Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 22 mai 2006

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 14 heures 18.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur le Greffier, appelez le numéro de

  6   l'affaire, s'il vous plaît.

  7   M. LE GREFFIER : Je vous remercie, Monsieur le Président. Bonjour à tous.

  8   Affaire numéro IT-04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 10   Comme l'Accusation est en composition différente, je veux bien leur

 11   demander de se présenter.

 12   M. MUNDIS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,

 13   Messieurs les Juges. Bonjour au conseil de la Défense. Bonjour à toutes les

 14   personnes présentes dans le prétoire. Je suis Daryl Mundis, accompagné de

 15   Vassily Poryvaev du côté de l'Accusation, accompagné de notre commis aux

 16   audiences Miguel Longone.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. La Défense étant dans la même composition, je

 18   ne vais pas leur demander de se présenter.

 19   En cette reprise d'audience, je salue toutes les personnes présentes. Je

 20   salue les accusés. Je salue les représentants du Procureur ainsi que tous

 21   les avocats et je n'oublierai pas dans mes salutations tout le personnel de

 22   cette salle d'audience.

 23   Nous devons aujourd'hui poursuivre nos travaux par la venue d'un témoin.

 24   Avant cela, nous allons rendre deux décisions orales concernant des

 25   questions dont nous avons été saisis la semaine dernière. Il y avait en

 26   stand by la question de deux séquences vidéo. Ces vidéos avaient été

 27   demandées en admission par l'Accusation, le 16 mai 2006. Il s'agit de la

 28   vidéo P 01015 qui avait été marqué pour indentification. La deuxième vidéo


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  1   c'était la vidéo intitulée "Greater Croatia," qui avait le numéro P 07437,

  2   qui avait été marqué pour identification.

  3   Vu les explications qui nous avaient été fournies par le témoin, Belinda

  4   Giles, et également sur tous les éléments qui ont été apportés lors de

  5   l'audience, nous estimons qu'il convient d'admettre ces deux séquences

  6   vidéo en tant qu'élément de preuve.

  7   Monsieur le Greffier, je vous donne la parole pour que vous nous

  8   indiquiez les numéros.

  9   M. LE GREFFIER : Merci, Monsieur le Président. Ces deux pièces sont donc

 10   versées au dossier à charge sous les références suivantes :

 11   [interprétation] Je vais le dire en anglais. La première vidéo est

 12   admise sous la référence P 01015. La deuxième sous la référence

 13   P 07437. J'indique également pour le compte rendu d'audience que ces deux

 14   vidéos sont admises accompagnées de leurs transcriptions respectives. Je

 15   vous remercie.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 17   Une deuxième décision orale. Nous avons été saisi par requête de l'accusé

 18   Coric relative à l'admission du rapport du témoin, Robert Donia. Le 15 mai

 19   2006, l'accusé Coric par requête nous avait indiqué qu'il s'opposait à

 20   l'admission en tant qu'élément de preuve du rapport du témoin expert Robert

 21   Donia. L'accusé Coric avait également indiqué que dans l'hypothèse où sa

 22   requête serait rejetée, il demandait que ses arguments soient pris en

 23   compte lors de la détermination de la valeur probante du rapport. La

 24   Chambre tient à rappeler que lors de l'audience du 15 mai 2006, elle avait

 25   tranché la question de l'admission du rapport du témoin expert Robert Donia

 26   et que ce rapport a été enregistré sous la cote P 09356. Il s'ensuit que la

 27   demande de l'accusé Coric est maintenant sans objet.

 28   Cependant, concernant le deuxième temps de la demande, la Chambre tient à


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  1   rappeler que les arguments qui ont été présentés dans la requête seront

  2   bien entendu pris en compte au moment où la Chambre déterminera la valeur

  3   probante dudit rapport.

  4   Voici nos deux décisions orales de ce jour. Sans perdre de temps, nous

  5   allons introduire le témoin. Monsieur l'Huissier, allez chercher le témoin.

  6   Oui, Monsieur Coric.

  7   L'INTERPRÈTE : Microphone, s'il vous plaît.

  8   L'ACCUSÉ CORIC : [interprétation] Monsieur le Président, la semaine

  9   dernière, j'ai pris contact avec le Greffe au sujet du choix des conseils

 10   de la Défense de l'équipe qui va me défendre et le Greffe m'a dit qu'il

 11   fallait respecter un délai et que dès l'expiration de ce délai, il

 12   convenait de prendre des décisions quant aux personnes qui feraient partie

 13   de mon équipe. J'aimerais vous le faire savoir et j'aimerais savoir quand

 14   cela sera possible. Je vous remercie.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur Coric, pour cette information. Nous

 16   allons parler avec les Juges et nous vous dirons notre décision.

 17   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, bonjour, Monsieur. Je veux d'abord vérifier

 19   que vous entendez bien dans votre langue la traduction de mes propos. Si

 20   c'est le cas, dites je vous comprends.

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous comprends très bien.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, Monsieur, vous avez été cité comme

 23   témoin par l'Accusation. Avant de vous faire lire la prestation de serment,

 24   je me dois de vous identifier. Pouvez-vous nous donner votre nom, prénom et

 25   date de naissance.

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Fahrudin Rizvanbegovic. Je suis

 27   né le 4 février 1945 dans la ville de Stolac.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Pouvez-vous m'indiquer quelle est votre profession


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  1   actuelle ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis aujourd'hui professeur d'université à

  3   Sarajevo.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Avez-vous, Monsieur le Professeur, témoigné déjà

  5   devant un tribunal international ou un tribunal national sur les faits qui

  6   se sont déroulés dans votre pays dans les années 1993, 1994 ? Ou bien c'est

  7   la première fois que vous témoignez ?

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est la première fois.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Je vous demande de lire le

 10   serment.

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 12   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 13   LE TÉMOIN : FAHRUDIN RIZVANBEGOVIC [Assermenté]

 14   [Le témoin répond par l'interprète]

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir. Bien.

 16   Alors, Monsieur le Professeur, avant de donner la parole à l'Accusation qui

 17   va procéder à votre interrogatoire, je vous donne quelques éléments

 18   d'information sur la façon dont va se dérouler cette audience. Dans un

 19   premier temps vous aurez à répondre aux questions du Procureur qui est

 20   situé à votre droite, que vous avez dû rencontrer dans le cadre de la

 21   préparation de cette audience. A l'issue de cette phase, les avocats des

 22   accusés qui sont situés à votre gauche, dans le cadre de la procédure dite

 23   de contre-interrogatoire, vous poseront également des questions. Vous

 24   saisirez tout de suite que la nature des questions du contre-interrogatoire

 25   est tout à fait différente des questions qui vous auront été auparavant

 26   posées par le Procureur.

 27   Gardez votre calme. Essayez de répondre de la manière la plus

 28   compréhensible aux questions posées. Si vous rencontrez une difficulté


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  1   quelconque, n'hésitez pas à nous en faire part. Les quatre Juges qui sont

  2   devant vous peuvent à tout moment lorsqu'ils estimeront nécessaire vous

  3   posez également des questions sur les sujets pour lesquels vous avez été

  4   emmené à répondre. Mais en règle générale, nous préférons attendre que les

  5   questions soient posées par les uns et par les autres avant d'intervenir.

  6   En dernier lieu, je vous rappelle que vous venez de prêter serment de dire

  7   toute la vérité, ce qui exclut vous comprenez parfaitement tout faux

  8   témoignage, le faux témoignage étant une infraction qui peut être puni par

  9   ce Tribunal.

 10   Voilà les informations principales que je tenais à vous donner. Par

 11   ailleurs, nous tenons toutes les heures et demie l'audience, ensuite un

 12   petit break de 20 minutes, et nous reprenons une heure et demie, puis un

 13   "break" de 20 minutes. Si jamais au cours de l'audience, vous éprouvez un

 14   malaise ou une difficulté quelconque, vous me demandez tout de suite

 15   d'interrompre l'audience et nous vous accorderons un repos.

 16   Sur ce, je donne la parole à l'Accusation qui vous commencer

 17   l'interrogatoire principal.

 18   Interrogatoire principal par M. Poryvaev :

 19   Q.  [interprétation] Bonjour, Monsieur le Témoin. Il importe que je me

 20   présente une nouvelle fois au début de ses débats. Je m'appelle Vassily

 21   Poryvaev. Ce n'est pas la première fois que j'interviens dans un procès et

 22   les Juges ont toujours eu quelques problèmes à prononcer mon nom de famille

 23   qui n'est pourtant pas très difficile. Il se prononce Poryvaev. Si vous

 24   l'oubliez, je ne serai pas offenser de vous entendre vous adresser à moi en

 25   m'appelant "Monsieur le substitut du Procureur", après tout je ne serai pas

 26   insulter si je suis considéré comme quelqu'un qui vient directement après

 27   Carla Del Ponte, Procureur général de ce Tribunal.

 28   Monsieur Rizvanbegovic, vous venez de dire aux Juges de la Chambre que vous


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  1   étiez actuellement professeur à l'université de Sarajevo. J'aimerais que

  2   nous remontions un peu dans le passé pour parler de votre expérience

  3   personnelle et professionnelle. Je vais m'efforcer de raccourcir au maximum

  4   cette partie de l'interrogatoire principal en laissant de côté certaines

  5   des questions que j'avait l'intention de vos poser.

  6   De 1964 à 1968, vous avez fait vos études supérieures à Zagreb à

  7   l'université à la faculté de philosophie, n'est-ce pas ?

  8   R.  Exact.

  9   Q.  Après quoi vous avez obtenu une maîtrise et vous avez fait un doctorat

 10   à Zagreb ?

 11   R.  A Zagreb, oui.

 12   Q.  Après quoi pendant quelques années, vous avez été professeur de lycée

 13   et professeur dans une école destinée aux jeunes délinquants, n'est-ce pas

 14   ?

 15   R.  Exact.

 16   Q.  Monsieur le Témoin, avez-vous eu d'autres activités au sein de la

 17   société en dehors de cette activité permanente professionnelle en tant que

 18   professeur ?

 19   R.  Lorsque j'étais étudiant et par la suite lorsque je suis devenu

 20   professeur, j'ai participé à un certain nombre d'activités au sein de la

 21   société qui pour la plupart avait un lien avec le monde de la culture.

 22   Q.  Avez-vous à quelque moment que ce soit fait partie du conseil -- ou du

 23   Congrès des intellectuels bosniaques ?

 24   R.  Je suis membre permanent du Congrès des intellectuels bosniaques

 25   aujourd'hui encore.

 26   Q.  Qu'en est-il de votre statut familial ? Etes-vous marié, avez-vous des

 27   enfants ?

 28   R.  Je suis marié. J'ai deux enfants. Mes deux enfants sont professeurs.


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  1   Q.  Quel est actuellement votre lieu de résidence ?

  2   R.  J'habite à Sarajevo et à Stolac. La moitié de la semaine à Sarajevo et

  3   l'autre moitié à Stolac.

  4   Q.  Monsieur le Témoin, avez-vous été membre d'un parti politique avant le

  5   démantèlement de l'ex-Yougoslavie ?

  6   R.  Il existait qu'un seul parti politique dont j'ai fait partie quelque

  7   temps.

  8   Q.  Avez-vous adhéré à un politique peu de temps après le démantèlement de

  9   la Yougoslavie.

 10   R.  Pendant ce temps, j'ai quitté le parti dont je viens de parler, ce que

 11   j'ai fait de mon propre gré quelques années avant la guerre. Je n'ai plus

 12   adhéré à aucun autre parti.

 13   Q.  Monsieur le Témoin, vous êtes né à Stolac, ville dans laquelle vous

 14   avez habité de nombreuses années, donc, je suppose vous en connaissez la

 15   situation démographique. Je suppose que vous connaissez la composition

 16   démographique de la municipalité de Stolac et j'aimerais que nous

 17   commencions par parler de l'année 1991, date du dernier recensement

 18   officiel effectué avant la guerre.

 19   R.  Oui, c'était le dernier recensement, c'était le dernier recensement qui

 20   a eu lieu avant la guerre et il n'y a pas eu d'autre recensement par la

 21   suite.

 22   Q.  Pourriez-vous me dire quelle était la composition ethnique de la

 23   population de la municipalité de Stolac en 1991 ?

 24   R.  Je ne suis pas sûr de pouvoir être totalement précis, mais je crois que

 25   cela se compte à 10 000 habitants à peu près, dont 44% étaient des

 26   Bosniens, 33 % des Croates, 21 % des Serbes et le reste se composait de

 27   personnes qui ne se déclaraient appartenir à aucun des trois groupes

 28   ethniques que je viens de citer.


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  1   Q.  Je suppose que les chiffres que vous venez de donner au Juge de la

  2   Chambre sont des chiffres approximatifs, n'est-ce pas ?

  3   R.  Approximatifs, oui, je ne les connais pas précisément, je ne savais pas

  4   en venant ici que j'aurais dû connaître ces chiffres avec précision, mais

  5   en tant qu'intellectuel, j'ai une idée approximative de ces chiffres.

  6   M. PORYVAEV : [interprétation] Je demanderais l'aide du Greffe pour

  7   soumettre au témoin la pièce P 08559.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mundis, je constate que je n'ai pas en --

  9   de copie des pièces. Excusez-moi, c'était la faute de M. le Greffier qui ne

 10   me l'avait pas donné.

 11   M. PORYVAEV [interprétation] : Page 3, ligne 25 de ce document. L'année est

 12   1991.

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Je demanderais qu'on agrandisse un peu la

 14   partie du document qui concerne Stolac à l'écran.

 15   M. PORYVAEV [interprétation] :

 16   Q.  Conviendrez-vous que les éléments chiffrés qui figurent ici

 17   correspondent globalement à ce que vous avez dit dans votre déposition

 18   quant à la composition ethnique de la population en 1991 ?

 19   R.  Je pense que ceci est une page de la brochure statistique officielle et

 20   ce qui est écrit ici est exact.

 21   Q.  Quand ont eu lieu les premières élections municipales dans la

 22   municipalité de Stolac ?

 23   R.  C'est bien connu, je pense, ces élections ont eu lieu en 1990 dans

 24   toute la Bosnie-Herzégovine, donc également à Stolac.

 25   Q.  Ces élections ont-elles été multipartites ?

 26   R.  Il s'est agit des premières élections multipartites organisées en

 27   Bosnie-Herzégovine.

 28   Q.  Quel est le parti qui l'a emporté à l'issue de ces élections ?


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  1   R.  La Communauté démocratique croate a obtenu la majorité des voix, est

  2   arrivé en deuxième le Parti de l'Action démocratique et le troisième, si je

  3   ne m'abuse, a été le SDS. Après ces trois partis nationalistes, le parti

  4   qui est arrivé en quatrième position a été le SDP, Parti social démocrate.

  5   Q.  Quel a été le rôle du HDZ, à savoir, du parti dominant dans la mise en

  6   place des pouvoirs civils au sein de la municipalité ?

  7   R.  Le HDZ a obtenu le poste de président de la municipalité; quant au SDA,

  8   il a obtenu le poste de président du conseil exécutif. Le SDS a obtenu le

  9   poste de responsable à l'économie et à d'autres domaines associés.

 10   Q.  Qui a été élu président de la municipalité ?

 11   R.  Le président de la municipalité a été Zeljko Raguz.

 12   Q.  Qui a été élu président de l'organe exécutif, autrement dit, chef du

 13   gouvernement ?

 14   R.  C'est Alija Rizvanbegovic qui a été élu au poste de président du

 15   conseil exécutif.

 16   Q.  Combien de temps a-t-il occupé ce poste de chef du conseil exécutif ?

 17   Je parle de Rizvanbegovic.

 18   R.  Alija Rizvanbegovic a été président du conseil exécutif jusqu'au 12

 19   juin 1992, c'est-à-dire, jusqu'au moment où les Croates qui s'étaient

 20   enfuis de Stolac sont revenus à Stolac, et cela s'est passé le 12 juin.

 21   Q.  Nous reparlerons de cela un peu plus tard, Monsieur le Témoin, mais,

 22   pour le moment, nous nous intéressons à d'autres questions. Il est bien

 23   connu, n'est-ce pas, que par la décision du 19 novembre 1991, la communauté

 24   croate a été créée; quand en avez-vous entendu parler ?

 25   R.  J'ai entendu parler de cette décision très tardivement. J'en ai entendu

 26   parler à Zagreb à ma sortie d'un camp de concentration. Je savais que cette

 27   communauté avait été créée, mais je ne savais pas à quel moment elle

 28   l'avait été et je l'ai appris à Zagreb.


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  1   Q.  Quand avez-vous constaté que la structure du pouvoir a commencé à

  2   changer dans la municipalité de Stolac ou dans celle de Mostar ou vous

  3   travailliez ?

  4   R.  Il y a une chose qui s'est passé à deux reprises à Stolac. En avril,

  5   l'armée serbe est arrivée.

  6   Q.  En quelle année ?

  7   R.  1992. Donc la majorité des Croates s'étaient enfuis et il n'en est

  8   resté qu'environ 150 qui étaient des Croates probablement en opposition au

  9   HDZ et le président de la municipalité, Zeljko Raguz, est parti avec ceux

 10   qui ont fui et, donc, la direction de la ville est restée vacante. Après le

 11   retour des Croates dans la ville, Zeljko Raguz a de nouveau occupé ce poste

 12   de dirigeant de la municipalité et, très peu de temps après Andjelko

 13   Markovic l'a remplacé à son poste. Donc, il y a eu un changement, Alija

 14   Rizvanbegovic a été expulsé de Stolac sous la menace d'une arrestation en

 15   même temps que les Serbes qui subissaient la même menace et, donc, une

 16   autre réalité, de nouvelles conditions ont été créées à partir de ce

 17   moment-là.

 18   Q.  Monsieur le Témoin, Est-ce que vous connaissez bien Andjelko Markovic ?

 19   R.  Je le connaissais de vue mais pas très bien. Il était médecin à

 20   l'hôpital orthopédique et ma sœur y travaillait également. Donc, c'est dans

 21   cet hôpital que j'ai eu l'occasion de le rencontrer, de le croiser avant la

 22   guerre.

 23   Q.  Qu'est-ce qui s'est passé dans la municipalité de Stolac qui a provoqué

 24   la fuite des Croates, en avril 1992 ?

 25   R.  L'armée serbe est arrivée. Elle a traversé Stolac. Un certain nombre de

 26   ses soldats sont tout de même restés à Stolac, les autres ont poursuivi

 27   leur chemin jusqu'à Capljina. Ils se sont arrêtés à l'entrée de Capljina.

 28   Stolac était totalement isolée à partir de ce moment-là. Les Croates pris


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  1   entre les chars serbes ont commencé à partir vers la Neretva, vers Pocitrn

  2   [phon] pour franchir la Neretva. Bien entendu, aucun d'entres nous n'était

  3   au courant de cela immédiatement. Nous ne l'avons su qu'après leur départ.

  4   Même mes amis ne me l'ont pas appris et j'avais beaucoup d'amis parmi les

  5   Croates.

  6   Q.  Donc, on pourrait dire que les unités militaires qui se sont trouvés

  7   sur place n'ont pas opposé de résistance à l'agression serbe ?

  8   R.  On peut dire qu'il n'y avait pratiquement aucune unité militaire ou

  9   organisation militaire sur place ou du moins, pas pour autant que je le

 10   sache.

 11   Q.  Quelles autorités ont continué de fonctionner dans la municipalité de

 12   Stolac pendant l'occupation serbe ?

 13   R.  Pendant l'occupation serbe, c'est l'assemblée municipale qui a continué

 14   de travailler, composée pour l'essentiel, des députés des rangs du SDP et

 15   du SDS, mais je pense qu'ils ne sont réunis que deux fois, pas plus.

 16   Q.  Monsieur le Témoin, pouvez-vous me dire s'il y a eu des attaques menées

 17   par la population locale de la municipalité de Stolac sur les Serbes, sur

 18   les forces serbes ?

 19   R.  Il y a eu énormément de tirs des armes d'infanterie et cela a sonné la

 20   peur. Les gens ont eu très peur. Les chars, au moment où les chars ont

 21   passé, cela faisait très peur aux gens surtout, parce qu'on voyait que ce

 22   n'était pas une armée qui se comportait d'une manière directement

 23   régulière. C'était une armée qui essayait de faire peur aux civils.

 24   Q.  Est-ce qu'il y a eu des destructions ou des dégâts causés aux

 25   commerces, aux édifices culturels ou religieux, aux habitations ?

