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1 Le mardi 2 mai 2006
2 [Audience publique]
3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 14 heures 25.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, pouvez-vous appeler le numéro
6 de l'affaire, s'il vous plaît.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Bonjour à
8 tous. Affaire numéro IT-04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier. Je vais demander à
10 l'Accusation de bien vouloir se présenter.
11 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Bonjour,
12 Messieurs les Juges. Je salue toutes les personnes ici présentes. Au nom de
13 l'Accusation, Daryl Mundis, Ken Scott, Vassily Poryvaev, et Skye Winner,
14 notre commis à l'affaire.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je vais me tourner vers le banc des avocats en
16 leur demandant, pour les besoins du compte rendu, de bien vouloir se
17 présenter.
18 M. KARNAVAS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs
19 les Juges. Michael Karnavas, je défends M. Prlic, avec Mme Tomanovic et Ana
20 Vlahovic, qui est notre assistante juridique. Je vous remercie.
21 Mme Nozica : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
22 Juges. Senka Nozica, je défends les intérêts de M. Bruno Stojic, et nous
23 avons ici M. Slonje Valent, notre commis à l'audience.
24 M. KOVACIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les
25 Juges. Nous représentons les intérêts de M. Praljak. Bozidar Kovacic,
26 conseil principal, Mme Pinter, Nika Pinter, co-conseil, et notre commis,
27 Valentina Ivic. Je vous remercie.
28 Mme ALABURIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président et Messieurs
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1 les Juges. Vesna Alaburic, je défends les intérêts de Milivoj Petkovic, et
2 mon commis à l'audience d'affaire, Davor Lazic est présent ici aujourd'hui.
3 M. JONJIC : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Tomislav Jonjic,
4 conseil commis d'office pour M. Coric. A mes côtés se trouve Krystyna
5 Grinberg, conseiller juridique.
6 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Nous
7 défendons les intérêts de M. Pusic, Roger Sahota, Fahrudin Ibrisimovic et
8 Nermin Mulalic, notre commis à l'audience.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous, de la Chambre, je salue toutes les personnes
10 présentes après ce long congé. Je salue les accusés, je salue les avocats
11 des accusés, ainsi que les représentants de l'Accusation. J'associe dans
12 mes salutations, bien entendu, toutes les personnes qui nous assistent.
13 Aujourd'hui, nous allons commencer l'audience avec la venue d'un premier
14 témoin, mais avant d'introduire le témoin, plusieurs précisions concernant
15 des questions de nature administrative.
16 Comme vous le savez, la Chambre a rendu une décision portant ligne
17 directrice pour la conduite du procès. Je rappelle que le 18 avril 2006,
18 l'Accusation nous avait fourni un tableau par CD-ROM qui ne répondait pas
19 aux critères de l'ordonnance du 30 novembre 2005. La version modifiée de
20 cette décision, en date du 28 avril, rappelle la décision du 30 novembre
21 2005 et demande à l'Accusation de présenter ce tableau pour, au plus tard,
22 le 4 septembre 2006. Ce qui fait que pratiquement, l'Accusation aura
23 presque eu une année pour préparer ce tableau. Alors il ne faudra pas que
24 le 4 septembre l'Accusation vienne nous dire qu'elle n'a pas eu le temps de
25 préparer ce tableau. Il vous reste encore plusieurs mois avant de compléter
26 le tableau qui a été demandé, de telle sorte qu'au titre de l'égalité des
27 armes, la Défense, comme les Juges d'ailleurs, puissent avoir en leur
28 possession un document permettant de croiser les témoins et les pièces à
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1 conviction, ainsi qu'avoir des références précises à l'article 7(1) et à
2 l'article 7(3). Je pense que vous mènerez à bien cette tâche. Ce que
3 j'indique pour l'Accusation vaudra également, au moment venu, pour la
4 Défense. La Défense aura la même obligation.
5 Deuxième point de nature administrative : comme vous le savez, normalement
6 dans les prochains jours, les mardis et mercredis, nous siègerons jusqu'à
7 16 heures. Mais il a été porté à ma connaissance que pour que les témoins
8 puissent se restaurer, il leur faut au moins une heure pour pouvoir
9 déjeuner. Parce que sinon, les témoins risquent d'avoir une défaillance au
10 cours d'une audience, et pour qu'ils puissent se restaurer, il leur faut
11 une heure. Dans ces conditions, je vous indique les horaires lorsque nous
12 aurons ces deux journées qui commenceront à 9 heures. Nous irons de 9
13 heures à 10 heures 30. Il y aura une pause à 10 heures 30 jusqu'à 10 heures
14 50. On retournera à 10 heures 50 jusqu'à midi 20. Il y aura à midi 20, la
15 pause déjeuner pour le témoin, qui durera de 12 heures 20 à 13 heures 20,
16 et évidemment pour ceux qui veulent se restaurer également. Nous
17 reprendrons nos travaux à 13 heures 20 jusqu'à 14 heures 50, pause de 14
18 heures 50 à 15 heures 10, reprise 15 heures 10 jusqu'à 16 heures 40. Voilà
19 pour les deux jours qui se termineront à 16 heures.
20 Par ailleurs, je voulais vous indiquer que vendredi, avec le service
21 administratif du Greffe, j'ai examiné la question dans le grand écran dans
22 cette salle d'audience. Il est donc possible d'avoir un grand écran qui
23 serait relié directement au greffier, et lorsque vous voudriez visionner
24 une vidéo ou voir sur votre écran un document, à ce moment-là, ce sera
25 possible. Il y avait une question technique qui était pendante, qui était
26 de savoir si sur un document la Défense ou l'Accusation pouvait zoomer;
27 est-ce qu'elle peut le faire directement ou cela doit-il passer par le
28 greffier ? Parce que dans ce même moment, c'est le greffier qui ferait les
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1 manipulations.
2 Si cela vous intéresse, je ne saurais trop inviter la Défense et
3 l'Accusation à rencontrer M. Frejabue qui leur fera une démonstration du
4 système. Personnellement, je l'ai vu et cela peut être utile pour les
5 travaux de la Chambre.
6 Comme vous le savez, en ma qualité de Président de la Chambre, j'ai
7 la responsabilité au terme du statut à assurer la bonne marche des travaux
8 de la Chambre et c'est à ce titre que je me suis préoccupé de cette
9 question.
10 Je voudrais pendant quelques instants évoquer un sujet en audience à
11 huis clos partiel. Cela ne va pas être long, mais je vais demander à M. le
12 Greffier de passer à huis clos partiel.
13 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,
14 Monsieur le Président.
15 [Audience à huis clos partiel]
16 (expurgé)
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1 (expurgé)
2 (expurgé)
3 (expurgé)
4 (expurgé)
5 (expurgé)
6 [Audience publique]
7 M. LE JUGE ANTONETTI : En audience publique, il est prévu la venue d'un
8 témoin qui est à la disposition de la Chambre. Nous allons introduire ce
9 témoin, et je vais lui faire prêter serment. Ensuite, ce témoin sera
10 interrogé par le Procureur. J'espère que la Défense s'est entendue entre
11 elle pour procéder au contre-interrogatoire du témoin.
12 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour Madame. Je vais d'abord m'assurer si
14 vous entendez, dans votre langue, la traduction de mes propos. Si c'est le
15 cas, dites : "Je vous entends et je vous comprends."
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous entends et je vous comprends,
17 Monsieur le Président.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Madame, avant de vous faire prêter serment, pouvez-
19 vous me donner votre nom, prénom, date de naissance.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Spomenka Drljevic. Je suis née le
21 1er juillet 1954 à Mostar.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Indiquez la ville où vous habitez actuellement.
23 LE TÉMOIN : [interprétation] J'habite à Mostar.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Avez-vous une profession ou aucune profession ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je travaillais au ministère de la Défense, et
26 je suis aujourd'hui à la retraite.
27 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Je vous demande de lire le serment que
28 Mme l'Huissière vous présente.
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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
2 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
3 LE TÉMOIN : SPOMENKA DRLJEVIC [Assermentée]
4 [Le témoin répond par l'interprète]
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir, Madame.
6 Madame, avant de donner la parole à M. le Procureur qui va poser des
7 questions, je vais vous indiquer quelques brèves informations sur la façon
8 dont va se dérouler votre audition. Il est prévu que vous témoignez
9 aujourd'hui et une partie de la journée de demain. Dans un premier stade,
10 vous aurez à répondre à des questions du Procureur, qui est situé à votre
11 droite. Après les questions du Procureur, la Défense, qui est située à
12 votre gauche, par l'intermédiaire d'un ou d'autres avocats, vous posera
13 dans le cadre de ce qu'on appelle le contre-interrogatoire également des
14 questions.
15 Les Juges qui sont devant vous pourront, à tout moment, lorsqu'ils
16 estimeront utiles, également, vous poser des questions s'ils en éprouvent
17 la nécessité.
18 Si jamais vous rencontrez un problème quelconque, n'hésitez pas à nous en
19 faire part.
20 Je rappelle que vous avez prêté serment de dire toute la vérité et
21 que votre serment entraîne, bien entendu, l'obligation de dire la vérité et
22 de ne pas mentir, car un mensonge peut être une infraction qui pourrait
23 être poursuivie par ce Tribunal.
24 Voilà le cadre général dans lequel va situer votre audition.
25 Je vais maintenant donner la parole à l'Accusation, et je crois que
26 cela va être M. Mundis qui est en première position et qui, venant de boire
27 un verre d'eau, va vous poser des questions.
28 M. MUNDIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
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1 Interrogatoire principal par M. Mundis :
2 Q. [interprétation] Bonjour, Madame.
3 R. Bonjour.
4 Q. Je vais d'abord vous poser quelques questions liminaires qui concernent
5 surtout la période qui va de 1990 à 1991. Pourriez-vous dire aux Juges de
6 la Chambre dans quelle ville vous habitiez en 1991 ?
7 R. Dès ma naissance, j'ai vécu à Mostar où j'habite toujours. Pour ce qui
8 est de la période qui vous intéresse, j'y habitais aussi. A l'époque, je
9 travaillais comme représentante d'une entreprise de la ville de Ploce. J'ai
10 gardé cet emploi jusqu'au 31 décembre 1991.
11 Q. Pourriez-vous dire aux Juges de la Chambre ce qui s'est passé ce jour-
12 là, le 31 décembre 1991, s'agissant de l'emploi que vous aviez dans cette
13 entreprise ?
14 R. A la fin du mois de mars, début du mois d'avril 1992, j'ai reçu une
15 lettre qui me congédiait et qui était rétroactive. Je n'ai pas eu le droit
16 d'intercéder appel ou de refuser. On m'a aussi offert de travailler en tant
17 que représentante exclusive de cette entreprise qui s'appelle Kartonplast
18 dans la ville de Ploce. C'est seulement il y a deux ans que j'ai appris
19 qu'il y avait une association, que j'ai rejointe à Jelah. J'ai appris que
20 le gouvernement croate avait, à l'époque, pris une décision disant que tous
21 ceux qui n'avaient pas de lieu de résidence en République de Croatie
22 devaient être licenciés. Les membres de cette association avec laquelle
23 j'ai été en contact et aussi dans certaines émissions télévisées, j'ai
24 appris qu'il y avait environ 100 000 personnes, surtout des Bosniens et des
25 Serbes, qui se trouvaient dans une situation analogue. Je parle donc de
26 personnes qui ont été licenciées au cours de cette période.
27 Cette association, que j'ai rejointe, compte aujourd'hui environ 10
28 000 membres.
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1 Q. Vous nous avez dit que fin mars, début avril 1992, vous aviez reçu une
2 lettre de licenciement. Comment était-elle motivée ? Comment justifiait-on
3 le fait que vous étiez renvoyée et que vous perdiez votre emploi ?
4 R. L'impression qui a été avancée, était-il dit dans la lettre, que je
5 n'avais pas exécuté mes fonctions que j'étais censée exécuter pendant
6 plusieurs mois. C'était un manquement à mes devoirs était-il dit, ou plutôt
7 on a dit aussi qu'il y avait moins de demandes au niveau des ventes,
8 situation qui avait perduré plusieurs mois. A l'époque, vous savez que la
9 situation n'était pas stable, que ce soit en Croatie ou en Bosnie, j'ai
10 donc pensé que c'était là quelque chose d'inévitable. En tout cas, je vais
11 m'en occuper à l'avenir avec des avocats de Zagreb et avec cette entreprise
12 puisqu'il y a beaucoup de questions contradictoires à cet égard.
13 La décision en matière d'emploi, en tout cas, de la loi yougoslave
14 qui était alors en vigueur, disait qu'il y avait une période d'essai mais
15 qui ne pouvait exister que si on commençait à travailler. Ce qui n'était
16 pas le cas pour moi. Il n'avait pas de raison de me congédier à l'époque où
17 je travaillais. J'ai interprété ce licenciement comme étant quelque chose
18 qui était provoqué par la situation qui prévalait alors en Yougoslavie,
19 surtout en Bosnie.
20 Q. Est-ce que vous pourriez nous donner quelques détails ? Vous parlez "de
21 la situation qui prévalait alors en Yougoslavie et surtout en Bosnie". Est-
22 ce que vous pourriez être plus précise ?
23 R. Voici à quoi je pense. A cette époque-là, surtout en 1991, en effet,
24 la guerre avait déjà commencé en Croatie à l'époque. Ploce, c'est une ville
25 portuaire. Ploce a été bombardée. C'est là que se trouvait le siège de
26 l'entreprise pour laquelle je travaillais, et nous avons été en contact
27 téléphonique avec le siège. Mais fin 1991, il devenait déjà assez dangereux
28 de voyager en Bosnie, de traverser la Bosnie, surtout certaines régions.
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1 Cela a été la raison principale.
2 Outre cela, il y a des gens qui se sont abstenus de signer des
3 contrats, qui ne voulaient pas passer de nouveaux contrats. C'était notre
4 réalité de l'époque. Il y avait peu de travail, mais les Croates n'ont pas
5 été congédiés alors que d'autres l'ont été.
6 Q. Suite à votre licenciement, quel fut votre emploi suivant, et pourriez-
7 vous nous dire quand vous avez recommencé à travailler ?
8 R. Je n'ai pas retrouvé de travail à Mostar de manière que la guerre ait
9 déjà éclaté en septembre 1991 lorsque des réservistes sont arrivés en
10 ville, plus exactement le 19 septembre. Il n'y a pas eu d'accrochage
11 particulier. C'étaient plutôt des actes de provocation, d'intolérance des
12 soldats serbes qui traversaient la ville ou des gens étaient ivres. Cela a
13 duré jusqu'au 3 avril 1992. C'est alors qu'il y a eu l'explosion d'un
14 camion qui transportait du carburant dans le camp du Nord. C'est à ce
15 moment-là que la guerre a éclaté en ville.
16 Il y a eu des tirs occasionnels. Pendant la nuit, il y a aussi eu des
17 pilonnages qui commençaient à se reproduire pendant la journée. En avril
18 1992, j'ai emmené quatre enfants de ma sœur chez des amis à Kastela. C'est
19 une région près de Split où il y a quatre ou cinq lotissements. J'y suis
20 restée 15 ou 20 jours, jusqu'à ce que ma sœur soit arrivée, enfin, elle
21 venait visiter les enfants. J'ai eu, à ce moment-là, la possibilité de
22 rentrer à Mostar. C'est là que j'ai vu vraiment des choses horribles; la
23 destruction, le pilonnage.
24 En plus, j'ai appris que notre père était resté sur la rive gauche.
25 Plus tard, j'ai appris qu'il avait été emmené à Bileca, un camp chetnik.
26 Q. Permettez-moi de vous interrompre pour un instant, Madame. Vous dites
27 "la rive gauche," qu'est-ce que vous entendez précisément par là ? Quelle
28 est la signification qu'il faut donner à cette rive gauche ?
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1 R. Ici, quand je dis "la rive gauche," je pense à la rive gauche de
2 Neretva. Avant la guerre, c'était surtout des Musulmans de Bosnie et des
3 Serbes qui habitaient de ce côté-là.
4 Q. Qu'en est-il de la rive droite de la Neretva ?
5 R. Sur la rive droite de la Neretva, c'est la partie ouest de la ville, la
6 population était plus mélangée. Je pense que les Croates constituaient le
7 groupe dominant, même s'il y avait beaucoup de Bosniens et de Serbes qui
8 avaient un appartement à Mostar ouest, plus exactement sur la rive droite
9 de la Neretva.
10 Q. Est-ce que nous pourrions revenir à cette période d'avril ou de mai
11 1992 lorsque vous êtes rentrée à Mostar. Après votre retour, est-ce que
12 vous avez réussi à retrouver du travail ?
13 R. C'était absurde d'essayer de commencer à trouver du travail. Je me suis
14 mise à la recherche de mon père. J'ai trouvé des jeunes hommes qui vivaient
15 dans le quartier de la ville où j'étais née, dans la rue qui s'appelle
16 Husinjski Bune. J'ai décidé de rejoindre cette unité. A ce moment-là,
17 c'était encore une compagnie; ce n'était pas encore un bataillon. C'étaient
18 surtout des jeunes hommes de ce quartier et d'un autre bâtiment à Jankovci.
