuivre.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Pouvez-vous nous dire quelles

21 étaient les circonstances qui vous ont permis de rejoindre la Défense

22 territoriale ?

23 M. Landzo (interprétation). - Au début du mois de juin, je me

24 trouvais chez Miro, je me trouvais là où habitait son père. Mais lui était

25 tout seul parce que son père et sa mère se trouvaient déjà ailleurs. Je

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1 travaillais dans la maison et donc un jour où j'allais faire des courses

2 avec un autre ami qui a dit qu'il fallait que l'on se déclare auprès de la

3 Défense territoriale, c'était quelqu'un qui était en uniforme et qui avait

4 des armes, donc il est venu chez Miro et il a dit que moi, j'avais déclaré

5 que je voulais me présenter. Alors on m'a dit : "Mais non, ce n'est pas

6 sensé de faire une chose comme cela", mais moi, il y avait quelque chose

7 de plus fort, en moi, qui me disait qu'il fallait que j'y aille. Et je

8 crois, moi, que c'était la seule fois, pour autant que je sache, où j'ai

9 refusé de faire quelque chose que Miro me demandait.

10 Donc j'ai fini par me déclarer à la Défense territoriale sur la

11 rive droite de cette rivière où mes parents habitaient et c’est ainsi que

12 je suis devenu... J'ai été envoyé à Celebici.

13 Mme McMurrey (interprétation). - Mais quand vous dites que vous

14 vous êtes inscrit à la Défense territoriale, quel était le statut de votre

15 frère et de vos deux ou trois frères ?

16 M. Landzo (interprétation). - Mon père a été d'abord un gardien

17 de paix, enfin un gardien de la rue et avant que moi j'aie été impliqué,

18 mon père m'a dit que ce serait bien que je le fasse aussi, parce que

19 j'avais déjà atteint l'âge pour entrer dans l'ex-JNA et donc qu'il serait

20 sage que je fasse partie de cette unité. Donc j'ai pensé qu'il fallait que

21 je rejoigne les rangs de la Défense territoriale. Et d'autres

22 connaissances, d'autres amis m’ont conseillé cela. Mais Miro n'était pas

23 pour cela, et la plus grande faute que j'ai commise, c'est de ne l'avoir

24 pas écouté à ce moment-là parce que très peu de temps après, il s'est

25 enfui et si je l'avais écouté, les choses auraient tourné bien mieux pour

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1 moi qu’en ne l'écoutant pas.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Et lorsque vous avez rejoint

3 les rangs de la Défense territoriale, je crois que vous avez dit que

4 c'était au début du mois de juin, quand exactement avez-vous été envoyé à

5 Celebici, si vous vous en souvenez ?

6 M. Landzo (interprétation). - Je pense que c'était aux alentours

7 du 15 ou 17 juin que l'on m'a envoyé à Celebici.

8 Mme McMurrey (interprétation). - Vous êtes vous rendu à Celebici

9 avec un autre groupe de soldats ?

10 M. Landzo (interprétation). - Oui, je sais qu'on était un

11 autobus plein, mais je ne sais pas s'il y avait 30 ou 40 soldats. Mais ce

12 que je sais, c'est que le bus était plein. Ce n'était pas un bus de grande

13 taille, c'était un bus de taille moyenne et là, il y avait des unités qui

14 venaient de divers endroits de la rive droite de cette rivière. Il y avait

15 des gens que je connaissais, d’autres que je ne connaissais pas. Il y

16 avait des gens qui étaient mes voisins.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Et lorsque vous dites sous le

18 contrôle de la rive droite, de la rivière Neretva, est-ce que cela

19 signifie que c'est le capitaine Kasatcic ?

20 M. Landzo (interprétation). - Je ne sais pas quel était son

21 grade. C'était placé sous le commandement de la rive droite de la Neretva,

22 mais quel grade exactement, je ne sais pas.

23 Mme McMurrey (interprétation). - Quand vous avez été envoyé à

24 Celebici, qu'est-ce qu'on vous a dit avant que vous ne vous y rendiez ? A

25 quoi vous attendiez-vous ?

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1 M. Landzo (interprétation). - Mon premier supérieur, je crois

2 qu'il était croate, je ne sais plus comment il s'appelait, m'a dit -pas

3 seulement à moi, mais à tout le monde- que nous allions à Celebici pour

4 assurer la sécurité d'un objet militaire de façon temporaire, parce que

5 là, on devait former des parties des unités de l'armée et qu'ensuite nous

6 devrions rentrer à Konjic. Donc, personne ne nous a dit qu'il y avait là

7 une prison. On ne savait pas du tout qu'il y avait là des prisonniers,

8 nous n'en savions strictement rien. Moi, je pensais que j'allais assurer

9 la sécurité d'un objet militaire et je ne savais pas que c'était une

10 prison qui était utilisée pour les Serbes rebelles.

11 Mme McMurrey (interprétation). - Combien de temps vous aviez

12 passé à Celebici avant que vous vous soyez rendu compte qu'il y avait des

13 détenus ?

14 M. Landzo (interprétation). - Eh bien, disons le deuxième jour

15 j'ai vu. Mais dès le premier jour, j'ai su que c'était une prison. Je ne

16 l'ai pas vu le premier jour, mais je l'ai su dès le premier jour. Je

17 savais que c'était une prison, qu'il y avait des prisonniers et

18 personnellement, de mes yeux, je l'ai vu le second jour.

19 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous étiez stationné à

20 Celebici, en quoi consistaient vos tâches en tant que jeune garde ou bien

21 en tant que jeune soldat tout nouvellement arrivé à Celebici ?

22 M. Landzo (interprétation). - J'étais tout simplement gardien et

23 tout ce que je devais faire, c'était d'exécuter les ordres que l'on me

24 donnait en tant que gardien.

25 Mme McMurrey (interprétation). - Et est-ce que vos tâches vous

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1 ont été fixées à ce moment-là ou bien est-ce que vous avez dû passer,

2 subir un certain entraînement ou un certain endoctrinement à Celebici à

3 votre arrivée ?

4 M. Landzo (interprétation). - Non. Quand on est parti de Konjic

5 en autobus, nous sommes arrivés à Celebici et nous sommes passés par le

6 portail d'entrée et là, à la porte, on nous a demandé de sortir du bus et

7 de nous mettre en deux lignes, deux catégories.

8 Ensuite, Pavo Mucic est arrivé du commandement, tout le monde

9 s'est présenté et ensuite, une vingtaine de soldats, qui étaient

10 complètement en uniforme et armés, ont été choisis et aux autres, il a

11 déclaré qu'ils s'assoient dans le bus et qu'ils rentrent. Après quoi, on

12 nous a dit où nous installer. Il s'agissait de la moitié d'un entrepôt en

13 fait et dans une partie de l'entrepôt, on pouvait dormir. Cela nous a pris

14 une heure pour nous installer, mettre nos affaires. Ensuite, on nous a

15 fait sortir et on nous a demandé de garder cette installation. Et là,

16 Mustafic a été choisi comme commandant et on nous a dit qu'il fallait que

17 nous nous adressions à lui pour des choses qui n'étaient pas claires, pour

18 toute question. Et c'est lui qui devait nous expliquer nos tâches de

19 gardiens et il allait expliquer comment les gens étaient arrivés et ce qui

20 se passait.

