Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 15726

1 (Lundi 23 septembre 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 14 heures 25.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, auriez-vous

5 l'amabilité de citer l'affaire.

6 Mme Thompson (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames

7 les Juges.

8 Affaire n°IT-98-34-T, le Procureur contre Mladen Naletilic et Vinko

9 Martinovic.

10 M. le Président (interprétation): Donc, Maître Krsnik, êtes-vous prêt pour

11 votre témoin?

12 M. Krsnik (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames les

13 Juges.

14 Certes, je suis prêt.

15 M. le Président (interprétation): Y a-t-il des mesures de protection que

16 vous avez demandées?

17 M. Krsnik (interprétation): Non, Monsieur le Président.

18 M. le Président (interprétation): Je vous en prie, est-ce que nous pouvons

19 faire entrer le témoin?

20 (Le témoin, M. Mladen Ancic, est introduit dans le prétoire.)

21 M. le Président (interprétation): Bonjour, Monsieur le Témoin. Est-ce que

22 vous m'entendez?

23 M. Ancic (interprétation): Oui, tout à fait.

24 M. le Président (interprétation): Voulez-vous bien faire la déclaration

25 solennelle, s'il vous plaît?

Page 15727

1 M. Ancic (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

2 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

3 M. le Président (interprétation): Merci. Vous pouvez vous asseoir, je vous

4 en prie.

5 Maître Krsnik, je vous en prie.

6 (Interrogatoire principal du témoin, M. Mladen Ancic, par Me Krsnik.)

7 M. Krsnik (interprétation): Bonjour, Monsieur le Témoin.

8 M. Ancic (interprétation): Bonjour.

9 Question: Tout au début, j'aimerais vous faire quelques informations à

10 titre d'introduction. Nous allons nous concentrer sur un certain nombre de

11 sujets qui font partie de votre expertise. La Chambre l'a déjà lue, c'est

12 la raison pour laquelle nous n'allons pas perdre de temps en entrant dans

13 les détails.

14 Je vais vous demander autre chose: vous parlez bien l'anglais. C'est la

15 raison pour laquelle vous allez bien suivre la transcription qui est

16 devant vous, sur l'écran. Quand vous verrez que le curseur s'arrête, à ce

17 moment-là, vous voudrez bien commencer la réponse. Ce n'est pas

18 indispensable de parler trop lentement, mais il faut surtout aménager les

19 pauses. Attendez que je termine ma question pour commencer avec votre

20 réponse.

21 Voilà, Monsieur le Témoin, c'est tout ce que je tenais à vous dire et, si

22 jamais au cours de l'interrogatoire principal, il y a un certain nombre de

23 problèmes, je vous en avertirai.

24 Nous pouvons commencer.

25 Tout premièrement, honorable Docteur, auriez-vous l'amabilité de dire

Page 15728

1 quelque chose sur votre CV, informer la Chambre sur ce que vous avez fait

2 jusqu'à maintenant? Vous nous donnez d'abord votre nom et votre prénom.

3 Vous déclinez votre identité.

4 Réponse: Je m'appelle Mladen Ancic. Je suis né en 1955. L'enseignement

5 primaire et secondaire, je les ai faits à Sarajevo où je suis né

6 également. J'ai terminé l'histoire à la faculté de Sarajevo et, ensuite,

7 en 1985, je suis devenu maître de conférence. J'ai donc déposé un mémoire,

8 une thèse à Belgrade et j'ai travaillé au Centre mémorial Vrace, à

9 Sarajevo.

10 Ensuite, j'ai travaillé à l'Institut de l'histoire à Sarajevo. J'ai quitté

11 Sarajevo au cours de la guerre. J'ai déménagé à Zadar et c'est là que j'ai

12 occupé le poste à l'Institut de l'histoire dans le cadre de l'académie des

13 sciences de Croatie. J'ai fait une thèse de doctorat à Zagreb, en 1996.

14 Actuellement, j'enseigne à la faculté de Zagreb et je suis maître de

15 conférence. Je me charge d'un certain nombre de thèses également, à Zadar,

16 à la faculté de philosophie à Zadar. C'est pour le doctorat. J'ai publié

17 cinq livres, plusieurs dizaines d'études qui ont été publiées dans des

18 revues scientifiques.

19 Intimement, excusez-moi, Monsieur le Président, Mesdames les Juges,

20 j'aimerais bien que, dans la traduction, à la place de "scientific" soit

21 marqué "learned".

22 Question: Je vous en prie, Monsieur le Docteur, c'est toujours bienvenu

23 tout ce que vous pouvez nous dire parce qu'il est indispensable que votre

24 déclaration soit fidèlement traduite dans l'esprit de la langue et vous

25 pouvez soulever des objections.

Page 15729

1 Réponse: En Bosnie, en Croatie, en Italie, en Angleterre et un petit peu

2 partout, j'ai publié un certain nombre d'articles, d'études.

3 Voilà, c'est mon CV.

4 Question: Vous nous avez dit que vous avez travaillé au centre mémorial de

5 Vrace. Auriez-vous l'amabilité de dire à la Chambre d'instance de quoi il

6 s'agit?

7 Réponse: Le centre mémorial de Vrace est un musée d'holocauste à Sarajevo.

8 C'est le musée des victimes de la guerre à Sarajevo. Moi, j'y ai travaillé

9 pendant cinq ans comme collaborateur scientifique. Je me suis surtout

10 penché sur l'histoire nouvelle de Bosnie-Herzégovine et je me suis

11 spécialisé dans une spécialité qui est dans mes priorités: c'est

12 l'histoire médiévale. J'ai fait des recherches dans ce domaine-là. J'ai

13 également travaillé pour les mass media. J'ai été travaillé pour les mass

14 media pendant la guerre, j'ai été rédacteur en chef du programme qui est

15 destiné aux élèves, à la Radio Sarajevo. C'est dans le cadre de ce

16 programme que j'ai préparé des études et des articles du domaine de

17 l'histoire.

18 Voilà, c'est à peu près la profession qui est la mienne.

19 Question: Vous nous avez également mentionné que vous étiez auteur d'un

20 certain nombre de livres. D'ailleurs, dans votre CV, on peut le constater.

21 Ce qui m'intéresse, en revanche, c'est de savoir si vous êtes également

22 l'auteur du livre intitulé "Qui a commis l'erreur en Bosnie"?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Est-ce que vous pouvez, en tant qu'auteur, nous dire très

25 brièvement de quoi il s'agit dans ce livre?

Page 15730

1 Réponse: C'est un livre qui, en effet, est un recueil, recueil des textes

2 que j'ai publiés dans les quotidiens en essayant de décrire où il faut

3 chercher la corrélation entre ce qui est l'histoire, d'un côté, et ce qui

4 est la réalité politique, de l'autre, du pays que j'habitais et de son

5 environnement également. C'est grâce à cette démarche que je me suis

6 appuyé sur ma propre expérience et sur les expériences de mes amis, des

7 gens avec lesquels j'étais en contact. Il s'agissait d'une démarche assez

8 particulière pour quelqu'un qui est historien, ce qui est mon cas. Et

9 ceci, parce que, moi aussi, je vivais dans un temps qui était particulier.

10 Question: Dans ce livre, ce que j'ai pu remarquer, quand je me suis

11 préparé, j'ai pu retrouver un détail assez curieux: vous avez décrit une

12 rencontre qui a eu lieu à Sarajevo avec un certain nombre de participants

13 assez intéressants. Et il y a eu un certain nombre de participants de

14 cette rencontre qui ont été cités à comparaître devant la Chambre comme

15 des experts, des experts permanents pour le Bureau du Procureur?

16 Réponse: Oui. Moi, j'étais fort surpris. J'avoue que, quand mon ami et

17 collègue, le professeur docteur Ante Markotic -qui, à propos, a déjà été

18 cité à comparaître ici même-, quand j'ai appris qu'il avait participé à un

19 dîner à Sarajevo en 1991 -c'était un dîner un petit peu bizarre, si je

20 peux dire ainsi, c'est un dîner qui a été organisé par le représentant de

21 l'ambassade américaine de Belgrade-, ils ont réuni un certain nombre de

22 professeurs universitaires, et ils ont essayé de comprendre en passant par

23 eux comment ils voyaient, ils analysaient la situation de l'époque de la

24 Bosnie-Herzégovine. L'un des participants était le Pr Pajic qui, à ce

25 moment-là, avait avancé son point de vue. Selon son point de vue, la

Page 15731

1 situation en Bosnie-Herzégovine aurait pu éventuellement être résolue si

2 on coupait quelques têtes. Personnellement, j'étais choqué. C'est ce qui a

3 provoqué un choc sur moi parce que je me suis dit que quelqu'un qui épouse

4 de tels points de vue puisse apparaître comme expert où que ce soit.

5 Question: Entendu. Nous allons y revenir ultérieurement. Ce que j'aimerais

6 vous demander maintenant, c'est de savoir quelle était la tâche que la

7 défense vous a demandé d'accomplir?

8 Réponse: Ma mission a été d'évaluer les résultats auxquels est parvenu

9 l'expert du Bureau du Procureur, le Dr Donia, et de déterminer dans quelle

10 mesure ces résultats correspondent aux normes de quelqu'un qui fait des

11 recherches en matière d'histoire et dans quelle mesure ceci correspond

12 également à des connaissances générales qui portent sur la Bosnie-

13 Herzégovine. Et, en définitive, il m'a été confié, après cette analyse,

14 cette évaluation, de faire une étude pour préciser de quelle manière

15 l'histoire se doit de définir les causes de la guerre en Bosnie-

16 Herzégovine et de quelle manière également il est indispensable de

17 procéder à une définition du comportement de ceux qui sont des acteurs de

18 ces événements.

19 Question: Est-ce qu'il était de votre devoir également, en votre qualité

20 d'homme scientifique, d'aider cette Chambre en rédigeant cette expertise

21 et de leur montrer que ce qui s'est passé en Bosnie-Herzégovine n'a pas

22 tout simplement été parachuté de je ne sais où, comme ceci un certain

23 nombre d'experts essayent de le prouver?

24 Réponse: J'espère vivement que le texte que j'ai remis à cette honorable

25 Chambre d'instance, ainsi que cette déposition orale, ne pourront qu'aider

Page 15732

1 à la compréhension, à une meilleure compréhension des circonstances dans

2 lesquelles le conflit a eu lieu.

3 Vous me permettrez également de terminer ma pensée?

4 Question: Oui, je vous en prie.

5 Réponse: Pour l'historien, le contexte est certainement un terme qui prend

6 beaucoup d'importance.

7 Question: Je vous en prie. Est-ce que vous voulez bien suivre le curseur

8 et la transcription.

9 Etant donné que vous venez d'en parler, auriez-vous l'amabilité de dire à

10 la Chambre quelle est la chose la plus importante pour un historien?

11 Qu'est-ce que c'est un historien? Quel est le poids qu'il porte?

12 Réponse: Quelqu'un qui a pour tâche de reconstruire ce qui a eu lieu à un

13 moment ou à un autre, quelqu'un qui essaie de reconnaître et de distinguer

14 un certain nombre d'événements séparément, pour essayer de comprendre

15 comment ces événements ont pu arriver. Et, à partir donc de ces événements

16 individuels, il se doit de mettre une corrélation dans ces événements pour

17 essayer d'éclaircir l'ensemble de ce qui se passe au niveau du

18 développement historique et ceci, dans un contexte social qui est

19 inexistant actuellement et de manière irréversible. Il n'y a que des

20 historiens qui peuvent actuellement analyser une telle situation.

21 Question: Une autre question qui me semble logique, suite à celle-ci. M.

22 Donia, en tant qu'expert, a-t-il eu une telle attitude et un tel accès en

23 tant que témoin expert pour être cité à la barre ici, devant ce Tribunal?

24 Réponse: Avant de répondre à cette question, je vous prie de bien vouloir

25 patienter un peu, de m'accorder un peu de temps.

Page 15733

1 Question: Certainement, il va de soi que vous sauriez répondre par oui ou

2 par non, mais ne gaspillons pas trop de temps. Mais essayons d'être

3 intéressants également. Faisons tout cela.

4 Réponse: Je suis quelqu'un qui appartient à une communauté d'hommes et de

5 femmes académiques qui, eux, ne peuvent pas donner une réponse simple à

6 une quelconque question.

7 Par conséquent, ma rencontre avec le Dr Donia… Il ne s'agit pas d'une

8 rencontre que j'ai pu faire personnellement avec lui, mais au travers de

9 ces textes. Je n'ai jamais pu faire sa connaissance. Or, cette rencontre

10 fut une expérience sui generis pour moi. J'ai pu révéler un historien à

11 double visage.

12 D'abord, il y avait un historien dont un premier visage se lit et se voit

13 à travers sa dissertation, sa thèse, un livre sérieux issu de tous ses

14 travaux de recherche, et lequel livre est intitulé comme étant "Under

15 double hill".

16 Son second visage se trouve révélé par son livre "La Bosnie trahie dans

17 ses traditions", et il s'agit de résultats que le Dr Donia a bien voulu

18 apporter pour analyse à cette honorable Chambre de première instance.

19 D'abord, il s'agit d'un visage qui serait celui d'un historien sérieux,

20 historien qui a pu consulter un bon nombre de documents au cours de ses

21 recherches, historien qui a pu avoir accès à une littérature pertinente et

22 qui, par conséquent, a réussi à faire un livre, je dirai bien rare et

23 intéressant.

24 Question: En quelle année ce livre a-t-il été publié?

25 Réponse: En 1978.

Page 15734

1 Question: Depuis l'année 1978, ce livre apparaît-il en littérature

2 scientifique?

3 Réponse: En bibliographie, en unité de bibliographie de différents

4 périodiques, son nom n'apparaît pas jusqu'aux années 1990 et par la suite.

5 A cette période-là, le Dr Donia a été chargé de recherches au nom de la

6 Fondation Merrill Lynch. Il me semble que, pendant toute une décennie

7 sinon une période plus longue, c'est quelqu'un qui n'appartient plus à des

8 gens qui appartenaient à la communauté des scientifiques et ce n'est pas

9 quelqu'un qui suit la littérature scientifique d'un jour à l'autre. Ceci

10 n'est pas sans se mirer dans cet autre miroir, miroir d'historien.

11 Or, il s'agit d'historien, cette fois-ci, qui ne consulte que des sources

12 de littérature d'ordre secondaire, lesquelles sources d'ordre secondaire,

13 elles aussi, puisent et avaient puisé dans des sources sporadiques et

14 secondaires. Or, pour un homme d'histoire, un historien, l'essentiel est

15 d'être en contact avec des documents qui traitent de l'époque, laquelle

16 époque est, de toute évidence, objet de ses recherches.

