Affaire n° : IT-03-70-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
8 juillet 2005

LE PROCUREUR

c/

NEBOJSA PAVKOVIC
VLADIMIR LAZAREVIC
VLASTIMIR DJORDJEVIC
SRETEN LUKIC

________________________________________________

DECISION RELATIVE A L’EXCEPTION PREJUDICIELLE SOULEVEE PAR VLADIMIR LAZAREVIC POUR VICES DE FORME DE L’ACTE D’ACCUSATION

________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Thomas Hannis
Mme Christina Moeller
Mme Carolyn Edgerton

Le Conseil des Accusés :

MM. John Ackerman et Aleksander Aleksic pour Nebojsa Pavkovic
M. Mihaljo Bakrac pour Vladimir Lazarevic
M. Theodore Scudder pour Sreten Lukic

TABLE DES MATIÈRES

I. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
II. PRINCIPES GÉNÉRAUX DE PRÉSENTATION DE L’ACTE D’ACCUSATION
III. EXAMEN

Grief général tiré de la forme de l’acte d’accusation

1. Griefs relatifs à la mise en cause de la responsabilité individuelle de l’Accusé sur la base de l’article 7 1) du Statut

i) Actes par lesquels l’Accusé aurait concrètement agi de l’une ou l’autre des façons envisagées à l’article 7 1) du Statut
ii) « Autres personnes connues ou inconnues » avec lesquelles l’Accusé aurait participé à l’entreprise criminelle commune
iii) Objectif de l’entreprise criminelle commune

2. Griefs relatifs à la mise en cause de la responsabilité de l’Accusé en tant que supérieur hiérarchique
3. Expulsion et transfert forcé (chefs 1 et 2)
4. Assassinat/meurtre (chefs 3 et 4)
5. Persécutions (chef 5)
6. Révision complète de l’Acte d’accusation

Dispositif

I. RAPPEL DE LA PROCÉDURE

1. La présente Chambre de première instance est saisie d’une exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation soulevée par Vladimir Lazarevic (l’«  Accusé ») le 11 avril 2005 (Defence Preliminary Motion) (l’« Exception préjudicielle  »). Avant de répondre à l’Accusé, l’Accusation a déposé une requête le 25 avril  2005 (Prosecution’s Request to Hold Decision on Preliminary Motion in Abeyance ), par laquelle elle a demandé à la Chambre de surseoir à l’examen de l’Exception préjudicielle et de suspendre le délai fixé pour le dépôt de sa réponse jusqu’à ce que la Chambre se prononce sur sa demande de jonction d’instances déposée le 1er avril 2005. L’Accusation demande en effet que les accusés dans la présente espèce et les accusés dans l’affaire n° IT-99-37-PT soient mis en accusation et jugés ensemble sur la base d’un acte d’accusation unique. Le 25 avril 2005, la présente Chambre a rejeté la demande de sursis de l’Accusation dans sa Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de surseoir à l’examen d’une exception préjudicielle. En conséquence, l’Accusation a répondu à l’Exception préjudicielle le 28 avril 2005 (Prosecution Response to Lazarevic Preliminary Motion) (la « Réponse »).

2. Le 2 octobre 2003, le Juge O-Gon Kwon a confirmé l’Acte d’accusation établi contre Vladimir Lazarevic et ses trois coaccusés, Nebojsa Pavkovic, Vlastimir Ðordevic et Sreten Lukic. L’Accusé a été transféré au Tribunal le 3 février 2005. Lors de sa comparution initiale qui a eu lieu le 7 février 2005 devant le Juge Carmel Agius, l’Accusé a plaidé « non coupable » de tous les chefs retenus à son encontre dans l’Acte d’accusation. Le 9 mars 2005, l’Accusation a communiqué à l’Accusé, en application de l’article 66 A) i) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement  »), des versions en anglais et en B/C/S des pièces jointes à l’Acte d’accusation lors de la confirmation de ce dernier.

3. L’Accusé doit répondre de divers crimes commis au Kosovo entre le 1er janvier et le 20 juin 1999 par des forces de la RFY et de la Serbie contre des Albanais du Kosovo, et il lui est en particulier reproché, sur la base des articles 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal (le « Statut »), de s’être rendu coupable de :

a) chef 1 : expulsion constitutive d’un crime contre l’humanité (article 5 d) du Statut),

b) chef 2 : autres actes inhumains qualifiés de crime contre l’humanité (transfert forcé) (article 5 i) du Statut),

c) chefs 3 et 4 : respectivement, assassinat assimilable à un crime contre l’humanité (article 5 a) du Statut) et meurtre constitutif d’une violation des lois ou coutumes de la guerre (article 3 du Statut) reconnue par l’article 3 1) a) des Conventions de Genève,

d) chef 5 : persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses assimilables à un crime contre l’humanité (article 5 h) du Statut).

II. PRINCIPES GENERAUX DE PRESENTATION DE L’ACTE D’ACCUSATION

4. La présentation d’un acte d’accusation est régie par les articles 18 4), 21 2 ) et 21 4) a) et b) du Statut et par l’article 47 C) du Règlement1. Aux termes de l’article 18 4) du Statut, l’acte d’accusation doit exposer « succinctement les faits et le crime ou les crimes qui sont reprochés à l’accusé », une obligation qui doit être interprétée à la lumière des dispositions de l’article 21 du Statut, lesquelles précisent que toute personne contre laquelle des accusations sont portées a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, et, plus particulièrement, à être informée de la nature et des motifs des accusations portées à son endroit et à disposer du temps et des moyens nécessaires à la préparation de sa défense. De même, aux termes de l’article 47 C) du Règlement, l’acte d’accusation doit non seulement préciser le nom du suspect et les renseignements personnels le concernant mais aussi présenter « une relation concise des faits de l’affaire ».

5. Ce droit accordé à l’accusé a pour contrepartie l’obligation faite à l’Accusation d’exposer les faits essentiels qui justifient les accusations qu’elle porte2. Aussi un acte d’accusation est-il suffisamment précis lorsqu’il expose de manière concise et suffisamment circonstanciée les points essentiels de l’argumentation de l’Accusation pour informer clairement un accusé des accusations portées contre lui afin qu’il puisse préparer efficacement sa défense3. De toute évidence, l’Accusation n’est pas tenue d’exposer les éléments de preuve sur lesquels elle entend se fonder pour établir les faits essentiels4. C’est la nature de la cause de l’Accusation qui détermine si un fait est ou non essentiel5.

6. Si l’acte d’accusation, principal instrument de mise en accusation, ne présente pas, de manière suffisamment détaillée, les points essentiels de l’argumentation de l’Accusation, il est alors entaché d’un vice grave6. Examinant un recours formé contre un acte d’accusation pour imprécision, la Chambre d’appel du TPIY et du TPIR a récemment adopté une approche plus rigoureuse concernant le degré de précision que devait présenter l’exposé des faits essentiels et elle a appliqué cette approche aux allégations concernant les actes et le comportement d’un accusé qui engagent, selon l’Accusation, la responsabilité pénale de ce dernier 7. Dans l’Arrêt Kvocka, la Chambre d’appel a estimé que c’était l’étroitesse du lien existant entre l’accusé et les faits dont il est tenu pénalement responsable qui faisait qu’un point était ou non essentiel. « [S]i le lien de l’accusé avec ces faits est plus lâche, le degré de précision exigé est moindre, et l’accent est davantage mis sur le comportement de l’accusé sur lequel l’Accusation se fonde pour établir sa responsabilité en tant que complice ou supérieur hiérarchique des individus qui ont personnellement commis les actes à l’origine des chefs d’accusation retenus contre lui8.  »

7. Lorsqu’un accusé est tenu individuellement pénalement responsable sur la base de l’article 7 1) du Statut, les faits essentiels qui doivent être exposés dans l’acte d’accusation varient selon qu’est en cause l’un ou l’autre des modes de participation envisagés à l’article 7 1) du Statut9. Lorsqu’il est reproché à l’accusé d’avoir commis les crimes en cause en participant à une entreprise criminelle commune, l’existence de cette entreprise criminelle est un fait essentiel qui doit être précisé dans l’acte d’accusation. En outre, il faut aussi y préciser un certain nombre de points recensés par la Chambre de première instance saisie de l’affaire Krnojelac :

Afin de connaître la nature exacte des faits qui lui sont reprochés, l’accusé doit se voir notifier, dans l’acte d’accusation

a) la nature ou l’objectif de l’entreprise criminelle commune (ou son « essence  », comme l’a suggéré l’accusé en l’espèce),

b) le moment auquel ou la période pendant laquelle l’entreprise est censée avoir existé,

c) l’identité des participants à cette entreprise – pour autant qu’elle soit connue – ou du moins la catégorie à laquelle ils appartiennent en tant que groupe, et

d) la nature de sa propre participation à cette entreprise.

