Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mardi 29 octobre 2002.)

2 (Audience publique.)

3 (Plaidoirie de la défense par Me Meek.)

4 (L'audience est ouverte à 9 heures 03.)

5 M. le Président (interprétation): Je vous prie de bien vouloir citer

6 l'affaire.

7 Mme Thompson (interprétation): Bonjour, il s'agit de l'affaire n°IT-98-34-

8 T, le Procureur contre Mladen Naletilic et Vinko Martinovic.

9 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Bonjour à tous.

10 Maître Krsnik, êtes-vous prêt à présenter votre plaidoirie?

11 M. Krsnik (interprétation): Je suis prêt, mais je tiens à vous dire que ce

12 n'est pas moi qui vais commencer, c'est mon collègue Meek qui va commencer

13 par vous donner l'introduction et il va vous dresser le contexte général.

14 Et puis, par la suite, je prendrai la parole et je mettrai un terme à la

15 plaidoirie. Je vous remercie.

16 M. le Président (interprétation): Je vous en prie.

17 Maître Meek, à vous la parole.

18 M. Meek (interprétation): Je vous remercie Monsieur le Président.

19 Bonjour à tous et à toutes. J'ai longtemps pensé aux propos que je

20 pourrais prononcer ce matin pour essayer de vous faire changer d'avis

21 d'une manière ou d'une autre.

22 Mais tout d'abord, je tiens à remercier toutes les personnes qui ont

23 permis à ce procès de se dérouler, les personnes que l'on ne voit jamais

24 et dont le travail ne semble jamais être reconnu de façon satisfaisante.

25 Je tiens à remercier les traducteurs, les interprètes, les sténotypistes,

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1 le personnel technique, les gardes de sécurité des Nations Unies, les

2 huissiers, le personnel du prétoire ainsi que Mme le Procureur elle-même,

3 et j'aimerais saisir cette occasion pour vous remercier de votre attention

4 et plus particulièrement de la patience dont vous avez fait preuve et

5 j'espère que vous pourrez faire preuve d'un peu plus de patience encore.

6 Ensuite, je tiens à remercier les membres, non seulement de mon équipe de

7 la défense, mais également les membres de la défense de Vinko Martinovic,

8 Me Seric, Me Par, qui m'ont aidé à comprendre les faits de la guerre qui

9 s'est déroulée sur le territoire de l'ex-Yougoslavie ainsi que les

10 événements qui se sont produits sur place.

11 Et je tiens ces propos parce qu'il est difficile, comme vous le savez

12 vous-même, voire impossible, de comprendre complètement le déclenchement

13 du conflit sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, les conséquences qui ont

14 suivi, les événements qui ont précédé ce déclenchement du conflit et les

15 événements qui s'en sont suivis.

16 Tout d'abord, Monsieur le Président, l'accusé Mladen Naletilic souhaite

17 ajouter les arguments juridiques qui figurent dans le mémoire en clôture

18 de Vinko Martinovic qui ont trait au conflit armé international, aux actes

19 de persécution et à l'autorité du supérieur hiérarchique. Parce que ces

20 arguments juridiques s'appliquent également à M. Naletilic, il se peut

21 qu'il y ait du chevauchement au niveau des arguments qui sont avancés.

22 Toutefois, nous souhaitons adopter ces éléments par référence.

23 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, comme M. Scott l'a fait

24 remarquer il y a quelques jours à cette Chambre de première instance, il

25 s'agissait ici d'un procès qui était particulièrement difficile pour les

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1 deux parties.

2 M. Scott et moi-même venons d'un pays dans lequel il s'agit d'un procès

3 totalement normal; il s'agit de la liberté d'une personne qui est accusée,

4 qui est en jeu; dans un pays où nous avons grandi et où la pratique du

5 droit pénal est en place: aucun accusé n'a jamais été pénalisé alors qu'il

6 est présumé innocent, qu'il a plaidé non coupable en confirmant son

7 innocence, en conservant le droit de rester silencieux tout en luttant

8 contre les allégations portées par le gouvernement.

9 A nos yeux il ne s'agit pas là d'une notion qui est familière, à savoir

10 qu'un accusé soit puni plus sévèrement parce qu'il exerce son droit dans

11 le cadre d'une Chambre de première instance.

12 Par conséquent, Monsieur le Président, lorsque M. Scott, lorsque

13 l'accusation précise dans son mémoire en clôture, sous l'intitulé

14 "Considération en rapport avec le prononcé de la peine", que M. Naletilic

15 n'a pas coopéré avec l'accusation de quelque manière que ce soit, il doit

16 s'agir là d'un argument qui est étranger pour lui et qui va à l'encontre

17 de toute procédure pénale qui est appliquée dans un pays dont il est

18 ressortissant.

19 A savoir, il est totalement inéquitable de punir un accusé plus sévèrement

20 simplement parce qu'il n'a pas coopéré avec l'accusation. Je pose la

21 question: pourquoi? Pourquoi est-ce que mon client devrait coopérer avec

22 l'accusation? Devrait-il coopérer pour aider le Procureur à le priver de

23 sa liberté? Doit-il coopérer avec le Procureur pour se voir contraint à

24 vivre pour le reste de ses jours dans une pièce enfermée?

25 Je fais valoir qu'il est totalement naturel pour toute personne innocente

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1 de lutter pour sa liberté. Cette liberté est le bien le plus précieux et

2 dans le cas en l'espèce, malheureusement, il s'agit d'une lutte pour sa

3 vie même.

4 Comme vous le savez M. Naletilic, malheureusement, ne jouit pas d'un état

5 de santé très bon et toute peine d'incarcération ou d'emprisonnement

6 signifiera pour lui, pour autant qu'il soit condamné, sera une peine

7 d'emprisonnement à vie.

8 Très brièvement, Monsieur le Président, puisque j'ai abordé la question de

9 la santé de mon client: l'accusation fait valoir dans son mémoire en

10 clôture que, d'après la condamnation prononcée à l'endroit de M. Simic il

11 y a quelques semaines, l'état de mauvaise santé de l'accusé ne constitue

12 pas une circonstance atténuante.

13 Toutefois, Monsieur le Président, la Chambre de première instance ne doit

14 pas être trompée par cette demie vérité parce que, plus tard, dans le même

15 jugement, la Chambre de première instance a déclaré de façon très claire

16 que la mauvaise santé constitue une circonstance spéciale lorsqu'il s'agit

17 de prononcer une peine, et peut être prise en considération.

18 En ce qui concerne le prononcé de la peine, puisque j'aborde cette

19 question, je vous fais observer qu'il doit y avoir une certaine égalité et

20 proportionnalité quand on prononce une peine au sein de ce Tribunal.

21 Vous pouvez prendre note du fait que le général Radislav Krstic, le

22 commandant du corps de la Drina, qui a été découvert coupable de génocide

23 des massacres de quelque 8.000 jeunes musulmans en une semaine, en 1995, a

24 été condamné à 43 années d'emprisonnement.

25 Il s'agissait des massacres qui se sont déroulés à Srebrenica alors que,

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1 dans ce cas, l'accusation vous demande à vous, Messieurs les Juges, que

2 s'il est condamné, M. Naletilic soit condamné à une peine d'emprisonnement

3 de 35 années.

4 M. Naletilic n'a pas été inculpé d'un seul meurtre, voire de crime de

5 génocide. Or le général Krstic a été rendu coupable de ce crime.

6 Un proverbe chinois dit: "Si vous cherchez à vous venger, à ce moment-là,

7 creusez deux tombes plutôt qu'une seule".

8 Il me semble qu'en fait, l'accusation cherche en l'espèce une vengeance et

9 nous faisons valoir que si M. Naletilic est découvert coupable -ce qui

10 n'est pas évident compte tenu des éléments de preuve et de la loi-, à ce

11 moment-là, cette peine ne rentre pas dans le contexte de la logique.

12 Monsieur le Président, un autre exemple de l'accusation, qui a essayé de

13 modifier quelque peu la loi, peut être trouvé aux pages 12 et 13 du

14 mémoire en clôture où il déclare que le témoin R, un journaliste français,

15 a eu des difficultés à se déplacer aux alentours de Mostar et qu'en raison

16 de cette difficulté, M. Naletilic lui a donné un document qui a permis au

17 témoin de se déplacer librement dans la partie croate de Mostar.

18 En fait, si vous regardez le compte rendu, et si vous regardez les

19 éléments de preuve qui ont été présentés par les témoins, vous constaterez

20 que M. Naletilic n'a jamais donné au témoin R un document quelconque. Il

21 lui a simplement donné un nom et en lui attribuant ce nom, ce témoin R a

22 pu obtenir un laissez-passer, et il l'a reçu d'un individu qui vivait à

23 Mostar. Une personne qui occupait une fonction militaire élevée au sein du

24 HVO à Mostar et il s'agissait de M. Zlatan Jelic.

25 Monsieur le Président, je vous demande de passer en audience à huis clos

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1 partiel pour le moment.

2 M. le Président (interprétation): Qu'il en soit fait ainsi.

3 (Audience à huis clos partiel à 9 heures 15.)

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23 (Audience publique à 9 heures 17.)

24 M. Meek (interprétation): Monsieur le Président, je voudrais vous demander

25 s'il y a quelque chose que j'ai fait personnellement ou que cette équipe

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1 de la défense a fait au cours de ce procès et qui vous a offensé d'une

2 manière quelconque. Je vous présente toutes mes excuses au nom de mon

3 équipe et je vous prie également, Monsieur le Président, Mesdames les

4 Juges, de ne pas en tenir compte lorsque vous prononcerez une décision au

5 sujet de M. Naletilic.

6 Monsieur le Président, c'est un honneur pour moi que de représenter M.

7 Naletilic. A mon avis, il s'agit là du plus grand honneur qui puisse être

8 fait à un avocat que de défendre une personne. Dans la pratique du droit,

9 il n'y a pas plus grand honneur que de se présenter au sein d'un Tribunal

10 et de représenter un citoyen qui est accusé par le Procureur. Ce n'est pas

11 souvent, et en effet c'est très rare, qu'un juriste ait la possibilité de

12 représenter un citoyen qui est accusé dans un Tribunal pénal.

13 Et comme je l'ai déjà dit, c'est un honneur pour moi que de représenter

14 une personne accusée par un gouvernement. Dans le cas, en l'espèce,

15 Monsieur le Président, l'accusation, par analogie et à toutes fins utiles,

16 se trouve à la même place que le gouvernement.

17 L'accusation dans ce Tribunal, à l'instar des autres gouvernements, des

18 autres accusations représentant les gouvernements dans le monde, jouit

19 d'une autorité. L'accusation dispose de nombreux moyens pour accomplir les

20 fins qu'elle vise.

21 Derrière la scène, il y a une foule de personnes qui aident l'accusation:

22 il y a des enquêteurs, des interprètes, des traducteurs, des experts, des

23 analystes et les ressources financières pour les aider.

24 Malheureusement, Monsieur le Président, ce que vous voyez ici est en fait

25 ce que vous recevez de la défense. Nous disposons d'un enquêteur à mi-

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1 temps en Bosnie-Herzégovine, toutefois nous ne disposons pas des

2 ressources qui ont été mises à la disposition de l'accusation.

3 Heureusement, le concept d'égalité des armes est sacré au sein de ce

4 Tribunal et ce concept s'applique également aux théories de la présomption

5 d'innocence et le fait qu'il faille apporter la preuve au-delà de tout

6 doute raisonnable.

7 Si l'accusé ne doit pas ni n'est tenu de prouver son innocence, du point

8 de vue d'un juriste américain, je dois avouer qu'il me semble parfois que

9 tel n'est pas le cas. Ainsi, en guise d'exemple, lorsqu'on regarde le

10 libellé du Statut du TPI, qui a été adopté le 25 mai 1993, et tel qu'il a

11 été amendé le 13 mai 1998, il précise: "Ayant été établi par le Conseil de

12 sécurité, en application du chapitre 7 de la Charte de l'organisation des

13 Nations Unies, le Tribunal international chargé de poursuivre les

14 personnes présumées responsables de violation grave du droit international

15 humanitaire, commise sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991.".

16 En lisant simplement ce libellé, il me semble que les citoyens qui sont

17 accusés devant ce Tribunal ont déjà été jugés au préalable puisque le

18 libellé dit qu'il s'agit de "personnes responsables de violations graves".

19 Pourquoi le Statut ne se réfère-t-il pas à ces personnes en disant qu'il

20 s'agit de personnes présumées responsables?

21 En outre, Monsieur le Président, l'Article 1 précise que le Tribunal

22 international est habilité à poursuivre les personnes présumées

23 responsables de violations graves du droit international humanitaire

24 commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991.

25 Une fois de plus, Monsieur le Président, le libellé semble supposer un

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1 pré-jugement de toute personne qui se présenterait devant ce Tribunal.

2 Il y a d'autres exemples que l'on peut trouver au niveau du Règlement de

3 procédure et de preuve. Et le simple fait que ce Tribunal soit considéré

4 par certains observateurs comme étant d'une nature politique, et non pas

5 un organe juridique sérieux. D'aucuns pourraient dire que ce Tribunal

6 n'est rien de plus qu'une tentative pour essayer de supprimer la

7 culpabilité collective des Etats-Unis d'Amérique, de l'Europe, de la

8 Grande-Bretagne et du monde occidental pour ne pas avoir mis un terme à la

9 tragédie qui s'est déroulée sur le territoire de l'ex-Yougoslavie au

10 moment où l'Occident était en mesure de faire quelque chose.

11 En tant que tel, le Tribunal est souvent considéré comme une institution

12 politique dotée d'une arme, à savoir l'accusation qui jouit d'un pouvoir

13 énorme alors que l'institution elle-même adopte une attitude "nous devons

14 condamner".

15 Un commentateur, à savoir M. Robert Hayden -professeur d'anthropologie et

16 du droit à l'université de Pittsburg et directeur du centre des études de

17 l'Europe de l'Est et de la langue russe- dans un article qu'il a publié

18 dans un journal intitulé "Cleveland state law", a fait remarquer que le

19 Tribunal rend une justice qui est biaisée, dont les décisions se fondent

20 sur les caractéristiques nationales de l'accusé plutôt que sur les

21 éléments de preuve disponibles permettant d'étayer les faits qui sont

22 reprochés à cette personne.

23 En effet, on peut dire que M. Naletilic ne serait pas devant ce Tribunal

24 au cours de ces deux dernières années si la République de Croatie et tous

25 ceux qui sont en mesure de se prononcer, de dire qu'il était nécessaire de

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1 l'envoyer devant ce Tribunal afin de sauver d'autres personnalités

2 beaucoup plus importantes au niveau politique, civil ou militaire.

3 M. Hayden continue à dire dans son article et estime qu'il y a une

4 attitude qui prévaut au sein de ce Tribunal, à savoir que nous devons

5 condamner, que nous devons montrer l'exemple, et cet exemple a trait à

6 l'affaire Kupreskic.

7 Je demande à la Chambre de première instance de bien vouloir consulter

8 cette affaire qui revient sur cette notion. Dans cette affaire, la Chambre

9 d'appel a eu la sagesse et le courage, l'indépendance et l'intégrité

10 judiciaire de corriger un jugement qui était erroné.

11 Il s'agissait d'un arrêt qui a été prononcé par la Chambre d'appel: trois

12 des accusés ont été libérés au niveau de l'appel lorsque la Chambre

13 d'appel a constaté qu'aucun Tribunal jugeant des faits ne pouvait conclure

14 au-delà de tout doute raisonnable en se fondant sur les éléments de preuve

15 avancés.

16 Par ailleurs, Monsieur le Président, dans ce cas, la Chambre de première

17 instance avait constaté une culpabilité alors que l'accusé n'avait jamais

18 été informé qu'il serait inculpé de ce chef.

19 Toutefois, à la fin, la justice a été rendue et la communauté

20 internationale a été informée. Et je tiens à préciser que la mémoire des

21 victimes a également été rétablie. Ainsi les victimes de la tragédie qui

22 s'est déroulée sur le territoire de l'ex-Yougoslavie a été réparée (sic).

23 Des hommes innocents n'ont pas été condamnés à tort.

24 Nous pensons qu'il faut avoir un Tribunal indépendant et consciencieux qui

25 puisse se prononcer à ce niveau et statuer pour répondre aux cris qui sont

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1 lancés par une communauté internationale. La justice oui, mais à quel

2 prix?

3 M. Eden continue en disant que les décisions judiciaires rendues par le

4 Tribunal pénal international font qu'il est extrêmement difficile, voire

5 impossible pour un accusé, d'obtenir un procès équitable alors que le

6 Tribunal a fait preuve d'un manque d'intérêt pour examiner le comportement

7 qui est mis en cause.

8 Pourquoi les activités du Tribunal qui enfreignent l'équité fondamentale

9 ne sont pas à ce moment-là défendues par ceux qui défendent les Droits de

10 l'homme? L'auteur de cet article, Eden, précise que la politisation du

11 Bureau du Procureur du Tribunal constitue un problème étant donné la

12 déférence dont les Juges du Tribunal font preuve.

13 Monsieur le Président, lorsqu'on examine les objectifs fondamentaux du

14 Tribunal pénal, une question peut être posée: combien de personnes sont

15 réellement présumées innocentes lorsqu'il s'agit de parler de dirigeants

16 tels que Goering ou Milosevic? Pourquoi donner à de tels criminels un

17 forum, pourquoi dépenser de l'argent et du temps à entendre leurs

18 histoires?

19 On peut dire que si un procès est digne de ce nom, il faut qu'il soit fait

20 dans le principe de la justice avec des principes qui soient respectés de

21 manière rigoureuse.

22 Dans le même esprit, on comprend bien que les tribunaux doivent prouver

23 qu'ils sont guidés par le respect du droit et non pas par leur passion,

24 par la politique quelle que soit sa nature.

25 Le Juge Robert Jackson de la Cour suprême des Etats-Unis qui est l'un des

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1 architectes des tribunaux de Nuremberg a prononcé un discours en avril

2 1945 au sujet du problème très difficile de ce qu'il convenait de faire

3 des dirigeants nazis lorsqu'ils seraient capturés, s'ils l'étaient. Et il

4 a déclaré qu'une décision politique et militaire pouvait être prise

5 tendant tout simplement à les exécuter sur la base d'un certain nombre de

6 considérations pratiques et politiques.