 26   R.  Pendant toute la durée de la présence de cette armée dans la ville

 27   même, on n'a pas détruit d'édifices. On n'en a détruit aucun. Mais comme je

 28   n'ai pas pu voir, j'ai entendu dire et j'ai pu le voir par la suite. Dans


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  1   le quartier de Dubrava, on a détruit des habitations, des maisons

  2   appartenant aux gens et dans la ville, on n'a détruit aucun monument, rien.

  3   Rien n'a été détruit jusqu'au

  4   2 avril -- ou plutôt, juin.

  5   Q.  Les Serbes, à quel moment sont-ils partis de la zone de Stolac ?

  6   R.  Les 12 et 13 juin, les Serbes se sont retirés de Stolac. Il y a eu des

  7   combats, mais de petites intensités en surplomb de Stolac, à Osanici. Dans

  8   la ville même, il n'y a pas eu vraiment de combats. Enfin, ce qui est

  9   devenu, tout à fait, clair, c'est qu'il y avait eu un accord entre deux

 10   parties qui s'étaient mises d'accord pour que la frontière passe là, où

 11   elle passe aujourd'hui, la frontière entre la Fédération et la Republika

 12   Srpska. Moi-même, j'étais en ville. Je l'ai vu dans la ville. Je ne sais

 13   pas quelle était la situation des les environs.

 14   Q.  Monsieur Rizvanbegovic, vous nous parliez des 12 et 13 juin, mais de

 15   quelle année ?

 16   R.  1992. Je parle pourtant de l'année 1992.

 17   Q.  Qu'en est-il de la ligne de défense ? Les forces serbes ont-elles tenté

 18   de reprendre Stolac ?

 19   R.  Il y a eu de pseudo tentatives au cours de l'année 1992, mais, pour

 20   autant que je le sache, il n'y a pas eu de vraies tentatives -- d'essais.

 21   Les lignes de fronts étaient maintenues telles qu'elles avaient été

 22   établies. Elles ont été maintenues jusqu'à la fin de la guerre.  

 23   Q.  Quelles sont les unités qui sont entrées les premières dans Stolac et

 24   qui ont forcés les Serbes, dehors ?

 25   R.  Les premières unités à entrer dans Stolac, c'étaient les Unités du HOS.

 26   Après ces unités-là, c'était l'Armée croate de Metkovici, Ploce et de

 27   Split. Il y avait le Bataillon de Dubrava-Stolac, Bataillon de Défense

 28   territoriale. Le HVO, lui aussi, est arrivé dans cette seconde vague.


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  1   Q.  Est-ce que vous savez quelles sont les Unités du HVO, plus précisément,

  2   qui sont entrées dans la ville ?

  3   R.  C'était l'unité commandée par Nedjeljko Radovic [phon] pour autant que

  4   je le sache. Il est entré avec le reste des unités. Le commandant de la

  5   partie Stolac, c'était un Pavlovic dont je ne me rappelle pas le prénom.

  6   Q.  Monsieur le Témoin, je voudrais que vous nous donniez le nom et le

  7   prénom du commandant ? C'était Nedjeljko ?

  8   R.  Nedjeljko Obradovic.

  9   Q.  L'Unité de Pavlovic était-elle subordonnée à Nedjeljko Obradovic ?

 10   R.  Oui. Pendant toute la guerre, elle a été subordonnée à l'unité

 11   commandée par Obradovic qui était, je pense, colonel.

 12   Q.  Quelles sont les unités qui ont été déployées dans cette zone après la

 13   défaite serbe ?

 14   R.  Comme je l'ai mentionné, il y avait un unité, c'était la 116e Unité de

 15   Metkovic, commandée par Beneta. J'ai eu l'occasion de le voir quand ils

 16   sont arrivés. Donc, je suis certain que c'était cet homme-là qui commandait

 17   cette unité. Puis l'unité de Stolac a eu des liens logistiques avec cette

 18   unité-là. L'approvisionnement arrivait tout le temps de Metkovic pour

 19   l'Unité de Stolac.

 20   Q.  Cette Brigade de Metkovic d'où était-elle ?

 21   R.  C'est une Unité de Croatie.

 22   Q.  Comment le savez-vous ?

 23   R.  Bien, c'est la première ville croate en partant de Stolac, et

 24   pratiquement toutes les semaines je m'y rendais, on vivait avant dans un

 25   seul Etat, et j'ai eu l'occasion de m'y rendre avec Miroslav Palameta, un

 26   ami à moi. J'ai eu l'occasion de me rendre dans cette unité. Il devait y

 27   aller pour vérifier pourquoi la nourriture, les vivres, n'étaient pas

 28   arrivés à temps pas plus que les soldes des militaires. Donc j'ai été


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  1   témoin de ces protestations formulées par lui, et c'est comme cela que je

  2   sais de quelle unité il s'agit.

  3   Q.  Quelles sont les protestations qui ont été formulées par vous ?

  4   R.  Ce n'était pas formulé par moi. C'était formulé par mon collègue. Il a

  5   protesté parce que les repas n'étaient pas arrivés à temps, pas plus que

  6   les soldes, enfin c'étaient des protestations orales d'une certaine

  7   manière.

  8   Q.  Pendant combien de temps cette unité est-elle restée déployée dans la

  9   municipalité de Stolac ?

 10   R.  Je ne sais pas combien de temps exactement puisque je ne me rendais pas

 11   sur le terrain, sur les lignes de front. Donc je ne sais pas comment

 12   étaient déployées où les différentes unités, mais je pense qu'elle est

 13   restée plus longtemps.

 14   Q.  Monsieur le Témoin, vous venez de dire à la Chambre de première

 15   instance que toutes les autorités qui étaient parties pendant l'occupation

 16   de la ville par les Serbes étaient revenues par la suite. Alors est-ce

 17   qu'elles ont fonctionné après le mois de juin 1992 dans leur composition

 18   dans le temps ?

 19   R.  Non. La seule qui a fonctionné, en fait, c'est le pouvoir militaire et

 20   je parle de celui du Conseil croate de la Défense à Stolac, et je pense que

 21   Raguz, Zeljko est parti -- a quitté son poste de président, mais je ne sais

 22   pas exactement quels ont été les rapports internes.

 23   Q.  La présidence du HVO à quel moment a-t-elle créée à Stolac ?

 24   R.  Je pense que c'était pendant qu'ils étaient encore en exil, à Nehum

 25   [phon], c'est au sud de Ploce sur la rivière de Makarska. Je n'ai pas

 26   d'information plus précise là-dessus. Je ne sais pas à quel moment cela

 27   s'est passé. Nous n'avions pas d'information là-dessus jusqu'à l'arrivée

 28   des unités à Stolac. Mais à Stolac d'un point de vue légal et qui aurait dû


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  1   être une défense légitime il y avait la Défense territoriale. Quand les

  2   Croates sont arrivés à Stolac, les habitants étaient obligés d'inscrire sur

  3   leurs maisons TO, Défense territoriale, et également HVO, Conseil croate de

  4   la Défense. C'est à ce moment-là qu'on a pris pour la première fois

  5   l'existence de quelque chose qui s'appelait le HVO. Quand je dis "nous"

  6   c'étaient nous qui vivions dans les zones -- dans l'encerclement.

  7   Q.  Quel était leur blason ?

  8   R.  C'était le blason croate. Quand ils sont arrivés à Stolac toutes les

  9   plaques antérieures ont été enlevées pratiquement en l'espace d'une

 10   journée, et ce que j'ai vu de mes propres yeux c'est que Marijan Prce l'a

 11   fait. Je ne sais pas s'il y en a eu d'autres qui l'ont fait ou plutôt qui

 12   d'autre l'a fait, et on a installé des panneaux avec les inscriptions

 13   Herceg-Bosna.

 14   Q.  La population a-t-elle accepté ces manifestations, ces symboles du

 15   nouveau pouvoir ?

 16   R.  Mis à part les Croates, personne ne l'a accepté.

 17   Q.  Monsieur Rizvanbegovic, vous avez continué de travailler à l'université

 18   de Mostar à ce moment-là ?

 19   R.  Je ne pouvais pas quitter Stolac pendant l'occupation serbe. Dès que

 20   j'ai pu sortir et me rendre à Mostar - et cela a été le 25 juin - je me

 21   suis présenté à l'université parce que j'étais vice doyen de la faculté de

 22   Pédagogie. Je suis allé à ma faculté, et à Mostar à la faculté, j'ai trouvé

 23   sur place une unité militaire à ma grande surprise. J'ai voulu voir Rudolf

 24   Kraljevic, le doyen, mais il était absent, et ce, pendant longtemps. J'ai

 25   demandé que les archives et les documents, que j'ai vus éparpillés dans les

 26   couloirs, soient ramassés et j'ai demandé aux militaires de faire au moins

 27   cela pour protéger cela parce qu'il s'agit là d'une faculté qui a une

 28   grande ancienneté enfin relativement grande, plus de 40 années de documents


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  1   conservés dans les archives.

  2   Donc, j'ai exigé que cela soit protégé. Mais la situation n'était

  3   désagréable avec ce commandant qui était là, et l'un des hommes m'a même

  4   menacé de me tuer en disant qui étais-je, et cetera, et je n'avais rien à

  5   voir là. Je suis allé au bureau du président de l'université pour voir ce

  6   qu'on pouvait faire à ce sujet.

  7   Q.  Nous allons revenir à la question de l'université un peu plus tard,

  8   mais, maintenant, je voudrais savoir si vous étiez libre de venir à Mostar.

  9   Est-ce que vous avez pu le faire sans entrave ?

 10   R.  Malheureusement, pendant toute cette période jusqu'à ce qu'on m'emmène

 11   au camp de concentration, aucun Bosnien ne pouvait sortir de Stolac sans

 12   autorisation écrite. On devait se mettre dans des files pour recevoir une

 13   autorisation écrite pour se rendre à Capljina ou voir la famille à Dubrava

 14   ou on appelait cela "ausweiss" puisqu'on avait reconnu de quoi il

 15   s'agissait. C'était une autorisation qui se présentait sur des formulaires

 16   et qui portaient des insignes de la communauté croate ou plutôt je pense

 17   qu'à l'époque de la République de l'Herceg-Bosna et on avait ouvert un

 18   bureau qui était chargé de ne s'occuper que de cela. Excusez-moi. Qui plus

 19   est, il y avait un grand nombre de postes de contrôle où on nous vérifiait

 20   si on portait bien ce genre de papier sur soi. Autrement, on ne pouvait pas

 21   se déplacer.

 22   Q.  Qui commandait ces postes de contrôle ? Le savez-vous ?

 23   R.  C'étaient des soldats du HVO. Je pense que c'était la police militaire

 24   mais comme je ne connais pas bien les symboles et comme je n'ai pas

 25   vraiment prêté attention je ne sais pas. Mais je suis certain que c'étaient

 26   les soldats du HVO.

 27   Q.  Ces règles de "ausweiss" s'appliquaient uniquement à la population

 28   musulmane ?


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  1   R.  Je pense que cela s'appliquait uniquement à la population musulmane; il

  2   n'y avait très peu de Serbes qui étaient encore restés sur place. Cela

  3   s'appliquait à eux également, mais je ne sais pas ce qui en est des

  4   Croates. Je ne sais pas s'il en avait besoin. Je suis certain cependant

  5   pour les Musulmans. Ils devaient se doter de ces laissez-passer.

  6   Q.  Revenons maintenant à l'université. Quel est le problème principal qui

  7   s'est posé à l'université, à l'époque, lorsque vous y êtes venu en juin

  8   1992 ?

  9   R.  Dès la première réunion du conseil de l'université dont j'ai été

 10   membre, je pense que cela a eu lieu le 26 juin a été convoquée afin de

 11   rebaptiser l'université et pour changer également le programme

 12   d'enseignement, de commencer à enseigner exclusivement en langue croate --

 13   exclusivement en langue croate. C'était une proposition qui avait été

 14   formulée ni par le recteur, ni par son suppléant, mais par Bozo Zepic qui

 15   était, me semble-t-il, professeur du Marxisme dans la société socialiste et

 16   je pense que c'est ainsi qu'il souhaitait s'affirmer -- enfin, toujours

 17   est-il qu'en apportant ces modifications on allait profondément modifier la

 18   nature de l'université.

 19   Bozo Coric qui était le recteur de l'université, s'y est opposé à ce

 20   moment-là et très vite après, il allait donner sa démission et il est parti

 21   s'installer à Zagreb. D'ailleurs, il vit toujours à Zagreb. J'entretiens de

 22   bonnes relations avec lui.

 23   Q.  Ce problème a-t-il été résolu, je veux dire le problème du statut de

 24   l'université, de la langue d'enseignement et d'autres questions ?

 25   R.  Hélas, nous les universitaires, membres du conseil, nous ne pouvions

 26   pas accepter une chose pareille. Je me souviens d'avoir proposé moi-même

 27   que l'université de Mostar ne porte pas le nom d'université croate, mais

 28   qu'elle porte le nom d'université de Mostar


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  1   -- université, le terme employé en croate pour désigner l'université et

  2   puis, j'ai dit également que ce terme-là "Svecuciliste, est un terme qui

  3   avait été employé pour la première fois à Novi Sad en Serbie, donc c'était

  4   un terme serbe et c'était vraiment de l'humour noir. Mais rien de cela ne

  5   pouvait être accepté comme proposition les Bosniens ont quitté la réunion

  6   et par la suite ils ont également quitté leurs postes à l'université.

  7   Q.  Pour préciser ceci, comme l'interprète l'a demandé, ce sont les

  8   professeurs musulmans qui ont quitté l'université, ou est-ce qu'il y a eu

  9   d'autres professeurs qui sont partis également ?

 10   R.  Les professeurs serbes dont la majorité avaient déjà quitté

 11   l'université. Les professeurs musulmans sont partis parce qu'on n'a pas

 12   accepté que l'enseignement à l'université de Mostar soit fait en bosniaque

 13   et en croate et qu'on adopte des programmes communs, uniques, qui allaient

 14   refléter la réalité qui doit être celle d'une université, à savoir

 15   l'universalité, l'humanisme, et non pas le repli, donc, il fallait que ce

 16   soit une université ouverte.

 17   Mais, compte tenu de la situation, il est évident que ces idées non

 18   pas pu se réaliser, ce qui a fait que le concept d'université multinational

 19   a échoué et 42 professeurs bosniens ont quitté cette université.

 20   D'une autre manière, nous avons poursuivi notre travail. Nos

 21   étudiants qui sont restés -- nos étudiants jusqu'en 1992, on leur a fait

 22   passer des examens. On a gradé le système des notations de six à dix, comme

 23   c'était l'habitude jusqu'à ce moment-là, or les professeurs croates, eux,

 24   ont commencé à appliquer un nouveau programme et non suivi que le programme

 25   croate.

 26   Q.  S'agissant de ce groupe de professeurs qui n'étaient pas d'accord avec

 27   les responsables de l'université, est-ce qu'ils ont essayé de résoudre ce

 28   problème en passant par les autorités officielles de l'Herceg-Bosna ? Je


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  1   parle maintenant non seulement du problème de l'université, mais également

  2   de la langue ?

  3   R.  A ce moment-là, nous avons créé un Conseil des intellectuels musulmans

  4   et nous avons mis sur pied ce conseil pour qu'il joue le rôle d'une sorte

  5   de conscience intellectuelle de Mostar. Nous avons lancé des appels, de

  6   nombreux appels et de nombreuses demandes pour qu'on mette fin à Mostar et

  7   à ses divisions, à cette sorte d'apartheid. Puisque les problèmes qui se

  8   posaient à Mostar étaient très nombreux, nous avons lancé une résolution

  9   des Musulmans d'Herzégovine, en fait, nous l'avons fait suite au dynamitage

 10   de l'église orthodoxe de Mostar. Nous avons lancé une initiative pour qu'on

 11   rédige une résolution dans l'espoir de protéger l'aspect pluriculturel de

 12   Mostar et également pour essayer de  s'inscrire uniquement dans le

 13   fonctionnement des organes légaux de Bosnie-Herzégovine.

 14   Q.  Monsieur le Témoin, à ce moment-là, est-ce que vous connaissiez le

 15   programme politique et culturel du HDZ ?

 16   R.  Mais il était manifeste partout. Ce projet c'est précisément ce projet-

 17   là qui a incité les intellectuels à s'organiser autour de ce Conseil des

 18   intellectuels. Ce projet appelait une réponse créatrice qui allait chercher

 19   à préserver l'être véritable culturel ethnique, l'identité de Mostar.

 20   Q.  Votre association a formulé de quelle manière son objectif principal,

 21   votre organisation musulmane ?

 22   R.  Nous avons rédigé cette résolution. Un groupe a agi au nom du comité

 23   qui a amorcé ce travail initialement, donc, ce groupe devait rédiger le

 24   projet de résolution. Le vice-recteur de l'université, le Pr Zupcevic en a

 25   fait partie, ensuite moi-même, un homme de lettres et un éditeur, Ico

 26   Mutevelic, ainsi que le Mufti de Mostar, Smajkic, et Adem -- je n'arrive

 27   pas à retrouver là son nom de famille, mais cela me reviendra. Nous avons

 28   reçu une première version qui avait été rédigée par Mutevelic et nous


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  1   l'avons analysé lors de cette réunion; ensuite, j'ai été chargé de rédiger

  2   la version définitive. Si cela est possible, ce serait bien si je pouvais

  3   voir cette résolution sous les yeux maintenant, pour pouvoir me rafraîchir

  4   la mémoire au sujet de certains détails que je souhaite exposer à la

  5   Chambre. Je pense que cela doit être possible parce que je vous avais

  6   fourni ce texte précédemment.

  7   M. PORYVAEV : [interprétation] La pièce 00374, peut-on la présenter au

  8   témoin, s'il vous plaît, Monsieur le Greffier ? Page 2 de la version

  9   anglaise, page 1, de la version en B/C/S.

 10   Q.  Monsieur le Témoin, dans cette résolution dont vous avez été un des

 11   auteurs, vous mettez l'accent sur ceci. Vous dites ne pas reconnaître

 12   d'Etats ou de paramilitaires Etats de Croates; de quel croate parlez-vous ?

 13   R.  Au chiffre I, troisième paragraphe quand on part du bas, il est dit

 14   "Que les Musulmans sont favorables à une Bosnie-Herzégovine unique et

 15   indivisible et ne reconnaît aucune formation paraétatique. Les Bosniens ne

 16   voulaient pas que soient établis l'Herceg-Bosna, mais ils s'opposaient

 17   aussi à toute formation analogue. Il y avait eu la SAO en Herzégovine, les

 18   Régions autonomes. Tout le monde le savait. C'est de façon intentionnelle

 19   que nous avons dit que les Musulmans étaient favorables à une Bosnie-

 20   Herzégovine intégrale, unie. Ils refusaient de reconnaître d'Etats ou de

 21   para Etats."

 22   Au chiffre I, premier et deuxième paragraphes, il est dit : "Nous proposons

 23   que les Musulmans vivent en harmonie et avec leurs voisions, leurs

 24   concitoyens parce que le péché collectif n'existait pas. Il n'y a pas de

 25   responsabilités collectives. Chaque individu est responsable de ses actes."

 26   Q.  Page 1 -- page 3, en anglais, page 1, en B/C/S, vous soulignez le fait

 27   que les Musulmans demandent : "Que soit introduite sur un pied d'égalité,

 28   la langue bosniaque." Vous rappelez : "Que


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  1   37 % de la population en vertu du premier recensement s'était prononcé dans

  2   ce sens." Un éclaircissement, s'il vous plaît. Quand vous dites ici,

  3   "Musulmans," est-ce que vous parlez de la population yougoslave dans sa

  4   totalité ? Ce n'est pas très clair pour moi. Je ne comprends pas le texte

  5   de cette résolution, surtout la dernière partie où on parle de langue

  6   croate et de la langue serbe ?

  7   R.  Je vais lire le texte : "Les Musulmans demandent une pleine égalité

  8   pour la langue bosniaque, 37 % des habitants inscrits sont favorables à

  9   cette idée d'après le dernier recensement. Ils veulent que les langues

 10   soient mises sur un pied d'égalité." Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela

 11   veut dire que tous ceux qui utilisent la langue bosniaque, quelque soit

 12   leur appartenance ou leur nationalité, doivent avoir une langue qui a

 13   autant de droits que la langue serbe ou la langue croate. Nous voulions

 14   donc que les langues aient toutes, le même droit. Nous ne voulions pas de

 15   droits exclusifs pour la langue bosniaque. Nous voulions simplement que

 16   cette langue soit la langue de tout le monde.

 17   Q.  Cette question est des plus délicates. En effet, ce n'est pas la

 18   première fois, ce n'est pas dans un procès dont connaît le Tribunal qu'on

 19   discute de la question de la langue bosniaque. Bien souvent, les Conseils

 20   de la Défense ont fait valoir que la langue bosniaque en tant que telle

 21   n'existe pas. Quelle serait votre réponse à une telle affirmation ?