Lorsque l’un quelconque de ces éléments ne peut être établi que par déduction, le Procureur doit identifier, dans l’acte d’accusation, les faits et circonstances qui [permettent de tirer] cette déduction10.

La présente Chambre observe en particulier que la nature de la participation de l’accusé à une entreprise criminelle commune doit être précisée et que si l’Accusation entend l’établir par voie de déduction, elle doit indiquer dans l’acte d’accusation les faits et circonstances permettant de tirer pareille déduction.

8. Cette règle non équivoque semble, de prime abord, avoir été modifiée, du moins pour ce qui concerne l’élément moral, par la Chambre d’appel dans l’Arrêt Blaskic lorsqu’elle a cité en l’approuvant une décision rendue dans l’affaire Brdjanin et Talic :

En ce qui concerne la présentation de l’élément moral dans l’acte d’accusation, il convient : i) soit de préciser l’intention même qui animait l’accusé, auquel cas les faits permettant d’établir ce point essentiel participent ordinairement des moyens de preuve et un exposé n’est pas nécessaire, ii) soit d’exposer les faits d’où cette intention devrait être déduite. En général, tout fait essentiel doit être exposé expressément, bien qu’il suffise, dans certains cas, qu’il soit forcément sous-entendu11.

Même si, dans ce paragraphe, la Chambre d’appel a avalisé deux modes de présentation de l’élément moral, elle a souligné, dans d’autres parties de l’Arrêt Blaskic, la nécessité de préciser les « agissements » ou « la ligne de conduite » de l’accusé qui engagent sa responsabilité12 et le « comportement de l’accusé » qui permet de conclure qu’il possédait la mens rea requise lorsqu’il est mis en cause en tant que supérieur hiérarchique 13. La mens rea étant presque toujours déduite de faits et de circonstances établis à l’aide de preuves, l’accent mis sur l’exposé des faits sur lesquels l’Accusation entend se fonder pour établir la mens rea requise est révélateur de l’importance qu’il y a, aux yeux de la Chambre d’appel, à veiller à ce que l’accusé soit clairement informé de la nature et des motifs des accusations portées contre lui.

9. Si la Chambre d’appel permet de présenter l’élément moral en indiquant simplement l’état d’esprit de l’accusé, elle a clairement dit dans ses décisions récentes que lorsque cet état d’esprit devait être déduit d’autres faits, en particulier des agissements et du comportement de l’accusé, ces faits devaient être précisés, faute de quoi l’acte d’accusation pourrait être entaché de vices. Ainsi, dans l’Arrêt Kordic, la Chambre d’appel a estimé qu’une réunion à laquelle Dario Kordic aurait assisté, et dont il a été question au procès, était un point fondamental de l’argumentation développée par l’Accusation et un fait essentiel qui aurait dû être mentionné dans l’acte d’accusation14. Dans l’affaire Ntakirutimana, l’Accusation évoquait, en termes généraux, dans les actes d’accusation le comportement des accusés, en passant sous silence certains de leurs agissements dont elle aurait pu faire état. La Chambre d’appel du TPIR a annulé plusieurs constatations de la Chambre de première instance se rapportant à certains de ces agissements, comme celle concernant le meurtre par Gérard Ntakirutimana d’un dénommé Esdras pendant l’attaque contre la colline de Mutiti, constatations sur lesquelles la Chambre de première instance s’était fondée pour conclure que le génocide était constitué en tous ses éléments. La Chambre d’appel a expliqué que l’acte d’accusation était entaché de vices car l’Accusation n’y avait pas exposé tous les faits pertinents15.

10. Pour ce qui est de la responsabilité découlant de l’article 7 3) du Statut, la Chambre d’appel a récemment conclu dans l’Arrêt Blaskic16  :

218. En accord avec la jurisprudence du Tribunal, la Chambre d’appel considère que lorsqu’un accusé est mis en cause sur la base de l’article 7 3) du Statut, les faits essentiels suivants doivent être exposés dans l’acte d’accusation :

a) i) l’accusé était le supérieur hiérarchique17 de ii) subordonnés suffisamment identifiés18 iii) sur lesquels il exerçait un contrôle effectif - c’est-à-dire qu’il avait la capacité matérielle d’empêcher ou de punir leur comportement criminel19 - et iv) dont les actes engageraient sa responsabilité20  ;

b) le comportement de l’accusé qui permet de conclure que i) il savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre des crimes ou l’avaient fait21 et ii) était informé de la conduite des personnes dont il est présumé responsable22. Les faits se rapportant aux actes commis par ces personnes dont l’accusé, en sa qualité de supérieur hiérarchique, est présumé responsable seront généralement exposés de façon moins précise (même si l’Accusation est toujours tenue de fournir toutes les informations dont elle dispose)23, parce que le détail de ces actes est souvent inconnu et parce que, souvent, les actes eux-mêmes ne sont pas véritablement contestés24  ; et

c) le comportement de l’accusé qui permet de conclure qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que de tels actes ne soient commis ou en punir les auteurs25.

III. EXAMEN

A. Grief général tiré de la forme de l’acte d’accusation

11. La Défense fait valoir que l’Acte d’accusation est, dans l’ensemble, entaché de vices, car il passe sous silence les éléments qui auraient été indispensables à l’accusé pour bien préparer sa défense, c’est-à-dire les faits essentiels qui justifient les accusations portées et « le lien entre les faits essentiels et l’Accusé et/ou sa place dans la hiérarchie et ses actes ou omissions26  ». En d’autres termes, la Défense met en cause l’imprécision de l’Acte d’accusation. Elle demande à la Chambre de première instance d’ordonner à l’Accusation de modifier l’Acte d’accusation afin d’en couvrir les vices27. L’Accusation répond que la Défense est de mauvaise foi lorsqu’elle prétend qu’il n’est pas possible d’établir un lien entre les faits essentiels présentés et l’Accusé et/ou sa place dans l’hiérarchie et ses actes ou omissions28. Selon l’Accusation, dans une affaire de ce type, constituent des faits essentiels notamment « le moment des faits, le comportement sous-jacent permettant d’établir chaque chef d’accusation, certaines informations permettant d’identifier les auteurs des crimes, comme la catégorie à laquelle ils appartiennent si les crimes sont de grande ampleur et, dans la mesure du possible, le nom des lieux des crimes29  ». L’Accusation renvoie à plusieurs paragraphes de l’Acte d’accusation où des faits essentiels sont exposés, y compris les faits justifiant la mise en œuvre de la responsabilité de l’Accusé30.

12. L’Accusation soutient en outre que le fait que le Tribunal est actuellement saisi d’actes d’accusation presque similaires dans les affaires Milosevic et Milutinovic31 montre que l’Acte d’accusation en l’espèce satisfait à l’exigence de précision32. À ce propos, la Chambre de première instance observe que la forme de l’acte d’accusation n’a pas été mise en cause dans l’affaire Milosevic. Elle remarque par ailleurs que si Nikola Sainovic, l’un des coaccusés de Milan Milutinovic, a vainement mis en cause la forme de l’acte d’accusation33, en présentant des arguments en partie identiques à ceux avancés par l’Accusé, chaque grief doit être examiné au fond, à la lumière des règles applicables au moment où il est formulé. Pour apprécier au fond chaque grief formulé par la Défense, la Chambre de première instance doit appliquer les principes que la Chambre d’appel a dégagés récemment en déterminant si, dans les actes d’accusation établis dans les affaires Blaskic, Kordic, Kvocka et Ntakirutimana, l’Accusation avait exposé de manière suffisamment circonstanciée les faits essentiels pour informer clairement les accusés de la nature et des motifs des accusations portées contre eux et pour leur permettre de préparer efficacement leur défense34.

13. À l’appui du grief général tiré de l’imprécision de l’Acte d’accusation, la Défense formule des griefs particuliers qui peuvent être rangés en cinq catégories  : 1) mise en cause de la responsabilité individuelle de l’Accusé sur la base de l’article 7 1) du Statut ; 2) mise en cause de sa responsabilité en tant que supérieur hiérarchique ; 3) expulsion et transfert forcé ; 4) assassinat, un crime contre l’humanité et meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre et 5) persécutions. La Chambre de première instance passera en revue ces différents griefs.