19 J'ai appris, à ce moment-là, que plusieurs jours avant le 1er mai, le
20 Parti de l'Action démocratique qui, à ce moment-là était un parti politique
21 important en Bosnie, avait signé un accord avec le HDZ, l'Union
22 démocratique croate, sur le fait que le HVO était une formation armée qui
23 allait défendre Mostar. Parallèlement, un Bataillon indépendant de Mostar a
24 aussi été constitué. Je ne sais pas si cela s'est fait en mai ou en juin
25 1992. Je ne suis plus sûre.
26 Q. Vous parlez du Bataillon indépendant de Mostar, est-ce que c'était
27 l'unité de l'armée que vous avez, vous, rejointe ?
28 R. Oui.
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1 Q. Pourriez-vous nous dire où cette unité du Bataillon indépendant de
2 Mostar avait son QG ?
3 R. Voici comment cela s'est présenté : le Bataillon indépendant était à
4 Mostar, était sur plusieurs endroits en fonction de la compagnie dont il
5 s'agissait. En mai et en juin - oui, oui, c'est bien cela - il y avait un
6 commandement conjoint qui se trouvait dans le bâtiment de Vranica, dans la
7 rue Stjepan Radic.
8 Q. Vous dites, mai et juin, en quelle année, Madame ?
9 R. En 1992. Je m'excuse.
10 Q. Vous nous avez dit également que c'était un commandement conjoint,
11 quels en étaient les éléments constitutifs ? Pourriez-vous nous dire ?
12 R. Je ne pourrais vraiment pas vous le dire. Je ne peux pas répondre à
13 votre question. Je sais que le bataillon se composait de compagnies, et que
14 le premier commandant du bataillon était Suad Cupina. Plus tard, ce fut
15 Semso Hasi, et pendant un certain temps, ce fut Arif Pasalic jusqu'au
16 moment de la formation de la brigade en juillet 1992.
17 Q. Il y a quelques instants, vous avez parlé du fait que le HVO était une
18 formation armée qui allait défendre Mostar. L'unité que vous, vous avez
19 rejointe, dont vous faisiez partie, est-ce qu'elle faisait partie du HVO ?
20 R. Oui. Je pense qu'elle en faisait partie à l'époque, étant donné que sur
21 l'en-tête, vous aviez le damier et le lys comme symbole, comme emblème.
22 Franchement, ce n'est pas quelque chose qui m'intéressait à l'époque. Ce
23 qui comptait pour moi à l'époque, c'est que j'étais là pour aider l'unité.
24 Q. Quelle fonction précise aviez-vous, Madame, au sein de cette unité ?
25 R. Concrètement, dès le début, j'étais là pour être là; pour nettoyer,
26 pour faire le café, pour faire des sandwichs. En mai 1992, ces jeunes
27 hommes sont passés à Goranci, une colline tout autour de Mostar. J'y
28 allais, je me présentais tous les jours. Je dressais la liste des
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1 volontaires. C'est ce que j'ai fait jusqu'au 3 ou 6 juin. Ce jour-là, un
2 obus est tombé et a fracassé la fenêtre d'Odina. Il n'y a pas eu de
3 personnes au sous-sol, donc il n'y a pas eu de blessés ni de perte,
4 simplement des dégâts dans l'entrée, de l'autre côté.
5 Nous allions avoir ce genre de choses dans d'autres endroits, parce
6 que l'unité dont je faisais partie n'avait pas un endroit permanent qui lui
7 avait été alloué. Ce fut le cas jusqu'à peu de temps avant qu'ils ne
8 s'installent sur la rive gauche, donc à peu près dix jours.
9 Q. Madame, quand vous dites "qu'ils sont passés sur la rive gauche," vous
10 pensez à qui en disant cela ?
11 R. Je voulais parler de ma propre unité, tout d'abord. Des membres de la
12 compagnie de Luka et le Bataillon indépendant. Le passage de la Neretva a
13 été organisé à ce moment-là, et les membres du Bataillon indépendant y ont
14 participé ainsi que le Conseil de la Défense croate. Il fallait passer le
15 fleuve Neretva pendant la nuit. Il fallait qu'ils passent certaines
16 positions depuis Rastani et le pont de Tito ou Marsala, et plus au sud,
17 près du pont Hasan Brkic, en réalité. Ceci a eu lieu entre le 14 et le 16
18 juin 1992.
19 Q. Où votre unité s'est-elle installée sur la rive gauche ? A quel endroit
20 précisément ?
21 R. Au cours de ce premier jour, je ne me suis pas rendue. Je me suis
22 rendue vers le 20 juin. Nous avons été hébergés dans une maison
23 particulière, qui faisait office de boulangerie en même temps. C'était dans
24 la rue du maréchal Tito, à mi-chemin entre le pont Luckic et la mosquée de
25 Zaric.
26 Q. Nous allons essayer d'avancer dans le temps un petit peu.
27 Madame Drljevic, au mois de juillet 1992, où était votre unité à ce moment-
28 là ? Où était le QG de votre unité ?
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1 R. Mon unité, au mois de juillet déjà, a vu la formation de la 1ère Brigade
2 de Mostar, et son QG était à Vranica. Pour ce qui est de mon bataillon,
3 avec d'autres unités qui ont été rattachées à la nôtre, nous étions
4 détachés vers la caserne des camps du Sud. Le commandant du bataillon était
5 Midhad Hujdur. Il avait été nommé à ce poste. Lorsque je me suis présentée
6 devant lui pour la première fois, c'était son adjoint, Enver Salcin, qui
7 était commandant de la
8 1ère Compagnie de Luka.
9 Au mois de juin, alors qu'ils avançaient, alors que les différentes
10 unités de la Compagnie de Luka; Donja Mahala, et cetera, elles avançaient
11 en direction des Chetniks, ou plutôt, les Chetniks fuyaient en laissant
12 derrière eux des pièces d'artillerie, pièces d'artillerie qui ont été
13 déposées dans la rue et rassemblées sur la rive droite de la Neretva par la
14 suite, et entreposées dans le camp du Nord. C'est là où se trouvait le camp
15 du HVO.
16 Q. A ce moment-ci, Madame Drljevic, pendant l'été 1992, votre unité, qui
17 faisait partie de la 1ère Brigade de Mostar, et le HVO combattaient contre
18 les Serbes à ce moment-là; c'est exact ?
19 R. Oui, c'est exact. Mais le 9 juillet déjà, lorsqu'il y a eu un pilonnage
20 à grande échelle, et je crois qu'il y avait des avions qui tiraient
21 également, les unités du HVO se sont retirées à ce moment-là. Je n'ai pas
22 pris part à cela, et j'en ai simplement entendu parler par mes commandants.
23 Ceci s'est produit le long des lignes chetniks, près de Cobanovo
24 Polje. Autrement dit, nous aurions pu perdre une partie du territoire, mais
25 il y avait un système de roulement. Mais je ne pense pas pouvoir parler des
26 questions strictement militaires. Je ne suis pas vraiment compétente, et je
27 pense qu'il y a des témoins qui seront mieux à même de parler de ce genre
28 de chose.
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1 Q. Madame Drljevic, pourriez-vous dire, s'il vous plaît, aux Juges de la
2 Chambre de première instance, quelle était la composition de la 1ère Brigade
3 de Mostar ?
4 R. A ce moment-là, la 1ère Brigade de Mostar était pluriethnique, mais
5 cette brigade était surtout composée de Bosniens où il y avait un certain
6 nombre de Serbes qui étaient en ville, et qui ne sont pas partis en même
7 temps que les Chetniks, et il y avait également des Croates. Croates qui,
8 comment puis-je le dire, se trouvaient dans ces régions-là à ce moment-là,
9 et ont rejoint les unités qui étaient sur place. Lorsque je parle de
10 Mahala, j'entends la partie ancienne de la ville.
11 Q. Pourriez-vous nous parler de --
12 R. Oui. Pardonnez-moi.
13 Q. Pourriez-vous nous parler des changements au niveau de la structure de
14 votre brigade vers la fin de l'année 1992 ?
15 R. Pardonnez-moi, je n'ai pas compris votre question. A la fin de l'année
16 1992, il y avait plusieurs brigades qui avaient été créées et qui
17 composaient un corps.
18 Q. C'est exactement ce à quoi je fais référence. Pourriez-vous vous nous
19 parler un petit peu de la création du corps vers la fin de l'année 1992.
20 R. Je crois que cette politique était édictée par Sarajevo. Il y avait un
21 certain nombre de personnes qui ont rejoint ces unités en plus grand
22 nombre. En 1992, uniquement sous le commandement du HVO, il y avait une
23 unité du ministère de la Défense. Ainsi, les personnes qui faisaient partie
24 des unités de l'armée n'ont pas été incorporées par l'intermédiaire du
25 ministère de la Défense mais ont rejoint les unités sur une base purement
26 volontaire.
27 Etant donné que le nombre des unités augmentait, il y avait beaucoup
28 de gens qui ont rejoint l'armée, mais qui ont été chassés de Nevesinje, et
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1 ils ont à ce moment-là créé le Bataillon de Nevesinje, ensuite de Gacko. Il
2 y avait beaucoup de gens qui sont arrivés de ces régions-là et du camp de
3 Bileca. Ils sont arrivés au mois d'août 1992 au moment où le Bataillon de
4 Gacko - Sargan - a été créé. Je ne peux pas vous donner de chiffres exacts
5 ici, mais un certain nombre de personnes étaient venues de Stolac. Ces
6 personnes ne souhaitaient pas rejoindre le HVO de Stolac. Elles sont venues
7 dans le camp du Sud, et ont mis en place la Brigade de Bregava. Je crois
8 que c'était au mois d'août ou au mois de septembre 1992. Ensuite, il y
9 avait le Bataillon indépendant de Dreznica. Il y avait une compagnie à
10 Blagaj. Il y avait une brigade à Jablanica. Ensuite, il y avait le
11 Bataillon de Buturovic Polje et la Brigade de Konjic. Ainsi, un ordre nous
12 est parvenu, je crois que c'était le 15 ou le 17 novembre 1992 sur la
13 formation du 4e Corps de l'armée de la République de Bosnie-Herzégovine.
14 Celle-ci devait être commandée par le feu, Arif Pasalic. Le commandant de
15 la 1ère Brigade de Mostar - qui est également décédé - est Midhad Hudjur,
16 Hujka. Je ne pense pas qu'il faille vous donner les noms des autres
17 commandants.
18 Q. Simplement pour que les choses soient bien claires. Madame Drljevic,
19 vous nous dites en somme qu'à la mi-novembre 1992, un corps, le 4e Corps de
20 l'ABiH, a été créé à Mostar et englobait toutes les brigades et unités que
21 vous venez de citer. Est-ce un résumé qui correspond à ce que vous venez de
22 dire ?
23 R. Oui.
24 Q. Au moment où le 4e Corps a été créé à la mi-novembre 1992, quel lien
25 unissait le 4e Corps et les unités du HVO dans les environs de Mostar ?
26 R. C'était tout à fait correct. Cela je peux le dire. J'ai omis de dire un
27 peu plus tôt qu'au sien des unités du Conseil de défense croate, il y a eu
28 également un bon nombre de Bosniens, étant donné que le HVO disposait
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1 davantage d'armes.
2 Q. Pourriez-vous nous dire --
3 R. Mais je crois qu'à ce moment-là déjà, il y avait des malentendus à
4 propos des armes. Un contingent, qui était censé rejoindre le 4e Corps,
5 quelque chose comme cela, mais je dois dire que c'est quelque chose que
6 j'ai appris de façon indirecte et tout à fait par hasard. Je posais une
7 question ici et là. Je ne sais pas exactement à quel moment ceci s'est
8 produit. Cela devait être vers le mois de septembre, peut-être même le mois
9 d'octobre, lorsqu'un camion est arrivé ou était censé arriver à Mostar
10 équipé d'armes, mais cela ne s'est pas produit. Je sais qu'il y avait des
11 négociations à Goranci ou c'était la seule fois qu'un camion a traversé le
12 camp du Sud de Vranica. Je ne sais pas. Je ne sais pas par quelle voie
13 étaient acheminées les armes. Il y avait des gens qui étaient responsables
14 de ce genre de chose. C'était leur mission en temps de guerre et leurs
15 responsabilités, c'était la description de leur poste. Cela faisait partie
16 de leur travail.
17 A un moment donné, on a évoqué le fait qu'un certain commandant à
18 Bijelo Polje, Andric, Car Andric, avait arrêté un convoi important. Mira
19 Cupina était à la tête de ce convoi, et on parlait d'une somme de 800 000
20 marks allemands, mais je n'ai pas vu de documents à cet effet.
21 Q. Je vais maintenant vous poser une question. Je vais vous demander si
22 vous pouvez nous parler de la manière dont le rapport entre le 4e Corps de
23 l'ABiH et le HVO a évolué à la fin de l'année 1992 et au début de l'année
24 1993.
25 R. A la fin de l'année 1992 et au début de 1993, il y avait une
26 situation qui révélait -- puis-je repartir un petit peu en arrière, s'il
27 vous plaît ? J'aimerais repartir à l'année 1992.
28 Au mois d'octobre 1992, c'étaient des rumeurs que les unités du HVO avaient
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1 attaqué Prozor. Hujdur et Pasalic, Pasalic à ce moment-là, je vais ici
2 citer leurs noms de famille. Pasalic, c'est le nom de famille du commandant
3 du corps. On disait qu'il s'était rendu à Prozor pour évaluer la situation,
4 mais je crois que ceci est resté ainsi confidentiel. Nous ne savions pas de
5 quoi il s'agissait.
6 A cette époque-là, un certain nombre de volontaires ont rejoint
7 l'armée et ils étaient dirigés par Suad Muharemovic, il est colonel
8 maintenant. Il souhaitait apporter du renfort aux troupes qui libéraient
9 Jajce, mais ils ont été renvoyés et repoussés près de Vakuf. L'explication
10 qui a été fournie, c'est que le HVO et l'armée étaient déjà en guerre à ce
11 moment-là, il y avait déjà des combats.
12 Au mois de novembre 1992, au cours d'une opération appelée Bura, le
13 HVO avait à sa disposition des pièces d'artillerie de la colline de Hum,
14 alors que les unités de l'armée, l'ABiH, a essayé d'attaquer Podvelezje,
15 mais elle n'a pas réussi.
16 Au mois de décembre 1992, les unités se sont rendues sur le mont
17 Igman pour apporter des renforts, mais les membres du HVO n'ont pas pris
18 part à cette opération-là.
19 Q. Je vais vous interrompre ici. Lorsque vous parlez de cette
20 opération appelée Brua ou Bura, au mois de novembre 1992, vous dites que le
21 HVO a pris part mais n'a fait usage que de pièces d'artillerie qui venaient
22 de Hum. Cette opération était dirigée contre qui ?
23 R. Contre les forces chetniks qui se trouvaient à Podvelezje, et
24 c'était un poste de relais, et la ville qui se trouvait derrière ou plutôt
25 la montagne derrière Mostar, vers l'est, ou plutôt sur la rive gauche de la
26 Neretva.
27 Q. Encore une fois, je vais vous poser une question. Pourriez-vous nous
28 décrire les rapports qu'il y avait entre le 4e Corps de l'ABiH et le HVO au
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1 début de l'année 1993 ?
2 R. On sentait qu'il y avait des tensions par-ci, par-là déjà avant. Je ne
3 peux pas vous dire que je ressentais ceci personnellement. J'en avais
4 entendu parler de la bouche d'autres personnes. Au mois de janvier 1993,
5 plus précisément, lorsque le HVO a lancé l'ordre en vertu de quoi toutes
6 les unités devaient être
7 resubordonnées, autrement dit, toutes les unités de l'ABiH devaient être
8 resubordonnées aux unités du HVO et que le HVO constituait à partir de ce
9 jour-là la seule autorité légitime de la région, en particulier dans la
10 région de Mostar, mes commandants ont commencé à manifester leur
11 insatisfaction, je crois qu'ils exprimaient le sentiment de bon nombre de
12 personnes qui faisaient partie de l'unité. Quoi qu'il en soit, je crois que
13 c'étaient de meilleurs politiciens que de négociateurs entre le HDZ et le
14 SDA. Plus tard, le parti a été divisé sur la question de la
15 resubordination.
16 Au mois de janvier, j'étais toujours dans le camp Sud, et il fallait
17 remplir des formulaires. Les gens de l'ITMS nous avaient demandé de le
18 faire. C'étaient des formulaires qui portaient sur l'équipement et le
19 matériel. On a crié au scandale à ce moment-là. Un ordre a été donné et
20 deux antennes paraboliques de l'usine des télécom, conformément à un ordre
21 rendu par le commandant du corps, Pasalic, ces deux antennes ont été
22 remises au HVO. Je crois que plus tard, ces dernières ont été utilisées par
23 le poste de télécommunication pour assurer les communications.
24 Q. Pourriez-vous nous préciser ce que représente le sigle ITMS, s'il vous
25 plaît ? L'acronyme.
26 R. Non, il n'y a pas de I. C'est MTS, c'est ressources techniques et
27 matérielles.
28 Q. Au mois de janvier 1993, quelles étaient les forces qui contrôlaient
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1 l'accès à la ville de Mostar, j'entends les routes qui menaient vers la
2 ville de Mostar ou les routes permettant de quitter la ville de Mostar ?
3 R. En direction de l'Herzégovine occidentale et la Croatie, toutes les
4 voies d'accès et toutes les sorties étaient contrôlées par le HVO. Même les
5 civils qui quittaient la ville devaient avoir des laissez-passer du HVO
6 pour pouvoir passer.