21 Mme McMurrey (interprétation). - Pouvez-vous vous lever et

22 indiquer sur la maquette située devant vous où le bus s'est arrêté, où les

23 jeunes soldats ont été mis en file et où la moitié qui a été choisie a dû

24 s'installer pour dormir ?

25 M. Landzo (interprétation). - Le bus s'est arrêté ici. C'est ici

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1 que nous avons été mis en ligne. Ensuite, M. Mucic est arrivé et, à ce

2 moment-là, on nous a dit qui allait faire quoi et ensuite, on nous a

3 envoyé au bâtiment D pour nous installer. Devant ce bâtiment, nous nous

4 sommes assis dans l'herbe avec M. Mucic, et ensuite, on nous a expliqué

5 nos obligations.

6 Mme McMurrey (interprétation). - Et en quoi consistaient ces

7 obligations ?

8 M. Landzo (interprétation). - Que nous sommes venus là pour être

9 des gardiens, que nous exécuterions toutes les tâches qu'on nous

10 confierait sans discuter. Et je me souviens même qu'on nous a dit que ce

11 n'était pas à nous de penser, mais de faire ce que l'on nous demandait de

12 faire.

13 Et là, j'ai entendu cette phrase-là de très nombreuses fois

14 ensuite. Si j'essayais de demander quelque chose, eh bien c'était toujours

15 cette phrase que l'on me sortait : "Ce n'est pas à toi de penser à ce que

16 tu dois faire". C'est ce que l'on nous disait à tous. On disait que

17 c'était des Chetniks qui étaient prisonniers, qui avaient été capturés à

18 Bradina et à Donje Selo, qu'il fallait être extrêmement prudents. Parfois,

19 on pouvait même assister à des crimes contre les gardiens, donc on nous a

20 expliqué qu'ils étaient très dangereux. Il ne fallait pas laisser entrer

21 quiconque sans autorisation dans la caserne, bien qu'ultérieurement on ait

22 assisté à des cas où les gens sont entrés sans autorisation. Mais voilà le

23 type d'informations que nous avons reçues.

24 Nous devions demander toujours des instructions pour ce que nous

25 devions faire.

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1 Mme McMurrey (interprétation). - Bon, ces jeunes gardiens à qui

2 l'on avait confié ces tâches de gardien et qui vous ont expliqué que les

3 détenus étaient dangereux, est-ce qu’ils avaient une expérience

4 militaire ? Nous savons que vous vous n'en aviez pas eu, mais est-ce que

5 les autres jeunes gardiens en avaient eu ou pas ?

6 M. Landzo (interprétation). - Nous sommes restés à vingt, vingt-

7 cinq personnes et dans ce groupe, je dirais qu'il y avait environ six,

8 sept personnes adultes qui, à mon avis, ont terminé leur service et les

9 autres étaient trop jeunes. Je les connaissais, comme je vous l'ai dit,

10 ils venaient de ma rue, de mon voisinage, donc ils avaient peut-être un an

11 de plus ou mon âge ou même un an de moins. Donc, c'étaient des gens

12 vraiment très jeunes. Et je ne sais pas pourquoi, on nous a justement

13 choisis, nous. Est-ce qu’il y avait une raison pour choisir ces gens

14 jeunes ? Moi, je pense qu'ils auraient dû choisir des gens qui avaient de

15 l'expérience. Enfin, ça c'était ma conclusion à laquelle je parviens

16 maintenant après avoir réfléchi à tout cela.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Bon, en arrivant-là, le

18 deuxième jour, vous a-t-on confié des tâches particulières ?

19 M. Landzo (interprétation). - Oui, que je sois donc gardien. Je

20 pense que c'était Mustafevic qui avait lui décidé cela et il y avait trois

21 endroits où les gardiens étaient postés : à l'entrée, et les portes

22 d'entrée étaient gardées par trois postes de gardien, et il fallait

23 veiller à ce qu'il n'y ait pas de trou dans les barbelés. Donc, il y avait

24 également des chiens et nous, bon, il fallait que nous leur donnions à

25 manger. Enfin, on faisait comme je vous l'ai dit, tout ce que l'on nous

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1 demandait. Nous assurions le contrôle de toute la caserne ainsi que des

2 endroits où étaient les détenus.

3 Mme McMurrey (interprétation). - Pendant toute la période où

4 vous étiez là-bas, est-ce qu'on vous a donné des fonctions en plus grand

5 nombre ou est-ce que vous avez fait une tâche plus particulièrement qu'une

6 autre ?

7 M. Landzo (interprétation). - Oui.

8 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous pourriez vous

9 lever et montrer sur la maquette où vous étiez posté la plupart du temps ?

10 M. Landzo (interprétation). - Près du hangar numéro 6, ici, près

11 des barbelés. Et après, ensuite, j'ai été transféré sur instruction...

12 (L'interprète signale qu'elle n'entend plus.)

13 Voilà, c'est un poste de gardien où il y avait également

14 d'autres gardiens, où on venait donc nous relever.

15 M. le Président (interprétation). - Est-ce que vous pourriez lui

16 demander de répéter, parce que les interprètes ont dit qu'ils ne pouvaient

17 pas entendre ?

18 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous pourriez

19 répéter cette réponse, où vous vous trouviez la plupart du temps près du

20 hangar, près du hangar 6 ?

21 M. le Président (interprétation). - Est-ce que vous pourriez

22 répéter de façon que les interprètes puissent entendre par le micro,

23 entendre tout ce que vous avez dit ?

24 M. Landzo (interprétation). - Au début, disons la première

25 semaine, les deux gardiens se trouvaient toujours près de ce hangar

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1 numéro 6, près de cette barrière. Et moi, sur ordre, je suis passé donc à

2 un autre poste de gardien où je me suis trouvé assez longtemps, mais, bon,

3 c'est ce que faisaient d'autres gardiens également, parce que vers la fin,

4 c'est un endroit où il y avait également une mitrailleuse, et très souvent

5 quelqu'un commençait à tirer de l'extérieur. Il y avait là une autoroute

6 et donc on tirait vers le hangar, vers la caserne. Donc, on a établi ce

7 poste de contrôle pour pouvoir contrôler vers l'extérieur, au cas où il y

8 aurait des éléments venant de l'extérieur, parce que de ce poste-là, il

9 n'était pas possible de bien garder le hangar 6. On ne le voyait pas aussi

10 bien qu'à l'autre poste numéro 1 de gardien, que l'on ne voit pas sur la

11 maquette.

