Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 1480

1 Le jeudi 30 octobre 2003

2 [Audience sentencielle]

3 [Audience publique]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 15 heures 03.

6 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Le numéro de l'affaire au rôle, Monsieur

7 l'Huissier, je vous prie -- Monsieur le Greffier, je vous prie.

8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Mesdames

9 et Messieurs les Juges. Il s'agit de l'affaire IT-02-60/2-S, le Procureur

10 contre Dragan Obrenovic.

11 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

12 Bonjour, Mesdames et Messieurs. J'aimerais que les parties se présentent.

13 L'Accusation d'abord.

14 M. McCLOSKEY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je m'appelle

15 Peter McCloskey. Je suis accompagné de Stefan Waespi et de Janet Stewart,

16 du côté de l'Accusation.

17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] La Défense ?

18 M. WILSON : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, mais j'ai

19 quelques difficultés avec les écouteurs. Je m'appelle David Wilson. Je suis

20 accompagné de Dusan Slijepcevic pour la Défense. Et je ne sais pas très

21 bien pourquoi, mais nous avons un terrible effet Larsen dans les écouteurs.

22 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Merci, vous pouvez vous rasseoir.

23 Monsieur Obrenovic, entendez-vous les débats dans une langue que vous

24 comprenez ?

25 L'ACCUSÉ OBRENOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

Page 1481

1 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Avez-vous une raison quelconque de vous

2 plaindre des conditions d'existence au quartier pénitentiaire ?

3 L'ACCUSÉ OBRENOVIC : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

4 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous rasseoir.

5 Nous sommes ici en audience de prononcé de la peine pour M. Obrenovic, en

6 application de l'Article 100 du Règlement de procédure et de preuve. Il y a

7 également une décision portant au calendrier qui a été rendue par la

8 présente Chambre, le 10 octobre 2003. La présente Chambre de première

9 instance a reçu les écritures relatives au prononcé de la peine émanant des

10 deux parties ainsi que l'addendum fourni également par chacune des parties.

11 Donc j'aimerais, pour commencer, demander aux parties de nous présenter une

12 synthèse de leurs écritures dans le cadre de la présente audience.

13 Monsieur McCloskey, vous avez la parole.

14 M. McCLOSKEY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

15 Comme les Juges de cette Chambre le savent parfaitement bien, nous sommes

16 ici aujourd'hui parce que M. Obrenovic a décidé d'assumer la responsabilité

17 de ses actes en plaidant coupable. Nous sommes donc réunis dans ce prétoire

18 aujourd'hui en raison de l'existence de ce plaidoyer de culpabilité. Je

19 tiens à dire clairement aujourd'hui que l'Accusation estime que M.

20 Obrenovic a apporté une coopération pleine et entière au travail du bureau

21 du Procureur, qui est tout à fait satisfait à cet égard et estime donc

22 qu'une peine de 15 à 20 ans constituerait une sentence équitable. Et je

23 vous prierais de me permettre de m'expliquer de façon plus détaillée sur ce

24 point au moment du réquisitoire.

25 On m'indique, à l'instant, que M. Obrenovic n'a pas ses écouteurs sur la

Page 1482

1 tête. Or, je pense qu'il est important qu'il entende ce que dit le

2 Procureur.

3 Nous avons ici un autre écouteur -- d'autres écouteurs si ça est

4 nécessaire.

5 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

6 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous demanderais un instant, car

7 apparemment, il y a quelques problèmes techniques dans ce prétoire.

8 Monsieur Obrenovic, vous m'entendez ?

9 L'ACCUSÉ OBRENOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

10 Maintenant tout va bien.

11 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous rasseoir.

12 Et bien, Monsieur McCloskey, je suis désolé d'avoir dû vous interrompre, et

13 je vous propose à présent de procéder.

14 M. McCLOSKEY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je me

15 permettrait de répéter en quelques mots à l'attention de

16 M. Obrenovic ce que j'ai dit tout à l'heure. Nous sommes dans ce prétoire

17 cet après-midi parce qu'il a décidé d'assumer la responsabilité de ces

18 actes ainsi que des membres de son unité. Et le Procureur estime qu'il a

19 apporté une coopération pleine et entière avec le bureau du Procureur,

20 qu'il s'est montré sincère et crédible de tous les points de vue. Donc, je

21 vous demanderais d'ajouter quelques détails complémentaires à ses

22 explications au moment de réquisitoire. Mais je commencerais par

23 synthétiser rapidement les éléments de preuve que nous avons fournis aux

24 Juges de cette Chambre en retraçant certains des événements qui ont la plus

25 grande importance dans la présente affaire, et ce afin que les Juges de

Page 1483

1 cette Chambre puissent tenir compte de tous ces éléments au moment du

2 prononcé de la peine.

3 Je ne vais pas revenir sur les trois témoins qui ont déjà été mentionnés

4 par moi lors d'une audience ultérieure. Ils sont évoqués dans nos

5 écritures, écritures auxquelles nous nous tenons, car je pense que nous

6 avons définit notre position de la manière la plus claire quelle soit, et

7 cette position est toujours en vigueur aujourd'hui. Ces trois personnes

8 dont les noms ne seront pas cités aujourd'hui, sont entre autres, Teufika

9 Ibrahamefendic, qui a fourni des détails significatifs dans le cadre du

10 procès Krstic, ainsi que le témoin I, l'un des survivants du massacre de la

11 ferme de Branjevo, et puis le témoin DD, qui vient de Srebrenica. Nous

12 sommes donc en présence de deux survivants d'exécution massive à Zvornik,

13 et je me permettrais de consacrer quelques minutes à revenir à l'intention

14 des Juges sur certains événements.

15 Nous savons de la bouche d'un des survivants que dans l'après-midi ou le

16 début de la soirée du 13 juillet, ces personnes ont été placées à bord

17 d'autobus qui les a emmenés de la ville de Bratunac dans la direction de

18 Zvornik. Et c'est dans la soirée, à l'école de Orahovac, non loin de

19 Zvornik que le premier groupe de prisonniers a été livré à la brigade de

20 Zvornik. Et le lendemain, un grand nombre de ces personnes ont été tuées, 5

21 000 Musulmans ont été rassemblés et tués donc le lendemain.

22 Dans les heures de la soirée du 13 également, un certain nombre d'éléments

23 de preuve traitent de cette affaire. Drago Nikolic, le chef de la sécurité

24 se trouvait au poste du commandement avancé, et il a pris d'autres

25 fonctions à ce moment-là qui, d'après ce que nous pensons, consistait sans

Page 1484

1 doute à s'occuper des prisonniers. Nous avons déjà dit ce que nous savions

2 à cet égard. Et M. Obrenovic nous a apporté des détails supplémentaires par

3 rapport au rapport de

4 M. Butler.

5 M. Obrenovic nous a permis de connaître l'opération qui s'est déroulée ce

6 jour-là, à savoir, le transfert de plusieurs milliers d'hommes à Zvornik

7 dans la soirée. M. Obrenovic a reconnu qu'il avait donné pouvoir à Dragan

8 Nikolic pour qu'il commence le processus de séparation de ces hommes par

9 rapport au reste de la population des prisonniers, et pour que ces hommes

10 soient tués. Il a admis cela tout à fait clairement, brièvement sans

11 chercher d'excuse. Et au nom du bureau du Procureur, je dirais que

12 j'accorde à ces propos de

13 M. Obrenovic la plus grande valeur. Il a pris la responsabilité de

14 s'exprimer sur ce sujet, et d'admettre ce qui s'était passé ce qui est

15 important.

16 Il a dit lui-même qu'il avait fourni l'autorisation, qu'il savait que 3 000

17 hommes se trouvaient dans la région et au cours des jours qui ont suivi, un

18 millier d'hommes sont arrêtes dont 800 [sic] à 1 000 ont été regroupés non

19 loin de Zvornik, dans les locaux de l'école Petkovci où ils ont passé les

20 dernières heures de la soirée du 14, ainsi que les premières heures de la

21 matinée du 15, avant d'être emmenés jusqu'au barrage où ils ont été

22 massacrés ce même jour, le 15 -- donc non, excusez-moi, le 14 ainsi qu'au

23 cours des premières heures de la matinée du 15, 500 à 1 000 hommes ont été

24 emmenés à l'école de Petkovci où le 15 juillet, on les a ensuite

25 transportés jusqu'à un endroit non loin de Kozluk. Il n'y a pas de

Page 1485

1 survivants de ce massacre, mais nous savons à partir des études de

2 médecines légales qui ont été faites, que 500 à 1 000 hommes ont été

3 emmenés dans ce secteur non loin de la Drina et exécutés de façon

4 systématique.

5 Nous savons également que le 14 et le 15, 1 500 à 2 000 hommes ont été

6 transportés jusqu'à Pilica et que 1 000 à 1 200 de ces hommes ont été

7 regroupés dans l'école de Pilica le 14 et le 15, et 500 hommes ou peut-être

8 plus ont été regroupés dans le centre culturel de Pilica. Le 16 [sic]

9 juillet des membres de la VRS, où se trouvait des membres de la brigade de

10 Zvornik qui étaient responsables des hommes regroupés à l'école, ont

11 participé à l'opération qui a consisté à emmener jusqu'à la ferme de

12 Branjevo

13 1 200 hommes antérieurement regroupés dans l'école de Pilica, et qui a

14 consisté à les massacrer de façon systématique. Et plus tard dans la même

15 journée, 500 ou plus de ces hommes ont été tués au centre culturel de

16 Pilica. Nous ne saurons peut-être jamais quel est le nombre exact des

17 personnes concernées, mais selon les études de médecine légale et les

18 informations dont nous disposons, il est possible que ce nombre se situe

19 aux alentours de 5 000 à 6 000 hommes qui ont été tués dans les environs de

20 Zvornik à ce moment-là. Ceci découle des éléments de preuve présentés,

21 ainsi que de témoignage de M. Obrenovic qui a dit lui-même qu'il était au

22 poste du commandement -- qu'il était au commande le 13 juillet ainsi que le

23 14 et le 15 juillet, donc c'est à lui que revient le fait d'assumer la

24 responsabilité de commandement y compris pour ce qui se passait à Zvornik.

25 Un peu plus tard, il est devenu chef d'état major et il était présent dans

Page 1486

1 la région au moment des opérations du combat qui ont eu lieu, ainsi qu'au

2 moment de l'exécution de ces hommes dans cette région. Nous savons, sur la

3 base des éléments de preuve présentés et des propos de M. Obrenovic, qu'une

4 opération importante a ensuite eu lieu en vue de masquer, de cacher les

5 cadavres et que cette opération a eu lieu au mois de septembre de façon

6 très massive. J'ai quelques réticences à décrire ce qui s'est passé, car

7 d'après les mots prononcés par M. Obrenovic, nous connaissons l'étendue

8 importante des souffrances de toutes ces personnes et le grand nombre de

9 victimes que cette opération a fait. Mais l'une des raisons pour lesquelles

10 les Juges peuvent s'appuyer avec toute la confiance nécessaire sur les

11 éléments de preuve véridiques qui ont été présentés et peuvent donc se

12 faire une idée de l'horreur et de l'importance de la responsabilité de M.

13 Obrenovic dans cette affaire. L'une de ces raisons repose sur le courage

14 qu'a eu M. Obrenovic, qui a admis sa responsabilité par rapport à ce crime

15 et qui accepte donc d'encourir une sentence importante.

16 Comme je l'ai déjà dit, Monsieur le Président, Monsieur et Madame les

17 Juges, je reviendrais sur les détails relatifs à la coopération fournie par

18 M. Obrenovic dans mon réquisitoire, mais pour le moment, j'aimerais

19 simplement redire qu'aucun crime d'une telle importance n'a eu lieu en

20 Europe avant celui-ci et depuis la Seconde guerre mondiale. Et que bien

21 entendu, compte tenu de la gravité de ce crime, les Juges devront faire

22 preuve de l -- devront prendre le plus grand soin à analyser tous les

23 éléments dont nous débattons avant de rendre leur verdict. Je vous

24 remercie.

25 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

Page 1487

1 Je me tourne maintenant vers la Défense pour entendre ses propos

2 liminaires.