7 Cependant le Juge Jackson a ensuite évoqué la solution alternative, à

8 savoir -et je cite ce qu'il a dit-: "Si ce que l'on recherche, ce sont des

9 procès qui se déroulent en toute bonne foi, à ce moment-là, c'est autre

10 chose. L'expérience nous montre qu'il y a certaines choses que l'on ne

11 peut pas faire sous couvert du droit. Les tribunaux mènent des procès, ils

12 jugent des hommes et ils jugent aussi les tribunaux. On ne saurait faire

13 comparaître un homme en justice devant ce qui s'appelle un tribunal si

14 l'on n'est pas prêt à libérer cet homme s'il est prouvé qu'il n'est pas

15 coupable."

16 Cette citation est extraite d'un ouvrage intitulé "L'anatomie des procès

17 de Nuremberg" par Telford Taylor publié en 1992 chez à Albert A. Knopf à

18 New York.

19 Ce que le Juge Jackson observait, c'est qu'un Tribunal ne peut pas être

20 utilisé pour simplement prononcer des condamnations. Ceci pourra être fait

21 par le biais de solutions politiques, nous le savons tous.

22 Un Tribunal doit être prêt à prononcer un acquittement car toute personne

23 sur qui repose des accusations de crime de guerre n'est pas forcément

24 coupable.

25 L'histoire jugera ce Tribunal selon la manière dont le Tribunal aura jugé

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1 les accusés qui comparaissent devant lui. Et au bout du compte, le

2 Tribunal sera jugé sur la base de l'équité manifestée dans le cadre de

3 l'administration de la justice et dans la manière dont sont traités les

4 accusés avant, après et pendant les procès.

5 Je dois avouer que les 14 mois qui viennent de s'écouler ont été des mois

6 difficiles pour moi étant donné que je viens d'un pays qui est riche d'une

7 histoire courte mais énergique, disons, de surveillance du processus

8 judiciaire afin de faire en sorte que toute personne accusée par le

9 gouvernement bénéficie de la justice et ne soit reconnue coupable que si

10 elle est prouvée au-delà de tout doute raisonnable.

11 Il existe des droits fondamentaux garantissant à cette personne de

12 bénéficier d'un procès équitable: le droit pour l'accusé de confronter les

13 personnes qui l'accusent, le droit d'avoir connaissance de la nature des

14 charges qui pèsent contre l'accusé et le droit de ne pas se voir condamner

15 sur la base d'éléments de preuve qui ne sont pas convaincants au-delà de

16 tout doute raisonnable.

17 Cette période passée, je l'ai trouvée difficile car j'ai dû entendre des

18 éléments de preuve par ouï-dire absolument inacceptables, et être acceptés

19 contre mon client, aussi bien par le biais de témoins qui sont venus dans

20 le prétoire que par le biais de documents.

21 Des documents ont été versés au dossier alors que ces documents n'avaient

22 aucune base digne de ce nom; ce n'étaient pas des documents authentiques:

23 la filière de conservation de ces documents n'avait pas été établie et ces

24 documents n'étaient pas fiables.

25 Venant du système d'où je viens, du système américain où toute une série

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1 de mesures est mise en place pour garantir les droits de l'accusé, c'est

2 ce sentiment que j'ai ressenti venant de ce système de common law.

3 Je comprends bien que ce type d'éléments de preuve très fragiles soient

4 acceptés au terme du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal et je

5 sais bien que même si ces documents sont versés au dossier cela ne

6 signifie pas pour autant que la Chambre de première instance va leur

7 accorder une importance quelle qu'elle soit. Je le sais bien.

8 Cependant, pour moi, je trouve qu'il est toujours injuste, ce système.

9 Dans le cadre d'une procédure criminelle lorsque c'est la liberté d'un

10 homme qui est en jeu -car la liberté c'est l'air que nous respirons- et

11 lorsque nous l'acceptons, lorsque nous ne posons plus de question, lorsque

12 nous pensons que c'est tout naturel, c'est à ce moment-là que nous nous

13 rendons compte que nous n'en disposons plus.

14 Si l'objectif ultime du présent procès c'étaient des compensations

15 monétaires, alors on pourrait dire que fondamentalement la procédure, qui

16 a été appliquée ici, était juste. Cependant, je pense qu'il est juste

17 d'exiger des éléments de preuve plus crédibles que ceux qui ont été

18 présentés de manière régulière par l'accusation et qui ont été acceptés et

19 versés au dossier par la Chambre de première instance de ce Tribunal.

20 Un exemple frappant de cela: on l'a vu hier, lors du réquisitoire de M.

21 Scott. Il a dit qu'il allait revenir sur six témoins de l'accusation très

22 importants pour donner à la Chambre une idée générale de cette affaire.

23 Nous avons attendu avec impatience que ces six témoins aussi capitaux nous

24 soient rapportés, nous soient rappelés.

25 Il est apparu, en fait, qu'il n'y en avait que deux, dont un seul pouvait

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1 être… deux seulement pouvaient être qualifiés de témoins sur les faits: il

2 s'agissait du témoin O et du Mufti. Trois autres témoins, c'étaient des

3 témoins qui avaient obtenu les informations qu'ils ont communiquées sur la

4 base d'autres sources. Le témoin LL, c'était un officier espagnol. Van den

5 Grinten, c'était un officier néerlandais de l'ECMM, et Matin Garrod, quant

6 à lui, était un officier britannique.

7 Ces témoins militaires ont comparu devant le Tribunal et ont déposé au

8 sujet d'événements dont ils n'ont pas été eux-mêmes les témoins oculaires.

9 Leurs dépositions reposaient sur des rapports qu'ils avaient établis à

10 partir de rapports qui avaient été établis sur le terrain. Et ces rapports

11 établis sur le terrain reposaient sur des informations communiquées par

12 des informateurs que l'accusé ne connaît pas, que sans doute les témoins

13 ne connaissaient pas eux-mêmes.

14 La plupart des rapports au sujet desquels ils ont déposé, sur la base

15 desquels ils ont déposé donc, c'étaient des rapports dit C2. Vous vous

16 souviendrez que cette qualification de C2 s'appliquait aux documents les

17 moins fiables qui puissent se trouver dans la classification des rapports.

18 C'est le témoin JJ qui nous l'a dit, un officier des renseignements

19 militaires, ou pour reprendre le terme vernaculaire "un espion", parce

20 qu'en fait c'est tout simplement ce qu'il était.

21 La déposition, le témoignage indiqué par mon éminent confrère M. Scott qui

22 reposait sur ces trois témoins, et les déclarations qu'ils nous ont

23 faites, on peut dire que cela se résumait à des conversations qui se sont

24 tenues lors de dîners ou lors de cocktails. Ceci est particulièrement vrai

25 pour ce qui est du témoin LL qui dans sa déposition nous a simplement fait

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1 part de spéculations découlant d'une très brève rencontre avec M.

2 Naletilic. Ainsi que sur le document P325 dans lequel on peut lire que les

3 informations qu'il contient découlent d'informations, de renseignements

4 reçus. C'est ce qu'on peut lire dans le rapport.

5 Il faut se poser la question suivante: d'où venait cette information? Qui

6 l'a communiquée? La déposition de Van den Grinten, elle aussi, reposait

7 -c'est du moins ce que le Procureur voudrait que vous croyiez- sur P484,

8 une réunion avec M. Puljic.

9 Si vous examiniez la pièce P484 avec un petit peu d'attention, vous

10 constateriez que M. Puljic avait déclaré… ou plutôt, je me reprends M. Van

11 den Grinten avait déclaré que M. Puljic -je cite-: "Semblait être plus

12 sympathique que ses collègues du HVO". Et apparemment, Van den Grinten et

13 ceux qui travaillaient sous ces ordres ont déclaré -je cite-: "Nous

14 pensons, nous pensons qu'il nous a dit la vérité."

15 Je me demande ce que cela signifie "nous pensons qu'il nous a dit la

16 vérité". Est-ce que cela veut dire qu'il aurait pu dire la vérité, qu'il a

17 peut-être dit la vérité? Est-ce que cela veut dire qu'éventuellement,

18 peut-être, il aurait dit la vérité? En tout cas, cela ne veut pas dire

19 qu'il ait dit la vérité et que cela soit au-delà de tout doute

20 raisonnable.

21 Or, cependant, tous les jours, toutes les semaines, nous avons entendu des

22 témoignages de ce genre avec pour objectif de prononcer la culpabilité de

23 M. Naletilic.

24 S'agissant de la déposition de M. Martin Garrod, que le Procureur met en

25 exergue, cette déposition repose sur un déjeuner qu'il affirme avoir

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1 partagé avec M. Naletilic chez le témoin NH.

2 Vous vous souviendrez, le témoin NH a déposé en disant que si Garrod et

3 Naletilic étaient effectivement venus déjeuner chez lui, jamais ils

4 n'avaient déjeuné ensemble chez lui. De plus, NH a également fait part à

5 la Chambre de première instance de son observation selon laquelle Martin

6 Garrod, que le témoin NH voyait fréquemment, aimait bien boire un petit

7 coup et que c'était très sympathique de s'entretenir avec lui.

8 Le mufti quant à lui, qui n'était pas enclin aux joies de l'alcool, ne

9 peut pas être considéré comme quelqu'un de partial, et, si la Chambre se

10 souvient, il n'a pas été en mesure de dire la vérité au sujet de drapeaux

11 islamiques que l'on a vus dans une vidéo réalisée à l'occasion de la

12 célébration de la 44e Brigade de chasseurs musulmans, le 4e Corps de

13 l'armée de Bosnie-Herzégovine. Il s'agit d'une des organisations

14 fondamentales, une des principales organisations militaires islamiques en

15 Bosnie-Herzégovine.

16 Pour présenter les choses de la manière la plus courtoise qui puisse être,

17 on peut dire que même la Juge Clark a été un peu déçue par la réponse du

18 mufti s'agissant du drapeau islamique. On peut se demander quels sont les

19 autres éléments de la déposition du mufti qui ne sont pas conformes à la

20 réalité, qui ont été déformés par ce témoin.

21 Parallèlement, le témoin O, c'est l'un des deux seuls témoins à charge qui

22 ait été en mesure de dire que M. Naletilic avait été vu avec Mate Boban.

23 Or, l'accusation ne cesse de nous dire que c'étaient des associés qui

24 étaient extrêmement proches et que Naletilic exécutait les ordres de

25 Boban. Le seul autre témoin qui ait apporté des informations au sujet de

Page 16679

1 contacts avec Boban et Naletilic, on ne le mentionnera même pas ici car la

2 déposition de cette femme a été complètement indigne de foi et elle a été

3 d'ailleurs réfutée par le Témoin NC qui se trouvait à l'hôtel Ero lors de

4 la célébration de la fête qui a été organisée à l'occasion de Pâques, à

5 Mostar, en 1993.

6 Enfin, le sixième témoin important qu'a évoqué M. Scott, ce n'était autre

7 que Franjo Tudjman. C'est un témoin qui, apparemment, est sorti de sa

8 tombe pour déposer devant ce Tribunal si imposant.

9 Moi, je vous pose une question, Monsieur le Président, Mesdames les Juges:

10 comment peut-on parler de procès équitable, de procès juste si l'accusé

11 doit se défendre face à des allégations, face à des témoignages qui sont

12 des témoignages par ouï-dire, l'accusé n'a absolument pas les moyens de

13 confronter la personne qui l'accuse, "le témoin" (entre guillemets)?

14 Or en l'espèce, l'accusation s'appuie à de très nombreuses reprises sur ce

15 qu'on a appelé les transcripts présidentiels pour prouver au-delà de tout

16 doute raisonnable qu'il y avait un conflit armé international dans la

17 région.

18 A ce stade de mon intervention, je voudrais revenir brièvement sur les

19 témoins véritablement importants de l'accusation en l'espèce. Ces témoins

20 importants, ce sont les deux voleurs, les deux meurtriers, ces deux

21 Allemands, Falk Simang et Ralph Mrachacz, ces deux menteurs. Il suffit

22 d'examiner les notes de bas de page du mémoire en clôture de l'accusation

23 pour s'apercevoir que l'accusation s'appuie, à de très nombreuses

24 reprises, sur la déposition de Falk Simang et, dans une moindre mesure,

25 sur celle de Ralph Mrachacz.

Page 16680

1 Il faut se souvenir que même ce qu'a dit Mrachacz, c'est que Mladen

2 Naletilic avait joué un rôle crucial pour que cet homme, ce meurtrier, cet

3 assassin se livre aux autorités allemandes quand il a appris ce que

4 Mrachacz avait fait; chose qu'il n'avait appris que bien longtemps après

5 les événements.

6 Dans son réquisitoire, hier, mon éminent confrère a imploré les Juges de

7 ne pas laisser la victoire aux accusés; il l'a répété à deux reprises.

8 Ensuite, mon éminent confrère vous a demandé de prononcer une déclaration

9 de culpabilité au titre de tous les chefs d'accusation: "Quelle que soit

10 votre décision, ne les laissez pas gagner".

11 Moi, je vous pose une question: qu'y a-t-il de déshonorant pour cette

12 Chambre de première instance, pour tout Tribunal légitime, à prononcer un

13 jugement de non coupable, si après étude des faits et étude du droit, le

14 Tribunal constate que l'accusation n'a pas prouvé sa thèse au-delà de tout

15 doute raisonnable. Veuillez, s'il vous plaît, me dire ce qu'il y a

16 d'inacceptable à cela.

17 Un doute raisonnable, c'est un véritable doute qui repose sur la raison,

18 sur le bon sens après une étude approfondie et impartiale de tous les

19 éléments qui constituent l'affaire. Cela ne saurait reposer sur la pitié,

20 sur la compassion, sur l'empathie comme semble vous le demander mon

21 éminent confrère à la fin de son réquisitoire.

22 La preuve au-delà de tout doute raisonnable, c'est une preuve qui est

23 tellement convaincante que sans hésitation, on est prêt à s'appuyer sur

24 ces preuves dans ce qu'il y a de plus important. Nous prenons des

25 décisions tous les jours et constamment au cours de notre existence. Nous

Page 16681

1 achetons des maisons, des automobiles, nous prenons des décisions

2 relatives à notre travail. Mais est-ce que nous hésiterions si Falk Simang

3 ou Ralph Mrachacz essayait de nous vendre une voiture d'occasion ou une

4 assurance sur la vie, par exemple? Est-ce que nous hésiterions? Et

5 justement la question cruciale, c'est celle-là: est-ce que nous

6 hésiterions?

7 Si les dépositions que vous avez entendues suscitent en vous quelque doute

8 que ce soit, à ce moment-là, on peut dire que ce doute raisonnable existe.

9 Je voudrais reprendre ici l'extrait d'un réquisitoire prononcé par un

10 avocat américain de la défense au pénal appelé Edward Benett Williams et

11 je pense que ce qu'il a dit s'applique particulièrement bien aux deux

12 témoins principaux de l'accusation.

13 Monsieur Williams a déclaré -je cite-: "Je voudrais simplement dire deux

14 choses pour finir. Vous savez, je crois que dans la vie, on peut acheter

15 et marchander n'importe quoi. On peut marchander, on peut acheter un

16 manoir, des villas, des oeuvres d'art sans prix. On peut marchander,

17 acheter des bijoux somptueux et tous les éléments luxueux qui se puissent

18 imaginer. Mais dieu merci, il y a des choses qu'on ne peut pas acheter, il

19 y a des choses qui ne se marchandent pas. On ne peut pas marchander ou

20 acheter la sagesse. Même chose pour la justice parce que, si on se livre à

21 ce genre de pratique, ce que l'on obtient c'est l'injustice. On ne peut

22 pas acheter ou marchander l'amour parce que si, dans le cas contraire, ce

23 n'est pas l'amour qu'on obtient et on ne marchande pas la vérité parce que

24 ce n'est pas la vérité qu'on obtient."

25 C'est une déposition sur laquelle repose le lourd doute, la suspicion. On

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1 peut acheter, on peut marchander des témoignages, et c'est ce que le

2 gouvernement a fait en l'espèce. C'est pourquoi leur cause se présente de

3 la manière dont elle se présente actuellement.

4 L'affaire que nous jugeons s'intitule "les Etats-Unis contre l'accusé".

5 Cette affaire, c'est l'affaire de "l'accusation contre M. Naletilic". Mais

6 je vais vous dire une chose, les Etats-Unis gagneront cette affaire. Un

7 jour dans un Tribunal en Angleterre, le plus vieux tribunal d'Angleterre,

8 j'ai vu les mots suivants: "Dans ce haut lieu de la justice, la Couronne

9 ne perd jamais, car lorsque la liberté d'un Anglais est garantie contre

10 les faux témoignages c'est la Couronne qui gagne."

11 Après avoir sillonné pendant plus de 22 ans les Etats-Unis, avoir plaidé

12 dans des tribunaux partout aux Etats-Unis et après plus d'un an ici à La

13 Haye, je peux vous dire que l'accusation ne perd jamais, car lorsque la

14 liberté et la réputation d'un homme accusé sont préservées contre les faux

15 témoignages, contre les faux témoins, c'est l'accusation qui gagne. La

16 justice gagne contre le faux témoignage.

17 Mon père était un juriste. Il a été juge pendant 16 ans. Mon grand-père

18 aussi était un juriste, un avocat, ainsi que le frère de mon père, ainsi

19 que la sœur de mon père. Et mon père, quand j'étais enfant, m'a dit la

20 chose suivante, il m'a dit: "Chris, c'est facile d'être du côté de

21 l'accusation parce que l'accusation ne perd jamais". Je lui ai dit: "Mais

22 qu'est-ce que tu veux dire par là?". Il m'a dit: "L'accusation, le

23 Procureur ne perd jamais. Il plaide dans une affaire, il obtient une

24 accusation et là il a gagné. S'il plaide dans une affaire, si on prononce

25 un jugement de non-culpabilité, à ce moment-là les intérêts de la justice

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1 ont été garanties et à ce moment-là il a aussi gagné."

