Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 16 mai 2006

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 06.

5 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appeler le numéro de

6 l'affaire.

7 M. LE GREFFIER : Je vous remercie, Monsieur le Président. Bonjour à tous.

8 Affaire numéro IT-04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts.

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier. En ce mardi, 16 mai

10 2006, je salue toutes les personnes présentes. Mais comme il y a un nouveau

11 au banc de l'Accusation, je vais demander à M. Mundis de présenter son

12 collègue.

13 M. MUNDIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

14 Pieter Kruger est ici présent aujourd'hui et nous avons une nouvelle

15 commise, Mme Kim Fischer.

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Je regarde le banc de la Défense. Il n'y a pas de

17 changement. On va gagner du temps.

18 Je crois qu'il y a une rectification à la suite d'une demande de versement

19 de pièces. Maître Karnavas, je crois qu'il y a eu une petite erreur. Je

20 vous donne la parole pour repréciser les numéros des pièces.

21 M. KARNAVAS : [interprétation] Fort bien, Monsieur le Président. 1D 00417,

22 c'était un article de journal où on parlait de l'ambassadeur Hubert Okun,

23 puis 1D 00418, projet de convention dans le cadre de la Conférence de la

24 Communauté européenne. C'est tout.

25 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier.

26 M. LE GREFFIER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

27 Une précision. Ces deux pièces versées le 11 mai seront 1D 00417 et 00418,

28 et non pas respectivement les pièces qui avaient porté à l'époque les cotes

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1 1D 00416 et 417. Je répète au cas où je n'aurais pas été clair : les deux

2 pièces portent désormais les cotes respectives 00417 et 418. Merci.

3 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

4 Bien, nous allons introduire le témoin.

5 Monsieur Mundis.

6 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, nous demandons

7 également que les deux séquences vidéos 7437 et 1015 soient versées au

8 dossier.

9 M. KARNAVAS : [interprétation] Simplement pour que ce soit consigné au

10 compte rendu, objection renouvelée en fonction de l'article 89(D) pour que

11 ceci ne soit pas accepté car c'est plus préjudiciable qu'ayant une valeur

12 probante.

13 M. MUNDIS : [interprétation] Est-ce que cette objection s'applique aux deux

14 vidéos, à l'une ou à l'autre ?

15 M. KARNAVAS : [interprétation] A une seule. Je crois avoir été très clair :

16 il s'agit de l'interview de mon client M. Prlic, là il n'y a pas

17 d'objection du tout. C'est l'autre qui suscite mon objection parce qu'en

18 fait elle avait été réalisée en fonction des objectifs recherchés. Merci.

19 M. LE JUGE ANTONETTI : Les Juges vont en délibérer et nous vous dirons ce

20 que nous aurons décidé.

21 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

22 M. LE JUGE ANTONETTI : Bonjour, Madame. Je vais d'abord vérifier que vous

23 entendez bien dans votre langue la traduction de mes propos. Si c'est le

24 cas, dites que vous me comprenez.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je comprends.

26 M. LE JUGE ANTONETTI : Madame, vous avez été citée par le Procureur afin de

27 témoigner. Avant de vous faire lire votre prestation de serment, je vous

28 demande de bien vouloir nous indiquer votre nom, prénom, et date de

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1 naissance.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Fata Kaplan. Je suis née en 1949,

3 tout près de Mostar; aujourd'hui, j'habite tout près de Stolac.

4 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Avez-vous, Madame, une profession ou vous

5 êtes sans profession ?

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis ménagère.

7 M. LE JUGE ANTONETTI : Avez-vous, Madame, témoigné déjà devant ce Tribunal

8 ou c'est la première fois que vous venez témoigner ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est la première fois aujourd'hui.

10 M. LE JUGE ANTONETTI : Dans votre pays, est-ce que vous avez déjà témoigné

11 devant un Tribunal dans votre pays ?

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

13 M. LE JUGE ANTONETTI : Devant quel tribunal ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Un tribunal à Mostar. Je sais simplement que

15 c'était à Mostar -- dans notre pays, à Mostar.

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Pouvez-vous lire le serment ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

18 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

19 LE TÉMOIN : FATA KAPLAN [Assermentée]

20 [Le témoin répond par l'interprète]

21 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.

22 Madame, vous allez devoir dans quelques instants répondre à des questions

23 que le représentant de l'Accusation qui est situé à votre droite et que

24 vous avez dû rencontrer des questions qui vont vous être posées.

25 L'Accusation, hier, m'a dit qu'elle aura besoin d'un temps de l'ordre de

26 deux heures pour poser ses questions. Une fois que les questions auront été

27 posées, les avocats des accusés, qui sont situés à votre gauche, qui sont

28 très nombreux, mais, en réalité, il y en aura au maximum que six, qui vous

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1 poseront dans les mêmes limites de temps des questions dans le cadre de ce

2 qu'on appelle dans notre langue juridique le contre-interrogatoire. Vous

3 apercevez que la forme des questions sera très différente de celles qui

4 vous auront été antérieurement posées par l'Accusation.

5 Si vous éprouvez à un moment donné une difficulté, n'hésitez pas à m'en

6 faire part afin de tenter de régler la difficulté.

7 Comme l'audition peut être fatigante pour le témoin, nous ferons des pauses

8 toutes les heures et demie. Donc, nous aurons une pause dans maintenant une

9 heure et quart. Il est prévu qu'on s'arrêtera aux environs de midi 20

10 pendant une heure et demie afin de vous permettre de vous restaurer, et

11 ensuite, nous reprendrons l'audience en début d'après-midi.

12 Voilà, de manière très générale comment va se dérouler cette journée

13 d'audience. Je rappelle que vous avez prêté serment de dire toute la vérité

14 ce qui exclut évidemment tout faux témoignage.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, rien que la vérité.

16 M. LE JUGE ANTONETTI : Je crois que c'est M. Mundis qui va vous poser les

17 questions, donc, je lui laisse la parole.

18 M. MUNDIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Mme

19 l'Huissière pourrait-elle nous aider ? Pourrait-elle déplacer le

20 rétroprojecteur parce que je ne le vois pas le témoin ? Merci d'avance.

21 Interrogatoire principal par M. Mundis :

22 Q. [interprétation] Madame Kaplan, pourriez-vous dire aux Juges de la

23 Chambre quelle est votre vie, donnez-nous quelque détail quant à votre vie

24 et à celle de votre famille ?

25 R. J'habite dans un village et je travaille la terre. J'ai trois enfants,

26 et nous savons ce qui est arrivé à un de mes enfants. Nous sommes des

27 agriculteurs. Personne ne fait autre chose ailleurs. Voilà comme cela se

28 passe.

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1 Q. Dans quel village vivez-vous ?

2 R. J'habite un Pjesivac Greda, c'est près de Stolac.

3 Q. Madame Kaplan, vous vivez à Pjesivac Greda, près de Stolac depuis

4 combien de temps ?

5 R. J'y habite de puis 35 ans. C'est quand je me suis mariée que je suis

6 allée dans ce village et c'est là que j'habite depuis.

7 Q. Pourriez-vous nous dire plus exactement où se trouve Pjesivac Greda ?

8 R. Pjesivac Greda se trouve entre Stolac et Capljina.

9 Q. Est-ce que cela fait partie du plateau de Dubrava ?

10 R. Oui, oui. Tout à fait. C'est exactement là que cela se trouve.

11 Q. Pourriez-vous nous décrire la vie à Pjesivac Greda dans les années 1980

12 et jusqu'en 1990 ?

13 R. Qu'est-ce que je peux vous décrire ? C'est un village ordinaire. Vous

14 avez à quoi ressemble un village. Bien, c'est comme cela chez nous.

15 Q. Qui est-ce qui habitait dans ce village ?

16 R. Nous vivions, il y avait des Musulmans et des Croates.

17 Q. Quels étaient les rapports entre les Musulmans de Bosnie et les

18 Bosniens et les Croates dans ce village dans les années 1980 jusqu'en

19 1990 ?

20 R. Je vais vous le dire franchement : c'était des très bons rapports. Nous

21 avons vécu, travaillé ensemble, on faisait tout ensemble.

22 Q. Est-ce qu'il y avait plusieurs hameaux à Pjesivac Greda ?

23 R. Oui, oui, oui, il y en avait beaucoup. Il y avait la partie du haut,

24 puis Pjesivac Kula, et notre hameau à nous il s'appelle Pjesivac Greda.

25 Q. Est-ce qu'il y avait un seul groupe ethnique par hameau ou est-ce qu'il

26 y avait plusieurs groupes ethniques représentés dans chaque hameau ?

27 R. Il y avait un hameau croate puis un hameau musulman, et c'est comme

28 cela que c'était réparti. Il y avait des Serbes, mais ils étaient en

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1 minorité, il n'était pas nombreux.

2 Q. Pourriez-vous nous dire comment la situation a changé au début des

3 années 1990 ?

4 R. Cela a change, cela a empire parce qu'ils se sont mis d'un côté, ils

5 étaient séparés de nous, nous, nous étions séparés d'eux, qu'est-ce qu'on

6 pouvait y faire.

7 Q. Vous dites qu'ils se sont mis d'un côté, ils étaient séparés de nous et

8 nous, nous étions séparés d'eux. Est-ce que vous pourriez nous expliquer ce

9 que vous voulez dire par là ?

10 R. Avant la guerre, tout allait bien. On vivait ensemble. On travaillait

11 ensemble donc nous étions tous ensemble. Mais après, une fois la guerre à

12 éclaté eux ils s'occupaient de leurs propres affaires. Ils étaient mieux

13 informés que nous. Nous, on ne savait rien.

14 Q. Vous dites ils étaient mieux informés.

15 R. Les Croates.

16 Q. Est-ce que vous vous souvenez du début de la guerre à où aux alentours,

17 quand est-ce qu'elle a éclaté ?

18 R. Oui, je m'en souviens.

19 Q. Pourriez-vous nous raconter ce qui s'est passé ?

20 R. Ce qui s'est passé c'est qu'il y a un côté qui commence à tirer des

21 coups de feu. On commençait à se battre à piller, à voler des choses dans

22 nos maisons, à nous mettre en prison, et ainsi de suite.

23 Q. Parlons de vos enfants. Vous avez déjà dit que vous aviez trois

24 enfants. Dites-nous si vous avez des filles ou des garçons et quel âge ils

25 avaient ?

26 R. J'ai un fils qui est né en 1971, mon autre fils, lui il est né en 1977.

27 J'ai une fille qui est née en 1969. J'avais une autre fille, c'est pour

28 elle que je suis ici venue témoigner, elle a été tuée. C'était ma quatrième

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1 enfant.

2 Q. Est-ce qu'à un moment donné un de vos fils est allé rejoindre des

3 forces armées ?

4 R. Oui, c'était mon aîné. Il a rejoint le HVO lorsque les Serbes se sont

5 retirés du plateau, c'est à ce moment-là qu'ils sont allés au HVO, ils

6 étaient ensemble sur la ligne de front.

