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1 Le mardi 6 septembre 2011
2 [Jugement]
3 [Audience publique]
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 11 heures 00.
6 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Bonjour à tous.
7 Madame -- excusez-moi, Monsieur le Greffier, veuillez citer le numéro de
8 l'affaire inscrite au rôle.
9 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les Juges.
10 Ceci est l'affaire IT-04-81-T, le Procureur contre Momcilo Perisic. Je vous
11 remercie.
12 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
13 Pouvons-nous avoir les présentations pour cette audience, en commençant par
14 l'Accusation.
15 M. SAXON : [interprétation] Bonjour. Carmela Javier, Rafael La Cruz, April
16 Carter et Daniel Saxon pour l'Accusation aujourd'hui, Monsieur le
17 Président.
18 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup, Monsieur Saxon.
19 Et la Défense.
20 M. LUKIC : [interprétation] Bonjour, Madame et Monsieur les Juges, Monsieur
21 le Président. Bonjour à toutes les parties. Aujourd'hui, M. Perisic est
22 représenté par Me Gregor Guy-Smith, par Me Novak Lukic, Mme Tina Drolec,
23 Sladojevic [phon], et Deirdre Montgomery, ainsi que Chad Mair.
24 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
25 La Chambre de première instance va maintenant rendre son jugement dans
26 l'affaire le Procureur contre Momcilo Perisic.
27 Cette audience a pour objet de prononcer des conclusions abrégées de la
28 Chambre. Je souligne qu'il s'agit d'un résumé du jugement dont la version
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1 écrite intégrale et faisant foi sera disponible à la fin de l'audience.
2 Ce procès a duré presque trois ans. La Chambre a entendu plus de 100
3 témoins et versé 3 794 pièces à conviction au dossier.
4 Momcilo Perisic est général à la retraite de l'armée yougoslave. Le 26 août
5 1993, il était nommé chef de l'état-major général de l'armée yougoslave,
6 poste qu'il devait conserver jusqu'au 24 novembre 1998. Pendant cette
7 période, le général Perisic était l'officier supérieur le plus haut gradé
8 de l'armée yougoslave dont le siège était à Belgrade, en Serbie.
9 En application de l'article 7(1) du Statut, le général Perisic est accusé
10 d'avoir aidé et encouragé l'armée de la Republika Srpska, ou VRS, à
11 commettre des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité entre 1993
12 et 1995 à Sarajevo et à Srebrenica en Bosnie.
13 L'Accusation allègue que durant toute la guerre en Bosnie, la VRS a mené
14 une campagne de bombardements et de tirs isolés visant les civils de
15 Sarajevo. Elle affirme qu'en sa qualité de chef de l'armée yougoslave, le
16 général Perisic a sciemment aidé et encouragé à commettre les crimes
17 d'assassinats, d'actes inhumains et d'attaques contre des civils à Sarajevo
18 en fournissant une aide substantielle à la VRS. Selon l'Accusation, cette
19 aide incluait la fourniture de quantités considérables d'armes et le
20 paiement de soldes, ainsi que d'autres prestations consenties aux officiers
21 les plus haut gradés de la VRS, dont Ratko Mladic, le commandant de la VRS.
22 L'Accusation affirme, en outre, qu'en fournissant une aide logistique et en
23 personnel, le général Perisic a aidé et encouragé la VRS à commettre les
24 crimes d'assassinats, d'actes inhumains, de persécutions et
25 d'exterminations lors de la prise de Srebrenica par la VRS en 1995.
26 En application de l'article 7(3) du Statut, outre le fait d'avoir aidé et
27 encouragé, le général Perisic est également accusé d'avoir manqué à
28 l'obligation d'empêcher les crimes commis par ses subordonnés et/ou de
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1 punir ces derniers pour leurs comportements criminels. Les crimes en