12 Mme McMurrey (interprétation). - Vous avez dit le poste numéro 1

13 a un gardien. Vous ne pouvez pas le voir sur la maquette ?

14 M. Landzo (interprétation). - Non.

15 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que c'est là où a été

16 installée la mitrailleuse, face au hangar 6 ?

17 M. Landzo (interprétation). - Oui. Oui, il y avait une tranchée

18 qui avait été creusée et on avait beaucoup de problèmes en cas de pluie

19 parce qu'on était toujours mouillé, et il y avait plein d'eau. Donc là,

20 c'est l'entrée directe de la porte du hangar et dès le début, la

21 mitrailleuse a été installée à cet endroit-là.

22 Mme McMurrey (interprétation). - Alors vous avez... C'était

23 votre idée d'installer une tranchée là sur la colline ?

24 M. Landzo (interprétation). - Oui, parce que précisément on m'a

25 demandé de me trouver à ce poste de gardien et donc je savais qu'il y

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1 avait sur la route des gens, des soldats ivres qui passaient là. Puisque

2 j'étais toujours installé là, j'ai demandé que l'on fasse quelque chose et

3 on a dit : "Bon, ben.. là", on m'a dit de creuser une tranchée et d'y

4 emmener deux ou trois prisonniers pour m'aider. En fait, c'est eux qui ont

5 creusé, puisque moi j'étais en fonction, donc il fallait que j'exerce mes

6 fonctions. Donc j'ai demandé à M. Delic qu'il nous donne une nourriture en

7 plus grande quantité, de nos portions à nous. J'ai demandé qu'on donne ces

8 portions à ces prisonniers.

9 Mme McMurrey (interprétation). – Donc, ces tranchées que vous

10 avez faites, est-ce que donc ces installations particulières que vous

11 aviez, est-ce que c'est vous qui avez demandé que l'on y installe des

12 matelas pour que ce soit plus confortable ?

13 M. Landzo (interprétation). - Oui. Mais, j'ai fait beaucoup.

14 Dans cet autre bâtiment, il faisait parfois extrêmement froid et en raison

15 de mes problèmes physiques, j'ai fini par décider d'organiser la

16 possibilité pour moi de dormir à cet endroit-là. C'est là où je

17 travaillais. Je m'acquittais de mes tâches, je dormais et dans ce cas-là

18 mon collègue autre gardien donc pouvait assurer ses fonctions puisque

19 c'était une tranchée faite en deux parties. Donc, effectivement, j'ai

20 organisé un endroit pour pouvoir dormir. Donc lorsque j'avais terminé mes

21 fonctions, je pouvais me jeter dans le lit.

22 Mme McMurrey (interprétation). - Même quand vous n'étiez plus en

23 fonction, donc vous dormiez sur ce lit-là ?

24 M. Landzo (interprétation). - Oui, même lorsque je n'avais pas

25 d'autres fonctions, effectivement je dormais là.

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1 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous avez également

2 construit une niche pour votre chien ?

3 M. Landzo (interprétation). - Oui, parce que le chien... Oui,

4 j'ai fait une petite niche pour le chien.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Il y avait deux trous là. Est-

6 ce qu’ils étaient liés ?

7 M. Landzo (interprétation). - Quand moi j'y étais, il n'y en

8 avait pas. Non, il n'y avait qu'un trou pendant que moi j'y étais et je ne

9 sais pas d'où ça vient. Je ne sais pas, ce trou a peut-être été creusé

10 après mon départ. Je ne sais pas.

11 Mme McMurrey (interprétation). – Donc, la tranchée que vous avez

12 créée était pour vous donner protection et sécurité à cet endroit-là ?

13 M. Landzo (interprétation). - Ben oui, c'est la seule raison

14 pour laquelle je l'ai faite. Ce qui se produisait très souvent, c'est que

15 l'on n'arrivait pas à trouver un espace libre pour dormir. Donc voilà,

16 c'était un endroit où je pouvais dormir et un endroit sûr. Et bien sûr que

17 je ne pouvais pas faire cela tout seul. On m'a donné l'ordre de le faire

18 parce que je ne pouvais pas le faire de moi-même.

19 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous étiez face à la

20 porte du hangar 6, comment est-ce que les détenus à l'intérieur

21 communiquaient s'ils avaient besoin de quelque chose ?

22 M. Landzo (interprétation). - Je ne sais pas si c'était comme

23 cela dès le début, mais je sais que pendant un certain temps, il y avait

24 deux personnes, deux prisonniers qui étaient en quelque sorte des

25 personnes qui veillaient à l'ordre à l'intérieur et qui établissaient les

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1 communications entre les détenus et les gardiens. Ils étaient toujours en

2 fonction en quelque sorte jusqu'à 8, 9 heures du soir. S'il y avait

3 quelque chose à demander aux gardiens, eh bien le détenu en question qui

4 voulait poser une question s'adressait à cette personne des détenus qui

5 transmettait l'ordre. C'était en quelque sorte des surveillants qui

6 transmettaient les ordres aux gardiens. Mais très souvent, certains

7 venaient pour cinq jours, sept jours, alors moi je ne sais pas comment eux

8 procédaient dans leurs équipes de relève.

9 Moi, je faisais comme on me disait de faire.

10 Mme McMurrey (interprétation). - Donc ce que vous êtes en train

11 de décrire, c'est qu'il y avait en quelque sorte des représentants des

12 détenus qui étaient nommés de l'intérieur et qui établissaient des

13 contacts avec les gardiens s'ils avaient besoin de quelque chose ?

14 M. Landzo (interprétation). - Je pense que c'est justement

15 M. Delic... Enfin, je pense que c'est la raison qui était... C'étaient des

16 personnes qui convenaient tout à fait. Je ne sais pas pourquoi, mais peut-

17 être qu'il les connaissait. En fait, c'étaient deux personnes très bien à

18 qui très souvent je m'adressais. Je sais qu'il en parlait de façon très

19 amicale et mon hypothèse, c'est que quelqu'un, peut-être M. Delic ou

20 M. Mucic, les avaient désignés. Ils étaient simplement chargés d'assurer

21 l'ordre. Ils ne pouvaient pas désigner quelqu'un parmi les détenus.

22 Mme McMurrey (interprétation). - Quels sont les noms de ces deux

23 représentants de détenus ?

24 M. Landzo (interprétation). - Il y en a un qui s'appelait chez

25 Cecez Nenad et l'autre Davor, et puis il y en avait encore un autre, mais

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1 je ne me rappelle pas de son nom. Je crois qu'il y avait une troisième

2 personne qui faisait partie de cet ensemble et qui essayait de procéder à

3 la même chose. Je crois qu'il s'appelait... Il y avait une troisième

4 personne qui a passé plus de temps dehors. Il y avait quelqu'un qui

5 travaillait, je ne sais pas, dans un atelier de peinture, de carrosserie

6 automobile ou quelque chose comme cela.