17 Or, personnellement, j'ai pu analyser ces différentes autorités auxquelles

18 se réfèrent le Dr Donia et je pourrais vous tenir la jambe pendant de

19 longues heures jusqu'à vous contrarier en vous apportant force citations

20 qui iraient à l'appui de ce que je disais tout à l'heure du Dr Donia.

21 Le malheur, c'est que de tout cela découle un autre élément, à savoir un

22 vaste volet de problèmes rencontrés par M. Donia chemin faisant. Et ceci

23 pourrait être illustré comme suit, si vous me le permettez.

24 En effet, à un moment donné, Dr Donia se réfère aux mémoires de Lord Owen.

25 De ce livre de mémoires, il ne veut pas faire sortir quelque chose qui

Page 15735

1 serait de nature à être un fait. Il ne s'en occupe que pour rechercher les

2 jugements portés par Lord Owen sur Dr Franjo Tudjman, à cette époque-là,

3 Président de la République de Croatie. Pour un historien sérieux et

4 consciencieux, ceci serait une approche inadmissible.

5 Si vous me le permettez, une phrase de plus: le jugement porté par Lord

6 Owen sur un autre homme parle beaucoup, enfin celui qui porte le jugement,

7 parle beaucoup de Lord Owen, et enfin de l'homme qui devrait être l'objet

8 de ce jugement. Or, l'erreur commise par l'historien cette fois-ci -et ce

9 n'est pas la seule erreur de ce dernier- le conduit vers un domaine où la

10 recherche scientifique cesse d'exister, d'où découlent d'autres erreurs.

11 Question: Suivons notre ordre logique, l'ordre logique de nos questions

12 pour vous demander comme suit: êtes-vous d'accord avec le Dr Donia pour

13 dire que le moyen âge en Bosnie-Herzégovine a été caractérisé par le

14 conflit du catholicisme et des orthodoxes? Quand je me réfère évidemment à

15 la Bosnie-Herzégovine, je parle de la région telle qu'elle existait au

16 Moyen Age, vous me comprendrez bien.

17 Réponse: Oui, certes, oui.

18 Le Dr Donia a déjà des problèmes au sujet de la notion de Bosnie-

19 Herzégovine en histoire, dans la dimension historique tout court. Que veux

20 dire cette notion, ce terme dans différentes époques? A quel moment fait-

21 il apparition dans une première fois? Par qui et à quelles fins a-t-il été

22 utilisé, etc.? Là-dessus, évidemment, on pourrait en reparler un peu plus

23 tard.

24 La prémisse de base qui serait la sienne dans ce cas-là, c'est quelque

25 chose qui n'a rien à voir avec la réalité historique de la Bosnie

Page 15736

1 médiévale.

2 En effet, les documents historiques, les documents archéologiques accusent

3 tous ensemble que, dans la région intitulée comme étant celle de la Bosnie

4 médiévale jusqu'à la fin du 14e siècle, il n'y avait pas une seule église

5 orthodoxe. Or, il n'est pas tout à fait compréhensible comment on pourrait

6 caractériser cette période comme étant celle des conflits entre le

7 catholicisme et l'orthodoxie.

8 Pour ma part, je ne saurais dire s'il s'agit d'une erreur commise à défaut

9 de connaissance ou par inadvertance ou peut-être à dessein. Or, certains

10 jugements portés par le Dr Donia dans ses écrits pourraient être tout de

11 même mieux caractérisés et davantage déterminés, dans cet ordre d'idée, je

12 veux dire. Par exemple, Dr Donia prend comme source de recherche les

13 recensements de la population de Bosnie-Herzégovine de 1910 et de 1981

14 pour procéder à des corrélations des chiffres ainsi obtenus portant sur

15 les représentants de différentes communautés ethniques dans les deux

16 différentes périodes. Mais le problème vient du fait que les notions

17 historiques et géographiques utilisées par lui ne peuvent pas avoir la

18 même signification au cours de la période de 1910 et de celle de 1981.

19 Question: Allez-y, voulez-vous expliciter cela?

20 Réponse: Mais écoutez, prenez, par exemple, le terme de toponyme de

21 Fojnica qui, dans les recensements depuis 1990, devrait comprendre

22 Fojnica, Kiseljak et Busovaca en 1981 parce que le schéma d'organisation

23 administrative s'avère différent à cette époque-là. Le toponyme de

24 Travnik, en 1910, d'après le recensement de 1910, correspond aux termes de

25 Travnik, Novi Travnik et Vitez pour la période du recensement de 1981.

Page 15737

1 Un historien sérieux, lui, prendrait note de tout cela, prendrait en

2 considération tous ces faits-là, ne serait-ce que pour prouver qu'il en

3 est conscient.

4 Il s'agit donc de ce type d'erreur que l'on peut considérer comme une

5 simple incurie ou peut-être comme un manque de connaissances ou de

6 compétence. Il est un autre type d'erreur ou d'incompétence. Or, à titre

7 formel, citons l'exemple où le Dr Donia soutient qu'il ne savait pas

8 quelle était la part du territoire de la Croatie en 1992 sous contrôle des

9 forces serbes de Croatie en rébellion. Or, il s'agit d'un élément fort

10 pertinent si l'on veut bien comprendre et faire la lumière sur les

11 conflits de Bosnie-Herzégovine.

12 Question: Allons de l'avant. Peut-on affirmer que seuls les catholiques

13 militaient en faveur d'une autonomie religieuse, culturelle, historique au

14 temps de la domination ottomane, turque?

15 En effet, peut-on parler de différences importantes entre Orthodoxes,

16 Musulmans et Catholiques, tous sous l'occupation, sous la domination

17 turque?

18 Réponse: Oui, elles existent ces différences-là et ces différences, à mon

19 sens, offrent un élément clef pour ceux qui souhaitent comprendre la

20 continuité et dans laquelle ligne et laquelle continuité s'inscrivent les

21 conflits de 1992. Toutes les trois communautés religieuses deviennent,

22 pour ainsi dire, de véritables clefs de sociabilité et de vie en

23 communauté de ces différentes populations de Bosnie-Herzégovine ou,

24 plutôt, parlons de ces différentes régions que couvre la Bosnie-

25 Herzégovine.

Page 15738

1 Je voudrais dire que le terme de "socialness" en anglais traduit comme

2 "consciousness" ce qui veut dire "conscience sociale" en français. C'est

3 ainsi que je peux comprendre cette prise de conscience de tout un chacun

4 de la communauté à laquelle il appartient. L'appartenance à une communauté

5 religieuse dans cette société-là se trouve comme un élément qui détermine

6 l'homme qui doit, cette fois-ci, se tourner vers le monde en le désignant

7 et le décrivant par nous et eux.

8 Or cette matrice, ce pensif en quelque sorte, créée à cette époque-là, n'a

9 pas été sans peser lourd sur la conscience nationale de la population de

10 Bosnie-Herzégovine, et ainsi en est-il encore aujourd'hui. Il s'agit d'un

11 véritable fardeau lourd, ballast, qui pèse sur l'homme et il est difficile

12 de s'en libérer même si on le souhaitait.

13 Or, en conclusion, je dirai que les différences qui ont pour leur source

14 une appartenance religieuse manifestée dans le cadre de l'empire ottoman,

15 du fait même que l'empire ottoman était tel qu'il était, et se manifestait

16 tel qu'il était, à savoir c'est ce que nous pouvons intituler aujourd'hui

17 comme étant un Etat fondé sur la religion, or tout cela a eu pour résultat

18 le fait qu'une appartenance religieuse était devenue la prise de

19 conscience de tout un chacun qui voulait se poser la question de son

20 appartenance.

21 Question: Il serait bien entendu logique de vous poser une question

22 concernant la question de nationalité. Cette histoire, évidemment, tire

23 son origine au Moyen Age, non pas au 19e siècle seulement, ceci devrait

24 être quelque chose comme étant considéré en contrepoids par rapport à la

25 "yougoslavité". Pourriez-vous peut-être apporter quelques éclaircissements

Page 15739

1 à tout cela et à l'attention de cette Chambre de première instance?

2 Réponse: Ce qui m'a surpris en lisant le rapport du Dr Donia, c'est le

3 fait que, lui, lorsqu'il a voulu élaborer le problème des nations en

4 Bosnie-Herzégovine, il n'a pas voulu chercher son point d'appui et son

5 point de départ dans le vaste complexe de la littérature moderne connue

6 qui en traite amplement. Chose d'autant plus surprenante pour moi que le

7 Dr Donia, dans sa thèse de doctorat se fondait, pour les utiliser

8 énormément, sur des résultats apportés par l'anthropologie sociale, si

9 nous prenons en considération le rapport qu'il a soumis à cette Chambre de

10 première instance et si nous le voyions, si nous avions pu le voir se

11 fonder, ne serait-ce qu'en partie sur cette vaste littérature scientifique

12 traitant des origines du nationalisme moderne ou du nationalisme de l'air

13 moderne.

14 Cela dit, je voudrais utiliser ce terme de "nationalisme" dans son

15 acception scientifique du terme, dans laquelle acception, ce terme, cette

16 notion sont utilisés pour décrire le processus de création des nations à

17 l'époque moderne.

18 Or, je reprends, si Dr Donia avait utilisé, ne serait-ce qu'en partie,

19 cette littérature-là, cette Chambre de première instance aurait pu obtenir

20 un autre tableau de la situation dont nous sommes en train de parler,

21 autre, je dis bien, et différent, parce qu'on aurait pu y voir mettre

22 davantage l'accent sur les communautés ethniques existant depuis l'époque

23 du Moyen Age, lesquelles communautés ne sont autre chose que les berceaux

24 respectifs des nations modernes.

25 C'est que par là, il me semble que l'ensemble du complexe des questions

Page 15740

1 soulevées au sujet du terme "nation" aurait pu se présenter sous un autre

2 jour.

3 Question: Voulez-vous me répondre très brièvement: quelles étaient les

4 sources utilisées par Dr Donia et, d'autre part, où se trouve cette riche

5 et vaste littérature à laquelle vous vous référez et à laquelle il n'a pas

6 eu accès, qu'il n'a pas consultée, chose qu'il aurait dû faire à votre

7 avis?

8 Réponse: Disons que ces sources littéraires, enfin la littérature

9 scientifique est beaucoup plus accessible au Dr Donia qu'à moi-même. Les

10 livres sortis dans ce domaine-là, qui ont été publiés, sont plus

11 accessibles dans le monde auquel appartient le Dr Donia. Il s'agit de

12 parler évidemment de publications et de communautés beaucoup mieux

13 organisées que celle à laquelle j'appartiens.

14 Deuxièmement, les documents posent d'énormes problèmes quelquefois,

15 énormes parce que, pour saisir et comprendre les événements des 30

16 dernières années, ces documents s'avèrent inaccessibles.

17 En voici un de ces éléments dont le Dr Donia avait dû être conscient. En

18 effet, sa dissertation fait état des circonstances dans lesquelles fut né,

19 par exemple, un mouvement politique. Mais, quand je dis "fait état", il le

20 fait dans une large mesure en ayant accès à des documents d'ordre

21 confidentiel, tels que des rapports policiers, des rapports de différents

22 services de renseignements depuis la fin du 19e siècle, enfin datant de la

23 fin du 19e siècle. Il s'agit, en effet, en un mot, d'une catégorie de

24 documents qui sont loin de nous être évidemment accessibles, à la

25 différence évidemment datant du 19e siècle. Cette question de

Page 15741

1 distanciation qui se fait présente, avec le temps qui s'écoule, peut

2 donner des résultats assez intéressants mais singuliers également.

3 Par exemple, lorsque nous voyons les tentatives des historiens modernes de

4 voir la politique austro-hongroise en Bosnie-Herzégovine, une fois que

5 l'Autriche-Hongrie a occupé le pays, elles ont permis pour nous la

6 révélation d'aspects et de faits assez singuliers.

7 Je crois que nous avons un problème avec la phrase qui précède ce que je

8 viens de dire.

9 M. Krsnik (interprétation): C'est à cela que je pensais. Je vous ai dit

10 que vous devez suivre le transcript parce que l'on n'a pas toujours le

11 bonheur d'avoir, comme expert, quelqu'un qui parle anglais. C'est à vous

12 de suivre le transcript parce qu'il y a aussi le rythme dynamique auquel

13 nous allons et, enfin…, il y a aussi ce que vous dites qui doit aussi être

14 bien dit en version anglaise.

15 Réponse: J'ai dit autre chose. J'ai dit que le regard jeté par les

16 historiens modernes sur la politique de l'Autriche-Hongrie en Bosnie-

17 Herzégovine a permis la révélations de faits et d'aspects singuliers.

18 Chose que les contemporains ne pouvaient pas savoir.

19 L'homme qui a gouverné en Bosnie-Herzégovine, qui l'a administrée au nom

20 de l'Autriche-Hongrie pour une période de 20 années -et cet homme-là

21 s'appelait Benjamin Kallay- voulait que les protagonistes de trois

22 communautés différentes parviennent à constituer un corps politique unique

23 et unitaire, c'est-à-dire que les écrits plutôt personnels et intimes de

24 Kallay ont pu de tout de même révéler que cette activité avait pour

25 objectif da désislamisation de la population de Bosnie-Herzégovine. Il

Page 15742

1 s'agit de l'un de ces cas où une étude faite a posteriori permet de se

2 créer une image plus fiable et de tels procédés sont à préconiser dans

3 toutes ces différentes situations où il y a eu tant d'incertitudes.

4 M. Krsnik (interprétation): J'aimerais passer alors à une question plus

5 logique. En tant qu'historien, est-ce que vous pouvez nous dire quand la

6 nation bosniaque a commencé à exister?

7 M. Ancic (interprétation): Les historiens européens et les théoriciens de

8 ce que nous appelons la question nationale…

9 Il manque le mot "théoricien" dans le transcript.

10 Poursuivons. Les gens qui s'occupent de la théorie et des relations

11 ethniques, c'est-à-dire les théoriciens, s'intéressent aujourd'hui à la

12 Bosnie-Herzégovine et étudient beaucoup la Bosnie-Herzégovine, parce

13 qu'ils peuvent ainsi suivre la naissance d'une nation moderne.

14 Alors, pourquoi c'est intéressant. Les nations européennes modernes sont

15 nées au 19e siècle. Et à partir du 19e siècle, après le 19e siècle, on n'a

16 plus de cas de naissance de nations modernes sauf pour la Bosnie-

17 Herzégovine où cette nation moderne a émergé au cours des dix ou quinze

18 dernières années. Les membres de cette communauté sont conscients

19 d'appartenir à une communauté et cette conscience est extrêmement

20 pertinente du point de vue politique. C'est cela qui a retenu l'attention

21 de beaucoup d'auteurs européens ou en dehors de l'Europe.