7 Q. Lorsque votre fils a rejoint le HVO, est-ce que vous saviez qui le HVO

8 combattait pour autant qu'il combatte quelqu'un ?

9 R. Il luttait contre les Serbes.

10 Q. Les combats entre les Serbes et le HVO, quand ont-ils commencé ?

11 R. En 1972, oui, en 1972.

12 Q. Je ne suis pas sûr de l'année, peut-être que l'année n'est pas bien

13 mentionnée au compte rendu. Pourriez-vous nous dire au cours de quelle

14 année ces combats entre le HVO et les Serbes ont commencé ?

15 R. En 1971 ou en 172, puis, excusez-moi, en 1983, oui c'était en 1982.

16 Q. Est-ce que ce n'était pas en 1992, Madame ?

17 R. Oui, excusez-moi.

18 Q. Ce n'est pas grave. Est-ce que vous vous souvenez de la durée

19 approximative de ces combats dans votre village, aux alentours, combats

20 entre le HVO et les Serbes. Ils ont duré combien de temps ces combats ?

21 R. Pas très longtemps. Ils ne se sont pas battus si longtemps, peut-être

22 six mois. Je ne sais pas si cela a duré toute une année. Ils ont simplement

23 monté la garde, ils allaient sur la ligne de front, mais il n'y a pas

24 vraiment beaucoup d'affrontements ou d'accrochages.

25 Q. Votre fils aîné, qui était dans les rangs du HVO et qui combattait les

26 Serbes, est-ce que vous savez combien de temps il est resté dans le HVO ?

27 R. Sept ou huit mois, puis il était blessé. Il a été hospitalisé à Split.

28 Il n'est plus retourné au front.

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1 Q. Une fois ces combats entre le HVO et les Serbes, une fois ces combats

2 terminés, est-ce que la paix est revenue sur le plateau ?

3 R. Oui, pendant six mois ou un an à peu près, mais pas après.

4 Q. Qu'est-ce qui s'est passé après, après ces six mois, après ces douze

5 mois de paix ?

6 R. Ils sont partis ensemble. Ils ont travaillé jusqu'au moment où ils sont

7 de nouveau séparés.

8 Q. Quand est-ce qu'ils ont commencé de nouveau se séparer ?

9 R. Cela c'était en 1992 ou 1993, le 2 juillet 1993, c'est à ce moment-là

10 qu'ils ont commencé à séparer les hommes des femmes, des enfants et des

11 personnes âgées. C'était le 2 juillet 1993.

12 Q. Est-ce que vous vous souvenez du moment où cette séparation a commencé

13 cette année-là ?

14 R. C'était en 1993, le 2 juillet.

15 Q. Le 2 juillet 1993, Madame Kaplan, il y avait combien de gens qui

16 habitaient avec vous dans votre maison ?

17 R. En fait, il y avait 13 familles, il y avait environ chez moi dans ma

18 maison 14 personnes, mais en tout dans le hameau il y avait 13 familles.

19 Q. Vous parlez des 14 personnes qui vivaient dans votre maison, qui

20 étaient ces personnes ?

21 R. Oui. Il y avait deux familles on habitait ensemble, deux frères et

22 leurs familles, cela c'est avant la guerre. Donc c'était des familles de

23 ces deux frères.

24 Q. Ces deux frères qui étaient-ils ?

25 R. C'était Hamzo et Salko Kaplan.

26 Q. Madame Kaplan, qui est Hamzo Kaplan ?

27 R. C'est mon époux.

28 Q. Alors, pourrait-on dire que le 2 juillet 1993, vous, votre mari, vos

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1 enfants, votre beau-frère avec les membres de sa famille vous viviez tous

2 dans cette même maison ?

3 R. Oui, c'est cela.

4 Q. Madame Kaplan, est-ce que vous êtes en mesure de nous dire ce qui s'est

5 produit le 2 juillet 1993 à Pjesivac Greda ?

6 R. Je vais vous l'expliquer. C'était vers 7 heures du matin, tôt, une

7 armée est arrivée, des militaires. Il y en avait beaucoup. Ils ont commencé

8 à rassembler des gens, les hommes. Ils ont dit : "On ne va pas vous garder

9 ici longtemps. Il y avait des militaires en haut du village, et puis

10 d'autres en bas, donc on n'a pas pu s'enfuir et ils ont ramassé ceux qu'ils

11 ont pu, puis, ils les ont emmenés avec des camions dans des camps.

12 Q. Je vais vous poser quelques petites questions pour préciser cela.

13 R. Je vous en prie.

14 Q. Madame Kaplan, vous dites que des soldats sont arrivés; vous souvenez-

15 vous des vêtements que portaient ces soldats ?

16 R. C'étaient des uniformes bariolés avec des casquettes. Il y avait des

17 insignes, mais je n'arrive pas à me souvenir desquels parce qu'ils

18 rassemblaient des gens, et nous, on s'enfuyait, on courait, donc je sais

19 juste que c'étaient des uniformes bariolés et des casquettes.

20 Q. Madame, savez-vous à quelle armée ils appartenaient ?

21 R. Après, j'ai appris qu'il y avait des hommes de la municipalité de

22 Stolac et de Capljina et qu'il y avait de nos hommes qui se sont joints à

23 eux. Il y avait des gens de Croatie qui se sont joints.

24 Q. Madame Kaplan, le 2 juillet 1993, il y avait combien de soldats parmi

25 les hommes qui vivaient dans votre maison ?

26 R. Mon fils, et il y avait le fils de mon beau-frère qui était également

27 dans le HVO, puis mon mari faisait partie de la Défense territoriale et

28 c'était un civil qui avait creusé des tranchées, creusé -- enfin, faire ce

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1 qui était nécessaire.

2 Q. Vous venez de nous dire, page 10, lignes 21 à 23 : "Ils ont rassemblé

3 les gens et ils les ont emmenés dans des camps à bord de camions."

4 R. Oui, c'est cela.

5 Q. Ma première question : qui a rassemblé ces gens ?

6 R. Des militaires --

7 Q. Et --

8 R. -- des militaires du HVO.

9 Q. Madame Kaplan, qui étaient ces gens qui ont été rassemblés ? Qui ?

10 R. C'étaient mes proches, des Kaplan ou d'autres Bosniens de ces deux ou

11 trois villages; enfin, ceux qu'ils ont pu prendre, ils les ont arrêtés.

12 Q. Vous dites qu'ils les ont tous capturés. Vous voulez dire, Madame

13 Kaplan, qu'ils ont pris hommes, femmes, enfants, ou uniquement des hommes,

14 uniquement des femmes ?

15 R. Uniquement des hommes de mon village. Vous voulez que je vous cite des

16 noms ?

17 Q. Oui, si vous vous souvenez des noms. Qui ont-ils pris ce jour-là ?

18 R. Nom, prénom et également le nom des parents ? Que voulez-vous que je

19 vous donne ?

20 Q. Madame Kaplan, tout ce dont vous vous souvenez nous sera utile.

21 R. Kaplan Ismet, fils de Mujo; Kaplan Samir, fils de Hasan; Kaplan Camil,

22 fils de Omer; Kaplan Ale, fils de Osman; Kaplan Murat, fils de Salko;

23 Kaplan Hamzo, mon mari; il a été emmené lui aussi de la colline. C'est pour

24 ce qui est tous les Kaplan qui ont été emmenés en un seul jour.

25 Q. Qu'est-il advenu de ces gens qui ont été emmenés le

26 2 juillet 1993 ?

27 R. Ils les ont mis dans les voitures, en bas, dans le voisinage, et puis,

28 ils les ont emmenés au camp à Dretelj.

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1 Q. D'après vos souvenirs, ces gens sont restés pendant combien de temps à

2 peu près à Dretelj, au camp ?

3 R. Pour certains deux mois, pour d'autres trois mois. Pour d'autres, pour

4 les derniers, jusqu'à neuf mois, jusqu'à ce que le dernier sorte.

5 Q. Madame Kaplan, parmi ces gens que vous avez mentionnés, je ne vois pas

6 votre beau-frère Salko Kaplan, lui aussi a-t-il été aussi emmené; sinon,

7 pourquoi ?

8 R. Il n'a pas été emmené ce jour-là. C'est plus tard qu'ils l'ont emmené

9 cependant, pas le 2 juillet, mais c'est plus tard, le 13 juillet, et je

10 vous dirai pourquoi.

11 Q. Madame Kaplan, je vous invite à parler de la journée du 13 juillet. Que

12 s'est-il passé ce jour-là ?

13 R. C'est affreux, mais je vais vous répondre. Le 13 juillet vers 2 heures

14 de l'après-midi, j'étais chez moi, et mon beau-frère Salko et ma belle-

15 sœur, sa femme, étaient chez moi ainsi qu'un petit enfant de cinq ans et on

16 était au rez-de-chaussée. J'entends quelque chose et j'appelle mon beau-

17 frère et je dis : "Mais qu'est-ce qu'on entend ?" Il me dit : "Mais sors."

18 Donc, je sors, je vois plein de gens, des hommes, des femmes, des enfants

19 et ils avancent vers notre maison. Je lui dis : "Mais il y a plein de gens

20 et il y a des soldats, des militaires," et mon beau-frère me dit : "Laisse-

21 les." Puis, on nous a dit qu'il fallait qu'on sorte. On est sortis, et cet

22 homme nous a demandé s'il y avait quelqu'un à l'étage et on lui a répondu :

23 "Je ne sais pas exactement, on va vérifier." Lorsque ma fille a entendu

24 qu'ils nous criaient dessus, elle a descendu l'escalier et elle est venue

25 vers nous, et ma belle-sœur Sanida a dit : "Prends tes vêtements, il faut

26 qu'on parte. Elle dit : "Mais où va-t-on ?" Elle s'est présentée à ce

27 soldat : "Mais vous avez emmené les hommes, pourquoi voulez-vous nous

28 emmener ?" Lui, il lui a tiré dessus une rafale de feu et il l'a tuée.

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1 C'est ce qui s'est passé, c'est exact.

2 Q. Madame Kaplan, quel était l'âge de Sanida, ce jour-là, le 13 juillet

3 1993 ?

4 R. Dix jours plus tard, elle aurait fêté ses 18 ans. C'était le 24

5 juillet, elle allait avoir 18 ans. Vous pouvez vérifier cela; 13 jours lui

6 ont manqué pour fêter son 18e anniversaire.

7 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, avec l'aide du

8 Greffier, je voudrais que l'on voie une photographie, 9067. Peut-on la

9 présenter ? On l'a sur le système électronique.

10 Q. Madame Kaplan, voyez-vous à l'écran cette photographie ?

11 R. Je la vois, c'est ma fille. Je la reconnais. C'est une blessure

12 profonde, mais il faut que je la voie.

13 Q. Madame Kaplan, que vous est-il arrivé après cet incident, lorsque votre

14 fille a été tuée ?