7 Mme McMurrey (interprétation). - Bon, alors est-ce que ces

8 représentants des détenus avaient un meilleur traitement ? Est-ce qu’ils

9 bénéficiaient d'autres privilèges que les autres détenus n'avaient pas ?

10 M. Landzo (interprétation). - Alors moi, je ne peux que parler

11 de la manière dont je les traitais. Je ne peux pas dire comment les autres

12 se sont comportés. Je ne peux dire que comment moi je faisais comme on me

13 disait de faire. Très souvent, nous avions des contacts avec eux. Pour

14 moi, ils étaient tous pareil parce que moi, je ne pouvais pas les

15 distinguer entre eux. La seule raison pour laquelle j'avais des contacts

16 avec eux fréquents, peut-être que parce que j'avais une façon particulière

17 de les traiter. Alors, bon, j'avais peut-être des contacts plus fréquents.

18 Alors peut-être que c'est pour ça qu'ils avaient des contacts différents

19 avec moi.

20 Enfin, c'est pour ça que j'ai pensé qu'il fallait faire ainsi,

21 parce que, en tant que gardien, il fallait que je les garde. Mais il n'y

22 avait pas vraiment de différences entre eux. Bon, je devais être là. Peut-

23 être que je leur parlais. Peut-être que j'établissais un contact.

24 Mme McMurrey (interprétation). - Quand vous dites que parfois

25 vous aviez peur des détenus dans le hangar 6, la nuit y avait-il deux

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1 gardiens qui gardaient 250 à 300 détenus ?

2 M. Landzo (interprétation). - Non, mais pas seulement la nuit,

3 vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils étaient toujours à deux. C'est

4 comme cela que les relèves se faisaient. Ils avaient des fusils M 48 à

5 cinq balles et à deux gardiens, avec ces fusils, nous gardions 250,

6 300 détenus et la porte du hangar pouvait se fermer de l'intérieur, alors,

7 vous pouvez imaginer. Cela, nous ne le savions pas. Et il y a toute une

8 paroi du hangar qui pouvait être ouverte, et en fait nous aurions eu peur

9 encore plus que nous n'avions déjà peur.

10 Mme McMurrey (interprétation). - Pour quelqu'un qui n'est pas

11 expert en matière militaire comme moi-même, lorsque vous dites que deux

12 gardiens gardaient tant des prisonniers avec deux anciens fusils, combien

13 de balles aviez-vous à vous deux ?

14 M. Landzo (interprétation). - J'avais cinq balles dans mon

15 fusil, lui en avait cinq dans le sien et peut-être que nous en avions

16 également dans notre poche, donc au total dix. Etant donné qu'il fallait

17 réarmer le fusil à chaque fois, cela posait problème car il fallait

18 plusieurs secondes pour le faire. Il fallait plusieurs secondes pour

19 qu'ils viennent du hangar jusqu'à nous, en courant.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Vous parlez d'armer le fusil.

21 Est-ce que vous deviez effectuer un mouvement avec le fusil, l'armer à

22 nouveau avant qu'il puisse tirer un nouveau coup ?

23 M. Landzo (interprétation). - Ce sont des carabines comme des

24 fusils de chasse. Il fallait retirer, il faut retirer la douille et en

25 remettre une nouvelle. C'est comme un fusil de chasse, une carabine. Je

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1 crois que c'est la même chose. Simplement, ici il s'agissait d'un ancien

2 fusil de l'armée qui avait déjà été utilisé auparavant.

3 Mme McMurrey (interprétation). - Revenons à ces représentants

4 des détenus. Est-ce que ces deux personnes qui représentaient les détenus

5 allaient chercher la nourriture ? Est-ce qu’ils effectuaient une

6 distribution de nourriture aux détenus ?

7 M. Landzo (interprétation). - Je sais de quoi il avait l'air

8 physiquement, je sais qu'il était de Donje Selo, je sais qu'il s'appelait

9 Cecez de son nom de famille.

10 Mme McMurrey (interprétation). - Je ne vous ai pas demandé de

11 décrire une personne. Je vous ai demandé si les représentants étaient ceux

12 qui s'occupaient de fournir la nourriture et de la distribuer aux détenus.

13 M. Landzo (interprétation). - Parfois ils y allaient, mais

14 d'autres fois c'était également d'autres personnes qui allaient chercher

15 la nourriture. Ces deux surveillants distribuaient parfois la nourriture,

16 parfois ils allaient chercher la nourriture pour aider, mais d'autres

17 personnes également y étaient envoyées, une autre personne ou deux autres

18 personnes allaient chercher la nourriture et ensuite ils ramenaient la

19 nourriture dans la prison.

20 Mme McMurrey (interprétation). - C'est donc quelqu'un de

21 l'intérieure du hangar n° 6 qui allait chercher la nourriture et qui

22 ensuite la distribuait. Ce n'était pas un des gardiens, n'est-ce pas ?

23 M. Landzo (interprétation). - Non, les gardiens n'apportaient

24 pas de nourriture. C'étaient les détenus qui le faisaient, mais les

25 gardiens accompagnaient, escortaient ces personnes du hangar 6 jusqu'au

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1 bâtiment de commandement et au retour. On ne pouvait pas les laisser y

2 aller tout seuls.

3 Mme McMurrey (interprétation). - J'aimerais éclaircir la

4 situation. Vous êtes arrivé à Celebici autour du 15 juin, c'est exact ?

5 M. Landzo (interprétation). - Oui.

6 Mme McMurrey (interprétation). - Et quand avez-vous quitté

7 Celebici ?

8 M. Landzo (interprétation). - A la fin du mois de juillet,

9 c'était peut-être autour du 26-27 juillet. A la fin du mois de juillet. Je

10 pense qu'il s'agissait d'une semaine ou deux après les tueries à Bradina

11 des policiers militaires, peut-être une semaine ou deux après environ.

12 C'est à ce moment-là que j'ai quitté Celebici.

13 Mme McMurrey (interprétation). - J'aimerais maintenant passer à

14 un certain nombre de chefs d'accusation de l'acte d'accusation qui vous

15 sont reprochés et je vous poserai des questions sur une personne en citant

16 son nom, et à ce moment-là j'aimerais que vous disiez ce qui est arrivé à

17 ces personnes-là à votre connaissance. D'accord ?

18 M. Landzo (interprétation). - Oui.

19 Mme McMurrey (interprétation). - J'aimerais parler des chefs

20 d'accusation n° 1 et n° 2. On parle du meurtre de Cepo Gotovac. Que savez-

21 vous de M. Gotovac et quand pensez-vous que cela s'est produit ?

22 M. Landzo (interprétation). - Il m'est difficile de me faire une

23 idée de cette personne en entendant son nom. Je pense que c'est une

24 personne qui avait été accusée d'avoir tué des Musulmans pendant la

25 Seconde guerre mondiale. Je crois savoir de qui il s'agit, si c'est bien

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1 cette personne.