2 question comprennent les crimes déjà cités commis à Sarajevo et Srebrenica,
3 ainsi que les crimes distincts d'assassinats, d'actes inhumains et
4 d'attaques contre des civils commis lors du bombardement de Zagreb, en
5 Croatie, par l'armée de la Krajina serbe, ou SVK.
6 Avant d'examiner la responsabilité pénale individuelle du général Perisic,
7 la Chambre va faire connaître ses conclusions quant aux crimes commis à
8 Sarajevo, Srebrenica et Zagreb.
9 La Chambre de première instance conclut que de septembre 1992 à novembre
10 1995, la VRS a mené une longue campagne de bombardements et de tirs isolés
11 à Sarajevo, causant des centaines de morts et des milliers de blessés parmi
12 les civils. Ayant examiné les circonstances de neuf cas de bombardements et
13 de dix cas de tirs isolés à Sarajevo, la Chambre conclut que la VRS a
14 commis les crimes suivants : l'assassinat, crime contre l'humanité, le
15 meurtre, crime de guerre, des actes inhumains, crime contre l'humanité, et
16 des attaques contre des civils, crime de guerre.
17 Durant l'été 1995, la VRS a envahi la ville de Srebrenica, précédemment
18 déclarée zone de sécurité par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
19 Après avoir conquis Srebrenica, la VRS a procédé au transfert forcé et au
20 massacre de milliers de Musulmans, en l'occurrence des civils et des
21 personnes ne prenant pas part aux hostilités. La Chambre conclut que la VRS
22 a commis les crimes suivants : assassinat, crime contre l'humanité, le
23 meurtre, crime de guerre, les actes inhumains, crime contre l'humanité, des
24 persécutions, crime contre l'humanité, et l'extermination, crime contre
25 l'humanité.
26 La Chambre de première instance a établi que la SVK a tiré cinq roquettes
27 sur la ville de Zagreb le 2 mai 1995, tuant cinq personnes et en blessant
28 46. La SVK a de nouveau tiré des roquettes sur Zagreb le jour suivant,
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1 tuant deux personnes et en blessant 54. La Chambre conclut que la SVK a
2 commis les crimes suivants : l'assassinat, crime contre l'humanité, le
3 meurtre, crime de guerre, des actes inhumains, crimes contre l'humanité, et
4 des attaques contre des civils, crime de guerre.
5 Après avoir conclu à la commission de crimes à Sarajevo, Srebrenica et
6 Zagreb, je vais à présent résumer les conclusions de la Chambre relatives à
7 l'aide logistique et en personnel que le général Perisic, selon
8 l'Accusation, a fournie à la VRS et à la SVK pendant leurs opérations en
9 Bosnie et en Croatie.
10 La Chambre de première instance conclut que le général Perisic supervisait
11 l'aide logistique considérable que l'armée yougoslave fournissait à la VRS
12 et à la SVK, qui comprenait notamment de grandes quantités de munitions
13 tant d'infanterie que d'artillerie, du carburant, des pièces détachées, des
14 formations et une assistance technique.
15 Avant que le général Perisic n'en devienne le chef en août 1993, l'armée
16 yougoslave fournissait déjà un soutien logistique à la VRS et à la SVK.
17 Cependant, ce soutien logistique est devenu plus centralisé, plus structuré
18 et mieux coordonné durant la période où le général Perisic était chef de
19 l'état-major général. En cette qualité, il a organisé une procédure
20 d'approvisionnement prévoyant l'examen des demandes de soutien logistique
21 par l'état-major général. Il rencontrait aussi régulièrement les généraux
22 Mladic et Celeketic, commandants respectifs de la VRS et de la SVK, afin de
23 s'entretenir avec eux des besoins de leurs armées sur le plan militaire.
24 Bien qu'ils n'eussent pas répondu favorablement à toutes les demandes
25 d'assistance, le général Perisic et l'état-major général de l'armée
26 yougoslave en ont approuvé une vaste proportion, y compris la fourniture de
27 millions de balles et de milliers d'obus. Ainsi, l'état-major de la VRS
28 estimait-il, en 1994, avoir obtenu de l'armée yougoslave plus de 25 000 000
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1 balles et plus de 7 500 obus, entre autres munitions.
2 Le conseil suprême de la Défense de la République fédérale de Yougoslavie a
3 donné au général Perisic et à l'armée yougoslave autorité pour fournir un
4 soutien logistique à la VRS et à la SVK. Bien que le général Perisic n'eût
5 pas été officiellement membre du conseil suprême de la Défense, il
6 participait aux réunions du conseil aux côtés de ses membres, et notamment
7 de Slobodan Milosevic et Zoran Lilic, qui étaient à l'époque président de
8 la Serbie et président de la République fédérale de Yougoslavie,
9 respectivement. Le général Perisic priait instamment et régulièrement les
10 membres du conseil de continuer à fournir un soutien logistique important à
11 la VRS et à la SVK, arguant avec insistance qu'elles seraient incapables de
12 faire la guerre sans un soutien militaire conséquent.