15 R. J'ai dit à ce soldat qu'il me laisse la regarder encore un petit peu,

16 et il m'a dit : "Non, tu n'as pas le droit." Donc, je suis partie vers la

17 sortie et je me suis retournée et je l'ai vue. Elle gisait dans le sang,

18 elle était morte. J'ai rejoint ce groupe qui partait, le groupe qui était

19 chassé, des Bosniens.

20 Q. Vous venez de nous dire que c'étaient des Bosniens qui vous chassaient.

21 Qui était-ce ?

22 R. Non. Non. Nous, des Bosniens, on devait partir, mais c'est l'armée, les

23 militaires qui nous chassaient, qui chassaient les Bosniens, les Musulmans.

24 Ils nous chassaient de notre village. Vérifiez cela.

25 Q. Madame Kaplan, d'après vous, à quelle armée appartenaient ces soldats ?

26 R. Ils étaient du HVO. HVO.

27 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, avec l'aide de

28 l'Huissière, je voudrais présenter trois photographies au témoin, trois

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1 photographies qui n'ont pas été enregistrées dans le système électronique.

2 Nous avons des impressions papier, 9554, 9555 et 9556. Je vais commencer

3 par la photographie 9556, s'il vous plaît.

4 Q. Madame Kaplan, sur votre droite, je pense que vous devriez voir une

5 photographie. Voyez-vous une photographie ?

6 R. Oui, je la vois.

7 Q. Pouvez-vous décrire aux Juges de la Chambre ce que vous voyez sur cette

8 photographie 9556 ?

9 R. Je vois une maison. C'était notre maison, et je vois que tout est

10 pareil autour. Est-ce que je peux montrer avec ma main ?

11 Q. Sur votre droite, vous voyez la photographie, vous pouvez donc montrer

12 sur la photographie qui est sur cette machine à côté de vous, cet appareil.

13 R. Cela, c'est la maison. C'est cela. On passe par ici --

14 Q. Pourrais-je juste --

15 R. Là, on a l'entrée. C'est par là qu'on entrait, et elle, elle descendait

16 depuis cette maison-là jusqu'à cette porte-ci, et c'est là qu'ils l'ont

17 tuée. Elle est restée morte ici, entre la fenêtre et la porte, donc ici.

18 Nous -- c'est cela. On voit tout. Je peux tout expliquer. Je sais que

19 c'est ma maison.

20 Q. Madame Kaplan, juste pour le compte rendu d'audience, si vous pouviez

21 prendre ce feutre rouge, est-ce que vous pouvez inscrire une croix, un X,

22 du côté où se trouve votre maison, sur la maison ? Vous pouvez inscrire un

23 X sur la photo. Vous pouvez écrire sur la maison représentée.

24 R. Sur la photo.

25 Q. Oui, s'il vous plaît.

26 R. Il faut que ce soit plus grand ou plus petit.

27 [Le témoin s'exécute]

28 Q. Je pense que l'on voit bien le X. C'est bon. Madame Kaplan, vous avez

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1 montré d'autres détails sur cette photographie. Pouvez-vous le refaire,

2 s'il vous plaît, et à chaque fois que vous nous montrez quelque chose, est-

3 ce que vous pouvez vous arrêter un instant ?

4 R. Cela, c'est la maison. Cela, c'est la cour. Cela, c'est l'étage

5 inférieur. Cela, c'est l'étage supérieur. Voyez-vous l'escalier ? Devant,

6 il y a une toute petite maisonnette. Cela, ce sont les marches de

7 l'escalier, et cela est l'entrée qui mène vers la cour. Cela, c'est

8 l'escalier qu'elle a emprunté. Elle est descendue, et c'est ici qu'on l'a

9 tuée.

10 Q. Encore une fois, Madame Kaplan, il faudrait qu'on inscrive des choses

11 sur la photographie. Est-ce que vous pouvez encercler l'escalier ? Vous

12 nous dites que Sanida est descendue en empruntant cet escalier. Vous pouvez

13 l'encercler, s'il vous plaît ?

14 R. [Le témoin s'exécute.

15 Q. On a du mal à voir. Il faudrait peut-être qu'on change de feutre.

16 R. [Le témoin s'exécute]

17 Q. Très bien. Madame Kaplan, nous avons d'autres photographies que je vais

18 vous montrer, mais pourriez-vous inscrire vos initiales, s'il vous plaît,

19 ainsi que la date d'aujourd'hui en marge de cette photographie ?

20 R. [Le témoin s'exécute]

21 Q. Pouvez-vous également mentionner la date d'aujourd'hui, le 16 mai

22 2006 ?

23 R. [Le témoin s'exécute]

24 Q. Je vous remercie, Madame Kaplan.

25 M. MUNDIS : [interprétation] Peut-on voir à présent la pièce 9555 ? Peut-on

26 la présenter au témoin ?

27 Q. Madame Kaplan, reconnaissez-vous la photographie qui porte la cote P

28 9555 ?

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1 R. Oui, je la connais.

2 Q. Que voyez-vous sur cette photographie ?

3 R. Je vois l'escalier, je vois la barrière, je vois qu'il y a la porte, la

4 fenêtre, une table, des fleurs. C'est l'aspect actuel d'aujourd'hui.

5 Q. Encore une fois, est-ce que vous pourriez tracer un cercle autour de

6 l'escalier, s'il vous plaît, Madame Kaplan, en vous servant de ce feutre

7 large, épais ?

8 R. [Le témoin s'exécute]

9 Q. Est-ce que vous voyez l'endroit où vous étiez vous-même au moment où

10 votre fille Sanida a été tuée ?

11 R. Ici. Vous voulez que je dessine quelque chose ?

12 Q. Oui, s'il vous plaît. Est-ce que vous pouvez tracer un X ?

13 R. Voici. J'étais là, debout. Il y avait mon beau-frère et des enfants.

14 Nous étions tous ici, à côté de cet X. Elle a descendu par là jusqu'à la

15 porte.

16 Q. Lorsque vous dites : "Elle est descendue par là et elle est arrivée

17 jusqu'à la porte," le "elle", c'est qui ?

18 R. C'est ma fille, Sanida, qui a été tuée.

19 Q. Madame Kaplan, Sanida, elle se trouvait où, à quel endroit, au moment

20 où elle a été tuée ?

21 R. En haut, ici, à l'étage.

22 Q. Après, où est-ce qu'elle est allée ?

23 R. Elle est descendue l'escalier, et ma belle-soeur a dit : "Sanida,

24 allons-y." Sanida a dit : "Mais où va-t-on ?" Mais je vous ai déjà dit

25 cela. Donc, elle a dit : "Où va-t-on ?" Elle lui a dit : "On y va." Elle

26 s'est opposée à ce soldat en disant, mais elle a dit : "Où va-t-on ? Où

27 veux-tu nous emmener, emmener des hommes ?" C'est là qu'il l'a tuée. C'est

28 là qu'elle est restée, elle gisait là devant ses portes, morte.

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1 Q. Est-ce que vous pouvez inscrire SK à l'endroit sur cette photographie

2 où est tombé le corps de votre fille quand on lui a tiré dessus ?

3 R. [Le témoin s'exécute]

4 Q. Madame Kaplan, est-ce que vous pouvez inscrire vos initiales ainsi que

5 la date d'aujourd'hui dans les marges, les marges blanches de la

6 photographie ?

7 R. [Le témoin s'exécute]

8 Q. La date d'aujourd'hui s'il vous plaît, le 16 mai 2006.

9 R. [Le témoin s'exécute]

10 Q. Avant que l'on nous reprenne la photographie, une autre question.

11 Madame Kaplan, savez-vous qui a tué par balle votre fille, Sanida, qui a

12 abattu votre fille ?

13 R. À l'époque, je ne savais pas, mais, un mois ou deux mois plus tard, je

14 l'ai appris. Ces femmes m'ont dit que c'était un homme qui était le

15 commandant dans leur hameau, ils le connaissaient. Ils m'ont dit que

16 c'était lui, Dragan.

17 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas compris le nom de la personne --

18 M. MUNDIS : [interprétation]

19 Q. Pouvez-vous répéter le nom ?

20 R. Dragan Bonojza.

21 Q. Madame Kaplan, pour le compte rendu d'audience, est-ce que vous pouvez-

22 vous épeler le nom de famille ce cette personne, si vous connaissez ce

23 nom ?

24 R. B-O-N-O-J-Z-A, Bonojza. C'est son nom de famille.

25 Q. Je vous remercie, Madame Kaplan. A l'époque, au moment où Dragan

26 Bonojza a battu votre fille Sanida, où était-il ?

27 R. Je vais inscrire cela.

28 Q. Tout d'abord, si vous pouviez --

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1 L'INTERPRÈTE : Le témoin est inaudible.

2 M. MUNDIS : [interprétation]

3 Q. Pouvez-vous inscrire ces initiales, DB, à l'endroit où Dragan Bonojza

4 s'est trouvé au moment où il a abattu votre fille ?

5 R. [Le témoin s'exécute]

6 Ici, juste à côté de cette lettre.

7 Q. Quelle était la distance -- à quelle distance se tenait-il, Dragan

8 Bonojza, quand il a abattu votre fille Sanida ?

9 R. Un mètre, 1 m 20, pas plus. Cela ne pourrait pas être plus, on était

10 tous là.

11 Q. Madame Kaplan, vous avez dit au Président de la Chambre que vous êtes

12 déjà venue déposer dans une affaire à Mostar, c'était au sujet de la mort

13 de votre fille, Sanida; c'est bien cela ?

14 R. Oui.

15 Q. Étiez-vous dans le prétoire au moment où on a prononcé le verdict dans

16 l'affaire contre Dragan Bonojza ?

17 R. Oui, je l'étais.

18 Q. A quel moment a eu lieu ce procès contre Dragan Bonojza ?

19 R. Je n'arrive pas à me souvenir de la date.

20 Q. Je ne peux pas.

21 Q. Vous vous souvenez à peu près si c'était il y a un an, il y a cinq ans,

22 il y a dix ans ?

23 R. Cela fait dix ans. Je pense que cela fait à peu près deux ans.

24 Q. Quel a été le verdict dans cette affaire contre Dragan Bonojza à

25 Mostar ?

26 R. Il a été condamné à neuf ans de prison comme meurtrier.

27 M. MUNDIS : [interprétation] Nous pouvons reprendre la photographie, s'il

28 vous plaît.

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1 Q. Madame Kaplan --

2 M. MUNDIS : [interprétation] Pouvez-vous également déplacer le

3 rétroprojecteur, s'il vous plaît ?

4 Q. Madame Kaplan, je voudrais savoir ce qui vous est arrivé tout de suite

5 après le moment où votre fille a été tuée; pouvez-vous, s'il vous plaît,

6 nous le dire ce qui s'est passé après qu'on ait abattu votre fille ?