1. Griefs relatifs à la mise en cause de la responsabilité individuelle de l’Accusé sur la base de l’article 7 1) du Statut

14. La Défense présente trois arguments distincts à l’appui de l’affirmation selon laquelle l’Acte d’accusation est vicié pour ce qui est de la mise en œuvre de la responsabilité individuelle de l’Accusé sur la base de l’article 7 1) du Statut.

i) Actes par lesquels l’Accusé aurait concrètement agi de l’une ou l’autre des façons envisagées à l’article 7 1) du Statut

15. La Défense semble dire que l’Acte d’accusation n’informe pas l’Accusé des actes par lesquels il aurait concrètement, de concert avec d’autres, planifié, incité à commettre ou ordonné chaque crime, directement ou dans le cadre d’une entreprise criminelle commune, ou aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter ce crime 35. L’Accusation se contente de confirmer que pour tous les chefs d’accusation retenus, elle entend faire état de tous les modes de participation visés au paragraphe 5 de l’Acte d’accusation36, mais elle ne répond pas directement à l’argument de la Défense se rapportant également aux modes de participation autres que la participation à l’entreprise criminelle commune. L’Accusation indique simplement que l’Acte d’accusation précise la nature de la participation de chaque accusé à cette entreprise et elle renvoie aux paragraphes  2, et 12 à 14 qui traitent de la participation de l’Accusé37.

16. La Chambre d’appel a affirmé que l’Accusation pouvait faire état de tous les modes de participation énumérés par l’article 7 1) du Statut, à condition qu’elle précise dans l’acte d’accusation les faits essentiels qui se rapportent à chacun d’eux38. Tout récemment, dans l’affaire Blaskic, l’Accusation s’est contentée de reprendre le libellé de l’article  7 1) du Statut sans préciser davantage les faits allégués eu égard au type de responsabilité encourue. La Chambre d’appel a estimé qu’« SeCn exposant les faits de cette manière, l’Accusation n’informe pas clairement l’accusé de la nature et des motifs des accusations portées contre lui » et qu’elle « aurait dû préciser, pour chaque fait et à chaque chef, le ou les modes de participation qu’elle entendait alléguer sur la base de l’article 7 1)39 ». La Chambre d’appel a considéré en particulier que « l’incitation à commettre » constituait, au regard de l’article 7 1), un mode de participation distinct et que, si l’Accusation entendait l’alléguer, il lui fallait exposer précisément les actes que l’accusé aurait incités à commettre, et indiquer les personnes ou le groupe de personnes qui, sans cette incitation, n’auraient pas été prêts à commettre les actes en question 40. De même, dans l’affaire Kvocka, la version finale de l’acte d’accusation précisait que les accusés étaient tenus individuellement responsables des crimes retenus dans l’acte d’accusation sur la base de l’article 7 1) du Statut, ce qui visait à incorporer tous les modes de participation énoncés à l’article 7 1) qui engagent la responsabilité pénale individuelle. La Chambre d’appel a estimé que « l’Accusation n’aSvaitC pas précisé les faits essentiels requis pour alléguer chaque mode de participation. Ainsi, bien qu’elle ait dit que les accusés étaient tenus responsables pour avoir ordonné des crimes, l’Accusation n’a précisé aucun fait essentiel qui donnerait à penser que l’un des accusés aurait donné l’ordre de commettre un crime donné à une date précise 41 ». Selon la Chambre d’appel, «  puisqu’il y est fait état de plusieurs modes de participation sans qu’aucun fait essentiel n’étaye ces allégations, l’Acte d’accusation souffre d’imprécision et il est donc entaché d’un vice de forme42  ».

17. La Chambre de première instance observe qu’en mettant les accusés en cause pour les différents modes de participation envisagés à l’article 7 1) du Statut, l’Accusation s’est contentée de reprendre, au paragraphe 5 de l’Acte d’accusation, le libellé de cet article, à ceci près qu’elle a expliqué que par le terme « commettre », elle ne voulait pas suggérer que l’un quelconque des accusés ait perpétré matériellement les crimes qui lui étaient reprochés, mais qu’elle entendait par là la participation, en qualité de coauteur, à une entreprise criminelle commune43.

18. Pour ce qui est des actes et du comportement précis de l’Accusé, l’Accusation ne fournit guère de précisions. Elle se borne aux paragraphes 2 et 12 à 14 de l’Acte d’accusation à préciser les fonctions officielles de l’Accusé à l’époque des faits et à affirmer en particulier :

Il assumait l’entière responsabilité des opérations menées par les unités du corps de Pristina de la VJ et par celles qui y étaient rattachées, et il était également responsable des activités de l’état-major du commandement du corps de Pristina. Le général Vladimir Lazarevic commandait le corps de Pristina durant les événements qui se sont déroulés au Kosovo de janvier 1999 à juin 1999 compris44.

Aux termes de la Loi de la RFY sur la défense, le général Vladimir Lazarevic, en sa qualité de commandant du corps de Pristina de la 3e armée de la VJ, avait également autorité ou exerçait un contrôle, par le biais de structures et de mécanismes de coordination et de commandement conjoints, sur les unités de police républicaines subordonnées au corps de Pristina de la 3e armée de la VJ ou menant des actions en coopération ou en coordination avec celui-ci, ainsi que sur les unités militaires territoriales, les unités de la défense civile et d’autres groupes armés45.

Aux paragraphes 6 et 29 de l’Acte d’accusation, il est dit que « [p]our atteindre ce but criminel, les accusés, agissant seuls ou ensemble, ou de concert avec d’autres, connus ou inconnus, ont tous pris une large part à l’entreprise criminelle commune en usant des pouvoirs qu’ils détenaient en droit et en fait46  ». Cette participation à l’entreprise criminelle et l’allégation selon laquelle l’Accusé a « planifié, incité à commettre, ordonné » ou de toute autre manière «  aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter [l]es crimes47  » doivent être aussi considérées à la lumière de l’allégation introduisant chaque chef selon laquelle « les forces de la RFY et de la Serbie, [ont agi] sur les instructions, avec les encouragements ou le soutien [des accusés]48  ».

19. Toutefois, en formulant ces allégations vagues et générales à l’encontre de tous les accusés sans distinction, l’Accusation ne précise pas le comportement sur lequel elle se fonde pour dire que l’Accusé a agi d’une des façons ou de toutes les façons envisagées à l’article 7 1) du Statut de sorte que sa responsabilité pénale individuelle est engagée. Si l’Accusation n’entend pas se fonder sur un comportement précis mais envisage de laisser à la Chambre de première instance le soin de déduire du comportement des forces placées sous l’autorité de l’Accusé, de la place de celui -ci dans la hiérarchie militaire et du lien qui l’unissait aux autres membres de la hiérarchie militaire, policière ou politique, que l’Accusé a agi d’une ou de plusieurs des façons envisagées à l’article 7 1) et qu’il a participé à l’entreprise criminelle commune, elle devrait le dire clairement. Rien n’indique que telle est la thèse de l’Accusation.

20. En outre, puisque l’Accusation ne semble pas avoir précisé dans l’Acte d’accusation l’intention requise pour chacun des différents modes de participation énumérés par l’article 7 1) du Statut, elle aurait dû au moins exposer les faits permettant d’établir ce point essentiel.

21. En conséquence, la Chambre de première instance considère que l’Acte d’accusation n’informe pas clairement l’Accusé de la nature et des motifs des allégations formulées contre lui sur la base de l’article 7 1) du Statut, pour avoir agi seul ou participé à une entreprise criminelle commune. La Chambre de première instance retient ce grief et ordonne à l’Accusation 1) de préciser le comportement qui la porte à affirmer que l’Accusé a agi d’une des façons ou de toutes les façons envisagées à l’article  7 1) du Statut de sorte que sa responsabilité pénale individuelle est engagée, ou d’indiquer expressément qu’elle n’entend pas se fonder sur un comportement précis mais qu’elle envisage de laisser à la Chambre de première instance le soin de déduire du comportement des forces placées sous l’autorité de l’Accusé, de la place de celui -ci dans la hiérarchie militaire et du lien qui l’unissait aux autres membres de la hiérarchie militaire, policière ou politique, que l’Accusé a agi d’une ou de plusieurs des façons envisagées à l’article 7 1) et qu’il a participé à l’entreprise criminelle commune, et 2) de préciser l’intention requise pour chacun des différents modes de participation énumérés par l’article 7 1) du Statut et les faits permettant d’établir ce point essentiel.

ii) « Autres personnes connues ou inconnues » avec lesquelles l’Accusé aurait participé à l’entreprise criminelle commune

22. À plusieurs reprises, tout au long de l’Acte d’accusation, il est fait allusion à « d’autres [personnes] connu[e]s ou inconnu[e]s ». La Défense fait valoir que l’identité des « autres personnes connues » qui sont mentionnées dans les paragraphes 5 à 7 n’est pas précisée. Elle soutient en outre que l’utilisation du terme « connus  » implique nécessairement que l’Accusation connaît le nom de ces personnes, mais ne l’a pas encore communiqué à l’Accusé49. S’agissant des autres « inconnus », la Défense avance que, si l’Accusation n’est pas en mesure de fournir leur identité, elle devrait « à tout le moins indiquer, même approximativement, la catégorie à laquelle ils appartiennent afin que l’Accusé puisse préparer comme il se doit sa défense50  ». L’Accusation répond qu’elle s’est acquittée de cette obligation en précisant « l’identité des personnes engagées dans l’entreprise criminelle commune, notamment le nom de certains participants connus et la catégorie à laquelle appartiennent les autres51 ». L’Accusation avance qu’elle peut « difficilement dresser la liste de toutes les personnes qui ont participé à l’entreprise criminelle commune. Il n’est pas nécessaire, fait-elle valoir, de fournir à l’Accusé autant de précisions pour qu’il dispose d’une relation concise des faits de l’espèce et puisse se préparer à répondre aux accusations portées contre lui52 ».

