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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL Affaire IT-96-21-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3 Lundi 31 août 1998
4 LE PROCUREUR
5 c/
6 ZEJNIL DELALIC, HAZIM DELIC, ZDRAVKO MUCIC et ESAD LANDZO
7 L'audience est ouverte à 11 heures 05.
8 M. le Président (interprétation). - Bonjour, Mesdames et
9 Messieurs. Nous sommes de retour après une très longue interruption et je
10 sais que vous avez tous fait de grands efforts pour vous rendre ou faire
11 vos travaux dans les échéances prévues et je vous félicite de votre
12 travail.
13 Je crois qu'il y a un certain nombre de requêtes qui ont été
14 déposées et il y a notamment l’une de ces requêtes qui, je crois, a été
15 déposée par Mme McMurrey. Il y a également une requête déposée par le
16 conseil principal de M. Mucic. Pensez-vous qu'il soit encore nécessaire de
17 traiter cette requête ?
18 Mme McMurrey (interprétation). - Oui, effectivement je pense
19 qu'une objection est nécessaire. Bien entendu, je ne vais pas reprendre
20 toute cette requête. Tout ce que j'ai dit dans ma requête est encore
21 valable. Madame Butorovic a été notre enquêteur dans cette affaire. Il y a
22 un certain problème pour ce qui est du règlement des honoraires. M. Landzo
23 a signé une dérogation afin de lui permettre d'être également l'enquêteur
24 dans le cadre de l'affaire de M. Mucic, mais il n'a, en revanche, pas
25 signé de dérogation afin de lui permettre de dire qu'il n'y avait pas de
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1 conflit d'intérêt s'il devenait conseil principal de M. Mucic.
2 Il y a autre chose que j'aimerais souligner et que je n'ai pas
3 dit dans la requête. En effet, elle représentait également deux de nos
4 témoins qui ont été convoqués ici par injonction et qui ont refusé de
5 témoigner, ce qui constitue un conflit d'intérêt. Je ne pense pas que ceci
6 nuira à la défense de M. Mucic si Mme Butorovic ne peut plus représenter
7 M. Mucic.
8 M. le Président (interprétation). - Pensez-vous faire une
9 plaidoirie finale qui ne va pas apporter de nouveaux éléments de preuve ?
10 Mme McMurrey (interprétation). - Je ne suis pas sûre de la
11 nature de la question posée, mais je crois que s'il y a un verdict de
12 culpabilité qui est rendu il y a beaucoup d'hypothétiques. Si,
13 effectivement, on arrive au niveau de la condamnation, les connaissances
14 dont dispose Mme Butorovic en tant qu'enquêteur pour nous et étant donné
15 le conflit d'intérêt latent du fait du conflit qui a existé avec nous, si
16 nous allons au-delà du verdict, s'agissant des plaidoiries finales,
17 Monsieur le Président, je ne pense pas que ceci suscite d'énormes
18 conflits au niveau de ces plaidoiries, si c'était bien votre question.
19 M. le Président (interprétation). - Oui, c'est ce qui
20 m'intéressait.
21 M. Jan (interprétation). - Pourriez-vous vous limiter aux moyens
22 de preuve qui ont été déposés devant nous et le fait que Me Butorovic
23 dispose de certains éléments qu'il ne faudrait pas dévoiler à la Cour ?
24 Est-ce très important et ne peut-on pas se limiter à la présentation des
25 moyens de preuve ? Maître Butorovic n'est pas associée à la défense d'un
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1 quelconque des accusés. Maintenant, nous n'en sommes plus qu'au niveau des
2 plaidoiries.
3 Mme McMurrey (interprétation). - Vous avez tout à fait raison.
4 Je pense qu'à ce stade, Me Butorovic n'aurait pas de conflit d'intérêt.
5 Mais à l'avenir, si on arrive à la phase de la condamnation, au moment où
6 tous les moyens de preuve sont pertinents, il y aura peut-être conflit
7 d'intérêt à ce moment-là.
8 M. Jan (interprétation). - Vous pourrez alors soulever cette
9 question à ce moment-là.
10 Mme McMurrey (interprétation). - Je vous remercie.
11 M. le Président (interprétation). - Je crois que l'incident est
12 clos. Nous n'allons pas devoir vous demander de réactions à la requête
13 déposée. Maître Butorovic, vous êtes tout à fait habilitée à participer
14 aux plaidoiries finales pour défendre les intérêts de M. Mucic.
15 Y a-t-il d'autres requêtes en suspens dont nous n'aurions pas
16 été saisis ? Maître Moran, je crois que votre requête n'a pas besoin
17 d'être évoquée ici.
18 M. Moran (interprétation). - Vous avez tout à fait raison. Je
19 crois qu'effectivement, avec la décision rendue, le problème est résolu.
20 La requête n'a plus de raison d'être. Ce qui me préoccupait était de
21 savoir si la Chambre de première instance était privée de compétence. Mais
22 puisqu'il y a eu une bonne décision de la part de la Chambre d'appel, il
23 n'y a plus de problème.
24 M. le Président (interprétation). - Vous semblez plus intéressé
25 à cette question que la Chambre d'appel elle-même, ce qui me semblait
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1 quelque peu maladroit.
2 M. Moran (interprétation). - Tout ce que je peux dire en
3 réponse, c'est que je pensais surtout à la question de la compétence, et
4 je ne voulais pas que la Chambre de première instance et la Chambre
5 d'appel soient saisies de la même affaire concomitamment et qu'il y ait un
6 jeu d'équilibre pour savoir qui s'occupait de quoi. Je crois que
7 maintenant tout le monde est satisfait.
8 M. le Président (interprétation). - Merci beaucoup. Je crois que
9 vous avez tous reçu le programme prévu pour le réquisitoire et les
10 plaidoiries finales. C'était la procédure que nous avions l'intention
11 d'adopter.
12 Pouvons-nous demander à l'accusation de présenter le résumé de
13 son réquisitoire ?
14 Mme McHenry (interprétation). - Merci, Madame et Messieurs
15 les Juges. Je m'appelle Teresa McHenry, je représente le Bureau du
16 Procureur et je comparais avec Me Niemann, représentant de l'accusation
17 principale et M. Huber. Je souhaite le bonjour aux conseils de la défense
18 également.
19 Madame et Messieurs les Juges, ce Tribunal représente un cas
20 sans précédent et un défi. Nous sommes ici, nous, représentants de la
21 communauté internationale, afin de poursuivre ces personnes présumées
22 responsables de violations graves du droit international humanitaire et
23 nous devons le faire de façon impartiale, sans tenir compte de
24 l'appartenance ethnique, sans tenir compte de considérations politiques et
25 sans avoir recours à une justice des vainqueurs.
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1 Ce Tribunal doit mener un procès juste qui a pour objectif de
2 découvrir la vérité tout en restant équitable vis-à-vis des parties, des
3 victimes et, bien entendu, des accusés eux-mêmes.
4 Après le procès, si preuve n'a pas été faite de la culpabilité
5 des accusés au-delà de tout doute raisonnable, il est de la mission du
6 Tribunal de les acquitter. En revanche, si preuve a été faite de la
7 culpabilité des accusés, au-delà de tout doute raisonnable, ce Tribunal
8 devra les condamner. Cela fait, lorsqu'il aura été fait la preuve de la
9 responsabilité de ces accusés, la justice aura été rendue et ce Tribunal
10 aura accompli une de ses missions fondamentales, à savoir montrer aux
11 habitants de l'ex-Yougoslavie et à la communauté internationale en général
12 que, même en temps de guerre, certaines limites existent, que les
13 principes de droit international ont un sens dans ce monde moderne et dans
14 ces guerres modernes et que les personnes qui enfreignent ces dispositions
15 peuvent être punies.
16 Soyons honnêtes. Ce n'est pas une tâche facile. Pour des raisons
17 pratiques, émotionnelles, juridiques, c'est un processus difficile et
18 laborieux, d'autant plus difficile ici parce que, d'une part, ce Tribunal
19 est un cas sans précédent, mais ce procès même est sans précédent. Cette
20 Chambre statuera et rendra un verdict sur des questions, sur des questions
21 de responsabilité de supérieurs hiérarchiques, sur des questions nouvelles
22 donc, sur des questions de santé mentale et sur d'autres questions, j'en
23 suis sûre.
24 Cette mission de découverte de la vérité n'est pas toujours
25 aussi simple qu'elle l'est dans les systèmes nationaux. Au moment où les
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1 crimes ont été commis, il n'y avait pas de forces
2 de police indépendantes. Il y avait une guerre. Par conséquent, certains
3 éléments, des documents, des autopsies ou bien des interviews faites à
4 l'époque des conflits n'ont pas été versés au dossier, peut-être, entre
5 autre, parce qu'une guerre avait lieu. Et même si ces éléments concrets
6 existaient, ils étaient peut-être non disponibles parce qu'ils ont été
7 détruits après la guerre, parce qu'ils se trouvent aux mains de personnes
8 qui n'ont pas pour intérêt de les communiquer. Par conséquent, les
9 éléments de preuve présentés ont parfois une forme différente.
10 D'autre part, pour ce qui est des témoins, il est parfois
11 difficile de les faire déposer. Parfois, les témoins ne peuvent pas être
12 localisés ou bien ils sont traumatisés ou effrayés pour venir témoigner.
13 Et lorsque les témoins viennent, il y a certaines différences
14 linguistiques ou des différences culturelles dont il faut tenir compte.
15 Mais au cours de la procédure de présentation et d'évaluation des témoins,
16 il faut prendre un certain temps, il faut peut-être y consacrer plus
17 d'efforts. Cependant, la procédure utilisée est la même que dans d'autres
18 tribunaux. Il faut évaluer les éléments de preuve, les conclusions que
19 l'on peut tirer de ces éléments de preuve, comment évaluer la crédibilité
20 des témoins qui déposent. Et pour faire cela, vous allez avoir recours à
21 votre expérience en tant que juriste, en tant qu'être humain et vous
22 compterez sur votre bon sens.
23 Par conséquent, la procédure sera peut-être un peu plus longue
24 et un peu plus difficile. Cependant elle reste la même. Et, bien entendu,
25 la question ultime reste également la même : les éléments de preuve
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1 démontrent-ils la culpabilité des accusés, au-delà de tout doute
2 raisonnable ? Lorsque l'on se penche sur cette affaire, Madame et
3 Messieurs les Juges, lorsqu'on évalue les témoignages, les éléments de
4 preuve concrets, les conclusions que l'on peut tirer des éléments de
5 preuve,
6 Nous affirmons qu'il n'y a qu'une conclusion à tirer, à savoir
7 que les éléments de preuve ont démontré, au-delà de tout doute
8 raisonnable, que les quatre accusés présents dans
9 cette affaire sont coupables.
10 Il y a deux questions qui se posent dans cette affaire ou deux
11 types de questions : l'une d'entre elles est liée à la nature des crimes
12 commis et l'autre est liée à la responsabilité pour ces crimes.
13 Pour commencer, j'aimerais parler du droit applicable dans le
14 cadre de ces crimes. L'accusation affirme qu'il ne peut pas y avoir de
15 contestation véritable. Les actes reprochés ici, meurtres, tortures, viols
16 sont des crimes sanctionnés par les articles 2 et 3 du Statut. Nous disons
17 également qu'il ne peut pas y avoir de contestation quant au fait que
18 l'article 3 s'applique dans le cadre de cette affaire.
19 Cependant, l'article 2 pose problème, à savoir "infraction grave
20 aux Conventions de Genève". La défense interprétera le droit de façon
21 étroite. En effet, cet article ne s'appliquera que dans certaines
22 situations : lorsque des armées bien organisées en uniforme se battent
23 l'une contre l'autre. Cependant, le monde n'est plus si simple : les pays
24 font sécession les uns par rapport aux autres, ils sont reconnus en tant
25 que pays à différentes périodes. Le droit à la citoyenneté est assez
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1 compliqué, les uniformes ne sont pas toujours portés. Et lorsque les lois
2 de citoyenneté n'existent pas toujours et même si elles finissent par
3 exister, elles ne sont pas toujours conformes au droit international.
4 Mais le droit international humanitaire, et notamment ses
5 évolutions depuis la Seconde Guerre mondiale, ne demande pas que le monde
6 lui fournisse une image simple pour que le droit international humanitaire
7 s'applique. L'application du droit international humanitaire dépend de la
8 réalité de la situation. Par conséquent, il ne suffit pas de porter un
9 uniforme pour pouvoir jouir du statut de prisonnier de guerre. Parfois,
10 les citoyens sont protégés même lorsque les règles, même lorsque le droit
11 de la citoyenneté n'est pas entièrement clair. Même dans cette affaire, la
12 réalité de la situation, telle qu'elle a été prouvée par l'accusation et
13 reconnue d'ailleurs par les témoins de la défense, reconnue par le
14 gouvernement de la Bosnie-Herzégovine au nom
15 desquels les accusés agissaient en 1992.
16 Donc, la réalité de la situation était qu'il régnait un conflit
17 armé international et que les personnes arrêtées et maintenues à Celebici
18 l'ont été parce qu'elles étaient considérées comme étant des Serbes et
19 sans doute des prisonniers de guerre. L'article 2 devrait donc protéger
20 les victimes se trouvant au camp de Celebici.
21 En ce qui concerne les actes reprochés, vous avez entendu des
22 témoignages émanant de 30 détenus, 30 personnes courageuses, 30 personnes
23 survivantes qui sont venues des quatre coins du monde afin de vous compter
24 leur expérience et de vous parler de l'expérience des autres. Certaines
25 sont restées à Celebici sept mois. Certaines en portent encore les
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1 cicatrices émotionnelles et physiques.
2 Cela fait un certain temps que nous avons entendu ces
3 témoignages et il est simple maintenant que nous parlons de la structure
4 de l'armée de Bosnie, des structures de droit international, des
5 antécédents psychiatriques d'un accusé, il est difficile d'oublier ces
6 victimes. Et d'ailleurs, il est souvent utile et nécessaire d'établir une
7 certaine distance entre nous et les crimes commis.
8 Mais on ne peut pas complètement oublier les crimes et les
9 victimes. On se souviendra notamment du témoignage de certaines victimes,
10 et il suffit d'y penser simplement quelques minutes. Les crimes ont bien
11 été commis, les crimes qui justifient notre présence ici aujourd'hui. Vous
12 avez entendu un certain nombre de victimes, une femme qui, après avoir été
13 violée plusieurs fois par des personnes suffisamment jeunes pour être ses
14 fils, ne sera plus jamais la même. Certaines personnes ont été brûlées,
15 certaines autres ont vu des mèches placées dans leur anus. Des personnes
16 que l'on a forcées à avoir des rapports sexuels avec des membres de leur
17 famille, des personnes qui ont été frappées suffisamment pour perdre
18 conscience, des personnes qui ont été frappées si violemment qu'elles ne
19 pouvaient plus marcher pendant plusieurs jours, qu'elles devaient déféquer
20 dans leur seul pantalon. Des gens étaient forcés à regarder pendant que
21 leur père, leur fils, leurs amis ou leurs voisins étaient frappés, souvent
22 à mort.
23 Nombre des incidents dont ont parlé les victimes étaient
24 particulièrement frappants parce que la violence utilisée était tout à
25 fait choquante. Mais ils ont également parlé des incidents quotidiens, des
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1 choses qui se passaient chaque jour, des personnes qui recevaient des
2 coups de pieds dans les côtes avec des bottes de l'armée, des gens qui
3 devaient s'asseoir dans la même position toute la journée, des gens qui
4 couraient dans une tranchée ouverte en groupe et qui essayaient de
5 déféquer au cours des quelques minutes qui leur étaient allouées. Pendant
6 tout ce temps-là, ils étaient effrayés, même lorsqu'ils n'étaient plus
7 maltraités. Tous les jours, chaque instant, ils vivaient dans un climat de
8 peur, ils avaient peur d'être appelés et frappés ou violés ou tués.
9 Lorsqu'un témoin a déclaré la joie des prisonniers lorsqu'il y a
10 eu une averse parce qu'ils savaient que personne n'allait venir les
11 chercher cette nuit-là et qu'ils ont donc pu dormir plus calmement.
12 Certaines des victimes n'ont cependant pas témoigné pour un certain nombre
13 de raisons. Certaines victimes n'ont pas pu se rendre à La Haye.
14 Scepo Gotovac, Zeljko Milosevic, Simo Jovanovic, Bosko Samoukovic,
15 Slavko Susic, Milorad Kuljanin, Seljko Cecez, Slobodan Babic,
16 Petko Gligorevic, Gojko Miljanic, Zeljko Klimenta, Miroslav Vujicic,
17 Pero Mrkajic, vous n'avez pas entendu le témoignage de ces victimes parce
18 qu'elles sont décédées, assassinées à Celebici.
19 Le témoignage obtenu des détenus serait suffisant pour prouver
20 les crimes imputés. Mais, bien entendu, vous avez entendu plus de choses
21 dans cette affaire. Vous avez entendu le témoignage de personnes qui
22 travaillaient au camp, notamment les témoins D et T. Vous avez eu un
23 rapport rédigé en juin 1992 par un groupe de Musulmans et de Croates qui
24 devaient travailler dans le camp dans le cadre d'une commission d'enquête
25 qui ont finalement refusé de travailler parce qu'ils ne voulaient pas
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1 faire partie de ce système. Ils ont donc rédigé un rapport
2 et, dans ce rapport, ils ont fait mention de la fréquence des crimes, ils
3 ont dit que des femmes étaient utilisées et violées. Ils ont parlé des
4 passages à tabac très violents, tout se trouve dans ce rapport.
5 L'accusation et la défense peuvent affirmer que ce rapport a été
6 destiné à un certain nombre de personnes et que les personnes ont
7 effectivement vu ce rapport, mais on ne peut pas nier le fait qu'en 1992
8 les crimes mentionnés dans ce rapport ne se sont pas produits. Bien
9 entendu, on ne peut pas oublier que les accusés eux-mêmes ont parlé de ces
10 crimes horribles. Monsieur Landzo vous a parlé du mauvais traitement
11 infligé par lui et par d'autres à des prisonniers. En fait, il n'a plus pu
12 se souvenir d'un seul garde qui n'ait pas infligé ce type de mauvais
13 traitement.
14 Monsieur Delic a déclaré qu'il n'y avait pas eu une nuit où les
15 prisonniers n'étaient pas frappés. Monsieur Music, au cours de son
16 interrogatoire, a déclaré qu'il avait entendu d'autres soldats parler et
17 que lui-même avait assisté au passage à tabac de certaines victimes. Et
18 même M. Delalic, qui n'était pas souvent au camp, a déclaré dans le cadre
19 de son interrogatoire que, dès le début, il savait que certains problèmes
20 se présentaient à Celebici. Il savait notamment que des gens pouvaient
21 venir de l'extérieur et frapper des victimes. Il savait déjà qu'en août
22 M. Delic maltraitait les prisonniers. Par conséquent, il n'y a aucun
23 doute, les crimes imputés dans l'acte d'accusation ont bien été commis.
24 Nous en arrivons maintenant à la question de la responsabilité,
25 car chacun des quatre accusés dit : "Eh bien, ces victimes ont été
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1 effectivement assassinées, torturées, maltraitées, mal traitées, mais je
2 ne suis pas responsable." Alors, abordons brièvement la responsabilité de
3 chacun des accusés.
4 Monsieur Delic et M. Landzo sont accusés en vertu de
5 l'article 7 (1) de notre Statut, accusés de participation directe à un
6 certain nombre de crimes. Delic a nié la perpétration d'un quelconque
7 crime, ce à quoi nous vous demandons d'examiner les éléments de preuve.
8 Les
9 éléments de preuve sont frappants. En effet, M. Delic, entre autres, a
10 assassiné, M. Delic a torturé, M. Delic, a violé, M. Delic a frappé,
11 M. Delic a humilié des détenus. Les détenus ont essayé de nous expliquer
12 quels étaient leurs sentiments, ils nous ont dit qu'ils étaient terrifiés
13 à la vue de M. Delic. En fait, tout le monde était terrifié par M. Delic,
14 les prisonniers et le personnel du camp. Comme un détenu l'a dit : "Il
15 était Dieu et votre vie dépendait de lui".
16 Monsieur Delic se délectait de cette situation, il se délectait
17 de pouvoir faire ce qu'il souhaitait et il s'en vantait d'ailleurs. Il
18 utilisait sa batte de base-ball, ses bottes, son fusil, son outil
19 électrique, son sexe et son pouvoir. Tous ces éléments lui permettaient de
20 maltraiter les prisonniers. Et puis, il a utilisé son poste de commandant
21 adjoint afin de donner à d'autres personnes l'ordre de faire de même. Un
22 certain nombre de détenus ont parlé de M. Delic et l'ont entendu donner
23 l'ordre à d'autres gardes de maltraiter les détenus. Parfois, il regardait
24 les passages à tabac ou il donnait des instructions aux gardes. M. Delic a
25 tué, torturé, violé, frappé.
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1 Et que dit la défense sur les activités de M. Delic dans le
2 camp ? La défense a déclaré qu'après quelques mois, M. Delic a obtenu un
3 certain nombre de couvertures et les a coupées en deux afin que chaque
4 détenu ait un morceau de couverture. Les prisonniers ont répondu : "Oui,
5 effectivement". Plus tard, au moment de condamner M. Delic pour ses
6 crimes, pour ses meurtres, pour ses viols et pour ses tortures, vous
7 pourrez effectivement tenir compte du fait qu'il a organisé cette
8 distribution de couverture.
9 Pour ce qui est de M. Landzo, il est accusé de meurtres, de
10 tortures, de passages à tabac et de tout type de mauvais traitements. Il
11 est d'accord pour dire qu'il a commis un grand nombre de ces crimes mais
12 il dit, qu'en fait, il n'en est pas responsable. La défense a déclaré que
13 la véritable victime de cette agression dans cette affaire, c'était bien
14 Esad Landzo. Si ce n'était pas si choquant, ce serait presque comique.
15 Nous avons entendu différents récits, que M. Landzo avait été
16 poussé par une chèvre, qu'il avait de l'asthme, qu'il avait un problème à
17 la main, qu'il s'entendait avec des
18 marginaux, qu'il avait été à l'école des Beaux-Arts, mais en fait,
19 l'accusation affirme que les arguments de la défense devraient être
20 catégoriquement rejetés. L'accusation est d'accord : M. Landzo souffre
21 d'un certain nombre de problèmes, toute personne qui a entendu les
22 témoignages des témoins seraient d'accord. Effectivement, M. Landzo a des
23 problèmes, nous n'avons pas besoin de psychiatre pour le savoir.
24 La défense souligne que Landzo était jeune et qu'il était
25 influençable. L'accusation est d'accord. Il était jeune, un adulte, bien
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1 entendu, mais jeune et il aurait pu être facilement influencé. Cependant,
2 les éléments de preuve montrent qu'il avait encore la possibilité de
3 prendre des décisions et c'est d'ailleurs ce qu'il a fait. Nombre de
4 personnes et nombre de criminels sont jeunes et influençables. Ce n'est
5 pas un moyen de défense face à l'implication de la responsabilité de
6 M. Landzo. Rien dans son dossier psychiatrique ou dans ses antécédents
7 psychiatriques ne peut diminuer sa responsabilité, ou le priver de toute
8 responsabilité.
9 M. Landzo connaissait la différence entre le Bien et le Mal,
10 cela ne fait aucun doute et il avait un certain contrôle sur ces actes.
11 Les éléments de preuve montrent que lorsqu'il était dans ses intérêts de
12 le faire, il pouvait facilement contrôler ses actes. Il a choisi de
13 répondre positivement à des ordres et de tuer, torturer, maltraiter des
14 personnes et il a également choisi de le faire de sa propre initiative.
15 C'est un homme qui a dit à un psychiatre de la défense qu'il infligeait
16 une douleur et une souffrance aux prisonniers pour deux raisons : tout
17 d'abord parce qu'il avait reçu l'ordre de le faire et ensuite parce qu'il
18 s'ennuyait et qu'il était frustré. Il a déclaré qu'il n'avait jamais eu de
19 difficulté à faire ce genre de choses et qu'en fait il en retirait un
20 certain plaisir. C'est un homme, Madame et Messieurs les Juges, qui
21 lorsqu'il a répondu aux questions de son avocat : "Avez-vous maltraité une
22 personne parfois ?" a répondu : "oui". Parfois, il a répondu : "Oui, je
23 crois. Je crois qu'effectivement j'ai mis le feu aux jambes de cette
24 personne" et parfois il a répondu : "Je ne sais plus". C'est un homme qui
25 a fait tant d'actes terribles à tant de personnes différentes qu'il ne
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1 s'en souvient plus. Pas de tous, en tout cas. C'est un homme
2 que l'on doit forcer à assumer ses responsabilités et la responsabilité de
3 ses actes.
4 Les éléments de preuve établissent que M. Delic et M. Landzo ont
5 commis de nombreux crimes sur plusieurs mois. Ils ont commis des choses
6 horribles et pour cela ils doivent être reconnus coupables. La question
7 qui se pose alors est de savoir comment ils ont eu l'autorisation de le
8 faire. Eux, ainsi que beaucoup d'autres à Celebici, ont commis des crimes
9 horribles. Qui leur a donné l'autorisation de le faire alors qu'il
10 s'agissait d'une prison militaire officielle ? Comment autant de crimes
11 pouvaient-ils être perpétrés, au fil de tant de mois ?
12 Qui a permis que tout ceci soit commis ? C'est une autre
13 question qui touche à la responsabilité du supérieur hiérarchique et elle
14 occupe une place importante dans cette affaire. Elle explique aussi
15 pourquoi ce Tribunal existe. C'est une vérité navrante que des gens
16 comme Landzo et Delic existent partout. C'est pourquoi il existe une
17 doctrine de la supériorité hiérarchique. Si vous êtes responsable, vous
18 avez la responsabilité de découvrir ce qui se passe et de punir ou de
19 prévenir les crimes, même si vous-même n'avez pas participé directement à
20 ces crimes, même si vous n'avez pas donné l'ordre que ces crimes soient
21 commis, même si vous êtes une personne tout à fait valable qui ne voulait
22 pas que ces crimes soient commis et même si vous aviez d'autres
23 engagements importants.
24 Si vous êtes un supérieur hiérarchique, vous avez certaines
25 responsabilités et quant à savoir l'étendue de cette responsabilité, le
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1 type d'action, tout ceci sera fonction des circonstances, de la nature de
2 l'autorité du pouvoir, des moyens qui permettent de sanctionner des actes
3 répréhensibles. Que doit faire un responsable hiérarchique ?.Ce sera
4 différent d'un cas à l'autre mais, en tout cas, il doit faire quelque
5 chose.
6 M. Delic, M. Mucic, M. Delalic disent tous qu'ils n'étaient pas
7 des supérieurs hiérarchiques. Ils reconnaissent plus ou moins qu'ils n'ont
8 rien fait pour prévenir ou sanctionner ce qui se passait dans le camp,
9 mais ils disent que ce n'était pas leur responsabilité. Chacun d'entre eux
10 dit :"Oui, à certains égards, à certains moments, j'ai participé à
11 l'administration du
12 camp, mais je n'étais pas un supérieur hiérarchique". M. Delic dit qu'il
13 était simplement commandant adjoint dépourvu de toute autorité. M. Mucic
14 dit qu'il était simplement un commandant ou un directeur dépourvu
15 d'autorité, M. Delalic dit qu'il était simplement un coordinateur d'un
16 groupe Tactique qui se chargeait de certaines choses au nom d'autres
17 personnes mais qu'il n'avait pas d'autorité. Mais les éléments de preuve
18 apportés prouvent le contraire, s'agissant de chacun de ces trois accusés.
