Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
8 juillet 2005
LE PROCUREUR c/ NEBOJSA PAVKOVIC, VLADIMIR
LAZAREVIC, VLASTIMIR DJORDJEVIC & SRETEN
LUKIC
(IT-03-70-PT)
______________________________________________
DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE JONCTION D’INSTANCES
______________________________________________
Le Bureau du Procureur :
M. Thomas Hannis
Mme Christina Moeller
Mme Carolyn Edgerton
Les Conseils des Accusés :
MM. Eugine O’Sullivan et Slobodan Zecevic, pour
Milan Milutinovic
MM. Tomislav Visnjic et Peter Robinson, pour
Dragoljub Ojdanic
MM. Toma Fila et Vladimir
Petrovic, pour Nikola Sainovic
MM. John Ackerman et Aleksander Aleksic, pour Nebojsa
Pavkovic
M. Mihaljo Bakrac pour Vladimir Lazarevic
M. Theodore
Scudder pour Sreten Lukic
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),
VU la requête de l’Accusation aux fins de jonction d’instances (Prosecution Motion for Joinder, la « Requête »), datée du 1er avril 2005, par laquelle l’Accusation a demandé que l’instance introduite contre les trois accusés dans l’affaire n° IT -99-37-PT, Le Procureur c/ Milan Milutinovic, Dragoljub Ojdanic et Nikola Šainovic (l’affaire « Milutinovic et consorts ») soit jointe à celle introduite contre les quatre accusés dans l’affaire n° IT-03-70-PT, Le Procureur c/ Nebojsa Pavkovic, Vladimir Lazarevic, Vlastimir Djordevic et Sreten Lukic (l’affaire « Pavkovic et consorts »), et que les sept personnes concernées soient mises en accusation et jugées ensemble sur la base d’un acte d’accusation unique,
ATTENDU que l’acte d’accusation modifié établi dans l’affaire Milutinovic et consorts a été confirmé par le Juge David Hunt le 29 juin 2001, que la Chambre de première instance a autorisé sa modification les 20 octobre 2001 et 5 septembre 2002, et que l’acte d’accusation dressé dans l’affaire Pavkovic et consorts a été confirmé par le Juge O-Gon Kwon le 2 octobre 2003,
ATTENDU que, dans les deux affaires, les accusés se voient reprocher des crimes contre l’humanité (expulsion, autres actes inhumains, assassinat, et persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses), sanctionnés par l’article 5 du Statut, et des violations des lois ou coutumes de la guerre (meurtre), sanctionnées par l’article 3 du Statut, et ATTENDU que les accusés sont tenus responsables tant individuellement, sur la base de l’article 7 1), qu’en tant que supérieurs hiérarchiques, sur la base de l’article 7 3) du Statut,
ATTENDU que les deux affaires ont été attribuées à la Chambre de première instance, en application d’une ordonnance rendue le 29 juin 2001 dans l’affaire Milutinovic et consorts1 et d’une ordonnance rendue le 24 février 2005 dans l’affaire Pavkovic et consorts2,
ATTENDU que dans sa Requête, l’Accusation soutient i) que les conditions juridiques posées à l’article 48 du Règlement sont remplies3 ; ii) qu’une jonction d’instances serait dans l’intérêt de la justice ; et iii) qu’une jonction d’instances ne porterait pas atteinte aux droits des accusés à un procès équitable et rapide4,
ATTENDU que, s’agissant des réponses à la Requête déposées par la Défense dans les deux affaires :
i) Le conseil de Milutinovic a déposé sa réponse le 8 avril 2005, dans laquelle il a indiqué qu’il ne s’opposait pas à la Requête5 ;
ii) Le conseil d’Ojdanic a déposé sa réponse le 11 avril 2005, dans laquelle il a approuvé la Requête6 ;
iii) Le conseil de Šainovic a indiqué, lors de la conférence tenue le 11 mai 2005 en application de l’article 65 ter, qu’il ne déposerait pas de réponse7 ;
iv) Le conseil de Lukic a déposé sa réponse le 6 juin 2005, après que le juge de la mise en état lui a accordé un délai supplémentaire pour ce faire8, réponse par laquelle il s’est opposé à la jonction aux motifs que i) elle serait inacceptable car elle porterait atteinte aux droits des accusés, l’état de préparation des deux affaires étant loin d’être le même, et que ii) elle déboucherait sur un procès long et difficile à gérer dans lequel 7 individus se retrouveraient ensemble sur le banc des accusés, ce qui porterait atteinte au droit des accusés à un procès équitable et rapide9 ;