2 Mme McMurrey (interprétation). - Je ne sais pas. Vous devrez me

3 dire ce qui lui est arrivé, si vous vous en souvenez, ou vous devrez dire

4 à la Chambre de première instance, je vous prie de m'excuser, Monsieur le

5 Président, Messieurs les Juges, ce qui est arrivé.

6 M. Landzo (interprétation). - Je connais bien des personnes,

7 mais si vous me donnez leurs noms, c'est parfois difficile de m'en

8 souvenir parce qu'il y avait parfois vingt, trente personnes qui portaient

9 le même nom de famille, parfois il y avait plusieurs personnes qui

10 portaient le même prénom. Donc, je vais essayer de dire ce qui s'est passé

11 avec cette personne. Je pense qu'il s'agit bien de cette personne.

12 M. le Président (interprétation) - Je pense qu'il faut revenir

13 aux chefs d'accusation, à l'acte d'accusation et parler du meurtre de

14 cette personne.

15 Mme McMurrey (interprétation). - Je pense que M. Gotovac,

16 apparemment, est la personne à qui on a cloué un écusson SDA sur le front.

17 Est-ce que cela vous aide ?

18 M. Landzo (interprétation). - Oui. C'est cette personne que l'on

19 avait accusée d'avoir tué quelques Musulmans pendant la Deuxième guerre

20 mondiale. Je vous prie de m'excuser, mais c'est difficile pour moi de me

21 souvenir des noms. Je peux me souvenir de certains événements, de

22 certaines personnes, mais pour ce qui est des noms... Je crois que c'est

23 autour du mois de juin que cette personne-là a été amenée dans le centre

24 de détention. Je n'étais pas de garde à ce moment-là. Je me trouvais

25 devant le bâtiment de commandement. J'étais assis sur les escaliers qui

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1 menaient à l'entrée lorsque cette personne a été amenée. Et autant que mes

2 souvenirs... autant que je sache, on l'a mis contre un mur. Il y a passé

3 environ quarante minutes les mains en l'air. On lui a demandé ses nom,

4 prénom, etc.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Nous ne savons pas de quoi il

6 s'agit dans ce bâtiment sanitaire. Est-ce que vous pourriez nous en dire

7 davantage ?

8 M. le Président (interprétation) - J'aimerais lui demander de

9 conclure et de revenir sur des éléments qui ne sont pas clairs.

10 Mme McMurrey (interprétation). - J'essayais simplement

11 d'éclaircir les choses.

12 M. le Président (interprétation) - Vous l'influencez.

13 Mme McMurrey (interprétation). - J'essaierai de ne pas le faire.

14 M. Landzo (interprétation). - Il s'agit du bâtiment C, et à cet

15 endroit-là, il a décliné son identité et je sais qu'à ce moment-là on a

16 trouvé un couteau à sa ceinture, dans le dos. Il portait l’inscription

17 "Kiseljak-Busovaca 1944", je crois.

18 J'ai demandé à M. Delic si je pouvais prendre ce couteau et il

19 m'a donné l'autorisation de le prendre. Plus tard, on l'a donné à une

20 équipe de télévision arabe. J'ignore pourquoi on leur a donné ce couteau.

21 Lorsqu'on lui demandait son nom, prénom, etc., après cela, pardon, on l'a

22 emmené au hangar n°6 et, après un certain temps, j'ai vu une personne âgée

23 devant le bâtiment. Je le voyais souvent, on l'appelait Dedo Huso. Je ne

24 sais pas quel était son nom de famille. Il est arrivé et il a demandé à

25 parler au commandant. Je sais qu'il parlait à travers la fenêtre au

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1 bâtiment où étaient Mucic et Delic. Il est entré dans le bureau. Je ne

2 sais pas exactement de quoi ils ont parlé.

3 Après dix, quinze minutes environ, Delic m'a demandé et il m'a

4 demandé de venir à la fenêtre. Je suis venu. J'ai vu que Delic, Mucic,

5 Buric, et ce Dedo Huso y était et je pense que Mucic a inscrit le nom de

6 ce nouveau détenu sur un morceau de papier. Il l'a donné à Delic qui me

7 l’a donné à moi et il m'a dit qu’il voulait que cette personne sorte par

8 la porte, les pieds devant, le lendemain. C'était pendant la journée.

9 C'était un ordre qu'on m'avait donné pendant la nuit.

10 Je suis parti. Il y avait peut-être trois, quatre autres

11 gardiens avec moi. J'ai fait sortir cette personne-là du hangar. Etant

12 donné que l'ordre m'avait été donné à moi, c'est moi qui devais faire

13 rapport par la suite sur ce qui s'était passé. Est-ce que l'ordre avait

14 été exécuté ou non ? Donc j'ai fait sortir cette personne du hangar, nous

15 l'avons fait sortir et nous cinq -je crois que nous étions cinq-, nous

16 avons frappé cette personne-là, nous lui avons donné des coups de pied ou

17 frappé avec un fusil. Il faisait nuit. C'était difficile de voir dans la

18 nuit et cette partie-là n'était pas éclairée. Nous l'avons battu. Après

19 une demi-heure environ, j'ai ramené cette personne. Je sais qu'il était

20 vivant lorsque je l’ai ramené. Je suis revenu et j'ai dit à M. Delic que

21 son ordre avait été exécuté. Le matin, j'ai appris que cette personne-là

22 était décédée.

23 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous dites que vous

24 l'avez fait sortir, est-ce que vous êtes allé vers la porte du hangar

25 numéro 6 et vous avez demandé à cette personne, M. Cepo Gotovac, de

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1 sortir ?

2 M. Landzo (interprétation). - Oui.

3 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous dites qu'il a été

4 battu par quatre ou cinq gardes, est-ce que cela signifie que chacun

5 d'entre eux avait reçu l'ordre d'exécuter cette action ?

6 Mme McHenry (interprétation). - Monsieur le Président, je vous

7 prie de m'excuser, mais j'aimerais m'opposer aux questions tendancieuses

8 du conseil de la défense, y compris cette question.

9 M. le Président (interprétation). - Les instructions lui avaient

10 été données.

11 Mme McMurrey (interprétation). - Comment est-ce que les autres

12 gardes y ont participé ?