 22   R.  Si la Chambre me le permet, j'aimerais dire qu'il y avait une

 23   délégation de ce conseil avec Ramiz Zupcevic, recteur de l'université, avec

 24   le Pr Alija Piric et l'avocat, Damir Sadovic. Ils sont allés voir le

 25   premier ministre de la communauté croate de l'Herceg-Bosna. A l'époque,

 26   c'était M. Jadranko Prlic. Si on voyait l'original et une copie d'un livre,

 27   d'une grammaire de la langue bosniaque qui remontait à 1890. Je ne sais pas

 28   si cet exemplaire lui est parvenu, je ne lui ferais pas venir si ceci


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  1   l'intéresse. Je pourrais faire toute une conférence sur la langue

  2   bosniaque. Je l'ai fait des centaines de fois. C'est le nom qu'on utilise

  3   pour désigner la langue parlée en Bosnie-Herzégovine. Cette grammaire est

  4   plus ancienne que la grammaire de Martic sur la langue croate. En 1991, les

  5   gens ont pu dire quelle était la langue qu'ils utilisaient. Il y avait

  6   cette possibilité de déclarer qu'on parlait le bosniaque; 37 % de la

  7   population l'ont fait. Cette question a souvent été soulevée. La Cour

  8   constitutionnelle de la Bosnie-Herzégovine a été saisie également de cette

  9   question car on a fait un usage abusif de ce terme. Les Croates disaient

 10   que c'était la langue bosniaque --

 11   Q.  Abandonnons cette querelle linguistique pour revenir à la résolution.

 12   R.  Je m'excuse. Je m'excuse. Est-ce que je peux ajouter quelque chose ?

 13   Q.  Non, non, cela suffira pour le moment.

 14   R.  Excusez-moi.

 15   Q.  Il se peut que les Juges ou les avocats de la Défense aient des

 16   questions. Ces questions vous seront posées, à ce moment-là. L'Accusation

 17   est satisfaite des réponses que vous venez de fournir.

 18   Monsieur le Témoin, veuillez examiner le troisième paragraphe de cette

 19   résolution, page 4 en anglais, page 2, en B/C/S.

 20   R.  Je ne l'ai pas.

 21   Q.  Le document en question, vous ne l'avez pas affiché à l'écran ?

 22   R.  Si, si. Est-ce qu'on peut agrandir le texte en ce qui concerne donc, le

 23   sujet de votre question ?

 24   Q.  Vous voyez maintenant ?

 25   R.  Oui, oui. Quelle est la partie qui vous intéresse ?

 26   Q.  Le paragraphe III, vous dites que vous protestez contre toute forme de

 27   dictature militaire ou de fascisme. Vous utilisez cela, des termes qui sont

 28   très lourds de sens ?


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  1   R.  Est-ce que je peux voir ? Je vois le IV et le V, mais je ne vois pas le

  2   III. Mais non, je le vois. Très bien.

  3   Q.  Oui. Le troisième paragraphe, page 2, en B/C/S. Vous le voyez

  4   maintenant, c'est à l'écran ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Veuillez répondre à la question que je vous ai posée. Il est fait état

  7   de dictatures militaires de néofascisme contre lesquelles vous vous

  8   éleviez. Pourriez-vous nous donner une explication ?

  9   R.  Si la population civile n'a pas le droit de se déplacer librement, s'il

 10   y a des gens qui arborent les insignes fascistes de la Seconde Guerre

 11   mondiale, si on voit la photo d'Ante Pavelic sur les pare-brises.

 12   Q.  Vous venez de mentionner un nom. Pourriez-vous nous donner des

 13   explications, la fournir à la Chambre de première instance ?

 14   R.  Ante Pavelic a été le chef d'un Etat fantoche, l'Etat indépendant de

 15   Croatie pendant la Deuxième guerre mondiale. Certains chants sont entonnés

 16   à propos de fasciste pendant la Deuxième guerre mondiale. Ceci se fait

 17   énormément. Ceci a provoqué de notre part une protestation. Nous ne

 18   voulions pas ce retour du fascisme. Nous ne voulions pas de néofascisme

 19   d'actes commis dans l'esprit fasciste.

 20   Q.  Mais quels étaient les gens qui chantaient ce genre de chants, qui

 21   portaient ce genre d'insigne ?

 22   R.  C'étaient des membres du HOS et du HVO. Ceci se faisait de façon très,

 23   très répandues, très massive.

 24   Q.  Prenons le paragraphe 5. Page 5, en anglais. Page 2 en B/C/S.

 25   Vous le voyez ce paragraphe ?

 26   R.  Oui, oui.

 27   Q.  Dans ce paragraphe vous appelez tous les Musulmans en âge de faire leur

 28   service militaire de rejoindre les rangs des Défenseurs de la Bosnie-


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  1   Herzégovine. Mais pour se défendre face à qui ou contre qui ? Comment être

  2   prêt à la défense, expliquez-vous, s'il vous plaît ?

  3   R.  Vous le voyez dans ce paragraphe. Il est dit que nous faisons appel à

  4   tous les Musulmans en âge de combattre et qui ne sont pas encore sous les

  5   drapeaux. Nous faisons appel à ces gens pour qu'ils rejoignent les rangs

  6   des Défenseurs de la Bosnie-Herzégovine afin qu'ils participent à la

  7   défense contre l'agresseur qui était Serbe à l'époque. Nous ne voulions pas

  8   simplement qu'ils rejoignent les rangs de l'ABiH mais ceux des Défenseurs

  9   de la Bosnie-Herzégovine. Il y avait beaucoup de Bosniens qui étaient dans

 10   le HOS dans le HVO et nous voulions qu'ils s'engagent pour la défense de

 11   leur patrie.

 12   Q.  Est-ce que c'est une résolution qui a été rendue publique ?

 13   R.  Oui. Il y a eu plusieurs conférences de presse qui ont été organisées à

 14   l'occasion de cette résolution. Je pense qu'elle a été publiée dans de

 15   nombreux journaux. On l'a lue à radio Mostar, notamment.

 16   Q.  Est-ce qu'il vous a été facile de rentrer à Stolac après la publication

 17   d'un tel document ?

 18   R.  Cela se comprend. Je pensais que c'était un document tout à fait

 19   correct. Je me disais que ce document pouvait être accepté par toute

 20   personne de bonne foi. Je n'avais pas vraiment peur de rentrer à Stolac,

 21   bien sûr. J'avais peur de rentrer, mais c'était vrai chaque fois parce

 22   qu'il arrivait qu'il y ait des choses désagréables qui se passent au poste

 23   de contrôle, des menaces s'étaient formulées, il y avait des gens qui

 24   voulaient -- qui étaient des fauteurs de trouble, mais je les ai toujours

 25   ignorés.

 26   Q.  Nous avons parlé de ces "ausweiss" et ces permis vous autorisant de

 27   retourner dans la municipalité de Stolac. Est-ce que c'était vrai aussi

 28   pour la Croatie ? Est-ce que vous pouviez aller en Croatie ou pas ?


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  1   R.  On pouvait aller en Croatie, mais uniquement si on avait reçu

  2   l'autorisation de le faire de l'Herceg-Bosna. Il fallait pour aller en

  3   Croatie que j'aille voir les autorités compétentes à Stolac. D'autres

  4   documents délivrés par les instances légales, légitimes à Mostar, et quand

  5   je dis cela je pense "aux organes qui étaient fidèles" envers l'Etat de

  6   Bosnie-Herzégovine, et ces autres documents n'étaient pas acceptés,

  7   beaucoup de gens ont eu des problèmes au moment de franchir la frontière.

  8   Q.  Ces cartes d'identité, ces "ausweiss", où étaient-elles imprimées ?

  9   R.  Tous les documents de l'Herceg-Bosna étaient imprimés à Grude. J'étais

 10   directeur de l'école secondaire pendant de nombreuses années, et je sais

 11   que dans un document on doit indiquer la date d'impression, l'année,

 12   notamment, et sur tous les formulaires étaient mentionnés la date de

 13   février 1992. Deux mois avant la déclaration d'indépendance de la Bosnie-

 14   Herzégovine.

 15   Les certificats scolaires, et d'autres documents étaient imprimés là ainsi

 16   que d'autres formulaires. Autant de documents et formulaires qui ont été

 17   imprimés avant que la Bosnie-Herzégovine ne soit reconnue ou ne soit

 18   déclarée comme indépendant. Quiconque est porteur d'un tel document peut le

 19   vérifier.

 20   Les enfants bosniens n'ont pas voulu accepter ce genre de documents.

 21   Q.  Abordons un autre sujet. En septembre 1992, il y a eu une réunion de

 22   représentants d'organisations musulmanes et d'intellectuels musulmans

 23   indépendants à Mostar. Est-ce que vous avez pris part à cette réunion ?

 24   R.  Oui. Les représentants de toutes les organisations éducatives,

 25   scientifiques, religieuses, culturelles y ont participé. Tous ceux qui

 26   étaient des acteurs de la vie sociale y ont participé.

 27   Q.  Dans quelle mesure votre résolution a-t-elle été un document fondateur

 28   pour ce Conseil de Musulmans ?


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  1   R.  Ce Conseil de Musulmans n'étaient pas une instance officielle. C'était

  2   une instance de coordination, qui s'efforçait de coordonner sans

  3   représenter de menaces pour qui que ce soit qui s'efforçait de défendre, de

  4   protéger les intérêts des Musulmans de Bosnie qui étaient en péril à

  5   l'époque.

  6   M. PORYVAEV : [interprétation] Peut-on montrer au témoin la pièce de

  7   l'Accusation 09579, page 1, dans les deux versions ?

  8   Q.  Est-ce que vous y voyez le nom de Faruk Cupina ?

  9   R.  Oui.

 10   Q.  Quelle était sa fonction officielle au sein de l'organisation, au

 11   niveau de l'organisation et du fonctionnement de l'association ?

 12   R.  Vous le voyez, ici c'est un extrait d'un procès-verbal de cette réunion

 13   qui s'est tenue le 19 septembre. Il y avait des représentants de Mostar, de

 14   Jablanica, de Capljina, de Stolac, de Prozor, notamment, il y avait Faruk

 15   Cupina qui a participé. Il a eu des personnes qui ont présidé la réunion.

 16   Le Conseil des Musulmans a été formé, il y avait aussi Suta qui a présidé

 17   Otravo [phon] et Faruk Cupina a été nommé président du comité exécutif de

 18   ce conseil.

 19   Q.  Prenons une autre partie de ce document, on y voit une analyse de la

 20   situation qui prévoit en Bosnie-Herzégovine. Si vous voyez l'ordre du jour,

 21   celui du point 1, dites-nous, bien sûr pour autant que vous vous en

 22   souveniez, comment vous avez analysé la situation qu'on trouvait en Bosnie-

 23   Herzégovine en septembre 1992 ?

 24   R.  Nous, intellectuels, nous trouvions dans une situation telle qu'il

 25   fallait afficher notre position, c'est la raison de la formation de ce

 26   Conseil d'intellectuels et aussi la raison de la création de ce Conseil de

 27   coordination, car le système constitutionnel -- le système légal en Bosnie-

 28   Herzégovine était menacé. En septembre, la Cour constitutionnelle a déclaré


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  1   par voix de décision que l'Herceg-Bosna était une entité

  2   anticonstitutionnelle. Il fallait voir comment nous pourrions poursuivre

  3   cette coordination. Nous avions des difficultés avec plusieurs personnes,

  4   nous avions des difficultés avec le Parti de l'Action démocratique qui

  5   avait collaboré avec des représentants de l'Herceg-Bosna, qui jouaient un

  6   rôle très particulier et il a fallu prendre des mesures pour protéger les

  7   intérêts entravés des Bosniaques qui étaient en danger.

  8   Q.  Au septième paragraphe, page 6 en anglais, page 2 en B/C/S, vous

  9   manifestez vos protestations à l'égard des organes officiels de la

 10   République de Croatie qui a refusé de reconnaître la validité des documents

 11   officiels de la République de Bosnie-Herzégovine; est-ce que ce genre de

 12   chose s'est effectivement passé ?

 13   R.  Hélas, de telles choses se sont effectivement produites. C'était devenu

 14   intolérable, on avait dépassé un certain seuil de tolérance, ce n'était

 15   plus seulement une situation où c'était des individus qui créaient des

 16   difficultés, à l'époque la frontière était pratiquement fermée et les gens

 17   qui avaient des documents tout à fait valables de la Bosnie-Herzégovine. Si

 18   elles n'avaient pas l'autorisation de l'Herceg-Bosna et se voyaient dans

 19   l'impossibilité de franchir cette frontière de la Bosnie-Herzégovine, ceci

 20   explique pourquoi nous avons protesté auprès du gouvernement de Croatie et

 21   nous avons informé les organes de notre Etat de ce fait.

 22   Q.  Est-ce que vous avez eu des réactions de la part de la République de

 23   Croatie ?

 24   R.  Malheureusement, non. Nous avons organisé une conférence de presse

 25   publique au cours de laquelle nous avons rendu public tous ces faits, mais

 26   hélas sans recevoir de réactions.

 27   M. PORYVAEV [interprétation] Monsieur le Président, j'ai terminé ce

 28   volet. Je me proposais de passer à une autre saisie de questions, serait-il


Page 2198

  1   utile de faire la pause maintenant ?

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, il serait temps de faire la pause, simplement

  3   pour les besoins du transcript, le dernier document

  4   L 9579, alors qu'au départ on avait indiqué 9759, donc c'est 9579.

  5   Bien. Alors, nous allons faire la pause, il est 4 heures moins 20,

  6   nous reprendrons à 4 heures.

  7   --- L'audience est suspendue à 15 heures 40.

  8   --- L'audience est reprise à 16 heures 03.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise. L'interrogatoire principal

 10   se poursuit.

 11   M. PORYVAEV : [interprétation]

 12   Q.  Monsieur le Témoin, nous avons donc parlé de l'année 1992 et nous

 13   allons aborder maintenant l'année 1993. Quel a été le traitement qui vous a

 14   été réservé de la part des autorités officielles de Stolac en 1993 ?

 15   R.  Malheureusement, dès le début de l'année 1993, j'ai eu quelques

 16   problèmes. Je vivais dans la maison de ma famille. Au mois d'avril, j'ai

 17   vécu des problèmes graves car, à partir de ce moment-là, il m'a été

 18   interdit de recevoir la moindre visite et il m'a également été interdit de

 19   sortir de la maison. Je me suis donc retrouvé, en fait, dans la situation

 20   de quelqu'un qui est assigné à résidence.

 21   Q.  Cette décision avait été prise par qui ?

 22   R.  Cette décision figurait par écrit comme étant l'ordre émanant du

 23   commandant de l'unité logée dans la maison de mon frère à Begovina. Ce

 24   document était signé par Veselin Veso Raguz, qui commandait le bataillon

 25   Cet ordre a été cloué sur la porte d'entrée de la maison de Begovina.

 26   On voit encore les traces des clous sur cette porte.

 27   Q.  Avez-vous déposé une protestation officielle contre cette décision qui

 28   équivalait à une forme d'arrestation ?


Page 2199

  1   R.  J'ai immédiatement pris mon vélo pour aller au commandement de l'unité

  2   en question où j'ai trouvé M. Raguza. Ce qui m'a énormément surpris, c'est

  3   de voir dans le bureau qu'il occupait au commandement dans le cadre qui

  4   avant, contenait la photographie de Josip Broz, j'ai vu une grande

  5   photographie d'Ante Pavelic. J'ai protesté vigoureusement contre cela. J'ai

  6   dit que je tenais à avoir des explications car j'étais un citoyen loyal, et

  7   cetera, et cetera, mais cela n'a eu aucun résultat. Par ailleurs, avant

  8   cela --

  9   Q.  Monsieur le Témoin, j'aimerais que vous nous disiez quel était le poste

 10   occupé par Raguza et quel était son prénom ? Ce

 11   M. Raguz dont vous venez de parler et que vous avez dit être allé

 12   rencontrer.

 13   R.  Veselin Veso Raguz occupait, à ce moment-là, le poste de commandement

 14   du bataillon qui était stationné à Stolac. Deux mois plus tard, il a été

 15   nommé au poste de commandement de l'unité du HVO dans la ville. Il est donc

 16   devenu commandant de l'unité qui allait commettre la déportation des

 17   habitants de Stolac, qui allait donc, les envoyer dans les camps de

 18   concentration et chasser les enfants, les femmes, les personnes âgées de la

 19   ville. C'est de cette personne que je parle dont le nom est Veselin Veso

 20   Raguz.

 21   Q.  Donc, après être allé le voir, vous êtes resté assigner à résidence

 22   jusqu'à quel moment ?

 23   R.  Jusqu'au 1er juillet, à 5 heures du matin. A ce moment-là, j'ai été

 24   arrêté. On m'a emmené à l'hôpital de Kostana qui fêtait son centenaire,

 25   cette année-là. Cet hôpital existait en tant qu'hôpital spécialisé depuis

 26   100 ans et c'est là qu'on m'a amené pour ce qui es convenu d'appeler, une

 27   conversation informative.

 28   Q.  Qui vous a arrêté et qui vous a emmené à l'hôpital ?


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  1   R.  Le matin, à 5 heures du matin, des soldats sont arrivés. C'étaient en

  2   fait des membres de la police militaire. Ces hommes portaient des fusils

  3   automatiques. Ils ont tambouriné à la porte. Je me suis réveillé. J'ai

  4   ouvert la porte et la seule chose qu'ils m'ont permise de faire c'est de

  5   revêtir un jean, des baskets et un t-shirt, et on m'a emmené pour ce qu'il

  6   est convenu d'appeler, une conversation informative, mais, malheureusement,

  7   mon séjour s'est prolongé plusieurs mois.

  8   Q.  Y avait-il eu des arrestations à Stolac avant le

  9   1er juillet ? Je parle d'habitants musulmans.

 10   R.  J'ai dit que -- j'ai réfléchi aux motifs qui avaient justifié mon

 11   assignation à résidence et d'après mon interprétation, ces motifs, c'est

 12   que le 20 avril, tous les membres de la protection civile ont été arrêtés.

 13   Tous les Musulmans donc, des gens qui n'étaient pas Croates ont été emmenés

 14   à Grabovo, non loin de Capljina. A ce moment-là, il y avait dans le

 15   voisinage, une brigade qui existait légalement et qui avait interdiction de

 16   faire un pas sur le sol de la municipalité de Stolac. Elle était donc à une

 17   vingtaine ou à une trentaine de kilomètres, mais ne pouvait pas franchir la

 18   limite qui la séparait du territoire de la municipalité de Stolac. Cette

 19   brigade a été totalement désarmée, à l'époque. Tous ces membres ont été

 20   emprisonnés en même temps que les membres de la protection civile. Je peux

 21   fournir des noms éventuellement.

 22   Q.  Nous aimerions d'abord que vous nous répétiez le nom de la brigade qui

 23   n'est pas inscrit au compte rendu d'audience. Pouvez-vous nous dire quel

 24   est le nom de cette brigade ?

 25   R.  La brigade s'appelle la Brigade de Bregava. Elle comptait les

 26   défenseurs de Stolac et son nom était le nom de la rivière qui traverse

 27   notre ville.

 28   Q.  Etait-ce une unité composée uniquement de Musulmans ou était-ce une


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  1   unité mixte ?

  2   R.  C'était une unité composée de Musulmans, mais je crois qu'elle comptait

  3   deux ou trois membres serbes.

  4   Q.  Vous avez évoqué des noms. Qui commandait cette unité ?

  5   R.  Bajro Pizovic commandait cette unité, le Pr Pizovic, et le commandant

  6   de l'état-major. Son suppléant était le colonel Djemil Sijacic. Mehmed

  7   Dizdar a été arrêté, à ce moment-là, ainsi que tous les membres du

  8   commandement et au sein de la protection civile, Sacir Turkovic, un

  9   professeur, Mohamed Sator [phon], un professeur également, Ibrahim

 10   Mahmutovic, instituteur, ont tous été arrêtés. Donc, il est devenu apparent

 11   que l'on arrêtait avant tout les intellectuels.

 12   Q.  Quelles étaient les fonctions de Mehmed Dizdar ?

 13   R.  Mehmed Dizdar était suppléant du chef de la police avant la guerre

 14   quand les Serbes étaient à Stolac. Après quoi, il a eu de gros problèmes.

 15   Il a été contraint de se cacher, lui aussi, car le HVO menaçait de le tuer.

 16   Plus tard, il a passé quelques temps au sein de HOS et, ensuite, il a

 17   rejoint l'ABiH où il a été versé au sein du commandement, et il a écrit un

 18   livre à ce sujet.