13 Bien que la communauté internationale eût déployé des observateurs le long
14 de la frontière entre la Yougoslavie et la Bosnie, les autorités serbes
15 étaient capables de se soustraire à leur surveillance. Les sanctions
16 décidées par la communauté internationale n'empêchaient pas la VRS et la
17 SVK de recevoir régulièrement des quantités d'armes considérables en
18 provenance de Serbie.
19 La Chambre va à présent aborder l'aide en personnel supervisée par le
20 général Perisic.
21 Un grand nombre d'officiers de la VRS et de la SVK était issu des rangs de
22 l'armée yougoslave. Ils demeuraient officiellement membres de cette
23 dernière, même pendant qu'ils combattaient en Bosnie et en Croatie sous la
24 bannière de la VRS et de la SVK. Le général Perisic a avancé et
25 méticuleusement mis en œuvre l'idée de créer des "centres d'affectation du
26 personnel" afin de régulariser le statut de ces officiers et de permettre
27 leur maintien légal au sein des rangs de l'armée yougoslave. Ainsi, les
28 officiers concernés de la VRS ont-ils conservé leurs soldes et leurs autres
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1 prestations en qualité de membres de l'armée yougoslave par le truchement
2 du 30e Centre d'affectation du personnel, les officiers concernés de la SVK
3 passant quant à eux par le 40e Centre d'affectation du personnel. Le
4 général Perisic entendait également que le système des centres
5 d'affectation du personnel contribua à légaliser le déploiement de
6 personnel supplémentaire au sein de la VRS et de la SVK.
7 En décembre 1993, le général Perisic a affirmé que plus de 7 000 officiers
8 de l'armée yougoslave étaient en service au sein de la VRS et de la SVK par
9 l'intermédiaire des centres d'affectation du personnel. Malgré la libre
10 acceptation de leur transfert par nombre d'officiers, le général Perisic a
11 clairement fait savoir que ceux qui refuseraient d'être affectés au sein de
12 la VRS ou de la SVK seraient, d'une façon ou d'une autre, rayés des cadres
13 de l'armée yougoslave. Le général Perisic et d'autres hauts dirigeants
14 yougoslaves s'efforçaient de garder secrète la fonction réelle des centres
15 d'affectation du personnel afin d'éviter des critiques et sanctions
16 supplémentaires de la part de la communauté internationale.
17 La Chambre va à présent résumer ses conclusions juridiques relatives aux
18 chefs d'accusation retenus en application de l'article 7(1), en
19 l'occurrence le fait d'avoir aidé et encouragé.
20 Les considérations et conclusions qui suivent sont celles de la majorité,
21 M. le Juge Moloto faisant valoir son opinion dissidente. La majorité
22 conclut que les crimes commis étaient inséparablement liés aux objectifs et
23 à la stratégie de guerre de la VRS. La VRS était loin de faire la
24 distinction entre cibles civiles et militaires. En réalité, elle prenait
25 systématiquement pour cibles les civils musulmans de Bosnie. Les crimes
26 imputés en l'espèce n'ont pas été le fait de soldats incontrôlés agissant
27 en toute indépendance. Ils s'inscrivaient dans une campagne de grande
28 envergure supervisée par des officiers de haut rang de la VRS qui
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1 continuaient d'être payés par l'armée yougoslave, y compris le général
2 Mladic.
3 Ce n'est pas le fait d'avoir aidé la VRS à faire la guerre qui en soi est
4 reproché au général Perisic. La stratégie de la VRS n'établissait aucune
5 distinction claire entre la guerre menée contre les troupes des Musulmans
6 de Bosnie et les attaques visant des civils musulmans. Le général Perisic a
7 usé à maintes reprises de son autorité afin de fournir une aide logistique
8 et en personnel qui permettait à la VRS de mener une guerre dont il savait
9 qu'elle comprenait la commission systématique de crimes contre les civils
10 musulmans.