7 R. Je peux vous dire que j'étais à côté d'elle. Je suis partie, il disait

8 : "Va-t-en." Je suis sortie. Je vous ai dit que je me suis retournée pour

9 la voir. Après, j'ai rejoint nos gens -- des civils qui partaient, on

10 faisait partie d'une colonne. Il y avait d'autres civils qui arrivaient qui

11 rejoignaient la colonne. Ils nous poussaient à marcher devant eux.

12 Q. Qui a dit : "Sors" ?

13 R. C'est ce meurtrier. Il a dit que je devais quitter ma Sanida, celui qui

14 l'a tuée. Il a dit que je devais partir et qu'il ne fallait plus que je me

15 retourne.

16 Q. Ce jour-là, le 13 juillet 1993, Dragan Bonojza était-il seul ?

17 R. Non, il y avait beaucoup de militaires. Il est rentré dans notre maison

18 et c'est celui qui l'a tuée. Il y avait pas mal de militaires qui étaient

19 soit en haut du village, soit en bas, qui chassaient les gens de leur

20 maison. Ils chassaient les gens. Il est venu ce soldat. Il est venu devant

21 notre maison, celui qui l'a tuée.

22 Q. Madame Kaplan, est-ce qu'il y a eu des combats ce jour-là dans le

23 village ?

24 R. Il n'y a pas eu de combat ce jour-là là-bas, mais ils ont dit que, vers

25 Satorova Gomila, il y a eu des combats, et c'est vers Satorova Gomila

26 qu'ils nous ont chassé pour qu'on serve de bouclier humain parce que c'est

27 par là qu'il y avait des combats; c'est ce qu'ils disaient.

28 Q. Madame Kaplan, page 21, ligne 6, vous nous avez dit : "Ils

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1 rassemblaient les civils quand ils les trouvaient." Mais qui étaient ces

2 civils ?

3 R. Des Bosniens.

4 Q. Quel était leur sexe, quel était leur âge ?

5 R. A partir de deux mois jusqu'à 60, 65 ans, voire plus âgé. Il y avait

6 des femmes, des enfants.

7 Q. Où a-t-on emmené toutes ces personnes, ou vous a-t-on emmenée ?

8 R. Nous étions tous ensemble, nous sommes tous restés ensemble.

9 Q. Où êtes-vous arrivée ?

10 R. On nous a emmenés sur la grande route et on nous a emmenés à Jasoc,

11 ensuite, avec des camions.

12 Q. Quelle est la distance qui sépare votre village de Jasoc ?

13 R. Sept kilomètres à peu près.

14 Q. Qu'avez-vous fait à Jasoc ?

15 R. Quand nous sommes arrivés là-bas, on nous a dit : "Vous n'irez pas à

16 Satorova Gomila." J'étais à peine consciente, j'ai compris cela en écoutant

17 ceux qui m'entouraient. On nous a dit que l'ordre avait été donné d'aller

18 jusqu'au bâtiment de l'école et que c'était Veselko Raguz qui avait donné

19 cet ordre.

20 Q. Où êtes-vous allé ?

21 R. On est allé jusqu'au bâtiment de l'école où on nous a installé.

22 Q. Dans quelle ville ou village se trouvait cette école ?

23 R. Aladinici.

24 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, avec l'aide de Mme

25 l'Huissière, je demanderais que l'on soumette au témoin une photographie ou

26 plutôt deux photographies, 9557 et 9558.

27 Q. Madame Kaplan, vous êtes en train de regarder la photographie P 9557.

28 Est-ce que vous reconnaissez ce qu'elle montre ?

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1 R. Oui.

2 Q. Pouvez-vous nous dire ce que montre cette photographie ?

3 R. Ici c'est l'école et là c'est ce qui se trouve devant. Mais là, c'est

4 l'école dans laquelle nous avons été enfermés. Oui, c'est l'école.

5 Q. Madame Kaplan, je vous demanderais de vous saisir du marqueur rouge et

6 d'inscrire un X ou un croix sur le bâtiment de l'école ?

7 R. [Le témoin s'exécute]

8 Q. Je vous demanderais à présent d'inscrire vos initiales et la date

9 d'aujourd'hui sur cette photographie.

10 R. [Le témoin s'exécute]

11 Q. Je vous remercie.

12 M. MUNDIS : [interprétation] J'aimerais maintenant qu'on soumette au témoin

13 la pièce P 09558.

14 Q. Madame Kaplan, reconnaissez-vous ce qu'on voie sur cette photographie

15 qui constitue la pièce P 09558 ?

16 R. Oui. C'est encore une fois l'école, l'école dans laquelle nous étions

17 enfermés.

18 Q. Pourriez-vous inscrire un X sur le bâtiment que vous reconnaissez comme

19 étant celui de l'école où vous étiez incarcérée ?

20 R. [Le témoin s'exécute]

21 Q. Merci, Madame Kaplan. Je vous demanderais encore une fois de parapher

22 et d'inscrire sur cette photographie la date du jour d'aujourd'hui.

23 R. [Le témoin s'exécute]

24 Q. Je vous remercie, Madame Kaplan. Savez-vous si cette école était

25 quelquefois désignée par un autre nom ?

26 R. Cette école s'appelait l'école Branko Sotra. C'est comme cela qu'on

27 l'appelait. Cela je le sais.

28 Q. Madame Kaplan, pourriez-vous nous dire combien de temps a duré votre

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1 incarcération dans cette école ?

2 R. Une dizaine de jours.

3 Q. Combien de personnes ont été incarcérées dans cette école ?

4 R. Nous étions environ 3 000. Tous des civils, des personnes âgées, des

5 enfants. Il n'y avait que des civils.

6 Q. Pourriez-vous décrire les conditions d'existence dans cette école

7 pendant la dizaine de jours qu'a duré votre détention ?

8 R. Difficile. Il n'y avait rien, pas de papier. Tout était sale. C'était

9 affreux. C'était atroce. Les gens étaient étendus un peu partout dans les

10 couloirs, sur le sol en ciment. Nous dormions là où nous trouvions un petit

11 espace sur le ciment. C'était terrible.

12 Q. Vous nous avez dit qu'il y avait des personnes âgées et des enfants,

13 pourriez-vous nous donner à peu près l'âge des personnes enfermées dans

14 cette école ?

15 R. Il y avait des gens qui avaient entre 65 et 80 ans, pas mal de

16 personnes âgées. Il y avait aussi des jeunes.

17 Q. Quel était l'âge des enfants que vous avez vus dans cette école ?

18 R. Cela allait de un mois jusqu'à un âge plus avancé, mais il y avait des

19 bébés d'à peine un mois.

20 Q. Pourriez-vous, Madame Kaplan, décrire à notre intention le nombre de

21 salles qu'il y avait dans cette école ?

22 R. Je ne m'en souviens palus aujourd'hui, mais je dirais dix, 12. Je n'ai

23 pas compté exactement, vraiment - je vous prie de m'en excuser - mais j'ai

24 entendu dire que c'était le nombre des salles, entre dix et 12.

25 Q. Pourriez-vous nous parler des conditions sanitaires dans cette école ?

26 R. Mauvaise, mauvaise. Excusez-moi de vous le dire, mais il n'y avait

27 qu'un seul endroit où nous pouvions satisfaire nos besoins personnels --

28 nos besoins intimes. Nous ne pouvions pas sortir. Nous n'avions absolument

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1 aucune occupation. Il fallait rester dans ces salles.

2 Q. Pourriez-vous nous dire quelle était la nourriture dont vous

3 disposiez ? Est-ce que vous aviez de l'eau ?

4 R. C'était très mauvais, très mauvais. Nous n'avions pas d'eau. On nous

5 donnait l'eau du puits qui était polluée, mais il fallait bien la boire

6 tout de même. La nourriture était vraiment de mauvaise qualité. C'est

7 seulement le cinquième jour qu'on nous a apporté quelque chose à manger, un

8 peu de pain et quelques boites de conserve. Il y a une voiture qui venait

9 apporter de la nourriture pour 3 000 personnes. Vous vous imaginez.

10 Q. Quel genre d'aliments vous apportait-on ? Vous avez parlé de pain et de

11 boites de conserve.

12 R. Des boites de conserve de sardine et du pain, rien d'autre.

13 Q. Combien de fois par jour vous apportait-on du pain ?

14 R. Une fois par jour pendant la majeure partie de notre séjour, mais

15 pendant les quatre premiers jours, nous n'avons rien reçu, c'est seulement

16 le cinquième jour qu'on nous a apporté quelque chose. Il y a des gens qui

17 n'avaient rien à manger parce qu'ils n'avaient plus rien quand ils sont

18 arrivés.

19 Q. Madame Kaplan, qui apportait cette nourriture ?

20 R. C'est les Croates qui apportaient la nourriture. Ce sont les Croates

21 qui l'ont apporté ce jour-là. C'était leur camion. Ils apportaient le pain

22 depuis leur boulangerie.

23 Q. Madame Kaplan, qu'est-ce qui vous empêchait vous-même et les autres

24 personnes qui se trouvaient à l'intérieur de cette école de partir si vous

25 le vouliez ? Qu'est-ce qui vous empêchait s'il existait un obstacle ?

26 R. Il y avait des soldats tout autour de l'école qui gardaient l'école.

27 Nous ne pouvions absolument pas sortir.

28 Q. Encore une fois, pour le compte rendu d'audience, Madame Kaplan, qui

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1 étaient ces soldats ?

2 R. Des membres du HVO.

3 Q. Pourriez-vous nous parler des raisons pour lesquelles finalement vous

4 avez quitté cette école ?

5 R. Un matin assez tôt, on nous a fait lever parce qu'avant ce moment-là,

6 les gens de l'aide humanitaire du HCR étaient arrivés. Donc, ils nous ont

7 fait lever et ils nous ont emmenés ailleurs. Ils voulaient nous éloigner

8 parce que nous ne pouvions pas tous tenir dans une seule mahala.

9 Q. Madame Kaplan, j'ai oublié de vous poser une question au sujet de votre

10 détention dans l'école. Est-ce que pendant les dix jours que vous avez

11 passés dans les locaux de cette école, vous êtes restée toujours dans la

12 même salle ?

13 R. Oui. Oui, oui, je suis toujours restée au même endroit.

14 Q. Vous nous avez dit, Madame, qu'il y avait environ 3 000 personnes dans

15 cette école. Ces personnes venaient d'où, si vous le savez ?

16 R. Oui. Toutes ces personnes venaient de la municipalité de Stolac, des

17 villages environnants de Stolac. Je ne sais pas de combien de villages

18 exactement, mais ils étaient tous de cette zone.

19 Q. Vous nous avez dit que des représentants d'organisation humanitaire

20 sont arrivés, des représentants du HCR. Où est-ce qu'ils vous ont emmenée ?

21 Personnellement, vous êtes allée où ?

22 R. Non. Ce n'est pas eux. C'est avant leur arrivée qu'on nous a emmenés

23 pour qu'ils ne nous voient pas. Un grand nombre de camions est arrivé, ils

24 nous ont fait nous lever parce qu'ils savaient que ces gens-là allaient

25 venir dans les environs de l'école, et ils voulaient nous écarter, ils ne

26 voulaient pas qu'ils voient qu'on était en prison.

