Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

Page 497

1 (Mardi 17 décembre 2002.)

2 (Audience de sentence.)

3 (L'audience est ouverte à 9 heures 34.)

4 (Audience publique.)

5 M. le Président (interprétation): Monsieur Harmon, vous pouvez appeler

6 votre témoin suivant.

7 M. Harmon (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Bonjour, Monsieur

8 le Président, Messieurs les Juges. Bonjour, conseils de la défense.

9 Mon témoin suivant est Madeleine K. Albright.

10 M. le Président (interprétation): Je crois savoir qu'un représentant du

11 Gouvernement des Etats-Unis est présent dans le prétoire ce matin.

12 M. Harmon (interprétation): Oui, en effet, Monsieur le Président. Je

13 voulais vous présenter M. Clifton Johnson qui représente le Gouvernement

14 américain. Sa présence dans le prétoire est autorisée par la Chambre de

15 première instance. Monsieur Johnson est assis à la table des amici curiae.

16 (Le témoin, Mme Madeleine Albright, est introduit dans le prétoire.)

17 M. le Président (interprétation): Je demanderai au témoin de bien vouloir

18 se lever pour prononcer la déclaration solennelle.

19 Mme Albright (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

20 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

21 M. le Président (interprétation): Vous pouvez vous asseoir, Madame.

22 (Le témoin s'exécute.)

23 Monsieur Harmon, vous pouvez procéder.

24 (Interrogatoire principal du témoin, Mme Madeleine K. Albright, par M.

25 Harmon.)

Page 498

1 M. Harmon (interprétation): Bonjour, Madame Albright.

2 Mme Albright (interprétation): Bonjour.

3 Question: Je vous remercie de tout cœur d'avoir accepté de participer à

4 cette audience de prononcé de la peine. Je commencerai mon audition en

5 vous interrogeant au sujet de votre carrière.

6 Vous êtes bien, n'est-ce pas, professeur? Je vous demanderai de décrire à

7 la Chambre vos qualités professionnelles.

8 Réponse: Oui, j'ai travaillé à l'école des affaires étrangères à

9 Georgetown, l'Université de Georgetown, où j'enseignais entre autres les

10 modifications intervenues dans les pays à système communiste. Ceci a été

11 un des centres d'intérêt de ma vie.

12 Question: Vous avez travaillé de 1972 à 1992 à l'Université de Georgetown,

13 n'est-ce pas?

14 Réponse: Oui, effectivement et j'ai commencé à travailler à nouveau en

15 tant que professeur ce dernier semestre.

16 Question: Quel était votre poste au sein des Nations Unies?

17 Réponse: J'étais ambassadeur du Gouvernement américain de 1993 à 1996.

18 J'étais représentante permanente du gouvernement permanent.

19 Question: Quel était votre poste au sein du Gouvernement américain?

20 Réponse: De 1997 à 2001, j'ai été secrétaire d'Etat du Gouvernement

21 américain.

22 Question: Madame Albright, vous vous êtes intéressée toute votre vie à la

23 situation dans les Balkans. Pouvez-vous dire aux Juges de cette Chambre

24 quelle a été exactement la nature de votre intérêt par rapport aux

25 Balkans?

Page 499

1 Réponse: Eh bien, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'ai

2 consacré d'une certaine façon toute ma vie à l'histoire de l'ex-

3 Yougoslavie.

4 Mon père était un diplomate tchécoslovaque et il était attaché de presse

5 en Yougoslavie de 1937 à 1938; après quoi, il y est retourné en tant

6 qu'ambassadeur de Tchécoslovaquie de 1945 à 1948.

7 J'ai vécu en Yougoslavie de 1945 à 1947 quand j'étais encore un enfant,

8 puis je suis allée à l'école en Suisse. Du point de vue de mes

9 connaissances personnelles, je pense que le pays que je connais vraiment

10 le mieux est la Yougoslavie, après les Etats-Unis et la Tchécoslovaquie.

11 Avec les années, ce pays est devenu pour moi un centre d'intérêt

12 personnel. Et, bien entendu, lorsque j'ai obtenu mon diplôme

13 universitaire, j'ai décidé de me concentrer sur la Yougoslavie et j'ai

14 suivi la situation dans ce pays pendant de nombreuses années par la suite.

15 Question: Madame Albright, je vais maintenant concentrer mes questions sur

16 le plaidoyer de culpabilité de l'accusé dans la présente affaire.

17 Comme vous le savez, Mme Plavsic a plaidé coupable par rapport au Chef n°3

18 de l'Acte d'accusation qui concerne les persécutions.

19 Ce Chef d'accusation englobe l'application d'une politique de force qui

20 avait pour but la séparation de groupes ethniques dans le pays, et elle a

21 été mise en œuvre par le biais de la commission d'assassinats, de mise en

22 détention illégale, de destruction de monuments culturels, de destruction

23 de maisons appartenant à des non-Serbes ainsi que d'entreprises

24 appartenant à des non-Serbes, de travail forcé imposé à certaines

25 personnes et d'autres événements similaires.

Page 500

1 J'appelle votre attention sur la période indiquée dans l'Acte d'accusation

2 et qui s'achève en décembre 1992. Or vous avez commencé à travailler pour

3 les Nations Unies en 1993.

4 Ma première question est la suivante: lorsque vous êtes arrivée aux

5 Nations Unies et que vous avez occupé le poste que vous avez occupé,

6 pouvez-vous dire quel était l'intérêt des Nations Unies et dans quelle

7 mesure les Nations Unies s'intéressaient aux événements qui se

8 produisaient dans l'ex-Yougoslavie à ce moment-là?

9 Réponse: Eh bien, d'abord, je dirais que j'ai suivi les événements avec

10 soin avant 1992 parce que nous étions en train d'assister à la

11 désintégration de la Yougoslavie avec la guerre en Slovénie, puis en

12 Croatie, et les conséquences de ce qui se passait dans la région, pas

13 seulement du point de vue des Balkans, mais ce qui nous intéressait,

14 c'était également de voir quelle serait la réaction à ces événements.

15 Nous étions abreuvés de photographies et d'histoires de toutes sortes

16 concernant les événements de la région. En 1992, avant que je prenne mes

17 fonctions aux Nations Unies, il était devenu évident aux yeux de tous ceux

18 qui s'intéressaient à ce qui se passait que nous voyions des images qui

19 rappelaient beaucoup ce qui s'était passé au cours de la Seconde Guerre

20 mondiale.

21 Je suis un enfant de l'Europe, j'ai vécu en Tchécoslovaquie puis aux

22 Etats-Unis et je connais très bien toutes ces images horribles que l'on a

23 pu voir à cette époque.

24 Il m'est apparu qu'à ce moment-là, avant la désintégration yougoslave,

25 nous revoyions des images similaires, à savoir des images de personnes

Page 501

1 entassées dans des autobus, séparées du reste de la famille, des enfants

2 séparés de leurs parents; toutes sortes d'histoires absolument terribles.

3 Donc lorsque je suis arrivée aux Nations Unies, je connaissais déjà bien

4 la violence qui se déchaînait dans la région. Lorsque je suis arrivée aux

5 Nations Unies, je me suis rendu compte que ceci allait être un sujet

6 central de nos débats au Conseil de sécurité, car le déploiement des

7 forces de paix a fait que le Conseil de sécurité a commencé à parler de

8 l'ex-Yougoslavie pratiquement tous les jours sur la base des reportages

9 faits sur le terrain; et le représentant du Secrétaire général, qui était

10 une femme, était entendu très souvent lors des réunions du Conseil de

11 sécurité pour nous informer.

12 Mme Ogata, représentante des Nations Unies, venait donc souvent informer

13 les membres des Nations Unies de ce qui se passait; elle nous parlait des

14 événements horribles qui se passaient sur le terrain, des personnes qui

15 perdaient leur maison, des camps qui étaient mis en place pour enfermer

16 ces personnes, et des problèmes alimentaires et autres que ces personnes

17 vivaient.

18 Ensuite, le responsable de la commission des Droits de l'homme nous

19 décrivait également les terribles souffrances de toutes ces personnes, les

20 viols qui se produisaient, la séparation des familles, l'assassinat de

21 personnes devant les membres de leur famille; donc vraiment tout cela

22 était un sujet très important dans nos débats. Et l'Assemblée générale des

23 Nations Unies a participé également à ce débat.

24 Donc toutes les instances des Nations Unies ont été impliquées dans ces

25 discussions au sujet de la Bosnie.

Page 502

1 Question: Pourquoi, Madame Albright, la communauté internationale a-t-elle

2 acquis le sentiment que les événements qui se déroulaient en Yougoslavie

3 allaient être une menace pour la paix et la sécurité européennes?

4 Réponse: Eh bien, les événements des Balkans ont été ressentis comme des

5 événements qui nous ont poussés à réfléchir à l'effet que tout cela

6 pouvait avoir sur la sécurité, de façon générale, en Europe. Car un pays

7 européen qui était en guerre avec ces flots de réfugiés quittant l'ex-

8 Yougoslavie a poussé chacun à se pencher sur la question de la fracture

9 ethnique qui se produisait dans ce pays et qui était quelque chose que

10 nous n'avions plus revu en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

11 Donc la question qui s'est posée était de savoir si cela n'affectait que

12 les Balkans ou bien l'ensemble de la région. J'étais d'avis que les

13 Balkans avaient un intérêt important pour la communauté internationale

14 dans son ensemble, pour l'Europe bien sûr, mais également pour le monde,

15 étant donné sa proximité du Proche-Orient et du reste de l'Europe. J'ai

16 donc eu le sentiment que tout cela pouvait mettre en danger la stabilité

17 et la sécurité européennes.

18 Question: Madame Albright, vous venez d'aborder la question des violations

19 des Droits de l'homme et du droit international que l'on pouvait constater

20 en Bosnie et dans l'ex-Yougoslavie. Vous receviez, n'est-ce pas, des

21 informations des médias et des instances diverses des Nations Unies. Je

22 vous demanderai à présent de nous parler plus précisément des violations

23 des Droits de l'homme dont on débattait à l'époque aux Nations Unies.

24 Réponse: Ce qui était le plus évident, je crois, c'étaient les crimes

25 commis contre les femmes, dans la mesure où les femmes subissaient souvent

Page 503

1 des viols, et ce devant le reste de leur famille, avant d'être séparées du

2 reste de leur famille. Il était question également de personnes subissant

3 des tortures. Nous avons vu des images de personnes qui étaient emmenées

4 dans ce que l'on ne peut qu'appeler des camps de concentration, qui

5 subissaient des passages à tabac et toutes sortes d'autres tortures.

6 Il est devenu apparent également que des propriétés étaient enlevées à

7 leurs propriétaires et que des gens étaient chassés de chez eux,

8 uniquement au motif de ce qu'ils étaient et pas de quelque chose qu'ils

9 auraient fait. Donc, de façon générale, on a pu constater des atrocités en

10 termes de violation des Droits de l'homme, car des personnes n'avaient

11 plus le droit d'exister au sein des sociétés d'où elles venaient.

12 J'ai rencontré, pour ma part, un grand nombre de victimes et leurs

13 familles qui m'ont décrit en détail les horreurs commises dans la région

14 qui m'ont semblé absolument inimaginables. Dans les années 1990, en plein

15 20e siècle, il était inimaginable que ce genre de choses puissent se

16 produire, que ce genre de choses puissent être faites. Il m'a semblé, par

17 ailleurs, d'après ce que j'ai entendu, que ces actes étaient tout à fait

18 délibérés et pas simplement l'acte de soldats ivres, par exemple, mais

19 qu'ils faisaient bien partie, semble-t-il, d'un plan destiné à éradiquer

20 un groupe d'une certaine région.

21 Question: Madame Albright, suite à ces crimes dont les médias ont parlé et

22 afin de donner une image objective de la situation, les Nations Unies ont-

23 elles demandé la création de la commission européenne, d'abord, chargée

24 d'enquêter sur les violations des Droits de l'homme et sur les crimes

25 commis dans l'ex-Yougoslavie? Les Nations Unies ont-elles ensuite demandé

Page 504

1 que soit nommé un rapporteur spécial chargé d'enquêter sur les violations

2 des Droits de l'homme en ex-Yougoslavie?

3 Réponse: Eh bien, quand je suis arrivée aux Nations Unies, je sais que la

4 communauté internationale avait déjà manifesté son intérêt en s'efforçant

5 d'utiliser des moyens juridiques pour répondre à la situation, mais les

6 problèmes ne cessaient de s'amplifier. Il a donc été décidé qu'il pourrait

7 être utile de mettre en place une commission d'experts chargée d'examiner

8 la situation. Et j'ai été très heureuse, à mon arrivée en février aux

9 Nations Unies, de voir que, pendant le mois de février, nous avons pu

10 procéder à un vote visant à créer le Tribunal pénal chargé de juger des

11 crimes de guerre, sur la base du travail de la commission d'experts. Ceci

12 était effectivement un pas en avant pour affecter les responsabilités à

13 leurs auteurs et punir les crimes commis.

14 Donc un travail systématique a été fait pour mettre en place une instance

15 juridique. Nous avons effectivement discuté du précédent, à savoir

16 l'existence du Tribunal de Nuremberg, et nous avons considéré que ceci

17 serait un pas en avant très important dans la mise en place d'un système

18 destiné à répondre de façon judiciaire à ces crimes horribles.

19 Question: J'en viendrai à la création du Tribunal dans quelques instants;

20 j'aimerais que nous en parlions de façon approfondie. Mais ce qui

21 m'intéresse beaucoup, Madame Albright, c'est votre expérience personnelle

22 en Bosnie, les voyages que vous avez accomplis en Bosnie notamment. Et

23 peut-être pourriez-vous également parler des autres représentants des

24 Nations Unies qui se sont également rendus en Bosnie et de leurs réactions

25 aux événements de Bosnie.

Page 505

1 Réponse: Eh bien, pour commencer, je dirais qu'à mon avis, il était très

2 important de constater sur le terrain ce que les victimes nous relataient.

3 Je me suis rendue en Bosnie, mais également en Croatie et dans d'autres

4 parties du pays. En fait, l'un de mes premiers voyages a été un voyage à

5 Vukovar où j'ai vu des fosses communes. Ensuite, je me suis rendue en

6 Bosnie et, lors de mon premier voyage en Bosnie, j'ai pu constater les

7 destructions importantes à Sarajevo, Sarajevo qui était une ville que les

8 Américains avaient eu l'habitude de voir très souvent à la télévision

9 pendant les Jeux Olympiques; c'était une ville pacifique qui, désormais,

10 était totalement détruite.

11 Je suis allée sur le marché qui avait subi l'explosion due à des obus,

12 j'ai vu les destructions sur le marché et j'ai rencontré, lors de tous mes

13 voyages dans la région, des victimes. Et j'ai pu voir très clairement les

14 plaies laissées par les événements de Bosnie et j'ai pu voir à quel point

15 les gens étaient terrifiés.

16 J'ai rencontré des gens de toutes sortes: des Serbes, j'ai rencontré des

17 non-Serbes afin de les entendre. Ce qu'ils décrivaient, c'était un chaos

18 total: ils disaient qu'ils avaient été forcés de quitter leurs maisons en

19 pleine nuit avant d'être transportés dans des lieux inconnus et qu'ils

20 avaient perdu toute notion d'orientation. Et moi qui connaissais la

21 Yougoslavie en tant qu'enfant et qui m'étais rendue très souvent dans ce

22 pays dans les années 60, au moment où la Yougoslavie était considérée

23 comme le pays communiste le plus progressiste, j'ai constaté que ce pays

24 était soudain retombé dans la barbarie. Et, vraiment, la barbarie était

25 visible partout.

Page 506

1 Question: Les Nations Unies se sont occupées de la catastrophe humanitaire

2 qui a eu lieu dans l'ex-Yougoslavie. Vous en avez parlé brièvement lorsque

3 vous avez mentionné Mme Ogata et ses rapports. Pourriez-vous dire, aux

4 Juges de cette Chambre, quelle était la dimension de cette catastrophe

5 humanitaire, telle qu'elle a été analysée par les Nations Unies?

6 Réponse: Eh bien, des rapports arrivaient pratiquement tous les jours des

7 différents représentants du système des Nations Unies, rapports selon

8 lesquels des centaines de milliers de personnes étaient déplacées. Au

9 cours de l'hiver, bien sûr, les rapports sont devenus vraiment terribles

10 et ils parlaient de difficultés d'approvisionnement en vivres, ils

11 parlaient de livraisons, de largages de vivres par avion. Il fallait

12 s'assurer que ces vivres arrivaient bien à destination, c'est-à-dire

13 qu'ils atteignaient ces personnes qui étaient sans domicile.

14 J'ai parlé des personnes séparées du reste de leur famille. Personne, en

15 fait, ne vivait plus chez soi et le nombre de personnes sans toit était

16 devenu vraiment très important. Ils se comptaient par centaines de

17 milliers. Donc il s'agissait de déplacements de population massifs et,

18 bien entendu, il y avait des gens qui tentaient de partir. Certaines

19 personnes ont réussi à se rendre en Europe occidentale et aux Etats Unis,

20 mais la majorité de la population circulait dans le pays de façon

21 désordonnée et en ayant perdu son domicile.

22 Question: Parlons maintenant des souffrances qui ont été le résultat de

23 ces crimes commis en Bosnie, de la réaction du HCR et des Nations Unies.

24 Bien sûr, des efforts importants ont été faits par des organisations non

25 gouvernementales également, n'est-ce pas, pour répondre à cette crise

Page 507

1 humanitaire?

2 Réponse: C'est exact. J'ai rencontré d'ailleurs des représentants de

3 nombreuses représentations non gouvernementales pour apprécier leurs

4 besoins: Oxfam, par exemple, Médecins sans Frontières et toutes sortes

5 d'organisations qui s'efforçaient d'apporter des vivres aux personnes qui

6 en avaient besoin.

7 Les efforts accomplis consistaient à éviter toute duplication des tâches

8 de façon à ce que ces efforts soient bien coordonnés avec ceux des Nations

9 Unies.

10 Ce qui était difficile en Bosnie, mais également dans toute mission de

11 maintien de la paix, c'était de veiller à ce que les gens puissent être

12 très régulièrement alimentés, même lorsque les combats font rage et la

13 difficulté réside dans la nécessité d'agir de la sorte de façon neutre.

14 Madame Ogata s'est efforcée d'éviter toute discrimination dans le

15 traitement de ces personnes déplacées.

16 Question: J'aimerais maintenant appeler votre attention sur une autre

17 question dont vous avez déjà dit quelques mots, à savoir la création du

18 Tribunal.

19 Pourriez-vous dire aux Juges de cette Chambre pourquoi les représentants

20 des Nations Unies ont voté en faveur de la création du Tribunal?

21 Quels étaient les objectifs qui ont été abordés lors du débat et quels

22 étaient les résultats attendus?

23 Réponse: Eh bien, je pense que toutes les personnes qui travaillaient au

24 sein du Conseil de Sécurité -je parle des membres permanents et des

25 autres- étaient très conscients que nous étions en train de faire quelque

Page 508

1 chose de nouveau. Nous parlions bien sûr du précédent de Nuremberg. Mais

2 nous savions que nous étions, en l'espèce, en présence d'une guerre sans

3 vainqueurs et que la situation était tout à fait nouvelle; que ce qu'il

4 convenait de faire, c'était non pas de définir une culpabilité collective,

5 mais de veiller à ce que les réels auteurs des crimes soient punis. Et ce

6 souci était présent dans l'esprit de chacun lors de la création de cette

7 nouvelle organisation.

8 Je dois dire que nous avons fait face à beaucoup de scepticisme lors du

9 premier vote en février. Il n'a pas été très difficile d'obtenir un vote

10 favorable à la création du Tribunal, mais personne ne pensait que ce

11 Tribunal allait fonctionner.

12 Les questions qui se posaient étaient: comment choisir les Juges? Je dois

13 dire que les femmes, représentantes permanentes au Conseil de Sécurité,

14 voulaient qu'il y ait des juges femmes compte tenu du grand nombre de

15 crimes commis contre les femmes; je veux parler de viols et d'autres

16 crimes terribles.

17 Donc les juges ont été choisis par l'ensemble du système des Nations Unies

18 et la question qui s'est posée ensuite a été celle du choix du Procureur.

19 Personne ne pensait qu'une solution serait apportée à ce problème,

20 personne ne pensait qu'on allait être en présence d'un Tribunal qui allait

21 effectivement fonctionner et qui pourrait s'appuyer sur les précédents

22 existants.

23 Et puis, au mois de mai, nous avons voté pour déterminer les bases du

24 travail du Tribunal -je veux parler de mai 1993- et, à ce moment-là,

25 personne ne pensait encore que le Tribunal fonctionnerait. Chacun pensait

Page 509

1 qu'il n'y aurait pas d'accusé, qu'il n'y aurait pas de procès, qu'il n'y

2 aurait pas d'audience, qu'il n'y aurait pas de prononcé de sentence. Et à

3 chacune des étapes de ce processus, je dois dire que tout le monde s'est

4 trompé. Pour ma part, j'estime que l'une des raisons pour lesquelles il

5 est si important que ce processus fonctionne, c'est qu'en fonctionnant, il

6 montre à chacun qu'il s'est trompé.

7 Il est très important qu'existe ce Tribunal, qui fait partie du système

8 judiciaire international et qui joue un rôle fondamental dans la

9 détermination de la culpabilité individuelle avec sanction de cette

10 culpabilité individuelle. Je crois que c'est la base d'une possible

11 réconciliation par la suite. Je pense que le processus que l'on trouve en

12 arrière-plan de la création du Tribunal, c'est celui de la nécessité

13 d'obtenir finalement la réconciliation des différents peuples qui, eux,

14 sont innocents et qui ont été pris dans cette tourmente.

15 M. Harmon (interprétation): Merci beaucoup, Madame Albright. Je n'ai plus

16 de question.

17 Je m'adresse maintenant à Me Pavich qui procédera au reste de votre

18 audition.

19 Mme Albright (interprétation): Merci.

20 M. Pavich (interprétation): Merci.

21 (Contre-interrogatoire du témoin, Mme Madeleine K. Albright, par Me

22 Pavich.)

23 M. Pavich (interprétation): Merci beaucoup, bonjour. Eh bien, je crois que

24 la conclusion de l'intervention précédente s'est faite sur la notion de

25 réconciliation. J'aimerais pour ma part consacrer quelques instants pour

Page 510

1 que nous parlions d'un autre effort accompli par la Communauté

2 internationale visant également à obtenir une cicatrisation des plaies. Je

3 veux parler des Accords de Dayton.

4 Pouvez-vous nous parler de ce qui s'est passé immédiatement avant les

5 négociations qui ont abouti à la signature de cet Accord? Quelle était la

6 situation et quels étaient les objectifs que chacun souhaitait obtenir à

7 l'issue de ces négociations?

8 Mme Albright (interprétation): Eh bien, je pense que chacun doit d'abord

9 savoir que, pendant toute cette période, des efforts ont été accomplis

10 pour s'efforcer de trouver une solution politique aux événements de

11 Bosnie. Une solution qui permettrait à la Bosnie d'être un Etat

12 multiethnique abritant donc plusieurs groupes. Des efforts divers ont été

13 faits à cette fin; et, finalement, les derniers efforts accomplis pour

14 obtenir une réconciliation des peuples de Bosnie-Herzégovine et la mise en

15 place d'une nouvelle structure permettant la réconciliation politique dans

16 ce pays, car je dois dire que la structure politique mise en place a été

17 très complexe, mais elle permet à la Republika Srpska de fonctionner ainsi

18 qu'à la Fédération croato-musulmane de fonctionner également, et aux deux

19 entités de fonctionner l'une avec l'autre grâce à des structures

20 politiques intégrées. Tout cela est très complexe, mais fournit bien une

21 plate-forme susceptible d'aboutir à la réconciliation que chacun souhaite,

22 je crois.

23 Question: Nous allons entendre M. Carl Bildt un peu plus tard dans la

24 journée. Il pourra nous donner des détails complémentaires sur ce sujet.

25 Donc nous en reparlerons au cours de la journée.

Page 511

1 Je ne vais pas vous demander de consacrer toute la matinée à ce sujet,

2 mais ce qui m'intéresse également, c'est que nous parlions de ce que vous

3 avez fait et de la façon dont les négociations en question ont modifié

4 votre perception des événements survenus en 1991 et 1992.

5 Je pense qu'il est important également de penser à la Seconde Guerre

6 mondiale, pour la replacer dans le contexte de la préparation de cet

7 Accord de Dayton. Est-ce que cet élément a joué un rôle considérable à

8 votre avis?

9 Réponse: Je pense que pour quelqu'un qui connaît l'histoire de la région,

10 il est important de comprendre -et j'ai dit que j'ai été horrifiée par ce

11 que j'ai vu en Bosnie- mais je pense qu'il est important de se rappeler

12 que les populations de Yougoslavie avaient vécu aux côtés les unes des

13 autres et dans un grand bonheur pendant très longtemps, dans une très

14 bonne coexistence des différents groupes ethniques. Lorsque j'ai vu ces

15 efforts systématiques vers l'élimination des minorités non-serbes dans

16 certains endroits, minoritaires dans certains, majoritaires dans d'autres,

17 lorsque j'ai vu les souffrances vécues par certaines personnes uniquement

18 du fait de leur appartenance ethnique, j'ai trouvé tout cela absolument

19 répugnant. Je dois dire que de nombreux Serbes que j'ai rencontrés, des

20 Serbes innocents m'ont dit qu'ils avaient été pris dans quelque chose qui

21 les dépassait, mais compte tenu de mon passé personnel, j'avais beaucoup

22 appris sur l'histoire de ce pays et sur l'importance de la coexistence

23 multiethnique et multireligieuse dans ce pays et j'ai été très attristée

24 et très émue par la destruction de tout cela.

25 Question: Y avait-il encore dans le pays des plaies datant de la Seconde

Page 512

1 Guerre mondiale qui n'avaient pas été fermées? Ou des conséquences de la

2 période communiste qui avait existé jusqu'en 1990/1991 et que vous avez

3 prises en compte au cours des négociations?

4 Réponse: Eh bien, je crois que la création même de la Yougoslavie avaient

5 été vécus par certains comme un signe de discrimination contre les Serbes

6 qui se considéreraient d'une certaine façon comme des victimes de la

7 Seconde Guerre mondiale. Et ce sentiment de victime que les Serbes ont

8 acquis à l'issue de la Deuxième Guerre mondiale les a dirigés dans une

9 mauvaise direction. Cela ne pouvait, en aucun cas, être une excuse pour

10 les actes commis par la suite. Ce qui est vrai, c'est que pour tous les

11 pays, et notamment pour les pays de l'ère post-communiste, la question qui

12 se pose c'est dans quelle mesure on peut vivre dans le passé et dans

13 quelle mesure on peut justifier ces actes à l'aune de la Seconde Guerre

14 mondiale?

15 Pour ma part, j'ai été très émue. J'ai vu cette domination serbe et j'ai

16 pensé que ce n'était pas une façon satisfaisante de répondre au

17 traumatisme dû à la Seconde Guerre mondiale.