7 Jusqu'à un certain moment, je ne peux pas vous donner la date exacte, mais
8 toutes personnes souhaitant quitter la ville pouvaient faire une demande
9 auprès de l'armée. Autrement dit, on ne pouvait pas quitter la ville sans
10 avoir de laissez-passer du HVO, une autorisation.
11 Q. Qu'en est-il des routes qui allaient vers le nord, la route qui allait
12 de Mostar à Jablanica ? Au mois de janvier 1993, qui contrôlait l'accès de
13 cette route-là ?
14 R. La route qui menait vers Jablanica était également contrôlée par le
15 bataillon du HVO de Bijelo Polje. C'était la partie nord au-dessus de
16 Mostar, dans le nord. Vers le sud, vers Buna, la route était également
17 contrôlée par le HVO.
18 Pour les besoins d'eux ou plutôt pour pouvoir se déplacer en ville --
19 ou plutôt on pouvait se déplacer en ville si on avait l'autorisation de le
20 faire pendant le couvre-feu. En tout cas, le couvre-feu était appliqué.
21 L'armée de la République de Bosnie-Herzégovine. Mais à partir du mois de
22 janvier 1993, ces autorisations qui devaient être délivrées par l'armée
23 n'étaient plus de rigueur. Il n'y avait plus de patrouilles. Les
24 patrouilles de la police ne les acceptaient plus parce que je dois vous
25 dire qu'il y avait des personnes qui avaient d'autres tâches à accomplir
26 pendant la nuit. Ils devaient patrouiller les unités, par exemple, peut-
27 être faire autres choses.
28 Au mois de janvier 1993, tous les points d'entrée et de sortie dans
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1 Mostar étaient contrôlés par le HVO, et certaines quantités de marchandises
2 transportées étaient confisquées, des véhicules.
3 Q. Madame Drljevic, pourriez-vous nous dire ce que vous entendez par
4 "certaines quantités de marchandises" transportées à bord de camions ont
5 été confisquées ? De quel type de marchandises s'agissait-il ? Qui
6 procédait à ces confiscations ?
7 R. Ecoutez, je ne sais cela que par ouï-dire, mais même dans la caserne du
8 camp sud, on hébergeait les troupes, les hommes, mais malheureusement,
9 quelquefois les civils se présentaient là aussi, et il y avait le chauffeur
10 du camion qui s'y trouvait là à un moment donné, et Buna qui se trouvait à
11 Ortijes - Buna est un endroit au sud de Mostar, et Ortijes est l'endroit où
12 se trouve un aéroport - et il y avait un pont aérien dans le voisinage, et
13 les camions ont emprunté ce pont pour se rendre dans l'usine de Suka
14 [phon], qui se trouvent sur la rive droite de la Neretva et au sud de
15 Mostar.
16 C'étaient des gens de Bosnie qui y passaient une nuit ou deux, et
17 quelquefois des gens du commandement intervenaient, mais de façon générale,
18 on envoyait ces gens-là au quartier général du HVO. Nous faisions cela
19 nous-mêmes, car le HVO représentait à la fois les autorités civiles et
20 militaires à l'époque. Il était très difficile de différencier les
21 différents domaines de compétence de chacun.
22 Q. Pourriez-vous nous parler, s'il vous plaît, de la présence des forces
23 militaires du HVO dans la ville de Mostar elle-même pendant la période
24 allant du mois d'avril au début du mois de mai 1992 ?
25 R. Pour ce qui est de cet ordre qui avait été donné au mois de janvier
26 1993, le côté bosnien n'a pas accepté les propositions qui avaient été
27 faites. Une date butoir avait été fixée, qui était celle du 15 avril.
28 L'ordre devait être appliqué à cette date-là. Je crois qu'au cours de cette
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1 période, il y a eu des combats à Jablanica. Je sais que le commandant du
2 corps et Budakovic, son adjoint, se sont rendus à Jablanica au mois
3 d'avril. Le 16 et le 17 avril une attaque a été organisée ou plutôt une
4 tentative d'attaque contre l'hôtel de Mostar, où se trouvait la 4e
5 Compagnie et le commandant du 2e Bataillon. Ces jours-là à Vranica, le
6 commandant du bataillon, c'est là que se trouvait également le commandement
7 de la brigade.
8 A cette occasion-là, deux jeunes hommes ont été blessés. Il était là aussi.
9 A cette occasion-là, il y avait des gardes aussi. Leurs noms étaient Crno
10 Merovic et Kljako. Crnomerovic. Crnomerovic. C'est un seul et même nom,
11 Crnomerovic.
12 Q. Les sténotypies, Madame --
13 R. Oui, c'est bien.
14 Q. Avez-vous jamais vu dans la ville de Mostar de fortes concentrations
15 des forces armées du HVO ?
16 R. Oui, tout à fait, dans cette période-là, en effet. Je ne saurais vous
17 donner la date exacte, en tout cas, j'étais déjà au commandement de Vranica
18 à ce moment-là, le nombre de personnes concernées était énorme. Je ne
19 saurais vous en donner le nombre exact. Un jour, je les ai vues en
20 uniformes de camouflage, et ils allaient depuis Siroki en dessous de
21 Brijeg, qui se trouve à l'ouest de la ville, c'est là qu'ils ont pris le
22 départ, et ils ont passé par l'avenue pour arriver au vieux Velezista
23 [phon], et ensuite, ils ont poursuivi leur chemin vers le bas. Je ne sais
24 pas où ils allaient exactement. En tout cas, j'en ai vu un très grand
25 nombre de ces hommes en uniformes noirs. Je les ai vus d'autres fois, un
26 jour devant l'hôtel Ero. Ma nièce m'a dit qu'elle les avait vus aussi, et
27 je peux vous dire qu'ils parlaient avec un accent dalmate.
28 Disons, moi et les gens qui se trouvaient dans mon entourage, avons pensé
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1 que c'était juste une démonstration de force, parce que le 15 avril c'était
2 le jour anniversaire, la fête de l'armée. C'est un jour où il y avait un
3 défilé militaire, donc le commandement de la brigade a défilé le long de
4 l'avenue, tout près de là où je me trouvais. Les civils de ce secteur, dont
5 je faisais partie, avions tendance à nous approcher des troupes pour
6 manifester avant tout un soutien moral.
7 Dans cette période, il y a eu de fréquents enlèvements de soldats.
8 Q. J'aimerais tirer un peu au clair ce que vous venez de nous dire, si
9 c'est possible. Vous avez parlé d'un grand nombre d'hommes en uniformes
10 noirs. Je vous demande si ces hommes, qui portaient un uniforme noir,
11 étaient membre de l'ABiH, du HVO ou d'une autre structure ?
12 R. Non. Je pense que parce que ces hommes-là ne portaient pas d'insigne,
13 en tout cas, le jour où je me suis trouvée face à cette colonne très
14 importante, les hommes que j'ai vus n'arboraient aucune insigne, mais il
15 est certain qu'ils n'étaient pas originaires de Mostar. Je ne sais pas d'où
16 ils sont venus, comment ils ont été transportés, où ils étaient hébergés.
17 Je suppose qu'ils étaient hébergés à l'hôtel Ero, mais il me semble qu'en
18 ville il n'y avait aucun bâtiment suffisant pour les héberger tous, du
19 point de vue de la capacité hôtelière. Donc, je suppose qu'ils étaient
20 aussi hébergés ailleurs.
21 Je ne saurais dire s'ils étaient effectivement de Croatie. Mais en
22 tout cas, le groupe que j'ai eu sous les yeux, et j'ai entendu certains de
23 ces hommes parler les uns avec les autres, je peux affirmer qu'ils étaient
24 effectivement Dalmates.
25 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, je remarque
26 l'heure, et je pense que ce serait peut-être un moment opportun pour la
27 pause, car nous sommes sur le point de passer à un autre sujet.
28 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien, Monsieur Mundis. Il est 15 heures
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1 35, et nous allons faire une pause de 20 minutes. Nous reprendrons aux
2 environs de 4 heures moins dix.
3 --- L'audience est suspendue à 15 heures 35.
4 --- L'audience est reprise à 15 heures 58.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience étant reprise, Monsieur Mundis,
6 poursuivez.
7 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
8 Q. Madame Drljevic, je vais dans un instant vous interroger au sujet des
9 événements de 1993. Mais avant cela, j'ai une question qui porte sur le
10 sujet dont nous discutions tout à l'heure. Vous nous avez parlé des unités
11 de l'ABiH présentes à Mostar ainsi que de celles du HVO présentes à Mostar.
12 Je vous demande, si tel était le cas, s'il existait éventuellement d'autres
13 formations militaires à Mostar à la fin 1992 ou début de 1993 ?
14 M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, si vous me le
15 permettez, j'aurais une objection. Car à mon avis, cette question guide le
16 témoin par rapport à sa réponse. Il conviendrait de demander d'abord au
17 témoin s'il existait d'autres formations armées en dehors de ces deux-là,
18 puis de lui demander éventuellement lesquelles.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Poursuivez, Monsieur Mundis.
20 M. MUNDIS : [interprétation]
21 Q. Madame Drljevic, en dehors de l'ABiH et du HVO, existait-il d'autres
22 formations militaires ou forces militaires dans la ville de Mostar fin
23 1992, début 1993 ?
24 R. Oui. Je crois qu'il s'agissait des unités de l'armée de Croatie.
25 Q. Y avait-il fin 1992, début 1993, d'autres forces armées internationales
26 dans la ville de Mostar ?
27 R. Si vous parlez de la période fin 1992 et année 1993, il y avait
28 d'autres forces. Je ne sais pas comment elles s'appelaient à l'époque,
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1 parce que les formations armées internationales qui circulaient en ville,
2 je ne sais pas si cela s'appelait la FORPRONU à l'époque.
3 En tout cas, avant le 1er mai, il est certain qu'il y avait un
4 transport de troupes qui avait un rapport avec le carrefour de Projektant
5 qui se trouvait là en permanence, en tout cas, dans les deux derniers
6 jours. Il était en permanence dans ce secteur proche de Vranica et
7 patrouillait dans ce secteur. Ces quelques jours-là, je sais qu'il était
8 exclusivement au carrefour de la rue Stjepan Radic qui va vers le nouveau
9 stade de Velez.
10 Q. Quand vous parlez de formations militaires internationales dans la
11 ville, savez-vous quels étaient les pays qui constituaient ces formations
12 militaires internationales, de quels pays elles provenaient ?
13 R. Ce que je sais - parce que je ne sais pas tout - ce que je sais, c'est
14 que le transport de troupes, le blindé dont je parle appartenait aux
15 Espagnols; le Bataillon espagnol. Mais je ne sais pas comment le contingent
16 s'appelait exactement à l'époque. Est-ce que c'était AROFOR [phon],
17 FORPRONU. Le nom changeait souvent. Donc, s'agissant de cette période
18 précise, je ne saurais vous dire exactement quelle était la dénomination de
19 cette formation militaire internationale.
20 Q. Quand vous dites, "SpaBat," vous pouvez nous dire ce que cela signifie
21 exactement ?
22 R. J'ai dit le Bataillon espagnol.
23 Q. Madame Drljevic, j'aimerais maintenant appeler votre attention sur les
24 éléments survenus en mai 1993. Pouvez-vous nous dire où vous vous trouviez
25 la veille du 9 mai, c'est-à-dire, le
26 8 mai 1993 ?
27 R. Le 8 mai 1993, j'étais sur mon lieu de travail, c'est-à-dire que je
28 remplissais mon obligation de travail au commandement de Vranica. J'y suis
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1 restée jusqu'aux environs de
2 16 heures. Je me souviens qu'à un certain moment la pluie a commencé à
3 tomber, et le président de l'organisation cantonale du SDS, Zijad Demirovic
4 et Emir Bijedic, également qui, je crois, était chargé de la sécurité au
5 sein du 4e Corps d'armée, ils étaient ensemble ces deux hommes, et mon
6 commandant Hujdur, sont rentrés quand la pluie a commencé à tomber, d'une
7 réunion avec le HDZ, si je ne m'abuse. En effet, dans cette période, entre
8 le 17 et le 19 avril, il y a eu plusieurs enlèvements de soldats de l'ABiH.
9 Je crois qu'à cette réunion, ils se sont efforcés de régler les malentendus
10 par la voie d'entretiens politiques.
11 D'ailleurs, la veille de ce jour-là, Orhan Cilic et le fils du Pr
12 Semso Badzak, dont je me souviens plus de son prénom, avaient été enlevés.
13 Ils ont été libérés le lendemain. Quelques jours avant, il y avait un
14 groupe d'hommes qui rentraient de Podvelezje, qui avaient été enlevés
15 également. Tout cela a créé une situation assez tendue à ce moment-là.
16 D'ailleurs, j'ai demandé : Est-ce que je dois rester plus tard ? Est-
17 ce que je peux vous être d'une quelconque utilité ? Le commandant m'a
18 demandé de rester passer la nuit dans le bâtiment. Je vivais seule chez
19 moi. Ce jour-là, je portais un uniforme. Donc, il a dit littéralement :
20 Tout ce qui porte un uniforme est enlevé ces jours-ci.
21 D'ailleurs, quelques instants avant, je plaisantais. Depuis quelque
22 temps, je portais dans mon sac des sous-vêtements, une brosse à dent, du
23 dentifrice et d'autres objets d'hygiène au cas où je risquerais d'être
24 arrêtée si je circulais après le couvre-feu. Quand j'ai fait cela, je
25 pensais que cela ne durait qu'un jour ou deux. C'était un peu pour rire.
26 Enfin, ce soir-là, j'ai décidé de rester dans le bâtiment pour y
27 passer la nuit. Jusqu'à 20 heures à peu près, je suis restée au niveau de
28 l'entrée qui fait face au MUP, chez mon amie Dzenana. Elle ne peut pas me
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1 recevoir pour dormir. Alors, je suis allée à Vranica, chez Svetlana et son
2 mari, les Turajlic, qui habitaient au septième étage -- au quatrième étage
3 du bâtiment.
4 Ce soir-là, j'ai regardé un film à la télévision, et tout d'un coup,
5 aujourd'hui, je me souviens que c'était un film qui parlait d'une évasion
6 de la prison d'Alcatraz. En tout cas, à 5 heures du matin, j'ai été
7 réveillée par des coups de feu. J'ai bondi de mon lit. Je suis allée à la
8 fenêtre et j'ai vu qu'un obus avait touché l'appartement.
9 Q. Madame Drljevic, vous venez de parler de 5 heures du matin. C'était 5
10 heures du matin de quel jour ?
11 R. Le 9 mai. Puisque, avant cela, j'ai dit que dans la soirée du 8 mai, à
12 partir de 16 heures, je suis allée passer la nuit chez une amie. Donc,
13 c'était le 9.
14 Q. Le 9 mai de quelle année, encore une fois ?
15 R. De 1993.
16 Q. A ce moment-là, le commandement de l'ABiH, l'état-major de l'armée de
17 l'ABiH se trouvait-il dans le bâtiment de Vranica ou ailleurs ?
18 R. A partir de cette période du 17, 19 avril, nous avons organisé des
19 permanences renforcées, à savoir qu'une vingtaine ou une trentaine de
20 jeunes gens assuraient la sécurité du bâtiment à partir de ce moment-là.
21 Dans la période antérieure, ils n'étaient que quatre ou cinq; il n'y en
22 avait pas besoin davantage. Les permanences renforcées ont commencé quand
23 ces deux jeunes gens ont été blessés. En tout cas, il n'y avait pas de
24 commandants dans le bâtiment. Je crois que parce que la nécessité ne s'en
25 faisait pas sentir. D'ailleurs, je ne sais pas s'ils étaient au courant. Je
26 suppose que le commandant Hujdur n'était pas au courant, parce que, comme
27 je le dirai plus tard.
28 Il est arrivé la veille, le 8 mai, vers 21 heures. Il a passé en
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1 revue les hommes de permanence. Je n'étais pas présente, mais on me l'a dit
2 le lendemain matin. Sa tante est restée dans le bâtiment, la femme qui
3 l'avait élevé. Je suis certaine que s'il avait été au courant d'une attaque
4 imminente, aussi violence que celle qui a eu lieu, il ne l'aurait pas
5 laissée dans le bâtiment.
6 Q. Madame Drljevic, j'aimerais que nous revenions aux événements survenus
7 dans la matinée du 9 mai 1993. Vous nous dites qu'à 5 heures du matin, vous
8 avez vu un obus touché l'appartement. Où êtes-vous allée une fois que vous
9 vous êtes réveillée ?
10 R. Je me suis habillée et je suis descendue, parce que le commandement de
11 la brigade se trouvait au sous-sol de ce bâtiment. Il faudrait peut-être
12 que je vous explique un peu comment les choses se passaient. Vranica,
13 c'était le nom qu'on donnait à ce bâtiment, parce qu'il abritait une
14 entreprise d'urbanisme dont une partie des bureaux se trouvait au sous-sol
15 dans ce bâtiment. Le commandement du corps d'armée se trouvait dans le
16 bâtiment, et on arrivait au commandement en passant par l'entrée qui
17 donnait accès également à cette entreprise déjà avant la guerre. Dans une
18 autre partie du bâtiment, au niveau du bâtiment qui donne sur la rue
19 Stjepan Radic, se trouvait le siège d'une autre entreprise, une entreprise
20 de textile. Cette entreprise avait également une salle dans laquelle elle
21 faisait des ventes. Cette entreprise ne travaillait pas pendant la guerre,
22 et une unité de la 1re Brigade de Mostar avait occupé ces locaux.
