LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge Almiro Rodrigues, Président
M. le Juge Fouad Riad
Mme le Juge Patricia Wald
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
14 février 2001
LE PROCUREUR
C/
MLADEN NALETILIC alias «TUTA»
et
VINKO MARTINOVIC alias «STELA»
_______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À LOPPOSITION DE VINKO MARTINOVIC ET A LEXCEPTION PRÉJUDICIELLE DE MLADEN NALETILIC CONCERNANT LACTE DACCUSATION MODIFIÉ
________________________________________________________________________
Le Bureau du Procureur :
M. Kenneth Scott
Les Conseils des accusés :
M. Kresimir Krsnik pour Mladen NALETILIC
M. Branko Seric pour Vinko MARTINOVIC
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la «Chambre») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal») est saisie de lOpposition de Vinko Martinovic r lacte daccusation modifié, déposée le 27 décembre 2000 («lException de Martinovic») et de lException préjudicielle de la Défense, déposée le 3 janvier 2001 par laccusé Mladen Naletilic («lException de Naletilic»). Les Exceptions de Martinovic et de Naletilic ont été lune et lautre dument déposées dans les délais prescrits à larticle 72 du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»).
Le premier acte daccusation dressé à lencontre des accusés Martinovic et Naletilic a été déposé le 18 décembre 1998 («lActe daccusation initial»). Par sa décision du 28 novembre 2000 (la «Décision de novembre»)1, la Chambre a autorisé le Procureur à modifier le chef 5 de lActe daccusation initial en y ajoutant une nouvelle accusation fondée sur larticle 52 de la IIIe Convention de Genève qui interdit les travaux dangereux ou humiliants. À lorigine, le chef 5 ne faisait référence quaux articles 49 et 50 de la IIIe Convention de Genève et à larticle 51 de la IVe Convention de Genève. En conséquence, le 4 décembre 2000, le Procureur a déposé un acte daccusation modifié («lActe daccusation modifié») et le 7 décembre 2000, chacun des accusés a plaidé «non coupable» du chef daccusation ainsi modifié. En application de larticle 50 C) du Règlement, chacun des accusés disposait dun délai de trente jours pour soulever, en vertu de larticle 72, des exceptions préjudicielles relativement aux nouvelles charges.
I. Exceptions préjudicielles de la Défense
Les points soulevés par les Exceptions de Martinovic et de Naletilic sont les suivants :
1. En labsence de nouvelles allégations factuelles ou déléments de preuve supplémentaires, lacte daccusation ne peut être modifié à moins que les accusés ny trouvent leur intérêt. On ne saurait accroître si tardivement le nombre des accusations portées contre les accusés. Par ailleurs, la Défense fait valoir que le droit pénal de lex-Yougoslavie, aussi bien que celui de Bosnie-Herzégovine et celui de la République de Croatie nautorisent lajout dune nouvelle infraction à lacte daccusation que si des éléments de preuve supplémentaires sont présentés à lappui de cette modification dans le cours de la procédure. Il est également avancé que les accusés ne peuvent préparer convenablement leur défense si lacte daccusation est susceptible dêtre modifié à tout moment. Pareilles objections ont été formulées par les accusés en réponse à la requête de lAccusation aux fins de modification du chef 52.
2. Cette modification donne lieu à un concours dinfractions, un seul et même acte recevant plusieurs qualifications (sur la base notamment des articles 2, 3 et 5 du Statut).
1. En outre, laccusé Naletilic affirme quil ne voit pas clairement quels actes visés par le chef 5 constitueraient des violations des articles 49, 50 et 52.
II. Arguments de lAccusation
Le 18 janvier 2001, lAccusation a répondu aux objections de la Défense en ces termes :
1. Les Exceptions ne font que reprendre les arguments présentés par chacun des accusés dans leurs réponses à la requête de lAccusation aux fins de modification du chef 5. Dans sa Décision de novembre, la Chambre a conclu que la modification de lacte daccusation ne portait pas préjudice aux accusés.