19 Parlons d'abord de M. Delic. Les éléments de preuve montrent que
20 M. Delic avait un pouvoir d'autorité sur les gardes et lorsque que
21 M. Mucic était parti, ce qui était souvent le cas, c'est M. Delic qui
22 était responsable et disposait des pleins pouvoirs. Il a exercé ces
23 pouvoirs à l'encontre des gardes. Mais au lieu d'empêcher les gardes de
24 maltraiter les prisonniers, au lieu de punir ces gardes, il les a
25 encouragés. Il se peut que l'autorité de M. Delic ne soit pas sans limite.
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1 Il se peut que lui-même n'ait pas eu l'autorité de licencier directement
2 un garde mais il est évident qu'il aurait pu prendre plusieurs mesures
3 destinées à empêcher ces actes, à sanctionner les gardes, à les réaffecter
4 à d'autres activités, à les confiner à la caserne, à notifier aux
5 supérieurs hiérarchiques que ces gardes passent en cour martiale. Mais
6 qu'a-t-il fait lorsqu'on lui a demandé s'il avait dit au commandant ou à
7 d'autres ce qu'il avait vu, il a dit :"Non". Pourquoi ? "Parce qu'il n'y
8 avait pas de règles". C'était peu important de savoir si quelqu'un était
9 battu ou tué.
10 M. Mucic était commandant de Celebici, il l'était depuis
11 pratiquement le début de l'opération du camp. Il savait que les
12 prisonniers étaient maltraités et les moyens de preuve ont montré que
13 quelquefois il suggérait que des sévices soient infligés aux prisonniers.
14 A d'autres moments, il ne voulait pas le faire, mais il n'a rien fait pour
15 empêcher quoi que ce soit. Parfois, il a peut-être fait quelque chose pour
16 aider un ami mais peut-être n'aimait-il pas voir les gardes maltraiter les
17 prisonniers quand il était là. Mais il le savait : sans aucun doute
18 possible, il savait que les prisonniers étaient maltraités lorsqu'il
19 n'était pas là. Il n'était pas très souvent là.
20 Pourquoi était-il peu souvent là le soir, comme il l'a dit dans
21 l'interrogatoire qu'il a fourni au Bureau du Procureur ? "Je savais qu'il
22 y avait des sévices infligés aux prisonniers la nuit, c'est pourquoi, je
23 n'étais pas là". Plus de 300 personnes étaient au mains des gardes et le
24 commandant avait peur pour dormir lui-même dans ce camp. Qu'a fait
25 M. Mucic à propos des mauvais traitements ? Rien. Il n'a pas pris la chose
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1 au sérieux. En fait, il apparaît que M. Mucic ne prenne pas grand chose au
2 sérieux. En général, cela le regarde personnellement, mais lorsqu'il est
3 supérieur hiérarchique, il a la vie de personnes entre ses mains et il a
4 l'obligation morale et juridique de prendre ses responsabilités au
5 sérieux. Il ne l'a pas fait.
6 Dans son interrogatoire, on lui a demandé s'il avait fait
7 quelque chose pour empêcher la commission de meurtres, la perpétration de
8 ces meurtres alors qu'il était commandant. Il a dit : "Non, je n'ai pas à
9 répondre à cette question". Rien n'a été fait. M. Mucic ne prend peut-être
10 pas les choses au sérieux, mais vous, vous devez prendre les choses au
11 sérieux.
12 M. Delic représente une configuration plus compliquée de la
13 question de la supériorité hiérarchique. La plupart des victimes n'étaient
14 pas en mesure de voir qui était le supérieur de M. Mucic. M. Mucic n'a pas
15 témoigné à la barre, il est donc impossible de savoir ce qu'il dirait. Je
16 vous fais valoir que c'est tout à fait normal que cette question présente
17 des aspects compliqués. Ce sera toujours le cas dans les affaires
18 présentées devant le Tribunal : plus le supérieur est haut placé, plus
19 l'administration des moyens de preuve sera compliquée. Cela ne veut pas
20 dire pour autant que les moyens de preuve soient moins convaincants. Cela
21 ne veut pas dire non plus que ces éléments de preuve ne suffisent pas à
22 prouver la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable.
23 Mais la question est peut-être plus complexe. Il faudra que vous
24 examiniez plusieurs pièces à conviction et en tirer des conclusions
25 raisonnables. Il faudra examiner les témoignages pour voir s'il y a
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1 cohésion entre ces différents témoignages. Il faudra avoir recours à votre
2 bon
3 sens pour déterminer ce qui est raisonnable et ce qui ne l'est pas. Et il
4 se peut qu'il n'y ait pas un élément, une pièce à conviction à elle seule
5 qui vous convainque. Il se peut qu'il faille plusieurs éléments de preuve.
6 Il existe toujours des explications, qu'elles soient
7 raisonnables... même si elles ne sont pas raisonnables, elle restent
8 plausibles. La question c'est de savoir si, lorsque vous allez réunir tous
9 ces éléments de preuve, tout ceci vous donnera une image cohérente. En
10 l'espèce, Madame et Messieurs les Juges, l'accusation fait valoir que
11 lorsqu'on réunit toutes les pièces à conviction, une seule conclusion
12 raisonnable peut être tirée. La voici.
13 Lorsque vous examinerez les moyens de preuve, vous constaterez
14 que M. Delalic avait une position de supérieur hiérarchique par rapport à
15 Celebici. J'irai même plus loin : c'est un cas assez fort, assez marqué,
16 de responsabilité du supériorité hiérarchique. Reprenons les éléments de
17 cette affaire. Vous avez entendu les témoignages de témoins et bien
18 davantage. Vous disposez d'ordres, notamment d'ordres donnés par
19 M. Delalic à M. Mucic. Vous avez des entretiens dans des émissions de
20 télévision de l'accusé en 1992. Vous avez aussi des cassettes vidéos,
21 notamment de 1992. Vous disposez de rapports d'organisations
22 internationales, de documents provenant de l'armée elle-même. Vous avez
23 des documents pour le transfert, la libération des prisonniers. Vous
24 disposez de nombreux documents rédigés par l'accusé lui-même concernant
25 certaines des questions en litige. Il y a eu et il y aura beaucoup de cas
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1 où vous ne disposez que de quelques-uns de ces l'éléments, alors qu'en
2 l'espèce vous les avez tous.
3 Tous les moyens de preuves présentés au procès, une fois réunis,
4 montrent que Delalic avait une responsabilité de supérieur hiérarchique
5 par rapport au camp. Il se peut que certaines de ces pièces à conviction
6 soient plus importantes que d'autres. Certaines sont directes, d'autres
7 indirectes. Mais lorsqu'on les rassemble, elles se composent pour montrer
8 une conclusion inévitable, c'est que Delalic était supérieur dans le camp.
9 La défense a fourni des explications concernant certains des
10 moyens de preuve.
11 L'accusation suggère que ces explications ne sont pas crédibles. Il faut
12 recourir au bons sens. On peut peut-être accepter l'une ou l'autre des
13 hypothèses de la défense, mais il est clair que toutes ces pièces à
14 conviction qui viennent de différents domaines indiquent une seule
15 conclusion, c'est que Delalic avait une responsabilité de supérieur
16 hiérarchique par rapport au camp. Il serait impossible de croire que tout
17 ceci est le fruit du hasard, ceci serait défier l'imagination. Delalic
18 affirme être en situation de commandement lorsqu'on lui montre une vidéo
19 où il exerce ce commandement. Le commandement suprême avait désigné
20 Delalic au poste de chef du groupe Tactique 1, opération qui était sensée
21 lever le siège de Sarajevo, ce qui était la priorité numéro 1 de l'époque,
22 alors que Delalic aurait été simplement un civil qui n'aurait jamais un
23 poste de commandement auparavant.
24 Lorsque le commandement suprême le nomme au poste de
25 commandement, pour une des parties, à des efforts de guerre les plus
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1 importants, on dit qu'il n'a pas de soldats, pas d'autorité sur ces
2 soldats. On parlait des journalistes. La défense dit que l'armée
3 bosniaque, elle aussi, aurait commis une erreur lorsqu'elle a pensé, en
4 décembre 1992, que c'était Delalic qui était responsables de Celebici.
5 Plusieurs de ses amis se seraient trompés lorsqu'ils ont dit qu'il était
6 responsable. Alors, est-ce que Mucic se trompait aussi en 1992 lorsqu'il
7 disait autour de lui que c'était Delalic qui prenait les décisions.
8 La défense veut faire croire que Mucic mentait lorsqu'il a écrit
9 par la suite que Delalic était son supérieur hiérarchique. La défense a
10 voulu suggérer qu'il mentait lorsqu'il avait rédigé dans plusieurs
11 documents, dont certains n'avaient rien à voir avec la propagande, que ces
12 documents suggéraient que c'était Delalic qui était responsable. Et la
13 défense veut aussi nous faire croire que lorsque M. Delalic signe un ordre
14 qui dit : "Je vous ordonne de faire ceci, ou cela", ce n'était pas Delalic
15 qui donnait les ordres. Comme M. Delalic le dit dans son interview, ce ne
16 serait qu'une coquille, une erreur de typographie.
17 La défense veut aussi nous faire que croire que lorsque les amis
18 de Delalic viennent
19 dire qu'il n'était pas responsable de Celebici, ces amis ne se trompent
20 pas, ne mentent pas. Écoutons la défense quelques instants. Je n'ai pas le
21 temps d'examiner chacun des témoins à décharge individuellement, mais je
22 peux les prendre de façon collective. Personne ne croira qu'il n'était pas
23 responsable de Celebici. Les témoins à décharge, en fait, ont corroboré ce
24 qu'avait dit l'accusation, qu'il n'y avait pas de réglementation en 1992.
25 Les témoins à décharge s'accordent à dire que c'était bien une prison
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1 militaire, que le MUP et le HVO ont participé ou connaissaient l'existence
2 du camp et la défense reconnaît aussi que ce n'était pas la Défense
3 territoriale qui organisait, gérait le camp. La défense veut donc dire que
4 personne n'était responsable du camp, camp qui a existé pendant six mois,
5 alors que personne ne le dirigeait, n'en avait la tutelle, n'en avait un
6 pouvoir de supérieur hiérarchique.
7 L'accusation affirme que c'est là quelque chose de tout à fait
8 incroyable, qui est aussi contredit par les moyens de preuve apportés.
9 Lesquels montrent que quelqu'un était effectivement responsable des faits,
10 que quelqu'un donnait des ordres à ceux qui travaillaient là, que certains
11 signaient des documents de libération de prisonniers, que quelqu'un
12 recevait les media internationaux, que quelqu'un donnait des ordres au
13 commandement du camp et que ce quelqu'un, c'était M. Delalic.
14 Je vous demande tout particulièrement d'examiner ce dernier
15 aspect lorsque vous verrez quelle est la crédibilité des témoins à
16 décharge et quand vous étudierez le poids à accorder à leurs témoignages.
17 Ces témoins de la défense ont affirmé de façon péremptoire que M. Delalic
18 n'avait pas de pouvoir sur Celebici. Mais, au niveau du contre-
19 interrogatoire, lorsqu'ils ont dit qu'ils ne connaissaient pas celui qui
20 était responsable de Celebici, ces témoins ne connaissaient pas non plus
21 toutes les activités de M. Delalic. Comment pouvaient-ils affirmer qu'ils
22 connaissaient tout de la vie de M. Delalic ? Tout ce que ces témoins à
23 décharge pouvaient dire, c'est qu'ils n'avaient pas d'informations selon
24 lesquelles M. Delalic avait un pouvoir de supériorité hiérarchique par
25 rapport au camp.
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1 Mais acceptons un instant, de façon hypothétique, les
2 témoignages de la défense. Acceptons que l'autorité de Delalic en tant que
3 coordinateur et soldat de la Défense territoriale, puis en tant que
4 commandant du TG1, n'était pas telle qu'il aurait aussi eu sous son
5 autorité le camp de Celebici. Acceptons les suggestions faites par la
6 défense en qui concerne cette autorité. Acceptons un instant que, même
7 dans tous ces cas, il aurait agi au nom d'autres : même lorsqu'il donnait
8 des instructions à la commission d'enquête, il le faisait au nom d'autres,
9 que s'il signait des documents de libération, il le faisait au nom du
10 commandant de la Défense territoriale, que s'il donnait des interview à
11 propos de Celebici, il le faisait au nom d'autres autorités, lorsqu'il
12 avait des tractations avec la Croix Rouge, il le faisait au nom du
13 commandement suprême, et lorsqu'il donnait des ordres au commandement de
14 Celebici, il le faisait aussi au nom du commandement suprême.
15 Mais si nous acceptons tout ceci, cela montrerait que l'autorité
16 de M. Delalic sur Celebici était déléguée par d'autres. Ceci montre que
17 d'autres partageaient peut-être ses responsabilités, mais ceci montre
18 également que son autorité était peut-être davantage de facto que de jure,
19 mais il montre aussi que M. Delalic était supérieur, avait une autorité de
20 supérieur hiérarchique sur le camp. Allons même un peu plus loin : même si
21 l'on acceptait l'idée selon laquelle M. Delalic n'avait pas reçu pleins
22 pouvoirs sur Celebici, qu'il n'avait pas été fait ou reçu le poste de
23 supérieur direct de Mucic, qu'il n'aurait pas pu licencier les personnes
24 se trouvant sous ses ordres.
25 Il n'en demeure pas moins un supérieur. Du fait de son
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1 engagement dans la direction du camp, de son autorité, de son influence,
2 il avait certaines responsabilités et dans la jurisprudence constante, il
3 encourt dès lors la responsabilité de supérieur hiérarchique. D'autres
4 partageaient peut-être cette responsabilité, il se peut qu'il n'ait pas
5 une autorité sans limite mais il est clair qu'il encourt la responsabilité
6 de supérieur hiérarchique. Je ne vais pas passer en revue tous les
7 éléments de loi, mais même une personne qui n'a pas l'autorité de
8 contrôler directement la conduite de certaines forces peut encourir la
9 responsabilité pénale s'il existe d'autres moyens d'éviter la perpétration
10 d'infractions. En démissionnant aussi, par exemple.
11 Plusieurs éléments de jurisprudence sont cités, sont évoqués de
12 la page 196 à 200, Momente, Rusling, Muto qui établissent des cas de
13 supériorité hiérarchique dans des situations analogues, notamment lorsque
14 l'autorité est détenue par un civil qui n'a pas le droit de licencier des
15 gardes mais qui je cite : "est une figure importante et une partie
16 intégrante du camp de concentration". Fin de citation. On ne peut pas
17 douter un seul instant que M. Delalic faisait partie du camp de Celebici
18 et qu'il n'a rien fait alors que c'est lui qui a mis sur pied la
19 commission d'enquête. Il n'a rien fait pour veiller à ce que cette
20 commission d'enquête puisse terminer son travail et en tirer des
21 conclusions et n'a rien fait pour savoir pourquoi ces conclusions
22 n'avaient pas été tirées.
23 A deux occasions différentes, lorsqu'il a découvert que des
24 prisonniers risquaient d'être assassinés ou de mourir, il a participé à la
25 libération de trois d'entre eux mais il n'a rien fait pour les 300 autres
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1 prisonniers qui étaient en danger, manifestement.
2 Lorsqu'il a été interrogé par la télévision bosniaque pour
3 réfuter des rumeurs selon lesquelles les conditions de vie étaient très
4 mauvaises à Celebici, il n'a rien fait pour veiller à ce que l'information
5 qu'il fournissait soit précise. Lorsqu'il a donné l'ordre au commandant de
6 la défense territoriale et puis à Mucic, le commandant du camp, de
7 procéder à une classification des prisonniers, il n'a rien fait pour
8 veiller à ce que l'ordre soit exécuté. Il n'a rien fait jusqu'en décembre.
9 Lorsque M. Delalic a reçu les rapports de la Croix Rouge, notamment les
10 premiers rapports de la Croix Rouge, il n'a rien fait pour mener une
11 enquête sur les agissements de M. Hazim Delic et pour empêcher ceci.
12 Lorsqu'on lui a posé la question dans l'interrogatoire qu'il a fourni au
13 Bureau du Procureur, lorsqu'on lui a demandé pourquoi il n'avait rien fait
14 après avoir reçu ce rapport, il a dit et je cite : "Rien, ce n'était pas
15 important."
16 Il est certain que M. Delalic aurait pu trouver toute une série
17 de solutions, demander
18 une enquête supplémentaire, mener lui-même l'enquête, demander des
19 instructions supplémentaires, rédiger un rapport, démissionner tout
20 simplement... Mais il n'a rien fait de tout cela. Il faisait partie
21 intégrante de la tutelle de ce camp et il n'a jamais rien fait.
22 J'ai posé une question précédemment. J'ai dit : "Comment toutes
23 ces choses pouvaient-elles se produire à Celebici pendant si longtemps
24 alors que personne n'a jamais rien fait pour les empêcher ?" C'est parce
25 que de nombreuses personnes dont M. Delic, M. Mucic et M. Delalic n'ont
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1 rien fait. Etant donné le poste qu'ils occupaient, le droit en matière
2 d'autorité du supérieur hiérarchique les enjoignait à faire quelque chose.
3 Pour reprendre les suggestions de la défense selon lesquelles
4 des personnes telles que les trois accusés n'étaient pas des supérieurs
5 hiérarchiques et donc n'étaient pas obligées de faire quoi que ce soit,
6 accepter les suggestions de la défense, ce serait faire marche arrière
7 dans le droit international et revenir à un stade antérieur à la Deuxième
8 Guerre mondiale, voire plus avant.
9 Accepter les suggestions de la défense serait rendre la loi
10 relative à l'autorité du supérieur hiérarchique inapplicable face au monde
11 d'aujourd'hui. Cela voudrait dire que le droit international humanitaire
12 resterait impuissant lorsqu'il y a des situations créées par des
13 paramilitaires, lorsque des armées sont en train d'évoluer encore et ne
14 sont pas structurées de façon rigoureuse.
15 Mais ce n'est pas de cette façon-là que se présente le droit
16 aujourd'hui, ce n'est pas de cette façon-là qu'il devrait se présenter. En
17 vertu du droit de la loi, les supérieurs hiérarchiques quels qu'ils soient
18 détiennent des responsabilités. Et des crimes tels que ceux qui ont été
19 commis à Celebici pendant plus de sept mois, ces crimes ont été commis
20 parce que des supérieurs n'en ont pas assumé leur responsabilité.
21 Les moyens de preuve ont été apportés, le droit est là pour
22 parler, la justice exige que les trois accusés soient condamnés pour les
23 crimes commis. Nous avons établi leur culpabilité au-delà de tout doute
24 raisonnable et nous estimons que le Tribunal a le droit de les condamner
25 et le devoir de le faire.
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1 Merci.
2 M. le Président (interprétation). - Vous allez maintenant vous
3 présenter dans l'ordre prévu, n'est-ce pas ?
4 Mme Residovic (interprétation). - Comme vous l'avez dit au début
5 de ce procès, les avocats se sont mis d'accord sur l'ordre dans lequel
6 nous allions procéder pour nous exprimer. Par conséquent, nous allons
7 utiliser le temps de la façon la plus rationnelle possible et présenter
8 tous les aspects de notre défense le plus rationnellement possible.
9 Nous allons d'abord entendre la défense de M. Delic et donc
10 Me Thomas Moran. Puis, c'est la défense de M. Delalic qui prendra la
11 parole. Puis, ce sera ensuite le conseil de la défense de M. Mucic et nous
12 terminerons avec la défense de M. Landzo, si cela vous convient.
13 M. le Président (interprétation). - Oui, oui, cela nous convient
14 tout à fait. Si cela correspond à votre prévision.
15 M. Moran (interprétation). - Monsieur le Juge Karibi-Whyte,
16 Madame le Juge Odio-Benito, Monsieur le Juge Jan, permettez-moi de
17 commencer. Tout d'abord avec l'aide de l'huissier, hier et ce matin,
18 j'essayais de revoir mon discours et je crois que la meilleure chose à
19 faire c'est de vous remettre une copie de l'esquisse que j'ai dressée de
20 ma plaidoirie. Les quatre copies sont bien rangées. La pagination est
21 bonne, mais il y a un petit problème pour la dernière copie. Les
22 interprètes ont reçu une copie. Il y a également une copie pour
23 l'accusation.
24 J'ai été chargé par mes collègues d'évoquer les points de droit
25 avec vous. Il va de soi que je serais ravi de répondre à des questions,
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1 c'est tout à fait approprié, mais j'aimerais d'abord discuter avec vous de
2 la question de la charge de la preuve.
3 Il semblerait que règne une certaine confusion, du moins dans le
4 mémoire écrit de
5 l'accusation. En effet, la défense n'aurait pas avancé de moyens de preuve
6 sur tel ou tel élément affirmant que ce n'était pas vrai. Je vous dirai
7 ceci : c'est que l'accusation doit apporter la charge de la preuve au-delà
8 de tout doute raisonnable alors que nous, nous n'avons l'obligation de ne
9 faire quoi que ce soit. Nous aurions pu garder le silence pendant toute la
10 durée du procès et la présomption d'innocence aurait suffit à nous
11 condamner... Excusez-moi, à nous exonérer de la responsabilité. Excusez-
12 moi, j'ai passé toute la nuit à travailler. J'ai repris ce qu'avait dit
13 Me Mc Henry. Lorsque la preuve aura été faite qu'il y a eu violation du
14 droit, il y aura condamnation et la justice sera rendue.
15 Madame et Messieurs les Juges, la justice est rendue quand elle
16 est rendue. Aucun Procureur n'a jamais perdu une affaire, ils doivent
17 veiller à ce que justice soit faite. S'il y a acquittement sur chacun des
18 chefs d'accusation pour chacun des accusés, l'accusation aurait fait son
19 travail parce que la justice aura été faite. La justice et la condamnation
20 sont deux choses bien distinctes.
21 Au-delà de tout doute raisonnable. J'ai préparé un petit tableau
22 à votre intention et je demanderai une fois de plus l'aide de l'huissier.
23 J'ai déjà utilisé ce petit tableau précédemment pour rappeler aux
24 personnes qui m'écoutaient, ce qu'on entend par l'idée de "au-delà de tout
25 doute raisonnable". Ceci montre simplement les niveaux différents
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1 d'administration de la preuve, ce qu'il faut faire pour arriver à la
2 culpabilité.
3 D'abord, on commence par l'absence de moyens de preuve, absence
4 absolue et puis un peu de moyens de preuve et ceci entraîne toujours le
5 verdict de non-culpabilité. Troisième niveau, lorsqu'il y a des faits
6 spécifiques. Là aussi, c'est non-culpabilité car il nous faut pour avoir
7 une condamnation la conviction intime de la véracité des allégations. Et
8 dans notre système, ceci nous amène à déterminer une non-culpabilité. Pour
9 arriver à la culpabilité, il faut arriver à l'échelon supérieur sur ce
10 tableau. Il faut que les preuves soient à ce point convaincantes que vous
11 pourriez vous fier à ces éléments de preuve sans la moindre hésitation
12 en votre fort intérieur.
13 C'est le type de formulation utilisé aux Etats-Unis comme vous
14 le verrez dans mon mémoire écrit. Et je crois qu'en Angleterre, la
15 définition est quelque peu différente. Il faut dire : "Etes-vous bien sûr
16 lorsque vous allez délibérer, êtes-vous convaincu de la culpabilité ?"
17 Dans le cas du commandement suprême allemand, la Chambre de première
18 instance a statué en disant ceci : "Si il y a ambiguïté au niveau du
19 témoignage, une incertitude en ce qui concerne l'accusé et la transaction
20 qu'il aura commise, il ne faut pas établir la culpabilité. Nous avons
21 accordé le bénéfice du doute à l'accusé en l'espèce." Je pense que c'est
22 là le devoir qui incombe à tout tribunal. S'il y a doute, s'il y a
23 ambiguïté, eh bien, ceci se prononce à l'avantage de l'accusé.
24 Crédibilité des témoins. Une des tâches les plus ardues
25 incombant à un juge des faits. Comment voulez-vous juger de la
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1 crédibilité ? Moi je suis un avocat. L'accusation est représentée par des
2 avocats, nous avons d'autres façons de voir les choses. Vous, en tant que
3 Juges, vous avez pour devoir d'examiner les éléments de façon neutre et
4 détachée pour jauger la question de la crédibilité, ce que je laisse
5 entendre dans mon mémoire écrit. Ce sont quelques éléments qui vous
6 permettront peut-être d'établir la crédibilité des témoins.
7 L'accusation dit que la procédure peut être intimidante, tout à
8 fait étrangère pour certains de ses témoins. Mais, à l'exception de
9 témoins professionnels, toute procédure judiciaire est intimidante et
10 étrangère à quelque citoyen que ce soit qui aura assisté à un vol, à une
11 infraction de banque et qui doit venir témoigner.
12 On parle aussi des problèmes de langages. Ceci vaut des deux
13 côtés. Chacun connaît les mêmes problèmes de langue. Combien de fois
14 n'avez-vous pas entendu dans ce Tribunal dire qu'il y avait un problème
15 d'interprétation ? Au moins cent fois, sans doute. Lorsque vous allez
16 délibérer, rappelez-vous ce livre intitulé "La vérité est la première
17 victime d'un guerre". Nous parlons ici de fait qui se sont produits au
18 moment d'une guerre et nous parlons d'une situation se caractérisant non
19 seulement par le fait que ces personnes ayant participé à la guerre
20 restent au
21 pouvoir en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, en République fédérale de
22 Yougoslavie, chacune de ces personnes, des parties en conflit défend ses
23 propres intérêts, ses gens. Il y a peut-être aussi des motifs et des
24 motivations cachés de part et d'autre, il faut les examiner.
25 Déclaration préalable des témoins. On peut examiner celle des
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1 témoins à charge et celle des témoins à décharge pour voir s'il y a une
2 certaine cohésion, si les choses semblent couler de source. Le côté
3 évasif, j'ai cité-là le Juge Karibi-Whyte dans mon rapport écrit. A un
4 moment où quelqu'un refusait de répondre à une question, le Juge aurait
5 dit : " Mais ça devient monnaie courante dans ce procès". Tous ces
6 éléments... Par exemple, la question montre si, oui ou non, un témoin dit
7 la vérité.
8 Et puis, vous avez quelquefois des contradictions directes
9 apparaissant entre des témoins à charge Le meilleur exemple, je l'ai cité
10 et je me fonde sur lui, c'est celui entre Grozdana Cecez et le témoin T.
11 L'accusation a appelé ces deux témoins à la barre, elle nous a dit que
12 c'était des témoins qui étaient appelés pour faire se manifester la
13 vérité. Et que s'est-il passé ? Madame Cecez a dit que le témoin T l'avait
14 violée et le témoin T a dit: "C'est une histoire cousue de fil blanc".
15 Alors, qui allez-vous croire ?
16 Autre incident de contradiction qui concernait deux témoins
17 experts de l'accusation : Le Pr. Economides et le Pr. Gow. Ceci portait
18 sur la fin de la République fédérative socialiste de Yougoslavie. En
19 interrogatoire supplémentaire, Me Niemann a fait valoir auprès du
20 Pr. Economides que la RSFY n'avait pas cessé d'exister jusqu'en
21 septembre 1992. Pourquoi ? A cause de la citoyenneté double. Et qu'a dit
22 le Professeur Gow ? Il a dit que la date la plus tardive possible, c'est
23 le 27 avril 1992. Pourquoi est-ce important ?C'est parce que ceci montre
24 une contradiction patente entre les témoins à charge, alors que ce sont
25 des témoins et qu'ils sont appelés pour que se manifeste la vérité.