27 Q. D'accord. Qui vous a fait partir à bord de ces camions ?

28 R. Le HVO. C'est le HVO qui a amené les camions et c'est à bord de leurs

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1 camions qu'on nous a emmenés, plusieurs camions.

2 Q. Comment savez-vous que les représentants de cette organisation

3 humanitaire s'apprêtaient à venir dans les environs de l'école ?

4 R. Quand nous sommes arrivés, quand on nous a installés, on a vu sur la

5 route passer le HCR, qui passait sur la route en contrebas de la maison où

6 nous étions, à un kilomètre à peu près, mais nous pouvions les voir. C'est

7 comme cela que nous avons tiré cette conclusion. Nous tous, nous avons tiré

8 la même conclusion.

9 Q. D'accord. Encore une fois, je vous demande où vous-même, le HVO vous a

10 emmenée à bord de ces camions ? Où vous a-t-on emmenée, vous ?

11 R. On nous a fait retourner chez nous, à la maison, dans la maison dans

12 laquelle j'habitais avant.

13 Q. Combien d'autres personnes ont été remmenées dans votre maison ?

14 R. Il y avait environ 250 personnes dans notre maison. Ils répartissaient

15 les gens en raison de 13 familles par maison, un peu partout dans les

16 différentes maisons, parce qu'on ne pouvait pas tenir tous dans une seule

17 maison. Donc dans l'ensemble des maisons, il y avait 13 familles.

18 D'ailleurs, tout le monde n'a pas trouvé de place. Il y a des gens qui

19 n'ont pas trouvé de place et qui ont été emmenés à Djulic. Il y a pas mal

20 de gens qui étaient à Djulic.

21 Q. Pour que tout soit clair, il y avait 250 personnes qui ont été

22 réparties dans les 13 maisons de votre hameau ?

23 R. Non, dans ma maison. Dans ma maison, il y avait 250 personnes, et dans

24 le hameau, il y avait 1 000 personnes ou plus. Vraiment, je ne suis pas

25 sortie, donc je ne peux pas vous dire le nombre exact, mais dans notre

26 maison, je le sais. Dans notre maison, il y avait 250 personnes à peu près.

27 Mais ailleurs, je ne suis pas sortie, donc je ne peux pas vous le dire

28 exactement, mais il y en avait pas mal, en tout cas. Je peux vous dire

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1 qu'il devait y en avoir plus de 1 000.

2 Q. Comment avez-vous pu loger ce grand nombre de personnes dans votre

3 maison ?

4 R. Nous avions plusieurs maisons. Nous avions des maisons plus anciennes,

5 une plus moderne, et nous avons placé ces gens un peu partout dans les

6 chambres, mais aussi dans les couloirs, les uns à côté des autres. On ne

7 pouvait plus marcher au risque de piétiner ces gens.

8 Q. Où dormaient toutes ces personnes ?

9 R. A l'intérieur, à l'extérieur, partout. Là, où on trouvait une place,

10 partout; dans les couloirs, dans les chambres, partout. Parce que quand on

11 te chasse, il faut bien que tu t'installes quelque part. Dans le garage

12 aussi, partout.

13 Q. Madame Kaplan, quel était le sexe et l'âge approximatif des personnes

14 qui étaient installées dans votre maison ?

15 R. Je ne m'en souviens pas vraiment. Dans notre maison, il y avait deux ou

16 trois personnes âgées; dans une autre maison, il y en avait d'autres. Il y

17 avait trois ou quatre personnes dans une maison qui avaient plus de 70 ans.

18 Cela, je m'en souviens.

19 Q. Madame Kaplan, comment nourrissiez-vous toutes ces personnes ?

20 R. Bien, nous avions quelques vivres, puis le HVO arrivait, il apportait

21 aux gens des choses à faire cuire pour manger, du village. Puis, les gens

22 se partageaient ce qu'ils avaient, un peu d'huile, un peu de farine. Les

23 gens apportaient tout ce qu'ils avaient. Ils arrivaient un jour avec un

24 camion et ils disaient : "Qui est-ce qui va nous accompagner pour aller

25 chercher à manger ?" C'étaient surtout les jeunes et les enfants qui

26 accompagnaient les gens du HVO pour aller chercher de la nourriture. Vous

27 voyez, ils arrivaient, ils disaient : "Allez, les enfants, venez avec

28 nous," et les jeunes enfants de 13, 14 ans les accompagnaient.

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1 Q. Madame Kaplan, ces personnes que vous logiez dans votre maison étaient-

2 elles libres de partir ?

3 R. Non, non, non. Le HVO venait les chercher. Ils avaient l'ordre de

4 rester là. Ils ne pouvaient pas partir parce qu'il y avait des gardes un

5 peu partout autour. Ils venaient simplement faire sortir des gens pour les

6 accompagner pour chercher à manger avec leur camion.

7 Q. Madame Kaplan, vous rappelez-vous la date approximative de votre retour

8 dans votre maison ?

9 R. Après la guerre, vous voulez dire ?

10 Q. Non, quand on vous a remmenée dans votre maison à partir de l'école.

11 R. Oui, oui. D'accord. Le 22, le 23 juillet, à peu près 22 ou 23, parce

12 que là-bas, nous étions restés une dizaine de jours à un jour près. Là, je

13 ne peux pas vous donner la date exacte. Mais 22, 23, à peu près.

14 Q. Pouvez-vous nous donner l'année encore une fois, Madame Kaplan ?

15 R. L'année 1993.

16 Q. Combien de temps toutes ces personnes sont-elles restées entassées dans

17 votre maison, comme vous l'avez dit ? Combien de temps à peu près ?

18 R. Bien, disons que nous sommes arrivés le 22 ou le 23 juillet et nous

19 sommes partis le 2 août 1993.

20 Q. Pouvez-vous nous parler des circonstances dans lesquelles vous êtes

21 partis le 2 août 1993 ? Que s'est-il passé ce jour-là ?

22 R. Très tôt le matin, les enfants et les femmes étaient déjà en train de

23 se lever. Nous avons vu des autobus, des camions le long de la route. Ils

24 sont arrivés pour nous dire : on vous emmène à Dzule comi, on va vous faire

25 monter dans ces camions. Allez, tout le monde monte dans les camions qui

26 étaient à côté des maisons. Ils nous ont fouillés. Ils nous ont emmenés

27 dans une maison. Ils nous ont tous fouillés. Donc, ils faisaient sortir les

28 gens, ils les fouillaient, les gens arrivaient dans la colonne, montaient

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1 dans les autobus et étaient emmenés jusqu'à Buna. Voilà comment cela s'est

2 passé.

3 Q. Ce jour-là, Madame Kaplan, le 2 août 1993, où étaient les autres

4 membres de votre famille ?

5 R. Dans les camps, dans les camps. J'avais aussi un fils qui était encore

6 mineur d'âge, et lui avait été emmené la veille du jour où on nous a

7 emmenés à Buna. Lui, ils l'ont emmené en premier, et moi, on m'a emmenée le

8 lendemain vers Buna. Parce que je vous dis, j'avais un fils qui n'avait pas

9 encore 18 ans et tous les autres étaient déjà en prison.

10 Q. Vous nous avez dit, Madame, que la 2 août, on vous a emmenée à Buna.

11 Combien de personnes ont été emmenées en même temps que vous à Buna, ce

12 jour-là ?

13 R. Seulement des vieux. Seulement des vieux qui avaient plus de 70 ans.

14 Les gens qui avaient moins de 70 ans, ils les ont renvoyés d'où ils les

15 avaient emmenés. Il n'y avait que les vieux qui ne pouvaient pas aller à

16 Dretelj.

17 Q. Combien de personnes à peu près étaient avec vous à Buna, le 2 août

18 1993 ou à peu près ce jour-là ?

19 R. Je ne peux vous le dire exactement. Je dirais que dans notre mahala, il

20 y en avait 30 à peu près. Pour les autres, je ne m'en souviens pas. Je ne

21 sais pas si les gens qui étaient dans les autres sont partis avant ou après

22 nous; cela, je ne m'en souviens pas. Mais pour la nôtre, une trentaine de

23 personnes à peu près.

24 Q. Madame Kaplan, pour le compte rendu d'audience, je vous demanderais de

25 bien vouloir dire aux Juges de la Chambre ce qu'est exactement une mahala.

26 R. C'est un village, un hameau, un groupe de personnes. Voilà, c'est une

27 mahala. Il y a des gens qui emploient le mot de mahala, il y a des gens qui

28 emploient le mot de hameau, mais c'est la même chose. Vous m'avez

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1 comprise ?

2 Q. Oui, merci pour cet éclaircissement. Depuis Buna, vous êtes allée où,

3 après ?

4 R. A Blagaj. Nous avons marché à pied pendant 5 ou 6 kilomètres, et à ce

5 moment-là, nous avons rencontré les hommes de notre armée, l'armija. A ce

6 moment-là, ils nous ont fait monter dans des camions et ils nous ont

7 emmenés jusqu'à Blagaj. Nous sommes arrivés tard dans la nuit.

8 Q. Pouvez-vous nous dire dans quelles conditions vous avez couvert à pied

9 ces 5 ou 6 kilomètres qui séparent Buna de Blagaj?

10 R. Il y avait des coups de feu qui passaient par-dessus nos têtes. Ils ne

11 tiraient pas sur nous, ils tiraient plutôt par-dessus nos têtes, mais

12 enfin, on avait peur. En tout cas, ils ne nous pas tués.

13 Q. Quels objets personnels avez-vous emportés avec vous lorsque vous avez

14 quitté votre maison ce jour-là pour être transportée jusqu'à Buna ?

15 R. Nous avons emporté une couverture et quelques petits objets. Enfin, ils

16 ne nous ont permis d'emporter qu'un seul sac en bonne et due forme et

17 quelques petits sacs en plastique, rien d'autre. Si on arrivait à jeter

18 quelques vêtements dans le sac, on les emportait, mais tout le reste a été

19 jeté.

20 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, je remarque l'heure. Je

21 suis presque arrivé au terme de mon interrogatoire principal, mais je vous

22 demanderais si nous pourrions faire la pause maintenant de façon à ce que

23 je puisse revoir l'ensemble des questions que j'ai posées au témoin pendant

24 la pause et voir s'il me faudra peut-être 10 à 15 minutes supplémentaires

25 après la pause pour en terminer.

26 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Il est presque aux environs de 10 heures

27 30. Nous allons faire une pause de 20 minutes et nous reprendrons aux

28 environs de 10 heures 50.

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1 --- L'audience est suspendue à 10 heures 28.

2 --- L'audience est reprise à 10 heures 55.

3 M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience étant reprise, Monsieur Mundis, vous avez

4 la parole.

5 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

6 Q. Madame Kaplan, je n'ai plus que quelques questions à vous poser. Ce

7 matin vous nous avez dit que votre mari, Hamzo Kaplan avait été emmené dans

8 un camp. Pourriez-vous nous dire où il a été emmené et combien de temps il

9 y a passé ?

