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1 (Lundi 31 mars 2003.)
2 (Jugement.)
3 (L'audience est ouverte à 15 heures.)
4 (Audience publique.)
5 Mme Thompson (interprétation): Bonjour. Affaire IT-98-34-T, le Procureur
6 contre Naletilic et Martinovic.
7 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.
8 Je vais demander, aux fins du compte rendu d'audience, que les parties se
9 présentent.
10 D'abord, pour l'accusation?
11 M. Scott (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Madame le Juge
12 Clark, Madame le Juge Diarra.
13 Kenneth Scott. Je représente les intérêts de l'accusation avec M. Douglas
14 Stringer, M. Vassili Poriouvaev, Roland Bos, Marie-Ursula Kind et
15 Kimberley Fleming. Merci.
16 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Je me tourne vers les
17 représentants de la défense.
18 M. Krsnik (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames les
19 Juges.
20 Je m'appelle Kresimir Krsnik, et je suis accompagné ici de mon co-conseil,
21 M. Christopher Meek, ainsi que notre assistant.
22 M. le Président (interprétation): Merci.
23 M. Seric (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames les
24 Juges. Je suis Branko Seric, membre du barreau de Croatie, et suis
25 défenseur de Vinko Martinovic. A ma gauche, mon confrère et co-conseil,
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1 Zelimir Par, lui aussi membre du Barreau de Croatie. Merci, Monsieur le
2 Président, Mesdames les Juges.
3 M. le Président (interprétation): Monsieur Naletilic, êtes-vous en mesure
4 de suivre les débats dans une langue que vous comprenez?
5 M. Naletilic (interprétation): Oui.
6 M. le Président (interprétation): Merci. Vous pouvez vous asseoir.
7 Monsieur Martinovic, êtes-vous à même d'entendre les débats dans une
8 langue que vous comprenez?
9 M. Martinovic (interprétation): Oui.
10 M. le Président (interprétation): Nous ne vous avons pas vu depuis environ
11 cinq mois. Avez-vous quelque grief dont vous souhaitiez nous faire part?
12 Qu'en est-il de votre état de santé?
13 M. Martinovic (interprétation): Ma santé est bonne.
14 M. le Président (interprétation): Vous pouvez vous rasseoir.
15 La Chambre de première instance I section A siège aujourd'hui pour rendre
16 son jugement dans l'affaire "Le Procureur contre Vinko Martinovic et
17 Mladen Naletilic".
18 Pour les besoins de l'audience, la Chambre va brièvement résumer ses
19 conclusions, mais elle tient à rappeler qu'il ne s'agit que d'un résumé et
20 que seul fait foi le jugement écrit où sont exposés ses motifs et ses
21 conclusions. Les exemplaires de ce jugement écrit seront distribués aux
22 parties et au public à la fin de l'audience.
23 Avant d'en venir au fond, la Chambre souhaite remercier le service d'appui
24 judiciaire, les traducteurs et les interprètes, la section de gestion des
25 salles d'audience, la sécurité ainsi que la section des victimes et des
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1 témoins, pour leur contribution à ce procès.
2 Je donne maintenant la parole à Mme le Juge Diarra.
3 Mme Diarra: Merci, Monsieur le Président.
4 Il est allégué dans l'acte d'accusation que les événements visés se sont
5 produits entre avril 1993 et janvier 1994, durant le conflit opposant
6 l'armée de Bosnie-Herzégovine au Conseil de la défense croate dans le sud-
7 ouest de la Bosnie-Herzégovine et, plus particulièrement, à Mostar et dans
8 les municipalités voisines. L'accusation a soutenu que ce conflit revêtait
9 un caractère international et que les crimes allégués faisaient partie
10 d'une attaque généralisée, à grande échelle ou systématique dirigée contre
11 la population musulmane de Bosnie.
12 Mladen Naletilic et Vinko Martinovic sont accusés de crimes contre
13 l'humanité, d'infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et de
14 violation des lois ou coutumes de la guerre en tant que commandant
15 disciplinaire et de l'ATG Vinko Skrobo respectivement. Leur responsabilité
16 pénale à tous deux est engagée tant à titre individuel en application de
17 l'article 7-1) du Statut et qu'en leur qualité de supérieurs
18 hiérarchiques, en application de l'article 7-3 du Statut.
19 Plus précisément, M. Naletilic a comparu pour les chefs d'accusation
20 suivants:
21 1) Persécutions pour des raisons politique, raciales et religieuses à
22 raison de la détention illégale, le transfert illégal, les mauvais
23 traitements et le travail illégal infligé aux Musulmans de Bosnie ainsi
24 que pour la destruction et le pillage des biens appartenant aux Musulmans
25 de Bosnie (chef 1),
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1 2) Actes inhumains, traitements inhumains, traitements cruels, travail
2 illégal, meurtre et homicide intentionnel, pour avoir contraint des
3 détenus musulmans de Bosnie à accomplir des tâches dangereuses ou
4 illégales, en les mettant parfois sciemment en grand danger d'être blessés
5 ou tués (chefs 2 à 8),
6 3) Torture, traitement cruel et fait de causer intentionnellement de
7 grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité
8 physique ou à la santé, en raison des mauvais traitements infligés aux
9 civils et aux prisonniers de guerre musulmans de Bosnie (chefs 9 à 12),
10 4) Transfert illégal des civils, pour avoir commandé et ordonné le
11 transfert forcé de civils musulmans de Bosnie suite à l'attaque des
12 villages de Sovici et Doljani le 17 avril 1993 et durant le conflit de
13 Mostar entre le 9 mai 1993 et janvier 1994 (chef 18),
14 5) Destruction des biens sur une grande échelle et destruction sans motif
15 que ne justifient pas les exigences militaires, en raison des attaques
16 lancées contre Sovici, Doljani, Mostar et Rastani entre avril et septembre
17 1993 (chefs 19 et 20),
18 6) Pillage de biens publics et privés suite aux attaques menées contre
19 Sovici, Doljani, Mostar et Rastani entre avril et septembre 1993 (chef 21)
20 et,
21 7) Saisie, destruction ou endommagement délibéré d'édifices consacrés au
22 culte, pour avoir ordonné la destruction de la mosquée de Sovici suite à
23 l'attaque du village (chef 22).
24 Au total, 17 chefs d'accusation ont été retenus contre lui.
25 Vinko Martinovic a comparu pour les chefs d'accusation suivants:
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1 1) Persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses à
2 raison de la détention illégale, le transfert illégal, les mauvais
3 traitements et le travail illégal infligés aux Musulmans de Bosnie ainsi
4 que pour la destruction et le pillage de biens appartenant aux Musulmans
5 de Bosnie (chef 1),
6 2) Actes inhumains, traitement inhumain, traitement cruel, travail
7 illégal, meurtre et homicide intentionnel, pour avoir contraint des
8 détenus musulmans de Bosnie à accomplir des tâches dangereuses ou
9 illégales, en les mettant parfois sciemment en grand danger d'être blessés
10 ou tués (chefs 2 à 8),
11 3) Torture, traitement cruel et fait de causer intentionnellement de
12 grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité
13 physique ou à la santé, en raison des mauvais traitements infligés aux
14 civils et aux prisonniers de guerre musulmans de Bosnie (chefs 9 à 12),
15 4) Meurtre et de homicide intentionnel, en juillet 1993, commis sur la
16 personne du détenu Nenad Harmandzic alors que ce dernier était sous la
17 responsabilité de l'ATG Vinko Skrobo à Mostar ou, à titre subsidiaire,
18 traitement cruel et fait de causer délibérément des atteintes graves à
19 l'intégrité physique ou à la santé, en raison des sévices graves dont
20 Nenad Harmandzic aurait été victime de la part de subordonnés de l'accusé
21 (chefs 13 à 17),
22 5) Transfert illégal de civils, pour avoir commandé et ordonné le
23 transfert forcé de civils musulmans de Bosnie durant le conflit qui s'est
24 déroulé à Mostar entre le 9 mai 1993 et janvier 1994 (chef 18),
25 6) Pillage de biens publics et privés suite à l'attaque de Mostar le 9 mai
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1 1993 (chef 21).
2 Au total, 18 chefs d'accusation ont été retenus à son encontre.
3 Suite à la présentation des moyens de l'Accusation et en application de
4 l'article 98 bis du Règlement, la Chambre a conclu qu'aucun élément de
5 preuve n'a été présenté ou que les éléments de preuve présentés étaient
6 insuffisants, s'agissant des paragraphes 42 et 47 de l'acte d'accusation,
7 qui allèguent respectivement le décès de prisonniers du fait de leur
8 utilisation en tant que boucliers humains le 17 septembre 1993 et les
9 mauvais traitements infligés au témoin "B" au quartier général du
10 Bataillon disciplinaire à Siroki Brijeg.
11 Le procès s'est ouvert le 10 septembre 2001 et s'est conclu le 31 octobre
12 2002. La Chambre a entendu 84 témoins présentés par l'Accusation, 35 par
13 la Défense de Naletilic et 27 par celle de Martinovic. Durant le procès,
14 environ 2.750 pièces à conviction ont été admises.
15 La Chambre va maintenant résumer ses conclusions relatives aux chefs
16 retenus contre les deux accusés.
17 M. le Président (interprétation): Je donne maintenant la parole à Madame
18 le Juge Clark.
19 Mme Clark (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Mesdames et
20 Messieurs.
21 Longtemps après que ce Tribunal aura jugé sa dernière affaire, les
22 historiens et les analystes politiques continueront à débattre de
23 l'origine et des causes des guerres en ex-Yougoslavie. Or ceci n'est pas
24 notre rôle, et nous nous sommes gardés de formuler des théories sur les
25 causes de la guerre et de tirer des conclusions à cet égard. En notre
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1 qualité de juges du Tribunal international, notre devoir est de déterminer
2 si les faits reprochés par l'Accusation, à Mladen Naletilic, alias "Tuta"
3 ou à Vinko Martinovic, alias "Stela" sont avérés.
4 Les événements qui sont à l'origine des accusations portées contre
5 Naletilic et Martinovic, sont survenus dans le sud-ouest de l'Herzégovine,
6 la région la plus méridionale de la Bosnie-Herzégovine. C'est à ce jour,
7 la seule affaire qui porte sur cette région. Le sud de l'Herzégovine
8 comptait traditionnellement un grand nombre d'habitants qui se déclaraient
9 croates et qui partageaient la religion et les traditions catholiques de
10 leurs voisins croates. Etant donné la situation géographique des deux
11 pays, ceci n'est pas étonnant. Nombreux étaient également les habitants de
12 confession musulmane qui, sur le plan religieux, n'avait rien en commun
13 avec la Croatie. Ces deux groupes parlent la même langue, malgré quelques
14 différences régionales et traditionnelles d'accent et de vocabulaire.
