Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le lundi 15 juin 2009

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   [Les accusés Prlic et Coric sont absents]

  5   [Le témoin vient à la barre]

  6   --- L'audience est ouverte à 14 heures 16.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de

  8   l'affaire, s'il vous plaît.

  9   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

 10   les Juges.

 11   C'est l'affaire IT-04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts.

 12   Merci, Monsieur le Président.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier. En ce lundi 15 juin

 14   2009, je salue en premier M. Praljak. Je salue ensuite M. Pusic, M.

 15   Petkovic et M. Stojic. Je salue Mmes et MM. les avocats. Je salue également

 16   les accusés qui ne sont pas pour des raisons diverses présents. Je salue M.

 17   Stringer et M. Scott ainsi que leurs collaborateurs et collaboratrices,

 18   ainsi que toutes les personnes qui nous assistent.

 19   Je vais d'abord donner la parole à M. le Greffier, qui a un numéro IC à

 20   nous donner.

 21   M. LE GREFFIER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. 3D a

 22   présenté sa cinquième liste de documents, qui doivent être versés au

 23   dossier par le truchement du Témoin Slobodan Praljak. Cette liste va

 24   recevoir le numéro IC 1029. Merci.

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre va rendre deux décisions orales. Première

 26   décision orale :

 27   A l'audience du 8 juin 2009, la Défense Praljak a demandé à la Chambre de

 28   bénéficier de 15 minutes de temps supplémentaire pour traiter de nouveaux


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  1   sujets, les Moudjahidines, dans le cadre de l'interrogatoire direct de

  2   l'accusé Praljak. La Chambre décide de faire droit à la demande, et accorde

  3   15 minutes de temps supplémentaire, lequel sera décompté du temps global

  4   alloué à la Défense Praljak. 

  5   Comme vous le savez, la Chambre a alloué 55 heures globalement à la Défense

  6   Praljak, et à ce jour, la Défense Praljak a utilisé exactement 41  heures

  7   et 31 minutes.

  8   Deuxième décision orale : Décision orale relative aux notice déposées par

  9   les parties.

 10   La Chambre note que, depuis quelques mois, la Défense Praljak a déposé un

 11   certain nombre de notices relatives à plusieurs sujets. A titre d'exemple,

 12   la Chambre se réfère à la notice relative au principe tu quoque déposée par

 13   Slobodan Praljak, le 18 février 2009. L'Accusation a répondu à un certain

 14   nombre de ces notices, et la Défense Praljak a, à son retour, déposé des

 15   répliques.

 16   Dans un souci de clarté, la Chambre tient à rappeler que,

 17   conformément aux Règlements, elle ne saisit d'une question que lorsqu'une

 18   partie dépose une requête en bonne et due forme, ce qui permet ainsi, le

 19   cas échéant, aux autres parties d'y répondre. Par conséquent, la Chambre ne

 20   s'estime pas saisie des questions soulevées sous forme de notices ou de

 21   correspondances échangées entre les parties. Elle invite donc les parties à

 22   s'abstenir de déposer de telles notices.

 23   Voilà la deuxième décision orale.

 24   Alors je crois que Me Kovacic avait besoin de deux minutes.

 25   M. KOVACIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je vous remercie.

 26   Bonjour à toutes et à tous, toutes les personnes présentes dans le

 27   prétoire. Je tiens à informer la Chambre pour commencer d'une chose, à

 28   savoir la Défense du général Praljak et le général en personne ont pris la


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  1   décision suivante : pendant le contre-interrogatoire du général Praljak, la

  2   Défense, c'est-à-dire les défenseurs de M. Praljak ne seront pas en contact

  3   avec M. Praljak. Nous ne communiquerons pas avec lui. Nous tenons à en

  4   informer les Juges de la Chambre et la partie adverse. Nous souhaitons par

  5   là contribuer à la perception de la véracité de la déposition du témoin.

  6   Nous souhaitons éviter que l'Accusation ou qui que ce soit d'autre tende de

  7   diminuer l'importance ou le poids de cette partie-là de la déposition de

  8   l'accusé, du moment qu'il aurait eu éventuellement la possibilité de

  9   contacter ses défenseurs. La Défense de M. Praljak estime que M. Praljak

 10   n'a besoin d'aucune forme d'assistance sur ce plan, à savoir sur le plan

 11   des faits et de la déposition, parce qu'il est le mieux placé du moment que

 12   le client connaît toujours mieux les faits de sa Défense, et en

 13   particulier, dans le cas qui est le nôtre.

 14   Une deuxième chose, une requête orale que je souhaite soumettre à la

 15   Chambre. Monsieur le Juge, par votre décision du 18 mai 209, vous nous

 16   engagez, il s'agit en fait d'une annexe suite à vos lignes directrices. Le

 17   paragraphe 32, ligne 8, le 18 mai 2009, vous avez imposé une obligation à

 18   la Défense, à savoir pour ce qui est de la liste IC, nous devons la

 19   soumettre le lundi, tout au long du témoignage de notre client. C'est ce

 20   que nous avons fait. Mais dans le reste du texte de votre décision, vous

 21   maintenez la solution proposée dans les lignes directrices, à savoir que

 22   c'est à la fin du témoignage que l'on expose la position.

 23   Je propose qu'aux fins d'efficacité de la procédure, il serait bon que

 24   l'autre partie soit tenue éventuellement pour ce qui est des contestations,

 25   des objections face au fait qui figurent dans la liste ici. Maintenant

 26   qu'elle a été finalisée, et bien que ces objections soient exprimées disons

 27   dans les quelques jours qui sont devant nous d'ici à lundi, tout simplement

 28   pour des raisons pratiques, pour que l'on puisse avancer plus rapidement et


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  1   donc de manière plus efficace, parce qu'il nous faudra répondre suite à ces

  2   éventuelles objections. Il nous faudrait dans quelques jours pour ce faire,

  3   puisqu'il s'agit là d'une liste assez longue de documents.

  4   Donc je propose que l'Accusation, suite à l'examen de notre liste IC, s'il

  5   y a des objections, bien sûr, toute autre équipe de Défense le fasse, ma

  6   proposition est au plus tard jusqu'à lundi prochain.

  7   Je vous remercie. 

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. La Chambre va délibérer. Mais est-ce qu'à ce

  9   stade, Monsieur Stringer, vous voulez intervenir, ou bien vous demandez du

 10   temps de réflexion ?

 11   M. STRINGER : [interprétation] Monsieur le Président, si nous pouvions

 12   avoir un tout petit de temps effectivement pour réfléchir, et je vais

 13   pouvoir vérifier ce que M. Scott en pense également.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Ok. Bien. Alors nous allons commencer d'abord par

 15   les 15 minutes sur les Moudjahidines. Donc je redonne la parole à Mme

 16   Pinter -- Me Khan. Je vous salue à nouveau. Je vous ai regardé ce matin sur

 17   le petit écran. Je vois que vous n'arrêtez pas, vous êtes matin, midi et

 18   soir présent, donc c'est avec plaisir que je vous donne la parole.

 19   M. KHAN : [interprétation] Merci beaucoup de cet accueil très chaleureux,

 20   Monsieur le Président.

 21   Je suis vraiment désolé de devoir rendre compte du fait que mon Conseil

 22   principal est absent aujourd'hui. Elle a perdu sa sœur pendant le week-end,

 23   et l'enterrement est aujourd'hui, les obsèques. Nous sommes en contact avec

 24   elle, et nous ne sommes pas certains qu'elle pourra être de retour demain.

 25   Après avoir consulté notre client et vu l'importance de ce contre-

 26   interrogatoire, nous devons simplement dire au compte rendu qu'il y aura

 27   donc notre requête, nous présenterons une requête. On espère qu'il n'y aura

 28   pas de difficultés de mes confrères. Si le conseil principal n'est pas de


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  1   retour, nous pourrons, à ce moment-là, retarder certaines personnes pour le

  2   contre-interrogatoire. Voilà la base de la raison pour laquelle j'ai

  3   demandé la parole, Monsieur le Président.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : [interprétation] Je vous remercie, Maître Khan. Vous

  5   nous avez annoncé cette triste nouvelle. Nous aurons l'occasion d'exprimer

  6   nos condoléances à votre collègue lorsqu'elle reviendra dans le prétoire.

  7   Donc nous comprenons très bien qu'il y a des circonstances dans la vie où

  8   malheureusement, on ne peut être présent, et c'est dans ces conditions que

  9   vous allez la substituer en tant que conseil associé à la Défense de M.

 10   Stojic.

 11   Alors, concernant maintenant les 15 minutes accordées, Maître Pinter.

 12   Mme PINTER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

 13   Juges. Bonjour à toutes et à tous. La Défense du général Praljak n'a pas

 14   apporté les livres consacrés aux Moudjahidines. Nous ne les avons pas

 15   préparés pour aujourd'hui puisque d'après ce que nous avons cru comprendre

 16   jeudi dernier, nous avons pensé que notre présentation était terminée,

 17   c'est-à-dire que, par conséquent, le général n'a pas apporté les livres sur

 18   les Moudjahidines qui auraient dû normalement faire l'objet de nos

 19   questions. 

 20   Par là, je tiens à dire que nous n'allons pas revenir à ce sujet, nous

 21   n'allons pas non plus prolonger notre interrogatoire principal. Nous

 22   remercions toutefois les Juges de la Chambre de la décision qu'ils viennent

 23   de rendre, mais nous avions compris que notre interrogatoire était terminé.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : [interprétation] Bien. Merci, Maître Pinter.

 25   Bien, alors, Monsieur Praljak, je vais donc commencer mes questions. 

 26   LE TÉMOIN : SLOBODAN PRALJAK [Reprise]

 27   [Le témoin répond par l'interprète]

 28   Questions de la Cour :


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Tout d'abord, à titre liminaire, je voulais vous

  2   dire ceci. Vous avez face à vous un Juge qui va vous poser des questions en

  3   toute impartialité. Vous savez, comme moi, que j'étais le Juge de la

  4   confirmation. Donc vous pouvez peut-être supposer que j'ai déjà une idée

  5   sur votre culpabilité ou votre innocence, dans la mesure où j'ai confirmé

  6   l'acte d'accusation et j'ai délivré un mandat d'arrêt à votre encontre.

  7   Le Juge de la confirmation dans ce Tribunal est saisi par le Procureur

  8   d'une demande de confirmation ou d'un acte d'accusation à partir donc

  9   d'éléments de preuve qui sont apportés parfois par mètres cubes entiers.

 10   J'ai effectivement, il y a plusieurs années, été saisi d'une demande de

 11   confirmation à votre encontre et à celle de vos camarades, ici présents,

 12   d'un acte d'accusation. Dans le cadre de ce travail consistant à confirmer

 13   l'acte d'accusation, je me suis fixé comme règle uniquement le fait de

 14   vérifier si les écrits du Procureur étaient confirmés par un document sans

 15   m'approfondir sur le bien ou le non fondé de ce document. Donc j'ai vérifié

 16   que s'il était allégué qu'il y avait des crimes, qu'il y avait au moins un

 17   document qui parlait des crimes. Ça, ça a été mon premier travail.

 18   Le deuxième travail, j'ai vérifié si les noms qui étaient cités en tant

 19   qu'accusés potentiels, il y avait des auditions de ces mises en cause et

 20   s'il y avait des documents permettant de remonter à eux. Donc, ça a été mon

 21   deuxième travail.

 22   Le troisième travail, j'ai vérifié si les chefs d'accusation relevaient du

 23   Statut et étaient bien ceux qui ont été confirmés par la jurisprudence de

 24   ce Tribunal, et donc, prima facie, j'ai établi un acte d'accusation. Je

 25   tenais à vous dire cela pour vous dire que vis-à-vis de cet acte

 26   d'accusation, je suis totalement libre pour vous poser donc des questions

 27   sans parti pris.

 28   Conscient qu'il pouvait y avoir un problème, rappelez-vous, Monsieur


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  1   Praljak, lorsque vous étiez présent sans vos avocats lors de la mise en

  2   état, j'avais soulevé moi-même ce problème en vous disant à vous et aux

  3   avocats présents, que j'avais été le Juge de la confirmation mais que la

  4   Chambre d'appel, en raison du petit nombre de Juges, avait estimé qu'il n'y

  5   avait pas d'impossibilité à ce que le Juge de la confirmation soit

  6   également le Juge de fond. A l'époque, donc, je l'avais dit à tout le monde

  7   et il n'y avait pas eu de demande de récusation à mon encontre à parti de

  8   cet élément.

  9   Je tenais à vous dire ça à titre liminaire, afin que vous compreniez bien

 10   que dans ma démarche et dans mes questions, c'est la démarche d'un Juge

 11   totalement indépendant, impartial et neutre par rapport à l'accusation qui

 12   va donc aborder les points clés de l'acte d'accusation et les points clés

 13   de votre Défense.

 14   Deuxièmement, je tenais à vous dire, Monsieur Praljak, que de mon point de

 15   vue, vous aviez la capacité totale de vous défendre seul et lors de la mise

 16   en état, vous étiez seul, et la question de vos avocats n'était pas

 17   totalement réglée. J'aurais très bien pu, Monsieur Praljak, vous inciter à

 18   vous défendre seul, mais compte tenu du fait qu'il y avait d'autres accusés

 19   -- cinq autres accusés, j'ai estimé que, pour ne pas perturber l'audience,

 20   afin que tout le monde soit sur le même pied d'égalité, il convenait que

 21   vous soyez assisté d'avocat. Donc, j'ai milité, j'ai fait tout mon possible

 22   pour que Me Kovacic et Me Pinter puissent, dans le cadre de la commission

 23   d'office, vous assister. Mais si vous aviez été seul à être jugé, je

 24   n'aurais vu pour ma part aucun inconvénient à ce que vous vous défendiez

 25   seul, comme dans l'histoire de ce Tribunal, il y a eu déjà des exemples :

 26   Slobodan Milosevic, Vojislav Seselj, et plus récemment, M. Radovan

 27   Karadzic. Mais compte tenu du fait qu'il s'agissait d'un procès à accusés

 28   multiples, il convenait que chacun ait son avocat et c'est pour cela que


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  1   j'ai fait le nécessaire pour que vous ayez auprès de vous vos avocats.

  2   Mais dès le départ, vous avez vu, il y a eu quelques problèmes, car vous

  3   avez voulu continuer à assurer votre défense et parfois, avec mes

  4   collègues, nous n'étions pas sur le même plan car vous estimiez pouvoir

  5   poser des questions, alors que la majorité des Juges était d'un avis

  6   différent. La Chambre d'appel a tranché en vous reconnaissant le fait de

  7   pouvoir poser des questions dans votre domaine de compétence. A ce sujet,

  8   je dois vous dire qu'à titre personnel, je pense que vous avez un domaine

  9   de compétence très élargi, dans la mesure où vous avez exercé une

 10   responsabilité de commandant militaire de très haut niveau, vous avez été

 11   également un homme politique dans la vie de la Croatie, car vous nous avez

 12   dit récemment que vous étiez secrétaire général d'un petit parti politique.

 13   Vous avez été ministre adjoint de la République de Croatie. Vous avez été

 14   également dans le domaine littéraire et artistique, un des acteurs

 15   principaux de la vie culturelle croate. Donc vous avez une connaissance de

 16   mon point de vue, très élargie, jointe à votre formation en sociologie et

 17   en philosophie, ce qui vous permet d'aborder de nombreux domaines.

 18   Donc, moi, à titre personnel, je pense que vous étiez apte à poser toute

 19   question, même si parfois, la forme des questions pouvait laisser à désirer

 20   car n'étant pas juriste, vous pouviez également mal poser vos questions.

 21   Mais les Juges sont là, parfois, pour rectifier des questions mal posées.

 22   Je sais que depuis plusieurs années, vous attendez ce moment très important

 23   pour vous de pouvoir répondre aux questions, car je me souviens que vous

 24   nous aviez indiqué, vous m'aviez indiqué mais vous l'avez indiqué également

 25   à mes collègues lorsqu'ils ont constitué la Chambre, que vous n'avez qu'une

 26   hâte, c'est de témoigner et de dire tout ce que vous avez à dire.

 27   Malheureusement, en raison de cette procédure, il a fallu attendre trois

 28   ans avant que vous soyez face à nous pour vous exprimer totalement en


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  1   totale liberté et afin de répondre aux questions.

  2   Donc je sais que c'est un moment très important de votre vie. Vous

  3   attendiez ce moment. Ce moment est venu. De ce fait, je vais pouvoir donc

  4   commencer mon interrogatoire en vous posant toute une série de questions.

  5   Comme vous le savez, j'ai adressé, à vos avocats,     

  6   plusieurs listes. Il y a sept listes recensant divers documents. Je n'aurai

  7   peut-être pas le temps d'aborder tous les documents mais au moins les

  8   documents essentiels relatifs tant à la cause de l'Accusation qu'à votre

  9   propre défense.

 10   Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, je voudrais quand même vous poser

 11   des questions de nature plus personnelle et familiale car dans la procédure

 12   qui régit ce Tribunal on occulte la vie des accusés, l'environnement

 13   familial, les aspects psychologiques voire psychiatriques. Tout ceci n'est

 14   pas pris en compte alors que, dans des pays romano germanique comme le

 15   mien, il y a tout un dossier qui est fait à partir des éléments personnels

 16   d'un accusé afin de permettre aux Juges de mieux connaître celui qu'ils ont

 17   à juger, et désirant mieux vous connaître, je vais aborder quelques

 18   questions sur votre environnement familial.

 19   Vous nous avez dit là il y a quelques jours que votre père était

 20   malheureusement décédé au mois d'août 1993, alors que vous étiez dans une

 21   réunion de travail en République de Bosnie-Herzégovine, mais je n'ai eu

 22   aucun élément d'information sur votre mère. Alors pouvez-vous me dire si

 23   votre mère est encore en vie ou si elle est décédée.

 24   R.  Ma mère est décédée.

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Elle est décédée en quelle année ?

 26   R.  En 1996, 1996 ou 1997. Trois ou quatre ans après mon père. Vous me

 27   surprenez là, je n'arrive pas, en 1997.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Donc elle est décédée après votre père. Nous avons


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  1   appris que vos parents avaient travaillé dans la sécurité d'Etat sous le

  2   régime de l'ex-Yougoslavie et donc vous avez été élevé dans ce contexte.

  3   Est-ce que le fait d'avoir des parents étroitement liés à la vie

  4   sécuritaire d'un Etat a eu un effet sur vous ou aucun effet ?

  5   R.  Monsieur le Président, s'il vous plaît, une toute petite correction. Ma

  6   mère n'a pas travaillé pour les services quel qu'il soit après la Seconde

  7   Guerre mondiale, pendant quelque temps elle a été employée dans les

  8   bureaux, et puis quelques années plus tard, elle a été -- elle est devenue

  9   retraitée. Elle était invalide. Mon père c'est assez jeune à l'âge de 62,

 10   63 ans, qu'il a pris sa retraite, donc relativement jeune parce que tel

 11   qu'il était de toute évidence, il dérangeait l'organisation radicale sur le

 12   plan communiste mais, bien entendu, il y avait là des tendances plus ou

 13   moins radicales.

 14   En fait c'était une première constatation, mais si vous m'y autorisez,

 15   Monsieur le Président Antonetti, je tiens à préciser la chose suivante : en

 16   tant que fils de mes parents d'Herzégovine occidentale, dans l'ancien

 17   système dont nous avons parlé ici, j'avais parfaitement la possibilité

 18   comme rarement c'était le cas dans l'ex-Yougoslavie, dans toute la

 19   Yougoslavie, d'atteindre des sphères très hautes dans le parti -- du parti.

 20   J'aurais pu être membre du comité central de Bosnie-Herzégovine ou de la

 21   République de Croatie. Tous mes collègues ici présents et là-bas le savent.

 22   Un Croate d'Herzégovine occidental, enfant d'un couple communiste,

 23   membre faisant partie du régime avait toutes les portes ouvertes. Monsieur

 24   le Président, je n'ai emprunté aucune de ces entrées. Je n'ai poussé aucune

 25   de ces portes. A l'âge de 18 ans, je ne dirais pas que je suis devenu

 26   pleinement conscient de la réalité communiste, non, j'irais trop loin en

 27   disant cela, mais il y avait là une autre vérité : je savais que mes amis

 28   de Siroki Brijeg, qui avaient la réputation d'être une sorte de ville


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  1   oustachi parce qu'à l'époque, on est étiqueté comme ça des entités. Gojko

  2   Susak, des Penavic, tous ces gars qui étaient dans mon entourage, c'était

  3   mes copains et ils n'avaient aucune possibilité -- opportunité, c'était mes

  4   camarades de classe plus ou moins -- plus âgés d'un an, un peu plus jeune,

  5   donc du fait qu'ils étaient d'Herzégovine ou certains qui étaient de Siroki

  6   Brijeg, ça leur fermait toutes les portes. Or, pour moi, elles étaient

  7   toute ouvertes, dans toutes les institutions de l'Etat, et c'est à ce

  8   moment-là que j'ai opté pour mes amis. C'est au cours de quelques années

  9   qui allaient suivre en examinant, recherchant la réalité communiste et tout

 10   ce que je n'avais pas appris dans mon foyer, il y avait des choses qu'on

 11   n'avait pas le droit de dire ouvertement, et je suis entré en conflit

 12   politique tout d'abord avec mon père.

 13   Ma mère, elle est Dalmate, une femme de Dalmatie. Sa ville est

 14   revenue aux Italiens et elle a rejoint les partisans tout simplement

 15   suivant la même logique que j'ai suivi moi-même quand je suis parti faire

 16   la guerre. Elle ne voulait pas reconnaître Mussolini et son armée sur son

 17   territoire, chez elle, et elle a appris plus rapidement que ce qu'elle

 18   cherchait à atteindre par son combat au cours de la Seconde Guerre mondiale

 19   n'a pas été réalisé. Puis de même, mon grand-père paternel, il s'est

 20   retrouvé en prison parce qu'il avait, il s'était opposé au régime du

 21   Royaume de Yougoslavie.

 22   Donc vous pouvez voir chacune des générations du moins ont rencontré,

 23   créé ou détruit quelque chose. Donc sur ce plan, mon père était très

 24   intègre, très honnête. Il n'avait rien obtenu de la part de ce régime dans

 25   le sens où on pouvait obtenir des privilèges, et puis ma mère non plus.