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1 Statut de prisonniers de guerre, maintenant. Honnêtement, je
2 pense que c'est une histoire tout à fait incroyable. J'ai cité dans mes
3 arguments écrits plusieurs affaires, sept ou huit
4 je crois, dans le cadre desquelles, si l'on devait croire que ces
5 personnes ou toute personne faisant partie de ce groupe étaient
6 prisonniers de guerre en vertu des Conventions, eh bien, il faudrait
7 croire, et le Bureau du Procureur devrait vous en convaincre, que leurs
8 propres témoins ne sont pas crédibles. Ceci doit être la position de
9 l'accusation parce que ces personnes sont venues témoigner d'une manière
10 telle qu'ils ne pourraient pas être prisonniers de guerre. Je trouve que
11 ceci est tout à fait sans précédent, lorsqu'ils présentent une question
12 juridique fondée sur le manque de crédibilité ou l'absence de crédibilité
13 de leur propre témoin.
14 Je passerai maintenance aux histoires incroyables. Si un témoin
15 dépose et relate une histoire incroyable, il ne faut pas donner foi à ce
16 récit. Kritovo Kalo était assis-là, juste devant vous et il vous a dit...
17 Vous avez entendu une déclaration de sa part disant qu'il avait peur de
18 donner une déclaration à l'accusation parce qu'il avait peur d'être puni.
19 Il avait peur que la même chose qui lui est arrivée à Celebici lui arrive
20 à nouveau. Et il aurait dit n'importe quoi. Branko Suda, par exemple, la
21 personne qui a témoigné pendant des heures sur ce qui lui était arrivé à
22 Celebici, ensuite nous nous sommes rendu compte qu'il aurait pu quitter le
23 camp mais qu'il a décidé volontairement d'y rester. Je crois que ceci vous
24 aidera à évaluer sa crédibilité.
25 Je dirais qu'il y a eu deux témoins qui étaient extrêmement
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1 crédibles, l'un de l'accusation, l'autre était l'un de mes témoins et ils
2 étaient extrêmement crédibles. Pourquoi ? Parce qu'ils étaient neutres.
3 Asad Araz, le journaliste égyptien qui est venu témoigner pour
4 l'accusation et qui a aidé à faire la lumière sur la vérité. C'est la
5 seule personne ayant témoigné dans le cadre de ce procès qui se trouvait
6 dans le camp à l'époque qui nous intéresse et qui avait un regard neutre
7 sur la situation. Et que nous a-t-il dit ? Eh bien, il a dit qu'il n'avait
8 pas vu de prisonniers avoir été frappés, que les personnes ne semblaient
9 pas mourir de faim, qu'il n'y a pas eu de mauvais traitements, qu'il n'y a
10 pas participé, qu'il y a eu des médicaments dans le hangar 22 et qu'ils
11 semblaient être en quantité suffisante étant donné le nombre de patients.
12 Ceci va au coeur de cette affaire et ceci contribue à prouver la
13 crédibilité du témoin parce que
14 certains des témoins : le témoin M, Mirko Gulugovic, Norvic Adjordjic,
15 RistoVukalo, le témoin J, le témoin R sont venus témoigner ici devant vous
16 et vous ont dit que l'équipe de télévision arabe soit avait filmé de
17 mauvais traitements, soit y avait participé.
18 Je crois qu'un autre témoin, qui est venu contribuer à la
19 vérité, était le docteur Bias. Il est venu nous parler des éléments de
20 preuve scientifiques. Si les témoins de l'accusation avaient effectivement
21 dit la vérité, si leurs témoignages étaient actuels, quel aurait été le
22 résultat en toute probabilité, résultat scientifique de ce type de
23 traitement et que nous a-t-il dit ? Il y aurait eu des maladies
24 infectieuses. Il ne faut pas avoir un diplôme supérieur d'épidémiologie
25 pour savoir que si les gens mangent de la nourriture couverte
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1 d'excréments, boivent de l'eau souillée par ces excréments, vous allez
2 souffrir de maladies infectieuses. Or, aucun témoignage n'a parlé
3 d'épidémie.
4 Il y aurait également des insolations ou des coups de chaleur
5 parce qu'il y avait un manque d'eau également. Les témoins de l'accusation
6 en ont parlé, mais il y aurait eu des personnes qui seraient décédées de
7 ce type de coups de chaleur. Or ça, personne n'en a parlé.
8 Esad Landzo : un cas tout à fait spécial. L'accusation ne sait
9 pas si Esad Landzo dit la vérité ou non. La plupart du temps, dans
10 certains arguments écrits, l'accusation dit : "En fait c'est un menteur".
11 Et puis, parfois, l'accusation utilise son témoignage pour faire la
12 lumière sur la vérité. Eh bien, je crois moi, que l'accusation devrait
13 faire son choix, soit Esad Landzo est un menteur, soit il ne l'est pas.
14 Pour ce qui est de ma position, vous la connaissez déjà.
15 Parlons maintenant du Statut du Tribunal, un instant. Le Statut
16 lui-même, ce qu'il est, et quelle est sa fonction. Il semble y avoir une
17 certaine confusion, en tout cas dans l'esprit de l'accusation, peut-être
18 dans le mien, sur ce qu'est le Statut du Tribunal. Selon moi, et je pense
19 que le secrétaire général partage mon opinion, le Statut du Tribunal ne
20 crée pas ou plutôt ne définit pas des crimes. Il ne crée pas une substance
21 pour ces différents crimes. Si c'était le cas, eh bien, mon client n'est
22 pas coupable. Pourquoi ? Parce que le Statut n'a pas été adopté avant
23 six ou sept mois après la perpétration du dernier crime de l'acte
24 d'accusation.
25 Le Statut du Tribunal crée un tribunal chargé de juger
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1 d'allégations relatives à un certain type de violations de droit
2 international préexistant. Le Statut ne crée pas du droit. Le Statut de
3 Nuremberg, oui, en effet. Le Statut qui a été adopté à Rome le mois
4 dernier le fait également. Il crée des crimes, il définit des crimes.
5 Parce que c'est un processus fondé sur un traité et que les différentes
6 nations ont accepté de le faire. Nations civilisées.
7 M. Jan (interprétation). - C'est tout à fait exact.
8 M. Moran (interprétation). - Ecoutez, Monsieur le Juge, un jour
9 nous parlerons de Jessy Hums, si vous le souhaitez. Le conseil de sécurité
10 n'est pas un organe législatif. Il n'a pas l'autorité de définir du droit
11 de sa propre initiative.
12 Autre point que j'aimerais aborder. L'accusation n'a pas réussi
13 à présenter un quelconque moyen de preuve, selon lequel la Convention de
14 Genève et les protocoles où les protocoles étaient, en fait, applicables à
15 ces accusés. Je sais que c'est un peu bizarre, mais c'est la vérité. Le
16 Pr Basani a dit que la Bosnie-Herzégovine avait accédé ou adhéré à la
17 Convention en décembre 1992. Elle n'était pas applicable en tant que droit
18 international émanant de convention.
19 Conflit armé international. Nous en avons déjà parlé à maintes
20 reprises. Juste un point avant de passer à autre chose. Dans le
21 paragraphe 6-8-3 ou 6-83 de l'argument de l'accusation, il est question du
22 22 mai 1992 et de l'accord du 22 mai 1992. En vertu de l'article commun
23 des conventions, l'accusation dit qu'en vertu des clauses et des
24 dispositions, elles devraient s'appliquer dans l'affaire qui nous occupe.
25 Alors, que dit l'accusation dans ce paragraphe ? Elle dit que les parties
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1 au conflit étaient le gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine,
2 le parti du SDA, parti musulman, le SDS, parti serbe et le parti croate.
3 Nulle part dans cet accord passé le 22 mai 1992, il n'a été question
4 d'autres personnes que des Bosniaques, que des habitants de Bosnie (se
5 corrige l'interprète). Il s'agit de l'argument de l'accusation.
6 L'accusation n'est pas satisfaite de l'arrêt de la Chambre d'appel et de
7 la décision de la Chambre de première instance dans l'affaire Tadic. Mais
8 c'est la loi.
9 Je suggère également que les membres de la commission d'experts
10 ont affirmé qu'après le 19 mai 1992, lorsque la JNA a reçu l'ordre de se
11 démanteler, et après tout ces événements, ce conflit est devenu un conflit
12 armé interne à la période qui nous intéresse. Je le dis dans la
13 présentation de mes arguments écrits. Le commandant Van Whig , je crois
14 que l'accusation le connaît bien, donc son gouvernement, le gouvernement
15 canadien a suggéré, avant le 6 avril 1992, lorsque la Bosnie est devenue
16 un état indépendant, il y a eu, il y avait un conflit armé interne. Donc
17 du 6 avril au 19 mai, il s'agissait alors d'un conflit armé international,
18 qui est redevenu interne le 19 mai. Pourquoi ? Ceci est important. Eh
19 bien, j'en reparlerai dans un instant et c'est important pour l'article 2.
20 Mais c'est également important pour une autre raison. Ce Tribunal n'est
21 pas un tribunal de droit commun ou de compétence générale. C'est un
22 tribunal à compétence réduite.
23 M. le Président (interprétation). - Mais c'est une compétence
24 spéciale, n'est-ce pas ?
25 M. Moran (interprétation). - Oui, effectivement, dans mon pays
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1 nous dirions limitée, mais le terme exact est effectivement de compétence
2 spéciale. En tout cas, cette Chambre de première instance n'a pas le droit
3 de connaître d'une affaire liée au génocide au Rwanda. L'accusation a pour
4 charge de montrer, de prouver que cette Chambre de première instance, que
5 ce Tribunal a la compétence de connaître de l'affaire en question.
6 Certaines allégations liées à la compétence ont été avancées dans l'acte
7 d'accusation. Il a été question d'un conflit armé international.
8 Moi, j'affirme que si l'accusation ne prouve pas qu'il y a bien
9 eu conflit armé international, eh bien, l'accusation n'est pas parvenue à
10 prouver que ce tribunal à une compétence rationnelle matérielle. Pourquoi
11 cette question est-elle également importante ? Pour
12 des raisons évidentes. Pour ce qui est des allégations relatives à
13 l'article 2.
14 M. le Président (interprétation). - Mais qu'en est-il de
15 l'article 1 ?
16 M. Moran (interprétation). - Eh bien, il définit la compétence
17 du Tribunal, mais bien sûr cette question de conflit international est
18 importante à la lumière de l'article 2 du Statut.
19 L'accusation a interprété cet article de façon étroite.
20 Evidemment, lorsqu'on lit la lettre de la Convention de Genève, on voit
21 que la formulation du Statut doit être interprétée d'une certaine façon et
22 appliquée d'une certaine façon.
23 Lorsqu'on dit que la Convention de Genève relative aux civils
24 dit : "au pouvoir d'une partie dont ils ne sont pas ressortissants", c'est
25 clair. Cela ne veut pas dire identification avec une partie tiers ou tout
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1 autre chose, le sens est clair et le sens est celui que les parties aux
2 conventions ont voulu donner au texte, rien de plus, rien de moins.
3 Dans l'affaire des otages, il a été dit que le droit pénal
4 devait être interprété de façon étroite, que c'est la façon dont le droit
5 pénal devrait être interprété.
6 L'interprétation doit suivre la lettre et si l'accusation n'est
7 pas satisfaite de cette lettre, eh bien, l'accusation devrait peut-être se
8 trouver à Genève et s'entretenir avec la Croix Rouge afin d'instituer une
9 nouvelle Convention de Genève 2001, de modifier le texte. En tout cas, il
10 faut interpréter les textes de loi comme ils sont écrits.
11 Article 3 commun, maintenant. La Chambre de première instance le
12 sait, c'est ma position, c'était également celle de Me Ackerman lorsqu'il
13 était là et tout le monde était d'accord avec nous, en tout cas avant
14 l'adoption du Statut du Tribunal du Rwanda, rien n'indiquait que
15 l'article 3 commun stipulait la responsabilité individuelle pénale. Je
16 vois que le nouveau Statut de Rome a éclairci ce point.
17 En fait, il y a deux points : tout d'abord le Statut de Rome
18 parle des lois ou coutumes de la guerre et puis, il parle également de
19 l'article 3 commun. Le deuxième point intéressant que fait le Statut de
20 Rome d'ailleurs, c'est qu'il reconnaît l'article 3 commun et qu'il
21 reconnaît que cet article s'applique dans le cadre de la responsabilité
22 individuelle pénale seulement dans le cadre de conflits armés internes.
23 Exactement comme cela est dit dans la Convention elle-même.
24 L'accusation interpréterait cet article de façon très large et
25 j'avoue que dans le cadre de l'arrêt Tadic, c'est une interprétation tout
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1 à fait illégitime ou légitime plutôt, et c'est sans doute cohérent avec la
2 décision prise par la Chambre de première instance dans l'affaire Tadic.
3 Je voudrais simplement dire qu'en fait la décision prise a été
4 mauvaise. Je sais maintenant que vous êtes liés par cette décision, mais
5 je voulais simplement l'aborder afin, peut-être, de demander à la Chambre
6 de première instance de bien vouloir reconsidérer cette décision. Je
7 voudrais vous suggérer qu'aucune preuve n'a été apportée devant cette
8 Chambre de première instance ou en l'occurrence dans l'affaire Tadic selon
9 lesquelles les nations du monde ont adopté un droit international
10 coutumier, dans le cadre de ce droit international coutumier, la notion de
11 responsabilité pénale individuelle pour des violations relatives à
12 l'article 3 commun.
13 La seule affaire qui me vient à l'esprit a été cité par la
14 Chambre de première instance et a été prise par la Cour suprême du Nigeria
15 en 1972. L'accusé a été accusé de meurtre en vertu de la loi nigérienne et
16 la Cour suprême n'a fait que mentionner en passant le fait que le droit
17 international ne permet d'assassiner des gens dans le cadre de conflits
18 armés.
19 Même si l'article 3 commun prévoit la responsabilité pénale
20 individuelle, il faut que des éléments de preuve soient fournis à la
21 Chambre de première instance. S'il s'agit de droit international
22 coutumier, il faut savoir qui est protégé et qui devrait être protégé
23 d'après les nations du monde en vertu de l'article 3 commun. En tant que
24 droit coutumier dans le cadre d'un conflit armé interne, rien n'est
25 apporté en guise de preuve alors que c'est l'accusation qui a la charge de
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1 la preuve de ce facteur.
2 J'aimerais faire valoir que l'article 3 commun, lorsqu'il
3 s'applique au conflit armé international, accorde très peu de protection à
4 l'individu, n'accorde pratiquement pas de
5 protection à la plupart des individus. Il est clair que les pères de la
6 convention ont décidé de ne pas s'immiscer dans le droit d'une nation, du
7 moins lorsqu'il y a conflit armé international, le droit qu'a une nation
8 de s'occuper de ses propres ressortissants. Ce qui explique le fait que la
9 définition de l'article 4 s'agissant des civils se présente comme elle le
10 fait. C'est ce que l'on dit dans le commentaire : la Convention demeure
11 fidèle à un principe établi de droit international. Elle ne s'immisce pas
12 dans les rapports d'un Etat avec ses propres ressortissants.
13 Il suffit d'y penser, d'y réfléchir un peu. C'est assez logique
14 après tout. Lorsqu'il y a conflit armé interne, ce qui était là l'objet de
15 l'article 3 commun, la présomption selon laquelle un Etat protège ses
16 citoyens, elle tombe, elle est caduque puisqu'il y a conflit interne. Il
17 faut qu'il y ait là une certaine protection de l'individu et lorsque des
18 gouvernements commettent des crimes contre l'humanité, des crimes de
19 génocide, il y a là la protection de l'individu contre son gouvernement
20 par le droit international pour que les juifs soient protégés contre les
21 nazis, par exemple. Mais, en règle général, ce n'est pas le droit
22 international qui doit déterminer comment le gouvernement américain me
23 traite ou comment le gouvernement australien traite Me Niemann, du moment
24 qu'un gouvernement ne commet pas de crimes de génocide ou de crime contre
25 l'humanité.
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1 Je crois que la catégorie de personnes protégées par l'article 3
2 commun, dans le cas d'un conflit armé international, que cette catégorie
3 est très réduite, très circonscrite. J'y remettrai des ressortissants
4 d'Etats neutres ayant des relations diplomatiques avec les parties au
5 conflit. J'y inclurai encore des ressortissants d'Etats qui ne sont pas
6 liés par les Conventions de Genève sur les civils dit privant leurs
7 propres ressortissants de protection s'il y a conflit avec un autre pays.
8 Parlons des personnes protégées. Il faut que l'accusation
9 apporte la preuve de deux choses : d'abord prouver au-delà de tout doute
10 raisonnable qu'il y avait conflit armé international. Deuxième obligation
11 incombant à l'accusation, c'est de montrer que les personnes accusées dans
12 l'acte d'accusation ou citées dans l'acte d'accusation étaient des
13 personnes
14 protégées par les Conventions.
15 L'accusation a dit qu'il ne fallait pas déterminer la
16 nationalité d'une personne donnée, ceci a été dit et redit à satiété. Le
17 fait que ces personnes soient protégées ou non protégées fait partie de la
18 tactique de l'accusation qui essaie de nous apporter à nous la charge de
19 la preuve pour que ce soit la défense qui fasse la preuve de ce que
20 l'accusation doit faire.
21 L'accusation veut ignorer la formulation très claire de la
22 Convention. Rien ne prouve et rien n'a été prouvé devant ce Tribunal pour
23 montrer que les personnes citées dans cet acte d'accusation n'étaient pas
24 des ressortissants de la République de Bosnie-Herzégovine. Aucun cas n'a
25 été prouvé. Le Procureur nous dit que les moyens de preuves apportés par
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1 la défense sur la citoyenneté des détenus sont pertinents et qu'il n'était
2 pas nécessaire de prouver qu'ils n'étaient pas des nationaux ou des
3 ressortissants de Bosnie-Herzégovine. C'est contraire à ce que le
4 Pr Economides vous a dit, c'est contraire au droit. Le Bureau du Procureur
5 avait la charge de la preuve de la non nationalité.
6 Si l'on examine le deuxième paragraphe de l'acte d'accusation,
7 le Procureur dit : "A commencer fin mai 1992, des forces composées de
8 Musulmans de Bosnie et de Croates de Bosnie ont attaqué et se sont emparés
9 des villages occupés en majorité par des Serbes de Bosnie". Fin de
10 citation. Pourquoi les appeler "Serbes de Bosnie" ? Pourquoi est-ce que
11 l'accusation les appelle de cette façon-là ? Parce que ce sont des gens de
12 Bosnie, tout simplement. Ce n'est pas simplement là une reconnaissance
13 juridique, c'est une affirmation. On vous affirme que ce sont là des
14 Serbes de Bosnie.
15 Paragraphe 76 de la décision ou de l'arrêt Tadic. Lorsqu'on voit
16 ce paragraphe 76, il y a une question hypothétique. Cette décision a été
17 rendue 5 ou 6 mois avant la modification de l'acte d'accusation Celebici.
18 Et qu'est-ce que qu'on y voit ? La question hypothétique présentée par la
19 Chambre d'appel, eh bien, cet exemple, c'est celui de Celebici. On a des
20 Serbes de Bosnie qui se trouvent entre les mains du gouvernement de
21 Bosnie. Et que dit la Chambre d'appel dans
22 cette situation hypothétique ? Qu'il n'y a pas violation de l'article 2
23 parce que ces personnes ne sont pas au pouvoir d'un parti, d'un Etat,
24 d'une nation dont ils ne sont pas des ressortissants. Effectivement, ceci
25 n'a pas plu à l'accusation. Cela ne doit pas nécessairement plaire à
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1 l'accusation. C'est ce que dit la Chambre d'appel, c'est ce que dit le
2 droit.
3 Cette question de s'identifier à une nationalité ou de ne pas
4 être considéré comme ressortissant de ceci, n'a pas de fondement juridique
5 dans le droit. C'est une demande qui vous est faite d'ignorer le langage
6 très clair de la Convention de Genève, des commentaires. L'accusation dit
7 que les conventions ne donnent pas une définition de la nationalité. Mais
8 bien sûr que si, parce que la nationalité c'est un terme technique en
9 droit international. Nous connaissons bien cette signification. Le
10 Pr Economides vous a rappelé cette définition de la nationalité.
11 Et puis, l'accusation a essayé, je pense, de semer la confusion
12 en citant l'affaire Belsen qui impliquait des ressortissants polonais
13 accusés et condamnés pour crimes de guerre contre des ressortissants des
14 autres puissances alliées dans un camp de concentration. Et l'accusation
15 veut nous montrer par là qu'on peut être condamné pour crime de guerre
16 perpétré contre quelqu'un qui se trouvait du même côté que vous. C'est
17 vrai, mais ceci ignore et omet le fait qu'on soit au pouvoir d'une partie
18 au conflit dont on n'est pas ressortissant. Le camp de concentration de
19 Bergen-Belsen était un camp allemand. Les Polonais, les Français, les
20 Anglais, les Américains qui se trouvaient dans ce camp étaient au pouvoir
21 d'une partie au conflit dont ils n'étaient pas des ressortissants, à
22 savoir l'Allemagne. Ils étaient au pouvoir du camp adverse. Ils se
23 trouvaient dans un camp de concentration dirigé par des Allemands et un
24 camp allemand.
25 L'accusation, au paragraphe 6-93, avance un argument de
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1 politique, à savoir que si des Serbes de Bosnie sont considérés comme
2 coupables de sévices graves contre des Musulmans, bien sûr puisque
3 l'accusation n'aura pas réussi à prouver l'existence d'un conflit armé
4 international, il faut prendre la chose à l'inverse.
5 Je reviens à l'arrêt de la Chambre d'appel qui faisait cette
6 proposition de droit suivante : c'est que la Republika Srpska et son armée
7 étaient contrôlées par les gens de la République fédérale de Yougoslavie.
8 Si ceci est vrai, cela veut dire que les Musulmans de Bosnie qui se
9 trouvaient notamment à Omarska se trouvaient au pouvoir d'une partie dont
10 ils n'étaient pas des ressortissants, à savoir la République fédérale de
11 Yougoslavie. Paragraphe 76 de Tadic : "puisqu'il ne peut pas être douté
12 que les Serbes de Bosnie constituent un Etat", fin de citation. Ceci est
13 clair.
14 De surcroît, notre position correspond bien à la position
15 adoptée en matière de citoyenneté et de nationalité dans les accords
16 de Dayton. Article 7-a de la constitution de Bosnie, dans les accords de
17 Dayton. On dit que tous les citoyens, qu'ils soient de la
18 Republika Srpska, de la Fédération, sont des citoyens. Le 7-c dit que
19 quiconque était citoyen de Bosnie-Herzégovine aussitôt avant la signature
20 des accords de Dayton, que chacun de ces citoyens est citoyen de Bosnie-
21 Herzégovine. Et on prévoit aussi la possibilité d'avoir une citoyenneté
22 double.
23 L'objet global des accords de Dayton, c'est de parvenir à la
24 paix dans un seul pays. Ce Tribunal est une création du Conseil de
25 sécurité. Il a été créé pour permettre de rétablir la paix en République
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1 de Bosnie-Herzégovine et ne serait-il pas ironique que ce Tribunal prenne
2 une décision sur un point de droit, décision qui serait contraire aux
3 accords de Dayton, lesquels devaient instaurer la paix ? Les personnes se
4 trouvant dans le camp de Celebici étaient des ressortissants de Bosnie et
5 si ce n'était pas le cas, l'accusation n'a pas prouvé le contraire.
6 L'identification avec une nationalité ne veut rien dire.
7 Enfin, si on reprend l'argument de l'accusation, à savoir que
8 les personnes s'associent, s'identifient avec une partie ou l'autre d'un
9 conflit, eh bien, en fait, on donne le droit à l'agresseur. Adolf Hitler
10 aurait dit : "Les gens des Sudètes, ce sont des Allemands. Ils
11 s'identifient avec les Allemands et je vais envoyer la Wehrmacht pour
12 aider mes Allemands,
13 pour aider à les protéger, ceux qui se trouvent dans les Sudètes."
14 Slobodan Milosevic pourrait reprendre cet argument là et dire : "Mais ces
15 Serbes de Bosnie, ils s'identifient à la République fédérale de
16 Yougoslavie. Je dois envoyer les chars en Bosnie-Herzégovine pour protéger
17 mes gens." L'identification avec une partie au conflit, l'ethnicité, il
18 n'y a pas de différence, c'est la question de nationalité qui se pose.
19 Parlons des prisonniers de guerre. Comme je l'ai dit
20 précédemment, je trouve cet argument des plus étonnants. L'article 4 des
21 Conventions de Genève relatif aux prisonniers de guerre définit, donne une
22 définition du prisonnier de guerre. Un des éléments qu'il faut prouver, je
23 parle ici article 4, paragraphe 2, c'est la page 13 de l'esquisse que je
24 vous ai fournie, s'il y a un mouvement de partisans, il faut que ces
25 partisans appartiennent à une partie au conflit. Quelle est la preuve
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1 apportée, au-delà de tout doute raisonnable à ce propos, par
2 l'accusation ? Je n'en ai entendu aucune. Rien n'a été prouvé pour montrer
3 que ces soldats étaient membres d'armée régulière. Ils n'ont pas montré
4 l'existence d'une chaîne de commandement avec la responsabilité d'un
5 supérieur par rapport à un subordonné.
6 Dépositions des témoins à charge, ni le statut des prisonniers
7 de guerre... Je l'ai repris dans mes mémoires écrits. La levée en masse.
8 Lorsqu'il y a une levée en masse spontanée afin d'enrayer l'avance de
9 l'envahisseur. Comment la Bosnie-Herzégovine peut-elle envahir la Bosnie-
10 Herzégovine ? Cela, ça vient d'un conte de fée.
11 Droit international humanitaire. Celui-ci essaie de répartir les
12 gens entre deux groupes : les combattants et les non-combattants. Quand on
13 pense à la façon de mener la guerre, quand on pense à une cible légitime,
14 si je portais un uniforme vert, je portais un fusil M16, j'étais une cible
15 légitime ; alors que quelqu'un dans un uniforme différent portant une AK47
16 était aussi un adversaire légitime. Et on essaie de garder ces deux
17 groupes bien séparés par rapport à ceux qui sont des non-combattants et,
18 dans la mesure du possible, le droit international humanitaire demande,
19 exige la protection des non-combattants. Il suffit d’expliquer le cas des
20 otages. On
21 parle des combattants légitimes et des combattants illicites. Et si vous
22 ne relevez pas de la définition d'un combattant à l'article 4 des
23 Conventions de Genève, et pour autant que les protocoles s'appliquent,
24 s'agissant du protocole n° 1, on n'a pas le droit de mener le combat.
25 Le Procureur essaie de noyer le poisson, de rendre cette
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1 distinction confuse, et si on le fait, si on le suit dans cette tentative,
2 qu’avez-vous ? Eh bien, vous avez des gens qui étaient en combat légitime
3 qui vont d'abord tirer et puis poser des questions ensuite. Il ne faut pas
4 que la distinction entre combattants légitimes et non-combattants soit
5 floue.