23 Ce soir-là, certains officiers de service, notamment ceux qui étaient
24 chargés des transmissions…
25 Q. Quand vous êtes arrivée dans le sous-sol du bâtiment Vranica le 9 mai
26 1993, combien de membres de votre unité, autrement dit, combien de soldats
27 s'y trouvaient-ils ?
28 R. Quand je suis arrivée dans la cave, j'y ai trouvé une dizaine sur
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1 lesquels je suis tombée directement. Il y avait les hommes de permanence
2 aux transmissions, il y avait un officier de permanence qui était Jusuf
3 Rodovic. Il était chargé des opérations. Puisque le commandement était dans
4 la cave, au sous-sol, on devait passer par une porte. Au niveau de la porte
5 qui donnait accès au sous-sol se trouvait un homme blessé, d'une
6 soixantaine d'année. Il s'appelle Enver Zekic. Il avait une plaie à
7 l'abdomen. Est-ce que c'étaient des éclats d'obus qui l'avaient blessé ou
8 autre chose, je ne sais pas.
9 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais que l'on
10 soumette au témoin le document enregistré en tant que document 9413, qui
11 est une photographie en fait, 9413.
12 J'aimerais que nous examinions la page dont le numéro ERN est
13 02068382. C'est la page 4 du recueil de photographies, si je ne m'abuse.
14 Q. Madame, pouvez-vous nous dire ce que vous voyez sur l'écran qui se
15 trouve devant vous en ce moment ?
16 R. Je vois tous ces immeubles que l'on a désignés sous le nom de bâtiments
17 Vranica. Je parle de la première photo, celle du haut où on ne voit pas
18 très bien les choses, mais comme je passais souvent devant ce bâtiment, et
19 d'ailleurs j'y suis repassée deux fois depuis les événements, il y a deux
20 ans une fois, et la deuxième fois, il y a deux mois à peine, je peux vous
21 dire que l'inscription Vranica se trouve sur la façade que l'on voit sur la
22 photographie du haut, et c'est sous cette inscription Vranica que vous avez
23 le grand portail d'entrée qui donnait accès au commandement.
24 Q. Peut-être pourriez-vous, Madame, si l'équipement fonctionne, utiliser
25 le pointeur.
26 R. Vous voyez ici la fenêtre à barreaux. Ici, l'inscription Vranica. Là,
27 on a l'entrée utilisée par les membres du commandement et les hommes
28 chargés de la sécurité. Maintenant, si je prends la deuxième photo --
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1 Q. Etait-ce également l'entrée que les membres de votre unité utilisaient
2 pour pénétrer dans le bâtiment ?
3 R. C'est l'entrée qui était utilisée par mes supérieurs, membres du
4 commandement. C'est l'entrée qui donnait accès au 4e Corps d'armée.
5 L'entrée destinée au commandement de la brigade se trouvait ailleurs.
6 Peut-être pourrait-on maintenant me montrer l'autre photo ? Je peux
7 continuer ? Vous voyez cet arbre ici. Oui, c'est bien cela. Derrière cet
8 arbre se trouve l'entrée utilisée par le commandement de la 1ère Brigade de
9 Mostar.
10 M. MUNDIS : [interprétation] Pour le compte rendu d'audience, Monsieur le
11 Président, j'indique que le témoin est en train de commenter la
12 photographie dont le numéro ERN est 02068383 et qu'on voie au centre de
13 cette photographie, en bas, un kiosque, et juste à côté du kiosque, un
14 arbre qui vient d'être désigné par le témoin, qui a dit que derrière cet
15 arbre, se trouvait le commandement de la 1ère Brigade de Mostar.
16 Q. Madame Drljevic, pourriez-vous, je vous prie, dire aux Juges de la
17 Chambre ce qui s'est passé quand vous êtes entrée dans la cave du bâtiment
18 aux premières heures de la matinée du 9 mai 1993.
19 R. Quand je suis arrivée dans la cave, j'ai vu tout de suite la dizaine de
20 soldats dont j'ai parlé tout à l'heure. Je ne les connaissais pas tous. Il
21 y en a que je n'ai vu que sur des vidéos. Mais il y avait, avec ces
22 soldats, un grand nombre d'habitants de l'immeuble. Je dois dire qu'avec
23 les locataires normaux de l'immeuble, il y avait aussi un grand nombre de
24 réfugiés de la rive gauche dont les maisons avaient été incendiées pendant
25 la guerre chetnik, et détruites.
26 Q. Madame Drljevic, combien de temps êtes-vous restée dans le sous-sol du
27 bâtiment Vranica après y être arrivée dans les premières heures de la
28 matinée du 9 mai 1993 ?
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1 R. J'y suis restée jusqu'à l'après-midi du 10 mai. Pendant ces deux jours
2 et deux nuits que j'ai passés là, j'ai vu un certain nombre de jeunes gens
3 qui faisaient partie du corps d'armée. Il y avait bien sûr de très nombreux
4 tirs, des obus qui tombaient, mais de temps en temps, quand il y avait une
5 petite accalmie, les femmes sortaient, montaient dans les étages chercher
6 du pain, et revenaient.
7 Il me semble que cette attaque n'était pas prévue au préalable par
8 nous, et c'est la raison pour laquelle nous ne nous étions absolument pas
9 préparés. Nous n'avions pas de vivres. Les tirs étaient absolument
10 terribles, et je crois que le bâtiment est resté dans l'état où l'on voit
11 sur cette photographie au moins une dizaine d'années. On voit bien sûr
12 cette photo la violence des tirs, et peut-être même peut-on déterminer le
13 calibre des armes utilisées au vu des impacts.
14 Nous avons maintenu en permanence le contact avec le poste de
15 commandement avancé de la brigade et du corps d'armée sur la rive gauche.
16 J'allais souvent au centre de transmission où on cherchait d'établir un
17 contact avec le Dr Milevic [phon] et deux femmes anesthésistes également,
18 notamment le Dr Selma Jakupovic.
19 Q. Madame, je me permettrais de vous interrompre un instant. En dehors des
20 soldats qui se trouvaient dans le sous-sol, vous nous avez dit qu'il y
21 avait également des femmes et des enfants qui logeaient dans cet immeuble.
22 Pourriez-vous nous dire au total quel était le nombre approximatif de
23 personnes qui se trouvaient dans la cave du bâtiment à ce moment-là ? Peut-
24 être pourriez-vous nous donner également le pourcentage de civils et le
25 pourcentage de militaires.
26 R. Je ne saurais pas vous donner d'indications chiffrées très précises,
27 parce qu'il y avait aussi des soldats dans les étages, il y en avait aussi
28 au niveau de l'entrée utilisée par le corps d'armée, et il y en avait
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1 d'autres qui se trouvaient au niveau de l'entrée qui donne sur la rue
2 Stjepan Radica, où était installée la logistique. Donc, il y avait certains
3 soldats qui assuraient la sécurité de cet espace logistique.
4 Ce que je peux dire, c'est que dans la cave se trouvait entre 30 et
5 40 jeunes gens, y compris les 13 qui sont toujours portés disparus. Mais le
6 total, je ne pourrais pas le dire avec certitude, car il y avait ces deux
7 autres entrées. Peut-être qu'au total cela faisait une centaine de soldats.
8 Mais quand je dis une centaine, je parle de l'ensemble. Quant aux soldats,
9 ils étaient peut-être au nombre d'une cinquantaine.
10 Q. Vous nous avez dit, si je vous ai bien comprise, que depuis les
11 premières heures de la matinée du 9 mai jusqu'à l'après-midi du 10 mai
12 1993, vous êtes restée dans le sous-sol du bâtiment Vranica; c'est bien
13 cela ?
14 R. Oui, c'est exact.
15 Q. Pourriez-vous, je vous prie, dire aux Juges de la Chambre dans quelles
16 conditions vous êtes sortie de cette cave du bâtiment Vranica finalement ?
17 R. J'aimerais, avant de vous répondre, indiquer que nous avons eu un
18 contact téléphonique avec quelqu'un du HVO. Je ne sais pas qui exactement.
19 Il cherchait surtout à joindre Rudi Jozelic, qui était l'officier de
20 permanence. Il nous demandait de se rendre, ce que Rudi a refusé de faire.
21 Ensuite, à la radio, ils nous ont accusés de maintenir des civils en
22 détention. En entendant cela, nous avons demandé à tous ceux qui
23 souhaitaient quitter le bâtiment de le faire, mais personne n'a exprimé le
24 désir de sortir.
25 Je peux vous dire que parmi les locataires de cet immeuble et ceux
26 qui y habitaient, il y avait des Croates, des Bosniens, et sans doute aussi
27 même des Serbes. Je pense que la majorité d'entre eux craignait une
28 violation du cessez-le-feu. En tout cas, tous ceux qui se trouvaient là,
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1 ils sont restés jusqu'au bout.
2 La seule chose dont je me souviens, c'est qu'au moment où Zekic a été
3 blessé, nous avons demandé l'ambulance, et on nous a répondu que la seule
4 chose qu'on pouvait nous envoyer c'était un camion citerne transportant de
5 l'essence.
6 Goran Zekic - c'était le fils du blessé - a passé un coup de fil à un
7 certain moment pour parler à Jadran Topic. Les deux jeunes gens étaient
8 amis et habitaient tous les deux dans l'immeuble. Il lui a demandé de
9 l'aider, mais Topic a refusé, et Goran était absolument furieux à ce
10 moment-là. Il est sorti de la cave. Il avait envie de tirer sur quelqu'un
11 ou quelque chose, et les autres se sont ligués pour le ramener dans la
12 cave.
13 J'étais très fatiguée à ce moment-là, et je me suis retirée dans le bureau
14 où j'ai dormi peut-être bien une heure. J'ai été réveillée au bout d'une
15 heure par un certain nombre de personnes. Je suis rentrée dans la cave et
16 j'ai vu que la moitié de ceux qui s'y trouvaient avant n'y étaient plus.
17 J'ai vu aussi qu'une petite fille qui n'avait sans doute pas plus de huit
18 ou neuf ans avait été touchée à la tête.
19 Je dois dire qu'à ce moment-là, la panique a commencé à gagner les
20 gens parce que nous savions que dans les étages, il y avait des parties du
21 bâtiment qui étaient en feu. On nous a même amené, sur une civière, un
22 homme qui était en train de s'asphyxier à cause de la fumée. Je crois que
23 son nom de famille était Kajic. Je me souviens très bien de lui
24 physiquement, mais je n'arrive pas à me rappeler de son nom de famille
25 exact.
26 Puis, il y a des conduites d'eau qui ont explosé, de sorte que les
27 gens se sont trouvés peu à peu inondés.
28 Q. Pouvez-vous nous dire quels efforts ont été déployés pour parvenir à
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1 sortir de cette cave du bâtiment Vranica ?
2 R. Ils manquaient de munitions. Il était manifeste qu'il ne serait plus
3 possible de nous défendre. Je préfèrerais ne pas procéder à une évaluation
4 de la situation. Je sais que certains ont écrit des livres à ce propos. Je
5 n'ai pas lu ces livres, mais apparemment on peut y lire combien il y a eu
6 de soldats qui étaient de l'autre côté, pour faire une comparaison.
7 A un moment donné, puisque Rudolf se trouvait dans le sous-sol - il
8 se trouvait là depuis le début, depuis le début de la brigade, il était
9 présent, et il y avait un autre home qui auparavant avait travaillé à
10 Vranica, il se trouvait sur les lieux aussi - ils savaient qu'il y avait un
11 des murs de séparation dans mon bureau qui avait été construit auparavant.
12 Ils ont sorti une des briques --
13 Q. Est-ce qu'ils ont commencé à démonter les murs du sous-sol pour essayer
14 de sortir de l'endroit ?
15 M. KARNAVAS : [interprétation] Monsieur le Président, permettez-moi.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui.
17 M. KARNAVAS : [interprétation] Excusez-moi. Je voudrais quand même faire
18 une objection par rapport au caractère directeur. Je sais qu'il a fait un
19 très bon travail jusqu'à présent. Il a essayé de ne pas poser de questions
20 directrices. Mais il suppose un fait qui n'a pas encore été versé au
21 dossier. Je pense qu'il est préférable d'obtenir ces informations du témoin
22 que d'avoir M. Mundis qui donne les informations au témoin pour qu'elle les
23 confirme. Je vous remercie.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Objection recevable.
25 Poursuivez, Monsieur Mundis.
26 M. MUNDIS : [interprétation]
27 Q. Vous avez dit qu'ils avaient "délogé une brique." Qu'est-ce qui se
28 passait à ce moment-là, après ?
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1 R. Oui, excusez-moi. J'étais un peu ébranlée. Oui. Ils ont enlevé ces
2 briques une à une, de leurs mains nues. Le jeune homme qui l'aidait ne se
3 retrouve pas sur la liste des personnes portées disparues. On ne sait rien
4 de ce qui lui est arrivé.
5 Je vous prie de m'excuser, parce que j'ai revécu, j'ai revu ce qui se
6 passait à ce moment-là.
7 Ils étaient quatre ou cinq officiers qui ont décidé d'essayer de
8 sortir par cette entrée, parce que les gens savaient que ce mur c'était
9 simplement un mur de séparation, une cloison qui avait été construite, et
10 on s'est dit qu'il était plus facile de démonter cette cloison.
11 Je ne pourrais pas vous dire qui a dit qu'il fallait que les gens se
12 mettent en vêtements civils. C'est ce que la plupart ont fait, moi y
13 compris. C'est ce que j'ai d'ailleurs dit dans ma déclaration préalable, à
14 cause de l'épuisement, j'ai commencé à avoir des saignements, ce qui a duré
15 jusqu'à un certain endroit --
16 L'INTERPRÈTE : Les interprètes n'ont pas saisi le nom de l'endroit.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Une fois que ces briques ont été ôtées et que
18 l'ouverture a permis le passage d'une personne, nous avons vu une porte
19 métallique. Alica Pobric a commencé à tirer. Il a commencé à tirer en se
20 servant de son fusil automatique et il a tiré sur la porte, porte qui s'est
21 ouverte.
22 Dans la pièce adjacente, toujours dans le sous-sol, c'était aussi dans le
23 couloir, si vous prenez l'escalier vous arrivez à une autre entrée où se
24 trouvaient beaucoup de civils.
25 En plus de cette petite fille et de ce jeune homme qui travaillait à
26 l'encodage, Muradif Habibi, mais il s'appelle Muradif Habibija. Il était
27 blessé. Il avait été touché au dos et il y avait un gros hématome à côté de
28 sa colonne vertébrale. Moi aussi j'ai aidé les autres à le sortir.
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1 Dans cet autre bâtiment, il s'agissait de l'entrée que j'avais utilisée la
2 veille pour aller rendre visite, pour aller voir mon ami. Il y avait le Dr
3 Jerko qui était présent. Il y avait Nino Sefic, Hasif Nemic, Corda, le Dr
4 Dzeko était là, et il y avait Zijad Demirovic aussi, qui a pris
5 l'initiative d'essayer de négocier. Puisque juste à côté de cet immeuble,
6 il y a l'immeuble du MUP où se trouvaient des soldats qui avaient encerclé
7 l'immeuble, donc il a pris l'initiative de négocier avec ces gens.
8 Q. Permettez-moi de vous interrompre un instant. Il y a quelques minutes
9 vous avez dit : "…qu'à cause de l'épuisement et du stress, j'ai commencé à
10 voir des saignements --" Les interprètes n'ont pas bien entendu le nom de
11 l'endroit jusqu'auquel ces saignements s'étaient poursuivis.
12 R. Jusqu'à Ljubuski. Jusqu'au moment où est venu le Dr Dzeko et il m'a
13 prescrit un repos de 15 à 20 jours.
14 Q. Reprenons votre récit, là où vous l'aviez interrompu, vous parliez du
15 début de pourparlers ou de négociations. Est-ce que vous pourriez nous en
16 dire plus, qui a négocié et sur quoi portaient ces négociations ?
17 R. Zijad Demirovic était à l'époque président du conseil cantonal du SDA.
18 Il était architecte de métier. Il est décédé il y a peu. Il a pris un
19 mégaphone et a commencé à parler aux soldats qui avaient encerclé
20 l'immeuble et se tenaient debout autour de cet immeuble. Il a dit à ces
21 soldats que nous étions des civils et a permis que nous quittions un à un
22 l'immeuble.
23 Q. Est-ce que vous avez effectivement pu quitter cet immeuble un à un ?
24 R. Oui. Oui, l'un après l'autre. Dans la partie de cet immeuble que nous
25 avions quitté auparavant, il y avait encore une dizaine, une quinzaine
26 d'hommes qui étaient restés en uniforme, armés pour essayer de pouvoir
27 faire une percée par le service de chirurgie. Je ne sais pas qui avait pris
28 cette décision, qu'ils restent là pour qu'ils essaient de passer dans une
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1 autre partie. Je sais qu'Emir Bijedic, lui, est resté avec eux. A l'époque,
2 il était commandant adjoint chargé dans le corps d'armée de la sécurité.
3 Q. Madame Drljevic, lorsque les membres du groupe ont quitté un à un cet
4 immeuble de Vranica, où est-ce qu'ils sont allés ?