3 M. WILSON : [interprétation] Merci. Monsieur le Président, merci Madame la

4 Juge Argibay, merci Monsieur le Juge Vassylenko. Nous renonçons à notre

5 droit de prononcer un propos liminaire au sujet des faits qui sont au

6 centre de la présente affaire. Dans l'immédiat, nous préférons en parler au

7 moment de notre plaidoirie, mais pour introduire les débats dans ce

8 prétoire, nous indiquons que nous allons citer à la barre quatre témoins

9 qui déposeront à huis clos partiel pour les raisons qui sont exposées dans

10 nos écritures. Nous proposons également un certain nombre d'éléments de

11 preuve, nous avons présenté à la Chambre une liste d'exceptions le 28 ce

12 sont les exceptions -- il n'y aura pas d'autres exceptions soumises par

13 nous en dehors de ces éléments qui sont annexés à nos écritures. Une fois

14 que ces témoins auront déposé et lorsque les juges de la Chambre auront

15 accepté les pièces à conviction dont je viens de parler après les propos de

16 M. McCloskey et ce que je prononcerai moi-même M. Obrenovic a demandé à

17 s'adresser à la Chambre à la fin de nos débats.

18 Donc je tiens à indiquer immédiatement qu'il n'y aura pas d'autres requêtes

19 de notre part. En dehors des questions que nous sommes prêts à accepter de

20 la part des juges.

21 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci beaucoup. Monsieur McCloskey, puis-

22 je m'assurer auprès de vous que vous n'avez pas l'intention de citer à la

23 barre des témoins qui viendraient dans ce prétoire déposés ?

24 M. McCLOSKEY : [interprétation] Non, Monsieur le Président. En effet, nous

25 n'avons pas voulu imposer à des témoins la difficulté de venir dans ce

Page 1488

1 prétoire. Certains ont déposé dans l'affaire Krstic et les juges de cette

2 Chambre connaissent toutes ces questions ainsi que la nature des débats qui

3 se sont déjà déroulés donc l'Accusation n'a pas jugé nécessaire de rappeler

4 ces témoins.

5 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Avez-vous des documents à verser aux

6 dossiers en tant qu'éléments de preuve ?

7 M. McCLOSKEY : [interprétation] Monsieur le Président, s'agissant des

8 documents, non, nous n'en avons pas mais je tiens à dire clairement et j'en

9 ai discuté avec le conseil de la Défense que nous verserons au dossier le

10 témoignage de M. Obrenovic dans l'affaire Blagojevic/Jokic afin que vous

11 puissiez en tenir compte dans vos délibérations.

12 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci beaucoup. Je suppose qu'il n'y a

13 pas d'objections de la part de la Défense donc la déposition de M.

14 Obrenovic constituera une pièce à conviction. Monsieur McCloskey, avez-vous

15 des objections par rapport aux mesures de protections demandées par la

16 Défense pour les témoins qu'elle a l'intention de citer à la barre ?

17 M. McCLOSKEY : [interprétation] Non, Monsieur le Président, nous en avons

18 parlé avec la Défense et nous pensons qu'à titre de précaution ces mesures

19 doivent effectivement intervenir.

20 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Donc il est fait droit à la

21 demande de mesures de protection. M. Wilson avez-vous des documents à

22 verser aux dossiers dans l'immédiat à moins que vous ne souhaitiez les

23 verser en application de l'Article 92 bis du règlement ?

24 M. WILSON : [interprétation] Monsieur le Président, nous avons des

25 documents dont la liste est citée dans nos écritures du 28 -- déposée le 28

Page 1489

1 octobre. Les neuf premières pièces à conviction qui vont de la pièce DS 1 à

2 la pièce DS 9 sont des déclarations que nous demandons à verser en

3 application de l'Article 92 bis et les huit premières parmi ces pièces ont

4 été annexées à nos écritures avant la présente audience du prononcé de la

5 peine. Vous avez également cette liste de témoins qui a été déposée le 28

6 donc tous ces documents nous en demandons le versement en application de

7 l'Article 92 bis.

8 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Je suppose qu'il n'y a pas

9 d'objections de la part de l'Accusation.

10 M. McCLOSKEY : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

11 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci beaucoup. Donc ces documents sont

12 acceptés en tant que pièces à conviction.

13 M. WILSON : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Outre ces pièces

14 à conviction en application de l'Article 92 bis, nous avons également les

15 documents DS 10 à DS 17 qui figurent sur la liste déposée par nous, je veux

16 parler de la liste des témoins. Ce sont des documents dont nous pensons

17 qu'ils parlent d'eux même et qu'ils sont donc authentifiés par leur teneur,

18 nous pensons que le Procureur n'aura pas d'objections à leur admission.

19 Tous ces documents sont annexés à nos écritures, soient annexés à notre

20 mémoire pour l'audience de prononcé de la peine, soient pièces

21 constitutives de l'addendum que nous avons déposé également. Donc nous

22 demandons à la Chambre l'autorisation de faire intervenir l'Article 100(A)

23 du règlement puisque nous croyons comprendre que ceci pourrait permettre

24 d'avancer plus vite dans le cadre de la présente audience. Nous n'allons

25 pas demander le versement de ces documents par le biais de témoins mais

Page 1490

1 nous préférons si le Procureur n'a pas d'objections en demander le

2 versement dans les conditions que je viens d'indiquer.

3 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Fort bien. Pourquoi ne pas demander aux

4 juges une décision au sujet du versement de ces deux documents. Seriez-vous

5 d'accord avec cette procédure ?

6 M. WILSON : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, je n'ai

7 pas compris.

8 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je pense que nous devrions admettre ces

9 deux documents immédiatement plutôt que de les considérer simplement comme

10 des annexes --

11 M. WILSON : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, nous demandons

12 également que les cotes de ces documents soient -- les cotes allant de DS

13 10 à DS 17. Comme indiqué sur la liste des pièce à conviction. Nous en

14 avons parlé avec le greffier. Et je crois comprendre que cette procédure

15 peut s'appliquer.

16 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci beaucoup.

17 M. WILSON : [interprétation] Je vous remercie.

18 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je ne vois pas d'objections de la part de

19 l'Accusation. Donc ces deux documents sont versés en tant que pièce à

20 conviction.

21 M. WILSON : [interprétation] Pouvons-nous à présent, appeler à la barre nos

22 témoins.

23 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Etes-vous prêt ? -- Appelé à la barre vos

24 témoins.

25 M. WILSON : [interprétation] Oui. Monsieur le Président.

Page 1491

1 Me Slijepcevic interrogera le premier témoin et nous demandons qu'il

2 pénètre dans le prétoire.

3 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Donc pas de mesures de protection pour ce

4 témoin.

5 M. WILSON : [interprétation] Non, pas pour le premier, Monsieur le

6 Président.

7 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

8 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

9 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bonjour, Madame le Témoin.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

11 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous demanderais de bien vouloir

12 prononcer la déclaration solennelle.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

14 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

15 LE TÉMOIN: ZORICA RIKIC [Assermenté]

16 [Le témoin répond par l'interprète]

17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci beaucoup. Vous pouvez vous asseoir.

18 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

19 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Maître Slijepcevic, vous avez la parole.

20 M. SLIJEPCEVIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

21 Messieurs les Juges, bonjour Madame le Témoin. Je vous demanderais de bien

22 vouloir vous présenter c'est-à-dire de décliner vos noms et prénoms à

23 l'intention des Juges.

24 Question de le Défense, M. Slijepcevic :

25 Q. [aucune interprétation]

Page 1492

1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Zorica Rikic.

2 Q. [interprétation] Pouvez-vous nous dire le jour, le mois et l'année de

3 votre naissance.

4 R. Le 17 novembre 1953.

5 Q. Quelle est votre appartenance ethnique et votre religion ?

6 R. Je suis bosniaque et de religion orthodoxe.

7 Q. Pouvez-vous nous dire où vous êtes née.

8 R. Je suis née à Zvornik.

9 Q. Quand avez-vous quitté votre lieu de naissance et pour quelle raison ?

10 R. J'ai quitté mon lieu de naissance en 1979 pour des raisons

11 professionnelles.

12 Q. Où avez-vous trouvé un emploi ?

13 R. J'ai trouvé un emploi dans l'entreprise où je travaillais déjà, mais à

14 Sarajevo.

15 Q. Depuis quand -- jusqu'à quand avez-vous travaillé dans cette

16 entreprise ?

17 R. J'ai travaillé à Sarajevo jusqu'en 1992.

18 Q. Quel était votre emploi exactement ?

19 R. Commerçant.

20 Q. Dans la localité -- à l'endroit où vous travailliez, y avait-il des

21 gens de toutes les appartenances ethniques ?

22 R. Oui.

23 Q. Entre 1979 et la date à laquelle la guerre a éclaté en Bosnie-

24 Herzégovine, avez-vous eu un quelconque problème lié à votre appartenance

25 ethnique ?

Page 1493

1 R. Non.

2 Q. Aimeriez-vous nous dire à quel moment ces problèmes ont fait leur

3 apparition ?

4 R. Ces problèmes ont commencé en 1992 au mois de mars.

5 Q. Pourriez-vous nous décrire ces problèmes, comment sont-ils apparus ?

6 R. Cela a commencé par les contrôles, par les barrages routiers, par les

7 fouilles de véhicules. Par exemple, quand on rentrait du travail, on

8 fouillait nos voitures.

9 Q. Qui avait érigé ces barricades ?

10 R. C'était la Défense territoriale de la Bosnie-Herzégovine.

11 Q. Et à l'époque, qui faisait partie de la Défense territoriale de la

12 Bosnie-Herzégovine ?

13 R. Les Bérets verts, les membres des Bérets verts.

14 Q. Est-ce qu'il n'y avait que des Musulmans qui faisaient partie des

15 Bérets verts ?

16 R. Oui.

17 Q. Vous habitiez dans quel quartier de Sarajevo ?

18 R. Moi, j'habitais dans la partie musulmane de la ville.

19 Q. Vous avez continué à vivre et à travailler à Sarajevo jusqu'à quelle

20 date ?

21 R. Je suis resté jusqu'au mois de mai 1992.

22 Q. Et ensuite, où partez-vous ?

23 R. Je me suis dirigé vers Zvornik.

24 Q. Est-ce que vous avez pu quitter Sarajevo en toute sécurité et, le cas

25 échéant, décrivez-nous ce départ.

Page 1494

1 R. J'ai quitté la ville de Sarajevo dans un camion escorté par la SFOR, en

2 passant de Milici, en passant par Bratunac, Ljubovija et à la fin je suis

3 arrivé à Mali Zvornik. Et tout cela était très difficile.

4 Q. Est-ce que vous avez eu l'occasion d'emporter quoi que ce soit avec

5 vous ?

6 R. Je n'ai rien pu emporter sinon un sac en plastique et mes chaussures de

7 travail, donc un sac, un sac en plastique, c'est tout.

8 Q. Et est-ce que Mali Zvornik se trouve en Serbie ?

9 R. Oui.

10 Q. Et ensuite, est-ce que vous quittez Mali Zvornik pour vous rendre dans

11 la ville -- dans votre ville natale, Zvornik ?

12 R. Oui.

13 Q. Est-ce que c'était le même mois que le mois où vous avez quitté

14 Sarajevo ?

15 R. Oui.

16 Q. En arrivant à Zvornik, avez-vous rencontré à quelque moment que ce

17 soit, M. Dragan Obrenovic ?

18 R. Oui.

19 Q. Et cela s'est produit quand ?

20 R. Au mois de février 1994.

21 Q. Pourquoi vous souvenez-vous de cette date-là ?

22 R. Je m'en souviens parce que mon père est mort ces jours-là. Dragan et

23 ^Bojana sont venus me voir chez moi.

24 Q. Et je vais vous demander de dire aux Juges de la Chambre qui est ce

25 ^Bojana que vous venez de mentionner ?

Page 1495

1 R. ^Bojana c'est l'épouse de M. Obrenovic. C'est une amie de ma sœur.

2 Elles étaient collègues de travail. Elles travaillaient dans la même

3 entreprise.

4 Q. Fréquentiez-vous l'épouse de M. Dragan Obrenovic auparavant ?

5 R. Oui.

6 Q. Après avoir rencontré Dragan Obrenovic, est-ce que vous commenciez à

7 vous fréquenter ?

