Affaire no : IT-95-12-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Volodymyr Vassylenko
Mme le Juge Carmen Maria Argibay

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
24 juillet 2003

LE PROCUREUR

c/

IVICA RAJIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE MESURES DE PROTECTION EN FAVEUR DE VICTIMES ET DE TÉMOINS ET À LA REQUÊTE AUX FINS DE MODIFICATION DE LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION

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Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott
Mme Josee D’Aoust
M. Roeland Bos

Le Conseil de la Défense :

M. Zeljko Olujic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection en faveur de victimes et de témoins (Prosecution’s Motion for Protective Measures for Victims and Witnesses, ci-après la « Requête »), déposée le 4 juillet 2003 à titre confidentiel par le Bureau du Procureur (l’« Accusation »),

VU la requête aux fins de modification de la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection en faveur de victimes et de témoins (Motion to Amend Prosecution’s Motion for Protective Measures for Victims and Witnesses), déposée le 15 juillet 2003 à titre confidentiel (la « Deuxième Requête »), par laquelle l’Accusation retire l’une de ses demandes de mesures de protection,

ATTENDU que la Défense d’Ivica Rajić n’a pas déposé de réponse à la Requête,

VU la « Décision relative à la requête du Procureur aux fins de mesures de protection des victimes », rendue le 2 avril 1996 en l’espèce,

ATTENDU que, par sa Requête, l’Accusation demande diverses mesures de protection visant, entre autres, la divulgation des coordonnées « de l’auteur de ces documents et/ou de sa famille … d’autres personnes citées avec eux … d’autres personnes citées dans ces documents, … autres que celles décrites dans ces documents comme ayant été présentes aux événements qui y sont rapportés », contenues dans les pièces communiquées à la Défense en application de l’article 66 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »),

ATTENDU que l’article 20 du Statut du Tribunal (le « Statut ») fait obligation à la Chambre de première instance de veiller à ce que l’instance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de l’accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée,

ATTENDU que l’article 21 2) du Statut reconnaît à l’accusé le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des dispositions de l’article 22 du Statut,

ATTENDU que l’article 22 du Statut fait obligation au Tribunal de prévoir, dans ses règles de procédure et de preuve, des mesures de protection des victimes et des témoins,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 75 du Règlement, une Chambre peut, à la demande d’une des parties, ordonner des mesures appropriées pour protéger la vie privée et la sécurité de victimes ou de témoins, à condition que lesdites mesures ne portent pas atteinte aux droits de l’accusé,

ATTENDU que l’Accusation est tenue de se conformer aux exigences de l’article 66 A) du Règlement et de mettre à la disposition de la Défense les copies non expurgées de toutes les pièces susceptibles d’être communiquées, sous réserve que, si elle dépose une requête aux fins de mesures de protection se rapportant à des déclarations précises, à d’autres pièces ou à certaines victimes ou certains témoins (dont l’identité devra être précisée dans ladite requête), elle ne peut fournir les copies non expurgées de ces déclarations ou des autres pièces visées dans ladite requête que lorsque la Chambre de première instance a statué sur celle-ci, et sous réserve des dispositions de toute ordonnance y relative,

ATTENDU que les conclusions telles qu’elles sont présentées dans la Requête modifiée par la Deuxième Requête ne permettent pas à la Chambre de première instance de vérifier que les expurgations demandées ne portent pas atteinte aux droits de l’accusé,

ATTENDU qu’à ce stade de la procédure, l’intérêt de la justice commande de ne pas divulguer l’identité des personnes qui pourraient solliciter des mesures de protection et ce, jusqu’à ce que l’Accusation demande l’octroi de mesures spécifiques à des victimes ou des témoins particuliers, et jusqu’à ce que la Chambre de première instance statue sur l’opportunité de ces mesures,

ATTENDU que rien ne justifie que la Requête et la Deuxième Requête soit déposées à titre confidentiel, dans la mesure où elles ne révèlent pas l’identité des personnes pour lesquelles des mesures de protection sont demandées,

EN APPLICATION des articles 53 A), 54, 66 A) i) et 75 A) du Règlement,

ORDONNE ce qui suit :