5 R. A l'extrémité de ce bâtiment ou plutôt à côté. Il y avait une clôture
6 qui était jaune à l'époque, j'en suis certaine. Maintenant elle est bleue,
7 je pense. Une clôture métallique, un grillage. Je ne sais pas comment j'ai
8 réussi à franchir cette grille alors que je portais dans les bras un jeune
9 enfant. Un ami à moi avait une gamine, deux enfants d'un an et demi. Elle
10 en portait une et moi l'autre. Nous avons donc franchi cette grille pour
11 aller vers le bâtiment du MUP. Aujourd'hui, c'est le bâtiment du MUP
12 municipal.
13 J'ai vu Rudolf et Thedja [phon] qui transportaient quelqu'un dans une
14 couverture. Je ne sais pas si c'était Muradif ou la petite fille qu'ils
15 transportaient.
16 Q. Vous vous êtes dirigée vers le bâtiment du MUP municipal, est-ce que ce
17 faisant vous avez vu des gens qui se seraient trouvés tout près de ce
18 bâtiment ?
19 R. Excusez-moi, qu'est-ce que vous voulez dire quand vous dites "des
20 gens" ? Vous voulez peut-être parler de soldats ? Oui, des soldats. J'ai vu
21 un grand nombre de soldats en uniforme avec des rubans. Je ne sais pas de
22 quelle couleur ces rubans étaient. Ils avaient des rubans à la manche. Il y
23 en avait certains qui étaient là et nous indiquaient dans quelle direction
24 il fallait aller. D'autres ont empêché que beaucoup de personnes aillent
25 vers le service de chirurgie. Ils nous ont dit de franchir cette grille et
26 juste devant le bâtiment, ils ont mis les femmes d'un côté, les hommes de
27 l'autre.
28 Q. Ces soldats en uniforme, qui portaient des rubans, ils appartenaient à
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1 quelle force armée ? Est-ce que vous pouvez nous le dire ? Est-ce que vous
2 le savez ?
3 R. Je ne peux pas vous dire s'ils étaient membres d'une brigade ou s'ils
4 étaient des membres du MUP d'Herceg-Bosna ?
5 Q. Vous dites "que devant ce bâtiment, ces hommes ont séparé les femmes
6 des hommes," vous parlez de quel bâtiment ?
7 R. Je parle du bâtiment du MUP. Après avoir franchi la grille, ces hommes
8 nous ont dit d'aller vers ce bâtiment où se trouve aujourd'hui le MUP
9 municipal. C'est là qu'on va, par exemple, pour avoir une carte d'identité.
10 C'est là qu'ils ont séparé les femmes des hommes.
11 Q. Les femmes, où sont-elles allées ?
12 R. On les a fait entrer dans le bâtiment. Elles ont été placées dans une
13 pièce qui ressemble à un amphithéâtre. Je ne sais pas comment vous
14 l'expliquer. Je suppose que c'était une salle réservée aux conférences. Il
15 y avait des bancs superposés.
16 Q. Je vous interromps, car vous dites qu'on a fait entrer les femmes dans
17 le bâtiment. Est-ce que vous pourriez être plus précise et nous dire de
18 quel bâtiment vous parlez ?
19 R. Je parle ici du bâtiment du MUP.
20 Q. Est-ce que vous vous souvenez de la date approximative, du moment de la
21 journée auquel ces femmes ont été emmenées dans le bâtiment du MUP
22 municipal ?
23 R. Cela s'est passé le 10 mai, vers 15 heures.
24 Q. Avez-vous ou est-ce que vous auriez vu où les hommes, qui s'étaient
25 trouvés avec vous au sous-sol de l'immeuble de Vranica, ont été emmenés une
26 fois qu'ils ont été séparés des femmes ?
27 R. Une partie d'entre eux sont restés dans l'autre partie de l'immeuble,
28 d'autres ont été emmenés vers le bâtiment de pierre qui se trouve à l'est
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1 par rapport à ce bâtiment.
2 Je ne me souviens plus du nom de la rue. Je ne me souviens pas pour
3 le moment.
4 Q. Ce n'est pas grave.
5 R. Aujourd'hui, c'est là que se trouve le MUP du canton.
6 Q. Je voudrais que tout soit précis et clair. Vous avez dit que certains
7 hommes sont restés dans l'autre partie de l'immeuble, alors que d'autres
8 ont été emmenés vers ce bâtiment en pierre. Quand vous dites "certains sont
9 restés dans l'autre partie de l'immeuble", vous parlez de quelle
10 structure ?
11 R. Je parle, une fois de plus, de l'endroit du bâtiment où se trouvaient
12 les femmes. Je n'en suis pas tout à fait sûre, parce que le lendemain, j'en
13 ai vu quelques-unes à l'étage.
14 Q. Je m'excuse, Madame mais il faut ici que nous ayons un compte rendu
15 précis. Quand vous dites, "le bâtiment où se trouvaient les femmes," il
16 s'agit de quel bâtiment ou quelle est la structure abritée dans ce bâtiment
17 aujourd'hui ?
18 R. A l'époque, c'était le bâtiment du MUP d'Herceg-Bosna et aujourd'hui,
19 c'est le bâtiment du MUP. Vous savez l'organisation de Mostar est assez
20 particulière au plan municipal. Ce n'est pas le MUP municipal, c'est le MUP
21 de la ville. Aujourd'hui, ce bâtiment est connu sous le nom de bâtiment du
22 MUP de la ville.
23 Q. C'est dans ce bâtiment, d'après ce que vous nous dites, que les femmes
24 ont été gardées et que certains des hommes ont été gardés également. Est-ce
25 bien ce que vous nous dites ?
26 R. Oui, oui. C'est ce que j'essaie de vous dire. J'essaie également de
27 vous dire qu'au départ, ils ne trouvaient pas dans les mêmes lieux. Les
28 femmes, elles se sont trouvées dans ce que j'appellerais cet amphithéâtre
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1 et avec nous, il y avait ce jeune homme qui, début 1993, avait perdu une
2 jambe. Il s'appelle Gosto Adis. Il y avait des femmes et des enfants. Je ne
3 sais pas où les hommes ont été emmenés. C'est seulement le lendemain,
4 lorsque la plupart des femmes sont rentrées chez elles ou sont allées à
5 l'Heliodrom, c'est seulement que le lendemain que j'ai vu certains des
6 hommes dans ce même bâtiment, à l'étage.
7 Q. Madame, combien de temps êtes-vous restée dans ce bâtiment du MUP de la
8 ville après y être arrivée le 10 mai 1993, vers 15 heures ?
9 R. J'y suis restée jusqu'au 13 mai, jusqu'en fin de soirée. La nuit était
10 tombée. Il faisait très sombre. Il était peut-être, minuit. Je ne sais pas.
11 Je n'avais pas de montre.
12 Q. Pourriez-vous nous dire de façon approximative combien d'autres
13 personnes étaient détenues avec vous dans le bâtiment du MUP de la ville de
14 Mostar ou pendant le temps où vous vous êtes trouvée dans ce bâtiment du 10
15 au 13 mai 1993 ?
16 R. Voici ce que je peux dire : le 10, le 11, nous avons passé deux nuits
17 dans cette pièce. Le 12, un certain nombre de femmes ont été placées dans
18 un bus. Mon ami se trouvait parmi ces femmes et ces femmes ont été emmenées
19 à l'Heliodrom.
20 Au cours de la nuit, de la nuit du 12 au 13, j'ai remarqué qu'il y
21 avait certaines femmes qui sortaient de temps en temps, et lorsqu'elles
22 partaient, une deuxième fois, ne revenaient plus. J'ai donc supposé qu'il y
23 avait des gens qui avaient quitté ce bâtiment. Je ne les connaissais pas
24 personnellement, à l'exception de Jesenka Rajkovic Kragulj. Elle était
25 Bosnienne. Elle avait épousé un Croate qui s'appelait Tihomir Kragulj. Il
26 était en uniforme, en tenue de police lorsqu'il m'a vue et il a dit :
27 "C'est fini, secrétaire." Sinon, quelques jours avant l'attaque, j'avais
28 pris un café avec lui et avec Zelko Budimir. Je m'étais dit que tout était
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1 normal.
2 Q. Pouvez-vous vous remémorer le moment où vous êtes arrivée dans ce
3 bâtiment du MUP de la ville de Mostar, le 10 mai 1993 ? Que s'est-il passé
4 la première fois que vous vous êtes trouvées dans ce bâtiment ?
5 R. Je ne comprends pas votre question.
6 Q. Pourriez-vous nous décrire ce que vous avez vu en entrant dans ce
7 bâtiment, décrire l'endroit où vous avez été emmenés à l'intérieur du
8 bâtiment ?
9 R. Le premier jour, on nous a emmenés dans cette salle où ils avaient sans
10 doute leur réunion. Il y avait énormément de femmes. Nous y avons passé une
11 journée. Lorsque certaines des femmes ont été emmenées en bus, Bojana,
12 Selma et Mirna - c'étaient des journalistes qui travaillaient à la radio -
13 et moi-même aussi, on nous a dit que nous allions rester là pour être
14 interrogées.
15 Q. Au cours de la période qui s'est écoulée du 10 au
16 13 mai 1993, alors que vous étiez dans ce bâtiment du MUP de la ville de
17 Mostar, est-ce que vous avez effectivement été interrogées à un moment
18 donné ?
19 R. Auparavant, nous avons dû décliner notre identité. On nous a dit que
20 tous ceux qui n'avaient pas de pièces d'identité devaient se présenter à la
21 table et dire qui ils étaient. C'est de cela que je parlais auparavant. Je
22 la connaissais cette femme, elle avait été emmenée par la tante de Hujdur.
23 Lorsqu'ils lui ont demandé quel était le lien de parenté qu'il y avait en
24 Hujdur et elle, elle a dit qu'ils n'étaient pas du tout parents. J'ai eu
25 l'impression -- je pense, qu'en fait, elle lui a servi de mère, elle a
26 remplacé, c'était comme si une mère devait abandonner son propre enfant.
27 C'est l'impression que cela m'a donnée.
28 Je n'ai pas eu de dilemme. Je me suis aussitôt présentée, j'ai dit
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1 que j'étais membre de l'armée. Je ne connaissais pratiquement personne. Je
2 pense, que quelque part, c'est pour cela qu'on m'a laissée tranquille ou je
3 ne sais pas si c'est pour cela qu'on a commencé une enquête. Mais je ne
4 sais toujours pas ce qu'il en est de toute cette histoire aujourd'hui. Je
5 ne sais pas pourquoi j'ai été détenue pendant si longtemps et dans de
6 telles conditions.
7 Q. Vous nous avez dit auparavant que vous aviez quitté tard dans la soirée
8 du 13 mai 1993 ce bâtiment du MUP de la ville de Mostar. Pour aller où ?
9 R. Est-ce que je peux revenir un instant au 12 et au 13, remonter un peu
10 dans le temps avant de passer à votre question. A l'étage au-dessus de
11 nous, là où nous avons été interrogées l'une après l'autre, j'ai été
12 interrogée pendant peu de temps. Je connaissais Marin Jurica. Parce qu'il
13 avait une agence de marketing ou de mode, je ne sais pas exactement. Son
14 frère y avait travaillé. C'est lui qui m'a d'abord interrogée, m'a demandé
15 ce qu'il en était de ma participation à la guerre et de ma présence à
16 Vranica. Je ne peux pas vous dire qu'il aurait été brutal ni violent. Il
17 s'est bien comporté. L'interrogatoire a été tout à fait correct. A un
18 moment donné, M. Demirovic était à l'extérieur dans le couloir, et Nino
19 Sefic, Hajdarevic - je ne me souviens plus de son prénom. Il y avait Hazim
20 Memic, Almir Corjorevic. Il y avait un long couloir avec des bureaux, et au
21 bout du couloir, il y avait un appareil de télévision, il était allumé. M.
22 Demirovic s'est presque mis à pleurer, parce que quelque part dans la
23 colonne de civils qui se déplaçaient, il a reconnu sa femme qui passait par
24 la colline Varda au sud de Mostar, en surplomb de l'Heliodrom.
25 J'ai vu aussi une émission qui s'appelait Image sur image. La
26 journaliste, c'était Dijana Culjak. Je les ai vus sortir un à un, ces
27 jeunes hommes qui avaient assuré la sécurité. Plus tard, j'ai aussi revu
28 ces images, mais je ne pourrais pas vous dire exactement où ces images
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1 avaient été filmées; si c'était devant l'immeuble Vranica, là où il y a une
2 espèce de construction de fortune, un lieu préfabriqué. C'est peut-être là
3 que se trouve le bureau des impôts aujourd'hui, je ne sais pas. C'était
4 peut-être devant le QG du HVO, devant le bâtiment Parkova [phon] ou
5 Lesnina. Je ne peux pas vous le dire exactement aujourd'hui. Quoi qu'il en
6 soit, à la fin de ces images, nous avons vu les noms, noms de famille et
7 prénoms des personnes qui savaient exactement où se trouvaient ces jeunes
8 hommes. J'espère que mon témoignage contribuera entre autres à savoir ou à
9 découvrir où se trouvent les ossements.
10 On voit les jeunes hommes qui prennent l'image de Sefer Halilovic.
11 C'est l'emblème qu'ils montrent. Ils avaient été faits prisonniers. C'est
12 ainsi que cela s'est passé. Il y a fort peu de chances que des gens soient
13 debout comme cela, devant un peloton d'exécution, quel que soit le nom que
14 l'on donne à ces personnes qui sont debout à côté de ceux-là.
15 Q. Merci. Nous allons maintenant parler de la période où vous avez quitté
16 le bâtiment du MUP de la ville. Pourriez-vous dire à la Chambre de première
17 instance où vous vous êtes rendus à ce moment-là ?
18 R. Ce soir-là, comme je vous l'ai dit, il était tard. C'était après minuit
19 ou peut-être 11 heures, 23 heures. Je crois que cette émission de
20 télévision, Slikom na Slikum, est une émission qui passait assez tard. Je
21 ne sais pas si c'était ce jour-là, mais quoi qu'il en soit toutes les
22 personnes portaient un uniforme. Il a dit que nous devions prendre nos
23 affaires et partir. Nous espérions même rentrer chez nous.
24 Ensuite, on nous a mises toutes les quatre dans un véhicule de police
25 qui avait des barreaux aux fenêtres. Ce véhicule porte le nom de Marie
26 noire, de Vierges noires. Ils nous ont emmenées jusqu'au MUP en pierre de
27 Kameni.
28 Q. Encore une fois si je peux --
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1 R. Là --
2 Q. Permettez-moi de vous interrompre pendant quelques instants. Lorsque
3 vous parlez du bâtiment en pierre du MUP, vous faites allusion à quel
4 bâtiment, s'il vous plaît ? A quel endroit se trouve ce bâtiment ?
5 R. C'est le MUP cantonal. C'est comme ça que cela s'appelle maintenant.
6 Q. Quelle distance y a-t-il environ entre le MUP cantonal et le bâtiment
7 du MUP qui se trouve dans la ville de Mostar ?
8 R. C'est tout près. Une vingtaine de mètres peut-être.
9 Q. Pourriez-vous nous dire ce qui s'est passé après que l'on vous ait
10 emmenées à bord d'un véhicule au bâtiment en pierre du MUP ce soir-là le 13
11 mai 1993 ?
12 R. Ils ne nous ont pas fait entrer dans le bâtiment. Ils nous ont déposées
13 devant le bâtiment, ensuite, ils nous ont fait entrer. Je n'ai pu voir
14 personne car il faisait nuit. Mais j'ai vu qu'une femme avait les mains
15 attachées dans le dos, qu'elle avait des menottes.
16 Nous sommes parties en formant une colonne. Il y avait une voiture
17 qui était devant nous avec des feux de croisement. Il y avait trois
18 véhicules avec des barreaux aux fenêtres et trois véhicules avec ces feux
19 de croisement derrière nous. Il y avait deux jeunes hommes armés qui se
20 trouvaient à l'intérieur du véhicule. Ils nous ont simplement dit -- ils
21 nous ont demandé si nous savions où nous allions. Nous avons dit que non,
22 et nous pensions que nous nous rendions à l'Heliodrom. Ils nous ont dit que
23 non, que nous nous rendions à Ljubuski. Je venais d'entendre parler de
24 Ljubuski. C'était quelque chose comme une prison centrale ou quelque chose
25 comme cela. Je m'y suis rendue à une occasion, pas au moment où nous avons
26 été hébergées à cet endroit-là, mais en 1992 lorsque le groupe de Bileca a
27 été relâché.
28 Quoi qu'il en soit, lorsque nous sommes arrivées sur les lieux, ils
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1 nous ont fait entrer dans un bâtiment. Ils nous ont donné l'ordre de nous
2 mettre debout, mains en l'air, les jambes écartées devant le mur. Ils nous
3 ont fouillées et nous ont demandé de leur donner notre nom et prénom. A ce
4 moment-là, je n'ai pas pu voir qui d'autre est entré, mais j'ai reconnu la
5 voix de Rudolph Jozelic. Un coup est parti. Après avoir dit : Qui es-tu ?
6 La réponse était : Je suis un catholique de Bosnie. Ensuite, j'ai entendu
7 ce coup.
8 Vlado Fink était là également. Kamenko Bosnjak était un journaliste à
9 la radio. Lorsqu'on lui a posé la même question, il a dit : "Je suis ici
10 par erreur, Monsieur." Ils l'ont relâché le lendemain.