18 Question: Vous avez parlé du grand nombre de réfugiés qui se trouvaient

19 sur le terrain au moment où se tenaient les négociations de Dayton. Est-ce

20 que ces réfugiés étaient de tous bords?

21 Réponse: Effectivement, il y avait des gens de toutes les appartenances

22 ethniques qui erraient. Je me souviens des nombreuses réunions que j'ai

23 eues avec des Serbes venant de diverses régions. Eux aussi avaient

24 l'impression qu'ils avaient été chassés de leur foyer, ce qui avait été le

25 cas, notamment en Krajina. La question qui se posait, c'était de savoir

Page 513

1 comment les gens pouvaient regagner leur foyer. Les problèmes qui

2 existaient à bien des égards tenaient à la politique du gouvernement qui

3 avait été exacerbée et qui influait ou jouait avec les sentiments humains

4 qui se trouvaient. Et je pense que le gouvernement essayait de voir

5 pourquoi, quelle politique avait déclenché tout ceci.

6 Question: Vous parlez de la Krajina. Est-ce que vous avez eu l'occasion à

7 parler à des Serbes de Krajina?

8 Réponse: Tout à fait. En Krajina, le problème c'est que les Croates

9 avaient délogé les Serbes. On se demandait si ces populations pourraient

10 réintégrer leur territoire. Je me suis trouvé dans un village où, en fait,

11 il fallait permettre aux Serbes de rentrer. Les maisons avaient déjà été

12 désignées par des Croates de Bosnie qui avaient décidé qu'ils allaient

13 revenir sur les lieux.

14 Je me souviens d'une réunion les plus poignantes. C'était avec des

15 familles qui essayaient de rentrer dans leur village. La vieille grand-

16 mère avait réussi à rester dans ce village, elle s'était cachée pendant

17 longtemps. J'ai rencontré les membres de la famille; et c'était une

18 famille pluriethnique dans la mesure où il y avait un Serbe qui avait

19 épousé une Croate, son frère avait épousé une Musulmane, et pourtant il ne

20 leur était pas possible de reconstituer leur vie. C'était la partie la

21 plus poignante de cet événement.

22 Question: Et qu'espériez-vous accomplir grâce à l'application des Accords

23 de Dayton? Quels étaient les objectifs et priorités?

24 Réponse: Je pense que ce qu'on essayait d'accomplir, c'est de voir par

25 quels moyens politiques on permettrait à plusieurs minorités d'être dûment

Page 514

1 respectées. On essayait de voir comment une structure de gouvernement

2 pouvait exister qui permettrait la coexistence de différents groupes

3 ethniques tout en permettant un certain degré d'autonomie, de prise de

4 décision. Mais en créant un pays où les procédures démocratiques feraient

5 partie intégrante de la vie, où les personnes respectaient leur

6 engagement, où il y aurait un système judiciaire fonctionnant normalement,

7 où il y aurait des forces de police, et un retour à la vie normale dans

8 une certaine mesure. Et je pense que, petit à petit, ces objectifs se sont

9 réalisés.

10 Question: Est-ce qu'il y a eu des personnes clés avec qui vous avez

11 travaillé, que vous avez eu l'occasion d'observer dans le cadre de cette

12 application des Accords de Dayton?

13 Réponse: Oui, j'ai rencontré de telles personnalités qui pensaient que la

14 meilleure façon de réussir c'était d'œuvrer par le moyen des Accords de

15 Dayton; Mme Plavsic était l'une de ces personnalités. La première

16 impression que j'ai eue, je dois dire, lorsque je l'ai rencontrée s'est

17 fondée d'abord sur les écrits qui sont de sa plume. Effectivement,

18 d'abord, j'avais été perturbée par le fait.

19 Question: Vous ne croyez pas tout ce que vous lisez, n'est-ce pas?

20 Réponse: Non, mais je sais ce que j'ai vu et je sais ce que j'ai entendu

21 de sa bouche même puisqu'elle a été porte-parole de certaines des

22 politiques issues de Banja Luka et venant des représentants de la

23 Republika Srpska; et moi, je trouvais cela répugnant, je ne comprenais pas

24 comment elle pouvait tremper dans de telles histoires. Mais par ailleurs,

25 il est apparu clairement que Mme Plavsic a été l'une des personnes qui

Page 515

1 voyaient dans l'Accord de Dayton une façon de rendre justice, de revenir à

2 une vie normale; et ceci a donné un certain sens à nombre de nos réunions.

3 Question: Donc, au début, vous aviez quelques réticences à l'idée d'une

4 collaboration avec elle. Mais pourriez- vous nous parler de la façon dont

5 ces rapports entre vous ont évolué?

6 Réponse: Je vous l'ai dit, je n'avais jamais entendu que des commentaires

7 de sa part à la télévision ou je l'avais vue à la télévision.

8 Et nous nous sommes rencontrés au Portugal, dans le centre du pays, au

9 cours du printemps 1997. Là se tenait une réunion, une réunion au sommet

10 où on a parlé de la reconstruction de la Bosnie -moi, je ne tenais pas

11 particulièrement à avoir des contacts avec Mme Plavsic à l'époque- mais

12 nous avons commencé à parler des modalités d'application de l'Accord de

13 Dayton. Monsieur Galbraith qui était responsable de l'application de ces

14 Accords de Dayton, nous a dit que, d'après certains indices, il semblait

15 que Mme Plavsic voulait retenir une démarche positive.

16 Je suis allée à Banja Luka pour la rencontrer. Nous avons eu une rencontre

17 des plus officielles au siège de la municipalité. Elle a répondu de façon

18 tout à fait correcte, mais empreinte de tension. Je n'ai pas eu l'occasion

19 de vraiment percevoir si elle était favorable à cette idée. J'ai voulu la

20 rencontrer en tête-à-tête; dès lors, nous sommes allées dans un bureau et

21 nous avons parlé longuement de ses intentions. Et c'est alors que j'ai

22 compris clairement qu'elle comprenait toutes les erreurs qui avaient été

23 commises, mais elle n'avait jamais abandonné l'idée -je pense qu'elle

24 était nationaliste proserbe, et ça, ça tombait sous le sens- mais elle

25 avait le sentiment qu'il fallait soutenir l'idée de Dayton dans la mesure

Page 516

1 où elle risquait de remplir certains des objectifs qu'elle recherchait

2 elle-même, mais de façon pacifique, objectifs qui concernaient les Serbes.

3 Je pense que cette réunion était des plus significatives et, quelque part,

4 j'ai bien compris qu'elle voulait agir de façon démocratique. Je dois dire

5 que ça m'a surprise dans une certaine mesure vu ce que j'avais lu à son

6 propos; mais au cours des mois qui s'en sont suivi, j'ai compris qu'elle

7 avait décidé d'emprunter cette voie et qu'elle allait le faire, tout en

8 risquant certaines choses pour elle-même.

9 Question: Et pourriez-vous nous parler des mois suivant de la voie

10 empruntée?

11 Réponse: Nous avons eu au fil de ces mois plusieurs conversations

12 téléphoniques. Et au cours de certaines d'entre elles, nous nous sommes

13 mises d'accord sur certains points, mais il y a encore eu des points de

14 désaccord.

15 Au cours de cet été-là, au mois de juillet, il y avait eu des

16 arrestations. Certains Serbes avaient été arrêtés qui avaient trempé dans

17 des crimes. Elle m'a dit au cours d'une conversation qu'elle s'opposait à

18 ce qui s'était passé et je lui ai dit pourquoi, à mon avis, ces personnes

19 étaient responsables, coupables. Je pense que mes informations l'ont

20 intéressée, un peu comme si elle n'avait pas disposé de tous les faits.

21 Elle a dit que certaines des personnes arrêtées étaient en fait

22 innocentes; et puis nous avons vérifié ce qu'il en était: elle avait

23 raison dans une certaine mesure. Je pense que nous avons été très

24 directes, chacune d'entre nous a exprimé son avis et je pense qu'il a été

25 utile d'avoir ce type de conversation.

Page 517

1 Ensuite, pour ce qui est de la phase ultérieure, elle concernait

2 l'élection à la présidence; Mme Plavsic a dit qu'elle voulait dire

3 ouvertement en public quelle était sa position. Elle voulait montrer

4 qu'elle était favorable à Dayton. Chose ardue, peu aisée en Republika

5 Srpska, vu la présence de certains éléments nationalistes parmi les Serbes

6 de Bosnie. Elle a posé sa candidature à la présidence. Certains éléments

7 radicaux ont aussi essayé de participer à cette campagne. Elle a dit très

8 clairement au cours de la campagne électorale qu'elle était favorable à

9 Dayton; ce qui lui a fait perdre en fait cette campagne. Elle tenait

10 parole, c'était une femme d'honneur. Elle était convaincue qu'elle voulait

11 en fait accomplir les objectifs favorables aux Serbes, mais que la façon

12 la plus favorite d'y arriver, c'était par le biais des Accords de Dayton.

13 Question: Est-ce qu'au cours de vos conversations avec elle, vous avez eu

14 le sentiment qu'il y avait d'autres choses qui l'intéressaient que les

15 intérêts des Serbes?

16 Réponse: Ce qui lui tenait à cœur, c'était l'intérêt des Serbes. Elle a, à

17 maintes reprises, dit qu'elle voulait que justice soit rendue aux Serbes;

18 jamais elle n'a dissimulé ce fait. C'était un élément tout à fait

19 essentiel: elle était en faveur des Serbes, mais aussi en faveur de

20 Dayton. Et je crois que c'est là que se trouve la différence.

21 Cependant, au cours de nos entretiens, elle n'avait de cesse de dire

22 clairement qu'elle était proserbe. Je pense que chaque fois que nous que

23 nous sommes rencontrés, elle m'a remis un ouvrage sur le Kosovo pour dire

24 que c'était une terre serbe. Nous avons sans arrêt discuté de cette

25 question.

Page 518

1 Question: A propos du Kosovo?

2 Réponse: Oui, à propos du Kosovo, à propos de Milosevic et à propos de la

3 nécessité, de l'importance pour les Serbes de vivre sur un territoire qui

4 était le leur.

5 J'ai consacré beaucoup de temps à des rencontres avec elle parce qu'elle

6 était le véhicule, en Republika Srpska, qui permettait l'application des

7 Accords de Dayton. C'est ce qui nous intéressait, nous et la communauté

8 internationale. Et elle a vraiment défendu cette idée, même lorsque les

9 temps étaient durs, lorsqu'il y avait des gens qui tenaient à détruire les

10 réalisations de l'Accord de Dayton.

11 Question: Elle a travaillé en faveur de l'application des Accords de

12 Dayton, mais est-ce qu'elle a, à chaque fois, essayé de vous parler de la

13 détresse des Serbes?

14 Réponse: J'ai aussi essayé de parler de la détresse dans laquelle étaient

15 plongés les autres membres des groupes ethniques, mais nous avons

16 effectivement parlé de ces problèmes des victimes et nous nous entendions

17 sur la réalité des horreurs qui s'étaient produites.

18 Pour moi, je dirais que c'était une personne, un individu en proie aux

19 conflits internes, aux dilemmes. Elle voulait, d'un côté, veiller à la

20 protection des Serbes, tout en comprenant qu'il était nécessaire de

21 réaliser les différentes étapes du processus de Dayton qu'elle a défendu à

22 maints égards. Mais je pense que, à l'évidence, elle avait participé à des

23 choses horribles auparavant et maintenant, elle pensait que les Accords de

24 Dayton étaient la meilleure façon de réaliser ce qui apparaissait

25 nécessaire.

Page 519

1 M. Pavich (interprétation): On décrit vos rapports et on a dit souvent que

2 c'était, en fait, un fantoche, que cette personne avait abandonné les

3 principes de son peuple afin de suivre l'Occident dans ce qui semblait

4 correspondre aux intérêts occidentaux. Est-ce qu'il y a un grain de vérité

5 dans tout cela?

6 Mme Albright (interprétation): Je vous l'ai dit, Mme Plavsic n'était pas

7 une personne qui soutenait tout ce que vous disiez; nous avons eu des

8 conversations des plus compliquées. Nous pensions que la plupart des

9 mesures entreprises étaient de nature à renforcer Belgrade, ce qui n'était

10 pas mon avis. Nous avons eu des discussions particulièrement intensives,

11 pas toujours plaisantes, d'ailleurs. Je pense que c'est une personne très

12 forte qui a une opinion arrêtée sur beaucoup de choses et une personne qui

13 a eu effectivement des activités négatives, mais aussi des activités

14 positives. Je ne dirai jamais qu'elle était un fantoche, moi.

15 M. Robinson (interprétation): Maître Pavich, pouvez-vous nous dire qui a

16 décrit ces rapports de cette façon?

17 M. Pavich (interprétation): Je pense que vous connaissez ces descriptions

18 multiples qui ont été faites de vos rapports, n'est-ce pas?

19 Mme Albright (interprétation): Monsieur le Juge, permettez-moi de dire

20 ceci: je ne pense pas que j'étais particulièrement respectée ni bien

21 accueillie à Belgrade; et les journaux serbes ont qualifié, ont

22 caractérisé nos rapports de cette façon-là, des gens qui essayaient de

23 jeter le discrédit sur elle comme sur moi.

24 M. Robinson (interprétation): Je vous remercie.

25 M. Pavich (interprétation): Madame Albright, il n'est pas simple pour vous

Page 520

1 de comparaître en tant que témoin ici aujourd'hui, c'est bien clair.

2 Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez décidé de comparaître malgré

3 tout?

4 Mme Albright (interprétation): Il y a plusieurs raisons à cela, la

5 première étant celle-ci: je suis passionnée à propos du Tribunal pénal

6 international. Au moment de sa création au sein des Nations Unies, je

7 pensais que c'était là la façon qu'avait la communauté internationale de

8 faire face à ces crimes abominables qui avaient marqué la fin du 20e

9 siècle, que ceci montrait ce qu'il y avait de mieux dans nos systèmes

10 judiciaires, que c'était la meilleure façon d'affecter la responsabilité

11 pénale individuelle afin de mettre un terme à ces horreurs; et je pense

12 que les victimes avaient le droit d'être vengées. Bien sûr, on ne peut pas

13 "dévioler" une femme qui l'a été, mais je pense que c'était là un

14 processus qui allait permettre d'aider les gens et de veiller à ce que le

15 châtiment juste soit infligé.

16 Et moi, j'ai toujours été favorable à la notion de ce Tribunal. Je voulais

17 montrer, par ma comparution en tant que témoin, que c'est la seule façon

18 qui nous permette de réagir face à ces crimes terribles; et pour qu'il y

19 ait aussi un effet dissuasif, que ces crimes ne se reproduisent plus. Je

20 voulais montrer le soutien que j'apporte à ce processus tout entier.

21 Cependant, j'estime également qu'il nous faut montrer du respect envers

22 ceux qui ont plaidé coupables, envers ceux qui ont accepté d'endosser leur

23 responsabilité individuelle et sont prêts à recevoir le châtiment qui

24 s'impose. C'est une étape cruciale, à mon avis, pour veiller à ce que ce

25 processus fonctionne réellement. C'est la raison de ma présence ici. En

Page 521

1 effet, je suis convaincue que le Tribunal a joué un rôle capital et

2 continue à jouer un rôle essentiel, non seulement pour ce qui est de

3 l'œuvre de réparation dans les Balkans, en Bosnie, mais vu aussi ce qui se

4 fait au Rwanda.

5 Il est possible de prouver que les gens de bonne volonté parviennent au

6 terme de ce processus. C'est la raison pour laquelle je suis ici. Je pense

7 que l'aspect de la réconciliation est un aspect clé. Il y a la notion de

8 la punition, de la sanction.

9 Mais j'interviens aussi au nom des victimes si nombreuses. Il est

10 important que ces victimes sachent que la justice existe.

11 Question: Vous parlez des victimes, mais de toutes les victimes, n'est-ce

12 pas: les victimes serbes, non-serbes.

13 Pensez-vous que la présente audience, au cours de laquelle Mme Plavsic

14 accepte cette responsabilité, nous permet d'avancer sur cette voie, de

15 poser des jalons pour les victimes, bien sûr, mais pour leurs enfants

16 aussi?

17 Réponse: Je dis qu'effectivement, il faut savoir faire son deuil.

18 Nous comprenons cela, nous savons les douleurs personnelles que traverse

19 tout un chacun. Et ce processus est un pas dans ce sens puisque le récit

20 de ces victimes, leur expérience a été transmise et qu'il y a une

21 responsabilité endossée par des personnes ayant un visage pour tous ces

22 crimes commis. Ce n'est plus quelque chose d'anonyme.

23 Bien sûr, il n'est pas possible de corriger, de rectifier toutes les

24 injustices commises, mais je crois que, de cette façon, nous avançons

25 grandement sur cette voie.

Page 522

1 Je suis convaincue de l'importance que revêt ce Tribunal. Et puis, sous

2 mon angle personnel, le Bureau du Procureur et vous-même m'avez invité à

3 comparaître en tant que témoin, et ceci montre que ce processus est

4 efficace au nom des victimes, que les deux parties à un procès ici

5 tiennent à s'assurer que la tragédie connue par les victimes, vécue par

6 celles-ci, est reconnue. Je crois que c'est Elie Wiesel qui l'a dit lui-

7 même: il faut que ce genre de choses ne se reproduise plus.

8 Malheureusement, ces choses se reproduisent, mais je pense que nous devons

9 nous rappeler qu'il est capital que ces choses ne se reproduisent plus.

10 Question: Quand vous parlez des victimes, vous parlez des victimes de

11 toute la Yougoslavie, que ce soit en Bosnie ou au Kosovo, en Krajina. Que

12 voient ces victimes, vu la mission du Tribunal?

13 Réponse: Il est bien connu que la plupart des victimes n'étaient pas

14 serbes, mais je pense qu'il y a eu des victimes dans tous les groupes

15 ethniques.

16 Je le répète, j'ai consenti des efforts tout particulier en ma qualité de

17 représentante permanente auprès des Nations Unies pour mon pays, mais

18 aussi en tant que Secrétaire d'Etat. J'ai insisté sur le fait qu'il y

19 avait des victimes dans tous les groupes ethniques; j'ai insisté pour

20 rencontrer des Serbes, des Croates, des Musulmans de Bosnie, des

21 représentants de ces communautés. J'ai, à plusieurs reprises, rencontré

22 des représentants religieux des Serbes; j'ai rencontré des patriarches, de

23 nombreux popes et évêques. Je sais qu'il y a eu, de part et d'autre, des

24 victimes, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Il y a eu des assassinats,

25 des viols, partout. Je sais qu'il y a eu des efforts plus systématiques

Page 523

1 cependant en vue de se débarrasser des non-Serbes.

2 Question: Vous avez parlé des évêques serbes. Vous avez bien rencontré

3 l'évêque principal du Kosovo, n'est-ce pas?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Il vous a donné quelques ouvrages?

6 Réponse: Oui, mais on voit la destruction de nombreux monastères, mais,

7 vous savez, le genre de destructions qui étaient infligées aux Balkans, à

8 l'ex-Yougoslavie est sans fin. Nous sommes en train de trouver une

9 solution, mais il n'y a pas de solution véritable sans solution politique.

10 Il faut parvenir à la réconciliation entre les peuples, mais celle-ci ne

11 se fera qu'au moment où il apparaît qu'existe un système judiciaire

12 impartial qui va juger les personnes coupables, de quelque bord qu'elles

13 soient, pour parvenir à bien sanctionner ce qui s'est passé.

14 Question: Et vous, vous pensez qu'on peut parvenir à une réconciliation?

15 Réponse: Tout à fait. Je pense qu'il faut que les gens puissent dire:

16 "Voilà, nous avons commis ces actes, mais il y a des responsables qui sont

17 au sommet". C'est important pour la réconciliation.

18 Il est essentiel que le présent Tribunal soit reconnu. Or Mme Plavsic a

19 plaidé coupable, elle reconnaît, ce faisant, l'autorité de ce tribunal.

20 C'est là, à mes yeux, quelque chose de capital.

21 M. Pavich (interprétation): Je vous remercie, Madame Albright.

22 Mme Albright (interprétation): Je vous remercie.

23 M. le Président (interprétation): Madame, je tiens à vous remercier d'être

24 venue comparaître en tant que témoin devant ce Tribunal.

25 Nous vous remercions. Vous pouvez disposer.

Page 524

1 Mme Albright (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président,

2 Messieurs les Juges.

3 (Le témoin, Mme Madeleine Albright, est reconduit hors du prétoire.)

4 (Questions relatives à la procédure.)

5 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Pavich, vous avez la parole.

6 M. Pavich (interprétation): Nous pouvons poursuivre l'audition des témoins

7 si la Chambre est prête.

8 M. le Président (interprétation): La Chambre est prête.

9 M. Pavich (interprétation): Nous appelons à la barre M. Carl Bildt.

10 M. le Président (interprétation): En attendant l'arrivée du témoin, je

11 pense que nous pourrions régler l'une ou l'autre question de procédure.

12 Maître Pavich, je pense que nous procédons assez rapidement en matière de

13 temps, s'agissant de la présentation des moyens?

14 M. Pavich (interprétation): Oui.

15 M. le Président (interprétation): Nous nous demandions s'il ne serait pas

16 possible de terminer les débats aujourd'hui?

17 M. Pavich (interprétation): Je pense que la décision doit être prise de

18 façon conjointe avec le Bureau du Procureur. Nous sommes prêts à faire ce

19 que la Chambre estime idoine.

20 M. le Président (interprétation): Nous allons voir comment évolue

21 l'audience. Vous le savez, nous sommes saisis d'une autre affaire, il y

22 aura une audience demain matin, donc je pense que plus nous pourrons

23 consacrer de temps à cette autre affaire, mieux ce sera.

24 Mais nous voudrions aborder une question aujourd'hui: la question de la

25 liberté provisoire soulevée par les parties. Je pense qu'il serait utile

Page 525

1 de recevoir vos conclusions orales aujourd'hui.

2 M. Pavich (interprétation): Je ne vois aucune difficulté à cette

3 présentation aujourd'hui.

4 M. le Président (interprétation): Fort bien.

5 Faisons entrer le témoin.

6 M. Pavich (interprétation): Messieurs les Juges, nous avons fourni à la

7 Chambre certaines pièces; l'intercalaire 2 vous a été remis ce matin. Il

8 reprend le curriculum vitae de M. Carl Bildt. Nous n'allons pas aborder

9 ceci de façon détaillée, nous allons simplement le soumettre et en

10 présenter les points saillants à M. Carl Bildt, lorsqu'il va arriver à la

11 barre.

12 (Le témoin, M. Carl Bildt, est introduit dans le prétoire.)

13 M. le Président (interprétation): Je demanderai au témoin de prononcer la

14 déclaration solennelle.

15 M. Bildt (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

16 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

17 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir, je vous prie.

18 M. Bildt (interprétation): Merci.

19 (Interrogatoire principal du témoin, M. Carl Bildt, par Me Pavich.)

20 M. le Président (interprétation): Je vous écoute, Maître Pavich.

21 M. Pavich (interprétation): Bonjour, Monsieur Bildt.

22 M. Bildt (interprétation): Bonjour.

23 Question: Monsieur, nous avons déjà fourni à la Chambre un exemplaire de

24 votre curriculum vitae qui est assez volumineux, mais je vous demanderai

25 néanmoins de pouvoir nous donner un bref résumé des dernières dix années

Page 526

1 de votre carrière professionnelle. Ou peut-être, nous pouvons revenir en

2 1991; donc il s'agira d'un peu plus de dix ans.

3 Réponse: Oui, certainement. Vous allez certainement comprendre que j'ai

4 particulièrement été impliqué dans la politique suédoise depuis un certain

5 nombre d'années. J'ai déjà servi au sein du Parlement depuis 25 ans et

6 j'ai été Premier ministre également. Vous allez comprendre que j'ai été

7 impliqué dans les affaires internationales, j'ai également été Premier

8 ministre au début des années 90, en octobre 1991 en fait; et par la suite,

9 en automne 1994, j'ai quitté ce poste en tant que tel.

10 En tant que Premier ministre, bien sûr, j'ai dû traiter de plusieurs

11 questions et surtout des questions en ex-Yougoslavie. Cette question des

12 problèmes en ex-Yougoslavie avait une priorité sur ma liste de problèmes.

13 Nous avons été impliqués dans la question de reconnaissance et de quelle

14 façon traiter le problème en ex-Yougoslavie; et il est certain que la

15 Suède avait un rôle important à jouer dans ce contexte, au sein des

16 Nations Unies également. En décembre 1992, si je ne m'abuse, la Suède a

17 reçu les représentants des Nations Unies.

18 Nous avons également fourni les forces pour toutes les missions des

19 Nations Unies en Croatie, en Macédoine également, et bien sûr, en Bosnie

20 pendant cette période pertinente.

21 De plus, nous avons également accepté un grand nombre de réfugiés, eu

22 égard bien sûr à la grandeur du pays et nous avons peut-être pris plus de

23 réfugiés que d'autres pays européens à l'extérieur de la région et nous

24 recevions un grand arrivage de réfugiés. C'était l'un des problèmes les

25 plus importants de mon pays. J'ai dû également me rendre à plusieurs

Page 527

1 reprises dans la région en tant que Premier ministre. Cela faisait partie

2 de mes tâches, et ensuite, après cela, on m'a demandé, au printemps 1995,

3 de prendre la place de Lord Owen, David Owen, qui était le co-Président

4 européen pour la Conférence internationale pour l'ex-Yougoslavie (CIEY)

5 -si je ne m'abuse, je crois qu'il s'agissait du mois d'août 1992, lorsque

6 la CIEY a été mise en place- et il a remplacé Lord Carrington.

7 Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne m'ont demandé de prendre sa place.

8 J'ai été nommé par la France et j'ai accepté la présidence de la

9 Communauté européenne à ce moment-là et, au début du mois de juin, j'ai

10 recommencé mon travail dans ce domaine et c'est à ce moment-là que j'ai

11 commencé si vous voulez mon application plus formelle et plus directe.

12 Question: Vous avez également mentionné, Monsieur Bildt, que vous aviez

13 rendu plusieurs visites à la région pendant que vous étiez Premier

14 ministre de Suède. Pourriez-vous nous en parler un peu?

15 Réponse: Eh bien, je me suis rendu à plusieurs reprises. C'étaient des

16 visites, j'allais au commandement des Nations Unies, bien sûr à l'époque,

17 mais j'avais également des visites sur le terrain qui étaient quelque peu

18 restreintes à cause de toutes les restrictions de sécurité. Et j'ai eu

19 l'occasion de rencontrer les personnes qui étaient responsables des

20 efforts internationaux et ainsi que les personnes… Et j'ai pu également

21 apercevoir ou savoir ce qui se passait en Croatie, le carnage qui

22 existait. J'ai pu également rencontrer quelques réfugiés. Je me souviens

23 de m'être rendu à la frontière bosnienne au mois de décembre 1992 à

24 Bosanska Gradiska, et j'ai rencontré une colonne de réfugiés qui était

25 très nombreuse et elle venait tout juste de passer par la frontière.

