Affaire n° : IT-04-81-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
9 juin 2005

LE PROCUREUR

c/

MOMCILO PERISIC

_____________________________________________

DÉCISION SUR LA DEMANDE DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE PRÉSENTÉE PAR MOMCILO PERISIC

_____________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Chester Stamp
M. Karim Agha

Le Conseil de l’Accusé :

M. James Castle

 

LA PRÉSENTE CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis  1991 (le « Tribunal international »),

VU la demande de mise en liberté provisoire déposée par la Défense de Momcilo Perisic (l’« Accusé ») le 11 mai 2005 (la « Demande »), par laquelle l’Accusé fait valoir que l’examen des circonstances particulières de l’espèce à la lumière de la jurisprudence du Tribunal international1 pousse à une mise en liberté provisoire,

ATTENDU que l’article 65 B) (« Mise en liberté provisoire ») du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement ») exige de la personne qui demande sa mise en liberté provisoire qu’elle convainque la Chambre de première instance : i) qu’elle comparaîtra au procès ; et ii) que, si elle est libérée, elle ne mettra en danger aucune victime, aucun témoin ni aucune autre personne 2,

VU la réponse du Procureur à la Demande de mise en liberté provisoire ( Prosecution’s Reponse to Defence Motion for Provisional Release) déposée le 25 mai 2005 (la « Réponse »), par laquelle l’Accusation prie la Chambre de rejeter la Demande aux motifs que a) la gravité des accusations portées contre l’Accusé et ses hautes fonctions lui vaudront probablement une lourde peine s’il est reconnu coupable, b) les autorités de la République de Serbie et de Serbie-et-Monténégro qui doivent donner les garanties nécessaires3 pour l’Accusé doivent toujours arrêter « un accusé » et le transférer au Tribunal international, et c) tout en reconnaissant qu’il est inévitable que le procès ne s’ouvre pas avant longtemps, l’Accusation fait en sorte que la mise en état soit accélérée et que l’affaire soit inscrite au rôle dans les délais les plus brefs,

ATTENDU qu’une Chambre de première instance doit préciser tous les éléments dont elle a tenu compte pour prendre sa décision, et, en particulier, les circonstances de l’affaire dont elle est saisie4,

ATTENDU que figurent au nombre des éléments dont il a été reconnu qu’ils étaient à prendre en compte lors de l’examen d’une demande de mise en liberté provisoire5 :

a. la gravité des crimes reprochés à l’Accusé ;

b. la longueur de la peine d’emprisonnement encourue ;

c. les circonstances de sa reddition ;

d. le degré de coopération des autorités du pays où l’Accusé demande à être libéré  ;

e. les garanties offertes par les autorités de cet État, et par l’Accusé lui-même ; en particulier les garanties étatiques doivent être appréciées eu égard aux fonctions exercées par l’Accusé ;

f. la probabilité que les autorités compétentes arrêteront de nouveau l’Accusé s’il contrevient aux conditions posées pour sa mise en liberté et s’il refuse de se livrer  ; et

g. le degré de coopération de l’Accusé avec l’Accusation ;

h. tout ce qui laisse supposer que l’Accusé a entravé le cours de la justice depuis que l’acte d’accusation établi à son encontre a été confirmé ;

ATTENDU que c’est à l’Accusé de rapporter la preuve, sur la base de l’hypothèse la plus probable, que les deux conditions posées pour une mise en liberté provisoire sont réunies6,

ATTENDU que, malgré les crimes graves reprochés à l’Accusé et la longue peine d’emprisonnement qu’il encourt, la présente Chambre de première instance a déjà souligné que « la gravité des accusations ne suffit pas à elle seule à justifier de longues périodes de détention provisoire7  », ce qu’a confirmé la Chambre d’appel8,

ATTENDU que l’Accusé s’est livré au Tribunal international le 7 mars 2005, trois jours après que l’acte d’accusation lui eut été signifié dans les formes,

ATTENDU que les autorités de Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie coopèrent depuis quelques mois plus étroitement avec le Tribunal international 9,

ATTENDU que lesdites autorités se sont engagées à « assurer, à la demande des Chambres, la présence de Momcilo Perisic devant le Tribunal international à n’importe quelle date fixée par ce dernier », et, notamment, qu’elles reconnaissent l’obligation qui leur est faite d’arrêter l’Accusé si celui-ci venait à violer toute condition mise à son élargissement10,