 26   Dans ce sens-là, je ne les aurais jamais reniés. Tout simplement, j'avais -

 27   - j'étais en opposition politique par rapport à mon père, donc j'étais

 28   fidèle -- restait fidèle à mes camarades parce qu'eux, ils n'avaient pas de


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  1   possibilité d'obtenir des bourses, des foyers, et cetera, comme je l'a --

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Je reviendrai sur un aspect particulier tout à

  3   l'heure. Concernant la composition de la famille, vos parents, étiez-vous

  4   fils unique, ou bien il y avait des frères et des sœurs ?

  5   R.  J'ai une sœur et un frère.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Que fait votre sœur ? Que fait votre frère ?

  7   R.  Ma sœur est professeur d'université à la faculté d'Economie de

  8   Sarajevo. Elle était professeur. Ensuite après que la guerre a éclaté, elle

  9   était donc professeur à la faculté d'Economie de Sarajevo et maintenant

 10   elle enseigne l'économie à la faculté d'Economie de Zagreb.

 11   Mon frère est docteur en stomatologie et il a son cabinet de dentiste à

 12   Makarska.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Vous êtes donc une famille d'intellectuels.

 14   Vous avez donc une sœur, professeur de faculté, et un frère donc médecin.

 15   Concernant votre départ à Zagreb pour des études dans une école d'ingénieur

 16   électricien, j'ai constaté en relisant ce matin l'acte d'accusation et le

 17   mémoire préalable, par exemple, M. Prlic a fait ses études d'économie à la

 18   faculté de Sarajevo.

 19   Vous, vous faites vos études à Zagreb. Alors était-ce un choix lié à la

 20   région géographique, ou bien était-ce un choix uniquement lié au fait qu'à

 21   Sarajevo, il n'y avait pas d'école d'ingénieur en électricité ?

 22   R.  J'ignore si cela était vraiment le cas. A l'époque à Sarajevo, il n'y

 23   avait pas de faculté pour devenir ingénieur en électricité. Il y en avait

 24   en revanche à Belgrade et à Zagreb.

 25   M. Prlic a fait toutes ses année de lycée, me semble-t-il, à Mostar

 26   approximativement. Mais, moi, je suis parti car tous mes amis, les amis que

 27   je me suis faits lors de la période la plus significative de ma jeunesse à

 28   Siroki Brijeg, tous étaient partis à Zagreb. C'était pour moi un mouvement,


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  1   c'est quelque chose de choix car je savais que j'allais retrouver toutes

  2   les personnes qui étaient des amies proches.

  3   Les deux années de lycée que j'ai faites à Mostar n'ont pas duré

  4   assez longtemps pour que je me fasse plus que deux ou trois amis intimes

  5   supplémentaires. Seulement par rapport à ce cercle préexistant.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Il y a plusieurs jours, vous nous avez dit que la

  7   majorité des jeunes étudiants partaient à Zagreb, et quand vous aviez dit

  8   ça, j'avais eu envie de vous poser la question, puis je me suis dit : non,

  9   je ne lui poserai la question le jour où il répondra à mes propres

 10   questions. Donc voilà ma question : la jeunesse, à l'époque, qui était

 11   issue de Mostar ou de ces environs, pour quelle raison ils allaient à

 12   Zagreb plutôt qu'à Sarajevo ? Etant précisé, et je l'ai dit pour M. Prlic,

 13   lui, il est allé faire ses études à Sarajevo. Etait-ce la proximité ?

 14   Etait-ce parce que l'enseignement à Zagreb était de meilleure qualité qu'à

 15   Sarajevo ? Pour quelle raison vous et puis vos camarades avez préféré aller

 16   à Zagreb plutôt qu'à Sarajevo ou plutôt qu'à Belgrade ?

 17   R.  La vérité est la suivante, Monsieur le Président : c'est que les gens

 18   d'Herzégovine occidentale allaient faire leurs études en Croatie et à

 19   Zagreb pour des raisons d'intérêt national. La plupart des Croates allaient

 20   à Zagreb, la plupart des Serbes allaient à Belgrade pour ce qui est des

 21   Serbes d'Herzégovine.

 22   Ensuite lorsque la faculté -- l'université s'est développée à

 23   Sarajevo en fonction des possibilités que cela a offert, bien, un nombre

 24   progressivement plus important d'étudiants est allé de Mostar est allé

 25   étudié à Sarajevo, par exemple.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous nous dites que les jeunes d'origine serbe

 27   préféraient aller à Belgrade, les jeunes d'origine croate allaient à

 28   Zagreb, les jeunes Musulmans allaient à Sarajevo, et tout ceci sous le


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  1   régime communiste de l'ex-Yougoslavie. Il y avait déjà dans les études un

  2   choix lié à l'ethnie ?

  3   R.  Oui, c'est exact. Non seulement lors du choix de son université mais

  4   également à tout propos. Il n'y avait rien en ex-Yougoslavie où le facteur

  5   ethnique n'ait été considéré entre d'autres facteurs également. Cette

  6   question n'avait pas été résolue.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous, vous aviez vécu; enfin, nous, les Juges qui

  8   sont devant vous ne connaissent pas le -- n'ayant pas vécu dans l'ex-

  9   Yougoslavie, donc pour nous, c'est quelque chose de tout à fait nouveau et

 10   d'inconnu. Donc vous nous dites que, dans la période antérieure aux années

 11   1991, disons, la question ethnique était une question importante parce

 12   qu'on pouvait décider de son choix professionnel ou de ses études en raison

 13   de l'ethnie à laquelle on appartenait, ce qui entraînait des choix sur les

 14   universités Zagreb, Belgrade, Sarajevo; c'est ça que vous nous dites ?

 15   R.  Ils ne choisissaient pas leur profession sur des bases ethniques, mais

 16   le lieu de leurs études, oui.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Pour terminer sur ce plan, est-ce qu'il y

 18   avait des camarades à vous qui n'ont pas choisi d'aller à Zagreb, Belgrade,

 19   ou Sarajevo mais, par exemple, à Moscou dans les capitales de l'ex-bloc

 20   soviétique ?

 21   R.  Non, Monsieur le Président. A l'époque de la Yougoslavie, il n'y avait

 22   pas de départ d'étudiants qui allaient faire leurs études au sein du bloc

 23   soviétique.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Donc tout le monde restait dans l'ex-

 25   Yougoslavie.

 26   Vous arrivez donc à 18 ans à Zagreb; qu'est-ce qui vous a motivé pour

 27   faire des études d'ingénieur en électricité ? Etait-ce une filière

 28   intéressante, professionnellement intéressante ? Ou bien, avez-vous été


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  1   passionné par les travaux de Fermi ou d'Edison ? Qu'est-ce qui vous a

  2   motivé pour l'électricité ?

  3   R.  Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je n'étais pas tout à fait

  4   conscient à 17 ans et demi de ce qui allait être mon domaine de

  5   prédilection pour ce qui est de mes études. J'avais de très bons résultats

  6   en mathématiques au lycée et on m'avait un peu poussé dans cette direction,

  7   donc l'ingénierie, soit l'ingénierie en électricité, en électronique, soit

  8   les mathématiques. On me disait qu'il s'agissait là de bons métiers bien

  9   rémunérés et c'est ainsi que je suis allé faire ces études-là.

 10   Dès la fin de ma première année, j'ai compris que j'étais en mesure

 11   d'achever sans problème ces études-là et d'être même brillant mais que je

 12   n'allais pas être satisfait toute ma vie en étant employé comme ingénieur.

 13   Donc au sens classique du terme, je n'étais pas un ingénier,

 14   j'étais plutôt un théoricien. J'étais un bon étudiant. Mais j'ai vécu une

 15   véritable crise après cette première année, si bien que les deux années

 16   suivantes, je n'aie pas fait mes études, je les ai interrompues. Je me suis

 17   employé à toutes sortes d'emplois que je trouvais grâce au bureau des

 18   étudiants, et en fait j'étais à la recherche de moi-même.Déjà à l'époque de

 19   mes années de lycée à Mostar, j'avais été en contact avec le monde du

 20   théâtre et j'ai alors compris qu'en fait je souhaitais devenir réalisateur.

 21   Je me suis rendu à l'académie des Beaux Arts pour essayer de voir ce que

 22   cela pouvait être. A l'époque, les études de théâtre duraient deux ans mais

 23   à condition d'avoir déjà obtenu son diplôme dans telle ou telle section de

 24   la faculté de philosophie, et c'est la raison pour laquelle je me suis

 25   inscrit en philosophie et en sociologie afin de pouvoir m'inscrire à

 26   l'académie des Beaux Arts en section théâtre une fois que j'aurais obtenu

 27   mon diplôme.

 28   Alors ensuite j'ai continué mes études d'ingénierie une fois que j'ai


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  1   résolu pour moi-même ce conflit intérieur que j'avais rencontré, je n'ai

  2   plus rencontré aucune difficulté. Après cela, j'ai été capable de passer 20

  3   examens avec succès en une année dans ces différentes universités où

  4   j'étais inscrit. Mais puisque la Yougoslavie connaissait des réformes

  5   permanentes lorsque j'étais prêt d'obtenir mon diplôme en philosophie le

  6   règlement a changé. L'académie des Beaux Arts a proposé un cursus en quatre

  7   ans sans plus imposé comme condition le fait d'obtenir un diplôme de

  8   philosophie. Donc c'est alors que je me suis inscrit à tems plein à

  9   l'académie des Beaux Arts mais je ne voulais pas renoncer à ce que j'avais

 10   commencé, j'ai donc terminé mes études de sociologie et de philosophie et

 11   c'est parce que j'estime qu'à chaque fois qu'on commence quelque chose il

 12   faut aller jusqu'au bout, il faut terminer.

 13   L'INTERPRÈTE : Monsieur le Président, votre micro.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Excusez-moi. Je vais aborder la rencontre avec votre

 15   épouse. Vous vous êtes mariés en quelle année, Monsieur Praljak ?

 16   R.  Monsieur le Président, je me suis marié pour la première fois en 1969.

 17   Ma première épouse n'arrivait pas à trouver d'emploi en Yougoslavie. Elle

 18   avait terminé les études de psychologie. A l'époque, j'avais déjà une

 19   autorisation de séjour de travail en Allemagne, car j'y étais allé

 20   travailler au sein de l'entreprise Akla depuis 1965, et ensuite après 1965,

 21   j'y suis allé travailler dans la forêt noire comme garçon de café chaque

 22   année, ce qui me permettait de financer mes études et le reste. Mon épouse

 23   a été la première de trouver un bon emploi -- bon travail en Allemagne en

 24   tant que psychologue au sein d'une institution qui prenait soin d'enfants

 25   handicapés, "behinderte kinder," et ensuite, donc j'avais des contacts avec

 26   Bavaria Film et la question se posait pour moi si j'allais essayer de

 27   trouver un travail lié à ce domaine en Allemagne, ou si j'allais essayer de

 28   revenir en Yougoslavie. Puis est survenue l'année 1971, année au cours de


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  1   laquelle de nombreux de mes amis ont fini en prison en raison du choix qui

  2   était le leur de démocratiser la société. Ce désir de démocratisation, qui

  3   était présenté dans les manuels d'histoire comme un courant du nationalisme

  4   croate, qui est un mensonge éhonté, alors que les gens ne souhaitaient que

  5   la démocratie au sein d'un Etat indépendant de Croatie.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : J'en suis à votre première épouse, qui était

  7   psychologue et qui a donc travaillé dans une institution d'enfants

  8   handicapés.

  9   Vous avez divorcé en quelle année ?

 10   R.  Monsieur le Président, nous nous sommes d'abord séparés. Or, moi j'ai

 11   dit que je ne souhaitais pas m'installer en Allemagne. Puis on a eu

 12   d'autres problèmes, mais nous n'avons divorcé qu'ultérieurement. Cela lui

 13   convenait, pour des raisons fiscales mieux, et à moi aussi. A elle, ça lui

 14   convenait pour des raisons fiscales, et pour moi, c'était bien car cela me

 15   permettait de prolonger mon permis de séjour et de travail. Mais nous nous

 16   étions séparés déjà vers 1972, 1973. Nous nous étions mis d'accord pour ne

 17   plus vivre ensemble, et c'est alors, à peu près, que j'ai fait la

 18   connaissance de ma seconde épouse.

 19   On sait tout à son sujet, bien entendu, mais en raison des ragots

 20   interminables qui accompagnent la présente affaire, je vous prierais de

 21   bien vouloir m'autoriser à parler d'elle à huis clos partiel, juste pour

 22   éviter de l'exposer, bien que chacun connaisse l'effet de l'exposer encore

 23   plus à tous ces ragots. 

 24    M. LE GREFFIER : [interprétation] Messieurs les Juges, nous sommes

 25   actuellement à huis clos partiel.

 26   [Audience à huis clos partiel]

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 24   [Audience publique]

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Du temps que vous allez donc faire vos études à

 26   Zagreb, j'ai compris que vous étiez, vous nous l'avez dit opposant, entre

 27   guillemets, au régime communisme. A quelle date exactement vous basculez

 28   dans l'action politique ou le militantisme  politique ? En quelle année ?


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  1   Pouvez-vous nous dire que vous avez -- vous vous êtes dit parallèlement à

  2   mes activités professionnelles de réalisateur, je vais faire un peu de

  3   politique; en quelle année ?

  4   R.  Monsieur le Président, voilà comment on pourrait le formuler. A mesure

  5   que j'évoluais et au sein d'une telle évolution, il est difficile

  6   d'indiquer un moment précis. En 1968, j'étais l'une des personnes

  7   qui étaient à la tête du mouvement étudiant. Alors on affirme que ça s'est

  8   propagé en provenance de France, d'Allemagne avec Bendit et Ducka [phon] et

  9   les autres, mais ce n'est pas exact.

 10   Le mouvement étudiant, la révolte en Croatie avait deux composantes,

 11   donc il y avait un mouvement de gauche, qui estimait que le communisme

 12   n'était pas -- n'avait pas été assez bon dans ses réalisations. Pour ma

 13   part, j'étais plutôt du côté qui s'orientait vers la droite. Donc en 1968,

 14   j'ai été perçu comme quelqu'un qui s'était rebellé, la personne en fait,

 15   qui avait parlé lors d'une réunion publique, en protestant contre toute une

 16   série de choses. Maintenant ça prendra beaucoup de temps de répéter tout ce

 17   que j'ai abordé à ce moment-là.

 18   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Monsieur Praljak, Mesdames et

 19   Messieurs, je crois qu'il y a un malentendu sur le plan linguistique.

 20   Lorsque le Président vous a posé une question à propos de privilège, dans

 21   votre famille, moi, j'ai l'impression que vous avez compris ceci comme

 22   étant une connotation négative, comme une forme d'abus dans un régime

 23   autoritaire, lorsque certaines personnes bénéficient de privilège. Moi,

 24   j'ai entendu M. le Juge Antonetti, appartenir en fait à quelqu'un de la

 25   classe moyenne, relativement aisée ou un petit peu moins aisé. Quel que

 26   soit le terme utilisé, je ne vais pas vous demander de nous donner une

 27   étiquette; peut-être que vous allez nous le dire vous-même.

 28   R.  Oui, Monsieur le Juge Trechsel, chez nous, ce terme de privilégié


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  1   désignait très précisément une seule chose, le fait d'entrer dans le parti,

  2   d'entrer à la Ligue des Communistes et de progresser en son sein

  3   indépendamment des compétences ou des capacités que l'on avait ou que l'on

  4   n'avait pas dans son travail. Moi, c'est malheureusement ainsi que j'ai

  5   compris cela dans l'interprétation.

  6   Quant à l'autre question, il est exact que mon frère et ma sœur vivaient

  7   plutôt bien. Nous appartenions en fin de compte à ce que l'on peut

  8   catégoriser comme étant les gens éduqués. Je n'irai pas jusqu'à parler

  9   d'intellectuel, mais voilà la partie éduquée de la société croate.

 10   M. LE JUGE TRECHSEL : [aucune interprétation]

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur Praljak, de cette précision qui est

 12   importante. J'en reviens au mouvement étudiant, vous venez de nous dire et

 13   nous ne le savions pas, enfin, moi personnellement, je ne savais pas; vous

 14   voyez, en posant des questions, on apprend beaucoup de choses.

 15   Vous venez de nous dire que vous étiez à la tête du mouvement

 16   étudiant. Vous savez qu'en Europe, ce mouvement étudiant, dans les années

 17   1968, 1969, ça avait commencé déjà en Allemagne, et puis ça continue en

 18   France, et puis ça irriguait dans plusieurs autres pays.

 19   Mais je crois comprendre, d'après ce que vous nous dites, que le

 20   mouvement étudiant s'est d'après vous, en premier développé en Croatie,

 21   avec deux composantes, une composante disons gauche communiste et une

 22   composante plus à droite, disons plutôt libérale.

 23   Alors si je comprends bien, vous en étiez un des principaux dirigeants.

 24   R.  Oui, oui.

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Quand vous avez pris la tête de ce mouvement

 26   d'étudiant, quelle a été la réaction des autorités à cet égard; est-ce que

 27   ça a été laissé faire ou bien il y a eu des réactions contre votre

 28   mouvement ?


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  1   R.  Ce qui m'a étonné, c'est que les autorités ont eu terriblement peur.

  2   Donc à l'époque, j'avais 73 kilos, j'étais mince comme un clou. Quand nous

  3   sommes venus assister aux entretiens dans ce bureau politique, comité

  4   central, on a pu ressentir la peur. Ça m'a étonné, vu la puissance de cette

  5   organisation. Vous voyez arriver des gens mal mis, maigres, ils n'ont rien,

  6   et puis en face, vous avez des promesses et des promesses.

  7   Puis par la suite, en partie, cette structure politique s'est montrée

  8   favorable à des étudiants qui recherchaient à obtenir un communisme, un

  9   visage plus humain. Une partie des structures du parti était opposé à cela

 10   parce que, bien entendu, cela allait miner la sécurité, et la sécurité

 11   constitue une base des fondements du système communiste. Puis lorsqu'il a

 12   pris la parole, dans le cadre d'un discours à Belgrade, Tito s'est rangé

 13   aux côtés des étudiants. Il a dit : "Voyez-vous, je vous suis favorable. Il

 14   y a beaucoup d'agents dans vos rangs," et enfin toute cette langue de bois

 15   qu'il a utilisée, et assez rapidement, ce mouvement s'est éteint.

 16   Au comité central du Parti communiste, j'ai eu des réunions assez

 17   rapidement avec un communiste assez haut placé, Miko Tripalo, il était

 18   peut-être l'un des deux ou trois les plus hauts placés en Croatie. Après,

 19   en tant que nationaliste croate, en 1971, il a été condamné. Il avait pris

 20   part à des mouvements démocratiques en Croatie, plus tard dans les années

 21   1990. Alors à ce moment-là, ce que j'avais essayé d'amorcer, c'était de

 22   chercher la solution des problèmes qui occupaient -- préoccupaient la

 23   Croatie à ce moment-là, et on ne peut pas rentrer dans tous les détails.

 24   Mais, par de nombreux moyens, méthodes, Belgrade prenait, par exemple,

 25   prélevait des ressources croates pour construire le chemin de fer,

 26   Belgrade-Tabar, par exemple, c'était des investissements colossaux qui

 27   n'avaient aucun sens. Cette ligne ferroviaire est toujours là sans être

 28   utilisée, et puis la Syrie a un autre endroit, enfin, je pourrais vous


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  1   raconter beaucoup de choses. Par exemple, comment on fonctionnait ? On

  2   prenait des crédits collectivement, moi, j'utilisais l'argent pour

  3   m'acheter un complet et puis nous tous, vous tous, Messieurs les Juges,

  4   membres de la Chambre, ont remboursé le crédit. Puis le lendemain, je

  5   m'achetais une maison avec l'argent d'un crédit qu'on avait pris

  6   collectivement, et puis tous, on remboursait ces moyens. Prenez, ne serait-

  7   ce que la JNA à un aéroport de Bihac, quatre milliards de dollars de coûts

  8   à l'époque, ne serait-ce que pour cela. Puis tous les abris près de

  9   Sarajevo, c'était des milliards que ça a coûtés, puis l'abri près de Konjic

 10   là où on a fabriqué des munitions, trois ou quatre milliards de dollars, là

 11   encore. Puis une trentaine de villas qu'allaient utilisé Tito, dans chaque

 12   localité, il avait une villa fabuleuse qui était là à sa disposition pour

 13   qu'il y passe une nuit tous les trois ans, dans toutes les villes même à

 14   Mostar, je ne sais pas. Vous avez peut-être remarqué à côté de l'hôtel

 15   Neretva, l'hôtel qui a été incendié sur la gauche, il y a une maison, villa

 16   qui a été construite uniquement pour que Tito puisse y séjourner, et elle

 17   était vide. Peut-être que, de temps à autre, on a autorisé à un membre du

 18   parti ou à un dirigeant à y passer la nuit, enfin, c'était un grand nombre

 19   de sujets abordés et ils ont continué pendant les 20 années à venir.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : A partir de ce moment-là, est-ce que les autorités

 21   vous avait catalogué comme anti-communiste ?

 22   R.  En partie, oui, encore que les autorités ont estimé que ce mouvement

 23   des étudiants suivait encore la bonne ligne, ses idées, mais dès 1971, j'ai

 24   été étiqueté comme étant un nationaliste croate, très clairement. Donc pour

 25   que ce soit clair, je faisais partie du groupe de nationalistes croates.

 26   Vous avez pu entendre à huis clos comment vit un nationaliste croate

 27   typique.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro] -- en quelques lignes, nous définir ce


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  1   que vous venez de nous dire. C'est quoi un nationaliste croate ?

  2   R.  Monsieur le Président, je peux vous proposer une définition du point de

  3   vue des communistes. Donc si on se mettait à changer à entonner un air du

  4   XIXe siècle de l'histoire croate, ça vous coûtait trois mois de prison.

  5  Puis si, par hasard, vous avez - je ne sais pas - apporté un livre de Djilas

  6   d'Allemagne, alors le prix c'était un an en prison. Toute résistance

  7   opposée au système alors était qualifié soit de nationalisme croate, de

  8   nationalisme serbe, de Musulman ou autres, Albanais, et cetera. Donc

  9   quelque soit une prise de position publique ou une question lancée

 10   publiquement sur le sens du régime, sur les instances dirigeantes, sur le

 11   contrôle imposé aux citoyens, sur des centaines de milliers de dossiers

 12   qu'ils avaient à l'attention de chaque personne, individu, la réponse

 13   c'était il s'agit là de "nationalisme." Voilà c'est ça la définition du

 14   nationalisme.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Donc si je comprends bien, le fait d'être un

 16   opposant au système politique en cours, on vous qualifiait à ce moment-là

 17   de nationaliste croate. Vous auriez été Serbe, on aurait dit que vous étiez

 18   un nationaliste serbe. Vous auriez été Albanais, vous auriez été un

 19   nationaliste albanais. Bon. Très bien. Je comprends ce que vous venez de

 20   dire.