22 Ainsi aujourd'hui on peut suivre in vivo ce qu'on savait par ouï-dire

23 concernant le 19e siècle, à savoir que, dans les processus de création

24 d'une nation moderne, l'histoire et la tradition revêtent une importance

25 extraordinaire.

Page 15743

1 Eric Hobsbawn, historien anglais, a publié un ouvrage qui est un recueil

2 de différents papiers et il a montré comment, au 19e siècle, les

3 traditions ont été inventées pour œuvrer à l'intégration d'une nation

4 moderne. Aujourd'hui, en Bosnie-Herzégovine, on peut observer le même

5 processus de production historique à une large échelle. Et cette

6 historiographie participe à la création du mythe concernant l'histoire,

7 concernant le passé et cette historiographie est censée prouver les

8 racines profondes de cette nation moderne. Cette historiographie a été

9 étudiée de cette manière, y compris par M. Donia dans un de ces travaux,

10 récemment dans un texte qui, dans la nomenclature scientifique, est

11 intitulé "Etude". Monsieur Donia y présente plusieurs des travaux les plus

12 récents présentés à Sarajevo, à savoir des ouvrages historiques. Il

13 conclut en disant que ces travaux montrent comment les historiens

14 bosniaques voudraient que soit leur histoire, plutôt que cette histoire

15 n'est vraiment…

16 Mme Clark (interprétation): Permettez-moi de vous interrompre un instant.

17 Si je vous comprends bien -et plusieurs questions ont été posées; aucune

18 de ces questions n'a reçu de réponse, d'ailleurs, mais vos dires sont

19 intéressants, néanmoins-, vous dites qu'il y a une identité bosniaque

20 distincte et qu'il ne s'agit pas simplement de différences religieuses,

21 comme voudrait le dire M. Donia qui, d'après vous, a réinventé l'histoire

22 pour y trouver une identité distincte. Vous dites, vous, qu'il y a pas de

23 différence, que le groupe ethnique ou la nation musulmane n'est pas une

24 nation descendante d'un groupe distant, mais qu'il s'agit de gens qui ont

25 simplement changé de religion et que l'on est actuellement en train

Page 15744

1 d'inventer un passé à ce groupe. C'est comme cela que je vous ai compris

2 et je voudrais m'en assurer.

3 M. Ancic (interprétation): Madame, ce n'est pas ce que je suis en train

4 d'essayer de dire. Je suis en train d'essayer de dire que l'ancienne

5 identité religieuse, du fait de la modernisation plus ou moins lente, se

6 transforme en une identité sociale, moderne, et qui donne lieu à ce que

7 nous appelons une nation actuellement et que, dans le cas de la Bosnie,

8 dans le cas des Bosniens, ce processus, pour une série de raisons, est

9 intervenu tardivement.

10 Mme Clark (interprétation): Je ne suis pas sûr de comprendre si vous êtes

11 en désaccord avec M. Donia ou si vous êtes d'accord avec lui jusqu'à un

12 certain point. Je ne suis pas sûr de comprendre comment vous avez répondu

13 à la question posée il y a une dizaine de minutes, à savoir quand la

14 nation bosnienne a commencé à exister. Et si je comprends bien le document

15 que vous avez présenté, c'est que le mot bosnien, d'abord, a été utilisé

16 par ce gouverneur de l'Autriche Hongrie, que c'est lui qui a inventé le

17 terme et que l'effet de ce mot a été la désislamisation du groupe

18 concerné. Mais ceci n'a rien avoir avec la question posée par Me Krsnik.

19 Maître Krsnik vous a demandé quand la nation bosnienne a commencé à

20 exister. Or le terme "bosnien" existait déjà, semble-t-il, avant que

21 l'entité bosnienne n'existe de façon distincte. Donc, ce terme a précédé

22 la notion de nation bosnienne et j'aimerais savoir quelle est la réponse

23 que vous donnez à cette question posée.

24 M. Ancic (interprétation): Dans ma réponse, je me base sur le fait que les

25 termes ont une histoire qui leur est propre et qu'à différentes époques,

Page 15745

1 différentes notions sont utilisées de manières différentes et que les

2 mêmes personnes utilisent parfois les mots à la même époque avec un but

3 différent. Alors Benjamin Kallay s'est efforcé, lui, d'utiliser le terme

4 "bosnien" pour des fins qui lui étaient propres. Et l'élite politique

5 d'aujourd'hui essaie d'utiliser cette même notion pour d'autres fins qui

6 lui sont également propres.

7 Cela étant dit, je dois souligner que, conformément à l'interprétation

8 moderne qui est faite du terme "nation", une nation n'est constituée que

9 s'il y a une mobilisation politique massive et que, comme moyen de

10 mobilisation politique massive, on cherche un appui dans la société,

11 c'est-à-dire que les acteurs cherchent cet appui dans la société. Dans le

12 cas particulier qui nous occupe, cela veut dire dans l'identité ethnique.

13 Au 19e siècle et pendant la plus grande partie du 20e siècle, la nation

14 bosnienne, comme nous l'appelons aujourd'hui, ne trouvait pas d'appui dans

15 l'ancien nom de la communauté ethnique.

16 M. Krsnik (interprétation): Monsieur le Professeur, est-ce vous pourriez

17 essayer de parler de façon intelligible pour tout le monde et nous dire,

18 en termes simples, quand la communauté bosnienne a commencé à exister

19 -comme on l'appelle aujourd'hui- et, si cela est impossible en une phrase,

20 essayez alors de nous livrer ces notions de façon un peu plus intelligible

21 pour nous, plus laïque car, pour l'instant, vous êtes trop pointu.

22 M. Ancic (interprétation): Oui, je crois que tout cela sera plus facile à

23 comprendre quand je vous dirai qu'à Sarajevo, capitale de la Bosnie-

24 Herzégovine, il n'y a pas un seul monument dédié à quelque personnage

25 historique que ce soit relevant du passé national.

Page 15746

1 A Zagreb, pour établir une comparaison, qu'est-ce que cela voudrait dire?

2 A Zagreb, quand vous sortez de la gare, vous tombez sur la statue du roi

3 Tomislav et, tous les habitants de la Croatie, lorsqu'ils arrivent à

4 Zagreb, connaissent bien leur passé commun. Notamment, quand ils regardent

5 cette statue, c'était leur ancien roi. A Belgrade, de la même manière, et

6 comme dans chaque ville d'Europe occidentale, on trouve ce genre de

7 monument.

8 A Sarajevo, le premier roi de la Bosnie médiévale n'a laissé son nom qu'à

9 une rue, et c'est une rue secondaire. Alors est-ce que l'on comprend mieux

10 ainsi?

11 M. Krsnik (interprétation): Oui, bien sûr, moi, je vous comprends, mais je

12 voudrais que vous soyez aussi intelligible pour l'ensemble du public et je

13 crains que vous n'ayez pas encore répondu à la question de savoir quand la

14 nation bosnienne a commencé à exister. Je crois comprendre ce que vous

15 dites, mais l'heure approche d'une pause, alors si vous pouvez répondre en

16 quelques mots avant la pause, je vous demande de répondre. Dans le cas

17 contraire, je demanderai au Juge, Président de l'audience de décider de la

18 pause.

19 En effet, la question cruciale qui nous concerne ici, c'est quand la

20 nation bosnienne a commencé à exister. Etait-ce en 1915 ou avant? Plus

21 tard? C'est cela qui, je crois, nous intéresse aujourd'hui.

22 M. Ancic (interprétation): D'accord. Une nation, alors, dans le sens

23 moderne du terme. Cette nation est née lorsque les gens commencent à

24 s'identifier en utilisant un nom commun. Dans le cas de la nation

25 bosnienne, cela s'est passé vers 1994. C'est le moment où ce nom qui

Page 15747

1 montre que les Bosniens sont conscients d'être bosniens…

2 Depuis 1971, les membres de cette communauté étaient connus comme étant

3 des Musulmans, c'est le terme que l'on employait. Avant 1971, les membres

4 de cette même communauté se définissaient par le fait qu'ils n'étaient ni

5 serbes ni croates.

6 Mme Clark (interprétation): Alors je vous poserai la question suivante: il

7 n'y a jamais eu à l'époque moderne, et je dirai depuis la moitié du 19e

8 siècle, jamais eu donc de gens qui s'appelaient des Bosniens? En anglais,

9 le terme "bosnian" veut dire de Bosnie et c'est pourquoi on parle de

10 Serbes de Bosnie, de Croates de Bosnie, etc. Les gens qui se distinguent

11 par la religion orthodoxe ou autre et se revendiquent d'une entité

12 extraterritoriale mais, si des Musulmans de Bosnie voyageaient en Europe

13 au 19e siècle, comment se présentaient-ils lorsqu'on leur demandait la

14 question de leur nationalité?

15 M. Ancic (interprétation): Le mot "bosniaque" s'oppose au mot "bosnien".

16 Mme Clark (interprétation): Oui, je comprends la différence entre les deux

17 mots, mais ce que je veux savoir, c'est comment ces gens, avant qu'on

18 invente le mot "bosnien", comment les gens se définissaient-ils à l'époque

19 ottomane, à l'époque de l'Autriche-Hongrie? Ces gens, ils étaient quoi?

20 Turcs, Arabes ou Autrichiens, Hongrois? Ils ne se définissent pas comme

21 Bosniens à l'époque, mais ils venaient de Bosnie.

22 M. Ancic (interprétation): Ils s'appelaient Bosniaques, mais il y avait

23 aussi des Serbes et des Croates qui se définissaient comme Bosniaques

24 puisqu'ils venaient de Bosnie, de la même manière qu'il y a des Lombards

25 et des Toscans. Quelqu'un qui serait né en Normandie en France serait

Page 15748

1 Normand. C'est donc une définition géographique qui n'est pas liée à un

2 sentiment de loyauté politique.

3 Mme Clark (interprétation): Oui, mais ils se définissaient comme étant

4 Bosniaques avant que les nations n'émergent au 19e siècle. Et les gens qui

5 sont de la principauté italienne ou allemande se présentaient par exemple

6 en disant peut-être qu'ils étaient Anglais ou Français, mais plus

7 vraisemblablement comme Normands ou Provençaux ou quelque autre

8 appellation dépendant de l'origine géographique.

9 Donc il y avait cette notion de Bosniaque et en ce sens, vous n'êtes pas

10 en désaccord avec M. Donia lorsque vous parlez de suppression d'une

11 identité, de ré-émergence d'une autre identité. Nous avons des gens qui

12 ont parlé d'une identité musulmane qui a été réprimée, une religion qui a

13 été réprimée, les Musulmans n'étant pas reconnus. Et je crois que c'est

14 autour de cette question que nous tournons en cercle. Nous utilisons les

15 deux termes 'Bosniens' et 'Bosniaques' pour les opposer et si nous y

16 voyons la genèse d'une nouvelle nation qui a été rebaptisée en quelque

17 sorte, qui ré-émerge, je me demande où cela nous mène. Nous nous sommes

18 quelque peu enlisés ici. Je ne crois pas que c'est pour cette raison que

19 le témoin expert est venu comparaître aujourd'hui.

20 Dans votre document que vous nous avez présenté, vous parlez de propre vue

21 et non pas tellement des vues de M. Donia. Vous nous parlez de la guerre

22 et des raisons qui expliquent la guerre qui nous intéresse ici.

23 M. Krsnik (interprétation): Oui, nous y arriverons, Madame la Juge. Et

24 nous allons essayer d'expliquer ce qui s'est effectivement passé.

25 Cela étant, les termes "Bosniaques" et "Bosniens" ne signifient pas la

Page 15749

1 même chose aujourd'hui et c'est pour cela que la question a été abordée.

2 Lorsqu'on parle de la nation bosnienne, on peut dire qu'elle n'a jamais

3 utilisé avant 1994…, mais il s'agit… il y a des facteurs religieux et

4 politiques à prendre en compte. Il y a une grande différence entre une

5 communauté religieuse et une nation.

6 Depuis un an, ce que nous entendons ici, c'est une théorie que les

7 historiens essaient de vendre au monde. C'est pourquoi nous avons amené à

8 notre tour un historien devant la Chambre d'audience, pour essayer de

9 rectifier certaines choses. C'est un expert éminent en matière d'histoire

10 de la Bosnie-Herzégovine.

11 Cela étant, il est temps, je crois, de passer à la pause. Alors je

12 voudrais poser une question très rapide car il est question dans les chefs

13 d'accusation de la question linguistique et de la question historique.

14 C'est pourquoi il y a des termes qu'il convient d'expliquer. Et si

15 certains ne sont pas expliqués, la Chambre risque de se trouver induite en

16 erreur faute de connaissance de l'histoire. L'histoire, ce sont des faits

17 notoires.

18 J'ai donc le sentiment ici que les jugements qui sont prononcés sont aussi

19 des jugements sur l'histoire en particulier concernant une nation qui en

20 est au stade final de son émergence.

21 M. le Président (interprétation): Vous voulez répondre, Monsieur le

22 Témoin.

23 M. Ancic (interprétation): Oui, il y a un fait important en rapport avec

24 votre question, à savoir que votre vue de la Bosnie est très différente de

25 la perspective qu'en ont les gens qui y habitent. Pour ces gens-là, le

Page 15750

1 marqueur est l'appartenance à une communauté et le nom de cette

2 communauté. Celui qui se dit bosniaque le dit parce qu'il est né en Bosnie

3 et celui qui se dit bosnien le dit parce que cela veut dire qu'il

4 appartient à une nation moderne. Et ce sont là des différences extrêmement

5 pertinentes pour eux. Etant donné ces différences, il y a eu la guerre.

6 M. le Président (interprétation): Maître Krsnik, nous avons passé plus

7 d'une heure maintenant à parler de ces questions de terminologie et comme

8 vous l'avez bien dit, nous ne sommes pas ici appelés à juger l'histoire.

9 Bien entendu, je crois que l'histoire n'est pas sans importance pour

10 l'affaire qui nous occupe, mais ce que nous voudrions savoir, ce sont les

11 faits de l'histoire qui sont directement pertinents pour expliquer ce

12 qu'il s'est passé en 1992 et 1993.

13 Alors nous avons ici avec nous un témoin expert. Vous pouvez poser des

14 questions à votre témoin. Nous avons déjà, par ailleurs, à notre

15 disposition la déclaration écrite qu'il a faite, et j'aimerais que,

16 pendant la pause, vous organisiez vos questions pour vous montrer plus

17 direct et nous donner des questions concernant des faits qui sont déjà

18 annoncés dans cette déclaration et qui sont directement pertinents pour

19 les événements de 1992 et 1993.

20 Nous allons reprendre à 16 heures 20.

21 (L'audience, suspendue à 15 heures 46, est reprise à 16 heures 21.)

