LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit:
M. le Juge Claude Jorda, Président
M. le Juge Fouad Riad
M. le Juge Almiro Simões Rodriguez

Assistée de:
M. Jean-Jacques Heintz

Ordonnance rendue le:
12 novembre 1999

LE PROCUREUR

C/

MLADEN NALETILIC
VINKO MARTINOVIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA REQUÊTE DU PROCUREUR
AUX FINS DE MESURES DE PROTECTION

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Le Bureau du Procureur :

M. Franck Terrier

Conseil de la Défense :

M. Branko Seric

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (ci-après «le Tribunal»),

VU la « Requête modifiée aux fins de mesures de protection » déposée par le Procureur le 27 octobre 1999 (ci-après « la requête »), qui remplace la « Requête aux fins de mesures de protection » déposée par le Procureur le 16 août 1999 ;

VU les articles 20 et 22 du Statut ;

VU les articles 54, 66, 68, 69 et 75 du Règlement de procédure et de preuve (ci-après le « Règlement ») ;

ATTENDU que par sa requête, le Procureur a informé la Chambre que presque tous les témoins contactés en Bosnie-Herzégovine sont aptes à témoigner à la Haye et acceptent de le faire ; que pratiquement tous ces témoins ont accepté que leur nom soit révélé à la Défense, mais que beaucoup d’entre eux demanderont à témoigner sous un pseudonyme et par le biais de moyens permettant l’altération de l’image ou de la voix ;

ATTENDU que le Procureur a informé la Chambre qu’il a répondu à son obligation de communication visée à l’article 66 A) i) du Règlement, sous réserve que les noms des témoins figurant dans les pièces jointes doivent être révélés à la Défense ; mais que le Procureur n’a pas l’intention de communiquer à la Défense de l’accusé Martinovic l’identité et les déclarations préalables des témoins confidentiels « B » et « M » parce que leurs témoignages se rapporteraient uniquement au comportement du co-accusé M. Naletilic ;

ATTENDU que l’article 66 A) i) du Règlement exige que toutes les pièces jointes à l’acte d’accusation lors de la demande de confirmation soient communiquées à la Défense, et que dans le cas où le Procureur a choisi d’inculper plusieurs personnes dans un acte commun, la Chambre estime que chaque accusé a le droit de recevoir toutes les pièces afin de préparer sa défense ;

ATTENDU que, quant à l’article 66 A) ii) du Règlement, le Procureur a informé la Chambre qu’il a identifié environ cent vingt (120) témoins potentiels ou avérés pour le procès et que les déclarations d’environ soixante (60) d’entre eux ont été traduites dans la langue de l’accusé ; qu’il aurait commencé à communiquer ces déclarations au cours de la semaine du 25 au 29 octobre 1999, et qu’il continuera à communiquer des déclarations supplémentaires à mesure qu’elles seront traduites dans la langue de l’accusé ou quand la décision finale sera prise de citer certains témoins à charge ;

ATTENDU que par sa requête le Procureur sollicite de la Chambre des mesures de protection pour ce qui est des déclarations de témoins et des pièces qui doivent être communiquées à la Défense en application des articles 66 et 68 du Règlement ;

ATTENDU que lors de la conférence de la mise en état du 20 octobre 1999, la Défense a signifié qu’elle ne s’opposait pas a la requête du 16 août 1999 par laquelle le Procureur a demandé des mesures de protection qui allaient en effet plus loin que celles demandées par la requête du 27 octobre 1999 ;

ATTENDU que la Chambre considère que les inquiétudes exprimées par le Procureur quant à la sécurité des témoins à charge sont légitimes, et qu’il lui appartient donc de prendre les mesures appropriées pour assurer leur protection, tout en permettant à la Défense de se préparer pour le procès ;

PAR CES MOTIFS,

ORDONNE que la Défense ne divulgue pas aux médias des documents non-publics communiqués par le Procureur, dont les déclarations des témoins ou toute autre pièce communiquée à la Défense en application des articles 66 et 68 du Règlement ;

ORDONNE qu’à moins que cela ne s’avère directement nécessaire pour la préparation et la présentation de sa cause, la Défense ne divulgue au public :

i)    aucun nom ou information permettant d’identifier les témoins, ni aucune coordonnée sur les témoins avérés ou potentiels communiquée par le Procureur ;

ii)    aucun élément de preuve documentaire, matériel ou autre, ni aucune déclaration écrite d’un témoin avéré ou potentiel, ni le contenu, en tout ou en partie, de tout élément de preuve, déclaration ou témoignage préalable non-public ;

ORDONNE que si la Défense estime qu’il est nécessaire de divulguer ces informations pour la préparation et la présentation de sa cause, elle informe chaque destinataire de ces informations non-publiques (déclarations de témoins, témoignages préalables ou vidéos, ou leurs contenus respectifs) qu’il lui est interdit de les copier, de les reproduire ou de les dévoiler au public, en tout ou en partie, ainsi que de les divulguer ou de les montrer à toute autre personne ; qu’une personne à qui l’on a fourni un tel élément d’information soit tenue de le rendre à la Défense dès qu’il ne sera plus nécessaire à la préparation ou à la présentation de sa cause ;

ORDONNE, à ce propos, que la Défense tienne un registre contenant le nom, l’adresse et la fonction de toute personne ou entité recevant les informations dont il est question, ainsi que la date de leur divulgation ;

ORDONNE que si un membre de l’équipe de la Défense se retire de l’affaire, tout élément confidentiel en sa possession soit rendu au Conseil principal de la Défense, et qu’à l’issue de la présente affaire la Défense rende au Greffe tous les éléments communiqués et leurs copies qui n’auront pas été inclus dans le dossier public ;

ORDONNE que le Procureur communique à la Défense l’identité des témoins figurant dans les pièces jointes à l’acte d’accusation, et qu’il communique également l’identité et les déclarations préalables des témoins « B » et « M » ;

ORDONNE que, au plus tard le 30 novembre 1999, le Procureur informe la Défense quels témoins il entend citer à ce stade, et qu’il communique à la Défense toutes les déclarations traduites de ces témoins.

 

Fait en français et en anglais, la version française faisant fois.

Fait le 12 novembre 1999
La Haye,
Pays-Bas.

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Juge Claude Jorda
Président de la Chambre de première instance I

[Sceau du Tribunal]