6 Parlons de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Le
7 Procureur m'accuse d'offrir une interprétation des plus étroites à
8 l'article 2 des Conventions de Genève du type d'infraction qui peut être
9 sanctionnée par l'article 2. Le Procureur donne une interprétation
10 particulièrement large à la notion de supérieur. Pour eux, tout le monde
11 est un supérieur hiérarchique. Il semblerait qu'il existe une certaine
12 confusion quant à la définition de la chaîne de commandement. Dans le
13 mémoire écrit de l’accusation, on parle d'une chaîne de commandement d'une
14 façon qui ne me semble pas appropriée. La responsabilité du supérieur
15 hiérarchique, c'est la supériorité d'un commandant militaire qui a le
16 devoir de contrôler ses troupes. Et il encourt une responsabilité au titre
17 du droit international s'il ne remplit pas son devoir qui était de
18 prévenir la perpétration de crimes de guerre par des subordonnés. Il n'y a
19 rien de magique là-dedans. C'est le devoir d'un commandement, cette
20 responsabilité de supérieur hiérarchique.
21 Depuis la Seconde Guerre mondiale, dans certaines des affaires
22 comme celles du Tribunal de Tokyo, on a étudié la question de la
23 responsabilité de commandant non militaire. Le commandant Fenwick et la
24 plupart des commentateurs semblent s'accorder pour dire que ce type
25 d'autorité doit être équivalente à une autorité militaire de commandement.
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1 Mais ceci est différent de la notion de grade dans la structure, dans la
2 hiérarchie militaire. Le commandement, c'est un droit du fait du poste
3 occupé par quelqu'un et d'une mission affectée de commandement, le
4 commandement d'une unité militaire. Seul ce commandant a le droit de
5 donner des ordres en
6 son nom. Il y a l'affaire des otages et du commandement qui évoque cette
7 possibilité.
8 Le grade, c'est quelque chose de différent. C'est la place que
9 vous occupez dans une structure militaire. Mais il est évident que des non
10 commandants se trouvent dans l'unité où ils ont des rangs plus élevés que
11 des commandants. Vous avez l'exemple de Toio. C'était l'amiral le plus
12 haut gradé dans les forces navales japonaises. Il a été accusé d'atrocités
13 commises à Manille et il a été pendu pour ça, mais il a été... qu’un autre
14 général avait été pendu. Il n'a pas été considéré comme coupable.
15 Pourquoi ? Parce qu'il n'avait pas un grade plus élevé que ces autres
16 responsables de la marine japonaise. Il avait... En fait, il n'était pas
17 reconnu coupable parce qu'il n'était pas le commandant. C'était le général
18 Yamashita qui était le commandant.
19 J'aimerais reprendre deux éléments relevant de la responsabilité
20 du supérieur hiérarchique. D’abord la nature et puis l'étendue du pouvoir.
21 La nature du pouvoir, d'être tenu responsable au plan pénal. D’abord, il
22 faut que le commandant soit celui qui donne des ordres contraignants et il
23 faut qu'il soit aussi en mesure d'exécuter ces ordres ou de les faire
24 exécuter de façon assortie à des sanctions pénales. C'est la distinction
25 qu'il y a entre un commandant militaire et un civil qui aurait un pouvoir
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1 équivalent à celui d'un pouvoir militaire. Mon patron peut me congédier,
2 il peut m’interdire de remettre les pieds dans le bureau où je travaille,
3 mais il ne peut pas m’envoyer en prison.
4 Vous allez constater qu'il n'est pas courant de trouver un
5 supérieur hiérarchique qui ne soit pas un commandant et qui dispose de ce
6 type de pouvoirs. Je suppose que la plupart du temps vous aurez affaire à
7 un très haut gradé. Ce sera pratiquement un gradé du niveau d'état-major
8 suprême. Un des cas cités par l'accusation, c'est l'affaire Paul, citée au
9 point 4-1-1-2-7 de leur mémoire écrit. Paul, on dit, était soit commandant
10 ou avait des pouvoirs équivalents à celui d’un commandant. Je crois que
11 c'est là le seuil, le critère à appliquer.
12 Et il faut voir l'étendue du pouvoir, voir quels étaient les
13 prérogatives et pouvoirs de cette personne, ses moyens de les mettre à
14 exécution. Et il faut encore que le Procureur apporte
15 la preuve qu'il n'a pas exercé ce pouvoir. On ne peut pas dire
16 simplement : "Voilà, un crime a été connu alors que le supérieur était là,
17 le crime n'a pas été enrayé ou prévenu, le commandant est donc coupable".
18 C'est le type de responsabilité absolue pour lequel on a critiqué
19 l'affaire Yamashita et qui, pratiquement, n'existe pas.
20 Examinez l'article 25 du Statut de Rome. Celui-ci stipule à mon
21 avis, pardon, ce qui est, à mon avis, l'exemple le plus récent de
22 l'interprétation qu’ont les nations du monde du droit international
23 coutumier s'agissant de la question de la responsabilité du supérieur
24 hiérarchique.
25 Autre élément qu’il faudra reprendre de mon mémoire écrit, c'est
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1 le projet d'article 25 et sa note en bas de page, bas de page n° 11. Que
2 dit cette note en bas de page ? Effectivement, tout le monde voulait
3 élargir cette autorité pour aller plus loin que l'autorité militaire. Ça,
4 c'était l'idée. Mais lorsqu'on voit l'article finalement adopté, il
5 diffère radicalement de l'avant-projet, et ceci montre quelle était
6 l’intention des nations du monde pour déterminer le droit international
7 coutumier.
8 Portée de l'autorité ou des pouvoirs. Ici, je reprends le
9 paragraphe 4-1-2-4 du mémoire de l'accusation. Personne ne peut être
10 identifié comme ayant une autorité formelle sur le commandant du camp. Il
11 n'était pas possible non plus, dit le mémoire écrit, d'identifier le
12 pouvoir de coordinateur de Delic. Il faudra approuver au-delà de tout
13 doute raisonnable que Delalic avait le pouvoir de le faire alors que
14 l’accusation vous dit dans son mémoire écrit qu'elle ne savait pas comment
15 déterminer l’autorité ou le pouvoir de Delalic.
16 Pas étonnant que, il y a quelque deux semaines de cela, la
17 Chambre ait rendu une décision selon laquelle rien n’avait été prouvé pour
18 établir la nature ou l'étendue du pouvoir de Mucic, que le transcript ne
19 montre même pas si Mucic était un commandant militaire ou simplement un
20 directeur civil de prison. L’accusation n'a tout simplement pas apporté la
21 preuve de cela, et le dossier d'audience le montrera. Il y a toute une
22 série d'autorités qui allaient au camp de Celebici : il y a le MUP, la
23 Défense territoriale... Le témoin T a déclaré ici que des gens
24 venaient, commettaient des choses horribles envers les prisonniers et que
25 les gardes ne pouvaient pas les empêcher de les commettre, que même le
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1 témoin T avait peur. Il y a une chose qui est sûre : quelles que soient
2 l'autorité et la quantité d'autorité détenues par Mucic dans ce camp, il
3 fallait que Delic ait la même autorité, au moins encore. S'il était
4 l'adjoint de Mucic, il ne pouvait pas avoir plus de pouvoirs que Mucic.
5 Parlons de la connaissance. Il faut aussi que l'accusation
6 apporte la preuve que quelqu'un avait le savoir ou la connaissance
7 nécessaire. Là, toute une série de formulations nous ont été proposées. Il
8 y a un nouveau critère de la connaissance adopté dans le statut de Rome.
9 Le statut ou les actes d'accusation utilisent un critère encore moins
10 rigoureux. Le protocole 1 se présente sous deux versions. Dans une
11 première version, on dit que le commandant devrait posséder des
12 informations qui devraient lui permettre de conclure. Et dans la version
13 française, qu'a-t-on ? En anglais, "possède des informations leur
14 permettant de conclure". Et l'accusation doit prouver, au-delà de tout
15 doute raisonnable, effectivement, que cette information était détenue
16 par Delic, Mucic, Delalic. Et je ferai valoir que, puisque le droit pénal
17 de recevoir une interprétation étroite, puisque le commandant Fenwick a
18 dit qu'il fallait utiliser la version française parce qu'elle était plus
19 étroite, je crois effectivement que l'accusation doit prouver au-delà de
20 tout doute raisonnable que les personnes qu'ils accusent de responsabilité
21 du supérieur hiérarchique possèdent des informations leur permettant de
22 conclure qu'il y avait des crimes de guerre qui étaient commis.
23 J'aimerais m’arrêter un instant pour parler de mon client. Rien
24 n'a été prouvé pour montrer qu'il était commandant au moment visé par les
25 faits. Tout au plus a-t-il été, à un certain moment, adjoint. Mais on ne
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1 sait pas exactement quand il a commencé à faire fonction d'adjoint et
2 quand il a terminé cette fonction.
3 Les moyens de preuve sont très vagues, n'ont pas prouvé au-delà
4 de tout doute raisonnable l'autorité dont disposait Mucic. En ne parvenant
5 pas à démontrer la nature et
6 l'étendue du pouvoir de M. Mucic, puisque M. Delic ne peut pas avoir plus
7 de pouvoirs que son patron, l'accusation n'a pas prouvé quelles étaient la
8 nature et l'étendue du pouvoir soi-disant détenu par Delic. L'accusation a
9 dit qu'il aurait pu faire ceci, qu'il aurait pu faire cela. Effectivement,
10 il était commandant des gardes : nous avons entendu suffisamment de
11 témoignages dans ce sens. Il y a eu le témoignage de M. Landzo selon
12 lequel M. Mucic avait désigné telle ou telle personne comme chef des
13 gardes mais il n'a pas désigné Delic. C'est la chaîne de commandement, si
14 effectivement il y a commandement dans cette structure militaire du camp,
15 il aurait fallu un commandant qu'on ne trouve pas.
16 L'accusation cite des précédents. Elle cite surtout
17 l'affaire Muto, qui vient des jugements du Tribunal de Tokyo, afin de
18 montrer qu'un commandant adjoint peut être tenu pour responsable
19 pénalement. Je vous ai déjà donné les autres éléments que je reprends à la
20 page 20 de mon mémoire. Apparemment, ce Muto aurait été commandant, à
21 d'autres moments, il était officier d'état-major, puis il a été commandant
22 adjoint et les troupes japonaises commettaient toute une série
23 d'exactions. Mais on ne sait pas s'il a été condamné d'abord parce qu'il
24 était commandant.
25 Si vous examinez la doctrine citée par l'accusation dans son
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1 mémoire en ce qui concerne Hazim Delic, chacun des cas cités dans ce même
2 mémoire qui vous a été remis, chaque exemple cite des cas de commandant.
3 Pour le protocole n° 1 aussi, il s'agit d'un commandant. S'il reprend les
4 citations du colonel Douglas, ancien commandant de l'école juridique
5 militaire américaine, si on parle de la responsabilité d'un commandant
6 adjoint, c'est pour les actes qu'il a commis lui-même et non pas pour les
7 actes que d'autres auraient commis sous son commandement.
8 Intention délictueuse dans le cadre de l'homicide. Le statut et
9 les conventions, je pense que c'est Me Greaves qui va en parler, donc je
10 passerai directement à autre chose. Je n'allais pas évoquer chacun des
11 chefs de l'acte d'accusation, toutefois il y a deux groupes de
12 chefs d'accusation qui s'appliquent de façon plus spécifique à M. Delalic.
13 Il s'agit de deux chefs de viol. Je l'ai dit dans mon mémoire écrit, j'ai
14 expliqué pourquoi il y a un doute raisonnable à cet encontre.
15 Toutefois, laissez-moi vous suggérer quelques éléments
16 supplémentaires. Aucune des femmes n'a pu le reconnaître dans l'album de
17 photos déposé au dossier. Il s'agit de la pièce n° 1 pour Delic. Mme Cecez
18 a dit qu'elle ne pouvait pas reconnaître qui ce que ce soit. Et Mme Antic
19 a dit qu'il y a quelqu'un qui lui semblait familier qu'elle reconnaissait
20 à cause du front assez haut. Je pense qu'il s'agit de la pièce de la
21 défense Delic 1/3. Il suffit d'examiner cela pour s'en convaincre.
22 Si l'on veut évaluer la crédibilité de Mme Cecez, je l'ai
23 trouvée évasive... j'ai vu des gens évasifs dans un contre-interrogatoire
24 et puis j'ai vu Mme Cecez au contre-interrogatoire. Elle était assise là,
25 à cette table, et elle vous a dit qu'elle ne se souvenait plus si elle
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1 avait apporté des modifications à sa déclaration préalable la veille de sa
2 déposition. Lorsqu'elle était ici, elle vous a dit qu'elle ne se souvenait
3 plus si elle avait été interviewée à la télévision.
4 Je ne vais pas me prononcer sur la véracité de ce qu'elle a dit,
5 je vais me contenter de suggérer quelque chose : soit elle se souvenait ou
6 elle ne voulait pas le dire, ce qui engage sa crédibilité ou, à défaut,
7 elle ne se souvenait pas et elle vous disait la vérité, ici, à la barre
8 des témoins. Et si c'est bien là la vérité, comment peut-elle se souvenir
9 d'événements qui se sont produits 5 ans plus tôt, si elle ne se souvient
10 pas de ce qu'elle aurait fait la veille ? Ceci entame et engage sa
11 capacité à se remémorer de façon précise tel ou tel événement.
12 Parlons de Mme Antic. Là, le Procureur m'a un peu soufflé dans
13 son mémoire écrit lorsqu'elle parlait de mon contre-interrogatoire. Je ne
14 voulais pas l'embarrasser, la mettre mal à l'aise et si j'ai provoqué un
15 quelconque malaise chez ce témoin, je m'en excuse auprès des Juges.
16 Le Juge Jan, le Juge Karibi-Whyte. Vous le savez, lorsque j'ai parlé de
17 l'hystérectomie, des pilules anti-contraceptives, j'en ai d'ailleurs
18 repris des citations exactes dans mon mémoire écrit.
19 Je crois qu'à ce moment-là, le Juge Jan a dit : "Mais c'est une opération
20 assez lourde, toute femme le sait". Ce sur quoi le Juge Karibi-Whyte
21 aurait dit : "Ce n'est pas comme si on enlevait une verrue". Mais je m'en
22 remets au dossier d'audience pour ces faits.
23 La question que j'ai posée, je l'ai posée parce qu'elle portait
24 sur la crédibilité. Je l'explique de façon assez approfondie dans mon
25 mémoire écrit mais, en conclusion, je vous rappelle ceci : voici quelque
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1 18 longs mois que nous nous trouvons. J'ai fait pas mal d'économie pour ce
2 qui est des points gagnés dans les nombreux que j'ai faits. Je peux vous
3 dire qu’on dit : "Voilà je vous ai peut-être énervés, vous pouvez me
4 frapper avec cette batte de base-ball". Mais ne retenez pas les éléments
5 contre mon client mais contre moi.
6 M. Jan (interprétation). - (Hors micro).
7 M. Moran (interprétation). - Je retire ce que je viens de dire.
8 Mais si j'ai fait quoi que ce soit qui soit de nature à vexer qui que ce
9 soit dans le prétoire, je m'en excuse d'avance et je vous remercie du
10 temps que vous avez consacré, parce que je crois que j'ai dépassé quelque
11 peu le temps qui m'était imparti. Je vous remercie de votre attention et
12 merci pour ces 18 derniers mois.
13 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Je
14 rappellerai aux conseils de la défense qu'ils devraient essayer de
15 respecter les temps qui leur ont été impartis. C'est ce qu'on peut
16 attendre de professionnels. Je crois que nous allons suspendre nos
17 travaux.
18 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur le Président, avant
19 de suspendre l'audience, au nom du conseil de la défense, je vous prie,
20 lorsque nous aurons fini cette interruption de séance, pour ce qui est des
21 éléments de la torture, de meurtres et de mise à souffrance, que tous ces
22 éléments soient présentés par notre collègue, Michael Greaves. Je n'ai pas
23 pu le faire avant parce que je ne l'ai pas vu entrer en salle d'audience.
24 Par conséquent, je n'étais pas en mesure de l'annoncer.
25 Après Michael Greaves, je devrai prendre la parole pour parler
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1 de la responsabilité
2 en tant que commandant de Zejnil Delalic.
3 M. le Président. - Essayez de bien ordonner vos argumentations
4 pour éviter une répétition d'arguments déjà entendus en ce qui concerne le
5 même accusé. Si vous partagez la tâche avec Me Greaves, veillez à ce que
6 votre présentation soit bien ordonnée et ne soit pas trop longue.
7 L'audience est levée, nous nous retrouverons à 14 heures 30.
8 L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 35.
9 M. le Président (interprétation). - Je vois deux personnes qui
10 sont debout, prêtes à plaider.
11 M. Greaves (interprétation). - Je n'ai pas de chaise, moi,
12 Monsieur le Président.
13 Mme Boler (interprétation). - Michael m'a autorisée à m'adresser
14 à vous, Madame et Messieurs les Juges. J'aimerais que la défense de
15 M. Landzo soit autorisée à soumettre une requête définitive aux fins
16 d'acquittement pour remplacer celle qui avait été déposée vendredi soir.
17 M. le Président (interprétation). - Faites-le donc, faites-le
18 donc.
19 M. Kuzmanovic (interprétation). - Une dernière chose : nous
20 avons mentionné nommément un témoin qui avait reçu des mesures de
21 protection. Je demanderai à ce que la page sur laquelle est mentionné le
22 nom de ce témoin soit remplacée par une page sur laquelle ne figure pas ce
23 nom.
24 M. le Président (interprétation). - Maître Greaves, j'espère que
25 vous avez compris l'horaire que nous avons prévu pour les réquisitoires et
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1 plaidoiries finals. Si vous avez décidé de partager votre temps de parole
2 avec Mme Residovic, comment l’avez-vous fait ?
3 M. Greaves (interprétation). - J’espère utiliser cinq minutes
4 par accusé.
5 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.
6 M. Greaves (interprétation). - J'espère que mes collègues, mes
7 confrères ne m'en voudront pas d'accorder cinq minutes à chacun de leurs
8 clients. Je commencerai en vous soumettant une hypothèse qui, j’espère, ne
9 portera pas à controverse en aucune façon, mais qui relève du bon sens. La
10 voici : dans tout système de droit pénal, qu'il s'agisse d'un système
11 national ou d’un système de droit pénal international, il faut, il y a
12 exigence que ce droit, que la loi soit claire, précise et formulée dans un
13 langage compréhensible. Ce n'est pas toujours le cas, malheureusement.
14 Quiconque aura eu l'occasion d'assister à la Chambre d'appel britannique
15 engagée dans des actes de rhétorique sémantique le saura... Mais en tant
16 qu'hypothèse, c'est une bonne hypothèse, à mon avis.
17 A quoi sert-elle ? A ceci : c'est que les lois soient clairement
18 comprises par ceux à qui s'applique la loi, que ce soient des citoyens,
19 des Etats ou des armées.
20 Que la mise en oeuvre du droit pénal ne soit pas impossible
21 parce que cette loi ne serait pas énoncée en des termes clairs ce qui ne
22 me permettrait pas de faire se manifester la justice ou, pire encore, que
23 des innocents soit erronément condamnés.
24 Troisièmement, que ceux qui sont accusés d'infraction pénale
25 soient informés, soient dûment informés et connaissent le système qui soit
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1 public, et -autre élément important- que ceux qui ont pour mission de
2 conseiller d'autres en matière de droit soient en mesure de donner un
3 conseil clair et dénué d'ambiguïté, que ce soit pour poursuivre ou pour
4 défendre une personne.
5 Pourquoi cette hypothèse est-elle importante ? C'est parce que
6 dans une cour pénale, quelle que soit la compétence, les juges ont pouvoir
7 d'incarcérer à vie les accusés et, dans certains systèmes, on peut aussi
8 priver les accusés de la vie. Ce sont des actes fondamentaux qui font
9 intervenir la liberté et la vie du sujet. C'est la raison pour laquelle
10 tous les systèmes de droit pénal doivent satisfaire aux exigences que je
11 viens d’énoncer.
12 Examinons les Conventions de Genève : nous constatons qu'il ne
13 s'agit pas là de
14 statut de droit pénal, l'intention formulée en 1949 et rappelée et
15 renforcée en 1977, c'est que la justice nationale devrait mettre en oeuvre
16 la philosophie sous-tendant les Conventions de Genève en adoptant dans la
17 législation nationale des actes, des lois adaptés correspondant à leur
18 propre système juridique. Un exemple que j'ai dans mon pays, en Grande-
19 Bretagne et au Pays de Galles, c’est l’acte sur le génocide de 1969 qui a
20 importé dans le droit national les Conventions de Genève, l'incorporant
21 ainsi dans notre corps de droit.
22 Quelles sont les conséquences d'avoir ceci, à savoir les
23 Conventions de Genève dans le cadre de procès pénaux ? C'est que nous
24 avons les sources d’où sont dérivés les Statuts du Tribunal. Ce sont une
25 série de documents qui ne sont pas censés être des statuts de droit pénal.
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1 Ces Conventions, à mon avis, ne répondent même pas aux premiers éléments
2 de ce que chaque système national reconnaîtrait comme étant un Code pénal.
3 Toutefois, ce que nous avons c'est le Statut du Tribunal pénal
4 international.
5 Je passe à ce point-ci : lorsque se pose la question de
6 l'interprétation dudit Statut, de la définition qu'il conviendrait que
7 vous accordiez à la signification de termes, de phrases et de la
8 terminologie générale, nous vous demandons de faire ce que vous avez fait
9 tout au long de ce procès, à savoir d'interpréter la terminologie
10 juridique en employant, en appliquant la signification coutumière à ces
11 termes qu'il s'agira de définir. Nous vous demandons de continuer à le
12 faire, car c'est là une façon équitable de se saisir de la question de
13 l'interprétation des lois.
14 J'en arrive à l'essentiel de ce que je voulais vous dire. Je
15 m'occuperai tout d'abord de la question de l'intention délictueuse de la
16 mens re en cas de meurtre. Au début de la présentation des témoins à
17 charge, nous avons dit qu'il fallait une base raisonnable pour établir
18 l'infraction de meurtre ou de crime. Il est regrettable qu'à ce jour
19 l'accusation ait négligée de se pencher sur les questions importantes que
20 nous avions évoquées dans ce mémoire.
21 En gros, que dit l'accusation ? Elle dit : "Nous avons raison,
22 la défense a tort, inutile de discuter de la question". De l'avis de
23 l'accusation, elle se base sur le protocole du
24 CICR, protocole n° 1. Ceci, en soi, contient des termes incorrects à notre
25 avis. Je vous rappelle le libellé : "Intentionnellement, l'accusé doit
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1 avoir agi intentionnellement pensant à l'acte et aussi au résultat,
2 l'intention criminelle, la malice et la préméditation".
3 Puis, il s'agit d'apporter dans la définition un autre concept
4 en anglais, "recklessness". Le problème pour l'accusation se pose au
5 niveau des termes utilisés dans le Statut. Ce sont ces termes qu'il vous
6 faudra interpréter, Madame et Messieurs les Juges. Dans la version
7 anglaise du Statut, on parle d'homicide intentionnel, "willful killing" en
8 anglais. A juste titre, nous n'allons pas nous tourner vers des systèmes
9 nationaux pour trouver la définition de ces termes qui font partie du
10 droit de ce Tribunal-ci.
11 Vous penserez peut-être, Madame et Messieurs les Juges, que la
12 définition fournie dans plusieurs mémoires par l'accusation peut vous
13 faire croire que l'accusation s'est attachée à la définition britannique
14 du meurtre en y joutant l'autre concept, celui de "recklessness". En
15 Angleterre, on peut être coupable de meurtre si on a l'intention de tuer
16 ou d'infliger des souffrances ou de porter atteinte à l'intégrité physique
17 d'une personne. Cela ne fait pas partie de la "recklessness". Mais cela
18 semble trouver un écho ici, ici l'écho étant celui de la définition
19 britannique. Il se peut que cette définition existe dans d'autres systèmes
20 du Commonwealth. Vous connaissez mieux vos systèmes, Madame et Messieurs
21 les Juges, que moi.
22 J'ai dit, il y a un instant, qu'il conviendrait que vous
23 examiniez ces termes en prenant leur signification, leur définition
24 coutumière et, à mon avis, c'est là le point de départ de votre
25 délibération. Dans les arguments que nous avons avancés à la fin de la
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1 présentation des témoins à charge, nous avons donné des citations de
2 dictionnaires juridiques qui montrent quelle est la signification
3 ordinaire de ces termes dans les statuts.
4 Je reprends le terme "intentionnel" : intention délibérée,
5 préméditée, volontaire, voulue. Et peut-être ce qui est important dans le
6 cadre du droit. Droit : délit intentionnel, pas ou prou délit
7 d'imprudence, délit contraventionnel. Par contraste avec un crime
8 d'imprudence, de
9 négligence ou de "recklessness". C'est, selon notre avis, une intention
10 précise de la signification qu'il faudrait donner, dans nos textes, au
11 terme "intentionnel". Ceci vient du Grand Robert de la Langue Française,
12 1989. Le terme "willful" du dictionnaire Oxford en anglais : fait à
13 dessein, consciemment, délibéré, intentionnel, pas accidentel ou fortuit.
14 A notre avis, il est évident, la signification de ces termes est
15 claire et sans ambiguïté, en anglais et en français. Je ne peux parler,
16 bien sûr, que pour la langue que je maîtrise, à savoir l'anglais. Dire que
17 l'intention, la "recklessness" peuvent être la même chose, c'est en fait
18 renverser la signification même de la langue anglaise. Il y a deux
19 concepts qui, dans le droit et dans le bon sens, s'excluent mutuellement .
20 Interpréter le Statut comme je viens de vous inviter à le faire ne peut
21 déboucher que sur une conclusion, à savoir que la définition adéquate de
22 l'homicide intentionnel "willful murder" en anglais, c'est le fait de tuer
23 avec l'intention de le faire.
24 Je passe maintenant à la torture. De l'avis de l'accusation,
25 elle a montré le manque de cohérence dans sa démarche. Après avoir dit que
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1 le CICR et ses commentaires était la doctrine en matière de meurtre quand
2 ceci convient à l'accusation, elle ignore ces dits commentaires. Alors
3 que, précisément, à ce moment-ci, le commentaire du CICR ne convient pas à
4 l'accusation qui doit chercher une autre source, en l'occurrence la
5 Convention de 1949 qui a permis à l'accusation de donner sa définition de
6 la torture.
7 Une autre citation importante provient de l'ouvrage de
8 M. Sherif Bassioni. Malheureusement la citation est assez sélective car ce
9 dernier émet une autre hypothèse à la page 549 de son livre, lorsqu'il
10 veut définir la torture. Excusez-moi de donner lecture de cette définition
11 mais c'est important : de surcroît, la section F de l'article 6, torture,
12 est pénalisée par la Convention sur la torture, celle de 1984. Mais la
13 Convention sur la torture n'est pas incluse dans les statuts de convention
14 de droit positif. De surcroît, les actes énumérés dans ces dispositions ne
15 sont pas définis et les éléments de l'infraction ne sont pas définis non
16 plus. Reste le principe de la légalité. Comment le Tribunal va-t-il
17 déterminer cette notion ? Ceci reste sans
18 réponse. Le Tribunal pourrait se fonder sur la définition et les éléments
19 des crimes correspondants repris dans les codes criminels des République
20 précédentes où se seraient produits les actes. Cette démarche
21 permettrait...