En conséquence, cette question ne saurait être réexaminée à la faveur dune exception préjudicielle fondée sur un vice de forme de lacte daccusation.2. De même, la question du cumul des qualifications a été soulevée à un stade antérieur de la procédure et la Chambre a jugé quil convenait de reporter toute décision en la matière à la fin du procès.
III. Examen
A. Circonstances dans lesquelles la modification de lacte daccusation est autorisée
Les dispositions du Règlement qui régissent les modifications de lacte daccusation, sénoncent comme suit :
Article 50
Modifications de lacte daccusation
A) i) Le Procureur peut modifier lacte daccusation :
a) à tout moment avant sa confirmation, sans autorisation ;
b) entre sa confirmation et laffectation de laffaire à une Chambre de première instance, sur autorisation du juge qui la confirmé ou dun juge désigné par le Président et
c) après laffectation de laffaire à une Chambre de première instance, sur autorisation de la Chambre ou de lun de ses membres statuant contradictoirement.
ii) Après laffectation de laffaire à une Chambre de première instance, la confirmation de lacte daccusation modifié nest pas nécessaire.
iii) Les articles 47 G) et 53 bis sappliquent, mutatis mutandis, à lacte daccusation modifié.
B) Si lacte daccusation modifié contient de nouveaux chefs
daccusation et si laccusé a déjà comparu devant un juge ou une Chambre de
première instance conformément à larticle 62, une seconde comparution aura
lieu dès que possible pour permettre à laccusé de plaider coupable ou non
coupable pour les nouveaux chefs daccusation.
C) Laccusé disposera dun nouveau délai de trente jours pour soulever, en
vertu de larticle 72, des exceptions préjudicielles pour les nouveaux chefs
daccusation et, si nécessaire, la date du procès peut être repoussée pour donner
à la défense suffisamment de temps pour se préparer.
Après lattribution de laffaire à une Chambre de première instance, larticle 50 A) i) c) exige simplement que lacte daccusation soit modifié «sur autorisation de la Chambre ou de lun de ses membres statuant contradictoirement». Larticle 50 donne donc à la Chambre ou à lun de ses membres toute latitude pour autoriser ou non une modification de lacte daccusation.
Rien dans le Règlement nindique quun acte daccusation ne peut être modifié quà la condition que de nouvelles allégations factuelles y soient incluses. Par ailleurs, bien que ses paragraphes B) et C) traitent expressément de la question des nouveaux chefs daccusation, larticle 50 nexige pas que les nouvelles qualifications retenues reposent sur des faits nouveaux. Lorsquil prévoit que laccusé peut demander un délai supplémentaire pour se préparer au procès suite à lintroduction de nouveaux chefs daccusation, larticle 50 na dautre but que garantir que laccusé ne sera pas lésé dans la conduite de sa défense.
Bien quil ne soit fixé expressément aucune limite au pouvoir discrétionnaire dévolu par larticle 50, il ressort à lévidence de lensemble du Statut et du Règlement, que ce pouvoir doit sexercer dans le respect du droit de laccusé à un procès équitable. En particulier, du fait des circonstances de lespèce, la question du respect du droit de laccusé à bénéficier dun procès rapide, à être informé dans le plus court délai des accusations portées à son encontre et à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, peut se poser lorsquon examine les objections relatives à un acte daccusation modifié3.
Tous les actes daccusation ou presque établis par le Procureur dans des affaires portées devant le TPIY ou devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda («TPIR») ont été modifiés au moins une fois. La jurisprudence y relative nadmet pas quon limite lexercice du pouvoir discrétionnaire dévolu par larticle 50 du Règlement, comme le demande la Défense en lespèce. La véritable question est de savoir si la modification en cause porte un quelconque préjudice à laccusé4.