15 La capitale de cette région d'Herzégovine était l'ancienne et magnifique
16 cité ottomane de Mostar, dont la population culturellement diverse était
17 composée de Croates, de Musulmans, de Serbes, de Juifs et d'autres.
18 Au cours des bouleversements et des déchirements qui, suite à
19 l'affirmation des identités nationales ou ethniques, ont affecté toutes
20 les régions de l'ex-Yougoslavie à partir de 1990, le contrôle de Mostar et
21 des zones limitrophes a joué un rôle crucial et extrêmement tragique.
22 Personne n'est sorti tout à fait indemne de cet épisode de l'histoire.
23 Avant l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, la ville de Mostar présentait une
24 grande diversité ethnique, et certains de ces quartiers étaient des
25 enclaves serbes, croates ou musulmanes. Pour l'essentiel, cependant, la
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1 ville était ethniquement mêlée et avait derrière elle une longue tradition
2 de tolérance. En témoigne la présence de monastères franciscains,
3 d'églises orthodoxes, d'une cathédrale catholique romaine, de couvents,
4 d'une synagogue et dix-neuf mosquées, des monuments qui ont survécu à de
5 nombreux siècles de changements politiques, dont plus de quarante ans de
6 régime socialiste à parti unique. La ville est coupée en deux par la
7 Neretva, rivière aux flots impétueux. La partie la plus ancienne de la
8 ville se trouve sur la partie orientale, et c'est là traditionnellement
9 que se trouvaient les quartiers musulmans et serbes. Lors du conflit serbe
10 puis de la guerre qui a opposé Croates et Musulmans de Bosnie, la partie
11 orientale de la ville a été la cible de violents bombardements; elle est
12 maintenant en ruines. Le superbe pont à une arche, qui enjambait la
13 Neretva pendant quatre siècles, a été dynamité puis détruit par
14 l'artillerie en novembre 1993.
15 Mostar et ses environs ont été le théâtre de plusieurs conflits entre
16 différents groupes au cours de la désintégration de la Yougoslavie, mais
17 le présent jugement ne concerne que la courte période d'avril 1993 à mars
18 1994. L'acte d'accusation traite uniquement du conflit qui a opposé les
19 Croates et les Musulmans en Bosnie-Herzégovine. Ces deux groupes ethniques
20 avaient collaboré et combattu côte à côte, en 1992, dans le conflit les
21 opposant aux Serbo-monténégrins. Malheureusement, de nombreux éléments,
22 sur lesquels il ne nous appartient pas de nous prononcer, ont abouti à
23 l'éclatement d'un conflit âpre, et Mostar a été divisée en deux: l'ABiH
24 contrôlant la partie orientale de la ville et le HVO la partie
25 occidentale. Ce fut une guerre dure et très violente.
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1 S'agissant du contexte dans lequel s'inscrivent les faits reprochés aux
2 accusés, nous avons observé une étrange uniformité dans la manière dont
3 tous les témoins cités ont décrit ces événements tragiques. Ils parlent
4 toujours de la guerre avec les Serbes comme de l'agression serbe ou de
5 l'"agression serbo-monténégrine". Mais ils qualifient toujours de "guerre"
6 le conflit qui a opposé le HVO et l'ABiH, c'est-à-dire les Croates et les
7 Musulmans. La disparition de plus de vingt pour cent de la population de
8 la ville après le retrait serbe dans l'année 1992 n'a suscité ni regret ni
9 critique de la part de ces témoins.
10 De nombreux témoins à décharge ont déclaré que, de par sa Constitution, la
11 Croatie était tenue de protéger les Croates partout dans le monde, et donc
12 également les Croates de Bosnie-Herzégovine. Le conseil de la défense de
13 Naletilic, ainsi que les témoins cités par ce dernier, ont rejeté
14 l'appellation "Croates de Bosnie". Il n'y aurait, selon eux, que des
15 "Croates vivant en Bosnie-Herzégovine".
16 De nombreux témoins à décharge se sont fortement opposés à l'appellation
17 "Croates de Bosnie" pour, finalement, sans doute par inadvertance, souvent
18 l'utiliser eux-mêmes. D'aucuns se sont opposés à l'utilisation du terme de
19 "Bosnie" pour désigner le pays. Il ne fait aucun doute qu'une partie du
20 pays s'appelle effectivement la "Bosnie", tandis que l'autre est
21 traditionnellement appelé "Herzégovine", et que l'entité, dans son
22 ensemble, est connue sous le nom de "Bosnie-Herzégovine". Ce pays, au nom
23 malheureusement bien long, est presque universellement désigné par le
24 raccourci de "Bosnie". Telles sont les susceptibilités qui se sont
25 exprimées lors des témoignages au procès.
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1 Nous nous proposons donc, aux fins de ce jugement, de désigner les parties
2 au conflit par les termes "Croates de BH", "Musulmans" et "Serbes de BH",
3 et de n'utiliser le terme de "Croates" seul que pour désigner les citoyens
4 de la République de Croatie. Rappelons que les faits se sont déroulés dans
5 la région d'Herzégovine, en Bosnie-Herzégovine.
6 La plupart des témoins ont fait de leur mieux pour relater des événements
7 douloureux remontant à huit ou neuf ans. Cependant, la Chambre a parfois
8 été déçue par le caractère mensonger de nombre des témoignages qui lui ont
9 été présentés. Certains témoins ont exagéré les faits, d'autres n'ont pas
10 dit toute la vérité, et d'autres encore ont délibérément menti. Très
11 souvent, les Juges ont été déçus de constater que des témoins bien placés
12 n'avaient rien vu, n'avaient rien entendu et ne savaient rien des
13 événements importants survenus dans le secteur où ils se trouvaient. La
14 Chambre concède que dans le cadre d'un conflit ethnique dur, les mêmes
15 événements peuvent fréquemment être décrits de manière très différente, et
16 parfois irréconciliable. La Chambre a tenu compte de cette possibilité et
17 cette interprétation a été exclue dans le cadre de témoins jugés non
18 sincères. Les critiques formulées plus haut visent des témoins qui ont
19 menti de manière tout à fait délibérée, et non parce que leur perception,
20 au demeurant sincère, des événements était objectivement erronée.
21 Nous avons à tout moment envisagé les éléments de preuve en partant du
22 principe que la charge de la preuve incombait à l'accusation et que tout
23 doute raisonnable devait bénéficier à l'accusé. En raison de la défiance
24 persistante entre ces deux communautés aux loyautés divisées, nous avons
25 rejeté les preuves pour manque de fiabilité, les preuves apportées par des
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1 participants, à moins qu'elles ne soient corroborées par des éléments
2 fournis par des sources indépendantes. Près de 150 témoins ont été
3 entendus et un très grand volume de documents a été soumis à l'examen de
4 la Chambre.
5 Les documents jouent un rôle clé dans ce procès. La grande majorité des
6 documents vient des archives du HVO conservées à Zagreb. Ces documents
7 comprennent certains des registres de la prison ou du camp de
8 l'Héliodrome, qui montrent que des prisonniers étaient quotidiennement
9 relâchés pour aller travailler pour des unités nommément désignées du HVO
10 et de la HV. Les archives du HVO étaient tenues dans un style militaire
11 soigné et méticuleux et enregistraient les rapports et les ordres
12 militaires, ainsi que des rapports et des ordres tout aussi soigneusement
13 établis par l'administration civile du gouvernement du HVO.
14 La Chambre a aussi reçu des rapports journaliers, hebdomadaires,
15 d'observateurs internationaux et d'organisations humanitaires. La Chambre
16 a également reçu des documents saisis au quartier général du Kaznjenicka
17 Bojna, à Siroki Brijeg, suite à ordre de perquisition. Ces documents ont
18 en grande partie confirmé le témoignage de sept anciens membres du KB, et
19 ne laissent planer aucun doute sur le fait que Mladen Naletilic, alias
20 "Tuta", occupait bien les fonctions de commandant suprême du KB.
21 La Chambre a également admis le journal d'un homme soigneux et
22 observateur, qui a humblement rapporté au quotidien, dans un cahier usagé,
23 ce qui se passait au commandement du HVO à Orlovac, à l'ancienne ferme
24 piscicole près de Doljani. Ce journal relate en détail les allées et
25 venues de "Tuta" au cours de la période concernant les accusations
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1 relatives à Sovici et Doljani. En dépit des efforts déployés par la
2 Défense afin de minimiser le rôle de l'auteur de ce journal au sein du HVO
3 ou de nier sa présence à la ferme piscicole, la Chambre est convaincue que
4 ce journal est un journal authentique, et que c'est un document fiable. La
5 Chambre a ordonné qu'une photocopie en soit faite et qu'elle soit
6 traduite, puis a procédé à une comparaison avec la première photocopie
7 présentée par le témoin qui l'avait gardée, ainsi que l'original, pendant
8 des années. La Chambre n'a aucun doute quant à l'authenticité de ce
9 journal, ce qui ne signifie pas que la teneur du journal elle-même soit
10 nécessairement vraie. Le journal reflète ce que l'auteur a rapporté des
11 événements tels qu'ils lui sont arrivés. Il a corroboré le récit que
12 d'autres témoins ont fait du traitement qu'on leur a infligé à leur
13 arrivée à la ferme piscicole, en tant que prisonniers. Il a également aidé
14 la Défense de Naletilic à montrer que Tuta se trouvait à Doljani le 19
15 avril 1993, et pas avant cette date.
16 La composante musulmane du Gouvernement de Bosnie-Herzégovine a également
17 fourni un petit nombre de documents. Pour la plus grande partie, il s'agit
18 de documents trouvés au même commandement du HVO à la ferme piscicole de
19 Orlovac, lorsque l'armée de Bosnie-Herzégovine a pris Doljani en juillet
20 1993. C'est ainsi que le journal de Rados a été porté à la connaissance de
21 la Chambre, qui a pu voir et examiner l'original.
22 Tous les documents coïncident presque parfaitement avec les témoignages et
23 ils les ont corroborés, s'agissant de points litigieux.