22 M. le Président (interprétation). - On vous demande de ralentir
23 quelque peu le débit.
24 M. Greaves (interprétation). - J'ai bien entendu, mais je ne
25 voulais pas perdre mon fil. Cette démarche ferait en sorte que les aspects
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1 de droit positif et le principe de la légalité sont maintenus et ce serait
2 aussi conforme à l'article 22 du Statut, lequel prévoit que le Tribunal
3 imposera des sanctions après avoir examiné les lois des différentes
4 républiques.
5 A titre subsidiaire, le Tribunal pourrait ne pas avoir recours
6 au droit national et se baser plutôt sur des principes généraux pour
7 définir les éléments de tels crimes et les reprendre dans les systèmes de
8 droit pénal général. Toutefois, cette démarche nécessiterait un projet de
9 recherche important en droit comparé. Or le Tribunal n'a pas les moyens ni
10 physiques, ni financiers pour entreprendre une telle recherche.
11 La torture et le viol sont repris parmi les autres actes
12 inhumains de l'article 6 de la Charte IMT en définissant aussi les
13 éléments constitutifs de cette infraction. Le Tribunal pourrait se fonder
14 sur les lois pénales des anciennes républiques, Bosnie-Herzégovine, Serbie
15 et Croatie comme étant une source de droit positif. A ce moment-là, le
16 Tribunal interpréterait le Statut de façon cohérente avec le principe,
17 notamment, de légalité. Le rapport du Secrétaire général ne mentionne pas
18 les conventions sur la torture qui, pourtant, devraient donner la
19 définition de la torture au F.
20 Il en revient à dire que c'est la Convention de 1984 qui est la
21 bonne à appliquer, mais son opinion n'est pas pour autant un droit établi
22 et ceci peut être appuyé par d'autres éléments. Le premier étant l'article
23 premier de la Convention de 1984, lequel parle de la définition fournie
24 aux fins de ladite Convention sur la torture. Il se peut que ce soit là
25 une close
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1 restrictive.
2 Deuxième élément : cette définition de la torture n'est pas
3 unique. Il y en a d'autres qui sont fournies dans d'autres systèmes
4 nationaux. Dans l'affaire d'Irlande contre le Royaume-Uni en 1978, affaire
5 portée devant la Cour européenne des Droits de l'Homme, la Cour a été
6 saisie d'un grief formulé par le gouvernement irlandais selon lequel les
7 Britanniques torturaient des Irlandais. Par exemple, au titre de ce grief,
8 des gens devaient être placés contre des murs pendant très longtemps, ce
9 qui les désorientaient et les suspects étaient ainsi intentionnellement
10 désorientés. On les soumettait aussi à du bruit intense pendant les
11 interrogatoires en les privant de sommeil, de nourriture et de boisson. La
12 Cour a estimé que ce n'était pas là de la torture. J'attire l'attention de
13 Madame et Messieurs les Juges sur cette affaire que je n'approfondirai
14 pas, étant donné le peu de temps imparti. Mais c'est important parce que
15 l'on y donne une autre définition de la torture.
16 Et puis, en 1985, une année après l'adoption de la Convention
17 sur la torture...
18 M. Jan (interprétation). - Il a dit que ce n'était pas de la
19 torture !
20 M. Greaves (interprétation). - Effectivement.
21 M. Jan (interprétation). - Mais je suppose que la Cour avait une
22 certaine définition à l'esprit ?
23 M. Greaves (interprétation). - Tout à fait, je ne vais pas vous
24 en donner lecture car le passage est assez long et je suis limité par le
25 temps, mais je voulais simplement attirer votre attention et vous pourrez
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1 le lire à tout loisir. Je crois que ce serait utile, n'est-ce pas ?
2 M. Jan (interprétation). - Je suppose que si ils disent que ce
3 n'est pas de la torture, ils doivent bien la définir quelque part ?
4 M. Greaves (interprétation). - Certes, mais ils disent que ces
5 actes pris cumulativement ne représentaient pas de la torture. Et nous
6 estimons que les actes concernant des terroristes irlandais étaient bien
7 plus graves, bien plus sérieux ,à tel point que le
8 gouvernement irlandais estimait qu'il s'agissait de la torture.
9 M. Jan (interprétation). - Du bruit, qu'est-ce que vous voulez
10 dire par là ?
11 M. Greaves (interprétation). - Si vous faites passer un son
12 incohérent par des écouteurs, c'est ce que l'on appelle du son blanc en
13 anglais et si on diffuse ceci pendant très longtemps, ceci peut
14 désorienter la personne qui écoute. Il suffit de demander l'avis d'un
15 jeune de 15 ans qui va à la discothèque.
16 Le Juge Odio Benito connaît peut-être la Convention
17 interaméricaine de 1985 pour empêcher la torture, ceci avait été signé
18 en 1985. Celle-ci présente une autre définition de la torture, similaire
19 mais pas identique à celles que propose l'accusation en l'espèce. Je vois
20 que Me Odio Benito manifeste qu'elle connaît bien la définition dans cette
21 Convention. Je ne vais pas en donner lecture, car la définition est longue
22 même si elle est utile.
23 Les affirmations de l'accusation selon lesquelles les
24 Conventions de 1984 sont un droit établi, peuvent être considérées comme
25 étant inexactes. Autre définition : la loi britannique. Même si la Grande-
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1 Bretagne est signataire à la Convention de 1984, l'acte, la loi important
2 ceci en droit national comprend une autre définition assez longue de ce
3 qu'est la torture. Elle est quelque peu plus elliptique, dirais je. Ce
4 n'est pas le meilleur acte législatif que j'ai jamais vu de la Grande-
5 Bretagne.
6 Je parle maintenant du fait de causer de grandes souffrances
7 intentionnellement. On utilise le terme intentionnellement. A notre avis,
8 l'intention délictueuse que l'on applique à ceci devrait être la même que
9 pour tout autre définition de l'intention délictueuse que l'on donne à
10 "intentionnel". Cette loi manque de clarté, de précision et de langage
11 compréhensible. Ce sont les raisons pour lesquelles elles sont en
12 contradiction avec le principe, nullem crimen sine lege. Si ceci n'est pas
13 exact, le critère sera l'acte délibéré qui va causer de grandes
14 souffrances ou qui va apporter de graves atteintes à l'intégrité physique
15 ou à la santé. De nouveau, lorsqu'il s'agit des actes inhumains, lorsque
16 nous disons que la loi ne présente pas l'exactitude, la précision et
17 un langage pas aussi compréhensible qu'il faudrait. Même dans les
18 commentaires, on est d'accord sur ce point. Il est dit que, je cite :
19 "Cette idée est assez difficilement définissable". Fin de citation. Et
20 ceci nous en dit long sur la difficulté de la question et là nous disons
21 aussi que le principe de nullem crimen sine lege est violé.
22 Je conclurai par quelques mots sur le pillage. En mars dernier,
23 mars 1997, j'entends par là, quand je suis venu ici pour la première fois
24 dans ce prétoire, je ne savais pas que je venais dans un camp où on
25 faisait l'équivalent de vol à l'étalage. Le fait de voler une montre ou
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1 quelque chose de ce genre n'équivaut pas au pillage. Ce n'est pas une
2 violation grave des Conventions de Genève. Le pillage, c'est ce
3 qu'Hermann Goering a fait avec les oeuvres artistiques de l'Europe de
4 l'Est. Ca, c'est une violation grave. C'est aussi le fait de vider une
5 maison de son mobilier de qualité, ça, c'est du pillage. Mais voler une
6 montre, voler quelques pièces de monnaie, ce n'est pas pour nous et ce
7 n'est pas ce pourquoi nous avons ici, à grands frais, été amenés à
8 discuter. Ceci est loin de satisfaire aux exigences qu'il faut réunir pour
9 définir le pillage. Ce chef d'accusation en particulier, sous l'angle du
10 droit, n'est pas à sa place dans ce Tribunal.
11 Je crois que j'ai terminé, excusez-moi d'avoir été un peu long.
12 Voilà nos arguments, nous vous demandons de les étudier avec tout le soin
13 qu'ils méritent.
14 M. Jan (interprétation). - Quelle était la définition de la
15 torture que vous aviez à l'esprit ?
16 M. Greaves (interprétation). - Nous les avons déjà soumises
17 dans un mémoire à la fin de la présentation des témoins à charge. Ce n'est
18 en tout cas pas la définition offerte par l'accusation. Nous l'avons
19 définie, cette notion, je le disais, après la présentation des moyens de
20 preuve à charge car il faudrait beaucoup de temps pour la présenter à
21 nouveau. De toute façon, vous pouvez en prendre lecture. Y a-t-il une
22 autre question sur laquelle je peux vous aider ?
23 M. Jan (interprétation). - Non, je crois que c'est suffisant.
24 Maître Greaves, je vous remercie.
25 M. le Président. - Maître Residovic ?
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1 M. Greaves (interprétation). - Me permettez-vous de me retirer ?
2 M. le Président. - Si c'est tout ce que vous avez à m'offrir,
3 vous pouvez partir.
4 M. Greaves (interprétation). - Si j'avais plus de temps, je
5 pourrais en dire davantage.
6 M. le Président. - Veuillez poursuivre, Maître Residovic.
7 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie,
8 Votre Honneur. Suite à la présentation des éléments de preuve de
9 l'accusation et de ceux de la défense, vous avez pour tâche, Madame et
10 Messieurs les juges, d'apprécier les éléments de preuve, sans élément de
11 doute raisonnable, pour savoir si M. Zejnil Delalic a commis les actes qui
12 lui sont mis à charge.
13 La tâche de ce Tribunal et les normes en fonction desquelles
14 vous allez suivre certainement sont celles qui disent que l'accusé peut
15 être condamné seulement s'il y a des preuves sans doute raisonnable et
16 c'est une norme qui est connue dans tous les codes pénaux du monde. Si,
17 après appréciation attentive de toutes les preuves établies, vous
18 constatez que l'accusation ne l'a pas fait, c'est-à-dire que l'accusation
19 n'a pas avancé des éléments de preuve sans doute raisonnable, compte tenu
20 des éléments, des actes d'accusation cités à l'acte d'accusation, je pense
21 que l'accusé pourra être libéré. Et dans notre droit de procédure, indubio
22 proreo est un principe au sommet de tout droit pénal.
23 Dans le cas de Zejnil Delalic, je crois que votre tâche ne sera
24 pas très difficile et, ayant pleine confiance en votre expérience de
25 juristes d'élite et en votre expérience purement humaine, ainsi qu'en la
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1 dignité des Juges eux-mêmes, je suis persuadée que vous apprécierez avec
2 conscience tous les éléments de preuve avancés. La seule conclusion que je
3 pense pouvoir être la vôtre, c'est que non seulement l'accusation n'a pas
4 prouvé sans doute raisonnable quelque point que ce soit des chefs
5 d'accusation contre Zejnil Delalic, mais au contraire que devant ce
6 Tribunal viva voce par, donc, interrogatoire direct des témoins, il a été
7 établi sur base de
8 documents authentiques et fiables que Zejnil Delalic n'a, à aucun moment,
9 bénéficié d'un statut de supérieur sur la prison de Celebici, sur son
10 personnel, les gardes ou autres personnes comme l’a indiqué l'acte
11 d'accusation.
12 Je tiens à vous rappeler, honorable Tribunal, au point 3,
13 point 7 de l'acte d'accusation, on dit que Zejnil Delalic avait coordonné
14 les forces des Musulmans et des Croates de Bosnie dans la région de
15 Konjic, d'avril 1992 à septembre 1992 et qu'il avait été commandant du
16 groupe Tactique n° 1 des forces bosniennes de juin à novembre 1992 et
17 qu'il avait, à ce titre-là, été responsable du fonctionnement de la prison
18 de Celebici et qu'il se trouvait être supérieur par rapport à tous les
19 gardiens du camp et autres particuliers qui entraient, qui accédaient au
20 camp et qui maltraitaient les détenus.
21 Je ne me propose pas de réitérer les points de l'accusation,
22 vous les connaissez aussi bien, et je crois qu'un chef d'accusation, à
23 savoir le point 48, met à sa charge la détention illicite de civils
24 conformément aux normes internationales prévues à cet effet. Dans son
25 mémoire écrit, la défense a analysé dans le détail toutes les questions de
Page 14770
1 droit et de faits liés aux chefs d'accusation et aux preuves. Aussi,
2 voudrais-je attirer votre attention sur certaines de ces questions,
3 notamment celles qui se rapportent au statut de l'accusé.
4 La question préalable relative à l'établissement de la
5 responsabilité dans le sens de l'article 7, point 3 du Statut de notre
6 Tribunal, à savoir que la condition sine qua non consisterait à savoir si
7 l'accusé avait un statut de supérieur ou pas, qu’en dit le Procureur ?
8 Dans son mémoire du 24 février 1997, le Procureur a présenté une position
9 qui figure au commentaire du Comité international de la Croix Rouge
10 portant sur le Protocole 1 de la Convention de Genève, en fonction de quoi
11 le concept de supérieur était plus vaste et doit être considéré dans le
12 cadre de la hiérarchie qui englobe également le concept de contrôle.
13 Aujourd’hui, nous avons entendu un concept plus vaste encore.
14 L’accusation porte le concept de supérieur à toute personne qui bénéficie
15 d'une certaine considération et passe de
16 sa définition du droit vers le manque de droit.
17 La même position a été conservée par le Procureur dans son
18 allocution introductive et il a confirmé, il a affirmé que les preuves,
19 les éléments de preuve allaient démontrer que Delalic avait un contrôle
20 direct, exerçait un contrôle direct sur toutes les personnes qui se
21 trouvaient à la prison ainsi que le personnel de cette prison et qu'il
22 avait eu des compétences officielles au niveau de cette prison et que la
23 prison se trouvait à l'intérieur de la région par laquelle il commandait.
24 Et aucune de ces assertions n'a été effectivement prouvée par
25 l'accusation.
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1 Consciente donc de l'incapacité de prouver la position
2 officielle de Delalic, l'accusation a déjà émis des réserves et affirmé
3 que, quelle qu’ait été l'argumentation qui puisse être avancée sur ses
4 attributions de jure, il n'y a pas de doute qu'il avait des compétences de
5 facto sur le camp de Celebici. C'est ce que nous dit le Procureur dans son
6 réquisitoire aujourd'hui.
7 En outre, il nous rappelle ce qu'il avait déjà dit auparavant, à
8 savoir que certains autres pourraient partager les attributions en
9 question, à savoir celles qui ont délégué leurs attributions vers
10 M. Delalic, mais il est un fait que d'autres sont également responsables
11 comme M. Delalic.
12 Mais cette assertion n'a pas également été prouvée par
13 l'accusation : du point de vue de Delalic, l'accusation insiste sur une
14 prémisse qui ne saurait être maintenue, à savoir que M. Delalic était
15 supérieur et compétent pour le camp de Celebici et quel qu’ait été son
16 statut et quelles que soient les fonctions qu'il ait exercées de mai à
17 novembre 1992.
18 Donc, le Procureur considère, en élargissant le niveau de
19 responsabilité des attributions de la personne supérieure, qu'il était
20 égal de savoir si Delalic était un simple civil, un simple soldat, un
21 coordinateur entre la présidence de guerre et pour les relations avec les
22 forces armées, ou s'il était commandant du groupe Tactique n° 1, car dans
23 chacun de ces statuts, Delalic, selon le Procureur, se trouvait toujours
24 être supérieur pour ce qui était de la prison de Celebici.
25 Pour une telle hypothèse, le Procureur a opté en sa faveur du
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1 moins, parce qu'il ne pouvait pas prouver que M. Delalic, en sa qualité de
2 coordinateur ou de commandant du groupe Tactique 1, avait quelque
3 compétence formelle que ce soit au niveau du camp de détention.
4 Il en découle que l'accusation accepte, enfin reconnaît elle-
5 même que ni le coordinateur ni le commandant du groupe Tactique n° 1, ne
6 pouvait avoir d'attribution pour ce qui était de la prison. Mais comme on
7 l’a aujourd'hui, ces attributions appartenaient à Zejnil Delalic quels
8 qu’aient été ses fonctions et son statut.
9 Selon donc cette thèse, Delalic aurait été compétent pour cette
10 prison même s'il n'avait pas été coordinateur et s'il n’avait pas été
11 commandant du groupe Tactique n° 1. C'est pourquoi, au travers des
12 éléments de preuve présentés, le Procureur a essayé de créer une
13 sensation, une conviction selon laquelle Delalic bénéficiait d'un pouvoir
14 et d'une grande influence personnelle de fait sur toutes les institutions,
15 à Konjic et sur toutes les personnes autour de soi.
16 Je pense que vous serez d'accord avec nous, Madame et Messieurs
17 les Juges, qu'il s'agit là d'une assertion absolument inexacte et
18 irréaliste. A la période qui est traitée par les chefs d'accusation au
19 niveau de M. Zejnil Delalic, il y avait à Konjic une présidence de guerre
20 qui avait représenté et constitué l’autorité suprême du pouvoir civil. Et
21 cette présidence de guerre avait été constituée par des personnes de haute
22 considération, influentes et qui avaient donc beaucoup d'autorité dans la
23 ville de Konjic. A cette même période, il existait un quartier général
24 municipal de la Défense territoriale où il y avait, en plus du commandant,
25 quelque quarante ou cinquante officiers. Il existait également un quartier
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1 municipal du HVO avec une structure tout à fait autonome.
2 En cette même période critique, il y avait eu un commandement
3 conjoint de la
4 Défense territoriale et du HVO avec un système de commandement développé
5 avec au moins trente officiers qui constituaient ce commandement. A
6 Konjic, il y avait, à cette époque-là également, une police du MUP qui
7 avait été subordonnée au ministère sis à Sarajevo.
8 Par conséquent, comme vous avez eu l'occasion de l'entendre et
9 de le constater au cours de cette procédure, dans les institutions du
10 pouvoir des autorités civiles et militaires à Konjic, il y avait plus
11 d'une centaine de personnes disposant de certaines fonctions et de
12 certaines attributions tout comme d'une considération et d'une dignité
13 personnelles s'accompagnant d'un sentiment de responsabilité. Dans cette
14 région, en cette période, se trouvaient les représentants du commandement
15 principal du commandement au sommet, parmi eux quatre généraux : le
16 général Diljac, le général Karic, le général Pasalic et le
17 général Polutak. Trois de ces généraux ont témoigné devant ce Tribunal. Le
18 Dr Hadzi Uzmanovic, président de la présidence de guerre, a également
19 témoigné tout comme le brigadier de la Bosnie-Herzégovine, M. Jambacovic.
20 Tous ceux qui ont vu et entendu ces gens-là, ont compris qu'il s'agissait
21 de témoins à haute crédibilité, qu'il s'agissait de personnes éduquées,
22 capables et déterminées, tout comme de personnalités stables. Aussi ne
23 peut-on pas maintenir l'hypothèse, selon laquelle Delalic avait pouvoir
24 sur eux et qu'ils avaient été subordonnés à Delalic. Ces gens-là avaient
25 des fonctions civiles et militaires avant l'arrivée de M. Delalic à Konjic
Page 14774
1 et ils ont continué à les exercer après le départ de Delalic.
2 A titre donc de rappel, M. Delalic avait vécu 20 ans avant la
3 guerre à Konjic. Il a vécu à Konjic seulement huit mois au cours de
4 l'année 1992. Par conséquent, non seulement, il est incroyable mais
5 impossible aussi que quelqu'un, au bout de 20 ans, revienne dans une ville
6 et que dans un délai d'un mois, dans cette même ville, établisse un
7 pouvoir personnel et une influence personnelle sur des centaines de
8 personnes de renommée, éduquées, autoritaires et si vous voulez, même
9 susceptibles, qui étaient fonctionnaires au niveau de ce pouvoir civil et
10 militaire.
11 Il est également incroyable de croire que Zejnil Delalic ou qui
12 que ce soit d'autre, qui avait des compétences et un contrôle sur la
13 prison, s'il était commandant réel, comme on l'a dit à un moment, cela
14 aurait été un honneur que d'être commandant. Avec les preuves avancées,
15 l'accusation n'a pas réussi à appuyer, argumenter ses affirmations ce qui
16 fait que l'accusation est presque affirmée par l'accusation. On dit je
17 cite : "Même si la responsabilité de contrôle sur la prison de la part de
18 Delalic dans l'ensemble et au-delà des fonctions de commandant de la
19 prison, et même si les preuves et arguments de la défense le confirment,
20 il avait sûrement suffisamment d'attributions vis-à-vis de la prison, y
21 compris celle de procéder à une classification et à la libération des
22 prisonniers". (Fin de citation).
23 Je tiens à dire, ici, brièvement ce que la défense considère, à
24 savoir pour ce qui est des fondements des arguments de l'accusation. Tout
25 d'abord, il y a plusieurs témoignages de témoins qui n'avaient aucune
Page 14775
1 connaissance personnelle concernant M. Delalic et ses attributions
2 personnelles.
3 Deuxièmement, partant des dires des témoins, qui en raison de
4 leur statut personnel et de leur témoignage complètement contradictoire et
5 leur attitude vis-à-vis de Delalic, ils ne sauraient faire l'objet de
6 notre foi et ne peuvent avoir force de preuve.
7 Troisièmement, partant des témoignages des experts qui ont
8 reconnu devant ce Tribunal qu'ils n'avaient fait effectuer aucune
9 recherche sur les circonstances à Konjic et qu'ils basaient ces
10 connaissances à ce sujet, rien que sur les documents que l'accusation lui
11 avait rendu accessible.
12 Quatrièmement, il s'agit de documents non authentiques et peu
13 fiables qui de fait, non véridiques, ne peuvent avoir une valeur de pièces
14 à preuve.
15 Je tiens à revenir sur ces éléments de preuve. D'abord les
16 témoins de l'accusation, qui ont séjourné au titre de détenus au camp de
17 Celebici, n'avaient aucune connaissance personnelle sur les attributions
18 et tâches de Zejnil Delalic, même si le témoin Badko Grubac qui
19 avait connu Zejnil Delalic ne savait pas quelles étaient les attributions
20 et les tâches de Delalic, à cette époque-là, à Konjic. Il s'agit donc, par
21 conséquent, de témoins nombreux de la défense qui vous ont témoigné de
22 manière très illustrative de ses attributions et de ses tâches. Par la
23 suite, le témoin D a été l'un des témoins importants sur les dires duquel
24 l'accusation a édifié ses assertions concernant le statut de supérieur de
25 Delalic.
Page 14776
1 Ce témoin, compte tenu de ses contradictions personnelles et de
2 son peu de crédibilité, ne peut servir de fondement pour la détermination
3 de quelque position que ce soit de Zejnil Delalic. Son témoignage est mis
4 en question par les témoignages des autres personnes qui ont été citées à
5 la barre et si vous vous rappelez du témoignage du témoin D, je crois que
6 vous vous rappellerez quel a été le volume des contradictions dans ces
7 propres dires. Il n'a pas su vous dire quand est-ce qu'il était venu à
8 Konjic, quand est-ce qu'il avait soi-disant visité la maison de
9 Zejnil Delalic. Il a donné là-dessus plusieurs versions différentes. Il
10 n'a pas su quand est-ce qu'il a commencé à travailler dans la commission
11 d'enquête militaire et, concernant la soi-disant réunion à Celebici où
12 Zejnil Delalic aurait participé, il nous a laissé un doute raisonnable
13 pour ce qui est de la tenue et de la date de cette réunion. Il a également
14 été contradictoire pour ce qui est du rapport, compte tenu des conditions
15 de détention et concernant la personne à laquelle ce rapport a été remis.
16 Il a d'abord dit que Delalic avait commis ces catégories de
17 points d'accusation et après il avait déclaré qu'il ne savait pas qu'il
18 avait fait cela. Il ne savait rien non plus sur le document portant la
19 date du 1er juin et dans son témoignage, par la suite, sur le même de
20 document et sur son obtention il nous a donné plusieurs versions.
21 Ce qui est certain, ce que ce témoin a affirmé devant vous,
22 c'est qu'il venait du HVO de Mostar avec des recommandations vers le HVO
23 de Konjic. Il a également dit qu'il s'était présenté au HVO de Konjic et
24 proposé d'être engagé. On lui avait dit également de se présenter auprès
25 de Goran Lokas, président de cette commission d'investigation militaire,
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1 et il a dit que,
2 pour les mêmes raisons, M. Miroslav Stanlek lui avait dit de se présenter
3 au HVO. Il devait par la suite se présenter chez Ivan Azinovic, président
4 du HVO, ce qu'il a fait. Et il a dit qu'il savait que, seul, le HVO
5 pouvait nommer des Croates à certaines fonctions à l'époque. C'est
6 pourquoi il est tout à fait incompréhensible que le Procureur maintienne
7 sa position et affirme que Zejnil Delalic avait nommé le témoin D à
8 certaines fonctions de la commission d'enquête militaire et lui avait
9 expliqué ses tâches et ce en présence des personnes les plus responsables
10 du HVO, de M. Dinko Zebic, commandant du HVO et de M. Ivan Azinovic,
11 président du HVO.
12 En essayant de préserver la crédibilité dudit témoin,
13 l'accusation, dans sa réponse écrite datant de mars 1998, le Procureur
14 essaie de nous convaincre que ce témoin n'avait des problèmes qu'avec la
15 mémorisation des dates et en nous suggérant que peut-être ce document du
16 1er juin adressé à Ivan Azinovic a été remis au témoin D, soit à
17 l'occasion d'une première rencontre de Zejnil Delalic, tout en oubliant
18 par la même occasion que le témoin D, de par ses propres dires, était venu
19 dans cette maison justement avec Ivan Azinovic. Aussi est-il, sans fin
20 aucune, que Zejnil Delalic adresse un message à Azinovic en sa propre
21 présence ou alors que le message lui a-t-il été remis à l'occasion de la
22 prise en charge d'un uniforme en oubliant le fait que le témoin D avait
23 été également contradictoire en disant que Zejnil Delalic lui avait promis
24 cet uniforme à l'occasion d'une première rencontre et qu'ensuite cet
25 uniforme lui ait été délivré par quelqu'un d'autre, chose qu'il a signée.
Page 14778
1 Le témoin D n'est pas sûr de la remise dudit document par Zejnil Delalic
2 et, comme dans les circonstances précédentes, il avait décrit que le
3 document lui avait été remis pendant une réunion à Celebici et ce partant
4 d'un fait, et partant donc de la remise en question de la tenue de cette
5 réunion.
6 Ce que nous savons est ce que nous avons pu savoir au travers du
7 témoignage de cette personne à savoir qu'elle s'était présentée au HVO à
8 Konjic pour ses fonctions et qu'elle avait communiqué... Enfin, ce qu'il
9 avait eu comme information au niveau des conditions de Celebici à
10 Ivan Azinovic et Ivan Azinovic lui avait soi-disant dit de cesser ses
11 activités, chose
12 qu'il a faite et que le compte rendu en question selon lui était remis au
13 HVO. Il a confirmé devant ce Tribunal qu'il n'avait pas vu l'original,
14 qu'il avait signé une copie et qu'il ne savait pas si ce rapport avait été
15 remis à quelqu'un d'autre et à qui.