 19   Q.  Y a-t-il eu d'autres cas d'arrestations en juillet 1993, à Stolac, au

 20   début de juillet 1993 ?

 21   R.  Le nom du mois de juillet en Croate, Srpanj, c'est-à-dire, un nom tiré

 22   d'un outil utilisé pour couper l'herbe -- pour faucher l'herbe. À ce

 23   moment-là, tous les hommes habitant en Stolac et dont l'âge était inférieur

 24   à 65 ans ont été amenés au camp Dretelj à l'Heliodrom et dans d'autres

 25   lieux de détention. J'ai fait partie des premiers qui ont été arrêtés,

 26   j'ai, en fait, été le deuxième ou le troisième à être arrêté, après quoi,

 27   les autres ont suivi. J'ai été envoyé à Dretelj.

 28   Q.  Les membres de votre famille, vos parents proches, ont-ils été arrêtés


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  1   également ?

  2   R.  Malheureusement, tous les membres de ma famille, en tout cas la plupart

  3   de ceux qui étaient à Stolac ont été arrêtés et amenés dans un camp. Mon

  4   frère qui habite aujourd'hui ici, au Pays-Bas, a été amené dans cet atroce

  5   camp constitué d'un tunnel dont il sera sans doute question plus tard ici.

  6   Ils ont donc tous été arrêtés.

  7   Q.  Votre épouse ?

  8   R.  Mon épouse et ma fille sont restées dans la maison après qu'on m'est

  9   amené. Elles y sont restées seules, entourées d'une trentaine de soldats.

 10   Ma femme ne savait pas ce qu'il advenait de moi, elle s'est efforcée

 11   d'entrer en contact avec certaines personnes en ville. Elle a essayé

 12   d'aller au commandement pour avoir des renseignements à mon sujet, personne

 13   ne souhaitait lui répondre. Elle a compris que quelque chose de grave se

 14   passait, elle est retournée à la maison très émue.

 15   Plusieurs jours plus tard, des gens qui me connaissaient lui ont

 16   appris que j'étais dans le camp de Dretelj. Elle a donc essayé de venir me

 17   voir pour m'apporter des vêtements car j'étais parti sans rien. C'était

 18   autour du 10 juillet et, par la suite, elle n'a plus été autorisée à

 19   rentrer dans notre maison. Alors, elle s'est installée dans la maison de

 20   nos voisins les plus proches qui se trouvent à 300, 400, 500 mètres de

 21   Begovina et, tous les jours, elle venait dans notre maison chercher

 22   quelques objets, cela a duré trois ou quatre jours après quoi elle a eu

 23   interdiction formelle de pénétrer dans notre maison. La même interdiction

 24   valait pour votre fille. 

 25   Q.  Que lui est-il arrivé plus tard, vers l'année 1993 ?

 26   R.  Le 4 août 1993, tous les habitants de Stolac qui n'étaient pas encore

 27   partis, il s'agit donc de personnes âgées, de femmes, d'enfants,

 28   d'handicapés, toutes ces personnes ont été chargées à bord de camions et on


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  1   les a amenées dans des usines, dans les écoles et plus tard, sur la ligne

  2   de démarcation à quelques kilomètres de la ville de Blagaj. Donc, c'est le

  3   front de Mostar, pas loin de Buna, et elle a été contrainte en même temps

  4   que toutes les autres personnes concernées, les personnes âgées avant tout,

  5   de faire à pied plusieurs kilomètres chaque jour. Sa mère, à un certain

  6   moment n'a pas pu continuer, elle était totalement épuisée, et pas mal de

  7   personnes âgées ont été tuées en chemin parce qu'il leur arrivait souvent

  8   de tirer sur ces personnes avec des fusils. Un jour, un jeune homme a fait

  9   son apparition et il avait une brouette qu'il a utilisée pour transporter

 10   ma belle-mère et l'aider, donc, à couvrir le reste du chemin. Ma grand-mère

 11   avait 80 ans.

 12   Seize Bosniens seulement sont restés à Solac sur les 5 000 et

 13   quelques qui y habitaient à l'époque. Vous voyez ce que cela signifie du

 14   point de vue chiffres vous-même.

 15   Q.  Qui vous a donné les informations au sujet de la situation de votre

 16   épouse et des autres habitants de Solac qu'on avait amenés ?

 17   R.  J'ai reçu les premières informations quand j'étais à Dretelj. Dans le

 18   hangar où je me trouvais, un certain nombre de personnes sont arrivées qui

 19   nous ont dit que tous les habitants de Solac avaient été déportés, donc,

 20   lorsque j'étais dans le camp, j'ai déjà eu quelques renseignements, mais la

 21   seule personne dont je n'avais -- au sujet de laquelle je n'avais aucune

 22   information c'était mon fils, et je n'ai rien su à son sujet pendant

 23   plusieurs mois. C'était très dur pour moi, parce qu'il avait 15 ou 16 ans à

 24   ce moment-là, il était lycéen, donc je parle ici d'enfants qui eux aussi

 25   ont été enfermés dans des camps. J'ajouterais qu'en ma compagnie, il y

 26   avait aussi quelques personnes âgées, dont Hamdija Mesak, qui avait 80 ans

 27   ou même davantage, 83, si je me souviens bien, et j'en parle longuement

 28   dans ma déposition écrite.


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  1   Q.  Revenons au moment où vous avez été arrêté. Nous allons parler de

  2   l'hôpital où on vous a amené. Combien de temps avez-vous été enfermé dans

  3   cet hôpital ?

  4   R.  Quand je suis arrivé à l'hôpital, j'ai demandé à voir le commandant de

  5   la police militaire, M. Puljic, qui était ingénieur mécanicien et il avait

  6   d'ailleurs fait ses études dans l'institution dont j'étais le directeur par

  7   le passé, donc comme je ne comprenais pas ce qui se passait, je pensais

  8   pouvoir lui parler et obtenir des explications. J'ai donc demandé à le

  9   rencontrer et la seule réponse a été un coup de point sur la joue qui m'a

 10   cassé plusieurs dents. On m'a amené ensuite dans la cave de l'hôpital où

 11   j'ai passé deux ou trois heures, si je me souviens bien, après quoi j'ai

 12   été déporté en même temps que deux autres hommes, Esad Suta, qui m'a dit

 13   que cela n'allait sans doute pas durer très longtemps parce que son copain

 14   d'école, Valenta Coric, allait sûrement intervenir pour essayer de le

 15   sauver. Ils avaient fait leurs études ensemble. Puis, il y avait aussi

 16   Camil Medar qui, si je me souviens bien, était un économiste. On nous a

 17   emmené dans une camionnette fermée. Le chauffeur, l'homme qui nous

 18   escortait, était armé et, pendant toute la durée du chemin, ces deux jeunes

 19   gens saluaient la foule avec le bras levé.

 20   Je suis arrivé à l'entrée de Dretelj où Ivica Kraljevic m'a accueilli. Dès

 21   le début, il a établi la liste des personnes qui arrivaient, je ne sais pas

 22   s'il a continué à le faire par la suite. Il m'a donc enlevé mes papiers

 23   d'identité et, donc, je suis resté sans le moindre document prouvant mon

 24   identité.

 25   Q.  Quelles étaient les fonctions -- quel était le poste occupé par Ivica

 26   Kraljevic ?

 27   R.  Ivica Kraljevic était le suppléant du commandant, en tout cas, du chef

 28   du camp de Dretelj.


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  1   Q.  Combien de personnes sont arrivées en même temps que vous dans le camp

  2   de Dretelj, ce jour-là ?

  3   R.  Ce jour-là et, le lendemain, 3 500 à 3 600 personnes ont été amenées au

  4   camp de Dretelj au total. Pourquoi est-ce que je mentionne le lendemain

  5   parce que, le lendemain, des soldats du HVO sont arrivés et ces soldats du

  6   HVO étaient tous les Musulmans, tous les Bosniaques qui, avant, se

  7   trouvaient dans les Unités du HVO, et cela a été fait sans la moindre

  8   raison. Des soldats à part entière ont donc été désarmés, sans la moindre

  9   justification à ce moment-là. On les a donc amené directement depuis le

 10   front, le front qui les séparait de l'armée serbe.

 11   Q.  Professeur, à votre arrivée à Dretelj est-ce que l'un ou l'autre des

 12   responsables du camp vous a fait subir un interrogatoire ?

 13   R.  Personne ne m'a fait subir le moindre interrogatoire. On m'a

 14   immédiatement installé dans une baraque où il y avait d'autres personnes.

 15   Cette baraque était normalement utilisée pour entreposer du carburant, de

 16   l'huile, donc, elle était très sale, et c'est comme cela que j'ai que par

 17   le passé elle avait dû servir à entreposer ce genre de produits et nous

 18   étions à même le sol en béton.

 19   Q.  Qui commandait Dretelj ?

 20   R.  Je ne le connaissais pas. Je ne l'ai lu qu'une fois. Je crois qu'elle

 21   s'appelait Anicic, et plus tard le commandant, par la suite le commandant a

 22   été remplacé par Tomo Sakota.

 23   Q.  Qui assurait la sécurité du camp de Dretelj ? Qui gardait le camp ?

 24   R.  La police militaire.

 25   Q.  Savez-vous --

 26   R.  Je ne sais pas s'il y en avait qui n'était pas de la police militaire.

 27   A mon arrivée, les seuls que j'ai pu voir étaient des membres de la police

 28   militaire. Je parle de ceux qui nous gardaient à ce moment-là.


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  1   Q.  Mais dans le camp ceux qui vous gardaient étaient-ils également membres

  2   de la police militaire ou appartenaient-ils à d'autres unités ?

  3   R.  Oui, oui. Je suis en train de parler d'eux. Je crois que c'étaient des

  4   membres de la police militaire. Je n'ai pas fait particulièrement

  5   attention, je n'ai pas regardé de très près leur insigne. Cela n'avait pas

  6   une très grande importance pour moi à ce moment-là compte tenu des

  7   circonstances. Mais je crois qu'il s'agissait de la police militaire du

  8   HVO.

  9   Q.  Vous avez prononcé une fois le nom de Valentin Coric en disant que

 10   c'était quelqu'un dont une personne arrêtée en même temps que vous pensait

 11   qu'il pouvait lui venir en aide. Saviez-vous quelles étaient les fonctions

 12   de Valentin Coric à ce moment-là ?

 13   R.  Non, je ne le savais pas. Je ne connaissais pas cet homme. Je n'avais

 14   jamais rien eu à faire avec lui.

 15   Q.  Qui vous a dit qu'il pourrait éventuellement aider un autre détenu à

 16   échapper à son arrestation d'une façon ou d'une autre ?

 17   R.  Des gens envoyaient des lettres de garantie à cette époque-là de

 18   plusieurs pays européens, c'étaient donc des gens qui habitaient à

 19   l'étranger depuis longtemps. Il arrivait mais très rarement qu'ayant

 20   bénéficié d'une telle lettre de garantie, l'un ou l'autre des détenus

 21   puisse sortir. Donc, il y a eu quelques rares détenus qui ont réussi à

 22   sortir de ce camp de concentration, mais leur nombre était tout à fait

 23   insignifiant.

 24   Bien entendu, j'ai continué à essayer d'écrire à ma sœur pour voir si elle

 25   pourrait intervenir et faire quelque chose pour moi. Mais malheureusement

 26   toutes ces tentatives n'ont eu aucun effet.

 27   Q.  Où étiez-vous détenu à Dretelj ?

 28   R.  J'étais dans une baraque dont j'ai déjà parlé. J'ai dit quelle était


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  1   son utilité auparavant. On y pénétrait par deux énormes portes qui

  2   servaient sans doute à introduire le carburant dont j'ai parlé tout à

  3   l'heure.

  4   Cette baraque avait trois, quatre ou cinq fenêtres, je ne me souviens pas

  5   exactement. Je ne les ai pas comptées une par une. Des fenêtres de 1 mètre

  6   et demi sur 50 centimètres. Ces fenêtres avaient des barreaux. Par la

  7   suite, nous avons dû casser les vitres pour arriver à respirer un peu

  8   d'air.

  9   Cette baraque avait un toit en selonit [phon] et l'intérieur était

 10   totalement vide, donc nous dormions sur le béton.

 11   Q.  Combien d'autres personnes étaient détenues dans cette baraque ?

 12   R.  Je n'ai pas compté tous les détenus, mais je dirais simplement : qu'il

 13   nous était vaguement possible de nous asseoir, mais absolument pas de nous

 14   allonger. La seule façon c'était d'être allongés sur le côté. Il y avait à

 15   peu près 50 personnes par rangée. Quand nous étions totalement ankylosés et

 16   que nous ressentions le besoin de nous tourner de l'autre côté, il fallait

 17   que toute la rangée se retourne de l'autre côté. Il est facile de calculer

 18   quelle est la place occupée au sol par une personne allongée sur le côté et

 19   donc on peut déterminer combien de personnes se trouvaient là en faisant ce

 20   genre de calcul.

 21   D'ailleurs au niveau des roches, j'ai pendant longtemps eu des

 22   ecchymoses des deux côtés.

 23   Q.  Il y avait combien de baraques dans cette enceinte de Dretelj ?

 24   R.  Je pense qu'il y avait en tout sept espaces où il s'est trouvé environ

 25   3 500 personnes. Je pense qu'il y avait cinq baraques et deux tunnels. Nous

 26   les appelions tunnels parce que c'étaient des entrées dans des passages

 27   sous terrain, des entrepôts d'où on ne pouvait pas ressortir de l'autre

 28   côté. Donc, c'étaient des deux vastes entrepôts, et il y avait des bars


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  1   devant, il y avait une porte, une porte qui avait cinq sur six mètres de

  2   large. C'étaient les seules entrées par lesquelles les gens qui se

  3   trouvaient dans le tunnel pouvaient recevoir de l'air. Mon frère s'est

  4   trouvé dans un ces tunnels tandis que j'étais dans une baraque.

  5   Q.  Qui sont les détenus qui étaient détenus à Dretelj ?

  6   R.  Tous sans exception. Le pire dans cette situation c'étaient ces

  7   enfants. Je ne sais pas si c'est quelque chose à quoi j'étais

  8   particulièrement sensible parce que, pendant toute ma vie, je suis occupé

  9   des enfants, ou parce que mon fils était leur camarade de classe. Mais

 10   c'est une image que je n'arrive pas à oublier. De jour en jour, ils

 11   perdaient du poids ces enfants qui étaient à l'âge de la puberté, et ils

 12   faiblissaient à vue d'œil. Leurs oreilles semblaient grandir, et leurs yeux

 13   également devenaient de plus en plus grands, tandis que tout le reste

 14   fondait.

 15   Il y avait des personnes âgées là où je me suis trouvé, les autres

 16   c'étaient des citoyens qui n'avaient appartenu à aucune unité militaire.

 17   Il y avait des soldats qui étaient membres du HVO, ils étaient dans les

 18   tunnels, et ils avaient peur du pire.

 19   Q.  Votre frère il était membre du HVO ?

 20   R.  Non, il se trouvait dans la protection civile. Il est venu voir mon

 21   épouse pour voir ce qui était advenu d'elle, et quand ils ont désarmé les

 22   soldats dans une unité qui s'est trouvée dans la maison de mon frère, il

 23   est venu et il n'avait que des tongs aux pieds et une tenue de jogging.

 24   C'est ainsi qu'il est arrivé.

 25   Q.  Est-ce qu'il y avait des personnes âgées dans le camp de Dretelj ?

 26   R.  Il y avait des personnes âgées qui avaient plus que 65 ans. Il y en

 27   avait pas mal dans ma baraque, j'en ai vu plusieurs. J'ai mentionné un nom

 28   qui est le père de mon témoin de mariage, Hamdija Mesak. Ce fût une longue


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  1   histoire de dire comment il s'est comporté, un vieillard de 83 ans. Il

  2   avait très mauvaise mine dans cette situation. Mizo Disdar, un autre homme,

  3   un agronome. Mais deux ou trois jours, deux ou trois matinées, il a levé le

  4   bras pour demander s'il pouvait retourner à son poste parce qu'il était

  5   agronome, il travaillait dans les vignobles. Si le vent se levait, il

  6   allait détruire ces vignes. Mais vous pouvez imaginer, imaginer l'état

  7   d'esprit de cet homme qui n'a absolument rien compris à la situation.

  8   Q.  Monsieur le Témoin, est-ce que vous avez suffisamment d'eau dans votre

  9   baraque ?

 10   R.  Hélas, nous n'avions pas d'eau ni de nourriture. Une fois par jour, on

 11   nous donnait quelque chose qui était qualifié de repas, 33 récipients en

 12   aluminium étaient placés par terre, à même là et il y avait là un grand

 13   récipient d'où on prenait à la louche, le contenu. C'était plutôt à queue

 14   avec un ou deux macaronis ou des pois secs, pois blancs. Alors, une miche

 15   de pain était divisée en 16 morceaux. Je ne sais pas si vous pouvez

 16   imaginer, c'était une miche de 600 grammes et on nous servait cette

 17   nourriture brûlante. Il fallait bien qu'on l'engloutisse parce qu'en 17

 18   minutes, nous devions tous avoir terminé ce qu'ils appelaient, le repas.

 19   C'est tout ce qu'on nous donnait, nos palets, l'intérieur de ma bouche

 20   était constamment abîmé. Ma muqueuse était complètement détruite. Je n'en

 21   avais plus.

 22   Q.  Qu'en est-il des toilettes ? Est-ce que vous en aviez ?

 23   R.  Malheureusement, non seulement, on n'avait pas de toilettes pendant

 24   longtemps mais on ne nous donnait pas la possibilité de sortir du hangar

 25   pour faire nos besoins physiologiques. Donc, comment on faisait ? Il y

 26   avait des gens qui avaient sur eux un sac en plastique ou, par exemple, une

 27   bouteille de coca, en plastique. Enfin, il est arrivé des choses comme cela

 28   dans le hangar. Donc, on urinait dans ces bouteilles et pendant la nuit, on


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  1   vidait ces quelques bouteilles qu'on avait. Donc, on les vidait en passant

  2   par les fenêtres. Pour ce qui est de la défécation, il fallait qu'on se

  3   serve de ces sacs en plastique et pendant la nuit, on les vidait également

  4   dehors. C'était l'une des pires humiliations.

  5   Q.  Est-ce que vous avez reçu des soins médicaux ?

  6   R.  Au bout de quelques temps, dans une baraque où il y avait eu des

  7   installations, des extincteurs de feu, on a  installé quelque chose qu'on

  8   pourrait qualifier d'infirmerie. Il y avait un médecin qui, lui aussi, se

  9   trouvait détenu dans ce camp. On l'a emmené là-bas et on faisait venir là-

 10   bas les gens qui avaient besoin d'urgence, d'aide médicale. Mais cet homme,

 11   il n'avait aucun moyen pour agir. C'était plus par la forme. Cette

 12   infirmerie ne pouvait pas vraiment secourir les gens.

 13   Je voudrais présenter quelques pièces à conviction, à présent.

 14   Vaudrait-il mieux présenter les impressions sur papier ?

 15   M. PORYVAEV : [interprétation] Monsieur le Président, ou est-ce que je me

 16   sers du système électronique ?

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Papier électronique d'abord. Si cela ne marche pas,

 18   on fera le ELMO. Il faudra indiquer le numéro de la pièce.

 19   M. PORYVAEV : [interprétation]

 20   Q.  La première pièce 9019, c'est le premier numéro; et les deuxièmes

 21   01092986, 01092987 et il s'agit de deux photos, 86, et non pas 68. Je

 22   répète, 01092986. C'est la page 10 de l'album.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : Je crois qu'il vaut faire avec le ELMO. On va

 24   mettre les photos sur le rétroprojecteur.

 25   M. PORYVAEV : [interprétation] Oui, oui, tout à fait.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Voilà, comme cela, c'est plus rapide.

 27   M. PORYVAEV : [interprétation]

 28   Q.  Très bien. La première photo, Monsieur le Témoin, reconnaissez-vous cet


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  1   endroit ? N'êtes-vous jamais allé à cet endroit ?

  2   R.  Oui, c'est Dretelj. Est-ce que je peux montrer ce tunnel ? Cela, ce

  3   sont les baraques.

  4   Q.  La baraque, c'est où ?

  5   R.  C'est sur le tunnel. Cela.

  6   Q.  Je voudrais que vous annotiez le tunnel. Est-ce que vous pouvez tracer

  7   un cercle avec le feutre et inscrivez le chiffre 1 ? Paraphez et inscrivez

  8   la date.