Page 528

1 L'une des choses assez étranges de l'histoire, c'est qu'il y avait une

2 jeune fille qui, bien sûr, lorsque nous avons essayé de retracer

3 l'histoire, s'est retrouvée dans cette colonne, et cette fille, en fait,

4 est maintenant membre du Parlement de la Suède. Voilà un peu l'étrange

5 destinée que l'on peut avoir.

6 Question: Donc vous avez eu en 1992 quelques contacts directs avec les

7 réfugiés. Vous vous êtes rendu en Bosnie et vous avez eu des réfugiés en

8 Suède?

9 Réponse: Oui, nous avons reçu un grand nombre de réfugiés provenant de

10 cette zone-là, car la guerre en Bosnie faisait ravage à ce moment-là et

11 nous avons reçu un grand nombre de réfugiés.

12 Question: Est-ce que c'est des réfugiés qui provenaient d'un groupe

13 particulier ou bien est-ce que c'était de tous groupes ethniques?

14 Réponse: Cela dépendait bien sûr du développement du conflit. Comme vous

15 le savez, concernant les réfugiés ou toutes les questions de réfugiés, il

16 est difficile d'expliquer pourquoi certains groupes se sont dirigés vers

17 différentes zones et il se peut que cela dépende des questions

18 historiques. Il se peut également que les personnes provenant d'une partie

19 du conflit se sont dirigées vers une autre partie, etc. Donc nous avons

20 reçu les personnes provenant de toute la région, de l'ensemble de la

21 région, de toutes les nationalités, mais à différents moments. Je n'ai pas

22 de nombre, de chiffre à vous fournir, mais il est certain que ce nombre

23 était très volumineux et le nombre de réfugiés qui arrivaient dans le pays

24 était très important. Et la capacité locale d'absorber toutes ces

25 personnes nouvellement venues était assez difficile. Outre cela, outre

Page 529

1 l'implication humanitaire et morale, nous voulions assurer la paix mais

2 nous pouvions voir très clairement de quelle façon le conflit avait un

3 impact sur les autres Etats européens et cela avait un impact également

4 sur les pays qui devaient continuer à mener une vie normale. Il y a un bon

5 nombre de pays qui a pris un grand nombre de réfugiés: la Suède,

6 l'Autriche, la Suisse également. Je crois que ces trois pays étaient les

7 pays qui ont accepté le plus grand nombre de réfugiés. Bien sûr, d'autres

8 pays l'ont fait également.

9 Question: Vous avez parlé de l'importance de la paix. Vous avez également

10 rédigé un livre qui s'appelle "Peace journy", "Le voyage de la paix". Je

11 souhaiterais maintenant que l'on parle de la Conférence de Dayton et

12 également des efforts déployés afin de faire en sorte que la paix règne.

13 Mais j'aimerais savoir quel était votre rôle dans cette conférence?

14 Pourriez-vous nous donner un peu l'historique et nous expliquer un peu

15 comment cela s'est déroulé?

16 Réponse: Oui, bien sûr. Simplement pour vous expliquer ce que j'ai fait,

17 j'étais représentant spécial pour la Communauté européenne, j'ai été co-

18 président pour la Conférence internationale pour l'ex-Yougoslavie, y

19 compris pour la Conférence de Dayton.

20 C'est ainsi que j'ai été représentant en Bosnie jusqu'en décembre 1997.

21 Ensuite, j'ai formellement quitté les Balkans, quoique je n'aie jamais

22 quitté les Balkans comme vous le savez de façon spirituelle, mais j'ai été

23 rappelé au printemps 1999 lorsque le secrétaire des Nations Unies Kofi

24 Annan m'a demandé d'être son envoyé spécial aux Balkans. J'ai servi en

25 tant que tel dans le cadre de cette fonction jusqu'en été dernier. Cela

Page 530

1 résume un peu mes activités dans le domaine.

2 Pour ce qui est des Accords de Dayton, je crois qu'il est bien difficile

3 d'y aller brièvement. Nous avons commencé en 1991 à prendre des démarches

4 pour prévenir la guerre et établir la paix. Cela n'est pas nécessairement

5 la chose que la communauté internationale a fait le mieux, si vous voulez.

6 Je dis cela sans entrer dans les détails, mais lorsque j'ai commencé à

7 travailler dans ce domaine à la fin de l'automne 1994, les efforts de la

8 Conférence internationale pour l'ex-Yougoslavie étaient concentrés

9 premièrement sur d'autres zones du conflit; les efforts directs en vue

10 d'en arriver à la paix avaient été pris par le groupe de contact des pays,

11 l'importance c'était la Russie, l'Allemagne, le Royaume Uni et les Etats-

12 Unis. Donc même si j'étais formellement membre de CIEY, je devais me

13 rapporter au groupe de contact. On m'a demandé d'être le leader des

14 négociations parce que les Etats-Unis avaient décidé de se retirer de

15 l'intensité de ces pourparlers.

16 Je devais parler avec M. Milosevic à Belgrade de ceci et mon but était

17 d'essayer de faciliter et d'en arriver à une compréhension un peu plus

18 compréhensive pour la communauté internationale d'arriver à la paix en

19 Bosnie. Et je crois que l'un des problèmes que nous avions jusqu'à cette

20 date, c'est que la communauté internationale n'était pas unie pour ce qui

21 est de l'idée de la paix en Bosnie-Herzégovine et il était très difficile

22 d'en arriver à ce que les parties belligérantes soient d'accord. Et le

23 problème c'est que s'il est difficile d'en arriver à faire comprendre au

24 groupe contact qu'il est important et de quelle façon il faut mettre en

25 oeuvre la paix, c'était bien difficile; alors j'avais bien peur que cela

Page 531

1 ne soit pas couronné de succès.

2 Maintenant, en été 1994, comme vous le savez, c'était la période la pire

3 pour ce qui est de la guerre. Et je crois que l'une des raisons pour cela

4 c'est qu'il y avait un sentiment généralisé que la guerre doit terminer et

5 que la paix doit être en place.

6 Et donc, nous savions très bien ce qui se passait, qu'il y avait des

7 horreurs, des violences et de la brutalité. Alors, cela a fait en sorte

8 que la communauté internationale a mieux compris et a essayé de

9 s'impliquer encore plus pour en arriver à la paix; cela a mené aux Accords

10 de Dayton, à Genève, sous le chapeautage de l'ambassadeur des Nations

11 Unies Holbrooke. Nous nous sommes rencontrés avec les ministres de l'ex-

12 Yougoslavie et la Croatie et la Bosnie, ainsi que des membres de

13 représentants des parties belligérantes de la Bosnie, afin d'en arriver à

14 un accord qui pourrait établir le cadre pour ce qui, plus tard, est devenu

15 bien sûr les Accords de Dayton.

16 Il nous fallait, bien sûr, prendre en considération tous les détails et

17 tous les points. Comme vous le savez, c'était très difficile; le diable

18 était caché derrière tout cela. C'était comment diviser le territoire, y

19 compris le principe 49/51. Et, comme vous le savez, il fallait se rendre

20 sur le terrain. Et, comme vous le savez, à fin de l'été, au début de

21 l'automne, l'armée croate était là, l'armée bosnienne était là également

22 et il fallait s'assurer que cet accord soit mis en oeuvre.

23 Bien sûr, il fallait mettre en oeuvre les détails de la structure

24 constitutionnelle de cette nouvelle Bosnie qui devait maintenant être

25 unie, dépendante et que cela devait être un pays souverain composé de deux

Page 532

1 entités autonomes: la Fédération qui devait être créée en janvier et en

2 février 1994, ainsi que la Republika Srpska qui a été reconnue pour la

3 première fois le 7 septembre, lors de cette réunion. Et ensuite, il

4 fallait unir le tout dans une Constitution commune bosnienne.

5 Question: Dites-nous, quelle était votre position, quel rôle avez-vous

6 joué au sein de la Conférence de Dayton?

7 Réponse: Eh bien, j'étais co-Président, et il y avait le Président qui

8 était le représentant des Etats-Unis au groupe de contact; c'était

9 l'ambassadeur Holbrooke. Il y avait deux co-présidents; moi-même

10 représentant, d'une certaine façon, l'Union européenne. C'était bien

11 difficile, puisque l'Union européenne n'avait pas de représentant légal,

12 si vous voulez; donc c'est moi qui devais coordonner les efforts

13 européens. Je travaillais également avec l'ambassadeur Holbrooke sur

14 toutes sortes de questions.

15 Ensuite, il y avait un deuxième co-président qui était Steven Ivanov et

16 qui, à ce moment-là, à l'époque, était le premier vice-Président à

17 l'étranger pour la Fédération russe.

18 Alors, nous trois, nous avons travaillé ensemble et nous avons discuté de

19 toutes les questions, outre les questions militaires; cela, c'était traité

20 plutôt par les pays de l'OTAN et je venais de la Suède. Je n'ai été qu'un

21 observateur, bien sûr.

22 Question: Vous avez dit que les partis étaient impliqués, vous avez dit

23 quels partis qui étaient impliqués. J'aimerais maintenant que vous nous

24 parliez un peu de la délégation serbe des Serbes de Bosnie. Est-ce que Mme

25 Plavsic faisait partie de cette délégation?

Page 533

1 Réponse: En fait, il n'y avait pas de délégation des Serbes de Bosnie, si

2 vous voulez. C'était l'une de ces choses qui a fait en sorte que Dayton

3 soit possible, justement: c'est que nous avons mis en place de nouveau des

4 mécanismes pour faire en sorte que le tout soit mis en place.

5 A l'été 1994, le groupe de contact n'avait pas réussi à faire en sorte que

6 les négociations soient entreprises entre Sarajevo et Pale, et il n'y

7 avait absolument aucune façon de faire cela.

8 Ensuite, nous avons eu recours au plan B qui était d'aller voir Milosevic

9 à Belgrade, de faire en sorte que Belgrade reconnaisse la Bosnie, les

10 frontières, la souveraineté et les principes, et de l'imposer aux Serbes

11 de Bosnie, d'une certaine façon.

12 Pour ce qui est de l'époque avant Dayton, nous avons condensé ces deux

13 approches d'une façon moderne, nous avons essayé de nous appuyer sur… Les

14 historiens diraient que nous avons dû tordre le bras, mais c'était la

15 seule façon. Nous nous sommes appuyés sur Milosevic, nous nous sommes

16 appuyés sur Tudjman pour livrer les Serbes de Croatie. Et ensuite, il y

17 avait Sarajevo qui se trouvait en plein milieu et il n'y avait pas de

18 délégation des Serbes de Bosnie; c'est la raison pour laquelle je le dis.

19 Il y avait des Serbes de Bosnie qui faisaient partie, qui étaient

20 présents; ils faisaient partie de la délégation jointe qui avait été mise

21 en place. Et si je me souviens bien, je crois que le n°1 était M.

22 Krajisnik; il était présent. Il y avait également un représentant

23 militaire; c'était le général Tolimir, si je ne m'abuse. Il y avait

24 également sur place d'autres personnes, mais je ne me souviens pas de

25 leurs noms. Je crois que M. Buha aurait pu être là également, mais je ne

Page 534

1 le sais pas; il jouait néanmoins un rôle assez limité, dans le cadre de

2 cette procédure.

3 Question: Je voudrais savoir… que vous nous parliez de l'absence de Mme

4 Plavsic. Dans toutes ces années pendant lesquelles vous avez été

5 observateur et vous étiez impliqué dans ce conflit, je voudrais savoir si

6 vous avez eu la possibilité de déterminer quelle était son implication au

7 sein des dirigeants?

8 Réponse: Lorsque j'ai commencé mon travail dans ce domaine, j'ai dû

9 étudier, bien sûr, tous les efforts de paix qui avaient été entrepris pour

10 la Yougoslavie et la Bosnie. Donc j'ai dû lire un grand nombre d'ouvrages,

11 j'ai dû comprendre toutes les négociations qui avaient eu lieu jusqu'à

12 présent.

13 Donc sur le papier, j'avais compris quelles étaient les positions de

14 chacune de ces personnes qui avaient été impliquées dans le cadre de ces

15 négociations; il m'était très clair, concernant Mme Plavsic, qu'elle

16 n'avait pas vraiment été ramenée, elle n'avait pas vraiment fait partie

17 des discussions et des décisions. Elle n'avait pas été présente lors des

18 réunions qu'on nous a demandé de traiter, pour ce qui est de toutes ces

19 questions critiques de la guerre et de la paix. Et cela s'applique, bien

20 sûr, sur ces réunions également.

21 Question: Je vous demanderai de nous expliquer et de nous parler de votre

22 approche. Lorsque vous avez préparé les Accords de Dayton, je crois que

23 vous avez dit "qu'il n'était pas possible de comprendre ce conflit à moins

24 de comprendre 1941". Pourriez-vous nous expliquer un peu ce que vous

25 voulez dire par là?

Page 535

1 Réponse: Oui, certainement, je le peux. Eh bien, pour être juste envers

2 vous tous et envers moi-même, je ne crois pas que j'avais cette

3 reconnaissance, à l'époque, lorsque vous parlez de la préparation des

4 Accords de Dayton. Je crois que je n'ai pas compris cela, à ce moment-là,

5 comme je l'ai fait plus tard.

6 Il est vrai que j'ai vécu à la fin de 1995 ou début 1996 à Sarajevo; j'y

7 ai vécu, j'y ai habité. J'ai habité à Sarajevo pendant six mois et je me

8 suis déplacé en tant que haut représentant à plusieurs reprises dans le

9 pays. J'ai eu plusieurs occasions de m'asseoir avec les personnes et de

10 parler de leur histoire personnelle, de leur destinée personnelle. Ceci,

11 je l'ai fait avec plusieurs personnes issues de toutes les parties de la

12 Bosnie et j'étais assez horrifié de remarquer qu'à tellement de reprises,

13 j'ai pu me rendre compte que les choses qui se sont déroulées dans les

14 années 1940 -que ce soit le nettoyage ethnique, les atrocités, les

15 brutalités qui avaient lieu-, eh bien, nous étions en train de revoir

16 toutes ces choses, revenir dans cette même région.

17 J'ai également écrit là-dessus et la conclusion que j'en ai tirée, c'est

18 que, sans un processus de réconciliation, il y a toujours un risque que

19 toutes ces horreurs reviennent. Je crois que l'une des façons pour

20 lesquelles la Yougoslavie de Tito n'a pas marché, c'est qu'outre le

21 régime, etc., mais ce processus de deuil n'avait jamais pris, le processus

22 de réconciliation n'avait jamais pris place et il n'y a jamais eu de

23 discussion quant à ce qui s'était vraiment passé dans les années 1940.

24 Cela voulait dire que des fois, j'entendais des histoires, parfois vraies,

25 parfois non. Des histoires qui avaient été transmises de père en fils; ces

Page 536

1 histoires n'ont jamais eu leur place dans le domaine public, il n'y avait

2 pas de structure d'Etat pour contenir ceci. Dans les années 1990, toutes

3 ces histoires sont revenues à la surface, ont simplifié et ont aidé à

4 enflammer les esprits nationalistes ou les esprits extrémistes

5 nationalistes. Et les passions ethniques également étaient retournées à la

6 surface.

7 J'ai trouvé que, lorsque j'ai vécu en Bosnie, j'ai pu finalement

8 comprendre l'importance de l'histoire. Il était également important de

9 comprendre que le processus de réconciliation était primordial afin de

10 pouvoir prévenir que, dans une ou deux générations, cela ne se répète.

11 Question: A la conclusion des négociations et des Accords de Dayton, est-

12 ce que vous espériez avoir créé quelque chose qui mènerait de façon ultime

13 vers la réconciliation?

14 Réponse: Oui, bien sûr que oui, bien sûr. Mais nous savions tous très bien

15 que cela n'était pas assez. Les Accords de Dayton étaient un début et la

16 Bosnie n'était qu'une partie du puzzle, mais je crois que, pour pouvoir

17 régler le tout, il nous faudra une image un peu plus précise. Il y a un

18 grand nombre de personnes qui habitent dans cette région. Il faut qu'il y

19 ait une réconciliation compréhensive, il faut que l'on comprenne, il faut

20 que les structures soient intégrées également dans l'ensemble de l'Europe.

21 Pour ce qui est maintenant des Accords de Dayton, c'était un accord de

22 compromis de paix. Je crois qu'il était nécessaire de faire cela, et les

23 compromis, de par leur nature, sont difficiles. Personne n'a aimé les

24 Accords de Dayton.

25 Et notre tâche était de faire en sorte que les deux côtés, les trois côtés

Page 537

1 ou toutes les parties impliquées, comprennent qu'il s'agissait de quelque

2 chose d'important. Nous ne voulions pas leur faire aimer Dayton, mais nous

3 voulions leur faire accepter les Accords de Dayton pour qu'ils puissent

4 comprendre que c'est une des façons de résoudre les problèmes pour toute

5 la région: la réconciliation et la réintégration permettent d'arrêter les

6 forces de désintégration et d'autres également.

7 Question: Suite à la conclusion des négociations et après la signature des

8 Accords, est-ce que vous avez reçu une autre tâche? Est-ce que vous avez

9 travaillé dans un autre domaine? Pourriez-vous nous dire de quelle façon

10 vous avez procédé?

11 Réponse: On m'a demandé de prendre le poste, de devenir haut représentant

12 et c'est une position qui avait été établie lors des Accords de Dayton. Si

13 je me souviens bien, c'est le Conseil de l'OTAN qui l'avait proposé.

14 Il y avait, bien sûr, une différence dans l'opinion des Américains et des

15 Européens. Les Américains étaient intéressés par la partie militaire de la

16 mise en œuvre. Les forces de l'OTAN allaient entrer après la fin de la

17 guerre et resteraient à cet endroit pour un an; c'était la doctrine de

18 l'époque. Maintenant, les Européens, sans nier bien sûr l'importance de la

19 mise en œuvre et des déploiements militaires, insistaient sur les

20 questions complexes civiles. Les Américains prendraient donc le

21 commandement des structures militaires. Et pour ce qui est des Européens,

22 c'étaient les Européens qui devaient traiter des questions civiles;

23 c'était à moi d'être à la tête de cela. Je n'étais pas tout à fait sûr que

24 je voulais le faire. Bien sûr que je savais très bien que les Accords de

25 Dayton avaient été problématiques, mais à la fin, j'ai accepté. Je suis

Page 538

1 parti pour Sarajevo et je ne regrette pas d'avoir pris cette décision.

2 Question: Quel était le pouvoir que l'on vous a donné pour essayer de

3 mettre en œuvre ceci?

4 Réponse: Eh bien, essentiellement, aucun pouvoir ne m'a été donné. En

5 fait, vous n'êtes pas obligé de prendre ma parole, mais vous pouvez lire

6 le livre. C'était l'une des erreurs de Dayton, effectivement, c'est qu'il

7 y avait un grand problème relatif aux questions militaires; et les

8 pouvoirs donnés aux hauts représentants, en fait, étaient une autorité

9 morale si vous voulez, une autorité politique. Et pour coordonner les

10 efforts, bien sûr, j'ai essayé de mon propre chef de m'impliquer dans tout

11 cela. Et à la fin de l'automne 1997, après avoir quitté, la décision a été

12 prise de donner aux hauts représentants une autorité plus directe, plus

13 exécutoire, mais malheureusement, lorsque je l'ai été, je n'ai pas eu ce

14 pouvoir. Eh bien, le reste, c'est aux historiens de conclure.

15 Question: Avant de prendre la pause et après la pause, je crois que nous

16 allons couvrir la mise en oeuvre des Accords de Dayton. Mais vous avez

17 parlé de certaines erreurs commises et je crois qu'après la pause, je

18 souhaiterais que l'on parle du problème de Sarajevo.

19 Mais pourriez-vous nous dire, pour l'instant, de quelle façon est-ce que

20 les négociations ont manqué de résoudre ce problème?

21 Réponse: Pour ce qui est des Accords de Dayton, nous avons passé trois

22 semaines à Dayton. Cela semblait durer un siècle, bien sûr à l'époque,

23 mais ce n'était qu'une période assez courte, eu égard à toutes les

24 questions que nous devions débattre. Et il nous est arrivé très souvent de

25 parler des questions inter-Ouest, si vous voulez. Nous avons parlé des

Page 539

1 structures de commandement pour l'armée, etc. Il y a un grand nombre de

2 questions auxquelles nous avons dû faire face sur le terrain ; ce sont des

3 questions dont nous n'avions pas discuté assez en détails lors de la

4 Conférence de Dayton. L'une des problématiques principales était la

5 question du transfert du pouvoir dans différentes zones.

6 Lorsque la ligne des frontières a été établie, cela a causé un grand

7 problème. Les hostilités avaient cessé, mais il y avait des zones pour

8 lesquelles il fallait se déplacer des lignes de confrontation vers les

9 nouvelles frontières interethniques. Pour certaines parties, il y avait

10 jusqu'à 100.000 personnes qui se trouvaient à l'intérieur de ces lignes.

11 Et donc non seulement à Sarajevo, mais même à l'extérieur. Et le

12 Commandant militaire de l'IFOR et moi-même, on nous a demandé de faire en

13 sorte que ce transfert d'autorité soit fait dans un délai de 90 jours.

14 Donc nous avions 90 jours pour faire en sorte que la réconciliation se

15 fasse.

16 Question: Est-ce que vous pensiez que c'était pratique et réaliste? Est-ce

17 que vous pensiez que ce délai était réaliste? Avez-vous encouragé les

18 parties à évaluer cela?

19 Réponse: Les parties ont dit que non, elles ne voulaient pas réévaluer

20 cela. Cela faisait partie de l'Accord.

21 Question: Non, je parlais du moment où l'Accord a été rédigé.

22 Réponse: Oui, nous avons certainement essayé. Cela revient maintenant à la

23 question de Sarajevo. Bien sûr, il y a eu un bon nombre d'approches

24 différentes pour ce qui est de Sarajevo, sur papier bien sûr.

25 Nous en avons parlé lors de la Conférence de Dayton. Et vous vous

Page 540

1 souviendrez certainement que, s'agissant du plan Vance-Owen, le plan de

2 paix Vance-Owen, il y avait certaines parties de cette question qui

3 avaient été élaborées. L'idée était de faire en sorte que Sarajevo et

4 Mostar soient sous une administration séparée des Nations Unies et de

5 l'Union européenne. C'était l'un des projets dont on a parlé lors de la

6 Conférence de Dayton, mais cela n'a pas eu lieu.

7 Je vois que M. Milosevic a refusé cela. L'une des raisons était également

8 qu'il s'agissait d'un problème gouvernemental très complexe et il nous

9 aurait fallu mettre en place un système assez complexe, mais nous n'avions

10 simplement pas assez de temps.

11 M. Pavich (interprétation): Est-ce que M. Milosevic avait la possibilité

12 de faire en sorte que ce délai de 90 soit plus long d'une façon réaliste?

13 Avait-il un mot à dire là-dedans?

14 M. Bildt (interprétation): Comme vous le savez, M. Milosevic est un

15 négociateur très dur...

16 M. le Président (interprétation): Maître Pavich, nous sommes en train de

17 parler de quelque chose qui serait plus approprié d'être discuté dans le

18 cadre d'un autre procès: nous parlons maintenant de M. Milosevic et de son

19 comportement.

20 Bien, nous pouvons prendre la pause maintenant et nous nous retrouverons à

21 11 heures 30.

22 Monsieur Bildt, je vous demanderai de revenir à la barre à ce moment-là.

23 Merci.

24 (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 30.)

25 M. le Président (interprétation): Poursuivez, Maître Pavich.

Page 541

1 M. Pavich (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Messieurs les

2 Juges.

3 Monsieur Bildt, j'aimerais que nous parlions maintenant de la mise en

4 oeuvre du plan du travail sur le terrain, comme vous l'avez dit,

5 s'agissant des Accords de Dayton. Au moment où vous avez pris fonction à

6 Sarajevo, comment se présentait la situation?

7 M. Bildt (interprétation): Je vous l'ai dit avant la pause: le début de

8 Dayton, c'était un début fragile, précaire visant à surmonter les

9 difficultés que rencontrait le pays. L'Accord de Dayton était forcément

10 structuré de telle façon qu'il nous a laissé une Bosnie se composant au

11 fond de trois petits Etats, deux d'entre eux étant censés constituer une

12 fédération. Ces trois Etats avaient chacun leur structure de police et

13 leur armée. La tâche immédiate, c'était la mise en oeuvre veillant à

14 séparer les forces militaires serbes des autres forces et de préparer ces

15 nouvelles frontières interethniques. Mais ça, c'était l'aspect facile: on

16 peut dépêcher des troupes en grand nombre pour séparer des armées parce

17 qu'on peut dire, à toutes fins utiles effectivement: "Si vous ne déplacez

18 pas vos troupes, nous allons vous bombarder". En règle générale, les gens

19 répondent à ce genre d'arguments.

20 Mais moi, j'avais pour tâche de rassembler et de réunir les gens. Je ne

21 pouvais pas menacer de bombarder ces gens s'ils ne s'aimaient pas, et je

22 n'avais pas beaucoup d'autres cordes à mon arc.

23 Et puis la difficulté supplémentaire, c'est que c'est seulement après la

24 tenue d'élections qu'il était possible d'entamer ce processus visant à

25 mettre sur pied les premières institutions, instances de Bosnie: le

Page 542

1 conseil des ministres, la présidence; donc je devais contribuer à la mise

2 en place de ces questions militaires, contribuer à ce que les autorités

3 soient transférées pour ensuite avoir des élections qui soient assez

4 décentes, ni plus ni moins. C'est ce qui s'est passé.

5 Là, nous sommes pratiquement un an plus tard. Nous avons les premières

6 réunions veillant à mettre en place des instances conjointes en Bosnie.

7 Dans l'intervalle, il y a d'énormes questions d'ordre humanitaire qui se

8 posent: des quantités massives de personnes déplacées à l'intérieur et à

9 l'extérieur du pays, le pays était saccagé, pas en totalité, mais pour

10 l'essentiel dévasté.

11 Question: Avant la pause, nous avons parlé de Sarajevo.

12 Réponse: Oui, ça c'était la tâche la plus immédiate. En effet, il était

13 évident que ceci allait représenter une véritable gageure. Il fallait

14 transférer l'autorité alors que nous avions plus de 100.000 Serbes qui

15 vivaient dans la région.

16 C'était vraiment l'épreuve ultime pour nous: est-ce que nous allions

17 réussir à établir ces autorités ou est-ce que nous allions de nouveau

18 devoir faire face à un énorme problème posé par les réfugiés? En l'espèce,

19 non pas des réfugiés de guerre, mais des réfugiés de paix, ce qui allait

20 corser toute cette question, toute la problématique du retour des

21 réfugiés, ce qui était essentiel si l'on voulait avoir une mise en oeuvre

22 sur le long terme des Accords de Dayton.

23 Dès le départ, après la signature des Accords à Paris, j'ai envoyé Michael

24 Steiner, qui a été après mon premier coordinateur.

25 Question: C'est le représentant des Etats-Unis?

Page 543

1 Réponse: Non, pas le représentant des Etats-Unis, mais des Nations Unies;

2 il y a une différence. Il est responsable des forces au Kosovo de l'UNMIK.