22 M. le Président (interprétation): Maître Krsnik, je vous en prie.

23 M. Krsnik (interprétation): Merci Monsieur le Président, Mesdames les

24 Juges.

25 Pendant la pause, j'ai réfléchi, Monsieur le Témoin, comment vous poser

Page 15751

1 les questions et mener à terme ce sujet sur lequel nous avons déjà

2 beaucoup parlé. Je pense que j'ai compris quand même ce qui est le fond

3 même du problème.

4 J'aimerais vous poser des questions différentes. Pour ce qui concerne la

5 communauté musulmane -on peut l'appeler une entité ou comme vous voulez-,

6 quels sont les peuples qui ont été à la base de cette communauté

7 religieuse? Quand cette communauté religieuse commence-t-elle à se former

8 comme une nation? Je ne sais pas si cela vous est clair?

9 M. Ancic (interprétation): Oui, votre question est parfaitement claire.

10 Malheureusement, la réponse ne peut pas être simple, comme toujours.

11 Question: Est-ce que vous pouvez essayer de la simplifier et surtout

12 d'utiliser un langage qui puisse nous être compréhensible?

13 Réponse: Je vais faire tout ce qui est en mon possible pour que ce soit

14 compréhensible; ce ne sera certainement pas simple.

15 Pour ce qui concerne les recherches, nous pouvons nous appuyer sur l'œuvre

16 d'un auteur assez important dont les résultats n'ont pas encore été sapés.

17 C'est un historien allemand qui est d'origine de Bosnie-Herzégovine. Il

18 répond au nom de Srecko Djaja. Il a déterminé sans aucun doute qui

19 éventuellement pourrait se poser…

20 (Le témoin une fois de plus attire l'attention sur le fait que la

21 transcription ne correspond pas à ce qu'il avait dit).

22 Par conséquent, c'est lui l'auteur qui a déterminé au-delà de tout doute

23 raisonnable que la communauté ethnique bosnienne, par conséquent la nation

24 bosnienne se compose de la population sédentaire du temps de l'Empire

25 ottoman: premièrement, une partie de la population qui a reçu l'islam;

Page 15752

1 ensuite, en partie également une population qui a été installée par le

2 sultan dans ces régions qui sont d'origine musulmane ou qui était sur

3 place.

4 Puis il y a une troisième couche, ce sont des réfugiés, un grand nombre de

5 réfugiés qui se sont installées en Bosnie-Herzégovine après la chute de

6 l'Empire ottoman et quand ils ont quitté leurs territoires occupés

7 auparavant, que nous appelons la République de Hongrie, la République de

8 Croatie, une partie également de la République de Slovaquie.

9 Il y avait trois couches, au moins trois couches d'origines ethniques

10 différentes qui composent cette communauté. Sous l'influence des autorités

11 ottomanes, ils ont été rassemblés dans une seule entité qui, initialement,

12 a été définie uniquement par l'appartenance confessionnelle, religieuse.

13 Je ne sais pas si c'est suffisamment clair et bref.

14 Question: Je l'espère. En ce qui me concerne, moi, je vous ai bien

15 compris, mais ce n'est pas moi qui compte, c'est la Chambre d'instance.

16 Je suis sûr que le M. le Procureur aurait un certain nombre de questions

17 au sujet de ce que vous venez de dire, et c'est la raison pour laquelle

18 vous allez lui répondre à lui-même et nous allons poursuivre.

19 Est-ce que vous pouvez dire à cette Chambre d'instance si le cas bosnien

20 est un cas isolé? Ce que nous appelons une mosaïque bosnienne, est-ce que

21 c'est une situation qui est spécifique, particulière pour le territoire

22 que nous appelons actuellement Bosnie-Herzégovine?

23 Réponse: Pour ce qui concerne la composition de la société bosniaque, elle

24 est assez particulière, mais pour ce qui concerne le type des relations

25 qui prévalent dans cette société, elles ne peuvent pas être considérées

Page 15753

1 comme particulières. Il y a de tels types de problèmes qui apparaissent

2 dans les relations entre les entités différentes et ceci existe dans

3 d'autres régions d'Europe. La compréhension de tels types de relations

4 également nous amène à parler de l'Irlande du Nord, du Danemark et du Pays

5 de Galle.

6 Et moi, j'ai fait exprès de citer un certain nombre d'exemples qui

7 concernent un auteur anglais, anthropologiste, Richard Jenkins. Et ceci

8 démontre comment et jusqu'à quel point l'histoire peut avoir de l'impact

9 sur la manière dont on essaie de résoudre de tels types de problèmes. A

10 titre d'exemple, c'est l'histoire qui détermine cette attitude que de

11 vouloir, par force, résoudre le problème et cette solution de force, vous

12 la retrouvez en Irlande du nord.

13 D'un autre côté, c'est l'histoire qui détermine le fait que des problèmes

14 similaires, analogues, au Pays de Galle n'ont pas été résolus ou, tout au

15 moins, on n'a pas essayé de les résoudre en recourant à la force. C'est

16 l'histoire qui a conduit à la situation dans le cadre de laquelle le

17 nationalisme danois n'avait aucun besoin de se déterminer par rapport à un

18 tel comportement, et ceci, à cause des circonstances dans lesquelles le

19 Danemark d'aujourd'hui a été créé.

20 Tous ces exemples que je viens de vous citer démontrent que, outre les

21 particularités qui existent, la Bosnie-Herzégovine ne constitue pas une

22 exception, et puis tous ces exemples nous aident également à comprendre

23 mieux les problèmes de Bosnie-Herzégovine.

24 Question: Monsieur le Docteur, nous allons maintenant passer aux

25 événements qui ont eu lieu il y a 10 ans, par conséquent l'histoire

Page 15754

1 récente.

2 Pour vous faire entrer dans le vif du sujet, je vais me reposer sur ce que

3 vous avez dit au sujet de l'Europe occidentale et de l'Europe centrale

4 avec des communautés ethniques différentes qui n'ont pas connu de tels

5 déroulements de la situation. Ne pensez-vous pas que de tels problèmes qui

6 se sont manifestés en Bosnie-Herzégovine auraient pu être résolus sans

7 recourir à la force, sans la guerre? Pensez-vous que l'on aurait pu éviter

8 la guerre? J'aimerais bien savoir ce que vous en pensez? Quelles sont vos

9 réflexions à ce sujet-là?

10 Réponse: Vous me posez la question de savoir si c'est l'histoire qui a, en

11 quelque sorte, préjugé la violence. A cette question, je dirai que ce

12 n'était pas le cas, mais il y avait une tradition qui prévalait sur le

13 terrain. Cette tradition a donné lieu au choix des personnes qui vivent

14 dans cet espace. Dans quel sens?

15 Je vais m'expliquer. La manière traditionnelle de résoudre de tels types

16 de problèmes se faisait par la force, en grande partie, par la violence.

17 C'est un premier point.

18 Un deuxième point qui a eu un impact sur le choix et sur la manière dont

19 se sont déroulés les événements, dans le sens de la violence, ce deuxième

20 point est le début du conflit et le rôle que, au tout début, a joué cette

21 partie qui avait un certain nombre d'avantages dans une première étape et

22 qui avait imposé la violence comme la manière de vouloir résoudre le

23 problème.

24 Ceci dit, il faut également avoir en vue un autre point qui me paraît

25 important.

Page 15755

1 Le livre de Istvan Bibo, intitulé "La misère des nations européennes", et

2 qui date de 1946, peut être lu de manière comme s'il s'agissait d'un

3 scénario de la guerre en ex-Yougoslavie. Au moment où l'auteur a écrit ce

4 livre-là, on aurait pu penser que la Yougoslavie était le seul pays de

5 l'Europe centrale qui avait résolu ce problème; quand on lit ce livre, on

6 peut en tirer une telle conclusion. Bibo attire l'attention sur la

7 Tchéquie, sur la Hongrie, sur la Roumanie et sur les relations entre les

8 communautés en question. Mais si on remplace ces noms avec les Serbes, les

9 Croates, les Bosniens, les Slovènes et les Macédoniens, vous allez obtenir

10 exactement la même situation que celle qui a eu lieu en Yougoslavie dans

11 les années 1990. C'était vraiment dans les environs de Bosnie-Herzégovine

12 et, si vous tenez compte de ce fait, il s'agissait véritablement d'un pays

13 qui avait, dans son environnement tous ces pays-là, alors vous allez

14 comprendre le problème.

15 Question: Est-ce que la Bosnie-Herzégovine, dans son histoire, avait mis

16 en place des établissements traditionnels au sein desquels ce pays aurait

17 pu éventuellement amortir, de manière ou d'une autre, de manière pacifique

18 résoudre les problèmes?

19 Réponse: Oui, tout premièrement, il y avait un parlement. Il y avait une

20 autorité représentative au sein de laquelle on aurait pu résoudre de tels

21 types de questions. C'est en 1910, depuis 1910 qu'un tel organe existe en

22 Bosnie-Herzégovine et c'est un organe qui a fonctionné jusqu'en 1914,

23 jusqu'au début de la Première Guerre mondiale. Ça, c'est une première

24 chose.

25 La deuxième fois, la Bosnie-Herzégovine avait obtenu un organe de

Page 15756

1 représentation au sein de ses limites en 1945, mais l'organe de 1945

2 s'appelait l'assemblée de Bosnie-Herzégovine. Mais, en effet, cet organe

3 n'était qu'une courroie du pouvoir du parti communiste.

4 Au sein de cet organe de l'assemblée, il n'y avait pratiquement aucune

5 possibilité d'aboutir à la solution de tels types de problèmes. C'est la

6 raison pour laquelle en 1990… quand, en 1990, pour la première fois, on

7 avait élu de manière démocratique les députés qui sont rentrés à

8 l'assemblée de Bosnie-Herzégovine. Ils n'avaient aucune expérience des

9 activités au sein du parlement et de la manière dont il fallait agir.

10 Jamais auparavant, la Bosnie-Herzégovine n'avait, dans le vrai sens de ce

11 mot, un parlement, un organe de représentation. Donc, ils n'avaient aucune

12 expérience.

13 Question: Eh bien, maintenant, nous sommes arrivés jusqu'à 1990. Pourriez-

14 vous procéder à un aperçu et avec une distance de 10, 12 ans? Nous allons

15 nous limiter à la Bosnie-Herzégovine. Comment comprendre les causes

16 véritables et réelles qui ont provoqué la guerre et qui ont conduit à la

17 guerre?

18 Réponse: Pour vous donner la réponse à cette question, je me dois de vous

19 dire tout de suite qu'il y a un grand nombre de documents qui n'est pas à

20 notre portée, qui est inaccessible et ceci nous rend également impossible

21 de procéder à une analyse détaillée. Mais vu le fait que les historiens

22 doivent analyser le passé, même s'ils ne possèdent pas des documents en

23 nombre suffisant, actuellement, aujourd'hui, et à partir de documents que

24 nous avons à notre disposition actuellement, nous pouvons à peu près

25 définir les cadres dans lesquels le conflit s'est déclenché. Ce cadre

Page 15757

1 général serait le suivant.

2 Premièrement, la tentative des dirigeants politiques, dont le siège était

3 à Belgrade, de mettre en oeuvre le plan qu'on pourrait définir comme une

4 sécession intérieure. C'est un terme qui a été rentré dans la littérature

5 par un professeur de Budapest répondant au nom de Danielle Conversini. Il

6 est professeur en sciences politiques.

7 Ce terme veut dire qu'en effet, l'establishment de Belgrade,

8 l'establishment politique, avait eu comme intention de s'emparer d'un

9 certain nombre de territoires de l'ex-Yougoslavie et d'en faire un nouvel

10 Etat. Pour aboutir à un tel objectif, cette direction politique, cet

11 establishment politique a utilisé la force, n'a pas manqué d'utiliser la

12 force, ce qui a été à la base du conflit, d'après tous les éléments qui

13 sont en notre possession. Actuellement… c'était le tout début de la

14 guerre.

15 Mais les buts politiques étaient différents et ça, c'est quelque chose que

16 nous avons pu constater. Au sein des élites politiques, à l'intérieur de

17 Bosnie-Herzégovine, pendant un certain temps, il y avait une résistance

18 conjointe face à cette tentative provenant de Belgrade et ensuite, les

19 différences sont devenues beaucoup plus manifestes et beaucoup plus

20 importantes pour qu'on puisse les cacher. Il y avait des différences des

21 objectifs politiques qui ont conduit au déclenchement d'un conflit à

22 l'intérieur d'un conflit, et c'est la raison pour laquelle la guerre en

23 Bosnie-Herzégovine est devenue une guerre civile. Cette guerre a obtenu

24 cette forme de la guerre civile.

25 Voilà, ce sont les cadres généraux, si je peux dire ainsi, sur la base des

Page 15758

1 éléments qui sont en notre possession, comme je l'ai dit.

2 Question: Mais est-ce que vous nous avez déjà donné la réponse en ce qui

3 concerne l'action des participants aux conflits?

4 Réponse: Mais il y avait des différences très, très grandes et, si j'en

5 parle, c'est parce que ces différences sont dues également aux positions

6 initiales. La direction politique de Belgrade a réussi à contrôler

7 pleinement la grande partie des structures de l'ancienne Yougoslavie aussi

8 bien au niveau de l'Etat, au niveau de la police, au niveau de l'armée,

9 des organes de renseignement, la diplomatie et ils les ont contrôlés, et

10 en même temps utilisés pour aboutir à leurs objectifs. Ça, c'est d'un

11 côté.

12 De l'autre côté, ni les Croates, ni les Musulmans n'avaient un appui sur

13 un appareil de l'Etat, tout au moins ce que ceci sous-entend. Ces deux

14 communautés étaient présentées par des élites politiques qui sont arrivés

15 au pouvoir en 1990 pour la première fois et ces élites n'avaient aucune

16 expérience au niveau du pouvoir et de la manière dont le pouvoir devait

17 fonctionner. Ils n'avaient aucune expérience au niveau également du

18 gouvernement, de l'Etat. Il y avait des institutions de l'autre côté qui

19 étaient démantelées. C'est ça la très grande différence qui est due aux

20 positions de départ, comme je l'ai déjà dit.

21 Question: Je voudrais vous demander d'expliquer à la Chambre ce que vous

22 venez de dire dernièrement. Est-ce que ceci veut dire qu'en 1992 les

23 institutions d'Etat en Bosnie-Herzégovine, tout en étant reconnues sur le

24 plan international, ne fonctionnent pas parce que ces institutions sont

25 pratiquement inexistantes?

Page 15759

1 Réponse: Oui, il faut partir du fait que, d'après une interprétation

2 moderne, l'Etat est une institution qui monopolise la force dans un

3 territoire bien donné et qui assure aux citoyens et ressortissants de cet

4 Etat un certain nombre de besoins.

5 Au moment où la Bosnie-Herzégovine a été reconnue comme l'Etat indépendant

6 et souverain, les autorités qui représentaient cet Etat n'étaient plus en

7 état de mettre sous le monopole sa force, même pas à Sarajevo. Déjà à

8 cette époque-là, il y avait des situations qui démontraient que les

9 autorités ne pouvaient pas, par exemple, contrôler les gens qui portaient

10 les armes.