8 R. Oui.

9 Q. Pourriez-vous nous décrire vos rapports ? Les rapports qui prévalaient

10 entre vous et Dragan Obrenovic.

11 R. Moi, j'ai fait connaissance de Dragan à l'époque où il a été officier

12 de carrière de 10 années mon cadet. Mais moi, j'avais l'impression qu'il

13 était plus âgé. Je le respectais. Quand il est rentré dans sa maison --

14 dans la maison où j'étais, et bien, je sortais, pas parce que je le

15 craignais, mais parce que je le respectais. J'avais tellement de respect

16 pour lui que j'étais énervé et mal à l'aise en sa présence. Il avait l'air

17 tellement bien, tellement professionnel. Après, quand je commençais à le

18 connaître mieux, je restais assis quand il venait me voir.

19 Q. Et vous avez connu donc Dragan Obrenovic pendant toutes ces années.

20 Est-ce que vous avez appris s'il était membre d'une quelconque

21 organisation, comité ou parti politique ou de toute façon s'il était actif

22 dans la vie politique ?

23 R. Je pense que Dragan Obrenovic n'était membre d'aucun parti politique.

24 Q. Au cours de toutes ces années, est-ce que vous avez entendu parler d'un

25 quelconque sentiment nationaliste ou hostile par rapport à un autre groupe

Page 1496

1 ethnique que le sien ?

2 R. Non, jamais.

3 Q. Est-ce qu'il fréquentait de façon égale les gens appartenant à tous les

4 groupes ethniques qui résidaient à Zvornik ?

5 R. Oui.

6 Q. Et quelle était son opinion au sujet de ce qu'on appelle le mariage

7 mixte ?

8 R. Et bien, comme tous les autres, normalement.

9 Q. Que voulez-vous dire par ça ?

10 R. Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Juges, je vais vous dire

11 quelque chose. Moi, j'ai une fille qui est infirmière dans une grande

12 clinique pour les femmes à Munich. Elle est partie en 1991. Elle a épousé

13 un noir, un noir qui habite à Munich. Ils ont un fils, Kevin. Moi, j'ai du

14 mal à accepter cela. Mais elle m'a dit : "Même si vous me rejetez tous,

15 moi, je l'aime et je le veux." Et à ce moment-là, j'ai rencontré Dragan et

16 Bojana, et je lui dit : "Dragan, mais qu'est-ce que je vais faire ? Comment

17 je vais faire ? Regardes ce que m'a fait ma fille." Et il m'a dit :

18 "Ecoute, il n'y a pas de problème. Ils s'aiment et c'est ça qui est

19 important. Maintenant, elle a un fils. C'est ça qui est important." Et

20 aujourd'hui, ce fils joue avec le fils de M. Obrenovic et il passe un mois,

21 un mois et demi chez moi. Il passe ses vacances chez moi et il joue pendant

22 tout ce temps-là, avec le fils de Dragan, Milos, le petit Milos. Chez

23 Dragan, tout était dans l'ordre.

24 Q. Votre belle-fille est-elle croate ?

25 R. Oui, ma belle-fille est croate.

Page 1497

1 Q. Et quels étaient les rapports entre Dragan Obrenovic et votre belle-

2 fille ?

3 R. Et bien, ils avaient des rapports tout à fait normaux, gentils. Et mon

4 fils, mon fils, Zoran, et sa femme Nivinka [phon], ils aimaient et

5 respectaient beaucoup Dragan. Mon frère habite aussi en Allemagne.

6 M. SLIJEPCEVIC : [interprétation]

7 Q. Savez-vous qu'une cousine de l'épouse de Dragan Obrenovic est croate

8 elle aussi ?

9 R. Oui.

10 Q. Saviez-vous qu'au cours de l'année 1996 le petit ami de la fille de

11 cette cousine avait pour l'habitude de se rendre à Zvornik pour visiter

12 Dragan Obrenovic à son domicile alors qu'il était vêtu de son uniforme du

13 HVO ? Et ensuite, Dragan Obrenovic l'a escorté de son appartement jusqu'à

14 la sortie de la ville, de Tuzla ?

15 R. Oui, je le sais. Ce jeune homme s'appelle Adam. Et je sais aussi -- je

16 connais aussi cette cousine de l'épouse d'Obrenovic,

17 M. SLIJEPCEVIC : [interprétation] Et j'aimerais vous demander de passer à

18 huis clos partiel.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les

20 Juges, permettez-moi de vous dire quelque chose.

21 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Allez-y.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Je voudrais vous dire quelque chose de très

23 important aujourd'hui. Mon frère habite en Allemagne et il vient nous voir,

24 car il a ouvert un restaurant au rez-de-chaussée de notre maison. A une

25 reprise -- à une occasion, mon frère a décidé d'importer une voiture de

Page 1498

1 l'Allemagne, et il a importé une Mercedes magnifique. Et il a dit :

2 "J'aimerais bien vendre cela à M. Obrenovic."

3 Et M. Obrenovic lui a dit :

4 "Dragana [sic], ta Mercedes est belle, c'est certes. Mais moi je ne peux

5 pas l'accepter, car mon peuple n'a pas suffisamment à manger." Je ne

6 pourrais jamais oublier cela.

7 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Très bien. Merci, Madame le témoin.

8 Nous allons passer à huis clos partiel à présent.

9 [Audience à huis clos partiel]

10 (expurgé)

11 (expurgé)

12 (expurgé)

13 (expurgé)

14 (expurgé)

15 (expurgé)

16 (expurgé)

17 (expurgé)

18 (expurgé)

19 (expurgé)

20 (expurgé)

21 (expurgé)

22 (expurgé)

23 (expurgé)

24 (expurgé)

25 (expurgé)

Page 1499

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12 Page 1499 à expurgée, audience huis-clos partiel.

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

Page 1500

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12 Page 1500 à expurgée, audience huis-clos partiel.

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

Page 1501

1 [Audience publique]

2 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Maître McCloskey, avez-vous d'autres

3 questions à poser à ce témoin ?

4 M. McCLOSKEY : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

5 [La Chambre de première instance se concerte]

6 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Et bien, Madame le témoin, je vous

7 remercie d'être venue déposer ici à La Haye. Nous en sommes reconnaissants

8 et l'huissier va vous escorter pour quitter ce prétoire et nous vous

9 souhaitons un bon voyage de retour.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, moi aussi, Monsieur le

11 Président, Madame, Monsieur le Juge.

12 [Le témoin se retire]

13 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Maître Wilson, y a-t-il des mesures de

14 protection pour le témoin prochain.

15 M. WILSON : [interprétation] Oui. Nous avons demandé pour le témoin suivant

16 à bénéficier des mesures de protection.

17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Vous voulez dire --

18 M. WILSON : [interprétation] Nous avons demandé un huis clos pour le

19 prochain témoin.

20 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

21 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

22 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Nous passons à huis clos.

23 [Audience à huis clos]

24 (expurgé)

25 (expurgé)

Page 1502

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12 Pages 1502 à 1507 expurgées, audience huis-clos.

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

Page 1508

1 (expurgé)

2 (expurgé)

3 (expurgé)

4 [Audience publique]

5 [Le Témoin est introduit dans le prétoire]

6 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bonjour Témoin.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

8 Monsieur le Juge.

9 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Veuillez s'il vous plaît faire la

10 déclaration solennelle conformément à ce qui est écrit sur le document qui

11 vous est remis par l'Huissière.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

13 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

14 LE TÉMOIN: DUSANKA BOSKOVIC [Assermenté]]

15 [Le témoin répond par l'interprète]

16 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Vous pouvez vous

17 asseoir.

18 Oui, Maître Slijepcevic, vous pouvez commencer.

19 M. SLIJEPCEVIC [interprétation] Merci.

20 Questions de l'Accusation, M. Slijepcevic :

21 Q. [interprétation] Bonjour, Témoin.

22 R. Bonjour.

23 Q. Pour commencer, je voudrais vous remercier d'avoir accepté de venir à

24 La Haye et de venir déposer devant cette Chambre de première instance.

25 R. Je vous remercie.

Page 1509

1 Q. S'il y a des questions que vous ne comprenez pas ou s'il y a des

2 questions de caractères techniques qui se posent, n'hésitez pas à le dire

3 et à nous interrompre.

4 R. Bien.

5 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, dire à cette Chambre de première

6 instance votre nom, décliner votre identité ?

7 R. Mon nom est Dusanka Boskovic.

8 Q. Madame Boskovic, quelle est votre date de naissance ?

9 R. Je suis née le 19 février 1995 à Jegenov Lug, dans la municipalité de

10 Kalesija, qui se trouve à une vingtaine de kilomètres de Tuzla.

11 Q. Est-ce que les personnes qui habitaient à votre lieu de naissance

12 étaient uniquement des Serbes ou est-ce qu'il y avait des différentes

13 ethnies ?

14 R. Les habitants étaient seulement de nationalité serbe.

15 Q. Et les villages avoisinants, proche de votre village de naissance, qui

16 y vivait ? Je veux parler de la population de ces villages ?

17 R. C'étaient des Musulmans qui vivaient dans ces villages.

18 Q. Jusqu'à quand avez-vous vécu dans votre lieu de naissance ?

19 R. J'ai vécu dans ce village jusqu'au 8 mai 1992.

20 Q. Madame Boskovic, quand vous êtes-vous mariée ?

21 R. Le 8 février 1975.

22 Q. Est-il exact que vous avez deux fils ?

23 R. Oui.

24 Q. Pourriez-vous nous dire leurs noms et leurs dates de naissance ?

25 R. Le nom de mon fils est Sladjan Boskovic, il est né le 10 août 1976. Et

Page 1510

1 mon second fils, s'appelle Zoran Boskovic, et il est né le 22 avril 1980.

2 Q. Quelle est votre profession, Madame Boskovic ?

3 R. Je fais du commerce.

4 Q. Où avez-vous travaillé jusqu'au 8 avril 1992 ?

5 R. Jusqu'au 8 mai 1992, j'ai travaillé à Tuzla.

6 Q. Quelle était votre activité ? Dans quelle sorte de société travailliez-

7 vous, votre compagnie ?

8 R. C'était une compagnie qui appartenait à l'état, qui s'appelait

9 Univerzal Promet Tuzla. C'est Commerce Univerzal Tuzla. Et j'étais employée

10 pour les questions du commerce.

11 Q. Le personnel qui était employé dans cette société, est-ce qu'il était

12 d'origines ethniques différentes ? Est-ce qu'il y avait des Serbes, des

13 Musulmans ?

14 R. Oui.

15 Q. Jusqu'au 8 mai 1992, est-ce que vous avez eu des problèmes quels qu'ils

16 soient à cause de sentiments nationalistes ou d'attitudes nationalistes ?

17 R. Jusqu'au 8 mai 1992, à cette époque, nous nous préparions, nous

18 faisions des préparatifs, on évacuait les enfants et les femmes âgés du

19 village. Le 7 mai, je me suis rendue à mon travail et dans la soirée du 7,

20 on m'a dit de ne pas rentrer chez moi. Et que le 8 mai, tous les habitants

21 de notre village devraient quitter le village.

22 Q. Quand est-ce ces problèmes ont-ils surgit ? Quelles ont été les

23 raisons ?

24 R. Ceci a eu lieu --

25 M. McCLOSKEY : [interprétation] Monsieur le Président.

Page 1511

1 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, Monsieur McCloskey.

2 M. McCLOSKEY : [interprétation] Je dois objecter, Monsieur le Président. Je

3 ne vois pas quelle est la pertinence de cette question de l'origine et des

4 raisons du conflit. Je ne voudrais pas devoir procéder à un contre-

5 interrogatoire sur ce point si certains motifs étaient donnés par

6 [imperceptible].

7 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui.

8 M. McCLOSKEY : [interprétation] Et je ne vois pas la pertinence par rapport

9 à notre audience.

10 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui. Maître Slijepcevic, je pense qu'il

11 faut vous -- que vous concentrez sur les questions qui font l'objet de la

12 présente audience, qui est essentiellement ce qui concerne votre client et

13 son comportement dans le passé. Ceci n'a rien à voir avec le conflit, à

14 moins que ce soit vraiment étroitement lié à ce sujet, au sujet qui est

15 mentionné.