3 C'est lui qui était le vice haut représentant n°1; je pense que c'était

4 son titre complet.

5 Question: Est-ce qu'au cours de cette période vous aviez des contacts avec

6 Mme Plavsic ou est-ce que lui a eu des contacts?

7 Réponse: Nous avons établi notre bureau dès le surlendemain de mon

8 arrivée, donc, le surlendemain je suis allé à Banja Luka pour plusieurs

9 raisons. J'avais compris que c'était là un des défis principaux que

10 d'établir les liens avec les personnalités de la Republika Srpska qui

11 étaient susceptibles d'avoir une démarche plus positive, plus favorable à

12 la mise en oeuvre des Accords de Dayton.

13 Je savais qui j'allais rencontrer sur la voie de Pale, j'ai rencontré M.

14 Karadzic, le Premier ministre de l'époque, et Mme Plavsic. Pourquoi suis-

15 je allé voir Mme Plavsic? C'était aussi pour voir s'il était possible de

16 faire quelque chose pour la transition de Sarajevo. Je voulais avoir, du

17 côté serbe, une personne se trouvant ou qui connaissait ces quartiers de

18 Sarajevo, une personne digne de foi, ayant une crédibilité certaine auprès

19 des autorités de Sarajevo, auprès des autorités serbes. Et ceci ne devrait

20 pas être décidé par les autorités de Pale.

21 Question: Et pourquoi avoir décidé de la choisir et de la rencontrer,

22 elle?

23 Réponse: Elle était la vice-Présidente de la Republika Srpska, mais on m'a

24 recommandé de prendre contact avec elle. C'est une personnalité qui était

25 à l'époque -et qui l'est toujours aujourd'hui- de haut rang du côté des

Page 544

1 Musulmans de Bosnie.

2 Cette personne m'a dit: "Allez voir Mme Plavsic, elle est tout à fait

3 fiable. Obtenez des noms de contact de sa part". C'est ce que j'ai fait.

4 Nous avons établi un contact avec cette personne, puis les autorités

5 musulmanes de Sarajevo; et il a fait l'impossible pour rendre tout ceci

6 possible.

7 Mais toute l'entreprise a capoté, a échoué, a connu un échec assez

8 déplorable puisque nous avons eu jusqu'à 100.000 réfugiés. Mais il faut

9 ajouter que ni les dispositions de l'Accord de paix ni les autorités, que

10 ce soient celles de Sarajevo ou de Pale, ne nous ont aidés.

11 Je crois que les figures de proue de Sarajevo voulaient s'emparer du

12 contrôle des zones libérées des Serbes et les autorités de Pale voulaient

13 d'abord consolider, mieux asseoir la réalité de la Republika Srpska avec

14 les Serbes et voulaient montrer aussi qu'il n'était pas possible de vivre

15 ensemble.

16 Ce qui m'a frappé s'agissant de ma deuxième rencontre avec Mme Plavsic –

17 j'ai écrit à ce propos à l'époque, ce n'est pas quelque chose que

18 j'invente aujourd'hui ce qui m'a intéressé-, c'est ce qu'elle m'a dit en

19 réunion privée, ce qui était tout à fait différent de ce qu'elle disait:

20 elle disait qu'elle voulait permettre d'enrayer cette nouvelle vague de

21 réfugiés pour des raisons humanitaires.

22 Mais Mme Plavsic voulait aussi maintenir cette possibilité d'une

23 coexistence, d'une nouvelle coexistence entre Serbes, Musulmans et Croates

24 à Sarajevo. Et, manifestement, si on commençait à mettre en oeuvre ces

25 accords de paix avec un nouvel afflux massif de réfugiés et avec une

Page 545

1 désintégration accrue, ceci allait nous compliquer la tâche. Et c'est bien

2 ce qui a fini par arriver. C'est un échec qui est le fait de toutes les

3 parties concernées, de tous les protagonistes.

4 Mais je pense que, dès les tout premiers jours, Mme Plavsic a adopté un

5 point de vue différent. Et, même, il faut bien se rendre compte que ceci

6 n'a débouché sur rien puisqu'elle se trouvait à Banja Luka, loin du centre

7 de pouvoir de Pale et dénuée de tout pouvoir exécutif, s'agissant de

8 l'évolution des événements.

9 Question: Est-ce que vous avez continué à travailler avec Mme Plavsic dans

10 le cadre de l'exécution de vos fonctions en tant que représentant?

11 Réponse: Oui. Il y a eu plusieurs phases puisque cette période est assez

12 longue, celle dont nous parlons. Elle fait plus d'un an et demi de défis

13 et gageures de toutes sortes. Et, vers la fin du printemps 1997, cela a

14 débouché sur une confrontation importante avec M. Karadzic -à partir du

15 mois d'avril. Et moi, j'avais comme priorité essentielle -ce qui n'était

16 pas nécessairement connu à l'époque, puisque toutes ces activités étaient

17 loin des médias-, ces activités avaient pour objet et pour vocation

18 d'écarter M. Karadzic du poste de Président de la Republika Srpska parce

19 que c'est lui qui avait les rênes du pouvoir.

20 Question: C'était en 1996?

21 Réponse: A partir d'avril 1996. Nous avons réussi à obtenir deux accords.

22 Si je me souviens bien, le premier est intervenu le 27 juin. Le 22 juin,

23 il avait été convenu qu'il ne devrait pas être vu ni entendu ni constaté.

24 Et puis le second accord, lui, est intervenu le 30 juin, et -c'est un

25 euphémisme- il a été convenu que toute son autorité, son autorité de

Page 546

1 Président soit conférée à Mme Plavsic avec un amendement de la

2 Constitution assez complexe de la Republika Srpska, à la suite de

3 pressions extrêmes. Je l'ai menacé de sanctions, d'un éventail complet de

4 sanctions dirigées contre la Serbie par le Conseil de sécurité. Ceci a

5 déclenché pas mal d'activités du côté de M. Milosevic, même s'il n'était

6 pas particulièrement favorable à Mme Plavsic puisqu'il avait quelqu'un qui

7 devait le remplacer. Mais finalement, c'est Mme Plavsic qui a pris ses

8 fonctions, ses responsabilités. Et c'est au cours des premières journées

9 de juillet 1996 qu'elle est devenue Présidente active, plus exactement

10 faisant fonction par intérim; son poste a été confirmé par les élections

11 de septembre.

12 Question: Et est-ce qu'elle courait des risques personnels, des risques

13 politiques aussi, en acceptant ces fonctions?

14 Réponse: Je ne sais pas comment elle voit la situation; ça, c'est clair.

15 Mais moi, à l'époque, je n'étais pas tout à fait conscient de l'ampleur du

16 défi qui allait être le nôtre, s'agissant de la confrontation qui allait

17 intervenir à l'intérieur de la Republika Srpska au cours des 14 ou 15

18 mois. On était au bord de l'abîme, on risquait la confrontation armée, la

19 guerre civile, le coup d'Etat, ce genre de choses.

20 Question: Quelles étaient vos priorités au cours de ces premiers mois

21 d'activité, au moment où vous oeuvriez en faveur d'un accord pour obtenir

22 que M. Karadzic soit démis de ses fonctions?

23 Réponse: Si je veux être complet, je dois ajouter ceci: nous étions

24 surtout interpellés par la question de la fédération, fédération croato-

25 musulmane. Ce n'est pas un dossier sur lequel j'ai beaucoup travaillé.

Page 547

1 C'était surtout M. Steiner qui s'en occupait, en collaboration avec

2 l'ambassadeur américain, John Kornblum, alors que moi, je m'occupais plus

3 d'un autre dossier, à savoir les relations Sarajevo - Republika Srpska -

4 Bosnie-Herzégovine et la situation au sein de la Republika Srpska.

5 Nous avions aussi le début du programme de reconstruction; nous avions des

6 questions humanitaires sur les bras, et il faut bien dire qu'il y avait

7 des questions qui étaient encore pendantes. J'avais encore la

8 responsabilité de la totalité de la région. J'étais sous pression et

9 j'essayais aussi de convaincre la communauté internationale qu'il fallait

10 intervenir plus fermement, plus activement en faveur du Kosovo. Ceci n'a

11 pas donné beaucoup de résultats à l'époque, mais cette question, cette

12 problématique a occupé mon temps dans une certaine mesure. Et puis, il y

13 avait des questions de coordination quotidienne entre les différents

14 protagonistes: le commandant de l'IFOR, les activités des différentes

15 organisations internationales, le commandement de l'OTAN, l'OSCE,

16 l'ambassadeur Frowick, le HCR, toutes ces questions.

17 Question: Nous pourrons parler des questions relatives aux élections avec

18 l'ambassadeur Frowick, n'est-ce pas?

19 Réponse: Tout à fait, puisque c'est lui qui s'en occupait directement.

20 Moi, j'avais un rôle d'appui, un rôle de coordination.

21 Question: Vous avez aussi parlé des questions relatives à la police.

22 Pourriez-vous en dire davantage?

23 Réponse: Ça, c'est intervenu un peu plus tard; c'est ce qui a provoqué, un

24 an plus tard, les confrontations les plus dures.

25 Nous sommes au mois de mai 1997; ça va jusqu'en été, en automne 1997: nous

Page 548

1 l'avons vu au Kosovo et ailleurs. Vous savez les questions de police sont

2 essentielles parce que, sans police, il n'y a pas d'Etat de droit. Et s'il

3 n'y a pas d'Etat de droit, il n'y aura pas de démocratie véritable ni de

4 retour de réfugiés.

5 Par conséquent, les forces de police dont on a, pour ainsi dire, hérité en

6 Bosnie, c'étaient bien sûr des forces de police qui avaient été établies,

7 renforcées pour que les dirigeants de l'époque soient soutenus. Bien sûr

8 qu'il y avait des éléments de police yougoslaves, mais il y avait beaucoup

9 d'éléments composés finalement de brigands recrutés au niveau local, un

10 peu à la hâte, et il y en a eu de tous bords dans cette guerre.

11 Par la suite, nous avons vu la nécessité -et ceci a été rendu possible- de

12 réformer les forces de police. Nous avons commencé par Sarajevo -mais ça,

13 c'est une autre histoire- et par Mostar -mais ça aussi, c'est une autre

14 histoire.

15 Question: Excusez-moi de vous interrompre mais, apparemment, le retour des

16 réfugiés et la réforme des forces de police étaient intrinsèquement liés,

17 n'est-ce pas?

18 Réponse: C'est vrai, il y avait un lien certain et c'était aussi en

19 rapport avec les différentes structures de l'époque. Est-ce qu'on allait

20 essayer de recréer quelque chose qui avait été perdu du fait de la guerre?

21 Moi, je n'ai jamais pensé que tout le monde allait rentrer chez soi, mais

22 j'étais conformément convaincu du fait que, si les gens voulaient rentrer

23 chez eux, on n'allait leur enlever ce droit en aucune façon.

24 Mais qu'il y ait possibilité de retour des réfugiés, il fallait préserver

25 l'environnement. Au début, tout le monde a essayé de rentrer chez soi. Les

Page 549

1 gens parlaient de rentrer dans des endroits où ils se trouvaient en

2 minorité; la plupart voulaient rentrer dans les régions où ils se

3 trouvaient en majorité.

4 Mais, de toute façon, peu importe quelle est la région dont on parlait.

5 Partout, il y a eu des violences: on incendiait les maisons, on proférait

6 des menaces à l'égard des résidents, des actions en masse ont été

7 entreprises. Et la seule façon de répondre à tout ceci, c'est d'avoir des

8 structures de police qui s'installent, un Etat de droit qui fonctionne de

9 façon durable, de sorte que les Serbes puissent rentrer en RS, les Croates

10 puissent rentrer chez eux, les Musulmans de Bosnie à Sarajevo et ailleurs.

11 Bien sûr si vous voyez ceci sous l'angle de la Republika Srpska, ceci

12 touche la structure de Pale en son cœur puisqu'à ce moment-là, la guerre

13 étant terminée, l'aspect militaire était moins important. On dépendait

14 davantage des forces de police. Il y avait des réseaux de contrebande dont

15 il fallait permettre le fonctionnement. Il y avait aussi d'autres

16 nécessités à des fins financières. Il y avait toutes sortes de structures

17 qui fonctionnaient d'intimidation politique, essentielles pour le maintien

18 du pouvoir à Pale.

19 Question: Comment pourriez-vous caractériser le rôle de Mme Plavsic

20 lorsque sont abordées avec vous ces questions essentielles du retour de

21 réfugiés et de la réforme des polices ou structures? Est-ce qu'elle a été

22 d'une assistance quelconque?

23 Réponse: Pour ce qui est de la question des réfugiés, disons tout d'abord

24 que tous les réfugiés qui se trouvaient en Republika Srpska constituaient

25 un problème important; et ça, c'était vrai aussi pour la partie

Page 550

1 occidentale de la Bosnie. Et ça, c'est vrai pour les deux Krajina serbes,

2 ça faisait quelque chose comme 200.000 ou 300.000 personnes.

3 Question: De la Krajina croate?

4 Réponse: Oui.

5 Question: Et ceci se pose quand, comme problème?

6 Réponse: Août 1995.

7 Question: Vous avez dit que c'est une des périodes les plus difficiles de

8 toute la période de la guerre?

9 Réponse: Pendant tout l'été, effectivement, il y a eu d'abord Srebrenica,

10 il y eu l'offensive en Krajina croate, il y a eu des centaines de

11 personnes qui se sont enfuies, ce qui veut dire qu'il y a eu un exode de

12 réfugiés incroyable, que ce soit à Banja Luka ou dans la Bosnie

13 occidentale ainsi qu'en Republika Srpska occidentale. Il y a eu jusqu'à

14 100.000 personnes déplacées, notamment au niveau de Sarajevo. Ceci posait

15 des problèmes d'ordre humanitaire énormes qui préoccupaient manifestement

16 Mme Plavsic.

17 A cela se greffe une autre question: celle, disons, du retour des

18 minorités. C'est une tournure de phrase que j'utilise, même si quelquefois

19 les gens rentraient dans des régions où leur groupe ethnique constituait

20 une majorité avant la guerre; mais maintenant, ça devenait des retours

21 dans des zones où ils étaient minoritaires. Et ça, c'était une question

22 des plus épineuses.

23 Si vous avez lu l'ouvrage que j'ai écrit, j'y relate les conversations que

24 j'ai eues avec le Président Izetbegovic à Sarajevo, avec la Présidente

25 Plavsic à Banja Luka et, pratiquement, elles étaient de la même veine.

Page 551

1 Je m'explique: tout d'abord, il fallait obtenir des tribunaux qu'ils

2 reconnaissent le droit à la propriété; par exemple, que telle ou telle

3 personne est propriétaire de tel ou tel appartement occupé à ce moment-là

4 par quelqu'un d'autre. Ce n'était pas simple. On a réussi à le faire plus

5 vite à Banja Luka qu'à Sarajevo.

6 Puis se posait la question…

7 Question: Excusez-moi de vous interrompre. Vous dites que vous avez réussi

8 à le faire un peu plus tôt à Banja Luka. Est-ce que Mme Plavsic a joué un

9 rôle quelconque dans ce sens?

10 Réponse: Je ne pense pas que ce soit le cas, parce que c'était surtout une

11 question… Mais là, je ne peux pas vous donner les détails de cette

12 problématique. Mais je ne pense pas que ce soit le cas.

13 Et puis, il y a une deuxième phase au cours de laquelle il fallait obtenir

14 des forces de police qu'elles évincent de ces appartements, chassent de

15 ces appartements les personnes qui les occupaient, qu'elles les expulsent.

16 Et ça, c'est une question difficile dont j'ai discuté longuement avec Mme

17 Plavsic comme avec le Président Izetbegovic. Il faut bien dire que ces

18 deux personnalités étaient très préoccupées par les personnes qui

19 occupaient ces appartements. Souvent, c'étaient des personnes qui avaient

20 perdu tout ce qu'elles avaient ailleurs et ne savaient où aller.

21 Par conséquent, si on y envoyait des forces de police, on les chassait, on

22 les expulsait et ils se retrouvaient dans la rue, sans nulle part où

23 aller. Donc ces forces de police nous ont posé des problèmes, à Banja Luka

24 comme à Sarajevo. En fin de compte, Mme Plavsic a reconnu la logique de

25 tout cela. Elle a essayé de nous aider pour obtenir certaines de ces

Page 552

1 expulsions.

2 Il y a eu très peu d'expulsions, au départ, mais c'est le début qui a été

3 le plus pénible; c'est toujours au début que c'est le plus pénible.

4 Maintenant, on parle évidemment d'un nombre assez élevé de réfugiés. Mais,

5 enfin, on a brisé la glace, on a entamé ce processus et l'on faisait

6 partie, d'ailleurs, de ce processus.

7 Question: Vous avez parlé de la réforme des structures de police. Vous

8 avez dit qu'il s'agissait là d'un projet à plus long terme?

9 Réponse: C'est exact.

10 Question: Est-ce que Mme Plavsic a été partie intégrante de ce processus?

11 Est-ce que ça signifiait, pour elle, des risques politiques et personnels?

12 Réponse: Oui, effectivement. Car nous étions, à ce moment-là, au début du

13 printemps 1997, fin de l'hiver 1997. Là, je parle de la communauté

14 internationale. Fin 1996, elle s'attachait surtout à établir les instances

15 et institutions conjointes en Bosnie; ceci a nécessité de longs

16 pourparlers, notamment avec le côté serbe représenté par M. Krajisnik qui

17 était le membre serbe élu de la Présidence de Bosnie.

18 Et puis, il y a eu d'autres questions, des questions internes à la RS,

19 Republika Srpska, et on a commencé à aborder ces problèmes.

20 Mais il y avait de plus en plus d'affrontements entre Mme Plavsic, qui

21 était à Banja Luka, et le pouvoir à Pale, si je peux utiliser ce terme. La

22 tension ne cessait de monter entre Banja Luka et Pale et se concentrait

23 sur plusieurs sujets. Il fallait soutenir la Constitution de la Republika

24 Srpska, la Constitution de la Bosnie. Elle était le Président élu –ça,

25 c'était manifeste- et elle était menacée.

Page 553

1 Un des premiers signes des menaces qui pesaient sur elle s'est manifesté

2 au moment où il y a eu une réunion du comité central du SDS à Pale; je

3 pense que ça s'est passé le 22 mars. On a essayé de la démettre de ses

4 fonctions. Et là, nous avons considéré la situation comme périlleuse, nous

5 avons pris des mesures pour protéger le lieu de résidence de Mme Plavsic.

6 Ce plan n'a pas pu se réaliser parce que nous avons pris d'autres mesures.

7 Pale avait, pour sa part, un plan et nous nous sommes dit qu'il était trop

8 dangereux que Mme Plavsic se déplace en voiture de Pale à Banja Luka; on

9 risquait des attaques, le danger était trop grand, et c'est la première

10 fois que nous lui avons proposé d'utiliser un hélicoptère, offre qu'elle a

11 acceptée. Elle a pu partir de Pale pour revenir à Banja Luka où elle était

12 en lieu sûr.

13 Ça, c'était une première, mais il y a eu trois ou quatre situations de ce

14 genre où nous avons estimé qu'il y avait une menace, un risque, un danger

15 physique dans le cadre des tentatives déployées par Pale pour se

16 débarrasser d'elle. Parce qu'effectivement ils estimaient que Dayton, s'il

17 était réalisé, était une véritable menace pour Pale, alors que d'autres

18 pensaient qu'une pleine et entière réalisation des Accords de Dayton

19 allait être bénéfique aux Serbes et à la Bosnie, et c'était là la

20 quintessence de cette confrontation.

21 En 1996, on a réussi à se débarrasser du Premier ministre de l'époque, M.

22 Karadzic, mais ce n'était pas vraiment une figure de proue; il l'était,

23 dans une certaine mesure, mais Mme Plavsic bénéficiait d'une plus grande

24 crédibilité, avait une autre fonction puisqu'elle était Présidente élue de

25 la Republika Srpska; elle était le fer de lance, elle était une menace

Page 554

1 bien plus difficile. Et d'après les mesures que nous avons dû prendre pour

2 protéger l'autorité constitutionnelle de la Republika Srpska, là aussi les

3 difficultés étaient plus grandes.

4 Je ne sais pas si vous avez d'autres questions?

5 Question: J'aimerais que vous nous parliez des efforts entrepris par vous

6 et par elle-même, puisque vous agissiez en tandem, pour essayer de mener à

7 bien ces réformes nécessitées par l'Accord de Dayton. Est-ce qu'il y avait

8 eu des risques qui s'étaient fait jour?

9 Réponse: Je crois que l'essentiel, le problème n°1, c'était la question de

10 la police. J'avais un rôle de coordinateur. Il y avait, à ce moment-là, M.

11 Ky Eide, un SRSD…

12 Question: Pourriez-vous nous dire ce que ce sigle signifie?

13 Réponse: Excusez-moi, c'est un représentant spécial du secrétariat; donc

14 il était à la tête de la Mission des Nations Unies en Bosnie. La mission

15 était une mission de la force internationale: des tâches de police qui

16 consistent à superviser et à assurer le suivi des réformes pour ce qui est

17 des structures de police. Et puis, je travaillais avec le commandement de

18 ce qui était, à l'époque, la SFOR et qui est devenu l'IFOR. C'était aussi

19 une nouvelle personne qui se trouvait à la tête de cette entité, M.

20 Crouch.

21 Question: Ça, c'est l'aspect militaire?

22 Réponse: En fait, nous avons constitué une espèce de troïka, de triumvirat

23 en vue de la réalisation des réformes de police. Et au cours du mois

24 d'avril, du mois de mai, du mois de juin, nous avons eu beaucoup de

25 réunions très intensives avec Mme Plavsic, avec M. Kijac qui était le

Page 555

1 ministre chargé de la police.

2 Au cours de ces réunions, nous avons essayé de faire passer ces réformes,

3 de les faire accepter. Il est apparu assez clairement que M. Kijac avait

4 un autre objectif, et ceci a débouché sur de très sérieuses confrontations

5 entre nous: avec nous d'un côté, M. Kijac et Mme Plavsic de l'autre côté;

6 c'est une des dernières crises que nous avons connues.

7 Puis, je suis parti, j'ai quitté mon poste officiellement, mais auparavant

8 j'avais des contacts plus que quotidiens pour que mon successeur, M.

9 Westendorf, soit au courant de la situation. Nous sommes à ce moment-là

10 fin juin.

11 Monsieur Kijac a démis de ses fonctions un des chefs principaux de la

12 police à Banja Luka qui était favorable à l'Etat de droit, au respect de

13 la Constitution; Mme Plavsic a limogé M. Kijac; M. Kijac a de nouveau

14 limogé quelqu'un de la police à Banja Luka et ceci a donné une situation

15 où Mme Plavsic était partie en visite officielle au Royaume-Uni. Je pense

16 que nous nous lui avons dit qu'il n'était pas sage de retourner, de

17 rentrer à Banja Luka.

18 Question: Où était-elle?

19 Réponse: Elle était en visite officielle à Londres, si je ne m'abuse. A ce

20 moment-là, on lui a conseillé de revenir en passant par Belgrade, et ce

21 conseil s'est avéré assez mauvais car elle a été appréhendée par la police

22 à l'aéroport de Belgrade. Nous, nous étions au courant à ce moment-là, il

23 y a eu une intervention diplomatique importante.

24 Question: Monsieur Dodik nous en a dit quelques mots hier, mais il n'est

25 pas allé au-delà de nous dire qu'elle avait été appréhendée à Belgrade.

Page 556

1 Pouvez-vous nous donner davantage de détails?

2 Réponse: Elle a été appréhendée à l'aéroport de Belgrade. Il y a eu

3 interventions diplomatiques de la part du Royaume-Uni et des Etats-Unis

4 -dirais-je- qui ont contribué à régler la situation à l'aéroport à

5 Belgrade et, si je ne m'abuse, c'est la police yougoslave qui l'a escortée

6 jusqu'à la frontière bosniaque. A ce moment-là, nous savions que le plan

7 avait pour objet de la transférer en Republika Srpska entre les mains de

8 la police de Pale.

9 Leur intention était de la mettre en détention quelque part. Je n'ai pas

10 de certitude sur ce point, mais manifestement il y avait un projet qui

11 prévoyait de la placer en traitement psychiatrique; en tout cas, de la

12 faire sortir de la scène. Mais nous avons eu de la chance parce que nos

13 forces sont arrivées les premières sur place, avant la police de Pale;

14 donc nous avons réussi à lui fournir notre protection. Ceci a été fait

15 dans mon bureau avec la SFOR et les représentants de l'OTAN. Nous l'avons

16 ramenée en toute sécurité à Banja Luka, mais cela n'a pas suffi à résoudre

17 le problème bien entendu, puisque le résultat a été la poursuite de

18 l'affrontement.

19 Au cours des jours suivants, il nous a fallu prendre d'autres mesures à

20 Banja Luka pour assurer sa protection de diverses manières. En effet, à un

21 certain moment au cours de ces fameux jours qui ont suivi, nous avons

22 appris que des forces assez spéciales avaient été envoyées de Pale pour

23 l'arrêter. Et, par une coïncidence assez étonnante, nous avons déployé

24 -lorsque je dis "nous", je parle de la communauté internationale- des

25 forces et mis en oeuvre des moyens particuliers pour interdire et empêcher

Page 557

1 un certain nombre d'activités; et nous y avons réussi. Nous ne savons pas

2 ce qui aurait pu arriver si nous avions échoué.

3 En tout cas, les choses se sont passées ainsi et, manifestement, la

4 situation était lourde de menaces. Plus tard, dans la région de Brcko, ces

5 menaces se sont concrétisées et, bien entendu, il y a eu ces affrontements

6 à Banja Luka également, qui se situaient vraiment à la limite de la guerre

7 ouverte.

8 En tout cas, on peut parler de recours important à la violence dans cette

9 période, mais finalement le règne de la loi constitutionnelle l'a emporté

10 en Republika Srpska.

11 Question: A-t-elle fait partie de tout cela?

12 Réponse: Je pense que, pour l'essentiel, oui. On ne sait jamais parce que

13 l'histoire, c'est quelque chose qui ne se produit qu'une fois. Mais je

14 dirais, si l'on part du principe qu'éventuellement elle aurait pu être

15 sortie de la scène et que les gens de Pale auraient pu prendre le pouvoir,

16 pendant toute cette période, je pense que nous n'aurions pas pu faire ce

17 que nous avions fait en faveur de la paix et de sa mise en œuvre dans ce

18 cas-là. Je dirais qu'elle a donc eu une certaine importance pour éviter un

19 bain de sang. S'agissant du retour des réfugiés et des affrontements en

20 Republika Srpska; elle a joué un rôle important.

21 Le fait qu'elle défendait le règne de la Constitution en Republika Srpska,

22 le fait que nous ayons pu la soutenir alors qu'elle était manifestement

23 menacée, le fait que nous ayons pu lui faciliter un peu les choses, je ne

24 dis pas que cela a tout réglé, cela n'a pas été le cas; beaucoup de choses

25 n'ont pas été réglées. Il y avait de très nombreux problèmes sur lesquels

Page 558

1 Mme Plavsic et moi-même n'étions pas en accord. Nous n'avions pas le même

2 point de vue sur le rythme de la mise en œuvre de Dayton et ma mission

3 consistait à faire pression sur les autorités de l'ensemble de la Bosnie

4 pour que cela soit accéléré jour après jour.