2 Ayant été aussi bien avocat de la défense que Procureur, moi j'affirme que

3 la tâche du Procureur est beaucoup plus facile que celle de l'avocat de la

4 défense. La défense souhaiterait demander instamment à la Chambre de

5 première instance d'ignorer et de ne donner aucune importance à de tels

6 éléments de preuve d'une telle insuffisance, et ceci au nom de la justice

7 internationale et en mémoire des victimes des guerres atroces qui ont fait

8 rage dans l'ex-Yougoslavie. Car il serait très regrettable que quelqu'un

9 soit déclaré coupable de tels crimes de guerre sur la base d'éléments de

10 preuve qui ne sont pas crédibles et pour lesquels ne s'applique pas le

11 principe "au-delà de tout doute raisonnable".

12 Au nom des victimes et au nom de la communauté internationale, la défense,

13 avec tout le respect qu'elle doit à la Chambre, affirme que c'est au nom

14 des victimes, au nom de la communauté internationale, que la Chambre de

15 première instance doit garantir à ces accusés un procès équitable dans

16 tous ces aspects. Et les victimes et la communauté internationale ne

17 demandent d'ailleurs rien de moins.

18 Veuillez, s'il vous plaît, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, dans

19 le cadre de vos délibérations, réfléchir à l'avenir de mon client, M.

20 Naletilic. Que ressentiriez-vous vous-même si vous étiez l'accusé, ou bien

21 si l'un de vos proches, si l'un de vos amis était dans le box des accusés?

22 Posez-vous la question: qu'est-ce que cela me ferait si j'étais mis en

23 accusation et si l'accusation présentait contre moi des éléments de preuve

24 par ouï-dire qui reposent sur des racontars, des rumeurs, sur des

25 documents dont on ignore d'où ils viennent, des documents qui n'ont pas

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1 été authentifiés?

2 Essayez, s'il vous plaît, de vous mettre à la place de M. Naletilic lors

3 de vos délibérations.

4 Mais où M. Meek veut-il en venir? C'est sans doute la question que vous

5 vous posez. Eh bien, simplement je souhaite vous dire que c'est

6 probablement la phase la plus importante du procès qui est en train de

7 s'ouvrir, la phase des délibérés lorsque vous examinerez les faits, que

8 vous appliquerez le droit, et lorsque vous n'accorderez pas une importance

9 seulement superficielle -j'insiste sur ce point- aux droits fondamentaux

10 de l'accusé, à la présomption d'innocence, sachant bien évidemment aussi

11 que l'accusé n'a rien à prouver, qu'il a le droit de garder le silence.

12 Il faudra également que vous fassiez en sorte que le Procureur ait bien la

13 charge de la preuve et que vous vous souveniez qu'il appartient au

14 Procureur de prouver, au-delà de tout doute raisonnable, chacun des

15 éléments constitutifs des crimes reprochés aux accusés.

16 Si vous pouvez le faire sur la base d'éléments de preuve crédibles et non

17 pas sur la base d'éléments de preuve reposant sur ce que les témoins ont

18 entendu ou bien sur ce qu'ils savaient… le savaient parce que c'étaient

19 des informations de notoriété publique sur des documents qui reposaient

20 sur l'ouï-dire, la rumeur, la spéculation, les insinuations, en

21 l'occurrence des documents qui viennent pour l'essentiel de l'organisation

22 A.I.D., de l'armée de Bosnie-Herzégovine et des victimes qui veulent que

23 quelqu'un, n'importe qui, paie le prix de leurs souffrances.

24 Si vous y parvenez, à ce moment-là nous avançons qu'au bout du compte,

25 vous pourrez arriver à la conclusion, en toute conscience, que

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1 l'accusation n'a pas assumé la charge de la preuve qui est la sienne,

2 qu'il existe des doutes raisonnables qui planent sur la culpabilité de

3 l'accusé et, dans ces conditions, vous prononcerez un verdict d'innocence,

4 s'agissant des charges qui reposent sur l'accusé.

5 La charge de la preuve dans les affaires au pénal et ici au Tribunal pénal

6 international repose sur l'accusation, au-delà de tout doute raisonnable,

7 suite à l'examen des faits, aux éléments de preuve présentés, aux

8 circonstances de l'affaire; preuve au-delà de tout doute raisonnable que

9 l'accusé est coupable des crimes qui lui sont reprochés.

10 Puisque l'accusé dans une affaire pénale est présumé innocent jusqu'à

11 preuve du contraire, le Procureur doit prouver, au-delà de tout doute

12 raisonnable, tous faits nécessaires afin de constater que les crimes qui

13 ont été commis… ont été commis et que c'est l'accusé qui les a commis.

14 La preuve, au-delà de tout doute raisonnable, exclut toute hypothèse

15 raisonnable sauf celle de la culpabilité de l'accusé. La preuve… La charge

16 de la preuve de chaque élément matériel du crime repose toujours sur le

17 Procureur et jamais sur l'accusé.

18 Il est essentiel… Un point essentiel de la loi pénale stipule que le

19 Procureur doit prouver l'affaire dressée dans l'Acte d'accusation dans

20 toutes les parties matérielles, au-delà de tout doute raisonnable, et que

21 les juges, dans leur analyse des moyens de preuve, doivent être convaincus

22 que tous les éléments du crime ont été constatés à un tel niveau de

23 fiabilité.

24 Le raisonnement derrière cette règle est qu'il est important de réduire le

25 risque qu'une personne innocente soit condamnée et que le procès soit

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1 équitable en respectant les égalités des armes a été respecté. Comme il a

2 déjà été dit, il vaut mieux acquitter neuf personnes coupables plutôt que

3 de condamner une personne innocente. C'est pourquoi le Procureur doit

4 prouver tous les éléments des crimes allégués, et, avant la condamnation,

5 tout élément doit être prouvé au-delà de tout doute raisonnable.

6 A la fin, lorsque les Juges auront évalué de manière attentive tous les

7 éléments de preuve, tous les témoignages que nous avons entendus dans ce

8 prétoire et tous les documents versés au dossier, je vous demanderais de

9 rendre un jugement qui sera conforme à la victoire de mon client et de la

10 justice internationale à l'encombre des faux témoignages, un jugement qui

11 l'acquittera.

12 Si M. Naletilic, comme le Procureur le dit, a été un militaire ou un

13 supérieur militaire ou civil de haut rang, un membre du HVO de haut rang,

14 pourquoi il n'a jamais assisté à aucune réunion des officiels de haut rang

15 du HVO ou de la HZ-HB? Pourquoi, par exemple, M. Naletilic dont on dit

16 qu'il était le supérieur de Martinovic, n'a jamais reçu un exemplaire de

17 P562.2?

18 Si vous vous penchez sur ce document de l'accusation, Monsieur le

19 Président, Mesdames les Juges, de même que les autres documents qui sont

20 semblables à la pièce à conviction 562.2, ce document en effet était un

21 rapport concernant M. Martinovic et ses prétendus délits.

22 Ce document était envoyé à M. Jelic et la défense affirme qu'il y avait de

23 bonnes raisons pour cela parce que les informations contenues dans ce

24 rapport portaient sur le supérieur réel de M. Martinovic qui n'était pas

25 M. Naletilic. Il s'agit là d'un des exemples des documents qui parlent des

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1 délits prétendument commis par M. Martinovic, mais ce genre de document

2 n'a jamais été envoyé à M. Naletilic.

3 A notre avis, ce serait illogique, mal conçu et presque absurde de dire

4 que M. Naletilic était le supérieur hiérarchique de M. Martinovic sans

5 jamais avoir reçu des rapports concernant les infractions commises

6 prétendument par M. Martinovic dans la ville de Mostar.

7 Pour terminer, je souhaite poser une question à la Chambre, je demanderais

8 à la Chambre de se pencher sur une autre question: si Mladen Naletilic est

9 la personne décrite réellement par le Procureur, pourquoi n'a-t-il pas été

10 accusé de crimes de guerre commis lors du conflit contre les Serbes en

11 1992 à l'époque pendant laquelle il était réellement au commandement du

12 Bataillon disciplinaire? Il n'y avait pas de Serbes qui vivaient à la fin

13 de l'année 1993.

14 S'il était réellement, cette personne-là, pourquoi n'était-il pas présent

15 aux réunions des hauts responsables du HVO et de la HZ-HB?

16 S'il était réellement la personne décrite par le Procureur, pourquoi

17 n'était-il jamais présent à des réunions avec Franjo Tudjman -le

18 Procureur-, un témoin qui est revenu de sa tombe afin de déposer contre M.

19 Naletilic?

20 S'il était réellement la personne décrite par le Procureur, pourquoi

21 n'avons-nous pas de documents émanant de Mate Boban et adressés à cette

22 personne?

23 S'il était réellement cette personne, pourquoi n'était-il même pas membre

24 du HDZ?

25 S'il était réellement cette personne, pourquoi n'avons-nous pas de

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1 documents émanant de Tudjman adressés à lui?

2 S'il était réellement cette personne, pourquoi y a-t-il un tel nombre de

3 documents signés par Ivan Andabak et non pas signés par Ivan Andabak au

4 nom de Mladen Naletilic, mais simplement signés Ivan Andabak?

5 Pourquoi n'a-t-on pas reçu de moyens de preuve indiquant que M. Naletilic

6 aurait permis ou autorisé Ivan Andabak, le commandant du Bataillon

7 disciplinaire en 1993, de signer à sa place?

8 Nous affirmons que M. Naletilic n'a jamais émis une telle autorisation

9 puisqu'il n'a jamais eu les pouvoirs lui permettant d'émettre une telle

10 autorisation, il n'était même pas au courant du fait que M. Andabak

11 signait des documents qui portaient toujours le tampon ou la mention

12 dactylographiée "Mladen Naletilic, commandant du Bataillon disciplinaire".

13 Ces documents, du point de vue de la défense, émanent de l'année 1992 et

14 de la période du conflit contre les Serbes.

15 Si M. Naletilic était réellement la personne décrite par le Procureur,

16 pourquoi y a-t-il tellement d'ordres et de rapports émanant de M. Ivan

17 Andabak en tant que commandant du Bataillon disciplinaire?

18 Les moyens de preuve indiquent clairement qu'après que M. Naletilic se

19 soit retiré à cause du mauvais état de sa santé, à l'automne 1992, un

20 grand nombre de personnes ont continué à s'adresser à lui en disant

21 "Général" ou "Commandant".

22 Et bien alors? Mon père était juge et, même après sa retraite, nous

23 l'appelions tous "Juge", même après sa retraite. Aux Etats-Unis, j'ai des

24 amis qui sont des sénateurs à la retraite et je m'adresse toujours à eux

25 en disant "sénateur".

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1 Si quelqu'un s'adressait à M. Naletilic, après qu'il se soit retiré, en

2 disant "général", qu'est-ce que cela prouve? A notre avis, ceci n'a aucune

3 pertinence compte tenu des allégations avancées par le Procureur.

4 Et je vous assure, Monsieur le Président, Mesdames les Juges, si d'ici dix

5 ans je vous rencontre dans un aéroport, je vous dirai: "Comment allez-vous

6 Monsieur le Juge ou Madame le Juge?" Je ne saurai pas si vous êtes

7 toujours juge ou pas, et ceci ne veut pas dire nécessairement que vous

8 êtes toujours juge.

9 Les faits et les moyens de preuve n'ont tout simplement pas établi la

10 fondation de la culpabilité. Le Procureur a essayé d'imputer à M.

11 Naletilic la purification ethnique à Mostar et en Herzégovine en 1993,

12 mais du point de vue de la défense, ceci n'a jamais été le cas.

13 La défense demande que les Juges prononcent le seul jugement approprié, à

14 savoir le jugement de non-culpabilité.

15 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, ceci fut un véritable plaisir

16 de m'adresser à ce Tribunal et d'avoir représenté M. Naletilic.

17 Merci beaucoup.

18 M. le Président (interprétation): Nous allons faire une pause maintenant

19 et nous allons reprendre nos travaux après la pause à 11 heures moins le

20 quart.

21 (L'audience, suspendue à 10 heures 15, est reprise à 10 heures 47.)

22 (Plaidoirie de la défense par Me Krsnik.)

23 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Krsnik, poursuivez.

24 M. Krsnik (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Je vais

25 commencer à présenter ma partie de la plaidoirie et je vais faire

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1 référence aux sujets qui ont été traités ou entamés plus tôt par mon

2 éminent confrère Me Meek.

3 C'est aussi pour moi une dernière occasion de m'adresser à vous, le moment

4 est donc venu, je vais m'adresser à vous en tant que Tribunal

5 international et mondial, et j'ai l'honneur de présenter, sublimer, devant

6 vous en bref, tout ce qui s'est passé dans ce prétoire au cours des

7 derniers 14 mois.

8 Au bout de ces 14 mois de débat et si l'on tient compte également de la

9 période du temps consacré à la prise des dépositions, à la fin de ces

10 débats ardus et difficiles, la défense a compris un certain nombre de

11 choses et tiré un grand nombre de conclusions.

12 Tout d'abord, nous sommes devenus conscients de la chose suivante: là je

13 vais immédiatement aborder le sujet de mon client, il ne faut pas attendre

14 parce que je prends note des suggestions faites plusieurs fois par le

15 Président qui me disait que les parties les plus intéressantes de mes

16 interventions venaient toujours à la fin; là je vais changer d'approche et

17 je ne dirai rien de ce que j'avais l'intention de faire d'après notre

18 mémoire final.

19 J'avais préparé un certain nombre de documents, mais je vais seulement me

20 pencher sur un petit nombre de documents et je vais traiter normalement

21 les documents qui ont été mentionnés par le Procureur hier.

22 La défense est donc devenue consciente d'un grand nombre de choses. Tout

23 d'abord, que le nom de mon client, M. Mladen Naletilic, a fait objet des

24 abus et que compte tenu d'un concours de circonstances, se fondant sur

25 toute sorte de choses, sauf sur sa responsabilité pénale, il n'aurait

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1 jamais dû trouver sa place ici dans ce prétoire. C'est la lumière au bout

2 du tunnel que j'ai vue hier.

3 Je regrette presque qu'on touche à la fin parce que je sais qu'il y a un

4 grand nombre de témoins supplémentaires qu'on aurait pu citer à la barre,

5 un grand nombre d'autres vérités qu'on aurait pu établir si nous avions pu

6 le faire.

7 A cause de qui, de quoi? A cause de la justice mondiale qui existe pour la

8 première fois en jouant de la part de la défense le rôle d'un don

9 Quichotte (en français). La défense jouera le rôle de don Quichotte afin

10 d'essayer de prouver toujours la vérité et établir toujours la justice.

11 Pourquoi? A cause de la justice.

12 Et maintenant, à la fin de ces débats au moment où je dois faire un résumé

13 de l'ensemble du procès, je vais éviter de répéter ce que j'ai déjà dit

14 lors du procès et de la duplique. Nous sommes conscients de l'Acte

15 d'accusation. L'Acte d'accusation est sans aucun doute le résultat de

16 l'approche unilatérale du Procureur à l'égard des événements qui se sont

17 déroulés au cours de l'année 1993 ou plus précisément, entre avril 1993 et

18 mai 1994.

19 Me Meek me disait des choses pendant l'ensemble de cette procédure, me

20 stimulait parce que tous les jours en sortant de ce prétoire je me lançais

21 dans une discussion avec lui. Je me disais "mais qu'est-ce qui nous attend

22 alors si une personne, un confrère aussi qualifié émanant d'un Etat aussi

23 réputé, ne comprend pas des choses!"

24 Des choses qui sont des réalités de base pour nous, des réalités avec

25 lesquelles nous vivons au jour le jour sans jamais nous attendre à devoir

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1 en débattre dans un tel prétoire. Bien sûr, la discussion

2 s'approfondissait avec toujours plus de détails.

3 Mais pourquoi est-ce que je parle de cela? Pourquoi est-ce que je suis

4 préoccupé? Eh bien, parce qu'il n'y a pas que M. Meek qui soit venu dans

5 ce prétoire, qui soit venu de loin. Bien sûr que nous avons besoin

6 d'énormément de temps afin de comprendre les choses.

7 Moi, si j'étais juge ou procureur ou défenseur dans une affaire concernant

8 les événements qui se sont déroulés en Irlande, par exemple, combien de

9 temps me faudrait-il avant de comprendre?

10 Pourquoi est-ce que ceci m'a préoccupé et me préoccupe? Eh bien, ceci me

11 préoccupe parce j'ai compris la manière dont le Bureau du Procureur

12 fonctionnait.

13 Le Bureau du Procureur, d'après ce Statut, d'après le Statut de ce

14 Tribunal, se doit d'être objectif. Il ne peut pas se comporter de la

15 manière qui lui permettrait de présenter seulement les faits qui lui sont

16 favorables, la vérité qui lui est favorable, et peut-être la vérité qu'il

17 souhaite que les Juges entendent en tant que l'unique vérité.

18 Nous savons, et les faits le corroborent, que l'Acte d'accusation a été

19 dressé en 1998. Nous savons que le Bureau du Procureur se crée une image

20 de manière autonome ou bien peut-être avec l'A.I.D.e de quelqu'un et

21 qu'ensuite il essaie de trouver des éléments qui vont corroborer et

22 prouver cela.

23 Ceci me choque, non pas parce que je viens d'une procédure de la loi

24 civile conformément à la common law, parce que de ce point de vue-là, nous

25 avons les mêmes codes de conduite. Ce Tribunal n'est pas en dehors du

Page 16693

1 temps et de l'espace, il ne flotte pas au-dessus de notre planète quelque

2 part. Tout simplement, dans le cadre de la procédure devant ce Tribunal,

3 nous nous sommes inspirés plus de l'approche de la common law. Mais ce

4 Tribunal a pour but d'atteindre la justice mondiale en respectant tous les

5 principes juridiques et de civilisation, depuis l'ancienne Rome jusqu'à

6 nos jours. Or, les principes juridiques restent les mêmes jusqu'à nos

7 jours. Il nous faut trouver la vérité, et quelle que soit cette vérité,

8 baser le jugement sur elle.

9 Le Bureau du Procureur en créant une image de sa propre vérité, va donc

10 avoir une image, va dresser un Acte d'accusation, et ensuite va se lancer

11 dans une véritable course des moyens de preuve, parce qu'il faut trouver

12 des moyens de preuve, il faut prouver les choses, il faut trouver des

13 témoins.