11 Le siège de Sarajevo, suivi des bombardements et tirs isolés prenant pour
12 cibles les civils assiégés constituaient des moyens de mettre en œuvre
13 l'objectif des Serbes de Bosnie visant à diviser Sarajevo en zones serbes
14 et musulmanes. Les attaques visant des civils avaient pour objectif
15 d'effrayer la population, de saper son moral et de déstabiliser la Bosnie-
16 Herzégovine en tant qu'Etat.
17 Un autre objectif des Serbes de Bosnie consistait en la mise en place d'un
18 couloir dans la vallée de la Drina et la fin du statut de la Drina en tant
19 que frontière entre la Serbie et la Republika Srpska. Ce but a été
20 poursuivi par des moyens criminels, les dirigeants des Serbes de Bosnie
21 entendant éliminer les enclaves musulmanes de cette région. Une fois
22 l'enclave de Srebrenica tombée entre ses mains, la VRS a procédé au
23 transfert forcé et au massacre de la population musulmane de l'enclave en
24 commettant des atrocités de grande ampleur.
25 Dans la conduite de ces opérations à Sarajevo et Srebrenica, la VRS
26 dépendait en grande partie de l'aide logistique et en personnel supervisée
27 par le général Perisic. La majorité conclut que les actes du général
28 Perisic ont eu un effet important sur les crimes commis par la VRS, parce
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1 que les opérations militaires de cette dernière comprenaient la commission
2 systématique de crimes contre des civils. Outre les dépositions des
3 témoins, la majorité fonde également ses conclusions sur maintes sources
4 d'informations, y compris les bordereaux de livraison, fiches du personnel,
5 rapports militaires internes, enregistrement de communications et procès-
6 verbaux du conseil suprême de la Défense consignant les discussions menées
7 entre le général Perisic, Slobodan Milosevic, Zoran Lilic et d'autres hauts
8 dirigeants.
9 Ainsi qu'il a été dit plus haut, le général Perisic supervisait le soutien
10 logistique complet de l'armée yougoslave à la VRS. Une partie de cette aide
11 a été fournie à des unités de la VRS, parties prenantes aux crimes imputés;
12 le Corps de la Drina, par exemple, ainsi que le Corps de la Krajina, et le
13 Corps de Sarajevo-Romanija. Dans l'ensemble, le soutien logistique de
14 l'armée yougoslave était essentiel aux fonctionnements de la VRS car les
15 ressources de cette dernière étaient limitées, sa situation financière
16 était précaire, et ses réserves de munitions s'épuisaient dangereusement à
17 mesure que la guerre évoluait.
18 A maintes reprises, la direction des Serbes de Bosnie a pressé le général
19 Perisic de continuer à envoyer de l'aide, car elle était parfaitement
20 consciente que ses opérations militaires dépendaient en grande partie du
21 soutien de l'armée yougoslave. Ainsi, Radovan Karadzic a-t-il reconnu que,
22 je cite, "rien n'arrivera sans la Serbie. Nous n'avons pas de telles
23 ressources et nous serions incapables de combattre." De même, le général
24 Mladic a reconnu que, je cite, "Nous ne pourrions pas vivre" si l'aide
25 était interrompue. A plusieurs occasions, le général Perisic lui-même a
26 déclaré qu'à défaut de cette assistance militaire, la VRS aurait eu à faire
27 face à des difficultés bien plus grandes dans la guerre. Slobodan Milosevic
28 a observé que, je cite, "tout ce qui a été fait l'a été là-bas grâce à la
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1 Serbie et à l'armée," des propos auxquels le général Perisic a souscrit.
2 Le général Perisic a non seulement organisé le système d'assistance
3 logistique, mais a également joué un rôle essentiel dans la création du 30e
4 Centre d'affectation du personnel afin de desservir les besoins des
5 principaux officiers de la VRS. Outre le général Mladic, les membres du 30e
6 Centre d'affectation du personnel comprenaient des officiers supérieurs
7 responsables de crimes à Sarajevo et/ou à Srebrenica, à savoir Stanislav
8 Galic, Dragomir Milosevic, Milenko Zivanovic, Radislav Krstic, Vujadin
9 Popovic, Vinko Pandurevic, Milan Gvero, Ljubisa Beara, Radivoje Miletic, et
10 Dragan Obrenovic. Ces officiers ont continué à recevoir leurs soldes en
11 tant que membres de l'armée yougoslave. De surcroît, en tant que membres de
12 cette armée, ils ont conservé tous leurs droits et avantages, perçu des
13 indemnités en cas de service dans des conditions difficiles, des indemnités
14 de logement, de retraite, ainsi qu'une assurance maladie et des soins
15 médicaux pour eux-mêmes et pour leurs familles.