5 Je n'ai pas eu satisfaction dans cette mission mais, sans elle, je pense

6 que les choses auraient été très différentes, que les dangers auraient été

7 importants et que la violence aurait certainement été plus grande.

8 Question: Vous nous avez parlé de la réforme de la police. Vous rappelez-

9 vous si des efforts ont été déployés pour limoger le général de l'armée de

10 la Republika Srpska, le commandant de cette armée?

11 Réponse: Oh oui. Ça, c'était avant et cela fait partie également de son

12 travail en faveur de la Constitution. En 1997, en tout cas, elle a obtenu

13 le limogeage de celui qui commandait à l'époque l'armée, à savoir le

14 général Mladic, et ceci parce que le général Mladic ne s'inscrivait

15 vraiment pas dans l'instauration de la Constitution. Il n'obtempérait pas

16 aux exigences politiques du moment et, en conséquence, il a été limogé.

17 Ceci a créé une situation très tendue avec un certain nombre

18 d'interventions militaires, ou en tout cas de menaces d'intervention

19 militaire. C'est à ce moment-là que, dans l'est de la Republika Srpska,

20 des barrages routiers ont été érigés -on l'a vu à la télévision- et une

21 marche sur Pale a été proposée, mais elle est restée à l'état de menace:

22 elle n'a pas eu lieu et finalement, son limogeage a été accepté.

23 Question: Qui a assumé la responsabilité de tout cela?

24 Réponse: Eh bien, la Présidente de la Republika Srpska avait un pouvoir

25 relativement étendu, y compris le pouvoir de le limoger. Donc elle était

Page 559

1 la seule qui a pu, en application de la Constitution, prendre cette

2 décision. Et le fait que la Constitution de la Republika Srpska ait été

3 rédigée pour octroyer un pouvoir important au Président, je suppose que

4 l'on peut spéculer pour les raisons derrière cela, mais en tout cas

5 c'était le cas. Donc cela lui a permis d'entreprendre des actions de plus

6 en plus nombreuses en faveur de l'application du processus de paix.

7 Je dis "de plus en plus nombreuses" parce qu'au début, le pouvoir réel se

8 trouvait à Pale, malgré l'existence d'un pouvoir également à Banja Luka.

9 Mais à la fin de ce processus, en tout cas lorsque j'ai quitté les lieux,

10 le pouvoir réel était davantage à Banja Luka, mais il n'était pas à encore

11 entièrement à Banja Luka. Il y avait encore un combat qui se menait entre

12 deux Republika Srpska sur deux visions, deux points de vue différents,

13 l'un qui consistait à promouvoir la coopération avec la communauté

14 internationale et l'autre, l'opposition à Dayton et à la communauté

15 internationale.

16 Question: Etait-ce dans l'intérêt des Serbes de coopérer avec la

17 communauté internationale dans la mesure où leur avenir était en cause? Je

18 sais que vous avez beaucoup écrit à ce sujet dans vos ouvrages.

19 Réponse: Eh bien, à mon humble avis, tous les gens de la région avaient

20 intérêt à ce que la guerre cesse, car c'était vraiment une guerre

21 horrible, véritablement atroce. Mais les Serbes avaient également intérêt

22 -c'était également un intérêt partagé par d'autres- à créer des structures

23 constitutionnelles susceptibles de favoriser la réconciliation et la

24 coexistence entre les différentes populations dans la région dans le cadre

25 d'un équilibre rétabli.

Page 560

1 Je ne suis pas entièrement sûr que ceci ait été accompli encore

2 aujourd'hui. Mais, par la nature même des choses -et je l'ai déjà dit

3 précédemment-, je pense qu'il est important de comprendre que l'Accord de

4 paix de Dayton était un accord de compromis, il ne scellait pas la

5 victoire des uns contre les autres. Chacun, dans le cadre d'une guerre,

6 cherche à l'emporter, à être le vainqueur; je l'ai déjà dit également.

7 Personne n'apprécie le compromis et personne n'a beaucoup apprécié Dayton.

8 Les parties belligérantes -c'est une expression que j'ai appris à utiliser

9 pendant toute la période où j'étais dans la région- ont cherché à

10 l'emporter sur le plan politique par d'autres moyens. J'ai vite appris que

11 l'application du processus de paix par les anciennes parties belligérantes

12 consistait à lancer une autre guerre qui se situait sur le plan politique.

13 Chacun donc essayait, dans le cadre du processus de paix, de faire

14 prévaloir son propre intérêt, ses propres positions au vu et au su de la

15 communauté internationale qui, elle, cherchait la réconciliation dans le

16 cadre du compromis le plus réalisable.

17 Donc le compromis recherché n'était pas le plus parfait, mais le plus

18 réalisable. La seule possibilité, manifestement dans l'intérêt des Serbes,

19 ainsi d'ailleurs que des Musulmans ou des Croates ou des Albanais ou de

20 toute autre population en Bosnie-Herzégovine, était de mettre en

21 application le processus de paix.

22 Cela n'a pas été facile; les étrangers étaient présents, moi et d'autres,

23 en faveur de ce processus de réconciliation. Si nous ne réussissions pas à

24 obtenir la réconciliation, nous ne pouvions pas parler de succès dans

25 notre tâche. Si nous nous contentions de constater la présence d'un cycle

Page 561

1 de vengeance et de châtiment, la paix ne pouvait pas être restaurée et la

2 réconciliation ne pouvait pas l'emporter.

3 Question: Monsieur Bildt, vous nous avez parlé de la contribution

4 nécessaire au processus de réconciliation. Madame Biljana Plavsic a admis

5 sa responsabilité au cours de cette audience et vous êtes présent au cours

6 de cette audience également. Pouvez-vous nous dire quel est votre point de

7 vue sur la façon dont elle aurait contribué à ce processus?

8 Réponse: Eh bien, en ma qualité de représentant des Nations Unies et du

9 Conseil de sécurité, je tiens à le dire ici, je pense que la tâche de ce

10 Tribunal est d'une importance historique, immense. Etablir le règne de la

11 justice, pas en tant qu'instrument de châtiment simplement, mais en tant

12 qu'instrument de réconciliation est une tâche historique immense.

13 Nous en avons déjà parlé et je vais en redire quelques mots.

14 L'importance des événements des années 40 par rapport à ce qui s'est passé

15 dans les années 90. Je crois que l'un des échecs cuisants de la

16 Yougoslavie de Tito s'agissant de la réconciliation -parce qu'il y avait

17 ce slogan de fraternité et d'unité-, mais, en fait, derrière ce slogan, il

18 n'y avait pas réelle réconciliation, elle n'a vraiment jamais été

19 recherchée. Donc le fait de chercher à définir exactement ce qui s'était

20 passé, le fait de dire "que ce soit bien ou mal, c'est ainsi que les

21 choses se sont passées et nous acceptons notre responsabilité vis-à-vis de

22 la vérité", ce fait est d'une importance immense. Et ceci, bien sûr, avait

23 une répercussion immédiate, capitale sur la mise en oeuvre des différentes

24 dispositions de l'Accord de paix, s'agissant du retour des réfugiés, de la

25 mise en place d'institutions, de la reconstruction économique. Cela devait

Page 562

1 donc sceller le succès ou l'échec du processus de réconciliation.

2 Je dirais que, depuis le début de 1996 ou même 1995, sur le plan

3 historique, Mme Plavsic a fait preuve d'un grand courage dans son appui au

4 plan de paix et à sa mise en oeuvre. Elle n'était pas, au début, très

5 favorable aux Accords de Dayton. D'ailleurs, il y en avait très peu qui

6 soutenaient les Accords de Dayton dans les tout premiers jours. Mais par

7 la suite, elle a accepté cet Accord de paix, elle a soutenu fermement le

8 règne de la loi constitutionnelle, elle a pris des mesures concrètes à cet

9 égard, elle a parlé très honnêtement de ce que fait ce Tribunal et des

10 conséquences de cette action. Et je crois que ceci a contribué à la

11 réconciliation dans la région et qu'elle a fait ce que très peu de

12 personnes, dirigeants politiques de l'époque dans la région, ont fait.

13 M. Pavich (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur Bildt.

14 M. Robinson (interprétation): Monsieur Bildt, s'agissant de la

15 réconciliation, le processus mis en œuvre par ce Tribunal, à savoir le

16 fait de juger, contribue également à la réconciliation. Qu'un jugement se

17 termine sur un acquittement ou sur une condamnation, c'est une

18 contribution à la réconciliation.

19 Ce qui m'intéresse, ce serait de savoir pourquoi le fait de plaider

20 coupable constitue une contribution à ce processus très particulier. Car

21 le fait de participer à un procès est en soit une contribution à la

22 réconciliation. Et le plaidoyer de culpabilité n'est qu'une partie de ce

23 processus de jugement.

24 M. Bildt (interprétation): Monsieur le Juge, je suis entièrement d'accord

25 avec vous sur le fait que de juger dans le cadre d'un procès contribue à

Page 563

1 la réconciliation en soit. En effet, vous entrez dans les détails des

2 événements et, peu à peu, vous faites admettre, par l'ensemble de la

3 population sur le terrain, la réalité des événements, si je puis

4 m'exprimer ainsi. Je crois que cela contribue à la réconciliation.

5 Il n'est pas facile d'accomplir ce travail, c'est toujours assez difficile

6 au départ, mais l'objectif est bien celui-là, et c'est celui qui doit être

7 obtenu. Je pense que cela contribue effectivement, globalement à la

8 réconciliation.

9 Quant au plaidoyer de culpabilité, bien sûr, il rend quelqu'un plus

10 crédible. Le fait que quelqu'un comme Mme Plavsic plaide coupable

11 contribue grandement à la réconciliation en lui apportant davantage de

12 crédibilité.

13 Des dirigeants politiques -je n'étais pas dans la région au début des

14 années 1990, comme vous le savez, mais, bien sûr, j'ai approché un grand

15 nombre de personnes qui étaient dans la région à l'époque-, j'ai parlé

16 avec ces personnes; je pense qu'elle a joué un rôle symbolique, en tout

17 cas dans les décisions et structures prises à ce moment-là.

18 Cependant, elle est devenue vice-Présidente de la Republika Srpska et elle

19 a admis sa responsabilité en public, eu égard aux événements que nous

20 connaissons tous. Il ne fait aucun doute que ceci constitue une

21 contribution importante au processus de réconciliation.

22 Je pense que l'intervention du Tribunal, les procès menés devant ce

23 Tribunal, en l'absence d'admission de la culpabilité, peuvent contribuer à

24 la réconciliation, mais que celle-ci est beaucoup plus difficile à obtenir

25 lorsqu'il n'y a pas cet aveu de culpabilité. Car il y a remise en cause et

Page 564

1 discussion au sujet de la réalité des événements. Et d'une certaine façon,

2 bataille de propagande. Alors que, lorsqu'on est en présence d'un aveu de

3 culpabilité, la situation est très différente, je pense, s'agissant de

4 l'effet que celle-ci peut avoir sur le processus de réconciliation. En

5 tout cas, c'est mon avis.

6 M. Robinson (interprétation): Et je suppose que son rôle de dirigeante est

7 également important de ce point de vue?

8 M. Bildt (interprétation): Oui, oui, en effet. Il est permis de dire bien

9 sûr que le fait qu'elle soit assise dans ce prétoire, ici, aujourd'hui,

10 résulte d'une coopération très étroite entre la communauté internationale

11 et Mme Plavsic. J'ai déjà rappelé des événements survenus en 1996-1997

12 dans la région. Moi, je suis ensuite parti, mais elle est restée. Et

13 lorsque, beaucoup plus tard, elle a appris qu'elle faisait l'objet de ce

14 qu'il est convenu d'appeler un Acte d'accusation secret, si je ne m'abuse,

15 je n'étais pas là-bas à l'époque. Mais j'ai parlé à des gens qui y

16 étaient. Elle a eu pour réaction immédiate de venir à La Haye.

17 La justice doit être rendue. Elle n'a pas été amenée ici, elle est venue

18 de son plein gré. Et aucun autre dirigeant de haut rang sur la scène

19 politique ou sur la scène militaire n'a agi comme elle, si je ne m'abuse.

20 Il se trouve que j'étais en Bosnie lorsque les premières discussions ont

21 eu lieu au sujet de l'interpellation de certaines personnes et je sais que

22 certaines personnes ont été transférées, ici, à La Haye dans des

23 circonstances assez difficiles. Alors que pour ce qui la concerne, elle a

24 appris ce qu'il en était et elle a dit: "J'irai à La Haye."

25 Et bien entendu, sa décision a eu pour résultat les débats judiciaires

Page 565

1 auxquels nous participons ici aujourd'hui, étant entendu qu'elle a plaidé

2 coupable par rapport à l'un des chefs d'accusation de l'Acte d'accusation.

3 M. le Président (interprétation): Monsieur Carl Bildt, ceci met fin à

4 votre déposition. Je vous remercie d'être venu devant le Tribunal pénal

5 international pour témoigner.

6 M. Bildt (interprétation): Merci.

7 (Le témoin, M. Carl Bildt, est reconduit hors du prétoire.)

8 M. le Président (interprétation): Maître O'Sullivan, vous avez la parole.

9 M. O'Sullivan (interprétation): Le témoin suivant est Son Excellence M.

10 l'Ambassadeur Robert Frowick.

11 Je tiens à vous informer que, dans le classeur bleu que nous avons fourni

12 ce matin, vous trouverez l'affidavit de M. Frowick à l'intercalaire 3 et,

13 à l'intercalaire 4, son curriculum vitae.

14 Nous attendons le témoin suivant.

15 (Le témoin, M. Robert Frowick, est introduit dans le prétoire.)

16 (Interrogatoire principal du témoin, M. Robert Frowick, par Me

17 O'Sullivan.)

18 M. le Président (interprétation): Je demanderais au témoin de prononcer la

19 déclaration solennelle.

20 M. Frowick (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

21 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

22 M. le Président (interprétation): Monsieur Frowick, vous pouvez vous

23 asseoir.

24 (Le témoin s'assoit.)

25 M. O'Sullivan (interprétation): Bonjour, Monsieur. Pouvez-vous décliner

Page 566

1 votre nom et prénom pour le compte rendu d'audience?

2 M. Frowick (interprétation): Bonjour. Robert Frowick.

3 Question: Merci. Les Juges de cette Chambre ont reçu un exemplaire de

4 votre curriculum vitae que vous nous aviez remis; je ne vais donc pas

5 m'appesantir sur ce sujet, mais je vais me contenter de quelques questions

6 sur votre historique personnel pour vous demander l'exactitude de ces

7 éléments.

8 Est-il exact que vous avez travaillé au sein du ministère des Affaires

9 étrangères du gouvernement américain de 1960 à 2001?

10 Réponse: Pas sans interruption. J'ai pris ma retraite en 1999, mais on n'a

11 cessé de me rappeler pour me confier des missions dans le cadre des

12 efforts importants déployés vis-à-vis de la Bosnie-Herzégovine ces

13 dernières années.

14 Question: Dans vos postes diplomatiques, tout au long de ces années vous

15 avez eu l'occasion de vous trouver en Europe, et notamment en Europe

16 orientale et en Asie, n'est-ce pas?

17 Réponse: Oui, je dirais que j'ai passé le gros de ma carrière à m'occuper

18 d'affaires liées à l'Europe, aussi bien à l'est qu'à l'ouest de l'Europe.

19 J'ai fait quelques voyages dans la région Asie, Pacifique également pour

20 discuter des relations avec l'Europe orientale et l'Europe occidentale.

21 Question: En 1986, vous avez été élevé au rang d'ambassadeur, si je

22 m'abuse?

23 Réponse: Oui.

24 Question: Je pense qu'il est particulièrement important, dans le cadre de

25 la présente affaire, que vous confirmiez deux choses. D'abord, en 1999 et

Page 567

1 en 2000, vous avez été conseiller spécial adjoint auprès du Président et

2 du secrétaire d'Etat américain pour l'application des Zccords de Dayton?

3 Réponse: C'est exact.

4 Question: Et de 1995 à 1997, vous avez été le chef de la Mission de l'OSCE

5 en Bosnie-Herzégovine?

6 Réponse: Oui.

7 Question: En fait, je crois que vous avez été le premier chef de la

8 Mission de l'OSCE après la conclusion des affaires de Dayton?

9 Réponse: Oui, effectivement, nous avons dû partir de zéro dans le cadre de

10 cette mission.

11 Question: Pourriez-vous dire quelques mots aux Juges de cette Chambre du

12 mandat qui vous a été décerné au sein de l'OSCE après la signature des

13 Accords de Dayton?

14 Réponse: En vertu des Accords de Dayton, l'OSCE a été chargé de trois

15 tâches principales dans le cadre du processus de paix.

16 D'abord, superviser le processus électoral dans la première période après

17 la guerre, premières élections organisées après la guerre à tous les

18 niveaux. Deuxièmement, assumer un rôle dirigeant dans les efforts déployés

19 par notre organisation, ainsi que diverses instances des Nations Unies

20 pour améliorer le respect des droits humains. Et troisièmement, sous

21 l'égide de l'OSCE, organiser des négociations destinées à mettre en place

22 des mesures de confiance et ensuite appliquer ces mesures de confiance.

23 Dans les premiers mois qui ont suivi la signature des Accords de Dayton,

24 nous avons obtenu un accord relatif à l'interdiction des armes au niveau

25 sous-régional; et je crois que c'était important pour l'ensemble de la

Page 568

1 région.

2 Question: Vous dites que l'un de vos objectifs consistait à superviser les

3 élections, en application de votre mandat. Y avait-il des conditions pour

4 l'organisation d'élection libres?

5 Réponse: Eh bien, très franchement, je pense que les Accords de Dayton ont

6 été très importants et ont joué un rôle capital dans l'arrêt de la guerre,

7 mais, s'agissant de l'organisation des élections, les dispositions prévues

8 étaient tout à fait non réalistes. En effet, il était prévu que des

9 organisations libres, démocratiques, sans fraude se déroulent dans les six

10 à neuf mois suivant la signature de l'accord de paix.

11 La signature a eu lieu le 14 décembre 1995 à Paris et prévoyait donc des

12 élections pour toutes les instances dans le pays, et notamment pour que

13 soit mise en place une Présidence conjointe en Bosnie-Herzégovine, ainsi

14 qu'un Parlement avec une Chambre des représentants pour la Bosnie-

15 Herzégovine, une Chambre des représentants pour la Fédération donc, et une

16 autre pour la Republika Srpska. Et ces dispositions prévoyaient également

17 des élections destinées à créer des assemblées cantonales, des assemblées

18 municipales et toutes sortes d'autres instances dans le sillage de l'élan

19 donné par le rétablissement de la paix, la restauration de la liberté

20 d'expression et d'un environnement politique plus correct. Mais je pense

21 qu'il était irréaliste de penser que tout cela pouvait se faire en

22 quelques mois. En tant que chef de la Mission de l'OSCE, j'ai présidé la

23 commission qui a fait du mieux qu'elle a pu vis-à-vis de ce processus

24 électoral.

25 Question: J'aimerais que nous nous concentrions quelques minutes sur les

Page 569

1 élections de septembre1996 qui prévoyaient, je crois, l'élection de la

2 Republika Srpska et de l'Assemblée nationale de la Republika Srpska,

3 n'est-ce pas?

4 Réponse: C'étaient des éléments qui figuraient sur la liste que je viens

5 de citer.

6 Question: Quelle position était la vôtre vis-à-vis des élections de

7 septembre 1996? Quel a été votre rôle?

8 Réponse: Eh bien, notre responsabilité à l'OSCE consistait à superviser le

9 travail de la commission chargée des élections. Nous l'avons fait avant la

10 fin de janvier 1996. Et puis, il fallait établir les réglementations

11 destinées à régir le processus électoral. En tant que chef de la Mission

12 de l'OSCE, j'ai été très actif pour également obtenir le soutien de ceux

13 dont le soutien était nécessaire à ces élections au cours des mois qui ont

14 suivi la signature de l'Accord de paix. Donc j'ai eu un rôle tout à fait

15 important dans l'ensemble du processus.

16 Question: Dans la période qui s'achève en septembre 1996 avec les

17 élections, avez-vous rencontré Mme Plavsic?

18 Réponse: Je me souviens, non pas de mes premières rencontres avec elle,

19 parce que j'ai rencontré d'abord le Président Krajisnik, membre serbe

20 bosniaque de la présidence conjointe du pays en plusieurs occasions ainsi

21 que M. Buha et diverses autres personnes; mais le premier souvenir d'une

22 rencontre que j'ai eue avec Mme Plavsic se situe au cours de l'été 1996,

23 après la réunion du 14 juin à Florence, à peu près au moment où le haut

24 représentant Carl Bildt avait commencé le processus destiné à obtenir le

25 retrait de M. Karadzic du poste de Président de la Republika Srpska. Je me

Page 570

1 rappelle l'avoir rencontrée plusieurs fois à ce moment-là.

2 Question: Madame Plavsic faisait-elle partie, avec les autres membres du

3 SDS, de cette réunion?

4 Réponse: Oui, c'est exact.

5 Question: Quel a été votre message aux dirigeants du SDS s'agissant des

6 élections et de M. Karadzic?

7 Réponse: Eh bien, la raison pour laquelle nous nous sommes rencontrés à la

8 fin du mois de juin ou plutôt non, au début de juillet 1996, c'était que

9 nous estimions, à la rencontre de Florence, que quelque chose de ferme

10 devait être fait pour obtenir que M. Karadzic ne reste plus en poste.

11 En effet, selon la Constitution du pays, mise en place après les Accords

12 de Dayton, il était indiqué qu'aucune personne recherchée par ce Tribunal

13 ne pouvait demeurer en poste public. Je me souviens avoir parlé avec Carl

14 Bildt de ce sujet et il avait un projet, un plan à cet égard. A la fin du

15 mois de juin, il est devenu tout à fait clair que toutes les actions

16 entreprises pour limoger M. Karadzic et lui enlever son pouvoir en tant

17 que Président de la Republika Srpska avaient échoué et j'étais d'avis

18 qu'une commission électorale provisoire devait intervenir, qu'une campagne

19 électorale devait commencer.

20 Je ne pouvais pas admettre que la situation continue en l'état avec ce

21 parti SDS dirigé par M. Karadzic et, d'un autre côté, l'organisation d'une

22 campagne électorale prétendument normale. Donc j'ai indiqué qu'il fallait

23 que le parti SDS change sa position.

24 Question: Vous avez dit que M. Karadzic était Président du SDS et

25 également Président de la Republika Srpska. Il occupait donc une position

Page 571

1 très forte dans cette partie du monde. Quelle était l'influence de cette

2 position?

3 Réponse: Eh bien, cela me rappelle un débat que j'ai eu avec certaines

4 personnes au sujet de la qualité des représentants publics. J'ai dit que

5 nous étions en présence d'un régime qui, pour l'essentiel, était encore un

6 régime communiste en Republika Srpska, sous le pouvoir de Pale. Et, dans

7 ce genre de système, le parti est celui qui dirige. Donc diriger le parti,

8 c'est en fait occuper l'un des postes les plus importants d'une entité de

9 ce genre. Pour ma part, j'étais décidé à interpréter la Constitution de

10 cette façon et à me servir de cela comme point de départ d'une action

11 destinée en fait à obtenir le discrédit du SDS.

12 Question: Au cours de ces réunions avec les dirigeants du SDS dans

13 lesquelles vous avez exprimé vos opinions et votre désir que M. Karadzic

14 soit limogé, est-ce qu'on a réagi de la part des représentants du SDS?

15 Réponse: Oui, certainement, tout le monde a résisté. Je peux vous dire que

16 Mme Plavsic étudiait cette question. Moi-même également je l'étudiais, je

17 crois que je l'étudiais elle, d'une certaine façon. J'avais entendu dire

18 que qu'elle était la femme de fer, le bras de fer de la Republika Srpska

19 au cours de la guerre. Je crois que nous avons été l'un envers l'autre

20 très prudents, car nous voulions voir de quelle façon nous voulions

21 réagir, mais elle n'a pas résisté à cette idée et je crois que c'est cela

22 qui la distinguait de ses collègues.

23 Question: De quelle façon est-ce que M. Karadzic a été démis de sa

24 fonction en tant que Président de la RS et du SDS, de façon publique?

25 Réponse: Quelques jours après les événements de la fin du mois de juin, il

Page 572

1 a été annoncé –tel que Carl Bildt l'a déjà dit- que M. Karadzic était en

2 train de remettre ses pouvoirs de présidence à Mme Plavsic. J'ai donc

3 partagé l'opinion que M. Karadzic devait également abandonner ses

4 prérogatives concernant le parti. J'ai entrepris toute une série de

5 mesures pour pouvoir faire comprendre qu'il s'agissait d'une position très

6 ferme de l'OSCE.

7 Pour vous citer un exemple, quelques jours plus tard, après la réunion des

8 dirigeants du SDS, je me suis rendu à Stockholm où il y avait une réunion

9 annuelle de l'assemblée parlementaire de l'OSCE et j'ai exprimé ma

10 position de façon publique. Et pendant que j'étais là, je me souviens

11 qu'un groupe de contact de Londres m'a appelé pour venir discuter de cette

12 question. Je me souvenais d'avoir accepté, mais j'avais un rendez-vous

13 avec M. Milosevic immédiatement après Stockholm et je devais me rendre à

14 Belgrade pour discuter de cette affaire. A l'époque, j'avais un énorme

15 soutien de la Suisse en tant que chef de l'OSCE, en tant que président, et

16 je pouvais me déplacer avec un jet assez rapidement.

17 Je suis donc allé voir M. Milosevic, j'ai essayé de le persuader que

18 Karadzic devait quitter ses fonctions et il m'a dit que cela devait

19 prendre un certain temps. Donc je me suis rendu de nouveau à Londres pour

20 en parler avec le groupe de contact à Londres, et c'est là que je devais

21 également rencontrer les Russes à un niveau étatique.

22 A l'époque, Moscou était occupé à recevoir le vice-Président Gore des

23 Etats-Unis, si je me souviens. Mais quelques jours plus tard, on m'a

24 demandé de me rendre à Moscou et je me suis entretenu avec M. Primakov, le

25 ministre des Affaires étrangères. Et à la veille du début de la campagne

Page 573

1 dont on a changé la date -elle devait commencer le 19 juillet-, entre-

2 temps, Richard Holbrooke, qui était une personne très importante pour ce

3 qui est des Accords de Dayton, est venu à Sarajevo et voulait faire

4 quelque chose pour renforcer l'accord des Serbes de Bosnie concernant les

5 Accords de Dayton.

6 Il a essayé de nouveau de faire son possible pour limoger M. Karadzic.

7 Donc il est retourné à Belgrade et, très tard le soir, le 18, il a essayé

8 de mettre en place un accord selon lequel M. Karadzic abandonnait tous ses

9 pouvoirs au sein de la présidence ainsi que les pouvoirs au sein de la

10 présidence du Parti et qu'il se retirait de la vie publique.