16 M. SLIJEPCEVIC : [interprétation] Monsieur le Président, Madame et Monsieur

17 le Juge, je voulais simplement que le témoin parle de Zvornik. Je ne

18 voulais pas créer de situation difficile ou déplaisante. Je voulais

19 simplement vous montrer comment le témoin s'était rendu à Zvornik, c'est

20 arrivé à Zvornik, mais c'est pour cela que j'ai posé ces questions. Si vous

21 pensez que ce n'est pas nécessaire, j'éviterai ces questions.

22 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui, s'il vous plaît. Allons-on

23 maintenant -- passons à Zvornik le plus rapidement possible.

24 M. SLIJEPCEVIC : [interprétation]

25 Q. Madame Boskovic est-ce que j'ai bien compris ce que vous avez dit. Vous

Page 1512

1 avez dit que le 7 mai 1992, quelqu'un vous a dit qu'il ne faudrait pas

2 rentrer chez vous, cela -- c'est bien cela ?

3 R. Oui, mon mari m'a transmis ce message par l'intermédiaire d'une dame

4 qui partait le 7. Et on m'a dit de ne pas rentrer chez moi.

5 Q. Et alors qu'est-ce que vous avez fait à ce moment-là ?

6 R. J'ai travaillé à Tuzla jusqu'au 15 mai 1992.

7 Q. Et qu'est ce que vous avez fait le 15 mai 1992 ?

8 R. Je me suis rendue chez moi et j'ai rencontré une voisine musulmane qui

9 m'a dit qu'il fallait qu'on parte, que des soldats étaient arrivés. Elle ne

10 savait même pas où se trouvaient ces soldats. Mais elle a dit qu'elle ne

11 pouvait pas m'aider à partir de là.

12 Q. Et pendant cette période, est-ce que vous saviez où se trouvait votre

13 mari ?

14 R. Non, je ne le savais pas.

15 Q. Où vous êtes-vous rendue le 15 mai 1992 ?

16 R. Le 15 mai, je suis partie avec un cousin de Tuzla, et nous sommes allés

17 à Cakovici où habitait mon fils aîné.

18 Q. Et de là ?

19 R. Et de là, je suis allée à Bijeljina le 16 mai avec mon fils et mon

20 cousin. Mon fils et moi-même, on continuait vers Bijeljina à Zvornik pour y

21 retrouver mon mari. Quand je suis arrivée à Zvornik, je suis allée avec mon

22 aîné trouver un parent en Serbie, puis je suis revenue à Veleki Zvornik à

23 nouveau, pour essayer de trouver mon mari. Comme ils nous ont dit qu'on ne

24 pouvait pas entrer en rapport avec eux, et qu'ils étaient en bonne santé,

25 et vivants, ils avaient réussi à partir le 8 mai. Je n'ai pas pu le voir ou

Page 1513

1 lui parler pendant un mois. Puis, lorsqu'il est venu, nous sommes arrivés à

2 un accord. Nous nous sommes rendus en Allemagne avec les deux enfants en

3 juin 1992, et il y est resté seul. Nous sommes restés en contact, nous

4 pouvions nous parler pendant que j'étais en Allemagne. Il m'a demandé de

5 revenir avec les enfants, il m'a demandé de revenir à Zvornik.

6 En octobre 1992, je suis donc retournée là-bas.

7 Q. À l'époque est-ce que vous avez vu votre mari et où avez-vous vécu avec

8 lui ?

9 R. Il nous y a rencontré, il nous a rencontré là-bas et nous avons vécu

10 dans une maison dans laquelle se trouvait également installer cinq autres

11 familles, il y avait une pièce qui a été mise à notre disposition pour les

12 quatre d'entre nous.

13 Q. Est-ce que votre mari avait été membre de l'armée de Republika Srpska ?

14 R. Oui.

15 Q. Qu'est-ce qui est arrivé à votre mari ?

16 R. Il est donc revenu et on s'est revu une fois et le 19 décembre il est

17 venu nous voir à Zvornik et il a dit que la ligne avait été enfoncée

18 qu'environ 130 personnes étaient tuées ou portées disparues et qu'il

19 fallait qu'il parte.

20 Il est parti à ce moment-là, et il nous a dit :

21 "Prenez bien soin de vous je ne sais pas combien de temps je serais parti."

22 Le 21 décembre des gens sont venus et nous ont informé qu'il avait été tué.

23 Q. C'est le 21 décembre 1992. Est-ce que vous connaissiez M. Dragan

24 Obrenovic ?

25 R. Non. Les mères qui étaient veuves, nous avions besoin que quelqu'un

Page 1514

1 nous donne de l'aide et on ne savait pas à qui demander, mais nous nous

2 sommes adressés à l'armée.

3 Q. Est-ce que l'armée vous a donné de l'aide et qu'il a fait au nom de

4 l'armée ?

5 R. Ils nous ont dit qu'il faudrait nous adresser à Dragan Obrenovic. Ils

6 nous ont dit qu'il ne fallait pas qu'on y aille tous ensemble mais

7 seulement quelques-unes d'entre nous devraient s'y rendre pour lui parler.

8 On nous a dit qu'on nous donnerait l'aide dont nous avions besoin. J'ai été

9 la première à m'y rendre et j'ai dû m'occuper des obsèques de mon mari, de

10 ses vêtements, des aliments et cetera. Toutes ces questions -- l'armée nous

11 a effectivement fourni de l'aide.

12 Q. Dans le courant de l'année 1993, est-ce que vous avez reçu de l'aide de

13 Dragan Obrenovic ou d'un représentant de l'armée ?

14 R. Oui. Aussi longtemps que nous avons eu besoin d'aide, nous en avons

15 reçu tous les mois et si nous manquions de quelques choses nous recevions

16 ce qui nous manquait.

17 Q. Dans le groupe de 130 veuves, y avait-il des Musulmanes ?

18 R. Je suis allée à Zvornik mais je ne connaissais pas les gens, je ne

19 connaissais pas ces personnes, on m'a dit qu'il y avait des Musulmanes et

20 les Musulmanes nous fréquentaient en 1992, 1993. Celles qui étaient restées

21 à Zvornik. Il y avait là trois orphelins et nous leur fournissions

22 également de l'aide.

23 Q. Est-ce que Dragan Obrenovic faisait les distinctions sur les bases de

24 nationalité ou d'origine ethnique ?

25 R. Non. Il ne nous a jamais demandé à qui nous donnions de l'aide. Il ne

Page 1515

1 nous a jamais demandé le nom des personnes qui avaient besoin de recevoir

2 de l'aide. Il avait dit :

3 "Fournissez ceci à ceux qui ont besoin de cet aide."

4 Q. Est-ce que Dragan Obrenovic vous a jamais aidé en ce qui concerne votre

5 appartement ?

6 R. Oui, en 1992 lorsque mon mari a été tué. J'ai emménagé dans un

7 appartement qui avait été occupé par un homme et je suis rentré dans cet

8 appartement avec les deux enfants. Quelqu'un de l'armée avait commencé à me

9 maltraiter, je suis allée trouver Dragan Obrenovic pour lui demander à

10 nouveau son aide et comme nous n'avions personne à qui d'autres nous

11 pouvions nous adresser, il a envoyé un soldat pour voir, et avait dit :

12 "Choisissez qui va venir, afin que nous sachions, et que ceci ne se

13 produise plus ça ne doit pas se produire à nouveau." Et par la suite les

14 choses ont été un peu plus faciles pour nous parce que nous avions

15 bénéficié de l'aide de quelqu'un.

16 La période la plus difficile a été en 1994 lorsque mon fils venait de

17 terminer ses études je n'avais pas assez d'argent pour lui acheter un

18 costume alors Dragan m'a dit, d'aller à son appartement et de prendre ce

19 dont mon fils pourrait avoir besoin." Nous sommes allés chez-lui, il lui a

20 donné un costume, des chemises, des cravates, des chaussures, des

21 chaussettes, il lui a donné tout cela, toutes les choses qu'il avait besoin

22 pour qu'il puisse aller à la cérémonie remise de diplôme avec ces amies.

23 Q. Est-ce qu'à un moment quelconque vous avez entendu dire que Dragan

24 Obrenovic ait manifesté de la haine à l'égard de Musulmans ?

25 R. Non.

Page 1516

1 M. SLIJEPCEVIC : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser à

2 ce témoin. Monsieur le Président, je vous remercie.

3 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur McCloskey.

4 Avez-vous des questions à poser au témoin ?

5 M. McCLOSKEY : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

6 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

7 [La Chambre de première instance se concerte]

8 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Témoin, je vous remercie beaucoup d'être

9 venu déposer dans ce procès à La Haye et je voudrais vous présenter toutes

10 nos sympathies, nos condoléances pour les souffrances que vous avez

11 endurées, Madame l'Huissière, va vous escorter en dehors de cette salle

12 d'audience. Et nous vous souhaitons un bon voyage de retour chez-vous.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,

14 Madame, Monsieur le Juge.

15 [Le témoin se retire]

16 M. LE JUGE LIU : [interprétation] D'après ce que j'ai compris le témoin

17 suivant est un témoin protégé, n'est-ce pas ?

18 M. WILSON : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président.

19 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bon, je suggère que nous suspendions

20 l'audience pendant 20 minutes et pendant cette période je pense qu'on

21 pourra faire les arrangements nécessaires pour le témoin suivant et nous

22 pourrons donc commencer en audience à huis clos d'après ce que j'ai

23 compris.

24 Et Madame Stewart pourriez-vous s'il vous plaît, donc enlever ce chariot

25 afin qu'il ne soit pas dans la salle pour la reprise d'audience.

Page 1517

1 Nous reprendrons à 16 heures 45.

2 --- L'audience est suspendue à 16 heures 27.

3 --- L'audience est reprise à 16 heures 50.

4 (huis-clos)-

5 (expurgé)

6 (expurgé)

7 (expurgé)

8 (expurgé)

9 (expurgé)

10 (expurgé)

11 (expurgé)

12 (expurgé)

13 (expurgé)

14 (expurgé)

15 (expurgé)

16 (expurgé)

17 (expurgé)

18 (expurgé)

19 (expurgé)

20 (expurgé)

21 (expurgé)

22 (expurgé)

23 (expurgé)

24 (expurgé)

25 (expurgé)

Page 1518

1

2

3

4

5

6

7

8

9

10

11

12 Pages 1518 à 1530 expurgées, audience huis-clos partiel.

13

14

15

16

17

18

19

20

21

22

23

24

25

Page 1531

1 (expurgé)

2 (expurgé)

3 (expurgé)

4 (expurgé)

5 (expurgé)

6 (expurgé)

7 (expurgé)

8 (expurgé)

9 (expurgé)

10 (expurgé)

11 (expurgé)

12 (expurgé)

13 (expurgé)

14 (expurgé)

15 (expurgé)

16 [Audience publique]

17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur McCloskey, est-ce qu'il y a un

18 réquisitoire de la part du Procureur ?

19 M. McCLOSKEY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

20 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, M. Obrenovic, en tant

21 qu'adjoint du commandant d'une brigade en temps de guerre et en tant que

22 commandant de la brigade à un moment donné, porte sur ses épaules la plus

23 grande responsabilité d'un homme, un commandant militaire a le pouvoir de

24 vie et de mort entre ses mains. Il a le pouvoir de protéger son propre

25 village, sa ville, ses habitants, hommes, femmes, enfants, et bien sûr, il

Page 1532

1 avait cette responsabilité, il avait ces pouvoirs. Le pouvoir sur les gens

2 -- dont il était responsable. M. Obrenovic s'est levé devant cette Chambre

3 et il a -- s'est regardé dans ses yeux, ses propres, il a regardé son âme

4 et il a pris la responsabilité pour le meurtre de ces milliers d'individus.

5 Quelle pourrait être la sentence possible pour un tel crime ?

6 Cependant, la valeur, pour le bureau du Procureur en l'espèce, la valeur de

7 son plaidoyer est immense. Immense, car cet homme, en tant que commandant,

8 en tant qu'un responsable militaire, était capable de prendre cette

9 responsabilité. Et c'était le premier commandant de cette guerre qui a été

10 capable de le faire. Et je vais vous expliquer pourquoi ceci a été aussi

11 important du point de vue historique, aussi bien pour l'ex-Yougoslavie que

12 pour ce Tribunal.