14 Et s'il n'a pas suffisamment de moyens de preuve, le Bureau du Procureur,

15 qui a plus de moyens que quelque autre institution de ce genre dans

16 l'Histoire et qui n'est assujetti à aucun instrument de contrôle

17 -contrairement à toutes les juridictions nationales de tous les pays du

18 monde-, ledit contrôle de l'Acte d'accusation à un niveau plus élevé qui

19 surveille le Bureau du Procureur. Ensuite, le Bureau du Procureur dit:

20 "ceux-ci ne veulent pas collaborer avec moi, celui-là ne me donne pas

21 l'accès à de tels documents! Moi je me trouve face à des difficultés,

22 etc.".

23 Et puis, voyez-vous, nous sommes devenus conscients du fait, qu'au fond

24 tout le monde collabore avec le Bureau du Procureur. Le Bureau du

25 Procureur trouve son accès là où il le souhaite.

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1 Moi, au bout de 14 mois de travail avec mes deux collègues, après avoir

2 déployé des efforts inhumains dans ce travail, je ne pouvais pas être à la

3 fois assis ici et passer du temps dans les archives de Zagreb, encore

4 moins de Sarajevo, encore moins dans le Bureau du Président et encore

5 moins à Madrid où se trouvent les documents du Bataillon espagnol ou bien

6 les documents de l'ECMM.

7 Je n'ai pas suffisamment d'argent pour faire cela, je n'ai pas

8 suffisamment d'enquêteurs pour réaliser cela. Je n'ai pas reçu les fonds à

9 ce sujet, mais qui plus est, je ne peux pas entrer dans le Bureau du

10 Président.

11 J'ai reçu la lettre de la part du ministre de la Défense en ce qui

12 concerne l'armée de Bosnie-Herzégovine, et le ministre de la Défense me

13 dit que son adjoint à lui ne lui permet pas de m'autoriser l'accès aux

14 archives de l'armée de Bosnie-Herzégovine.

15 Nous avons reçu une autre lettre de cette même personne appartenant à la

16 composante bosniaque du ministère de la défense. Comme vous le savez, au

17 sein de la Fédération, il existe le ministère de la Fédération de l'entité

18 croato-musulmane au sein de la Bosnie-Herzégovine et si le ministre est

19 Croate, son adjoint doit être Bosniaque, et vice-versa.

20 Cette personne nous a dit qu'il avait consulté le Bureau du Procureur et

21 la réponse donnée était qu'il ne fallait pas faire cela. C'est le Bureau

22 du Procureur qui a affirmé cela. Ils ont dit qu'il fallait que je

23 m'adresse par le biais du Tribunal. Et en même temps, le Bureau du

24 Procureur a accès absolument partout.

25 En ce qui concerne donc les archives de l'armée de Bosnie-Herzégovine, je

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1 n'ai pas eu accès à cause d'un jeu politique. En ce qui concerne les

2 archives du HVO, je n'ai pas pu y accéder parce que je ne peux pas être à

3 deux endroits simultanément! D'ailleurs nous ne savons même pas quels sont

4 les documents qui y sont contenus et quel est leur nombre.

5 Le Procureur est tout à fait conscient de tout cela. Or, que fait-il?

6 Imaginez-vous sur une scène de théâtre lorsqu'il y a le brouillard sur la

7 scène et ensuite il y a une apparition derrière ce brouillard. A un moment

8 ensuite, on voit les contours de la personne qui se retire de nouveau.

9 C'est la même chose que le procédé du Procureur: il fait répandre le

10 brouillard et on se demande qu'est-ce qu'il y a derrière ce brouillard.

11 Hier, au cours de son réquisitoire, nous avons entendu quelles étaient ses

12 conclusions au bout de 14 mois de débats, et nous nous demandons "mais

13 est-ce vraiment tout? A-t-on touché à la fin?" Avec mon collègue, on se

14 disait "oui, on a certainement touché à la fin parce qu'il n'y a rien de

15 plus, on ne peut pas inventer des choses qui n'existent pas.

16 On ne peut pas inventer un document, par exemple -même si nous allons

17 traiter des documents un peu plus tard-, mais on ne peut pas inventer un

18 document indiquant que M. Naletilic serait un général.

19 Pourquoi? Eh bien, parce que nous avons constaté lors des débats qu'en ce

20 qui concerne les grades -et les grades, on a commencé à les attribuer au

21 sein du HVO à partir de 1994-, eh bien, il fallait les notifier de manière

22 publique par le biais d'une annonce dans la Gazette officielle; sinon les

23 grades n'étaient pas officialisés. Parce que si un tel texte existait,

24 bien sûr que le Bureau du Procureur l'aurait, parce que le Bureau du

25 Procureur est très heureux de pouvoir brandir des chartes, des documents,

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1 des diplômes de ce genre. Or, il ne l'a pas fait parce que ça n'existe

2 pas.

3 Pourquoi n'a-t-il jamais montré d'ordre prouvant que mon client était

4 commandant du Bataillon des condamnés? Nous avons tout un tas de documents

5 concernant les nominations d'untel à tel poste. Concernant mon client,

6 ceci n'existe pas. Or on dit "mais il l'était quand même".

7 Mais est-ce qu'il revient vraiment à la défense de présenter les faits

8 concernant la structure du HVO, la structure du MUP? Pourquoi le Procureur

9 ne l'a pas fait? Pourquoi le Procureur n'a pas dit "voilà, ça c'est la

10 chaîne du commandant. Voici le poste, la position de M. Naletilic dans

11 cette structure"?

12 Il ne l'a pas fait parce qu'il ne pouvait pas le faire et parce que,

13 typiquement, il a fait répandre le brouillard encore une fois, il a créé

14 un récit vague dans la tentative de produire un certain effet.

15 Mais il est quand même quelque part aux alentours de cette position et, si

16 ce n'est pas vraiment cette position-là, cela doit être proche de ceci "il

17 ne faut pas qu'il sorte d'ici en tant qu'homme libre. Condamnez-le, ne

18 serait-ce qu'à une petite peine. Parce que je ne peux pas me permettre de

19 perdre. Nous avons passé 14 mois ici, nous avons dépensé énormément

20 d'argent. Eh bien, si on le libère maintenant, peut-être que tout le monde

21 se dirait 'Mais qu'est-ce qui s'est passé? Quels étaient les arguments,

22 quelles étaient les preuves présentées devant ce Tribunal mondial?' Aucun

23 argument, aucune preuve réelle se fondant sur les faits réels."

24 Eh bien, si tel est le cas, jugeons la politique. Et on se lance dans des

25 récits et dans des débats politiques sans vraiment aucune preuve. Mais si

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1 ce Tribunal souhaitait une politique, les positions politiques, les

2 opinions politiques, les choses auraient été différentes. Mais je sais que

3 tel n'est pas votre but. Et après on se dit l'Histoire... Qu'est-ce qu'ils

4 souhaitent? Ils souhaitent que les Juges se penchent sur l'Histoire,

5 jugent l'Histoire.

6 Dans quel but? De changer des faits historiques, peut-être? Bien sûr que

7 non.

8 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, bien sûr que vous n'allez pas

9 juger l'Histoire. Et même si tel était le cas, il n'est pas possible de

10 changer l'Histoire par le biais des jugements. Ce sont les historiens qui

11 créent l'Histoire et non pas les tribunaux.

12 Pourquoi insiste-t-on tellement là-dessus? Pourquoi a-t-on dépensé

13 tellement de temps dans les débats sur les faits de base dans ce prétoire?

14 Je vais vous donner quelques exemples. Par exemple, l'affirmation selon

15 laquelle le gouvernement de la Bosnie-Herzégovine n'existait pas.

16 Souvenez-vous du temps que nous avons dépensé à ce sujet. Mais il suffit

17 d'ouvrir les accords de Dayton et de les lire pour voir qu'effectivement

18 il n'existe pas.

19 Dans ce cas-là, il est clair également que le Bureau du Procureur ne peut

20 pas écrire que la source d'un certain document est le gouvernement de la

21 Bosnie-Herzégovine. Or il le fait et il le fait de manière constante.

22 Pourquoi? Parce qu'il cache la source réelle, parce qu'il ne sait pas

23 comment la nommer, à savoir l'A.I.D.

24 En se fiant à votre sens de la justice et de la vérité, il serait juste de

25 faire en sorte que tous les documents intitulés comme émanant du

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1 gouvernement de la Bosnie-Herzégovine ne soient pas du tout pris en

2 considération par vous parce que le Bureau du Procureur ne pouvait pas

3 vous donner ce genre de documents, puisque cette source n'existe pas.

4 Nous avons dépensé tellement de temps, Monsieur le Président, Mesdames les

5 Juges, en essayant de montrer que la Bosnie… Et là encore c'est une

6 erreur, même si le Bureau du Procureur ne cesse de dire la Bosnie, puisque

7 la Bosnie n'a jamais existé en tant que telle. La Bosnie, c'est un Etat

8 qui a été créé et reconnu pour la première fois dans l'Histoire, dans ses

9 frontières externes et non pas de manière administrative et interne, en

10 1992. Et au moment de la reconnaissance de cet Etat, au moment même de

11 cette reconnaissance, il s'est éclaté.

12 Nous allons parler de cela un peu plus tard.

13 Je sais que vous allez lire tous les textes, tous les mémoires finaux, que

14 vous allez tout analyser -et je ne souhaite pas vous importuner dans cette

15 plaidoirie en répétant un certain nombre de faits, en lisant les documents

16 surtout, parce que nous avons devant nous un certain nombre de documents

17 de caractère extrêmement douteux- mais pour terminer en ce qui concerne

18 cet Etat: depuis le moment où il s'est démembré, il ne s'est jamais plus

19 reconstitué, cet Etat. Il s'agit d'un fait notoirement connu par tout le

20 monde, sauf par le Bureau du Procureur.

21 Pourquoi? Eh bien, j'ai fini par comprendre tout à fait pourquoi. En

22 raison du fait de l'existence d'une alliance, dont je vais parler de façon

23 plus approfondie pour expliquer son origine et expliquer pourquoi le

24 Bureau du Procureur fait allusion à cette alliance.

25 Hier, dans son réquisitoire, l'accusation a parlé du président de la

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1 Bosnie. Et jusqu'à la dernière minute, jusqu'à la dernière seconde, j'ai

2 cru qu'il allait pouvoir être objectif parce que le gouvernement

3 n'existait pas, parce que le président de la Bosnie n'existait pas, parce

4 qu'Alija Izetbegovic n'en était pas un; et j'espère que nous avons pu

5 établir ce fait connu, de notoriété publique.

6 Il y a eu effectivement des présidences, des postes étaient renouvelés

7 régulièrement; il y a eu des présidents de la présidence, il y a donc eu

8 une certaine structure -et il s'agissait du premier-, mais ils étaient

9 tous égaux entre eux dans l'exercice de leurs fonctions.

10 Par ailleurs, il ne fait aucun doute qu'il n'a pas exécuté des fonctions

11 officielles depuis 1992. Lors de son deuxième mandat, il a dû quitter ce

12 poste et il s'y est refusé.

13 Mais nous y reviendrons ultérieurement. Il s'agissait là simplement de

14 certains éléments sur lesquels je voulais revenir.

15 Et je suis préoccupé, suite au débat que j'ai eu avec mon confrère, Me

16 Meek, car je pense, pour ma part, que nous avons perdu beaucoup de temps

17 en parlant de ces faits de notoriété publique. J'ai demandé à Me Meek et à

18 mes confrères, Me Pinter, d'essayer de m'expliquer pourquoi et j'espère ne

19 pas avoir pas mal compris.

20 Je réagis de façon un peu impétueuse, mais c'est peut-être le fruit de mon

21 éducation. Peut-être qu'il serait bon, de temps à autre, que je compte

22 jusqu'à 10 avant d'ouvrir la bouche, mais j'ai toujours eu l'impression de

23 ne pas bénéficier de suffisamment de temps pour expliquer ma position

24 parce que je comprends qu'il y a de nombreuses choses qui doivent être

25 explicitées et nous avons fait venir de nombreux témoins à la barre. Parce

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1 que sinon je ne sais pas quelle aurait été la situation en fin de compte

2 si nous n'avions pas demandé aux plus hauts fonctionnaires politiques et

3 militaires. Dieu sait où nous en serions!

4 Parfois je me suis dit: si quelqu'un m'avait vu à ce moment à

5 l'Héliodrome, par exemple, quelle aurait été la situation, si j'avais eu

6 un client là-bas? L'accusation connaît la réponse.

7 Il y a eu de nombreuses autres personnes qui ont été internées et je me

8 suis rendu là-bas en 1993, étant donné que je représentais d'autres

9 clients et que nous pouvions opérer en Bosnie-Herzégovine.

10 Si quelqu'un m'avait vu là-bas et ensuite m'aurait demandé de témoigner, à

11 ce moment-là, on aurait pu dire "oui, mais je vous ai vu vous aussi là-bas

12 à l'Héliodrome". Par conséquent, j'aurais été accusé.

13 Imaginez-vous ce qu'il se passe dans ce prétoire compte tenu de l'image

14 qui est dressée par l'accusation et, en fait, il s'agissait simplement

15 pour moi de défendre mon client.

16 Je me disais, pendant tout ce temps, d'aller lentement parce que c'est ma

17 dernière chance, et une fois de plus je me suis laissé emballer. Je vous

18 prie de bien vouloir m'excuser.

19 Savez-vous quelle pression aurait été exercée sur moi, notamment au début,

20 lorsque nous essayions encore de comprendre un petit peu les événements?

21 Nous étions trop jeunes.

22 Pourquoi est-ce que mon client, Mladen Naletilic, ne pouvait pas se

23 trouver à l'Héliodrome? Il y avait un millier de soldats présents à

24 l'Héliodrome, il y avait des enquêtes, il y avait plusieurs bâtiments,

25 donc des milliers de personnes se sont rendues là-bas, se sont déplacées.

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1 Mais cela ne prouve rien.

2 Est-ce que nous allons réellement dire devant ce Tribunal international

3 que nous allons devoir recourir à ces arguments simplement en disant que,

4 malheureusement, il se trouvait au mauvais endroit, et, en fait, c'est

5 peut-être là le seul argument que l'on ait?

6 Une fois de plus, quelqu'un d'autre m'a dit, imaginez-vous que quelqu'un

7 dise "donc vous n'étiez pas là en raison de ceci, mais simplement parce

8 que vous étiez le commandant de telle ou telle unité" et, à ce moment-là,

9 la balle commence à courir. Mais qu'en est-il des éléments de preuve, des

10 moyens de preuve?

11 Il y avait de nombreux objectifs, de nombreux témoignages, de nombreuses

12 attitudes, mais rien n'étayait les faits; il n'y a pas d'arguments

13 tangibles.

14 Quels étaient les principaux problèmes auxquels les défenses étaient

15 confrontées? L'Acte d'accusation est relativement vague et libellé en des

16 termes peu précis. Nous avons dû essayer de comprendre les actes qui

17 étaient reprochés à Mladen Naletilic: à quelle époque? Quel jour a-t-il

18 commis telle ou telle infraction? Dans quelle région devait-il se trouver

19 d'après l'Acte d'accusation? Quelles étaient les personnes avec lesquelles

20 il avait collaboré lors de la planification des activités de persécution?

21 Ce sont là les propos qui ont été utilisés par l'accusation. Quelles

22 étaient les personnes qui étaient détenues? Quels étaient les meurtres

23 accomplis pour lesquels il n'a pas puni les auteurs?

24 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, hier, dans son réquisitoire -et

25 je ne suis pas étonné par ce fait-, mon client et moi-même avons appris

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1 qu'il était responsable de deux autres vagues de persécution. Or, il n'est

2 fait nulle part allusion à ces vagues. Hier, c'est pour la première fois

3 que ces deux nouvelles vagues de persécution ont été mentionnées. Il était

4 question des 13 et 14 juin 1993 et du 29 septembre 1993. Aucun fait

5 nouveau n'a été apporté. Nous connaissons le mode de fonctionnement de

6 l'accusation.

7 Toutefois, nous nous demandons ce que l'on peut faire à ce stade-ci, étant

8 donné que je vous rappelle que nous en sommes au stade de la plaidoirie.

9 Pouvons-nous encore à ce moment-ci essayer de dresser exactement la

10 situation en ce qui concerne les chefs d'accusation reprochés à Mladen

11 Naletilic? Pendant toute cette période, l'accusation a prétendu quelque

12 chose. Or la défense aimerait savoir sur quelle base, sur quels éléments

13 de preuve, ces faits s'appuient.

14 En guise d'exemple, Monsieur le Président, Mesdames les Juges: où y a-t-il

15 des preuves selon lesquelles Naletilic était l'ami de Boban? Quand est-ce

16 que ces éléments de preuve ont été apportés, par le truchement de quels

17 témoins, par le biais de quels documents?

18 Et ceci ne suffit pas, il est même dit qu'il avait une opinion mais, en

19 fait, ils font allusion à des déclarations racistes.

20 Je tiens à vous rappeler cet incident: il s'agissait du témoin O qui a dit

21 que, dans le cadre d'une réunion officieuse, Mate Boban -un homme était

22 présent- a précisé qu'il s'agissait de quelqu'un d'important, et ce n'est

23 qu'après qu'il a su de qui il s'agissait, ce n'est qu'après avoir déposé

24 qu'il a su que c'était M. Naletilic.

25 Cela a donc dû être un homme très important si effectivement on ne lui a

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1 fait savoir qu'après coup qu'il s'agissait de M. Naletilic. Mais il

2 s'agissait là de la déposition qu'il avait faite. Naletilic aurait dit:

3 "Maintenant écoutez ces propos racistes", et il a précisé que, d'après

4 lui, les Musulmans étaient des Croates qui avaient embrassé la religion

5 islamiste.

6 Jusqu'en 1974 et 1992 et jusqu'à ce jour, certaines personnes se déclarent

7 de cette appartenance, et tout au long de l'histoire c'était la seule

8 façon pour eux de s'identifier du point de vue ethnique, de leur

9 appartenance ethnique.

10 J'ai de la difficulté à comprendre ce qu'est un raciste. Si l'on prend par

11 exemple un Allemand, un Allemand croyant, s'il est Musulman et toutefois

12 il est Allemand, à ce moment-là il a été Allemand pendant de nombreuses

13 générations. Mais quelle est son origine ethnique? C'est un Allemand, et

14 sa foi, sa religion c'est l'islam.