v) Aucune autre réponse n’a été reçue des conseils dans l’affaire Pavkovic et consorts , le délai prévu pour le dépôt de ces réponses étant expiré ;
ATTENDU que l’Accusation avait déjà déposé, le 5 novembre 2003, une demande de jonction d’instances concernant les affaires Milutinovic et consorts et Pavkovic et consorts, que la Chambre de première instance avait rejetée le 4 décembre 2003 au motif qu’elle était prématurée, la Chambre de première instance n’étant pas encore saisie de l’affaire Pavkovic et consorts et aucun des accusés dans cette affaire ne s’étant jusque là livré au Tribunal international10,
ATTENDU que Lazarevic, Lukic et Pavkovic se sont livrés au Tribunal international respectivement les 3 février 2005, 4 avril 2005 et 25 avril 2005,
ATTENDU que l’article 48 du Règlement confère à la Chambre de première instance la faculté d’autoriser la jonction des instances introduites contre « SdCes personnes accusées d’une même infraction ou d’infractions différentes commises à l’occasion de la même opération »11,
ATTENDU, s’agissant de l’article 48, que :
i) les accusés sont mis en cause pour les mêmes crimes, qui auraient été commis durant la même période et dans la même zone géographique12 ;
ii) il ressort à première vue des actes d’accusation que les crimes reprochés aux accusés ont été commis à l’occasion de la même opération13, les accusés étant tous présumés avoir participé à une entreprise criminelle commune qui visait, « entre autres objectifs, à expulser une partie importante de la population albanaise du Kosovo hors du territoire de cette province, afin de maintenir celle -ci sous contrôle serbe14 » ;
iii) la jonction des instances permettrait d’éviter de rapporter deux fois la preuve des crimes sous-jacents et, dans une certaine mesure, de la responsabilité pénale de plusieurs des accusés, de ménager les témoins et d’économiser les ressources du Tribunal15 puisque, comme l’affirme l’Accusation, il est fort probable que la durée d’un procès unique soit bien inférieure à la durée totale de deux procès distincts16 ;
iv) rien ne permet de conclure qu’une jonction d’instances ferait naître un conflit d’intérêts ou porterait autrement atteinte au droit de l’un des accusés à un procès équitable et rapide, et aucun des arguments avancés ne convainc la Chambre de première instance qu’elle n’est pas à même de conduire un procès unique comme il convient ; en outre, la Chambre de première instance est persuadée que l’application du Règlement de procédure et de preuve lui permettra de garantir aux accusés un procès équitable et rapide ;
v) rien n’indique qu’un procès commun ne pourrait s’ouvrir en décembre 2005 ou en janvier 2006, date de l’ouverture prévue du procès Milutinovic et consorts, et
ATTENDU que, sur la base de l’ensemble des considérations ci-dessus, l’intérêt de la justice commande que les accusés soient jugés ensemble dans le cadre d’un seul procès,
EN APPLICATION de l’article 48 du Règlement de procédure et de preuve,
AUTORISE l’Accusation à déposer une requête dépassant le nombre limite de pages normalement autorisé, et ACCEPTE le nombre de pages de la Requête ainsi déposée,
FAIT DROIT à la Requête tendant à ce que Milutinovic, Ojdanic, Šainovic, Pavkovic, Lazarevic, Djordevic et Lukic soient mis en accusation et jugés ensemble sur la base d’un acte d’accusation unique,
ORDONNE à l’Accusation de déposer un acte d’accusation unique devant la Chambre de première instance le lundi 15 août 2005 au plus tard, en tenant compte de toute décision ou ordonnance qui pourra être rendue par la Chambre de première instance concernant les trois exceptions préjudicielles soulevées respectivement par les accusés Lazarevic, Lukic et Pavkovic ;
ET DEMANDE au Greffe d’attribuer à l’affaire un numéro unique.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de première instance
______________
Patrick
Robinson
Le 8 juillet 2005
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]