  9   R.  22 ?

 10   Q.  Oui, la date ?

 11   R.  Nous sommes bien le 22.

 12   Q.  Vos initiales ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Il faudrait que la date soit inscrite à l'intérieur du cercle si vous

 15   le pouvez, et vos initiales ?

 16   R.  [Le témoin s'exécute]

 17   Je l'ai fait. Vous avez mes initiales. Vous avez le chiffre 1.

 18   Q.  La baraque ? Il faudrait tracer un cercle également. Inscrivez le

 19   chiffre 2.

 20   R.  [Le témoin s'exécute]

 21   Q.  Très bien. Je pense qu'on en a terminé avec cette pièce à conviction.

 22   M. PORYVAEV : [interprétation] La pièce 9564, peut-on la présenter au

 23   témoin, s'il vous plaît ?

 24   Q.  Voyez-vous cette pièce, Monsieur le Témoin ?

 25   R.  Hélas, je vois. C'est la baraque où je me suis trouvé.

 26   Q.  Laquelle, 1 à 3 ?

 27   R.  A droite, c'est la baraque que je viens d'annoter en apposant le

 28   chiffre 2.


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  1   Q.  Est-ce que vous pouvez annoter maintenant en inscrivant le chiffre 3 ?

  2   M. PORYVAEV : [interprétation] Encore une fois --

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]

  4   M. PORYVAEV : [interprétation] Désolé.

  5   LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]

  6   M. PORYVAEV : [interprétation]

  7   Q.  Excusez-moi. La baraque, il faudrait que vous nous annotiez la baraque,

  8   et non pas le ciel.

  9   R.  [Le témoin s'exécute]

 10   Q.  Vos initiales.

 11   R.  [Le témoin s'exécute]

 12   Q.  Je vous remercie.

 13   M. PORYVAEV : [interprétation] M. le Greffier pourrait-il, s'il vous plaît,

 14   attribuer des cotes électroniques à ces pièces en les téléchargeant ?

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, il faut donner des numéros aux

 16   pièces, déjà la première qui venait du "ELMO".

 17   M. LE GREFFIER : [interprétation] La première pièce à conviction recevra la

 18   cote IC 00012. La deuxième pièce dans le système électronique aura la cote

 19   IC 00013. Merci.

 20   M. PORYVAEV : [interprétation]

 21   Q.  Monsieur le Témoin, à quel moment avez-vous rencontré votre frère pour

 22   la première fois dans le camp de Dretelj ?

 23   R.  C'était un mois plus tard, peut-être. A cet endroit, on distribuait le

 24   repas du midi, le déjeuner. Mon frère arrivait en provenance de là, et moi

 25   de cette baraque. C'est là par hasard qu'on s'est vus, autrement on

 26   n'aurait pas pu.

 27   Je ne l'ai pas reconnu d'emblée quand je l'ai vu jusqu'à ce qu'il ne

 28   s'approche à un mètre et demi, voire deux mètres de moi. Quand il est


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  1   devenu près, sur son corps, il portait de la moisissure verte. Il était

  2   couvert de moisissure.

  3   Q.  Quel est son nom ? Comment s'appelle votre frère ?

  4   R.  Smail Rizvanbegovic. Il est ingénieur en bâtiment civil.

  5   Q.  Monsieur le Témoin, la Croix-Rouge est-elle jamais venue vous voir au

  6   camp de Dretelj ?

  7   R.  Des représentants de la Croix-Rouge sont venus une fois. C'est consigné

  8   dans les documents que je vous ai remis. Il y a une attestation qui a été

  9   établie par la Croix-Rouge. Lorsqu'ils sont venus, cela a été notre

 10   première rencontre avec les gens venus de l'extérieur.

 11   Pendant plusieurs jours, ils nous ont reçus tout un chacun, ils nous

 12   ont examinés, ils ont pris notre poids, nos mesures, et dans ma carte de la

 13   Croix-Rouge, il est écrit que j'avais à l'époque 64 kilos alors que j'étais

 14   entré dans le camp en pesant 87 kilos et que je faisais un mètre 82 de

 15   taille. C'est ce que vous pouvez trouver dans ces documents. Donc, j'étais

 16   devenu un squelette.

 17   M. PORYVAEV : [interprétation] Numéro 0996, c'est la pièce que je voudrais

 18   présenter au témoin, s'il vous plaît.

 19   Q.  Voyez-vous ce document ?

 20   R.  Non, non.

 21   M. PORYVAEV : [interprétation] Le témoin peut-il recevoir le document ? A

 22   présent on le voit.

 23   Q.  Le voyez-vous ?

 24   R.  Je le vois. C'est la carte qui m'a été délivrée à ce moment-là de la

 25   part de la Croix-Rouge, la carte d'identification. De mémoire, j'y ai écrit

 26   mon numéro de carte d'identité.

 27   Q.  Je voudrais que l'on examine la page 2 de ce document. Le voyez-vous ?

 28   R.  Oui, c'est ce que je viens de dire. Là, ils ont écrit mon poids, ma


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  1   taille. C'étaient les représentants officiels de la Croix-Rouge qui ont

  2   écrit cela. Donc, cela, c'est mon poids, 64, et ma taille, 1 mètre 82. Ce

  3   sont les mesures qu'ils ont prises pour toutes les personnes qu'ils ont

  4   examinées. Je pense qu'ils avaient examiné tout un chacun.

  5   Q.  Ils ont eu le temps de parler à chacun d'entre vous ?

  6   R.  Ils sont restés pendant plusieurs jours, et j'ai reçu une attestation à

  7   Zagreb à ma sortie. Là, on voit pendant combien de jours ils sont restés et

  8   à quel moment ils sont arrivés, donc ils n'ont pas pu parler en long avec

  9   nous tous. D'ailleurs, ils n'ont pas pu parler du tout avec nous tous, mais

 10   ils ont pu rencontrer un certain nombre de détenus en ces quelques jours.

 11   M. PORYVAEV : [interprétation] Je voudrais présenter au témoin la pièce

 12   7366, s'il vous plaît.

 13   Q.  Monsieur le Témoin, voyez-vous ce document ?

 14   R.  Oui, c'est le certificat que j'ai demandé à Zagreb pour avoir une pièce

 15   d'identité, quelque chose qui me permettait de circuler à Zagreb. Je me

 16   suis rendu à la Croix-Rouge et au HCR, et vous voyez les dates écrites ici.

 17   Il est dit qu'à partir du 6 septembre jusqu'au 15 septembre, j'ai reçu des

 18   visites régulières. Ce sont les jours où effectivement, ils ont séjourné au

 19   camp et où ils nous ont rencontrés.

 20   Q.  C'est le 28 décembre 1993 que ce document a été délivré; est-ce bien

 21   exact ?

 22   R.  Oui. C'est à ce moment-là qu'il a été émis. J'étais déjà à Zagreb à ce

 23   moment-là. Je suis allé à la Croix-Rouge pour qu'on me délivre un document,

 24   pour que je puisse avoir un moyen de m'identifier sur moi.

 25   Q.  Nous allons reparler de cela plus tard lorsque nous aborderons un autre

 26   sujet.

 27   Pour ce qui est du traitement qui a été réservé aux détenus au camp

 28   de Detrelj, quelle a été l'attitude à votre égard de la part des gardes du


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  1   camp, de la part de ceux qui vous surveillaient ou qui s'occupaient de

  2   vous ?

  3   R.  Malheureusement, c'était réellement un camp de concentration. Comme

  4   vous le savez, comme vous l'avez entendu, nous recevions la nourriture

  5   telle que je vous l'ai décrit. Un jour, j'ai mangé une bouchée de pain, et

  6   l'autre morceau que je n'avais pas encore avalé, je le gardais dans ma

  7   main. Un garde a vu que j'avais gardé la moitié de ce bout de pain dans ma

  8   main et il m'a demandé ce que je tenais dans ma main. Je lui ai dit : c'est

  9   du pain. Il m'a asséné un coup de fusil si violent que j'ai été déporté

 10   quelques mètres plus loin sur ce sol en béton, que nous avons vu.

 11   Il m'a dit : "Balija, mais tu n'as encore rien appris. Tu ne sais

 12   toujours pas qu'il ne faut pas dire "sreb", mais "kruh" ?" Pour que les

 13   Juges puissent comprendre, en croate on dit "kruh", et en bosniaque, on dit

 14   à la fois "sreb" et "kruh" pour parler du pain. Je n'ai pas pu me relever

 15   immédiatement parce que j'avais le souffle coupé. Il m'a dit : mais quelle

 16   est ta profession, qu'est-ce que tu fais ? J'ai dit : je suis professeur.

 17   Ce n'est que là qu'il s'est mis en rage. Il m'a couché par terre, et comme

 18   il était 13 heures, enfin, une heure de l'après-midi, il m'a couché par

 19   terre, le sol était brûlant. C'était à la mi-juillet 1993. Alors il m'a dit

 20   que je devais garder les yeux ouverts et que je devais fixer le soleil.

 21   C'est ainsi que pendant quelque temps, j'ai regardé, mais après, je n'ai pu

 22   supporter cela. J'ai commencé à fermer les yeux. Alors il a posé un pied

 23   sur ma poitrine, il a pointé son fusil contre mon front et il m'a dit que

 24   si je clignais des yeux encore une fois, il allait me tuer. Il m'a dit :

 25   "Professeur, tu n'auras plus besoin de tes yeux." En effet, il a fallu que

 26   je fixe ce soleil par cette journée d'été pendant si longtemps que je suis

 27   devenu complètement aveugle. Ils ont fait venir deux hommes pour me

 28   remmener à l'intérieur, et le blanc de mon œil était devenu complètement


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  1   ensanglanté. En fait, on ne pouvait plus faire la distinction entre le

  2   centre de mon œil et le blanc.

  3   Je n'étais pas le seul à qui c'est arrivé. Saric, qui est aujourd'hui

  4   directeur de Norfis [phon] a subi le même sort. Cela, c'est un exemple

  5   drastique de traitement, mais ordinaire, parce qu'il y avait aussi des gens

  6   qui avaient droit à un traitement spécial. On entendait leurs cris. Je vais

  7   vous citer quelques noms de ces gens. Le président de la communauté

  8   islamique, Alija Festic, qui lui aussi avait 65 ans à l'époque, on lui a

  9   assaini tant de coups que son cou était plus large que sa tête. On ne

 10   voyait pas ses yeux du tout. Ses lèvres étaient tellement enflées qu'elles

 11   étaient énormes. On ne voyait pas l'ouverture entre la lèvre supérieure et

 12   inférieure.

 13   Maric, appelé Zenga, lui aussi. Je pourrais vous citer bien des noms,

 14   mais je ne veux pas vous faire perdre votre temps. Beaucoup de gens ont

 15   subi un traitement sans merci.

 16   Q.  Monsieur le Témoin, une seule question à ce sujet. Les gardes du camp,

 17   étaient-il toujours à l'intérieur des baraques ? Etaient-ils seuls avec les

 18   détenus ?

 19   R.  Mais ils ne se sont jamais trouvés seuls dans les baraques avec les

 20   détenus. Ils arrivaient le matin, ils ouvraient la grande porte que vous

 21   avez vue, parfois ils étaient à trois, parfois à quatre. Au milieu, il y

 22   avait un des chefs de la garde, je suppose. Il arrivait sans un mot, il

 23   soulevait un doigt, comme cela. Nous tous, tous les détenus à l'intérieur,

 24   on devait chanter, et ceux qui ne chantaient pas se faisaient sortir à

 25   l'extérieur, et cetera. On devait chanter une chanson fasciste de la

 26   Deuxième Guerre mondiale : "Voici que l'aube arrive. Voici que la journée

 27   arrive. Voici Jure Boban, les deux disent : nous voici chefs," et le chef,

 28   c'est Ante Pavelic. Ces deux criminels de la Seconde guerre mondiale, Jure


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  1   Boban, sont connus. Donc, il gardait son doigt en l'air. Nous, on devait

  2   rechanter plusieurs fois, et puis à un moment donné, il faisait tomber sa

  3   main et il fallait qu'on coupe net, puis de nouveau, il soulevait deux

  4   doigts et il fallait qu'on chante la deuxième chanson : "Sarajevo au pied

  5   de Trebovic, de nouveau tu appartiendras à Ante Pavelic." Je n'oublierai

  6   jamais ces chansons-là. La deuxième fois qu'il faisait tomber son bras,

  7   c'était le silence, et puis pour la troisième fois, c'était trois doigts

  8   qu'il montrait, comme cela [Le témoin s'exécute], et il fallait qu'on

  9   chante : "Je ne t'aime pas Alija parce que tu es un balija. C'est la Drina

 10   qui t'emportera et elle emportera 100 Moudjahiddines tous les jours."

 11   Pendant longtemps, tous les jours, on devait chanter cela. C'est ainsi

 12   qu'on allait de baraque en baraque, et tous les autres devaient également

 13   chanter.

 14   Q.  Monsieur le Témoin, est-ce que vous avez reçu la visite de

 15   représentants ou des autorités officielles de l'Herceg-Bosna ?

 16   R.  A ma connaissance, cela ne s'est passé qu'une fois. Une délégation est

 17   venue, elle se composait de représentants non seulement de l'Herceg-Bosna,

 18   mais aussi de la République de Croatie. Il y avait le ministre des Affaires

 19   étrangères Mate Granic, de la République de Croatie, il y avait Jadranko

 20   Prlic. M. Soljic faisait partie de cette délégation également.

 21   Q.  Quelle était la fonction exercée -- le poste de M. Prlic, à l'époque ?

 22   R.  Quand j'étais libre, il était premier ministre du gouvernement Herceg-

 23   Bosna. Je suppose qu'il exerçait ces mêmes fonctions lorsqu'il est venu.

 24   Q.  Est-ce que les membres de cette délégation ont communiqué avec les

 25   détenus ?

 26   R.  Ils ont parcouru le camp, ont parlé à certains des détenus. Il y avait

 27   notamment Emir Mrgan; M. Prlic l'a libéré ce jour-là. Deux jours plus tard,

 28   il a été remmené. De là à savoir si c'était une coïncidence ou si cela


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  1   avait été organisé, je ne peux pas vous le dire. En tout cas, ils nous ont

  2   tous vus et ils ont parlé à certains d'entre nous. Ils ont vu l'aspect que

  3   nous avions. Il suffisait d'un regard pour comprendre, pour savoir

  4   exactement ce qui se passait à Dretelj.

  5   Tomo Sakota avait énormément de documents à propos du camp. Il se

  6   déplaçait dans le camp en prenant des photos des détenus. Je suppose qu'il

  7   a tous ces documents ou quelqu'un d'autre. Cette fois-là, lorsqu'il s'est

  8   déplacé avec la délégation, il avait un appareil photo.

  9   Q.  Est-ce que vous connaissiez auparavant M. Jadranko Prlic ?

 10   R.  Nous nous connaissions dans la mesure où nous étions tous deux

 11   professeurs à l'université de Mostar. Auparavant, Prlic était président

 12   adjoint du gouvernement de Bosnie-Herzégovine. Cela, c'était avant. Nous

 13   nous connaissions. À cause des efforts entrepris pour améliorer

 14   l'enseignement à l'université, nous avions plusieurs projets à

 15   l'université. On se connaissait comme les gens se connaissent lorsqu'ils

 16   travaillent à la même université.

 17   Q.  Vous a-t-il reconnus ?

 18   R.  Enfin, il faudrait que vous lui posiez la question vous-même. Je ne

 19   pense pas qu'il n'a pas pu me voir parce que j'ai essayé d'être le plus

 20   près possible de la clôture -- cette clôture jaune que vous avez vue à

 21   l'écran il y a un instant, et je pense qu'il a pu me voir. Malheureusement,

 22   il n'a pas fait attention à moi.

 23   Q.  Ont-ils pénétré dans les baraques -- dans les tunnels ?

 24   R.  Ils nous ont dit de nous tenir debout devant les baraques. Nous étions

 25   tous là et ils sont passés devant nous. Quant à savoir s'ils sont entrés

 26   dans certains --

 27   Q.  Certaines des baraques étaient vides ?

 28   R.  Je pense que oui, mais je pense qu'il faut poser la question à ces


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  1   gens-là. En tout cas, ils ont vu les conditions de détention qui étaient

  2   les nôtres.

  3   Q.  Pendant votre détention à Dretelj, y a-t-il eu la visite des

  4   représentants des médias ?

  5   R.  Pas jusqu'à ce moment-là, certains représentants des médias ont

  6   accompagné la délégation. Lovrenovic, un journaliste connu, les a

  7   accompagnés, il a même grimpé sur un gros rocher et il a fait un discours.

  8   Comme si ce n'était pas assez, auparavant il avait écrit des articles

  9   vraiment terribles, il a donc fait un discours terrible lui aussi. Je pense

 10   que la chaîne CNN a présenté certaines images du camp. Ma sœur avait passé

 11   un certain temps à Capljina, elle est médecin, elle se trouvait en Norvège,

 12   elle a vu ces images à la CNN et elle a enregistré ces images parce que mon

 13   frère apparaissait sur ces images. Je ne sais pas si d'autres chaînes --

 14   d'autres médias ont fait ce genre de reportage, je ne sais pas, j'étais

 15   enfermé à l'intérieur, mais il suffisait de parcourir quelques numéros de

 16   Slobodna Dalmacija pour comprendre quels étaient les rouages de cette

 17   machine de propagande terrible qu'il y avait.

 18   Q.  Vous avez dit que Slobodan Lovrenovic avait écrit des articles

 19   terribles, ou horribles. Pourriez-vous nous dire les horreurs qu'ils

 20   décrivaient dans ces articles, ou qu'il proférait ?

 21   R.  Je l'ai lu plus tard, à ce moment-là je ne pouvais pas les lire. Avant

 22   que j'aille dans ce camp, il avait déjà écrit des articles très

 23   bellicistes, c'était un des journalistes qui semait la haine entre les

 24   communautés ethniques. Dans tous ses écrits, il nous a accusé - nous,

 25   détenus de ce camp - d'être les détenus de ce camp. C'était la position, en

 26   quelques mots, qu'il avait adopté. Je pense que vous pourrez trouver ces

 27   articles dans diverses bibliothèques, il est très facile de voir quelle fût

 28   la réaction des médias croates à l'époque, et surtout l'attitude et la


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  1   réaction de ce journaliste, Slobodan Lovrenovic.

  2   Q.  Vous souvenez-vous si M. Jadranko Prlic a fait cette visite au camp de

  3   Dretelj avant ou après la venue de la Croix-Rouge ?

  4   R.  Je n'en suis pas sûr, mais ce ne sera pas difficile à établir puisque

  5   ceci a été enregistré par les médias. Vous avez vu la date dans ce

  6   document, dans cette carte d'identité ou dans ce document qui a été

  7   enregistré par le comité international de la Croix-Rouge. Cela s'est passé

  8   en l'espace de quelques jours.

  9   Q.  Avant ou après la visite de la Croix-Rouge ?

 10   R.  Je ne sais pas, je n'en suis pas sûr. Je ne veux pas m'aventurer à vous

 11   donner une réponse.

 12   Q.  Est-ce que vous avez subit des interrogatoires au camp de Dretelj ?

 13   Est-ce que vous avez été interrogé par des enquêteurs ?

 14   R.  Jamais. Jamais.

 15   Q.  Vous a-t-on expliqué pourquoi, vous, un civil, vous étiez -- vous avez

 16   été détenu si longtemps ?

 17   R.  Monsieur, nous étions tous des civils. Même les soldats des armées, une

 18   fois qu'ils étaient désarmés, ils étaient traités comme étant des civils,

 19   donc à l'intérieur du camp nous étions tous des civils. Ils n'avaient pas

 20   la moindre raison de nous expliquer quoi que ce soit. Si vous posiez une

 21   question, si vous cherchiez à savoir quelque chose, vous risquiez toujours

 22   d'être tué, d'être battu, d'avoir des côtes cassées, d'avoir la tête

 23   fracturée, le crâne ouvert. Si eux vous posaient des questions, peu importe

 24   la réponse que vous donniez, si vous disiez oui, ils rétorquaient :

 25   "Balija, pourquoi est-ce que tu as dis cela ?" Si vous disiez non, ils

 26   rétorquaient : "Balija, pourquoi tu n'as pas fait cela ?" Donc, peu

 27   importait la réponse que nous donnions, le système général était tel que

 28   personne n'a jamais reçu la moindre explication.


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  1   Q.  Votre frère, que lui est-il arrivé, comment a-t-il réussi à être

  2   relâché du camp de Dretelj ?