 21   R.  Exact. C'est exact.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors vous allez donc après vos études devenir

 23   réalisateur. On le sait que vous avez mis en scène des pièces faites

 24   parfois par des auteurs étrangers. Alors, là aussi, était-ce bien vu des

 25   autorités culturelles de la République socialiste fédérale de l'ex-

 26   Yougoslavie, ou bien vous paraissiez pour eux comme des personnes

 27   dangereuses ? Quel était le point de vue des autorités vis-à-vis du fait

 28   que vous mettiez en scène des auteurs étrangers ?


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  1   R.  Non, Monsieur le Président, ce ne sont pas des auteurs étrangers qui

  2   posent des problèmes. Ça ne les intéressait pas, ni Grumberg [phon], ni

  3   Breth [phon], ni Shakespeare, nous on était libre de présenter cela. Mais

  4   ce qu'il voulait c'est qu'un texte d'un auteur national ne présente pas une

  5   problématique -- ou plutôt ne remette pas en question l'image parfaite du

  6   système communiste. Ça c'est une première chose.

  7   Puis une deuxième chose, il y avait énormément de contrats qui étaient

  8   obtenus si on était membre du parti, donc à la télévision surtout ou qu'on

  9   vous confie un film à faire, qu'on vous confie les ressources, les moyens

 10   nécessaires pour faire un film, il fallait que je présente une dizaine de

 11   scénarios pour un documentaire, et finalement j'arrivais à en réaliser un

 12   sur dix.

 13   Techniquement parlant, c'était à 5 à 10% que j'étais efficace. Je faisais

 14   dix adaptations et finalement je réalisais un projet, donc c'était de cette

 15   manière-là qu'ils exerçaient des pressions sur vous.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors comment expliquez-vous que finalement vous

 17   n'avez jamais été en prison pour révisionnisme ou déviationnisme par

 18   rapport à l'idéologie ambiante ? Qu'est-ce qui vous a permis de passer au

 19   travers des gouttes comme on dit ?

 20   R.  Les gens qui se sont trouvés en prison, c'était surtout en 1971, 1972,

 21   parce que les événements les plus importants sur le plan du mouvement des

 22   étudiants se sont produits en été 1971.

 23   Heureusement ou malheureusement, pour ce qui me concerne cet été-là, j'ai

 24   dû partir travailler en Allemagne. Je n'étais pas là au vif du sujet, au

 25   comble des événements donc lorsqu'ils ont arrêté des gens, lorsqu'il y a eu

 26   des manifestations, des négociations et des arrestations.

 27   Quand je suis revenu, je ne l'ai pas souhaité moi non plus, je n'ai pas

 28   voulu faire preuve d'une idiotie sans borne qui allait m'emmener derrière


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  1   les barreaux sans rien atteindre que je me retrouve en prison simplement

  2   parce que j'aurais distribué des tracts et que ça n'aurait eu aucun impact,

  3   aucun sens. Monsieur le Président Antonetti, on savait -- moi, je savais

  4   dans mon entourage que ce système ne pouvait pas se maintenir, qu'il allait

  5   s'effondrer. En fait qu'on se comprenne bien, qu'il n'allait pas

  6   s'effondrer, à cause des fameuses phrases sur l'aspiration humaine à la

  7   liberté. Non, un nombre écrasant de personnes ne souhaite pas la liberté.

  8   Un petit nombre d'individus ne savent pas vivre sans liberté. Mais ce

  9   système s'est effondré parce qu'efficacement et économiquement, il est

 10   inefficace. L'Union soviétique et tout cela se sont effondrés parce

 11   qu'économiquement, ce n'était pas efficace, et les gens se sont aperçus du

 12   fait que dans l'autre système, on vivait très bien. Donc vous aviez là une

 13   rupture, et à la tête de ceux qui ont mené ce mouvement, ils se sont

 14   effectivement ceux qui inspirent à la liberté. Mais dans un système

 15   communiste, si on avait fourni des injections financières aux gens pour

 16   qu'ils vivent aussi bien qu'on vit en Occident où on doit bien travailler

 17   pour gagner son salaire, je vous dis qu'il ne se serait jamais effondré.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : En vous écoutant, j'ai l'impression que, pendant

 19   toute cette période vous étiez à Zagreb, la République de Bosnie-

 20   Herzégovine, à Mostar, ses environs, c'était un peu loin de vos

 21   préoccupations. Qu'est-ce que vous nous dites ?

 22   R.  A Mostar j'avais mes deux parents, c'est là qui vivaient, et j'avais de

 23   nombre de mes amis de ces régions peu développées. Vous savez, c'est

 24   rocheux c'est aride, il n'y a pas d'usine, parce que ce n'est pas là qu'on

 25   est allé construire des usines. Ces gens-là ils se connaissaient bien. Ils

 26   connaissaient bien la situation. Nous étions portés à bien nous connaître

 27   parce que souvent nous avions besoin de nous entraider, et aussi parce que

 28   nous éprouvons des liens -- nous avons des attaches avec cette région


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  1   aride, donc je connaissais assez bien la situation en Herzégovine.

  2   Pour ce qui est de la situation politique en Yougoslavie et toute cela,

  3   j'étais bien au fait des choses. Tous les journaux, les publications, les

  4   livres, on a étudié de manière scientifique ce système. Je pense que je le

  5   connaissais bien, je pense que je n'ai pas fait d'erreur là-dessus.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors vous reveniez voir vos parents, je présume,

  7   pendant les vacances vous les voyez régulièrement ?

  8   R.  Oui.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors quand vous alliez voir vos parents, est-ce

 10   qu'aux frontières, il y avait un contrôle, ou bien on passait, on ne savait

 11   pas où on était ? Est-ce qu'on passait d'une zone à l'autre sans aucun

 12   contrôle ? On était en République de Croatie puis 100 mètres après on était

 13   en République de Bosnie-Herzégovine sans qui ait un douanier, un policier ?

 14   Est-ce que ça fonctionnait comme cela ?

 15   R.  C'est exact, Monsieur le Président. Tout comme en France, il n'y avait

 16   pas aucun contrôle interne dans l'ex-Yougoslavie. C'était un Etat unitaire

 17   centralisé.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors je descends dans le détail. Parfois quand on

 19   franchit une frontière, on a l'impression de changer de pays. Par exemple,

 20   je ne vais pas citer de cas, mais le fait de passer une frontière, on se

 21   dit : "Tiens, on est dans un autre pays." Prenons les Etats-Unis et le

 22   Canada, quand vous êtes aux Etats-Unis, vous sentez que vous êtes aux

 23   Etats-Unis; et puis quand vous passez au Canada, vous dites : "Tiens, je

 24   suis au Canada. Quand vous, vous passez de la Croatie à la Bosnie-

 25   Herzégovine, est-ce que vous ressentiez cette différence ou pas ?

 26   R.  En partie ces différences, Monsieur le Président, on pouvait l'avoir en

 27   Yougoslavie, à Belgrade, j'avais des -- par exemple, Karadzic je l'ai

 28   rencontré en tant que poète en 1968, 1969, du temps qu'il était poète. Il


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  1   s'est rendu également à Zagreb. Il a participé au festival à Belgrade,

  2   Zagreb, festivals de films, de théâtre. Je connaissais beaucoup de gens,

  3   tout comme feu Shakespearologiste [comme interprété] de Sarajevo, et le

  4   journaliste et tout ça. Je me rendais à Belgrade en sachant qu'en une

  5   certaine manière, c'était un autre Etat. J'y allais avec mes

  6   fréquentations, mes amis. Puis en Herzégovine occidentale, là où je me

  7   rendais là comme dans -- comme chez moi dans ma patrie, parce que là, la

  8   frontière elle a été imposée par un des congrès de Berlin ou autres un des

  9   congrès de paix, comme cela a convenu aux puissances étrangères.

 10   Prenez Imotski, par exemple, on l'a mentionné que ça se situe en Croatie.

 11   Vous avez une frontière autour d'Imotski, et comment a-t-elle été tracée

 12   cette frontière ? On a installé un ancien canon à Imotski et puis on a tiré

 13   un projectile puis on a tracé un demi-cercle autour, et on a dit : "Voilà,

 14   maintenant ça c'est le tracé de la frontière croate, parce qu'à partir de

 15   maintenant, de l'autre côté, là, c'était l'empire Ottoman. On peut plus

 16   tirer sur la ville d'Imotski." Voilà c'est comme ça qu'on a tracé des

 17   frontières.

 18   Alors à partir du moment où j'aurais franchi la frontière près d'Imotski,

 19   je n'éprouvais aucune différence parce que, de part et d'autre de cette

 20   frontière, il a la même population sur le plan culturel, le plan des

 21   sentiments, il y a aucun chauvinisme. C'est comme ça. Puis quand je me

 22   rendais en Herzégovine, vu que je porte ce terrain aride en mon cœur, je me

 23   sentais mieux que, lorsque j'allais dans les grandes plaines du nord ou sur

 24   la côte d'où est originaire ma mère, comme une plante qui sent que cette

 25   terre lui convient.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Donc nous comprenons que quand vous alliez en

 27   Herzégovine, pour vous, vous étiez chez vous, et il n'y avait pas de

 28   différence fondamentale mais je crois que mon collègue a --


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  1   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je voudrais faire une observation

  2   concernant le compte rendu. Je veux maintenant parler de la page 32, ligne

  3   21. Pour la deuxième fois ici, du moins, nous trouvons le mot "cast," et je

  4   me demande si ce n'est pas "karst," ce qui décrirait un aspect géologique

  5   spécifique du lieu. Est-ce que j'ai raison ?

  6   R.  Oui, c'est exact, Monsieur le Juge Trechsel.

  7   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur Praljak, pour cette précision.

  9   Alors, maintenant nous allons aller de plus en plus dans le vif su sujet.

 10   Vous nous avez dit il y a plusieurs jours que vous avez rejoint un

 11   mouvement de personnes qui étaient dans la culture et qui se sont réunis

 12   pour faire une action politique. Alors pouvez-vous nous dire à quel moment

 13   vous avez définitivement basculé dans l'action politique ? Parce que, là,

 14   jusqu'à présent, on comprend vos motivations mais un engagement politique,

 15   vous savez, c'est quelque chose. Il faut aller à des réunions. Il y a des

 16   meetings. Il y a des projets politiques. Alors à quel moment vous avez

 17   adhéré à un projet politique, et quel projet ?

 18   R.  Juste une phrase avant cela. Je suis d'accord avec vous, on appellera

 19   ça projet politique. Mais je vais vous dire la chose suivante : c'était

 20   quelque chose qui était en fait un projet moral et projet de constitution

 21   de l'Etat. Mais on peut le qualifier de projet politique. Je n'avais jamais

 22   d'ambition pour sur le plan politique ni avant ni après. De ce point de

 23   vue-là, mon engagement, c'était la chose suivante : ce n'était pas dans le

 24   sens de la politique donc devenir membre d'un parti, grimper les échelons,

 25   je n'avais pas ce type d'ambition. Ce qui était tout à fait clair dans mon

 26   esprit, je vous l'ai déjà dit une fois, me semble-t-il. Au moins, vers

 27   1975, il y a 15 ans, avant tout cela, j'ai commencé à expliquer à tous ceux

 28   qui m'entouraient qu'hélas la Yougoslavie allait se décomposer dans le cas


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  1   d'une guerre, qu'une guerre allait éclater. Je me suis même employé à

  2   calculer le nombre de morts qui allaient y avoir dans le cas de cette

  3   guerre.

  4   Puis, en février 1989, pour répondre à votre question, nous avons -- nous

  5   nous sommes rassemblés publiquement à la société des hommes de lettre

  6   croate et la place centrale de Zagreb place du Ban Jelacic, nous étions

  7   peut-être 170 en 1980, même si on était moins nombreux. Franjo Tudjman

  8   était là, et cetera, et à ce moment-là, nous avons apposé nos signatures et

  9   c'était la première fois où nous avons dit : le moment est venu où il faut

 10   commencer à s'organiser, et s'organiser de telles sortes qu'on arrive à

 11   mettre en œuvre des idées que dans petits groupes nous défendions. C'était

 12   le 14 février 1989, me semble-t-il.

 13   Il y avait un groupe qui n'était pas très nombreux parce qu'on avait envoyé

 14   également des gens pour nous espionner pas mal d'agents, la police, et

 15   cetera.

 16   Ça s'appelait le HDZ en gestation au cours de constitution, parce qu'à ce

 17   moment-là, il n'était pas encore permis de fonder des partis politiques.

 18   C'était interdit.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, vous étiez 170, environ. C'était au centre

 20   culturel, enfin, des hommes de lettres de Zagreb, et il y avait M. Tudjman.

 21   Lui, il était là en qualité de quoi ? D'historien ? Quel était son titre

 22   qui lui permettait d'être avec d'autres intellectuels ?

 23   R.  Lui, c'était l'organisateur principal de ce rassemblement. C'est lui

 24   qui a rédigé le texte de la déclaration de base qui rassemblait toutes les

 25   positions qui allaient inspirer notre action politique. Il faut dire,

 26   franchement, que cette déclaration n'était pas complètement peaufinée à ce

 27   stade, et il ne voulait pas la rendre publique sur le champ parce qu'il

 28   avait peur que la police ne nous embarque tous en prison, non pas parce


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  1   qu'on aurait eu peur de se retrouver en prison mais parce qu'on voulait pas

  2   faire de gestes précipités, ce qui nous aurait fait perdre la possibilité

  3   de créer un Etat croate au bout de 800 ou 900 ans.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : J'allais vous poser des questions sur M. Tudjman,

  5   mais j'aurai l'occasion de revenir quand j'aborderai la question des

  6   participants en entreprise criminelle commune.

  7   Mais le 14 février 1989, M. Tudjman, vous le connaissiez déjà ? A quel

  8   moment vous l'avez connu, lui ?

  9   R.  Un petit peu avant cela. Je connaissais son fils, mais en personne, M.

 10   Tudjman, je l'ai rencontré un peu plus tôt lors d'un autre rassemblement

 11   dans le club des universitaires, des professeurs d'universitaires. Là, nous

 12   avons eu une réunion et c'est là que je l'ai rencontré. C'est là que j'ai

 13   été présenté en personne.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : En 1989, M. Tudjman, quelle fonction il a ? Il est

 15   professeur d'université, il est quoi au juste ?

 16   R.  Non. M. Tudjman n'avait aucune fonction. Il était retraité. C'était

 17   quelqu'un qui était parti à la retraite il y a longtemps, à ce moment-là.

 18   Par deux fois, il s'était retrouvé en prison et il fallait qu'on fasse

 19   attention dans le cadre de nos actions.

 20   Son fils aîné est Miro. Il était professeur à l'université.

 21   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Cette déclaration qu'on n'a pas, enfin, à ma

 22   connaissance, nous l'avons jamais vue, qu'elle était sa plate-forme

 23   politique, en quelques mots ?

 24   R.  C'était démocratique et ouvert dans tous les sens du terme, autant

 25   qu'on puisse l'imaginer. J'avais préparé une déclaration de la HDZ parce

 26   que plus tard, j'ai pris part aussi à son articulation, j'y ai pris part

 27   personnellement. Aussi, la déclaration du Parti démocrate croate dont j'ai

 28   été secrétaire général, et puis, j'ai préparé aussi des proclamations urbi


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  1   et orbi que nous avions à diffuser. Mais comme je n'avais pas suffisamment

  2   de temps, j'ai demandé que -- Me Alaburic me posera des questions là-

  3   dessus, mais vous aurez un aperçu.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Si je comprends bien, le thème central de cette

  5   déclaration, c'était démocratie; c'est bien ça ?

  6   Q.  C'est exact, Monsieur le Président.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Démocratie par opposition au régime dans lequel à

  8   l'époque, dans les années 1990, vous viviez; c'est ça ?

  9   R.  C'est exact. La démocratie, les droits de l'homme, une économie de

 10   marché, décentralisation de la Yougoslavie parce qu'à ce moment-là, il

 11   était pas encore question de la création d'éventuels Etats, mais nous nous

 12   engagions qu'une démocratisation, décentralisation de la Yougoslavie,

 13   davantage d'indépendance économique des Républiques, et cetera, et cetera.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, donc si je comprends bien, il y avait

 15   quatre thèmes qui pouvaient être des termes porteurs : démocratie, droits

 16   de l'homme, décentralisation, économie de marché. Pour relayer cette plate-

 17   forme, vous aviez un journal, des opuscules, parce que 170 personnes qui se

 18   réunissent, c'est très bien mais si sur le plan médiatique, il n'y a pas un

 19   relais, à ce moment-là, c'est lettre morte. Vous aviez des relais

 20   médiatiques ?

 21   R.  Non. Pas un seul journal n'a osé le publier, et d'ailleurs, on n'osait

 22   pas, nous. On n'avait pas le droit d'éditer un journal. Ce n'était pas même

 23   pas 170 parce qu'il y avait pas mal de gens qui étaient des agents, en

 24   fait, des espions.

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, si vous retirez le nombre d'espions,

 26   vous deviez peut-être pas être beaucoup nombreux.

 27   Mais dans le petit groupe dirigeant, il y a M. Tudjman. Est-ce que vous,

 28   vous étiez dans les personnes marquantes, ou bien aviez-vous un rôle


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  1   secondaire ?

  2   R.  Je n'étais pas parmi les plus importants, je n'étais pas le dernier non

  3   plus. Disons le tiers du haut. Après, j'ai occupé des postes plus

  4   importants que cela.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Donc vous étiez dans le tiers du haut. Bon.

  6   C'est quasiment l'heure de faire la pause. Nous allons faire la pause. On

  7   continuera après la pause.

  8   --- L'audience est suspendue à 15 heures 44.

  9   --- L'audience est reprise à 16 heures 07.  

 10    M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.

 11   Alors, Monsieur Praljak, on continue. J'en arrive maintenant et

 12   j'essaie d'aller le plus vite possible, mais parfois c'est assez difficile.

 13   Une fois que vous avez rédigé cette plate-forme mais que vous n'avez

 14   pas pu la diffuser parce que vous n'aviez pas les relais; d'après vous, à

 15   quel moment votre mouvement a pris corps, c'est-à-dire il est passé dans

 16   une phase opérationnelle à quel moment ?

 17   R.  Bien entendu, nous nous réunissions à différents endroits. Cela

 18   ne pouvait pas rester complètement secret. Evidement, les autorités en

 19   avaient connaissance. Mais à ce moment-là, l'étau, qui avait existé pendant

 20   toutes ces années, s'était déjà un peu desserré et c'est devenu quelque

 21   chose qui était de notoriété publique, au moment où la Ligue des

 22   Communistes de Croatie a pris cette déclaration, en vertu de laquelle des

 23   partis politiques pouvaient s'enregistrer. J'ai montré ce film qui a été

 24   tourné où l'on voit que j'ai été envoyé par toutes les parties existantes

 25   en Croatie pour exprimer mes remerciements ou plutôt pour tenir un discours

 26   à ce sujet.

 27   Avant cela déjà, on avait autorisé la formation de certaines

 28   organisations ou parties. Un parti politique avait même réussi à


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  1   s'enregistrer, et ce, dans le cadre de la Fédération yougoslave. En

  2   Yougoslavie, en dehors de la Ligue des Communistes, il y avait également la

  3   Ligue socialiste qui était une sorte d'organisation plus large que la Ligue

  4   des Communistes. En son sein se trouvaient des gens de tout bord et, bien

  5   entendu, qu'elle était sous le contrôle de la Ligue des Communistes. Mais

  6   le HSCLS, le Parti socio-libéral croate a été le premier à obtenir le droit

  7   de s'organiser en tant que parti de la Ligue socialiste de Croatie. C'est

  8   ainsi enregistré. Toutefois ce n'était pas encore un vrai parti politique.

  9   Ils étaient toujours contraints d'agir dans le cadre des principes qui

 10   étaient ceux de la Ligue socialiste. Ce n'est qu'ensuite, vous vous en

 11   souviendrez peut-être qu'on a observé des divergences au sein du congres de

 12   la Ligue des Communistes de Yougoslavie, lorsque Milosevic a demandé de

 13   nouveau l'unification ou l'unitarisme au sein de la Yougoslavie. Alors les

 14   Slovènes se sont levés en premier, puis ensuite les communistes croates

 15   avec Racan à leur tête, et c'est ainsi que ce Congrès de la Ligue des

 16   Communistes de Yougoslavie ne s'est pas achevé. C'est ainsi que cette

 17   structure s'est effondrée de fait. 

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 19   C'est après cela que la formation des partis politiques a été autorisée en

 20   Croatie. A compter de cette date, on observe un enregistrement massif de

 21   partis politiques. Alors que jusque-là, c'était impossible et interdit. Il

 22   y avait très peu de gens au sein de ces très nombreux partis. C'étaient

 23   plutôt des gens qui étaient du même avis, des amis au sein du d'un cercle

 24   restreint.

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Le HDZ a dû s'enregistrer, mais j'ai cru comprendre

 26   que vous, vous n'avez pas fait partie du HDZ; pour quelle raison ?

 27   R.  J'ai fait partie de ces 17 personnes qui ont préparé leur

 28   enregistrement du HDZ dans le cadre de la Ligue des Socialistes. Ensuite il


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  1   y a eu une interdiction de cette organisation, et le Dr Tudjman alors a

  2   emmené un groupe de personnes dans une pièce où ils ont procédé de façon

  3   secrète à l'organisation du HDZ. Alors, moi, d'une certaine façon, j'ai été

  4   l'organisateur de cette réunion qui était censée être publique au sein de

  5   la Ligue socialiste. Mais je n'ai pas été informé et ce groupe non plus n'a

  6   pas été informé par eux du fait qu'ils se rendaient dans cet abri, dans

  7   cette pièce pour procéder à l'organisation du HDZ.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Permettez-moi de vous arrêter parce qu'on touche à

  9   un problème important. Il ne faut pas qu'il y ait d'erreur dans la

 10   traduction.