11 Je n'ai reconnu personne d'autre ou la voix de quelqu'un d'autre.
12 Q. Est-ce que je peux vous poser quelques questions à ce sujet, s'il vous
13 plaît. Madame Drljevic, savez-vous à peu près à quel moment vous êtes
14 arrivés à Ljubuski, la date et l'heure ?
15 R. Le 13, au cours de la nuit, pendant la nuit. Je ne sais pas exactement
16 à quelle heure. C'était peut-être deux à trois heures après avoir quitté
17 Mostar. Je ne peux pas être sûre de l'heure.
18 Q. Combien de personnes faisaient partie de ce groupe qui a été transporté
19 de Mostar à Ljubuski pendant la nuit du 13 mars 1993 ?
20 R. Je ne sais pas, une vingtaine environ. Je ne suis pas tout à fait sûre.
21 Q. Pourriez-vous nous parler du sexe et de l'âge de ces personnes qui ont
22 été transportées ce soir-là ?
23 R. Je ne sais pas. Je sais simplement qu'il y avait cinq femmes dans cette
24 pièce par la suite. Lorsque les hommes en uniforme noir étaient là, pendant
25 toute cette période, ce n'était pas les gens que nous avons vus plus tard;
26 c'étaient d'autres personnes qui les escortaient. Ils nous ont demandé de
27 nous tourner vers le mur. Je ne sais pas qui est arrivé à Ljubuski ce soir-
28 là.
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1 Q. Madame, pourriez-vous nous dire, s'il vous plaît, combien de temps vous
2 êtes restée environ à Ljubuski ?
3 R. Je suis restée à Ljubuski jusqu'au 8 juin 1993.
4 Q. Pourriez-vous décrire pour les Juges de la Chambre les bâtiments dans
5 lesquels vous avez été détenues pendant toute cette période, à savoir,
6 entre le 13 mai 1993 et le 8 juin 1993 ?
7 R. La première nuit, lorsque nous avons été emmenées à cet endroit-là, il
8 n'y avait pas de lits dans ces pièces. Ils ne s'attendaient pas à ce que
9 des femmes soient emmenées là. Nous nous sommes, par conséquent, assises
10 par terre cette nuit-là. Il y avait une table. Ils ont fait apporté des
11 lits le lendemain. Nous étions toutes dans la même pièce. Il y avait une
12 grande pièce dans laquelle ils ont mis les lits. Il n'y avait pas de
13 barreaux aux fenêtres.
14 Il y avait une pièce plus petite aussi. Comme les hommes sont arrivés
15 quelques jours plus tard, les hommes devaient nettoyer le parquet. Ils ont
16 préparé une salle à manger qui est une salle à manger de fortune. Il y
17 avait un autre bâtiment à propos duquel j'ai appris plus tard que c'était
18 là que les hommes dormaient. Ce n'était pas des détenus, ce n'était pas des
19 prisonniers, c'étaient des hommes libres qui étaient des chauffeurs de
20 Bosnie.
21 Aux étages supérieurs, il y avait les locaux de la police. C'est là
22 que j'ai été interrogée. Je ne sais pas combien de bureaux il y avait au-
23 dessus. Au-dessus, il y avait également des toilettes. Il n'y avait pas des
24 toilettes au niveau du rez-de-chaussée.
25 Les bâtiments dans lesquels ont été hébergés les hommes, j'ai demandé par
26 la suite, et ils ont dit que c'étaient des remises qui ont été
27 transformées, un endroit où on pouvait entreposer des choses. Je crois que
28 les conditions de vie ne correspondaient en rien à cet endroit-là. Je
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1 trouve que cela ressemblait à des bâtiments préfabriqués, à des abris. Il y
2 en avait un qui avait été construit, mais qui est parallèle au bâtiment et
3 un qui était dans l'angle du bâtiment. Je sais cela. Il n'y avait pas de
4 robinet non plus. Il y avait juste un tuyau d'où sortait de l'eau, tout le
5 temps.
6 Il y a quelque chose que j'ai vue car j'ai demandé si je pouvais
7 emmener deux cartouches de cigarettes aux hommes A une occasion, j'ai
8 demandé si je pouvais leur apporter de la nourriture, car il y avait des
9 restes de nourriture.
10 Q. Madame Drljevic, je souhaite vous poser d'autres questions compte tenu
11 des réponses que vous venez de nous donner. Vous avez, dans votre
12 témoignage, dit qu'il n'y avait pas de lits au moment où vous êtes arrivés.
13 Autrement dit, il n'y avait pas d'autres femmes dans cette pièce, le jour
14 où vous êtes arrivée.
15 R. Non. C'était une pièce vide. Il y avait simplement une table au milieu
16 de la pièce.
17 Q. Combien de femmes vous accompagnaient ce premier soir que vous avez
18 passé dans cette pièce à Ljubuski ?
19 R. Nous étions cinq au total. Bojana, Selma, Mirna, Mirzeta - c'était
20 cette femme qui avait les mains attachées dans le dos avec des menottes -
21 et moi-même.
22 Q. Vous nous avez dit que les hommes étaient détenus dans un autre
23 bâtiment. Savez-vous environ combien d'hommes il y avait à l'époque où vous
24 étiez à Ljubuski ?
25 R. Non. Je ne peux pas vous citer de chiffre, mais autant que l'on pouvait
26 faire entrer dans la pièce. Car je les voyais de temps en temps, on les
27 faisait sortir à l'air libre. Lorsque j'emmenais les cartouches de
28 cigarettes, ils étaient debout l'un à côté de l'autre, et leurs mains se
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1 touchaient.
2 Q. A l'époque, où vous étiez à Ljubuski, Madame, est-ce que vous pouviez
3 vous déplacer à loisir ?
4 R. Bien sûr que non. Même s'il n'y avait pas de barreaux aux fenêtres,
5 nous ne pouvions pas communiquer. C'était désagréable, car il y avait des
6 gens qui s'arrêtaient et on leur a demandé de mettre des rideaux, car
7 c'était bizarre. Les habitants de la région savaient, sans nul doute, que
8 ce bâtiment avait été converti en prison.
9 Quelquefois, lorsqu'il n'y avait pas du tout d'eau dans le bâtiment,
10 le commandant nous autorisait ou nous permettait de laver nos vêtements ou
11 des assiettes un peu dans un robinet qui se trouvait dans la rue. C'était
12 un robinet public. Nous ne pouvions pas aller ailleurs, bien sûr.
13 Q. Pourquoi ne pouviez-vous pas aller ailleurs ?
14 R. Mais parce que nous étions incarcérés.
15 Q. Vous nous avez dit, il y a quelques instants, que le commandant vous
16 autorisait à laver des assiettes ou certains de vos vêtements à cette
17 fontaine. Savez-vous qui était le commandant à ce moment-là ?
18 R. Oui. Ante Prlic.
19 Q. Comment savez-vous qu'Ante Prlic était le commandant du camp de
20 Ljubuski ?
21 R. Je ne sais pas comment je le sais. Je ne pense pas qu'il soit arrivé
22 vers nous pour nous dire : "Je suis le commandant." Je ne suis pas en
23 mesure de répondre à cette question, mais je le savais, comme je savais que
24 Santic était son adjoint, par exemple. Ce n'est pas quelque chose que j'aie
25 vu par écrit, et lui ne s'est pas présenté comme cela non plus. Mais je
26 n'ai pas fait attention à cela.
27 Q. A l'époque ou pendant le temps où vous étiez à Ljubuski, quel type de
28 vêtements avez-vous vu -- laissez-moi reprendre. Je vais reprendre. Pendant
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1 toute la période où vous étiez dans le camp, à combien de reprises avez-
2 vous vu M. Ante Prlic ?
3 R. [aucune interprétation]
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Kovacic, vous avez la parole.
5 M. KOVACIC : [interprétation] Pour éviter d'autres complications au niveau
6 du compte rendu d'audience, je remarque qu'un terme différent est utilisé
7 par le témoin et par le Procureur. Le Procureur utilise le terme de
8 "zatvor," qui veut dire "prison", alors que mon cher confrère, M. Mundis,
9 pose des questions, et cela fait trois fois de suite qu'il pose des
10 questions à propos du terme "logor," qui signifie "camps". Par définition,
11 il ne s'agit pas de deux mêmes choses et deux institutions semblables. Je
12 crois qu'il serait bien de faire la clarté, car nous avons des difficultés
13 par la suite lorsque nous allons nous référer au compte rendu d'audience.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mundis, essayez de clarifier cette
15 question.
16 M. MUNDIS : [interprétation] Je vais reformuler ma question.
17 Q. Madame, combien de fois avez-vous vu M. Ante Prlic alors que vous étiez
18 dans la prison de Ljubuski ?
19 R. Je ne peux pas dire tous les jours, mais de façon assez fréquente, car
20 plus tard, j'en avais déduit que s'il n'était pas là et Santic n'était pas
21 là non plus, alors, les autres gardiens laissaient entrer les autres
22 soldats, les unités de Tuta, par exemple, entrer pour passer à tabac les
23 détenus. C'est ce que j'ai entendu dire de la bouche d'autrui, mais ce
24 n'est pas quelque chose que j'aie vu de mes propres yeux.
25 Q. Madame Drljevic, vous avez fait allusion à d'autres gardiens. Savez-
26 vous ou vous souvenez-vous de combien de gardiens qu'il y avait dans la
27 prison de Ljubuski ?
28 R. Entre dix et 12 peut-être, qui se trouvaient là. Je connais le nom de
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1 certains d'entre eux, même leurs surnoms. D'autres, je me souviens de leurs
2 apparences physiques.
3 Q. Pour ce qui est de M. Ante Prlic et M. Santic, et ces dix à 12 gardiens
4 qui se trouvaient à la prison de Ljubuski à l'époque où vous y étiez, vous,
5 à savoir, entre le 13 et le 8 juin 1992, est-ce que vous vous souvenez des
6 vêtements qu'ils portaient à ce moment-là ?
7 R. Ils portaient des uniformes de camouflage.
8 Q. Est-ce que vous avez pu remarquer des insignes sur ces uniformes ?
9 R. Non. Je ne m'en souviens pas. Je ne peux pas vraiment répondre.
10 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, je note l'heure. Peut-
11 être qu'il serait approprié de faire la deuxième pause maintenant.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : La deuxième pause, il est 5 heures 25 environ. Nous
13 reprendrons à 6 heures moins le quart.
14 --- L'audience est suspendue à 17 heures 25.
15 --- L'audience est reprise à 17 heures 47.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Il nous reste une heure et quart avant la fin
17 de cette audience.
18 Monsieur Mundis.
19 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
20 Q. Madame Drljevic, pourriez-vous en dire un peu plus aux Juges de la
21 Chambre quant aux conditions de vie dans la prison de Ljubuski pendant la
22 période que vous y avez passée ?
23 R. Pendant la durée de mon séjour là-bas, on nous servait la même
24 nourriture que les soldats, à savoir que lorsque les soldats avaient fini
25 leur repas, on nous faisait pénétrer dans la salle et on nous donnait à
26 manger. Je ne pourrais pas vous parler avec précision des conditions de vie
27 des hommes, mais il est certain que leurs conditions de vie étaient
28 beaucoup moins bonnes, car je les ai vus au moment où ils sortaient en
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1 promenade et ils faisaient piètres figures. C'est ce que j'ai pu constater
2 aussi, il y a quelquefois où on m'a autorisée à leur rendre visite.
3 Dans cette période, on m'a emmenée à plusieurs reprises subir des
4 interrogatoires, et ce dont je me souviens entre autres, c'est que l'un des
5 hommes qui m'a interrogée un jour était le Dr Lugonja. Il était très en
6 colère au moment où il m'a demandé si Hujka avait deux fils. Je savais avec
7 certitude qu'elle avait trois filles, donc, de toute évidence, il l'avait
8 confondue avec son frère dont la femme a deux fils. Alors, il était
9 convaincu que je mentais et, à un certain moment, il m'a dit qu'il allait
10 me tuer. Par la suite, l'inspecteur Pejic m'a dit que cela s'était passé
11 ainsi parce que, la veille, on avait tiré depuis Vranica sur le MUP de la
12 ville et que son frère avait été tué alors qu'il se trouvait dans son
13 bureau. J'ai d'ailleurs vu son certificat de décès, et je crois que son
14 prénom était Miso.
15 Puis, un autre jour, un homme en uniforme m'interrogeait. Il avait le
16 teint matte, des sourcils très rapprochés. Sur sa manche, on pouvait lire
17 l'inscription "80G Kobra Omis".
18 A un certain moment, j'étais debout à côté de la porte, et même si je
19 n'ai pas vu des hommes en train de se faire rouer de coups, il y a eu un
20 moment où je suis sortie du bureau pour aller aux toilettes à l'étage et
21 j'ai vu le t-shirt de Rudi Jozelic, qui était couvert de sang. Le
22 lendemain, on m'a donné un certain nombre de t-shirts que j'ai mis dans une
23 bassine pour les laver et, plus tard, on m'a dit qu'en l'absence de Prlic
24 et de Santic dans la prison, les hommes de Tuta, ils y avaient fait leur
25 apparition.
26 Un autre jour dans le parking, j'ai vu Braco, surnommé Slovenac, qui, je
27 pense, a fait l'objet de poursuites judiciaires, mais je ne sais pas si
28 elles sont arrivées à leurs termes. On l'a poursuivi en Bosnie.
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1 Puis, j'aimerais également signaler qu'à un certain moment, deux hommes ont
2 pénétré dans la pièce où je me trouvais, l'un s'est présenté comme étant le
3 frère de Cikota, dont le surnom est également Cikota. C'est un homme de
4 haute stature, et il était accompagné d'un autre homme aux cheveux blonds,
5 qui a dit qu'il était originaire de Rijeka. Il a eu une légère altercation
6 avec Bojana, qui était originaire de Slavonie, en lui disant que le tour de
7 la Slovanie viendrait immédiatement après. Il a dit, à ce moment-là, que
8 lui aussi était de Slavonie.
9 Mais en fait, il n'y a eu personne qui est réellement entré dans la pièce
10 où nous étions enfermées. C'est parce que j'étais à côté de la porte qu'un
11 jour, j'ai vu une femme qui passait, et je la connaissais de vue. Je savais
12 qu'elle travaillait pour une agence de voyage à Mostar. Elle se prénommait
13 Gordana. Elle m'a salué d'ailleurs, et elle m'a demandé ce que je faisais
14 là parce que mon nom de famille n'est pas typiquement musulman. A ce
15 moment-là je ne savais pas encore qu'elle était Croate.
16 Alors, je lui ai répondu, je lui ai dit que j'étais enfermée à
17 Vranica, et à ce moment-là, elle m'a dit que cela faisait 15 jours que plus
18 personne n'avait de nouvelle des gens de Vranica. Il y avait à ce moment-là
19 une délégation de la Croix-Rouge internationale, qui se trouvait là et elle
20 m'a dit que sur la route Mostar, Gordana a dit que des efforts incessants
21 étaient faits pour entrer en contact avec Ante Prlic, Valentin Coric et
22 Jadranko Prlic. Quand ils se sont -- quand elle s'est rendue compte que
23 j'étais emprisonnée à cet endroit, elle m'a dit qu'ils essaieraient
24 d'obtenir pour moi un permis de sortie, un certificat de sortie.
25 Quelque temps s'est écoulé, et ils sont revenus. Je ne sais pas qui
26 étaient ces gens exactement, mais en tout cas, ils avaient obtenu
27 l'autorisation de parler aux femmes, et c'est à ce moment-là que j'ai été
28 enregistrée pour la première fois. C'était le 25 mai 1993.
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1 Q. Madame Drljevic, j'aimerais vous interrompre ici. J'ai quelques
2 questions complémentaires à vous poser. Il y a cinq minutes - cela figure
3 en page 52, ligne 9 du compte rendu d'audience en anglais - vous avez dit
4 ce qui suit, je lis le compte rendu en anglais : "Je ne pourrais pas vous
5 décrire tout à fait précisément les conditions de vie des hommes, mais
6 elles étaient certainement moins bonnes que les nôtres, parce que je les ai
7 vus quand on les a fait sortir pour la promenade et ils faisaient piètre
8 figure." Je répète que cela se situe en page 52, lignes 6 à 9 du compte
9 rendu d'audience en anglais.
10 Pourriez-vous nous en dire un peu plus de ce jour unique ou de ces jours où
11 vous avez pu voir les hommes lorsqu'ils sortaient en promenade ?
12 R. Je ne dirais pas que c'était vraiment une promenade parce que la cour
13 dans laquelle ils circulaient n'était pas plus grande que l'espace vide ici
14 dans cette salle entre les tables. C'était simplement une occasion pour eux
15 de prendre un peu d'air frais. Je pense qu'on leur donnait une nourriture
16 qui n'était pas aussi bonne que la nôtre. Je n'en suis pas sûre, mais une
17 fois ou deux, j'ai demandé que les restes de nos repas, parce que je me
18 souviens qu'un jour, par exemple, on nous avait servi du poulet avec du riz
19 et j'ai demandé que l'on distribue les restes de notre nourriture plutôt
20 que de les jeter à la poubelle.