13 En 1998, je faisais partie de l'équipe qui avait enquêté sur la Brigade de

14 Zvornik et j'ai rencontré M. Obrenovic dans son bureau. Il a attendu les

15 ordres de ses commandants et puis, lorsqu'il les a obtenus, il a pleinement

16 coopéré avec nous. Je l'ai vu faire des discours à ses soldats, à son état

17 major, à son personnel pour les huit à dix heures qui ont suivi, nous avons

18 eu une pleine coopération de sa part, et nous avons pu faire notre travail

19 sans craindre le moindre problème. Et tout ce que nous avions avec nous,

20 c'était un chef de bataillon de l'armée des Etats-Unis avec une arme de

21 point.

22 Et à ce moment-là, j'ai vu naïvement, quelque chose dans le caractère de M.

23 Obrenovic qui m'a fait espérer qu'un jour il pourrait faire ce qu'il

24 fallait. Et aujourd'hui, nous savons qu'il l'a fait. Et ceci est vivement

25 apprécié. Mais je pense que, sur une plus vaste échelle, selon une plus

Page 1533

1 grande perspective, M. Obrenovic a donné la -- fourni la vérité concernant

2 Srebrenica, d'une façon simple, claire, logique, en tant que commandant qui

3 était chargé de responsabilité au cours des journées les plus sinistres de

4 cette guerre.

5 Maintenant, comme je l'ai déjà dit, faire apparaître la vérité devant l'ex-

6 Yougoslavie, la faire connaître à la communauté musulmane ainsi qu'à la

7 communauté serbe, a des répercussions historiques et nous aide dans notre

8 tache de paix de réconciliation. Nous savons qu'à partir des réponses ou

9 des réactions des chefs musulmans et des individus qui pour beaucoup ont ce

10 sens inouïe de soulagement que la vérité finalement ait pu être dite par

11 quelqu'un qui avait, sans aucun doute, des responsabilités militaires et à

12 caractère militaire, mais qui, malheureusement, n'a pas pu prendre la

13 direction qu'il aurait fallu, du point de vue de l'honneur, à l'évidence,

14 il n'a pas fait cela. Il n'a pas fait ce qu'il aurait dû faire. Il a

15 choisi, au contraire, de faire ce que ses supérieurs lui ont ordonné de

16 faire, et ce qui, malheureusement, s'est inscrit dans le cadre de cette

17 guerre depuis 1992.

18 Et il nous apporte aujourd'hui, et à l'ex-Yougoslavie ainsi qu'à ce

19 Tribunal, quelque soit que la réconciliation puisse se faire, que les

20 soldats de tel grade puissent dire la vérité et puissent s'avancer et

21 donner une base à cette réconciliation. Nous avons connu le caractère d'un

22 certain nombre de personnes de l'ex-Yougoslavie, dans ce prétoire

23 aujourd'hui, et ceci nous donne cet espoir qu'ils pourront rentrer chez eux

24 avec ce sens de réconciliation.

25 Et ce qui est important c'est, qu'apporte-t-on au Tribunal dans cette

Page 1534

1 affaire, ce procès particulier ? Et bien, vous l'avez entendu relater les

2 événements. Vous l'avez entendu lorsqu'il a répondu à mes questions, la

3 manière dont il a répondu aux questions de Me Karnavas, les questions de

4 Mme Sinatra, de Me Sinatra, qui étaient posées de façon très claire, très

5 concise, sans hésitation. Et ce qui est encore plus important, sans

6 présenter d'excuses, je n'ai pas entendu d'excuses aujourd'hui qui puissent

7 me conduire à penser qu'il n'a pas accepté sa responsabilité. Il est -- il

8 s'est manifesté de façon très claire dans ce prétoire, et tout le monde a

9 compris la force, la valeur, qu'un Procureur voit rarement dans une

10 situation de coopération d'un témoin de ce genre. Et c'est le type

11 d'élément de preuve que l'on voudrait pouvoir avoir à sa disposition.

12 Lorsque vous rentrez chacun dans votre bureau et que vous étudiez mot pour

13 mot ce qui a été dit, et vous vous demandez si vous pouvez compter ce qui a

14 été dit. Vous verrez le reste de ces éléments de preuve en l'espèce, et

15 vous pouvez faire des comparaisons nécessaires. Et ceci revêt une valeur

16 incomparable en tant que juges de fait.

17 Et je n'ai aucun doute que M. Obrenovic déposera de la même manière dans

18 les futurs procès concernant Srebrenica, et j'ai confiance qu'il y en aura.

19 La Serbie doit maintenant tourner ses regards sur ce qui se passe dans ce

20 Tribunal et voir quelle est la vérité. Ils verront, à ce moment-là, leurs

21 camarades serbes qui se lèvent, comme M. Nikolic et M. Obrenovic, et là

22 encore, j'ai l'espoir naïf que d'une certaine manière ils parviendront à

23 nous aider et que les fonctionnaires, les officiels, qui sont dans ce pays

24 qui, je crois, sont encore en train de protéger, de donner refuge à

25 certains des accusés dans cette affaire. Je sais que M. Obrenovic s'en

Page 1535

1 tiendra à sa parole et qu'il déposera sur ces questions comme il l'a fait

2 dans le procès qui vous est soumis.

3 Et, en particulier, vous avez pu bénéficier du témoignage d'un commandant

4 de la VRS, d'un commandant de brigade, sur les questions militaires, de

5 commandement, de contrôle et de responsabilité. C'est une perspective

6 absolument unique et incroyable que vous avez pu obtenir. Une brigade dans

7 toute armée, je pense plus particulièrement dans la VRS, commandée par des

8 hommes qui se trouvaient dans des tranchées. C'était le cas de la majorité

9 de ces hommes. Et il s'agit d'hommes qui, de part et d'autre, des deux

10 côtés, ont lutté et sont morts. Et le commandant de la brigade est l'un de

11 ceux qui ont les responsabilités les plus élevées pour ces hommes qui se

12 trouvent sous son commandement. Et nous avons pu entendre, d'un tel

13 commandant, une déposition -- entendre ce qu'il avait à nous dire de ses

14 responsabilités en tant que commandant. Et malgré un contre-interrogatoire

15 extrêmement difficile et rigoureux, il ne s'est jamais -- il n'a jamais nié

16 sa responsabilité de commandant. Il a pu vous montrer ce que cela voulait

17 dire par rapport aux règlements à appliquer ou même par rapport à ce que

18 disaient les experts présentés par l'Accusation. Donc ceci a une valeur

19 considérable et revêtira également une valeur considérable pour l'avenir.

20 En particulier, il a été en mesure de nous dire, et je ne veux pas rentrer

21 maintenant dans les détails, il ne convient pas de le faire à ce moment,

22 mais il a été en mesure de nous parler de tout ce qui concernait la

23 sécurité, comment fonctionnaient les services de sécurité au commandement.

24 Et finalement, de faire tomber certains mythes à cet égard.

25 Comme vous le savez, il a également apporté de la documentation, des

Page 1536

1 originaux. Et j'ai expliqué de façon détaillée à votre Chambre quelle était

2 la valeur de ces documents.

3 Donc, lorsque nous regardons maintenant ce crime épouvantable, vraiment

4 épouvantable, vous allez pouvoir vous demander, je sais que vous le ferez,

5 et vous l'avez probablement déjà fait, quelle sentence peut-on infliger

6 pour cela ? Mais au moment où je vous demande cela, la recommandation du

7 Procureur est de 15 ou 20 ans, et ceci est raisonnable parce que cet homme

8 représente cette valeur pour l'Accusation. Ceci correspond à sa

9 responsabilité.

10 A un moment donné, nous nous sommes trouvés à la base de Petkovci avec

11 quatre survivants, et des fosses communes gigantesques, avec des rapports à

12 ce sujet. Nous n'en sommes plus à ce stade. Et ceci maintenant profite au

13 Tribunal ainsi qu'à l'ex-Yougoslavie. Et je sais que ceci également sera au

14 bénéfice de nombreux Musulmans d'avoir ce grand soulagement de voir, enfin

15 si clairement, la vérité qui est enfin dites.

16 Mes paroles aujourd'hui et les paroles de M. Obrenovic et le jugement que

17 vous prononcerez ne pourront pas faire revivre les morts, et ne pourront

18 pas consoler les tristesses et les misères des femmes et des hommes qui ont

19 survécu à Srebrenica. Mais j'ai encore quelques espoirs naïfs, comme j'en

20 avais ce jour de 1998 lorsque nous avons commencé à enquêter sur la Brigade

21 de Zvornik. Et je pense que ce processus dans lequel nous sommes entrés et

22 cet accord de plaidoyer que vous avez accepté est une partie extrêmement

23 importante de ce processus. Et je sais que vous réfléchirez de la façon la

24 plus approfondie sur cette situation et sur la sentence qui convient. Je

25 vous remercie.

Page 1537

1 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur McCloskey.

2 [La Chambre de première instance se concerte]

3 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Avez-vous quelques mots à prononcer au

4 titre de votre plaidoyer, Maître Wilson ?

5 M. WILSON : [interprétation] Oui.

6 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous en prie.

7 M. WILSON : [interprétation] Monsieur le Président, Madame le Juge Argibay,

8 Monsieur le Juge Vassylenko, Monsieur McCloskey, Monsieur Waespi, membres

9 du personnel présents dans ce prétoire, Me Slijepcevic et moi-même apprécie

10 l'occasion qui nous est donné de vous adresser -- de nous adresser à vous

11 au nom de notre client, Dragan Obrenovic. Nous avons eu le privilège de

12 représenter M. Obrenovic depuis deux ans et demi. Deux ans et demi pendant

13 lesquels il s'est battu afin de trouver une solution aux charges très

14 graves qui étaient retenues contre lui, de trouver une solution --

15 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous demande de ralentir votre débit--

16 M. WILSON : [interprétation] Bien.

17 M. LE JUGE LIU : [interprétation] -- car la sténotypiste n'a pas réussi à

18 prendre note de ce que vous avez dit.

19 M. WILSON : [interprétation] Très bien.

20 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Donc nous vous demandons de ménager des

21 pauses dans votre exposé.

22 M. WILSON : [interprétation] Je vous prie de m'excuser, Monsieur le

23 Président.

24 Je disais, Monsieur le Président, que nous avions eu le privilège de

25 représenter M. Obrenovic depuis deux ans et demi, et nous sommes honorés du

Page 1538

1 fait qu'il nous a choisis pour le défendre. Nous l'avons représenté, nous

2 l'avons donc observé pendant cette période, au cours de laquelle il s'est

3 battu pour trouver une solution aux charges extrêmement graves retenues

4 contre lui. Une

5 solution qui ne serait pas uniquement bonne pour lui, mais également

6 opportune pour le pays torturé pour lequel il s'est battu et a versé son

7 sang. Etant un professionnel compétent, nous l'avons donc observé en tant

8 que juriste, et nous avons appris à le connaître en tant qu'homme

9 manifestant un courage, une intelligence et un engagement hors du commun.

10 Nous avons maintenant l'intention de vous présenter certaines des qualités

11 qui ont d'ailleurs été démontrées dans ce prétoire. Nous n'allons pas

12 rentrer dans les détails. Nous vous avons soumis des écritures sur

13 lesquelles nous continuerons à nous appuyer pour ce qu'elles valent.

14 Mais ce que je voudrais faire ici, c'est poser deux questions qui, à mon

15 avis, doivent être également posées par les Juges au moment de décider

16 quelle est la sentence la plus opportune dans la présente affaire. La

17 première question qui se pose, est de savoir qui est Dragan Obrenovic. Et

18 la deuxième, que convient-il de faire avec Dragan Obrenovic ?

19 Lorsque M. Obrenovic a pris la décision de plaider coupable vous, Madame,

20 Messieurs les Juges, l'une des craintes les plus importantes que nous

21 ressentions, à ce stade tardif de la procédure, consistait à craindre que

22 vous n'ayez pas tous les éléments susceptibles de démontrer quel a été

23 exactement son rôle dans la situation terrible qui a été dépeinte.