13 M. Landzo (interprétation). - Peut-être qu'à eux aussi on avait

14 donné l'ordre de le faire. Quand j'ai commencé à exécuter cet ordre, ils

15 se sont joints à moi. Ils m'ont dit qu'à eux aussi on leur avait dit de le

16 faire. Est-ce qu'on leur avait dit de le faire, est-ce qu'on leur avait

17 ordonné de le faire ? Je n'en sais rien. Mais, je sais qu'à moi, on avait

18 ordonné de faire en sorte que cette personne sorte de la porte d'entrée

19 les pieds devant.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous avez ramené

21 M. Gotovac vers le hangar, est-ce que vous l'avez ramené à l'intérieur ?

22 Comment est-il revenu au hangar ?

23 M. Landzo (interprétation). - Il marchait, mais il était un peu

24 courbé. Je l'aidais à marcher. Nous le soutenions. Un autre gardien

25 m'aidait à le soutenir par les bras et étant donné que nous ne pouvions

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1 entrer dans le hangar à proprement parler, nous avons ouvert la porte. Il

2 a fait deux ou trois pas, et il s'est assis. En tout cas c'est ce que j'ai

3 entendu, car je n'ai rien vu. Et le lendemain, j'ai entendu d'un autre

4 gardien qu'un détenu était mort. J'ai supposé qu'il s'agissait de lui.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Je vous prie de m'excuser, je

6 n'ai pas entendu la fin de l'interprétation. Lorsque vous l'avez escorté

7 vers le hangar n° 6, est-ce qu’il avait quelque chose sur son front à ce

8 moment-là ?

9 M. Landzo (interprétation). - Non. Je dois vous dire la chose

10 suivante. Lorsque nous recevions ordre d'exécuter quelque chose ou quoi

11 que ce soit, l'ordre était clair. Il fallait faire en sorte que les

12 détenus, dans n'importe quel cas, qu'il s'agisse de les battre à mort ou

13 de leur donner des coups comme cela, il ne fallait pas les frapper à la

14 tête, il ne fallait pas qu'ils aient des cicatrices ou des bleus à la

15 tête. Il n'y avait donc aucune possibilité de faire quoi que ce soit à

16 leur tête dans n'importe quelle circonstance. Donc nous frappions surtout

17 le bas du corps.

18 Je ne sais pas pourquoi on nous avait dit cela, mais c'est ce

19 que l'on nous avait dit et tout le monde se tenait à ces ordres.

20 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous avez placé un

21 badge du SDS sur le front de M. Gotovac ou est-ce que vous avez vu

22 quelqu'un d'autre le faire ?

23 M. Landzo (interprétation). - Moi, non, mais vous savez, tout

24 est possible. Il faisait nuit. Il y avait cinq, six hommes qui frappaient.

25 Peut-être que quelqu'un l'a fait ? Peut-être que... Je ne peux rien

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1 affirmer. Je sais que personnellement je ne l'ai pas fait. S'il s'agit...

2 Si quelqu'un d'autre l'a fait, je ne sais pas. Tout est possible. Je ne

3 sais pas. Je sais que moi, je ne l'ai pas fait.

4 Mme McMurrey (interprétation). - Et vous dites qu'on vous a

5 interdit d'entrer dans le hangar numéro 6 après la tombée de la nuit.

6 Quelle en est la raison ?

7 M. Landzo (interprétation). - Probablement pour que les détenus

8 ne s'en prennent pas aux gardiens. Je ne sais pas pourquoi on nous avait

9 dit cela. Mais, on nous avait donné l'ordre de le faire. Nous n'avions pas

10 le droit d'entrer dans le hangar, mais d'ouvrir la porte pour que les

11 détenus rentrent. Il n'y avait pas de lumière dans le hangar, par

12 conséquent aucun gardien n'entrait dans le hangar pendant la nuit, ni dans

13 le tunnel 9, autant que je sache, autant qu'on me l'ait dit. C'est ce que

14 j'ai entendu des récits des autres, car ce n'était pas là mon poste de

15 garde.

16 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous auriez eu peur

17 d'entrer ?

18 M. Landzo (interprétation). - Oui, absolument. 250 personnes à

19 l'intérieur, vous entrez tout seul, vous ne savez pas ce qui peut vous

20 arriver. On pouvait s'attendre à ce que chaque détenu essaie de s'enfuir

21 du centre de détention, de la prison. Il y a eu des cas d'attaque contre

22 des gardiens, d'après ce que j'ai entendu, des tentatives d'évasion.

23 Mme McMurrey (interprétation). - Passons aux chefs

24 d'accusation 5 et 6. Est-ce que vous connaissez un homme de Bosnie

25 d'appartenance serbe, du nom de Simo Jovanovic ?

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1 M. Landzo (interprétation). - Non, je ne le connaissais pas

2 avant la guerre, même si j'ai appris par la suite qu'il habitait dans ma

3 rue. Mais je ne le connaissais pas. J'ai su de qui il s'agissait qu'après

4 sa mort.

5 Un soir, j'étais de garde, et un groupe de gardiens est arrivé

6 qui venaient d'arriver pour prendre leurs fonctions dans la prison. Ils

7 venaient du village de Idbar d'où Simo venait, où il était né, où il avait

8 une grande propriété avec un étang, etc. Ils sont arrivés et au moment où

9 ils sont arrivés devant le hangar, étant donné que j'étais sur la colline,

10 ils m'ont demandé de descendre, ils m'ont appelé et ils m'ont dit qu'ils

11 devaient parler avec Simo Jovanovic.

12 Etant donné qu'il y avait deux endroits d'où on montait la

13 garde, la procédure était que la personne qui montait la garde sur la

14 colline devait descendre pour parler avec les détenus, alors que l'autre

15 personne qui était face à la porte d'entrée devait toujours être là à côté

16 de la mitrailleuse, au cas où un groupe important de détenus aurait essayé

17 de sortir. Je suis descendu. J'ai demandé pourquoi ils avaient besoin de

18 moi. Ils m'ont dit qu'ils devaient s'entretenir avec lui. Il n'y avait pas

19 de possibilité pour qu'à l'époque je vérifie s'ils avaient un ordre ou

20 non. Il y avait un téléphone, mais il ne marchait pas. Donc, ils l'ont

21 fait sortir, ils l'ont emmené en direction du hangar, de l'atelier où plus

22 tard, il y avait un atelier de fabrication d'armes. Je suis resté à mon

23 poste de garde. J'ai entendu des coups. J'ai entendu des cris. Et

24 quinze minutes plus tard, quelqu'un de ce groupe m'a appelé. Il m'a dit :

25 "Nous venons d'en terminer avec ce Chetnik, nous venons d'écrire son

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1 testament". Alors moi et l'autre gardien, nous l'avons traîné. Il était

2 très grand, il faisait 1,90 m, peut-être même plus. Il était assez

3 corpulent. Et à grand-peine nous l'avons traîné, enfin nous l'avons aidé à

4 revenir au hangar, et le lendemain, j'ai appris qu'il était mort. Je ne

5 sais pas à cent pour cent pourquoi on l'a tué, mais par la suite, j'ai

6 appris que sa propriété avait été répartie entre les habitants. Je ne sais

7 pas si c'est exact ou non. Je sais que ce groupe l'a battu et qu'il est

8 mort des coups.