16 La majorité conclut que l'objectif du général Perisic était d'aider la VRS
17 à garder et recruter des officiers qualifiés en offrant ces droits et ces
18 avantages comme autant de mesures pour les encourager à servir au sein de
19 la VRS. Le général Perisic était parfaitement informé que le paiement des
20 soldes était, pour reprendre ses propos, je cite, "très utile" à la VRS. La
21 Republika Srpska avait de sérieuses difficultés à rémunérer le personnel de
22 la VRS compte tenu de ses énormes problèmes financiers.
23 En dernier lieu, la majorité conclut que le général Perisic savait que des
24 crimes graves contre les civils s'inscrivaient dans le cadre des opérations
25 de la VRS. Le général Perisic recevait des informations de provenances
26 multiples à propos du comportement criminel de la VRS et de son intention
27 discriminatoire à l'encontre des Musulmans. Sous la direction du général
28 Perisic, les organes de sécurité et du renseignement de l'armée yougoslave
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1 suivaient les avis et les opinions de la communauté et des médias
2 internationaux à propos du conflit en Bosnie-Herzégovine. L'état-major
3 principal de l'armée yougoslave recevait aussi des rapports diplomatiques
4 sur les sessions du Conseil de sécurité des Nations Unies relatives aux
5 sévices graves dont faisaient l'objet les civils à Sarajevo et dans
6 d'autres lieux de Bosnie-Herzégovine.
7 Le général Perisic était notamment informé du fait que la VRS menait une
8 campagne de tirs isolés et de bombardements contre les civils pendant le
9 siège de Sarajevo. Ces attaques régulières ont été décrites dans de
10 nombreux documents et largement diffusées pendant trois ans. Le général
11 Perisic n'aurait pas pu raisonnablement faire abstraction de ces
12 informations simplement parce que, avec ses alliés, ils considéraient
13 qu'elles représentaient un parti pris contre les Serbes. Le fait que les
14 informations pouvaient être, dans certains cas, partiales ou partisanes ne
15 remet pas en cause la conclusion selon laquelle le général Perisic était
16 informé des crimes de la VRS à Sarajevo; notamment, des meurtres et
17 assassinats, ainsi que des attaques contre les civils et des actes
18 inhumains.
19 En ce qui concerne les atrocités commises durant la prise de Srebrenica en
20 juillet 1995, la majorité souligne que le général Perisic avait déjà été
21 informé bien avant cette tragédie de la propension de la VRS à cibler des
22 civils. En outre, il était conscient de l'escalade des tensions et des
23 préparatifs d'attaques militaires de la VRS dans la zone de Srebrenica. La
24 majorité est convaincue que le général Perisic savait qu'il était
25 extrêmement probable que la VRS transférerait de force les Musulmans de
26 Bosnie et commettrait des meurtres, assassinats et autres sévices avec
27 intention discriminatoire après la chute de Srebrenica sous contrôle de la
28 VRS. En d'autres termes, le général Perisic savait qu'il était
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1 vraisemblable que la VRS commettrait les crimes de meurtres, assassinats,
2 actes inhumains et persécutions à Srebrenica.
3 Toutefois, la Chambre de première instance conclut à l'unanimité que les
4 éléments de preuve ne démontrent pas au-delà de tout doute raisonnable que
5 le général Perisic, compte tenu de sa connaissance du comportement
6 antérieur de la VRS, aurait pu raisonnablement prévoir que la VRS allait se
7 lancer dans l'extermination radicale et systématique de milliers de
8 Musulmans à Srebrenica.
9 La Chambre de première instance va maintenant présenter ses conclusions
10 relatives aux chefs d'accusation relevant de l'article 7(3) du Statut.