 11   Vous organisez au sein de la Ligue socialiste cette réunion. Puis, si je

 12   comprends bien, M. Tudjman, amène un petit groupe d'individus dans lequel

 13   vous, vous n'êtes pas parti pour secrètement c'est ce que vous dites

 14   constituer le HDZ. Alors pourquoi on vous a mis à l'écart ?

 15   R.  Cette réunion, qui devait se tenir dans le hall d'un hôtel, et dont

 16   j'avais la charge, a été interdite par la police, mais il n'y avait là pas

 17   d'intention particulière dans ce désordre. Tout simplement il s'est passé

 18   qu'un groupe particulier s'est séparé. Je ne pense pas que cela ait procédé

 19   d'une intervention particulière. Eux se sont rendus dans cet abri, nous

 20   sommes allés ailleurs. Puis ensuite, ils nous ont invités à les rejoindre.

 21   Mais il y avait une grande rivalité entre le Dr Franjo Tudjman, d'un côté,

 22   et le Dr Marko Veselica, d'autre part.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : Epelez le nom du Dr Veselica. Excusez-moi, j'ai

 24   malentendu le nom. Vous dites qu'il y avait une rivalité en train être

 25   Tudjman, et redites le nom.

 26   R.  Le Dr Marko Veselica.

 27   LE JUGE ANTONETTI : Marko Veselica ?

 28   R. Exact.


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Pour quelle raison ?

  2   R.  e Dr Franjo Tudjman se sentait, d'une certaine façon, appeler, c'était

  3   du moins son ressenti, appelé à conduire ces changements au sein du peuple

  4   croate. Ce même ressenti existait aussi chez d'autres personnes, dont Marko

  5   Veselica, qui avait passé 11 ans en prison, bien que précédemment il ait

  6   été, lui aussi, membre de la Ligue des Communistes, et lui pensait tout

  7   simplement que ce rôle lui revenait, le rôle de cette personne qui

  8   apparaîtrait en tout premier plan et qui développerait ce mouvement

  9   démocratique et national en Croatie.

 10   Il y avait aussi Dr Savka Dabcevic-Kucar, qui avait été relevé de ses

 11   fonctions en 1972, et qui jusqu'alors était le numéro un du Parti

 12   communiste en Croatie. Il y avait pas mal d'ambition personnelle qui était

 13   en jeu, là, et d'autres facteurs aussi.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors c'étaient des rivalités personnelles et non

 15   pas des rivalités dues à des programmes différents; c'est un conflit

 16   d'individu, un conflit d'ego ?

 17   R.  c'est exact. Les problèmes, Messieurs les Juges, ressemblaient comme un

 18   œuf peut ressembler à un autre œuf, aussi bien le programme du HSCLS que le

 19   programme du HDZ, le Parti paysan.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors excusez-moi d'interrompre parce que je

 21   souhaiterais vous fassiez des réponses courtes, parce que ça me permet de

 22   poser plus de questions et d'aller le plus près possible de la vérité si on

 23   peut l'atteindre. Mais on peut toujours espérer.

 24   Vous-même, vous balanciez vers qui parmi tous ces individus ? Quel était

 25   votre chois personnel, ou bien vous n'en n'aviez aucun ?

 26   R.  Je suis pour ma part resté au sein du parti que nous avons formé et qui

 27   était conduit par le frère du Dr Marko Veselica qui était professeur

 28   d'économie. Donc son frère, Vlado Veselica, lui-même également professeur


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  1   d'économie, j'y suis resté dans ce parti parce que Marko -- cette situation

  2   était dû au fait que Marko Veselica ne devait pas se montrer en public.

  3   Il n'avait pas le droit de s'exprimer ni oralement, ni par écrit en public,

  4   et c'est pour cela que son frère et moi-même avons mené les choses. C'était

  5   aussi parce qu'il y avait plus d'amis à moi dans ce parti politique et je

  6   suis simplement resté avec eux. En revanche, il n'y avait pas de raison

  7   politique significative qui pourrait justifier cela, et si avez votre

  8   permission, je pourrais peut-être vous expliquer quelle était la seule

  9   différence politiquement significative.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro] -- or quelle était la seule différence

 11   politique significative ?

 12   R.  La seule différence significative d'un point de vue politique était la

 13   question de savoir quelle position il fallait prendre par rapport aux

 14   documents qui avaient été élaborés au sein du Mouvement des Partisans. Il

 15   s'agit de deux documents : d'une part, AVNOJ, donc l'assemblée générale de

 16   l'AVNOJ à Jajce, qui a défini qui a posé ce qu'allait être les relations

 17   futures au sein de la future Yougoslavie; et ensuite l'assemblée du ZAVNOH,

 18   qui était une assemblée de Croates à Topusko en Croatie, où on a défini

 19   quels étaient les intérêts du peuple croate au sein de la RSFY.

 20   Ici existait une différence quant à la façon de traiter ces documents d'un

 21   point de vue politique. Franjo Tudjman estimait que ces documents devaient,

 22   eux aussi, entrer dans la déclaration alors que dans le parti où, moi,

 23   j'étais, il y avait de nombreuses personnes qui avaient purgé de lourdes

 24   peines de prison, qui leur avaient été imposées par ce régime et qui

 25   avaient une attitude beaucoup plus sévère à l'égard de tout ce qui pouvait

 26   provenir de la partie communiste du mouvement.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : On perçoit bien l'ensemble de ces mouvements et des

 28   différences à la marge qui pouvait y avoir. Maintenant je vais intégrer


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  1   l'objet même de l'acte d'accusation.

  2   Est-ce qu'à cette époque, on commençait déjà à parler de la question croate

  3   au point de vue territorial ? Est-ce que l'idée d'une Grande-Croatie était

  4   présente dans tous les esprits ou bien que ça soit Tudjman, que ça soit

  5   Marko Veselica, son frère, Vlado, vous-même et d'autres encore ? Ce n'était

  6   pas le sujet, le sujet étant la démocratie, l'économie de marché, la

  7   liberté fondamentale, et cetera, ou bien à cette époque déjà pointait la

  8   question territoriale de la Grande-Croatie.

  9   Alors dans votre souvenir, est-ce qu'avec vos camarades, avec Tudjman, vous

 10   aviez abordé ces sujets, ou bien le débat, comme en matière politique la

 11   plupart du temps, c'est toujours sur fond d'économie ?

 12   R.  Il n'a jamais été question de quelque Grande-Croatie que ce soit,

 13   Messieurs les Juges. A l'époque, on ne parlait même pas d'une Croatie qui

 14   se serait trouvée en dehors de la Yougoslavie, on n'en parlait pas du tout.

 15   On parlait de la réorganisation, du réaménagement de la Yougoslavie. Il n'y

 16   avait pas le moindre signe de ce qui allait se produire ultérieurement. Au

 17   contraire, tous à part un petit nombre d'entre nous étaient persuadés que

 18   tout allait se passer pacifiquement --

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous-même, vous dites : on parlait de la

 20   réorganisation de la Yougoslavie. Alors je vous prends au mot, très bien,

 21   réorganisation de la Yougoslavie mais pouvait-il y avoir une

 22   réorganisation de la Yougoslavie par une Grande-Serbie, une Grande-Croatie,

 23   une Grande-Slovénie, et cetera ?

 24   Est-ce que ces concepts entraient ou pas ?

 25   R.  Non.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Non. Alors pourquoi ?

 27   R.  Non. Il n'y en avait pas car - comment dire cela - ça ne venait à

 28   l'esprit de personne tout simplement. La seule chose que nous souhaitions


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  1   c'était une décentralisation de la Yougoslavie, donc un aménagement

  2   confédéral de la Yougoslavie. Bien entendu, nous savions tous, quelles

  3   étaient les aspirations Grand-Serbes, et la question fondamentale était de

  4   savoir : comment, si opposé, si vous êtes dans une situation où vous sentez

  5   que vous êtes en position de faiblesse et que vous allez, je ne sais pas,

  6   avoir du mal à obtenir ne serait-ce qu'un simple repas pour vous nourrir,

  7   vous n'allez pas commencer non plus à faire le difficile ? Je ne sais pas

  8   comment l'expliquer, mais personne -- cela n'est venue à l'idée à personne

  9   que de savoir comment on allait mettre en place une Grande-Croatie, ni moi-

 10   même, ni les autres avec qui j'ai parlé. Or, j'ai parlé avec tous.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez dit que le grand sujet était la

 12   décentralisation. C'est ce que vous avez dit. Bien. Ce sujet de la

 13   décentralisation était-ce par opposition à la centralisation que vous

 14   pouviez penser excessive de l'ex-Yougoslavie sous Tito ? Est-ce que, pour

 15   vous, il y avait une centralisation telle qu'il fallait y mettre un terme

 16   et qu'à ce moment-là, la solution était la décentralisation peut-être au

 17   niveau de chacune des républiques. Etait-ce cela le sujet majeur ?

 18   R.  Oui, Monsieur le Président. La décentralisation, la libre utilisation

 19   de sa langue, la liberté de pensée, la liberté d'expression et la liberté

 20   d'organiser des partis politiques, la liberté de se porter candidat, la

 21   liberté d'organiser des élections, d'établir un marché libre et la liberté

 22   de conserver les ressources financières dans la république où elles ont été

 23   dégagées et créées. Avant tout, il s'agissait de l'argent du tourisme et

 24   d'éviter que cet argent n'aille à la banque centrale selon le cours qui

 25   avait été déterminé par cette dernière. Il s'agissait de ne pas voir les

 26   investissements en Serbie financés par toutes les républiques mais -- et de

 27   manière générale, que les investissements soient financés par la république

 28   où ils sont réalisés.


Page 41399

  1   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Il y a quelques instants, à la ligne

  2   25 de la page 24, ceci a disparu maintenant de nos écrans.

  3   Vous avez évoqué quelques-uns, tous à l'exception d'un petit nombre d'entre

  4   nous pensions que ceci allait évoluer pacifiquement. Je souhaite savoir qui

  5   était ces autres et quelles étaient leurs idées, si vous vous en souvenez ?

  6   R.  Je m'en souviens, Monsieur le Juge. Une partie de ces personnes --

  7   c'est que c'est moi, cette personne qui, d'un point de vue politique et

  8   dans la mesure où il est même seulement possible d'avoir ce genre

  9   d'opinion, une personne qui, comme moi, affirmait que la Yougoslavie

 10   n'allait pas s'effondrer sans que -- sans ne soit versé. J'affirmais cela

 11   après plusieurs décennies à faire des analyses. Pour moi, il était clair

 12   que les Serbes, en raison de leur aspiration Grande Serbie en raison de

 13   l'énorme concentration de personnes dont ils disposaient au sein des

 14   organes fédéraux et qui, de par la décentralisation, allaient perdre leur

 15   poste, il était tout à fait clair pour moi que cet effondrement n'amènerait

 16   pas la paix.

 17   Alors nous souhaitions tous rassembler à un pays occidental, un pays comme

 18   la France, la Suisse ou autre. Nous recopions tout simplement

 19   l'organisation qui prévalait dans ces pays. C'est ce que nous souhaitions.

 20   Mais moi-même ainsi que mes amis, tel que Djerek, nous savions, à la

 21   lumière de tout ce qui s'était passé depuis plusieurs décennies, que la

 22   Serbie n'accepterait pas de voir une séparation des républiques de l'ex-

 23   Yougoslavie à la façon dont les Tchèques et les Slovaques se sont séparés

 24   ou la façon dont l'Union soviétique s'est effondrée.

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Cette grande idée de la décentralisation, il y avait

 26   un obstacle qui était que la Serbie n'accepterait pas cela. C'est ce que

 27   vous dites. Pourquoi n'accepteraient-ils pas cela ? Parce que, si on vous

 28   suit, la décentralisation amènerait une indépendance relative de chacune


Page 41400

  1   des républiques, ce qui ne pouvait recevoir l'accord des Serbes; c'est ça

  2   que vous nous dites ?

  3   R.  C'est exact.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Donc vous étiez face à un problème majeur. Comment

  5   comptiez-vous contourner le problème ou affrontez le problème ?

  6   R.  Il y avait à l'époque deux éléments qui étaient sur la table. Tout

  7   d'abord, la Serbie avait déjà complètement annulé la constitution de la

  8   RSFY. Elle avait complètement dérogé au moment où elle a annulé l'autonomie

  9   des régions autonomes du Kosovo et de la Vojvodine. Elle a fait ça par un

 10   acte tout à fait unilatéral.

 11   Alors que dans la constitution de la RSFY, il est écrit que cela

 12   était possible, mais uniquement avec l'assentiment de l'ensemble des

 13   composantes de la Yougoslavie d'alors : la Croatie, la Slovénie, et ainsi

 14   de suite. Il me semble que vous disposez de cette constitution, Messieurs

 15   les Juges.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, j'ai la constitution et j'évoquerai avec vous

 17   certains articles.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Il y est écrit de façon très précise

 19   quelle est la procédure en vertu de laquelle on peut amender la

 20   constitution. Or, cela n'est pas possible pour simple décision des

 21   dirigeants serbes. Mais avec l'accord de tous les acteurs qui y sont cités,

 22   donc la Croatie, la Slovénie et la Macédoine, et ainsi de suite.

 23   A l'époque, c'était tout à fait clair. On a également le même

 24   mémorandum de l'Académie serbe des Arts et des Sciences. Nous connaissions

 25   également les plans qui portaient sur la JNA et l'organisation de cette

 26   dernière. La position qui était la mienne était : Qu'il fallait donner une

 27   portée aussi internationale que possible à la question de la Croatie et de

 28   sa place dans le monde. Il fallait rendre cette question aussi


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  1   internationale que possible.

  2   Deuxièmement, il était également clair pour moi qu'il nous fallait

  3   commencer à nous préparer pour la guerre, car j'affirmais que,

  4   malheureusement, la guerre allait venir. La très grande majorité des autres

  5   partageaient ce premier point de vue au sens duquel il fallait

  6   internationaliser la question autant que possible. Nous avons travaillé

  7   avec toutes sortes de journalistes, des journalistes français, des

  8   journalistes allemands, d'autres qui sont venus nous interroger à ce sujet.

  9   Quant à cette deuxième idée selon laquelle il allait y avoir une guerre, la

 10   majorité la rejetaient pour des raisons d'ordre psychologique et non pas

 11   scientifique, qui leur auraient permis de s'opposer à mes analyses en vertu

 12   desquelles les Serbes allaient exprimer la volonté d'une Yougoslavie qui

 13   aurait été conforme à leurs aspirations telles que formulées depuis 120 ou

 14   150 ans, à savoir que la Serbie se trouve à tout endroit où il n'y a même

 15   que dix Serbes.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors vous nous le dites, mais c'était déjà

 17   dans vos écritures.

 18   Vous, vous étiez partisan d'un côté international pour que la

 19   République de Croatie puisse prospérer, mais d'un autre côté, vous dites

 20   que, pour vous, la guerre était inévitable. Est-ce à dire que de votre

 21   point de vue, les Serbes, via la JNA, allaient vous attaquer ou envahir les

 22   républiques de l'ex-Yougoslavie ? Etait-ce la conséquence ?

 23   R.  C'est exact, s'en était la conséquence. D'un point de vue conceptuel et

 24   opérationnel, ils s'y préparaient.

 25   Personnellement, je l'ai fait au sein de nos activités relatives au

 26   parti politique, je me suis rendu dans de nombreux villages en Banja. J'ai

 27   eu des entretiens en affirmant que c'était là la Croatie et que c'était là

 28   leur patrie, leur demandant de rejoindre les partis politiques. Toutefois,


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  1   il était visible qu'était là en formation tout un bloc de la pensée

  2   politique serbe déterminée par le mémorandum de l'Académie serbe des Arts

  3   et des sciences, par les discours politiques et les meetings de Milosevic,

  4   ainsi que l'évolution opérationnelle de la JNA.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : L'élection de M. Tudjman en qualité de président de

  6   la République, vous y avez participé ?

  7   R.  J'étais candidat également. J'ai été un opposant. A l'époque, il ne

  8   s'agissait pas de l'élection présidentielle. Ce qui existait, c'était la

  9   présidence de la République socialiste fédérative de Croatie et la

 10   présidence était celle qui élisait le président qui était premier parmi ses

 11   pairs.

 12   Au sein de la circonscription électorale où se présentait Franjo

 13   Tudjman, j'étais un candidat opposé sur la base d'une coalition nationale

 14   qui était composée de plusieurs partis politiques. A dire vrai, c'était

 15   uniquement parce qu'un avocat qui avait été sur cette liste avait renoncé

 16   en disant qu'il était certain de perdre face à Franjo Tudjman que tous les

 17   autres m'ont ensuite demandé de me porter candidat. Ce que j'ai fait malgré

 18   moi. Mais lorsque j'ai obtenu 11,5% des voix, ce qu'on estimait être --

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Parce que là, voyez, on apprend beaucoup de choses.

 20   Vous aviez été candidat à cette élection à la présidence et, comme

 21   adversaire, vous aviez Tudjman. Lors de ces élections, vous avez eu 11,5%

 22   des voix; c'est ça ?

 23   Si vous aviez gagné cette élection, vous auriez pu être président de

 24   la République de Croatie ? En théorie.

 25   R.  En théorie, oui. J'aurais pu être président de la présidence.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous auriez pu être président de la présidence, ce

 27   qui montre que vous avez une compétence en matière politique qu'on ne peut

 28   nier.


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  1   R.  On ne peut le nier.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Personne ne peut le nier, vu ce que vous venez de

  3   nous dire.

  4   Donc vous étiez candidat comme président de la présidence, et c'est Tudjman

  5   qui a été élu. Quand Tudjman devient président de la présidence, qu'est-ce

  6   que vous devenez vous, puisque vous êtes battu, mais qu'est-ce que vous

  7   devenez à ce moment-là ?

  8   R.  Je suis resté secrétaire général de ce parti qui se nommait le Parti

  9   démocratique croate, qui avait ses propres représentants au sein du

 10   parlement de la République de Croatie, et j'oeuvrais aux affaires du parti.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Dans le parti dans lequel vous étiez, est-ce que la

 12   question territoriale, la question des Croates de l'Herzégovine était au

 13   centre de vos préoccupations; oui ou non ?

 14   R.  Non, Monsieur le Président. Bien entendu, nous avions notre Parti

 15   démocratique croate en Herzégovine également, mais on ne parlait jamais de

 16   territoires. On parlait de l'organisation du parti. Le territoire, à aucun

 17   moment, à aucun endroit, n'a été envisagé au-delà de la République de

 18   Croatie. 

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors on va franchir une étape. La République de

 20   Croatie est reconnue internationalement. Il va y avoir des élections, M.

 21   Tudjman devient président de la République croate, qui est maintenant un

 22   état reconnu par la communauté internationale.

 23   Dans ce contexte, le président Tudjman va constituer, vous nous l'avez dit

 24   il y a quelques jours, un gouvernement d'unité nationale. Alors est-ce que

 25   dans la constitution de ce gouvernement dont le premier ministre, si je ne

 26   me trompe, est Greguric, est-ce que vous allez jouer un rôle dans la

 27   constitution de ce gouvernement ?

 28   R.  Non, Messieurs les Juges, en 1991, au printemps, je suis sorti du Parti


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  1   démocratique croate pour deux raisons.

  2   La première d'entre elles est que l'organisation du parti et ce que

  3   cette dernière pouvait m'apporter, à savoir la participation à la vie

  4   politique, une place en tant que député au sein du Sabor; tout cela ne

  5   m'intéressait plus.

  6   Ensuite j'ai connu également des divergences avec le Dr Marko

  7   Veselica, et je les ai remerciés. J'ai décidé de quitter le parti au

  8   printemps 1991. Il me semble que c'était en mars.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors vous quittez le parti en mars 1991. Pour faire

 10   quoi à ce moment-là ?

 11   R.  J'étais en train de filmer des documentaires, dont l'un se situe dans

 12   la province de Sandzak. Je me suis rendu là-bas pour tourner des scènes sur

 13   les grands rassemblements tenus par Vuk Draskovic. En fait, c'étaient des

 14   documentaires politiques. J'ai eu des entretiens avec Rasim Jajic, qui se

 15   trouve maintenant en Serbie, qui a la charge des relations avec le Tribunal

 16   de La Haye, puis Sulejman Ugljanin, son collègue. Par la suite, c'était

 17   pour une chaîne allemande que j'ai eu un contrat pour les aider en Slovénie

 18   lorsque la JNA a eu un conflit avec la Défense territoriale slovène. Mon

 19   caméraman et moi-même, nous avons suivi cette guerre en Slovénie.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais approfondir cela.

 21   Vous faites donc des reportages et des documentaires. Mais vu les noms que

 22   vous indiquez, vu que Draskovic, ça peut rien dire pour certains, pour moi,

 23   ça dit quelque chose. En réalité, vous êtes focalisé sur un aspect de la

 24   vie politique serbe à ce moment-là. Pour quelles raisons ?

 25   R.  Je tenais à vérifier entièrement ce que je pensais, à savoir j'étais

 26   certain que les Serbes allaient attaquer tous les peuples qui allaient se

 27   trouver sur le chemin qui les menait à la réalisation de leurs idées.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : En quelque sorte, vous avez été au contact avec, je


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  1   mets entre guillemets, l'ennemi futur. Donc vous avez rencontré plusieurs

  2   personnalités politiques serbes.

  3   R.  Pour ce qui est de la vie politique serbe, j'entends tous ceux qui se

  4   situent en Serbie propre, non. Là, la réponse est non. Mais j'ai eu

  5   beaucoup de contacts avec les Serbes de Croatie, et au sein de mon parti,

  6   là où j'étais secrétaire général, il y avait des Serbes à l'un des postes

  7   clés. Il y avait le Dr Djordje Pribicevic, qui lui est Serbe, également

  8   professeur à la faculté des Sciences économiques, et il y avait d'autres

  9   Serbes. J'ai eu des contacts --

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, le problème vous voyez que j'ai, je

 11   ne sais pas l'état d'esprit de mes collègues, mais le mien, il est très

 12   simple. Le Procureur, par son acte d'accusation, nous donne une vision de

 13   l'histoire de l'ex-Yougoslavie concernant les Croates, sans intégrer dans

 14   cette vision, un plan plus général pour essayer de bien comprendre. C'est

 15   ça la difficulté que nous avons quand on est de l'extérieur comme moi et

 16   qu'on ne connaît pas à fond la vie politique dans l'ex-Yougoslavie. Alors

 17   on la découvre, on l'apprend au fil du temps. C'est là où on se rend compte

 18   que la situation est extrêmement complexe.