11 Un deuxième problème auquel ces autorités ont dû faire face était le fait

12 que déjà au mois d'avril, tous les organes d'Etat ont été quittés,

13 abandonnés par 80% de Serbes qui travaillaient dans ces institutions.

14 C'est la raison pour laquelle ces organes ne pouvaient pas véritablement

15 fonctionner. Il y avait les effectifs qui manquaient, et pas de

16 professionnels qui connaissaient leur profession.

17 Troisièmement, il y avait un autre problème. Ce pouvoir commençait à

18 perdre son caractère légal et son caractère qui reposait sur les

19 élections.

20 Question: Est-ce que vous voulez bien nous donner quelques explications et

21 précisions à ce sujet-là? Enfin, sur cette dernière réponse que vous venez

22 de donner.

23 Réponse: Mais le plus facile est de vous donner la réponse suivante et en

24 prenant à titre d'exemple la présidence de Bosnie-Herzégovine.

25 La présidence de Bosnie-Herzégovine -c'est à titre d'illustration que je

Page 15760

1 vous en parle-, la Présidence de Bosnie-Herzégovine est un organe qui a

2 été repris du régime socialiste. C'est un organe qui a été mis en place et

3 conçu comme organe qui allait représenter l'ensemble de la population de

4 Bosnie-Herzégovine. Et cette présidence a été constituée par deux

5 représentants de chaque peuple constitutif de Bosnie-Herzégovine et il y

6 avait un septième représentant qui avait été élu par les membres d'autres

7 communautés ethniques, que ce soient des Yougoslaves ou autres, en dehors

8 de ces trois communautés ethniques, les trois peuples constitutifs.

9 Jusqu'en 1992, la présidence s'est retrouvée sans trois membres qui ont

10 été élus légalement, alors que le septième membre qui a été élu, dont le

11 nom figurait sur la liste de ceux qui n'appartenaient pas aux trois

12 peuples constitutifs, a commencé publiquement, officiellement, à se

13 présenter comme Musulman.

14 C'était l'époque où il n'y avait pas encore de Bosniens, donc le septième

15 membre qui aurait dû représenter ni les Serbes, ni les Croates, ni les

16 Musulmans, qui à l'époque où les élections ont eu lieu, s'était déclaré

17 comme Yougoslave, tout d'un coup il a trahi ceux qui l'ont élu et lui-même

18 est devenu Musulman, il s'est déclaré Musulman. Et c'est de cette manière-

19 là que la présidence de Bosnie-Herzégovine a perdu sa légalité.

20 D'abord, tous les membres n'étaient plus sur place. Sur le plan des

21 élections, ils ne représentaient plus véritablement le corps électoral qui

22 avait élu les membres de la présidence, et en plus, et ceci est lié à des

23 idées quelque peu étranges héritées du socialisme, à cette époque-là tous

24 les membres étaient tous égaux, "primus inter pares". Ils étaient tous

25 égaux au sein de la présidence. Ils avaient tous les mêmes droits sans

Page 15761

1 préséance. Il y avait un membre de la présidence qui présidait les

2 réunions et c'était à tour de rôle.

3 Au cours, par exemple, d'une année, il y avait un membre de la présidence

4 qui présidait les réunions. Ensuite, il y en avait un deuxième qui venait

5 le relayer qui appartenait à un autre peuple. Puis, la troisième année,

6 c'était le troisième membre de la présidence qui présidait les réunions de

7 la présidence, qui appartenait au troisième peuple. Et puis, la quatrième

8 année, les trois membre se relayaient tous les quatre mois pour présider

9 les réunions au sein de la présidence.

10 C'est quelque chose qui a été stipulé par la loi et c'était une procédure

11 réglementée par la loi, mais cette procédure n'a plus été respectée.

12 D'ailleurs, on ne voulait même pas la respecter et l'homme qui a occupé le

13 poste de président en exercice de la présidence s'est approprié le droit

14 de rester à ce poste de manière permanente et de présider la présidence de

15 manière permanente. Et quand il s'est exprimé oralement, il s'est même

16 permis de s'appeler lui-même Président, c'est lui-même qui s'est donné ce

17 titre de "Président".

18 Voilà, ce sont les problèmes qui exigent un certain nombre d'explications

19 très détaillées et demandent de nous beaucoup de prudence également, car

20 de telles démarches peuvent induire en erreur les gens qui ne sont pas au

21 courant et peuvent ne pas permettre aux gens de comprendre la réalité,

22 d'où vous proviennent les acteurs. Parce que si quelqu'un se présente

23 comme président et si vous vous présentez dans le monde comme président,

24 ceci sous-entend un certain nombre de choses et il faut dire également

25 que, dans le monde, on a une certaine image sur ce que représente un

Page 15762

1 président, par conséquent, celui qui occupe le poste du président, qui a

2 été élu comme président, qui a un mandat également de prendre les

3 décisions de manière valable et qui est responsable pour les décisions

4 qu'il arrête.

5 Dans le cas concret, ceci n'était pas le cas, même pas sur le plan

6 législatif, ce n'était pas le cas. Il y a eu un certain nombre de

7 terminologies, de notions qui ont été utilisées qui ne correspondaient pas

8 du tout à la réalité de ceux qui sont issus d'un monde particulier, d'un

9 territoire particulier.

10 Question: Je pense que vous avez réussi à donner la réponse parce que le

11 Procureur, depuis un an, a essayé de présenter le président justement de

12 la manière dont vous venez de nous expliquer comment le président se

13 présentait. Certes, c'est à vous de donner le nom de ce président.

14 Réponse: Le président de la présidence, à l'époque… Dans la transcription,

15 il faut marquer "the man", l'homme, et non pas de "plan".

16 L'homme qui a présidé la présidence s'appelait Alija Izetbegovic. Si vous

17 me permettez d'ajouter, je vais juste vous dire quelque chose qui va

18 certainement éclaircir mieux la question que j'ai essayé de vous

19 expliquer.

20 En Bosnie-Herzégovine proprement dite, trois personnes, trois hommes ont

21 été intitulés comme présidents, les trois ayant le même droit de

22 légitimité à cet intitulé, à cette fonction, car aucun d'eux n'avait une

23 espèce de base du corps électoral qui l'aurait désigné préalablement en

24 tant que président. Tous, d'une certaine façon, ont été des présidents

25 autoproclamés.

Page 15763

1 Question: Avez-vous eu connaissance de la situation concernant la cour

2 constitutionnelle au mois de novembre 1992? En effet, dans ce prétoire on

3 tente, également, de présenter cette cour comme étant un corps légal

4 constitutionnel de jurisprudence et de juridiction qui fonctionnait.

5 Réponse: Tout comme le restant des organes d'Etat, eh bien, ce corps-là,

6 n'a pas vraiment fonctionné. Il n'a jamais été au grand complet durant son

7 fonctionnement. Autant, évidemment, on pourrait dire pour tous les corps

8 d'autorité d'Etat, par conséquent pour la cour constitutionnelle.

9 Etant donné que je ne suis pas un expert susceptible de parler avec

10 autorité de ces problèmes-là, je dis ce que je viens de dire, mais je peux

11 affirmer que le système d'autorité d'Etat s'était vraiment disloqué en

12 1992. Je ne vois pas pourquoi vous voudriez que la cour constitutionnelle

13 y fasse une exception.

14 Question: Dites-moi, s'il vous plaît -pour essayer d'abréger toute cette

15 histoire, car je voudrais permettre à M. le Procureur d'avoir droit au

16 chapitre-, dites-moi, s'il vous plaît, comment se présentaient les

17 circonstances de la HZ-BH, c'est-à-dire HZ-HB? A-t-elle jamais, en tant

18 que communauté, réclamé une reconnaissance en qualité d'Etat?

19 Et puis deux sous-questions: y a-t-il eu une demande de reconnaissance à

20 n'importe quel moment?

21 Deuxièmement, la communauté internationale, tant par les Accords de

22 Washington que par ceux de Dayton, a-t-elle reconnu toutes les lois en

23 vigueur de cette entité? Qui plus est, les Accords de Washington

24 préconisaient une confédération de Musulmans et de Bosnie et de la

25 République de Croatie.

Page 15764

1 Réponse: Lorsque nous parlons de la communauté croate d'Herceg-Bosna, pour

2 parler plus tard de la République croate d'Herceg-Bosna, nous devons dire

3 qu'elle ne pouvait pas réclamer une reconnaissance internationale car

4 cette communauté s'est constituée ad hoc comme étant une instance devant

5 combler ce vide politique créé par la dislocation de la République de

6 Bosnie-Herzégovine. Je ne sais pas par quel moyen et sur quelle base cette

7 communauté aurait pu demander une reconnaissance internationale quelconque

8 lorsque, dans tous les documents, nous lisions l'intitulé de Bosnie-

9 Herzégovine. Autant pour ce qui est de parler de la reconnaissance

10 internationale…, évidemment, la reconnaissance internationale n'était pas

11 vraiment une catégorie à l'ordre du jour pour parler de l'Herceg-Bosna,

12 pour parler de la communauté ou pour parler, plus tard, de la République

13 de Herceg-Bosna.

14 Question: Et pour ce qui est de la confédération et pour les lois en

15 vigueur en Bosnie-Herzégovine?

16 Réponse: Par les accords de Washington, il a été reconnu de fait ce qui

17 existait en l'état pour voir, plus tard, la légalisation de la communauté

18 croate d'Herceg-Bosna, du simple fait que les lois en vigueur ont été

19 reconnues.

20 Les Accords de Dayton apportent quelque chose de tout à fait différent.

21 D'une façon rétrospective, les Accords de Dayton étaient, en fait, la

22 reconnaissance du fait que cette République de Bosnie en tant qu'Etat n'a

23 jamais fonctionné. Les Accords de Dayton ont fait autre chose que de

24 brosser un paysage politique de la Bosnie-Herzégovine, comme si la

25 République de Bosnie-Herzégovine n'avait jamais existé.

Page 15765

1 Les Accords de Dayton ont permis l'établissement de la Bosnie-Herzégovine

2 en éliminant même le nom de Bosnie-Herzégovine, sous lequel nom cet Etat a

3 été reconnu en 1992, en la reconnaissant comme étant un Etat complexe, ce

4 que d'ailleurs la République de Bosnie-Herzégovine n'a jamais été.

5 Qui plus est, les Accords de Dayton portaient révision des dispositions

6 des Accords de Washington lorsque celle-ci se trouvait en opposition avec

7 ce qui a été considéré comme les aboutissements de Dayton.

8 Question: Je vous en prie, Monsieur le Professeur, depuis Dayton, comment

9 se présente l'Etat de Bosnie-Herzégovine? Parce qu'il faut le prononcer et

10 l'appeler par son nom. Comment se présente cet Etat? Et comment se

11 présente, s'il existe, un gouvernement de Bosnie-Herzégovine? Ce qui

12 représente cet Etat de Bosnie-Herzégovine? Essayez d'expliquer à

13 l'intention de cette Chambre de première instance très succinctement en

14 parcourant le trajet de Dayton jusqu'à l'heure actuelle?

15 Réponse: Ici, nous sommes témoins de certaines difficultés lorsqu'il faut

16 traduire certaines notions. Il y a là des traductions qui ne sont pas sans

17 semer une confusion. A quoi vous référiez-vous tout à l'heure si vous

18 considérez une instance, un corps qui devait être le Gouvernement de la

19 Bosnie-Herzégovine? Et si vous le pensiez vraiment, alors là une telle

20 entité, une telle instance n'existe pas.

21 Vous avez en Bosnie-Herzégovine une instance qui s'appelle le conseil des

22 ministres. Cela dit, les Accords de Dayton et la constitution de la

23 Bosnie-Herzégovine évitent de façon explicite d'employer le terme de

24 "gouvernement". Cette notion de gouvernement a été utilisée, et de façon

25 explicite, pour désigner les instances faisant partie du système d'Etat de

Page 15766

1 Bosnie-Herzégovine. Ainsi avons-nous un Gouvernement de la Bosnie-

2 Herzégovine, ainsi avons-nous un Gouvernement de la Republika Srpska, mais

3 avons-nous pour autant une dizaine d'autres gouvernements dans chacun des

4 districts du cadre des cantons, lesquels cantons concourent à la création

5 de Bosnie-Herzégovine.

6 Et avec votre permission, je voudrais situer l'ensemble de cette matière

7 au niveau auquel se heurtent les habitants de Bosnie-Herzégovine, et cela,

8 tous les jours.

9 En effet, dans les mass media, jamais on n'emprunte le terme de

10 Gouvernement de Bosnie-Herzégovine. Je dirais qu'on ne parle exclusivement

11 que du terme de conseil des ministres.

12 Evidemment, allez chercher les raisons pour lesquelles nous avons une

13 telle situation, ceci veut dire faire un long trajet.

14 M. Krsnik (interprétation): Non, non, je vous en prie, il s'agit d'un

15 thème majeur.

16 Je voudrais que vous présentiez mieux, à l'intention de cette Chambre

17 d'instance, comment se présentent ces deux Etats dans le cadre d'un seul

18 Etat? Vous avez la fédération de la Bosnie-Herzégovine et la Republika

19 Srpska. Quelles sont les autorités de ces deux entités? Et je dirai les

20 autorités communes, et quelles sont les autorités qui ont été transférées

21 vers les entités autres qu'eux? Parce que pendant toute une année entière,

22 j'entends dire ici que le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine existe et que

23 telles ou telles prérogatives ou telles ou telles autorités sont bien

24 exercées. Or, s'agit-il de faits bien sérieux? Essayons de voir.

25 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Scott.

Page 15767

1 M. Scott (interprétation): Monsieur le Président, j'ai voulu faire de mon

2 mieux pour ne pas interrompre mon honorable collègue, mais voilà que

3 certaines choses se sont produites qui font que je soulève une objection

4 quant à l'attaque perpétrée par le conseil de la défense à l'égard de la

5 politique du conseil de l'accusation.

6 Deuxièmement, si j'ai bien compris, nous avons ici un témoin expert en

7 matière d'histoire médiévale yougoslave, et s'il en est ainsi, nous sommes

8 très loin de l'histoire de l'ère moderne.

9 M. le Président (interprétation): Comme vous le savez très bien, Monsieur

10 Scott, cette Chambre de première instance a permis à ce témoin expert de

11 témoigner sur certains thèmes qui ont trait aux événements de l'année 1992

12 et 1993 et qui ont trait aux conflits, ce qui, d'ailleurs, est l'objet de

13 ce procès. Or, lorsque nous sommes en train de parler du Gouvernement de

14 Bosnie-Herzégovine, cette question a été soulevée à plusieurs reprises au

15 cours de nos débats. Ce témoin est le tout dernier, par ordre, parmi les

16 témoins à citer parmi le conseil de la défense et il est un témoin expert

17 qui, lui, prend en considération l'ensemble de ces facteurs.