24 Ces remarques préliminaires achevées, examinons maintenant les faits.
25 Mladen Naletilic a 56 ans. Il est né le 1er décembre 1946 à Siroki Brijeg,
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1 en Bosnie-Herzégovine. En l'espèce, les témoins ont eu souvent recours à
2 des surnoms pour désigner certaines personnes, et beaucoup de personnes
3 n'étaient d'ailleurs connues que par leur surnom, à tel point qu'on en
4 oubliait leur nom officiel. Mladen Naletilic est surnommé "Tuta" et de
5 nombreux témoins ne le connaissaient en effet que sous ce surnom ou encore
6 sous le surnom de "M. Tuta" ou de "général Tuta". L'accusé signait souvent
7 les documents uniquement de son surnom, mais parfois aussi de "Mladen
8 Naletilic – Tuta". Ainsi, c'est donc sous ce surnom qu'il est désigné dans
9 l'Acte d'accusation.
10 Siroki Brijeg se trouve à 14 kilomètres à l'ouest de Mostar, sur la route
11 principale qui relie Mostar à la frontière croate ou à la côte adriatique.
12 Il se situe à 40 kilomètres de Doljani et Sovici. Tout le monde s'accorde
13 à dire que Siroki Brijeg est une ville exclusivement catholique, comptant
14 moins de 30.000 habitants.
15 Vu sa taille, on peut dire que Siroki Brijeg a joué un rôle étonnamment
16 important dans cette affaire, étant donné qu'il s'agissait de la ville
17 natale de Mladen Naletilic ainsi que du lieu de naissance ou de résidence
18 d'un grand nombre de témoins cités à comparaître pour la défense de
19 Naletilic.
20 Les éléments de preuve présentés ne permettent pas de savoir au juste où
21 vivait et travaillait "Tuta" avant qu'il ne retourne habiter à Siroki
22 Brijeg. Il a été indirectement fait allusion à sa richesse, à sa villa
23 avec jardin paysager et piscine construite sur un terrain sans arrivée
24 d'eau, et au fait qu'il se faisait conduire dans une voiture de luxe,
25 entouré de gardes du corps. Il a vécu une bonne partie de sa vie hors
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1 d'Herzégovine, en Allemagne, et au début des années 1990, est retourné
2 vivre à Siroki Brijeg et s'y est fait construire une villa. Les habitants
3 de Siroki Brijeg semblent le considérer comme un généreux donateur ayant
4 soutenu les activités religieuses et sportives de la ville alors qu'il
5 vivait et travaillait à l'étranger.
6 En 1991, "Tuta" avait dans les 45 ans. C'est un homme de petite carrure
7 habitué à porter les cheveux longs. Des photographies prises au moment du
8 conflit montrent un homme fluet portant des lunettes, une barbe et des
9 cheveux grisonnants mi-longs. Il n'offre pas l'image habituelle d'un chef
10 militaire.
11 Il est retourné à Siroki Brijeg en 1990 et 1991, alors qu'il avait déjà
12 formé un groupe paramilitaire indépendant, connu sous le nom de "bataillon
13 disciplinaire", "Kaznjenicka Bojna" ou "KB", avec l'approbation de Franjo
14 Tudjman qui en avait été informé. Le groupe était décrit comme une unité
15 spécialisée dans le sabotage et l'infiltration des lignes ennemies. Sous
16 le commandement et la tutelle de Mladen Naletilic et d'un proche
17 collaborateur, Ivan Andabak, ce petit groupe a acquis une grande
18 popularité et est entré dans la légende: il aurait joué, selon ses
19 admirateurs, un rôle majeur dans la défaite des Serbes et dans la
20 libération de Mostar au printemps 1992.
21 La désintégration de la Yougoslavie et la disparition du régime de parti
22 unique ont abouti à une période d'anarchie extrême. Le conseil de la
23 Défense de Naletilic a présenté ces jours du conflit opposant les
24 différents groupes ethniques à Mostar en ces termes: "Quiconque possédait
25 une arme était un soldat. Et quiconque avait assez d'argent pouvait
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1 acheter des armes et des uniformes, créer une unité et s'en déclarer le
2 chef.". Il semble qu'en dépit de l'embargo sur les armes, les Croates de
3 Bosnie-Herzégovine pouvaient facilement se procurer armes et uniformes.
4 Plus tard, ce fut le cas de la majorité des habitants.
5 Après le repli des Serbes, "Tuta", simplement connu dans sa localité sous
6 ce prénom, a en quelque sorte acquis le statut de héros, de nombreux
7 témoins l'ont décrit comme une légende. Entre-temps, le bataillon
8 disciplinaire a vu grossir ses rangs et a combattu sans répit les forces
9 serbes de Bosnie-Herzégovine et la JNA jusqu'en juin 1992, avant de
10 refaire surface sous la tutelle du HVO, dans les premières escarmouches
11 avec les forces musulmanes de Bosnie-Herzégovine, fin 1992 et début 1993.
12 "Tuta" était un proche ami et collaborateur de Gojko Susak, ministre
13 croate de la Défense, ce qui lui permettait d'avoir accès direct au
14 Président Franjo Tudjman. Il était lié à Mate Boban, le Président du HDZ
15 en Bosnie-Herzégovine, et Président du HDZ en BH et de la HZ H-B. Rien ne
16 prouve qu'il était membre du HDZ, du gouvernement de la HZ H-B ou, par la
17 suite, de la HR H-B. La Défense nie qu'il ait joué un rôle quelconque
18 durant la guerre et qu'il ait été commandant du KB, mais la Chambre est
19 convaincue qu'il s'agissait d'un homme influent et important au sein de la
20 communauté croate en Herzégovine. Il était en mesure de jouer un rôle
21 néfaste dans la vie des Musulmans de Bosnie-Herzégovine pendant la guerre.
22 Vinko Martinovic (Stela) a 39 ans et est né le 21 septembre 1963 à Mostar,
23 en Bosnie-Herzégovine. Il a grandi à Mostar, dans un quartier
24 multiethnique, appelé Rodoc. Il a grandi, travaillé et vécu en lien étroit
25 avec des Musulmans. Avant la guerre, il a principalement travaillé comme
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1 chauffeur de taxi à Mostar. De nombreux témoins, dont son frère et
2 quelques voisins, l'ont décrit comme étant un meneur-né et un patriote. En
3 1992, lorsque a éclaté le conflit avec l'armée serbo-monténégrine à
4 Mostar, Vinko Martinovic, alors âgé de 29 ans, a rejoint les HOS, un
5 groupe paramilitaire de Croates de BH et de Musulmans, au sein duquel il
6 est devenu chef du bataillon de Mostar. Il n'a jamais participé à la vie
7 politique. C'était un garçon de Mostar qui n'avait reçu qu'une éducation
8 élémentaire.
9 Suite à l'interruption des relations entre les Musulmans et les Croates,
10 les formations HOS ont été dissoutes et Vinko Martinovic est devenu chef
11 d'un groupe antiterroriste ("ATG") du HVO, nommé Vinko Skrobo ou Mrmak.
12 Cette petite unité faisait partie du bataillon disciplinaire, même si, la
13 majeure partie du temps, elle menait une existence relativement
14 indépendante. Vinko Martinovic, surnommé "Stela", semble avoir prospéré
15 dans ses fonctions de chef et s'être entouré d'un groupe de jeunes hommes
16 animés du même état d'esprit que lui. Malheureusement, c'est un fait avéré
17 que les guerres voient l'émergence de groupes de brutes et de profiteurs
18 mal intentionnés. Sous le couvert de l'uniforme et la protection des armes
19 et de leur nombre, ils s'autoproclament commandants et s'emparent de
20 secteurs entiers dans leur intérêt personnel et au détriment de celui de
21 leurs concitoyens. Vinko Martinovic est l'exemple-type de ces profiteurs
22 de guerre. De chauffeur de taxi, il est devenu commandant. Lors de sa
23 comparution initiale devant le Tribunal, il a dit être propriétaire de
24 restaurant. Durant tout le procès, il a été présenté comme un simple
25 fantassin qui faisait de son mieux pour protéger sa ville contre les
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1 attaques.
2 Il est allégué que les crimes visés dans les vingt-deux chefs de l'Acte
3 d'accusation ont été commis dans le cadre d'un conflit armé international,
4 et alors que la République de Bosnie-Herzégovine était partiellement
5 occupée. Ces crimes auraient été commis par le KB, avec les forces armées
6 du HVO qui étaient, d'après l'Accusation, aidées et soutenues par la HV
7 dans les municipalités de Mostar et de Jablanica.
8 Il a été avancé que Mladen Naletilic (Tuta) commandait le bataillon
9 disciplinaire ou KB au sein du HVO, depuis le quartier général de celui-ci
10 à Siroki Brijeg, et que Vinko Martinovic (Stela) était à la tête d'une
11 unité subordonnée au bataillon disciplinaire, le soi-disant groupe
12 antiterroriste ("ATG") connu sous le nom de Mrmak, puis sous celui de
13 Vinko Skrobo, et qui opérait sur la ligne de front à Mostar.
14 L'Accusation a avancé que, le 17 avril 1993, des forces de la HV et du
15 HVO, dont le bataillon disciplinaire (KB), ont, sous le commandement
16 général de Mladen Naletilic (Tuta), participé aux attaques lancées contre
17 Sovici et Doljani, deux villages de la municipalité de Jablanica. Au cours
18 de cette opération, la population musulmane de BH a été expulsée de force
19 de ses foyers et de ses villages, et des mosquées ont été détruites. Les
20 premières constatations de la Chambre porteront par conséquent sur ces
21 deux villages, répondant aux questions de savoir si les événements se sont
22 produits dans le cadre d'un conflit armé international, si Mladen
23 Naletilic Tuta était le chef du KB à l'époque, et s'il a exercé le
24 commandement général de l'opération militaire de Sovici et Doljani.
25 L'Accusation a allégué en outre que, le 9 mai 1993, des forces de la HV et
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1 du HVO, dont le bataillon disciplinaire (KB) et l'unité Mrmak,
2 ultérieurement devenue l'unité Vinko Skrobo, ont lancé une offensive
3 militaire de grande envergure contre la population musulmane de BH à
4 Mostar, établissant ainsi une ligne de front qui divisait la ville entre
5 les Croates et les Musulmans.
6 Lors de sa plaidoirie, la Défense de Naletilic a porté à la connaissance
7 de la Chambre les écrits d'un certain professeur de droit et
8 d'anthropologie qui aurait écrit au sujet de ce Tribunal que
9 "la justice qu'il rend est entachée de parti pris parce que les décisions
10 d'engager les poursuites se fondent sur les caractéristiques nationales de
11 l'accusé, plutôt que sur les preuves disponibles montrant ce qu'il a
12 fait".