Pour déterminer si laccusé est lésé en quoi que ce soit par la modification de lacte daccusation, il est nécessaire de prendre en compte lensemble des circonstances de lespèce. Par exemple, dans laffaire Le Procureur c/ Kovacevic, la Chambre dappel a autorisé le Procureur à ajouter 14 nouveaux chefs à lacte daccusation qui passait ainsi de 8 à 18 pages une modification pour laquelle la Défense aurait besoin dun délai supplémentaire de 7 mois pour préparer son dossier5. Dans son arrêt, la Chambre dappel avait notamment insisté sur le fait que le retard causé au procès par la modification de lacte daccusation nétait pas excessif compte tenu de la complexité de laffaire. Elle avait en outre conclu que laccusé ayant été informé des crimes qui lui étaient reprochés dans lacte daccusation existant au moment de son arrestation, son droit à être informé sans délai des charges retenues à son encontre navait pas été bafoué. Dans son opinion individuelle concordante, le Juge Shahabuddeen a souligné que compte tenu des difficultés inhérentes à la poursuite des auteurs de crime de guerre, une certaine souplesse judiciaire simposait au moment de trancher la question de la modification de lacte daccusation6.
Lintroduction de nouveaux chefs daccusation en labsence de nouvelles allégations factuelles ou déléments de preuve supplémentaires a été acceptée dans dautres affaires portées devant le TPIY et le TPIR. Dans laffaire Le Procureur c/ Krstic par exemple, en octobre 1999, le Procureur a déposé un acte daccusation modifié dans lequel il reprochait pour la première fois à laccusé de sêtre rendu coupable dexpulsion, un crime contre lhumanité et subsidiairement, dactes inhumains (transfert forcé), un crime contre lhumanité7. Lacte daccusation initial exposait des faits qui pouvaient justifier ces chefs daccusation et aucune allégation factuelle concrète na été ajoutée à lacte daccusation modifié pour étayer les nouveaux chefs (expulsion, transfert forcé)8. Dans laffaire Le Procureur c/ Niyitegeka, la Chambre de première instance a expressément admis quil était possible dajouter de nouveaux chefs à un acte daccusation pour «invoquer une théorie juridique supplémentaire de la responsabilité sans quil y ait des faits nouveaux»9.
La modification des actes daccusation est régie par des
principes différents dans les systèmes de droit romano-germanique et dans ceux de la common
law. Dans les premiers, les actes daccusation sont passé au crible par le
magistrat instructeur et leur modification prête moins à discussion10.
Tandis que certains systèmes de la common law ont en la matière une attitude
restrictive11, la plupart des systèmes étudiés
reconnaissent que le critère fondamental pour apprécier si lon doit ou non
autoriser la modification dun acte daccusation est de savoir si elle ne porte
pas préjudice à laccusé12.
La jurisprudence du TPIY et du TPIR relative à lexercice du pouvoir
discrétionnaire dévolu par larticle 50 du Règlement montre que
lautorisation de modifier un acte daccusation est généralement accordée à
moins quil ne soit démontré quelle porte atteinte aux droits de
laccusé. Cette pratique reconnaît lobligation du Procureur de poursuivre un
accusé dans toute la rigueur de la loi13. En
lespèce, la longueur de lacte daccusation na pas beaucoup varié
suite à la modification14; la Défense na pas
suggéré que lAccusation cherchait ainsi à sassurer un avantage tactique
injuste15 et cette modification na certainement pas
repoussé louverture du procès dont la date na pas encore été fixée.
Puisque les faits sur lesquels se fonde le nouveau chef daccusation figuraient
déjà dans lActe daccusation initial, la Défense na pas eu besoin de
mener denquête supplémentaire, de rencontrer de nouveaux témoins ou
dengager dautres moyens. En conséquence, les accusés ne sont pas parvenus à
démontrer que la modification du chef 5 avait nui à la préparation de leur
défense.