23. La Chambre de première instance considère que le problème va bien au-delà de ce que peut en dire la Défense. Dans les paragraphes 5 à 7, cités par la Défense, il est dit qu’outre les participants à l’entreprise criminelle commune, nommément désignés, il y en a « d’autres, connus ou inconnus53  ». Lorsqu’elle affirme qu’elle a précisé la catégorie à laquelle appartiennent ces autres participants, l’Accusation pense forcément à l’expression qu’elle a utilisée à maintes reprises tout au long de l’Acte d’accusation – « les forces de la RFY et de la Serbie » – ainsi qu’aux forces désignées plus précisément dans certains paragraphes. Or, lorsqu’il fait plus précisément état des participants à l’entreprise criminelle commune, l’Acte d’accusation mentionne souvent les forces de la RFY et de la Serbie agissant sur les instructions, avec les encouragements ou avec le soutien des accusés, de huit autres membres désignés nommément « et d’autres, connus ou inconnus ». Il en ressort que les « forces de la RFY et de la Serbie » désignent tout au long de l’Acte d’accusation des personnes n’appartenant pas à la catégorie des autres participants « connus ou inconnus ». L’expression « d’autres, connus ou inconnus » prête donc à confusion et est de nature à induire en erreur dans tout l’Acte d’accusation.

24. Lorsqu’elle répond qu’elle a précisé les catégories auxquelles appartiennent les participants qui ne sont pas nommément désignés, l’Accusation veut parler, semble -t-il, à la fois des participants connus et inconnus. Vu les ambiguïtés relevées dans le paragraphe précédent, il est impossible de savoir avec précision à quelles catégories elle pense.

25. Indépendamment de ce qui précède, la Chambre de première instance considère qu’il est tout à fait malvenu de parler « d’autres [personnes] connu[e]s ». L’Accusation fait valoir dans sa réponse l’impossibilité où elle est de donner le nom de tous les participants, mais sans s’en expliquer. La Chambre de première instance n’est pas d’accord avec l’Accusation lorsque celle-ci affirme en outre qu’« il n’est pas nécessaire de fournir à l’Accusé [le nom des personnes connues] pour qu’il dispose d’une relation concise des faits de l’espèce ». Afin de connaître la nature des accusations auxquelles il doit répondre, l’accusé doit être informé dans l’acte d’accusation de l’identité des personnes engagées dans l’entreprise criminelle commune, pour autant que celles-ci sont connues de l’Accusation. Si l’Accusation connaît l’identité d’autres participants à l’entreprise criminelle commune, ainsi qu’elle l’a laissé entendre en parlant « d’autres personnes connues », la Chambre de première instance estime que le nom de ces personnes est un fait essentiel qui doit être exposé dans l’acte d’accusation.

26. Ce grief est en conséquence retenu. L’Accusation doit indiquer ce qu’elle entend exactement par « d’autres, connus ou inconnus ». Elle doit en outre désigner par leur nom les participants à l’entreprise criminelle commune dont elle connaît l’identité. S’agissant des autres participants inconnus, l’Accusation doit préciser la catégorie à laquelle ils appartiennent.

iii) Objectif de l’entreprise criminelle commune

27. Selon la Défense, l’Acte d’accusation n’expose pas les faits sur lesquels l’Accusation se fonde pour alléguer que les crimes énumérés aux chefs 1 à 5 « s’inscrivaient dans le cadre de l’objectif » assigné à l’entreprise criminelle commune et que l’Accusé et les autres coauteurs « adhéraient à l’objectif criminel commun »54. L’Accusation répond qu’elle a précisé l’objectif de l’entreprise criminelle commune 55 et que l’Accusé ne peut pas lui demander de préciser les « faits » sur lesquels elle se base pour avancer qu’il a participé à une entreprise criminelle commune visant, entre autres objectifs, à expulser une partie importante de la population albanaise du Kosovo hors du territoire de cette province. En effet, fait valoir l’Accusation, la manière dont elle établira que les membres de l’entreprise criminelle commune adhéraient à cet « objectif criminel commun » et les allégations sur ce point sont une affaire de preuve.

28. L’objectif assigné à l’entreprise criminelle commune constitue un fait essentiel qui doit être exposé dans l’acte d’accusation56. Il est dit au paragraphe 5 de l’Acte d’accusation que l’objectif était, entre autres, «  [d’] expulser une partie importante de la population albanaise du Kosovo hors du territoire de cette province, afin de maintenir celle-ci sous contrôle serbe  ». Sortie de son contexte, cette définition pourrait prêter à équivoque quant à la véritable portée du but de l’entreprise criminelle commune dont fait état l’Acte d’accusation. Toutefois, à la lecture du paragraphe 7 de l’Acte d’accusation, il apparaît clairement que ce but impliquait la commission des crimes énumérés aux chefs 1 à 5. La deuxième phrase du paragraphe 7 de l’Acte d’accusation précisant que « [à] défaut, les crimes énumérés aux chefs 3 à 5 étaient la conséquence naturelle et prévisible de l’entreprise criminelle commune et les accusés avaient conscience que de tels crimes en seraient le résultat probable », la Chambre de première instance est portée à croire que l’Accusation fait état subsidiairement de l’existence d’une entreprise criminelle commune élargie57. La Chambre considère toutefois que les faits sur lesquels l’Accusation s’appuie pour alléguer que les crimes visés aux chefs 1 à 5 « s’inscrivaient dans le cadre de l’objectif » assigné à l’entreprise criminelle commune ne constituent pas des faits essentiels qui doivent être exposés dans l’Acte d’accusation, mais sont davantage une affaire de preuve.

29. Pour ce qui est de savoir si l’Accusé « adhérai[t] à l’objectif criminel commun  », l’Acte d’accusation prête à équivoque. Bien que la première phrase du paragraphe  7 précise que les crimes énumérés aux chefs 1 à 5 s’inscrivaient dans le cadre de l’objectif assigné à l’entreprise criminelle commune, l’Acte d’accusation passe sous silence ce fait essentiel que constitue l’élément moral requis pour établir la participation à cette forme de l’entreprise criminelle commune58. La Chambre de première instance considère que l’allégation selon laquelle « [c]hacun des accusés et des autres participants à l’entreprise criminelle commune partageait l’intention et l’état d’esprit nécessaires à la commission de chacun des crimes visés aux chefs 1 à 559 » n’éclaire pas sur l’élément moral nécessaire, à savoir l’intention de commettre les crimes énumérés aux chefs 1 à 5. L’Acte d’accusation est donc vicié sur ce point. Il n’est pas dit expressément que l’Accusé avait connaissance de l’existence de l’entreprise criminelle commune, pas plus que ne sont exposés les faits essentiels permettant de déduire qu’il en avait connaissance. Pour autant qu’il est fait état subsidiairement de l’existence d’une entreprise criminelle commune élargie60, la Chambre de première instance observe que l’Accusation a indiqué comme elle devait que l’Accusé possédait la mens rea requise pour être tenu responsable de crimes n’entrant pas dans le cadre du but de l’entreprise criminelle commune, puisqu’elle a précisé : « [L]es crimes énumérés aux chefs 3 à 5 étaient la conséquence naturelle et prévisible de l’entreprise criminelle commune et les accusés avaient conscience que de tels crimes en seraient le résultat probable. Bien que conscients des conséquences prévisibles, [les accusés] et d’autres, connus ou inconnus, ont sciemment et intentionnellement participé à l’entreprise criminelle commune. » La Chambre relève toutefois qu’une fois encore, l’Acte d’accusation passe sous silence l’élément moral requis pour établir, subsidiairement, que l’Accusé était responsable des crimes commis en exécution de l’entreprise criminelle commune, à savoir l’intention de commettre les crimes visés aux chefs 1 et 2.

30. Ce grief est en conséquence retenu. La Chambre de première instance ordonne à l’Accusation d’exposer les faits essentiels sur lesquels elle entend se fonder au procès pour établir que l’Accusé avait connaissance de l’existence de l’entreprise criminelle commune et possédait la mens rea requise.

2. Griefs relatifs à la mise en cause de la responsabilité de l’Accusé en tant que supérieur hiérarchique

31. La Défense avance trois arguments concernant la mise en cause de la responsabilité de l’Accusé en tant que supérieur hiérarchique. La Chambre de première instance va les passer en revue.