13 La Défense a également rappelé à la Chambre de première instance que
14 l'Arrêt rendu par la Chambre d'appel dans l'affaire Kupreskic a infirmé
15 les conclusions de la Chambre de première instance et acquitté les
16 accusés. Elle a pressé la Chambre d'appliquer à l'espèce les principes
17 décrits dans cet Arrêt.
18 La Chambre peut assurer les parties qu'elle a entendu et mûrement pesé les
19 nombreux arguments sérieux présentés par les représentants de la Défense
20 et de l'Accusation.
21 Sur de nombreux points, les deux accusés ont cité les mêmes témoins et
22 adopté une ligne juridique similaire. Il n'y avait pas de différence
23 majeure entre eux sur les questions litigieuses. Les deux accusés ont
24 choisi de nier tous les faits importants et de considérer tous les faits
25 comme litigieux. Bien que Vinko Martinovic ait reconnu, dans son mémoire
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1 préalable, avoir été commandant de l'ATG Vinko Skrobo durant la période
2 concernée, au procès, il a paru avoir retiré cette concession : durant
3 leur contre interrogatoire, nombre d'anciens prisonniers du camp de
4 l'Héliodrome ont été interrogés sur leur connaissance visuelle de "Stela",
5 de son quartier général de la rue Kalemova ou de la ligne de front sur le
6 Bulevar.
7 La Défense de Mladen Naletilic a avant tout cherché à prouver que ce
8 n'était pas lui le commandant du KB, mais Ivan Andabak. Durant la
9 présentation des moyens de cet accusé, après le contre-interrogatoire de
10 plus de 50 témoins et la comparution de 7 témoins à décharge, la Défense
11 s'est faite plus précise. Pour la première fois, la Chambre a entendu
12 qu'il avait démissionné de ses fonctions au KB au début de l'automne 1992,
13 en raison d'une santé défaillante, et qu'il n'était donc pas responsable,
14 ni comme supérieur hiérarchique ni comme auteur des actes portés à sa
15 charge.
16 De toute évidence, si l'Accusation n'arrivait pas à prouver au-delà de
17 tout doute raisonnable que Mladen Naletilic était le commandant du KB
18 d'avril 1993 à janvier 1994, alors toutes les accusations portées contre
19 lui tomberaient et il devrait être acquitté. Une telle conclusion n'aurait
20 aucune incidence sur les accusations portées contre Vinko Martinovic
21 Stela, même si, bien entendu, le rejet d'une grande partie des preuves
22 apportées contre Naletilic diminuerait la crédibilité des témoins ayant
23 déposé sur le rôle joué par les deux accusés. Avant d'en venir plus
24 précisément aux chefs de l'Acte d'accusation, la Chambre souhaite
25 présenter ses conclusions factuelles s'agissant de l'ordre chronologique
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1 des événements qui en sont à l'origine.
2 Dans cette affaire, les témoins et les documents concernent principalement
3 le contexte du conflit, l'implication de la Croatie dans celui-ci, la
4 place du KB dans la structure militaire du HVO et les lieux où se sont
5 déroulés les faits allégués.
6 Les accusés doivent répondre d'infractions graves aux Conventions de
7 Genève, telles qu'énoncées à l'article 2 du Statut. Les conditions de
8 déclenchement de la compétence du Tribunal sont donc les suivantes: le
9 conflit doit être rendu international par l'intervention d'un autre Etat,
10 soit qu'il déploie directement ses troupes soit qu'il intervienne
11 indirectement en exerçant un contrôle global sur l'une des parties au
12 conflit. Les victimes des crimes allégués doivent être des personnes
13 protégées.
14 Les circonstances qui ont abouti au conflit entre le HVO et l'ABiH dans
15 cette partie de l'Herzégovine ne diffèrent pas, ou peu, du contexte
16 factuel et historique de deux autres affaires déjà jugées par ce Tribunal
17 pénal international. Il s'agit des affaires "Le Procureur c/Blaskic"
18 (3.3.2000) et le Procureur c/Kordic et Cerkez (26.2.2001). Bien que ces
19 deux affaires concernent le conflit qui opposait le HVO à l'ABiH dans la
20 vallée de la Lasva, les éléments principaux sont identiques s'agissant des
21 conditions de déclenchement de la compétence.
22 Les faits allégués en l'espèce, comme dans les affaires Blaskic et Kordic,
23 se sont produits dans l'entité autoproclamée de l'Herceg-Bosna. Comme dans
24 ces deux affaires, le déploiement de troupes et d'équipements de l'armée
25 croate en Herzégovine durant la période visée par l'acte d'accusation est
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1 amplement prouvé. Beaucoup de victimes et de prisonniers qui ont témoigné
2 en l'espèce ont vu quotidiennement des soldats portant l'uniforme de la
3 HV, conduisant des véhicules de la HV et occupant des zones distinctes de
4 l'Héliodrome, une ancienne caserne de la JNA, qui abritait durant le
5 conflit les prisonniers de guerre et d'autres détenus, principalement
6 musulmans. Ces troupes semblent avoir combattu dans des unités distinctes,
7 répondant à une hiérarchie distincte, ce qui contredit l'affirmation de la
8 Défense selon laquelle il s'agissait pour l'essentiel de volontaires
9 originaires d'Herzégovine qui avaient pris les armes contre les Serbes
10 pour la Croatie et qui, après ce conflit, était revenus pour protéger leur
11 foyers contre l'attaque de l'ABiH.
12 Ce moyen de défense avait été avancé et rejeté dans les affaires Blaskic
13 et Kordic, et la Chambre le rejette également en l'espèce. Le simple
14 nombre des témoignages et des documents mentionnant la présence de troupes
15 de la HV et leur participation au conflit et provenant de sources
16 indépendantes fiables et des archives du HVO ne laisse guère de doute sur
17 ce point.
18 Il est amplement prouvé que la Croatie a tenté de dissimuler sa
19 participation directe au conflit en Bosnie-Herzégovine, comme le montrent
20 les "Comptes rendus présidentiels" présentés durant le procès. Ces
21 documents avaient fait l'objet d'un premier débat vers la fin du procès de
22 Dario Kordic, auparavant principal dirigeant politique de la Herceg-Bosna.
23 La Chambre de première instance a entendu des témoignages sur les détails
24 techniques de l'enregistrement et de la transcription ultérieure de
25 conversations tenues lors de réunions dans le bureau du Président Tudman.
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1 La Chambre a reçu ce témoignage dans le cadre de l'article 92 bis du
2 Règlement et a été guidée dans l'examen de ces précieuses archives par M.
3 Marko Prlic. Elle est la première Chambre de première instance à se fonder
4 sur la teneur de cette partie des comptes rendus présidentiels, qui lui
5 ont apporté une aide considérable en établissant sans ambiguïté l'ampleur
6 de la participation du Président Tudjman dans les affaires de la Herceg-
7 Bosna, du HVO et dans le conflit en Bosnie-Herzégovine. Les conclusions
8 qui suivent sont donc à replacer dans le cadre d'un conflit armé
9 international.
10 La Chambre de première instance conclut que Mladen Naletilic "Tuta" était
11 l'un des principaux commandants du plan d'attaque de Sovici et Doljani,
12 qui s'inscrivait dans la stratégie globale visant à prendre Jablanica, une
13 ville à prédominance musulmane qui résistait parce qu'elle ne souhaitait
14 pas être inclue dans la Herceg-Bosna sous contrôle croate. Ivan Andabak et
15 Mario Hrkac, surnommé "Cikota", étaient à ses côtés en tant que
16 commandants d'unités du KB.
17 En avril 1993, dans la région de Jablanica, les deux camps étaient prêts
18 au combat. Les actes de provocation, la manipulation des informations
19 diffusées par les médias et l'exagération criante des craintes mutuelles
20 étaient monnaie courante. L'arrivée à Jablanica, après le conflit contre
21 les Serbes, d'un grand nombre de réfugiés musulmans a perturbé l'équilibre
22 ethnique et contribué à empirer les tensions. Il y a eu des mouvements de
23 troupes des deux côtés dans la zone et les barrages routiers étaient
24 courants après le 15 avril. La population musulmane locale a été moins
25 prise au dépourvu que les témoins ne sont prêts à le reconnaître. La
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1 Chambre n'a pas vocation à porter un jugement sur la situation politique
2 globale qui dominait le conflit dans son ensemble. Elle ne cherche pas à
3 atténuer, pas plus qu'elle ne légitime, les actions militaires ultérieures
4 dans le village de Doljani, où il est notoire que des atrocités ont été
5 commises en juillet de la même année.
6 La Chambre de première instance conclut que, dans le conflit local qui a
7 suivi à Sovici et Doljani, Mladen Naletilic a joué un rôle important dans
8 les mauvais traitements graves de certains des soldats faits prisonniers
9 et qui restaient loyaux à l'ABiH, ainsi que dans les mauvais traitements
10 infligés à la population civile et les crimes commis envers ses biens. Il
11 ne fait aucun doute que, le 17 avril et dans les jours qui ont suivi, les
12 Musulmans de la région étaient en situation d'infériorité sur le plan de
13 l'armement que sur celui des effectifs. Après leur reddition, ils sont
14 devenus des personnes protégées par les IIIe et IVe Conventions de Genève.
15 Les commandants des forces occupantes étaient tenus de respecter les
16 obligations que leur imposaient ces Conventions s'agissant du traitement
17 des civils et des prisonniers de guerre. Si elles avaient été respectées,
18 Mladen Naletilic ne serait pas jugé aujourd'hui devant ce Tribunal.
19 Les 75 à 80 hommes qui ont remis leurs armes au HVO ce jour-là n'étaient
20 pas tous des combattants. Ils ont été interrogés par Ivan Andabak entre
21 autres, détenus toute la nuit dans des conditions pénibles et transportés
22 le lendemain à la prison de Ljubuski. La plupart des maisons des Musulmans
23 de Sovici et Doljani a été incendiée et est aujourd'hui encore
24 inhabitable. Tous les civils de Sovici ont été détenus contre leur gré
25 soit dans le bâtiment de l'école soit dans un petit hameau surpeuplé, sous
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1 la surveillance de gardes armés près de trois semaines avant d'être
2 effectivement expulsés vers un territoire sous contrôle de l'ABiH. Mladen
3 Naletilic est coupable de leur transfert illégal.
4 Nombre des soldats qui se sont livrés au HVO dans le village de Sovici ont
5 évoqué les terribles mauvais traitements qui leur ont été infligés dans
6 l'autocar qui les transportait à la prison de Ljubuski et une fois détenus
7 dans celle-ci. Le témoin Y était la victime privilégiée de traitements
8 particulièrement cruels. Ses bourreaux étaient souvent des membres du KB
9 qui, comme on l'a rapporté à la Chambre, échappaient au contrôle du
10 commandant de la prison et de la police locale. Ces tortures et mauvais
11 traitements sont devenus systématiques à l'Héliodrome et à Siroki Brijeg.