ATTENDU que, s’il est vrai que l’Accusé a exercé de hautes fonctions, la Chambre de première instance a récemment décidé la mise en liberté provisoire d’autres accusés de rang comparable sur la foi des garanties données par la Serbie-et-Monténégro et la République de Serbie11,

ATTENDU que l’Accusé a coopéré avec l’Accusation en se soumettant à un interrogatoire approfondi et en faisant de longues déclarations qui ont été enregistrées sur 35 disques compacts12,

VU la garantie personnelle annexée à la Demande par laquelle l’Accusé s’engage, s’il est libéré, à respecter toutes les conditions imposées par la Chambre, et, notamment, à n’avoir aucun contact avec les victimes et les témoins de son affaire, et à n’entraver d’aucune manière le cours de la justice13,

ATTENDU EN OUTRE que rien n’indique que l’Accusé ait entravé le cours de la justice depuis la confirmation de l’acte d’accusation établi à son encontre, et que rien ne permet de penser qu’il mettra en danger d’autres personnes s’il est libéré,

ATTENDU que, bien que la non-arrestation de fugitifs soit une source de préoccupation, les garanties étatiques doivent être appréciées eu égard aux circonstances de l’espèce14 ; dans les circonstances de l’espèce, la Chambre de première instance juge bon de prendre en compte les garanties offertes par les autorités de la République de Serbie et de Serbie-et-Monténégro,

ATTENDU qu’il est du devoir de la Chambre de première instance de veiller à ce que la mise en état s’effectue sans trop de retard et que l’affaire soit inscrite au rôle dans un délai tel que soit respecté le droit de l’accusé à être jugé sans retard excessif15, et que l’Accusation n’a pas indiqué ce qui conférerait à la Chambre de première instance le pouvoir d’inscrire l’affaire au rôle dans les délais les plus brefs et de lui donner la préséance sur d’autres affaires,

ATTENDU que le Greffier a adressé une copie certifiée conforme de la Demande aux autorités compétentes des Pays-Bas, en invitant celles-ci à présenter les observations du pays hôte à ce sujet, et qu’il n’a reçu aucune réponse depuis le dépôt de la Demande il y a quatre semaines, et que la condition posée à l’article 65 B), à savoir que le pays hôte doit avoir la possibilité d’être entendu, est bien remplie,

ATTENDU que les garanties offertes par le Conseil des ministres de Serbie -et-Monténégro et par le Gouvernement de la République serbe16 indiquent que « l’État où l’accusé souhaite être libéré » a eu la possibilité d’être entendu,

ATTENDU que l’Accusé a convaincu la Chambre que, s’il est libéré, il se représentera au procès et ne mettra nulle personne en danger,

ATTENDU que l’article 65 C) dispose que « [l]a Chambre de première instance peut subordonner la mise en liberté provisoire de l’accusé aux conditions qu’elle juge appropriées, y compris la mise en place d’un cautionnement et, le cas échéant, l’observation de conditions nécessaires pour garantir la présence de l’accusé au procès et la protection d’autrui »,

ATTENDU que, conformément à l’article 65 E), l’Accusation demande un sursis à l’exécution de toute décision de mise en liberté afin d’interjeter appel,

EN APPLICATION de l’article 65 du Règlement,

FAIT DROIT à la demande de mise en liberté et à celle de sursis à l’exécution déposée par l’Accusation et

1) ORDONNE la mise en liberté provisoire de Momcilo Perisic aux conditions suivantes :

a) l’Accusé sera conduit à l’aéroport international de Schiphol (Pays-Bas) par les autorités néerlandaises ;

b) à l’aéroport de Schiphol, l’Accusé sera provisoirement remis à la garde d’un représentant de l’État de Serbie-et-Monténégro, qui sera désigné avant la mise en liberté conformément au paragraphe 2 a) du dispositif, et qui escortera l’Accusé durant le reste du trajet vers la Serbie-et-Monténégro jusqu’à son domicile ;