  3   R.  Nous avons reçu une lettre de ma belle-sœur. Elle est de Slovaquie,

  4   j'ai deux belles-sœurs, puisque j'ai deux frères. Il y a une de mes belles-

  5   sœurs qui est Serbe, l'autre est Slovaque. Ma belle-sœur slovaque m'a

  6   envoyé une lettre. L'autre belle-sœur habitait avec elle à l'époque. Nous

  7   avons donc reçu de Hana une lettre de garantie afin que mon frère puisse

  8   partir. Cette lettre nous est parvenue en passant par Zagreb. Dans cette

  9   lettre, mon nom s'y trouvait aussi, mais on n'en a pas tenu compte,

 10   notamment mon frère n'a pas été libéré le 20 août, me semble-t-il, il a été

 11   transféré de Dretelj afin qu'on ne l'y trouve pas à Dretelj. Il a été

 12   envoyé à Gabela, il a été transféré de Dretelj à Gabela où il est resté

 13   même après la fermeture du camp de Dretelj. Je pense qu'il a été relâché le

 14   23 novembre. Cette lettre, nous l'avons reçu le 20 août. Je suis parti le

 15   10 décembre. Il y avait un tampon, un cachet dans mes documents, vous

 16   verrez la date de mon départ, mais la lettre, je le répète, elle nous est

 17   arrivée le 20 août.

 18   Q.  Est-ce que vous avez vu cette lettre à Dretelj ?

 19   R.  Non. Un jour on m'a appelé pour me dire qu'une lettre était arrivée,

 20   une lettre contenant 64 noms m'a été montrée. Il s'agissait de personnes

 21   qui ne fallaient à aucun prix relâcher. Il s'agissait de 64 intellectuels.

 22   Plus tard, malheureusement, j'ai compris que la liste était authentique

 23   puisque toutes ces personnes ont plus tard été transférées à la prison de

 24   Ljubuski. Mon nom figurait dans cette liste, moi aussi j'ai été transféré

 25   après la fermeture du camp de Dretelj à Ljubuski.

 26   Q.  Ma question portait sur le document dans lequel se trouvait le nom de

 27   votre frère et le votre. Quand avez-vous vu cette lettre pour la première

 28   fois ?


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  1   R.  Lorsque Tomo Sakota me l'a apporté à Ljubuski, ce document devait

  2   m'aider à franchir la frontière de la Bosnie-Herzégovine. C'était le 10

  3   décembre. Auparavant, cette lettre m'avait été dissimulée, mais maintenant

  4   vous avez cette lettre parmi vos documents.

  5   M. PORYVAEV : [interprétation] Peut-on montrer au témoin la pièce 4366 ?

  6   Q.  Est-ce que vous voyez maintenant ce document ?

  7   R.  Oui, c'est bien le document. Vous voyez la date 20 août 1993. Puis vous

  8   voyez ici : "Le 14 octobre 1993, poste frontière de Metkovici," c'est par

  9   là qu'est passé mon frère. Puis, vous voyez le 10 décembre, c'est à ce

 10   moment-là que j'ai passé la frontière. Donc la date du haut c'est la date à

 11   laquelle mon frère a été relâché, quant à l'autre c'est cella de ma

 12   libération.

 13   Excusez-moi, je vous ai dit novembre c'est plutôt octobre. Vous voyez

 14   la signature de Adalbert Rebic.

 15   Q.  Où est parti votre frère ?

 16   R.  En Croatie, à Zagreb et de là il est parti en Slovaquie, d'où il est

 17   parti pour l'Allemagne, chez l'oncle de ma belle-sœur, et de là ils sont

 18   venus aux Pays-Bas et c'est au Pays-Bas qu'ils habitent aujourd'hui.

 19   Q.  Est-ce qu'il est parti seul ou avec sa famille en Slovaquie ?

 20   R.  Sa famille était partie auparavant. Elle était partie lorsqu'elle avait

 21   reçu une invitation de ma belle-sœur. Les membres de sa famille, son fils

 22   et son épouse se trouvaient déjà en Slovaquie.

 23   Q.  Monsieur le Témoin, est-ce que vous vous souvenez de votre départ de

 24   Dretelj ? Pourriez-vous nous en relater les circonstances ?

 25   R.  Quand vous dites "partir," je ne pense pas que le mot soit bien choisi.

 26   Parce qu'on m'a menotté et on m'a emmené dans un fourgon sans aucune

 27   fenêtre. Deux autres hommes m'ont rejoint. Il y avait Alaga Fetic qui était

 28   président de la communauté islamique où j'ai parlé de lui il y a un


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  1   instant. Il y avait aussi Esad Suta.

  2   Q.  Une précision à propos du nom, s'il vous plaît, parce que vous nous

  3   donnez un autre nom. C'était Festic ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Qui avait-il d'autre ?

  6   R.  Il y avait Esad Suta. Nous avons été emmenés au camp de Gabela. Ils

  7   étaient censés aller chercher d'autres personnes, mais ils ne les ont pas

  8   trouvées. Nous sommes restés trois et nous avons été emmenés dans un lieu

  9   inconnu. Nous ne savions pas quelle était notre destination puisque c'était

 10   un fourgon sans aucune fenêtre. On ne savait pas où on était emmené. C'est

 11   seulement plusieurs jours plus tard que nous avons appris que nous nous

 12   trouvions dans la prison de Ljubuski.

 13   Plusieurs jours après ils nous ont fait sortir du périmètre du camp,

 14   et j'ai été placé en cellule d'isolement, dans l'obscurité la plus

 15   complète. Je ne savais pas si c'était le jour ou la nuit. Il ne s'y

 16   trouvait rien à l'intérieur. Il n'y avait que le sol.

 17   Q.  Pourriez-vous nous dire combien de personnes auraient été emmenées à la

 18   prison de Ljubuski ? Pourriez-vous nous répéter cela ?

 19   R.  Je n'ai pas su pendant très longtemps. Je n'ai pas su qu'il y avait des

 20   gens à Ljubuski, mais --

 21   Q.  Non, non, je parle du moment de votre transport -- de votre transfert à

 22   Ljubiski ?

 23   R.  Nous n'étions que trois. Normalement, nous avaient-ils dit il devait y

 24   en avoir deux de plus. C'est ce que le chauffeur nous avait dit, mais on ne

 25   savait pas qui ces deux hommes étaient censés être. Je pense qu'un peu plus

 26   tard, nous avons appris que Maric, que j'ai déjà mentionné, qui avait été

 27   vraiment souvent tabassé et quelqu'un d'autre était censé être ces deux

 28   hommes supplémentaires, mais ils n'ont pas été emmenés en même temps que


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  1   nous.

  2   Q.  Est-ce que vous savez à quelle date vous avez été emmenés à la prison

  3   de Ljubuski ?

  4   R.  A mon avis, cela a dû être le 23 septembre. C'est ce jour-là qu'on a

  5   fermé le camp de Dretelj. Ils ont décidé de ne pas nous libérer du camp.

  6   C'était les -- c'était pourtant les instructions données par la communauté

  7   internationale. Au lieu de faire cela, ils nous ont emmené -- ils ont

  8   emmené tous les intellectuels à la prison de Ljubuski.   

  9   Q.  Savez-vous qui a donné l'ordre de vous transférer à Ljubuski ?

 10   R.  Je ne sais pas. Je suppose que l'ordre venait du chef de la police

 11   militaire puisque c'était une prison militaire.

 12   M. PORYVAEV : [interprétation] Peut-on montrer au témoin la pièce 5321 ?

 13   Q.  Est-ce que vous voyez maintenant ce document ?

 14   R.  Oui. Je vois le signataire. Il s'agit de Valentin Coric. Je vois aussi

 15   ce qui est dit ici : que je dois y être emmené avec toute -- le plus de

 16   sécurité possible pendant le transfert et, effectivement, ces mesures de

 17   sécurité étaient tout à fait performantes, j'ai été attaché.

 18   Q.  Quels sont les noms qu'on voit ? Est-ce que ces noms vous les

 19   connaissez tous ?

 20   R.  J'étais le président de la Preporod, de la société culturelle. Quant à

 21   M. Festic, il était président de la Communauté islamique de Stolac. Ahmed

 22   Habota et Esad Suta faisaient partie du SDA. Un était le président du parti

 23   dans notre région, l'autre était le président du conseil exécutif. Quant à

 24   Salko Maric, je crois vous en avoir déjà parlé. C'est un homme qui a

 25   souvent été battu très brutalement. Il avait une tête qui avait doublé de

 26   taille. Je crois qu'il était surnommé Zenga.

 27   Q.  Parlons maintenant de la prison de Ljubuski. Vous venez de l'expliquer

 28   à la Chambre de première instance, le jour de votre transfert à Ljubuski


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  1   vous avez été placé dans une cellule d'isolement. Pourriez-vous nous dire

  2   quelles étaient les conditions qui régnaient dans cette cellule

  3   d'isolement ?

  4   R.  Je vous l'ai dit. Elle était complètement vide. J'étais assis à même le

  5   sol. Souvent, ils essayaient de m'intimider, de me faire peur. Ils

  6   chipotaient avec les clés sans arrêt pour verrouiller ou déverrouiller la

  7   porte, ce genre chose de bruit était constant.

  8   A un moment donné, deux hommes sont venus et ont ouvert la porte. Un

  9   a commencé à hurler. J'étais surpris. Il a commencé à hurler. Il a dit

 10   qu'il allait me faire toutes sortes de choses. Puis, il a pris un pistolet

 11   et il me l'a enfoncé dans la bouche, et si profondément que je me suis à

 12   vomir, et il a retiré son arme de façon inattendue et il m'a cassé deux

 13   dents.

 14   Lorsque je suis allé à Zagreb, j'ai été à la faculté dentaire de

 15   dentisterie, et là, on a trouvé une solution provisoire.

 16   Au moment où j'ai vomi, une partie est tombée sur ses souliers. Il

 17   était tellement furieux qu'il s'est mis à hurler. Il m'a frappé ici, à

 18   droite, à la mâchoire, de son arme, et il m'a cassé les dents de la

 19   mâchoire à cet endroit-là.

 20   C'est ce qui s'est passé notamment dans la prison. Je peux vous

 21   parler d'autres jours, un événement aussi extraordinaire.

 22   Rudolf Jozelic était pilote --

 23   Q.  On parlera de cette personne plus tard. Parlons de la période que vous

 24   avez passée dans cette cellule d'isolement.

 25   Est-ce que vous avez été nourri ? Est-ce qu'on vous a donné de l'eau ?

 26   R.  C'était comme à Dretelj.

 27   Q.  Combien de temps avez-vous été détenu dans cette cellule d'isolement ?

 28   R.  Quelques jours, me semble-t-il. Je n'en suis plus sûr. Je ne savais pas


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  1   -- j'avais perdu la notion du temps, mais je pense y avoir passé plusieurs

  2   jours, après quoi j'ai été placé dans une autre cellule où nous étions

  3   sept.

  4   Q.  Qui se trouvait avec vous dans cette autre cellule ? Est-ce que vous

  5   connaissiez ces personnes ?

  6   R.  Oui. Plusieurs jours avant que je sois transféré dans cette autre

  7   cellule, un autre homme de Stolac, Mirsad Mahmutcehajic a été emmené dans

  8   ma cellule, ce qui fait que nous avons passé un certain temps à deux. Puis

  9   après, j'ai été transféré dans cette autre cellule : Jozelic, Suta, Alija

 10   Festic. C'étaient des gens qui s'étaient trouvés auparavant dans des

 11   cellules d'isolement. Festic, Mehmed Zilic. Voilà, c'étaient les hommes qui

 12   étaient avec moi dans cette cellule.

 13   Les conditions étaient un peu meilleures. Je n'étais plus à même le sol de

 14   béton, il y avait quelques matelas, et nous étions entassés comme des

 15   sardines, allongés l'un à côté de l'autre.

 16   Q.  Vous venez de donner quelques noms. Vous avez mentionné une liste de

 17   détenus que vous aviez vus au camp de Dretelj, et vous connaissiez certains

 18   de ces noms; est-ce exact ?

 19   R.  Oui.

 20   M. PORYVAEV : [interprétation] Peut-on montrer au témoin la pièce 7785 ?

 21   Q.  Vous voyez cette liste ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Ces noms figurant dans cette liste vous sont-ils connus ?

 24   R.  Oui. Je les connais pratiquement tous, ce sont des gens que je connais,

 25   pour la plupart d'entre eux.

 26   Regardez vous-même; vous voyez, ce sont des docteurs, des professeurs, des

 27   intellectuels.

 28   Q.  Parmi ces détenus, qui connaissez-vous le mieux ?


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  1   R.  Je connais la plupart d'entre eux. Le Dr Muhamed Kapic était directeur

  2   de l'hôpital Kostana. Mahmutcehajic, on est allés à l'école ensemble. Zijo

  3   Demirovic était un architecte. Zilic est un parent à ma femme, je pense

  4   qu'il avait un poste non pas à l'armée, mais à la Défense territoriale.

  5   Rudolf Jozelic, il était pilote. Je ne connais pas Alija Demirzic. Je

  6   connais Hamdija Jahic. Je connais le Dr Esad Boskailo. Je connais Dizdar,

  7   je connais Veledar, je connais le professeur Ragib Dizdar. Je connais la

  8   plupart de ces gens.

  9   Q.  Est-ce que toutes ces personnes ont été détenues avec vous au camp ou à

 10   la prison de Ljubuski ?

 11   R.  Oui. Dans plusieurs cellules différentes à Ljubuski.

 12   Q.  Est-ce que vous les avez vus pendant cette période-là ?

 13   R.  Pendant la deuxième partie de ma détention à Ljubuski, il leur arrivait

 14   de nous faire sortir pour une espèce de promenade. On pouvait se déplacer

 15   dans la cour les mains dans le dos. On n'avait pas le droit de se parler.

 16   Cela durait cinq minutes, puis il nous fallait nous adosser au mur. M.

 17   Ozelic, tous les jours, on le faisait sortir à ce moment-là et on le

 18   mettait au milieu de la cour. Vous voulez que j'en parle maintenant ?

 19   Q.  Oui. Il nous reste encore quelques minutes avant la pause technique.

 20   R.  Rudolf Jozelic, Rudi, faisait partie de l'ABiH avant la guerre, c'était

 21   un pilote. On le faisait sortir du rang tous les jours. Je ne sais pas si

 22   son appartenance est importante, à l'époque, je ne sais pas. En tout cas,

 23   il était Croate. Bien, il devait se mettre au milieu et on lui demandait

 24   s'il avait changé d'avis, est-ce qu'il préférait transporter Tudjman ou

 25   Izetbegovic en avion. Il ne répondait pas. Il devait faire des pompes, et

 26   puis on lui disait de faire comme s'il voulait -- les bras tendus, il

 27   devait tourner en rond en faisant semblant d'être dans un avion ou faire

 28   l'avion. Cette humiliation imposée à un homme d'honneur était vraiment


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  1   inépuisable, et quand il était épuisé, il s'écrasait au sol, et en général,

  2   ils lui donnaient des coups au visage. Il portait une espèce de combinaison

  3   qui était couverte de sang, combinaison grise, et le sang lui coulait du

  4   visage sur la combinaison. Cela a duré plusieurs jours. C'est à peine

  5   croyable que ceci se soit passé devant nous tous.

  6   M. PORYVAEV : [interprétation] Est-ce que le moment est venu de faire la

  7   pause ?

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Le moment est venu. Il vous reste combien de temps

  9   pour terminer ?

 10   M. PORYVAEV : [aucune interprétation]

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Il est 17 heures 30. Nous reprendrons à 17

 12   heures 50.

 13   --- L'audience est suspendue à 17 heures 33.

 14   --- L'audience est reprise à 15 heures 52.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, avant de donner la parole à l'Accusation, je

 16   signale une petite interrogation de la part de la Chambre.

 17   Pour ce témoin, il avait été prévu une heure et demie. On est déjà à trois

 18   heures d'interrogatoire principal, donc vous avez déjà doublé le temps.

 19   Comme la Défense aura le même temps que vous, ce qui veut dire que pour les

 20   témoins de demain, après-demain et jeudi, il faudra raccourcir.

 21   Bon, mais M. Mundis dit oui de la tête. Oui, Monsieur Mundis.

 22   M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Comme M. Scott

 23   l'a déjà dit à plusieurs reprises, ces estimations n'étaient que des

 24   estimations. Nous sommes très conscients de limites de temps qui pèsent sur

 25   toutes les parties et nous ferons bien sûr ce qu'il convient de faire pour

 26   veiller à reprogrammer les auditions de témoins prévus pour cette semaine,

 27   c'est-à-dire que nous réduirons sans doute le temps des deux dernières

 28   auditions.


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Merci. Continuez.

  2   M. KARNAVAS : [interprétation] Bien, Monsieur le Président --

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Karnavas, vous n'avez pas -- parce que pour

  4   le moment c'est un problème qui concerne l'Accusation. L'Accusation a

  5   expliqué qu'il reprogrammait leur témoin sauf à me dire que vous vous êtes

  6   préparé pour une heure et demie et que là vous êtes face à trois heures.

  7   C'est cela.

  8   M. KARNAVAS : [interprétation] Tout ce que je puis dire, Monsieur le

  9   Président, c'est que tous les jeudis la Défense se sent prise dans un étau

 10   et nous n'acceptons plus d'être pris dans un étau parce que l'Accusation

 11   n'a pas bien préparé son travail. Je dis cela parce que l'Accusation

 12   connais ses témoins beaucoup mieux que nous.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, Monsieur Mundis, Me Karnavas fait part de ce

 14   problème. Il est certain que lorsque nous avons un programme prévisionnel

 15   d'un témoin qui est prévu pour une heure et demie, tout le monde se prépare

 16   pour une heure et demie et là dans le cas de l'espèce, on voit que vous

 17   allez plus que doubler le temps, donc il risque d'y avoir des

 18   déséquilibres. Bon.

 19   L'objection de Me Karnavas était légitime, mais elle pouvait être

 20   faite au moment où la Défense aurait eu le contre-interrogatoire. Bien.

 21   Alors continuez.

 22   M. PORYVAEV : [interprétation]

 23   Q.  Monsieur Rizvanbegovic, qui commandait le camp de Ljubuski ?

 24   R.  C'était Ivica Kraljevic pendant quelque temps mais à mon arrivée je ne

 25   sais pas qui c'était. Je crois que c'était Ivica Kraljevic. Mais je sais

 26   avec certitude qu'il a commandé ce camp pendant un certain temps parce que

 27   c'est lui qui m'a interrogé.

 28   Q.  Vous rappelez-vous dans quelles conditions a eu lieu cet


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  1   interrogatoire, quelles questions vous ont été posées ?

  2   R.  J'ai été convoqué ou plutôt on m'a emmené deux ou trois fois dans une

  3   pièce où Ivica m'a interrogé. Ce sont deux soldats armés qui m'amenaient

  4   jusqu'à cette sale. Ils étaient debout dans mon dos pendant qu'Ivica

  5   m'interrogeait et il y avait encore deux autres hommes en uniforme

  6   militaire qui étaient assis également dans la pièce. Je dois dire que les

  7   questions qui m'étaient posées n'avaient pratiquement aucun sens. Ivica ne

  8   cessait de me parler d'une documentation très volumineuse, mais il ne m'a

  9   jamais posé la moindre question qui -- à laquelle j'aurais pu trouver un

 10   sens particulier et à un certain moment j'ai dit mais de quoi m'accusez-

 11   vous ? Donnez-moi une accusation précise. Il m'a dit : "Nous t'accusons

 12   d'avoir détruit l'ordre constitutionnel d'Herceg-Bosna." Je me suis mis à

 13   rire et il m'a demandé pourquoi je riais. J'ai dit : "Parce que l'Herceg-

 14   Bosna n'est pas une entité constitutionnelle existante. Je ne vois pas

 15   comment je pourrais détruire quelque chose qui n'existe pas." C'est la

 16   dernière fois que j'ai été interrogé. Je pense que cela avait si peu de

 17   signification que par la suite on n'a plus jugé utile de m'imposer ce genre

 18   de problème.

 19   Q.  Les enquêteurs qui vous interrogeaient prenaient-ils des notes écrites

 20   de vos réponses ou pas du tout ? Ou était-ce simplement un interrogatoire

 21   oral ?

 22   R.  Je crois que les deux hommes dont j'ai parlé prenaient des notes, mais

 23   je ne sais pas de quoi exactement Ivica, lui, ne prenait pas de notes. Il

 24   se contentait de parler.

 25   Q.  Avez-vous apposé votre signature sur une déclaration quelconque émanant

 26   de vous ?

 27   R.  Jamais sur aucune déclaration.

 28   Q.  Monsieur le Témoin, vous avez dit aux Juges de la Chambre avoir été


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  1   relâché de Ljubuski, le 10 décembre 1993; pourriez-vous expliquer

  2   simplement comment vous êtes parvenu à être libéré de Ljubuski ?