32. Premièrement, la Défense avance que l’Accusation ne fournit pas suffisamment de précisions sur les structures et personnes subordonnées placées sous l’autorité de l’Accusé qui ont perpétré les crimes dont il est présumé responsable en tant que supérieur hiérarchique61. Elle fait valoir qu’à l’exception du premier alinéa du paragraphe 29 g) qui fait allusion à la police serbe, l’Acte d’accusation, dans les parties consacrées aux chefs d’accusation, parle en général des « forces de la RFY et de la Serbie »62. Selon la Défense, l’Accusation doit désigner la ou les personnes qui auraient commis les crimes reprochés à l’Accusé ou, si elle n’est pas en mesure de le faire, indiquer à tout le moins la catégorie à laquelle elles appartiennent63. L’Accusation reconnaît que, lorsqu’un accusé est tenu responsable en tant supérieur hiérarchique, ses subordonnés doivent être suffisamment identifiés64. Elle répond que les paragraphes 5 à 18 de l’Acte d’accusation précisent les unités ou formations subordonnées dont chaque accusé est responsable65. Elle ajoute que l’Acte d’accusation fournit, pour chaque chef, une description détaillée du comportement criminel sous-jacent, et qu’il indique notamment que les crimes ont été commis par les « forces de la RFY et de la Serbie ». Selon l’Accusation, vu l’ampleur des faits incriminés, il est impossible de désigner précisément les auteurs matériels de « chaque crime recensé » et/ou d’indiquer les catégories auxquelles ils appartiennent comme le demande la Défense66.

33. La Chambre de première instance observe que les paragraphes 21 à 29, 32 et 34 de l’Acte d’accusation donnent en effet un compte rendu détaillé des faits incriminés qui seraient à mettre au compte des forces de la RFY et de la Serbie dans les différentes municipalités. Or l’Acte d’accusation impute pour l’essentiel ces crimes aux « forces de la RFY et de la Serbie ». La Chambre de première instance approuve la Défense lorsqu’elle reconnaît que l’Accusation ne saurait être tenue de préciser l’identité des personnes impliquées dans les crimes si elle n’est pas en mesure de le faire. La Chambre est également d’accord avec la Défense pour dire que l’Acte d’accusation devrait au moins indiquer la catégorie à laquelle appartiennent les auteurs présumés des crimes. Sur ce point et en dépit de l’ampleur de ces crimes, la Chambre de première instance est convaincue que l’expression « forces de la RFY et de la Serbie » utilisée dans l’Acte d’accusation ne suffit pas à désigner avec suffisamment de précision les catégories auxquelles appartiennent les forces impliquées dans les crimes. L’Acte d’accusation donne quelques indications sur les corps, unités et groupes qui auraient été subordonnés à l’Accusé67. Cependant, l’Accusation n’explique pas pourquoi il lui est difficile d’indiquer avec précision dans l’Acte d’accusation quelles sont les unités qui auraient pris part aux événements qui se sont produits dans chaque municipalité. En outre, lorsque des forces particulières sont mises en cause, on ne sait pas si l’Accusation entend alléguer que ce sont là les seules à avoir pris part aux crimes en cause68.

34. Le grief est en conséquence retenu. L’Accusation doit préciser la catégorie à laquelle appartiennent les auteurs présumés des crimes en cause en indiquant les forces et unités subordonnées à l’Accusé qui ont pris part aux événements survenus dans chaque municipalité et dire expressément si elle entend alléguer que ces forces et unités étaient les seules à avoir pris part à ces crimes.

35. Deuxièmement, la Défense avance, semble-t-il, que l’Acte d’accusation présente un vice de forme car il ne précise pas le lien existant entre l’Accusé et les auteurs des crimes qui auraient été ses subordonnés69. L’Accusation répond que l’Acte d’accusation expose ce qui, en fait ou en droit, lui permet d’alléguer que l’Accusé commandait de fait le corps de Pristina de la VJ et les unités qui étaient rattachées à ce corps, et avait donc en fait et/ou en droit autorité sur ces subordonnés70. Elle fait valoir qu’au paragraphe 12 de l’Acte d’accusation, il est dit clairement et expressément que l’Accusé « commandait alors toutes les unités du corps de Pristina et celles qui y étaient rattachées dans la zone de responsabilité du corps. Il assumait l’entière responsabilité des opérations menées par les unités du corps de Pristina de la VJ et par celles qui y étaient rattachées, et il était également responsable des activités de l’état-major du commandement du corps de Pristina »71. L’Accusation ajoute qu’au paragraphe 13 de l’Acte d'accusation, il est précisé qu’ « [a]ux termes de la Loi de la RFY sur la défense, [l’Accusé] avait également autorité ou exerçait un contrôle, par le biais de structures et de mécanismes de coordination et de commandement conjoints, sur les unités de police républicaines subordonnées au corps de Pristina de la 3e armée de la VJ ou menant des actions en coopération ou en coordination avec celui-ci, ainsi que sur les unités militaires territoriales, les unités de la défense civile et d’autres groupes armés »72. Elle renvoie aussi expressément aux paragraphes 14, 66 et 67 de l’Acte d’accusation et maintient que la manière dont elle établira que l’Accusé exerçait cette autorité est une affaire de preuve, et ne constitue pas un fait essentiel qu’il faut exposer dans l’acte d’accusation73.

36. La Chambre de première instance observe que ces paragraphes ne précisent pas 1) quelles unités rattachées au corps de Pristina de la 3e armée de la VJ dans la zone de responsabilité de celui-ci étaient commandées par l’Accusé, ni 2) sur quelles unités de police républicaines subordonnées au corps de Pristina de la 3e armée de la VJ ou menant des actions en coopération ou en coordination avec celui-ci, sur quelles unités militaires territoriales, unités de défense civile ou autres groupes armés il aurait exercé son autorité ou un contrôle. La Chambre de première instance considère que ce sont là des faits essentiels qui doivent être exposés par l’Accusation si elle est en mesure de le faire.

37. Troisièmement, la Défense se plaint de ce que l’Acte d’accusation ne précise pas le comportement de l’Accusé qui pourrait permettre de conclure qu’il savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre des crimes ou l’avaient déjà fait, et/ou qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher ces crimes ou en punir les auteurs74. L’Accusation n’apporte pas de réponse précise.

38. La Chambre de première instance estime que ces points constituent des faits essentiels qui doivent être exposés dans l’Acte d’accusation. Or il n’est rien dit à leur propos. Partant, la Chambre demandera à l’Accusation d’indiquer précisément les aspects du comportement de l’Accusé sur lesquels elle entend se fonder au procès pour établir que celui-ci est responsable, en sa qualité de supérieur hiérarchique, des crimes en cause du fait même de la connaissance qu’il en avait et de son inaction.

3. Expulsion et transfert forcé (chefs 1 et 2)

39. La Défense soutient qu’il y a une contradiction dans l’Acte d’accusation entre les paragraphes 19 à 30 où l’Accusé est mis en cause pour des expulsions et des transferts dont les auteurs matériels ne sont pas identifiés et le paragraphe 61 où l’Accusation reconnaît que la population civile fuyait le secteur en question où opérait l’UÇK en raison des combats et des destructions75. Renvoyant aux paragraphes 25 et 61 de l’Acte d’accusation, la Défense fait valoir qu’il est contradictoire d’affirmer à la fois que des milliers d’Albanais du Kosovo ont « fui » leurs maisons, « victimes par là même d’un transfert forcé » du fait du comportement des forces de la RFY et de la Serbie76. Selon la Défense, l’Accusé a le droit de savoir précisément dans quels cas des Albanais du Kosovo ont fui des zones de combats où opérait l’UÇK et dans quels cas ils ont été transférés de force par des forces de la RFY et de la Serbie et/ou dans quels cas ils ont « fui » en raison des activités de ces forces77. L’Accusation répond que l’Acte d’accusation dit clairement que l’Accusé est responsable de l’expulsion et du transfert forcé par les forces de la RFY et de la Serbie d’approximativement 800 000 civils albanais du Kovoso. Elle fait valoir ensuite que le paragraphe 61 de l’Acte d’accusation donne un aperçu du conflit armé au Kosovo et précise que les forces de la RFY et de la Serbie se sont lancées dans « une campagne […] d’expulsion de la population civile des zones dans lesquelles opérait l’UÇK » et que en 1998 « [d]e nombreux habitants ont fui la province en raison des combats et des destructions, ou ont été obligés de fuir vers d’autres régions du Kosovo ». Selon l’Accusation, il n’est jamais dit dans l’Acte d’accusation, de manière explicite ou implicite, que d’autres forces que celles de la RFY et de la Serbie sont pénalement responsables de l’expulsion et du transfert forcé d’approximativement 800 000 civils albanais du Kosovo78.