24 Nous lui avons expliqué que la Chambre de première instance risquait

25 d'avoir à prononcer une sentence à son encontre sans être au courant, de

Page 1539

1 façon approfondie, des éléments suivants : D'abord que les crimes qui sont

2 évoqués ont eu lieu -- ont été commis alors que lui-même se trouvait sur le

3 front, au poste de commandement des unités militaires impliquées dans des

4 combats sans merci, face à des forces supérieures -- très supérieures en

5 nombre. Deuxièmement, que les crimes commis à l'époque ont eu lieu alors

6 qu'il était officiellement en convalescence en raison de blessures subies

7 précédemment au combat. Et troisièmement, qu'un grand nombre d'autres

8 faits, qui constituent les conditions dans lesquelles vivait Zvornik au

9 mois de juillet 1995 et dont nous estimons que les Juges doivent les

10 connaître afin de prendre une décision raisonnée par rapport à la sentence

11 à prononcer, ne serait pas connu des Juges.

12 Nous avons expliqué tout cela à notre client. Nous lui avons dit que même

13 s'il se sentait coupable, il avait absolument le droit d'exiger de

14 l'Accusation qu'elle prouve sa culpabilité au-delà de tout doute

15 raisonnable. Nous lui avons expliqué que nous pouvions organiser un système

16 de défense très actif et très substantiel par rapport aux charges qui

17 pesaient sur lui.

18 M. WILSON : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, mais il

19 m'est arrivé déjà qu'on me dise que je parlais trop lentement.

20 Nous lui avons donc dit que de nombreux témoins pourraient venir pour dire

21 ce qu'ils pensaient de lui, et dire que sa personnalité était très

22 positive. Nous lui avons dit que s'il était jugé coupable après un procès

23 de deux ans et demi, la Chambre de première instance comprendrait mieux en

24 tout cas quel était exactement le rôle qu'il avait joué dans les délits

25 pour lesquels il -- pour les délits en question pour lesquels il pouvait

Page 1540

1 également décider de plaider coupable avant le début du procès. Nous avons

2 souligné que nous étions persuadés qu'une meilleure compréhension des faits

3 par les Juges de la Chambre serait dans son intérêt plutôt que de se livrer

4 à une audience de prononcé de la peine.

5 Un moment est venu cependant où M. Obrenovic nous a remercié des conseils

6 juridiques, mais a souligné qu'il avait une décision morale à prendre et

7 que cette décision lui appartenait à lui et à lui seul, qu'il avait décidé

8 de ne pas contester les charges retenues contre lui. Nous avons donné notre

9 accord sur cette décision prise par lui puisque nous estimions qu'il était

10 le seul à même de la prendre. Il nous a demandé de prendre contact avec

11 l'Accusation et d'entreprendre des négociations dans le but que

12 l'Accusation accepte qu'il plaide coupable. C'est ce que nous avons fait et

13 le processus qui en a résulté est celui que vous connaissez, à savoir, que

14 nous sommes aujourd'hui devant vous.

15 Nous vous parlons en son nom, nous sommes soulagés que la date de cette

16 audience de prononcé de la peine se situe deux ans après le début des

17 auditions par les Juges, de la réalité des événements caractérisant la

18 situation de Srebrenica à l'époque. Nous sommes convaincus que les Juges

19 aujourd'hui ont une connaissance approfondie et équilibrée des faits

20 fondamentaux qui entourent les événements de Srebrenica ainsi que du rôle

21 joué par M. Obrenovic dans les délits en question. Vous savez ce qu'il a

22 fait, mais vous savez également ce qu'il n'a pas fait. Vous savez ce qu'il

23 a fait, vous savez également que de nombreux autres individus, qui sont

24 fugitifs aujourd'hui, ne se sont pas présentés pour répondre de leurs

25 actes. Ces individus -- parmi ces individus on trouve notamment tous les

Page 1541

1 éléments de la chaîne de commandement y compris le président civil. Tous

2 ces individus ont fui la justice, se cachent sur les collines, dans les

3 Balkans et laisse d'autres personnes faire face à l'ordre propre du monde

4 suite à l'énormité de leurs méfaits.

5 Vous avez également eu l'occasion au moins une fois, de mieux connaître

6 l'accusé Dragan Obrenovic, l'homme, la personnalité qui porte le nom de

7 Dragan Obrenovic. Il a comparu devant vous depuis -- pendant sept jours

8 entiers. Il a déposé et s'est soumis y compris aux rigueurs du contre-

9 interrogatoire par d'autres équipes de défenseurs, ainsi que par les Juges.

10 Nous croyons que l'Accusation est tout à fait en droit de dire ce qu'elle

11 dit dans son addendum, à savoir, qu'il est absolument clair, je cite que :

12 "Le témoignage de Dragan Obrenovic a été complet et véridique."

13 "Que son témoignage a été extraordinaire d'objectivité, de clarté et

14 d'intégrité."

15 Et je cite :

16 "Qu'il a témoigné sans hésitation ou sans se chercher d'excuses."

17 Je cite : "Qu'il s'était forcé de répondre à toutes les questions avec la

18 plus grande véracité qui soit, en étant le plus complet possible sans tenir

19 compte de l'identité de la personne qui l'interrogeait et sans tenir compte

20 du fait que la vérité, dite par lui, pourrait être positive ou négative

21 pour lui, pour l'une ou l'autre des parties de la présente affaire."

22 Pour résumer donc, je cite que :

23 "Le compte rendu parle pour lui-même et que nulle part dans ce compte

24 rendu, l'Accusation n'a trouvé la moindre raison de mettre en doute le

25 témoignage de Dragan Obrenovic."

Page 1542

1 Par ailleurs, comme l'Accusation l'a souligné à juste titre, l'accusé

2 Obrenovic a fourni à l'Accusation des éléments d'information

3 supplémentaires par rapport à ce qu'elle connaissait des faits aux sujets

4 desquels il a témoigné. Il a fourni à l'Accusation des éléments clés dont

5 celle-ci ne disposait pas au préalable dans -- en sa qualité d'expert

6 militaire; qu'il a pu expliquer avec beaucoup de crédibilité à la Chambre

7 de première instance le sens exact à donner aux transmission militaires,

8 aux structures militaires, à la politique en œuvre.

9 Ainsi, comme manœuvres qui ont été entreprises, comme le Wall Street

10 Journal l'a noté à juste titre dans un éditorial suite au témoignage de

11 Dragan Obrenovic et nous avons cité cet éditorial à la Chambre de première

12 instance :

13 "C'est avec un témoignage aussi crédible que celui-là que le Tribunal est

14 en mesure finalement d'avancer dans sa connaissance et dans ses

15 investigations au sujet de Srebrenica."

16 Nous disons aujourd'hui qu'il ne fait pas le moindre doute que l'accusé

17 Obrenovic a fourni une coopération substantielle à l'Accusation ainsi qu'au

18 Tribunal en accomplissant sa mission. Ce faisant, il a respecté les

19 critères qui sont ceux qui sont exigés pour une atténuation de la peine en

20 vertu du règlement.

21 Mais s'il y a atténuation de ces méfaits grâce à cette aide substantielle

22 apportée au Procureur de ce Tribunal, nous admettons toujours que vous,

23 Madame, Messieurs les Juges, devez répondre à ces deux questions qui ont

24 été citées par nous au début de notre plaidoirie, à savoir : Qui finalement

25 est Dragan Obrenovic et que convient-il de faire avec lui ? Nous aimerions

Page 1543

1 consacrer le reste de notre plaidoirie à tenter de répondre à cette

2 question.

3 Comme vous le savez, ayant entendu les témoins qui ont comparu de vive voix

4 ou en application de l'Article 92 bis, Dragan Obrenovic n'a jamais fait

5 preuve de -- n'a jamais été une personne vindicative, n'a jamais été connu

6 pour avoir malmené qui que ce soit, prisonnier ou autre. Vous avez entendu

7 et lu des déclarations faites par des personnes qui étaient membres de la

8 communauté serbe ou de la communauté musulmane. Vous avez entendu parler

9 ces personnes qui ont dit que Dragan Obrenovic était un homme de bonté, de

10 courage et de façon générale, qu'il était connu pour un comportement tout à

11 fait décent. D'autres auraient pu venir ici parler de même, mais n'ont pas

12 eu la liberté de le faire. Nous connaissons le sort qui est très dur que

13 ces personnes ont vécu.

14 Nous vous disons que la question de savoir qui est Dragan Obrenovic, et ce

15 qu'il convient de faire de lui, est une question qui se pose à ce Tribunal

16 et qu'il s'agit d'une question complexe. Elle est complexe parce que Dragan

17 Obrenovic, comme tout autre personne dans ce prétoire et dans le monde dans

18 lequel nous vivons, est un être complexe doté de force et de faiblesse, de

19 courage et de crainte instinctivement noble, mais humainement faillible,

20 d'une admirable humilité mais en même temps empreint d'un mélange d'orgueil

21 et d'ambition. Ce qui est le cas de toute personne qui réussit, homme ou

22 femme.

23 Et cela nous amène à parler de ce qui suit : Le Lauréat de prix Nobel

24 William Faulkner, qui est un auteur issu de l'endroit où je suis né, et qui

25 est bien connu lui-même pour ses combats dans le domaine des rapports

Page 1544

1 ethniques et des relations interraciales a dit un jour dans un roman, je

2 cite :

3 "Aucun homme vivant ou mort, n'est bien supérieur ou bien meilleur qu'un

4 autre homme vivant ou mort."

5 J'ai lu ce passage lorsque j'étais jeune et je ne l'ai jamais oublié.

6 D'ailleurs, au cours des 37 ans que j'ai passé à travailler dans des procès

7 au pénal, j'ai toujours gardé ce livre comme livre de chevet, et je l'ai

8 souvent relu pour y retrouver cette vérité simple, mais pourtant si

9 profonde qu'il exprime, à savoir que nous sommes tous des êtres imparfaits,

10 et que notre humanité réside en cela, entre autre.

11 Si vous deviez placer Dragan Obrenovic sous un microscope comme l'ensemble

12 d'entre nous, vous constateriez qu'il s'agit d'un être complexe, c'est-à-

13 dire d'un mélange de force contractée et conflictuelle comme c'est le cas

14 de l'ensemble d'entre nous.

15 Mais de tous les points de vue jusqu'au 13 juillet 1995, M. Obrenovic avait

16 vécu une existence longue de 32 années qui était une existence exemplaire.

17 Et il s'était acquis une réputation dont il ne pouvait qu'être fier. Sur le

18 plan professionnel il représentait l'élite de l'armée en tant que jeune

19 homme doué d'un intellect de grande qualité, ainsi que d'un grand courage,

20 de bonnes capacités naturelles. Il avait atteint les rangs les plus élevés

21 de l'armée. Dans la vie civile, c'était un homme qui avait toujours été

22 parmi les

23 premiers -- parmi ses pairs. Il avait suivi les cours de l'académie

24 militaire, il avait atteint des postes de responsabilités importantes, il

25 était admiré et respecté par ses supérieurs et ses subordonnées. Et dans la

Page 1545

1 vie civile, il se montrait un homme austère que n'éblouissait pas que pas

2 l'uniforme et les autres pièges liés à son rang et à sa position. C'était

3 donc avant tout un soldat exemplaire parmi les autres soldats et un

4 officier respecté dans les milieux militaires. Ces subordonnées, hommes et

5 femmes l'auraient suivi où qu'il aille à la pointe du canon. C'était un

6 officier qui menait une vie exemplaire mais qui n'était pas un commandant

7 de façade, c'était un homme qui se trouvait au cœur de la bataille et donc

8 ses subordonnées savaient qu'il leur aurait jamais demandé de faire ce

9 qu'il n'aurait pas pu faire lui-même. C'était un homme qui était doué pour

10 le commandement et sur le front, il a subi plusieurs blessures au cours des

11 mois qui ont précédé les événements de Srebrenica. Ceci, finalement a fait

12 en sorte que son nom se trouve sur la liste des handicapés lorsque la

13 campagne a commencé. Et ce statut, il ne l'a jamais perdu. Donc comme

14 l'ensemble d'entre nous, c'était un homme qui en juillet 1995 avait

15 démontré sa capacité à des accomplissements hors du commun et qui restait

16 néanmoins un simple être humain.