10 R. Il a été emmené à Dretelj et il y est resté environ deux mois, mais

11 enfin au moins disons deux mois.

12 Q. Est-ce que votre mari vous a raconté comment il avait été traité à

13 Dretelj ?

14 R. Ils ne l'ont pas beaucoup frappé juste deux fois environ. Il était à

15 Dretelj, mais ils ne l'ont pas trop frappé. Ils l'ont bien battu mais pas

16 trop.

17 Q. Quel était son aspect physique lorsque vous l'avez revu après qu'il eut

18 été libéré, relâché de Dretelj ?

19 R. Il était vraiment en mauvais état lorsqu'il est sorti de Dretelj. Moi

20 qui suis son épouse, je ne l'ai pas reconnu lorsqu'il est revenu à la

21 maison.

22 Q. Savez-vous si quelqu'un est allé le voir, lui a emmené quelque chose

23 lorsqu'il était à Dretelj ?

24 R. Oui, un jour, ma belle-sœur a essayé. Il y a cinq ou six femmes de

25 notre mahala, de notre hameau qui sont allées, mais je crois qu'elles ne

26 sont allées que jusqu'au portail. On ne les a pas laissé entrer, en fait on

27 leur a pris les aliments qu'elles apportaient. Elles n'ont pas pu entrer.

28 Q. Votre fils, Samir Kaplan, dans quelle prison a-t-il été emmené et

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1 combien de temps y a-t-il passé ?

2 R. Il a été emmené à Dretelj. Il y est resté longtemps, longtemps, neuf

3 mois, il a été un des derniers à rester au camp, un des derniers à le

4 quitter. Il était à Dretelj puis à l'Heliodrom et il a quand même survécu.

5 Voilà.

6 Q. Votre fils, Ibrahim Kaplan, où a-t-il été détenu ?

7 R. Il a été détenu une nuit, un jour, puis il a été emmené à Dretelj. Il

8 était mineur d'âge et il a été libéré au moment où son père l'a été aussi.

9 Q. Quel âge avait-il lorsqu'il a été emmené et détenu ?

10 R. Il avait 15 ans.

11 Q. Vous dites qu'il a été détenu une nuit et un jour et pour après être

12 emmené à Dretelj. Où a-t-il passé cette nuit et ce jour-là ?

13 R. Oui, c'est cela, à Stolac. C'est ce qu'on appelle Kostana, le poste de

14 police. Puis, il a été emmené dans différents endroits, mais il avait passé

15 la nuit au poste de police à Stolac. Puis ils l'ont emmené à Kostana et, de

16 Kostana, où il y avait aussi d'autres prisonniers, ils ont tous été emmenés

17 à Dretelj.

18 Q. Où se trouve ce Kostana ?

19 R. C'est un hôpital. Pour des gens qui ont des fractures, c'est ce qu'on

20 appelait l'hôpital pour les gens qui ont des fractures. C'est une clinique

21 orthopédique.

22 Q. Où se trouve cet hôpital de Kostana ?

23 R. A Stolac, à Stolac même.

24 Q. Lorsque votre fils, Hamzo, et lorsque votre fils, Ibrahim, ont été

25 relâchés, où sont-ils allés ?

26 R. Ils sont allés dans les collines au-dessus de Jablanica. C'est là qu'on

27 les a relâchés puis ils sont allés à Jablanica et puis, ils sont allés à

28 pied jusqu'à Blagaj, où on avait été logé.

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1 Q. Quelle est la distance qui sépare Jablanica de Blagaj ?

2 R. Je ne pourrais pas vous le dire exactement, mais c'est loin. Je ne

3 pourrais pas vous le dire en kilomètres, mais c'est très loin. Je ne peux

4 pas vous donner des chiffres. Vous le savez sans doute mieux que moi.

5 Q. Est-ce que vous vous souvenez du temps qu'il a fallu pour que votre

6 fils et votre mari aillent à pied de Jablanica à Blagaj ?

7 R. Quatre jours et quatre nuits. Ils ont marché et ils n'osaient pas

8 marcher pendant la journée, donc, ils ont fait la route de nuit.

9 Q. Parlez-nous de Salko, votre beau-frère; où a-t-il été emmené ? --

10 R. Je vais vous l'expliquer. Le 1er août, on l'a fait sortir de chez nous,

11 on l'a emmené à Stolac. La police ou les soldats l'ont emmené. Il était là.

12 Mirko était là aussi. Mirko Raguz et Mirko Pazin [phon]. Ils sont passés

13 pour demander où il était ? Nous lui avons dit que des soldats étaient

14 venus, ils l'avaient emmené. Ils nous ont dit qu'ils allaient essayer

15 d'aller le chercher mais ils ont renvoyé le même jour. Il a passé la nuit-

16 là. Lorsque nous avons été chassés, il a été emmené à la prison, à Stolac

17 et puis, il a été emmené à Dretelj. C'est comme cela que cela s'est passé.

18 Q. Qu'est-il arrivé à votre beau-frère, Salko Kaplan, pendant sa

19 détention ?

20 R. A Stolac, mon Ibrahim, il était avec lui à l'hôpital Kostana. Là, ils

21 l'ont battu. Puis, il est allé à Dretelj, il a vécu encore dix jours et

22 puis, il a succombé à ses blessures. Il est mort.

23 Q. Vous dites qu'il a vécu pendant dix jours et puis, il a succombé. Vous

24 dites "il", de qui s'agit-il, Madame ?

25 R. Oui, oui, c'est cela. Oui. Qu'est-ce que vous voulez dire ? Oui. Oui,

26 Salko. Salko, c'est Salko qu'ils ont tué. Il avait été blessé et il est

27 mort de ses blessures. Des soldats l'avaient frappé à Stolac. Je ne sais

28 pas qui exactement l'avait battu ?

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1 Q. Savez-vous ce qu'on a fait du corps, de Salko Kaplan ?

2 R. Lorsqu'il est mort, ils l'ont enterré à Muminovaca.

3 Q. J'ai une dernière série de questions. Elles concernent votre fille,

4 Sanida. Est-ce que vous étiez présentes à ses obsèques ?

5 R. Non, non. Non. Je n'aurais pas pu. J'étais prisonnière dans le bâtiment

6 de l'école. Les seules personnes qui étaient là, il y avait mon fils qui

7 était à la maison à l'époque, et il y avait six ou huit civils qui

8 n'avaient pas été capturés cette première fois. Lorsqu'ils ont appris

9 qu'elle avait été tuée, ils ont dit : "Nous allons l'enterrer." A ce

10 moment-là, les soldats sont venus. Ils se sont rendus. Ils ont été emmenés

11 à Harem. Ils ont enterré ma fille. Il y avait mon fils et sept autres

12 personnes.

13 Q. Comment se fait-il que votre fils et ces autres personnes n'aient pas,

14 eux, été capturés cette première fois ?

15 R. Ils ne sont pas allés dans un abri. Ils se sont cachés. Puis, ils l'ont

16 enterré.

17 Q. Est-ce qu'on ne vous a jamais donné -- est-ce que vous n'avez jamais

18 demandé un certificat de décès pour votre fille ?

19 R. Oui. Je suis allée à Blagaj et j'ai reçu un certificat disant qu'elle

20 était morte, qu'elle ne vivait plus. Nous avons dû fournir une déclaration.

21 Q. Vous avez été interrogée par le Tribunal, à ce moment-là, vous avez

22 fourni une copie de son certificat de décès, n'est-ce pas ?

23 R. Oui.

24 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, je vais demander l'aide

25 de M. le Greffier pour montrer au témoin la pièce

26 P 08789, qui est enregistrée dans le système électronique.

27 Q. Madame Kaplan, est-ce que vous voyez un document à l'écran devant

28 vous ?

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1 R. Celui-ci, vous voulez dire ou celui du dessus. Oui, je vois. Je vois

2 que c'est écrit : "Kaplan, Sanida, née le 24 juillet 1975, à Stolac ou

3 municipalité de Stolac." Je vois : "Le nom du père, Hamza, le nom de la

4 mère, Fatima," et qu'elle a été tuée, le 13 juillet 1993 à Pjesivac et

5 qu'elle a été enterrée à Pjesivac.

6 Q. Est-ce bien là le certificat de décès qui vous a été remis suite à la

7 mort de votre fille, Sanida Kaplan ?

8 R. Oui.

9 Q. Voici ma dernière question, Madame.

10 R. Je vous en prie.

11 Q. Pour ce qui est du procès intenté à Dragan Bonojza, est-ce qu'il y a eu

12 exhumation de la dépouille mortelle de votre fille ?

13 R. Oui. Une exhumation a été ordonnée. Cela a été fait afin d'établir ce

14 qui s'était passé, comment cela s'était passé, effectivement ?

15 Q. Est-ce que vous vous souvenez des conclusions de l'autopsie qui a été

16 réalisée ?

17 R. Vous voulez dire de l'exhumation ?

18 Q. Oui.

19 R. Je vous l'ai déjà expliqué. Oui, c'était comme cela que cela s'était

20 passé.

21 Q. Vous souvenez-vous si on vous a informé de la cause ou des causes du

22 décès ?

23 R. Oui, qu'elle a été tuée, abattue de coups à l'épaule et à la tête.

24 Q. Merci.

25 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, nous n'avons pas

26 d'autres questions pour ce témoin.

27 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

28 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je vais me tourner maintenant vers la Défense

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1 pour le contre-interrogatoire. Vous avez dû vous entendre les uns et les

2 autres.

3 M. JONJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

4 Contre-interrogatoire par M. Jonjic:

5 Q. [interprétation] Bonjour, Madame Kaplan. Je m'appelle Tomislav Jonjic.

6 Je vais vous poser quelques questions au nom du cinquième accusé.

7 R. Oui, allez-y.

8 Q. Je sais que dans tous ces événements, la cause de ces événements, elle

9 vous est pénible d'en parler et je vous fais part de mes condoléances.

10 R. Merci.

11 Q. J'aimerais quand même faire la lumière sur quelques points.

12 R. Allez-y.

13 Q. Le Procureur vous a posé des questions et vous avez confirmé que les

14 soldats qui étaient dans votre village portaient un uniforme de camouflage.

15 R. Oui. Oui, c'est la vérité. Des uniformes de camouflage.

16 Q. Est-il exact qu'il n'y avait pas d'insignes ?

17 R. Il en avait, peut-être, mais je ne me souviens pas.

18 Q. Dans la déclaration préalable que vous avez fournie au bureau du

19 Procureur ou plus exactement, à un enquêteur, il y a cinq ans. Vous l'avez

20 dit explicitement. Vous avez dit : "Que d'après vos souvenirs, aucun ne

21 portait un ceinturon blanc."