40. La Chambre de première instance note que le paragraphe 61 de l’Acte d’accusation donne un aperçu du conflit opposant l’UÇK aux forces de la RFY et de la Serbie de février à octobre 1998 et précise que les forces de la RFY et de la Serbie se sont lancées dans « une campagne […] d’expulsion de la population civile des zones dans lesquelles opérait l’UÇK », que « [d]e nombreux habitants ont fui la province en raison des combats et des destructions, ou ont été obligés de fuir vers d’autres régions du Kosovo » et que, à la fin d’octobre 1998, quelque 285 500 personnes, soit près de 15 % de la population, avaient été déplacées à l’intérieur du Kosovo ou avaient quitté la province.

41. La Chambre de première instance ne voit aucune contradiction entre les allégations factuelles précitées concernant la situation de la population civile du Kosovo jusqu’à la fin octobre 1998 et les allégations factuelles étayant les accusations portées contre les forces de la RFY et de la Serbie pour les crimes qu’elles auraient commis du 1er janvier au 20 juin 1999. La Chambre de première instance estime que l’Accusé est clairement mis en cause pour les expulsions et les transferts forcés des civils albanais du Kosovo qui ont été « directement expulsés par la force de leur communauté  » par les forces de la RFY et de la Serbie79 ou qui « ont fui en raison du climat de terreur80 » instauré par ces forces dans toute la province. Il est aussi dit clairement dans l’Acte d’accusation que, dans certains cas, des Albanais du Kosovo qui avaient fui leurs maisons en raison du comportement des forces de la RFY et de la Serbie ont rejoint des convois de personnes qui se dirigeaient vers les frontières du Kosovo avec l’Albanie et la Macédoine tandis que, dans d’autres cas, les forces de la RFY et de la Serbie ont escorté jusqu’à la frontière des groupes d’Albanais expulsés du Kosovo81. Il est précisé en outre que des milliers d’Albanais du Kosovo qui avaient fui leurs maisons du fait du comportement des forces de la RFY et de la Serbie et du climat de terreur délibérément instauré sur tout le territoire de la province, ont dû chercher refuge dans la région, que certaines de ces « personnes déplacées à l’intérieur de la province du Kosovo y sont restées pendant toute la période couverte par le présent acte d’accusation  », que nombre d’entre elles sont mortes et que d’autres ont finalement traversé la frontière, passant du Kosovo en Albanie, en Macédoine ou au Monténégro, ou ont franchi les limites provinciales entre le Kosovo et la Serbie82. Il est dit par ailleurs que les forces de la RFY et de la Serbie contrôlaient et coordonnaient les mouvements des nombreux Albanais déplacés à l’intérieur du Kosovo, jusqu’à leur expulsion finale hors de la province83. Par ces motifs, l’objection est rejetée.

4. Assassinat/meurtre (chefs 3 et 4)

42. Au paragraphe 32, l’Accusé et ses coaccusés sont tenus responsables du meurtre de centaines de civils albanais du Kosovo, visé aux chefs 3 et 4. La Défense soutient que l’Acte d’accusation ne précise pas a) quelles forces de la RFY et de la Serbie auraient été impliquées dans ces massacres84  ; b) quel est le nombre exact des personnes tuées illégalement par un groupe précis de soldats de la RFY et de la Serbie85  ; et c) sur quels faits l’Accusation se fonde pour dire que ces meurtres ont été commis sur une grande échelle ou systématiquement86. L’Accusation ne répond précisément à aucun de ces points. La Chambre de première instance va les passer en revue.

43. La Défense fait valoir qu’en dehors des alinéas a) et b) du paragraphe 32 où elle fait état de la présence d’une personne en uniforme au complexe pénitentiaire de Dubrava, l’Accusation ne précise pas quelles forces de la RFY et de la Serbie auraient été impliquées dans les massacres recensés87. Le paragraphe 32 rapporte par le menu les faits sur lesquels l’Accusation se fonde pour faire état du meurtre de centaines de civils albanais du Kosovo. Le nom de certaines victimes figure dans les annexes A à L de l’Acte d’accusation. Ces meurtres auraient été perpétrés par des forces de la RFY et de la Serbie. Vu la quantité de précisions fournies au sujet des massacres, la Chambre de première instance estime que l’Accusation devrait également préciser quelles forces de la RFY et de la Serbie auraient été impliquées dans chaque massacre recensé dans l’Acte d’accusation. Il s’agit là d’un fait essentiel qui doit être exposé dans l’Acte d’accusation pour autant que l’Accusation en a connaissance. En conséquence, ce grief est retenu. La Chambre de première instance ordonne à l’Accusation de préciser quelles forces de la RFY et de la Serbie auraient été impliquées dans chaque affaire de meurtre.

44. La Défense soutient ensuite que l’Acte d’accusation ne précise pas « le nombre exact de personnes tuées illégalement par un groupe précis de soldats de la RFY et de la Serbie88 ». Vu le paragraphe 32 de l’Acte d’accusation où il est dit que des centaines de civils albanais du Kosovo ont été tués et que le nom des victimes qui ont été identifiées figure dans les annexes A à L, la Chambre de première instance estime que l’Accusation a suffisamment précisé le nombre des victimes présumées des meurtres. Ce grief est en conséquence dénué de fondement.

45. La Défense avance enfin que l’Acte d’accusation ne précise pas les faits sur lesquels repose l’allégation selon laquelle les meurtres ont été commis sur une grande échelle ou systématiquement89. L’allégation générale, formulée au paragraphe 36 de l’Acte d’accusation, selon laquelle « [t]ous les actes et omissions qualifiés de crimes contre l’humanité s’inscrivaient dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre la population civile albanaise du Kosovo en RFY » doit être lue à la lumière d’autres allégations figurant dans l’Acte d’accusation comme celles selon lesquelles il existait une « campagne de terreur et de violence délibérée et généralisée ou systématique dirigée contre la population albanaise du Kosovo90  » et les forces de la RFY et de la Serbie ont agi délibérément et sur une grande échelle ou systématiquement, notamment de la manière suivante : en « expuls[ant] par la force de la province et dépla[çant]à l’intérieur de celle-ci des centaines de milliers d’Albanais du Kosovo91  », en « entrepr[enant] une campagne délibérée et généralisée ou systématique de destruction de biens appartenant aux civils albanais du Kosovo92  », en « comm[ettant] sur une grande échelle ou systématiquement des actes de brutalité et de violence contre les civils albanais du Kosovo afin d’entretenir le climat de terreur et de chaos et d’instiller en eux la peur de mourir. Les forces de la RFY et de la Serbie sont allées de village en village et, dans les villes, de quartier en quartier, menaçant la population albanaise du Kosovo et l’expulsant. Souvent, des Albanais du Kosovo étaient menacés, agressés, ou même tués en public, afin d’inciter leur famille et leurs voisins à partir. De nombreux Albanais du Kosovo qui n’avaient pas été directement expulsés par la force de leur communauté ont fui en raison du climat de terreur créé dans toute la province par la campagne généralisée ou systématique d’agressions physiques, de harcèlement, de violences sexuelles, d’arrestations illégales, de meurtres, de bombardements et de pillage. […] Toutes les couches de la population albanaise du Kosovo ont été déplacées, y compris les femmes, les enfants, les personnes âgées et les infirmes93. » L’examen des faits essentiels précités montre que le grief formulé par la Défense sur ce point est également dénué de fondement. Les moyens de preuve sur lesquels l’Accusation entend se fonder pour établir que les meurtres ont été commis sur une grande échelle ou systématiquement seront communiqués à l’Accusé et la Chambre de première instance déterminera au procès le poids qu’il y a lieu de leur accorder.

5. Persécutions (chef 5)

46. La Défense affirme que l’Acte d’accusation ne rapporte pas 1) les faits qui tendraient à faire apparaître l’intention discriminatoire requise pour établir les persécutions94 et 2) les cas de violences sexuelles infligées à des Albanais du Kosovo, en particulier à des femmes95. L’Accusation ne répond pas au premier argument.

47. La Chambre de première instance note qu’il est dit au paragraphe 7 de l’Acte d’accusation que l’Accusé partageait l’intention et l’état d’esprit nécessaires à la commission de chacun des crimes visés aux chefs 1 à 5. Elle relève en outre que le paragraphe 34 indique que les forces de la RFY et de la Serbie, agissant sur les instructions, avec les encouragements ou le soutien des accusés ont mené une campagne de persécutions contre la population civile albanaise du Kosovo, pour des raisons politiques, raciales ou religieuses, mais ne précise pas l’élément moral requis pour établir les persécutions ni les faits d’où il peut s’inférer. Ce premier grief est en conséquence retenu.