18 Si lui prend en considération tous ces facteurs, nous autoriserons ce

19 témoin à répondre à cette question telle qu'il la voit sous son angle à

20 lui. Le conseil de l'accusation aura pleinement l'opportunité et la

21 possibilité de s'opposer et de réfuter tout ce qui a été dit par le

22 témoin.

23 Allez-y, Monsieur le Témoin.

24 M. Ancic (interprétation): Je ne me considère pas comme étant un expert en

25 matière de constitution de la Bosnie-Herzégovine, mais chemin faisant,

Page 15768

1 faisant la recherche qui est la mienne, j'ai pu prendre connaissance de

2 documents qui me semblent être pertinents pour vous et votre question. Je

3 pourrais peut-être reproduire ces documents dans la mesure où ceux-ci

4 seraient susceptibles de vous satisfaire lorsque je vous entends me

5 réclamer tout à l'heure ce que vous avez posé sous forme de votre

6 question.

7 Le conseil des ministres en Bosnie-Herzégovine est censé être compétent de

8 la politique extérieur, commerce extérieur y compris les douanes,

9 compétent des communications couvrant l'ensemble du territoire de la

10 Bosnie-Herzégovine, compétent du contrôle des frontières de la Bosnie-

11 Herzégovine et compétent pour s'occuper du retour des populations, des

12 gens vers leurs pays d'origine à partir desquels pays ils ont été

13 expulsés. Et ce sera tout.

14 Pour le restant des compétences et des prérogatives connues, lorsque nous

15 parlons d'organes d'autorité d'Etat, eh bien, cela se recoupe avec ce qui

16 a été dit dans le cadre des Accords de Dayton lorsque ceux-ci portent sur

17 la constitution des entités. Je dois dire que pour parler constitution, on

18 essaye d'éviter le terme d'Etat, toutes les fois où on parle de ces

19 différentes entités.

20 Au prime abord, cela semble être un différend d'ordre constitutionnel, un

21 conflit lorsqu'il s'agira de parler du type des constitutions politiques

22 de la Bosnie-Herzégovine, mais il s'agit donc d'un différend purement

23 politique ce qui n'est pas de nature à intéresser cette Chambre de

24 première instance.

25 Or le Gouvernement de la fédération de Bosnie-Herzégovine et celui de la

Page 15769

1 Republika Srpska sont deux institutions ayant les mêmes compétences, mais

2 sans fonctionner de la même façon, car les systèmes de constitution

3 intérieurs de ces deux systèmes de pouvoir, des deux entités s'avèrent

4 différents. En effet, la Republika Srpska se range du côté du type d'un

5 Etat centralisé, unitaire, alors que la Fédération, comme son nom

6 l'indique, est censée être un Etat composé, dont les éléments constitutifs

7 du point de vue juridique et étatique se présentent sous forme de cantons

8 ou de districts, dix au nombre, leur ingérence étant telle que ces

9 districts et cantons sont capables d'avoir leur propre gouvernement et

10 corps représentatifs respectivement.

11 Un second aspect singulier, je dirai, de la fédération de Bosnie-

12 Herzégovine qui tire ses origines du climat de cette méfiance conjointe du

13 temps passé.

14 (Le témoin se tourne vers le transcript pour dire qu'il ne s'agit pas de

15 "common", commun mais de "uncommon" en anglais.)

16 Donc le second aspect singulier de la fédération et de son gouvernement

17 notamment, c'est que ce gouvernement a des ministres et vice-ministres

18 ayant presque les mêmes droits. Les fonctions sont réparties suivant un

19 certain système de parité réciproque de Croates et de Bosniens, c'est-à-

20 dire de Musulmans. En cela, un ministre et un vice-ministre ne peuvent pas

21 être de la même appartenance ethnique. Par la même occasion, dirai-je,

22 aucun acte juridique ou légal ne pourrait avoir force de loi s'il n'est

23 pas signé par le ministre et par son adjoint, le vice-ministre. Voilà à

24 peu près tout ce que j'avais à dire là-dessus.

25 M. Krsnik (interprétation): Merci, Monsieur le Témoin. Toute une année

Page 15770

1 entière, j'attendais que quelqu'un nous explique comment se présente la

2 qualité d'entité en Bosnie-Herzégovine. Voyez-vous, j'ai voulu avoir une

3 réponse d'un ministre de la Fédération là-dessus. Lui, dans sa réponse, il

4 me dit tout simplement qu'il aimerait bien me voir avoir accès aux

5 archives, mais c'est son adjoint, le vice-ministre, qui ne le permet pas.

6 M. Ancic (interprétation): Oui, cela traduit la réalité même. Le ministre

7 ne peut pas faire droit à votre requête si vous n'y êtes pas autorisé pour

8 autant par le vice-ministre.

9 Question: Oui, je m'occupe de cette affaire-là. Je vais la faire traduire.

10 Peu importe, laissons cela de côté et allons de l'avant. Occupons-nous de

11 deux autres questions qui sont pertinentes pour nous aujourd'hui.

12 Avez-vous eu connaissance d'un quelconque ultimatum posé en avril 1993,

13 ultimatum imposé par la HZ-HB aux Musulmans, aux Bosniens?

14 Réponse: Oui, j'ai eu connaissance de cet ultimatum.

15 Question: Etait-ce vraiment un ultimatum ou était-ce quelque chose

16 d'autre?

17 Réponse: J'ai pris connaissance de cet ultimatum en lisant le rapport

18 d'expertise du Dr Donia.

19 Question: Allez-y, poursuivez.

20 Réponse: Ce qui m'a semblé un peu étrange, inhabituel, c'est de voir le Dr

21 Donia se fonder sur deux faits divers qui, évidemment, traitaient de cet

22 ultimatum. Lui, il en parle sous cet angle-là dans son rapport

23 d'expertise. Tel qu'il est interprété, il convient de l'interpréter dans

24 l'ensemble du contextes de la guerre de Bosnie-Herzégovine. Cet ultimatum,

25 à mon sens, représente un type de pression politique exercée, tout comme

Page 15771

1 l'a été une décision de la cour constitutionnelle datant de 1992, portant

2 sur l'illégalité de la constitution de la communauté croate d'Herceg-

3 Bosna.

4 Question: C'est intéressant. Une avant-dernière question pour vous: en

5 qualité d'historien, avez-vous eu l'occasion de prendre connaissance, de

6 les consulter peut-être, les transcripts issus du bureau du Président

7 Tudjman? Quand je dis "transcripts", je dois peut-être mettre les

8 guillemets. Si oui, pouvez-vous nous dire de quoi il s'agit? Comment les

9 voyez-vous, ces transcripts? Enfin, quel serait votre jugement là-dessus,

10 si vous les avez vus?

11 Réponse: Oui, j'ai eu l'occasion de prendre connaissance de ces documents

12 en lisant le livre de Ciril Ribicic qui, lui aussi, était cité à la barre

13 de ce Tribunal en qualité de témoin.

14 Question: Témoin à charge ou témoin à décharge?

15 Réponse: A charge. Dans son livre publié à Zagreb, il a été imprimé le

16 transcript du phonogramme de la réunion tenue par Dr Franjo Tudjman avec

17 des représentants du HDZ de Bosnie-Herzégovine.

18 Question: Est-ce que vous vous référez à la fameuse réunion du 27 décembre

19 1991?

20 Réponse: Oui, il s'agit de cette réunion-là et lorsque nous parlons de

21 procès-verbal, alors là, nous nous approchons d'un terme beaucoup plus

22 précis. Cela dit, les médias, la presse croate…

23 Question: Dans le transcript, nous lisons en anglais: "dans les différents

24 documents".

25 Réponse: "Dans les journaux".

Page 15772

1 Donc dans la presse, on a pu voir la publication des textes pour lesquels

2 on prétendait qu'ils étaient les transcripts de l'enregistrement audio de

3 ce qui a été noté en procès-verbaux à la réunion dans le bureau de Franjo

4 Tudjman, dans sa résidence notamment.

5 Le problème que présentent ces textes -et j'emprunte à dessein le terme de

6 textes- est très simple pour un historien professionnel. Il n'y a pas

7 vraiment de garanties qui nous permettraient de constater qu'il s'agirait

8 de documents authentiques. L'enregistrement audio n'existe pas. Ces

9 documents ne sont annotés pour être certifiés de quoi que ce soit

10 d'officiel. Or, l'historien, lui, au prime abord, se doit de constater

11 dans quelle mesure le document peut assumer la nature qu'il prétend avoir.

12 Dans ce cas-là, on n'a pas pu le constater.

13 En effet, peu importe si on en fait une communication assez importante,

14 les originaux de tous ces textes-là ne sont pas accessibles. Par

15 conséquent, on ne peut pas en déduire que telle ou telle serait leur

16 nature, notamment celle qu'on prétend leur donner.

17 Deuxièmement, ce que j'ai pu lire dans le livre de Ciril Ribicic, en

18 effet, ce qui a été publié là-bas comme étant le procès-verbal dressé lors

19 de ces entretiens, je ne pourrais pas vraiment aller jusqu'au bout pour

20 porter un jugement là-dessus en qualité d'historien que je suis, car je

21 n'ai pas pu avoir une idée des circonstances dans lesquelles s'étaient

22 déroulées les conversations antérieures à cet événement. Je ne pouvais pas

23 savoir qui, déjà, le Président Tudjman a pu rencontrer, quelles étaient

24 les informations qui ont été données par la suite, et quelles ont été les

25 interprétations de ces entretiens offertes par la suite.

Page 15773

1 Je crois qu'il s'agit là de ce que je viens d'énumérer, d'éléments sur

2 lesquels devrait être fondée une bonne évaluation des documents de ce

3 genre-là.

4 Ce qu'on peut faire, en consultant un texte ainsi rédigé, c'est d'abord

5 bien reconnaître et situer une situation dans laquelle on voit se

6 rencontrer un homme qui entretient des contacts permanents avec des

7 représentants de ce qu'on appelle actuellement la Communauté

8 internationale.

9 Il s'agit d'un homme qui est conscient du fait que la décision portant

10 l'avenir de la Bosnie-Herzégovine en général est prise par les

11 représentants de cette Communauté internationale, et qu'il en a bien été

12 ainsi pendant les dernières centaines d'années et attesté par cet ouvrage

13 de M. Stavrianos, un américain d'origine grecque, ainsi que d'autres

14 ouvrages dont je vous passe l'énumération.

15 Toutes ces sources montrent donc comment, dans la péninsule des Balkans,

16 des décisions politiques ont toujours été prises par des représentants des

17 grandes puissances.

18 Par contraste avec l'homme qui comprend cela et face à cet homme qui l'a

19 compris, sont assis d'autres gens qui viennent de différents milieux et

20 qui croient avoir un rôle messianique et qui pensent devoir ordonner, qui

21 pensent avoir la solution pour la crise en Bosnie-Herzégovine.

22 A cette réunion, et je ne parle ici que de l'impression que je peux avoir

23 de cette réunion, l'atmosphère donc est que, si quelque chose est écrit,

24 alors, c'est vrai. Et donc on peut la décrire comme suit: une tentative

25 par cet homme, des gens se sont réunis là pour confirmer leur importance.

Page 15774

1 Par ailleurs, il essaie de leur transmettre ce message très important, à

2 savoir qu'en dépit de ce qu'il souhaite, ce ne sont pas eux qui décideront

3 de l'avenir de la Bosnie-Herzégovine.

4 Question: J'ai laissé une question de côté pour la fin et je vous la pose

5 maintenant. En effet, depuis un an, j'entends beaucoup de choses se dire

6 ici au prétoire, on fait souvent référence à la Banovine de Croatie.

7 Monsieur l'Huissier, vous pouvez utiliser mon exemplaire que je connais

8 par cœur. Voici donc la pièce PP899 et, à mon avis, personne n'a su

9 expliquer jusqu'à présent les circonstances dans le temps et l'origine de

10 ce nom, personne ne l'a encore expliqué, me semble-t-il à la Chambre.

11 (Intervention de l'huissier.)

12 Cela fait donc un an que le Président Tudjman voulait établir la Banovine

13 au préjudice de la Bosnie-Herzégovine et je voudrais savoir quel est votre

14 avis d'expert.

15 Voici donc la dernière question que je vous poserai et c'est une question

16 à laquelle vous devrez répondre dans le peu de temps qui nous reste avant

17 la pause. Donc veuillez nous expliquer les circonstances historiques et

18 tous les autres éléments intéressant le Tribunal pour ce qui est de cette

19 Banovine et pouvez-vous nous dire en quoi tout cela est lié à 1992?

20 Réponse: Il serait prétentieux de ma part de dire que je peux expliquer ce

21 que le Président Tudjman voulait dire. J'espère que ce n'est pas ce que

22 vous êtes en train de me demander parce que, en définitive, dans 50 ans,

23 peut-être que des documents vont refaire surface et jetteront une lumière

24 différente sur ces questions.

25 Question: Oui, bien sûr, mais je voudrais que vous nous expliquiez quelles

Page 15775

1 sont les circonstances historiques, en utilisant cette carte parce que

2 c'est cela qui a montré ici plusieurs fois.

3 Réponse: Oui, je vous comprends très bien, mais je dois vous dire ce que

4 je ne peux pas faire aussi. Ce que l'on appelle la Banovine…

5 Question: Vous pouvez utiliser le pointeur pour utiliser la carte.

6 Réponse: La Banovine représente une tentative, un essai fait en 1939 de

7 régler le problème posé par la coexistence des Serbes et des Croates. Mais

8 c'était 1939. C'est une époque -nous remontons ici à ce dont nous parlions

9 lors de la première partie de la comparution de cet après-midi-, c'est

10 donc une époque où personne ne prenait très au sérieux la Bosnie-

11 Herzégovine en tant que problème distinct ou la population musulmane comme

12 problème grave.

13 En tant qu'historien, je dois vous mettre en garde. Il y a des

14 circonstances très différentes qu'on doit prendre en compte ici et

15 transférer la situation de 1992 en 1939 revient à commettre la même erreur

16 que si on transpose la situation de 1939 à la situation de 1992.

17 Une autre question qui est importante pour expliquer ce qu'est cette

18 Banovine, c'est ceci: la Banovine de Croatie, comme on l'a appelée, a été

19 créée en observant, en respectant les limites administratives d'une entité

20 qui, jusqu'à 1918, s'appelait le Royaume de Dalmatie et Slavonie et on a

21 ajouté à ce territoire une zone qui, à l'époque, comportait une population

22 croate plus importante que la population serbe.