c) à son retour, l’Accusé sera escorté par le même représentant de l’ État de Serbie -et-Monténégro, qui remettra l’Accusé à la garde des autorités néerlandaises à l’aéroport de Schiphol à la date et à l’heure fixées par ordonnance de la Chambre de première instance, après quoi les autorités néerlandaises reconduiront l’Accusé au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye ;

d) pendant sa liberté provisoire, l’Accusé observera les conditions suivantes, et les autorités de Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie, notamment la police locale, veilleront au respect desdites conditions :

i) il communiquera l’adresse de son domicile au Ministre de la justice et au Greffier du Tribunal international avant de quitter le Quartier pénitentiaire des Nations Unies de La Haye ;

ii) il demeurera dans les limites de la municipalité de Belgrade ;

ii) il remettra son passeport au Ministre de la justice ;

iv) il se rendra chaque jour au bureau de la police de Belgrade qui lui aura été désigné par le Ministre de la justice ;

v) il consentira à ce que le Ministre de la justice vérifie auprès de la police locale sa présence et acceptera des visites domiciliaires faites à l’improviste par ledit Ministre ou par une personne désignée par le Greffier du Tribunal international  ;

vi) il s’abstiendra de tout contact avec les coaccusés en l’espèce ;

vii) il n’aura aucun contact ni n’exercera aucune pression d’aucune sorte sur une victime ou un témoin potentiel et ne tentera pas d’entraver le cours de la justice ;

viii) il n’évoquera lui procès qui lui est fait avec personne d’autre que son conseil, et notamment pas avec les médias ;

ix) il continuera à coopérer avec le Tribunal international ;

x) il respectera strictement les conditions posées par les autorités de Serbie-et -Monténégro et de la République de Serbie pour leur permettre de s’acquitter des obligations qui découlent pour elles de la présente ordonnance et des garanties qu’elles ont données ;

xi) il se représentera devant le Tribunal international à la date et à l’heure fixées par la Chambre de première instance ; et

xii) il se conformera strictement à toute nouvelle ordonnance de la Chambre de première instance modifiant les conditions de la liberté provisoire ou y mettant fin ;

2) DEMANDE que les autorités de Serbie-et-Monténégro et de la République de Serbie s’engagent à :

a) désigner un représentant des autorités de Serbie-et-Monténégro sous la garde duquel l’Accusé sera provisoirement libéré et qui l’accompagnera de l’aéroport de Schiphol à son domicile en Serbie-et-Monténégro, et informer dès que possible la Chambre de première instance et le Greffier du Tribunal international du nom dudit représentant ;

b) garantir la sécurité personnelle de l’Accusé pendant sa liberté provisoire ;

c) prendre en charge tous les frais de transport de l’Accusé de l’aéroport de Schiphol à Belgrade à l’aller comme au retour ;

d) prendre en charge tous les frais d’hébergement de l’Accusé pendant sa liberté provisoire et toutes les dépenses encourues pour assurer sa sécurité ;

e) à la demande de la Chambre de première instance ou des parties, faciliter la coopération et les communications entre les parties sous toutes leurs formes et garantir la confidentialité desdites communications ;

f) soumettre un rapport écrit à la Chambre de première instance tous les mois sur le respect par l’Accusé des termes de la présente ordonnance ;

g) procéder immédiatement à l’arrestation et à l’incarcération de l’Accusé s’il enfreint une quelconque des conditions posées dans la présente ordonnance, et

h) signaler immédiatement à la Chambre de première instance tout manquement aux conditions indiquées plus haut ;

3) DONNE INSTRUCTION au Greffier du Tribunal international de consulter le Ministère de la justice des Pays-Bas quant aux modalités pratiques de la mise en liberté de l’Accusé et de maintenir celui-ci en détention au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye jusqu’à ce que la Chambre de première instance et le Greffier aient été informés du nom du représentant désigné par les autorités de Serbie-et-Monténégro sous la garde duquel l’Accusé doit être libéré à titre provisoire,

4) DEMANDE aux autorités de tous les États que traversera l’Accusé :

a. d’assurer la garde de l’Accusé tant que celui-ci sera en transit à l’aéroport  ;

b. de procéder à l’arrestation et à la détention de l’Accusé, s’il tentait de s’enfuir et de le maintenir en détention en attendant son transfert au Quartier pénitentiaire des Nations Unies à La Haye ; et