11 La Chambre de première instance rappelle que le général Perisic a non
12 seulement aidé et encouragé les crimes, mais qu'il est également accusé de
13 n'avoir pas pu empêcher les crimes commis par ses subordonnés et/ou de ne
14 pas les avoir punis pour leur comportement criminel.
15 Pour que le général Perisic soit considéré coupable en vertu de ce mode de
16 participation, la Chambre doit déterminer s'il existait un lien de
17 subordination entre le général Perisic et les auteurs de crimes, notamment
18 s'il exerçait un contrôle effectif sur ces derniers. La Chambre souligne
19 qu'une simple coopération ou que le simple fait de pouvoir exercer une
20 influence ne suffisent pas à établir l'existence d'un contrôle effectif.
21 Premièrement, la Chambre conclut que les crimes de la VRS à Sarajevo et à
22 Srebrenica ont été commis par des officiers qui de jure étaient subordonnés
23 au général Perisic, à savoir des officiers membres du 30e Centre
24 d'affectation du personnel qui faisaient toujours officiellement partie de
25 l'armée yougoslave. Cependant, l'exercice d'un pouvoir de jure en l'absence
26 d'une enquête relative à la situation de facto ne suffit généralement pas à
27 établir le contrôle effectif conformément à la norme applicable, pour ce
28 faire des preuves de la capacité matérielle à prévenir ou sanctionner le
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1 comportement criminel des subordonnés sont exigées.
2 Aucune preuve d'ordres ou de commandement du général Perisic aux membres du
3 30e Centre d'affectation du personnel ou de poursuites disciplinaires ou
4 pénales engagées par Perisic contre eux n'ont été versées au dossier de
5 l'affaire. Il ressort plutôt de la preuve que le général Perisic n'avait
6 pas la capacité d'imposer des ordres contraignants au général Mladic, le
7 commandant de la VRS, qui a toujours gardé une certaine indépendance
8 pendant toute la guerre. Même si le général Perisic a eu une relation de
9 collaboration avec Mladic, et a considérablement aidé ses opérations, les
10 éléments de preuve ne démontrent pas qu'il exerçait un contrôle effectif
11 sur lui ou sur tout autre officier de l'armée yougoslave servant dans la
12 VRS par l'intermédiaire du 30e Centre d'affectation du personnel. Les
13 éléments de preuve ne permettent pas d'établir au-delà de tout doute
14 raisonnable qu'un lien de subordination existait lors de la période retenue
15 dans l'acte d'accusation entre le général Perisic et les auteurs des crimes
16 commis à Sarajevo et Srebrenica. Par conséquent, la Chambre estime que le
17 général Perisic n'est pas pénalement responsable de n'avoir pas pu empêcher
18 les crimes de la VRS ou d'en avoir sanctionné les auteurs.
19 Deuxièmement, le général Perisic est accusé d'avoir manqué à son obligation
20 de punir les auteurs des attaques à la roquette de la SVK sur Zagreb en mai
21 1995. La Chambre estime de même que les principaux auteurs de ces crimes
22 étaient des officiers de la SVK qui étaient subordonnés de jure au général
23 Perisic parce qu'ils faisaient officiellement partie de l'armée yougoslave
24 et qu'ils étaient membres du 40e Centre d'affectation du personnel.
25 Toutefois, contrairement au cas des officiers de la VRS, le général Perisic
26 a engagé des poursuites disciplinaires contre des officiers servant dans
27 les rangs de la SVK par l'intermédiaire du 40e Centre d'affectation du
28 personnel.
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1 La Chambre de première instance conclut, à la majorité, M. le Juge Moloto
2 exprimant une opinion dissidente, que le général Perisic exerçait un
3 contrôle effectif sur les officiers de l'armée yougoslave servant dans la
4 SVK par l'intermédiaire du 40e Centre d'affectation du personnel. En outre,
5 cette conclusion se fonde sur la constatation que le général Perisic avait
6 la capacité de donner des ordres de commandement aux officiers supérieurs
7 de la SVK servant dans le 40e Centre d'affectation du personnel, qui les
8 considérait contraignants. Par conséquent, la majorité conclut à
9 l'existence d'un lien de subordination lors de la période pertinente entre
10 le général Perisic et les auteurs des attaques criminelles sur Zagreb les 2
11 et 3 mai 1995.