9 Mme McMurrey (interprétation). - Vous dites qu'il a été emmené

10 vers l'atelier. Est-ce que vous pourriez nous indiquer sur la maquette où

11 se trouve l'atelier ?

12 (Le témoin désigne l'endroit.)

13 Il s'agit donc du hangar qui se trouve à côté du hangar

14 numéro 6 ?

15 M. Landzo (interprétation). – Oui.

16 Mme McMurrey (interprétation). - Vous n'avez pas pris part du

17 tout ? Avez vous participé ou non au passage à tabac de M. Jovanovic ?

18 M. Landzo (interprétation). – Non. Je n'ai pas reçu d'ordre dans

19 ce sens. A l'époque, j'étais de garde, je montais la garde. Je n'ai fait

20 que ramener cette personne, car c'était là mon devoir.

21 Mme McMurrey (interprétation). - Le poste que vous occupiez dans

22 la tranchée au-dessus du hangar numéro 6, est-ce que c'est la position...

23 Est-ce que c'est de ce poste, de ce trou d'homme, que vous pouviez

24 communiquer avec les détenus ?

25 M. Landzo (interprétation). – Oui. C'est de là qu'on allait

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1 communiquer avec les détenus, car l'autre gardien devait forcément rester

2 à proximité de la mitrailleuse qui gardait la porte d'entrée du hangar.

3 Mme McMurrey (interprétation). - Le 12 juillet 1992, que s'est-

4 il passé, si vous vous en souvenez ?

5 M. Landzo (interprétation). – Oui, je m'en souviens. C'était

6 autour de 13 heures ou de 14 heures. Je venais de rentrer de mon tour de

7 garde du hangar 6. Je suis venu devant le bâtiment de commandement.

8 M. Delic est sorti de ce bâtiment et il a dit que je devais… que tous les

9 gardiens qui étaient libres devaient se préparer. Il fallait aller à

10 Bradina, car des policiers avaient été tués par des Chetniks. A ce moment-

11 là, douze d'entre-nous, douze gardiens, avec Sejo Mustafic et Brusevic qui

12 conduisait la camionnette, nous sommes allés à Podorasac et ensuite à

13 Bradina où nous avons ratissé le terrain suite au meurtre de ces

14 policiers.

15 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous êtes arrivés à

16 Bradina, est-ce que c'était une ville qui s'appelait Repovci ?

17 M. Landzo (interprétation). – C'était à mi-chemin entre Bradina

18 et Repovci que ce meurtre a eu lieu. Certains disent que c'était à

19 Bradina, d'autres à Repovci, mais c'était à mi-chemin, environ entre ces

20 deux villages.

21 Mme McMurrey (interprétation). - Et qu'avez-vous trouvé à votre

22 arrivée là-bas ?

23 M. Landzo (interprétation). – Mon frère faisait partie de la

24 police militaire déjà à l'époque, et j'ai entendu qu'à Bradina, quatre

25 policiers militaires avaient été tués. J'avais peur que ce ne soit mon

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1 frère. On parlait déjà de qui composait la patrouille, le nom de mon frère

2 avait été évoqué, et jusqu'à notre arrivée à Bradina, je ne savais pas de

3 qui il s'agissait exactement. Ce n'est que lorsque nous sommes arrivés,

4 que j'ai pu voir qui avait été tué et comment.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Et qui avez-vous reconnu ?

6 M. Landzo (interprétation). – J'ai reconnu quatre policiers

7 militaires. Pour ce qui est des cinq autres qui étaient avec les policiers

8 militaires, je ne les ai pas reconnus. J'ai reconnu Aziz Arahmets, le

9 frère d'Aziz Jusufosic, j'ai reconnu Ive mon voisin, j'ai reconnu

10 Isakc Pando, qui travaillait, à un certain moment, au restaurant de Miro

11 et j'ai reconnu Zvonimir Pandzo, je crois, un autre de mes voisins, un

12 autre de mes voisins qui était un Croate. Ces quatre-là ont été tués ainsi

13 que ces cinq civils.

14 En fait, il y avait cinq policiers et il y avait un autre jeune

15 homme qui venait d'arriver avant la guerre d'Allemagne et qui s'était

16 associé à eux. Il a été tué, on lui a coupé les deux oreilles après sa

17 mort. Il n'y avait pas de sang qui coulait, donc j'en ai déduit que

18 c'était après sa mort qu'on lui avait coupé les deux oreilles.

19 Mme McMurrey (interprétation). - Et quelles sont les

20 circonstances dans lesquelles vous avez trouvé Ibro ?

21 M. Landzo (interprétation). - Je me suis approché d'un cadavre

22 et à 100 ou 200 mètres de là, je l'ai reconnu. Je l'ai reconnu de par sa

23 silhouette. Je l'ai reconnu tout de suite et je me suis assis par terre. A

24 ce moment-là, je me suis dit que j'aurais préféré que mon frère soit à sa

25 place. Et j'ai quand même réussi à me relever, à m'approcher. Il était

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1 couché le visage contre terre. Il avait des blessures, des trous de balle

2 dans le corps.

3 Aziz était à côté de lui, c'est le frère de Asaf. Il avait le

4 mollet arraché. Il y avait également Isad que je connaissais. Il était

5 couché sur le dos. Il avait la bouche et les yeux ouverts et il avait une

6 expression du visage comme s'il connaissait la personne qui l'avait tué.

7 Une expression de surprise, vous voyez.

8 Pandja était là également. Il était couché sur le ventre, il

9 avait une blessure à la tête.

10 Et pour l'autre, que l'on appelait Bato, qui venait d'arriver

11 d'Allemagne, il était par terre de l'autre côté de la camionnette. On

12 avait coupé les deux oreilles et on avait coupé le pénis à un des deux

13 civils.

14 Il y avait des corps éparpillés partout, de tous les côtés.

15 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous avez vu cela, est-

16 ce qu'on vous avait confié une tâche précise à accomplir à ce moment-là ?

17 M. Landzo (interprétation). - Où ? A Bradina ou à Celebici ?

18 Mme McMurrey (interprétation). - A cet endroit-là. Vous y êtes

19 venu dans un certain but, pas simplement pour voir ces cadavres. Quel

20 était votre but, votre objectif ?

21 M. Landzo (interprétation). - Avant d'arriver à cet endroit-là,

22 nous avons ratissé le terrain, fouillé le terrain. Nous avons eu un trajet

23 de 45 minutes avant d'arriver là. Nous avons fouillé le terrain. On nous a

24 dit qu'il s'agissait de Serbes qui étaient à Bradina qui en étaient

25 responsables. Nous avons donc fouillé cette zone pour voir si nous

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1 pouvions trouver des traces, des indices qui nous auraient dit qui en

2 était responsable. Nous avons donc ratissé le terrain, en tout cas mon

3 groupe l'a fait. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre a poursuivi cela.

4 Après avoir vu tout cela, nous sommes rentrés à Celebici.

5 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que Damir Gogic était

6 avec vous ?