48. S’agissant du deuxième argument qui renvoie précisément aux alinéas b), f), g) et l) du paragraphe 29 de l’Acte d’accusation, l’Accusation répond que, vu la nature de l’affaire, et en particulier le lien existant entre l’Accusé et les crimes, l’Acte d’accusation décrit avec suffisamment de précision les violences sexuelles que l’Accusation entend établir au procès96.

49. La Chambre de première instance note que l’Acte d’accusation fait état de trois affaires de violences sexuelles infligées à des femmes albanaises du Kosovo par des membres des forces de la RFY et de la Serbie : à partir du 28 mars 1999 sur la route reliant Prizen à la frontière albanaise97, pendant trois semaines à Kosovska Mitrovica/Mitrovicë98, à partir du 24 mars 1999 ou vers cette date et jusqu’à la fin du mois de mai 1999, à Pristina/Prishtinë pendant les expulsions forcées99, et le 29 mars 1999 ou vers cette date, à Beleg, un village de la municipalité de Decani/Deçan, pendant la nuit dans une maison où au moins trois femmes ont été victimes de violences sexuelles100. La Chambre de première instance estime que, vu la nature de l’affaire et l’ampleur des crimes, l’Accusation a donné suffisamment de précisions concernant les allégations de violences sexuelles qu’elle entend établir au procès. Puisqu’il n’est pas reproché à l’Accusé d’avoir matériellement perpétré l’un quelconque de ces crimes, l’Acte d’accusation n’est pas entaché de vice de forme sur ce point.

6. Révision complète de l’Acte d’accusation

50. Étant donné que les vices relevés dans la présente décision suite aux griefs formulés par l’Accusé ont aussi des conséquences pour ses coaccusés, la Chambre de première instance invite l’Accusation à revoir entièrement l’Acte d’accusation pour tous les accusés.

B. Dispositif

Par ces motifs et en application de l’article 72 du Règlement,

1) L’Exception préjudicielle est partiellement accueillie comme suit :

a) L’Accusation est tenue de modifier, comme suit, l’Acte d’accusation :

- Préciser a) le comportement précis qui lui permet d’affirmer que l’Accusé a agi d’une des façons ou de toutes les façons envisagées à l’article 7 1) du Statut de sorte que sa responsabilité pénale individuelle est engagée, ou b) indiquer expressément qu’elle n’entend pas se fonder sur un comportement précis mais qu’elle envisage de laisser à la Chambre de première instance le soin de déduire du comportement des forces placées sous l’autorité de l’Accusé, de la place de celui-ci dans la hiérarchie militaire et du lien qui l’unissait aux autres membres de la hiérarchie militaire, policière ou politique que l’Accusé a agi d’une ou de plusieurs des façons envisagées à l’article 7 1) ;

- Préciser l’élément moral requis pour chacun des différents modes de participation énumérés par l’article 7 1) du Statut, y compris la participation aux différentes formes de l’entreprise criminelle commune envisagées, ainsi que la manière dont ces faits essentiels doivent être établis ;

- Indiquer précisément à quoi renvoie l’expression « d’autres, connus ou inconnus  » et désigner nommément les participants à l’entreprise criminelle commune dont l’identité est connue. S’agissant des autres participants inconnus, préciser à quelle catégorie ils appartiennent.

- Préciser la catégorie à laquelle appartiennent les personnes qui auraient commis les crimes allégués en désignant les forces et unités subordonnées à l’Accusé qui auraient pris part aux événements survenus dans chaque municipalité et préciser si la thèse de l’Accusation est que ces forces et unités sont les seules à avoir pris part à ces crimes ;

- Désigner, dans la mesure du possible, 1) les unités rattachées au corps de Pristina de la 3e armée de la VJ opérant dans la zone de responsabilité du corps, qui étaient, selon l’Accusation, commandées par l’Accusé et 2) les unités de police républicaines subordonnées au corps de Pristina de la 3e armée de la VJ ou menant des actions en coopération ou en coordination avec celui-ci, ou les unités militaires territoriales, les unités de la défense civile et les autres groupes armés sur lesquels l’Accusé aurait exercé son autorité ou un contrôle ;

- Indiquer les aspects du comportement de l’Accusé permettant d’établir qu’il est responsable en tant que supérieur hiérarchique des crimes en cause du fait même de la connaissance qu’il en avait et de son inaction ;

- Désigner les forces de la RFY et de la Serbie qui seraient mêlées aux différentes affaires de meurtre énumérées.

- Préciser l’élément moral nécessaire pour établir les persécutions.

b) L’acte d’accusation modifié sera déposé le 15 août 2005 au plus tard ; il sera accompagné d’un tableau dans lequel seront indiqués toutes les modifications apportées à l’Acte d’accusation (tableau des modifications).

c) La Défense fera connaître les griefs qu’elle pourrait avoir à la suite des modifications apportées en exécution des directives susvisées dans les quinze jours du dépôt de l’acte d’accusation modifié.

2) L’Accusation est invitée à revoir entièrement l’Acte d’accusation pour tous les coaccusés.

3) L’Exception préjudicielle est, pour le surplus, rejetée.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
______________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]

Le 8 juillet 2005
La Haye (Pays-Bas)