11 J'ai donc été en mesure d'annoncer le 19, puisque la campagne avait déjà

12 avancé, que finalement, nous avions eu de très bons résultats.

13 Question: De quelle manière les résultats des élections du mois de

14 septembre 1996 ont-ils affecté la vie politique dans la Republika Srpska?

15 Réponse: Au sein de plusieurs institutions qui ont vu le jour suite aux

16 élections, de nouveau, la Présidence de la Republika Srpska, Mme Biljana

17 Plavsic, le Président élu ainsi que l'Assemblée nationale avaient été

18 élus.

19 Je crois que Mme Plavsic avait maintenant… Un nouveau pouvoir l'a placée

20 sous une autre lumière. Il y avait déjà des indications auparavant qu'elle

21 voulait accepter le processus de paix de Dayton; elle était beaucoup plus

22 encline à les accepter que ses autres collègues du SDS. Il semblait donc

23 qu'il y avait un espoir pour que l'on puisse progresser.

24 J'avais compris qu'il y avait en fait deux sources de résistance: la

25 principale était à Pale, d'un côté, et Mostar, de l'autre côté, car il y

Page 574

1 avait des Croates de Bosnie ultra-nationalistes à cet endroit-là.

2 Maintenant, concernant les élections de l'Assemblée nationale de la

3 Republika Srpska, à la fin de ces élections, le parti du SDS avait

4 complètement contrôlé l'assemblée et s'était servi de cela pour empêcher

5 les efforts de paix, dans les années précédentes. Mais à la suite de ces

6 élections, les 83 votes de l'Assemblée trouvaient que le SDS ne contrôlait

7 que 45 sièges; cela voulait dire que leurs pouvoirs n'étaient plus aussi

8 importants qu'auparavant.

9 Question: Vous souvenez-vous du discours inaugural de Mme Plavsic en tant

10 que Présidente de la Republika Srpska en octobre 1986? Si oui, qu'est-ce

11 qui en ressort le plus clairement?

12 Réponse: Je me souviens avoir rencontré Mme Plavsic peu de temps avant les

13 élections du mois de septembre. La première fois, c'était à ce moment-là

14 que je me suis entretenu avec elle personnellement; on a parlé d'un mandat

15 spécial pour tenir les élections municipales car, à la fin du mois d'août,

16 nous avons pris la décision de retarder les élections municipales, car

17 c'était assez compliqué d'organiser cela à tous les niveaux de la

18 gouvernance. Pour ce qui est des élections municipales, nous avions décidé

19 d'attendre un peu et elle était d'accord avec cela.

20 Ensuite, la deuxième fois que je l'ai vue -je crois que c'était en

21 octobre, le 19 octobre, à Banja Luka-, lorsqu'elle a fait son discours

22 inaugural, j'étais assis, j'écoutais attentivement ce qu'elle disait;

23 j'étais assez impressionné, car elle arrivait à transmettre le message de

24 toutes les personnes concernées que l'Accord de Dayton était un compromis,

25 que cela ne voulait pas dire que ça ne parvenait pas à rencontrer toutes

Page 575

1 les demandes des Serbes de Bosnie. Mais je me souviens qu'elle l'appuyait

2 fermement, en partie parce que cela légitimait la création de la Republika

3 Srpska et eu égard au fait que cela donnait également aux Serbes de Bosnie

4 une possibilité, une chance pour la paix, la stabilité.

5 Question: Quand Mme Plavsic a été élue Présidente de la RS, est-ce qu'elle

6 a travaillé avec vous?

7 Réponse: Oui, je dois dire que son travail n'était pas très fréquent avec

8 l'OSCE au début; mais plus tard, au cours de l'année 1997, nos contacts

9 ont commencé à être un peu plus étroits, car elle était impliquée avec

10 plusieurs questions très importantes à Pale.

11 Question: Nous allons revenir un peu plus tard, mais vous avez déjà

12 mentionné à plusieurs reprises, vous avez parlé des élections municipales;

13 nous pourrions peut-être en parler un peu? Vous avez dit que ces élections

14 n'ont pas eu lieu en 1996 tel que prévu. Pourriez-vous donner la raison

15 pour cela?

16 Réponse: Oui. Eh bien, s'agissant de la scène municipale, au cours de la

17 guerre, nous avions eu des problèmes militaires pour ce qui est de la

18 ville de Sarajevo qui était assiégée; et les localités étaient dans cet

19 état-là. Et après la guerre, le pouvoir politique continuait. C'était très

20 difficile de tenir des élections.

21 Donc les règles du jeu permettraient aux personnes de vivre là par

22 exemple, ensemble. Si on parle de Musulmans de Srebrenica, on permettrait

23 à ces gens de pouvoir voter au sein de l'assemblée municipale. Mais nous

24 avons décidé d'attendre quelque peu pour faire face à ce défi-là

25 particulier.

Page 576

1 Madame Plavsic, à l'automne 1996, était dans une situation dans laquelle

2 l'instabilité augmentait pour l'ensemble du pays. Il y avait des efforts

3 entrepris par certaines personnes pour revenir où elles habitaient avant

4 et il y avait beaucoup de violence. Elle m'a dit que la situation était

5 beaucoup trop instable et qu'elle retirait son mandat.

6 Mais peu de temps après cela, son conseiller juridique et le nôtre, de

7 l'OSCE, ont entrepris des efforts immenses pour rédiger un nouveau mandat;

8 en novembre, le 30 novembre, nous sommes arrivés à un accord dans lequel

9 nous avons rédigé un nouveau mandat qui faisait en sorte que la Republika

10 Srpska pouvait entreprendre de nouveaux efforts afin d'organiser des

11 élections municipales.

12 Le 1er décembre, à Lisbonne, il y a eu sommet de l'OSCE lors duquel on a

13 exposé toutes ces questions et on a considéré bien sûr toutes ces

14 questions attentivement. Le sommet a été suivi par une conférence de la

15 mise en place de la paix à Londres et on avait dit que cela devait avoir

16 lieu en été, en 1997, lors de cette réunion.

17 Question: Effectivement, quand est-ce que les élections municipales ont-

18 elles eu lieu?

19 Réponse: Le 13 et le 14 septembre 1997.

20 Question: Passons à l'année 1997. Au début de cette année, est-ce que Mme

21 Plavsic vous a parlé des liens qu'elle avait avec le SDS?

22 Réponse: Oui. Au printemps, j'ai commencé à voir Mme Plavsic de plus en

23 plus fréquemment; elle commençait à avoir des problèmes avec Pale et elle

24 m'a dit qu'elle avait quelques préoccupations concernant Pale parce

25 qu'elle me disait "qu'à Pale, les gens qui étaient autour de Radovan

Page 577

1 Karadzic, même s'il n'était plus dans la vie publique, que les gens

2 l'entourant avaient entrepris des échanges illicites. Ils refusaient de

3 payer des taxes et les impôts et ne voulaient pas permettre l'accès aux

4 fonds de la Republika Srpska dont elle avait besoin pour aider ces gens.

5 Et ce sur quoi elle se concentrait principalement, c'est d'essayer de

6 faire quelque chose pour les Serbes de Bosnie. Elle ne savait pas de

7 quelle façon faire face à tout cela. Elle était de plus en plus frustrée;

8 je crois que cette situation la fâchait énormément.

9 Question: De quelle façon est-ce que ce manque de financement l'affectait?

10 Réponse: Eh bien, parce que le financement n'arrivait pas de Pale; la

11 communauté internationale refusait de donner le financement à la Republika

12 Srpska. Je me souviens: lors d'une réunion qui a eu lieu en 1995 à

13 Londres, j'étais assis juste à côté de Madeleine Albright, qui était à ce

14 moment-là le représentant américain; elle et d'autres personnes avaient

15 dit que si les parties ne se pliaient pas aux accords de paix et au

16 processus de paix, la communauté internationale ne financerait pas les

17 financements nécessaires pour reconstruire le pays. Et les Serbes de

18 Bosnie et les gens ordinaires étaient bien sûr victimes, les civils

19 étaient victimes de ce manque de financement, mois après mois, même si on

20 finançait bon nombre d'autres régions dans le pays.

21 Question: Vers le milieu de l'année 1997, Mme Plavsic a-t-elle entrepris

22 des mesures pour essayer de faire face à ce problème et à contrer ce

23 problème?

24 Réponse: Oui, certainement, elle l'a fait. En été, nous avions déjà

25 entendu parler de la décision qu'elle avait prise de retirer les autorités

Page 578

1 policières et elle avait commencé à faire quelques changements. Le 3

2 juillet, elle m'a appelé, elle m'a demandé de venir la voir dans son

3 bureau à Banja Luka. Elle me disait qu'elle était en train de réfléchir

4 sur certaines options: l'une de ces options était de dissoudre l'Assemblée

5 nationale de la Republika Srpska, qui n'avait été élue qu'au mois de

6 septembre précédent. Elle m'a demandé, si elle procédait de la sorte, si

7 l'OSCE serait d'accord de superviser cette dissolution car il n'y avait

8 pas de mandat très clair là-dessus. Je lui ai dit que je ne pouvais pas

9 lui donner une réponse immédiate, mais il faudrait que le Conseil de

10 l'OSCE, à Vienne, rende cette décision. Je revenais à Vienne toutes les

11 trois semaines. Mais je lui ai dit que j'allais essayer de l'aider dans sa

12 quête.

13 Question: Effectivement, Mme Plavsic a-t-elle dissous l'assemblée?

14 Réponse: Oui, elle a agi de la sorte, elle a été enragée, elle a été très

15 fâchée contre Pale. Je me souviens avoir parlé à M. Krajisnik. Il a dit

16 qu'il ne serait absolument pas d'accord avec elle de demander des

17 élections. Et à propos de la nouvelle Assemblée, la première fois que je

18 lui en ai parlé, il résistait énormément. La Republika Srpska et le Corps

19 constitutionnel avaient entrepris de considérer cette question. Je crois

20 que l'une des personnes, à l'intérieur du Corps, avait essayé de soutenir

21 la position du Président Plavsic et il avait été battu par des voyous.

22 C'est à ce moment-là, lorsque j'ai vu qu'il avait été passé à tabac assez

23 grièvement, que j'ai été surpris. Donc nous avons eu une confrontation

24 assez dramatique, nous et les gens qui se trouvaient à Pale.

25 Question: Est-ce que la décision de Mme Plavsic de dissoudre l'Assemblée

Page 579

1 nationale et de tenir ces élections, est-ce que cela l'a mise dans un

2 risque personnel et politique?

3 Réponse: Oui, absolument. Je me souviens l'avoir rencontrée peu de temps

4 après cela et, par la suite, il y avait des situations dans lesquelles

5 elle se trouvait qui étaient vraiment à risque. A un certain moment, elle

6 restait dans son bureau, elle ne sortait pas. J'avais entendu dire que les

7 forces de l'IFOR aidaient à sécuriser la situation pour elle à Banja Luka;

8 en fait, c'étaient les forces de la SFOR à ce moment-là. Elles ne

9 voulaient pas s'engager et faire des activités policières, mais faisaient

10 néanmoins des démarches extraordinaires pour l'aider.

11 Question: Quelles étaient les réactions de la Communauté internationale

12 concernant les démarches de Mme Plavsic de tenir ces élections

13 extraordinaires?

14 Réponse: Eh bien, si vous me considérez comme étant membre de la

15 Communauté internationale, je peux vous dire que j'étais le premier qui

16 essayait de soutenir ces démarches et à parler auprès du Conseil de

17 l'OSCE, qu'il y avait des risques effectivement, mais pour que le

18 processus de paix puisse avoir lieu, puisse être mis en œuvre, il fallait

19 faire cela.

20 Nous savions déjà que M. Karadzic s'était retiré. C'était une façon

21 d'avancer. J'avais parlé de la même façon lors de nos réunions avec les

22 groupes de contact. Mais, effectivement, le moment est arrivé et les gens,

23 de plus en plus, commençaient à soutenir l'idée; le groupe de contact

24 s'est mis d'accord en septembre 1997 et a commencé à soutenir l'idée. Le

25 groupe de contact s'est mis d'accord en septembre 1997 et a commencé à

Page 580

1 soutenir l'idée.

2 Question: Y avait-il une entité qui s'appelle la Commission de Venise, qui

3 était également impliquée dans le cadre de ce processus?

4 Réponse: Oui. Après le débat qui a eu lieu sur les prérogatives du corps

5 de la Constitution, et la Republika Srpska, en fait, la Cour

6 constitutionnelle, l'organe de décision au sein de la Republika Srpska, il

7 y avait de plus en plus de pressions au sein de la communauté

8 internationale, et la Commission de Venise a été d'accord de donner tous

9 les droits à Mme Plavsic pour dissoudre cette Commission.

10 Question: De quoi s'agit-il également? Qu'est-ce cette Commission de

11 Venise?

12 Réponse: C'est une entité juridique à laquelle le Conseil européen s'est

13 référé pour faire ce genre de jugement.

14 Question: Est-ce qu'elle a brisé les liens avec d'autres partis

15 politiques?

16 Réponse: Oui, les événements se déroulaient assez rapidement et, au mois

17 de septembre, après que le groupe de contact a été d'accord de soutenir

18 cette idée -et bien sûr, il y beaucoup de tensions au sein de la Republika

19 Srpska-, Mme Plavsic a créé un nouveau parti. A la fin du mois de

20 septembre, si je me souviens bien: c'était l'Alliance serbe nationale. A

21 la fin du mois de septembre et les élections devaient avoir eu lieu à

22 l'automne, donc elle n'avait pas énormément de temps. Elle avait eu assez

23 un peu de temps pour attirer certains membres du SDS à venir se joindre à

24 elle.

25 Question: Vous avez parlé d'une période qui menait jusqu'aux élections du

Page 581

1 mois de septembre. Est-ce que vos contacts ont augmenté avec Mme Plavsic?

2 Si oui, pourriez-vous nous dire qu'en était-il de ces contacts?

3 Réponse: Oui, nos contacts étaient devenus très intenses et,

4 effectivement, je la rencontrais plus, c'est elle que je rencontrais le

5 plus. Dans le pays, je continuais à rencontre d'autres dirigeants

6 politiques de tous les côtés. Il y avait un grand nombre de réunions

7 internationales bien sûr, mais c'est elle que je voyais le plus souvent

8 pour ce qui est des autres dirigeants politiques. Nous avons essayé de

9 voir de quelle façon on pourrait mettre en oeuvre les modalités de cette

10 élection extraordinaire et nous essayions également d'établir un temps, un

11 cadre temporel.

12 Question: Du fait que Mme Plavsic ait essayé de créer un nouveau parti,

13 est-ce qu'il y avait une conclusion à tirer? Est-ce qu'elle croyait

14 qu'elle allait gagner les élections?

15 Réponse: Plusieurs personnes étaient assez inquiètes de savoir ce qui

16 allait se passer, car le SDS avait tous les avantages: ils avaient le

17 financement, ils avaient le contrôle des médias et, en fait, même avant

18 cela, ils avaient déjà eu le contrôle des élections. Et certaines

19 personnes se sont posé la question de savoir si le SDS sentait qu'ils

20 allaient perdre quelque chose, qu'ils n'allaient peut-être pas coopérer et

21 qu'elle serait battue.

22 Mais je disais que, même si le SDS est composé d'amateurs de pouvoir,

23 j'avais une impression subjective qu'elle avait un message à donner aux

24 Serbes de Bosnie, à la population serbe de Bosnie qui recevait de plus en

25 plus les échos de ses propos et a entrepris une campagne vigoureuse pour

Page 582

1 essayer de mettre l'accent sur son combat contre la corruption, les

2 échanges illicites. Elle a parlé des personnes à Pale qui essayaient

3 d'éviter de payer les impôts, etc., qui mettaient l'argent dans leurs

4 propres poches. Elle a essayé de faire en sorte que le peuple bosnien le

5 comprenne. Je crois et j'avais l'impression qu'elle avait potentiellement

6 les votes.

7 Question: Quels ont été les résultats des élections législatives…

8 (L'interprète demande de brancher le micro.)

9 … Novembre 1997?

10 Réponse: Madame Plavsic a remporté une victoire assez surprenante. Au tout

11 début, on ne savait pas encore quel était le résultat; ça a pris un

12 certain temps pour que les résultats définitifs arrivent. Mais, par

13 exemple, le SDS -qui, avant 1991, avait le contrôle de l'Assemblée

14 nationale-, tout d'un coup, en 1987, ils avaient 45 des 83 sièges en 1987.

15 Lors de ces élections extraordinaires; la présence du SDS a descendu à 23

16 sièges: même théoriquement, cela ne pouvait plus constituer un

17 gouvernement

18 Question: Est-ce que cela voulait dire que Pale avait perdu son pouvoir?

19 Réponse: Oui, Pale avait perdu son centre de pouvoir et Mme Plavsic,

20 lorsque les résultats étaient devenus plus clairs, était l'architecte de

21 la mise en place de cette coalition multiethnique, qui était composée de

22 44 membres de l'Assemblée nationale contre 39 membres de radicaux

23 combinés. Elle a été en mesure de transférer le pouvoir de Pale à Banja

24 Luka et toutes les agences gouvernementales également.

25 Question: Et ce transfert des bureaux gouvernementaux de Pale à Banja Luka

Page 583

1 a eu lieu après ces élections?

2 Réponse: Oui. Je voudrais ajouter que j'étais en train de quitter mon

3 poste en tant que chargé de mission de l'OSCE en décembre, et les

4 élections ont été tenues le 22 et le 23 novembre. En fait, ma fin de

5 mission se situait à la Conférence de Bonn, au mois de décembre, et, même

6 à ce moment-là, ce n'était pas tout à fait clair: nous n'avions pas tout à

7 fait compris quels seraient les résultats.

8 Question: Quelle était la composition ethnique de cette assemblée après

9 ces élections?

10 Réponse: Il y avait 18 députés musulmans et croates lors de cette

11 assemblée; ils s'étaient joints à la coalition "Sloga" dont M. Dodik a

12 parlé: cela a parlé d'un grand nombre de partis qui étaient issus de

13 différents groupes ethniques. C'était un groupe assez hétérogène.

14 Je voulais dire qu'en 1996, nous avions déjà le résultat des ces 18

15 Musulmans et Croates qui ont été élus lors de l'Assemblée nationale, mais

16 il n'y avait pas de pouvoir au sein du SDS. Mais cette fois-ci, ils

17 étaient au sein de la coalition gouvernementale et il y avait un grand

18 nombre de députés serbes de Bosnie qui nous disaient qu'ils faisaient

19 partie de cette coalition.

20 Question: Les résultats de ces élections ont-ils eu un impact sur l'aide

21 financière fournie à la RS?

22 Réponse: Les résultats de ces élections représentaient, selon moi, un

23 atout pour le processus de paix de Dayton. Et, pour les raisons que je

24 viens d'énumérer un peu plus tôt, cela a frayé le chemin pour Mme Plavsic

25 et à pouvoir travailler avec la communauté internationale de plus près.

Page 584

1 Finalement, au début de 1997, la communauté internationale avait commencé

2 un financement assez important afin de l'aider dans ses efforts pour

3 lesquels elle s'était tellement engagée.

4 Question: Je vais encore vous poser une question concernant Mme Plavsic.

5 Dites-nous quel est le rôle qu'elle a joué pour votre travail, dans le

6 cadre de votre mission en Bosnie?

7 Réponse: Elle est devenue de plus en plus importante; bien sûr son rôle

8 est devenu de plus en plus important pour ce qui est des deux années dans

9 lesquelles j'ai travaillé et j'ai occupé ce poste.

10 Je vais vous donner un exemple. Elle était une personne décisive, elle

11 voulait faire ces changements au sein de la Republika Srpska et vous devez

12 vous souvenir que je parle du processus électoral. Elle voulait un

13 changement paisible, démocratique en passant par les élections et c'était

14 l'instrument que nous soutenions.

15 Question: Est-ce qu'elle soutenait également les Accords de Dayton?

16 Réponse: Elle était une des rares personnes du côté serbe de Bosnie à

17 soutenir les Accords de Dayton.

18 Question: Est-ce que vous croyez qu'elle a montré un courage politique et

19 beaucoup de conviction?

20 Réponse: Depuis le début, elle a eu un courage politique et cela a été

21 testé à plusieurs reprises. En été et à l'automne 1997, lorsqu'elle

22 affrontait Pale, elle n'a pas eu peur et elle a gagné.

23 Question: Est-ce que vous croyez qu'elle a soutenu la démocratie et l'Etat

24 de droit?

25 Réponse: Oui, justement à cause de la nature de son attaque contre Pale,

Page 585

1 j'ai toujours cru d'elle et je l'ai toujours vue comme une personne

2 attaquant la corruption, l'injustice. Et elle est devenue la championne au

3 sein de la Republika Srpska, championne d'une lutte contre la criminalité

4 et le crime.

5 M. O'Sullivan (interprétation): Je n'ai plus de question, Monsieur le

6 Président.

7 M. le Président (interprétation): Je vous remercie, Monsieur Frowick,

8 d'être venu au Tribunal pénal international pour témoigner. Vous pouvez

9 maintenant disposer.

10 M. Frowick (interprétation): Merci.

11 M. le Président (interprétation): Nous allons prendre une pause et

12 reprendrons nos travaux à 14 heures 30.

13 (Le témoin, M. Robert Frowick, est reconduit hors du prétoire.)

14 (L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 32.)

15 M. le Président (interprétation): Je vous écoute, Monsieur Tieger.

16 M. Tieger (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Notre prochain

17 témoin est le Dr Alex Boraine.

18 (Le témoin, M. Alexandre Lionel Boraine, est introduit dans le prétoire.)

19 M. le Président (interprétation): Je demanderai au témoin de prononcer la

20 déclaration solennelle.

21 M. Boraine (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

22 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

23 M. le Président (interprétation): Veuillez vous asseoir.

24 Je vous écoute, Monsieur Tieger.

25 (Interrogatoire principal du témoin, M. Alexandre Boraine, par M.

Page 586

1 Tieger.)

2 M. Tieger (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

3 Bonjour, Docteur Boraine. Je vous remercie d'être venu aujourd'hui.

4 Pourriez-vous, je vous prie, décliner votre identité? Je vous prierais

5 également d'épeler votre nom de famille pour le compte rendu.

6 M. Boraine (interprétation): Alexandre Boraine, B-O-R-A-I-N-E, Alexandre

7 Lionel Boraine.

8 Question: Docteur Boraine, je souhaiterais que l'on parle de votre vie.

9 Si je comprends bien, vous avez grandi en Afrique pendant l'apartheid et,

10 en Afrique du Sud, vous étiez donc en période de l'apartheid. Et vous avez

11 eu horreur de cette injustice, ce qui vous a amené à travailler dans

12 l'Eglise méthodiste d'Afrique du Sud, est-ce exact?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Et vous avez été élu à la tête de cette Eglise en Afrique du

15 Sud?

16 Réponse: Oui.

17 Question: Si je comprends bien, cette fonction de culte vous a permis de

18 mieux comprendre la nature destructrice des injustices qui étaient

19 synonymes de l'apartheid et vous avez essayé de les combattre directement.

20 C'est la raison pour laquelle vous avez commencé votre activité politique,

21 n'est-ce pas?

22 Réponse: Oui.

23 Question: Et vous avez été membre du Parlement pendant combien de temps?

24 Réponse: J'ai été élu membre du Parlement à Cape Town et en fait, j'ai

25 gardé ces fonctions pendant 12 ans. Elles ont commencé en 1994.

Page 587

1 Question: Avez-vous quitté la vie parlementaire de votre propre gré?

2 Qu'est-ce qui vous a poussé à le faire?

3 Réponse: J'étais devenu parlementaire en me disant qu'il était possible de

4 faire face à ce qui constituait cette minorité opprimant la majorité de la

5 population et qu'on pouvait faire la différence. Je m'étais dit cela.

6 Mais, vers le milieu des années 80, l'Afrique du Sud était un Etat

7 militaire. Le climat qui régnait dans le pays était un climat de violence

8 et je me suis dit qu'il était inutile de poursuivre des débats

9 parlementaires alors que mon pays était en proie aux flammes. C'est la

10 raison pour laquelle j'ai abandonné ces fonctions.

11 Question: Et après cela, vous avez fondé un institut?

12 Réponse: Oui. Je n'étais pas trop sûr de ce que je devais faire. Il me

13 semblait tout à fait inutile de tenter quoi que ce soit à l'époque.

14 Cependant, j'ai eu de nombreuses consultations avec les personnes qui

15 avaient été les plus grandes victimes et j'ai établi un institut qui

16 prévoyait une alternative démocratique en Afrique du Sud. Cet institut

17 s'est appelé "Edasa". Il avait pour principal objectif -ce que

18 j'interprète- "d'abandonner une politique d'oppression et de répression,

19 une politique de résistance pour passer à une politique de négociations

20 qui poserait les jalons vers un avenir plus prometteur pour mon pays".

21 C'est ce que nous avons fait. Nous avons œuvré aussi bien à l'intérieur

22 qu'à l'extérieur du pays.

23 Question: Est-ce que vous avez participé aux négociations qui ont accéléré

24 la chute ou la fin de l'apartheid?

25 Réponse: Oui, ce furent quatre années particulièrement difficiles.

Page 588

1 Question: Dans le sillage de l'apartheid et à la fin de ce régime, est-il

2 apparu clairement qu'il fallait bien sûr se pencher sur l'héritage

3 qu'avaient laissé ces décennies d'exactions, pour que ce pays puisse

4 vivre?

5 Réponse: C'était une démocratie fragile et, pour qu'elle ait quelque

6 chance que ce soit de réussir, il fallait régler les comptes avec le

7 passé, ce passé qui était souvent drapé dans un climat de propagande, de

8 mensonge, dans l'opacité. Par conséquent, j'ai lancé ce nouvel institut

9 qui s'appelle "Justice en transition" et qui avait pour objectif principal

10 de régler les dettes du passé pour mieux préparer l'avenir.

11 Question: Est-ce qu'à un moment donné, le Président Mandela vous a demandé

12 de devenir coprésident de ces commissions chargées de la réconciliation et

13 de l'établissement de la vérité?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Ça s'est passé à quel moment?

16 Réponse: En 1995.

17 Question: C'est en cette qualité que vous avez travaillé avec l'archevêque

18 Tutu?

19 Réponse: Oui.

20 Question: Parlons maintenant des leçons que vous avez tirées de votre

21 travail au sein de cette commission.

22 Depuis votre départ, est-ce que vous avez donné des cours à la faculté de

23 droit de l'Université de New York?

24 Réponse: Oui, j'y enseigne en fait depuis trois ans. D'abord, j'étais

25 enseignant en résidence et puis j'ai enseigné à plein temps, tout en

Page 589

1 préparant un ouvrage et je continue à y travailler, même si c'est à temps

2 partiel.