1. Aux fins de décisions relatives à des mesures de protection en application des articles 53, 69, 75 ou 79 du Règlement,

a) l’« Accusation » désigne le Procureur du Tribunal et ses collaborateurs,

b) l’« Accusé » désigne Ivica Rajic,

c) la « Défense de Rajic » désigne uniquement l’accusé, ainsi que les conseils de la Défense, leurs assistants juridiques et collaborateurs immédiats et les autres personnes expressément commises par le Tribunal à la défense d’Ivica Rajic, et spécifiquement inscrites sur une liste que le conseil principal devra tenir à jour et déposer, ex parte et sous scellés, auprès de la Chambre de première instance dans un délai de dix jours à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance. La Chambre de première instance doit être tenue informée, également par une écriture déposée ex parte et sous scellés, chaque fois qu’un nom est ajouté à l’une ou l’autre des différentes catégories de la liste initiale de personnes participant par nécessité et à juste titre à la préparation de la défense, ou chaque fois qu’un nom en est supprimé, dans un délai de sept jours à compter de tout ajout ou retrait,

d) le « public » désigne toutes les personnes, gouvernements, organisations, entités, usagers, associations et groupes autres que les Juges du Tribunal, le personnel du Greffe (qu’il soit attaché aux Chambres ou au Greffe), le Procureur et la Défense de Rajic tels que définis plus haut. Le « public » inclut en particulier, sans s’y limiter, la famille, les amis et les relations de l’Accusé, ainsi que les accusés et les conseils de la défense dans d’autres affaires ou actions portées devant le Tribunal et les juridictions internes,

e) les « médias » désignent tout le personnel de la presse écrite et audiovisuelle, y compris les journalistes, les auteurs, le personnel de chaînes de radio et de télévision, ainsi que leurs agents et représentants,

2. La Défense de Rajic ne communiquera aux médias aucune des pièces confidentielles qui lui ont été fournies par l’Accusation.

3. À moins que la préparation et la présentation de son dossier ne le rendent directement et spécifiquement nécessaire, la Défense de Rajic ne divulguera pas :

a) le nom, les coordonnées ou toute information permettant l’identification de tout témoin, témoin potentiel ou parent de témoin ou de témoin potentiel dont le nom aura été communiqué à la Défense de Rajić par l’Accusation, jusqu’à ce que le nom du témoin concerné soit divulgué par cette dernière ou jusqu’à ce que celui-ci dépose en audience publique, sous réserve d’autres mesures de protection arrêtées durant ladite audience, et

b) d’élément de preuve (qu’il soit documentaire, matériel ou autre) ou de déclaration écrite d’un témoin ou d’un témoin potentiel, ou le contenu, en tout ou en partie, de tout élément de preuve, déclaration ou déposition antérieur non encore accessible au public, à l’exception de ceux déjà présentés au cours d’un procès public ou d’autres procédures engagées devant le Tribunal pour lesquelles aucune autre mesure de protection n’avait été ordonnée.

4. Si la Défense de Rajic estime directement et spécifiquement nécessaire pour la préparation et la présentation de son dossier de révéler des informations ou des pièces protégées à un membre du public (telles que des déclarations de témoins, des dépositions antérieures, des vidéos ou la teneur de telles pièces), elle informera celui-ci qu’il ne peut ni en faire copie, ni les reproduire ni les rendre publiques, ni les montrer ou les communiquer à qui que ce soit. Si cette personne se voit confier de telles pièces, qu’il s’agisse d’originaux, de copies ou de doubles, elle les restituera à la Défense de Rajic dès qu’elles ne seront plus nécessaires à la préparation ou à la présentation du dossier à décharge.

5. La Défense de Rajić ne peut prendre contact avec un témoin de l’Accusation qu’après en avoir notifié celle-ci par écrit, dix jours avant prise de contact envisagée, et après que cette dernière a obtenu le consentement du témoin ; si le témoin ou témoin potentiel a donné son consentement, tout membre de l’équipe de la Défense de Rajić doit se présenter à lui comme travaillant pour ladite équipe.

6. Si un membre de l’équipe de la Défense de Rajić se retire de l’affaire, il est tenu de restituer au conseil principal de la Défense toutes les pièces confidentielles dont il dispose et, dès que le dossier est clos ou que le conseil principal cesse de représenter l’accusé, la Défense restituera au Greffe toutes les pièces confidentielles qui lui ont été communiquées et leurs copies.

7. L’Accusation communiquera à la Défense toutes les copies non expurgées des pièces jointes à l’acte d’accusation lors de la demande de confirmation, ainsi que toutes les déclarations préalables de l’accusé recueillies par le Procureur ; elle peut également déposer une nouvelle requête aux fins d’une ordonnance de non-communication concernant certaines victimes ou certains témoins, en y motivant les expurgations souhaitées.

8. Rien dans la présente ordonnance n’empêche une partie ou une personne de demander des mesures de protection différentes ou supplémentaires, ou une modification de ses dispositions, si celles-ci se justifient pour un témoin particulier ou d’autres éléments de preuve.

9. Pour toute autre décision future portant mesures de protection, la Chambre de première instance se réserve le droit d’annuler ou de modifier sa décision proprio motu ou en réponse à la demande motivée de l’une des parties, en raison de faits nouveaux ou d’une évolution de la situation du ou des témoin(s) concerné(s), et après avoir entendu les parties.

10. La confidentialité de la Requête et de la Deuxième Requête est levée.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance I
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Liu Daqun

Le 24 juillet 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]