Affaire n° : IT-98-34-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Fausto Pocar, Président
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Wolfgang Schomburg
Mme le Juge Inés Mónica Weinberg de Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
27 janvier 2005

LE PROCUREUR

c/

Mladen NALETILIC, alias « TUTA »
Vinko MARTINOVIC, alias « STELA »

_________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE NALETILIC AUX FINS D’OBTENIR L’AUTORISATION DE DÉPOSER SA DEUXIÈME REQUÊTE AUX FINS DE PRÉSENTATION DE MOYENS DE PREUVE SUPPLÉMENTAIRES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 115 DU RÈGLEMENT

_________________________________________

Le Substitut du Procureur :

M. Norman Farrell 

Les Conseils des Accusés :

MM. Matthew Hennessy et Christopher Young Meek, pour Mladen Naletilic
MM. Zelimir Par et Kurt Kerns, pour Vinko Martinovic

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la demande d’autorisation de déposer la deuxième requête relevant de l’article  115 du Règlement (Motion for Leave to File His Second Motion to Present Additional Evidence Pursuant to Rule 115) (la « Demande d’autorisation »), déposée par Mladen Naletilic (l’« Appelant ») le 8 septembre 2004, par laquelle ce dernier demande l’autorisation de déposer sa deuxième requête aux fins de présenter des moyens de preuve supplémentaires en application de l’article 115 du Règlement (Second Motion to Present Additional Evidence Pursuant to Rule 115) (la « Deuxième Requête  »),

VU la Deuxième Requête, déposée à titre confidentiel par l’Appelant le 26  juillet 2004, dans laquelle ce dernier demande l’admission de 15 documents supplémentaires en application de l’article 115 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement »),

ATTENDU qu’à la conférence de mise en état qui s’est tenue le 26 juillet  2004 en l’espèce, le Juge de la mise en état en appel a relevé que l’Appelant avait déposé sa Deuxième Requête hors délai et lui a ordonné de déposer une « requête circonstanciée aux fins d’obtenir l’autorisation » de compléter la Deuxième Requête 1,

VU la requête de l’Accusation aux fins d’obtenir des éclaircissements et si nécessaire une prorogation de délai pour répondre à la Deuxième Requête (Prosecution’s Motion for Clarification and if Necessary for an Extension of Time to Respond to Mladen Naletilic’s Second Additional Evidence Motion) (la « Requête aux fins d’éclaircissements »), déposée le 29 juillet 2004, dans laquelle l’Accusation fait valoir qu’elle ne devrait pas être tenue de répondre à la Deuxième Requête avant que la Chambre d’appel ait autorisé l’Appelant à la déposer, et demande à la Chambre d’appel de lui accorder un délai supplémentaire de 14 jours pour déposer, le cas échéant, sa réponse en application de l’article 127 du Règlement, en raison de la « nature particulière d’une réponse à une demande d’admission de moyens de preuve supplémentaires et du fait que l’Appelant se montre peu coopératif2  »,

ATTENDU que l’Appelant n’a déposé aucune réponse à la Requête aux fins d’éclaircissements,

VU la réponse de l’Accusation à la Demande d’autorisation (Prosecution’s Response to Mladen Naletilic’s Motion for Leave to File Second Additional Evidence Motion) (la « Réponse »), déposée à titre confidentiel le 16 septembre 2004, dans laquelle l’Accusation avance que la Demande d’autorisation devrait être rejetée parce que l’Appelant n’a pas présenté de motifs valables ni établi l’existence de circonstances exceptionnelles justifiant le dépôt d’une requête relevant de l’article  115 à un stade avancé de la procédure3,

ATTENDU que l’Appelant n’a pas déposé de réplique,

VU l’article 115 A) du Règlement qui dispose qu’« [u]ne partie peut demander à pouvoir présenter devant la Chambre d’appel des moyens de preuve supplémentaires  » et que ladite requête « doit être déposée auprès du Greffier et signifiée à l’autre partie au plus tard soixante-quinze jours à compter de la date du jugement, à moins qu’il existe des motifs valables d’accorder un délai supplémentaire »,

ATTENDU que la Chambre de première instance a rendu son jugement en l’espèce le 31 mars 2003 (le « Jugement »),

ATTENDU, toutefois, qu’étant donné que le conseil principal de l’Appelant a été remplacé par décision du Greffier datée du 23 juin 2003 et que les conseils de la Défense n’ont pas reçu de traduction du Jugement en B/C/S avant le 1er juillet  2003, le Juge de la mise en état en appel a estimé que des motifs convaincants avaient été présentés au sens de l’article 127 du Règlement qui justifiaient dans le cas de l’Appelant la prorogation du délai prescrit par l’article 115, et qu’il a fixé la nouvelle date limite de dépôt de toute requête relevant de l’article 115 au 15  août 2003 (la « nouvelle date limite »)4,

ATTENDU que, la Deuxième Requête ayant été déposée le 26 juillet 2004, soit environ 346 jours après la nouvelle date limite, l’Appelant doit présenter des motifs convaincants justifiant le dépôt de cette requête, en application de l’article 115  A),

ATTENDU que « compte tenu de l’exigence [aux termes de l’article 115] selon laquelle des motifs valables doivent être présentés, la partie requérante doit démontrer qu’elle n’était pas en mesure de se conformer aux délais prescrits par l’article visé et qu’elle a présenté sa requête dans les meilleurs délais après avoir pris connaissance de l’existence des éléments de preuve dont elle demande l’admission 5 »,

