Affaire n° : IT-02-60/1-A

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney
Mme le Juge Inés Mónica Weinberg de Roca

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
4 février 2005

MOMIR NIKOLIC

c/

LE PROCUREUR

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE URGENTE AUX FINS D’OBTENIR L’ACCÈS À DES DOCUMENTS CONFIDENTIELS

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Le Conseil de l’Appelant :

Mme Virginia C. Lindsay

Le Bureau du Procureur :

M. Norman Farrell

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la requête urgente aux fins d’obtenir l’accès à des documents confidentiels (Emergency Motion for Access to Confidential Document), déposée à titre confidentiel 1 le 26 novembre 2004 (la « Requête  »), par laquelle Momir Nikolic (l’« Appelant ») demande l’accès à des documents déposés en appel dans l’affaire Krstic, à savoir2  :

i) Prosecution’s Notice and Filing of Rebuttal Evidence and Arguments in Compliance with the Appeals Chamber’s Scheduling Order (notification et dépôt d’éléments de preuve en réplique et arguments présentés en application de l’Ordonnance portant calendrier rendue par la Chambre d’appel), déposé à titre confidentiel par l’Accusation le 3 octobre 2003 (la « Notification confidentielle ») ;

ii) Prosecution’s Notice and Filing of Rebuttal Evidence and Arguments in Compliance with the Appeals Chamber’s Scheduling Order (notification et dépôt d’éléments de preuve en réplique et arguments présentés en application de l’Ordonnance portant calendrier rendue par la Chambre d’appel), déposé par l’Accusation le 3 octobre  20033 (la « Notification publique »)  ;

iii) Prosecution’s Further Notice and Filing of Rebuttal Evidence and Arguments in Compliance with the Appeals Chamber’s Scheduling Order (notification supplémentaire et dépôt d’éléments de preuve en réplique et arguments présentés en application de l’Ordonnance portant calendrier rendue par la Chambre d’appel), déposé à titre confidentiel par l’Accusation le 20 octobre 20034 (la « Notification supplémentaire ») ; et

iv) la Décision [confidentielle] relative à l’admissibilité de pièces à conviction produites par l’Accusation en réplique à des preuves admises en appel conformément à l’article 115 du Règlement, datée du 19 novembre 2003 (la « Décision du 19 novembre  2003 ») ;

VU la Décision relative à la deuxième demande de suppression présentée par l’Accusation, rendue le 20 janvier 2005, par laquelle la Chambre d’appel a supprimé le mémoire traitant de points de droit présenté à l’appui de la Requête (Memorandum of Law in Support of Emergency Motion for Access to Confidential Document), mémoire déposé par l’Appelant le 29 novembre 2004 (le « Mémoire »),

VU les observations présentées par l’Appelant à l’appui de la Requête, notamment  :

i) la Chambre d’appel dit au paragraphe 120 de l’Arrêt Krstic que l’Accusation s’est fondée sur la déposition faite en appel par le capitaine Momir Nikolic, déposition admise en tant que moyen de preuve supplémentaire, à propos d’une opération d’ensevelissement qui a eu lieu le 12 juillet 1995 ;

ii) la déclaration à laquelle renvoie la Chambre d’appel et dont les références sont indiquées dans la note 199, paragraphe 120, page 51, de l’Arrêt Krstic – « Annexe 3, déclaration de Nikolic (CR, p. 402) » – n’est autre que la déposition faite par l’Appelant le 1er octobre 2003 dans le procès en première instance Blagojevic et Jokic5 ;

iii) « Il ressort clairement du témoignage cité par la Chambre d’appel que les réensevelissements dont il est question ont eu lieu en septembre 1995 et non le 12 juillet 19956  » ;

iv) l’accès à ces écritures est « nécessaire pour déterminer les mesures à prendre pour corriger le dossier de manière à ce qu’il reflète fidèlement la déposition [de l’Appelant], et pour établir le rôle éventuellement joué par le Bureau du Procureur dans la présentation d’arguments trompeurs à la Chambre d’appel7  » ;