12 Les mêmes membres du KB ont été reconnus à de nombreuses reprises. Ils
13 appartenaient soit à l'unité du KB à Siroki Brijeg soit à l'unité Mrmak ou
14 Vinko Skrobo. Ils agissaient apparemment en toute impunité sous le
15 commandement de Mladen Naletilic. Mladen Naletilic doit assumer la
16 responsabilité des actes de ses subordonnés, étant donné qu'il a pu
17 observer la manière dont ils traitaient les prisonniers à Sovici et
18 Doljani et dans l'autocar qui les transportait à Ljubuski, et qu'il n'a
19 rien fait pour empêcher de nouveaux mauvais traitements ou pour punir ses
20 soldats pour leur comportement.
21 Certains des soldats de l'armée BH qui avaient refusé de se rendre et qui
22 ont peut-être continué à résister à l'attaque du HVO ont été faits
23 prisonniers quelques jours plus tard. Ils ont été conduits au quartier
24 général du HVO à Doljani et mis en présence de Naletilic, qui ne leur a
25 été présenté que sous le surnom de "Tuta". Non seulement ils ont été
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1 battus, maltraités et torturés en présence de Mladen Naletilic, mais ce
2 dernier a également participé aux sévices qui leurs étaient infligés. Il
3 est bien triste de constater qu'un homme comme lui, respecté, voire révéré
4 par ses soldats, a agi de la sorte. Il aurait aisément pu être un exemple
5 pour ses hommes. Au lieu de quoi, les mauvais traitements qu'il a infligés
6 aux combattants faits prisonniers, la manière dont il a toléré les
7 terribles mauvais traitements auxquels ses soldats ont soumis le
8 commandant local de l'ABiH, l'ordre qu'il a donné de détruire les maisons
9 de Musulmans et la mosquée de Doljani, ainsi que le transfert forcé de
10 tous les Musulmans, chassés de cette région, ont constitué autant d'actes
11 montrant la voie des mauvais traitements infligés par la suite aux
12 prisonniers musulmans par des soldats de son bataillon disciplinaire.
13 Nombre des hommes du village qui ont été détenus à Ljubuski ont ensuite
14 été transférés à l'Héliodrome et ont finalement été tués alors qu'ils
15 étaient contraints de travailler sur la ligne de front à Mostar. Une
16 famille de Sovici a perdu trois fils à Mostar.
17 Les conclusions suivantes se rapportent aux faits qui se sont produits à
18 Mostar. Les tensions qui couvaient entre le HVO et l'ABiH ont atteint leur
19 paroxysme le 9 mai 1993. Ce jour-là, des Musulmans ont été pris dans une
20 rafle massive et bien organisée et ont été conduits à l'Héliodrome. Dans
21 le même temps, le quartier général de l'ABiH a fait l'objet d'une attaque
22 massive et de bombardements. La population civile de Mostar était la cible
23 de cette rafle. Ces personnes-là avaient pour seul point commun leur
24 identité musulmane. Jeunes ou vieux, notables ou anonymes, ils ont été
25 contraints à quitter leur foyers au petit matin et menés à la pointe du
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1 jour vers des centres de rassemblement puis à l'Héliodrome, où on ne leur
2 a donné aucune raison pour ce transfert et cette détention, si ce n'est
3 qu'il s'agissait d'assurer leur protection. Il n'avait pas été jugé
4 nécessaire d'enfermer les citoyens croates de Mostar. La Croix-Rouge et
5 d'autres organisations humanitaires se sont vu refuser l'accès à
6 l'Héliodrome, jusqu'à ce que la communauté internationale s'en mêle et
7 obtienne la libération des femmes, des enfants et des hommes âgés. Les
8 promesses de relâcher les autres détenus n'ont pas été respectées.
9 Parmi les autres civils musulmans, un grand nombre a été contraint de
10 traverser la rivière Neretva pour rejoindre la partie orientale de la
11 ville. Le quartier général des soldats de l'ABiH, situé dans une tour
12 d'habitation, et les habitants civils de celle-ci ont été assiégés jusqu'à
13 ce qu'ils se rendent le lendemain. Les soldats ont alors été séparés du
14 reste du groupe et conduits par Juka, le commandant d'une unité du KB, à
15 Mladen Naletilic et de nombreuses sommités du HVO. Les soldats ont subi
16 des mauvais traitements physiques et psychologiques infligés par Naletilic
17 en présence de ses soldats, ce qui ne faisait que répéter le comportement
18 observé à Sovici et à Doljani. Ces soldats ont ensuite été personnellement
19 envoyés par Naletilic au poste du MUP à Siroki Brijeg, sa ville natale et
20 le siège du KB, où ces soldats ont été détenus dans des conditions
21 inhumaines où ils ont fréquemment subi de graves… de mauvais traitements.
22 Certains des dirigeants civils de premier plan qui ont émergé de
23 l'immeuble assiégé de Vranica ont été torturés et maltraités et sont
24 restés en détention jusqu'à la fin du conflit. Mladen Naletilic est
25 individuellement responsable de la torture du témoin Z. L'un des soldats
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1 de l'ABiH qui se sont rendus était le fils d'un homme politique éminent.
2 Naletilic l'a lui-même torturé et, après l'avoir interrogé, il lui a dit
3 que son père avait été exécuté le matin même. Par la suite, ce même
4 prisonnier, qui a perdu l'usage de son bras après avoir été blessé alors
5 qu'il était obligé de réparer des ouvrages de fortification sur la ligne
6 de front, croyait que son père était mort jusqu'à la date de sa
7 libération, en mars 1994.
8 Les soldats qui se sont rendus à Mostar ont été détenus au poste du MUP à
9 Siroki Brijeg et ont été victimes de nombreux actes de violence de la part
10 des membres du KB. Certains prisonniers étaient nommément désignés pour
11 des interrogatoires et des tortures. La Chambre conclut que Mladen
12 Naletilic est responsable, en tant que commandant, de ces actes de
13 torture. Il n'y a aucune raison de supposer que Mladen Naletilic, qui
14 avait personnellement ordonné la détention de ces prisonniers à Siroki
15 Brijeg après les avoir menacé de les faire exécuter, n'était pas au
16 courant de leurs conditions de détention et des traitements qu'ils
17 subissaient. De même, lorsque des prisonniers de guerre sont soumis à des
18 traitements cruels, aussi bien au poste du MUP qu'à son quartier général,
19 à l'usine de tabac de Siroki Brijeg, il voit, en sa qualité de supérieur
20 hiérarchique, sa responsabilité engagée par ces traitements interdits.
21 Après quelques temps, les prisonniers de Siroki Brijeg ont été emmenés
22 pour travailler à la piscine municipale. Cette piscine avait, à tort, été
23 décrite comme étant celle de "Tuta". Quelques prisonniers de guerre qui
24 avaient un savoir-faire particulier travaillaient pour certains membres du
25 KB. Le témoignage de ces prisonniers a établi que leurs qualifications
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1 professionnelles les avaient protégés des mauvais traitements infligés par
2 ces tristement célèbres soldats du KB qui attaquaient les prisonniers dans
3 leurs cellules et qui étaient désormais leur maîtres.
4 La Chambre a entendu les prisonniers décrire leurs difficiles conditions
5 de travail pendant deux mois en plein été, alors qu'ils construisaient un
6 canal menant à la villa de Naletilic. Selon les témoins à décharge, il se
7 serait agi d'une installation destinée au passage de câbles radio vers une
8 colline proche de la villa, et non pas au bénéfice personnel de Naletilic.
9 Ce travail n'est pas interdit en soi, mais les mais les conditions dans
10 lequel il a été accompli le sont. Naletilic s'est rendu sur le chantier,
11 il savait donc quelles étaient les conditions sur place et, en sa qualité
12 de supérieur hiérarchique, il est responsable de ce travail illégal. Il
13 est acquitté des accusations de traitements inhumains, d'actes inhumains
14 et de traitements cruels, car l'extrême inconfort des prisonniers n'a pas
15 atteint le seuil requis pour tirer de telles conclusions.
16 Le KB avait un certain nombre d'unités subordonnées. Certaines ont été
17 décrites comme des unités d'intervention temporairement rattachées à
18 d'autres commandements pour des missions précises. Pour la plupart de cas,
19 ces unités d'intervention semblaient être des formations d'élite menées
20 par des soldats de métier. Plusieurs autres unités dites "ATG" ou "groupes
21 antiterroristes" semblaient avoir pour rôle de tenir la ligne de front à
22 Mostar. Il s'agissait d'unités paramilitaires. Peu de leurs membres
23 avaient reçu une formation militaire professionnelle, même si la plupart
24 avaient fait leur service militaire obligatoire dans la JNA avant la
25 désintégration de la Yougoslavie. Ces unités n'avaient pas vocation à
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1 aller vers les points chauds et restaient à Mostar.
2 Vinko Martinovic était le commandant d'un de ces ATG, qui se composait de
3 ses anciens camarades des HOS. Son unité, qui avait débuté sous le nom
4 d'unité Mrmak, est ensuite rebaptisée l'ATG Vinko Skrobo. Elle avait sa
5 base dans l'ancien centre médical qui avait été endommagé durant le
6 conflit contre les Serbes et qui était peut-être déjà sa base, à l'époque
7 où il faisait partie des HOS. Le 9 mai, lui et ses hommes étaient
8 certainement déjà en place et prenaient leurs repas à leur cantine
9 habituelle. Certains éléments de preuve semblent indiquer que cette unité
10 avait été réactivée avant le 9 mai et qu'elle a participé en tant qu'unité
11 aux actions menées ce jour-là. La Chambre ne se prononce pas sur ce point.