 19   Là, vous venez de parler des Serbes de Croatie. Bien. Nous savons qu'il y

 20   avait des Serbes en Croatie et ils étaient assez nombreux. Dans le cas de

 21   cette décentralisation de cette vie nouvelle qui s'ouvrait, comment

 22   comptiez-vous, à votre niveau, régler la situation des Serbes de Croatie ?

 23   Comment ça allait se passer ? Bien se passer, mal se passer ? Comment

 24   pensiez-vous que cette situation allait être résolue ?

 25   R.  Dans le cadre de tous les entretiens et dans tous les documents, les

 26   Serbes de Croatie allaient se voir garantir tous les droits possibles,

 27   garantis par les normes les plus exigeantes des Nations Unies et du monde

 28   civilisé. De ce point de vue là, Monsieur le Président, Messieurs les


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  1   Juges, les Serbes, un nombre d'entre eux vivaient en Istrie, plus de 40

  2   000, à Rijeka, par exemple. Ils y sont toujours, ils sont restés, pendant

  3   toute la guerre, des citoyens sur un pied d'égalité entièrement, ou bien

  4   dans la ville de Zagreb, vous aviez 70 ou 80 000 Serbes. Mes amis, des

  5   comédiens, des acteurs, des hommes de lettre, mais pendant toute la durée

  6   de la guerre, ils vivaient ils étaient en tant que citoyens croates sans

  7   aucun dilemme. Là, vous avez la question de l'organisation des Serbes dans

  8   des régions qui étaient censées revenir à la Grande-Serbie. Ce sont des

  9   zones rurales, le Kordun, Knin, Glina et c'est là que vous aviez un petit

 10   nombre de Serbes dispersé sur un grand territoire. C'étaient eux qui

 11   étaient la cible de la propagande.

 12   Ce sont eux qui ont pris les armes, et je ne sais pas si vous voulez

 13   que je rentre dans les tailles.

 14   Mais la question serbe en Croatie, depuis le tout début, depuis les

 15   différentes résolutions, depuis la constitution adoptée par la République

 16   de Croatie, la question serbe était réglée comme le monde civilisé le fait

 17   au mieux. A commencer par les Nations Unies, on a respecté ces normes-là,

 18   et il en est ainsi aujourd'hui.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors vous nous dites sous la foi du serment - quand

 20   je dis sous la foi du serment, c'est parce que c'est toujours très

 21   important et c'est pour cela que j'emploie cette formule - vous nous dites

 22   sous la foi du serment que les Serbes de Croatie ont pris les armes. S'ils

 23   ont pris les armes, ils les ont prises d'eux-mêmes ou téléguidés de

 24   l'extérieur ?

 25   R.  On ne dira pas tous les Serbes. Justement, c'est ce que je viens de

 26   vous dire. En fait, c'est relativement moins de Serbes, mais ils se situent

 27   sur des territoires qui sont assez étendus et avec une densité de

 28   population moindre. Ils ont reçu des armes de la part de la JNA et il y a


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  1   eu des localités où ils se sont emparés des postes de police; Martic à

  2   Knin, par exemple, et tout simplement ils se sont armés et ils ont refusé

  3   leur loyauté à l'Etat croate.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Vous expliquez ce qui s'est passé. Mais je me

  5   dois également de vous dire que si nous avions un Serbe devant nous, on lui

  6   poserait la question et il dirait le contraire. Il dirait qu'ils ont pris

  7   des armes, parce qu'ils se sentaient agressés par les Croates. Alors où est

  8   la vérité ?

  9   R.  Monsieur le Président, quand on dit qu'ils étaient menacés, bien, la

 10   question suivante doit être la suivante : où, comment, par quelle loi ? Où,

 11   comment, et par quelle loi ? Nulle part, jamais et par aucune loi. Où est-

 12   ce que les 40 000 Serbes d'Istrie se sont-ils trouvés menacés ? Où est-ce

 13   qu'on a menacé les 80 000 Serbes de Zagreb, Varazdin ? Qu'ils citent, ne

 14   serait-ce qu'une preuve, parmi mes collègues, les comédiens, les acteurs,

 15   l'un d'entre eux était à la tête d'un groupe au sein de l'IPD, un bataillon

 16   culturel, c'était un Serbe qui était à la tête de ce groupe. Il faisait

 17   partie de différents partis politiques. Ils étaient au gouvernement. Ils

 18   étaient au parlement.

 19   M. Tudjman - et je le sais, parce que j'y ai pris part - M. Tudjman

 20   appelait, avait des entretiens avec leur chef, avec Milan Babic, il

 21   l'invitait à venir à Zagreb pour dire ce qu'il voulait. Dans deux districts

 22   principaux de Glina et de Knin, on leur offrait une autonomie totale, donc

 23   droit à la langue, enfin, vous avez tout ça dans la constitution de la

 24   République de Croatie, Monsieur Antonetti, Monsieur le Président.

 25   Donc du côté serbe, la réponse a toujours été nous, nous nous sentons

 26   menacés. Mais il n'y a aucune preuve. Bien sûr, s'ils se sont sentis

 27   menacés, c'est parce qu'ils allaient perdre leurs privilèges, privilèges

 28   qu'ils ont bâtis pendant quatre décennies, ça oui. Le privilège de me


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  1   prendre mon argent, que je n'ai plus le droit de parler ma langue et qu'on

  2   me mette en prison quand ça lui chante et qu'ils aient leur propre armée,

  3   ça oui. Si c'est que d'être menacé.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Praljak, vous allez donc en Slovénie.

  5   Vous allez donc en Slovénie dans le cadre des documentaires et reportages.

  6   Vous nous l'avez dit. Qu'est-ce que vous allez constater de visu en

  7   Slovénie concernant les Serbes ? Comment ça va se passer, selon vous ?

  8   R.  L'armée populaire yougoslave tout simplement voulait se déployer aux

  9   frontières, parce qu'avant cela la Slovénie s'était déclarée autonome et

 10   elle a dit quelle allait se mettre à la frontière. Donc elle ne

 11   reconnaissait plus l'autorité yougoslave. Donc la Serbie et la Yougoslavie

 12   se sont trouvées menacées, donc ont eu recours aux armes, à la force, mais

 13   tout un chacun comprenait bien qu'en fait même s'il y a eu -- certes il y a

 14   eu des morts de part et d'autre, il y a eu des coups de feu, il y a eu des

 15   avions qui ont survolé le ciel. Mais de la manière dont cela a été fait,

 16   bien, c'était pour qu'on laisse la Slovénie quitter la Yougoslavie. Donc

 17   l'option politique serbe était prête à laisser la Slovénie quitter la

 18   Yougoslavie. Donc il y a eu quelques escarmouches entre les deux, la guerre

 19   a été arrêtée, la JNA a quitté la Slovénie et elle a redéployé ses

 20   effectifs, ses chars et ses armes en partie en Croatie et en partie en

 21   Bosnie-Herzégovine.  Je vous ai montré un film. Hélas, une autre version.

 22   Il y a des Croates qui se placent devant des chars à Zagreb. Moi, je m'y

 23   suis trouvé moi-même parce que j'étais hostile à ça. Nous les avons

 24   empêchés d'avancer vers la Slovénie depuis cette caserne de Zagreb. Un

 25   homme a été tué à ce moment-là.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous dites que la guerre a été stoppée. La guerre a

 27   été stoppée par la communauté internationale - bon, ma question est un peu

 28   directrice mais vous me pardonnerez - ou elle a été stoppée d'elle-même ?


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  1   R.  Ce n'est pas la communauté internationale qui a stoppé la guerre.

  2   Hélas, la communauté internationale n'a rien terminé. La guerre ne s'est

  3   pas terminée toute seule, d'elle-même. Elle s'est terminée par une décision

  4   prise antérieurement par la Serbie, à savoir la direction serbe qu'il ne

  5   souhaitait pas retenir la Slovénie. Leurs aspirations territoriales ne

  6   concernaient pas la Slovénie mais seulement la Croatie et la Bosnie-

  7   Herzégovine, si on regarde du côté ouest.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors grâce à vous nous progressons, puisque

  9   maintenant nous savons que suite au conflit avec la Slovénie, la JNA va

 10   redéployer ses troupes en Croatie et en Bosnie-Herzégovine.

 11   Alors quand vous, vous constatez cela, quelle est votre réaction et

 12   qu'allez-vous faire, vous, à votre niveau ?

 13   R.  J'ai fait ce que j'avais l'intention de faire. En 1991, quand

 14   l'agression a été déclenchée contre la République de Croatie - d'une

 15   manière manifeste on a barré les routes, on s'est emparé des postes de

 16   police, on a armé entièrement la population serbe dans les régions que j'ai

 17   déjà citées - à ce moment-là j'allais me présenter dans les rangs de la

 18   Garde nationale mais j'ai été refusé, parce que j'étais trop âgé parce

 19   qu'ils avaient suffisamment de jeunes. Puis le 3 septembre 1991, j'ai

 20   croisé un ami, qui lui, allait se rendre à Sunja, à la tête des réservistes

 21   de la police, je lui ai demandé si je pouvais partir avec lui. Il m'a dit

 22   que je pouvais le faire. C'est ainsi que je suis parti combattre en tant

 23   que volontaire. J'étais totalement convaincu que cette situation n'allait

 24   trouver une situation que par ces moyens, à savoir qu'il ne fallait pas

 25   qu'on perdre cette guerre. Nous avons eu beaucoup de discussions portant

 26   là-dessus avec la communauté internationale. La communauté internationale,

 27   à ce stade-là, tous ces protagonistes principaux souhaitaient le maintien

 28   de la Yougoslavie et cédaient aux Serbes, qu'ils minent la constitution ou


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  1   autres.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro] -- parce qu'en même temps que vous

  3   parlez, moi, j'ai l'œil fixé sur le paragraphe 15 de l'acte d'accusation.

  4   Je vais vous lire le début :

  5   "Entre le 18 novembre 1991 ou avant et avril 1994 environ, diverses

  6   personnes ont mis sur pied une entreprise criminelle commune."

  7   On y reviendra ultérieurement.

  8   Mais si je comprends bien, en septembre 1991, vous partez de vous-même dans

  9   la région de Sunja pour combattre. C'est un choix personnel, ce n'est pas

 10   M. Tudjman qui vous a dit d'y aller, et encore moins Bobetko ou Susak.

 11   C'est vous qui allez combattre en qualité de volontaire sans participer

 12   peut-être à une entreprise quelconque. C'est une démarche individuelle

 13   basée sur le volontariat. C'est ça que vous nous dites.

 14   R.  Oui. Je fais partie des volontaires des Croates et des Serbes et des

 15   Musulmans, parce qu'à Sunja il y en a eu un nombre considérable, des uns et

 16   des autres, et les troisièmes, surtout des Croates, c'est vrai. Donc je

 17   fais partie de ce mouvement de volontaires qui défendent leur pays. Ni

 18   Tudjman ni Susak qui n'était pas d'ailleurs ministre, Bobetko il n'avait

 19   pas encore commencé à jouer un rôle. Moi, de mon propre chef, je pars

 20   combattre en tant que combattant. Je n'ai pas de grade. J'ai mes propres

 21   armes que je me suis procurées précédemment. J'ai un Schmeisser de la

 22   Seconde Guerre mondiale qui m'a été offert par un ami d'Allemagne. Il fut

 23   un temps, il y a un moment, parce que j'ai eu quelques conversations avec

 24   lui sur ce qui allait se produire là-bas, et il m'a dit : "Voilà, je te

 25   donne une arme." Donc ces rencontres contrebandant [phon] l'engin du

 26   véhicule --

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]

 28   R.  -- par lequel je suis entré et que je l'ai passé.


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous allez combattre à Sunja. Vous allez y rester

  2   combien de temps ? Excusez-moi. J'ai été trop vite. Je répète. Vous allez

  3   combattre à Sunja, combien de temps allez-vous rester à Sunja ?

  4   R.  Six mois et peut-être sept ou huit jours.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Donc vous allez y rester jusqu'à février, mars

  6   1992 environ ?

  7   R.  C'est exact. Je suis resté jusqu'au 10. Nous sommes --

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]

  9   R.  10 mars 1992.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Donc sous la foi du serment vous me dites que

 11   vous êtes à Sunja jusqu'au mois de mars 1992 sans avoir rencontré aucun de

 12   ceux qui sont dans l'acte d'accusation comme faisant partie d'une

 13   entreprise criminelle, à savoir Tudjman, Bobetko, Susak, ceux-là, vous ne

 14   les avez pas vus. A Sunja, vous faites quoi ? Vous êtes soldat de base,

 15   commandant ? Qu'est-ce que vous faites a Sunja ?

 16   R.  Vous avez un petit peu élargi ma réponse, Monsieur le Président

 17   Antonetti. Au départ, je me suis adressé à mon épouse, et je lui ai dit :

 18   "Chérie, je m'en vais. Je ne vais pas me laisser assujettir." Puis pendant

 19   les premiers cinq ou six jours j'étais soldat ordinaire, puis vu mon

 20   engagement et grâce à l'appréciation dont je ne sais pas quoi, peut-être de

 21   mes capacités, j'ai été nommé commandant. Jusqu'au 10 mars 1992, j'ai été

 22   commandant de la défense de Sunja. Après on s'est étendu vers Jasenovac.

 23   Pour ce qui est du Dr Franjo Tudjman, je l'ai croisé --

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez été nommé commandant. Vous avez été nommé

 25   commandant par qui ?

 26   R.  J'ai été placé à ce poste par le commandant de toute cette région de

 27   Sis --

 28   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Là encore, il y a chevauchement,


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  1   encore et encore.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui. Le Juge Prandler a raison. Je vous ai coupé.

  3   Vous avez dit j'ai rencontré Franjo Tudjman et je vous ai coupé. Bon, je

  4   vous ai coupé. Je vais vous dire pourquoi je vous ai coupé, parce que je ne

  5   voulais pas aborder cette question de Franjo Tudjman. Moi, ce que je

  6   voulais savoir, qui vous a nommé commandant, c'est ça la réponse. Vous avez

  7   été élu commandant ?

  8   R.  J'ai été nommé commandant par Bozo Budimir, il était, lui, commandant

  9   de la zone opérationnelle dont faisait partie Sunja.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors Bozo Budimir.

 11   R.  Exact.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Il est sous quelle autorité, lui ?

 13   R.  A ce moment-là, le général Tus était son supérieur, le chef du Grand

 14   état-major de la République de Croatie.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Le général Tus, vous connaissez, vous ?

 16   R.  Oui. J'ai fait la connaissance de général Tus plus tard. Pas à ce

 17   moment-là.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors on en revient au moment où je vous ai

 19   coupé. Quand vous êtes à Sunja, est-ce que vous allez rencontrer Tudjman;

 20   oui ou non ?

 21   R.  Oui.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Quand ?

 23   R.  C'était légèrement avant Noël de l'année 1991. J'ai été appelé par

 24   téléphone par Gojko Susak. Il m'a demandé si je pouvais venir à Zagreb. Je

 25   suis venu à Zagreb. Ensuite il m'a dit : "Voilà, je t'ai trouvé, parce que

 26   c'étaient des armes qui posaient problème." Il a pu se procurer 30 fusils

 27   pour moi. Je lui ai dit : "Très bien, Gojko. Tu m'as quand même pas appelé

 28   pour que je vienne ici pour prendre ces 30 fusils. Qu'est-ce qu'il y a


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  1   d'autre ?" Il m'a dit :

  2   "Voilà, il faudrait que tu ailles participer à un repas, un déjeuner avec

  3   le président." J'ai dit : "Mais c'est mon commandant." Lui, il est libre de

  4   me donner des ordres qu'il veut. Je me rendrai où il faut.

  5   Comme nos relations avaient été différentes de par le passé dans

  6   l'avis des différents partis politiques. Donc voilà. Je me suis rendu à ce

  7   repas avec le président Tudjman où nous avons évoqué la situation au sens

  8   général, comment elle se présentait. Puis il voulait que l'on prenne des

  9   grades, parce qu'il y avait des gens qui posaient des questions. Il y avait

 10   des gens qui venaient de l'extérieur. Moi, j'étais assez hésitant, je ne

 11   souhaitais pas ni moi ni le collègue, Medgi Mores [phon], on ne voulait pas

 12   prendre de grade, mais lui il nous disait : Vous, ça ne vous signifie rien.

 13   Pour vous ce n'est rien. Mais on est en train de préparer la fin des

 14   hostilités, la reconnaissance de la Croatie, les gens qui viennent de

 15   l'extérieur, les officiers, ils ne veulent s'entretenir avec personne qui

 16   n'a pas de grade. C'est ainsi que je me suis vu reconnaître le grade de

 17   colonel, comme mon premier grade, en dépit de mes protestations. Puis je me

 18   suis dit : bien, très bien, la guerre va se terminer et après je ne pourrai

 19   plus être metteur en scène. On dira, qu'est-ce qu'on dira le metteur en

 20   scène de ce spectacle c'est le colonel Praljak. Donc voilà c'était ça mes

 21   raisons.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors ce dîner que vous avez avec M. Tudjman avant

 23   Noël 1991, d'après vous, c'était pour vous donner un grade, ou bien M.

 24   Tudjman essayait de vous accaparer, faire de vous un atout pour le futur,

 25   car vous aviez été candidat contre lui, donc il vous connaissait ? Etait-ce

 26   une manœuvre de récupération en vous disant : Vous allez être colonel,

 27   général, pour vous flatter, ou bien parce qu'il avait certainement d'autres

 28   chats à fouetter qu'à s'occuper de vous qui était à Sunja ? Vous n'étiez


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  1   même pas le numéro -- enfin, vous étiez connu, mais il avait certainement

  2   d'autres généraux sous la main ou d'autres colonels.

  3   Avec le recul, comment vous avez analysé ce dîner ? Etait-ce une façon de

  4   vous récupérer dans son orbite politique ?

  5   R.  Monsieur le Président Antonetti, je faisais partie du cercle politique

  6   du président Tudjman. Je partageais ses idées principales sur ce plan-là.

  7   Il y a eu quelques légères divergences, il m'a demandé : "Ce que je pensais

  8   à ce moment-là de certaines de ses prises de position politiques," et je

  9   lui ai dit : "Vous aviez raison et moi, j'avais tort." Deuxièmement, M.

 10   Franjo Tudjman et tous ceux qui ont eu l'occasion de collaborer avec moi

 11   savent que l'on ne peut pas me gagner à une cause qui me déplait.

 12   Troisièmement, le Dr Franjo Tudjman me respectait en tant qu'homme et aussi

 13   grâce à mes succès remportés sur le champ de bataille; Sunja, c'était un

 14   champ de bataille difficile et sur le plan d'organisation, j'affirme que

 15   c'était la ligne du champ de bataille le mieux tenu de toute la République

 16   de Croatie. A la télévision, on en a parlé. On a écrit là-dessus. De ce

 17   point de vue-là, j'ai pu gagner en autorité qui n'était pas négligeable.

 18   C'était un entretien ouvert, franc. On a abordé toutes les questions. On

 19   n'a pas cherché à me faire épouser quoi que ce soit. On n'avait pas besoin

 20   de s'employer à faire ça. J'étais un soldat croate, un volontaire croate.

 21   M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro] -- dire on a abordé toutes les

 22   questions. Est-ce qu'il a abordé avec vous la question de la République de

 23   Bosnie-Herzégovine, de la situation des Croates en Herzégovine ? Est-ce

 24   qu'il a abordé ce sujet ou pas ?

 25   R.  C'était davantage moi qui parlais de la Bosnie-Herzégovine que le Dr

 26   Tudjman, car c'était moi qui affirmais cela, et je l'ai même dit à mes

 27   commandants à Slunj, vous avez une de ces déclarations, je disais donc que

 28   ce qui s'est passé en Croatie, à savoir l'attaque de l'ABiH -- de la JNA,


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  1   pardon, l'attaque de la JNA contre la Croatie et ceux que nous appelions

  2   les Chetniks, donc les Serbes insurgés, j'affirmais que cela allait être

  3   quantité négligeable par rapport à ce qui allait ensuite se produire en

  4   Bosnie-Herzégovine. J'affirme ici que c'est avec une totale certitude tout

  5   à fait scientifique que je pressentais tout ce qui allait se passer en

  6   Bosnie-Herzégovine à partir du moment où les choses s'apaiseraient en

  7   Croatie et que les Serbes comprendraient qu'ils n'avaient pas réussi à

  8   mener à bien leurs plans en Croatie. Il y a une thèse que je défends, qui

  9   est la suivante --

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Je suis obligé d'aller au cœur des questions, parce

 11   que sinon, nous risquons d'être là pendant encore des semaines, et comme le

 12   Juge Prandler veille au timing, je vais aller directement aux faits.

 13   Je suis en train de déterminer à quelle date exactement il y a eu la

 14   constitution d'une entreprise. Je ne dis pas entreprise criminelle, mais

 15   d'une entreprise qui pourrait consister à ce que M. Tudjman et d'autres

 16   aient des vues territoriales sur des parties du territoire de la République

 17   de Bosnie-Herzégovine, notamment sur l'Herzégovine ou la Posavina ou

 18   l'ancienne Banovina. Donc j'essaie d'identifier cela pour faire partir

 19   exactement le projet à une date précise.

 20   Là, vous me dites qu'à ce dîner vous avez parlé de l'Herzégovine, mais est-

 21   ce que M. Tudjman vous a dit : "Slobodan Praljak, il faut que nous

 22   envoyions des soldats en République de Bosnie-Herzégovine. Il faut que les

 23   Croates qui sont à Mostar ou ailleurs, Stolac, ou Capljina, prennent le

 24   contrôle politique de leur région. Pour cela, j'ai besoin de vous" ? Est-ce

 25   qu'il vous a tenu ce discours ou pas ?

 26   Je répète que ma question est toujours sous la foi de votre serment.

 27   R.  Monsieur le Président, je sais que je réponds sous serment. D'une

 28   certaine façon, il m'est difficile de répondre à ces questions, car elles


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  1   représentent le summum de l'absurde d'une certaine façon pour moi.