5) SURSOIT à l’exécution de la décision de mise en liberté provisoire de Momcilo Perisic en attendant que l’Accusation interjette appel en application de l’article 65 D), E), F) et G) du Règlement.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 9 juin 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président
_______________
Patrick Robinson

[Sceau du Tribunal]


1 - Le Procureur c/ Sainovic et Ojdanic, affaire n° IT-99-37-AR65, Décision relative à la mise en liberté provisoire, 30 octobre 2002 (la « Décision Sainovic de la Chambre d’appel »).
2 - Le Procureur c/ Sainovic et Ojdanic, affaire n° IT-99-37-PT, Décision relative aux requêtes déposées par Nikola Sainovic et Dragoljub Ojdanic aux fins de mise en liberté provisoire, 26 juin 2002, par. 11, citant Le Procureur c/ Blagojevic et consorts, affaire n° IT-02-53-AR65, Décision relative à la demande d’autorisation de faire appel de Dragan Jokic, 18 avril 2002, par. 7.
3 - Voir les garanties données par le Conseil des ministres de Serbie-et-Monténégro en application d’une décision du 3 mars 2005 (les « Garanties de Serbie-et-Monténégro ») ; et la résolution du Gouvernement de la République de Serbie du 3 mars 2005 (les « Garanties de la République de Serbie »)
4 - Le Procureur c/ Lazarevic, affaire n° IT-03-70-PT, Décision relative à la demande de mise en liberté provisoire, 14 avril 2005 (« Décision Lazarevic »), p. 2, citant Le Procureur c/ Stanisic, affaire n° IT-03-69-PT, Décision relative à la mise en liberté provisoire, 28 juillet 2004 (« Décision Stanisic de la Chambre de première instance »), par. 10.
5 - Ibid., p. 2 ; Décision Sainovic de la Chambre d’Appel, cf. supra note 1, par. 6.
6 - Décision Lazarevic, supra note 4, p. 2 et 3, citant la Décision Stanisic de la Chambre de première instance, supra, note 4, par. 14.
7 - Décision Stanisic de la Chambre de première instance, supra note 4, par. 22.
8 - Décision Lazarevic, supra note 4, p. 2-3 ; Le Procureur c/ Stanisic, affaire n° IT-03-69-AR65.1, Décision sur l’appel interjeté par l’Accusation contre la décision d’accorder la mise en liberté provisoire, 3 décembre 2004, par. 27 ; Le Procureur c/ Simatovic, affaire n° IT-03-69-AR65.2, Décision relative à l’appel interjeté par l’Accusation contre la décision d’accorder la mise en liberté provisoire, 3 décembre 2004, par. 15, Le Procureur c/ Ivan Cermak et Mladen Markac, affaire n° IT-03-73-AR 65.1, Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté contre la décision de la Chambre de première instance de refuser la mise en liberté provisoire, 2 décembre 2004 (« Décision Cermak de la Chambre d’appel »), par. 26.
9 - Le Procureur c/ Milutinovic, Affaire N° IT-99-37-PT, Décision relative à la deuxième demande de mise en liberté provisoire, 14 avril 2005, par. 21.
10 - Voir les Garanties de Serbie-et-Monténégro et les Garanties de la République de Serbie, supra, note 3.
11 - Le Procureur c/ Milutinovic, affaire n° IT-99-37-PT, Décision sur la seconde demande de liberté provisoire, 14 avril 2005 ; Le Procureur c/ Ojdanic, affaire n° IT-99-37-PT, Décision relative à la quatrième demande de liberté provisoire, 14 avril 2005 ; Le Procureur contre Sainovic, affaire n° IT-99-37-PT, Décision sur la troisième requête de la défense aux fins de mise en liberté provisoire, 14 avril 2005.
12 - Requête, par. 21.
13 - Garanties personnelles de Momcilo Perisic, Requête, annexe C.
14 - Décision Sainovic de la Chambre d’appel, supra, note 1, par. 7 ; Décision Cermak de la Chambre d’appel, supra, note 8, par. 33.
15 - Article 21 4) du Statut.
16 - Voir les Garanties de Serbie-et-Monténégro, et les Garanties de la République de Serbie, supra note 3.