22 R. Je n'en ai pas vu.

23 Q. Merci. Encore deux ou trois questions rapidement. Vous avez relaté

24 certaines choses à propos de Dretelj, mais ces informations, vous ne les

25 connaissez parce que quelqu'un vous les a relaté ?

26 R. Mais mon fils était là, mon mari aussi. Donc, ils savaient comment

27 c'était à Dretelj, ce qui s'est passé.

28 Q. Vous avez ajouté que votre beau-frère Salko était mort suite aux

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1 sévices imposés à l'hôpital de Kostana.

2 R. Oui, c'est tout à fait vrai.

3 Q. Une dernière question : vous avez dit qu'il avait été enterré à

4 Muminovaca; est-ce que c'est un cimetière musulman ?

5 R. Oui.

6 Q. Merci.

7 M. JONJIC : [interprétation] Je n'ai plus d'autres questions, Monsieur le

8 Président.

9 M. IBRISIMOVIC : [interprétation] Je n'ai pas de questions à poser à ce

10 témoin, Monsieur le Président.

11 M. KARNAVAS : [interprétation] Pas de questions.

12 Mme NOZICA : [interprétation] Moi non plus, Monsieur le Président.

13 M. KOVACIC : [interprétation] J'ai quelques questions à poser à ce témoin.

14 Contre-interrogatoire par M. Kovacic :

15 Q. [interprétation] Bonjour, Madame.

16 R. Bonjour.

17 Q. Je m'appelle Bozidar Kovacic et je défends le général Slobodan Praljak.

18 R. Merci.

19 Q. Je suis vraiment navré de devoir vous poser ces questions.

20 R. Allez-y, posez-moi les questions. Si je peux répondre, je le ferai; si

21 je ne peux pas, je ne le ferai pas.

22 Q. Merci.

23 M. KOVACIC : [interprétation] J'aimerais tout d'abord l'aide de Mme

24 l'Huissière pour présenter au témoin la pièce 090550. C'est la liste 65

25 ter. Dans l'intervalle, je vais poser une question à Mme Kaplan.

26 Q. Madame Kaplan, aujourd'hui vous avez parlé de la tragédie de la mort de

27 votre fille et vous nous avez dit que vous saviez qu'après, il y avait eu

28 un procès et que ce Bunoza avait été condamné; c'est bien cela ?

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1 R. Oui.

2 Q. J'attends simplement que ceci apparaisse au compte rendu d'audience.

3 Vous avez dit que vous aviez témoigné dans ce procès.

4 R. Oui.

5 Q. Madame Kaplan, je voudrais vous montrer le jugement, le verdict,

6 première page de ce procès de Mostar. Auparavant, est-ce que vous vous

7 souvenez de ceci : le Président de la Chambre, qui était-il ?

8 R. Je ne sais pas. Il ne s'est pas présenté, mais je sais que je suis

9 allée au tribunal, mais je ne peux pas vous dire si je sais quand je ne

10 sais pas.

11 Q. Fort bien. Nous allons examiner ce jugement et nous allons voir le nom.

12 Vous allez m'aider, n'est-ce pas, pour me dire si d'après le nom, vous

13 pensez qu'il était Musulman ou Croate ?

14 R. On y était tous ensemble, Musulmans et Croates, pendant le procès, mais

15 je ne sais vraiment pas qui était telle ou telle personne en particulier.

16 Q. Fort bien. Nous allons arriver à ce sujet, mais dans l'intervalle, nous

17 allons bientôt voir le document, je voulais vous demander ceci. Le 13

18 juillet 1993, lorsqu'ils vous ont rassemblés, lorsque malheureusement votre

19 fille a été tuée, vous avez dit qu'il y avait beaucoup de soldats.

20 R. Oui.

21 Q. Est-ce qu'il y a eu d'autres cas où des gens ont été abattus ?

22 R. Non, pas à ce moment-là, pas cette fois-là.

23 Q. Donc cela a été le seul cas ?

24 R. Oui. En tout cas, ce jour-là. Je ne peux pas vous dire ce qui s'est

25 passé plus tard, mais pas ce jour-là, il n'y en a pas eu d'autres.

26 Q. Merci. Malheureusement, apparemment, ce jugement n'est toujours pas

27 apparu à l'écran.

28 M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, est-ce qu'il faut se

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1 servir du rétroprojecteur ? Manifestement, il y a quelques problèmes. Nous

2 allons demander l'aide de Mme l'Huissière.

3 Q. Madame Kaplan, je vais vous demander votre aide. Voici le jugement.

4 Lorsqu'il y a eu le procès de Bunoza, lorsque vous avez témoigné, on dit

5 d'abord : "Au nom de la Fédération de Bosnie-Herzégovine," puis un

6 préambule disant que le tribunal cantonal de Mostar, devant la Chambre de

7 première instance avec le Juge Kebo Hamo. C'est un nom musulman ?

8 R. Oui.

9 Q. C'était lui le président de la chambre. Puis, nous avons Pavlovic

10 Slavko et Vesna Hasanbegovic.

11 R. Donc, d'abord un nom croate puis un nom musulman.

12 Q. C'est ce que vous avez dit, n'est-ce pas ? C'était une chambre mixte ?

13 R. Oui, ils étaient tous ensemble. C'est ce que je vous ai dit.

14 Q. Merci.

15 M. KOVACIC : [interprétation] Madame l'Huissière, merci de me rendre ce

16 document. Il n'est plus nécessaire. Je vais demander le versement plus

17 tard.

18 Q. Madame Kaplan, au cours de ce procès et lorsqu'on a discuté de ce

19 Bunoza, est-ce que par hasard vous avez entendu dire ceci, qu'un autre

20 homme répondant au nom de Bunoza, qui serait le frère de Dragan -- on parle

21 bien de celui-là ?

22 R. Non, ce n'est pas lui. Non, je n'ai rien entendu d'autre.

23 Q. Est-ce que vous avez entendu dire qu'il y avait un autre Bunoza qui

24 avait été jugé pour avoir tué trois soldats du HVO ?

25 R. Non. Je ne peux pas vous parler de quelque chose que je ne connais pas,

26 dont je n'ai pas entendu parler. Je ne savais vraiment pas.

27 Q. Merci, merci, je vous posais simplement la question. Je me disais que

28 peut-être vous aviez entendu parler de cela.

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1 R. Non.

2 Q. Encore un point. Vu le village où vous habitiez en 1992, avant le début

3 du conflit opposant les Musulmans et les Croates, la plupart des habitants

4 de la région, c'étaient des Serbes, ou plutôt, la JNA, c'étaient des

5 Serbes, et la JNA a chassé les gens.

6 R. Non. Les Serbes ne nous ont pas chassés, seulement le HVO.

7 Q. En 1992 ?

8 R. Non, non. Les Serbes ne nous ont rien fait, ils ne nous ont pas

9 touchés.

10 Q. En 1992 --

11 R. On y était.

12 Q. Aux fins du compte rendu d'audience, nous devons veiller à faire des

13 pauses entre nos questions et les réponses, mais si je vous ai bien

14 compris, vous avez dit qu'en 1992, lorsque les Serbes étaient sur le

15 plateau, ils ne vous ont pas chassés.

16 R. Non, ils ne l'ont pas fait.

17 Q. Fort bien.

18 M. LE JUGE ANTONETTI : -- pour la traduction.

19 M. KOVACIC : [interprétation] Oui, merci, Monsieur le Président. J'essayais

20 simplement d'apporter une rectification, ici. Il y avait une petite erreur.

21 Q. Mais puisque vous êtes de la région, est-ce que vous connaissez des

22 gens des hameaux environnants du côté de Stolac ? Est-ce qu'il y a des gens

23 qui ont été chassés de cette région-là par la JNA en 1992 ?

24 R. Oui. Ceux qui étaient de ce côté-là, ils ont été chassés par les

25 Serbes, et ceux qui étaient près de Stolac et de Dubrava ont été chassés

26 par les Croates. Mais les Serbes, ils ont chassé les gens vers Ljubinje.

27 Q. En 1992 ?

28 R. Oui. Là-haut, il y avait des Musulmans et plus tard, c'est nous qui

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1 avons été chassés.

2 Q. En 1992, lorsque les Serbes ont chassé les Bosniens, où sont-ils

3 allés ?

4 R. Certains sont allés au Monténégro, d'autres sont allés au plateau de

5 Dubrava s'ils y avaient des parents. D'autres ont été au Monténégro et

6 ailleurs, de ce côté-là. Certains l'ont fait, d'autres pas.

7 L'INTERPRÈTE : Le micro n'est pas branché.

8 M. KOVACIC : [interprétation]

9 Q. En 1992, au cours de l'été, lorsque le HVO a repris le contrôle de la

10 région après avoir chassé les Serbes, ceux qui avaient quitté les villages

11 sont-ils revenus dans ces villages ?

12 R. Non.

13 Q. Ils ne sont pas revenus ?

14 R. Non.

15 Q. Est-ce que certains de Mostar sont rentrés chez eux ?

16 R. Non. Ils sont allés dans les collines, ils n'ont pas osé rentrer chez

17 eux.

18 Q. Fort bien. Je vous remercie, Madame. Je n'ai pas d'autres questions à

19 vous poser.

20 M. KOVACIC : [interprétation] Je demande, Monsieur le Président, Messieurs

21 les Juges, le versement de ce document en tant que pièce de la Défense

22 3D 00149. Oui, effectivement, le compte rendu est correct, il n'y a pas de

23 problème.

24 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. On verra tout à l'heure la question de

25 l'admission des pièces. Avocat suivant.

26 Mme ALABURIC : [interprétation] Nous n'avons pas de questions à poser,

27 Monsieur le Président. Je vous remercie.

28 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous avons un peu de temps. Questions

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1 supplémentaires ?

2 M. MUNDIS : [interprétation] Pas de questions supplémentaires, Monsieur le

3 Président.

4 M. LE JUGE ANTONETTI : Questions des Juges.

5 Questions de la Cour :

6 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le

7 Président. Madame, je voudrais d'abord vous demander ceci. Vous avez dit

8 que vous aviez 250 personnes dans votre maison. Comment le savez-vous ?

9 Est-ce que vous avez compté le nombre de personnes ?

10 R. Non, ce n'est pas moi qui ai compté, c'est d'autres qui l'ont fait. Mon

11 beau-frère a fait le décompte. C'est ce qu'il a dit. Moi, je n'ai pas

12 compté, j'étais ébranlée. J'étais surtout allongée. C'est ce que j'ai

13 entendu dire. C'est comme cela que je le sais.

14 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci. Avez-vous d'autres

15 informations, y a-t-il d'autres documents concernant la mort de votre beau-

16 frère ? Est-ce qu'on a fait une autopsie ? Est-ce qu'on a lancé des

17 poursuites ? Est-ce qu'il y a eu une enquête ? Est-ce que vous pourriez

18 nous en dire un peu plus à ce sujet ?

19 R. Il y a eu une enquête. Sa femme est allée au tribunal. C'est ce qu'ils

20 nous ont dit. Ils ont dit : rien n'est prêt encore. L'homme qui l'avait

21 frappé n'a toujours pas été jugé. C'est tout ce que je peux vous dire.