15 C'est donc de cette façon qu'ils ont essayé de rassembler les éléments de

16 puzzle, et c'est la façon dont procède l'accusation.

17 Pour notre part, nous aimerions savoir à partir de quelle source

18 l'accusation a obtenu ces informations parce qu'il n'y a pas de

19 témoignages, parce qu'il semblerait qu'il y ait eu d'autres opérations à

20 Sovici et Doljani quelques jours après la mort de Mario Cikota. Il y a eu

21 un témoin qui a déposé à ce sujet quelques jours après la mort de M.

22 Cikota.

23 Quel témoin de l'accusation ou de la défense ou quel document a été

24 utilisé pour étayer cette preuve? Il n'y en a aucun.

25 Il y en a un, il existe un document, mais il y a également une preuve: il

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1 s'agit de la personne qui s'appelle Falk Simang. Mais comment s'est-il

2 rendu à Doljani? La réponse était par la route. Et puis, on lui a demandé:

3 "Mais où mène cette route?" Il a répondu à Doljani.

4 Je me rappelle qu'on lui avait montré une carte. Mais on ne peut pas

5 passer et arriver à Doljani si on ne passe pas par Sovici; et il ne se

6 souvenait même pas qu'un tel endroit existait.

7 Par conséquent, on peut se demander s'il est arrivé là-bas, à moins qu'il

8 ait pris un parachute, à moins qu'il ne se trouvait pas là-bas. Mais il ne

9 pouvait pas se déplacer sans être accompagné d'un interprète puisqu'il ne

10 parlait pas un mot de croate. Et c'est le seul témoin qui a dit quelque

11 chose au sujet du 23 ou du 24.

12 Par ailleurs, je ne tiens pas à formuler une observation parce que vous

13 avez entendu son témoignage: il s'agissait d'un homme qui était prêt, pour

14 de l'argent, pour des dollars, à commettre un meurtre. Il l'a fait à une

15 reprise. La deuxième fois, il a essayé de mettre la main sur une voiture,

16 une Skoda. Et il ne serait pas prêt à mentir?

17 Comme vous le savez, un meurtre c'est un crime. Mais il ne va pas mentir

18 d'autant plus qu'il a déjà été condamné à l'emprisonnement à vie en

19 Allemagne et qu'il a été particulièrement difficile pour lui de se rendre

20 ici pour faire un témoignage.

21 Il s'agissait également du seul témoin qui a précisé que mon client était

22 le commandant du Bataillon disciplinaire en 1993. Il s'agissait de lui et

23 de M. Rudiger, qui a été condamné à l'emprisonnement à vie pour le même

24 assassinat et pour avoir endommagé la même voiture, la Skoda.

25 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, je voudrais simplement ne pas

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1 revenir sur ces éléments. Je me rends compte pourquoi ces deux personnes

2 ont été appelées à la barre. C'est simplement qu'il n'y avait personne

3 d'autre.

4 Si l'accusation avait eu l'occasion, elle n'aurait jamais fait citer ces

5 témoins à la barre, mais ils étaient contraints de le faire. Voilà notre

6 position.

7 L'accusation sait que l'accusé ne devrait pas se trouver ici: mais

8 essayons de jouer le tout pour le tout et voir ce qu'il va en résulter!

9 Pouvez-vous essayer d'imaginer pendant un bref moment pour quelqu'un de

10 dire que "Cikota" était à Mostar avec lui, sans préciser quoi que ce soit

11 d'autre?

12 Ralph Rudiger est un collègue, son frère dans les actes d'assassinat, et

13 il a répondu à ma question, à savoir si son jugement pouvait être ré-

14 ouvert en ce qui concerne la responsabilité de commandement de M.

15 Naletilic. Sa réponse à ma question était affirmative.

16 A mes yeux, et pour être tout à fait franc, cela constituerait peut-être

17 une bonne possibilité parce qu'il pourrait encore se racheter devant Dieu.

18 Je fais allusion au deuxième homme, mais je n'ai plus aucun espoir pour la

19 première personne dont j'ai parlé.

20 Je propose à présent de passer à la chose suivante: nous avons lu le

21 mémoire en clôture, nous avons entendu le réquisitoire, et sur les 56

22 témoins appelés par l'accusation, l'accusation est revenue sur six témoins

23 afin de prouver la culpabilité de M. Naletilic.

24 Le dernier, le sixième, est une personne qui est décédée depuis trois ans.

25 Et les témoignages qui émanent d'une personne décédée ne peuvent pas être

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1 pris en considération: aucun système juridique ne le fait. Je fais

2 allusion à Franjo Tudjman, je parle du feu président de la République de

3 Croatie.

4 L'accusation oublie toutefois un fait, à savoir qu'il a été dit à maintes

5 reprises dans ce prétoire et qu'on a pu lire ce fait dans plusieurs

6 documents: que c'était la communauté internationale qui a demandé à Franjo

7 Tudjman d'intervenir afin de mettre un terme au conflit en Bosnie-

8 Herzégovine. Il s'agissait du conflit entre les Musulmans et les Croates

9 en Bosnie-Herzégovine. Les Croates lui ont même confié un mandat pour les

10 représenter et à chaque fois qu'il les représentait, il le faisait au nom

11 de la communauté internationale.

12 Et je pense, pour ma part, qu'il s'agit là d'un autre fait de notoriété

13 publique. Pourquoi est-ce que l'accusation souhaiterait modifier,

14 détourner cette image? Mais ils sont les seuls à même de répondre à cette

15 question!

16 La chose la plus dangereuse que l'on puisse faire lorsqu'on se livre à un

17 exercice d'interprétation d'un discours, notamment lorsqu'on accuse

18 quelqu'un, est de sortir certaines phrases hors de leur contexte, puis

19 fonder des affirmations au sujet de la culpabilité de quelqu'un en

20 reprenant ces phrases qui ont été sorties de leur contexte.

21 Il n'y a pas de différence selon qu'il s'agisse d'un compte rendu, d'une

22 réunion, d'une conversation, ou en se fondant sur un autre document écrit.

23 Si, en effet, l'accusation prétend que des éléments de preuve attestent la

24 culpabilité de Mladen Naletilic et l'existence d'un conflit armé

25 international entre les Musulmans et les Croates, est-ce que les

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1 transcripts soi-disant présidentiels -en respectant les règles de procès

2 équitable et les règles selon lesquelles tous les éléments de preuve

3 doivent être soumis à l'accusé- est-ce que l'accusation n'aurait pas dû

4 citer comme témoins les participants à ces réunions? Des témoins qui sont

5 encore vivants!

6 Ces participants à ces réunions pourraient témoigner au sujet des

7 entretiens qui auraient eu lieu, d'après l'accusation, et qui prouvent que

8 la Croatie avait participé à la guerre entre les Musulmans et les Croates

9 en Bosnie-Herzégovine et, qu'en raison de cette participation, le conflit

10 pouvait être qualifié de conflit armé international.

11 L'accusation a eu à sa disposition tous les moyens nécessaires pour

12 appeler ces témoins à la barre. L'accusation devait également assumer la

13 charge de la preuve. Or, c'est la défense qui s'est livrée à cette

14 activité et vous vous souviendrez de notre impatience étant donné que nous

15 attendions que l'accusation fasse des choses de cette nature.

16 Je me souviens, Milan Kovac se trouvait à Split dans une réunion à

17 laquelle participait Franjo Tudjman. Puis M. Kovac a déclaré qu'il n'avait

18 jamais été présent sur place. Et puis, nous avons demandé à l'accusation

19 de présenter certains documents, des articles de journaux, mais ils n'ont

20 rien présenté.

21 La seule chose qu'ils ont réussi à présenter, c'étaient les transcripts

22 présidentiels, mais comment ont-ils eu accès à ces documents?

23 La défense se demande comment ils ont procédé pour obtenir ces documents

24 et je pense que le mécanisme normal n'a pas été respecté.

25 Je propose à présent de passer à une autre question. Il y a un parallèle

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1 qui a été fait avec Slobodan Milosevic et je ne sais pas comment

2 l'accusation l'a fait. Nous n'avons entendu aucun témoin, nous n'avons

3 reçu aucun élément de preuve qui nous permettrait de prouver qu'il y avait

4 des accords entre Tudjman et Milosevic.

5 Ils auraient pu demander à Milosevic de se déplacer. Je vous rappelle

6 qu'il est ici à côté, qu'il est présent quotidiennement et on aurait pu à

7 ce moment-là l'entendre dans son prétoire.

8 Or, dans cette salle, l'accusation peut dire ce qu'elle souhaite et si

9 elle voulait affirmer quelque chose, elle aurait dû apporter des éléments

10 de preuve pour étayer ce fait.

11 Ensuite, ils ont dit que Tudjman et Milosevic ont joué un rôle actif en

12 Bosnie-Herzégovine, or ils n'ont pas parlé de Alija Izetbegovic. Est-ce

13 qu'il n'était pas présent? Est-ce qu'il n'a pas joué un rôle important? A

14 moins que l'accusation n'ait à dessein oublié de mentionner son nom!

15 Si l'accusation était objective, elle aurait pu faciliter notre tâche,

16 notamment si l'on tient compte du fait qu'elle ne pourra pas changer le

17 cours de l'Histoire. Elle aurait dû répondre par l'affirmative en disant

18 qu'il y avait trois parties à ce conflit: il y avait l'armée de Bosnie-

19 Herzégovine du côté des Musulmans, il y avait le HVO du côté de l'armée

20 croate et il y avait l'armée de la Republika Srpska du côté de l'armée

21 serbe.

22 Or, jusqu'au dernier moment, l'armée de Bosnie-Herzégovine a été passée

23 sous silence et toutes les attaques auraient été perpétrées à l'encontre

24 de la population musulmane. Or, l'armée de Bosnie-Herzégovine était

25 composée de plus de 300.000 hommes et le HVO disposait de quelque 30.000

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1 soldats.

2 Alija Izetbegovic qui a été ignoré par l'accusation pour des raisons

3 qu'elle seule connaît, donc cette personne, Alija Izetbegovic, en 1973 ou

4 1974 -et je vous prie de m'excuser si je me trompe quant à la date-, mais

5 nous savons qu'au cours de cette année il a été jugé avec d'autres

6 personnes à Sarajevo parce qu'il défendait des idées fondamentalistes car

7 il essayait de créer un Etat musulman.

8 En 1990, il est parvenu au pouvoir avec les mêmes personnes avec

9 lesquelles il avait été jugé et sa politique aurait changé. Il voulait à

10 présent avoir une Bosnie-Herzégovine démocratique, il était le seul à le

11 vouloir d'après l'accusation, il était le seul digne de cette mission. Et

12 toutes les autres personnes sont des représentants de la Bosnie-

13 Herzégovine qui étaient des méchants, et cette personne avait passé 10 ans

14 en prison dans ce que l'on appelait alors la Yougoslavie, en raison des

15 idées qu'il défendait et qui n'avaient rien à voir avec la culture

16 multiculturale ou multiethnique.

17 C'est lui l'auteur de la déclaration islamique. D'ailleurs je vais en

18 citer un extrait, une phrase seulement, une phrase extraite de cette

19 déclaration pour laquelle il a été jugé à Sarajevo: "Il nous faut

20 attendre, nous devons attendre, nous les Musulmans, pour devenir la

21 population majoritaire de Bosnie et lorsque cela aura lieu, nous créerons

22 un Etat islamique."

23 Je viens de vous citer ces paroles, ces mots qui figurent dans la

24 déclaration islamique. C'est donc cette même personne qui a mis en place

25 le SDA, il a gagné les élections. On a ensuite oublié tout ce qui s'était

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1 passé précédemment, comme s'il n'avait eu aucun rapport avec ce qui

2 s'était déroulé par le passé, comme si l'armée de Bosnie-Herzégovine

3 n'avait rien à voir avec ce qui s'était passé auparavant.

4 Mais je reviendrai sur ce point ultérieurement.

5 Maintenant, il y a ces cinq témoins que le Bureau du Procureur a mis en

6 évidence. Cinq témoins après avoir éliminé le dernier, le sixième -M.

7 Tudjman-, et le Bureau du Procureur insiste sur la déposition de ces cinq

8 témoins. Or, ces cinq témoins n'ont aucune connaissance directe, aucune

9 information au sujet de M. Naletilic, au sujet de son rôle au sein du

10 Bataillon des condamnés, au sujet de son éventuel poste de commandement

11 dans ce Bataillon, au sujet de son attitude envers les Musulmans, au sujet

12 du fait qu'il ait lui-même mené à bien une opération de nettoyage

13 ethnique.

14 L'un de ces témoins, au contraire, Van den Grinten, insiste sur le fait

15 que c'est Mladen Naletilic lui-même qui a essayé de protéger deux villages

16 musulmans au cœur de l'Herzégovine sur la route menant de Mostar à Siroki

17 Brijeg.

18 Est-ce là un geste accompli par quelqu'un qui voulait chasser tous les

19 Musulmans de Bosnie-Herzégovine, qui voulait nettoyer la Bosnie-

20 Herzégovine?

21 Les quatre autres témoins: j'y reviendrai plus tard pour me pencher en

22 détail sur leur déposition.

23 La défense, quant à elle, a fait ce qu'elle avait dit qu'elle ferait. Nous

24 avons fait venir dans ce prétoire les civils et les militaires de plus

25 haut rang de la HZ-HV et ils ont brossé le tableau des événements qui

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1 avaient précédé le conflit, qui avaient eu lieu pendant et après le

2 conflit.

3 La défense a cité à la barre des témoins qui nous ont permis de répondre à

4 toutes les questions clés. Ce sont des témoins qui ont participé

5 directement à la prise de décisions importantes. Ce sont des gens qui ont

6 eu des rôles clés et qui ont participé au processus de prise de décisions.

7 C'étaient eux qui prenaient des décisions, ce sont eux qui ont mis ces

8 décisions en application et ce sont eux qui sont venus déposer, en public,

9 dans ce prétoire.

10 Or, aucun de ces témoins n'a confirmé les allégations figurant dans l'Acte

11 d'accusation, allégations relatives au rôle de Mladen Naletilic et à son

12 poste. Ils ne les ont pas confirmées en tant que témoins des événements

13 qui figurent dans l'Acte d'accusation et en tant que participants directs

14 aux événements qui font l'objet de l'Acte d'accusation.

15 Ce qui devrait nous amener à conclure la chose suivante. Suite à ces

16 dépositions, si l'on procède à une analyse détaillée de ces dépositions,

17 on peut constater que le Bureau du Procureur se trompe quand il dit que

18 Mladen Naletilic commandait le Bataillon des condamnés en 1993, c'est-à-

19 dire pendant la période couverte par l'Acte d'accusation. D'ailleurs, je

20 vais me référer uniquement à cette période visée à l'Acte d'accusation.

21 En effet, j'estime que personne, ni la défense ni les Juges de la Chambre,

22 personne n'est intéressé par des événements autres que ceux qui sont visés

23 à l'Acte d'accusation. De plus, on nous dit également que le Bataillon des

24 condamnés a commis des crimes à Sovici et Doljani, en avril 1993, sous le

25 commandement de Mladen Naletilic.

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1 Disposons-nous de preuves, quelles qu'elles soient, sur la perpétration

2 par le Bataillon des condamnés de crimes?

3 Est-ce que nous avons des preuves selon lesquelles Mladen Naletilic avait

4 des subordonnés sur lesquels il exerçait un véritable pouvoir civil ou

5 militaire?

6 Est-ce que nous avons des preuves selon lesquelles Mladen Naletilic avait

7 eu un rôle politique ou militaire quel qu'il soit, qu'il a participé à la

8 persécution des Musulmans à Mostar à partir de mai et juillet 1993, qu'il

9 a utilisé les prisonniers de guerre comme boucliers humains et pour

10 effectuer des travaux forcés, qu'il a torturé, soumis à des sévices ou,

11 d'une autre manière, traité de façon illégale les prisonniers de guerre de

12 l'armée musulmane, qu'il a personnellement ordonné la destruction de biens

13 musulmans et qu'il a ordonné qu'on y mette le feu, que le conflit entre

14 l'armée de Bosnie-Herzégovine et le HVO, c'est-à-dire deux armées du même

15 Etat, que ce conflit était par nature un conflit armé international?

16 En d'autres termes, nous estimons que l'accusation n'a pas rempli le

17 devoir qui était le sien, n'a pas assumé la charge de la preuve,

18 l'accusation n'a pas prouvé au-delà de tout doute raisonnable que Mladen

19 Naletilic occupait le rôle que l'accusation affirme qu'il occupait et

20 qu'il est responsable des crimes qui lui sont reprochés.

21 Qu'en est-il de la qualité des éléments de preuve à charge et de la thèse

22 qui se dessine dans l'Acte d'accusation? La défense sait que le Bureau du

23 Procureur a une vision des événements qui diffère de celle de la défense,

24 mais la défense doit également dire que le Procureur n'a fait aucun effort

25 pour essayer de déterminer les faits. Si le Procureur s'était efforcé de

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1 le faire, la Chambre de première instance aurait vu se dresser devant elle

2 un tableau bien différent des événements. Elle aurait eu, au box des

3 accusés, des gens bien différents.

4 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, après avoir entendu trois des

5 enquêteurs de l'équipe du Bureau du Procureur, nous pensons avoir prouvé

6 quelque chose parce que ces trois hommes ont répondu à mes questions:

7 qu'ils n'avaient jamais coopéré avec qui que ce soit, à l'exception des

8 gouvernements ou des autorités de Bosnie-Herzégovine.

9 Je leur ai demandé qui étaient ces autorités, je leur ai demandé de nous

10 donner des noms. Eh bien ces trois enquêteurs, qu'ont-ils répondu? Ils ont

11 dit que c'était l'A.I.D., la police secrète et politique musulmane. Ils

12 ont dit cela tous les trois.

13 Je me pose une question: comment se fait-il, comment le Bureau du

14 Procureur a-t-il fait pour mener à bien ces enquêtes? Imaginons que vous,

15 vous alliez à Mostar, vous ne parlez pas la langue, vous prenez contact

16 avec quelqu'un, vous lui dites "je suis du TPIY". Qu'est-ce qu'il se

17 passe? Comment on s'y prend? A votre avis, comment ces enquêtes ont-elles

18 eu lieu?