21 Mais en tout cas, cette cour où ils circulaient était couverte de
22 gravier noir d'où il se dégageait une très mauvaise odeur parce qu'il y
23 avait sans cesse de l'eau qui suintait à cet endroit. Je ne sais pas très
24 bien comment le décrire. Je crois que seul quelqu'un qui s'est trouvé dans
25 des conditions similaires serait capable de comprendre.
26 Ce jour-là où je me dirigeais vers eux pour leur donner des
27 cigarettes, j'ai vu qu'ils étaient entassés les uns sur les autres et que
28 vraiment l'atmosphère était étouffante. Je ne sais même pas s'il y avait
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1 des fenêtres dans leur pièce. Peut-être des espèces petites ouvertures en
2 haut des murs, mais rien d'autre.
3 Lorsque plus tard, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec certains
4 d'entre eux, ils m'ont dit qu'ils étaient obligés de faire des roulements
5 pour s'approcher alternativement de la porte pour respirer un peu d'air.
6 Quand j'ai demandé l'autorisation de laver leur t-shirt - parce qu'il
7 y en avait que je connaissais d'avant la guerre, Fink, Rudi, et d'autres -
8 c'étaient des hommes qui tenaient beaucoup à maintenir leur hygiène
9 corporelle, donc, on m'a donné ces t-shirts, et vraiment, ils dégageaient
10 une puanteur abominable. On ne peut pas appeler cela une odeur. C'était
11 vraiment une puanteur. Je crois que c'était sans doute dû au fait qu'on les
12 faisait travailler dur ou, en tout cas, qu'ils avaient transpiré et qu'ils
13 portaient le même t-shirt depuis au moins une quinzaine de jours.
14 Je ne sais pas à quel moment où on les autorisait à aller aux
15 toilettes parce que j'étais dans les étages, je n'étais pas au même endroit
16 dans le bâtiment.
17 Q. Madame Drljevic, pourriez-vous nous donner quelques détails
18 complémentaires quant à l'interprétation que vous venez de faire en disant
19 que cette puanteur était le résultat d'un travail très dur auquel ils
20 étaient soumis ? Pourquoi dites-vous cela ?
21 R. Je sais qu'ils étaient nombreux à sortir pour aller travailler.
22 D'ailleurs, peut-être n'était-ce pas dû uniquement à la transpiration liée
23 au travail, mais au fait aussi qu'ils étaient entassés les uns sur les
24 autres dans cette pièce pratiquement sans fenêtre, sans air frais. Je sais
25 que de nombreux prisonniers de Doljani et de Sovici avaient été emmenés à
26 cet endroit bien avant nous; je ne sais pas si je peux dire un mois ou deux
27 avant, mais en tout cas, bien avant.
28 Q. J'aimerais vous poser encore une question complémentaire qui concerne
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1 la page 55, ligne 23 du compte rendu d'audience en anglais. Vous avez dit,
2 je cite : "Je sais qu'ils étaient nombreux à sortir pour aller travailler."
3 Pourriez-vous nous donner des détails complémentaires au sujet de cette
4 phrase et dire aux Juges de la Chambre sur quoi vous fondez cette
5 déclaration ?
6 R. J'ai eu l'occasion rarement, bien sûr, mais j'ai eu l'occasion de
7 quelques rares échanges verbaux avec eux. Il ne s'agissait pas de
8 conversations à proprement parler, mais d'échanges de quelques mots, par-ci
9 par-là. Ils m'ont dit -- bien sûr, cela dépendait de l'endroit où on les
10 emmenait travailler. Mais ils m'ont dit qu'en certains lieux où on les
11 emmenait travailler, il y avait même des gens qui leur donnaient à manger
12 et où ils ne se fatiguaient pas trop, mais que dans d'autres lieux où on
13 les emmenait travailler, ils s'épuisaient complètement. Je ne sais pas
14 exactement de quoi il s'agissait, mais je crois qu'il était question de
15 décharger des sacs, quelque chose, et de creuser la terre. Il y en a
16 sûrement parmi ces hommes qui étaient emprisonnés qui pourraient vous en
17 dire plus là-dessus. Cela dit, ce qui m'a été rapporté est sans doute
18 suffisant tout de même.
19 Q. J'aimerais maintenant, Madame, vous poser quelques questions au sujet
20 de cette personne dont vous avez dit qu'il s'agissait de quelqu'un qui
21 travaillait pour une agence de voyage de Mostar. Je reprends ce qui figure
22 en page 53, ligne 17 du compte rendu d'audience en anglais. Vous nous avez
23 dit que le prénom de cette personne était Gordana. Vous rappelez-vous son
24 nom de famille ?
25 R. Oui, oui. Sur le moment, je ne connaissais pas son nom de famille, mais
26 je me suis renseignée par la suite, et on m'a dit que son nom de famille
27 était Begic, et qu'elle était mariée et résidait actuellement en Suisse. Sa
28 présence était liée à la présence de la délégation de la Croix-Rouge
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1 internationale.
2 Q. Page 53, ligne 23 du compte rendu d'audience, vous avez parlé d'une
3 délégation de la Croix-Rouge internationale. Pourriez-vous nous en dire un
4 peu plus au sujet de cette délégation ? De combien de personnes se
5 composait-elle ? Ou y avait-il parmi les membres de cette délégation des
6 personnes que vous connaissiez, et cetera ?
7 R. Il s'agit de la délégation pour laquelle Gordana Begic jouait le rôle
8 d'interprète. Alors, je ne sais pas exactement; ils étaient peut-être au
9 nombre de trois ou quatre personnes, mais elle était la seule que je
10 connaissais. Ces personnes ont reçu l'autorisation de pénétrer dans le
11 bâtiment et d'enregistrer les prisonnières, uniquement les femmes. Nous
12 n'étions que trois, à ce moment-là, car un peu avant, deux femmes étaient
13 rentrées chez elles, deux femmes prisonnières.
14 Q. Madame Drljevic, page 53, lignes 23 à 25 du compte rendu d'audience en
15 anglais, vous avez parlé d'une délégation de la Croix-Rouge internationale
16 qui s'efforçait d'entrer en contact avec Ante Prlic, Valentin Coric et
17 Jadranko Prlic.
18 Alors, vous avez prononcé le nom d'Ante Prlic. La question que je
19 vous pose est la suivante : A ce moment-là, c'est-à-dire, dans la période
20 où vous vous trouviez dans la prison de Ljubuski, saviez-vous qui était
21 Valentin Coric ou Jadranko Prlic ?
22 R. Je savais que Valentin Coric était commandant ou, en tout cas, un haut
23 responsable de la police, et que Jadranko Prlic était président - je ne
24 sais pas exactement de quoi. Etait-il président de la communauté croate
25 d'Herceg-Bosna ou chef du gouvernement, je ne sais pas exactement. Car je
26 dois vous dire, je ne m'intéressais pas particulièrement à ce genre de
27 chose. Par la suite, j'ai eu l'occasion de m'attabler pour étudier tout
28 cela de plus près. Mais à l'époque, cela ne m'intéressait pas
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1 particulièrement. Mais je sais que ces deux hommes étaient des
2 personnalités, et je suppose qu'il n'est pas difficile à la Chambre
3 d'établir les fonctions qui étaient celles de ces hommes à ce moment-là.
4 Q. Madame Drljevic, pendant la durée de votre séjour de Ljubuski, avez-
5 vous eu quelque forme de contact ou de communication avec des autorités
6 quelles qu'elles soient ?
7 R. A un certain moment, plusieurs jours plus tard, donc, plusieurs jours
8 après la visite de la Croix-Rouge internationale, le Dr Suko, gynécologue
9 de Jablanica, est arrivé, ainsi que Darinko Tadic, qui était à l'époque
10 ministre chargé des Réfugiés, des Personnes déplacées et de l'Aide sociale.
11 Je ne sais pas exactement quelle est la dénomination officielle de tout
12 cela. Il y avait d'autres personnes que je ne connais pas. Deux autres
13 personnes, je crois.
14 Q. Excusez-moi de vous interrompre encore une fois. Vous dites que Darinko
15 Tadic était à l'époque le ministre chargé des Personnes déplacées et de
16 l'Aide sociale, mais savez-vous qu'au sein de quel gouvernement, de quelle
17 agence ou de quelle entité officielle
18 M. Tadic occupait ces fonctions de ministre ?
19 R. Tout cela est en rapport avec l'Herceg-Bosna, mais il y avait là-bas
20 une certaine confusion entre le pouvoir militaire et le pouvoir civil et le
21 pouvoir gouvernemental. Mais je crois que c'est sans doute le gouvernement
22 d'Herceg-Bosna qui est en cause. Je dis "probablement," parce que je n'ai
23 pas étudié tout cela de très près à l'époque.
24 Q. Madame Drljevic, un peu plus tôt cet après-midi, vous nous avez dit
25 être restée dans la prison de Ljubuski jusqu'au 8 juin 1993; c'est bien
26 cela ?
27 R. Oui.
28 Q. Etes-vous en mesure de vous rappeler les événements survenus le 8 juin
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1 1993, et si oui, pouvez-vous nous dire exactement ce qui s'est passé ce
2 jour-là ?
3 R. Si vous me le permettez, j'aimerais faire un commentaire au préalable.
4 Avant le 8 juin, quand le Dr Suko et M. Tadic sont venus, c'était une
5 visite informelle. Le Dr Suko m'a prescrit des gouttes, et M. Tadic m'a dit
6 qu'il était allé sur la rive gauche au QG de l'armée et qu'il avait parlé à
7 mon commandant. Donc, à ce moment-là, je lui ai demandé si je pouvais
8 envoyer un message écrit. Il s'agissait simplement de quelques mots jetés
9 sur le papier destinés à faire comprendre le souhait d'un règlement
10 pacifique du conflit. Quand j'ai présenté ma demande, il y a accédé très
11 volontiers et ces quelques phrases ont été mises par écrit. Mais quelques
12 jours plus tard, je pense me rappeler que c'étaient deux jours plus tard,
13 une petite voiture s'est arrêtée devant le bâtiment, une voiture de couleur
14 blanche qui était sans doute une voiture "FO", une voiture italienne. Elle
15 portait une inscription en italien. Un jeune homme en est sorti et il s'est
16 mis à proférer des menaces à Bojana, la femme qui était de Slovénie. Il a
17 dit que si un autre message du même genre était à nouveau envoyé à Mostar,
18 il allait la tuer. A ce moment-là, je me suis rendue compte que le message
19 en question, le message que j'avais écrit, avait été approuvé et apporté à
20 Grude, puisque ce jeune homme a dit qu'il venait de Grude.
21 Je me suis rendue compte que personne n'avait jamais transmis ce message à
22 son destinataire. Ce sont les frères Hujdur, qui m'ont dit plus tard
23 qu'aucun message n'avait jamais été reçu de moi.
24 Maintenant, vous m'interrogez au sujet du 8 juin 1993. Je ne sais plus
25 exactement, mais c'était le matin, sans doute avant midi, que Josip
26 Marcinko et Berislav Pusic sont arrivés. Marcinko était furieux. Il nous a
27 donné l'ordre de rassembler nos affaires immédiatement parce qu'on allait
28 tout de suite nous emmener à l'Heliodrom. Il nous a dit que le reste de nos
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1 objets personnels pourraient être transportés ultérieurement en
2 camionnette.
3 Berko Pusic a demandé qui s'appelle Spomenka, et il m'a dit qu'une parente
4 à moi, qui était réfugiée à Split, chez des amis à Kastelj [phon],
5 m'envoyait ses amitiés. A ce moment-là, je lui ai rappelé que je lui avais
6 rendu visite un an plus tôt, quand il était à la faculté de droit.
7 Je suppose qu'il travaillait dans cette partie militaire du
8 département chargé de la recherche des personnes disparues ou à moins que
9 ce ne soit un travail qui se situait au niveau civil. Enfin, je ne saurais
10 vous dire exactement quelles étaient ses fonctions parce que quand mon père
11 a été libéré du camp de Bileca, son nom a été enregistré dans ce bureau, en
12 tout cas, dans un bureau destiné à apporter de l'aide aux victimes. Ce
13 bureau se trouvait dans le département de chirurgie, non loin du bureau
14 chargé des Bosniens. Je lui ai rappelé ce jour-là que je l'avais vu déjà,
15 un an avant et que quand j'étais allée le voir, j'avais rencontré Damir
16 Sipar. J'étais à la recherche de mon père, et je ne savais pas à ce moment-
17 là qu'il était à Bileca. C'était en juin 1992. Je lui ai dit aussi que je
18 le connaissais de vue avant la guerre et qu'il sortait souvent avec Ramiz
19 Djinovic à l'hôtel Neretva, ainsi qu'avec un autre homme qui s'appelait
20 Bozovic, si je ne me trompe pas. C'était le directeur d'une usine de
21 Mostar.
22 A cela, il m'a répondu que Kemo Bakije avait été tué, le nom de
23 famille c'est Bakije, et que Ramiz Djinovic avait perdu une jambe, qu'il
24 l'avait vu un jour où on le transportait, je ne sais plus d'où à où, mais
25 en tout cas, sur la rive gauche.
26 Il a ajouté qu'il existait une possibilité qu'on nous relâche assez
27 rapidement et que c'était en fait la raison pour laquelle on nous
28 transférait à l'Heliodrom.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui.
2 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Il y a
3 peut-être une erreur dans le compte rendu d'audience. Le témoin parlait du
4 fait qu'elle avait d'abord été voir M. Pusic. Elle a dit qu'elle n'était
5 pas sûre si c'était la partie civile ou militaire. Ici, dans le compte
6 rendu d'audience, on n'a que la partie militaire. Il s'agit de la page 59,
7 ligne 23.
8 M. MUNDIS : [interprétation] Merci d'avoir apporté cette correction au
9 compte rendu d'audience.
10 Q. Madame le Témoin, à plusieurs reprises au cours des dernières minutes,
11 vous avez parlé du "il" en utilisant ce pronom personnel, troisième
12 personne, "il" avait dit ceci, "il" avait vu ceci. Est-ce que vous pourriez
13 utiliser le nom de la personne dont vous parlez. C'est plus facile que
14 l'utilisation du prénom personnel "il," car ceci sème souvent la confusion
15 si on regarde le compte rendu d'audience par la suite.
16 R. Oui. J'espère que la partie dans laquelle j'ai à plusieurs reprises
17 utilisé ce pronom "il," n'est pas trop obscure. Je parlais à ce moment-là
18 de Berko Pusic.
19 Q. Soyons clairs. Vous nous avez dit que le 8 juin 1993, M. Pusic, ainsi
20 que Josip Marcinko étaient venus à la prison de Ljubuski; est-ce exact ?
21 R. Oui. En ce qui concerne Josip Marcinko, je savais qu'il avait une
22 position de responsabilité, que c'était un homme qui avait de l'influence
23 et qu'il était haut gradé dans la police militaire à la faculté de génie
24 mécanique. C'est ce que je savais à l'époque. Je ne peux pas garantir ceci,
25 quand je dis que je le savais, cela veut dire que je tiens cela de
26 quelqu'un.
27 Q. Ces deux personnes vous ont parlé à la prison de Ljubuski; qu'est-ce
28 qui s'est passé par la suite ?
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1 R. Après cela, nous nous sommes aussitôt préparées, et ils nous ont
2 placées dans une espèce de camionnette. Ils nous ont conduites à
3 l'Heliodrom.
4 Q. Est-ce que vous vous souvenez de l'heure et du jour où vous êtes
5 arrivée à l'Heliodrom ?
6 R. C'était le 8, je ne me souviens pas de l'heure précise, mais il faisait
7 très, très chaud. Nous étions assises dans une sorte de camionnette et le
8 soleil était brûlant. On sentait le soleil à travers les vitres. C'était
9 peut-être dans l'après-midi.
10 Q. Vous dites le 8, mais le 8 de quel mois, Madame, quelle année ?
11 R. Je m'excuse. Le 8 juin 1993.
12 Q. Plusieurs fois, vous avez dit "nous." "Nous avons été emmenées," "nous
13 avons été placées" dans une camionnette. Qui était avec vous ? Qui est allé
14 de la prison de Ljubuski à l'Heliodrom avec vous ?
15 R. Les membres de la police militaire. Ils étaient deux ou trois, je ne
16 suis plus sûre. Ils nous ont emmenées de Ljubuski à l'Heliodrom.
17 Q. Vous dites "nous." Qui y avait-il avec vous ?
18 R. Il y avait Selma, Bojana et moi-même, parce que Mirna et Mirzeta,
19 d'abord Mirna, elle avait été emmenée par le secrétaire de Mladen Misic.
20 Quant à Mirzeta, une certaine Jagoda, avec qui elle travaillait avant la
21 guerre, l'avait emmenée. Elle était de Stolac. Avant la venue des gens de
22 la Croix-Rouge, car elles n'ont pas été enregistrées par la Croix-Rouge.
23 Q. Madame Drljevic, pourriez-vous nous dire où vous avez été emmenées à
24 l'Heliodrom ?
25 R. Nous avons pris la route qui longe la colline de Varda, cette colline
26 qui surplombe l'Heliodrom. Nous avons franchi le portail, l'entrée. Nous
27 avons remis tous nos effets personnels aux gardes, qui les ont placés
28 quelque part. Ils nous ont rendu cela plus tard, les bijoux, les objets
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1 métalliques que nous avions. Après quoi, ils nous ont emmenées dans le
2 grenier d'un bâtiment. J'ai appris par la suite qu'on disait de ce bâtiment
3 que c'était le bâtiment central. A l'Heliodrom, avant la guerre, il y avait
4 une académie ou une école militaire, une école de l'air.