B. Cumul des qualifications
Le cumul des qualifications a déjà suscité des objections en lespèce. Dans sa décision du 15 février 2000, la Chambre de première instance a rejeté lobjection formulée par Martinovic à ce propos16, en faisant remarquer que la jurisprudence du Tribunal nétait pas encore en la matière fixée. Elle a fait référence aux principes dégagés dans le Jugement Kupreskic du 14 janvier 2000117 selon lesquels le cumul des qualifications est permis si chaque infraction exige la preuve dun élément que lautre ne requiert pas (le critère dit «des différents éléments constitutifs») ou à défaut, si chaque incrimination protège des valeurs distinctes (même si ce dernier critère peut rarement à lui seul justifier le cumul des qualifications). Cela dit, toutefois, la Chambre de première instance na vu aucune raison de sécarter de la pratique qui consistait à reporter lexamen de cette question à la fin du procès.
De nouveau, les accusés ont soulevé la question du cumul des qualifications en tant quexception préjudicielle fondée sur un vice de forme du chef 5 daccusation modifié. La Chambre fait remarquer que lexception est présentée en termes très généraux et ne se limite pas à la modification du chef 5. Les accusés nétaient fondés à exciper du cumul des qualifications quà propos des nouvelles accusations et ce nest que dans cette limite que la Chambre examinera la question.
Le Procureur a modifié le chef 5 de lActe daccusation initial en ajoutant une qualification nouvelle fondée sur larticle 52 de la IIIe Convention de Genève (travaux dangereux ou humiliants) à celles déjà retenues sur la base de larticle 49 (généralités) et larticle 50 (travaux autorisés) de la IIIe Convention de Genève, et sur larticle 51 (enrôlement travail) de la IVe Convention de Genève. Toutes ces accusations reposent sur les mêmes faits. Si lon applique le critère retenu par la Chambre de première instance dans le Jugement Kupreskic, linfraction sanctionnée par larticle 52 pourrait être considérée comme une infraction véritablement distincte pouvant sajouter à celles déjà recensées dans le chef 5. En particulier, chaque infraction exige la preuve dun élément que lautre ne requiert pas. Par exemple, pour prouver quil y a eu violation de larticle 50 de la IIIe Convention de Genève, il faut établir que des prisonniers de guerre ont été contraints dexécuter certains travaux prohibés. Il nest pas nécessaire de prouver quil sagissait également de travaux dangereux ou humiliants. En revanche, pour établir une violation de larticle 52 de la IIIe Convention de Genève, il faut prouver que les travaux en cause étaient dangereux ou humiliants, sans quil soit nécessaire détablir que ces travaux ne relèvent pas des catégories énumérées à larticle 50 de la IIIe Convention. Sagissant de larticle 51 de la IVe Convention de Genève, il faut prouver, entre autres, que les victimes présumées de linfraction étaient des personnes protégées au sens de la IVe Convention de Genève tandis que dans le cas de larticle 52, il faut établir, entre autres, que les victimes présumées étaient des prisonniers de guerre au sens de la IIIe Convention de Genève. Ainsi pourrait-on considérer que chaque disposition exige la preuve dun élément qui nest pas requis par ailleurs et quen outre, chaque disposition vise à protéger des valeurs différentes : le traitement des personnes civiles, dune part et le traitement des prisonniers de guerre, dautre part. Larticle 49 de la IIIe Convention de Genève dispose que seuls les prisonniers de guerre valides pourront être contraints à travailler et énumère les cas où les officiers et sous-officiers pourront travailler. En conséquence, pour établir une violation de cet article, il faudrait démontrer quune personne non valide a été contrainte à travailler ou que les dispositions relatives au travail des officiers ont été enfreintes. Aucun de ces éléments ne doit être prouvé pour établir une violation de larticle 52. Par ailleurs, dans la mesure au moins où il traite du travail des officiers, larticle 49 vise à protéger une toute autre valeur que larticle 52, à savoir le respect du statut des officiers.