16 La crédibilité de tout témoin et de celui-ci également est une
17 question d'importance à laquelle vous allez sûrement attribuer l'attention
18 qui lui est due et je suis sûre que vous poserez la question de savoir
19 pourquoi le témoin D aurait des raisons de témoigner à la charge de
20 Zejnil Delalic.
21 Je voudrais peut-être vous rappeler les dires du témoin
22 Mladen Zebic qu'il n'y avait pas de témoignage contre ces personnes-là et
23 que c'est une chose qui mérite d'être remise en question. Les dires qui
24 confirment les points d'accusation contre Zejnil Delalic ont été ceux
25 d’Ivan Azinovic et Mladen Zebic qui ne se sont pas présentés devant ce
Page 14779
1 Tribunal. Concernant ces personnes, les témoignages de M. Yusef Begovic et
2 Deva Pasic nous ont fait savoir que, dès 1992, ils avaient été mener une
3 (expurgée)
4 (expurgée)
5 (expurgée)
6 (expurgée)
7 (expurgée)
8 (expurgée)
9 (expurgée)
10 (expurgée)
11 (expurgée)
12 (expurgée)
13 (expurgée)
14 (expurgée)
15 (expurgée)
16 (expurgée)
17 (expurgée)
18 (expurgée)
19 (expurgée)
20 (expurgée)
21 (expurgée)
22 (expurgée)
23 (expurgée)
24 (expurgée)
25 (expurgée)
Page 14780
1 Tous ces faits-là seront certainement pris en considération lorsque
2 vous jugerez de la crédibilité de ce témoin et j'en suis convaincue.
3 Par contre, indépendamment des raisons susmentionnées pour ce
4 qui est de la crédibilité dudit témoin, il importe davantage encore de
5 dire que d'autres témoins que nous avons eu l'occasion d'entendre devant
6 cette Cour, à savoir les membres du MUP, du quartier général, à savoir
7 Cervik, Cerovas, Stakinovic Durlacic, Dumur, Hadzi Husejnovic, avaient été
8 affirmatifs dans leurs dires pour ce qui est de l'absence d'attributions
9 pour Zejnil Delalic concernant la nomination des membres de la commission
10 d'enquête militaire, qu'il n'avait aucune attribution au niveau de cette
11 commission d'enquête militaire et qu'il ne pouvait nommer les Croates à
12 quelque fonction que ce soit et en plus, bien entendu, le témoin D parmi
13 eux, et qu'il n'avait aucune attribution pour ce qui était d'arrêter,
14 d'emprisonner et de garder en prison les personnes tout comme il n'avait
15 aucune attribution pour ce qui était de les libérer. Les dires de ces
16 témoins crédibles mettent en doute les dires du témoin D concernant ces
17 faits pertinents.
18 La majeure partie des preuves sur lesquelles se fonde le
19 Procureur quant à établir la responsabilité de Zejnil Delalic lors de son
20 réquisitoire ont trait aux cassettes vidéos et aux documents qui ont été
21 saisis lors de la perquisition faite dans la ferme Indebow à Vienne. Il
22 s'agit de dire que, pour apprécier la valeur de ce matériel, il faudra
23 bien savoir quelle sera la décision de vous autres, Vos Honneurs, pour ce
24 qui est du poids à accorder aux soi-disant documents de Vienne.
25 Dans ce sens là, je pense qu'il serait bon de nous rappeler le
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1 fragment suivant : le procès du Tribunal international est engagé devant
2 les juges professionnels qui par leur savoir et
3 expérience sont capables d'estimer et de bien juger toute preuve présentée
4 et pour se prononcer sur le poids de ces preuves. Comme ceci a été dit,
5 d'après les normes implicites, la Chambre a étudié tous les documents
6 ainsi présentés pour ce qui est de la pertinence ou de la non pertinence
7 des preuves autant que la recevabilité de ces preuves.
8 Pourtant, cette terminologie pourrait laisser un espace vide
9 pour qu'il y ait des malentendus qui se glisseraient, notamment lorsqu'il
10 s'agit d'interpréter, à cette phase du procès, l'origine, la qualité
11 d'auteur et la fiabilité des preuves. C'est pour cette raison-là que la
12 Chambre de cette instance souhaite éclairer la situation pour savoir que
13 ces documents et les preuves ne veulent pas dire, pour autant, que les
14 preuves présenteront tous les faits y relevant.
15 Les facteurs tels l'authenticité ou la qualité d'auteur ont bien
16 entendu une grande importance pour la Chambre lorsqu'il faudra juger du
17 poids de chacune des preuves. En outre, Votre Honneur, vous avez surtout
18 mis en valeur le fait que l'on jugera du poids de chaque preuve dont les
19 auteurs n'ont pas comparu ici, non plus qu'ils n'ont fait l'objet d'un
20 contre-interrogatoire.
21 La défense considère donc que cette attitude présentée ainsi
22 dans une décision devra servir de norme pour juger de toute preuve
23 présentée dans ce procès, notamment lorsqu'il s'agit de preuves concernant
24 Zejnil Delalic, qu'il s'agisse évidemment de preuves présentées par le
25 Procureur ou par la défense. Pourquoi autrement devrait-on avoir recours à
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1 des archivistes qui devraient se prononcer sur l'authenticité des
2 documents si l'on ne devait pas évidemment parler de la responsabilité.
3 Pour ce qui est des arguments de Vienne par écrit, nous en avons déjà
4 parlé nous-mêmes dans le cadre de notre mémoire écrit.
5 En se fondant sur le témoignage du Pr. Gow, le Procureur disait
6 qu'à cette époque-là, à Konjic, il y avait une situation de vide et que
7 Konjic étant quittée par Sarajevo détenait un statut d'autonomie et que
8 dans cette situation Zejnil Delalic, d'après ses propres qualités et ses
9 compétences de politicien, pouvait avoir une autorité de fait et pouvait
10 fonctionner en tant
11 qu'autorité de fait dans la commune.
12 De telles assertions sont sans fondement aucun dans les preuves
13 ici présentées. On a pu entendre le premier et le septième commandants du
14 conseil municipal, du quartier général municipal ; ont été également
15 entendus les membres du quartier général et du commandement conjoint :
16 Sabil Dumur, les colonels Jambasovic et Bejsegic, Jambasovic qui, au nom
17 du commandement suprême, se trouvaient à Konjic à cette époque-là.
18 Pour être un supérieur, Zejnil Delalic devait faire partie de
19 certaines de ces autorités civiles ou militaires. Or, à entendre tous ces
20 témoins, tous disaient que Zejnil Delalic en tant que coordinateur n'était
21 membre d'aucune autorité civile ni militaire non plus que ces dernières
22 auraient pu lui transférer des compétences concernant la prison.
23 Zejnil Delalic ne détenait aucune autorité concernant la prison
24 même lorsqu'il était commandant du groupe Tactique.
25 Le Procureur nous renvoie au point de vue cité durant le procès
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1 de Williamli et autres par la Cour martiale des Etats-Unis d'Amérique où
2 on essaie de nous faire croire que Zejnil Delalic devait avoir des
3 autorités transférées en tant que commandant régional. Mais, c'est
4 justement cette décision-là qui nous fait croire et savoir que lorsqu'on
5 pose la question de chef d'accusation pour connaître la responsabilité
6 pénale, eh bien, il s'agit de connaître l'attribution du commandant
7 militaire qui n'est autre que tactique. Or, toutes les preuves présentées
8 ici nous ont permis de voir que l'attribution de Zejnil Delalic était
9 purement tactique. Les témoins de Jablanic, de Proso, de Hadjic et de
10 Konjic ont clairement démontré que Zejnil Delalic en tant que commandant
11 du groupe Tactique n'a jamais été supérieur à des états-majors municipaux,
12 non plus qu'à des formations municipales respectives. Voilà pourquoi,
13 lorsque le Procureur nous renvoie à la nomination du 27 alors que
14 Zejnil Delalic a été nommé le 30 pour prendre en charge cette attribution,
15 cela nous permet de dire qu'il s'agit d'une négation pure et simple de ce
16 témoignage. Qu'il s'agisse maintenant d'y apporter des corrections ou de
17 faire quoi que ce soit,
18 on devrait parler d'un laps de temps de huit jours.
19 Le Procureur insiste sur certaines parties de ces textes
20 du 27 août, en disant que Zejnil Delalic a été supérieur au commandement
21 d'Esad Ramic, commandant du quartier général municipal. Donc, en le
22 menaçant d'injonctions, on pouvait croire qu'Esad Ramic pouvait considérer
23 Zejnil Delalic en tant que supérieur lorsqu'il était coordinateur,
24 lorsqu'il exerçait la fonction de commandant de groupe Tactique et
25 Zejnil Delalic devrait être ensuite entendu devant la justice. Mais si,
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1 en octobre, il avait pu venir dans ce prétoire, ceci aurait pu être
2 évidemment une preuve en vue d'acquittement de Zejnil Delalic.
3 Aujourd'hui, le Procureur nous dit qu'il ne détient pas de
4 preuves directes mais, avec le montage de certaines preuves, on pourrait
5 peut-être construire une certaine responsabilité qui incombe à
6 Zejnil Delalic. C'est de cette façon-là que le Procureur essaie de nous
7 parler de ses connaissances de ces événements, car il n'arrive pas à
8 prouver son attribution non plus que la responsabilité concernant la
9 prison et les personnels de la prison. Toute preuve prouve que
10 Zejnil Delalic, jusqu'au 18 mai, était un civil et que, du
11 18 mai au 27 juin, il a été coordinateur en tant que personne civile pour
12 fonctionner entre la Présidence de guerre et les forces armées sans aucune
13 fonction de supérieur. En tant que commandant du 1er au 31 juillet, il n'a
14 aucune ingérence concernant la prison non plus que les gardes ou les
15 personnels de la prison.
16 Essayons de présenter certains indices ou certains fragments
17 comme quoi Zejnil Delalic devait connaître certaines choses concernant les
18 événements de la prison. Le Procureur nous invite dans le coin 411 vers
19 l'une de ces preuves minimes qui devraient être partie intégrante de ces
20 connaissances. La défense soutient que Zejnil Delalic ne savait pas non
21 plus qu'il n'avait aucune raison de savoir ce qui se passait ou si ces
22 crimes ont été perpétrés dans la prison de Celebici. Etant donné qu'il ne
23 peut pas le prouver, il n'a pas de connaissance directe dans le point
24 susmentionné, le Procureur soutient que le témoin D, pendant plusieurs
25 mois après avoir quitté Celebici, avait rencontré Mme Jersta Jomhor,
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1 Président de la Commission pour
2 échange de prisonnier et qui lui aurait prétendument dit : "J'ai informé
3 Delalic de tout cela". Sans plus. Le témoin D non plus que Jasna, non plus
4 que le Procureur n'ont pas dit un mot sur ce qui devait tourner cette
5 conversation, sur tout et sur rien à la fois.
6 Par la même occasion, personne n'était venu pour témoigner ce
7 dont Jasna Chungora était investi concernant la prison de Celebici.
8 Rappelons-nous, le témoin D n'en savait pas grand-chose. Il a appris
9 seulement la mort de Mrkahic due au diabète.
10 M. le Président. - J'ai pensé que vous alliez respecter le temps
11 de paroles qui vous était imparti.
12 Mme Residovic (interprétation). - On vient de me rappeler qu'il
13 me reste cinq minutes et je crois que je pourrai terminer dans le cadre de
14 ces cinq minutes. Si j'ai été mal informée, c'est donc que j'ai dépassé
15 largement le temps imparti et je vous présente mes excuses.
16 M. le Président. - Je vous remercie et je crois que vous pouvez
17 passer aux conclusions.
18 Mme Residovic (interprétation). - Je vous remercie,
19 Monsieur le Président. Donc, les prétendues connaissances tenues de
20 personne tierce, à savoir qu'il s'agissait d'interviews accordées au
21 journaliste de radio à Sarajevo, connaissance généralisée déjà sur les
22 crimes qui n'ont jamais été prouvés par des témoignages faits par des
23 témoins, sont donc ces morceaux moyennant lesquels le Procureur voudrait
24 réunir le tout pour nous faire croire à cette connaissance comme quoi
25 Zejnil Delalic devrait avoir certaines responsabilités à encourir et
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1 également devrait connaître pas mal d'éléments susmentionnés.
2 Votre Honneur, l'élément de base quant à établir la
3 responsabilité d'une personne, étant donné la brève analyse présentée à la
4 lumière des preuves, n'a pas été établie sans aucun doute raisonnable.
5 Bien au contraire, il a été établi que dans la période citée, ni en tant
6 que coordinateur, ni en tant que commandant du groupe Tactique,
7 Zejnil Delalic n'appartenait ni aux autorités ni aux structures qui
8 avaient une prérogative de la prison. D'autre part, ces autorités et
9 structures, de leur côté, n'ont pas transféré vers Zejnil Delalic de
10 telles prérogatives. Cela, étant donné les préalables inexistants pour
11 parler de l'article 7-3 du Statut, Zejnil Delalic devrait être acquitté
12 quant à tous les points de l'acte d'accusation à sa charge. Dans une
13 documentation présentée par écrit, nous avons également présenté en détail
14 les autres éléments, mais la prudence appelle question de connaissance,
15 question de jugement et de punition sont des arguments suffisants pour
16 savoir éprouver que Zejnil Delalic n'avait aucune possibilité raisonnable
17 non plus que détenait des mesures pour punir les auteurs des actes et des
18 crimes. Rappelons que le dernier acte a été commis fin juillet, or
19 Zejnil Delalic, selon chacune de ces preuves, n'a aucune connaissance de
20 la perpétration de quelconque de ces actes mentionné par l'acte
21 d'accusation.
22 Ce que je voulais dire tout particulièrement, c'est que dans
23 notre mémoire par écrit, nous avons présenté également une explication en
24 détail, la responsabilité de Zejnil Delalic quant à la valeur de
25 l'article 7-1. Zejnil Delalic n'a jamais incarcéré non plus qu'il n'a
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1 détenu qui que ce soit de personne civile et, dans ce sens-là, le
2 Procureur ne nous a offert aucune preuve. Encore une fois, étant donné
3 qu'il s'agit du manque de doute raisonnable, je propose d'acquitter
4 Zejnil Delalic quant à tous les points de l'acte d'accusation le
5 concernant. Je vous remercie Monsieur le Président.
6 M. le Président. - Je vous remercie beaucoup. Pouvons-nous
7 entendre maintenant la plaidoirie du conseil de défense de la défense de
8 M. Mucic ?
9 M. Kuzmanovic (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
10 Madame et Messieurs les Juges, conseils, ce procès a débuté il y a plus de
11 18 mois. Au cours de cette période, beaucoup de visages ont changé des
12 deux côtés des parties.
13 Au nom de notre client, M. Mucic, je vous remercie de votre
14 patience, du temps que vous nous avez consacrés et du sérieux avec lequel
15 vous avez assuré vos fonctions de Juges. Je voudrais également remercier
16 les interprètes et la section d'aide aux victimes et aux témoins. Il
17 faut reconnaître leur travail publiquement. Sans eux, rien ne
18 fonctionnerait.
19 J'aimerais aussi que vous gardiez à l'esprit ces arguments
20 oraux. L'un de mes professeurs de droit m'a dit un jour, lorsque je
21 parlais de mes examens : "je les lis, je ne les pèse pas". Je voudrais
22 donc que vous conserviez cette expression à l'esprit.
23 Un certain nombre de témoins sont venus témoigner jusqu'ici.
24 Maître Moran a dit un jour que le Juge Jan nous avait promis que nous
25 serions tous de retour à la maison d'ici à Noël. Cependant, le Juge
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1 n'avait pas précisé de quelle année il parlait. Cependant, toutes les
2 bonnes choses ont une fin et nous en arrivons maintenant à la fin.
3 Il y a deux problèmes cruciaux que nous vous demanderons de
4 garder à l'esprit au cours de ces plaidoiries et lorsque vous délibérerez
5 sur les points de faits et les points de droit. Il s'agit de la charge de
6 la preuve et de la crédibilité des témoins.
7 Pour ce qui est de ce dernier point, M. Mucic a déclaré que
8 l'accusation, malgré toutes ses tentatives n'est pas parvenue à prouver,
9 au-delà de tout doute raisonnable que M. Mucic avait une autorité de
10 commandement sur le camp de Celebici et les différents éléments qui
11 découlent de cette autorité.
12 Pour ce qui est du premier point, M. Mucic déclare que la
13 crédibilité des témoins principaux de l'accusation, je parle du témoin D
14 et d'un coaccusé de M. Mucic, M. Esad Landzo, pour n'en nommer que deux,
15 manquent de crédibilité. Par la suite, je vous dirai dans quelle mesure.
16 L'accusation, dans son argument final, a dit qu'en fait l'accusé
17 tentait de s'absoudre de sa propre responsabilité. Nous ne sommes pas
18 d'accord. La question principale est : quelle est cette responsabilité ? Y
19 a-t-il des paramètres à cette responsabilité ? Qu'était le commandant de
20 Celebici ?
21 Lorsque l'on tente de prouver que la responsabilité pénale d'un
22 commandant est engagée, il faut prouver que cette personne détenait un
23 pouvoir de commandement et une fois
24 ceci prouvé, il faut faire la preuve que le commandant avait connaissance
25 de la conduite illégale de ses subordonnés. Il faut ensuite prouver que le
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1 commandant avait la possibilité de dissuader, d'enquêter sur ces conduites
2 et de sanctionner de telles conduites lorsqu'elles n'étaient pas ordonnées
3 par celui-ci. Pas un seul témoin présenté par l'accusation n'a donné de
4 preuve au-delà de tout doute raisonnable ou n'a confirmé aucun de ces
5 paramètres. On ne peut invoquer l'autorité du commandement sans en
6 apporter la preuve.
7 L'accusation affirme que M. Mucic était le commandant parce que
8 des personnes sont venues en témoigner. Il s'agissait souvent de
9 témoignages de seconde ou de troisième main. Or, qu'est-ce qu'un
10 commandant ? Certains doutent même sur l'identité du commandant ou de
11 l'administrateur de Celebici et on ne sait pas bien qui était le
12 commandant, l'administrateur ou le directeur, quel que soit le terme
13 utilisé, à Celebici en mai, juin et juillet 1992.
14 Le Tribunal même, par la bouche du Juge Karibi-Whyte, a posé
15 cette question à un témoin de la défense, M. Sadik Zumur et je vous
16 citerai.
17 Question : "Au fait, connaissez-vous personne qui était
18 responsable de la prison de Celebici ? Qui dirigeait la prison à
19 l'époque ?"
20 Réponse : "A quelle période ?"
21 Question : "Jusqu'au 15 juin 1992, quand peut-être vous avez
22 cessé de vous y rendre."
23 Réponse : "Eh bien, jusqu'au 15 juin, je sais qu'une unité du
24 MUP était stationnée à Celebici et que la personne à la tête de cette
25 unité était Ralje Musinovic."
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1 Question : "Et vous savez que c'était le MUP qui était
2 responsable des prisonniers, il assurait la garde des ces prisonniers ?"
3 Réponse : "A cette période, oui."
4 Par conséquent, certains moyens de preuve proposent un certain
5 nombre d'autres possibilités également. D'une part, Ralje Musinovic aurait
6 pu être commandant, en tout cas pour une certaine période. Aucun élément
7 de preuve ne montre que M. Mucic faisait partie du MUP. Zehad Alibazic est
8 une autre possibilité, le témoin D également.
9 De même, on ne sait pas bien quelle était l'autorité qui
10 contrôlait la section des détenus du camp à certaines périodes de 1992. Il
11 y a plusieurs possibilités : le MUP, le HVO, la Défense territoriale ou
12 une combinaison des trois ou des deux. Rien n'est clair, toutes les
13 lignes, toutes les délimitations sont confuses et aucune n'a été précisée
14 véritablement par le Bureau du Procureur. Rien n'a contribué à déterminer
15 qui détenait la plus haute autorité, la plus haute responsabilité et d'où
16 émanait l'autorité de M. Mucic.
17 Dans ce contexte, il n'est pas possible de dire quel type
18 d'autorité détenait M. Mucic et comment il pouvait l'exercer, et comment
19 prouver cela au-delà de tout doute raisonnable. Tout d'abord, de
20 nombreuses unités militaires, paramilitaires et des unités de police
21 pouvaient accéder facilement, fréquemment au camp et ceci pour un certain
22 nombre de raisons.
23 Le témoin de la défense Zumour et le témoin de la défense
24 Emir Zajic ont clairement montré que plusieurs unités étaient présentes à
25 Celebici et qu'il y avait un certain nombre de personnes qui auraient pu
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1 être commandant du personnel en juillet 1992. D'autre part, M. Mucic
2 n'avait aucun grade et aucun poste dans ces unités militaires,
3 paramilitaires ou de police. Je crois que ceci est clair.
4 D'autre part, plusieurs éléments de preuve montrent que d'autres
5 unités avaient également accès au camp et y faisaient régner le chaos, des
6 unités qui n'avaient rien à voir avec M. Mucic. Il y avait notamment
7 l'unité du MUP qui était dirigée par des personnes telles que Jasmin Guska
8 et Sevko Nisic. Et étant donné la possibilité et l'accès qu'avaient ces
9 unités au camp de Celebici, aucun élément de preuve n'a été apporté qui
10 prouverait que M. Mucic avait un quelconque pouvoir de contrôler cet accès
11 s'il était le commandant du camp ou d'enquêter sur cet accès ou de punir
12 ces unités éventuellement. Mais si l'unité de soldats qui se trouvaient au
13 camp de Celebici était bien une unité de police militaire, à qui M. Mucic
14 pouvait-il faire
15 rapport de cet accès ?
16 Vu ces circonstances, une personne telle que M. Mucic qui était
17 disposé à prendre des risques afin d'aider des Serbes de Bosnie à
18 s'échapper vers un territoire contrôlé par les Serbes de Bosnie ne pouvait
19 compter que sur son autorité morale, personnelle. Dans le chaos régnant à
20 Konjic, à Celebici et en Bosnie-Herzégovine à l'époque, c'est grâce à sa
21 force de personnalité et non à un prétendu pouvoir qui lui aurait été
22 conféré par une personne que n'a pas pu faire comparaître l'accusation à
23 la barre des témoins, qu'il s'est imposé.
24 Après la fin juillet 1992, la situation à Celebici s'est
25 inversée radicalement. L'ensemble des incidents graves imputés et relatés
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1 par les témoins serbes de Bosnie qui se sont produits en mai, juin et
2 juillet, par contraste -bien que certains crimes aient vraisemblablement
3 eut lieu après juillet- a commencé dans le camp un programme de transfert
4 concernant de plus en plus de prisonniers vers le gymnase de Musala et des
5 libérations directes. Certains éléments de preuve montrent que M. Mucic se
6 trouvait dans le camp avant la fin du mois de juillet, mais sa présence ne
7 prouve pas ou n'indique pas qu'il était à l'époque le commandant ou
8 l'administrateur ou le directeur, quel que soit le terme utilisé, du camp.
9 Nous avons déjà souligné que l'accès au camp par ceux qui n'y
10 occupaient aucune fonction était relativement simple. Il l'était peut-être
11 dans le camp pour des raisons privées ou dans l'exercice d'une fonction
12 sans lien avec les fonctions de commandement ou d'administration du camp.
13 D'ailleurs, l'accusation n'est pas parvenue à prouver que sa présence ne
14 résultait pas de l'une ou l'autre de ces deux motivations.
15 Dans l'absence de tout document écrit, de nomination au poste de
16 commandant ou administrateur ou directeur, on ne peut pas déterminer la
17 date de nomination et quels étaient les pouvoirs et les obligations qui
18 accompagnaient ce poste occupé par M. Mucic.
19 La charge de la preuve, vous vous en souviendrez, a été l'un des
20 deux thèmes dont j'ai dit que devriez les garder à l'esprit. Eh bien,
21 cette charge de la preuve est liée inexorablement
22 à la notion d'"au-delà de tout doute raisonnable". Cette phrase est
23 codifiée par le règlement de procédure et de preuve et notamment par
24 l'article 87-A. Je cite : "L'accusé n'est déclaré coupable que lorsque la
25 majorité de la Chambre de première instance considère que la culpabilité
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1 de l'accusé a été prouvée au-delà de tout doute raisonnable". Un Tribunal
2 américain du Massachussets, en 1850, au moment de rédiger la définition
3 traditionnelle de cette expression, l'a défini ainsi : "Cet état de
4 l'affaire dans lequel, après comparaison et considération exhaustives de
5 tous les éléments de preuve, laisse les jurés dans un état d'esprit tel
6 qu'ils ne peuvent pas dire qu'ils aient l'intime conviction allant jusqu'à
7 la certitude morale du bien-fondé des chefs d'accusation".
8 Monsieur Mucic affirme qu'après comparaison et considération
9 exhaustive de tous les éléments de preuve de cette affaire, ce Tribunal ne
10 pourra pas, pour paraphraser cette définition, ne pourra pas être dans un
11 état d'esprit tel que vous ayez l'intime conviction allant jusqu'à la
12 certitude morale du bien-fondé des chefs de l'accusation imputés à
13 M. Mucic.
14 Deuxième question que je vous demanderai de garder à l'esprit :
15 la crédibilité des témoins. L'accusation, dans ces arguments finaux, a
16 déclaré, ou plutôt a présenté ses arguments en se fondant sur le fait que
17 chacun de ses témoins disaient la vérité et que rien ne permettait de
18 mettre en doute cette crédibilité. Je crois que c'est une démarche
19 trompeuse. M. Moran a donné de nombreux exemples, je ne vais pas les
20 reprendre, de la façon dont laquelle certains témoins ne pouvaient que
21 mentir, M.Vukalo en est un exemple. Autre exemple : témoin T et puis
22 Mme Cecez également. Il y a d'autres exemples nombreux de témoins qui ont
23 été récusés par des moyens similaires ou d'autres.
24 Ce procès a une importance particulière dans le contexte des
25 différents conflits qui ont éclaté en ex-Yougoslavie. L'un d'entre eux a
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1 été créé par l'accusation elle-même, lorsqu'elle a déposé cet acte
2 d'accusation et c'est un conflit qui constitue un fort encouragement aux
3 témoignages mensongers. Le 22 mars 1996, le TPY a annoncé le premier acte
4 d'accusation
5 ayant trait à des victimes serbes de Bosnie. Volontairement ou non, cette
6 emphase mise par l'accusation, à savoir le premier acte d'accusation ayant
7 trait à des victimes serbes de Bosnie a transformé cette affaire ou a
8 donné à cette affaire une teinte politique favorable aux Serbes de Bosnie
9 et à la cause serbe.
10 Jusqu'à cette période, les personnes faisant l'objet d'actes
11 d'accusation avaient été largement -sinon exclusivement- des Serbes ou des
12 Serbes de Bosnie. Dans cette guerre de propagande qui a suivi, il était
13 tout à fait important pour eux de présenter une image des atrocités
14 commises à l'encontre des Serbes de Bosnie ou des Serbes, afin de briser
15 l'impression selon laquelle seuls des criminels de guerre venaient de ce
16 milieu.
17 Il est évident que l'accusation a dû se fonder principalement
18 sur une organisation de réfugiés serbes afin de rassembler ses éléments de
19 preuve. Pour évaluer la crédibilité des témoins, nous déclarons que la
20 Chambre de première instance devrait être consciente de ce fait et garder
21 à l'esprit le degré de participation très important dans cette affaire de
22 l'association des réfugiés serbes. Leur vision du monde apparaît
23 clairement dans les notes médicales prises par le témoin O, un haut
24 représentant de cette association dont les références fréquentes aux
25 examens de Serbes de Bosnie qui s'étaient trouvés dans un camp oustachi
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1 révèlent tout à fait les orientations des activités à l'époque. C'est dans
2 ce contexte que le vieil axiome mentionné par M. Moran, que la vérité est
3 la première victime de la guerre, prend toute son importance.