ATTENDU que l’Appelant avance qu’il devrait être autorisé à déposer la Deuxième Requête, parce que ses conseils n’ont reçu d’une source indépendante les 15 documents présentés comme moyens de preuve supplémentaires qu’« après août 2003 mais avant la fin de l’année » et que le retard dans le dépôt de la requête est dû tout d’abord aux délais d’obtention de la traduction complète des versions originales en B/C/ S, qui ont été adressées dans les meilleurs délais au service de traduction du Tribunal international dès leur réception, mais dont les traductions n’ont pas été terminées avant fin 2003 ou début 2004, ensuite à une panne de l’ordinateur du coconseil de la Défense survenue en avril 2004, et enfin à la communication de documents supplémentaires par une source indépendante en janvier 20046, ce qui a donné lieu à des recherches pour déterminer si l’Accusation avait déjà communiqué ces documents7 avant ou pendant le procès8,

ATTENDU que, dans la Demande d’autorisation, l’Appelant n’a pas démontré pourquoi il n’a pu obtenir les 15 documents présentés avec la Deuxième Requête qu’ « après août 2003 mais avant la fin de l’année », ni pourquoi il n’a pas pu respecter la nouvelle date limite,

ATTENDU qu’au vu des arguments invoqués ou omis par l’Appelant, la Chambre d’appel n’est pas convaincue que celui-ci a démontré qu’il avait présenté des motifs convaincants justifiant le dépôt de la Deuxième Requête hors délai,

ATTENDU que, d’après la Directive pratique relative à la procédure de dépôt des écritures en appel devant le Tribunal International (la « Directive pratique relative aux écritures en appel »), une requête déposée dans le cadre de la procédure d’appel d’un jugement doit mentionner la décision ou la réparation précise demandée 9,

ATTENDU, en outre, qu’aux termes de l’article 115 A) du Règlement, une requête relevant de l’article 115 doit « indiquer clairement et précisément la conclusion de fait spécifique de la Chambre de première instance à laquelle le moyen de preuve supplémentaire se rapporte », et que, selon la Directive pratique relative aux conditions formelles applicables au recours en appel contre un jugement, une partie qui souhaite présenter des moyens de preuve supplémentaires doit identifier clairement le rapport entre ces moyens de preuve et les moyens d’appel soulevés10,

ATTENDU qu’en l’espèce, l’Appelant n’a pas fait état dans la Deuxième Requête des conclusions de fait spécifiques de la Chambre de première instance mises en cause par les 15 documents supplémentaires, et qu’il n’a invoqué aucun argument indiquant précisément les moyens d’appel énumérés dans la Deuxième Requête auxquels se rapportent les moyens de preuve supplémentaires en question,

ATTENDU que lorsqu’une partie ne précise pas clairement l’influence d’un moyen de preuve supplémentaire présenté en appel sur la décision de la Chambre de première instance, elle « court le risque de voir ce moyen de preuve rejeté, sans examen approfondi11 »,

ATTENDU, toutefois, que l’Appelant peut, dans l’intérêt de la justice, déposer une version modifiée de la Deuxième Requête conforme aux conditions posées par l’article  115 du Règlement et les directives pratiques relatives aux procédures d’appel devant le Tribunal international en y invoquant de manière précise des motifs convaincants afin d’être autorisé à déposer ladite version modifiée,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la Demande d’autorisation et la Deuxième Requête,

INVITE l’Appelant à déposer, s’il le souhaite, une version modifiée de la Deuxième Requête, au plus tard dix jours après que la présente Décision aura été rendue,

ORDONNE à l’Accusation de déposer éventuellement sa réponse à la version modifiée de la Deuxième Requête dans un délai de dix jours à compter du dépôt de ladite version12, et

PRÉCISE que l’Appelant peut éventuellement déposer sa réplique dans un délai de quatre jours à compter du dépôt de la réponse de l’Accusation13.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Fausto Pocar

Le 27 janvier 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Conférence de mise en état (séance publique), 26 juillet 2004, p. 45, CR 16 à 23.
2 - Requête aux fins d’éclaircissements, par. 1 et 20.
3 - Réponse, par. 3, 4 et 16.
4 - Decision on Mladen Naletilic’s Motions for Extension of Time, 25 juin 2003, p. 3 et 4.
5 - Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-A, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’admission de moyens de preuve supplémentaires concernant Dario Kordic et Mario Cerkez, 17 décembre 2004, p. 3.
6 - La Chambre d’appel relève que les conseils de la Défense ont finalement décidé de ne pas présenter ces documents supplémentaires avec la Deuxième Requête même s’ils affirment qu’ils avaient à l’origine l’intention de le faire. Voir Demande d’autorisation, par. 4 et 5.
7 - La Chambre d’appel fait en outre observer que, dès mars 2004, l’Accusation avait informé les conseils de la Défense que les documents avaient déjà été communiqués en B/C/S pendant le procès ; cependant, les conseils de la Défense ne se sont pas satisfaits de cette réponse et ont continué leurs recherches jusqu’en août 2004. Voir Demande d’autorisation, par. 5 ; Réponse, par. 11 à 13 et annexe A.
8 - Demande d’autorisation, par. 2 à 5.
9 - IT/155 Rev. 1, 7 Mars 2002, par. 10 a).
10 - IT/201, 7 mars 2002, par. 11 b).
11 - Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001, par. 69.
12 - Voir Directive pratique relative aux écritures en appel, par. 11.
13 - Ibid., par. 12.