Il nen reste pas moins que la jurisprudence du Tribunal sur la question du cumul des qualifications est loin dêtre claire et nous attendons à cet égard le prochain arrêt de la Chambre dappel dans laffaire Celebici qui devrait examiner la question en détail. On peut notamment faire une distinction entre le cumul des qualifications dune part et le cumul des déclarations de culpabilité ou des peines, dautre part. Ces deux questions ont été examinées dans le Jugement Kupreskic. Sagissant du cumul des qualifications, la Chambre de première instance a conclu que :
a) LAccusation peut procéder à un cumul de charges, chaque fois quelle estime, à la lumière des critères évoqués plus haut, que les faits reprochés violent simultanément deux dispositions du Statut ou plus ;
b) elle devrait formuler des chefs daccusation subsidiaires plutôt que de les cumuler chaque fois quun crime semble enfreindre plus dune disposition du Statut et ce, en fonction des éléments du crime quelle est en mesure de prouver [ ] ;
c) elle devrait autant que possible sabstenir de cumuler un nombre excessif de charges pour les mêmes faits lors[quil] semble [ ] que ces faits ne violent pas simultanément plusieurs dispositions du Statut.18
Toutefois, si lon garde à lesprit le fait que le cumul des qualifications est interdit pour éviter avant tout quun accusé ne soit puni à plusieurs reprises pour le même crime, il semble quil y ait moins de raisons de refuser de lautoriser dans la mesure où il se distingue du cumul des déclarations de culpabilité ou du cumul des peines. Une interdiction stricte du cumul des qualifications ferait obstacle au travail du Procureur. En effet, il arrive que lAccusation ne soit pas en mesure de choisir entre plusieurs qualifications avant la présentation des éléments de preuve au procès ; en outre, la définition des crimes pour lesquels le Tribunal a compétence est souvent très large et na pas encore été précisée par la jurisprudence du Tribunal. Le Jugement Kupreskic est particulièrement révélateur à cet égard puisque la Chambre de première instance y conclut qu«[à] la différence des dispositions des codes pénaux nationaux [ ] les articles du Statut ne se réduisent pas à traiter une catégorie unique dactes bien définis» mais «embrassent plutôt de larges catégories dinfractions qui ont en commun certains éléments juridiques généraux»19. La jurisprudence du Tribunal sétoffant et chacun des éléments constitutifs des infractions étant défini avec davantage de précision, il deviendra plus facile déviter avant le procès que les qualifications ne se recoupent. Pour lheure et en lespèce tout au moins, il suffit que le cumul des qualifications ainsi autorisé ne porte pas de préjudice notable aux accusés.
C. Relations entre les faits et les qualifications
Laccusé Naletilic prétend quil ne voit pas clairement quels actes visés par le chef 5 constitueraient des violations des articles 49, 50 et 52. Dans lActe daccusation modifié, le Procureur a fait figurer 10 paragraphes dallégations factuelles étayant les chefs 2 à 8, comme il est dusage lors de la rédaction des actes daccusation. Dans de nombreuses affaires, les liens entre les allégations factuelles et les qualifications quelles étayent apparaissent clairement. Lorsquil sagit dallégations relatives à des civils, elles se rapportent à larticle 51 de la IVe Convention de Genève. Lorsquelles concernent des prisonniers de guerre, ces allégations renvoient aux dispositions pertinentes de la IIIe Convention de Genève. Dans le cas des articles 49, 50 et 52 de la IIIe Convention de Genève, les allégations y relatives se recoupent. Par exemple, celles faisant état de prisonnier de guerre contraints à marcher le long de la ligne de front, munis darmes factices, renvoient simultanément à larticle 50 (qui interdit les travaux à caractère militaire) et à larticle 52 (qui interdit les travaux dangereux ou humiliants). Toutefois, comme le montre notre analyse de la question du cumul des qualifications, il est possible de relever plusieurs infractions à raison des mêmes faits et en lespèce, cela ne porte pas préjudice à laccusé dans la préparation de sa défense.