VU la réponse à la Requête et au Mémoire (Prosecution Response to Confidential Emergency Motion for Access to Confidential Document and Confidential Memorandum of Law in Support Thereof), déposée le 6 décembre 2004 (la « Réponse »), dans laquelle l’Accusation soutient que la Requête devrait être rejetée pour les raisons suivantes :

i) la Décision du 19 novembre 2003 n’est pas confidentielle, mais publique, et peut à ce titre être consultée sur la base de données judiciaire ou sur le site Internet du Tribunal international8 ;

ii) visiblement, la Notification publique n’existe pas, même si la Chambre d’appel la cite dans la note 168, page 151, de l’Arrêt Krstic9  ;

iii) les informations auxquelles l’Appelant demande l’accès n’existent pas puisque la Notification confidentielle, la Notification supplémentaire et la Décision du 19  novembre 2003 ne font état d’aucun ensevelissement ou réensevelissement qui aurait eu lieu le 12 juillet 1995, et en outre l’Accusation n’a pas affirmé dans la Notification confidentielle que la déposition de l’Appelant à la page 2356 du compte rendu d’audience dans l’affaire Blagojevic et Jokic permettait d’établir que l’Appelant avait participé à des opérations de (ré-)ensevelissement le 12 juillet 199510  ;

iv) « Si l’Appelant pense qu’il faut corriger la présentation de la thèse de l’Accusation quant à sa participation à des opérations d’ensevelissement le 12 juillet 1995, l’Accusation ne s’y opposerait probablement pas si cela s’avérait absolument nécessaire 11 », bien que « cette question n’ait aucune incidence sur l’Arrêt Krstic puisque la Chambre d’appel dans cette affaire a dit que la déposition [de l’Appelant] n’apportait aucun élément utile et, que pour cette raison, elle n’a pas tenu compte de son témoignage tel qu’il est mentionné au paragraphe 12012  » ;

v) malgré les efforts considérables que l’Accusation a fournis pour identifier les informations auxquelles l’Appelant souhaite avoir accès, le Conseil de la Défense a décidé de déposer la Requête alors que celle-ci « n’était apparemment qu’à moitié finie13 » et sans attendre une réponse de l’Accusation à ses demandes, si bien que la Requête était prématurée14  ;

VU la réponse à la Réponse (Appellant’s Reply to Prosecution’s Response to Confidential Emergency Motion for Access to Confidential Document and Confidential Memorandum of Law in Support), déposée le 10 décembre 2004 (la « Réplique »), par laquelle l’Appelant, entre autres :

i) retire sa requête aux fins d’obtenir l’accès à la Notification publique et à la Décision du 19 novembre 200315 ;

ii) avance que « pour des raisons d’équité fondamentale et d’égalité des armes, l’Appelant devrait obtenir l’autorisation de voir les arguments […] qui le concernent, notamment ceux qui ont trait à sa déposition16  » ;

iii) soutient que « même si les arguments dont il demande à prendre connaissance n’ont pas été invoqués dans la présente affaire, il existe un tel recoupement entre les deux Chambres d’appel, et entre les moyens de preuve présentés dans l’affaire Krstic et les éléments factuels sur lesquels repose le plaidoyer de culpabilité fait par l’Appelant, que ce dernier devrait pouvoir être informé et décider en connaissance de cause s’il est nécessaire de répondre aux arguments de l’Accusation en l’espèce 17 » ;

iv) estime que « l’Accusation a présenté une histoire qui reflète assez fidèlement ses manœuvres dilatoires18 » et que la Requête « a porté ses fruits et n’était pas prématurée19  » puisqu’en réponse l’Accusation a finalement identifié les parties pertinentes de ses écritures20 ;

ATTENDU qu’en définitive l’Appelant ne demande l’accès qu’à la Notification confidentielle et à la Notification supplémentaire,