12 La majorité conclut que bien que le général Perisic ait été informé
13 immédiatement des deux attaques, les deux attaques à la roquette de la SVK
14 sur Zagreb, il n'a pas pris "les mesures nécessaires et raisonnables" pour
15 punir les auteurs de ces crimes graves qui n'ont pas été sanctionnés.
16 Ainsi, la majorité considère que le général Perisic est coupable de ne pas
17 avoir puni ses subordonnés pour leurs crimes à Zagreb.
18 Général Perisic, veuillez vous lever pour entendre le Tribunal rendre son
19 verdict et prononcer sa peine.
20 [L'accusé se lève]
21 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] La Chambre de première instance vous
22 déclare non coupable du chef 13 et vous acquitte, par conséquent, de ce
23 chef : extermination, un crime contre l'humanité concernant Srebrenica.
24 La Chambre de première instance, à la majorité, M. le Juge Moloto exprimant
25 une opinion dissidente, vous déclare coupable pour avoir aidé et encouragé
26 au titre de l'article 7(1) à la commission des chefs d'accusation suivants
27 :
28 Chef 1, assassinat, un crime contre l'humanité concernant Sarajevo;
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1 meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre concernant
2 Sarajevo; actes inhumains (atteinte à l'intégrité de civils), un crime
3 contre l'humanité concernant Sarajevo; attaques contre des civils, une
4 violation des lois ou coutumes de la guerre concernant Sarajevo; chef 9,
5 assassinat, un crime contre l'humanité concernant Sarajevo [comme
6 interprété]; chef 10, meurtre, une violation des lois ou coutumes de la
7 guerre concernant Srebrenica; chef 11, actes inhumains (atteinte grave à
8 l'intégrité de la personne et transfert forcé), un crime contre l'humanité
9 concernant Srebrenica; chef 12, persécutions pour des raisons politiques,
10 raciales ou religieuses, un crime contre l'humanité concernant Srebrenica.
11 En ce qui concerne l'article 7(3) du Statut, comme mode de responsabilité
12 distinct pour les chefs 1, 2, 3 et 4, et 9, 10, 11 et 12, la Chambre vous
13 déclare non coupable en tant que supérieur d'un manquement à l'obligation
14 d'empêcher les crimes de subordonnés et/ou d'en punir les auteurs.
15 La Chambre de première instance, à la majorité, M. le Juge Moloto exprimant
16 une opinion dissidente, vous déclare coupable en tant que supérieur en
17 vertu de l'article 7(3) du Statut de ne pas avoir puni vos subordonnés pour
18 leurs crimes relevant des chefs suivants : chef 5, assassinat, un crime
19 contre l'humanité concernant Zagreb; chef 6, meurtre, une violation des
20 lois ou coutumes de la guerre concernant Zagreb; chef 7, actes inhumains,
21 atteinte à l'intégrité de la personne, de civils, un crime contre
22 l'humanité concernant Zagreb; chef 8, attaques contre des civils, une
23 violation des lois ou coutumes de la guerre concernant Zagreb.
24 Afin de déterminer la peine appropriée pour ces crimes, la Chambre, à la
25 majorité, a examiné les circonstances aggravantes et atténuantes énoncées
26 dans le texte du jugement officiel. La majorité souligne notamment que les
27 crimes de la VRS ont été commis pendant une longue période et que les
28 victimes étaient nombreuses et particulièrement vulnérables. De surcroît,
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1 la majorité insiste sur le fait que vous avez continué de fournir une
2 assistance à la VRS pendant des mois après avoir été informé de l'énormité
3 du massacre commis par la VRS à Srebrenica.
4 Pour ces crimes, la majorité vous condamne, Momcilo Perisic, à une peine
5 unique de 27 années en prison. Le temps que vous avez passé en détention, à
6 savoir 1 078 jours, ce temps sera donc déduit de la durée totale de votre
7 peine.
8 Vous pouvez vous rasseoir.
9 Ce prononcé du jugement est maintenant terminé. Des exemplaires du jugement
10 seront mis à la disposition du public.
11 Le procès est ainsi terminé.
12 --- L'audience est levée à 11 heures 33.
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