IV. DISPOSITIF
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I
REJETTE lException de Martinovic et lException de Naletilic.
Fait en français et en anglais, la version en anglais faisant foi.
Fait le 14 février 2001
La Haye (Pays-Bas)
Le Président de la Chambre de première instance I
__________________________
Almiro Rodrigues
[Sceau du Tribunal]
[ ] lArticle 50 du Règlement nimpartit pas expressément au Procureur un délai pour déposer une requête en modification de lActe daccusation, laissant à la Chambre toute latitude pour examiner une telle requête en fonction des circonstances de lespèce. À cet égard, il y a lieu de sattacher tout particulièrement à déterminer si, et dans quelle mesure, le dépôt dilatoire de la requête porte atteinte au droit de lAccusé à un procès équitable. Pour que la justice suive normalement son cours, il doit également être tenu dûment compte du fait que le Procureur est investi du pouvoir souverain dexercer des poursuites sous réserve des dispositions des textes pertinents, et de produire devant la Chambre de première instance tous éléments de preuve pertinents.
Dans Le Procureur c/ Kabiligi et Ntabakuze, affaire
nº ICTR-97-34-I/ICTR-97-30-I, Décision relative à la requête du Procureur en
modification de lacte daccusation, 8 octobre 1999, par. 43,
dans laquelle la Chambre de première instance a noté que larticle 50 «ne
prévoit aucune norme de preuve particulière à respecter. Cela étant, il découle
dune interprétation stricte dudit Article que le fait dautoriser ou de ne pas
autoriser la modification dun acte daccusation relève entièrement du pouvoir
souverain dappréciation de la Chambre». Voir plus généralement Le Procureur
c/ Barayagwiza, affaire nº ICTR-97-19-I, Décision relative à la requête du
Procureur en modification de lacte daccusation, 11 avril 2000 ;
Le Procureur c/ Kajelijeli, affaire nº ICTR-98-44A-T, Decision on
Prosecutors Motion to Correct the Indictment Dated 22 December 2000 and
Motion for Leave to File an Amended Indictement, 25 janvier 2001 et Le
Procureur c/ Niyitegeka, affaire nº ICTR-96-14-I, Décision relative à la
requête du Procureur en modification dun acte daccusation,
21 juin 2000, (la «Décision Niyitegeka»).
5. La Chambre dappel a rendu sa décision oralement le
29 mai 1998, puis la motivée par écrit le 2 juillet 1998. Voir
Le Procureur c/ Kovacevic, affaire nº IT-97-24-PT, Arrêt motivant
lordonnance rendue le 29 mai 1998 par la Chambre dappel,
2 juillet 1998 («Arrêt Kovacevic»). La Chambre de première instance
avait refusé dautoriser la modification. Voir Le Procureur c/ Kovacevic,
affaire nº IT-97-24-PT, Décision relative à la demande du Procureur aux fins de
déposer un acte daccusation modifié, 5 mars 1998 («Décision Kovacevic»).
6. Le Procureur c/ Kovacevic, affaire nº IT-97-24-PT,
Opinion individuelle de M. le Juge Mohamed Shahabuddeen, 2 juillet 1998.
7. Le Procureur c/ Krstic, affaire nº IT-98-33-PT, Acte
daccusation modifié, 27 octobre 1999.
8. Voir également Le Procureur c/ Musema, affaire
nº ICTR-96-13-T, Décision relative à la requête du Procureur en modification de
lacte daccusation, 18 novembre 1998, autorisant notamment le
Procureur à ajouter un nouveau chef daccusation, celui de complicité de génocide.
Aucun nouveau fait na été avancé pour le justifier. Il sagissait pourtant
dun chef alternatif à celui de génocide déjà existant, et non dun chef
supplémentaire.