3 Question: Et je crois comprendre que votre ouvrage a pour titre "Un pays

4 en transition" et il précise les activités de cette commission et

5 l'importance que celle-ci revêt pour le monde entier?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Et du fait de vos activités, est-ce que vous avez participé à

8 l'aide qui a été donnée à d'autres pays lorsque ceux-ci essayaient de

9 régler leur compte avec des atrocités du passé?

10 Réponse: La commission était une commission publique en Afrique du Sud.

11 Ses débats étaient télévisés, diffusés à la radio. Ils ont rencontré un

12 écho très important dans de nombreuses parties du monde. Et les pays qui

13 se trouvaient eux-mêmes en transition se sont dit qu'ils pourraient peut-

14 être, eux aussi, tirer des enseignements de ce que nous avions fait.

15 Certains pensaient qu'il suffisait de répliquer l'expérience sud-

16 africaine, ce qui est impossible, bien entendu. Mais cela veut dire que,

17 sans cesse, on me demandait d'aller rendre visite à tel ou tel pays, à de

18 nombreux pays d'ailleurs, afin d'aider des présidents des groupes de

19 Défense des Droits de l'homme, pour leur parler de la nature d'une

20 transition en matière de justice, comment aborder le passé pour édifier un

21 avenir qui se fonderait sur une culture caractérisée par le respect des

22 Droits de l'homme.

23 Question: Et pour mieux asseoir cette contribution, est-ce que vous êtes

24 devenu le président fondateur d'un autre institut?

25 Réponse: Oui, du centre chargé de la justice en transition, il y a à peine

Page 590

1 18 mois de cela, et nous avons connu une croissance tout à fait

2 remarquable. Nous travaillons maintenant dans près de 15 pays en Amérique

3 latine, en Afrique, dans les Balkans, en Irlande du Nord, ainsi qu'en Asie

4 du Sud-est.

5 Question: Vous le savez, Monsieur le Témoin, une des questions qui ont été

6 soulevées ici et dont on a débattu au cours de cette audience a été la

7 question de la réconciliation, et le fait que Mme Plavsic ayant reconnu

8 ses responsabilités et les crimes qui ont été commis, ceci peut signifier

9 comme une contribution envers la réconciliation. C'est la raison pour

10 laquelle les deux parties vous ont demandé de comparaître.

11 Voici ma question: vu votre expérience en général, la responsabilité,

12 quelle part joue-t-elle dans l'œuvre de réconciliation?

13 Réponse: Je dois dire ceci: s'il n'y avait pas de responsabilité endossée

14 et acceptée, ce serait contradictoire avec la notion de réconciliation. Un

15 système de justice pénale n'est pas là simplement pour déterminer la

16 culpabilité ou l'innocence, mais aussi pour contribuer à l'édification

17 d'une société marquée par la sécurité et par la paix.

18 Par conséquent, il n'y a pas de contradiction là dans ces systèmes; ils

19 sont essentiels à l'établissement de la réconciliation. Si l'on assume ses

20 responsabilités pour des crimes horribles, ceci peut avoir un effet

21 transformateur, peut avoir une incidence très grande sur les auteurs des

22 crimes, mais aussi sur les victimes et sur la communauté toute entière. Si

23 l'on accepte sa responsabilité, que ce soit par une déclaration de

24 culpabilité ou d'une autre façon, dans un procès pénal, dans une autre

25 enceinte, je pense qu'on contribue ainsi de façon sérieuse à promouvoir la

Page 591

1 réconciliation, à créer un espace permettant l'apparition de nouveaux

2 comportements.

3 Du moins c'est en puissance ce que ceci peut faire; ce n'est pas toujours

4 réalisé. Au moment où le TPIY a été établi, il est établi non seulement

5 pour déterminer l'innocence ou la culpabilité d'individus, mais aussi -et

6 je cite- "pour contribuer à la restauration, au maintien de la paix, une

7 nouvelle situation pour contribuer au règlement de questions plus vastes,

8 des questions de la responsabilité de la réconciliation et de

9 l'établissement de la vérité qui se cache derrière ces exactions et ces

10 méfaits commis en ex-Yougoslavie".

11 En l'espèce, s'agissant de Mme Plavsic, ses objectifs revêtent une

12 signification tout à fait particulière. Après tout, Mme Plavsic n'était-

13 elle pas l'ancienne Présidente de la Republika Srpska? Elle a plaidé

14 coupable au regard des crimes de persécution pour des raisons politiques

15 raciales ou religieuses, pour des actes commis dans plus de 30

16 municipalités de Bosnie en 1992.

17 Ce faisant, par le fait qu'elle a reconnu sa responsabilité, Mme Plavsic a

18 endossé et assumé la responsabilité des horreurs que continuent de nier

19 beaucoup de dirigeants serbes.

20 Par conséquent, il ne faudra jamais oublier ni chercher à minimiser les

21 crimes dont elle a assumé la responsabilité. Cette liste de crimes

22 ressemble pratiquement à une litanie de morts: le fait de tuer des civils

23 sans défense, de torturer -et nous parlons ici de sévices physiques et

24 psychologiques-, le fait d'infliger des violences sexuelles, le fait de

25 procéder au transfert forcé de communautés toutes entières, l'existence de

Page 592

1 camps de détention où des milliers de prisonniers sont placés et maintenus

2 dans des conditions inhumaines, pour être tués pour la plupart d'entre

3 eux, le fait de raser de la carte des villages tout entiers.

4 Par conséquent, toute tentative visant à parvenir à la justice et à la

5 réconciliation qui reconnaisse l'énormité des crimes commis va peut-être

6 mettre en péril la puissance ou la transformation en puissance qui

7 pourrait être obtenue par les actes de Mme Plavsic.

8 Question: Et si quelqu'un plaide coupable, comme l'a fait Mme Plavsic,

9 est-ce que c'est un pas de plus vers la réconciliation? Sans oublier les

10 déclarations qu'elle a faites dans ce cadre?

11 Réponse: Il y a quatre choses à se remémorer. Elle était nationaliste

12 serbe; elle a été une personnalité politique très importante: du coup, sa

13 contribution véhicule un message important quant au caractère

14 véritablement criminel de l'entreprise dont elle a fait partie. Cela prend

15 très au sérieux les actes qui ont été commis.

16 Deuxième chose: je pense qu'elle envoie un message très puissant quant à

17 légitimité et à la fonction du présent Tribunal. Il est important de

18 reconnaître que Mme Plavsic s'est livrée de son plein gré au Tribunal, a

19 décidé de venir elle-même à La Haye. Trop souvent, ce Tribunal a été le

20 centre d'attentions qui a provoqué l'ire, la colère de beaucoup de

21 dirigeants et de portions tout entières de la vie publique en Serbie et en

22 Republika Srpska, plutôt que de se concentrer sur les criminels qui se

23 trouvent encore dans ces pays.

24 Troisième chose: Mme Plavsic s'est excusée, a présenté ses excuses et a

25 exhorté les autres dirigeants à faire un examen de conscience. C'est

Page 593

1 particulièrement important.

2 Quatrième élément: elle a accepté cette responsabilité qui est la sienne

3 et ceci risque de montrer aux victimes qu'enfin, enfin quelqu'un reconnaît

4 la souffrance qui a été celle des victimes.

5 La réconciliation, à mon avis, en ex-Yougoslavie ne se fera pas tant que

6 les responsabilités ne sont pas acceptées par ceux qui, par leur silence,

7 par leur indifférence, par leurs déclarations empreintes de défiance, donc

8 par ceux qui font leurs et acceptent ces atrocités.

9 Madame Plavsic a été la première à faire quelque chose de différent, ce

10 qui est important pour cette région du monde.

11 Question: Et pour vous, pourquoi est-ce là une première étape, un premier

12 pas?

13 Réponse: Le fait de reconnaître une responsabilité, surtout lorsque ceci

14 se fait de façon aussi publique, de façon aussi significative, ce n'est

15 pas cela qui va tout faire changer d'un coup; il faut toute une série

16 d'étapes. Et je pense qu'il faut donner la valeur qui s'impose au rôle

17 qu'elle a joué lorsqu'elle a mis fin à la guerre, lorsqu'elle a essayé de

18 faire appliquer les Accords de Dayton. Lorsqu'on pense à son rôle,

19 lorsqu'elle a essayé d'écarter les gens de ce nationalisme violent qu'elle

20 a elle-même contribué à instaurer et à instiller, je pense que tout ceci

21 doit être considéré comme une étape importante, mais il en faut une autre,

22 une autre qui aiderait ce Tribunal, mais aussi bon nombre d'entre nous qui

23 ne travaillent pas dans ce Tribunal.

24 Il faut se demander comment une telle folie a pu se produire à un tel

25 degré d'intensité et d'envergure aussi. Je pense qu'il faut un autre acte

Page 594

1 de contrition. Il faudrait que Mme Plavsic dise au monde comment tout ceci

2 a pu se faire; et pas seulement pour répondre à notre curiosité, mais

3 aussi parce que ceci serait utile pour les gens de la région. Ils

4 pourraient ainsi mieux comprendre, ils pourraient aussi mieux régler ces

5 problèmes. Et plus encore, une telle contribution serait de nature à aider

6 d'autres pays pour qu'ils évitent de faire les mêmes erreurs. A mon avis,

7 c'est là tout un processus qui pourrait avoir une incidence énorme s'il

8 était suivi d'effet.

9 Question: Je reviens sur quelques-unes de vos remarques.

10 Vous avez parlé de l'incidence que ceci pourrait avoir sur les victimes.

11 Les victimes, quel rôle jouent-elles dans ce processus de

12 responsabilisation, de prise de responsabilité et aussi du fait de faire

13 justice?

14 Réponse: Vous savez, les victimes, elles sont au centre même du problème.

15 Le problème, c'est que nous n'aimons pas trop entendre les cris et les

16 gémissements des victimes. Mais vu la nature des choses en matière pénale,

17 il n'est pas facile, il est même très difficile de trouver le lieu, le

18 temps, l'énergie qui permettent de placer au centre des débats les

19 victimes, qui sont trop souvent marginalisées.

20 Si l'on fait la confusion et si l'on cesse de mettre dans le même sac

21 responsabilité, réconciliation, si l'on essaie de trouver un bon équilibre

22 entre la sanction et le pardon, il faut d'abord regarder ce passé sordide,

23 mais aussi penser à un avenir prometteur.

24 Il est essentiel que nous soyons guidés dans ce processus par ceux qui ont

25 porté atteinte à la justice. Il ne peut pas y avoir de véritable justice

Page 595

1 si elle se fait aux dépens des victimes. Les victimes doivent être

2 entendues et nous tous, je pense, nous devons apprendre à mieux prêter

3 l'écoute à ces victimes, davantage que nous ne le faisons maintenant.

4 La réconciliation, elle, peut trop aisément être sapée, être entravée si

5 les victimes ont le sentiment qu'on n'a pas suffisamment entendu et

6 reconnu leurs souffrances, leurs douleurs, que ce soit dans le cadre d'un

7 processus judiciaire, mais aussi en dehors du monde judiciaire, s'il n'y a

8 pas eu toutes ces mesures prises pour répondre et pour réagir à ces

9 violations graves des Droits de l'homme.

10 Je dois bien sûr vous mettre en garde: respecter l'expérience, l'avis des

11 victimes ne veut pas dire qu'on va leur faire dire des choses qu'elles ne

12 veulent pas dire; cela ne veut pas dire non plus que ces victimes

13 insistent pour qu'il y ait châtiment. Les victimes sont toutes aussi

14 complexes que l'être humain en tant que tel. Les victimes demandent qu'on

15 reconnaisse leur douleur et qu'on tienne compte de leur point de vue, mais

16 ces victimes veulent être entendues; c'est essentiel qu'on les voie dans

17 le cadre de la réconciliation et de la prise de responsabilité.

18 Question: Partant du travail que vous avez fait au sein de cette

19 commission en Afrique du Sud, la Commission pour la vérité et la

20 réconciliation, pourquoi la prise de responsabilité est-elle importante

21 dans ce processus de réconciliation?

22 Réponse: La première chose que je dois indiquer tombe sous le sens: cette

23 Commission pour la vérité et de la réconciliation, ce n'était pas un

24 tribunal, c'était une commission. Quelquefois, il y a confusion entre ces

25 deux instances, mais une commission de ce genre ne peut jamais être

Page 596

1 synonyme d'une institution judiciaire, pas plus qu'elle ne peut s'y

2 substituer.

3 Une commission en vue de l'établissement de la vérité, c'est une instance,

4 une entité non judiciaire et, de ce fait, dispose de beaucoup moins de

5 pouvoir qu'une Chambre. Elle n'a pas le pouvoir d'emprisonner qui que ce

6 soit ni de faire exécuter les recommandations, si bonnes soient-elles.

7 Par ailleurs, l'expérience que j'ai acquise -non seulement en Afrique du

8 Sud, ailleurs aussi-, c'est que ces commissions d'établissement de la

9 vérité et de la réconciliation peuvent servir utilement de complément au

10 travail judiciaire; tout d'abord, en établissant les causes profondes et

11 les conséquences d'exactions passées, en recueillant, en organisant, en

12 conservant des moyens de preuve susceptibles d'être utilisés par ladite

13 commission, mais aussi, lorsque des poursuites sont engagées, elles

14 permettent de servir de plate-forme, permettant que des victimes

15 s'expriment dans des audiences publiques.

16 En Afrique du Sud, je pense que nous avons entendu plus de 22.000

17 victimes. Il y a d'autres commissions, bien sûr, qui ont entendu les

18 récits de bon nombre de personnes, mais j'insiste sur ce chiffre car la

19 commission a précisément pour vocation d'entendre ces victimes.

20 Quatrième élément: Une telle commission peut faire des recommandations

21 allant très loin en matière de dommages à payer aux victimes, et pour ce

22 qui est aussi des réformes institutionnelles à accomplir.

23 Dans mon propre pays, je pense que la commission était quelque chose sans

24 précédent. A l'inverse d'autres commissions, cette commission disposait de

25 l'autorité nécessaire. En fait, elle était tenue par le projet de

Page 597

1 Constitution d'alors. Elle devait amnistier les auteurs de crimes commis

2 pour des raisons politiques, des motifs politiques, mais je ne pense pas

3 que ce type de commission soit souhaitable ni un élément constructif en

4 ex-Yougoslavie. Je pense que les dispositions en matière d'amnistie ont

5 été une des plus grandes innovations, même si c'est un aspect très

6 controversé. Je pense que nous avons reçu plus de 7.000 demandes

7 d'amnistie, ce qui nous a fortement surpris, voire ébranlés, puisqu'on

8 estime en général que personne n'allait se présenter. Pourquoi l'auraient-

9 ils fait? Mais il y avait cette politique de la carotte et du bâton, et je

10 pense que ceci a poussé bon nombre des auteurs de ces méfaits aux aveux

11 publics. Est-ce un tort?

12 Nous n'avons pas demandé à ces auteurs de présenter des excuses ni de

13 faire acte de contrition. Pourquoi? Parce qu'à notre avis il aurait été

14 tellement facile d'imposer de telles choses. On aurait mal utilisé cette

15 possibilité. Au contraire, ce fut un acte assez spontané.

16 Permettez-moi d'ajouter ceci, en dernier lieu. Si vous avez des

17 commissions d'établissement de la vérité et de la paix, si des gens

18 viennent devant cette commission pour demander une amnistie, il y a un

19 certain degré de responsabilité qui est ainsi pris.

20 La législation en Afrique du Sud posait notamment comme condition celle-

21 ci: il fallait faire un récit complet de ce qui s'était fait pour

22 envisager une éventuelle amnistie, et, si les Juges de la Cour suprême

23 avaient la moindre raison de penser qu'il n'y avait pas eu un récit

24 complet de ce qui s'était passé, à ce moment-là, on n'accordait pas

25 manifestement l'amnistie.

Page 598

1 Cependant, je pense qu'il faut faire une distinction très claire, bien

2 comprendre la différence qu'il y a entre une commission de ce genre et un

3 tribunal.

4 Question: Selon vous, quelle fut l'incidence sur les victimes et même sur

5 les auteurs des méfaits, le fait que des gens soient venus reconnaître

6 publiquement leur responsabilité, soient passés aux aveux?

7 Réponse: Je pense que l'un des aspects tout à fait favorable et positif de

8 cette commission, c'est que c'était une réponse à l'appel lancé par les

9 victimes. Et j'ai entendu ce même appel de par le monde, quelle que soit

10 la langue, quelle que soit la culture. Cela se résume assez simplement:

11 c'est quelque chose de simple et empreint de désespoir aussi en même

12 temps. La victime dit: "Je veux savoir ce qui s'est passé, pourquoi cela

13 s'est passé. Je veux savoir où se trouve le corps de la personne que

14 j'aime, je veux savoir."

15 Et il est certain que ce fut là un plaidoyer ardent, un appel passionné

16 lancé par des milliers de victimes dans mon pays, parce que beaucoup de

17 gens avaient disparu, on les avait fait disparaître. Il y avait eu

18 tellement d'assassinats, il y avait eu des équipes de la mort qui avaient

19 oeuvré partout. Je pense que le fait que des auteurs de méfaits se soient

20 présentés pour raconter quelquefois des récits abominables de ce qu'ils

21 avaient fait, c'est qu'en soi c'était une espèce de soulagement pour les

22 victimes, elles se sentaient soulagées parce qu'enfin elles voyaient le

23 visage de ce criminel ou de ces criminels qui étaient encouragés à se

24 présenter.

25 On les aidait en leur fournissant le transport et toutes sortes d'autres

Page 599

1 facilités. Je pense que les victimes disent ceci: "Nous voulons savoir,

2 mais nous voulons aussi qu'on reconnaisse ce qu'on a fait. Et nous voulons

3 que quelqu'un soit tenu enfin responsable de la mort de ceux que nous

4 aimions." Cette connaissance, cette reconnaissance était tout aussi

5 importante.

6 Mais il y a aussi le fait que chacun fait son récit et que, de cette

7 façon, s'est enclenché un processus public; on a rompu le mur du silence.

8 Et il y a eu, de ce fait, des milliers de personnes qui ont pu raconter ce

9 qu'elles avaient vécu de par le pays au niveau de la société, de la

10 communauté.

11 Et puis, si vous avez un criminel qui vient se confesser, je suppose qu'il

12 attend quelque chose en échange, une espèce d'échange. En passant

13 complètement aux aveux, ils espéraient échapper à la justice, échapper à

14 la prison.

15 Mais il faut bien reconnaître que moi, qui pendant deux ans et demi était

16 à leur écoute, j'ai été surpris du nombre de criminels qui sont

17 effectivement passés aux aveux, ont présenté leurs excuses, ont demandé le

18 pardon. Beaucoup se sont effondrés au moment de leur audition publique et

19 ont demandé aux membres de la commission d'organiser des rencontres entre

20 eux-mêmes et les victimes de leurs actes.

21 Quelquefois, les victimes ont accepté de le faire, parfois elles l'ont

22 refusé. Mais lorsque les victimes ont accepté de telles rencontres, je

23 dois dire que ce furent là des expériences inoubliables pour moi. Je

24 pourrais parler davantage, mais je préfère m'arrêter.

25 Question: Je vous ai posé la question à savoir quelle était l'incidence

Page 600

1 que cela a eu sur les auteurs et les victimes ce processus de prise de

2 responsabilité. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus en détail quel

3 est l'impact que cela peut avoir sur les sociétés?

4 Réponse: Eh bien, je crois que l'expérience sud-africaine a été une

5 expérience assez unique. Et c'était la première commission qui ne s'est

6 pas tenue derrière des portes fermées. Cela voulait dire que l'accès au

7 public était complètement ouvert; la radio, les médias écrits et l'accès à

8 la télévision étaient également permis.

9 Cela voulait dire bien sûr que le pays entier pouvait participer dans cet

10 exercice, donc que même les personnes les plus simples et les plus

11 pauvres, qui ont fait l'objet des plus grands sévices, aient au moins

12 accès à une radio ou à un transistor et pouvaient entendre la traduction

13 dans leur propre langue, l'interprétation des propos. Et de cette façon-

14 là, ils pouvaient participer et c'était devenu une sorte de catharsis

15 nationale. Cela avait causé, fait en sorte que les gens pouvaient

16 débattre, en parler. Et, pour ce qui est de l'ensemble du pays, le tout a

17 été reçu très positivement. La vérité est finalement sortie, les auteurs

18 ont parlé des atrocités qu'ils ont commises, et cela a eu un impact très

19 important sur les blessures de mon pays.

20 Maintenant, lorsque je repense à ce processus, puisque nous parlons des

21 personnes qui confessent, qui passent aux aveux et qui s'excusent, eh

22 bien, d'abord, il est très important de pouvoir faire le deuil, et

23 l'absence de détails peut rendre la confession insignifiante, si l'on ne

24 donne pas assez de détails.

25 Et deuxièmement, les victimes ne réagissent pas de la même façon quant aux

Page 601

1 confessions. Dans la plupart des cas, la réconciliation devient possible

2 par le processus de confession et des aveux.

3 Et troisièmement, l'expression de remords est quelque chose de très

4 important, lorsque ce remords vrai et volontaire, peut faire en sorte que

5 les victimes en arrivent à faire le deuil.

6 Et quatrièmement, le fait de dire le tout publiquement fait en sorte que

7 l'on comprenne qu'il y a eu violation des droits humanitaires. Et cela est

8 très important.

9 En Afrique du Sud, nous n'avons pas eu des excuses publiques. Je crois

10 qu'on a peut-être fait une erreur là-dessus. Dans le Timor oriental -comme

11 vous le savez, nous travaillons également dans cette partie-là du monde-,

12 les auteurs de crimes qui ont participé à la commission se sont excusés et

13 donc ils ont fait des aveux, mais ils se sont également excusés de ce qui

14 est arrivé. Et ces derniers ont pris place dans la communauté, à faire des

15 travaux communautaires. Je crois qu'il est très important également de

16 présenter ses excuses aux victimes.

17 Question: Je vais revenir maintenant sur quelque chose qui a été dit

18 précédemment concernant l'impact que cette prise de connaissance peut

19 avoir, la prise des responsabilités, et j'aimerais que l'on parle de

20 l'impact que cela peut avoir pour éviter les conflits futurs.

21 Est-ce que vous voyez un lien entre les deux, entre le passé, le futur, et

22 la réduction des tensions qui peuvent apparaître?

23 Réponse: Je crois que la prise de responsabilité, surtout lorsqu'il s'agit

24 de dirigeants militaires et civils, est la chose clé; c'est cela qui peut

25 nous aider à prévenir l'amertume qui existe entre les sociétés, entre les

Page 602

1 parties. Et ce n'est que de cette façon-là que l'on peut engendrer, que le

2 processus de paix peut commencer à prendre place. Car il y a le potentiel

3 de briser le cycle de violence pour pouvoir avoir une paix soutenable et

4 durable.

5 Je crois que les confessions sont également importantes, les aveux sont

6 importants, car cela peut exposer l'hypocrisie et les mensonges des

7 personnes. Et je crois qu'au niveau individuel plus particulièrement, les

8 confessions et les aveux du type dans lesquels on ressent un remord, ont

9 une très bonne intention pour les victimes puisque cela peut aider à

10 empêcher les actes de violence personnels.

11 D'autre part, et je voudrais souligner ceci, il ne faut pas oublier que

12 les aveux sont très importants au niveau social. Les réconciliations et le

13 processus de paix peuvent seulement commencer lorsqu'on est passé aux

14 aveux.

15 Dans les circonstances qui nous occupent ici, il est certain qu'il faut

16 donner un châtiment aux personnes qui ont été auteurs de crimes. Et bien

17 sûr, on peut penser que les procès en Allemagne en 1960 ont aidé la

18 communauté internationale et, même, cela a pu aider les survivants de

19 l'holocauste à percevoir ces procès criminels de façon différente.

20 Et deuxièmement, je crois que les programmes de compensation des victimes,

21 lorsqu'on pense au Chili par exemple, il y a des programmes mis en place

22 pour les familles des personnes qui ont été tuées ou qui sont portées

23 disparues, cela peut aider, pour au moins certaines victimes, à faire en

24 sorte que les victimes puissent avoir une meilleure confiance en la

25 société et en l'Etat.

Page 603

1 Et je crois que, dans beaucoup de pays, le processus de réconciliation ne

2 peut pas commencer, même si certaines personnes passent aux aveux, ne peut

3 pas commencer jusqu'à ce que la guerre soit terminée.

4 Dans mon propre pays où un miracle a eu lieu, où tout le monde, y inclus

5 nous-mêmes qui nous trouvions à l'intérieur du pays, nous pensions que la

6 fin serait une hécatombe plus qu'autre chose. Mais en passant par les

7 négociations et grâce aux négociations, nous avons été en mesure de

8 trouver un nouveau chemin pour nous mener pour l'avenir. Mais, même là,

9 l'étendue de réconciliation a été différente, à moins que la majorité

10 noire ne reçoive une bonne éducation, des maisons, reçoivent des soins de

11 santé, des travaux, des emplois. Cela ne représente pas la réconciliation.

12 M. Robinson (interprétation): Docteur Boraine, justement vous êtes en

13 train de parler d'une question que je souhaitais soulever.

14 J'aimerais que vous nous disiez de quelle façon pouvez-vous mesurer

15 l'effet de réconciliation en parlant de votre propre pays, par exemple? Et

16 nous savons très bien qu'on parle de la République sud-africaine très

17 souvent pour donner l'exemple de ce qui est arrivé. Mais comment est-ce

18 que vous pouvez considérer ce processus de réconciliation? De quelle façon

19 la réconciliation a eu un rôle à jouer dans ce processus de négociation?

20 Je voulais savoir si des études ont été faites pour pouvoir mesurer

21 l'effet de la prise de responsabilité, de cette prise de confiance de

22 culpabilité? Est-ce que c'est quelque chose que l'on a mesuré

23 scientifiquement?

24 M. Boraine (interprétation): Monsieur le Juge, je crois que certaines

25 personnes ont parlé du modèle sud-africain de façon erronée. Je crois

Page 604

1 qu'on a trop mis l'accent sur les négociations politiques et on a fait le

2 lien avec la commission de réconciliation. Je crois que les négociations

3 ont commencé lorsque les gens ont arrêté de s'entre-tuer. Je crois que,

4 pour ce qui me concerne, c'était le test; ce n'était pas seulement des

5 paroles, mais les propos qui en réalité se détestaient (sic). Les gens qui

6 s'entre-tuaient se sont assis autour d'une même table et ont négocié pour

7 obtenir une nouvelle Constitution.

8 C'était extrêmement différent. Je me souviens que, pour la police, la

9 sécurité dans mon pays, il y avait une liste de noms qu'ils considéraient

10 être des cibles légitimes, tel le Congrès national africain: ils avaient

11 des noms, des photographes (sic). Et un an plus tard, en 1989, cette même

12 police de sécurité était là pour protéger les gens pour lesquels ils

13 avaient le droit de tuer, qu'ils avaient le droit de tuer auparavant. Donc

14 je ne crois pas que l'on puisse jamais dire que c'est terminé. C'est

15 toujours un processus.