12 Après quelques semaines, Vinko Martinovic prenait ses ordres de la Défense
13 de la ville de Mostar et du commandement suprême du KB. On ne peut
14 déterminer avec certitude comment cette unité en est venue à être associée
15 au KB et à Mladen Naletilic, mais la Chambre a reçu des éléments de preuve
16 convaincants et qui se recoupent, montrant que l'unité Vinko Skrobo
17 faisait partie du KB. L'élément le plus probant est la déclaration que
18 Martinovic lui-même a faite devant un tribunal de Zagreb en présence de
19 Naletilic, lorsqu'il a été cité comme témoin à décharge dans un procès
20 sans lien avec le présent. La Chambre a admis le témoignage de Jan van
21 Hecke, un enquêteur du Bureau du Procureur qui se trouvait au Tribunal de
22 Zagreb lors de cette comparution. Martinovic a alors déclaré qu'il était
23 le commandant de l'unité Vinko Skrobo, qui faisait partie du KB, lequel
24 était placé sous le commandement de Mladen Naletilic. Ce témoignage
25 confirme celui d'autres anciens membres du KB et des documents saisis à
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1 l'usine de tabac de Siroki Brijeg.
2 La mission principale de Vinko Martinovic était de tenir la ligne de front
3 face aux hommes de l'armée de Bosnie-Herzégovine, qui était à portée de
4 voix. A cette fin, il a contraint de nombreux prisonniers musulmans de
5 l'Héliodrome à creuser et réparer des tranchées, à fortifier la ligne avec
6 des sacs de sable, à transporter des vivres et du ravitaillement et, de
7 manière générale, à aider les soldats de son unité. Les prisonniers
8 connaissaient des conditions de vie extrêmement difficiles, des conditions
9 de détention extrêmement difficiles à l'Héliodrome, et le travail sur le
10 front était extrêmement dangereux. Bien que le HVO ait utilisé des
11 formulaires sur lesquels il était rappelé aux commandants que l'emploi des
12 prisonniers de guerre pour des travaux était soumis aux Conventions de
13 Genève, rien ne prouve que ces Conventions ont été appliquées dans la zone
14 de responsabilité de l'unité Vinko Skrobo.
15 Les prisonniers étaient contraints à travailler, pris entre deux feux et
16 sans la protection minimale d'un gilet pare-balles ou d'un casque, et
17 nombre d'entre eux ont été tués ou blessés. L'attitude générale était une
18 attitude d'indifférence totale concernant le sort des prisonniers, leur
19 sort dépendait chaque jour de l'humeur de Vinko Martinovic. Certains
20 prisonniers, qui avaient été ses amis avant la guerre, bénéficiaient de sa
21 protection. Ils ne devaient que travailler dans la sécurité relative de
22 son quartier général de la rue Kalemova, et apporter leur savoir-faire
23 technique et mécanique sans être payés. Ces prisonniers chanceux n'ont pas
24 été exposés aux dangers de la ligne de front, un sort qui était réservé en
25 général aux combattants faits prisonniers. Nombre de ces hommes ont
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1 déclaré qu'ils se sentaient plus en sécurité chez Stela que partout
2 ailleurs. Et ils ont effectivement eu de la chance.
3 Beaucoup d'autres n'ont pas eu cette chance. L'une des pires exactions
4 commises par Vinko Martinovic contre ces prisonniers a consisté à les
5 utiliser comme boucliers humains, le 17 septembre 1993. Ce jour-là, quatre
6 prisonniers de guerre ont été revêtus d'uniformes du HVO et munis de
7 répliques de kalachnikovs. Un des prisonniers désignés a eu si peur de ce
8 qui allait lui arriver qu'il s'est évanoui et a été remplacé par un autre.
9 Ce prisonnier malchanceux a été retrouvé plus tard, ce jour-là, gisant
10 dans une mare de sang près de la ligne de front. Il est certain qu'il est
11 décédé.
12 Les quatre prisonniers en uniforme ont reçu l'ordre d'avancer aux côtés
13 d'un char pour attirer sur eux les tirs de l'ennemi. L'armée adverse
14 savait que des prisonniers pouvaient être utilisés à de telles fins et
15 souvent elle ne tirait pas ; c'est pourquoi, cette fois-là, les
16 prisonniers ont été revêtus d'uniformes du HVO. Dans la confusion créée
17 par les tirs du char sur les bâtiments d'en face et dans le vacarme
18 assourdissant des salves d'artillerie, les quatre soldats armés de
19 répliques de fusils en bois sont parvenus de l'autre côté et ont pu se
20 mettre plus ou moins à l'abri. Trois d'entre eux au moins ont été blessés.
21 L'Acte d'accusation utilisait le terme de "bouclier humain", mais il
22 semblerait que celui "d'appât" aurait mieux décrit la situation qui était
23 celle des prisonniers puisqu'ils étaient censés attirer sur eux les feux
24 ennemis et protéger l'avance du HVO. Vinko Martinovic est individuellement
25 responsable des traitements inhumains, actes inhumains et traitements
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1 cruels infligés aux quatre prisonniers lors de ces faits.
2 Un fusil en bois a été produit au procès. Il se peut qu'il s'agisse de
3 celui que portait le témoin PP ce jour-là, et qui a ensuite été pris par
4 un soldat de l'armée de Bosnie-Herzégovine dans le bâtiment situé de
5 l'autre côté. Ce soldat aurait gardé ce fusil jusqu'en 2002, puis l'aurait
6 remis à un enquêteur du Bureau du Procureur. Il a dit l'avoir reçu d'un
7 prisonnier vêtu d'un uniforme du HVO. Sa description correspond à celle du
8 témoin PP. Lorsqu'on lui a montré le fusil, le témoin PP l'a reconnu au
9 trou où, selon lui, se trouvait une vis qui retenait la bandoulière du
10 fusil et qui se serait détachée. L'expert mandaté n'a pas réussi à
11 déterminer la date de fabrication du fusil, mais a constaté la présence de
12 trous de vis. La Chambre n'a pas besoin d'identifier les fusils pour
13 établir que ces faits se sont biens produits.
14 Trois prisonniers de guerre temporairement libérés pour être confiés à
15 l'unité Vinko Skrobo, ont perdu la vie ce jour-là. D'autres ont été
16 blessés alors qu'ils tentaient, sous la contrainte, de récupérer des
17 soldats du HVO blessés ou morts. L'Acte d'accusation reproche à Vinko
18 Martinovic l'homicide intentionnel des trois prisonniers tués sur la ligne
19 de front ce jour-là. Ces prisonniers avaient clairement été confiés à
20 Vinko Martinovic en personne et avaient dû accomplir des travaux interdits
21 sur la ligne de front. Ces éléments de preuve ne peuvent toutefois réfuter
22 l'argument avancé par la Défense de Martinovic selon lequel les trois
23 prisonniers ont pu mourir alors qu'ils tentaient de s'échapper, sous
24 couvert de la confusion créée par les tirs du char. Comme les quatre
25 prisonniers munis de répliques de fusils ont réussi à passer de l'autre
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1 côté, il est possible que les trois prisonniers Colakovic Aziz, Colakovic
2 Hamdija et Pajo Enis aient essayé de s'enfuir et qu'ils aient été pris
3 entre deux feux. Ce doute doit jouer en faveur de Vinko Martinovic.
4 Ce jour-là un nombre considérable de prisonniers ont été tués rue
5 Santiceva. Cette rue ne se trouvait pas dans la zone de responsabilité de
6 l'unité Vinko Skrobo. Vinko Martinovic ne peut donc pas être considéré
7 comme responsable. Il est toutefois responsable des travaux illégaux
8 auxquels les prisonniers ont été contraints sur la ligne de front pour
9 avoir lui-même ordonné le travail illégal et des actes de ses subordonnés
10 en tant que supérieur hiérarchique. Aucun élément de preuve convainquant
11 n'a permis d'établir un lien entre Naletilic et la mort des prisonniers
12 utilisés comme boucliers humains, rue Santiceva.
13 Des prisonniers de guerre ont été utilisés de manière tout aussi
14 effroyable à Rastani, village situé à l'ouest de Mostar qui a changé assez
15 régulièrement de mains pendant le conflit. Le 23 septembre, alors que le
16 KB y menait des opérations de combat, plusieurs prisonniers ont reçu
17 l'ordre de devancer les membres de l'unité de 5 ou 6 mètres, et de
18 fouiller les maisons pour y débusquer les soldats de l'armée de Bosnie-
19 Herzégovine qui auraient pu s'y dissimuler. Le danger était bien réel, car
20 on a retrouvé dans les parages à cette occasion, le corps de plusieurs
21 soldats des deux camps, et capturé deux soldats de l'armée de Bosnie-
22 Herzégovine. Ces faits ont conduit à accuser Mladen Naletilic de
23 traitements cruels, d'actes inhumains et de traitements inhumains. Bien
24 qu'il ait été à la tête de ces soldats à cette occasion, Naletilic,
25 n'était pas présent dans le village pendant les fêtes, puisqu'il dirigeait
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1 les opérations à partir d'une hauteur, et il se peut qu'il ait ignoré la
2 manière dont étaient utilisés les prisonniers. On peut donc lui accorder
3 le bénéfice du doute pour ce qui est de ses accusations et de celles qui
4 constituaient également un exemple flagrant de travail illégal.
5 Après leur capture, les deux soldats de l'ABiH ont été immédiatement
6 soumis à des violences corporelles de la part des membres du KB, qui
7 comptaient alors parmi ses rangs des criminels croates de BH qui venaient
8 d'être relâchés de l'Héliodrome. L'un d'eux était sur le point de
9 transformer les prisonniers en torche vivante lorsque "Stari" a ordonné
10 par radio de transférer les captifs à Siroki Brijeg. Le sort (chacun
11 comprend ici que "Stari" est le surnom de Mladen Naletilic) ultérieur
12 réservé à ces soldats au quartier général du KB dans l'usine de tabac
13 n'avait rien d'enviable. Enfermés dans un cachot dans des conditions
14 inhumaines, ils étaient régulièrement roués de coups. Ces faits ont donné
15 lieu aux accusations de torture retenues à l'encontre de Mladen Naletilic.
16 Pour en revenir aux événements du 17 septembre 1993, les documents du HVO
17 et du SIS (Service d'information et de sécurité) indiquent qu'avec deux
18 autres membres haut placés de l'armée du HVO, Mladen Naletilic a planifié
19 cette tentative en vue de s'emparer de nouveaux territoires et à déplacer
20 la ligne de front. Ils ont agi à l'insu de l'état-major général du HVO, ce
21 qui témoigne du pouvoir et de l'influence exercés par Naletilic en sa
22 qualité de commandant du Kaznjenicka Bojna. Il n'a pas été prouvé qu'il
23 était au courant de l'incident des fusils factices en bois. Cette
24 infraction grave à la Convention de Genève relative aux prisonniers de
25 guerre est retenue à l'encontre de Vinko Martinovic, mais Mladen Naletilic
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1 est acquitté de cette série de chefs.