19 Je vais vous dire: cela s'est fait d'une façon très simple, l'A.I.D. a

20 tout préparé, tout organisé, leur a présenté cela sur un plateau, leur a

21 présenté tout ce qui leur convenait sur un plateau.

22 D'ailleurs le Bureau du Procureur n'a vérifié aucun des faits, aucun des

23 éléments de preuve avec la partie adverse parce qu'ils n'avaient pas envie

24 de le faire. Or ils auraient dû le faire, ils auraient dû avoir envie de

25 le faire parce que s'ils avaient fait cela, ce procès n'aurait pas duré 14

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1 mois, mon client, Mladen Naletilic, n'aurait jamais été présent dans le

2 prétoire.

3 Même en partant du principe que Mladen Naletilic ait été ici (sic), si le

4 Bureau du Procureur s'était comporté différemment, le procès aurait duré

5 au maximum deux mois. C'est l'A.I.D. qui a fait venir les témoins, qui a

6 donné au Bureau du Procureur les preuves que celui-ci a acceptées sans se

7 poser de questions.

8 Pourquoi? Eh bien, parce que l'A.I.D. voulait camoufler les crimes qu'eux-

9 mêmes ils avaient commis. Comment ont-ils fait cela? Ils l'ont fait en

10 forgeant une alliance avec l'organisation la plus puissante du monde qui

11 choisit qui doit être accusé ou qui ne doit pas l'être.

12 Je vais faire un parallèle qui me vient soudain à l'esprit. Je vous dis

13 que ce qui s'est passé à Sovici et à Doljani, qui figure dans l'Acte

14 d'accusation, c'est un conte de fée, c'est inventé de toutes pièces. Aucun

15 civil n'a été tué, personne n'a été violé, personne n'a été tué. C'est

16 quelque chose que l'armée de Bosnie-Herzégovine a fait trois mois plus

17 tard.

18 A quoi il faut penser: trois mois plus tard, l'armée de Bosnie-Herzégovine

19 a massacré 35 civils. Ils les ont égorgés. Trois mois plus tard, 35 civils

20 ont été massacrés. Des femmes et des enfants ont été amenés au camp de

21 Jablanica. Nous avons entendu des témoignages allant dans ce sens. Des

22 bébés de 6 mois, des enfants de 5 ans ont été échangés quelques mois plus

23 tard, et tous les hommes sont restés au camp jusqu'à l'échange qui a eu

24 lieu en 1994. Et Il n'y a pas d'Acte d'accusation pour ce crime odieux et

25 je vous garantis qu'il n'y en aura jamais.

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1 Pouvez-vous imaginer la réaction des gens en écoutant, en suivant ce

2 procès? On peut se demander quelle a été leur réaction lorsqu'ils ont

3 voulu dire, lorsqu'ils ont voulu présenter cette allégation odieuse selon

4 laquelle le camp de Jablanica était un camp de réfugiés et que l'opération

5 qui avait eu lieu, ce massacre. Or ils n'en ont jamais parlé. Il n'y aura

6 jamais d'Acte d'accusation à ce sujet.

7 Monsieur Safet Idrizovic, s'il avait déposé ici dans le cadre de la

8 réplique, si le Bureau du Procureur avait été objectif et s'il avait

9 accusé l'armée de Bosnie-Herzégovine, à ce moment-là cette alliance aurait

10 pris fin, il n'y aurait plus eu de témoin dans cette affaire.

11 Je vais parler de ce qui s'est passé à Konjic, Prozor, Jablanica, bien

12 avant le 16 avril, bien avant le 9 mai.

13 Les Croates avaient déjà été nettoyés, ils avaient déjà été incarcérés.

14 Des civils et des militaires étaient internés dans des camps bien avant le

15 16 avril.

16 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, je crois que le moment est venu

17 pour la pause et je poursuivrai mon intervention ensuite.

18 M. le Président (interprétation): Nous allons faire une pause et nous

19 reprendrons à 12 heures 30.

20 (L'audience, suspendue à 11 heures 57, est reprise à 12 heures 30.)

21 M. le Président (interprétation): Maître Krsnik, vous pouvez poursuivre.

22 M. Krsnik (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Pendant la

23 pause, j'ai parcouru mes notes: il me semble que je me suis laissé

24 emporter une fois encore. Il y a encore beaucoup de choses que je

25 souhaiterais dire, mais je ne suis pas sûr que je parviendrai à finir

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1 d'ici la fin de l'audience d'aujourd'hui, mais voilà, je suis comme ça!

2 Bien sûr vous-même vous comprendrez que deux heures et demie c'est court,

3 très court, pour résumer tout ce qui s'est passé au cours des 14 mois

4 écoulés. Mais j'espère -car je place ma confiance en vous- que ce n'est

5 pas sur la base de ma plaidoirie simplement que vous allez prononcer votre

6 jugement. Je pense que vous allez, pour prononcer votre jugement, vous

7 appuyer également sur les éléments de preuve et l'importance qu'il

8 convient de leur accorder.

9 Au moment de la pause, je parlais du crime de Doljani commis par l'armée

10 de Bosnie-Herzégovine trois mois après les événements de Sovici et de

11 Doljani, qui sont visés à l'Acte d'accusation.

12 Je voulais, en utilisant cet exemple, vous montrer quelque chose: quand

13 les enquêteurs sont arrivés sur place, l'A.I.D. leur a fourni des témoins

14 qui ont dit comment les événements de Sovici et de Doljani avaient eu lieu

15 le 17 avril parce que, bien entendu, ils n'allaient pas parler des crimes

16 qu'eux-mêmes avaient commis.

17 Et voilà comment on commence à manipuler les faits, mais ce n'est pas un

18 cas isolé que je vous indique là. A mon avis, la manipulation principale,

19 c'est la manipulation qui a trait au 16 avril, qui a eu lieu le 16 avril.

20 Mais déjà avant le 16 avril, longtemps avant, en janvier 1993, sans parler

21 de 1992, l'armée de Bosnie-Herzégovine a lancé des attaques contre un

22 territoire très vaste en Bosnie-Herzégovine, à Konjic, à Vranica, la

23 vallée de la Neretva: la Neretvisa (phon) jusqu'à Mostar a été nettoyée et

24 tout ceci bien longtemps avant le 16 avril.

25 Quand Safet Cibo est venu, il a été nommé directement par Alija

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1 Izetbegovic, en tant que Président en temps de guerre et en bafouant

2 toutes les règles. Une série des crimes ont été commis, je les ai

3 mentionnés dans mon mémoire préalable au procès.

4 Comme ça a été répété par des témoins, je ne vais pas donc m'appesantir

5 sur cette question. Ils ont essayé de camoufler la chose en utilisant le

6 moyen de défense du tu quoque. Nous savons bien ce que c'est que le moyen

7 de défense de tu quoque: c'est l'imbécile qui dit "eh bien, il a tué mon

8 père, donc moi j'ai le droit de tuer son père". Voici ce que c'est que la

9 défense de tu quoque, mais seul un imbécile utiliserait ce moyen de

10 défense.

11 Mais ici on insiste sur ce principe pour cacher ce qui s'est passé parce

12 qu'il y a toujours des relations de cause à effet, rien ne se passe comme

13 cela dans le vide. Et c'est de cette manière qu'on a essayé de cacher les

14 événements que j'ai mentionnés précédemment: les événements à Mostar.

15 Vous avez entendu des témoins nous dire qu'il y avait eu des camps sur le

16 côté Est. Or, il n'y a pas d'Acte d'accusation à ce sujet. Les

17 persécutions des Croates sur la rive Est, ils étaient quelque 10.000: est-

18 ce que c'était une persécution? Peut-être. Eh bien, il n'y a pas eu d'Acte

19 d'accusation au sujet de ces événements, il n'y en aura jamais.

20 Voilà tout ce que j'avais à dire au sujet de l'objectivité des enquêtes

21 parce que si l'objectivité avait régné à ce moment-là, ce procès aurait

22 été bien différent, à tel point que mon client n'aurait jamais comparu

23 dans le box des accusés.

24 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, il vous appartient, après avoir

25 entendu les débats, il vous appartient de décider si Mladen Naletilic a

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1 commis un crime précis, et ceci sur la base d'éléments de preuve clairs et

2 dénués de toute ambiguïté. Et il convient uniquement de considérer la

3 responsabilité individuelle car c'est seulement de cette manière que l'on

4 peut arriver à établir la vérité. Et il faut que vous déterminiez sa

5 responsabilité individuelle sur la base des éléments de preuve présentés.

6 Je souhaite insister sur le fait que le Procureur ne conteste pas que des

7 crimes ont été commis pendant le conflit ayant opposé le HVO à l'armée de

8 Bosnie-Herzégovine. La défense estime qu'aucun crime n'est justifiable. La

9 défense estime que quiconque a commis un crime doit rendre des comptes et

10 quelle que soit son appartenance et la partie à laquelle il appartenait.

11 Et les victimes de ces crimes demandent justice mais aucune victime ne

12 sera satisfaite de voir un innocent accusé.

13 Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, quelque 9 ou 10 ans après le

14 conflit, il faut essayer de faire un effort pour imaginer la situation

15 telle qu'elle se présentait au moment de la période visée à l'Acte

16 d'accusation.

17 Une situation de guerre, c'est une situation bien particulière dans

18 laquelle les valeurs adoptent une importance différente et les hommes

19 perdent la capacité de prendre des décisions rationnelles. La guerre, ce

20 sont les victimes, on perd des proches, et on est constamment soi-même

21 menacé de perdre sa vie. Plus aucun endroit n'est sûr, endroit sûr où l'on

22 puisse analyser la situation de manière objective et, généralement, on se

23 souvient des premières victimes de la guerre, mais ensuite on passe aux

24 chiffres et on détermine telle unité a perdu tant d'hommes, telle autre a

25 perdu tant d'hommes.

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1 Essayez de vous imaginer Mostar, pas le 9 avril parce que ce n'est pas le

2 jour où la guerre a commencé, contrairement à ce qui a été insinué. La

3 guerre a commencé le 30 juin avec des attaques de l'armée de Bosnie-

4 Herzégovine. Essayez d'imaginer une ville où les pilonnages et les tirs

5 sont quotidiens. Essayez d'imaginer une situation dans laquelle on peut

6 être tué par les balles d'un tireur embusqué ou par des pilonnages. On

7 court ce risque tous les jours. Et je parle des hommes, des enfants, des

8 soldats dans la ville de Mostar, aussi bien sur la rive gauche que sur la

9 rive droite.

10 Peut-on imaginer une telle situation? Peut-on se faire une idée de la

11 situation à Mostar? Et on insiste sur la nécessité pour l'Etat de

12 respecter tous les détails, toutes les finesses de l'Etat de droit. Même

13 dans les plus veilles démocraties qui existent depuis des siècles, la

14 situation change grandement lorsque la guerre se déclare. Or nous, nous

15 étions dans une situation complètement différentes puisqu'il n'y avait

16 même pas d'Etat. Quelle police? Quels tribunaux? Il n'y avait personne

17 pour maintenir un semblant d'ordre.

18 La grandeur de la HZ-HB, c'était d'essayer de mettre en place de l'ordre

19 dans un Etat où il n'y en avait pas. Ils ont adopté des lois parce qu'il

20 n'y avait aucune loi et toutes ces lois étaient là et elles venaient de

21 l'époque socialiste. Mais la nouvelle l'assemblée n'en avait pas. Il n'y

22 avait de temps pour adopter des règles.

23 Lorsque les frontières extérieures de l'Etat ont été reconnues, à ce

24 moment-là, il n'y avait plus de loi, il n'y avait plus de police en

25 Bosnie-Herzégovine. L'armée de Bosnie-Herzégovine n'existait pas.

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1 Heureusement, la HZ-HB a mis en place l'écran de défense. Elle n'était pas

2 là pour se sauver mais pour sauver toute la population pour la protéger de

3 l'agression et elle a réussi à maintenir un certain niveau d'ordre pour

4 que les choses puissent fonctionner plus ou moins normalement.

5 Est-ce que ce tableau est bien clair dans votre esprit?

6 Or, à ce sujet, le Procureur, lorsqu'il part de cette situation, il semble

7 envisager la situation comme si on s'était retrouvé en Angleterre, comme

8 si on avait été à Londres en 1945, comme si on s'était retrouvé dans une

9 démocratie telle que celle qui existe en Angleterre. Ensuite, sur cette

10 base, il examine le moindre détail, le moindre événement en oubliant qu'à

11 cette époque les gens, de tous les côtés, cherchaient vraiment

12 désespérément à préserver leur vie.

13 Que s'est-il passé à Mostar? Eh bien, il est clair que deux armées étaient

14 là et qu'elles luttaient pour occuper des positions.

15 Quel a été le rôle de Mladen Naletilic, s'il en a eu un quelconque?

16 D'après le Bureau du Procureur, ce rôle a été crucial. On nous dit que

17 c'était un seigneur de guerre. Mais sur la base de quelle preuve?

18 D'après le Bureau du Procureur, le monde est manichéen: c'est soit tout

19 noir soit tout blanc. A l'époque, d'après eux, on voit bien que les

20 Musulmans étaient en blanc et les Croates en noir; c'étaient eux les

21 méchants. Il y avait les bons et les méchants.

22 Mais on sait très bien que dans la vie réelle, les choses ne se présentent

23 pas ainsi: tout n'est pas soit noir soit blanc, il y a toujours une zone

24 grise. Ce qui signifie que des deux côtés des lignes de confrontation, on

25 vivait quotidiennement avec la présence de la mort et des deux côtés on a

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1 commis des actes dont on n'est pas fier aujourd'hui, dix ans après.

2 Si la défense a montré ce qui était arrivé aux Croates pendant le conflit

3 contre les Musulmans, elle ne l'a pas fait pour justifier quelque acte que

4 ce soit, elle l'a simplement fait pour montrer que la guerre c'est quelque

5 chose d'atroce, de terrible, et qu'il y a des choses atroces qui se

6 produisent pendant la guerre.

7 Il n'est pas objectif de la part du Bureau du Procureur qu'une seule

8 partie ait été victime pendant la guerre. Je n'essaie nullement

9 d'amenuiser les souffrances connues par les victimes et le nombre de

10 victimes qui se sont trouvées parmi les rangs des Musulmans. Mais çà c'est

11 un des côtés de l'affaire.

12 L'autre côté, c'est que si vraiment Mladen Naletilic était tout ce que le

13 Procureur affirme qu'il était, est-ce qu'il était un tel homme ou bien

14 est-ce que simplement l'A.I.D. l'a choisi pour le présenter au Bureau du

15 Procureur en tant que personne clé?

16 En analysant attentivement les moyens de preuve invoqués par le Procureur,

17 il n'est pas possible, avec suffisamment de certitude, de tirer l'unique

18 conclusion nécessaire, à savoir que Mladen Naletilic serait la personne

19 responsable pour les crimes portés contre lui.

20 A titre d'exemple, je vais citer les documents DD126.1. En réalité, il

21 s'agit du document P206.1. Le Procureur fait référence à ce document et il

22 l'a timidement montré vers la fin de ce procès. Or, il est écrit sans

23 aucun doute, sur ce document, que le 23 décembre 1992, Mario Cikota était

24 le commandant du Bataillon des condamnés.

25 Encore une fois, il s'agit d'un document émanant des archives, mais même

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1 après cela le Procureur continue à affirmer le contraire. Mais il n'est

2 pas acceptable que le Procureur, à partir du moment où il trouve un

3 document favorable, il dit qu'il est bon, et des documents qui lui sont

4 défavorables, il dit qu'il s'agit de quelque chose de défaillant. Comment

5 peut-on utiliser les mêmes archives pour avoir des documents à la fois à

6 charge et à décharge?

7 Il est écrit également que le Bataillon des condamnés contient 54 membres.

8 Or c'était la thèse justement de la défense.

9 Ensuite, il est écrit qu'il y avait d'autres unités professionnelles. La

10 défense l'a d'ailleurs prouvé, il y en avait quatre: "Bruno Busic",

11 "Ludwig Pavlovic", "Baja Kraljevic" et le Bataillon des condamnés en 1992.

12 Et en 1993, il y avait le Bataillon des condamnés en tant qu'ATG pour sa

13 propre zone opérationnelle, et commence à faire partie du système de la

14 défense de la HZ-HB, contrairement à ce qui se passait avec l'armée de

15 Bosnie-Herzégovine qui était organisée en corps d'armée et qui avait

16 auparavant été organisée en zones opérationnelles.

17 Alors que du côté croate, chaque brigade disposait d'une ATG, d'un groupe

18 antiterroriste. Il s'agissait là d'unités professionnelles. Et nous avons

19 beaucoup de dépositions concernant la subordination, le rôle des parties

20 différentes de cette unité, de la question de savoir qui part pour les

21 lignes de front, qui est affecté à qui, quelle est la structure, la chaîne

22 de commandement, etc. Mais même après cela, on affirme un certain nombre

23 de choses, mais j'espère que la Chambre aura compris.

24 Ensuite quel est le document qui affirme sans aucun doute que Mladen

25 Naletilic commandait les bataillons des condamnés? Il n'y en a pas.

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1 Quels sont les moyens de preuve présentés par le Procureur établissant,

2 au-delà de tout doute raisonnable, la responsabilité de Mladen Naletilic

3 pour les conflits à Sovici et Doljani? Donnez-nous un nom, le nom d'un

4 témoin de l'accusation qui a prouvé, au-delà de tout doute raisonnable,

5 que Mladen Naletilic jouait un rôle et qui a prouvé, au-delà de tout doute

6 raisonnable, qu'il était au commandement du Bataillon des condamnés?

7 Peut-être vous pensez aux témoins qui ont relaté les événements à Doljani.

8 Or ceci s'est passé le 20 avril et Mladen Naletilic n'était pas là parce

9 que le 19, il allait chercher le fils décédé d'un ami qui appartenait lui

10 aussi au Bataillon des condamnés. Et une journée ne suffisait pour qu'il

11 revienne avec ce fils. Donc ni Mladen Naletilic ni le Bataillon des

12 condamnés ne sont rentrés le 19, et ceci a été prouvé par la défense.