4 Etant donné la possibilité et l'encouragement que représente ce
5 procès, pour les éléments serbes de Bosnie ou les Serbes, d'influencer
6 ceux qui ont été décrit une fois comme étant nos témoins par le témoin O
7 au cours d'une interview télévisée donnée à une station de télévision
8 serbe, nous déclarons que les éléments de preuve présentés par nos
9 témoins, entre guillemets, doivent être examinés avec plus de prudence que
10 dans tout autre procès pénal.
11 Je voudrais maintenant parler de la crédibilité des témoins dans
12 le cadre d'Esad Landzo. Il y a deux points qui m'intéressent
13 particulièrement. Première chose : il a été
14 clairement prouvé que c'est un témoin qui ne peut pas être traité comme un
15 témoin crédible. Il est évident que c'est une personne qui mentira... que
16 Esad Landzo mentira, s'il considère que de tels mensonges l'aideront à
17 sauver sa peau. Il a déclaré d'ailleurs qu'il était près à mentir sur
18 suggestion de son premier conseil de défense, M. Bradkovic qui,
19 vraisemblablement, lui avait conseillé de rejeter la faute sur M. Mucic,
20 parce que c'était un Croate de Bosnie et non un Musulman de Bosnie. Il a
21 proféré des allégations à l'encontre de M. Delic et de M. Mucic sur leur
22 prétendue influence sur lui lorsqu'il était employé au camp. Nous
23 affirmons que c'est un témoin qui ne peut avoir aucune crédibilité et que
24 son témoignage devrait être écarté.
25 M. le Président (interprétation). - Nous allons faire une pause
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1 et nous nous retrouverons à 16 heures 30.
2 L'audience, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 30.
3 M. le Président (interprétation). - Veuillez poursuivre, s'il
4 vous plaît.
5 M. Kuzmanovic (interprétation). - Avant la pause, je voulais
6 invoquer deux points relatifs au témoignage de M. Landzo et à sa
7 crédibilité. Tout d'abord, il y avait la véracité du témoignage de
8 M. Landzo. Le second point est le suivant : phénomène curieux et étonnant,
9 l'accusation, dans son mémoire écrit, invite la Chambre de première
10 instance à se fonder sur le témoignage de M. Landzo en déclarant que c'est
11 un témoin de la vérité. Puis, plus tard, dans le document, l'accusation
12 veut récuser ce témoin parce que son témoignage n'est pas crédible.
13 L'accusation ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Ce témoin
14 est crédible ou il ne l'est pas.
15 Dans son argument écrit final, l'accusation fait référence à
16 l'affaire Paul, lorsqu'il fait référence à M. Mucic et une comparaison est
17 établie entre cette personne et les crimes commis par M. Mucic. Cette
18 affaire a trait aux personnes qui ont participé à la gestion des camps de
19 concentration dans l'Allemagne nazie. Or, il y a une distinction très
20 nette entre cette affaire et l'affaire qui nous occupe.
21 Dans la première affaire, il a été question d'une participation
22 au programme nazi d'extermination et de réduction à l'esclavage alors que
23 dans le cas du camp de Celebici, la structure a été transformée. C'était
24 au départ un dépôt de munitions et d'équipements militaires. Et il était
25 devenu une structure de détention ad hoc, transformée en très peu de temps
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1 et ceci est dû aux nécessités nées de l'éclatement de la guerre sur le
2 territoire de l'Etat de Bosnie-Herzégovine. Cette référence gratuite
3 montre que l'accusation s'est méprise pendant toute cette affaire sur le
4 rôle et la nature de M. Mucic. Nous pensons que cette comparaison n'a pas
5 lieu d'être.
6 Il y a donc eu une tentative de décrire M. Mucic comme un agent
7 du mal et nous pensons que cette description est tout à fait inappropriée.
8 Bien entendu, M. Mucic a une autre facette. Vous vous souviendrez des
9 observations faites par M. Gulubovic qui est venu témoigner ici, entre
10 autres. Monsieur Gulubovic a décrit M. Mucic comme étant un être humain. A
11 juste titre !
12 Dans la page 21 à 97 du transcript, la question suivante a été
13 posée à M. Gulubovic : Vous souvenez-vous avoir vu la chose suivante au
14 Bureau 2 du Procureur ? "Si au moins 20% de la population de Bosnie était
15 comme M. Mucic il n'y aurait pas eu de guerre". Fin de citation.
16 Réponse : "Je m'en souviens, c'est ce que j'ai dit.".
17 Question : "C'est une remarque sympathique, n'est-ce pas,
18 Monsieur Gulubovic".
19 Réponse : "Oui et je crois que c'est toujours le cas".
20 C'est donc un témoin présenté par l'accusation, une personne
21 fiable, et pour évaluer la personnalité de M. Mucic il vaut mieux se
22 fonder sur les témoignages qui ont été donnés à son sujet plutôt que sur
23 une comparaison entre lui et l'un des criminels nazis les plus notoires
24 jugés à Nuremberg, à la fin de la seconde guerre mondiale.
25 Je vous renvoie également aux paroles de M. Nidaelko Dragenic à
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1 la page 16-94 du transcript, je cite : "Vous avez dit à l'enquêteur que
2 Zdravko Mucic avait une bonne réputation dans la communauté, que c'était
3 un homme juste et bon. C'est bien dans votre déclaration ? C'est ce que
4 vous avez dit aux enquêteurs en octobre 1995 ? Vous en êtes d'accord ?
5 Réponse : "Oui je l'ai dit".
6 Et puis je vous renvoie également à la partie 17-01 du
7 transcript.
8 Question : "C'est pour ces raisons que nous venons de dire à
9 l'instant que vous avez une bonne raison de remercier M. Mucic."
10 Réponse : "Oui"
11 Question : "Et de lui être reconnaissant de vous avoir sauver la
12 vie et à votre famille, n'est-ce pas ?"
13 Réponse : "Oui".
14 Cette réputation acquise en aidant les Serbes de Bosnie ainsi
15 que les éléments de preuve prouvant qu'il avait tenté d'entraver les
16 activités de ceux qui tentaient de soumettre les Serbes de Bosnie à des
17 violences peuvent être considérés à la lumière du témoignage du témoin D.
18 Je vous renvoie au transcript 54-08, 54-10. La question était posée au
19 témoin D :
20 "Monsieur D, aviez-vous connaissance de l'existence de
21 représentants d'organisations internationales dans la zone de Konjic, au
22 moment où ceci s'est produit ?"
23 Réponse : "Le HCR était là parmi les organisations
24 internationales. Je ne sais pas où se trouvaient leurs locaux. La
25 Croix Rouge internationale, je ne sais pas si elle était à Konjic."
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1 Question : "Avez-vous tenté, d'une façon ou d'une autre, de
2 signaler vos préoccupations relatives au camp de Celebici à ces
3 organisations ?"
4 Réponse : "Je n'ai pas essayé et franchement, je ne savais pas
5 où me rendre, mais
6 je n'y pensais pas. Je pensais à ce que nous faisions et à ce que nous
7 aurions dû faire. Malheureusement, je dois dire que je n'ai pas fais ce
8 que j'aurais pu faire, avec le recul que j'ai aujourd'hui. Vous savez,
9 après vous vous rendez compte que vous n'avez pas pu faire tout ce qui
10 était en votre pouvoir à l'époque, malheureusement".
11 Question . "Etiez-vous préoccupé et notamment par le fait que
12 l'on ait pu signaler certains événements à des organisations
13 internationales et pensez-vous qu'on vous aurait considéré comme étant en
14 train d'aider les Tchetniks ?"
15 Réponse : "Vous venez de poser une très bonne question. C'est
16 exactement ce que je disais auparavant, avant que nous ayons la pause
17 déjeuner."
18 Question : "Et être perçu comme étant, en quelque sorte, ami des
19 Tchetniks aurait été dangereux pour votre sécurité ?"
20 Réponse : "Bien entendu, pas seulement pour la mienne."
21 Question: "Par conséquent, vous avez ressenti qu'il y avait un
22 certain danger ?"
23 Réponse : "C'est une question différente. Il était dangereux
24 d'offrir son aide et le danger provenait de ces éléments mais sans penser,
25 véritablement... Ils pensaient que tout le monde devait être haï et puis
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1 vous pouviez tomber sur des gens qui pouvaient vous faire n'importe quoi
2 sans même y penser".
3 Ces éléments de preuve non contestés sont très importants. Ceci
4 indique qu'il était dangereux qu'une personne soit aperçue ou qu'on la
5 soupçonne d'aider les Tchetniks. C'était le climat régnant à l'époque.
6 L'accusation a fait de ce témoignage un témoignage important. Or, ce
7 témoignage, à la lumière des éléments de preuve présentés ultérieurement
8 par la défense, peut être considéré comme étant trompeur et inexact. Mais
9 selon l'accusation, le témoin D était un homme juste et bon malgré le fait
10 qu'il n'a pris aucune mesure pour signaler les événements portés à son
11 attention, notamment des crimes, à la police ou aux organisations
12 humanitaires internationales. La situation était la même pour M. Mucic.
13 Même s'il détenait une autorité de
14 commandement, il aurait dû faire face aux mêmes problèmes que le témoin D,
15 voire pire.
16 Si un ancien membre de la police militaire expérimenté a eu le
17 sentiment qu'il n'avait pas suffisamment de connaissances ou qu'il n'avait
18 pas la possibilité de signaler ce genre de questions , eh bien,
19 l'accusation n'a pas montré pourquoi et dans quelle mesure la position de
20 M. Mucic pouvait être différente. Et faisant appel à notre bon sens, être
21 considéré comme un ami des Serbes de Bosnie aurait eu des répercussions
22 très importantes pour M. Mucic. En effet, ce serait entraver gravement sa
23 possibilité d'utiliser ses pouvoirs afin de protéger les détenus. Peut-
24 être que M. Mucic ne pouvait compter sur d'autres forces, sur d'autres
25 pouvoirs que sa propre force morale afin de prévenir ce genre de mauvais
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1 traitements. Les éléments de preuve ne disent pas, à notre avis, qu'il
2 était commandant militaire ou que c'était un commandant ou un
3 administrateur civil et les éléments de preuve ne disent pas non plus
4 quels pouvoirs lui ont été conférés afin d'enquêter et de punir les
5 personnes qui ont maltraité les détenus.
6 En l'absence de telle preuve, il n'est pas possible de dire que
7 même s'il était conscient qu'un acte de mauvais traitement était perpétré,
8 il aurait pu punir cette personne. Quel qu'ait été son pouvoir, il ne
9 pouvait pas l'exercer puisqu'il ne pouvait parvenir à identifier l'auteur
10 de ces actes. Il n'aurait pu faire quoi que ce soit pour punir la personne
11 car il n'aurait eu personne à qui signaler ces actes. Je voudrais
12 maintenant vous parler rapidement de certains points de droit, sur la
13 nationalité tout d'abord.
14 Nous nous fondons sur ce qui constitue en fait un constat
15 judiciaire et les personnes dont on dit qu'elles n'étaient pas nationaux
16 de Bosnie-Herzégovine étaient en fait des ressortissants de l'Etat de
17 Bosnie-Herzégovine et là je vous renvoie à ce qu'a dit M. Moran il y a un
18 instant. C'est un point très simple mais évident. Pourquoi appelle-t-on
19 les personnes qui se trouvaient à Celebici des Serbes de Bosnie ? Eh bien
20 parce qu'ils sont bosniaques de Bosnie-Herzégovine. Le Procureur les
21 décrit comme étant des Serbes de Bosnie, ce qui est une affirmation et une
22 détermination claire, sans ambiguïté, de la nationalité de ces personnes.
23 Passons maintenant à la pièce 130 : l'accusation s'appuie sur
24 cette pièce comme si cette pièce avait été prouvée, comme si c'était un
25 document pré-signé par M. Mucic. Or, il n'y a aucun élément de preuve
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1 disant que c'est bien M. Mucic qui a signé ce document. Et une décision a
2 été prise à ce propos selon laquelle aucune preuve n'a été faite de
3 l'identité de la personne qui a écrit cette lettre. Aucun expert en
4 graphologie n'a pu prouver que cette lettre avait bien été signée par
5 M. Mucic. Par conséquent, on ne peut pas considérer cette pièce comme
6 étant un élément de preuve portant sa signature.
7 Cette lettre n'a pas été trouvée en sa possession, elle ne lui a
8 jamais été soumise au cours d'un interrogatoire et n'a jamais été reconnue
9 par lui et personne à l'Ambassade de Bosnie-Herzégovine n'a été cité afin
10 d'authentifier ce document. Aucun élément de preuve ne prouve qu'il s'agit
11 bien d'un document de M. Mucic.
12 En ce qui concerne les autres allégations générales de l'acte
13 d'accusation, à notre avis, l'accusation n'a pas prouvé qu'il y avait
14 conflit armé international et nous nous fondons sur les arguments
15 développés par les autres conseils de la défense. Pour ce qui est des
16 allégations relatives à l'article 3, nous vous renvoyons à ce qui a été
17 expliqué par M. Greaves précédemment et à l'argument final présenté par la
18 défense.
19 Pour résumer, l'accusation n'a pas prouvé ses allégations à
20 l'encontre de M. Mucic. Il n'y a pas d'éléments de preuve crédibles selon
21 lesquels il a assisté à des mauvais traitements qui pourraient entrer dans
22 la définition de meurtres, tortures, dans le fait de causer
23 intentionnellement de grandes souffrances ou de nuire à l'intégrité
24 physique et à la santé des victimes. Aucun élément de preuve ne prouve
25 qu'il savait que des mauvais traitements allaient avoir lieu ou qu'il
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1 avait suffisamment d'autorité, ou qu'il avait pour devoir de punir de tels
2 actes lorsqu'ils se sont produits.
3 Il n'y a aucun élément de preuve démontrant son niveau
4 d'autorité. Il n'a pas été prouvé qu'il avait l'autorité de punir qui que
5 ce soit ou d'enquêter sur les actes commis. Par
6 conséquent, on ne peut pas dire qu'il n'a pas enquêté ou puni les gens sur
7 lesquels il avait une certaine autorité. Il n'y a pas d'éléments de preuve
8 crédibles et fiables qui viennent prouver quelle était la position de
9 M. Mucic à Celebici et quel était son degré d'autorité. Rien n'a été
10 prouvé, au-delà de tout doute raisonnable.
11 L'accusation n'a pas réussi à prouver ces allégations. Par
12 conséquent, nous vous demandons d'acquitter M. Mucic pour chacun des chefs
13 d'accusation imputés et impliquant M. Mucic.
14 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie.
15 M. O' Sullivan (interprétation). - Il y a une erreur dans le
16 transcript, Monsieur le Président, erreur intervenue dans la plaidoirie de
17 Me Kuzmanovic. On parle de M. Delic alors qu'il faudrait parler de
18 M. Delalic. Ceci figure à la page 109 des notes instantanées, ligne 18, on
19 parle d'allégations formulées contre M. Delalic et M. Mucic et je crois
20 que Me Kuzmanovic avait parlé de M. Delic et M. Mucic. Je demanderai que
21 la correction soit apportée.
22 M. le Président (interprétation). - Merci. Poursuivez,
23 Maître Mc Murrey.
24 Mme Mc Murrey (interprétation). – Je vous remercie,
25 Monsieur le Président. Je m'appelle Cynthia Mc Murrey et c'est avec
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1 Calvin Sanders et Nancy Boler que je défends M. Esad Landzo.
2 Ce Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie est en
3 passe de terminer le premier procès pour crimes de guerre en jonction
4 d'instance jamais tenté dans cette démarche ou approche novatrice du droit
5 international. Ceci vise à exercer un contrôle et à veiller à la bonne
6 exécution des règles de conflits armés et à installer une certaine
7 conscience du droit humanitaire chez les personnes ayant participé à ces
8 conflits. C'est un objectif noble que celui-là.
9 Le caractère multinational de ces débats force ce Tribunal à
10 établir tout un ensemble de principes et de règles qui n'étaient connus
11 d'aucun d'entre nous lorsque nous sommes arrivés
12 ici. Nous ne savions pas quel serait le droit applicable et maintenant,
13 nous savons ce qui nous attend lorsque nous venons aux débats. Nous
14 n'avons, toutefois, pas une définition absolue de ce qu'est le droit en
15 l'espèce mais je peux dire que j'ai été fière de participer à
16 l'élaboration de ce nouveau corpus de droit. Je tiens à remercier la
17 Chambre de première instance, le Greffe, l'unité des victimes et témoins,
18 les gardes, toute la sécurité. Je vous remercie d'avoir fait preuve d'une
19 grande compréhension et de nous avoir aidé à résoudre nos problèmes.
20 Comme Me Kuzmanovic vient de le dire, les motifs et motivations
21 politiques qui apparaissent dans l'affaire Celebici découlent du fait que
22 le Procureur a le devoir de prouver à la communauté internationale qu'il
23 tient à veiller à une bonne administration, administration équitable de la
24 justice. C'était l'objectif établi dans l'acte d'accusation de Celebici.
25 C'est à la fois une épée et un bouclier que le principe de la justice
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1 équitable.
2 Pour des raisons d'équité, d'exemples et de précédents, ce
3 Tribunal ne peut pas supporter que la justice soit manipulée, car sinon il
4 n'y a pas de justice, même si le Statut de ce Tribunal essaie d'établir et
5 de créer la responsabilité individuelle pour les crimes énoncés aux
6 articles 2 à 5 du Statut. Les fondateurs du droit international coutumier
7 avaient pour objectif de faire de ce Tribunal un tribunal qui s'attachait
8 aux personnes ou aux gouvernements disposant de l'autorité nécessaire pour
9 commettre ces crimes.
10 Madame Louise Arbour, Procureur de ce Tribunal a apporté son
11 appui à cette interprétation restrictive en matière de poursuite en
12 passant un accord avec le gouvernement du Rwanda. Cet accord vise à dire
13 ceci : seules les personnes ayant une responsabilité de supérieur
14 hiérarchique seront jugées par le Tribunal international du Rwanda. Les
15 autres, les soldats ordinaires, continueront à être jugés dans les
16 juridictions nationales. Cette double norme et ce double critère de la
17 justice frise l'hypocrisie lorsque l'on admet du côté du Procureur que
18 l'on mettra l'accent au Rwanda sur les commandants alors qu'on fait le
19 contraire, ici, lorsqu'on s'attaque à un jeune garde répondant au nom de
20 Esad Landzo.
21 Le mois dernier, différents représentants de toutes les nations,
22 y compris les Nations Unies, se sont retrouvés à Rome pour établir une
23 Cour pénale internationale. Le Statut de Rome a été adopté le
24 17 juillet 1998. Un des arguments principaux avancé dans la Conférence de
25 Rome affirme que si le Statut de la Cour pénale internationale peut rester
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1 aussi large, je cite : "La Cour pénale internationale sera un dépotoir
2 pour tous les griefs". Il faut bien tirer un trait et Mme Arbour a
3 commencé à établir cette distinction avec le Tribunal du Rwanda, et a
4 continué à établir cette distinction en abandonnant les poursuites contre
5 seize détenus serbes accusés de crimes de guerre. Ces raisons étaient tout
6 à fait compatibles avec les accords passés avec le Tribunal du Rwanda. Je
7 cite: "Pour l'instant, il n'est pas possible de maintenir des jonctions
8 d'instance aussi complètes pour des accusés qui pourraient être aussi bien
9 jugés dans des juridictions nationales". Madame Arbour cite l'économie
10 judiciaire et les dépenses excessives pour justifier l'abandon de ces
11 poursuites. On a aussi dit que le Tribunal voulait se libérer de dépenses
12 inutiles.
13 Pourquoi a-t-on cherché à poursuivre Landzo ? Pour trois
14 raisons : d'abord parce que l'accusation devait donner un exemple de
15 poursuite d'un Musulman de Bosnie. Deuxièmement, il s'était livré, en
16 allant à Sarajevo lui-même et en se plaçant sous la garde du Tribunal.
17 Troisième raison, il est le garde alibi auquel les témoins peuvent
18 s'identifier car il se trouve ici jugé. En interprétant le Statut du
19 Tribunal, l'histoire et l'expérience dépassent la logique. Une ligne, une
20 distinction doit être tirée entre ceux qui incitent à commettre et ceux
21 qui commettent des actes par loyauté.
22 Dans notre monde, parmi les gens qui partagent des notions de
23 civilité, de décence, il y a une perception qui est partagée selon
24 laquelle ceux qui conçoivent, planifient et exécutent des crimes contre
25 l'humanité devraient être poursuivis. Mais il ne faut pas mettre dans ce
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1 sac-là aussi la poursuite de soldats ordinaires ou de gardes de prison.
2 Nous avons invoqué l'absence totale ou partielle de responsabilité
3 mentale. Cette défense, si elle est avérée à l'examen des moyens de
4 preuve, fera que Esad Landzo ne sera pas reconnu coupable des allégations
5 de crimes prononcées contre lui.
6 On a parlé, l'accusation a dit qu'il avait été renversé par une
7 chèvre mais il y a plus que cela. Tout concourt à montrer que Esad Landzo
8 souffrait d'un problème de perturbation de la personnalité dès son
9 enfance. Il était maladif, asocial, dépendant : il y a à cela des
10 traumatismes post-traumatiques qui se greffent à sa personnalité initiale,
11 ce qui fait qu'il n'a pas toute sa responsabilité mentale. Le traumatisme
12 déclencheur a été le fait qu'il a été forcé à participer à une formation
13 dans un camp de formation militaire de mars à mai 1991. N'importe qui, et
14 forcément un jeune garçon de moins de 18 ans qui est obligé de simuler le
15 fait d'égorger quelqu'un en exercice, de regarder des vidéos où l'on
16 montre des crimes commis contre des civils, souffrirait de traumatismes
17 après avoir vu ces images.
18 Monsieur Landzo n'a pas pu exercer sa libre volonté dans le camp
19 de Celebici en 1992. Des témoins à charge ont témoigné, mais leur
20 crédibilité peut être mise en doute. Comme l'ont dit Me Moran et
21 Me Kuzmanovic avant moi, même si les noms n'ont pas été mentionnés,
22 lorsqu'il y a une association comme celle des détenus serbes à Belgrade
23 qui a l'autorisation de tenir des séminaires, d'avoir des représentants
24 dans la galerie chaque fois qu'il y a présentation de moyens de preuve, on
25 peut dire qu'il y a injustice.
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1 Ces représentants de l'association étaient ici chaque jour et
2 faisaient rapport des différents témoignages du contre-interrogatoire à
3 l'association. A ce moment-là, il est certain que les histoires peuvent
4 être concertées et les récits peuvent l'être aussi. Ce qui est prouvé par
5 le fait que les témoins ont sans cesse utilisé les mêmes termes. La
6 conclusion sur laquelle nous nous fondons est simple : le Procureur n'a
7 pas réussi à fournir les preuves permettant d'établir tous les éléments
8 des chefs d'accusation, au-delà de tout doute raisonnable.
9 L'accusation n'a pas fourni les preuves de violation du droit
10 international qui relève de la compétence de ce Tribunal. A ce stade, je
11 ne vais pas reprendre tous les arguments déjà
12 avancés. La défense de Esad Landzo va reprendre à son compte les arguments
13 juridiques présentés par Me Moran en ce qui concerne le conflit armé
14 international et personnes protégées, article 3 commun, ainsi que les
15 arguments avancés par Me Greaves sur l'homicide intentionnel et la
16 torture. J'espère que je pourrais fournir une définition de la torture à
17 Me Jan au moment de la réplique.
18 Maître Moran a très bien fait son travail lorsqu'il a simplifié
19 ces questions juridiques éminemment complexes. Je crois que désormais tout
20 le monde pourra les comprendre. La question maintenant est la charge de la
21 preuve au-delà de tout doute raisonnable, ce qui n'était pas le cas au
22 moment de notre présentation, après la présentation des éléments de preuve
23 à charge. Une personne est innocente jusqu'au moment où on la déclare
24 coupable après preuves apportées. Il n'y a pas de charge de preuve plus
25 élevée que celle qui est permise par le droit. Cette Chambre doit évaluer
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1 les moyens de preuves apportés par l'accusation à l'appui de l'acte
2 d'accusation, doit déterminer si elle a fait la preuve de chacune des
3 allégations au-delà de tout doute raisonnable. A notre avis, l'accusation
4 ne l'a pas fait.
5 Qu'on appelle cela poursuite sélective ou poursuite alibi, je
6 peux dire que toute poursuite doit être régie par le droit. Il y a, aux
7 Etats-Unis, une jurisprudence constante pour défendre les individus des
8 poursuites. On ne peut pas fonder une accusation sur des critères
9 inadmissibles tels que la race, la religion ou autres qualifications. Pour
10 qu'il n'y ait pas poursuite sélective, l'accusation doit montrer qu'elle
11 n'aurait pas poursuivi différemment d'autres personnes si elles avaient
12 été d'une race ou d'une religion différente. Au vu de tout ceci, la charge
13 de la preuve telle qu'elle vient d'être décrite a été établie.
14 Veuillez faire preuve d'indulgence à mon égard, je vais essayer
15 d'utiliser le rétroprojecteur en même temps que je présente mes
16 plaidoiries. Je demanderai qu'on place la pièce n° 1. Nonobstant la preuve
17 que dans le Tribunal pour le Rwanda, le Procureur affirme qu'il y a un
18 accord avec le Gouvernement du Rwanda pour ne poursuivre que les "gros
19 poissons". Le
20 Procureur maintient sa politique au Tribunal pénal international pour la
21 Yougoslavie. Le 28 avril 1998, dans l'affaire : le Procureur contre
22 Cic Herisa, dans l’affaire n° IT 85-8-1 et le Procureur Mme Louise Arbour
23 a établi un précédent selon lequel des soldats ordinaires ou ceux ne
24 détenant pas de responsabilité de supérieur hiérarchique ne devraient pas
25 être poursuivis au plan international. Et dans les documents officiels
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1 relatifs au retrait des chefs d'accusation contre 14 accusés, Mme Arbour a
2 déclaré ceci : "J’ai réévalué tous les actes d’accusation en suspens par
3 rapport à la stratégie de poursuite de mon Bureau de Procureur. Et, dans
4 le droit fil de ces stratégies qui impliquent de maintenir un intérêt
5 particulier en matière d'enquête sur des personnes ayant des postes de
6 responsabilité élevée ou sur des personnes responsables d'actes
7 particulièrement brutaux ou graves, j'ai décidé qu'il était approprié de
8 retirer les chefs d'accusation à l’encontre de plusieurs accusés dans ce
9 qui avait été porté à la connaissance du public comme étant les actes
10 d'accusation d’Omarska et de Keraterm confirmés en février 1995 et en
11 juillet 1995.
12 Cette décision a été prise afin de mieux gérer les ressources
13 disponibles du Tribunal et du fait de la nécessité de poursuivre ou
14 d'assurer une poursuite rapide et équitable, je tiens à rappeler que cette
15 décision ne se basait pas sur une absence de moyens de preuve s'agissant
16 de ces accusés et je crois qu'il n'est pas possible d’avoir des jonctions
17 d'instance pour des personnes accusées d'avoir été les auteurs de crime,
18 il faudrait pour ce faire qu'elles soient jugées au niveau national."