16 Il y aura toujours des problèmes, bien sûr; il y en a encore beaucoup à

17 être accomplis dans mon propre pays. Le bagage, que nous portons après 300

18 années de colonialisme et de racisme, est énorme et la situation peut

19 devenir extrêmement tendue.

20 M. Robinson (interprétation): Je vous interromps pour que nous puissions

21 parler de la question qui se trouve devant nous.

22 Lorsqu'on parle de la réconciliation en Afrique du Sud, à quel point est-

23 ce que vous pourriez nous dire, que le fait de dire la vérité, le fait de

24 prendre la responsabilité pour ce qui s'est passé et à quel point est-ce

25 que tout cela a pu contribuer? Est-ce que cela a été un facteur important?

Page 605

1 Le plaidoyer de culpabilité, dans l'affaire qui nous occupe, contribuera

2 de façon importante au processus de réconciliation en Yougoslavie? Et

3 c'est la question précise de laquelle nous devons parler en prenant pour

4 exemple le modèle sud-africain. Je vous demande s'il y a eu une

5 réconciliation. Justement à quel point est-ce que le fait de dire la

6 vérité et la prise de responsabilité a-t-elle joué un rôle important dans

7 ce processus?

8 M. Boraine (interprétation): Bien sûr, je suis d'une certaine façon

9 biaisé. J'ai participé directement dans les événements en Afrique du Sud.

10 Je suis subjectif, mais je peux vous dire que la possibilité de pouvoir

11 dire la vérité, de pouvoir rompre le mur du silence et de pouvoir parler

12 de ce qui s'était passé a joué un rôle important, a atténué les tensions

13 et même la haine qui régnaient au sein de mon pays.

14 Je crois que les Blancs, qui étaient majoritairement responsables de

15 l'apartheid, ont nié toutes ces choses qui ont été publiées partout dans

16 le monde, mais ils disaient que cela ne pouvait pas se passer dans leur

17 propre pays; ils niaient que cela est arrivé. Ils ont écouté d'abord les

18 victimes, et même là ils ont dit: "Vous exagérez", lorsque les auteurs

19 finalement sont passés aux aveux; car on n'était pas habitué à ce que les

20 auteurs de ces crimes viennent parler d'atrocités qu'ils avaient commises.

21 Je crois que les gens ne seraient pas venus parler de ces choses-là, si

22 cela n'était pas vrai. Cela a brisé le mur du silence et cela a choqué un

23 grand nombre de personnes. C'est la raison pour laquelle je crois que cet

24 exercice a pu amener une mesure importante et a pu amener à ce que les

25 partis en Afrique du Sud se réconcilient.

Page 606

1 Maintenant, je ne peux pas vous dire si cela est approprié pour l'ex-

2 Yougoslavie, mais partout où j'ai été à travers le monde, j'ai pu trouver

3 que seul l'un des aspects qui a été particulièrement propice à créer un

4 climat dans lequel les gens puissent finalement commencer à coexister, à

5 vivre ensemble était le fait de dire la vérité.

6 M. Robinson (interprétation): Merci.

7 M. Tieger (interprétation): Docteur Boraine, j'ai une question découlant

8 de la question du Juge Robinson. Je voulais vous demander si vous croyez

9 que les agissements de Mme Plavsic puissent avoir une incidence

10 particulière sur la réconciliation en ex-Yougoslavie. Et je parle plus

11 particulièrement de ce que vous avez mentionné un peu plus tôt?

12 M. Boraine (interprétation): Eh bien, d'accord, je l'espère, j'espère de

13 tout mon cœur que les agissements de Mme Plavsic vont inciter les auteurs

14 de crimes, les dirigeants, à prendre la responsabilité des crimes qu'ils

15 ont commis et qu'ils accepteront les sanctions appropriées. Je crois que

16 c'est justement cela qui manquait en ex-Yougoslavie, c'est cet aspect-là.

17 J'ai visité cette région à plusieurs reprises, j'ai parlé aux gens qui se

18 trouvaient à toutes sortes de niveaux et il semble qu'il y a une

19 résistance têtue; ils nient les faits. Je crois que quelqu'un qui se

20 trouve dans une position aussi importante, que quelqu'un qui peut faire

21 une différence et finalement passer aux aveux, et prendre une prise de

22 responsabilité (sic), cela peut inciter les autres dirigeants à s'ouvrir,

23 à venir et à se livrer. J'espère que cela arrivera, j'espère que cela peut

24 aider à initier, à catalyser un processus d'une prise de responsabilité

25 honnête à travers l'ex-Yougoslavie.

Page 607

1 Je ne crois pas que cela est seulement nécessaire pour un certain nombre

2 de personnes, un petit nombre de personnes qui doivent comparaître devant

3 un tribunal; mais il faut accepter de comprendre que le problème est

4 beaucoup plus important et les racines en sont beaucoup plus profondes. Je

5 crois que le modèle sud-africain ne pourra peut-être pas s'appliquer; les

6 choses ne se dérouleront peut-être pas de la même façon, mais il faut

7 commencer à dire la vérité.

8 Si son plaidoyer peut aider à précipiter ce genre d'agissements, eh bien,

9 cela pourrait décidément être quelque chose de très important, de dire la

10 vérité. La prise de responsabilité devrait faire partie et devrait être un

11 effort compréhensif de faire face au passé. Et le fait qu'elle s'est

12 excusée, qu'elle ait demandé aux dirigeants de faire même chose, sa prise

13 de responsabilité, peuvent certainement jouer un rôle important.

14 Question: Je souhaiterais maintenant vous rappeler ou vous demander,

15 plutôt, de partager avec la Chambre certains commentaires que vous auriez,

16 concernant les questions importantes que vous voyez, que vous pouvez

17 trouver dans l'audience d'aujourd'hui.

18 Réponse: Oui, certainement.

19 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les tribunaux ont un rôle

20 important à jouer dans le cadre de la création d'un compte rendu adéquat

21 et approprié de l'histoire.

22 J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les propos du Président Jorda à

23 Sarajevo, l'année dernière. Nous étions membres d'un même panel et il a

24 dit, lors de cet événement, que le Tribunal ne peut pas poursuivre tout le

25 monde -c'est impossible-; que le Tribunal ne peut pas entendre chaque

Page 608

1 victime, même si chaque victime a le droit d'être entendue, et doit être

2 entendue, et mérite d'être entendue; que le Tribunal ne peut pas non plus

3 toujours calculer les causalités et les schémas de tous ces crimes

4 horribles qui ont eu lieu. Il est très difficile, pour le Tribunal, de

5 rassembler une mémoire collective et de faire en sorte que les gens se

6 mettent d'accord sur certains faits de base. Et je crois qu'il avait

7 vraiment raison lorsqu'il a dit cela.

8 Il y a une multiplicité d'efforts qui seront nécessaires à être déployés

9 et je crois sincèrement que la contribution de Mme Plavsic peut

10 certainement aider ce processus. Je crois que nous devrions êtres prêts à

11 encourager les autres affaires de la sorte.

12 En dernier lieu, je souhaiterais dire que je soutiens ardemment son appel

13 dirigé aux dirigeants de tous les côtés de ce conflit qui vient de se

14 dérouler et à examiner leur propre comportement. Il y a eu un certain

15 nombre d'excuses, mais c'étaient des excuses partielles seulement; elles

16 ne faisaient pas partie d'un programme dirigé à aider les victimes.

17 C'étaient des excuses qui étaient normalement accompagnées de la non-

18 coopération avec le Tribunal pénal international et on a procédé souvent à

19 l'intimidation des minorités locales. Néanmoins, et même si on a fait ces

20 excuses, je crois que les dirigeants ne sont pas prêts à… Si les

21 dirigeants ne sont pas prêts à prendre une conscience active et à

22 comprendre ce qui s'est passé, cela ne pourra pas aider les générations à

23 venir.

24 En dernier lieu, pour terminer, je souhaiterais dire la chose suivante: en

25 examinant la vie de Mme Plavsic et les crimes qu'elle a commis, l'étendue

Page 609

1 et l'importance des crimes commis ainsi que son changement de

2 comportement, la prise de responsabilité et le fait qu'elle ait fait des

3 aveux, je crois que, d'une certaine façon, elle semble avoir pris une

4 deuxième chance et on doit la respecter pour cela.

5 Mais ce qui est encore plus important, c'est que je crois que les gens de

6 l'ex-Yougoslavie, la population de l'ex-Yougoslavie mérite d'obtenir une

7 deuxième chance pour s'écarter des préjudices et de la haine, du passé, de

8 devenir une société beaucoup plus tolérante, plus décente, et de bouger

9 vers un avenir beaucoup plus décent avec le droit humanitaire comme point

10 de mire. Et je crois que si son comportement peut aider les personnes de

11 cette partie-là du monde qui ont tellement souffert, j'espère que le

12 nationaliste disparaîtra et que les sociétés pluralistes vont de plus en

13 plus devenir… De toute façon, il n'y a pas d'autre façon pour faire en

14 sorte qu'une paix durable reste dans cette région.

15 M. Tieger (interprétation): Merci, Docteur Boraine, je n'ai plus de

16 question.

17 M. le Président (interprétation): Maître Pavich, est-ce que vous avez des

18 questions?

19 M. Pavich (interprétation): Non, Monsieur le Président.

20 M. le Président (interprétation): Monsieur Boraine, je vous remercie

21 d'être venu témoigner devant ce Tribunal, vous pouvez maintenant disposer.

22 (Le témoin, M. Alexandre Lionel Boraine, est reconduit hors du prétoire.)

23 M. Pavich (interprétation): Madame Plavsic aimerait avoir la possibilité

24 de s'exprimer devant cette Chambre.

25 M. le Président (interprétation): Oui, elle peut le faire. Si elle

Page 610

1 souhaite se lever, elle peut le faire debout. Si elle le préfère, elle

2 peut également s'exprimer assise.

3 (Déclaration de l'accusée Mme Biljana Plavsic.)

4 Mme Plavsic (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

5 Madame la Procureure, Conseils de la défense, je vous remercie de m'avoir

6 accordé cette possibilité de parler aujourd'hui.

7 Il y a près de deux ans, je suis venue ici ayant été accusée de

8 participation à des crimes contre d'autres êtres humains et y compris

9 contre l'humanité entière.

10 Je suis ici pour deux raisons: affronter ces accusations et épargner mon

11 peuple car il était clair que c'est mon peuple qui aurait payé le prix à

12 payer en cas de refus de comparaître de ma part.

13 J'ai eu amplement la possibilité d'examiner les charges retenues contre

14 moi que j'ai étudiées et appréciées à leur juste valeur avec l'aide de mes

15 conseils. J'en suis arrivée à penser et à admettre le fait que plusieurs

16 milliers de personnes innocentes ont été les victimes d'un effort organisé

17 et systématique visant à chasser les Musulmans et les Croates des

18 territoires sur lesquels les Serbes avaient des prétentions. A l'époque,

19 je m'étais convaincue facilement que ce qui était en cause était un

20 problème de survie et d'autodéfense. En fait, c'était bien davantage. Les

21 dirigeants dont je faisais partie, bien sûr, ont pris pour cible

22 d'innombrables personnes innocentes. Arguer de la nécessité de se

23 défendre, de survivre ne justifie en rien ces actes. En fin de compte,

24 certains ont pu dire, y compris dans notre peuple, que cette guerre nous a

25 fait perdre notre grandeur.

Page 611

1 Des questions évidentes se posent par conséquent. Si cette vérité est

2 aujourd'hui si claire, pourquoi ne l'ai-je pas vu avant? Et comment est-il

3 possible que nos dirigeants et ceux qui les ont suivis aient commis de

4 tels actes?

5 La réponse à ces deux questions réside, je crois, dans le mot "effroi"; un

6 effroi qui rend aveugle et qui nous a conduits à l'idée obsessionnelle,

7 notamment chez ceux d'entre nous pour qui la Deuxième Guerre mondiale est

8 un souvenir vivace que les Serbes ne devaient plus jamais être réduits à

9 l'état de victimes. En pensant ainsi, nous qui faisions partie de la

10 direction avons violé le devoir premier de tout être humain: le devoir de

11 se maîtriser pour respecter la dignité humaine d'autrui.

12 Nous nous sentions moralement engagés à faire ce qu'il fallait pour

13 l'emporter. Bien qu'à de nombreuses reprises j'aie entendu parler de

14 comportement inhumain contre des non-Serbes, j'ai refusé d'admettre ces

15 allégations ne serait-ce qu'en diligentant des enquêtes.

16 En fait, j'ai plongé complètement dans la tâche consistant pour moi à

17 m'occuper des Serbes, victimes innocentes de la guerre. Ce travail

18 quotidien durant la guerre a renforcé chez moi le sentiment que nous nous

19 battions pour survivre et que la communauté internationale était dans ce

20 combat notre ennemi.

21 Donc je me suis contentée de nier ces accusations sans même les vérifier.

22 J'ai tranquillement conservé ma conviction que les Serbes n'étaient pas

23 capables de tels actes. Poussés par cette obsession de plus jamais être

24 réduits à l'état de victimes, nous nous sommes permis de devenir des

25 faiseurs de victimes.

Page 612

1 Vous avez entendu, hier et quelque peu aujourd'hui également, quelles ont

2 été les innombrables souffrances que tout cela a produit. J'ai admis ma

3 responsabilité; cette responsabilité est la mienne et n'appartient qu'à

4 moi. Elle ne s'étend pas aux autres dirigeants qui ont le droit de se

5 défendre eux-mêmes et elle ne s'étend certainement pas aux autres Serbes

6 qui ont déjà payé un tribut suffisamment lourd en raison du fait que nous

7 étions leurs dirigeants.

8 La certitude que je suis responsable de ces souffrances humaines et

9 d'avoir entaché la personnalité de mon peuple ne me quittera jamais.

10 La justice existe. Elle exige une vie pour toute vie innocente, une mort

11 pour toute mort imméritée. Bien entendu, il ne m'est pas possible à moi de

12 satisfaire aux exigences d'une telle justice.

13 La seule chose que je peux faire, c'est ce qui est en mon pouvoir, en

14 espérant que cela servira à quelque chose. Je peux ouvrir les yeux sur la

15 vérité, je peux mettre des mots sur la vérité et admettre ma

16 responsabilité. Ceci, je l'espère, aidera les victimes innocentes

17 -musulmanes, croates et serbes- à ne pas s'abîmer dans l'amertume qui se

18 mue souvent en haine et finit par devenir autodestructrice.

19 S'agissant de mon peuple, j'ai déjà dit ici, aujourd'hui, quelques mots de

20 sa personnalité, mais je pense qu'il importe de donner quelques

21 explications complémentaires.

22 Aujourd'hui, à Belgrade, en plein centre de la ville, une église se dresse

23 avec sa coupole, une église dont la construction est inachevée, bien

24 qu'ayant commencé en 1935. Notre peuple poursuit avec constance la

25 construction de cette église consacrée à un homme qui, plus qu'aucun

Page 613

1 autre, a forgé le caractère du peuple serbe: je veux parler de Saint-Sava.

2 Le chemin suivi par cet homme a été empreint d'une maîtrise de soi pour

3 respecter les autres. Ce fut un grand diplomate qui s'est acquis le

4 respect de son peuple et d'autres, bien au-delà de son peuple. Ce fut un

5 homme qui a laissé une marque profonde sur le peuple serbe. C'est la voie

6 empruntée par Saint-Sava; c'est l'exemple incarné par lui dont les

7 dirigeants serbes se sont inspirés et s'inspirent encore aujourd'hui dans

8 l'endurance et la dignité pleine de noblesse dont ils font preuve dans les

9 moments les plus durs. Qu'ils me suffisent de citer Mgr Artemije

10 Radosavljevic qui, aujourd'hui encore, élève sa voix pour parler de la

11 justice dans ce qui, pour les Serbes, est devenu un lieu perdu: le Kosovo.

12 Mais la tragédie a voulu que nos dirigeants, dont je faisais partie, aient

13 abandonné la voie empruntée par Saint-Sava au cours de la dernière guerre.

14 Et je pense qu'il est tout à fait clair que je me suis distinguée de ces

15 dirigeants, mais trop tard.

16 En dépit de tout cela, les dirigeants dont j'ai parlé continuent sans

17 vergogne à demander la loyauté et le soutien de notre peuple. Ils le font

18 en suscitant la peur, en disant des demi-vérités dans le but de convaincre

19 notre peuple que le monde tout entier est contre lui. Mais aujourd'hui,

20 les fruits de leurs efforts sont devenus très clairs: des tombes, des

21 réfugiés, l'isolement, l'amertume à l'égard du monde qui nous a rejetés

22 précisément à cause des actes commis par ces dirigeants.

23 On m'a dit souvent que ce n'était ni le lieu ici ni le moment pour mettre

24 cette vérité en mots. Il nous faudrait attendre que d'autres admettent

25 aussi la responsabilité de leurs actes. Mais je pense qu'il n'est pas de

Page 614

1 lieu, pas de moment pour faire le ménage devant sa propre porte. Je suis

2 convaincue de la nécessité de le faire. Quant aux autres, il faudra qu'ils

3 se posent des questions qu'ils devront se poser et fassent le ménage

4 devant leur porte.

5 Nous devons vivre dans le monde dans lequel nous vivons et pas dans un

6 sous-sol, dans une cave. Le monde est imparfait aujourd'hui. Il est

7 souvent injuste. Mais aussi longtemps que nous préserverons notre identité

8 et notre personnalité, nous n'avons rien à craindre.

9 Pour ce qui me concerne, c'est aux membres de cette Chambre de première

10 instance que la responsabilité est donnée de juger. Il vous faut vous

11 efforcer, dans votre jugement, de déterminer où se trouve la justice

12 susceptible, pas seulement pour moi mais également pour les victimes

13 innocentes de cette guerre, d'offrir quelque chose.

14 Pour ma part, cependant, je vais lancer un appel à ce Tribunal, à ses

15 Juges, à ses Procureurs, à ses enquêteurs. Je vous demande de faire tout

16 ce qui est en votre pouvoir pour faire prévaloir la justice dans l'intérêt

17 de toutes les parties. En agissant ainsi, vous serez peut-être en mesure

18 d'accomplir la mission pour laquelle ce Tribunal a été créé.

19 Je vous remercie.

20 (Questions relatives à la procédure.)

21 M. le Président (interprétation): Avez-vous présenté tous vos moyens de

22 preuve?

23 M. Pavich (interprétation): Oui.

24 M. le Président (interprétation): Ceci met terme à la présentation des

25 éléments de preuve. Je pense qu'il est trop tard pour entendre des

Page 615

1 conclusions. Mais vous pourrez peut-être nous aider sur

2 deux points: la question de la mise en liberté provisoire,

3 et puis la question de la coopération, ce que j'ai évoqué dès hier.

4 Oui, Monsieur Harmon, vous voulez intervenir?

5 Mme Del Ponte: Je m'excuse, Monsieur le Président, mais je croyais que

6 c'était la défense avant de parler, parce qu'il s'agissait de "provisional

7 release". Mais, si c'est moi qui prends la parole, je suis prête à le

8 faire.

9 M. Pavich (interprétation): Je suis tout à fait prêt à donner ma place.

10 M. le Président (interprétation): Il y a d'abord la question de la mise en

11 liberté provisoire et puis celle de la coopération. Il est peut-être utile

12 de parler d'abord de la coopération pour parler ensuite du deuxième point.

13 Le Bureau du Procureur pourra peut-être nous aider.

14 Mme Del Ponte: A propos de la coopération, il faut tout d'abord dire que

15 l'accusée, Mme Plavsic, n'a pas coopéré et ne coopère pas. Jusqu'à

16 aujourd'hui, nous n'avons aucune indication que Mme Plavsic se décidera à

17 coopérer avec nous.

18 Pour vous dire, Monsieur le Président, que l'Article 101-B)ii) de notre

19 procédure, qui parle du sérieux et de l'étendue de la coopération, n'est

20 naturellement pas applicable dans ce cas parce que, comme je viens de le

21 dire, il n'y a eu jusqu'à aujourd'hui aucune coopération.

22 C'est ça que je voulais dire pour information de la Cour. Merci, Monsieur

23 le Président.

24 M. le Président (interprétation): Maître Pavich, avez-vous quoi que ce

25 soit à ajouter?

Page 616

1 M. Pavich (interprétation): Non, Monsieur le Président.

2 M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Nous allons délibérer.

3 (Les Juges se concertent sur le siège.)

4 M. le Président (interprétation): Oui, Maître Pavich, parlez-nous de la

5 question de la mise en liberté provisoire.

6 M. Pavich (interprétation): C'est Me O'Sullivan qui va intervenir si vous

7 l'y autorisez?

8 M. le Président (interprétation): Mais bien sûr.

9 M. O'Sullivan (interprétation): La Chambre a eu l'occasion de se saisir de

10 nos conclusions écrites en matière de mise en liberté provisoire et des

11 documents présentés à l'appui de cette demande.

12 Je ne pense qu'il soit utile de répéter ce que nous avons déjà dit

13 brièvement par écrit, mais je pense qu'ici, la poursuite ou le maintien de

14 la liberté provisoire doit se faire. Il y a des précédents que nous avons

15 évoqués dans nos écritures, et l'accusation ne s'oppose pas à la poursuite

16 et au maintien de la liberté provisoire. Les mesures de sécurité existent,

17 sont en place et, après la déclaration de culpabilité faite par elle le 2

18 octobre, la liberté provisoire s'est maintenue. Les circonstances n'ont

19 pas changé, le Gouvernement s'engage à fournir la protection nécessaire.

20 M. le Président (interprétation): Vous demandez le maintien du statu quo,

21 en d'autres termes, même s'il est exceptionnel d'accorder la liberté

22 provisoire dans de telles circonstances?

23 M. O'Sullivan (interprétation): C'est exact. Nous avons demandé la liberté

24 provisoire le 2 octobre et nous demandons le maintien de celle-ci, donc le

25 maintien du statu quo.

Page 617

1 M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

2 Mme Del Ponte: Oui, Monsieur le Président, nous étions d'accord afin que

3 l'accusée, Mme Plavsic, reste en liberté provisoire, alors qu'elle avait

4 déjà plaidé coupable. Effectivement, la situation juridique de l'accusée

5 n'a pas changé. Donc, comme le disait le défenseur, nous ne nous opposons

6 pas à ce que Mme Plavsic puisse rester en liberté provisoire jusqu'au

7 jugement de la Cour.

8 M. Robinson (interprétation): Vous voyez, les circonstances n'ont pas

9 changé de l'avis de la défense, mais, selon vous, est-ce que l'audience

10 est un facteur essentiel -je parle ici de l'audience que nous tenons

11 depuis hier-, est-ce que ceci a fait changer la situation?

12 Mme Del Ponte: Non, Monsieur le Juge, du moment qu'elle a plaidé coupable.

13 Aujourd'hui, on a simplement entendu des témoins qui peuvent aider la Cour

14 dans le jugement qui sera déterminé quand vous déciderez que ce sera

15 opportun.

16 Donc, en fait, ce qu'on a fait pendant ces deux, trois jours, c'est

17 entendre non pas des témoins de culpabilité, mais des témoins qui

18 illustraient, comme vous l'avez vu, différentes conditions, surtout sur ce

19 qui est les éléments d'atténuation de peine, les autres éléments

20 d'atténuation de peine. Parce qu'on a pu entendre des faits sur le

21 comportement de l'accusée à partir de 1995, les Accords de Dayton donc, et

22 tout ça n'a rien changé au fait qu'elle plaide coupable, qu'elle a

23 confirmé qu'elle plaide coupable, qu'elle a même exposé le pourquoi elle

24 plaide coupable. Mais la situation, tant qu'il n'y aura pas une décision

25 de votre Chambre, il me semble, Messieurs les Juges, qu'elle reste la

Page 618

1 même.

2 M. Robinson (interprétation): Mais je pense que l'audience nous permet de

3 mieux circonscrire la problématique pour fixer la peine.

4 Mme Del Ponte: C'est vrai, mais la sentence n'a pas été prononcée; selon

5 mon humble opinion, la situation de l'accusée reste la même.

6 M. Robinson (interprétation): Fort bien.

7 M. le Président (interprétation): Nous allons délibérer. Nous rendrons

8 notre décision en cette matière demain, mais nous sommes censés entendre

9 les plaidoirie et réquisitoire demain.

10 Il se fait tard, Monsieur Harmon. Est-ce que vous préférez commencer

11 demain matin?

12 M. Harmon (interprétation): Oui.

13 M. le Président (interprétation): Ou plutôt demain après-midi?

14 M. Harmon (interprétation): C'est exact.

15 Messieurs les Juges, nous avons quelques questions d'intendance, pour

16 terminer ce chapitre de la présentation de moyens de preuve.

17 M. le Président (interprétation): Oui?

18 M. Harmon (interprétation): J'ai deux requêtes supplémentaires ou deux

19 dépôts supplémentaires; il s'agit des pièces 14 et 15.

20 La pièce de l'accusation n°14 est l'annexe que nous versons à notre

21 mémoire de fixation de la peine. Dans ma déclaration liminaire, je vous ai

22 dit que nous allions amplifier les dépositions des témoins par des

23 illustrations venant de six procès différents. Ces extraits ont été

24 sélectionnés parce qu'ils sont tout à fait symptomatiques des crimes

25 recensés ou visés dans l'Acte d'accusation, pour lequel il y a déclaration

Page 619

1 de culpabilité de la part de Mme Plavsic. Il concerne les actes repris

2 dans l'Acte d'accusation, dont des assassinats, des viols, des détentions

3 illégales, des cas de conditions… des privations et des souffrances

4 infligées dans des camps, le fait d'incendier des villages.

5 Il y a aussi, à la pièce 15, un rapport préparé par deux démographes, Mme

6 Tabeau et M. Zoltowski. Il a pour titre "Composition ethnique et personnes

7 déplacées ainsi que réfugiées dans 37 municipalités de Bosnie-Herzégovine

8 en 1991 et 1997". J'appelle votre attention surtout sur deux cas

9 illustratifs repris ici; il s'agit des illustrations 12 et 13, et vous

10 avez aussi nos conclusions dans cette pièce dont nous vous demandons le

11 versement.

12 M. le Président (interprétation): Fort bien. Oui, Maître O'Sullivan?

13 M. O'Sullivan (interprétation): Nous demandons le versement de cinq

14 pièces. J'attends que Mme la Greffière d'audience en termine; elle pourra

15 nous donner des cotes pour ces cinq pièces.

16 Mme Anoya (interprétation): Affidavit, déposition sous serment de Mme

17 Albright, S16. Le curriculum vitæ de M. Bildt sera la pièce S17. Le

18 curriculum vitæ du témoin suivant portera la cote S19 et la déclaration de

19 M. Larry Hollingworth sera la pièce S20.

20 M. O'Sullivan (interprétation): Nous demandons le versement de ces cinq

21 pièces.

22 M. le Président (interprétation): Fort bien. En l'absence d'autres

23 questions, nous allons suspendre l'audience. Elle reprendra demain à 14

24 heures 30.

25 (L'audience est levée à 15 heures 50.)