13 Quelles sont les preuves prouvant que Mladen Naletilic avait un quelconque

14 lien avec les civils à Sovici? Eh bien, nous avons vu une cassette vidéo;

15 c'est moi qui l'ai présentée lors de la déposition du Dr Bagaric. Il

16 s'agissait d'une cassette émanant du Bureau du Procureur, et, après cela,

17 tous les témoins qui ont fait leur défilé ici devant nous, y compris ce

18 témoin de l'accusation Safet Idrizovic, ils ont parlé de cela. Il y a eu

19 des négociations concernant l'échange des populations au niveau le plus

20 élevé. Il s'agissait de l'échange de la population de Sovici: les

21 Musulmans de Sovici d'un côté et les Croates de Konjic et Jablanica de

22 l'autre côté.

23 Alors quel est le lien entre Mladen Naletilic et tout cela? Je ne sais

24 pas, mais apparemment le Procureur affirme le contraire.

25 En ce qui concerne l'armée de Bosnie-Herzégovine, après le conflit qui a

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1 eu lieu et qui a été décrit… Mais vous savez, le HVO, qu'est-ce qu'il

2 devait faire pour satisfaire le Procureur? Dire "ah! oui, ça c'était une

3 erreur. Peu importe, on va se réconcilier."

4 Mais vous savez une personne portant des armes, que ce soit une personne

5 en uniforme ou pas, si à un moment où l'armée de Bosnie-Herzégovine avait

6 lancé des attaques, bien sûr que la police militaire allait arrêter ces

7 personnes, mener une enquête, les interroger. Mais est-ce que quelqu'un

8 les a maltraités au cours de cette procédure? Eh bien, quelqu'un devrait

9 prouver le lien entre mon client et tout cela. Parce que nous avons

10 entendu: ils ont été amenés à la prison d'enquête à Ljubuski. Et qu'est-ce

11 qu'ils devaient faire? Les relâcher en disant "c'était juste une blague,

12 une erreur".

13 Mais bien sûr, s'il y a une enquête militaire qui est lancée, cela veut

14 dire qu'il y a aussi des victimes, des personnes trouvées coupables. Mais

15 si quelqu'un les maltraitait, cette personne devrait être sanctionnée.

16 Moi, je ne suis pas contre, bien au contraire. Mais quelles sont les

17 preuves établissant un lien entre mon client et tout cela? Nous avons vu

18 les premières déclarations de ces personnes fournies à l'A.I.D., suite à

19 leur sortie de prison, des camps, lorsqu'ils rentraient chez eux, etc.

20 Nous avons ces premières déclarations et jamais personne n'a mentionné mon

21 client. Ils ont tous établi un autre tableau par la suite, en lisant la

22 presse, en regardant la télévision, en apprenant à ce moment-là un certain

23 nombre de faits, sans l'avoir jamais vu sur place, parce que sinon ils

24 l'auraient dit avant.

25 Et puis, le Procureur dit qu'immédiatement après la première action à

Page 16725

1 Doljani, Mladen Naletilic a donné l'ordre pour une autre action en

2 indiquant qu'il ne devait pas y avoir de survivant et que cette deuxième

3 action a eu lieu le 20 avril.

4 Qui n'a pas survécu? Quelles sont les maisons qui ont été incendiées?

5 Qu'est-ce qui s'est passé? Parce que tout ce qui s'est passé a eu lieu les

6 17-18 et 19.

7 Quels sont les témoins qui ont confirmé ces allégations? Il n'y en a pas

8 eu un seul.

9 La défense a montré que Mladen Naletilic n'était ni le commandant ni celui

10 qui donnait les ordres concernant les opérations à Doljani le 20 avril. Et

11 puis d'ailleurs, ce qui est sûr, c'est que l'action n'a pas eu lieu le 20

12 avril mais, comme je l'ai déjà dit, le 30 juillet 1993. Ça, c'était à la

13 suite de l'attaque de l'armée de Bosnie-Herzégovine contre Doljani,

14 l'attaque qui a entraîné le massacre dont j'ai parlé. Ça, c'était la

15 deuxième opération de Doljani.

16 Ensuite, on dit que l'armée de Bosnie-Herzégovine a libéré Doljani. Libéré

17 Doljani de qui? Libéré de tous les civils, je suppose, qui ont tous été

18 placés dans des camps ou bien d'autres ont été libérés de leur propre vie.

19 Mais comme le Procureur n'a pas suffisamment de preuves au sujet de cela,

20 le Procureur continue à maintenir son affirmation sur la base des propos

21 tenus par un seul témoin, parce que même les témoins de l'accusation ne

22 l'ont pas confirmé. Il n'y en a qu'un seul, M. Simang, Falk Simang.

23 Le Procureur maintient son affirmation, même après avoir entendu tout de

24 qui a été dit, même après avoir étudié tous les documents, y compris les

25 documents que Safet Idrizovic a remis à l'accusation. Et nous, nous les

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1 avons reçus à la fin de la procédure, bien sûr, sinon les choses auraient

2 été différentes.

3 Il est clairement écrit qui a envoyé les bus, qui a donné l'ordre que les

4 civils de Sovici partent, etc., mais de toute façon il s'agit là des

5 éléments connus par la Chambre.

6 Alors, pourquoi le Procureur continue à maintenir ces affirmations, même

7 s'il a vu les documents signés par le commandant de l'ensemble du HVO, M.

8 Petkovic, qui confirme qu'il s'agissait là d'un accord entre Petkovic et

9 Halilovic, réalisé au niveau le plus élevé, le niveau politique le plus

10 élevé. Cet échange a été réalisé, mais comment? Les Musulmans sont venus à

11 Jablanica, mais les Croates, ma foi, ils ne sont jamais arrivés à Konjic.

12 Puis le Procureur a fait une autre tentative. Il s'est dit "peut-être ça

13 passe, peut-être ça ne passe pas".

14 Mais vous savez, la guerre ce n'est pas quelque chose qui éclate du jour

15 au lendemain. Ceci contient des causes, des raisons, mais ces raisons ne

16 sont pas conformes aux affirmations du Procureur, selon lesquelles il

17 s'agissait d'une politique de persécution que Mladen Naletilic aurait

18 exécutée et mise en place.

19 De quelle politique de persécution parle-t-on? Nous pouvons citer une

20 centaine d'exemples, mais ce que je peux vous dire, c'est que -et là il

21 s'agit d'un fait de notoriété publique- quelque chose de complètement

22 contraire s'est passé.

23 Après l'accord Vance-Owen en janvier, l'accord devait commencer à être mis

24 en œuvre et le Bureau du Procureur l'appelle un ultimatum. Mais, après

25 tout cela, le Bureau du Procureur oublie que nous avions un témoin qui a

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1 émis cet ordre. Il s'agissait de Bozo Rajic, c'est l'auteur de l'ordre.

2 Mais, encore une fois, le Bureau du Procureur ne s'est pas penché là-

3 dessus.

4 Ce n'est pas le Bureau du Procureur qui était à Mostar, mais Bozo Rajic

5 qui y était, qui a effectivement écrit l'ordre et qui a expliqué à la

6 Chambre ce qui s'est passé. Il a expliqué ce qui a précédé la signature de

7 l'accord Vance-Owen, ce qui s'est passé.

8 Les Musulmans comprennent définitivement que la Bosnie Herzégovine

9 unitaire qu'ils souhaitent comme leur seul Etat, encore aujourd'hui, n'est

10 pas viable. Donc ils le souhaitent encore aujourd'hui, mais ayant compris

11 que ceci ne va pas se réaliser, la Communauté internationale partage la

12 Bosnie-Herzégovine.

13 Ce n'était pas fait par Milosevic et Tudjman. Ils sont des acteurs trop

14 peu significatifs pour le réaliser. Ceci s'est confirmé par la suite et

15 les Musulmans comprennent qu'il faut accepter le partage et trouver les

16 frontières. Les Musulmans comprennent qu'il n'y a plus de Bosnie-

17 Herzégovine, que plus jamais il n'y aura de Bosnie-Herzégovine. Et avec

18 les forces armées dont ils disposent –dix fois plus grandes que les forces

19 du HVO-, ils appliquent la même approche que celle lancée par ceux qui ont

20 initié la guerre, à savoir l'armée serbe.

21 Qu'est-ce qu'ils font? Ils s'attaquent aux plus faibles. Et qui sont les

22 plus faibles en Bosnie-Herzégovine? Qui sont les plus faibles? Eh bien,

23 les Croates bien sûr. A l'époque, ils n'étaient que 17%, et aujourd'hui

24 ils sont 10%. Ces 7% de Croates, où ont-ils disparu? Vous avez entendu la

25 déposition de l'expert des Nations Unies en démographie, M. Markotic: où

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1 ont-ils disparu ces 7%?

2 Non, mais la logique veut que le peuple le moins nombreux va s'attaquer à

3 l'encontre du peuple le plus nombreux. Et bien sûr nous savons que l'armée

4 de Bosnie-Herzégovine lance le plan -il s'agit là encore d'un fait de

5 notoriété publique-, un plan appelé Neretva 93. Ceci a été établi par

6 Sefer Alilovic et les autres.

7 Quand est-ce que ce plan a commencé à être réalisé? Eh bien, en janvier

8 1993, pour s'emparer du plus de territoires possibles, avant la mise en

9 œuvre du plan Vance-Owen. Donc en janvier 1993, ils ont nettoyé toute la

10 zone jusqu'à Mostar. Pourquoi Mostar? Parce qu'il ne pouvait pas accéder à

11 la mer.

12 Je n'ai pas suffisamment de temps pour élaborer tout ce que j'ai à dire

13 concernant Neretva 93, mais ça c'est la vérité, ça c'est un fait, il n'y a

14 aucun doute au sujet de cela quelles que soient les affirmations du Bureau

15 du Procureur. Mais ici, compte tenu de leur alliance, ils déforment un peu

16 la vérité.

17 Nous avons entendu la déposition d'un expert, un historien, qui a expliqué

18 devant nous tous de quelle manière le groupe ethnique bosnien a été

19 constitué. Il s'agit là d'un processus qui n'est toujours pas terminé. Et

20 le Bureau du Procureur, en présentant les choses d'une telle manière,

21 étaye ce genre de mythe.

22 Mais il faut savoir que l'armée de la Bosnie-Herzégovine a été la première

23 à lancer l'attaque. Il s'agit de faits historiques incontestables qui

24 peuvent être facilement prouvés.

25 Parce que sinon pourquoi à Medjugorje, en mai, il y aurait eu une réunion

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1 entre Stoltenberg, Vance, Owen et le Président Tudjman, donc le 17 mai?

2 Pourquoi?

3 Eh bien, ils étaient encore en train de mettre en oeuvre le plan Vance-

4 Owen. Rien ne s'était passé avant cela. Mais après le 30 juin, l'armée de

5 Bosnie-Herzégovine a attaqué Mostar, soi-disant pour le libérer; ensuite

6 il y a Bijelo Polje, Vrapcici, des massacres et des atrocités, alors que

7 jusqu'alors l'armée de Bosnie-Herzégovine et le HVO se battaient du même

8 côté.

9 Mais ensuite l'armée de Bosnie-Herzégovine a emprisonné tous les civils et

10 c'est à ce moment-là que la guerre a commencé, le 30 juin, et ce ceci a

11 été suivi par le plan Owen-Stoltenberg qui prévoit une union des trois

12 Républiques. Ça, c'était la fin des provinces. A ce moment-là, tout le

13 monde a essayé de s'emparer du plus de territoires possibles.

14 Si vous regardez la carte, vous pouvez voir la manière dont le HVO se

15 retirait.

16 Ils sont tous citoyens de la Bosnie-Herzégovine, mais lorsqu'il y a une

17 guerre entre les citoyens d'une République, quelle que soit la cause ici,

18 c'est leur territoire! Comment est-ce qu'on appelle cela? Eh bien, une

19 guerre civile. Et l'expert qui a déposé ici l'a confirmé: il s'agit d'une

20 guerre civile.

21 Pourquoi dit-on que c'était un conflit international? Eh bien, je suppose

22 que c'est pour remercier l'Etat de Croatie qui a reçu un million de

23 réfugiés, qui a dépensé des milliards de dollars pour aider les réfugiés,

24 qui a donc accueilli, sauvé et armé ces réfugiés pour qu'ils puissent se

25 défendre à cause de tout cela.

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1 Et on trouve que c'est logique qu'un Etat qui fait tout ça va essayer de

2 conquérir ce même territoire le lendemain! Et tout ceci tourne autour du

3 référendum. Mais si les Croates ne s'étaient pas présentés au référendum,

4 la Bosnie-Herzégovine aurait encore fait partie de la Yougoslavie et

5 n'aurait jamais été reconnue internationalement, et à ce moment-là une

6 sortie de la Yougoslavie, qui serait armée certainement, aurait été

7 appelée sécession; et probablement on aurait dit que, et l'armée de

8 Bosnie-Herzégovine et le HVO étaient terroristes.

9 Mais comme le référendum a eu lieu, comme il a été terminé, et comme les

10 Croates ont voté à cent pour cent en faveur de la Bosnie-Herzégovine, eh

11 bien on a changé de politique. En même temps, on dit que ces mêmes Croates

12 voulaient conquérir ce même Etat le lendemain.

13 Mais tout d'un coup, la politique a donc changé, et c'est à ce moment-là

14 que la HZ-HB a été proclamée. Et puis, on dit que c'était fait dans des

15 buts, dieu sait comment.

16 Mais vous savez, le HVO était une armée légale, tout comme l'armée de

17 Bosnie-Herzégovine était une armée légale, alors que l'armée de la

18 Republika Srpska ne l'était pas. Mais il s'agissait des trois armées

19 l'appartenant à un même Etat.

20 Hier j'ai été surpris lorsque le Procureur a dit que peu importait qui

21 avait lancé l'attaque en premier. Mais vous savez, je suis avocat depuis

22 25 ans et même lors d'une bagarre dans un café, s'il y en a deux qui se

23 bagarrent et si quelqu'un a attaqué alors que l'autre se défendait, eh

24 bien l'autre a le droit de se défendre en invoquant son autodéfense.

25 Et là, tout d'un coup, le Procureur nous dit que peu importe qui a lancé

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1 l'attaque. Or c'est important qui l'a lancé. C'était la Bosnie-

2 Herzégovine. Et nous avons entendu les dépositions de témoins qui nous ont

3 raconté en détail qu'une attaque devait être lancée le 19 avril, qui a été

4 empêchée, et puis ensuite il y en a eu une autre qui n'a pas pu être

5 empêchée le 9 mai, etc.

6 Il est clair que la situation était chaotique, qu'on luttait pour chaque

7 maison, où 70 civils ont été tués par balle des tireurs embusqués. Et là

8 je parle des Croates à Mostar. Mais ils ne se sont pas tués eux-mêmes.

9 Donc des combats se déroulent au cœur de la partie occidentale de Mostar.

10 Et là, tout d'un coup, on est étonné de voir -et les témoins parfois

11 disaient qu'ils étaient civils et, nous, nous avions constaté qu'ils

12 étaient quand même des militaires- comme le témoin O qui était l'un des

13 commandants de Bosnie-Herzégovine et un extrémiste connu de l'armée de

14 Bosnie-Herzégovine, qui était coupable de ce conflit, et bien sûr que sa

15 déposition était telle qu'elle était, parce que justement il était en

16 train de mettre en œuvre cette politique-là: la politique des conquêtes de

17 territoires afin d'avoir une meilleure position lors des négociations.

18 Que devait faire le HVO? Arrêter, vérifier qui était soldat, qui ne

19 l'était pas? C'est ce qu'il a fait le 9 mai, et ceux qui n'appartenaient

20 pas à l'armée ont été relâchés et ceux qui ont été retenus, c'étaient des

21 membres de l'armée de Bosnie-Herzégovine; et une enquête a été lancée

22 devant des tribunaux militaires à leur encontre.

23 Et puis, le Procureur parle des persécutions. Or il s'agit des

24 arrestations après une nouvelle attaque le 30 juin. Les témoins, lorsque

25 l'on a demandé qui était la personne coupable de leur sort, ils ont tous

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1 répondu: "Arif Pasalic, le commandant du 4e Corps d'armée de Bosnie-

2 Herzégovine".

3 Encore une fois, on procède à des arrestations, on vérifie qui était

4 soldat, qui ne l'était pas. Tous ceux qui ne l'étaient pas ont été

5 libérés, et 498 –c'est le témoin qui nous le dit lui-même- sont restés

6 jusqu'au moment de l'échange -ceci est corroboré par un document- alors

7 que tous les autres ont été relâchés.

8 L'unique document de la Croix-Rouge comporte les données concernant le

9 mois de juillet et après la déposition d'un témoin protégé -dont je ne

10 vais donc pas mentionner le nom- 700 à 800 personnes ont été libérées, et

11 ce chiffre de 500 personnes était le nombre de personnes qui sont restées.

12 Qui plus est, le Procureur néglige un fait que la Chambre ne doit pas

13 négliger: qu'aucune action du HVO n'était dirigée à l'encontre de la

14 population musulmane. Qui plus est, le Procureur ne cesse d'affirmer que

15 tout était fait contre les civils et la population musulmane, tout en

16 oubliant que, lors d'un conflit armé, un conflit armé qui doit exister

17 pour qu'un procès soit initié devant ce Tribunal, eh bien il est

18 nécessaire d'avoir deux camps. Or deux camps existaient, à savoir l'armée

19 de Bosnie-Herzégovine et le HVO, et non pas la population musulmane et la

20 population croate.

21 Bien sûr la guerre sévissait et affectait tous les civils aussi, mais ça

22 c'est une conséquence malheureuse de la guerre, ça ne faisait pas partie

23 d'une politique préétablie par le camp croate dans ce conflit.

24 La défense a cité à la barre des témoins qui avaient des connaissances

25 directes concernant le début du conflit le 9 mai, ce que l'armée de

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1 Bosnie-Herzégovine a fait ce jour-là parce qu'il est important de savoir

2 tout cela pour avoir une image complète et pour aboutir à une bonne

3 décision. Et même si le témoin qui a déposé ici, témoin NP -et ici il a

4 dit clairement devant tout le monde quel a été son rôle concernant

5 Vranica, concernant le rôle du fameux Juka Prazina- le Procureur continue

6 à affirmer ce qu'il affirmait déjà.