  2   A l'inverse, M. Tudjman, dans toutes les déclarations qui ont été les

  3   siennes, avait beaucoup plus tendance à être optimiste et croyait beaucoup

  4   plus en la capacité de la communauté internationale à comprendre ce qui

  5   était en train de se passer et sa capacité à mettre un terme à ce qui était

  6   clair comme de l'eau de roche, à savoir que la JNA et les Serbes étaient

  7   armés et disposaient de plans précis. C'était le seul plan qui existait.

  8   C'était le leur.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Donc, lors de ce dîner, il ne vous parle pas de

 10   cela. Il ne vous dit pas : "J'ai un plan, voilà ce qu'on va faire." Il ne

 11   vous dit jamais cela ?

 12   R.  A aucun moment. C'est moi qui disais : "Monsieur le Président, ils vont

 13   attaquer la Bosnie-Herzégovine. Ils se sont préparés à cela. Ils vont nous

 14   faire voler en éclats en bas, ils vont couper Split. Ils ont déjà disposé

 15   toutes leurs forces." Nous savions tout. Les documents sont à votre

 16   disposition.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Quand vous lui dites cela, qu'est-ce qu'il vous dit,

 18   lui ?

 19   R.  "Mais non, Praljak. Il y a la France, il y a les Etats-Unis, ils

 20   comprennent. Ils ont vu ce qui se passait. Maintenant, nous allons être

 21   reconnus et lorsque nous serons reconnus," voilà, c'est le genre de

 22   discours qu'il tenait. D'un côté, il était très réaliste et il savait à peu

 23   près comment les choses se présentaient, et d'autre part, il était dans une

 24   attente permanente et un souhait de voir que quelqu'un allait dire

 25   "maintenant, ça suffit" aux Serbes. Bien qu'il ait compris le fait qu'après

 26   qu'on les a autorisés à attaquer la Croatie, on les autoriserait aussi à

 27   attaquer la Bosnie-Herzégovine, car personne ne s'y opposait explicitement

 28   dans le monde entier. La diplomatie française, Zimmermann, Mitterrand et


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  1   tous les autres souhaitaient que la Yougoslavie perdure et souhaitaient non

  2   pas résoudre ce problème avec cinq ou six petits Etats, mais en faisant des

  3   concessions aux Serbes. Comme vous dites, il s'agit ici d'une entreprise

  4   politique, non pas d'une entreprise criminelle commune, une entreprise

  5   politique qui visait à sauvegarder la Yougoslavie, et cela, en laissant les

  6   Serbes faire ce qu'ils faisaient.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Si je comprends bien, dans l'esprit de M. Tudjman,

  8   il mettait ses espoirs dans la communauté internationale, pensant que

  9   lorsque la République de Croatie serait reconnue, les problèmes

 10   disparaîtraient comme par enchantement. Ça, c'était son point de vue.

 11   Vous aviez un point de vue plus catastrophique, à savoir qu'il devait y

 12   avoir la guerre, parce que les Serbes allaient attaquer. Ça, c'était votre

 13   vision. Est-ce que je peux résumer comme cela la situation fin 1991 ?

 14   R.  C'est précisément cela. J'affirmais que les Serbes allaient attaquer et

 15   que la reconnaissance de la Croatie dans ses frontières, c'était une chose,

 16   c'était une déclaration, mais que, par ailleurs, les choses allaient encore

 17   s'éterniser.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Pour ma propre compréhension et la compréhension de

 19   tous, quand je résume un point, si de votre point de vue je fais une

 20   erreur, n'hésitez pas à me corriger.

 21   Alors vous repartez à Sunja, où vous allez rester jusqu'au mois de mars

 22   1992. Qu'allez-vous faire après ?

 23   R.  Vous savez qu'en janvier il y a eu la signature de ce soi-disant

 24   cessez-le-feu. Le 15 janvier, les Etats membres de la Communauté européenne

 25   ont reconnu la Croatie et, à ce moment-là, on pensait que la guerre était

 26   plus ou moins finie. Il y avait des tirs le long des lignes, mais compte

 27   tenu du fait que la situation à Sunja s'est d'une certaine façon apaisée

 28   plus ou moins, je suis revenu à Zagreb. J'ai accepté l'offre qui m'a été


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  1   faite de devenir l'adjoint du ministre de la Défense, Gojko Susak, pour

  2   l'IPD. Après un ou deux jours seulement, je suis donc devenu l'assistant

  3   chargé de l'IPD auprès du ministre de la Défense de la République de

  4   Croatie et j'ai pris cette fonction.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, vous prenez ce poste comme

  6   assistant du ministre de la Défense chargé de l'IPD. Ça veut dire, si je

  7   comprends bien, que maintenant vous entrez dans l'appareil militaire

  8   croate.

  9   R.  C'est exact.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Qu'est-ce qui vous fait entrer dans cet appareil

 11   militaire ? Est-ce la situation alarmante ? Est-ce le désir de faire

 12   plaisir à votre ami Susak ? Est-ce le fait d'avoir une expérience nouvelle

 13   dans votre vie ? Quel est le facteur important qui va déclencher cet

 14   engagement ?

 15   R.  Le travail inachevé, celui de l'organisation de l'Etat croate. L'Etat

 16   croate, à l'époque, avait été reconnu sur le papier, mais personne ne se

 17   préoccupait vraiment de ce qui se passait sur les zones du territoire

 18   occupé ni de la question de savoir comment ces territoires allaient être

 19   libérés et ce qui se passait avec les Croates qui se faisaient tuer dans

 20   ces zones occupées ni ce qui était le sort des réfugiés en Croatie. Cela

 21   n'intéressait quasiment personne au sein de la communauté internationale.

 22   En dehors de ces centaines de réunions, de rapports, d'ambassadeurs et de

 23   représentants, tous ces débats absurdes où chacun essayait de tenir la

 24   [inaudible] à l'autre, mais personne ne s'intéressait vraiment à la façon

 25   d'imaginer une véritable solution à la situation en se basant sur les

 26   principes des Nations Unies.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Je me dois d'aborder avec vous toute la composition

 28   des participants à l'entreprise politique qui, pour le Procureur, devient


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  1   criminelle, parce qu'il y a eu des crimes qui ont été commis. Alors on va

  2   tour à tour parler de tous ceux qui sont mentionnés et que vous connaissez

  3   à un titre ou à un autre.

  4   J'en viens donc au premier, Franjo Tudjman. Vous nous en avez parlé déjà

  5   abondamment, mais il y a également d'autres points à éclaircir.

  6   Vous êtes ministre adjoint de la Défense chargé de l'IPD. Est-ce que vous

  7   allez avoir l'occasion de rencontrer M. Tudjman à plusieurs reprises ?

  8   R.  Oui, à plusieurs reprises, ceci également au sein du Conseil de la

  9   sécurité nationale au sein duquel j'avais été nommé.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors vous le rencontrez à plusieurs reprises, ainsi

 11   qu'au sein du Conseil national de la Défense où vous avez été nommé. Vous

 12   le rencontrez parce qu'il est le commandant des armées ou parce qu'il est

 13   président de la République ou bien parce qu'il est les deux à la fois ? 

 14   R.  Monsieur le Juge Antonetti, ces choses étaient tellement confondues

 15   dans la guerre entre ce qui relève du président de la République et ce qui

 16   est le chef des armées, c'est difficile d'opérer ces distinctions dans les

 17   choses sont mélangées. Manifestement, nous nous rencontrions au sujet de

 18   questions militaires avant tout.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : A partir du mois d'avril 1992, dans votre fonction

 20   militaire, vous rencontrez M. Tudjman. Est-ce que, dans ces conversations

 21   que vous avez avec lui, il va être abordé une des questions importantes qui

 22   est la situation de la République de Bosnie-Herzégovine ?

 23   R.  Oui, il y a eu des conversations sur ce sujet. Peut-être est-ce même

 24   moi qui mettais plus sur la table ces sujets que le président Tudjman,

 25   notamment par l'intermédiaire de M. Gojko Susak, car j'affirmais que l'on

 26   se dirigeait vers un véritable bain de sang sur ce territoire et que tous

 27   les fondements conceptuels de cela étaient déjà prêts et qu'il s'agirait

 28   d'une simple mise en œuvre. Donc toutes les énergies négatives étaient déjà


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  1   à l'œuvre et qu'il suffisait d'observer comment cela sera réalisé

  2   concrètement.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Dans les prochains jours, j'aurai l'occasion avec

  4   vous d'aborder les documents concernant, d'une part, les réunions du

  5   Conseil national de la Défense où vous avez participé, puis j'aborderai

  6   également des transcripts présidentiels où l'on parle de vous, ou bien vous

  7   êtes présent à d'autres présents. Donc j'aurai l'occasion de revenir. Mais

  8   pour le moment, je n'aborde pas ces documents, parce que je n'avais pas

  9   l'intention à ce stade d'aborder cela, puisque je suis en train d'essayer

 10   de caractériser les participants à cette entreprise. 

 11   De votre point de vue, M. Tudjman, dont vous nous avez dit que c'était un

 12   historien, avait-il, pour vous, une bonne vision de la situation

 13   internationale, de la situation de la République de Croatie, de la

 14   situation de la République de Bosnie-Herzégovine et de la vue des

 15   dirigeants serbes sur le futur ? Est-ce que c'était un homme éclairé, ou

 16   bien, avec le recul maintenant, vous pourriez dire qu'il avait quelques

 17   lacunes ?

 18   R.  Le président Tudjman était quelqu'un de très réaliste et une personne

 19   éduquée à un très haut niveau. Il était entièrement dévoué à l'idée de la

 20   démocratie. Il souhaitait que la région des Balkans puisse être organisée

 21   comme la Scandinavie l'est, que la Bosnie-Herzégovine fasse l'objet d'une

 22   organisation semblable à celle de la Suisse. Il avait une vue d'ensemble.

 23   Il était raisonnable et réaliste. Ce n'est que parfois, dans ses

 24   déclarations publiques, qu'il formulait peut-être un espoir quelque peu

 25   excessif en ce qui concernait la politique de l'Occident, donc de la

 26   France, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, des Etats-Unis, qui malheureusement

 27   avaient des points de vue différents, des divergences entre eux et qui ne

 28   sont pas intervenus dans cette guerre comme cela aurait été possible. S'ils


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  1   avaient cela dès le début, il n'y aurait pas eu cette guerre.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, ce que je voudrais savoir, c'est

  3   que ce régime présidentiel dans lequel M. Tudjman était, en même temps,

  4   chef des armées et président de la République; est-ce que c'était un homme

  5   tout puissant sur le plan politique, ou bien comme dans les régimes

  6   parlementaires, il était à la merci de sa majorité politique ?

  7    Ou vous nous l'avez dit, l'ensemble des partis avait la même vision.

  8   Est-ce qu'il était dépendant de ses amis politiques, ou bien il incarnait

  9   comme dans un régime présidentiel le pouvoir absolu ?

 10   R.  Monsieur le Président, il n'était tout puissant ni au sens politique ni

 11   au sens humain et il ne souhaitait l'être. Il y avait un Parlement où

 12   siégeaient également les autres partis. Il y avait la constitution que lui

 13   comme tout un chacun devait respecter. Nous avions également le

 14   gouvernement qui était celui de l'unité nationale, à l'époque, et qui

 15   comportait des ministres émanant de tous les partis politiques à part le

 16   Parti croate du droit. Donc nous sommes dans une situation de guerre, et

 17   Franjo Tudjman voulait regrouper tout ce que nous appelions les forces

 18   croates, donc les forces des citoyens croates. N'oubliez pas que, dans

 19   toute cette histoire, nous avions aussi des Hongrois, des Slovaques, des

 20   Serbes, des Musulmans au sein de l'armée croate. Tous ceux qui avaient

 21   appelé de leurs vœux et reconnu la constitution de la République de

 22   Croatie. C'est ce que l'on souhaitait obtenir avec cet Etat.

 23   Franjo Tudjman souhaitait rassembler toutes ces personnes autour d'une

 24   plate-forme politique aussi large que possible. Donc tout ce qui a cours

 25   dans des Etats démocratiques normaux entre guillemets, les disputes autour

 26   des impôts, des taxes et autres, tout ça n'avait pas lieu chez nous, parce

 27   que ce qui nous préoccupait était autre chose. Nous devions d'abord poser

 28   les fondations de l'Etat, donc envisager la guerre, l'approvisionnement en


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  1   armes, l'embargo, le non-fonctionnement des institutions, la nomination de

  2   tel ou tel ambassadeur. Toutes nos institutions étaient encore trop faibles

  3   et entachées par une sélection qui était insuffisante pour ce qui était du

  4   personnel. Cela demande des années.

  5   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je souhaite entendre une précision,

  6   s'il vous plaît, Monsieur Praljak. Vous nous avez dit et c'est quelque

  7   chose qui se trouve à page 68, ligne 23, vous nous avez dit que M. Tudjman

  8   n'était pas seulement un omnipotent, omniprésent, en termes politiques;

  9   est-ce que vous voulez dire qu'il l'était en termes politiques parce que ce

 10   que vous expliquez après laisse entendre que vous vouliez dire autre chose

 11   ?

 12   R.  C'est l'inverse, ce que j'ai dit c'est que non seulement il n'était pas

 13   omnipotent d'un point de vue politique mais il ne souhaitait pas non plus.

 14   Il s'entretenait avec tout un chacun de tous les sujets.

 15   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci, Monsieur Praljak. Donc

 16   effectivement c'est le contraire, il n'était pas tout puissant.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Praljak, je vais affiner ma question. Si

 18   nous partions de l'hypothèse où M. Tudjman voulait créer cette grande

 19   Croatie soit par attachement soit par annexion, je ne rentre pas dans les

 20   détails. Si cette idée lui était personnelle, est-ce qu'il était en mesure

 21   politiquement, constitutionnellement d'imposer à tous ses compatriotes

 22   cette vision ?

 23   R.  Non, ni du point de vue de la constitution, ni de la loi, ni d'un point

 24   de vue politique. Si nous partons d'une telle hypothèse, Franjo Tudjman

 25   n'avait pas la possibilité de mettre cela en œuvre sans le Parlement qui

 26   aurait dû voter à ce sujet avec 60 % d'approbation. Sans l'approbation du

 27   gouvernement, et même s'il avait voulu, il n'aurait pas eu le pouvoir de

 28   faire cela.


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Praljak, avant de continuer les questions,

  2   je voudrais être sûr d'une chose. Avez-vous lu l'acte d'accusation dans

  3   votre langue, avez-vous lu le mémoire préalable du Procureur dans votre

  4   langue ? Avez-vous lu tous les transcripts présidentiels présidés par M.

  5   Tudjman, avez-vous lu également tous les documents où vous-même vous avez

  6   participé à des réunions ? Est-ce que tout cela vous en avez pris

  7   connaissance ?

  8   R.  J'ai lu les procès-verbaux présidentiels. Pour ce qui est des opinions

  9   et de ces procès-verbaux, j'en ai une connaissance de première main.

 10   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

 11   juste à titre d'information, le mémoire préalable de l'Accusation n'a pas

 12   fait l'objet d'une traduction en B/C/S. L'Accusation n'a pas la charge

 13   d'ailleurs d'une telle traduction et celle-ci n'a pas été faite. Je ne

 14   voudrais pas ici témoigner en disant que nous en avons discuté ou pas, mais

 15   le fait est que le général n'a pas pu lire le mémoire préalable.

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je n'ai pas lu --

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous savez que le mémoire préalable est un document

 18   excessivement important.

 19   Maître Kovacic, vous n'avez pas jugé utile d'en faire faire une traduction

 20   pour que votre client connaisse de fond en comble la thèse de l'Accusation

 21   ?

 22   M. KOVACIC : [interprétation] Non, Monsieur le Président. Nous n'avons pas

 23   considéré qu'il faille le faire traduire. A l'époque, nous espérions que

 24   nous le recevrions en B/C/S, en traduction. C'était il y a près de cinq

 25   ans, j'essaie de me reporter à cette période, mais il est certain que nous

 26   avons eu des entretiens avec notre client au sujet de la position de

 27   l'Accusation, non seulement telle qu'exprimée dans le mémoire préalable,

 28   mais par ailleurs également. Vous savez que le général Praljak a été


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  1   présent aux deux Conférences de mise en état, qu'il était lui-même bien

  2   informé mais il n'a pas pu, je voulais juste le signaler, qu'il n'a pas pu

  3   le lire lui-même.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, je serai amené à vous faire part de

  5   certains éléments du mémoire préalable pour que nous indiquiez votre

  6   position, mais je dois vous dire que je suis un peu surpris du fait que

  7   vous n'ayez pas eu dans votre langue cela. C'est peut-être au niveau du

  8   Règlement une faille, où on n'a pas estimé nécessaire que le mémoire

  9   préalable qui fait aussi partie de l'acte d'accusation ne soit traduit pour

 10   un accusé dans sa langue. C'est dommage, personne n'a peut-être pensé à

 11   cela. Vous nous avez dit, vous ne l'avez pas eu dans votre langue. On fera

 12   avec.

 13   Alors j'en reviens à M. Tudjman. Vous m'avez dit tout à l'heure qu'il

 14   n'était pas en mesure et n'avait pas la capacité de mener une action

 15   personnelle. Sans entrer dans les arcanes de la constitution croate, mais

 16   vous la connaissez certainement mieux que moi, pouvait-il, si sa majorité

 17   parlementaire et si le peuple croate n'était pas d'accord avec lui,

 18   pouvait-il être mis en minorité, ce qui l'aurait amené à quitter sa

 19   fonction. Est-ce que dans le jeu constitutionnel croate de l'époque, il

 20   était possible qu'un président élu puisse être débarquer ou qu'il soit mis

 21   fin à sa fonction si son projet politique n'avait pas l'adhésion de son

 22   peuple et des élus ?

 23   R.  Bien sûr, Monsieur le Président, Monsieur le Juge Antonetti, la

 24   constitution croate est très précise, j'y ai souscrit en totalité sans la

 25   moindre réserve. A cette époque, Franjo Tudjman s'est présenté aux

 26   élections à trois ou quatre reprises avec des positions politiques très

 27   claires. Il a gagné ces élections. La constitution stipule avec exactitude

 28   les modalités du relèvement éventuel de ses fonctions. La constitution


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  1   croate garantit un système de prises de décisions démocratiques du niveau

  2   le plus élevé tel qu'il existe, je le suppose, également dans votre propre

  3   pays.

  4   Alors, Monsieur le Président, au grand désespoir de mon conseil de la

  5   Défense, Me Pinter, je n'ai pas lu l'acte d'accusation pour la simple

  6   raison suivante : je n'ai absolument aucun rapport avec cette histoire qui

  7   nous est comptée dans l'acte d'accusation et c'est dès les premières pages

  8   déjà que la lecture de ce dernier me retourne l'estomac et met en jeu ma

  9   propre santé du fait de l'hypertension artérielle dont je souffre. Je

 10   rejette dans son intégralité l'acte d'accusation car ce dernier n'a pas le

 11   moindre lien avec la réalité.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Vous nous dites ça et nous pouvons le

 13   comprendre. Mais pour diverses raisons vous n'avez pas voulu examiner cet

 14   acte d'accusation, mais peut-être que si vous l'aviez fait, Général

 15   Praljak, vous auriez pu mieux assurer votre défense parce que c'est un

 16   document très important.

 17   R.  Je réponds aux questions, Monsieur le Président. Je sais ce que j'ai

 18   fait. Franchement, vu la logique, j'accepterais non pas qu'on me démontre

 19   la culpabilité au-delà de tout doute raisonnable, mais si jamais il y a ne

 20   serait-ce qu'un doute raisonnable, non pas que je ne l'ai pas fait, donc

 21   s'il y a le moindre doute raisonnable que j'ai été membre d'une entreprise

 22   criminelle commune ou que j'ai commis quelque chose personnellement,

 23   condamnez-moi. Je vous le signerai. Je vous le déclare publiquement.

 24   Trouvez ne serait-ce que le moindre doute, mais non pas tout le monde a

 25   attisé le feu, et à partir du moment où Praljak n'a pas réussi à en tirer -

 26   - évacuer tout un chacun qui s'est trouvé pris dans les flammes, là, il est

 27   coupable. Non, je ne suis pas d'accord avec ça. La culpabilité parce qu'on

 28   n'a pas fait ce que nous pensons que tu aurais pu, dû, et cetera.


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : On n'en est pas là parce que la Chambre n'a pas

  2   délibéré là-dessus et on est encore, je n'allais pas dire à des années

  3   lumières, mais on n'est pas à ce stade. On essaie et j'essaie moi

  4   progressivement d'essayer de mieux comprendre ce qui vous est reproché et

  5   de mieux comprendre ce que vous me dites, et c'est pour ça que je vous pose

  6   des questions.

  7   Malheureusement, le temps passe tellement vite que je suis obligé dans le

  8   feu de l'action de faire néanmoins la pause, donc nous allons faire une

  9   pause de 20 minutes, à moins que mon collègue ait quelque chose à rajouter.

 10   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je crois que nous ne pouvons pas

 11   laisser ceci sans réponse. S'il y a le moindre doute à propos de votre

 12   innocence vous ne pouvez pas être condamné. Les choses ne marchent pas

 13   comme cela. Vous n'êtes condamné que s'il n'y a pas l'ombre d'un doute sur

 14   votre culpabilité. Donc vous n'allez pas changer la loi et vous allez

 15   devoir vous en accommoder.

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, mais je tenais à dire que

 17   j'étais prêt aussi à cela.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Nous faisons une pause de 20 minutes.

 19   --- L'audience est suspendue à 17 heures 42.

 20   --- L'audience est reprise à 18 heures 04.

 21    M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. L'audience continue.

 22   Monsieur Praljak, pendant la pause, je me suis replongé une fois de plus

 23   dans le mémoire préalable et je vais vous lire quelque chose et j'aimerais

 24   que vous me donniez votre point de vue. C'est au paragraphe 24 du mémoire

 25   préalable. Voilà ce que le Procureur écrit. Je vais lire tout doucement.