1 - Le Procureur c/ Kupreskic et consorts, affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001 (« Arrêt Kupreskic »), par. 88.
2 - Arrêt Kupreskic ; Le Procureur c/ Hadzihasanovic, Alagic et Kubura, affaire n° IT-01-47-PT, Décision relative à la forme de l’acte d’accusation, 7 décembre 2001 (« Décision Hadzihasanovic »), par. 8.
3 - Voir Arrêt Kupreskic, par. 88.
4 - Ibidem.
5 - Ibid., par. 89.
6 - Ibid., par. 114.
7 - Voir infra, par. 9.
8 - Le Procureur c/ Kvocka, Radic, Zigic et Prcac, affaire n° IT-98-30/1-A, Appeals Judgement, 28 février 2005 (« Arrêt Kvocka »), par. 65 citant Le Procureur c/ Galic, affaire n° IT-98-29-AR72, Décision relative à la requête de la Défense aux fins d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel, 30 novembre 2001 (« Décision Galic »), par. 15.
9 - Ainsi, lorsque l’Accusation reproche à un accusé d’avoir personnellement commis des actes criminels, les faits essentiels, tels que l’identité de la victime, le moment et le lieu du crime et son mode d’exécution, doivent être exposés en détail (Arrêt Kupreskic, par. 89). Pour la participation à une entreprise criminelle commune, d’autres faits essentiels doivent être précisés (voir aussi Le Procureur c/ Brdanin et Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à la forme du nouvel acte d’accusation modifié et à la requête de l’Accusation aux fins de modification dudit acte, 26 juin 2001 (« Troisième Décision Brdjanin »), par. 21 et 22.
10 - Le Procureur c/ Krnojelac, affaire n° IT-97-25-PT, Décision relative à la forme du deuxième acte d’accusation modifié, 11 mai 2000 (« Décision Krnojelac »), par. 16. Voir aussi Arrêt Kvocka, par. 42.
11 - Le Procureur c/ Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Arrêt, 29 juillet 2004 (« Arrêt Blaskic »), par. 219 citant Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à la forme du nouvel acte d’accusation modifié et à la requête de l’Accusation aux fins de modification dudit acte, 26 juin 2001 (« Décision Brdjanin du 26 juin 2001 »), par. 33 et 38 ; Le Procureur c/ Mrksic et consorts, affaire n° IT-95-13/1-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation, 19 juin 2003 (« Décision Mrksic »), par. 11 et 12.
12 - Arrêt Blaskic, par. 213 renvoyant notamment au Procureur c/ Krnojelac, affaire n° IT-97-25-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié, 11 février 2000 (« Décision Krnojelac du 11 février 2000 »), par. 18 et Le Procureur c/ Brdjanin et Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par Momir Talic pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié, 20 février 2001 (« Décision Brdjanin du 20 février 2001 »), par. 20.
13 - Voir infra, par. 8.
14 - Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-A, Arrêt, 17 décembre 2004 (« Arrêt Kordic »), par. 144 et 147. Voir aussi Arrêt Kvocka, par. 29.
15 - Le Procureur c/ Elizaphan et Gérard Ntakirutimana, ICTR-96-10-A et ICTR-96-17-A, Appeals Judgement, 13 décembre 2004 (« Arrêt Ntakirutimana »), par. 86, 99 et 555 ; voir aussi Le Procureur c/ Elizaphan Ntakirutimana & Gérard Ntakirutimana, ICTR-96-10-T et ICTR-96-17-T, Judgement and Sentence, 23 février 2003, par. 832 et 834. Dans cette affaire, la Chambre d’appel a estimé que la Chambre de première instance avait commis une erreur lorsqu’elle s’était fondée sur des faits essentiels qui n’avaient pas été exposés dans l’acte d’accusation pour déclarer Elizaphan Ntakirutimana coupable de complicité (aiding and abetting) de génocide. En conséquence, s’agissant de l’acte d’accusation de Mugonero, la Chambre d’appel a annulé la déclaration de culpabilité prononcée à l’encontre d’Elizaphan Ntakirutimana pour avoir transporté des assaillants au Complexe de Mugonero, et, s’agissant de l’acte d’accusation de Bisesero, elle a annulé la déclaration de culpabilité prononcée contre lui pour avoir fait partie d’un convoi de véhicules conduisant des assaillants à la colline de Kabatwa où il a désigné l’endroit où se trouvaient les Tutsis réfugiés sur la colline de Gitawa, pour avoir transporté des assaillants à l’école primaire de Mubuga et pour avoir assisté à l’attaque contre cette école à la mi-mai (Arrêt Ntakirutimana, par. 566).
16 - Pour l’application de ces principes, voir aussi Arrêt Blaskic, par. 228 et 245 où la Chambre d’appel a estimé que si le deuxième acte d’accusation modifié faisait clairement ressortir les hautes fonctions de l’appelant, il ne précisait pas quels étaient les individus et unités qui lui étaient subordonnés et n’exposait aucun fait essentiel se rapportant aux actes commis et à leurs auteurs. Toutefois, la Chambre d’appel n’était pas convaincue par les arguments qu’avait avancés l’appelant pour faire valoir que les vices de forme du deuxième acte d’accusation modifié l’avaient gêné dans la préparation de sa défense et avaient de ce fait rendu son procès inéquitable.
17 - Décision Deronjic, par. 15 (dans laquelle la Chambre de première instance a ordonné à l’Accusation d’indiquer avec précision les fonctions exercées par l’accusé, fonctions qui justifiaient la mise en cause de sa responsabilité en tant que supérieur hiérarchique).
18 - Ibidem, par. 19.
19 - Arrêt Celebici, par. 256.
20 - Décision Krnojelac du 11 février 2000, par. 18 ; Décision Brdjanin du 20 février 2001, par  19 ; Décision Krajisnik, par. 9 ; Décision Hadzihasanovic du 7 décembre 2001, par. 11 et 17 ; Décision Mrksic, par. 10.
21 - Décision Krnojelac du 11 février 2000, par. 18 ; Décision Krajisnik, par. 9 ; Décision Brdjanin du 20 février 2001, par. 19 ; Décision Hadzihasanovic du 7 décembre 2001, par. 11 ; Décision Mrksic, par. 10.
22 - Décision Krnojelac du 24 février 1999, par. 38 ; Décision Hadzihasanovic du 7 décembre 2001, par. 11 ; Décision Mrksic, par. 10.
23 - Décision Krnojelac du 11 février 2000, par. 18 ; Décision Brdjanin du 20 février 2001, par. 19 ; Décision Hadzihasanovicdu 7 décembre 2001, par. 11 ; Décision Mrksic, par. 10.
24 - Décision Krnojelac du 11 février 2000, par. 18 ; Décision Brdjanin du 20 février 2001, par  19 ; Le Procureur c/ Kvocka et consorts, affaire n° IT-98-30-PT, Décision relative aux exceptions préjudicielles de la Défense portant sur la forme de l’acte d’accusation, 12 avril 1999, par. 17 ; Décision Krajisnik, par. 9 ; Décision Hadzihasanovic du 7 décembre 2001, par. 11 ; Décision Mrksic, par. 10.
25 - Décision Brdjanin du 20 février 2001, par  19 ; Décision Krnojelac du 11 février 2000, par. 18 ; Décision Krajisnik, par. 9 ; Décision Hadzihasanovic du 7 décembre 2001, par. 11 ; Décision Deronjic, par. 7 ; Décision Mrksic, par. 10.
26 - Exception préjudicielle, par. 11.
27 - Ibidem, par. 46.
28 - Réponse, par. 9.
29 - Ibidem, par. 6.
30 - Ibid., par. 7 et 8.
31 - Le Procureur c/ Milosevic, affaire n° IT-02-54-T (« affaire Milosevic ») et Le Procureur c/ Milutinovic, Ojdanic et Sainovic, affaire n° IT-99-37-PT (« affaire Milutinovic »).
32 - Réponse, par. 5.
33 - Affaire Milutinovic, Décision relative à l’exception préjudicielle déposée par la Défense de Nikola Sainovic, 27 mars 2003.
34 - Arrêt Blaskic, par. 226 ; Arrêt Kordic, par. 144 et 147 ; Arrêt Kvocka, par. 29, 41 et 42 ; Arrêt Ntakirutimana, par. 86 et 555.
35 - Exception préjudicielle, par. 13 et 14.
36 - Réponse, par. 12.
37 - Ibidem, par. 16 et note de bas de page 34.
38 - Arrêt Kvocka, par. 29.
39 - Arrêt Blaskic, par. 226.
40 - Ibidem.
41 - Arrêt Kvocka, par. 41.
42 - Ibidem.
43 - Acte d’accusation, par. 5.
44 - Ibidem, par. 12.
45 - Ibid., par. 13.
46 - Ibid., par. 5.
47 - Ibid.
48 - Ibid., par. 29 (chef 1), 30 (chef 2, par renvoi), 32 (chefs 3 et 4) et 34 (chef 5).
49 - Exception préjudicielle, par. 15.
50 - Ibidem, par. 16.
51 - Réponse, par. 16.
52 - Ibidem, renvoyant à Le Procureur c/ Vidoje Blagojevic, Dragan Obrenovic, Dragan Nikolic et Momir Nikolic, affaire n° IT-02-60-PT, Décision relative aux exceptions préjudicielles pour vice de forme de l’Acte d’accusation conjoint modifié (« Décision Blagojevic »), 1er août 2002, par. 26.
53 - Acte d’accusation, par. 6, 20, 29, 32 et 34.
54 - Exception préjudicielle, par. 18.
55 - Réponse, par. 16.
56 - Ibidem.
57 - Voir en particulier Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999 (« Arrêt Tadic »), par. 195 à 226, dans lesquels la Chambre d’appel définit trois catégories d’affaires après avoir examiné la jurisprudence pertinente, ayant essentiellement trait à plusieurs affaires de crimes de guerre jugées après la Deuxième Guerre mondiale. Voir aussi Le Procureur c/ Milorad Krnojelac, affaire n° IT-97-25-A, Arrêt, signé le 17 septembre 2003, déposé le 5 novembre 2003 (« Arrêt Krnojelac »), par. 83 et 84.
58 - Si l’actus reus est commun aux trois formes de l’entreprise criminelle commune, la mens rea varie en fonction de la forme de l’entreprise criminelle commune envisagée ; voir Arrêt Krnojelac, par. 31 et Le Procureur c/ Mitar Vasiljevic, affaire n° IT-98-32-A, Arrêt, 25 février 2004 (« Arrêt Vasiljevic »), par. 100 et 101.
59 - Acte d’accusation, par. 7.
60 - Ibidem.
61 - Exception préjudicielle, par. 22.
62 - Ibidem, par. 23.
63 - Ibid., par. 24.
64 - Réponse, par. 20.
65 - Ibidem, par. 7, note de bas de page 12.
66 - Ibid., par. 7 et note de bas de page 15 renvoyant à l’Exception préjudicielle, par. 26.
67 - Voir infra, par. 34.
68 - Acte d’accusation, par. 29 g).
69 - Exception préjudicielle, par. 27, renvoyant à la Décision Krnojelac du 11 février 2000, par. 18.
70 - Réponse, par. 21.
71 - Ibidem, par. 8 et note de bas de page 17, renvoyant également au paragraphe 2 de l’Acte d’accusation.
72 - Ibid., par. 8 et note de bas de page 18.
73 - Ibid., note de bas de page 46.
74 - Exception préjudicielle, renvoyant à la Décision Krnojelac du 11 février 2000, par. 18.
75 - Ibidem, par. 31 à 33.
76 - Ibid., par. 34.
77 - Ibid., par. 35.
78 - Réponse, par. 23.
79 - Acte d’accusation, par. 23.
80 - Ibidem.
81 - Ibid., par. 24.
82 - Ibid., par. 25.
83 - Ibid.
84 - Exception préjudicielle, par. 37.
85 - Ibidem, par. 38.
86 - Ibid., par. 39.
87 - Ibid., par. 37.
88 - Ibid., par. 38.
89 - Ibid., par.39.
90 - Acte d’accusation, par. 20.
91 - Ibidem, par. 21.
92 - Ibid., par. 22.
93 - Ibid., par. 23.
94 - Exception préjudicielle, par. 41.
95 - Ibidem, par. 42.
96 - Réponse, par. 28 et note de bas de page 53.
97 - Acte d’accusation, par. 29 b).
98 - Ibidem, par. 29 f).
99 - Ibid., par. 29 g).
100 - Ibid., par. 29 l).