2 Les activités de Stela pendant la guerre ne se limitaient pas à la ligne
3 de front. Avec ses désormais tristement célèbres subordonnés et d'autres
4 individus, il a participé à l'expulsion des Musulmans de Mostar Ouest et
5 au pillage des appartements vides de leurs occupants. Le terme de
6 "transfert illégal" retenu pour décrire ce genre d'agissements est loin de
7 refléter l'ampleur du crime et sa cohorte d'horreurs. Le commentaire plein
8 de retenue du reportage vidéo réalisé par Jeremy Bowen, correspondant de
9 guerre de la BBC, a révélé à la Chambre de première instance certains des
10 aspects véritablement effroyables de ces transferts illégaux. En temps de
11 guerre, les civils sont généralement victimes d'exactions diverses. Afin
12 d'atténuer les souffrances des non-combattants au cours d'un conflit, la
13 IVe Convention de Genève prévoit que les civils ne peuvent être déplacés,
14 à moins que leur sécurité ne l'exige. Tout transfert illégal ou
15 déportation de ces personnes constitue une infraction grave à cette
16 Convention. Les habitants les plus jeunes et les plus âgés de Mostar
17 étaient donc en droit d'espérer rester dans leur foyer sans que des
18 soldats du HVO ou du KB viennent frapper à leur porte pour les expulser.
19 Mais la Convention de Genève n'a pas été respectée à Mostar. Les civils
20 qui étaient visés ont été chassés vers Mostar Est, sans être consultés, et
21 sans pouvoir rien emporter, tandis que les balles sifflaient au-dessus de
22 leurs têtes.
23 La Chambre a entendu des témoignages émouvants et très éloquents sur la
24 participation personnelle de Vinko Martinovic et de ses soldats à ces
25 faits. Son unité faisait l'objet de fréquentes critiques dans les rapports
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1 du SIS et dans ceux des organisations humanitaires. Arif Pasalic,
2 commandant de l'ABiH, s'est plaint de ces agissements auprès des
3 observateurs de la MCCE, et il a accusé nommément Mladen Naletilic, Ivan
4 Andabak et Vinko Martinovic d'avoir expulsé de nombreux citoyens musulmans
5 sous la menace des armes, et de les avoir chassés vers la partie orientale
6 de la ville, de l'autre côté du vieux pont en ruines de Mostar. De
7 nombreux témoignages et documents convaincants présentés à la Chambre
8 relient le KB à la vague d'expulsions qui a eu lieu le 29 septembre 1993.
9 Tant pour sa participation personnelle que pour celle de ses subordonnés,
10 la responsabilité pénale de Vinko Martinovic est engagée, à raison de ces
11 transferts illégaux et de ces pillages. Mladen Naletilic est responsable
12 en sa qualité de supérieur hiérarchique: il était au courant de la vague
13 d'expulsions ou de nettoyage ethnique qui a eu lieu le 29 septembre, il
14 savait que ses subordonnés, y compris Ivan Andabak, y participaient, et il
15 n'a rien fait pour les empêcher de commettre ces actes ou les en punir.
16 Nenad Harmandzic, un ancien inspecteur de police, a été l'une des victimes
17 de "Stela". Il était personnellement visé lorsqu'on est venu le chercher à
18 l'Héliodrome, le 13 juillet 1993. Tout au long de la journée qu'il a
19 passée au quartier général de l'unité Vinko Skrobo, il a été roué de coups
20 et accablé d'injures. Il est resté sur place, tandis que les autres
21 prisonniers retournaient à l'Héliodrome, avec ordre d'oublier ce qu'ils
22 avaient pu voir ou entendre. Les autorités pénitentiaires ont été
23 informées qu'il s'était échappé. Son corps a été exhumé cinq ans plus tard
24 et l'autopsie a révélé la présence de fractures multiples et d'une
25 blessure par balle à la tête. La gravité de ses blessures était telle
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1 qu'il lui aurait été impossible de se tenir debout lorsqu'il a été abattu.
2 La Chambre a entendu le témoignage de Halil Ajanic, un civil emprisonné à
3 l'Héliodrome, qui connaissait Vinko Martinovic depuis de nombreuses
4 années. Il a attesté des violences corporelles dont Nenad Harmandzic avait
5 été victime au quartier général de l'unité Vinko Skrobo. Malgré les
6 tentatives visant à discréditer cet homme simple et courageux qui a
7 témoigné en audience publique sans aucune mesure de protection, la Chambre
8 est convaincue de la véracité de son témoignage.
9 L'identification des restes de Nenad Harmandzic a été contestée et un
10 expert a été cité pour mettre en doute les conclusions relatives à
11 l'identification. La Chambre reconnaît que l'écart entre la taille de la
12 victime de son vivant et la taille estimée des restes retrouvés peut poser
13 un problème. Elle a tenu compte de cette disparité à la lumière des autres
14 conclusions de l'autopsie, et notamment de l'identification, par un
15 proche, de la boucle de la ceinture de la victime, de sa chaussure, de ses
16 dents et de son briquet, et surtout de la balle qui était enfouie dans les
17 muscles de sa cuisse droite. Ce parent de la victime savait que, quelques
18 années plus tôt, Nenad Harmandzic s'était blessé accidentellement à la
19 cuisse droite et que la balle n'avait jamais été extraite. Il a fourni ce
20 détail à l'équipe médico-légale avant qu'elle ne procède à l'autopsie. La
21 probabilité de trouver sur un autre corps que celui de Nenad Harmandzic
22 une balle de même calibre dans la cuisse droite est tellement faible que
23 la différence de taille constatée à l'autopsie devient sans importance.
24 Lors de l'audition des deux experts médico-légaux, il n'a pas été question
25 de la marge d'erreur humaine possible dans la mesure du fémur ou dans
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1 l'évaluation de la taille de Nenad Harmandzic de son vivant. Par
2 conséquent, la Chambre estime déterminantes les conclusions de l'autopsie
3 associées à l'identification par le témoin du lieu où il avait lui-même
4 enterré la victime. La conjonction de l'explication fallacieuse fournie
5 aux autorités de l'Héliodrome selon laquelle la victime se serait évadée,
6 et du fait que la famille de Nenad Harmandzic affirme qu'il a été tué au
7 quartier général de l'unité Vinko Skrobo, a convaincu la Chambre que Vinko
8 Martinovic était impliqué dans ce meurtre. L'enterrement clandestin et les
9 blessures constatées sur le corps, qui excluent toute possibilité
10 d'évasion, constituent les maillons d'une chaîne de preuves judiciaires
11 qui emportent la conviction de la Chambre quant au rôle joué par Vinko
12 Martinovic dans le décès de Nenad Harmandzic.
13 Vinko Martinovic est coupable d'avoir infligé à Nenad Harmandzic des
14 traitements cruels et de lui avoir causé intentionnellement de grandes
15 souffrances. Par le rôle qu'il a joué avant et après le meurtre, il porte
16 une grande part de responsabilité dans le crime qu'il a encouragé et
17 auquel il a prêté une aide concrète. Sa responsabilité pénale individuelle
18 est engagée pour avoir aidé et encouragé le meurtre de Nenad Harmandzic.
19 Mladen Naletilic était accusé d'avoir détruit les maisons des Musulmans à
20 Sovici, Doljani et Rastani. Il a été établi que les maisons de Rastani
21 avaient été sérieusement endommagées lors d'affrontements antérieurs.
22 Mladen Naletilic doit être acquitté, par conséquent, de ce chef
23 d'accusation. Des éléments de preuve incontestables établissent que Mladen
24 Naletilic a ordonné la destruction des maisons des Musulmans de Doljani et
25 de la mosquée. L'ordre a été dûment exécuté. La Chambre est convaincue que
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1 les maisons et la mosquée se trouvaient bien en territoire occupé pendant
2 les jours mentionnés dans l'acte d'accusation. La destruction de la
3 mosquée de Doljani n'a fait l'objet d'aucune poursuite. Les éléments de
4 preuve concernant le degré d'implication du KB, par opposition au HVO
5 local, dans l'incendie des maisons musulmanes de Sovici sont insuffisants.
6 Il en va de même pour la mosquée de Sovici. Par conséquent, Mladen
7 Naletilic est déclaré non coupable des destructions des biens des
8 Musulmans de Sovici. En revanche, il est reconnu coupable d'avoir ordonné
9 la destruction des maisons de Musulmans à Doljani.
10 L'Accusation fonde sa thèse sur l'idée que le traitement illégal des
11 civils et des prisonniers était motivé par une intention discriminatoire à
12 l'égard de cette partie de la population, qui était spécifiquement visée
13 parce qu'elle était musulmane. Le corps du jugement traite des questions
14 juridiques permettant de conclure que ces persécutions étaient bel et bien
15 constituées. Il suffit, à ce stade, de dire que la Chambre est convaincue
16 par le gros des éléments de preuve que la population civile musulmane de
17 Mostar, de Sovici et de Doljani a été persécutée. Ni Mladen Naletilic ni
18 Vinko Martinovic ne sont les grands architectes de ce plan et de sa mise
19 en œuvre. L'un et l'autre ont cependant participé à sa réalisation. La
20 Chambre est convaincue que l'intention de nuire au Musulmans était à
21 l'origine de la détention, puis du transfert forcé de la population civile
22 de Doljani et de Sovici, et que cette discrimination était bien dirigée
23 contre les Musulmans. Mladen Naletilic est coupable de persécutions à
24 l'encontre de la population civile de Sovici et de Doljani.
25 Il est également déclaré coupable d'actes de torture commis sur deux
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1 civils, précédemment désignés sous les pseudonymes Z et FF. Ces deux
2 témoins étaient membres du SDA ou étaient en relation avec les dirigeants
3 de ce parti en Herzégovine, et ils ont été pris pour cible parce qu'ils
4 étaient Musulmans et s'associaient à certaines convictions politiques.