23 Question: Excusez-moi. En 1939, est-ce qu'il y avait une nation musulmane

24 ou bosnienne?

25 Réponse: Il y avait très certainement des idées qui flottaient dans l'air,

Page 15776

1 dans certains cercles, des idées comme quoi il y avait là une communauté

2 distincte, mais ce n'était, en tout cas, pas un sujet de débat public.

3 Dans les relations politiques -personne ne pensait en ces termes à

4 l'époque-, il faut faire une distinction ici entre ce qu'est la réalité

5 politique et ce que peut être l'avenir. Or, à l'époque, il y avait très

6 certainement des fondements déjà en place sur la base desquels une

7 nouvelle nation allait naître ensuite, mais ce n'était pas une réalité en

8 termes de situation politique réelle. En 1939, personne ne pouvait

9 imaginer ou réfléchir dans les mêmes termes qu'en 1992 ou 1972.

10 Question: Dans la Banovine, il y a une zone sur cette carte qui est en

11 rose. Comment l'appelait-on en 1939, cette zone qui est coloriée en rose

12 au milieu de la Banovine?

13 Réponse: A l'époque on l'appelait la Banovine Savska, de la Sava… Pardon,

14 pas la Savska Banovina, la Vrbaska Banovina. Et c'est la zone en vert qui

15 était la Savska Banovina.

16 A l'époque, toute la Yougoslavie était d'ailleurs divisée en Banovina

17 distinctes, donc la Banovine de Croatie n'était pas une exception à la

18 règle pour ce qui est de l'existence administrative dans la Yougoslavie.

19 Ce n'était pas non plus une exception au regard du fait que la majorité de

20 la population dans cette entité était croate. En effet, la Savska

21 Banovina, à l'époque, était peuplée de Slovènes uniquement. Et c'est donc

22 là le contexte historique de cette Banovina.

23 M. Krsnik (interprétation): Monsieur, c'était donc ma dernière question.

24 Je vous remercie d'être venu pour nous aider tous, par votre témoignage, à

25 comprendre certaines choses.

Page 15777

1 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, j'en ai ainsi terminé.

2 M. le Président (interprétation): Il est l'heure de faire la pause, nous

3 allons reprendre à 18 heures 10.

4 (L'audience, suspendue à 17 heures 40, est reprise à 18 heures 15.)

5 M. le Président (interprétation): Accusation, je vous en prie, pour le

6 contre-interrogatoire.

7 (Contre-interrogatoire du témoin, M. Mladen Ancic, par M. Scott.)

8 M. Scott (interprétation): Monsieur Ancic, bonjour.

9 Je voudrais vous poser une ou deux questions qui porteront sur la fin de

10 votre déposition de cet après-midi. En avril 1993, il y a eu un ultimatum,

11 avez-vous dit, qui représentait une pression politique. Est-ce que vous

12 pourriez nous expliquer un peu plus ce que veut dire "pression politique"

13 et par qui? Qui exerçait cette pression politique?

14 M. Ancic (interprétation): Il va sans dire qu'à cette époque-là, c'est le

15 HVO qui l'a exercée sur l'autre partie dans le conflit qui encore n'a pas

16 pris la forme d'un conflit ouvert. D'après ce que nous pouvons dire

17 aujourd'hui, il y avait une pression qui était exercée. La pression avait

18 un but tout à fait précis: c'était d'essayer de faire accepter les

19 dispositions de l'Accord Vance-Owen par la partie musulmane.

20 Question: Je ne remets pas en cause ce que vous avez dit, du tout. Mais ne

21 serait-il pas plus exact de dire qu'il s'agissait de pression exercée sur

22 la partie musulmane pour que la vision du HVO, concernant la vision du

23 plan Vance-Owen, soit acceptée?

24 Réponse: Il faudrait également prendre en compte le fait qu'il y avait

25 également une variante de l'Accord de Vance-Owen. Les représentants

Page 15778

1 croates avaient une autre attitude, les Serbes avaient une autre attitude

2 vis-à-vis de l'accord, et puis, il y avait également les Musulmans qui

3 concevaient l'accord d'une autre façon.

4 Question: Dans votre rapport, vous dites que la montée du nationalisme

5 serbe -je fais ici référence à la page 22 du texte anglais-, que ce

6 nationalisme donc a provoqué les mêmes réactions, les mêmes réactions

7 partout, c'est-à-dire l'émergence d'autres nationalismes. Alors est-ce que

8 vous incluez là-dedans le nationalisme, pour utiliser ce mot, du groupe

9 musulman, et le nationalisme parmi les Croates?

10 Réponse: Si l'on veut être tout à fait précis, à ce moment-là, il faudrait

11 commencer par la chose suivante: toute forme d'option nationaliste, donc

12 toute forme de la détermination d'une option nationale ne peut que

13 provoquer la réaction de ceux qui n'appartiennent pas à tel et tel

14 groupes.

15 C'est dans ce sens-là que j'ai parlé des Croates, j'ai parlé des Musulmans

16 et j'ai parlé également des Slovènes. J'ai parlé des Macédoniens, des

17 Albanais, etc.

18 Question: Oui, je comprends cela, mais je voulais simplement m'assurer que

19 vous ne limitez pas cette remarque dans vos conclusions aux seuls Serbes.

20 Nous pouvons constater que cela est vrai aussi des Croates et des

21 Musulmans, n'est-ce pas?

22 Réponse: Je ne sais pas, je ne suis pas sûr que je vous ai bien compris.

23 Comment parlez-vous des Serbes? Qu'est-ce qui est la même chose chez les

24 Serbes?

25 Question: La même réaction, c'est-à-dire que l'émergence du nationalisme

Page 15779

1 serbe suscite la même réaction partout, l'émergence des nationalistes et

2 d'autres groupes. Et à ma question antérieure, je crois, vous donnez une

3 réponse sur laquelle nous sommes d'accord, à savoir que les autres

4 nationalismes en question incluent un nationalisme musulman et un

5 nationalisme croate?

6 Réponse: Oui, généralement parlant, oui.

7 Question: A la page 16 de votre texte, vous dites ceci: que les conflits

8 constants sur des territoires disputés habités par des minorités, dites-

9 vous, et des "diasporas", toujours entre guillemets, et qui cherchent de

10 façon permanente à rejoindre leur entité nationale. Alors, est-ce que vous

11 pouvez expliquer cette phrase dans son contexte? Qu'entendez-vous par

12 patrie, par cette expression: "Mother national State"?

13 Réponse: "L'état national mère", dans l'ancienne Yougoslavie, est un terme

14 qui existe uniquement dans le cas des Serbes. Les Etats nationaux, et

15 ensuite, si on épouse cette logique, nous pouvons… Il n'y a pas des Etats

16 nationaux qui existaient avant 1991. C'est la raison pour laquelle les

17 autres ne pouvaient pas parler d'un "Etat national mère". Il n'y a que les

18 Serbes qui ont pu parler de cela.

19 En revanche, on peut parler des territoires, on peut également parler de

20 l'endroit, où et de quelle façon on nourrit le sentiment de l'appartenance

21 à une communauté, et comment ce sentiment s'exprime.

22 Question: N'est-il pas vrai, Monsieur, que lorsque vous parlez "d'Etats

23 nationaux mère", après la reconnaissance de la Croatie en tant que pays

24 indépendant, cela s'applique aussi à la Croatie? C'était un autre "Etat

25 national mère" vis-à-vis de l'un des grands groupes ethniques vivants en

Page 15780

1 Bosnie-Herzégovine, n'est-ce pas?

2 Réponse: Le problème que vous venez de soulever implique une réponse très

3 complexe.

4 Vous préjugez dans votre question un certain nombre d'éléments que je ne

5 pourrai pas accepter car le processus du démantèlement, de l'éclatement de

6 la Yougoslavie est un processus qui est très complexe. Il y a eu toute une

7 série d'événements qui ont eu lieu. Et de la perspective de tous les

8 jours, qui était la perspective de ceux qui ont participé aux événements,

9 on voit les choses d'une façon tout à fait particulière.

10 Question: Dans votre rapport, toujours à la page 23, vous dites qu'il y a

11 un autre facteur important qui est devenu manifeste, concernant le fait

12 que deux des trois nations ne liaient pas leur avenir à l'existence de la

13 Bosnie-Herzégovine, mais à des "pays mère". Ceci fait référence aux

14 Croates et aux Serbes, n'est-ce pas?

15 Réponse: Oui, la loyauté politique a été rattachée aux notions "Croatie"

16 et "Serbie". Selon cette logique, qui est compréhensible, parce qu'il

17 s'agissait des Serbes et des Croates. C'était leur logique.

18 Question: Comment est-ce que cela s'est manifesté, ce lien entre deux

19 "pays mère", avec deux "pays mère", respectivement la Croatie et la

20 Serbie? En tant qu'historien, qu'est-ce que vous avez vu qui appuie cette

21 affirmation que vous faites à la page 23 de votre rapport?

22 Réponse: Ce que j'ai sous-entendu en rédigeant la page 23, peut se résumer

23 de la façon suivante: nous avons pu dévoiler un certain nombre de faits en

24 écoutant les discours publics et on a pu comprendre à travers ces discours

25 qu'il s'agissait des hommes, des gens qui voulaient vivre dans les mêmes

Page 15781

1 cadres, sur le plan Etat, avec les membres qui appartiennent à cette

2 communauté nationale.

3 Question: Quand vous dites "discours public", cela comprend, j'imagine,

4 les discours politiques?

5 Réponse: Oui, et ceci, en tenant compte du fait que, de ces choses-là,

6 parlaient les gens à des niveaux plus bas. Quand je dis "des hommes qui

7 tenaient de tels discours", c'étaient les hommes qui occupaient les

8 instances inférieures. Alors qu'il est très important de souligner

9 également que ceux qui se trouvaient en haut, sur le plan "establishment"

10 politique, ils n'ont jamais, à aucun moment, parlé de cette façon-là quand

11 ils parlaient de ce sujet-là.

12 Question: Nous y reviendrons, j'en suis sûr. Vous êtes d'accord -encore

13 une fois à la page 23 du rapport pour ceux qui l'auraient, juste après le

14 passage que je citais il y a un instant-, vous êtes d'accord pour dire que

15 le parti HDZ en Bosnie-Herzégovine était une branche locale du HDZ établi

16 en Croatie, n'est-ce pas?

17 Réponse: Comme ceci se doit, chaque phrase a son contexte. Si vous

18 comprenez dans le contexte que HDZBETH a été établi, a commencé à

19 développer ses activités à l'époque où la Yougoslavie existait encore. Ce

20 qu'il est très important de souligner, à ce moment-là, c'est une citation

21 qui est correcte, mais toujours est-il qu'il ne faut pas oublier non plus,

22 en citant une telle phrase, de parler du contexte. A cette époque-là,

23 personne ne pensait que des institutions politiques se limitaient à des

24 frontières des républiques socialistes de l'époque. Il y avait donc un

25 comportement politique qui partait de l'option de la Ligue des communistes

Page 15782

1 de Yougoslavie, qui est une organisation politique qui développait ses

2 activités sur l'ensemble du territoire de l'ex-Yougoslavie.

3 Question: Monsieur, j'essaie de m'assurer que j'ai bien compris les points

4 essentiels de votre texte. Je ne crois pas que je reprends ici les choses

5 ailleurs que dans leur contexte. Je vous renvoie ici à la page 24 de votre

6 rapport, où il est bien dit, en tout cas dans la version anglaise, sur les

7 deux points que je viens de soulever: "qu'un autre facteur important est

8 devenu clairement visible: deux sur les trois nations locales ne liaient

9 pas leur avenir à la Bosnie-Herzégovine, mais au "pays mère", et tant

10 Croates que Serbes, encouragés par les événements survenus en Yougoslavie

11 depuis la fin des années 80 et sur la base de leurs liens sociaux et

12 familiaux avec la Croatie et la Serbie, se sont tournés massivement vers

13 les branches locales de partis qui étaient auparavant établis en Croatie

14 -le HDZ pour les Croates et le SDS pour les Serbes."

15 Alors, je crois bien avoir lu le texte, n'est-ce pas?

16 Réponse: Oui, tout à fait.

17 Question: A la suite de cela, page 26 du rapport, vous dites que "la force

18 d'attirance de ces partis réside dans le fait qu'à l'époque, le HDZ était

19 déjà arrivé au pouvoir dans la Croatie voisine et que les Croates de

20 Bosnie-Herzégovine l'ont donc considéré comme 'un parti croate' ayant son

21 siège à Zagreb". C'est juste, n'est-ce pas?

22 Réponse: C'est exact, c'est ce qui est marqué dans mon texte.

23 Question: Après cela, vous dites que les électeurs croates qui ont voté en

24 Bosnie-Herzégovine et en Croatie pour le HDZ ont vu comme véritable

25 directeur du parti Franjo Tudjman?

Page 15783

1 Réponse: Oui, c'est ce que je dis dans mon texte.

2 Question: Je voulais simplement situer le contexte de ma question. L'un

3 des points que vous avez abordés dans votre texte est l'élévation du rôle

4 joué par Franjo Tudjman concernant un convoi qui devait aller dans un

5 certain lieu de la Bosnie-Herzégovine en 1991. Vous dites, à la page 27,

6 que "c'était là une indication claire de qui avait la vraie autorité et

7 qui avait un vrai poids politique à ce moment-là".

8 Je crois donc comprendre que vous vous fondez en partie sur cette histoire

9 anecdotique qui est celle du convoi?

10 Réponse: Est-ce que je peux, s'il vous plaît, avoir un petit moment pour

11 trouver mon texte en langue croate, pour vérifier ce que vous venez de

12 dire?

13 M. Scott (interprétation): Bien entendu.

14 Mme Clark (interprétation): Monsieur Scott, vous êtes un peu injuste dans

15 votre contre-interrogatoire, car vous savez que les extraits que vous

16 citez sont peu connus de l'expert, car c'est la traduction que vous en

17 donnez, et vous avez fait ainsi plusieurs citations de façon assez rapide.

18 Alors, j'aimerais plutôt que vous disiez directement ce vers quoi vous

19 allez. Vous avez donné lecture très rapidement de plusieurs extraits du

20 texte et, à moins que M. Ancic ne connaisse ce rapport par cœur, il est

21 difficile pour lui de vraiment vous suivre. Il me semble qu'il faut être

22 un peu plus juste envers l'expert; l'expert n'est pas une machine.

23 M. Scott (interprétation): Il s'agit du rapport écrit et rédigé par

24 l'expert et il peut prendre autant de temps qu'il veut pour le consulter.

25 Et, je pèse ici mes mots, je pense que, parfois, ce qui semble se trouver

Page 15784

1 dans un rapport n'est finalement pas vraiment ce que veut dire un expert,

2 s'avère-t-il. Et c'est le problème qui s'est posé avec l'expert précédent.