7 M. Landzo (interprétation). - Il était avec les membres de la

8 police militaire. Oui, je l'ai vu à Bradina. Il y était. Il y avait

9 pratiquement tous les autres membres de la police militaire de l'armée de

10 Bosnie-Herzégovine de Konjic.

11 Mme McMurrey (interprétation). - Et ensuite, êtes-vous rentré à

12 Celebici ?

13 M. Landzo (interprétation). - Oui, après environ une demi-heure,

14 après cet endroit, nous sommes rentrés à Celebici et nous sommes rentrés à

15 nos devoirs, à nos tâches, à nos tours de garde, etc.

16 Mme McMurrey (interprétation). - Et lors de votre retour à

17 Celebici en camion, est-ce que vous avez échangé quelques mots ?

18 M. Landzo (interprétation). - Non, personne. Nous étions douze.

19 Personne n'a rien dit. On voyait que tout le monde était triste. Nous

20 connaissions tous ces policiers. Nous étions tous plongés dans nos pensées

21 et personne n'a parlé. Tout le monde était secoué par ce qu'il avait vu,

22 toutes les personnes qui avaient vu cela.

23 Mme McMurrey (interprétation). - Lorsque vous êtes rentrés à

24 Celebici, qu'est-ce qui est arrivé ?

25 M. Landzo (interprétation). - Lorsque nous sommes revenus à

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1 Celebici, devant le bâtiment du commandement, à la fenêtre de la cuisine,

2 deux détenus étaient en train de couper du pain et de préparer le repas

3 des détenus. La camionnette s'est arrêtée. Elle n'était pas encore arrêtée

4 que nous sortions tous du véhicule et nous avons commencé à frapper ces

5 deux détenus et ensuite nous avons été sortis comme d'une torpeur, comme

6 d'un rêve, au moment où M. Delic a pris un fusil et a tiré des coups en

7 l'air.

8 Mme McMurrey (interprétation). - Et que s'est-il passé ensuite ?

9 M. Landzo (interprétation). - Après cela, après plusieurs

10 minutes, je crois, je suis allé vers le hangar n° 6. Vous savez, je les

11 connaissais. Il s'agissait parfois de certains de mes meilleurs amis qui

12 avaient été tués et j'étais en colère, car on nous avait dit qu'il

13 s'agissait de Serbes qui habitaient à Bradina. Je suis arrivé au hangar et

14 j'ai dit à tous les détenus de Bradina de se lever et sur la droite, quand

15 vous entrez, à l'entrée du hangar, j'ai commencé à frapper certains

16 détenus pour... Ce n'était pas tellement pour les blesser, mais pour me

17 libérer de ma colère. Et la troisième, quatrième personne que j'ai frappée

18 est tombée à terre.

19 Mme McMurrey (interprétation). - Je peux vous poser une

20 question ? Vous parlez de battre. Est-ce que vous voulez dire par là que

21 vous les avez battues une fois, deux fois, pendant une période prolongée,

22 ou est-ce que vous passiez d'une personne à l'autre ?

23 M. Landzo (interprétation). - Deux coups, trois coups. En fait,

24 je passais de l'un à l'autre parmi ceux qui se trouvaient là, pas

25 seulement des gens de Bradina. Ce sont les trois premiers que j'ai

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1 frappés. Je les ai frappés deux ou trois fois. Je ne me concentrais pas

2 sur un homme que j'aurais frappé sans arrêt et exclusivement. Mais j'étais

3 fâché contre ces hommes parce qu'on nous avait dit que les responsables

4 étaient des Serbes de Bradina. Donc j'en ai frappé deux ou trois et le

5 quatrième que j'ai frappé est tombé. Je me suis arrêté et j'ai entendu

6 qu'il respirait un peu comme s'il perdait son souffle, avec un bruit

7 particulier. Donc je me suis arrêté et je me suis rendu auprès de

8 quelqu'un qui avant la guerre travaillait à l'hôpital. Il lui a apporté de

9 l'aide. Je sais qu'il lui a fait quelque chose. Quoi exactement ? Je ne

10 sais pas, mais ce que je sais c'est que ce sifflement s'est arrêté. A ce

11 moment-là, je me suis approché d'un prisonnier. On l'a emmené à

12 l'infirmerie.

13 Pour vous dire la vérité, je n'avais pas l'intention... Même si

14 j'avais l'intention de ne pas en frapper un seul, mais de les frapper

15 tous, mais vraiment je ne suis pas allé là-bas pour frapper cet homme.

16 Plus tard, j'ai appris, un jour plus tard, en parlant à son

17 fils, qu'il avait depuis longtemps un problème de coeur. C'est sans doute

18 la raison de ce qui s'est passé, que je l'ai frappé une ou deux fois et

19 que les problèmes en question ont surgi. Des problèmes qui ont débouché

20 sur sa mort parce qu'il est mort plus tard à l'infirmerie.

21 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous l'avez emmené

22 vous-même à l'infirmerie ?

23 M. Landzo (interprétation). - Non. Il y a deux ou trois

24 prisonniers qui m'ont aidé. Il a été porté à bras d'homme. Peut-être qu'il

25 aurait pu marcher, mais enfin, nous l'avons emmené. Nous l'avons porté. Et

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1 là-bas, les médecins ont essayé de faire quelque chose, mais

2 malheureusement ils n'ont pas réussi et il est mort ce jour-là. Je ne sais

3 pas exactement à quelle heure, mais il est mort ce même jour.

4 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous êtes allé à

5 l'infirmerie vérifier dans quel état il était ?

6 M. Landzo (interprétation). - Oui, j'étais debout à la porte

7 d'entrée de l'infirmerie pendant que les médecins s'occupaient de lui.

8 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous avez dit quoi

9 que ce soit au médecin ?

10 M. Landzo (interprétation). - Je crois avoir dit : "Essayez de

11 le sauver, voyez ce qui se passe, évitez qu'il ne meurre", quelque chose

12 dans ce sens-là. Je ne peux pas vous dire textuellement les mots que j'ai

13 prononcés, mais c'était le sens.

14 Mme McMurrey (interprétation). - Est-ce que vous agissiez sur

15 ordre à ce moment-là ?

16 M. Landzo (interprétation). - Non.

17 Mme McMurrey (interprétation). - Monsieur le Président, Madame,

18 Messieurs les Juges, si l'heure est appropriée pour lever l'audience, il

19 fait vraiment chaud ici, je suppose que tout le monde souffre pas mal,

20 donc nous pourrions peut-être poursuivre demain.

21 M. le Président (interprétation) - Oui, nous pourrons poursuivre

22 demain. Nous poursuivrons d'ailleurs demain matin à 10 heures.

23 Mme McMurrey (interprétation). - Merci.

24 M. le Président (interprétation) - La Chambre de première

25 instance suspend son audience.

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1 L'audience est suspendue à 17 heures 35.

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