9. Voir supra, note 4, Décision Niyitegeka,
par. 33 1) ii).
10. Voir supra, note 5, analyse du droit applicable dans la
Décision Kovacevic, par. 10. Voir également article 337
du Code de procédure pénale yougoslave ?adopté par la République socialiste
fédérative de Yougoslavie, 24 décembre 1976g disposant comme suit :
1) Si, pendant le procès, le procureur estime quà la lumière des éléments de preuve présentés, il convient de modifier les faits allégués dans lacte daccusation ou les charges, il peut le faire oralement à laudience et déposer une requête aux fins dajournement du procès afin de préparer un nouvel acte daccusation ou de nouvelles charges.
2) Dans pareil cas, le tribunal peut ajourner le procès pour permettre à la défense de se préparer.
3) Si la chambre autorise lajournement du procès pour permettre au procureur de préparer un nouvel acte daccusation ou de nouvelles charges, elle fixe la date de leur dépôt. Le nouvel acte daccusation ou les nouvelles charges sont signifiés à laccusé qui na pas le droit de les contester. Dans le cas où le procureur ne dépose pas lesdits acte ou charges dans les délais prévus, la chambre reprend le procès sur la base de lacte daccusation ou des charges antérieurs. [traduction non officielle].
Larticle 332 du Code de procédure pénale de la
Fédération de Bosnie-Herzégovine (1998) prévoit des dispositions similaires.
11. Par exemple, larticle 7 e) du Code de procédure
pénale fédéral des États-Unis énonce que «?lge tribunal peut autoriser la
modification dune plainte à tout moment avant le verdict ou le jugement pour autant
quaucune accusation supplémentaire ou différente ne soit ajoutée et que les
droits fondamentaux du défendeur soient respectés.» ?traduction non officielleg. La
question de savoir ce que lon entend par «accusation supplémentaire ou
différente» est sujette à controverse aux États-Unis. Voir LaFave and Israel, Criminal
Procedure, 2nd Ed., section 19.5.
12. Voir notamment Loi anglaise sur les actes daccusation de
1915, section 5 ; Loi néo-zélandaise sur les crimes (1961), section 335
(dont linterprétation permet lajout dun nouveau chef daccusation
«quil soit supplémentaire ou cumulatif pour autant que cela ne porte pas
préjudice à laccusé.» ?Voir Bristow ?1996g 2 NZLR 252g ?traduction non
officielleg). Le Code procédure pénale écossais de 1995, section 96 3)
dispose que les modifications portant sur la «nature des charges» ne sont pas
autorisées. Toutefois, linterprétation de cette disposition a précisé que la
nature des charges peut être modifiée «tant que la modification ne porte pas atteinte
aux droits fondamentaux de laccusé». Voir Criminal Procedure (Scotland) Act
1995, 2nd Ed. annotée par I. Bradley et R. Shiels (1999).
13. Voir notamment supra, note 4, Décision Niyitegeka,
par. 27.
14. Dans lArrêt Kovacevic, voir supra, note 5,
par. 24, la Chambre dappel a conclu que sil était certes possible de
tenir compte du critère de longueur, cette raison ne saurait à elle seule justifier le
refus dautoriser la modification de lacte daccusation.
15. Voir ibid., par. 32, où la Chambre reconnaît que, si
lAccusation a cherché à sassurer un avantage tactique injuste, il convient
de déterminer si cette pratique dilatoire a occasionné un retard excessif portant
atteinte au droit de laccusé à un procès équitable.
16. Le Procureur c/ Naletilic et Martinovic, affaire
nº IT-98-34-PT, Décision relative à lopposition de Vinko Martinovic à
lacte daccusation, 15 février 2000.
17. Le Procureur c/ Kuprekic, affaire nº IT-95-16-T,
Jugement, 14 janvier 2000, par. 681, 682 et 693.
18. Ibid., par. 727.
19. Ibid., par. 697.