  3   R.  Ma sœur, qui a voyagé entre Graz, Hvar et puis Zagreb et qui est allée

  4   un peu partout, a fait tout ce qu'elle a pu; et mon autre sœur - je parle

  5   de là de mon autre sœur, mais pas de ma sœur qui est médecin - elle a fait

  6   tout ce qu'elle a pu pour prendre contact avec mes amis en Croatie parce

  7   que j'avais pas mal d'amis en Croatie. C'est là que j'avais fait mes études

  8   et, notamment, mes études de doctorat. Quand j'ai obtenu mon doctorat, j'ai

  9   continué à connaître ses amis. Ivo Frankis, qui est mort entre-temps, avait

 10   étudié avec moi. C'est lui qui m'a le plus soutenu parmi tous ses amis. Un

 11   jour, ma sœur m'a fait savoir et elle l'a fait par le biais d'autres

 12   personnes qui étaient en contact avec elle. Je ne sais pas exactement par

 13   quel biais tout cela s'est passé, mais, en tout cas, il y a des gens qui

 14   m'apportaient des renseignements que je ne connaissais pas. Ils m'ont dit

 15   que chaque fois qu'elle avait -- qu'elle était intervenue pour demander

 16   quelque chose en ma faveur, cela n'avait eu aucun effet parce que, dans

 17   l'appartement de Mostar, on lui disait que j'avais beaucoup d'armes. Je

 18   n'ai jamais eu d'appartement à Mostar, donc, je suis tombé des nues, donc,

 19   je n'avais pas d'appartement et encore moins des armes dans cet

 20   appartement. Un jour, ma sœur est entrée en contact avec le fils de

 21   Rizvanbegovic, l'un des membres de ma famille aux Etats-Unis. Sa femme est

 22   un amie du gouverneur de Grenade, et c'est quelqu'un qui connaît aussi

 23   l'ambassadeur américain Galbraith à Zagreb, donc, je crois que c'est par

 24   son biais que des intellectuels -- un groupe d'intellectuels a écrit un

 25   document -- une pétition, et c'est, je crois, sur la base de ce document

 26   que j'ai été libéré en 1993.

 27   Quand j'ai été libéré, tous ceux qui m'ont rencontré étaient

 28   absolument sidérés de voir l'aspect physique que je présentais. J'ai


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  1   remercié tous ceux qui sont intervenus en ma faveur et j'en ai rencontré

  2   aussi qui, entre-temps, n'avait pas été mis au courant de ma situation.

  3   Q.  Dans quelle condition avez-vous été libéré de Ljubuski ?

  4   R.  Sakota est arrivé. Il tenait à la main le papier qu'on a vu tout à

  5   l'heure à l'écran. Il avait un autre document, qui, en fait, était une

  6   autorisation de me remettre en liberté. Avec ces deux documents, je suis

  7   allé à Capljina et on m'a emmené jusqu'à notre amie, Zdenka, qui

  8   malheureusement n'était pas chez elle, mais j'avais l'autorisation si elle

  9   n'était pas chez elle, de la chercher chez une de ses amies. Donc, je suis

 10   arrivé là-bas, j'ai pris un bain. J'avais comme tous les prisonniers de

 11   Dretelj et aussi comme tous les prisonniers de Ljubuski, ensuite, des poux

 12   plein la tête, donc, il a fallu que je me rase les cheveux.

 13   J'ai pris ce bain, puis j'ai reçu un uniforme du HVO. C'est ce qu'on nous

 14   avait donné quand l'hiver était arrivé. Ma sœur avait déjà préparé des

 15   vêtements, donc, j'ai enlevé cet uniforme et j'ai revêtu les vêtements

 16   envoyés par ma sœur et je suis allé à Gradac et, ensuite, à Split, où elle

 17   avait trouvé un Allemand qui a accepté de m'emmener en avion jusqu'à

 18   Zagreb. Je suis resté à Zagreb chez la fille d'une de mes tantes, qui a

 19   fourni une lettre de garantie en ma faveur à Zagreb, et après quoi mes amis

 20   m'ont apporté leur aide, et cetera, et cetera.

 21   Q.  Vous avez été libéré, si j'ai bien compris, à la condition de quitter

 22   l'Herceg-Bosna ?

 23   R.  J'ai été libéré à condition de m'engager à partir pour un pays

 24   étranger. Mon idée, c'était de partir pour l'Allemagne parce qu'entre-

 25   temps, pendant mon séjour à Ljubuski, j'ai appris que mon fils s'était

 26   d'abord trouvé en Slovaquie chez nos amis, chez ma belle-sœur, Hana, après

 27   quoi il a quitté la Slovaquie pour aller à Berlin. Donc, ma première idée,

 28   c'était d'aller à Berlin, mais, tout d'un coup, je me suis rendu compte que


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  1   cela n'avait aucun sens, qu'en tant qu'intellectuel, je n'avais pas ma

  2   place où que ce soit à l'étranger, que je n'avais ma place qu'en Bosnie.

  3   J'ai appelé Enes Durakovic, mon ami, ministre de l'Education, pour lui dire

  4   que je voulais revenir à Sarajevo. J'ai passé quelque temps à Zagreb, deux

  5   ou trois mois, et après ces deux ou trois mois, je suis retourné à

  6   Sarajevo. Je me refusais à partir pour l'étranger.

  7   Q.  Monsieur le Témoin, qui a pris la décision finale, s'agissant de votre

  8   libération, de votre sortie de Ljubuski ?

  9   R.  Je crois que cette décision est venue du bureau du président de

 10   Croatie. C'est une lettre qui est venue de son bureau, après quoi cette

 11   lettre a donné lieu à la rédaction d'une autorisation émanant de la police.

 12   Q.  Avez-vous vu la lettre en question ?

 13   R.  Il ne m'a pas été donné de voir cette lettre. Ce que j'ai eu sous les

 14   yeux, c'est l'autorisation.

 15   Q.  Signée par qui ?

 16   R.  Perica Juric.

 17   Q.  Pouvez-vous épeler nom ?

 18   R.  Perica Juric, ou était-ce Jurkic ? C'est sur son autorisation que je

 19   suis sorti.

 20   Q.  Quelles étaient ses fonctions ?

 21   R.  Je crois qu'il faisait partie de la police. Je ne sais pas exactement

 22   quelles étaient ses fonctions. Je n'ai pas prêté une très grande attention

 23   à ce document. Je l'ai à la maison, chez moi, mais je n'y ai pas prêté une

 24   grande attention, donc si vous pouvez me le mettre sous les yeux

 25   aujourd'hui, je pourrais l'identifier.

 26   M. PORYVAEV : [interprétation] Je demande que l'on soumette au témoin la

 27   pièce 7097.

 28   Q.  Vous voyez ce document, Monsieur le Témoin ?


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  1   R.  Oui. Vous voyez, il est dit : "Autorisation de mettre un terme au

  2   séjour à Ljubuski de telle et telle personne." Là, on voit mon nom. "Cette

  3   autorisation est donnée au nom de Perica Jukic par Berislav Pusic." Pour le

  4   reste, vous pouvez lire ce qui figure dans ce document, mettre un terme au

  5   séjour à Ljubuski de la personne dont le nom figure, et cetera, et cetera.

  6   C'est cela, le document que j'ai reçu à ma sortie de Ljubuski. C'est celui

  7   que je devais montrer pour pouvoir sortir.

  8   Q.  Qui vous a fourni des garanties vous permettant de séjourner à Zagreb ?

  9   R.  La garantie me permettant de séjourner à Zagreb a été fournie par la

 10   fille de ma tante qui vit à Zagreb et chez qui j'avais séjourné pendant mes

 11   études. Elle s'appelle Muhiba Levan et elle habite à Medvescak.

 12   M. PORYVAEV : [interprétation] J'aimerais que l'on soumette au témoin la

 13   pièce 9578.

 14   Q.  Vous voyez ce document, Monsieur ?

 15   R.  Non.

 16   Q.  Pas encore ?

 17   R.  Oui. Oui, je le vois. C'est la déclaration qui a été faite par cette

 18   personne faisant partie de ma famille au MUP, c'est-à-dire à la police de

 19   Zagreb.

 20   Q.  Est-ce Muhiba Levan --

 21   R.  Levan.

 22   Q.  D'accord, Levan. Est-ce bien Muhiba Levan qui a fait cette déclaration

 23   se portant garantie pour vous; c'est bien cela ?

 24   R.  Oui, oui.

 25   M. PORYVAEV : [interprétation] Peut-être pourrais-je maintenant vous

 26   soumettre le dernier document de Ljubuski, à savoir, la pièce 4667.

 27   J'aimerais que vous vous penchiez sur la page dont le numéro ERN pour la

 28   version en B/C/S est 01520527. Le numéro doit se terminer par 27, page 111,


Page 2238

  1   dans la pagination. Pour la version anglaise, il s'agit de la page 15

  2   [comme interprété]. La date est celle du 10 décembre.

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Monsieur, reconnaissez-vous l'écriture manuscrite que l'on voit sur ce

  5   document ?

  6   R.  Non.

  7   Q.  Bien. Maintenant, je ne vous demande plus si vous la reconnaissez. Est-

  8   ce que vous pouvez la lire ? Est-ce qu'elle est lisible pour vous ?

  9   R.  Oui, oui, oui. Je peux lire tout à fait normalement. C'est une

 10   déclaration de relève de gardiens dans la police de la Brigade de Ljubuski.

 11   Je vois que la date est celle du 10 décembre.

 12   Q.  [aucune interprétation]

 13   R.  Il est question de : "104 Musulmans présents sur les lieux et de deux

 14   Serbes." Il était écrit 12 Croates et le chiffre est rayé. Un Albanais

 15   catholique, un certain Berica [phon]; deux femmes, un certain Vinko

 16   Radisic, et cetera. Evénement de la journée, on dit que Radis Santic a été

 17   libéré à 9 heures 15 parce qu'il était malade et que, le 10 décembre,

 18   Fahrudin Rizvanbegovic a été remis en liberté. Tomo Sakota l'a pris en

 19   charge sur l'ordre de Mato Jelicic, gardien de la prison. Libération à 10

 20   heures 45.

 21   Q.  Est-ce que cela correspond à ce que vous nous avez dit des conditions

 22   dans lesquelles vous avez été relâché de Ljubuski ?

 23   R.  Oui, ce sont les faits que j'ai relatés tout à l'heure.

 24   Q.  Monsieur Rizvanbegovic, nous allons maintenant parler d'un autre sujet,

 25   à savoir, les destructions de bâtiments à Stolac. Quand avez-vous vu les

 26   premières destructions matérielles à Stolac, pendant l'année 1993 ?

 27   R.  En 1993, il y a eu des incendies de maison. Auparavant, il y a eu déjà

 28   des incendies, je peux en parler. En 1992, c'était surtout tourné contre


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  1   les maisons serbes, mais en 1993, le 20 avril, précisément le jour où on a

  2   arrêté les gens de la protection civile et le commandement de la brigade de

  3   Bregava, ce soir-là, la maison de Faruk Pitic a été incendiée et la maison

  4   de Alija Rizvanbegovic à Begovina, deux jours plus tard, dans la nuit du 22

  5   au 23 avril. A 23 heures 30, pour que les Juges puissent comprendre lorsque

  6   je parle du Begovina, je parle d'un monument culturel de première

  7   catégorie, et cette maison était située dans ce quartier de Begovina. C'est

  8   un monument classé.

  9   Q.  La maison d'Alija Rizvanbegovic, vous avez vu qui l'a incendiée ?

 10   R.  Je n'ai pas vu qui a mis le feu parce que c'était de nuit. Devant ma

 11   porte, il y avait deux hommes qui montaient la garde. C'était Dragan Peric

 12   et Jozo Presic [phon]. Ils étaient devant ma porte et ils se sont mis à

 13   crier en disant que la maison d'Alija était en feu. Alors, nous sommes

 14   sortis en courant, on a essayé d'éteindre le feu. Ma femme est allée dans

 15   un endroit qui est à 300 ou 400 mètres de notre maison; il y a une citerne

 16   de pompiers qui était toujours pleine parce qu'il y avait toujours le

 17   danger que quelque chose ne prenne feu. Il n'y avait là Rizovic, un pompier

 18   qui est venu avec cette citerne, et il a mis en route cette machine pour

 19   éteindre le feu. On a travaillé toute la nuit à l'aide de ce camion-

 20   citerne, à partir de 11 heures 30 jusqu'au lendemain matin, à 5 heures.

 21   Hélas, on n'a pas pu éteindre le feu, mais le feu ne s'est pas propagé. Je

 22   dois dire que, hélas, pas un seul soldat croate n'a voulu prendre part à

 23   nos tentatives d'éteindre le feu. Seuls des Musulmans, seuls des

 24   volontaires musulmans nous ont aidés, et je le dis avec beaucoup de regret.

 25   Q.  Est-ce que vous avez porté plainte à la police ?

 26   R.  Dès le lendemain matin, je suis allé à la police civile, j'ai déposé

 27   une plainte, j'ai décris les circonstances dans lesquelles cela s'est

 28   déroulé. Je ne sais pas s'ils ont dressé un procès-verbal ou non, parce que


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  1   je n'ai pas eu l'occasion de signer quelque chose. Cependant, il n'y a eu

  2   aucune conséquence. Personne, absolument personne faisant partie de la

  3   police n'est venue. Pour ce qui est du commandant de la police qui était à

  4   Begovina, on l'appelait, je suis venu le voir et j'ai insisté auprès de

  5   lui, enfin, c'était lui le commandant de l'unité, de cette section

  6   stationnée à Begovina. J'ai insisté parce qu'il était tenu d'informer la

  7   police militaire de cela. Je voulais qu'il le fasse, je lui en ai parlé en

  8   insistant, mais je ne sais pas s'il a fait quelque chose. Je suis certain

  9   que ce sont des membres de cette unité qui ont mis le feu à cette maison,

 10   car personne n'aurait pu s'y rendre, n'aurait pu atteindre Begovina à leur

 11   insu, ils avaient des gardes qui montaient la garde. Du nord de Begovina,

 12   personne n'aurait venir non plus parce que la ligne de front était au nord

 13   de Begovina. C'était là qu'étaient déployés les soldats.

 14   Q.  Monsieur le Témoin, comme on l'a déjà entendu, les Juges nous invitent

 15   à abréger un petit peu. Donc, nous devrions peut-être maintenant nous

 16   pencher sur la destruction et d'autres points que nous n'avons pas encore

 17   abordés.

 18   Je vais au vif du sujet et je vais parler de l'ensemble appelé

 19   Begovina. Quelle est la date au moment où on commence à parler pour la

 20   première fois de Begovina, de quand date Begovina ?

 21   R.  C'est un ensemble historique qui date de la fin du 18e siècle et qui

 22   appartenait à la famille de la noblesse Rizvanbegovic. C'était un monument

 23   classé de première catégorie, un monument culturel.

 24   Q.  A quel moment cet ensemble est-il devenu un monument protégé de

 25   première catégorie ?

 26   R.  En 1952, par une décision de l'institut chargé de la protection du

 27   patrimoine culturel et historique, il y a eu catégorisation de ce monument,

 28   monument de première catégorie, et c'est à partir de ce moment-là; une


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  1   plaque a été posée, indiquant qu'il s'agit d'un monument protégé. Cette

  2   catégorisation a été renouvelée par deux fois lorsqu'il y a eu des

  3   changements dans la législation, de nouvelles décisions ont été rendues qui

  4   se fondaient à chaque fois sur les décisions précédentes et les

  5   confirmaient. C'est en 1973, me semble-t-il, qu'on a élargi la zone de

  6   protection pour enrober non seulement les habitations, mais aussi

  7   l'environnement, parce qu'à ce moment-là l'opinion qui a prévalu a été

  8   qu'il fallait protéger tout l'ensemble avec l'environnement. Je pense que

  9   c'était en 1973. Aujourd'hui, c'est un monument classé qui figure sur la

 10   liste des monuments protégés dans les accords de Dayton.

 11   M. PORYVAEV : [interprétation] La pièce 0001, peut-on la voir, s'il vous

 12   plaît ?

 13   Q.  Voyez-vous ce document ?

 14   R.  Est-ce qu'on peut agrandir un petit peu ? Oui, c'est un document qui

 15   porte la date du 18 avril 1962, et il cite la décision de l'institut numéro

 16   cité 754/52 du 9 octobre 1952, disant que Begovina figure sur la liste des

 17   monuments culturels relevant de la catégorie de l'immobilier -- des

 18   monuments historiques.

 19   M. PORYVAEV : [interprétation] Alors, peut-on montrer la pièce 3842, s'il

 20   vous plaît ?

 21   Q.  La qualité n'est pas parfaite, mais est-ce que vous pouvez voir quand

 22   même ?

 23   R.  J'ai l'original de ce document. Je connais ce document. Je viens de le

 24   mentionner. C'est le document du 31 juillet 1973. Je l'ai dans mes

 25   documents et il existe également dans les archives de l'institut pour la

 26   protection des monuments historiques.

 27   Il s'agit ici d'élargissement de la protection pour englober également

 28   l'environnement, donc non seulement les bâtiments, mais aussi le site, dans


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  1   son ensemble, est protégé, désormais.

  2   Q.  A quelles fins ce centre de Begovina était-il utilisé ?

  3   R.  C'était un ensemble de maisons appartenant à ma famille. Quatre maisons

  4   faisaient partie de cet ensemble. L'une appartenait à mon père, l'une

  5   appartenait à moi. En outre, il y avait quatre motels, comme on les

  6   appellerait aujourd'hui. Donc, c'étaient des bâtiments pour recevoir des

  7   hôtes. Il y avait une école. Tous les bâtiments ethniques, enfin, toute une

  8   infrastructure qui faisait partie d'un ensemble aristocratique de l'époque.

  9   Sauf qu'ici, c'était quelque chose qui appartenait à l'une des

 10   familles les plus puissantes de l'histoire, du passé, donc des bâtiments

 11   techniques, bâtiments destinés à recevoir les invités, les hôtes, et puis

 12   l'école.

 13   Q.  Des touristes étaient également censés descendre ?

 14   R.  Juste avant la guerre, j'ai voulu me lancer dans les affaires. J'ai

 15   signé un contrat avec certaines entreprises de Dubrovnik et deux ou trois

 16   ans avant la guerre, ils ont commencé à emmener des touristes, ici, deux ou

 17   trois années avant que les problèmes ne commencent en Croatie. Plusieurs

 18   milliers sont venus voir, visiter cet ensemble.

 19   Q.  Monsieur le Témoin, Je voudrais que vous examiniez maintenant quelques

 20   photographies. J'aimerais que vous nous fournissiez quelques explications

 21   pour que la Chambre de première instance puisse réellement comprendre

 22   l'importance et la valeur de cet ensemble.

 23   M. PORYVAEV : [interprétation] La pièce 8918, s'il vous plaît, peut-on la

 24   montrer au témoin ? Le numéro 00905254 est le numéro qui figure sur le

 25   document.

 26   Q.  Est-ce que vous le voyez ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  La page suivante, s'il vous plaît, 00905254. L'avez-vous ?


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  1   R.  C'est une partie de Begovina. A gauche --

  2   Q.  Est-ce que vous pouvez vous saisir d'un marqueur ou d'un pointeur pour

  3   nous montrer cela, s'il vous plaît, un pointeur électronique ?

  4   M. PORYVAEV : [aucune interprétation]

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Ceci est ma maison.

  6   M. PORYVAEV : [interprétation]

  7   Q.  Tracez un cercle, inscrivez le chiffre 1, vos initiales ainsi que la

  8   date.

  9   R.  [Le témoin s'exécute]

 10   Q.  Le bâtiment suivant ?

 11   R.  Le bâtiment suivant, c'est la maison d'Alija Rizvanbegovic.

 12   Q.  Inscrivez le chiffre 2, s'il vous plaît, paraphez et inscrivez la date.

 13   R.  [Le témoin s'exécute]

 14   Q.  Etait-ce la maison qui a été incendiée en avril ?

 15   R.  Le 22 avril 1993, on a incendié cette maison.

 16   M. PORYVAEV : [interprétation] Est-ce que vous pouvez maintenant déplacer

 17   la photo vers le haut ? Nous avons une autre photographie sur la même page.

 18   Q.  Que voit-on ici ?

 19   R.  C'est ma maison, à présent.

 20   M. PORYVAEV : [interprétation] Monsieur le Greffier -- oui, oui.

 21   LE TÉMOIN : [Le témoin s'exécute]

 22   [interprétation] C'est une photographie identique à l'autre, sauf que

 23   la situation que vous avez précédemment date d'avant la guerre. Maintenant,

 24   c'est en 1998. Donc, le bâtiment numéro 1 sur la photographie précédente et

 25   la photographie numéro 2.