7 L'accusation a donc maintenu sa position en se fondant sur tous ces

8 éléments de preuve concernant Mostar. Est-ce que la Chambre de première

9 instance peut à présent statuer et déclarer que Mladen Naletilic est

10 responsable des événements que se sont déroulés le 9 mai?

11 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, est-ce que vous jugez qu'il est

12 responsable des événements de l'Héliodrome? Nous avons examiné la question

13 de l'Héliodrome dans les détails les plus précis.

14 Est-ce que c'était Naletilic qui avait créé l'Héliodrome? Est-ce que c'est

15 lui qui contrôlait ce centre? Est-ce que c'est lui qui a envoyé les

16 personnes là-bas?

17 Il n'a jamais vu l'Héliodrome, il n'a jamais été présent là-bas, et je

18 pense que nous avons pu établir ce fait par le truchement de tous les

19 témoins qui sont venus déposer devant vous.

20 La défense fait, par conséquent, valoir qu'une telle décision ne peut pas

21 être prise et que la charge de la preuve incombe à l'accusation. Celle-ci

22 n'a pas présenté les éléments qui permettent de justifier une condamnation

23 au sujet de ce chef d'accusation.

24 Je propose à présent de passer à certains éléments de documents qui ont

25 été déposés. Les pièces à conviction ne se confirment pas les unes les

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1 autres, ne corroborent pas non plus les dires qui ont été prononcés par

2 les témoins. Les témoins de l'accusation n'ont pas pu témoigner au sujet

3 de l'authenticité des documents, ne connaissaient pas les événements qui,

4 ont donné naissance à ces documents.

5 Par conséquent, ces documents ne peuvent pas être confirmés comme étant

6 autant authentiques parce que seul l'auteur est en mesure de le faire. Ces

7 documents ont été signés par une personne directement.

8 Or, l'accusation par le truchement de ces témoins n'a pas pu apporter la

9 preuve de l'authenticité de ces documents. Nous avons été bombardés de

10 documents, de pièces à conviction, et nous avons apporté la preuve en ce

11 qui concerne la fiabilité des documents qui ont été présentés par le

12 Bataillon espagnol et par les autres forces internationales.

13 Me Meek s'est référé à ces documents dans le cadre de sa plaidoirie et

14 ainsi que dans son mémoire en clôture.

15 En fait, les sources du Bataillon espagnol étaient transmises par le

16 truchement d'un interprète, il n'a pas vérifié la source et la teneur de

17 ses déclarations, et c'est la façon dont les observateurs internationaux

18 ont pu compulser leurs documents.

19 Nous avons beaucoup entendu parler du Bataillon espagnol, nous avons

20 entendu parler de M. Van den Grinten, nous avons entendu parler de Garrod

21 qui n'était pas à Mostar à l'époque -il était à Mostar pendant une très

22 brève période de temps, puis ensuite, il s'est dirigé à Srebrenica et il

23 est revenu à Mostar uniquement en 1994- donc il ne sait pas ce qu'il s'est

24 passé à Mostar en 1993.

25 L'accusation a également fait des citations des transcripts présidentiels.

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1 Or, la défense fait valoir que, s'agissant de ces transcripts, la position

2 est inchangée. L'accusation ne peut faire allusion à ces transcripts qu'à

3 partir du moment où ils font allusion à la période et qu'ils couvrent les

4 événements visés dans l'Acte d'accusation.

5 Or il est question de la fiabilité de ces transcripts. Lorsqu'on parle de

6 ces documents, il faut parler de M. Pasalic qui a précisé non pas qu'il

7 n'aimait pas ce qu'il a lu, mais qu'il sait mieux que l'accusation ce

8 qu'est la réalité. Il était gêné lorsqu'il a présenté sa déposition, il

9 était gêné par les mensonges qui figuraient dans ces transcripts.

10 Et toutes les autres personnes qui sont mentionnées dans ces transcripts

11 peuvent dire si ces transcripts sont authentiques ou non. Il n'incombe pas

12 à l'accusation de se prononcer à cet égard. L'accusation aurait dû

13 convoquer ses personnes qui étaient présentes à la réunion et ces

14 personnes auraient pu ensuite dire si ces transcripts étaient

15 authentiques.

16 Si la Chambre de première instance souhaite fonder son jugement sur ces

17 transcripts présidentiels, à ce moment-là, elle doit d'abord vérifier si

18 ces transcripts ont été traduits de façon adéquate, si la version traduite

19 est une version fiable par rapport à l'original en langue croate.

20 Par ailleurs, la Chambre devra veiller à ce que tous les transcripts

21 commencent au début et se terminent à la fin.

22 J'aimerais appeler votre attention sur le document PT8. Il s'agit d'une

23 réunion entre Alija Izetbegovic, Boban Susak et Tudjman qui se serait

24 déroulée dans le domicile ou à la résidence de Tudjman. Cette réunion

25 s'est déroulée le 28 mars 1993. Ce document n'a pas été traduit.

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1 Par conséquent, si l'accusation souhaite parler de l'ultimatum qui aurait

2 été imposé par le HVO sur l'armée de Bosnie-Herzégovine, à ce moment-là

3 l'accusation aurait dû faire traduire ce transcript dans sa totalité. Or,

4 en l'état actuel des choses, seules certaines parties ont été traduites.

5 Le transcript présidentiel qui porte la cote PT8 a été transmis à la

6 défense dans le contexte du contre-interrogatoire du témoin Ancic. Il

7 s'agissait là du dernier témoin, et nous n'avons pas eu l'occasion de

8 réfuter une quelconque allégation qui est contenue dans ce transcript.

9 Toutefois, permettez-moi de dire que ce transcript n'a pas été traduit, à

10 savoir que les 16 premières pages n'ont pas été traduites du tout.

11 En fait, il ne s'agit pas du document PT8, mais du PT 28. C'est là la cote

12 qui a été attribuée au transcript présidentiel.

13 Puis on est passé à la page 14. Or, dans la version anglaise, il s'agit du

14 début du document qui porte la cote PT28. Une personne de la défense a

15 compilé ce transcript en inter-changeant le texte de la page 13 à la page

16 1. Or on ne sait pas s'il s'agit effectivement des mots qui ont été

17 prononcés par un président et de quel président il s'agit. Il s'agit de la

18 page 0157968 à la page 0157979, donc toutes ces pages n'ont pas été

19 traduites.

20 A partir de la page 0157983 à la page 0157986, ce document, donc ces

21 quelques pages-là ont été traduites et toute la fin du document n'existe

22 pas en langue anglaise. Dans la version anglaise, les trois derniers

23 chiffres 991 à la page 801 existent en langue anglaise.

24 J'ai également d'autres documents que j'aimerais vous montrer. Il s'agit

25 des documents auxquels l'accusation a fait allusion hier. Je ne pourrais

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1 pas vous les montrer tous. Je vous prierais de bien vouloir utiliser le

2 rétroprojecteur. Est-ce qu'on pourrait brancher le rétroprojecteur? Je

3 vous en remercie.

4 (L'huissier s'exécute.)

5 Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ceci? C'est simplement parce que

6 je pense que chaque document doit être vérifié à deux reprises, donc non

7 seulement par vous mais également par un interprète du Tribunal, parce

8 qu'il nous faut non seulement regarder la version en langue anglaise, mais

9 également la version en langue croate. Il faut veiller à ce que tous les

10 mots soient traduits.

11 Pourquoi vous dis-je cela? Il s'agit ici d'un exemple concret. Si vous

12 voyez la première page de ce document, vous voyez que cette page-ci se

13 termine par le chiffre 5.2….

14 (Intervention de l'huissier pour remettre le micro de M. Krsnik.)

15 Vous pouvez voir que toute la page est vide. Il y a un point 6 où il est

16 mentionné "Utiliser la version anglaise". Etant donné que dans la version

17 anglaise il n'est pas fait mention de ces faits, il est simplement dit "A

18 envoyer à Mostar, à la cellule antiterroriste 'Tuta'", les traducteurs ont

19 traduit ce document comme étant un document émanant du service des

20 renseignements.

21 Pourquoi? Je ne sais pas. Il n'apparaît aucune signature, il n'y a aucun

22 cachet, il y a une date qui apparaît, celle du 29 décembre 1993. Je tiens

23 également à signaler que la cellule antiterroriste "Tuta" n'existait pas.

24 Par ailleurs, le 23 décembre 1993, il n'existait pas encore le Bataillon

25 disciplinaire.

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1 Je propose maintenant de passer à un autre document. Vous pouvez voir ici

2 plusieurs documents de la sorte. La teneur n'est pas importante, il s'agit

3 de M. Andabak qui demande la punition d'un homme qui a voulu offrir une

4 voiture au Bataillon disciplinaire. Il s'agissait d'une voiture volée.

5 Si vous regardez à présent la traduction: où est-ce qu'on peut retrouver

6 ces éléments? A savoir qu'il s'agit d'une signature manuscrite de M.

7 Andabak.

8 Document suivant: il s'agit d'un document intéressant qui émane d'Andabak

9 et il y en a une pléthore. Donc on voit toujours le mot de "Naletilic"

10 mais ceci n'apparaît pas dans la traduction comme le conseil de la défense

11 l'a fait remarquer. Par conséquent, je vous invite à bien compulser les

12 deux versions d'un même document. C'est la raison pour laquelle je n'ai

13 pas fait foi aux éléments qui ont été avancés par l'accusation. Il s'agit

14 là simplement de quelques exemples mineurs.

15 Monsieur le Président, Mesdames les Juges, il est temps pour moi de mettre

16 un terme à ma plaidoirie. Il me reste moins d'un quart d'heure. Il me

17 semble qu'une fois de plus, je ne suis pas bien préparé parce qu'il n'y a

18 eu de nombreuses choses que je n'ai pas eu le temps d'aborder mais peut-

19 être qu'elles ne sont pas importantes parce que je pense que vous le ferez

20 vous-même lorsque vous analyserez de près l'ensemble des documents.

21 Si vous me le permettez, j'aimerais donc par conséquent conclure et dire

22 que la HZ-HB a justifié son existence dans tous les documents; il s'agit

23 d'une organisation provisoire et elle a existé de nombreuses vies, elle a

24 nourri de nombreuses personnes et il s'agissait de la seule porte de

25 sortie qui était offerte. Elle n'a jamais demandé une reconnaissance

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1 internationale, toutefois la communauté internationale, au moment où M.

2 Boban a été invité officiellement à participer à des négociations

3 officielles, il a reconnu son statut, de même qu'il a reconnu le statut

4 d'Alja Izetbegovic en tant que représentant d'un seul peuple qu'il a

5 exclusivement qualifié de République de Bosnie-Herzégovine et c'est la

6 raison pour laquelle il a dénommé son armée comme étant l'armée de Bosnie-

7 Herzégovine. Et ceci s'applique également pour la personne qui

8 représentait la Republika Srpska.

9 Dans l'Accord de Washington, ils ont reconnu les faits, les éléments de

10 droit et de faits en Herceg-Bosna; ils ont reconnu le droit de la

11 confédération, de la fédération des Musulmans et Croates au sein de la

12 République de Croatie. Il s'agissait là d'une reconnaissance par la

13 communauté internationale. Ils ont reconnu toutes les lois telles qu'elles

14 ont été confirmées par les Accords de Dayton et ces lois sont toujours en

15 vigueur.

16 Ce que le Procureur a essayé de dire n'a rien à voir avec la réalité ni

17 avec la vérité.

18 J'aimerais à présent mettre un terme à ma plaidoirie et dire que je suis

19 conscient du temps qu'il m'est imparti pour présenter cette plaidoirie.

20 Je ne suis pas en mesure de reproduire tous les documents, les comptes

21 rendus, et je ne peux pas le faire dans le contexte de la plaidoirie vu le

22 nombre réduit de pages que cette plaidoirie peut comporter mais je pense

23 que les Juges de cette Chambre de première instance se fondront sur

24 certains documents pour prononcer une peine et tiendront compte des

25 dépositions faites par certains témoins. Tous les éléments ont été

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1 présentés. J'espère que les facteurs de pondération adéquates seront

2 appliqués et que la Chambre fondra sa position sur les principes qui

3 régissent toutes les affaires au pénal, le principe dubio di prorero, ce

4 qui signifie que lorsqu'on a un doute, il faut se prononcer en faveur de

5 l'accusé.

6 Mladen Naletilic a essayé de prouver qu'il n'était pas coupable, il n'a

7 pas joué le rôle du Procureur et n'a pas assumé la charge de la preuve.

8 Mladen Naletilic a dressé une image des événements qui se sont déroulés au

9 cours de la période visée par l'Acte d'accusation. Son rôle en tant que

10 commandant du Bataillon des condamnés et en tant que personnage principal

11 mettant en application la politique de Franjo Tudjman dans la persécution

12 des Musulmans et dans la création d'une plus grande Croatie ne peut être

13 trouvée nulle part. De même, on ne peut trouver nulle part une référence à

14 une grande Croatie étant donné que cette intention n'existait pas comme

15 l'a montré l'Histoire. La République de Croatie était la première à

16 reconnaître la Bosnie-Herzégovine; je ne tiens pas à répéter les éléments

17 que j'ai déjà avancés au cours de ce procès. Il est difficile de

18 comprendre l'histoire de ce territoire mais si on ne comprend pas, à ce

19 moment-là, il faut poser des questions et cette Banovina ne correspond pas

20 du tout à la HZ-HB. Mon client n'a participé à aucune réunion. Il n'était

21 pas présent à ces réunions de l'unité la plus petite qu'il s'agisse d'une

22 brigade, d'une division, voire d'un ministère de la Défense.

23 Donc d'où venait ce pouvoir? J'imagine qu'il s'agissait d'un tour de

24 baguette magique. Parce que je dois vous dire que je ne sais pas, j'essaie

25 d'illustrer: comment peut-on voir et penser que M. Naletilic était

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1 commandant de ce bataillon? Comment a-t-il pu décider d'attaquer Sovici, à

2 présent que nous savons qu'il y avait une zone des opérations, qu'il y

3 avait une deuxième zone d'opérations, qu'il y avait un quartier général,

4 qu'il y avait un ministère de la Défense et, tout d'un coup, il décide par

5 lui-même de la manière dont il faut procéder comme s'il était Ali Baba

6 dans les cavernes.

7 Nous avons montré la structure du HVO, nous avons montré son mode de

8 fonctionnement. En 1993, mon client n'était pas présent. Aucun témoin n'a

9 attesté qu'il était présent, que des ordres ont été émis, quel était le

10 sort qui avait été réservé aux unités qui avaient été envoyées sur la

11 ligne de front, qui étaient les subalternes, etc.

12 Mladen Naletilic n'était présent lors d'aucune réunion du HDZ, il n'était

13 pas un membre du HDZ, et il n'a donc participé à aucune des réunions du

14 HDZ.

15 Et quel est l'élément principal lorsque l'on examine les documents?

16 Essayons de trouver un élément selon lequel mon client, Mladen Naletilic,

17 est le destinataire d'un document auquel l'accusation fait référence.

18 Et enfin, la dernière chose que je tiens à dire en guise de conclusion: la

19 défense suggère au Tribunal la seule peine qui peut être prononcée, à

20 savoir l'acquittement.

21 Je suis convaincu que si vous trouvez des éléments de preuve, la défense

22 ne les voit pas. Peut-être que vous examinerez ces éléments de preuve sous

23 un autre angle, mais je pense qu'au nom de la justice, au nom de la

24 vérité, vous allez prononcer l'acquittement en faveur de mon client.

25 Et cet acquittement, je dois dire que, hier, était le seul élément qui

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1 allait au-delà de l'attitude professionnelle parce qu'il semblait que

2 Naletilic a été montré comme une personne qui a gagné la guerre.

3 Mais on peut se poser la question: qui a réellement gagné cette guerre? Il

4 va devoir retourner sur Mostar, acquitté, et la victoire sera celle du

5 Statut et celle du Règlement de procédure et de preuve. C'est la seule

6 issue possible, c'est la seule victoire que l'on puisse envisager.

7 Hier, de façon très théâtrale, une image a été présentée. Je ne sais pas

8 pourquoi on l'a montrée de la sorte, mais est-ce que l'accusation a jamais

9 dit à quelle année se référait cette affiche? Elle l'a montrée à tout le

10 monde. Mais est-ce que vous savez quand cette affiche a été publiée?

11 Or, il s'agit ici de 1992, du lendemain de la libération de Mostar. Je

12 pense que tout le monde était en possession de cette affiche, on l'a vue

13 partout dans les cafés.

14 Et il est effectivement fait allusion à notre victoire, il s'agissait de

15 la libération de Mostar. Ils ont parlé d'une victoire, mais une victoire

16 sur qui? De quoi est-ce qu'il s'agit? Or l'accusation a oublié de préciser

17 qu'il s'agissait de 1992, et ces affiches figurent encore sur les murs de

18 certains cafés. Et pourquoi pas?

19 J'aimerais à présent conclure en m'adressant à vous, Monsieur le

20 Président, Mesdames les Juges, en formulant une observation qui reprend

21 les propos que vous-même avez prononcés. Vous m'avez donné là un espoir de

22 la force pour continuer.

23 A chaque fois que je sentais que j'allais tomber, vous m'avez encouragé

24 grâce à vos observations, grâce aux suggestions que vous avez formulées,

25 ceci m'a permis de continuer. Vous avez dit très clairement que tout

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1 dépendant de la compétence des juristes et des avocats. Et vous avez parlé

2 en fait du cœur même, vous avez dit que toute personne qui aspire à la

3 vérité, à la réalité ne peut pas être manipulée.

4 La compétence n'est pas l'élément déterminant, la seule chose qui prime,

5 ce sont les éléments de preuve, et c'est la raison pour laquelle je me

6 suis senti quelque peu apaisé après avoir entendu le réquisitoire prononcé

7 par mon collègue, M. Scott.

8 La défense estime qu'une plaidoirie ne signifie pas qu'il faille applaudir

9 à la fin d'une présentation.

10 Je vous remercie, Monsieur le Président, Mesdames les Juges.

11 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

12 Demain, nous allons entendre la plaidoirie présentée par la défense de M.

13 Martinovic. Nous reprendrons demain, à 14 heures 15, dans ce prétoire.

14 (L'audience est levée à 13 heures 45.)

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