17 C'était un jeune officier de 32 ans qui avait finalement été relégué -- qui

18 avait finalement été promu par ses supérieurs au poste qu'il occupait,

19 poste important dans l'armée dont le Procureur a dit au début de l'audience

20 que c'était une position intenable, une position dans laquelle il était

21 incapable de l'emporter. Mais étant donné, qu'il s'agit de Dragan

22 Obrenovic, il n'a pas demandé de l'aide alors qu'il aurait pu le faire.

23 Lorsque ses supérieurs lui ont demandé de prendre un congé de maladie

24 pendant quelques temps et donc de quitter quelques temps le commandement de

25 sa brigade à plein combat. Il a manifesté un grand sens du devoir tout en

Page 1546

1 abandonnant pas ses ambitions ni sa fierté. Comme toujours il a répondu

2 présent au défit qu'il lui était proposé. Mais cette fois-ci, il n'a pas

3 réussi à déplacer des montagnes et il a échoué de façon très spectaculaire.

4 Compte tenu du fait qu'il n'avait pas la force de s'opposer à un ennemi qui

5 l'assaillait de deux directions différentes, il s'est jeté dans la bataille

6 en ne donnant aucune possibilité à ses supérieurs de faire -- de lui

7 envoyer un renfort de la 28e Division qui aurait pu soutenir son combat sur

8 le front. Comte tenu de l'impossibilité de détruire la colonne à laquelle

9 il se trouvait opposer, il a été ridiculisé malgré ses efforts et c'est

10 trouvé menacer d'anéantissement dans la ville de Zvornik. Il a regardé avec

11 impuissance ses soldats par dizaine, il a dû fuir son poste de commandement

12 sous l'assaut de l'ennemi en laissant derrière lui des blessés et des

13 morts.

14 Et c'est à ce moment-là, qu'intervient ce plan destiné à massacrer des

15 prisonniers, un plan qui a été concocté, organisé, exécuté par ceux qu'il

16 est convenu d'appeler des chefs de la sécurité au sein d'un quartier bien

17 gardé. Ceci résultait d'un ordre qui venait des niveaux les plus élevés du

18 gouvernement. Il est établi aujourd'hui sans l'ombre d'un doute, compte

19 tenu du nombre de mises en accusation par ce Tribunal il est établi que

20 c'est bien ainsi que les événements de Srebrenica se sont déroulés. Dragan

21 Obrenovic vous a dit qu'il n'avait pas les mains sales, mais qu'il a

22 continué à se battre dans les rangs de l'armée et que certains hommes ont

23 servi de gardes aux prisonniers, ont utilisé des bulldozers pour creuser

24 des tombes et ont participé à toute la logistique de cette opération. Mais

25 qu'a fait Dragan Obrenovic lorsque ces éléments ont été portés à sa

Page 1547

1 connaissance. Ces éléments qui menaçaient sa vie. Le jeune dont je vous

2 parle ne voulait pas échouer. Or, il venait d'échouer de façon très

3 spectaculaire donc il a donné à ses hommes ce qu'ils demandaient. Il a

4 consacré son intention à la tâche beaucoup plus acceptable de se battre

5 dans une bataille impossible à gagner. Lorsqu'à la -- sur la chaise des

6 témoins on lui a demandé, "Pourquoi est-ce que vous n'avez pas protesté ?"

7 "Pourquoi ne vous êtes-vous pas rebellé ?" Dragan Obrenovic a admis et

8 c'est un aveu qu'il a eu sans doute beaucoup à faire. J'ai eu peur.Compte

9 tenu de la situation des hommes qui donnaient les ordres et qui étaient les

10 auteurs des massacres de Srebrenica. Cette question, il est logique que

11 nous l'étudiions tous de très près. Cette question qui consiste à se

12 demander ce que l'on aurait fait si l'on avait reçu l'ordre d'accomplir un

13 travail aussi abominable. Le président Karadzic, le général Mladic et tous

14 ceux qui constituaient la chaîne de commandements étaient à leurs postes.

15 Est-ce qu'ils auraient pardonné à leurs subordonnées de refuser de se salir

16 les mains en accomplissant la tâche qui était exigée d'eux. Que serait-il

17 advenu de sa brigade ? Que serait-il advenu de son commandement au sein de

18 son corps d'armée ? Que serait-il advenu des généraux qui étaient aux

19 commandements dans cette armée ? Que serait-il advenu de Dragan Obrenovic

20 s'il avait refusé ?

21 Finalement, toutes ces questions ne sont que des questions théoriques parce

22 que les choses ne sont pas passées ainsi et dans le cadre de sa défense M.

23 Obrenovic n'a jamais demandé à qui que ce soit de spéculer pour apporter

24 une réponse à ces questions. Au contraire, il a toujours c'est l'Accusation

25 qui le dit, assumer la responsabilité de ses actes, il n'a jamais cherché

Page 1548

1 d'excuses pour son comportement. Il n'a jamais dit :

2 "Je n'aurais rien pu faire d'autres." "Ou bien, je n'avais pas la maîtrise

3 des événements." Au contraire face à cette crainte, à cette peur bien

4 compréhensible sur le plan humain, il a assumé la responsabilité de son

5 échec. Il n'a jamais tenté de rejeté la responsabilité sur qui que ce soit

6 pour les défauts ou les défaillances qui étaient les siens.

7 Nous disons avec le respect que nous devons au Tribunal que pendant toutes

8 ces journées Dragan Obrenovic a été -- a assumé ses insuffisances, il a été

9 pour lui le juge le plus dur qui soit. Il savait bien, il savait mieux que

10 qui compte quel pouvait être le résultat de ses fautes et il s'est déjà

11 condamné lui-même. Il ressemble un peu à Lady McBeth qui s'est condamné à

12 se laver les mains sans cesse dans une tentative bien -- peu susceptible de

13 réussir de ce laver d'une tâche indélébile.

14 Et lorsque vous demandez à -- et lorsque vous vous demandez qui est Dragan

15 Obrenovic, il faut également tenir compte de ses origines et de la société

16 d'où il est issu ainsi que des problèmes qu'a vécu cette société. Parce que

17 là encore, il faut souligner que nous sommes tous le fruit de nos environs

18 et de la société dans laquelle nous avons grandi.

19 Et bien. Cet homme a grandi en Bosnie. Suite à la guerre qui a fait rage de

20 1992 à 1995, la Bosnie est bien connue sur la carte du monde et en tout cas

21 chacun pense à la Bosnie comme un pays torturé qui se trouve à un carrefour

22 de civilisation sur la planète. D'autres connaissent la Bosnie pour avoir

23 lu le grand prix Nobel de littérature Ivo Andric. Ce roman si important

24 dépeint quatre siècles d'histoires qu'il est impossible à oublier et dresse

25 le contexte de cette histoire à des moments très sombres qui permettent de

Page 1549

1 regarder un peu plus profondément que sous la surface des choses.

2 Dans une lettre écrite à un ami en 1920 Andric écrit les mots qui suivent :

3 "Peut-être en Bosnie-Herzégovine serait-il bon de prévenir chacun contre

4 la haine innée et endémique, inconsciente. Parce que dans ce pays qui se

5 partage quatre nations et quatre religions il y a également quatre fois

6 plus d'amour et d'empathie que cela n'est nécessaire dans d'autres pays."

7 Est-ce que Ivo Andric serait venu murmurer à l'oreille de Dragan Obrenovic

8 pour le soutenir :

9 "Fais attention, fais attention". Il est possible de se le demander.

10 Nous en venons donc maintenant à la deuxième question que j'ai citée tout à

11 l'heure. Que convient-il de faire avec Dragan Obrenovic ? Sachant, comme il

12 le savait, qu'il serait mis en accusation pour son rôle dans les crimes de

13 Srebrenica, Dragan Obrenovic avait trois possibilités :

14 Il pouvait rejoindre les autres accusés individuels qui étaient toujours en

15 liberté, et donc fuir les foudres de ce Tribunal. Il aurait pu décider de

16 mener une existence précaire, mais ne jamais voir les rivages de La Haye.

17 Beaucoup de ces personnes sont d'ailleurs des auteurs de la planification

18 des exécutions. Ils peuvent, pour certains, ils sont -- ils comptent, pour

19 certains, parmi ceux qui ont donné les ordres et tiré la gâchette du fusil

20 qui a été entendu dans les balcons. Aux yeux de nombreux de ses

21 concitoyens, ces hommes sont des héros. Ils bénéficient du soutien massif

22 de nombreux habitants. Dragan Obrenovic avait donc le choix lorsqu'il s'est

23 rendu compte que M. McCloskey et les forces qui sont en action derrière lui

24 s'étaient mises en œuvre. Mais il a décidé de ne pas fuir.

25 Il aurait pu contester les charges retenues contre lui. Il aurait pu

Page 1550

1 remettre en cause sa culpabilité pendant plusieurs années, et là encore, il

2 aurait continué à être considéré comme un héro parmi ses concitoyens. Il

3 aurait pu, d'ailleurs, ne pas simplement être considéré comme un héro, mais

4 également comme une victime du Tribunal de La Haye. Et beaucoup plus tard,

5 après avoir servi la peine prononcée contre lui, il aurait pu retourner

6 dans sa patrie en étant toujours accueilli comme un héros et une victime

7 par ces mêmes concitoyens. Mais il a refusé cette option, consistant à nier

8 sa culpabilité.

9 Au lieu de cela, il a plaidé coupable et a décrit sa participation aux

10 événements de Srebrenica. Il a décidé de coopérer avec le Tribunal dans les

11 efforts déployés par celui-ci pour déterminer sa responsabilité exacte dans

12 les événements de juillet 1995. Ayant donc renoncé aux deux autres

13 possibilités qui s'offraient à lui, dans lesquelles il aurait été considéré

14 comme un héro dans son propre pays, il a choisi d'agir d'une façon beaucoup

15 plus difficile par rapport à ses concitoyens. Donc il a choisi la voie la

16 plus dure.

17 En acceptant la responsabilité qui était la sienne, en acceptant de

18 coopérer avec le Tribunal, M. Obrenovic a fait ce qui constituera -- ce qui

19 lui -- ce qu'il continuera à faire pendant le reste de sa vie. Il a accepté

20 de vivre un remords sincère. Il a accepté de faire face aux obligations qui

21 étaient les siennes en plaidant, sans réserve, la culpabilité, comme le

22 Procureur l'a fait savoir dans ses écritures et dans ses propos

23 préliminaires d'aujourd'hui.

24 Nous affirmons, devant cette Chambre de première instance, que tout être

25 humain peut être pardonné lorsqu'il manifeste du repenti, lorsqu'il atteint

Page 1551

1 donc les sommets de la spiritualité humaine.

2 Aucun d'entre nous ne peut se distinguer complètement de l'environnement

3 dans lequel il vit. Aucun d'entre nous ne peut être considéré comme seul

4 dans les circonstances de l'histoire qui est la sienne. Il m'est facile

5 aujourd'hui, venant de Seattle, de vous dire que ces erreurs commises par

6 lui, je ne me les serais pas permises. Mais lorsque je me retire en moi-

7 même, je me souviens d'un jeune homme, qui était également officier, qui

8 avait 32 ans, mais qui appartenait à une autre armée, au cours d'une autre

9 guerre, dans une autre région du monde. Et je me suis interrogé sur les

10 circonstances imaginables dans lesquelles ce jeune homme aurait pu se

11 trouver, comme Dragan Obrenovic s'est trouvé lui-même. Ayant -- connaissant

12 M. Obrenovic depuis deux ans, je ne suis plus du tout sûr de pouvoir

13 répondre à la question que je me pose. J'ai grand plaisir à n'avoir jamais

14 été le jeune homme qu'a été Dragan Obrenovic et à ne jamais avoir subi les

15 pressions qu'il a subies lui-même. Et j'ai grand plaisir à essayer de

16 répondre à cette question très théorique de qu'aurais-je fait, qu'aurais-je

17 pu être poussé à faire si les circonstances dans lesquelles je m'étais

18 trouvé avaient été celles dans lesquelles il s'est trouvé.