ATTENDU qu’une partie a toujours le droit de chercher à consulter des documents provenant d’une source, quelle qu’elle soit, afin de l’aider à soutenir sa cause, à condition d’identifier les documents recherchés ou de décrire leur nature générale, et de démontrer l’existence d’un but légitime juridiquement pertinent justifiant l’obtention de cet accès21,

ATTENDU qu’un examen attentif de la Notification confidentielle et de la Notification supplémentaire a révélé que ces documents ne mentionnent aucune déposition faite par l’Appelant au sujet d’une opération d’ensevelissement ou de réensevelissement qui aurait eu lieu le 12 juillet 1995,

ATTENDU que dans la Notification confidentielle et la Notification supplémentaire, l’Accusation se fonde sur la déposition que l’Appelant a faite dans l’affaire Blagojevic et Jokic et dont il connaît la teneur,

ATTENDU que les documents recherchés par l’Appelant ne contiennent aucune information susceptible de lui être d’une grande utilité dans la préparation de sa cause,

PAR CES MOTIFS,

REJETTE la Requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 4 février 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
______________
Theodor Meron

[Sceau du Tribunal]


1 - Une version publique de la requête a été déposée le 10 décembre 2004.
2 - Le Procureur c/ Radislav Krstic, affaire n° IT-98-33-A. Voir l’Arrêt, 19 avril 2004 (l’« Arrêt Krstic »).
3 - L’Appelant observe que, bien que ce document ne semble pas être confidentiel, il a été incapable de le trouver dans la base de données judiciaire du Tribunal international ou de le consulter d’une autre manière, malgré des demandes présentées à l’Accusation et au Greffe.
4 - L’Arrêt Krstic, note 168, page 151, indique à tort que la Notification supplémentaire a été déposée le 21 octobre 2003, et l’Appelant répète par conséquent cette erreur.
5 - Le Procureur c/ Blagojevic et Jokic, affaire n° IT-02-60, compte rendu d’audience, p. 2355 et 2356.
6 - Requête, par. 3.
7 - Ibidem, par. 6.
8 - Réponse, par. 3 et 10 à 13.
9 - Ibid., par. 3 et 14 à 16.
10 - Ibid., par. 19 à 21.
11 - Ibid., par. 24.
12 - Ibid. Voir aussi par. 22, 23 et 25.
13 - Ibid., par. 33, faisant référence au fait que des écritures supplémentaires et complémentaires à la Requête ont été déposées le 29 novembre 2004.
14 - Ibid., par. 26 et 35.
15 - Réplique, par. 4 et 5.
16 - Ibid., par. 2.
17 - Ibid.
18 - Ibid., par. 10.
19 - Ibid., par. 11.
20 - Ibid., par. 8 à 11.
21 - Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête des Appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 14 ; Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-A, Ordonnance relative à la requête de Pasko Ljubicic aux fins d’avoir accès à des documents confidentiels – pièces jointes, comptes rendus d’audience et pièces à conviction – dans l’affaire Kordic et Cerkez, 19 juillet 2002, p. 5 ; Le Procureur c/ Miroslav Kvocka et consorts, affaire n° IT-98-30/1-A, Décision relative à la requête de Momcilo Gruban aux fins d’accéder à des pièces, 13 janvier 2003, par. 5 ; Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, Décision relative à la requête conjointe de Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura aux fins d’accès à toutes les pièces confidentielles, comptes rendus d’audience et pièces à conviction de l’affaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, 24 janvier 2003, p. 5 ; Le Procureur c/ Mladen Naletilic et Vinko Martinovic, Décision relative à la requête conjointe déposée par la Défense de Enver Hadzihasanovic et Amir Kubura aux fins d’accès à tous les documents, écritures, comptes rendus d’audience et pièces à conviction confidentiels de l’affaire Naletilic et Martinovic, 7 novembre 2003, p. 3 ; Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête de Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins d’obtenir copie de la quatrième requête déposée par Tihomir Blaskic en vertu de l’article 115 du Règlement, et aux documents y afférents, 28 janvier 2004, p. 5.