5 Vinko Martinovic a affirmé avec véhémence, par l'intermédiaire de son
6 conseil, qu'il n'avait jamais fait preuve de discrimination à l'encontre
7 des Musulmans, puisqu'il avait de nombreux Musulmans dans son unité et
8 sous sa protection. La Chambre conclut néanmoins que les crimes liés aux
9 rafles et aux déplacements de Musulmans les 9 mai, 13 juin et 29
10 septembre, qui ont déjà été démontrés, ont été commis avec une intention
11 discriminatoire. Les civils musulmans de Mostar ont été visés pour la
12 seule et unique raison qu'ils étaient musulmans. Vinko Martinovic s'est
13 personnellement impliqué dans ces faits et il en porte donc la
14 responsabilité au sens de l'article 7-1) du Statut du Tribunal.
15 Mladen Naletilic est, en vertu de l'article 7-3) du Statut, responsable du
16 transfert illégal de civils exécutés par ses subordonnés le 13 juin et le
17 29 septembre 1993.
18 Aucune charge n'est portée à l'encontre des accusés au sujet des faits
19 postérieurs au mois de septembre 1993. Il n'appartient pas à la Chambre de
20 se prononcer sur les autres événements qui se sont passés en Herzégovine.
21 Il est évident toutefois que les prisonniers et les civils ont continué à
22 souffrir longtemps encore. Il y a eu d'autres morts parmi les prisonniers
23 et les soldats des deux camps, et le magnifique vieux pont de Mostar a été
24 détruit, ce qui constitue une perte pour tous les habitants de Mostar sans
25 exception. Comme nous l'avons déjà dit, aucun groupe n'a été épargné par
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1 les souffrances. Tout ce que nous savons, c'est qu'après un accord de
2 cessez-le-feu, la guerre a officiellement pris fin. Seul le temps dira si
3 les blessures peuvent se cicatriser et si l'on retrouvera un jour la
4 texture merveilleuse d'une ville riche de diversités, comme l'a décrite le
5 chef de la communauté juive de Mostar. Mladen Naletilic et Vinko
6 Martinovic sont responsables d'une grande part des souffrances infligées,
7 et ils doivent maintenant subir les conséquences de leurs actes.
8 M. le Président (interprétation): Par ces motifs, ayant eu recours aux
9 règles applicables qui régissent le cumul des déclarations de culpabilité,
10 la Chambre prononce les condamnations suivantes.
11 Monsieur Mladen Naletilic, veuillez vous lever.
12 La Chambre vous déclare coupable des chefs d'accusation suivants:
13 Chef 1 (persécutions pour des motifs politiques, raciaux et religieux, un
14 crime contre l'humanité, sanctionné par l'article 5-h) du Statut)
15 Chef 5 (travail illégal, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
16 sanctionnée par l'Article 3 du Statut)
17 Chef 9 (torture, un crime contre l'humanité, sanctionné par l'Article 5-f)
18 du Statut)
19 Chef 10 (torture, une infraction grave aux Conventions de Genève de 1949,
20 sanctionnée par l'Article 2-b) du Statut)
21 Chef 12 (fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de
22 porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, une
23 infraction grave aux Conventions de Genève de 1949, sanctionnée par
24 l'Article 2-c) du Statut)
25 Chef 18 (transfert illégal d'un civil, une infraction grave sanctionnée
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1 aux Conventions de Genève de 1949, sanctionnée par l'Article 2-g) du
2 Statut)
3 Chef 20 (destruction sans motif que ne justifient pas les exigences
4 militaires, une violation des lois ou coutumes de la guerre, sanctionnée
5 par l'article 3-b) du Statut)
6 Chef 21 (pillage de biens publics ou privés, une violation des lois ou
7 coutumes de la guerre, sanctionnée par l'Article 3-e) du Statut).
8 2. La Chambre vous acquitte des chefs suivants:
9 Chef 2 (actes inhumains, un crime contre l'humanité, sanctionné par
10 l'Article 5-i) du Statut)
11 Chef 3 (traitement inhumain, une infraction grave aux Conventions de
12 Genève de 1949, sanctionnée par l'Article 2-b) du Statut)
13 Chef 4 (traitement cruel, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
14 sanctionnée par l'Article 3 du Statut)
15 Chef 6 (assassinat, un crime contre l'humanité, sanctionné par l'article
16 5-a) du Statut)
17 Chef 7 (homicide intentionnel, une infraction grave aux Conventions de
18 Genève de 1949, sanctionnée par l'article 2-a) du Statut)
19 Chef 8 (meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
20 sanctionnée par l'Article 3 du Statut)
21 Chef 11 (traitement cruel, une violation des lois ou coutumes de la
22 guerre, sanctionnée par l'Article 3 du Statut)
23 Chef 19 (destruction de biens sur une grande échelle, une infraction grave
24 aux Conventions de Genève de 1949, sanctionnée par l'Article 2-d) du
25 Statut)
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1 Chef 22 (saisie, destruction ou endommagement délibéré d'édifices
2 consacrés au culte, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
3 sanctionnée par l'Article 3-d) du Statut).
4 3. Pour fixer la peine, la Chambre a respecté toutes les prescriptions de
5 forme exposées dans le Statut et le Règlement, ainsi que l'obligation qui
6 lui est faite de prononcer une peine adaptée à la gravité des crimes et à
7 la situation personnelle de l'accusé. Elle considère que votre statut de
8 commandant et la grande influence que vous exerciez dans cette région
9 constituent des circonstances aggravantes. Elle conclut en outre que les
10 preuves de votre mauvais état de santé présentées par la Défense ne sont
11 pas de nature à constituer une circonstance atténuante. Par ailleurs,
12 votre transfert de la République de Croatie au Tribunal n'était pas
13 volontaire et vous n'avez pas substantiellement coopéré avec le Procureur.
14 Compte tenu de toutes ces circonstances, la Chambre vous condamne, Mladen
15 Naletilic, à une peine unique de vingt années d'emprisonnement.
16 4. En application de l'Article 101-C) du Règlement, votre temps de
17 détention provisoire jusqu'à ce Jugement et toute période supplémentaire
18 éventuelle en attente d'une décision en appel seront déduits de la durée
19 totale de votre peine. En application de l'Article 103-C) du Règlement,
20 vous resterez sous la garde du Tribunal dans l'attente de la conclusion
21 d'un accord pour votre transfert vers l'État où vous purgerez votre peine.
22 Vous pouvez vous rasseoir.
23 Monsieur Vinko Martinovic, la Chambre vous déclare coupable des Chefs
24 d'accusation suivants:
25 Chef 1 (persécutions pour des motifs politiques, raciaux et religieux, un
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1 crime contre l'humanité, sanctionné par l'article 5-h) du Statut)
2 Chef 2 (actes inhumains, un crime contre l'humanité, sanctionné par
3 l'article 5-i) du Statut)
4 Chef 3 (traitement inhumain, une infraction grave aux Conventions de
5 Genève de 1949, sanctionnée par l'article 2-b) du Statut)
6 Chef 5 (travail illégal, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
7 sanctionnée par l'article 3 du Statut)
8 Chef 12 (le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de
9 porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, une
10 infraction grave aux Conventions de Genève de 1949, sanctionnée par
11 l'article 2-c) du Statut)
12 Chef 13 (assassinat, un crime contre l'humanité, sanctionné par l'article
13 5-a) du Statut)
14 Chef 14 (homicide intentionnel, une infraction grave aux Conventions de
15 Genève de 1949, sanctionnée par l'Article 2-a) du Statut)
16 Chef 18 (transfert illégal d'un civil, une infraction grave aux
17 Conventions de Genève de 1949, sanctionnée par l'Article 2-g) du Statut)
18 Chef 21 (pillage de biens publics ou privés, une violation des lois ou
19 coutumes de la guerre, sanctionnée par l'Article 3-e) du Statut).
20 La Chambre vous acquitte, Vinko Martinovic, des chefs suivants:
21 Chef 4 (traitement cruel, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
22 sanctionnée par l'article 3 du Statut)
23 Chef 6 (assassinat, un crime contre l'humanité, sanctionné par l'article
24 5-a) du Statut)
25 Chef 7 (homicide intentionnel, une infraction grave aux Conventions de
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1 Genève de 1949, sanctionnée par l'article 2-a) du Statut)
2 Chef 8 (meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
3 sanctionnée par l'article 3 du Statut)
4 Chef 11 (traitement cruel, une violation des lois ou coutumes de la
5 guerre, sanctionnée par l'article 3 du Statut)
6 Chef 15 (meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre,
7 sanctionnée par l'article 3 du Statut)
8 Chef 16 (traitement cruel, une violation des lois ou coutumes de la guerre
9 sanctionnée par l'article 3 du Statut)
10 Chef 17 (le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de
11 porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, une
12 infraction grave aux Conventions de Genève de 1949, sanctionnée par
13 l'article 2-c) du Statut).
14 Pour fixer la peine, la Chambre a respecté toutes les prescriptions de
15 forme exposées dans le Statut et le Règlement, ainsi que l'obligation qui
16 lui est faite de prononcer une peine adaptée à la gravité des crimes et à
17 la situation personnelle de l'accusé. Avant tout, la Chambre prend acte de
18 ce que vous avez été reconnu coupable des crimes les plus abominables,
19 dont le crime de meurtre. La Chambre a également considéré votre fonction
20 de commandant et l'influence que vous exerciez sur votre unité en tant que
21 circonstance aggravante. En outre, votre transfert au Tribunal n'est pas
22 considéré comme volontaire et ne constitue donc pas une circonstance
23 atténuante. A l'examen de votre casier judiciaire, la Chambre a pris acte
24 de l'appel interjeté de la condamnation pour meurtre rendue par le
25 tribunal du district de Zagreb, qu'elle n'a donc pas compté parmi les
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1 circonstances aggravantes. Pas plus qu'elle n'a tenu compte de vos
2 condamnations antérieures pour vol qualifié et pillage, en raison de la
3 nature des crimes dont la Chambre vient de vous déclarer coupable. Compte
4 tenu de toutes ces circonstances, la Chambre vous condamne, Vinko
5 Martinovic, à une peine unique de 18 années d'emprisonnement.
6 En application de l'Article 101-C) du Règlement, votre temps de détention
7 provisoire jusqu'à ce Jugement et toute période supplémentaire éventuelle
8 en attente d'une décision en appel seront déduits de la durée totale de
9 votre peine. En application de l'Article 103-C) du Règlement, vous
10 resterez sous la garde du Tribunal dans l'attente de la conclusion d'un
11 accord pour votre transfert vers l'État où vous purgerez votre peine.
12 Vous pouvez vous rasseoir.
13 L'audience est levée.
14 (L'audience est levée à 15 heures 30.)
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