5 Q. Avant d'être emmenée à l'Heliodrom ce jour-là, le
6 8 juin 1993, aviez-vous auparavant été dans cette installation ?
7 R. Quand j'étais gamine, quand j'étais étudiante, j'y étais allée pour
8 aller voir l'école, mais je n'ai pas mémorisé l'agencement des bâtiments.
9 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, avec l'aide de M. le
10 Greffier, je demanderais qu'on montre au témoin la liasse de documents qui
11 porte le numéro P9020, et plus particulièrement la
12 page 6. Peut-on montrer au témoin la photo qui se trouve au bas de cette
13 page 6, avec le numéro ERN 02034740.
14 Q. Vous avez cette image à l'écran, Madame Drljevic ?
15 R. Je vois un document à l'écran. Il n'y a pas d'image; un document
16 seulement.
17 Q. Excusez-moi, c'est moi qui me suis trompé. Je veux, en fait, la page
18 12. Vous avez maintenant une image, une photographie à l'écran ?
19 R. Oui, je vois.
20 Q. Est-ce que nous pouvons voir la photo du bas.
21 Est-ce que vous reconnaissez ce qu'on voit sur cette
22 photographie ? Je rappelle, aux fins du compte rendu d'audience, le numéro
23 ERN 02034740. Est-ce que vous reconnaissez ce que vous voyez sur cette
24 photographie ?
25 R. Oui.
26 Q. Pouvez-vous --
27 R. Oui, je reconnais ce qu'on voit sur cette photographie. A l'époque, il
28 n'y avait pas de voitures. C'est dans ce bâtiment qu'ils m'ont emmenée le 8
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1 juin 1993.
2 Q. Ce --
3 R. Nous avons été emmenées dans le grenier. C'est là que nous sommes
4 restées.
5 Q. Très bien.
6 R. Vous voyez, ce sont les fenêtres qui sont plus petites que celles qu'il
7 y a au rez-de-chaussée et au premier étage. D'après ce qu'a dit un homme
8 qui avait été emprisonné en 1992, et à l'époque, il était libre - il
9 s'appelait Novica, c'était un Serbe. Il a dit que cela avait été réaménagé.
10 Jusqu'en 1992, cela n'avait été qu'une espèce de grenier où étaient gardés
11 les uniformes.
12 Q. Excusez-moi de vous interrompre, Madame. On voit plusieurs bâtiments
13 sur cette photo. Est-ce que vous pourriez nous dire duquel vous parlez ?
14 R. Je parle du premier bâtiment sur la droite. Un instant, s'il vous
15 plaît. C'est sans doute la fenêtre qui se trouve au milieu. Il y a quelque
16 chose juste en dessous.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Indiquez sur l'écran ce que vous dites.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Il s'agit de ce bâtiment-ci. Un instant, s'il
19 vous plaît. En toute probabilité, il s'agit de cette fenêtre-ci ou celle
20 d'à côté, à droite ou à gauche.
21 Il n'y avait pas, à l'époque, de voitures. Ici, c'est un terrain de
22 jeu.
23 M. MUNDIS : [interprétation] Est-ce que M. le Greffier peut nous aider.
24 Est-ce qu'on peut faire en sorte que le témoin apporte quelques
25 annotations, et nous allons saisir le cliché annoté.
26 Q. Très bien. Madame le Témoin, veuillez nous décrire ou expliquer les
27 annotations que vous avez apportées. Ces deux X, que représentent-ils ?
28 R. Je ne suis pas sûre, mais je pense qu'ici, si cette fenêtre représente
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1 le milieu du bâtiment, cela devrait être la fenêtre de la pièce dans
2 laquelle j'étais placée, parce que quand on sortait de l'escalier, c'était
3 à l'est. Cela ici c'est l'est. En d'autres termes, c'est la pièce juste en
4 face, et il y avait une pièce adjacente avec deux ou trois fenêtres. Je ne
5 suis pas sûre mais il est fort probable qu'il y avait que deux fenêtres.
6 Lorsqu'on arrivait sur le pallier, la porte donnait directement sur le
7 pallier et il y avait aussi à droite, une pièce où étaient gardés les
8 uniformes. Je pense avoir été claire.
9 Q. Je rappelle aux fins du compte rendu d'audience que ces deux croix
10 indiquent les fenêtres de la partie supérieure du bâtiment.
11 R. Non. Ce sont les deux fenêtres d'une pièce. C'est ce que j'ai annoté,
12 et je vais utiliser un cercle pour indiquer les fenêtres d'une autre pièce.
13 M. MUNDIS : [interprétation] Madame l'Huissière, veuillez rester un
14 instant, parce que je ne sais pas si nous allons vouloir apporter d'autres
15 annotations à cette photographie.
16 Q. Madame, pendant votre séjour à l'Heliodrom, est-ce qu'il y a d'autres
17 personnes qui ont été détenues dans le même bâtiment que celui où vous
18 étiez ?
19 R. Oui. Au rez-de-chaussée et au premier, il y avait des hommes. Au rez-
20 de-chaussée, il y avait beaucoup de gens qui étaient de Sovici et de
21 Doljani. Au premier étage, c'étaient surtout des hommes originaires de
22 Mostar, dans une partie du premier, et dans l'autre partie, c'étaient des
23 membres du HVO, qui se trouvaient là parce qu'ils avaient été condamnés
24 pour une infraction plus grave. S'ils étaient là, c'était pour cause de
25 vols. Il y avait une femme, Gosta, lui, il s'appelait Sabanac. Il l'avait
26 évincée de son appartement et lui se trouvait dans une pièce en dessous
27 d'elle. Cette pièce dans le couloir était séparée.
28 Q. Madame, je vais vous demander d'indiquer les différents endroits du
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1 bâtiment, pour autant que vous soyez en mesure de le faire, en soulignant
2 d'un trait les fenêtres au rez-de-chaussée, fenêtres des pièces où étaient
3 détenus les gens de Doljani et de Sovici.
4 R. Je ne peux pas vous le dire exactement. Je ne peux pas vous dire de
5 quelles fenêtres il s'agit, mais dans cette partie-ci du bâtiment.
6 Q. A nouveau --
7 R. Si vous faites face au bâtiment, c'est à gauche. C'est à droite par
8 rapport à l'entrée de ce bâtiment.
9 Q. C'est difficile à voir. Est-ce que vous pourriez tracer un trait en
10 dessous des fenêtres dont vous parlez au rez-de-chaussée ?
11 R. [Le témoin s'exécute]
12 Q. Vous avez également dit qu'au premier étage, il y avait surtout des
13 hommes de Mostar dans une partie de cet étage.
14 R. Oui.
15 Q. Je vous demande de tracer un trait continu sous les fenêtres pour
16 indiquer l'endroit où étaient détenus les hommes de Mostar.
17 R. [Le témoin s'exécute]
18 Q. Est-ce que vous vous souvenez ou est-ce que vous voyez sur cette
19 photographie où étaient détenus les hommes du HVO qui se trouvaient détenus
20 là en raison de condamnation, pour infractions ?
21 R. [Le témoin s'exécute]
22 Q. Pourriez-vous décrire cette annotation que vous venez de faire
23 indiquant l'endroit où étaient détenus les membres du HVO ?
24 R. Lorsqu'on montait les escaliers, sur la droite, les escaliers, en
25 dessous de nos fenêtres quand on fait face au bâtiment, il y avait une
26 partie du bâtiment qui était fermée par une porte métallique. Le pallier
27 était ouvert, mais sur la droite se trouvait cette porte métallique
28 derrière laquelle se trouvaient les hommes du HVO qui avaient été condamnés
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1 pour diverses infractions ou délits.
2 Je sais qu'un certain Gosto s'y trouvait, un jeune homme, parce qu'il avait
3 vendu des armes ou des munitions à quelqu'un. C'est de cela qu'il avait été
4 accusé. Il y avait des gens aussi qui avaient été accusés de vols.
5 En novembre 1993, le commandant adjoint de Ljubuski, Santic, a été
6 également emmené.
7 Q. Madame, avant d'abandonner cette photo, pourriez-vous nous dire s'il y
8 a d'autres emplacements, d'autres bâtiments qui figurent à propos desquels
9 vous avez certaines connaissances ?
10 R. Vous avez un bâtiment assez bas, je ne suis plus trop sûre. Je ne sais
11 pas si c'est celui-ci ou si c'est le bâtiment adjacent, en tout cas, à
12 côté. Parce que je pense qu'il y a le même bâtiment plus bas, mais je pense
13 que c'est le premier. C'est là que Stanko Bozic, le commandant, le
14 directeur du camp se trouvait.
15 A côté, je ne sais pas ce qui se trouvait dans ce bâtiment, mais je sais
16 que c'est là qu'en septembre, Josip Vrdoljak m'a interrogée.
17 Q. Madame, est-ce que vous pourriez entourer d'un cercle le bâtiment qui,
18 à votre avis, est le bâtiment où se trouvait le directeur du camp, Stanko
19 Bozic ?
20 R. [Le témoin s'exécute]
21 Q. Pourriez-vous dire, pour le compte rendu d'audience, de quelle couleur
22 est ce bâtiment sur la photo ?
23 R. Il est blanc et il a un toit gris en salonit [phon], c'est le matériau
24 utilisé. C'est un bâtiment d'un seul étage.
25 Q. Merci.
26 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, je vais demander qu'on
27 saisisse cette photo annotée par le témoin. Je ne sais pas si la Chambre va
28 vouloir que le témoin signe cette photo annotée, c'est faisable également.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Jusqu'à présent les témoins ont authentifié leurs
2 marques. On va demander à Madame de marquer son nom sur une copie, enfin de
3 marquer son nom de manière électronique.
4 LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Je constate qu'elle a marqué son nom en bas, à
6 droite.
7 M. MUNDIS : [interprétation] Nous demandons que soit saisi ce document et
8 qu'on lui donne un numéro IC, "in court".
9 Monsieur le Greffier, faites votre office.
10 M. LE GREFFIER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
11 C'est donc le premier du document IC, sous la référence IC-000001. Merci,
12 Monsieur le Président.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Combien de zéro, Monsieur le Greffier ?
14 M. LE GREFFIER : [interprétation] Quatre zéros avant le 1, Monsieur le
15 Président.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors tout le monde a noté qu'il y a quatre zéros
17 avant le 1.
18 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
19 Q. Bien, maintenant, Madame Drljevic, pourriez-vous nous dire, s'il vous
20 plaît, puisque vous nous avez décrit et vous avez annoté l'endroit sur la
21 photographie, l'endroit où vous avez été emmenée lorsque vous êtes arrivée
22 à l'Heliodrom. Pourriez-vous parler des conditions qui étaient les vôtres
23 lorsque vous êtes entrée dans la pièce et lorsqu'on vous a conduit dans
24 cette pièce pour la première fois ? Qu'est-ce que vous avez vu ? Qu'est-ce
25 qu'il y avait dans la pièce, et cetera ?
26 R. A l'Heliodrom, nous avons été reçus et conduits dans cette pièce par un
27 gardien. C'était un policier, et son nom de famille était Skender. Il nous
28 a conduit dans une pièce et en passant, nous avons vu plusieurs femmes dans
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1 une autre pièce. Mais notre pièce était fermée. Tout ce qu'il y avait,
2 c'était une petite fenêtre, et il a dit que nous ne devions pas communiquer
3 avec les autres femmes. Il avait fait ceci de façon très stricte et il leur
4 a dit la même chose. Mais si nous avions besoin d'aller aux toilettes, par
5 exemple, nous devions attendre sa venue pour qu'il ferme à clé la pièce
6 dans laquelle se trouvaient ces femmes-là pour que nous puissions sortir.
7 Ceci a duré pendant deux ou trois jours, et ensuite, ils ont ouvert la
8 porte et ont dit que nous pouvions communiquer avec les autres femmes qui
9 se trouvaient là.
10 Q. Madame Drljevic, avant d'oublier, je souhaite vous poser cette
11 question-ci. Combien de temps êtes-vous restée au total à l'Heliodrom,
12 après votre arrivée le 8 juin 1993 ?
13 R. Jusqu'au 17 décembre 1993, entre le moment où nous avons été détenues
14 et le moment où nous avons été relâchées, ils se sont écoulés 222 jours.
15 Q. Madame, vous nous avez précisé qu'il y avait déjà des femmes qui se
16 trouvaient dans le grenier de ce bâtiment lorsqu'on vous y a conduit. Vous
17 souvenez-vous environ de combien de femmes se trouvaient déjà à l'Heliodrom
18 et dans le grenier de ce bâtiment lorsque vous êtes arrivée le 8 juin
19 1993 ?
20 R. Cinq.
21 Q. Vous souvenez-vous des noms de ces cinq autres femmes ? Et si, Madame,
22 à aucun moment, pour protéger la vie de ces personnes, vous estimez qu'il
23 est important de protéger l'identité de ces personnes, nous pouvons passer
24 à huis clos partiel. Nous pouvons demander à la Chambre de faire cela.
25 R. Bien, seulement si nous allons parler de ces personnes en détail, mais
26 s'il s'agit simplement de citer leurs noms, cela n'est peut-être
27 nécessaire.
28 Q. Nous allons commencer par les noms --
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Dans ces cinq femmes dont vous allez citer les noms,
2 est-ce qu'il y a des femmes qui ont été victimes de mauvais traitements ou
3 c'étaient des femmes qui ont été simplement détenues ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Il y avait des femmes qui ont été victimes.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous prenons quelques secondes pour revenir en
6 audience à huis clos partiel.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel, Monsieur
8 le Président.
9 [Audience à huis clos partiel]
10 (expurgé)
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11 Pages 1063-1064 expurgées. Audience à huis clos partiel.
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21 [Audience publique]
22 M. LE JUGE ANTONETTI : En audience publique pour les quelques secondes qui
23 nous restent. Je me tourne vers M. Mundis. Vous comptez demain prendre
24 encore combien de temps pour votre interrogatoire principal ?
25 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, je vais revoir mes
26 notes ainsi que le compte rendu d'audience au cours de la nuit. Je vais
27 essayer d'avancer le plus rapidement possible. Comme vous le savez,
28 certainement, le témoin nous a fait un récit assez complet, détaillé
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1 aujourd'hui au niveau de sa déposition. Nous sommes déjà au-delà du temps
2 alloué pour ce qui a été dit par rapport aux résumés 65 ter. J'ai du mal à
3 faire une estimation. Mais je souhaite relire le compte rendu d'audience.
4 Je pense qu'il ne me faudrait pas plus d'une heure demain matin.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez communiqué, comme je l'avais demandé, des
6 documents que vous comptiez introduire. J'en ai compté plusieurs qui
7 peuvent être présentés au témoin. Est-ce que vous avez l'intention de les
8 lui présenter ?
9 M. MUNDIS : [interprétation] Encore une fois, Monsieur le Président, nous
10 allons revoir ceci, et compte tenu des principes directeurs édictés par la
11 Chambre, nous allons tenter de réduire le nombre de documents. Je ne pense
12 pas que toutes ces pièces seront montrées au témoin étant donné que les
13 Juges de la Chambre sont certainement au courant de cela. Nous avons fourni
14 la liste des pièces avant l'arrivée du témoin à La Haye, et il y a
15 certaines de ces pièces que nous n'allons peut-être pas montrer au témoin
16 suite à la séance de récolement que nous avons avec eux ou avec elles. Nous
17 essayons sans cesse de réduire le nombre de pièces. Je ne peux pas dire
18 avec certitude quelles pièces seront montrées, mais je puis vous assurer
19 que toutes les pièces ne seront pas montrées au témoin demain matin.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Il y a plusieurs pièces dont certaines émanent de la
21 main du témoin. Il y a des lettres qui sont signées par elle-même. Je tiens
22 à rappeler que si des pièces ne sont pas présentées au témoin alors que le
23 témoin est présent, il ne sera pas question ultérieurement de venir nous
24 faire une requête écrite pour l'admission de ces pièces. C'est bien
25 compris ?
26 M. MUNDIS : [interprétation] Oui, complètement. Je vous ai parfaitement
27 compris, Monsieur le Président.
28 M. LE JUGE ANTONETTI : Maître Karnavas, en quelques secondes.
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1 M. KARNAVAS : [interprétation] Simplement une seconde. Je ne souhaitais pas
2 interrompre M. Mundis, mais à la page 57, ligne 17, il y a peut-être une
3 erreur de traduction. Nous avons ici premier ministre au lieu de président
4 du gouvernement. Est-ce que l'on peut vérifier ? Je ne voulais pas
5 interrompre l'échange. A la page 57, ligne 17, s'il vous plaît. Je demande
6 à ce que ceci soit vérifié.
7 Peut-être encore une autre remarque, si je puis ici me rendre utile.
8 Lorsque le témoin montre quelque chose ou annote quelque chose, peut-être
9 qu'il serait bon que la personne qui pose la question dise simplement, ceci
10 est maintenant consigné au compte rendu d'audience. Ceci nous permettrait
11 d'avancer plus rapidement. Merci, Monsieur le Président.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Il est 19 heures 10. Comme vous le savez, nous nous
13 retrouverons demain à 9 heures.
14 --- L'audience est levée à 19 heures 07 et reprendra le mercredi 3 mai, à
15 9 heures.
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