3 J'aimerais m'assurer de ce que veut dire l'expert.

4 Mme Clark (interprétation): Je crois comprendre ce à quoi vous faites

5 allusion et je crois que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il y a eu

6 des problèmes antérieurement -et je pèse également mes mots- pour une

7 traduction qui n'était peut-être pas aussi précise qu'elle aurait pu

8 l'être, aussi ordinaire, aussi standard que d'habitude, ce qui a provoqué

9 des problèmes. Mais je ne crois pas que ce soit le cas, en l'occurrence.

10 M. Scott (interprétation): Je vais revenir sur ma dernière question.

11 J'espère que vous avez trouvé cet ordre du rapport.

12 M. le Président (interprétation): Monsieur Scott, je crois que le témoin

13 souhaite dire quelque chose.

14 M. Scott (interprétation): Oui, bien sûr.

15 M. Ancic (interprétation): Monsieur le Président, Mesdames les Juges, ce

16 qui a quelque peu entraîné ma confusion, c'était la traduction que j'ai

17 reçue dans mes écouteurs. La question qui m'a été traduite et la manière

18 dont elle m'a été traduite, de ce que le procureur m'avait posé comme

19 question.

20 Dans mon texte, je parle de l'autorité et ceci, dans le sens de l'autorité

21 politique, alors que dans la traduction que je viens de recevoir, on

22 parlait du pouvoir politique. Donc "autorité politique" qui existe dans

23 mon texte et "pouvoir politique" que j'ai reçu dans mes écouteurs.

24 M. Scott (interprétation): Oui, je comprends cette différence. Je ne peux

25 que lire aussi exactement que possible la traduction anglaise de votre

Page 15785

1 rapport et comment cela vous est transmis, malheureusement, échappe à mon

2 contrôle. Mais je vous remercie de cette précision.

3 M. le Président (interprétation): La défense?

4 M. Krsnik (interprétation): Monsieur le Président, Mesdames les Juges,

5 nous sommes arrivés à un moment donné -je remercie le Juge Clark d'être

6 intervenue, mais maintenant cela n'a aucun sens. Monsieur le Procureur a

7 utilisé le terme "pouvoir", et je pense que cela a été très correctement

8 traduit. En croate, c'est bien marqué "autorité politique" alors que M. le

9 Procureur, justement, a utilisé ce terme "pouvoir" dans le contre-

10 interrogatoire. Il recourt à une certaine stratégie. Ceci peut être

11 vérifié dans la transcription.

12 M. le Président (interprétation): Je crois que le Bureau du Procureur

13 s'est contenté de lire la version anglaise du rapport de l'expert témoin.

14 Je ne vois pas ici de problème.

15 Monsieur Scott, vous pourriez peut-être relire ce paragraphe pour que nous

16 sachions exactement à quel paragraphe il est fait référence? Pour ma part,

17 je crois l'avoir trouvé à la page 27.

18 M. Scott (interprétation): Il s'agit du haut de la page 27. Tout ce que je

19 peux faire, c'est vous donner lecture de la version anglaise que l'on m'a

20 donnée du rapport du témoin expert. Je vous en donne lecture. On me

21 corrigera s'il y a une erreur:

22 "La situation a changé lorsque les assemblées ont entendu un discours, via

23 la télévision, du Président Tudjman. Après les assurances qu'il a données,

24 la foule s'est dispersée et la colonne militaire a poursuivi son chemin.

25 Même pour ceux qui étaient complètement non informés, c'était là un

Page 15786

1 indicateur très clair de qui avait la vraie autorité et de qui les mots

2 avaient un vrai poids politique".

3 Alors je crois avoir donné une lecture exacte de ce texte?

4 M. Ancic (interprétation): Oui, vous venez d'en donner la bonne lecture

5 et, cette fois-ci, cela a été traduit correctement en langue croate. Je

6 pense que le Président et les Juges font la distinction, qui est quand

7 même essentielle, entre la notion de l'autorité d'un côté et le pouvoir de

8 l'autre. L'autorité politique est une notion qui couvre la condition alors

9 que le pouvoir, c'est le contrôle des mécanismes de l'Etat.

10 Question: Après 1991 et jusqu'en 1995, personne dans la République de

11 Croatie ne représentait mieux la politique officielle croate que le

12 Président Tudjman, n'est-ce pas?

13 Réponse: Oui, son obligation constitutionnelle était de la responsabilité

14 au niveau de l'Etat et c'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, il a

15 obtenu la confiance des électeurs lors des élections. Et c'était sa

16 mission, sa tâche.

17 Question: Vous dites aussi dans votre rapport -c'est une observation, une

18 évaluation que vous faites- que la guerre en Bosnie-Herzégovine était une

19 guerre qui visait à la conquête de territoire?

20 Réponse: Oui, ou bien, je vais être encore plus précis. Ceci a été

21 transformé en guerre pour les territoires, car la dynamique du conflit qui

22 s'est déclenché en 1992 a eu une forme qui n'était pas comme celle qui

23 s'est développée par la suite. Donc ce conflit a obtenu une autre forme,

24 c'est la nature même du conflit qui a changé, les objectifs également ont

25 été changés par ceux qui ont fait déclencher ce conflit.

Page 15787

1 Question: Pages 23 et 24 de votre rapport, vous dites que le mouvement

2 nationaliste serbe avait mis en place une stratégie sophistiquée pour

3 obtenir ce qu'il voulait dans les médias et avait des moyens. Qu'est-ce

4 que vous entendez par là?

5 Réponse: Vous venez de lire quelque chose et, à ce sujet-là, j'ai la

6 confirmation que j'ai trouvée dans le discours, plutôt dans l'étude qui a

7 été publiée par le scientifique, Danielle Conversini. On en a déjà parlé.

8 En d'autres termes, il y avait une tentative de séparer une partie de

9 Yougoslavie. Et ceci a été présenté publiquement comme une tentative de

10 préservation de la Yougoslavie. "L'establishment" politique à Belgrade qui

11 a été très bien organisé sur le plan organique avait une stratégie qui a

12 été très bien élaborée et présentait cela en utilisant les médias.

13 Question: Et quels étaient les moyens employés?

14 Réponse: La stratégie était ce que je viens de dire. Ne pas permettre que

15 les objectifs réels qu'il ne pouvaient pas dévoiler tout de suite parce

16 qu'ils n'auraient pas eu un appui auprès de la communauté internationale,

17 et d'un certain milieu dans la communauté internationale, et ces objectifs

18 réels auraient dû être cachés, dissimulés par des formulations qui étaient

19 acceptables et une argumentation acceptable.

20 Question: Vous parlez du début du conflit entre Croates et Bosniens ou

21 Musulmans et cela se trouve à la page 25 du rapport. Vous dites qu'"au

22 contraire de nationalistes serbes qui avaient de toute évidence un plan

23 qui avait été défini à l'avance, les Croates et les Bosniens ou Musulmans

24 agissaient dans le désordre, et n'avaient pas beaucoup d'organisation

25 jusqu'au moment du conflit qui les a opposés."

Page 15788

1 Ma première question est la suivante: quand on a beaucoup parlé de ce qui

2 a été dit dans l'année écoulée dans ce procès, où voyez-vous le début de

3 ce conflit mutuel entre Croates et Musulmans?

4 Réponse: Le début même du conflit pourrait être situé, généralement

5 parlant, dans la période de la seconde moitié du mois de mai. Mais étant

6 donné qu'à cette époque-là, il s'est avéré comme étant parfaitement clair

7 que, pour ce qui est des points de vue et attitudes visant au futur et à

8 l'avenir politique de la Bosnie-Herzégovine, eh bien, ceux-ci se

9 présentaient comme étant fort différents, essentiellement divergents et

10 que ces points de vue et attitudes étaient susceptibles de provoquer un

11 confit généralisé, voilà pourquoi ce conflit ne revêt pas de dimensions

12 généralisées jusqu'au mois de juillet 1992.

13 D'autre part, les différentes formes de conflits générés à partir de

14 contextes différents pouvaient être réveillés et suivis depuis le milieu

15 de l'année 1992, c'est-à-dire un premier conflit qui peut être considéré

16 comme étant un conflit réel était celui-là qui était survenu à Busovaca.

17 Question: Alors de quel conflit parlez-vous? Busovaca, quelle date s'il

18 vous plaît?

19 Réponse: C'était au mois de mai 1992, au début, au moment où, depuis la

20 caserne de Busovaca, on voyait enfin l'armée yougoslave populaire prendre

21 sa retraite, se retirer. Le conflit survint lorsque l'armée, les effectifs

22 ont quitté la caserne et que les Musulmans, je dirai cette fois-ci, les

23 soldats musulmans, bosniens ont pénétré dans la caserne et ont tenté

24 d'altérer l'accord auquel ils étaient parvenus déjà portant sur la

25 distribution des armes.

Page 15789

1 M. Scott (interprétation): Excusez-moi de vous interrompre, mais avant que

2 le transcript ne disparaisse de l'écran, au début de votre intervention

3 maintenant, vous disiez que le début du conflit peut être situé, plus ou

4 moins, dans la deuxième moitié du mois de mai, mais vous n'avez pas dit

5 quelle année. Est-ce que vous pouvez préciser l'année?

6 M. le Président (interprétation): Maître Krsnik, quel est le problème?

7 M. Krsnik (interprétation): Le problème est qu'il faut permettre au témoin

8 d'achever sa déposition. Il a été interrompu par le Procureur au beau

9 milieu de sa pensée, de sa phrase. Pour évidemment devoir ensuite

10 reprendre le début de sa pensée. Comment peut-on comprendre maintenant ce

11 qu'il s'est passé à Busovaca, puisque nous voyons que le Procureur a

12 interrompu le témoin expert au beau milieu de sa phrase. Evidemment, le

13 Procureur peut toujours revenir sur cette partie de sa déposition lorsque

14 le témoin aura bien achevé sa réponse.

15 M. Scott (interprétation): Monsieur le Président, vous savez que la

16 traduction s'est arrêtée, que la transcription allait disparaître de

17 l'écran, j'essayais de rattraper.

18 M. le Président (interprétation): Je crois qu'il y a un malentendu.

19 Monsieur le Témoin, voulez-vous nous donner alors l'année de ces

20 événements que vous relatez maintenant et ensuite le Procureur poursuivra.

21 Si vous n'avez pas terminé votre réponse, vous êtes autorisé à la

22 terminer.

23 M. Ancic (interprétation): Revenons donc là où j'étais sur le point de

24 répondre à cette question. Je crois que le conflit a été déclenché en mai.

25 Ce que nous considérons comme étant un conflit général, évidemment,

Page 15790

1 connaît ses débuts en mai 1993. Pourtant, des conflits sporadiques

2 duraient entre temps. Voilà pourquoi je me suis référé à cet exemple

3 parlant du mois de mai 1992. Si vous me permettez d'en finir avec ce que

4 je voulais dire, j'aimerais volontiers vous dire jusqu'au bout, enfin

5 comment se présentaient les raisons pour lesquelles il y a eu ce premier

6 conflit, enfin ce conflit dont j'ai eu connaissance.

7 M. Scott (interprétation): Tout ce que je voulais obtenir de vous, c'était

8 la date. Vous l'avez effectivement donnée, c'était la seule question que

9 je posais en guise d'éclaircissement.

10 M. Ancic (interprétation): Eh bien, le conflit de Busovaca a été déclenché

11 au moment où la partie musulmane, la partie bosnienne, ayant été la

12 première à pénétrer dans les casernes, voulait altérer en le modifiant un

13 accord auquel on était déjà préalablement parvenu et portant sur la

14 distribution, le partage des armes, avançant comme argument à l'appui, le

15 fait que les Croates d'une manière générale étaient dotés de davantage

16 d'armes et qu'étant donné la situation, la partie musulmane voulait avoir

17 une primauté et un avantage en pénétrant dans la caserne pour se procurer

18 les armes in situ. A cette époque-là, j'habitais déjà à Sarajevo. C'est de

19 ce rapport que j'ai pu entendre un rapport à la radio.

20 Un heureux hasard a voulu que j'ai pu être moi-même à la télévision, j'ai

21 pu le voir à la télévision et j'ai pu voir cela dans le journal quotidien

22 "Oslobodjenje". Ce que je viens de vous relater est une version que j'ai

23 pu voir à Sarajevo.

24 De tels conflits sporadiques se déroulaient tout le long de l'année,

25 depuis mai 1992 jusqu'en mai 1993, c'est-à-dire les conflits qui étaient

Page 15791

1 déclenchés dans des contextes forts divers. Mais les uns et les autres

2 généraient une atmosphère de méfiance mutuelle et créaient les conditions

3 dans lesquelles les conflits locaux pouvaient dégénérer en conflits

4 généralisés. Voilà ce que j'avais à dire jusqu'à la fin.

5 Question: Vous dites qu'à la mi-mai 1992, dans le contexte que vous venez

6 de décrire, le nationalisme ethnique était devenu, d'après vous, la seule

7 vraie valeur pour les populations, et je cite ici la page 27 de votre

8 rapport. Pourriez-vous nous expliquer plus en détail ce que vous entendez

9 par la "mi-mai 1992, le nationalisme ethnique devient la seule valeur"?

10 Réponse: Ce que je me proposais de dire, nous le retrouvons dans la phrase

11 précédente de mon texte, et je vais vous donner lecture en croate,

12 j'espère que vous avez cette phrase en version anglaise: "Dans cette

13 situation où il n'existait plus d'appareil d'Etat organisé, de contrainte,

14 sans aucune autorité politique morale prête à appuyer les réseaux de

15 solidarité d'antan sur des bases locales, micro-locales, et avec une

16 expérience de ségrégation enracinée." Je veux dire: "Le nationalisme

17 ethnique n'est pas devenu, mais est resté comme étant le seul refuge d'une

18 conscience collective".

19 Si vous voulez que je m'étende là-dessus, pour vous parler plus en détail

20 de termes tel "réseaux de solidarité", si vous voulez que je vous parle de

21 "ségrégation en douce", ou de "velours", parce que des connotations

22 existent là-dedans, alors là je pourrai m'étendre là-dessus et en parler

23 pendant longtemps.

24 M. Scott (interprétation): Vous dites que le nationalisme ethnique est

25 devenu la seule véritable valeur et cela voudrait dire, si je vous

Page 15792

1 comprends bien -et à la lecture de la page 28- que cela s'applique de

2 manière égale aux Croates, aux Musulmans et aux Serbes, n'est-ce pas?

3 M. Ancic (interprétation): Oui.

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Scott, je crois qu'il est

5 presque 19 heures, et que nous devrions arrêter ici. Nous allons reprendre

6 demain matin à 9 heures dans la même salle d'audience.

7 (L'audience est levée à 19 heures.)

8

9

10

11

12

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25