 26   "Lors d'une réunion à Zagreb, le 27 décembre 1991," c'est-à-dire deux jours

 27   après Noël, vous m'aviez dit que vous aviez rencontré Tudjman avant Noël,

 28   donc c'est une période de temps très proche. "Franjo Tudjman a résumé


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  1   l'objectif de l'entreprise criminelle commune déclarant," alors je vais

  2   citer ce que M. Tudjman aurait dit, mais je précise qu'il n'y a pas de

  3   notes de bas de page, donc on ne sait pas d'où le Procureur a tiré cette

  4   citation. Ils vont certainement faire des recherches et ils nous diront

  5   ultérieurement d'où est-ce qu'ils ont trouvé cela. Mais moi, je vais vous

  6   citer ce qui est écrit. Voilà ce que dit Tudjman, écoutez bien :

  7   "Il est temps que nous saisissions l'occasion de réunir le peuple croate

  8   dans des frontières aussi vastes que possible."

  9   Voilà les propos de M. Tudjman en décembre 1991. Donc M. Tudjman aurait dit

 10   : j'emploie le conditionnel, que de son point de vue, il fallait profiter

 11   de l'occasion pour réunir le peuple croate dans des frontières aussi vastes

 12   que possible.

 13   Qu'est-ce que vous en dites ?

 14   R.  Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'ai lu ces transcriptions

 15   et je sais de quoi il a été question lors de cette réunion. La chose était

 16   tout à fait simple, Franjo Tudjman ne parle ici de frontières, il parle de

 17   peuple. Il parle d'un peuple réuni. Une seule chose était claire, les

 18   frontières des républiques étaient des frontières inviolables. Elles

 19   étaient signées, garanties par la CSCE, par les Nations Unies, on a répété

 20   cela 100 fois.

 21   Mais si les Musulmans, si leurs dirigeants avec Alija Izetbegovic à

 22   leur tête passent un accord avec les Serbes, s'ils souhaitent rattacher la

 23   Bosnie-Herzégovine à la Yougoslavie, à ce moment-là, et uniquement dans ce

 24   cas de figure, les Croates de Bosnie-Herzégovine souhaiteront et ils auront

 25   le droit de ne pas rentrer dans une nouvelle Yougoslavie dans des

 26   frontières aussi larges que possible. Donc nous ne souhaitions pas faire

 27   partie de la Yougoslavie. Mathématiquement parlant, ce n'était pas une

 28   condition nécessaire, c'était une condition indispensable. Il y a eu un


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  1   entretien et j'en ai parlé, je l'ai présenté ici. Donc si le président

  2   Izetbegovic souhaitait rassembler les Musulmans, 2 300 00 en Bosnie-

  3   Herzégovine, 2 millions au Kosovo, un certain nombre au Sandzak, en

  4   Macédoine. Donc si afin de satisfaire les intérêts de son propre peuple il

  5   voulait se rattacher à la Serbie, ça, nous n'allions pas l'accepter.

  6   C'était le seul fait dans cette histoire, rien d'autre, rien de plus.

  7   C'est que j'affirme aujourd'hui, toujours le même, qu'un peuple

  8   souverain et constitutif a le droit de décider de son sort, à savoir de ne

  9   pas faire partie d'un Etat dont il ne souhaite pas faire partie. Il ne

 10   s'agit pas d'une minorité nationale en vertu de la constitution. C'est un

 11   peuple souverain et constitutif. 

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Donc la phrase vous la connaissiez et vous

 13   nous avez expliqué l'interprétation qu'il faut donner à la phrase de votre

 14   point de vue.

 15   J'en reviens à M. Tudjman, vous nous aviez dit -- attendez, j'ai mon

 16   collègue. Excusez-moi.

 17   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je souhaiterais développer un

 18   petit peu, Monsieur Praljak. Nous avons là une citation en anglais. Je ne

 19   sais pas exactement quelle était sa traduction.

 20   Dites-vous -- est-ce que vous êtes en train de douter que Tudjman ait

 21   jamais dit quoi que ce soit de ce genre, ou bien est-ce que vous acceptez

 22   que ceci est une expression ou la traduction correcte de quelque chose,

 23   d'une phrase qu'il aurait dite lui-même ?

 24   R.  Monsieur le Juge Trechsel, c'est une bonne question que vous me posez

 25   là. Je ne sais pas. Je ne sais pas si Tudjman l'a formulée de cette

 26   manière-là exactement. Mais je les ai tous relus en trois ou quatre jours.

 27   Mais on a répété cela par 100 fois, des milliers de fois. A tout un chacun,

 28   à tous ceux qui voulaient l'entendre, à commencer par Cutileiro. A partir


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  1   de Cutileiro on a défini la Bosnie-Herzégovine, on a dit oui. Puis il y a

  2   eu Vance-Owen, on a dit oui; Stoltenberg, oui; reconnaissons la Bosnie-

  3   Herzégovine, oui; les frontières, oui. La demande que les forces onusiennes

  4   soient déployées aux frontières, par dix fois on l'a demandé, donc toujours

  5   la même chose. La Bosnie-Herzégovine, oui. Les Croates en Bosnie-

  6   Herzégovine, oui. Il faut leur reconnaître leur droit à l'autogestion au

  7   niveau de la fédération, confédération canton, le plus souvent on a cité

  8   l'exemple suisse. Voilà, nous avons l'exemple de la Suisse, suivons cet

  9   exemple.

 10   Je ne sais pas si c'est exactement de cette manière-là qu'il l'a dit,

 11   parfois il y a un mot qui nous échappe, qui ne reflète pas complètement une

 12   position politique. Donc c'est la raison pour laquelle il est indispensable

 13   -- pardon.

 14   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci. Nous pourrons y revenir

 15   si nous retrouvons à quel endroit se trouve cette citation, dans quel

 16   texte. Je crois que nous en resterons là pour le moment.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, Maître Kovacic.

 18   M. KOVACIC : [interprétation] Juste pour donner une référence. C'est une

 19   citation d'une transcription présidentielle qui est déjà au dossier, qui

 20   est déjà présentée comme élément de preuve.

 21   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci.

 22   Monsieur Praljak, revenons à M. Tudjman. Nous savons, vous nous l'avez dit

 23   aujourd'hui, mais vous l'aviez dit des jours précédents, que vous

 24   connaissiez bien le fils de M. Tudjman. Est-ce que vous avez continué à

 25   garder des relations avec lui après votre mise en accusation ici ?

 26   R.  Sur le plan amical, oui.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Quand l'acte d'accusation a été connu avec le nom de

 28   Tudjman, quelle a été la réaction de la classe politique croate globalement


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  1   ?

  2   R.  Tous ceux, mis à part un petit nombre, un nombre négligeable de ceux

  3   qui, de ce point de vue-là, se sont fait berner, tout comme la communauté

  4   internationale, par des informations de très mauvaise qualité. Tous les

  5   autres sont consternés par l'acte d'accusation, consternés par rapport à

  6   l'ensemble des faits que j'ai présentés ici, que l'on arme, qu'on accepte

  7   les blessés, les réfugiés, qu'on aide par tous les moyens possibles et

  8   imaginables la Bosnie, on la reconnaît, et cetera, et cetera. Puis

  9   quelqu'un vient et dit, Tout cela vous l'avez fait pour tromper les Etats-

 10   Unis d'Amérique. Dans toutes ces transcriptions, le problème principal qui

 11   se pose à nous c'est de comprendre quels sont les souhaits de la communauté

 12   internationale et de nous y conformer.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Excusez-moi, Général Praljak. J'ai lu comme vous les

 14   transcripts, et vous les avez à votre pied, vous avez tous les documents.

 15   Manifestement, mais nous y reviendrons plus tard en détail, mais là je vais

 16   tout de suite au général. Manifestement, M. Tudjman a découvert l'affaire

 17   de Stupni Do et la question de la destruction du Vieux pont de Mostar, le

 18   transcript pas torpedo, Stupni Do, qui est le village, Stupni Do. Tout le

 19   monde a compris. Il a découvert, et ça on le voit dans le transcript, il ne

 20   savait pas et il découvre cela après et toutes les questions qu'il pose

 21   vont dans ce sens.

 22   Est-il possible à votre avis que M. Tudjman n'ait pas eu une vision

 23   complète des événements qui se déroulaient en République de Bosnie-

 24   Herzégovine ? Est-ce que son entourage proche, ses conseillers, lui

 25   racontaient-ils tout ? Avait-il des informations de première main, ou bien

 26   était-il mal renseigné ?

 27   R.  Il a été mal renseigné sur certains aspects, mais de manière générale,

 28   on s'est entretenu des dizaines de fois avec Izetbegovic, il recevait des


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  1   gens qui venaient lui dire ce qui était en train de se passer. En gros, il

  2   savait ce qui se passait. Toutefois, ni lui ni qui que ce soit d'autre, ni

  3   vous, Messieurs les Juges, ni les employés du bureau du Procureur ne

  4   peuvent jamais comprendre jusqu'au bout comment cela se présente dans une

  5   situation de chaos de guerre. Cela n'est pas possible. Donc tout un chacun

  6   réduit un petit peu, l'adapte un petit peu, et bien entendu on essaie de

  7   faire abstraction, on se demande comment agir, ce qu'il conviendrait de

  8   faire, et cetera. Mais ce désespoir, cette misère, cette mort sur le

  9   terrain, hélas, seul celui qui s'y est trouvé peut le comprendre jusqu'au

 10   bout.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, quand après le 8 novembre vous

 12   retournez à Zagreb, est-ce que M. Tudjman vous a reçu tout de suite ?

 13   R.  Non, pas tout de suite, il ne m'a pas reçu tout de suite. Plus tard,

 14   nous avons eu des entretiens, des réunions. Je suis allé à une réunion du

 15   VONS avant que je sois relevé, non pas tout de suite.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Il vous a reçu combien de semaines ou de mois après

 17   ?

 18   R.  Je ne peux pas vous répondre à cette question, Monsieur le Président

 19   Antonetti. Ma mémoire flanche. Non, je ne peux pas.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Comment vous avez vécu cette période, alors que vous

 21   étiez le commandant du HVO sous l'autorité de M. Mate Boban, et vous vous

 22   étiez une personnalité croate ? Comment avez-vous vécu le fait que vous

 23   retourniez dans votre pays, la Croatie, et vous exerciez des

 24   responsabilités antérieures, et que M. Tudjman ne vous reçoit pas

 25   immédiatement, ou bien était-ce à votre égard une forme de désaveu ?

 26   R.  De ce point de vue-là, je ne suis pas quelqu'un de sensible -- de

 27   susceptible, Monsieur le Président. Peut-être que quelqu'un s'en serait

 28   trouvé offusqué, mais après, j'ai eu un poste. Plus tard, j'ai été son chef


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  1   de cabinet militaire, donc son conseiller militaire, pendant une brève

  2   période, donc. Puis, j'ai commencé à mettre de l'ordre dans les archives de

  3   l'armée croate. Vous avez pu voir dans un de mes textes publiés dans "Le

  4   Soldat croate," ça m'était égal, ce que j'allais faire, mais le fait est

  5   que par la suite, comme on m'accusait de plus en plus pour la destruction

  6   du Vieux pont, et comme cette propagande -- et le Vieux pont, d'ailleurs, a

  7   été détruit à cause de cette propagande, comme c'était de plus en plus

  8   fort, j'étais devenu au fur et à mesure de plus en plus persona non grata,

  9   donc j'avais moins d'importance. A titre privé, cela ne m'a pas gêné, mais

 10   je dois dire que cela m'a gêné et combien ce mensonge et tout cela. Mais

 11   pour ce qui est de mon départ là-bas, je ne serais pas parti -- je n'aurais

 12   pas demandé d'être relevé tant que l'offensive musulmane, dans notre

 13   secteur, contre la légion n'a pas été terminée et battue.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, vous avez entendu, comme moi,

 15   l'ambassadeur américain qui est venu témoigner, qui était à la place où

 16   vous êtes, et dont on a compris que quasiment tous les jours il était en

 17   contact avec M. Tudjman, soit par téléphone, soit par entretiens

 18   personnels, et que donc les Etats-Unis d'Amérique regardaient de près ce

 19   qui se passait sur le terrain. Ce même ambassadeur nous a dit - et je le

 20   dis de mémoire parce que je n'ai pas le transcript sous les yeux - il nous

 21   a dit que les Etats-Unis d'Amérique, via cet ambassadeur, avaient demandé

 22   votre départ et celui de Boban, ce qui avait été fait. Voilà ce qu'il nous

 23   a dit. Est-ce que, d'après la connaissance que vous avez de la politique à

 24   Zagreb à l'époque, de -- des liens éventuels entre des Etats et M. Tudjman,

 25   était-il possible qu'un pays puisse demander votre limogeage et celui de M.

 26   Boban, et que M. Tudjman ne pouvait faire autrement que de donner

 27   satisfaction à cette grande puissance ?

 28   R.  Je vais vous répondre à votre deuxième question. Dans un autre


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  1   transcript, Franjo Tudjman dit : "Si les Etats-Unis d'Amérique décident que

  2   le corridor sera donné à la partie musulmane jusqu'à Neum, nous n'y pouvons

  3   rien." Ça, c'est exact. Donc, la force d'un certain nombre de pays dans

  4   notre région a été telle que ce sont ces puissances qui ont modelé cette

  5   guerre, et par six fois sous serment je vous l'affirmerai donc jusqu'où et

  6   comment elle allait être menée. En Bosnie-Herzégovine, cette guerre a été

  7   menée, entre autres, comme une action de propagande -- une campagne de

  8   propagande pour telle ou telle lessive. Vous prenez l'événement qui a pu se

  9   produire ou pas, des journalistes relaient l'information, et après, vous

 10   dites : voilà, maintenant nous avons l'information, et il vous faut agir.

 11   Mais, Monsieur le Président, il n'y a d'information dans l'opinion publique

 12   sur Doljani, Uzdol, et cetera. Pas d'information sur l'offensive lancée par

 13   les forces musulmanes pendant trois mois contre le HVO, rien à ce sujet, et

 14   sans cesse, on dit, en revanche, que nous attaquons.

 15   Moi, je vous dis, nulle part nous n'avons attaqué. Nous sommes en train de

 16   nous défendre.

 17   Maintenant, s'agissant de M. Galbraith, je ne sais pas ce qu'il disait à

 18   Franjo Tudjman, mais je sais que j'ai demandé d'être relevé avant Stupni

 19   Do, et d'ailleurs, je n'ai rien à voir avec Stupni Do. Ça, c'est une

 20   première chose.

 21   Deuxième, je pense que l'animosité de M. Galbraith, à mon égard, est née

 22   postérieurement parce que j'ai réagi lorsqu'il a organisé une prise de

 23   parole en public à Slavonski Brod, comme s'il était chez lui, aux Etats-

 24   Unis d'Amérique. J'ai dit : mais nous ne sommes pas une république

 25   bananière, pour que l'ambassadeur américain fasse ses discours chez nous.

 26   Lui, il a dit : mais qu'a-t-il à prendre la parole, celui qui a détruit le

 27   Vieux pont ?

 28   Donc, il a suffi qu'il soit américain, qu'il ait derrière lui la


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  1   superpuissance planétaire. Mais peu importe quelle est la puissance qui est

  2   derrière lui.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Une question accessoire, que j'aurais pu poser à un

  4   autre moment, mais autant vous la poser tout de suite. Vous nous l'avez dit

  5   tout à l'heure que vous avez été en charge de l'IPD. Donc, vous êtes

  6   quelqu'un qui connaît les médias. Vous connaissez la puissance des médias,

  7   le rôle de l'information, surtout en période de guerre. Donc, si vous avez

  8   été choisi pour ce poste, c'est certainement en raison des qualités que

  9   vous aviez à l'époque, en cette matière.

 10   Comment se fait-il alors que quand vous, le 8 novembre, vous appreniez ce

 11   qui s'est passé dans ce village, comment se fait-il qu'à ce moment-là, vous

 12   n'ayez pas fait un communiqué disant qu'en tant que commandant du HVO, vous

 13   aviez appris la survenance de ces événements, que vous avez immédiatement

 14   ordonné une enquête ? Pourquoi vous n'avez pas fait cela ?

 15   R.  Mais je l'ai fait, si, Monsieur le Président Antonetti; cependant, là-

 16   dessus problème de la propagande ou des relations publiques, c'est un

 17   problème de quantité, ce n'est pas une information. Quand vous faites de la

 18   pub pour le coca, vous le faites tous les jours, par cinq fois, sur 500

 19   chaînes de télévision.

 20   Après le Vieux pont, je suis arrivé dans un studio de télévision, et j'ai

 21   dit, bien sûr, en colère : pour un doigt d'un de mes soldats, j'aurais

 22   détruit le Vieux pont, mais je ne l'ai pas fait, et je devais le dire en

 23   tant que commandant. Vous savez comment c'est ? C'est une goutte perdue

 24   dans l'océan, une poignée de sel dans la mer. Parce qu'e0ux, ils le

 25   diffusent à l'infini sur 30 -- ou 300 chaînes de télévision. Moi, je peux

 26   le dire une fois, et c'est comme si rien ne s'était passé, comme si je

 27   n'avais rien dit.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Je reviens à -- vous me dites : je l'ai fait, et que


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  1   tout ça s'est perdu. Vous savez mieux que quiconque, puisque vous êtes un

  2   spécialiste en matière de reportage, vous savez que, quand il y a une image

  3   sur la CNN ou à Sky News, vous voyez bien l'impact que ça va avoir.

  4   D'ailleurs, Monsieur Tudjman, on y reviendra -- dans plusieurs transcripts,

  5   il parle de cela.

  6   Quand arrivent ces événements combien dramatiques, il était peut-être à

  7   votre niveau nécessaire de faire des mises au point vis-à-vis des médias

  8   internationaux qui allaient se précipiter là-dessus. Alors pour le Vieux

  9   pont, vous dites vous l'avez fait. Bon. Je vous en donne acte. Mais pour ce

 10   village, qu'avez-vous fait exactement ?

 11   R.  Mais la même chose, Monsieur le Président, dans un entretien. Je ne

 12   sais pas. J'ai dit non. Je n'avais pas de contact, pas de communication. Je

 13   n'ai pas ordonné. Par la suite, nous avons entrepris tout ce qui est prévu

 14   par la loi, une enquête. La communauté internationale elle a été impliquée

 15   à l'enquête. Nous avons remis au Juge d'instruction : bien faites quelque

 16   chose au nom de Dieu, faites une enquête. Mais, Monsieur le Président,

 17   quand on veut vous attribuez quelque chose mais les guerres aujourd'hui

 18   sont articulées par la CNN. Si la CNN souhaite qu'il y ait une guerre qui

 19   sera déclenchée, bien, vous l'auriez la guerre. Eux, ils viennent en

 20   premier lieu, et après, vous aurez la guerre au bout de quelques jours.

 21   Donc c'est une question de puissance, de pouvoir. J'ai dit, j'ai démenti

 22   dans la mesure où on a voulu m'écouter et au-delà j'ai dit je vais enquêter

 23   là-dessus.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors je vais quitter M. Tudjman pour

 25   maintenant me pencher sur M. Susak qui est dans l'acte d'accusation. Vous

 26   nous l'avez dit, M. Susak était un de vos camarades de classe. Alors

 27   comment pouviez-vous définir M. Susak, qui a été donc ministre de la

 28   Défense ? Quels étaient, d'après vous, ses qualités et ses défauts, si


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  1   c'est possible ?

  2   R.  M. Susak avait fait l'objet d'un certain nombre d'attaques de la part

  3   de l'ancien régime. Une fois il avait été mis en garde à vue à Mostar où

  4   nous nous sommes retrouvés après. En fait c'était mon père qui l'avait fait

  5   sortir de prison après l'y avoir trouvé, il l'avait laissé repartir. Comme

  6   de nombreux autres, il était parti faire ses études à Rijeka, et lorsque

  7   toute cette situation est devenue insupportable pour lui, il est parti, il

  8   a émigré au Canada dans les années 1960 peut-être en 1967 ou 1968.

  9   Ensuite il est revenu comme membre d'une société démocratique qui

 10   avait atteint sa pleine maturité en tant que tel, et en tant qu'homme. Donc

 11   après toutes ces années qu'il avait passées à l'étranger, pendant cette

 12   trentaine d'années puisqu'il était parti tout jeune homme et il est revenu

 13   à l'âge de 46 ans, il est revenu jouissant de cette pleine maturité à tous

 14   les égards, notamment du point de vue de la conception démocratique. De ce

 15   fait, notre communication tant officielle que privée se faisait à un niveau

 16   extrêmement, était d'une très grande qualité. Nous abordions pratiquement

 17   tous les sujets et il n'y avait pratiquement rien qui puisse faire l'objet

 18   d'une divergence.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Au Canada, qu'est-ce qu'il faisait au Canada ? 

 20   R.  Il a fondé conjointement, avec un groupe de personnes, la section de

 21   langues croates à Ottawa ou à Toronto - je ne sais plus maintenant - le

 22   département donc croate et il était le propriétaire d'une entreprise assez

 23   grande et puis ensuite d'une pizzeria. C'était ainsi qu'il gagnait sa vie.

 24   Il participait également aux manifestations devant l'ambassade de la RFSY

 25   afin d'exprimer de façon tout à fait démocratique sa position quant à ce

 26   qu'il pouvait apprendre des événements se produisant en Yougoslavie. Il a

 27   fondé la chaire de langue croate donc à la faculté soit d'Ottawa, soit de

 28   Toronto. Je ne peux pas me rappeler avec précision maintenant.


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous pose ces questions parce que dans l'acte

  2   d'accusation et dans le mémoire préalable on n'a pas tous ces

  3   renseignements. Mais comment étant pizzaïolo ou faisant des pizzas, on se

  4   retrouve ministre à la Défense ? Comment est-ce possible ?

  5   R.  C'était possible, Monsieur le Président, pour la simple raison suivante

  6   : le niveau de son éducation dépassait de très loin son statut de

  7   propriétaire d'une pizzeria. Il ne faisait pas lui-même des pizzas. Il

  8   était propriétaire d'une pizzeria. Ce sont deux choses différentes.

  9   Moi, j'ai été garçon de café, Monsieur le Président, alors que j'avais

 10   trois diplômes universitaires et je ne suis pas devenu général en tant que

 11   garçon de café mais en tant que personne qui connaît sur le bout des doigts

 12   au moins 30 guerre d'envergure s'étant déroulées dans le monde et

 13   certainement mieux que bien des généraux qui ont terminé des académies

 14   militaires des Etats-Unis ou d'ailleurs.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Il revient du Canada pour jouer un rôle politique et

 16   militaire en République de Croatie. Les Croates, qui étaient à Zagreb ou

 17   ailleurs mais qui étaient sur place, ils admettaient de voir arriver des

 18   expatriés revenir et entourer Tudjman dans une action politique de premier

 19   plan ? Ça ne posait aucun problème ?