 26   M. PORYVAEV : [interprétation]

 27   Q.  Numéro 3, c'est la photo de la maison appartenant au témoin prise en

 28   1998.


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  1   R.  [Le témoin s'exécute]

  2   Q.  Avec le chiffre 4, une photographie prise en même temps, il s'agit de

  3   la maison appartenant à Alija Rizvanbegovic.

  4   R.  Oui.

  5   M. PORYVAEV : [interprétation] Je voudrais que l'on enregistre cette

  6   photographie et qu'on lui attribue une cote électronique.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, pouvez-vous donner des

  8   numéros ?

  9   M. LE GREFFIER : Je vous remercie, Monsieur le Président. La première image

 10   capturée marquée par le témoin portera la cote IC 00013. La deuxième

 11   photographie portera la référence IC 00014. Merci. Excusez-moi, s'il vous

 12   plaît. Correction. La première photographie portera la cote IC 00014; la

 13   deuxième, 1C 00015. Merci.

 14   M. PORYVAEV : [interprétation] La même pièce, s'il vous plaît, peut-on la

 15   présenter au témoin, mais, au 00105260, à présent, c'est bon.

 16   Q.  Monsieur le Témoin, voyez-vous cette image ? Que voit-on ici ?

 17   R.  C'est ma maison, côté sud. La cour de cette maison, une partie de la

 18   cour et la maison.

 19   Q.  Très bien. Est-ce que vous pouvez inscrire le chiffre 5 sur cette pièce

 20   ?

 21   R.  [Le témoin s'exécute]

 22   Q.  Tracez un cercle, s'il vous plaît. Tracez un cercle sur cette partie de

 23   la maison.

 24   R.  [Le témoin s'exécute]

 25   M. PORYVAEV : [interprétation] Le témoin a identifié la face sud de sa

 26   maison sous le numéro 5.

 27   Je voudrais à présent montrer au témoin la même pièce numéro 00905267.

 28   Q.  Vous voyez cette photo ?


Page 2246

  1   R.  Pas encore. Pas encore.

  2   M. PORYVAEV : [interprétation] Oui. Je demande la photo précédente avec une

  3   cote, un numéro, s'il vous plaît.

  4   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce IC 00016, Monsieur le

  5   Président.

  6   M. PORYVAEV : [interprétation]

  7   Q.  Que voit-on sur cette image ?

  8   R.  On voit une pièce de ma maison. C'est l'aspect qu'avait ma maison en

  9   1993, à l'intérieur. Il y avait du bois sculpté. Le paravent était

 10   authentique. Tout était authentique et tout était ancien. C'était vieux de

 11   près de deux siècles, au moins 50 ans.

 12   Q.  Quelle en était la valeur, pour ce qui est de l'histoire, de

 13   l'architecture, de la culture ?

 14   R.  Etant donné que c'était ici un bâtiment classé du patrimoine de

 15   première catégorie, il faut savoir que c'était un élément de la plus grande

 16   importance, importance architecturale, mais aussi pour ce qui était de

 17   l'intérieur. Peut-être l'intérieur était-il plus important encore puisqu'on

 18   y trouvait des sculptures sur bois des plus belles. Je ne pense pas qu'il y

 19   ait d'autres exemples d'intérieurs aussi beaux dans les Balkans. C'était

 20   très apprécié. C'était considéré comme le fleuron de cette architecture en

 21   son genre. C'est ce qu'on dit tous les experts qui l'ont vu.

 22   Q.  Je vais demander au témoin d'apposer le chiffre 6, ainsi que sa

 23   signature et la date.

 24   R.  [Le témoin s'exécute]

 25   M. PORYVAEV : [aucune interprétation]

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier.

 27   M. PORYVAEV : [interprétation] L'intérieur de la maison de M. Rizvenbegovic

 28   en 1993.


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  1   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera désormais la pièce IC 00017.

  2   M. PORYVAEV : [interprétation]

  3   Q.  Vous avez été arrêté le 1er juillet 1993. Cela, nous le savons. Savez-

  4   vous quand cet ensemble Begovina a été détruit ? Quand l'avez-vous appris ?

  5   R.  La maison de mon père a été incendiée dans la soirée du 19 juillet

  6   1993, le jour de la Saint-Georges - c'était le saint patron de Stolac. La

  7   maison a été incendiée, on y a abouté le feu, alors que des chants

  8   retentissaient à travers les haut-parleurs. Ma femme était dans la maison

  9   de notre voisin. Elle l'a vu de ses propres yeux.

 10   Le lendemain, on a incendié une autre maison et ceci s'est répété au

 11   fil des jours, ce qui fait que la totalité de cet ensemble a été ainsi

 12   détruit par cet acte barbare.

 13   Je l'ai appris lorsque de nouveaux détenus sont arrivés à Dretelj le

 14   4 août, plusieurs jours après l'événement. Je l'ai appris, car ces gens

 15   étaient restés, pour certains entre eux, à Stolac, après que je sois parti.

 16   C'est Esad Sefo qui me l'a dit en particulier.

 17   Q.  Y a-t-il eu d'autres bâtiments détruits dans cet ensemble ?

 18   R.  Tous les bâtiments, tous les édifices ont été détruits dans ce

 19   complexe. Ils ont été incendiés. Il ne reste plus que des cendres. Seules

 20   les salles de bain sont restées, parce qu'elles se trouvaient à

 21   l'extérieur. Elles n'étaient pas dans les maisons même. C'est cyniquement

 22   et délibérément qu'on a laissé les toilettes intactes.

 23   Q.  Est-ce qu'il y avait là des lieux d'entrepôts militaires, d'autres

 24   objets ou équipements militaires ? Est-ce qu'il y avait des unités

 25   militaires qui étaient cantonnées dans votre complexe dans cet ensemble à

 26   l'époque ?

 27   R.  Je vous l'ai dit, déjà. La maison de mon frère était contiguë à la

 28   mienne. Nous avions un mur mitoyen. Il y avait une unité qui était


Page 2248

  1   cantonnée dans sa maison à lui. Plusieurs jours avant qu'on ne mette le feu

  2   à la maison de mon père, à savoir, les 15, 16, et 17 juillet, cette unité a

  3   quitté la maison de mon frère pour s'installer dans la première maison

  4   après Begovina, en dehors de Begovina, 200 mètres vers le sud, ce qui lui

  5   donnait le contrôle de toute la route. Il était impossible de franchir

  6   cette route sans que cette unité le remarque. C'est de là qu'ils sont allés

  7   sur les lignes et c'est de là qu'on a mis le feu aux maisons. Cette unité a

  8   été mutée lorsqu'il a été décidé d'incendier la totalité de l'ensemble. Ma

  9   femme l'a vu de ses propres yeux.

 10   Q.  Vous parliez de chants qui avaient été diffusés à l'époque. Quel genre

 11   de chants étaient-ce ? Qu'est-ce qu'on chantait ?

 12   R.  C'étaient des chants que tout le monde connaissait à l'époque. En

 13   général, il y avait des haut-parleurs placés aux balcons des maisons et on

 14   les utilisait pour diffuser ces chants fascistes oustacha de la Deuxième

 15   guerre mondiale. Je vous en ai parlé auparavant. Ma femme les a entendus,

 16   mais elle n'a pas été la seule. Tout le monde dans le voisinage les a

 17   entendus. Toute la rue a retenti, a vibré du son de ces chants.

 18   Q.  Est-ce qu'il y avait des mosquées dans la région de Stolac ?

 19   R.  Toutes les mosquées sans exception ont été soit incendiées, soit

 20   dynamitées. Dans la ville même, quatre mosquées ont été complètement

 21   détruites. Trois de ces mosquées ont été transformées en parking, et il y

 22   avait seulement les murs qui restaient pour ce qui est de l'une de ces

 23   mosquées.

 24   A une dizaine de kilomètres, peut-être à 5 kilomètres au sud de

 25   Capljina à Buna, au sud de Mostar et à Stolac, c'était une espèce de

 26   triangle qui était ainsi formé dans ce secteur; 22 mosquées ont été

 27   transformées en parking ou dynamitées. Il n'y a plus une seule mosquée. Il

 28   n'y avait pas une seule mosquée qui était restée intacte.


Page 2249

  1   Q.  Cet ensemble Begovina, était-ce le seul d'importance historique, le

  2   seul monument classé dans la région de Stolac ?

  3   R.  C'était simplement un des nombreux monuments qu'il y avait à Stolac

  4   parce que Stolac, c'était comme un musée qui comptait des dizaines de

  5   maisons classées, monuments historiques. Il y avait une maison qui était

  6   sous la protection de l'Etat. Les mosquées l'étaient aussi. C'étaient des

  7   monuments culturels.

  8   Toutes ces maisons, qui étaient de toute façon le patrimoine

  9   islamique et méditerranéen de l'architecture islamique et méditerranéenne,

 10   toutes ces maisons ont été dynamitées, détruites, incendiées, détruites par

 11   le feu. Il n'y a plus un de ces monuments qui soit resté intact.

 12   On n'a pas tiré un seul coup de feu, Messieurs les Juges, à Stolac.

 13   Il n'y a pas eu de combats entre les deux armées, pas un coup de feu n'est

 14   parti à Stolac. Tout ce patrimoine culturel a été détruit littéralement par

 15   la main de barbares.

 16   Q.  Quand êtes-vous rentré pour la première fois, après votre libération à

 17   Stolac ?

 18   R.  Pendant longtemps après l'agression de la fédération, il n'était pas

 19   possible d'entrer dans Stolac jusqu'à la fin 1997. C'est à ce moment-là que

 20   sont revenus les premiers réfugiés. Moi, je suis allé avec ma famille, et

 21   bien entendu je n'a pas pu entrer dans les ruines, parce que tout était

 22   couvert -- le terrain était en jachère, il y avait à place de ma cuisine un

 23   arbre qui poussait, l'arbre faisait deux étages de haut.

 24   Q.  Dans quel état se trouve aujourd'hui cet ensemble ?

 25   R.  Nous avons commencé la rénovation de l'ensemble l'année dernière avec

 26   l'aide du bureau de Protection du patrimoine culturel, et aussi avec l'aide

 27   du ministère de la Culture qui a lancé ce projet. Nous avons bénéficié

 28   d'une aide financière du gouvernement de Malaisie, de telle sorte


Page 2250

  1   qu'aujourd'hui, nous avons un toit sur deux maisons, la mienne et celle de

  2   mon frère. J'espère que cet été, nous pourrons remettre un toit sur une

  3   troisième maison pour empêcher que les murs ne se détériorent davantage.

  4   Q.  Est-ce que vous habitez dans ce complexe aujourd'hui ?

  5   R.  Entre-temps, j'utilise mes propres moyens financiers pour rénover la

  6   partie de la maison où j'habite. Ma femme s'y trouve aujourd'hui. J'habite

  7   à Sarajevo pendant trois jours de la semaine puisque j'enseigne à

  8   l'université de Sarajevo et je passe le reste de la semaine à Stolac. Je

  9   travaille d'arrache-pied à la rénovation de la maison; cela me tient bien

 10   en forme, je vous l'assure.

 11   Q.  Les mosquées, est-ce qu'on est en train de les reconstruire ?

 12   R.  La mosquée Sara, la mosquée centrale, est en train d'être reconstruite,

 13   celle de Moslovici. La mosquée Alija Izetbegovic est en train d'être

 14   reconstruite, et je pense qu'on va commencer bientôt la reconstruction de

 15   la quatrième mosquée en ville. Tout ce travail est effectué par le bureau

 16   chargé de la protection du patrimoine culturel ainsi que par la communauté

 17   islamique. Je ne suis pas très impliqué dans ce projet. Je ne peux pas vous

 18   en dire davantage.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors j'aurais une précision à vous demander.

 20   Concernant la destruction de ce complexe, parce que dans l'acte

 21   d'accusation, au paragraphe 166, il est indiqué que ce complexe aurait été

 22   détruit le 4 août. Or, vous nous avez indiqué tout à l'heure que c'est à

 23   partir du 19 juillet que la maison de votre frère a été détruite, et puis

 24   cela s'est poursuivi le 20 juillet. J'ai cru comprendre que vous aviez

 25   appris, vous, ces destructions alors que vous étiez détenu, le 4 août.

 26   Concernant les dates, qu'est-ce qui vous permet de dire que c'est à

 27   partir du 19 juillet, parce que dans l'acte d'accusation on situe cela le 4

 28   août ?


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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président, de me

  2   demander une précision. Ma femme a été témoin de ce qui s'est passé; Esad

  3   Sefo, qui a donné des explications sur ce qui s'est passé, vivait tout

  4   près. Ils ont vu la maison au moment où on y mettait feu. Il y avait des

  5   centaines de personnes qui ont vu, parce que c'est un complexe assez

  6   important et lorsque la maison d'Alija a été incendiée, les flammes ont

  7   illuminé toute la ville. Mais le 4, c'est le 4 que j'ai appris que la

  8   totalité du complexe avait été incendiée. C'est Esad Sefo qui me l'a dit.

  9   Lui, il venait de Stolac. Peut-être qu'une petite erreur s'est glissée dans

 10   l'acte d'accusation au niveau des dates, mais tout ceci peut être confirmé.

 11   Ma femme a été un témoin oculaire des événements et elle a pris note des

 12   dates.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : D'après les dires de votre femme, est-ce qu'en même

 14   temps que brûlait ce complexe ont été, dans la même période de temps,

 15   détruites les mosquées et également des maisons au centre de Stolac ? Est-

 16   ce que tout, d'après ce que votre femme a dit, s'est passé les mêmes jours,

 17   ou dans les jours qui ont suivi ? Qu'est-ce qu'elle vous a donné comme

 18   précisions ? Parce que l'acte d'accusation n'est pas très précis, et comme

 19   nous, en tant que Juges, nous devons dire exactement ce qui s'est passé,

 20   que pouvez-vous nous indiquer ?

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Ma femme n'avait pas le courage de circuler

 22   trop dans les rues, d'autant plus que j'étais dans un camp. Mais elle m'a

 23   dit que la ville n'a pas été incendiée en une seule fois, mais chaque soir,

 24   il y avait une maison ici ou là, ou un bâtiment ici ou là qui était

 25   incendié de sorte que l'incendie de la ville a duré plusieurs jours. Je

 26   crois qu'il y a des témoins qui pourront parler de cela. Je ne suis pas

 27   suffisamment au courant, mais ma femme n'avait pas le courage de circuler

 28   trop dans les rues de la ville parce que précisément, elle était ma femme.


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.

  2   L'Accusation, poursuivez.

  3   M. PORYVAEV : [interprétation]

  4   Q.  Un dernier sujet. Monsieur le Témoin, vous est-il arrivé de voir des

  5   groupes de réfugiés croates se déplaçant dans la région de Stolac et dans

  6   les environs ?

  7   R.  Oui. C'est arrivé une fois, au nom de Stolac, ce sont surtout des

  8   Serbes qui habitent dans cette partie-là, il n'y a pas de Croates. Un jour,

  9   un groupe important de Croates -- et il y en avait plusieurs camions qui

 10   sont venus de la direction de Velecha. Nous travaillions avec la Croix-

 11   Rouge à l'époque. Quand on les a rencontrés, il y avait le feu Ale

 12   Poljarevic et un certain Boskovic, Andjelko Boskovic, qui les ont

 13   rencontrés, et nous avons appris qu'il s'agissait d'un groupe de Croates

 14   originaires de Konjic. Ils étaient passés par Nevesinje, puis par Berkovici

 15   et de là, ils avaient poursuivi leur route jusqu'à Stolac. Ils avaient

 16   peur, on ne savait même pas qui c'était parce qu'il était habituel que ce

 17   soit des Musulmans qui avaient été expulsés de tel ou tel village qui

 18   viennent de ces directions. Mais nous avons tous été surpris de voir que

 19   ces gens là, cette fois là, étaient venus de la même direction. Ils étaient

 20   très effrayés, ils avaient dû passer deux nuits blanches à Nevesinje et ils

 21   avaient peur pour leur vie parce que le Chetniks les avait menacés dans

 22   cette région, les avait insultés. C'est avec beaucoup de réticence qu'ils

 23   nous en ont parlé, mais ils nous en ont bien parlé. J'ai été témoin de leur

 24   venue.

 25   Q.  Après, qu'est-ce qu'il est arrivé à ces gens ?

 26   R.  Certains ont été amenés vers le sud de Stolac, vers Capljina et, là ils

 27   ont été hébergés dans des maisons, dans trois lotissements : à Suskovo, à

 28   Bobanovo Selo - je suppose que vous savez de quoi il s'agit - et le


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  1   troisième lotissement se trouvait dans les quartiers sud de Stolac, il y

  2   avait encore des gens qui vivaient là. C'était un lotissement récemment

  3   construit sur un terrain assez rocailleux et je pense qu'il n'y a plus

  4   beaucoup de gens qui habitent dans ces lotissements aujourd'hui. Seules des

  5   personnes âgées, si j'ai bien compris, il y a très peu de jeunes qui

  6   habitent là.

  7   Q.  Est-ce que c'était tous des Croates de Bosnie ?

  8   R.  Oui. Tous ceux qui habitaient ou qui se sont installés dans ces

  9   lotissements étaient Croates de Bosnie, venaient de Vares, de Kakanj, de

 10   Konjic et d'autres parties de Bosnie centrale; c'est là qu'ils habitent

 11   aujourd'hui. Ces lotissements ont été établis là, c'est la République de

 12   Croatie qui a construit ces lotissements.

 13   Q.  Dernière question. Donnez-moi une réponse brève. Quelle est la

 14   situation démographique aujourd'hui à Stolac ?

 15   R.  Les Croates sont revenus plus tôt, mais tous les Bosniens qui se

 16   trouvaient en Bosnie-Herzégovine et ceux qui étaient en Allemagne ou

 17   d'autres pays voisins sont rentrés à Stolac. Cela s'est assez bien passé,

 18   les gens adoraient cette ville. Je pense qu'aujourd'hui, qu'il y a peut-

 19   être un peu plus de Croates que de Musulmans de Bosnie aujourd'hui. C'est

 20   l'opinion que j'ai d'après les enfants dans les écoles, il y a beaucoup de

 21   problèmes. Pour ce qui est des activités financières ou de l'administration

 22   à Stolac, il y a très peu de Bosniens, je pense que les autres employés

 23   sont Croates, il y a un espèce d'apartheid, il est impossible pour les

 24   Bosniens d'investir, de développer des idées commerciales, de prendre des

 25   initiatives. Tous ceux qui ont vécu les camps, qui ont été dépossédés,

 26   dépouillés de leur argent, de leurs objets de valeur, de ce qu'ils

 27   possédaient. Par exemple, ma femme, on l'a dépouillée de son argent, de ses

 28   bijoux, elle était enseignante et un de ses élèves l'a fouillée et même a


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  1   fouillé ses sous-vêtements, tout le monde a été dépouillé de ses biens à

  2   Stolac. Même ceux, qui avaient une certaine compétence, qui ne peuvent rien

  3   faire sur le plan économique, ne peuvent pas créer d'entreprises; c'est le

  4   problème qu'il y a à Stolac. La situation est pareille pour les Croates

  5   plus pauvres. Il y a des gens qui font de la contrebande, mais tout cela

  6   maintenant a cessé. La situation est très difficile quelle que soit

  7   l'appartenance ethnique des gens à Stolac.

  8   Q.  Je vous remercie.

  9   M. PORYVAEV : [interprétation] J'ai terminé l'interrogatoire principal.

 10   Merci, Monsieur le Président.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, alors demain nous reprendrons donc l'audience

 12   à 9 heures. Je donnerai la parole à l'Accusation pour qu'elle me liste

 13   toutes les pièces dont elle demande l'admission, indépendamment des pièces

 14   qui ont un numéro 1C. J'ai cru comprendre, mais la Juriste de la Chambre me

 15   fera le total, que l'Accusation a pris quatre heures, donc, ce qui veut

 16   dire que, demain, conformément à notre décision orale, la Défense aura huit

 17   heures -- charge de la Défense veut savoir comment elle va se répartir --

 18   quatre heures, oui, quatre heures -- charge de la Défense, oui, j'ai

 19   doublé, donc, la Défense aura quatre heures chargée à elle de se répartir

 20   le temps comme elle veut. Voilà.

 21   Alors, je vous remercie et je vous donne rendez-vous pour demain, 9

 22   heures.

 23   --- L'audience est levée à 19 heures 02 et reprendra le mardi 23 mai, à 9

 24   heures 00.

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