22 M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci, Madame.

23 R. Merci.

24 M. LE JUGE ANTONETTI : Pour ma part, j'aurais une simple question à vous

25 poser. La Défense --

26 R. Je vous en prie.

27 M. LE JUGE ANTONETTI : -- vous a parlé d'un jugement qui a été rendu à

28 Mostar par la cour cantonale, au cours d'un procès qui a mis en accusation

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1 Dragan Bunoza. Le jour où cela s'est passé, vous étiez présente dans la

2 salle d'audience comme aujourd'hui vous êtes présente ?

3 R. Oui.

4 M. LE JUGE ANTONETTI : Le jour du procès, l'accusé Dragan Bunoza était

5 présent dans la salle d'audience, aussi ?

6 R. Oui, je l'ai vu.

7 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous me dites : je l'ai vu. Est-ce que vous l'avez

8 reconnu comme étant celui qui avait tiré sur votre fille ?

9 R. Oui, je l'ai reconnu et je l'ai regardé droit dans les yeux. Je lui ai

10 dit : "C'est toi." Il n'avait pas de questions à me poser.

11 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Merci, Madame.

12 M. LE JUGE MINDUA : Monsieur le Président, je voudrais demander au témoin

13 la question suivante. Madame, vous avez dit que l'un de vos fils s'était

14 engagé au début de la guerre avec les forces du HVO, et il a même été

15 blessé. Ma question serait de savoir où est-ce qu'il était au moment où

16 votre fille a été tuée et où vous-même avez été chassée de votre village ?

17 Cela, ce serait donc la première question.

18 La deuxième question serait de savoir, votre fille, vous avez dit, a

19 été enterrée par l'un de vos fils et cette autre personne de votre village

20 qui s'était cachée.

21 R. Oui, c'est exact, c'était un parent.

22 M. LE JUGE MINDUA : -- qui était venue -- de ce fait, et quelle était leur

23 réaction par rapport à la présence de ces personnes qui s'étaient cachées,

24 encore présentes dans le village ?

25 R. Cela a été dur. C'était une situation très difficile, je vous l'ai dit.

26 Ils ont été persécutés, ils ont été liés. Ils leur ont fait toutes sortes

27 de choses, mais ils ont quand même survécu.

28 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, s'il n'y a pas d'autres questions, Madame, la

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1 Chambre vous remercie d'être venue à La Haye. Au nom des Juges, je formule

2 mes meilleurs vœux pour que votre retour s'accomplisse dans les meilleures

3 conditions possibles.

4 Donc, je vais demander à Mme l'Huissière de bien vouloir vous

5 remmener à la porte de la salle d'audience.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci beaucoup. Je vous remercie tous, tout

7 s'est bien passé.

8 [Le témoin se retire]

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, je vais donner maintenant la parole à

10 M. Mundis pour ses demandes d'admission des pièces.

11 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Nous

12 demandons le versement des pièces suivantes, il s'agit des documents et des

13 photographies P 08789, c'était le certificat de décès de Sanida Kaplan; P

14 09067, une photographie de Sanida Kaplan; P 09555, c'est une photographie

15 de la maison où Sanida a été tuée; P 09556, une photographie de la maison

16 où Sanida Kaplan a été tuée; P 09557, une photographie de l'école où Mme

17 Kaplan a été détenue; P 0958, une deuxième photographie de l'école où Mme

18 Kaplan a été détenue. Pour les pièces qui avaient reçu des cotes

19 provisoires, je vais avoir besoin de la cote IC.

20 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, Monsieur le Greffier, faites votre

21 office. Il y avait donc les pièces aux fins d'identification, plus les

22 documents annotés de la main du témoin qui auront un numéro IC.

23 M. LE GREFFIER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Les pièces

24 suivantes sont versées au dossier : P 08789, P 09067.

25 Quatre photographies qui ont été annotées de la main du témoin

26 recevront les numéros IC comme suit : IC 0008, annotée sur la photo

27 originale, 09555.

28 IC 0009 -- excusez-moi, 00009, annotée par le témoin, l'originale

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1 était 09556.

2 IC 00010, dont l'originale était P 09557.

3 IC 00011, annotée sur l'originale P 09558.

4 Je vous remercie, Monsieur le Président.

5 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

6 Maître Kovacic, vous demandez le versement du jugement du tribunal

7 cantonal de Mostar ?

8 M. KOVACIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je demande le

9 versement du jugement 3D 00149 devrait être la cote pour cette pièce.

10 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Maître Kovacic.

11 Monsieur le Greffier.

12 M. LE GREFFIER : Je vous remercie, Monsieur le Président.

13 [interprétation] Cette pièce est reçue sous la cote 3D 00149 avec une

14 mention spécifique disant que l'original ou que la pièce se fonde sur le

15 document original P 09550. Donc, nous aurons deux cotes pour le même

16 document. Merci.

17 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, la question des documents étant réglé,

18 nous disposons encore de quelques temps. Je tiens à apporter quelques

19 informations à la connaissance des uns et des autres. Comme vous le savez,

20 nous avions été saisis d'une requête orale la dernière fois, de la question

21 de la mise à disposition des accusés, d'un ordinateur portable.

22 Actuellement, nous avons évoqué entre Juges de cette question. J'attends un

23 retour d'un mémo que j'ai adressé au Greffier et vous serez, dès le retour

24 de ce mémo, informés de la décision qui sera prise.

25 La deuxième requête émanant de la Défense est toujours en traitement. C'est

26 celle relative aux placements des accusés près de leurs avocats. Suite à

27 l'audience de la dernière fois, j'avais saisi par mémo le Greffier du

28 problème. Je n'ai pas eu encore, à ce jour, une réponse écrite. Dès que

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1 nous serons en possession de cette réponse écrite, nous rendrons notre

2 décision.

3 Par ailleurs, il a été porté à ma connaissance en début de matinée,

4 que la Défense avait fait une requête aux fins de certifications d'un

5 appel, suite à une décision que nous avions rendue sur le temps accordé à

6 la Défense ou lors des contre-interrogatoires. Nous n'avons pas eu encore

7 le temps d'examiner cette requête. Bien entendu, nous rendrons une décision

8 sur la demande de certification. Mais dans la mesure où il y a une requête

9 de la Défense, l'Accusation peut également faire valoir son point de vue.

10 Alors, nous nous sommes dits si l'Accusation a l'intention d'apporter

11 son point de vue sur les mérites de la requête de la Défense, je vous donne

12 la parole.

13 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

14 M. Scott pourrait informer le juriste de la chambre de notre intention ou

15 non de déposer des écritures. Si nous le faisons, il nous faudra du temps

16 pour rédiger le document. Mais nous pouvions, peut-être, prendre contact

17 avec le juriste de la Chambre, cette après-midi, après l'audience pour lui

18 faire savoir si nous avions l'intention de répondre ou non ? Si oui,

19 quand ?

20 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Si vous avez l'intention de déposer des

21 écritures, faites-le très rapidement, parce qu'il faut que nous ayons tous

22 les éléments afin de rendre notre propre décision.

23 Donc, voilà, Monsieur Mundis ?

24 M. MUNDIS : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, si je puis prendre

25 la parole pendant quelques instants seulement ? Je voudrais aborder un

26 point. Je voudrais le faire à huis clos partiel, s'il vous plaît.

27 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous passons à huis clos partiel.

28 M. LE GREFFIER : Nous sommes à huis clos partiel, Monsieur le Président.

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1 [Audience à huis clos partiel]

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11 Pages 2165-2166 expurgées. Audience à huis clos partiel.

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8 [Audience publique]

9 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, alors en audience publique, est-ce que l'un

10 d'entre vous veut aborder tout sujet ? Je regarde l'Accusation, pas de

11 sujet.

12 Je regarde la Défense. Personne ne veut aborder un sujet quelconque.

13 Bien. Il me reste certainement maintenant avoir avec l'Accusation le

14 programme de la semaine prochaine.

15 M. MUNDIS : [interprétation] Monsieur le Président, nous avons trois

16 témoins prévus pour la semaine prochaine. Nous avons déjà communiqué le

17 calendrier. Si l'un de ces témoins aurait besoin de mesures de protection,

18 je ne vais pas citer de noms, mais nous avons à la fin de la semaine

19 dernière fournie la liste de ces trois témoins, ils commenceront lundi

20 après-midi à 14 heures 15.

21 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Très bien. Comme il faut également se projeter

22 dans le futur. Les Juges entre eux ont évoqué le problème, normalement,

23 après la session des vacations, nous reprendrons le courant des audiences

24 le lundi 14 août à 14 heures 15. Donc, je vous indique cette date pour que

25 vous preniez les uns et les autres vos dispositions.

26 La semaine du mois de juillet qui sera notre dernière semaine peut le cas

27 échéant être imputé d'un jour en raison de l'assemblée plénière des Juges

28 car vous le savez les Juges se réunissent au mois de juillet pour modifier

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1 bien souvent le Règlement et, à ce moment-là il y a une audience, enfin une

2 session des Juges qui se tient pendant les audiences. La règle générale

3 veut qu'à ce moment-là il n'y ait pas d'audience ce jour-la. Mais je vous

4 tiendrai informer du calendrier qui sera fixé par le président de ce

5 Tribunal afin de vous permettre de prendre vos dispositions.

6 Mais il se peut que la réunion des Juges se tienne le jeudi, donc dans ces

7 conditions nous aurions audience le lundi, mardi, mercredi et puis, il n'y

8 aura pas d'audience le jeudi, ni le vendredi. Bon. Enfin, on verra cela de

9 telle façon que vous puissiez prendre vos dispositions.

10 Le fait même qu'on soit amené à supprimer l'audience de demain et de jeudi

11 est dû à un problème lié à un témoin qui devait venir, qui ne vient pas et

12 au témoin de l'Accusation. Il se peut que dans le futur ce type de

13 situation se renouvelle. Malheureusement, nous ne pouvons rien comme

14 lorsque la Défense son tour viendra, fera venir ses témoins, vous verrez

15 également que vous risquez aussi de rencontrer ce type de problème. Nous

16 devons y faire face malheureusement mais ce n'est pas de la faute des uns

17 et des autres. C'est le débat judiciaire qui fait que parfois des témoins

18 ne peuvent pas être là au moment où on voudrait qu'il y soit, mais soyez

19 tous convaincus que nous faisons le maximum pour que les témoins viennent

20 en temps et en heure utile.

21 Dans ces conditions, s'il n'y a pu aucun sujet, je vous invite à revenir à

22 la prochaine audience qui débutera la semaine prochaine, lundi à 14 heures

23 15. D'ici là, bien, je vous souhaite tous de continuer à bien travailler.

24 J'aurai le plaisir de vous revoir lundi prochain.

25 --- L'audience est levée à 11 heures 51 et reprendra le lundi 22 mai 2006,

26 à 14 heures 15.

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