 20   R.  Monsieur le Président, il n'est pas devenu tout de suite un ministre de

 21   la Défense de la République de Croatie. Il a d'abord été au sein du parti

 22   puis il est devenu ministre en charge de la diaspora au sein du

 23   gouvernement croate. La Croatie a une diaspora considérable à côté de la

 24   Pologne et de l'Irlande, c'est l'un des pays qui a connu un très grand

 25   nombre d'immigrations au cours de son histoire. Aux Etats-Unis, il y a plus

 26   de deux millions de Croates, de première, deuxième, ou troisième

 27   génération, au seul -- en Amérique du nord. Donc il a eu cette charge-là et

 28   les deux personnes qui avaient été ses prédécesseurs à ce poste ne s'en


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  1   était pas très bien sortis dans ces fonctions, c'est pourquoi il a été

  2   nommé par Franjo Tudjman.

  3   Par ailleurs, il était assez réservé à l'égard de Gojko Susak car il

  4   existait cette structure au sein du HDZ qui précédemment avait été conforme

  5   au communisme pur et dur comme c'était le cas de M. Manolic et d'autres

  6   n'étaient pas du tout enclin à l'accepter, à accepter Gojko Susak, et

  7   c'était les mêmes que ceux qu'il avait maltraités bien avant; cependant, il

  8   n'avait rien contre eux et il n'acceptait pas par ailleurs de se laisser

  9   intimider.

 10   Il a accepté cette charge, il a conçu comme quelque chose dont il

 11   avait reçu précisément la charge sans la moindre ambition politique de

 12   construire une carrière.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Il est toujours difficile de faire parler les

 14   morts.   

 15   Mais vous l'avez rencontré à plusieurs reprises. Quelles étaient ses vues

 16   personnelles, lui, par rapport à l'Herceg-Bosna, par rapport à

 17   l'Herzégovine, par rapport aux Croates de la Bosnie-Herzégovine ? Il avait

 18   une vue personnelle, ou bien, pour lui, ça ne posait pas de problèmes

 19   spécifiques ?

 20   R.  Monsieur le Président, Monsieur le Juge Antonetti, cela posait problème

 21   pour lui comme pour moi, comme pour Franjo Tudjman et pour tous à vrai

 22   dire. Nous avions tous la même position, ce que tous les documents nous

 23   montrent. La reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine, une Bosnie-

 24   Herzégovine, dans son intégralité dans le cadre des frontières préalables,

 25   tout cela, nous défendions. Mais à l'intérieur de cette Bosnie-Herzégovine,

 26   il y avait trois peuples qui devaient se mettre d'accord sur ce que serait

 27   leur relation. Aucun de ces trois peuples ne pouvait être le premier devant

 28   les autres, ni les Serbes, ni les Croates ni les Musulmans. Ils devaient


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  1   être sur un pied d'égalité. Dans la constitution, il est indiqué qu'ils

  2   sont égaux en droit et personne ne peut imposer à l'autre quoi que ce soit,

  3   qu'il s'agisse de cette idée unitaire, de l'unitarisme défendu par les

  4   Musulmans qui voulaient que chaque citoyen ait une voix, et que par le

  5   biais de la majorité ainsi dégagée de l'Etat, ni les Serbes qui voulaient

  6   récupérer l'état à leur avantage, rien de tout cela.

  7   Nous, nous voulions une Bosnie-Herzégovine reconnue dans son

  8   intégralité et bénéficiant du type d'autogestion qui était le nôtre. Vous

  9   le verrez aussi dans mes déclarations qui ont été données aux Français. Si

 10   les deux autres peuples pouvaient se mettre d'accord avec cela, je parle

 11   ici des Serbes et des Musulmans, très bien; sinon, nous demanderions que

 12   les parties, nous aurions demandé que les parties où se trouvaient une

 13   majorité de Croates ne rejoignent pas le reste et puis suivre leur propre

 14   chemin. C'était ma position, la position de Tudjman, et des dirigeants

 15   croates.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : L'adjoint de M. Susak, puisque vous dirigiez

 17   ce département de l'IPD, donc vous le connaissez bien professionnellement.

 18   Alors le fait même que vous avez été son adjoint et que vous connaissez le

 19   fonctionnement du ministère de la Défense.

 20   J'essaie de faire un parallèle avec M. Bruno Stojic et le département

 21   de la Défense de l'Herzégovine et le ministère de la Défense de

 22   l'Herzégovine. J'essaie de voir si ça fonctionnait de la même façon ou de

 23   manière différente. Alors pour M. Susak, quand il y avait une opération

 24   militaire, était-ce M. Tudjman en personne qui dirigeait l'opération avec

 25   son chef d'état-major ou c'est le ministre de la Défense qui disait à M.

 26   Tudjman, "voilà, on va mettre tel bataillon là, telle unité là, il faut

 27   faire ceci, il faut faire ça." Alors quel est le rôle exact, d'après vous,

 28   d'un ministre de la Défense dans la République de Croatie à l'époque ?


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  1   R.  Le ministre de la Défense de la République de Croatie et le

  2   ministère ont été conçus en s'inspirant des pays occidentaux. Donc le

  3   ministre de la Défense a la charge de l'armement, de l'approvisionnement,

  4   de l'IPD, des questions de personnel et ainsi de suite. En revanche,

  5   l'état-major et ses besoins que ce soit en termes de solde ou tout autre,

  6   dépend d'une part du ministère de la Défense, soit, mais ce n'est pas le

  7   ministère de la Défense ni le ministre qui déploie les unités militaires ni

  8   dirige les opérations militaires. Cela ne lui incombe pas au ministre de la

  9   Défense.

 10   Il en a été de même entre M. Stojic et moi-même. M. Stojic avait la

 11   charge autant qu'il le pouvait de se procurer de ce qui est nécessaire pour

 12   payer les soldes, pour habiller et nourrir les soldats, pour exercer des

 13   pressions sur les municipalités aux fins de réaliser, car nous manquions

 14   d'hommes, de prendre en soin toute une série d'autres questions comme le

 15   SIS, l'IPD ou les questions de santé au sein de son département. Quant à

 16   moi, j'étais subordonné à Mate Boban, dans la conduite des opérations, que

 17   faire ou avec quelle unité ou plutôt quel collaborateur, les miens en

 18   l'espèce.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Mais ce que vous venez de dire et si je fais

 20   une erreur, n'hésitez pas à me corriger, je vous le demande instamment. Le

 21   ministre de la Défense, M. Susak, n'avait aucune compétence concernant la

 22   direction des opérations militaires. Son rôle se bornait a fournir des

 23   équipements, au fonctionnement de l'IPD, au paiement des salaires, donc si

 24   je comprends bien c'étaient plutôt des taches administratives mais pas des

 25   tâches opérationnelles.

 26   R.  C'est exact, Monsieur le Président. Le ministre --

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Comme vous avez fait un parallèle avec les ministres

 28   de la Défense dans les pays occidentaux, je vais vous poser une question


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  1   d'ordre technique.

  2   A Zagreb, le ministère de la Défense, je présume il occupait un immeuble.

  3   R.  Oui.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Est-ce que, dans l'immeuble du ministère de la

  5   Défense, il y avait une salle opérationnelle ou en temps réel des officiers

  6   de permanence plaçaient sur une carte les unités qui se déplaçaient; est-ce

  7   que tout ceci se faisait ou ne se faisait pas ?

  8   R.  Oui, Monsieur le Président. Dans le bâtiment du ministère, sur deux

  9   étages spéciaux se trouvait l'état-major principal, l'armée croate s'y

 10   trouvait, tout ce dont avait besoin l'armée.

 11   A ceci près que ne se trouvait pas là-bas, le commandement des forces

 12   aériennes de l'armée croate. Il était dans un autre bâtiment. Quand au

 13   commandement de la marine, il se trouvait à Split.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Donc il y avait une salle opérationnelle, mais

 15   d'après ce que vous dites c'est à la ligne 22 de la page 89, en réalité

 16   c'était l'état-major qui gérait cette salle opérationnelle ?

 17   R.  C'est exact.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : A votre connaissance, est-ce qu'il arrivait que le

 19   ministre de la Défense voire vous-même, quand vous étiez adjoint du

 20   ministre de la Défense chargé de l'IPD, vous allez dans la salle d'état-

 21   major pour regarder sur les cartes comment ça se déroulait, et cetera ?

 22   Est-ce que vous le faisiez ou vous ne faisiez pas ?

 23   R.  Monsieur le Président, nous envisageons la structure telle qu'elle

 24   devrait être. Le ministre de la Défense, bien sûr, devait être au courant

 25   des opérations. On pouvait en parler avec le ministre de la Défense et on

 26   ne pouvait pas préparer une opération sans savoir combien d'hommes on

 27   aurait à sa disposition, si le re-complètement allait pouvoir être fait. Si

 28   les quantités de munitions étaient suffisantes, et ce qu'il en était du re-


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  1   complètement pour ce qui était des munitions.

  2   Donc le ministre et ses collaborateurs, ses assistants étaient

  3   impliqués, qu'il s'agisse du SIS, de l'IPD ou d'autres dans la préparation

  4   des opérations. En revanche, être impliqué c'est une chose, mais prendre

  5   les décisions, c'en est une autre, et mettre en œuvre c'en est une autre

  6   également. Donc le ministre, une fois qu'une opération avait été décidée

  7   pouvait suivre l'évolution de la situation. Mais ce sont les commandants

  8   militaires qui en étaient responsables. En revanche, c'est le ministre qui

  9   recevait les requêtes des différents commandants, indiquant qu'ils avaient

 10   besoin de telle ou telle chose.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Quand, vous-même, vous avez exercé le

 12   commandement militaire du HVO de juillet 1993 au 8 novembre 1993, est-ce

 13   qu'il est arrivé que M. Susak vous appelle en vous demandant quelle est la

 14   situation : "est-ce que je peux vous aider ?" Est-ce qu'il y avait des

 15   appels informatifs ou directionnels entre Susak et vous-même ?

 16   R.  Ce n'était pas ainsi que vous le décrivez, mais il y a eu des

 17   conversations, à ceci près que c'était moi qui l'appelait le ministre Susak

 18   concernant certains problèmes.

 19   Je demandais, par exemple, le 24, dans une lettre que l'on m'accorde deux

 20   bataillons de l'armée croate, qui m'ont pas été accordés, j'ai demandé car

 21   notre situation était à la limite de la catastrophe. Je rencontrais

 22   également des problèmes avec la formation de pilotes d'hélicoptères, des

 23   problèmes avec un général de l'armée croate, et j'ai alors demandé à Susak

 24   qu'il intervienne car cet autre général ne se montrait pas du tout

 25   raisonnable, et en fin de compte, il n'avait pas du tout le droit de faire

 26   ce qu'il faisait.

 27   Donc de mon côté il y avait un certain nombre de requêtes pour qu'il

 28   m'accorde un certain nombre de personnes, à titre de volontaire, au sein de


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  1   l'état-major, et ainsi de suite. Vous disposez de tous ces documents,

  2   Messieurs les Juges.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Il y a un transcript présidentiel - j'y reviendrai

  4   parce que je ne le retrouve pas à l'instant - mais c'est après votre

  5   départ, c'est bien après le mois de novembre 1993, où il y a une réunion

  6   entre M. Tudjman, M. Susak et M. Bobetko ou manifestement il y a des cartes

  7   et Tudjman est en train de discuter de l'emplacement des uns et des autres,

  8   et de manière très surprenante, on découvre que M. Tudjman était

  9   parfaitement informé de ce qui se passait sur le terrain, citant même le

 10   nom de commandant d'unité, et cetera. Ces dires, d'après ces documents, que

 11   M. Tudjman pouvait être informé de manière très parfaite. Je me suis dit en

 12   voyant ce document : mais comment se fait-il qui sache tout cela ? C'est

 13   pour ça que je vous pose la question pour vous demander si M. Susak vous

 14   téléphonait et se tenait informer en temps réel. Alors vous me dites :

 15   "Non, mais que vous parfois, vous l'appeliez pour demander tel et tel

 16   renfort," et cetera. Bon. Ça ce que vous dites on a la preuve dont

 17   plusieurs transcripts.

 18   Mais, moi, ce qui m'intéresse, et ma question avait en arrière plan

 19   l'entreprise criminelle commune, c'était de savoir si, au niveau de Susak,

 20   Tudjman, et Bobetko, bien entendu, il y avait un suivi en temps réel de la

 21   situation militaire dans l'Herceg-Bosna; c'est ça qui m'intéresse, alors

 22   qu'est-ce que vous dites ?

 23   R.  Non, Monsieur le Président, il y a eu sans doute d'autres personnes qui

 24   leur ont donné des informations de temps à autre. Je connais ce procès-

 25   verbal, ce transcript présidentiel, et je sais que nous avons fourni ces

 26   informations lors d'une réunion au début du mois de novembre à Split. Des

 27   informations très précises, car indépendamment du fait que cette offensive

 28   avait déjà été bloquée, nous étions en présence d'une intention qui était


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  1   toujours aussi claire de la part de l'ABiH visant à faire une percée sur

  2   les frontières de la Bosnie-Herzégovine en direction de la mer, en

  3   direction de Ploce. J'affirme que si cette dernière y était alors parvenue

  4   la communauté internationale aurait cédé la partie la partie jusqu'à

  5   Prevlaka aux Serbes, la partie jusqu'à Neum, compris aux Musulmans, et

  6   personne ne s'en serait préoccupé.

  7   Donc mon opinion -- ma position c'était qu'il fallait absolument arrêter

  8   cette attaque de l'ABiH car c'était une attaque contre le peuple croate.

  9   Je me suis adressé à la République de Croatie pour demander de

 10   l'aide. Malheureusement, je n'ai rien reçu ni le 24, ensuite donc en 1993,

 11   au cours de cette réunion. Je répète à nouveau la même requête, donnez-nous

 12   au moins deux bataillons. J'ai demandé donc deux bataillons. Ça figure dans

 13   ce document.

 14   Car il s'agissait d'une agression, une agression insensée avec

 15   l'intention de conquérir un territoire après des accords passés avec les

 16   Serbes, au mois de septembre. Alors on ne peut pas examiner l'un sans

 17   examiner l'autre en même temps. Si les Musulmans et les Serbes se sont mis

 18   d'accord au mois de septembre 1993, qu'ils allaient procéder à la création

 19   de deux Etats en Bosnie-Herzégovine, un Etat serbe et un autre soi-disant

 20   croato-musulman, où il n'y aurait plus de Croate. Si le droit est donné aux

 21   Serbes de sortir de cet Etat par référendum, dans ce cas-là, Messieurs les

 22   Juges, il s'agit d'une agression contre le peuple croate dans la vallée de

 23   la Neretva ou plus précisément de Vakuf jusque cette zone-là.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Comme vous connaissez tous les transcripts

 25   présidentiels, mes questions sont d'autant plus faciles que vous n'avez pas

 26   à faire de recherche. Il y a un transcript présidentiel où manifestement il

 27   y a une discussion animée entre M. Tudjman, M. Susak, et M. Bobetko au

 28   sujet des volontaires et du fait que le ministère de la Défense prenait des


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  1   arrêtés de nomination de volontaire. Tudjman reproche en quelque sorte ce

  2   formalisme et dit que la communauté internationale, CNN, et cetera,

  3   apprenant cela ça allait lui poser un problème politique, et donc il y a un

  4   reproche manifeste de Tudjman à l'égard de Susak.

  5   Alors ce qui me permet d'arriver donc à la question des volontaires. Est-ce

  6   M. Susak qui a eu l'idée de l'envoie de volontaires entre guillemets en

  7   Bosnie-Herzégovine, ou lui n'a géré administrativement ces volontaires ?

  8   R.  Monsieur le Juge Antonetti, Monsieur le Président, Gojko Susak n'a pas

  9   été celui qui a avancé en premier cette idée. C'était peut-être même moi.

 10   La Croatie avait aussi des rangs de son armée 12 à 15 mille volontaires

 11   originaires de la Bosnie-Herzégovine. Lorsque la guerre là-bas s'est

 12   arrêtée -- c'est sans parler des dizaines de milliers qui avaient fui la

 13   Bosnie-Herzégovine. Ces gens-là n'allaient pas défendre le territoire d'où

 14   ils étaient originaires. Ce n'était pas sur la base de la constitution

 15   croate que l'on pouvait envoyer sur ordre l'armée régulière en Bosnie-

 16   Herzégovine, également parce que M. Izetbegovic ne voulait pas signer

 17   d'accord de coopération militaire. On ne pouvait fonctionner que sur une

 18   base de volontariat avec des volontaires que l'on pouvait -- auxquels on

 19   pouvait proposer une solde, qui était proposée aussi bien aux Musulmans

 20   qu'aux Croates, qui décidaient de partir en Bosnie-Herzégovine. On pouvait

 21   leur proposer aussi un grade ou tel autre avantage.

 22   Par rapport à tout cela dans ce transcript, on dit qu'aux fins de

 23   cette opération à Uskoplje, qui au passage a été un échec, il y a eu 400

 24   volontaires qui se sont présentés, et ensuite tout cela est allé à Volo

 25   [phon], et cela a été un échec après mon départ, et j'ai dit ensuite qu'en

 26   janvier 1994, j'y suis revenu, car les personnes qui s'y trouvaient

 27   menaient mal les opérations et le danger c'est de nouveau présenter de voir

 28   l'ABiH opérait une percée. Donc mes hommes m'ont rappelé afin que je


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  1   revienne, car nous nous défendions. Moi, je me suis défendu pendant toute

  2   la guerre. J'ai le droit de me défendre. Nous n'attaquions ni les Serbes ni

  3   en Serbie ni ailleurs ni aucun de leurs villages. Cela est écrit également

  4   dans les transcripts présidentiels, nous défendions la population croate et

  5   musulmane dans les zones que nous avions réussi à défendre, et nous ne

  6   faisions pas de différence.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors il est quasiment l'heure de terminer, il

  8   nous reste quelques secondes.

  9   Donc comme plan de travail, demain je continuerai en examinant M. Bobetko.

 10   Ensuite je passerai avec vous les autres co-accusés, M. Prlic, M. Stojic,

 11   Pusic, Petkovic pour voir quelles étaient les relations que vous avez entre

 12   ces gens - et M. Coric, que j'avais oublié - savoir quelle relation vous

 13   aviez avec eux, comment vous les connaissiez, et cetera, et j'aborderai

 14   également trois cas qui sont mentionnés dans le mémoire préalable, qui est

 15   Blaskic, Kordic et Naletilic, qui sont, d'après le Procureur, membres de

 16   l'entreprise criminelle, puisqu'ils sont cités tous les droits dans le

 17   mémoire préalable. Donc, nous passerons donc un certain temps à examiner

 18   les situations individuelles de chacun d'entre eux, et puis, après quoi, je

 19   commencerai donc l'examen des documents par les documents contestés comme

 20   quoi, d'après vous, ce sont des documents faux, et nous verrons cela en

 21   détail. Voilà. J'espère que mes questions ne vous ont pas trop fatigué. Si

 22   vous êtes fatiguée, vous le dites, mais vous avez toute la nuit pour vous

 23   reposer, et donc, nous nous reverrons demain après-midi, puisque nous

 24   sommes d'audience à 14 heures 15, étant précisé que moi, demain matin, j'ai

 25   une autre audience dans une autre affaire.

 26   Maître Karnavas, je crois que vous vouliez intervenir.

 27   M. KARNAVAS : [aucune interprétation]

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. Je ne


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  1   suis pas fatigué. Je répondrai à chaque question, même si cela doit durer

  2   des mois, et c'est ce que je souhaiterais. Je vous remercie.

  3   M. KARNAVAS : [interprétation] Pour ce qui est de mois, Monsieur le

  4   Président, Messieurs les Juges, à la lumière de ce que vous venez juste de

  5   nous dire, il semblerait que vous allez poursuivre votre interrogatoire ou

  6   vos questions pour le reste de la semaine, juste à des fins d'emploi du

  7   temps.

  8   Deuxièmement, un peu plus tôt, lorsque vous avez mentionné un compte

  9   rendu -- un transcript où vous avez parlé de volontaires, je suppose -- je

 10   dis ça de mémoire, mais lorsque vous avez les documents, vous vous référez

 11   à cela, je pense, pour le compte rendu.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Bien, j'ai dit des volontaires, entre

 13   guillemets, hein.

 14   Oui, Monsieur Stringer. Vous vouliez intervenir ?

 15   M. STRINGER : [interprétation] Pas sur ce point particulier. Ce que je

 16   voulais dire a trait aux documents IC, le Président a posé des questions

 17   aujourd'hui, un peu plus tôt, sur quelle était la position de l'Accusation

 18   et ce qu'elle pourrait présenter en réponse aux documents IC de la Défense

 19   Praljak, et nous en avons débattu, et ils ont donc déposé leur liste finale

 20   aujourd'hui, qui a trait aux documents qui ont été utilisés la semaine

 21   dernière. Notre proposition serait que l'Accusation puisse déposer sa

 22   réponse à tous les documents d'ici une semaine -- lundi prochain, et --

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : On va en parler entre nous, puis nous vous dirons

 24   demain si on est d'accord. Je -- je ne sais pas. On va en parler entre

 25   nous.

 26   Oui --

 27   M. KOVACIC : [interprétation] Je voudrais dire que ceci est très

 28   raisonnable. Sept jours, c'est très raisonnable.


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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais -- je vais consulter mes collègues. Si on

  2   peut aller très vite, on va rendre notre décision tout de suite.

  3   [La Chambre de première instance se concerte]

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, comme vous avez vu, j'ai consulté nos

  5   collègues. Nous avons donc pris bonne note du fait que vous demandez un

  6   délai de sept jours. La Défense trouve que ce délai est raisonnable, et les

  7   Juges également, donc vous avez donc sept jours pour répondre sans aucun

  8   problème. Voilà.

  9   Donc, Monsieur Praljak, plus d'autres questions. Bien.

 10   Alors donc, je vous souhaite à tous une bonne fin de soirée, et nous nous

 11   retrouverons demain après-midi.

 12   --- L'audience est levée à 19 heures 03 et reprendra le mardi 16 juin 2009,

 13   à 14 heures 15.

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