19 Esad Landzo, en fait, pourrait être assimilé à ces 14 personnes
20 qui ne sont plus poursuivies aujourd'hui par le Tribunal parce que le
21 Procureur voulait maintenir un intérêt sur les personnes occupant des
22 postes élevés de responsabilité. Tous les accusés dont les actes
23 d’accusation ont été retirés étaient d'origine serbe. Les trois Musulmans
24 de Bosnie accusés dans l’affaire Celebici restent les seuls Musulmans
25 accusés par ce Tribunal.
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1 Si, effectivement, le Procureur veut se concentrer sur ceux qui
2 ont violé le droit en occupant des postes élevés de responsabilité, il
3 faudrait, pour assurer toute l'équité voulue, que l'acte d'accusation
4 dressé contre Esad Landzo soit retiré.
5 M. Jan (interprétation). - (Hors micro.)
6 Mme McMurrey (interprétation). - Non, je n'ai pas étudié la
7 question avec le Procureur.
8 M. Jan (interprétation). - Est-ce que ce n'est pas le Procureur
9 qui décide de la poursuite ou de l'absence de poursuite ?
10 Mme McMurrey (interprétation). - Effectivement, mais étant donné
11 qu'on était déjà très avancés dans le procès, il aurait été difficile pour
12 Mme Arbour de retirer l'acte d'accusation contre M. Esad Landzo en même
13 temps que ceux dressés contre les détenus serbes. Il n'en demeure pas
14 moins qu'il n'était pas logique de condamner ou d'accuser M. Esad Landzo.
15 Ce sont donc les trois seuls Musulmans encore accusés par ce Tribunal. En
16 1992, Esad Landzo avait 18 ans. Il n'avait aucune formation militaire
17 préalable. Il n'y a pas de position plus inférieure dans la hiérarchie
18 militaire que celle qu'il occupait.
19 Le Procureur a toutefois maintenu l'acte d'accusation contre
20 Esad Landzo, ce qui est en violation flagrante de l’article 21-1 du Statut
21 du TPIY. L'article 21-1 garantit que toutes les personnes seront traitées
22 sur un même pied d'égalité par le Tribunal international. S'il faut
23 respecter une certaine égalité dans le Statut du TPIY, tout l'acte
24 d'accusation dressé contre Esad Landzo devrait être retiré et il devrait
25 être jugé par l'Etat de Bosnie-Herzégovine.
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1 Le Statut soutient la poursuite de personnes détenant une
2 responsabilité de supérieur hiérarchique. Ceci a déjà été évoqué par
3 d'autres. Je m'en abstiendrai.
4 Si l'acte d’accusation et les chefs d’inculpation demeurent,
5 l'article 21 n'a plus de raison d'être. Le Tribunal ne doit pas faire la
6 confusion entre le précepte de la justice équitable et un ordre du jour
7 politique qui sous-tend cet acte d'accusation. L'article 67-A-2(i)-B du
8 règlement prévoit un moyen de défense spécial, à savoir l'absence totale
9 ou partielle de responsabilité mentale, même si ceci s'appuie surtout sur
10 la Common Law britannique, c'est un domaine unique en matière de crime de
11 guerre.
12 Les procès de Nuremberg ont utilisé ce moyen de défense mais
13 ceci était limité à la diminution de la peine en cas de sanction. Il n'y a
14 pas vraiment de directive juridique dont on puisse s'inspirer. Le
15 18 juin 1998, la Chambre de première instance a établi que la charge de la
16 preuve pour ce moyen de défense incombait à la défense et que le critère
17 de la preuve était la prépondérance de probabilité. La Chambre a réservé
18 sa décision et pour ce faire a attendu que soit définie l’absence
19 partielle ou totale de responsabilité mentale.
20 Etant donné qu’il n’y a pas de décision de la part du Tribunal,
21 on peut dire que l'accusé Esad Landzo a été lésé. La défense a commencé à
22 présenter des moyens de preuve sans savoir ce qu'il fallait prouver pour
23 effectivement reprendre la charge de la preuve qui s'était déplacée sur la
24 défense d’Esad Landzo. Je veux essayer d'établir une différence aussi.
25 A bien des occasions, au cours de ce procès, vous avez entendu
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1 des personnes qui ont fait état des experts de l'accusation. A juste titre
2 ou à tort, Me McHenry a affirmé que M. Esad Landzo connaissait le bien du
3 mal. Mais ce n'est pas là le critère qu'il faut appliquer ici. La défense
4 de M. Landzo affirme qu'il y a défaut partiel de responsabilité mentale et
5 ceci est prévu par la loi sur l’homicide de Grande-Bretagne de 1957.
6 Voici la définition sur laquelle nous nous basons et je crois
7 que c'est la définition qui prévaut le plus dans la communauté
8 internationale. Je vous la cite et j'espère que nous faisons bon escient
9 de cette définition : " Lorsqu'une personne tue ou contribue à tuer une
10 autre, elle ne sera pas condamnée pour meurtre si elle souffrait d'une
11 anormalité d’état d'âme, que ce soit une condition provoquée par un
12 développement arrêté ou retardé ou par des causes provoquées par la
13 maladie ou une blessure, ce qui fait que la personne n'a plus toute la
14 responsabilité mentale pour les actes qu'elle aurait en partie ou en
15 totalité commis ".
16 Pour parler de l’anormalité d’état d’esprit sur laquelle nous
17 nous basons, nous n'apprenons dans la Common Law britannique et d'une
18 affaire britannique, affaire que je cite dans mon mémoire : " l'anormalité
19 d’état d’esprit, c'est un état d'esprit qui est à ce point différent de
20 celui d'un être humain ordinaire que l'homme doté de bon sens estimerait
21 qu'il s'agit là d'un état d'esprit anormal " et cette définition couvre
22 toutes les activités mentales dans tous ses aspects, non seulement
23 l’imperfection des actes ou questions physiques et la possibilité de
24 savoir si un acte est juste ou injuste, mais ceci implique également la
25 capacité à exercer la libre volonté pour contrôler des actes physiques
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1 conformément à ce jugement rationnel.
2 Alors, ceci revient à dire quoi ? C'est qu'étant donné son état
3 d'esprit anormal, il n'était pas en mesure d'exercer sa libre volonté. Si
4 l'établissement des faits montre qu'il y a globalement, de la part de
5 l'accusé, une anormalité d'état d'esprit pour l'une des raisons spécifiées
6 plus avant, le deuxième élément du test de critère est de savoir si cette
7 anormalité était telle qu'il n'avait pas la responsabilité mentale
8 nécessaire pour participer à un meurtre ou pour le commettre. C'est une
9 question que le juge des faits devra établir.
10 Comment la défense peut-elle savoir ce qu'elle doit prouver ?
11 Comment peut-elle donner des conseils et des paramètres juridiques aux
12 témoins qui viennent à la barre ? Comment le Procureur peut-il savoir
13 comment il doit procéder au contre-interrogatoire ? J'espère que nous
14 n'avons pas eu tort de nous fonder sur cette définition que je viens de
15 fournir.
16 La défense d'Esad Landzo a montré à la Chambre de première
17 instance que M. Esad Landzo était un garçon fragile, maladif. Lorsque
18 l'agression contre la Croatie commence, ce garçon de 18 ans a été soumis à
19 l'expérience la plus horrible dans un camp de formation militaire croate.
20 On lui a montré des vidéos violentes montrant des atrocités commises sur
21 des personnes capturées par les Serbes pour culminer dans des
22 démonstrations montrant comment il faut torturer des civils serbes en vie.
23 Après ce lavage de cerveau, l'agression est arrivée dans la
24 ville même, dans la ville
25 natale d'Esad Landzo. Sa famille, ses amis, son village se trouvaient
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1 attaqués. La trame même de sa culture allait être détruite. Tous les
2 hommes en âge de combat, même les jeunes, furent mobilisés pour la Défense
3 territoriale. Il n'avait aucune expérience militaire préalable et
4 néanmoins, il est devenu soldat de la Défense territoriale. Toutes ces
5 jeunes recrues, sans expérience militaire ont été postées et il l'a été
6 avec 20 autres jeunes pour assurer la sécurité de la caserne de Celebici.
7 La défense d'Esad Landzo se fonde sur les décisions autonomes et
8 indépendantes de trois psychiatres experts en matière légale ; il y a eu
9 le Dr Van Leuween, le Dr Marco Lagazzi et le Dr Edouard Greenpan ainsi
10 qu'un psychologue clinique, le Dr Alfredo Verde qui ont offert des moyens
11 de preuve. Esad Landzo se fonde également sur les moyens de preuve fournis
12 par un expert en santé mentale appelé par le Procureur, le Dr Landesborf.
13 Les quatre experts en santé mentale sont arrivés indépendamment
14 à pratiquement la même conclusion, à savoir qu'il a souffert d'un problème
15 de personnalité au titre de axe 6-2, de DSM4 et que ceci s'est vu greffer
16 à un trouble d'anxiété cité dans le DSM4, axe 1. Et c'est pratiquement
17 toujours la même chose qui est en cause.
18 Ces troubles de la personnalité peuvent aller de la dépendance à
19 un trouble de la personnalité mais tous décrivent cette même anormalité
20 d'état d'esprit. Le Dr Van Leuween, psychiatre en médecine légale, au
21 départ avait été cité par le Greffe. Le Dr Van Leuween a émis un
22 diagnostic après avoir examiné Esad Landzo d'octobre 1996 à aujourd'hui.
23 Il a dit qu'il souffrait d'un trouble de la personnalité avec des traits
24 de schizophrénie et de dépendance. Il ne l'avait pas diagnostiqué comme
25 souffrant de stress post-traumatique en 1992, car il croyait qu'en 1992
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1 M. Esad Landzo souffrait encore d'un trouble permanent.
2 Monsieur Van Leuween a expliqué pourquoi il ne pouvait pas
3 simplement catégoriser les problèmes de personnalité de M. Landzo de façon
4 simple et unique. Il a dit, je cite : « Il a un problème, un trouble de
5 personnalité, mais il est plus évident qu'il souffre d'un
6 problème de trouble de personnalité combiné ». Il n'y a pas qu'une seule
7 catégorie que l'on peut invoquer. Tout ceci a été décrit par les quatre
8 psychiatres et ceci revient à dire qu'il a un sens du soi qui est erroné.
9 Le Dr Van Leuween a dit, au n° 6 , que "ces personnalités
10 "border line" sont des personnalités qui ne sont pas bien établies".
11 Réponse : "Oui."
12 Question : "Vous voyez combien est dépendante cette personne."
13 Dans ce camp, il était sous la coupe de M. Delic.
14 Lorsque le Juge Karibi-Whyte a demandé aux médecins d'expliquer
15 la différence entre une personne qui souffre d'un trouble de la
16 personnalité de dépendance et la nécessité d'obéir en tant que prêtre ou
17 soldat, le Dr Van Leuween expliquait, je cite : "Bien sûr, il y a une
18 différence entre savoir que l'on obéit parce que la situation vous le
19 demande ou le fait d'obéir les yeux fermés, car on ne peut faire que cela,
20 obéir, et lorsqu'on ne peut faire autre chose qu'obéir les yeux fermés".
21 Le Dr Van Leuween conclut en disant qu'il avait un état d'esprit
22 anormal, et que cet état d'esprit anormal - et je passe ainsi au n° 10 à
23 placer sur le rétroprojecteur - il concluait ceci : "Les conséquences
24 d'une conclusion clinique, à savoir que quelqu'un se trouve dans un état
25 d'esprit tel que sa capacité à exercer sa libre volonté est diminuée sous
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1 l'angle psychiatrique, à ce moment-là, je conseillerais de considérer que
2 cette personne souffrait d'une absence partielle de responsabilité au
3 moment de la commission des actes".
4 Le Dr Van Leuween va même plus loin, lorsque le conseil de
5 M. Delic lui pose une question, lorsque Me Moran lui dit ceci, je cite :
6 "Vous l'avez décrit comme étant une personnalité dépendante. Est-ce que
7 cela veut dire qu'il deviendrait dépendant d'une figure de proue
8 représentant l'autorité ? Est-ce qu'il obéirait à cette personne si elle
9 lui disait de faire quelque chose ?"
10 Réponse : "Oui."
11 Il s'agit de la page du transcript 14-2-3-6.
12 Le Dr Alfredo Verde parvient aux mêmes conclusions après son
13 examen clinique. Il nous a dit que M. Landzo souffrait d'un état d'esprit
14 anormal en 1992, qu'il était incapable de contrôler sa conduite étant
15 donné l'état d'esprit anormal dont il souffrait, et là je cite :
16 Question : "Du fait de cet état d'esprit anormal, diriez-vous
17 qu'il était dans une situation d'absence partielle de responsabilité
18 normale ?"
19 Réponse : "Oui."
20 Question : "A Celebici en 1992 ?"
21 Réponse : "Oui."
22 Il s'agit de la page du transcript 14-403.
23 Lorsque le Juge Karibi-Whyte pose une question au Dr Verde sur
24 l'état d'esprit anormal, celui-ci explique, je cite : "Il n'a pas cette
25 capacité mais il a tendance à s'habiller avec les vêtements d'autrui.
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1 C'est un peu comme si c'était un animal, un caméléon. Effectivement, il
2 change de couleur en fonction de son environnement."
3 Le Dr Lagazzi est arrivé aux mêmes conclusions. Il est
4 psychiatre en médecine légale de Gènes, Italie et il a été appelé à la
5 barre par l'accusation en 1996. Monsieur Lagazzi a examiné M. Esad Landzo
6 au cours de cette période et là j'arrive au n° 12 du rétroprojecteur. Il a
7 dit, je cite : "Il correspond tout à fait à la catégorie établie par le
8 DSM4 pour parler de troubles mixtes de la personnalité."
9 Lorsque vous avez de telles personnes avec un trouble pareil
10 auquel se greffe le stress post-traumatique, vous avez vraiment une
11 position exacerbée de stress post-traumatique. Et lorsque le Juge Karibi-
12 Whyte a demandé d'établir un lien entre le trouble de la personnalité et
13 la capacité mentale qu'aurait un accusé à commettre une infraction dont on
14 l'accuse et la mesure dans laquelle il est responsable de cette action,
15 voici ce que répond le Dr Lagazzi. Je cite : "Ce
16 que j'ai fait c'est ceci. J'ai évalué l'individu et je crois que lorsque
17 l'individu est doté de ce type de personnalité, dans certaines
18 circonstances d'autorité et de pouvoir, il peut accepter un ordre et ceci
19 ferait qu'il répond à certaines attitudes alors qu'il est incapable
20 d'utiliser son propre choix". En d'autres termes, il y a absence de libre
21 volonté.
22 Le Dr Lagazzi poursuit : "En d'autres termes, M. Landzo souffre
23 d'un état clinique et il est probable, étant donné son état, que, quand il
24 a reçu des ordres très spécifiques, il agit de façon non libre".
25 Transcript 14-5-5-1, 14-5-5-2.
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1 Il a ensuite décrit ce film "Zelig" de Woody Allen. Il faut
2 donner l'exemple de ce personnage qui a des souliers rouges et qui passe
3 d'un état de normalité à l'état d'anormalité et il parvient aux mêmes
4 conclusions que les autres psychiatres.
5 Numéro 14 : lorsqu'on demande au Dr Lagazzi si Landzo souffrait
6 de cet état d'esprit anormal en 1992, il répond par l'affirmative. Est-ce
7 que cet état d'esprit anormal a influé négativement sur sa capacité à
8 contrôler son comportement lorsqu'il était garde à Celebici en 1992 ?
9 Voici ce que répond le médecin : "Il est probable que cette condition a
10 une influence sur son comportement". Lorsqu'on demande au médecin si
11 Landzo souffrait d'une absence de libre volonté en 1992, la réponse a été
12 celle-ci : "Je peux vous dire que cette absence de libre volonté était en
13 toute probabilité présente au moment où Landzo était à Celebici".
14 Le Dr Lagazzi poursuit (rétroprojecteur n°15) "Il voulait
15 montrer pourquoi Landzo ne pouvait pas exercer sa libre volonté."
16 Question : "Vous croyez que cet homme était incapable d'exercer
17 sa libre volonté sur une période, disons de trois mois, au cours de
18 l'été 1992 ?"
19 Réponse : "Désolé, mais j'aimerais une fois de plus repartir sur
20 la séquence logique du travail que j'ai fait. Je dispose de conclusions
21 cliniques qui prouvent qu'il y a un trouble de la personnalité
22 pathologique. Je dispose d'une définition juridique qu'on m'a remise et
23 qui porte sur une personnalité anormale, ce qui pourrait constituer une
24 cause de
25 responsabilité mentale diminuée. Et ceci me permet de dire que, si on
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1 conjugue ces deux éléments, on peut dire qu'il y a probabilité de présence
2 d'absence partielle de responsabilité mentale. Je ne vais pas entrer dans
3 les détails, étant donné la limite du temps qui m'est imparti. Mais le
4 Dr Greenpan était un psychiatre américain qui est parvenu exactement aux
5 mêmes conclusions que ses collègues."
6 Je dispose de la citation, qui est reprise dans mon mémoire
7 final. Nous en arrivons à l'expert cité par l'accusation, le Dr Landisbar.
8 Lorsque je lui ai demandé quels étaient les critères utilisés pour établir
9 son avis, il nous a dit ceci : quatre critères différents qui étaient tous
10 de sa propre concoction et qui n'étaient pas des critères reconnus par le
11 droit. Toutes les conclusions reprises dans le témoignage et le rapport du
12 Dr Spar ne devraient pas être considérées car elles sont sans fondement.
13 Ceci se retrouve également dans mon mémoire final.
14 Passons, si vous le voulez bien, à l'acte d'accusation. Et
15 puisque j'ai sans doute déjà dépassé le temps qui m'était imparti.
16 Permettez-moi, il me reste 8 minutes je pense. Il est clair que M. Landzo
17 a témoigné et nous pensons que les meilleurs moyens de preuve administrés
18 en l'espèce sont le témoignage de M. Landzo qui a eu besoin de beaucoup de
19 courage pour passer à la barre.
20 Il a reconnu avoir participé au passage à tabac de
21 Scepo Gotovac. Il nous a parlé des circonstances dans lesquelles ceci
22 s'est produit, comment il a reçu une planche de bois de MM. Mucic et Delic
23 qui voulaient parler à cet homme, qu'il sorte d'abord. Car quelqu'un avait
24 dit qu'ils avaient une vendetta contre cet homme. Mais nous pensons qu'il
25 faudrait le considérer comme exonéré de sa culpabilité pour ce chef
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1 d'accusation car il souffrait d'une telle absence de responsabilité
2 mentale qu'il était incapable juger ce qu'il faisait.
3 S'agissant de Simo Jovanovic, M. Landzo a reconnu qu'il avait
4 fait sortir M. Jovanovic, qu'un garde de Itbaret est venu et qu'il s'était
5 chargé d'emmener Jovanovic à l'atelier où ce dernier avait été battu. Et
6 Landzo a reconnu que M. Jovanovic était sans doute
7 mort des coups qu'il avait reçus ce soir-là. Parlons aussi de
8 M. Samoukovic, un homme âgé, qui était une des 6 ou 7 personnes qu'a
9 frappées Landzo dans le hangar. Lorsqu'il est rentré le 12 juillet 1992
10 - effectivement je ne peux pas parcourir l'ensemble du témoignage - mais
11 vous savez qu'il revenait d'un endroit où une personne qui avait été
12 vraiment la figure de proue, la figure de père, Ibro, qui avait vécu
13 pendant de longues années près de chez lui, venait d'être mutilé. Il
14 venait de voir le corps de cet homme détruit et mutilé et, comme il se
15 trouvait dans un état de responsabilité mentale à ce point diminuée, il
16 n'a pas pu contrôler ses actions et Landzo a reconnu avoir frappé cet
17 homme.
18 Mais il y a une chose que l'accusation n'a pas prouvé. Aussitôt
19 après avoir constaté que cet homme était gravement blessé, Landzo a fait
20 en sorte qu'il soit emmené à l'infirmerie. Il a dit au médecin de
21 s'occuper de le remettre en condition. Un meurtrier ne fait pas ce genre
22 de choses. Il n'y avait pas d'intention de la part de M. Landzo, il ne
23 voulait pas assassiner M. Simo Jovanovic et je crois que l'accusation
24 aurait grand peine à prouver le contraire.
25 Quant à M. Susic, quatrième allégation de meurtre à l'encontre
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1 de M. Landzo, M. Landzo a reconnu qu'il avait accompagné les autres gardes
2 pour le mettre au tunnel n°9. Il a reconnu qu'il l'avait poussé. Il a
3 reconnu que M Susic avait été frappé, mais ce n'est pas M. Landzo qui l'a
4 frappé au cours de ces occasions qui ont entraîné la mort de M. Susic.
5 Il y a d'autres allégations de torture à l'encontre de
6 M. Landzo. Je promets à chacun des juges que je procurerais une définition
7 de la torture dès demain. Mais la définition de la torture offerte par
8 l'accusation est bien trop large.
9 Nous avons le témoin M. A propos de celui-ci, pourriez-vous
10 placer le document 27 sur le rétroprojecteur ? M. Landzo a reconnu avoir
11 brûlé le témoin M, a reconnu avoir participé au passage à tabac du
12 témoin M, mais M. Delic était en train de le regarder à ce moment-là et
13 c’est M. Delic qui avait donné l'ordre de passer à tabac cette personne.
14 S'agissant toujours du témoin N, il se souvient avoir vu des
15 hommes du HOS
16 frapper le témoin N. Il ne se souvient pas de Mirko Babic, non, il ne
17 souvient pas non plus de Mirko Dordic. S'agissant de Nedeljko Draganic,
18 pour lequel on accuse M. Landzo de lui causer intentionnellement de
19 grandes souffrances, M. Landzo a dit le connaître depuis l'école. Il est
20 arrivé alors que M. Draganic était tabassé dans l'autre hangar.
21 Effectivement, on lui a dit de le replacer dans l'autre hangar. Il lui a
22 donné un coup de pied au moment où il le remettait dans cet autre hangar,
23 mais il n'a pas commis ces tortures dont on l'accuse aux chefs 36 et 37.
24 Pensez qu'il s'agissait d'un jeune garde d'à peine 18 ans, on ne
25 peut pas le considérer comme étant le responsable des conditions prévalant
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1 au camp. Il est certain qu'Esad Landzo n'avait pas le moindre pouvoir lui
2 permettant de modifier en mieux les conditions qui prévalaient dans le
3 camp. Il n'avait aucune responsabilité. Ces allégations portées contre lui
4 aux chefs 46 et 47 en matière de conditions inhumaines devraient être
5 rejetées.
6 Je voudrais aussi parler de l'absence de crédibilité des témoins
7 à charge. Tous ont été autorisés à venir narrer leur récit ici. Chaque
8 témoin de l'accusation a disposé de six ans pour préparer son témoignage.
9 Ils se rencontraient régulièrement, ils sont maintenant en mesure de faire
10 la distinction entre ce qu'ils ont vécu et ce qu'on leur a raconté au
11 cours des séminaires qui ont été organisés pour eux. Ils sont en mesure de
12 mettre au point leur récit. Chacun des témoins à charge a déclaré que
13 Landzo était le garde posté à la porte du hangar n° 6 où la plupart des
14 détenus étaient détenus. C'était le seul nom qu'ils connaissaient.
15 Lorsqu'ils voulaient un contact avec le monde extérieur, ils criaient :
16 "Landzo ou Zenka" pour établir un semblant de communication. C'était lui
17 qui transmettait les messages, résolvait les problèmes et répondait à
18 leurs appels. Il dormait dans cette espèce de trou qu'il avait préparé
19 près du hangar. Il ne dormait pas dans le bâtiment administratif avec les
20 autres gardes.
21 En conclusion, lorsqu'on pense à l'impératif de l'intégrité
22 nationale, de la fierté nationale qui restait à l'avant-plan des
23 considérations, lorsqu'il s'agit d'établir la mort, la vie ou la dignité
24 nationale, au risque de compromettre sa famille et lui même, il a pris le
25 risque de venir
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1 témoigner devant ce Tribunal. Ce fût-là une décision courageuse.
2 Esad Landzo voulait présenter le meilleur moyen de défense possible face
3 aux allégations du Procureur, mais il en a été empêché par le biais
4 d'intimidations, d'immixtions avec les témoins qui étaient prêts à venir
5 dire la vérité. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que des actes horribles
6 ont été commis au cours de l'été 1992 dans ce camp. Ces actes regrettables
7 et répréhensibles peuvent désormais être définis et compris comme étant le
8 fruit de l'agression, de l'atmosphère de panique, de peur et de terreur
9 qui étaient imposées à la population de Konjic à l'époque. Quelles que
10 furent les motivations, nos objectifs dans ce Tribunal international sont
11 de comprendre quelles furent les causes de ces agressions en 1992 pour
12 essayer d'éviter qu'elles se reproduisent.
13 Toute l'idée des crimes contre l'humanité vise à avoir une force
14 morale supérieure pour soutenir l'opinion publique mondiale. Elle doit
15 viser à sanctionner les responsabilités du supérieur hiérarchique. Cette
16 idée doit viser à détruire les structures de commandement militaire
17 autoritaire qui encouragent, alimentent la sauvagerie, le chaos et sont
18 des violations constantes aux notions les plus élémentaires de dignité
19 humaine. Ne pas accuser un garde, ce serait se mettre en porte-à-faux de
20 ce processus de recherche de la vérité. Accuser un homme de 19 ans d'un
21 conflit qui lui est pratiquement tombé dans les bras, ce serait là une
22 solution qui manquerait d'équité, ce serait une solution bien trop simple,
23 injuste qui ne serait pas à la hauteur de l'objectif noble que nous
24 poursuivons. Nous avons des concepts communs de civilisation, de civilité.
25 Nous savons qu'il faut punir ceux qui sont coupables de crime contre
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1 l'humanité. C'est de telles condamnations que ce Tribunal tire sa force
2 mais ne nous perdons pas dans la poursuite de soldats ordinaires et de
3 gardes de prison.
4 Nonobstant les arguments juridiques avancés par tous les accusés
5 dans l'affaire Celebici, Esad Landzo a présenté des moyens de preuve
6 convaincants montrant que lorsqu'il était garde à Celebici, il souffrait
7 d'une absence partielle de responsabilité mentale. La charge de la preuve
8 ne pouvait s'établir qu'au vu de toutes les probabilités. Cette charge de
9 la
10 preuve a été établie et prise en charge par les témoignages tout à fait
11 cohérents de quatre experts en santé mentale, experts indépendants qui
12 estimaient tout un chacun qu'Esad Landzo souffrait d'une absence partielle
13 de responsabilité mentale en 1992. Je tiens à remercier une fois de plus
14 le Tribunal. Je vous sais gré de m'avoir permis de participer à ces débats
15 et au nom d’Esad Landzo, je tiens à dire ceci : nous avons effectivement
16 apporté la charge de la preuve et ce Tribunal, cette Chambre de première
17 instance devrait déclarer Esad Landzo non coupable de chacun des chefs
18 retenus contre lui.
19 M. le Président. - Je vous remercie. Il est 17 heures 30. Nous
20 allons donc lever l'audience jusqu'à demain matin. Nous entendrons alors
21 l'accusation pour une éventuelle réplique si cela est nécessaire.
22 L'audience est levée.
23 L'audience est levée à 17 heures 35.
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