19 Il existe un proverbe américain, très ancien, qui dit qu'il faut de

20 nombreuses journées avant de comprendre totalement la nature des actes et

21 des pensées qui sont les siens. Lorsque ce proverbe intervient, il peut, je

22 crois, être appliqué universellement. En tout cas, c'est ce que nous

23 pensons.

24 Personne ne peut sortir complètement de sa propre nature. Nous sommes

25 également très souvent le jouet des circonstances dans lesquelles nous nous

Page 1552

1 trouvons.

2 Mais nous pouvons tout de même aller transcender un peu ces circonstances

3 et là la décision nous appartient. La société civilisée exige que chaque

4 individu fasse preuve d'esprit de responsabilité. Si l'on est capable de

5 faire le bon choix lorsqu'on peut devenir héro et être connu dans la

6 postérité.

7 Mais si l'on fait le mauvais choix, seule la fin et seul l'objectif est

8 important. Les responsabilités ne s'arrêtent pas là où commence la vie.

9 Chacun peut décider de commettre une erreur ou de ne pas la commettre. Et

10 si l'on refuse de reconnaître une erreur commise, on peut faire appel à

11 autrui, on peut refuser les aveux, on peut refuser de faire face à

12 l'étendue de sa faute, on peut refuser le repenti, on peut se battre pour

13 obtenir le pardon.

14 Nous disons que le choix de reconnaître sa faute est celui qui a été fait

15 par Dragan Obrenovic, qui mérite donc le pardon pour ses fautes et qui

16 mérite la possibilité d'une rédemption de ses fautes. En effet, des modèles

17 nombreux s'offrent à nous, et nous vivons tous des crises plus ou moins

18 importantes que nous avons le choix de surmonter d'une façon ou d'une

19 autre. Le Tribunal a vu, enfin, un certain nombre d'accusés qui ont plaidé

20 coupable y compris Erdemovic, et notamment de nombreux accusés venus de

21 Srebrenica.

22 Je suis ici aujourd'hui devant vous et j'ai un rôle actif, comme mon ami,

23 Me Slijepcevic, avant d'en terminer. Nous avons essayé de représenter M.

24 Obrenovic en allant dans le sens qu'il nous avait indiqué de poursuivre.

25 Nous avons fait de notre mieux. Nous allons maintenant le laisser entre vos

Page 1553

1 mains pour un jugement sage de votre part. Nous disons que ce n'est pas un

2 homme parfait, car personne n'est parfait. Mais que c'est un homme. Et nous

3 disons que Dragan Obrenovic est un homme qui a de nombreuses qualités et

4 qui a subi des pressions à un moment très critique de sa vie, au cours

5 desquelles une crise internationale a eu lieu, le droit international

6 devant intervenir pour en juger.

7 Dragan Obrenovic est un homme qui a des qualités importantes. Il les a

8 montrées devant vous et mérite le pardon et la possibilité d'un salut dans

9 une vie qui est encore prometteuse devant lui. Quel que soit la sentence

10 que vous prononcerez, il en tirera le plus grand profit.

11 Sur la base donc des faits et des conditions dans lesquelles ces faits se

12 sont déroulés, il a joué un rôle important, il a manifesté son remords, il

13 a fait preuve de coopération. Ce sont des circonstances atténuantes que

14 nous mettons en exergue dans nos écritures. Nous vous demandons donc une

15 peine -- de prononcer d'une peine d'emprisonnement allant de 8 à 12 ans.

16 Nous estimons cette sentence la plus opportune compte tenu des faits que

17 vous avez à juger. Nous pensons que ce serait également un message à

18 adresser à ceux qui n'ont pas encore comparu ou à ceux qui comparaissent

19 dans d'autres affaires, comme cela a été le cas pour Erdemovic et Plavsic.

20 En clôture, Me Slijepcevic va, si vous lui autorisez, appeler votre

21 attention sur un certain nombre d'aspects juridiques de cette affaire. Je

22 vous remercie.

23 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci, Maître Wilson.

24 [La Chambre de première instance se concerte]

25 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Nous vous entendrons maintenant, Monsieur

Page 1554

1 Obrenovic, pour une déclaration de votre part. Vous pouvez parler en

2 position assise.

3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

4 Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, je vous remercie de

5 m'avoir accordé la possibilité de m'adresser à vous aujourd'hui.

6 Sur le territoire du pays d'où je viens et où je suis né, il était

7 coutumier de prendre les armes pour célébrer la naissance d'un enfant mâle.

8 Les coups de feu tirés dans ces conditions, indiquaient qu'un nouveau

9 garçon entrait dans la famille. Il indiquait qu'on attendait de lui de

10 faire preuve de force, de protéger les siens, d'être donc un combattant, un

11 soldat, un chef de famille. Et malheureusement, lorsqu'il était -- lorsque

12 d'autres coups de feu ont commencé à être tirés dans l'ex-Yougoslavie,

13 coups de feu destinés à faire la guerre, il était normal pour tous les

14 jeunes gens, pour tous les jeunes garçons, de revêtir l'uniforme, de

15 prendre les armes.

16 Ils allaient défendre leur patrie, leur nation et finalement leur famille.

17 C'est ce qu'on attendait de ces jeunes gens. C'était leur rôle. Et ce rôle

18 était considéré comma sacré. Ces jeunes gens n'avaient pas le choix. Il

19 n'était possible pour eux que d'être un soldat ou un traite. Au début de la

20 guerre, on pouvait penser que cette guerre allait se régler au bout de

21 quelques jours à peine de combats et que notre génération avait encore une

22 chance. Nous n'avons pas compris assez vite que nous venions d'être plongés

23 dans le tourbillon de la haine ethnique, et que nos voisins ne pourraient

24 jamais vivre à nos côtés et que donc la mort était la seule possibilité qui

25 se présentait à nous. La mort est devenue notre réalité. Malheureusement,

Page 1555

1 elle est devenu notre réalité quotidienne. Qui aurait pu croire avant les

2 horreurs de cette guerre, que la mort serait notre réalité quotidienne. Qui

3 aurait pu penser qu'elle ferait parti intégrant de notre vie, que nous

4 allions être plongés dans l'horreur et que nous n'y survirions pas.

5 Parmi cette horreur, il y a un certain nombre de choses qui ont été

6 commises par des gens contre d'autres gens, et jusqu'à hier, ces personnes

7 pourtant vivaient dans une seule et même famille. En tant que voisins, en

8 Bosnie, le mot voisin signifie beaucoup plus que même le fait d'appartenir

9 à une même famille. En Bosnie, vous offririez le café à votre voisin,

10 c'était un rituel, et bien ce rituel a été foulé au pied et totalement

11 oublié. Nous avons -- nous nous sommes perdus dans la haine et la violence.

12 Et dans ce tourbillon de malheur et d'horreurs est survenu l'horreur

13 particulière de Srebrenica.

14 Je suis ici devant vous Monsieur, Madame les Juges parce que je souhaite

15 vous dire tout mon remords. J'y ai réfléchi pendant longtemps. Je suis

16 pourchassé par ce même sentiment de culpabilité. Je trouve très pénible de

17 m'exprimer ici aujourd'hui. Mais j'ai décidé de le faire il y a quelques

18 temps et je vais m'efforcer de faire ce qu'il faut pour pouvoir me laver de

19 cette tâche pour pourvoir effacer la culpabilité. Culpabilité due au fait

20 que je n'ai rien fait pour essayer de défendre ces prisonniers. Même si à

21 l'époque j'occupais mon poste de façon uniquement temporaire. Je me demande

22 aujourd'hui sans cesse qu'aurais-je pu faire que je n'ai pas fait ? Des

23 milliers de victimes innocentes ont péri, Leurs tombes restent derrière

24 elles pour parler de cette mort. Des milliers de personnes ont été réduites

25 à l'état de réfugiés. Les destructions ont été massives. Le malheur, la

Page 1556

1 souffrance c'est abattu sur cette partie du pays et je fais partie des gens

2 qui sont responsables de cela.

3 Le malheur de quelques côtés qu'ils viennent peut parfois servir à ce que

4 l'horreur ne se reproduise pas. Mon témoignage, mon aveu de culpabilité

5 vont je l'espère pouvoir laver ma nation de cette faute, parce que la faute

6 est individuelle, et la faute est celle d'un homme qui porte le nom de

7 Dragan Obrenovic. J'assume cette responsabilité.

8 La culpabilité de l'acte qui provoque mon remords est une culpabilité liée

9 à un acte pour lequel je présente toutes mes excuses aux victimes et aux

10 ombres des victimes.

11 Et mon seul bonheur sera de contribuer à la réconciliation en Bosnie, si la

12 chose est possible. Mon seul bonheur viendra de la possibilité éventuelle

13 pour des voisins de se retendre la main à l'avenir, mon seul bonheur

14 viendra de la possibilité éventuelle de voir des enfants joués encore les

15 uns avec les autres, si une chance leur est donnée à l'avenir de le faire.

16 Mon bonheur viendra du fait éventuellement que mon témoignage ait pu

17 apporter une aide aux familles des victimes pour leur permettre de ne pas

18 avoir à venir ici témoigner et endurer une nouvelle fois les mêmes

19 souffrances au moment de leur déposition. Je souhaite que mon témoignage

20 puisse empêcher que ces souffrances soient vécues une nouvelle fois, non

21 seulement par les habitants de Bosnie, mais par d'autres un peu partout

22 dans le monde. Il est trop tard pour moi, aujourd'hui d'agir autrement que

23 je ne les fais, mais pour les enfants qui vivent aujourd'hui en Bosnie, il

24 n'est pas encore trop tard et j'espère que tout ce qui c'est passé, leur

25 servira d'avertissements à l'avenir.

Page 1557

1 Au cours des souffrances que nous avons vécues pendant cette guerre, nous

2 n'avons pas été des victimes aujourd'hui. Tout le monde souffre. De quels

3 côtés, qu'ils se trouvent on trouve de la souffrance parmi ceux qui ont --

4 il n'y a ni vainqueur, ni vaincu, c'est le malheur et la souffrance qui

5 résulte de cette guerre dû à une haine aveugle. Ce sentiment de malheur va

6 continuer à planer sur les collines de Bosnie, qui ont déjà souffert

7 tellement pendant les années de la guerre mais les traces de cette horrible

8 guerre ne sont pas effaçables et les volutes de fumée qui s'échappent des

9 cheminées, des maisons, vont encore marquer pendant des décennies, les

10 souffrances vécues et c'est seulement après des décennies que les blessures

11 vont pouvoir se fermer et les hommes se cicatrisés. Mon témoignage, mon

12 aveu, l'expression de mon remords sont des tentatives de ma part pour

13 contribuer à ce que les plaies se referment plus vite. Si j'y parviens,

14 j'aurais fait mon devoir de soldat, de combattant, d'être humain et de père

15 de famille.

16 En conclusion, je souhaite remercier l'Accusation pour les efforts qu'elle

17 déploie en faveur de la vérité et de la justice. J'aimerais vous remercier

18 vous-mêmes, Monsieur le Président, Madame, Monsieur les Juges, de m'avoir

19 écouté avec attention pendant toute la durée de ma déposition. Je me suis

20 efforcé de réponde à toutes les questions qui m'étaient posées le plus

21 précisément et le plus -- avec la plus grande véracité possible.

22 Je vous remercie.

23 [La Chambre de première instance se concerte]

24 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Fort bien. Il me semble que les juges

25 n'ont pas de questions à poser à M. Obrenovic à la suite de sa déclaration.

Page 1558

1 Y a-t-il d'autres sujets que les parties voudraient soumettre à l'attention

2 de la Chambre ?

3 Monsieur McCloskey.

4 M. McCLOSKEY : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

5 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

6 Maître Wilson.

7 M. WILSON : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

8 M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

9 Cette Chambre de première instance va maintenant se retirer pour délibérer

10 sur les éléments de preuve qui lui ont été soumis au cours de l'audience.

11 Ainsi que sur la base des dépositions des témoins entendus de vive voix, la

12 Chambre va rendre une ordonnance demandant au Greffe de fixer une date pour

13 le prononcé de la peine avant les vacances judiciaires de décembre. Donc

14 cette audience se tiendra sans doute en décembre.

15 Et maintenant, je déclare la présente audience close.

16 --- L'audience est levée à 18 heures 17.

17

18

19

20

21

22

23

24

25