Affaire n° : IT-03-67-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
M. le Juge Kevin Parker

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
21 avril 2005

LE PROCUREUR

c/

VOJISLAV SESELJ

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Décision relative à la requête par laquelle l’accusé demande que la cour internationale de justice se prononce sur la compétence du tribunal à l’égard des ressortissants de la république fédérale de yougoslavie

(Document n° 75)

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Le Bureau du Procureur :

Mme Hildegard Uertz-Retzlaff
M. Ulrich Mussemeyer
M. Daniel Saxon

L’Accusé :

Vojislav Seselj

Le Conseil d’appoint :

M. Tjarda Eduard van der Spoel

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal ») ;

VU la requête par laquelle l’Accusé prie la Chambre de première instance II de demander à la Cour internationale de Justice de se prononcer sur la question de savoir si le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie est compétent pour juger les ressortissants de la République fédérale de Yougoslavie pour des crimes de guerre qui auraient été commis à une époque où cet État n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies (Motion by the Accused for Trial Chamber II to Request the International Court of Justice to Rule Whether the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia may try Nationals of the Federal Republic of Yugoslavia for Alleged War Crimes Committed at a Time When the Federal Republic of Yugoslavia was not a Member of the United Nations, la « Requête »1), requête déposée par Vojislav Seselj (l’« Accusé ») le 21 février 2005 ; dans sa requête, l’Accusé conteste que le Tribunal soit compétent ratione personae pour juger les ressortissants de l’ex-République fédérale de Yougoslavie (l’actuelle Serbie-et-Monténégro), au motif que la Cour internationale de justice a, dans huit arrêts fondamentalement identiques rendus le 15 décembre 20042, déclaré que la République fédérale de Yougoslavie n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies pendant la période allant du 27 avril 1992, date de sa création, au 1er novembre 2000, date de son admission au sein de l’Organisation3. L’Accusé demande à la Chambre de première instance de solliciter, par l’intermédiaire du Conseil de sécurité ou de l’Assemblée générale des Nations Unies, l’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur la question de savoir si le Tribunal est compétent pour juger des ressortissants de la République fédérale de Yougoslavie (aujourd’hui la Serbie-et-Monténégro) pour les crimes de guerre qui auraient été commis sur le territoire de l’ex-Yougoslavie à une époque où la République fédérale de Yougoslavie n’était pas membre de l’Organisation des Nations Unies4 ;

ATTENDU que dans sa réponse à la Requête (la « Réponse ») déposée le 11 mars 2005, le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») affirme que le Statut du Tribunal ne prévoit pas la possibilité d’introduire un recours devant la Cour internationale de justice et que le Tribunal est compétent pour se prononcer sur l’ensemble des questions soulevées dans la Requête à propos de sa propre compétence ; qu’en outre, les arrêts rendus par la Cour internationale de justice le 15 décembre 2004 n’ont pas d’incidence sur la compétence ratione personae du Tribunal, dans la mesure où celle-ci s’étend à toutes les personnes physiques indépendamment de leur nationalité à telle ou telle date, et qu’en conséquence, la Requête devrait être rejetée5 ;

ATTENDU que la question soulevée dans la Requête constitue une remise en question de la compétence ratione personae du Tribunal ;

ATTENDU que le Statut du Tribunal6 (le « Statut ») ne prévoit pas la possibilité de saisir la Cour internationale de justice7 et que, dans l’Arrêt Tadic relatif à la compétence, la Chambre d’appel du Tribunal a estimé que la faculté qu’a un organe judiciaire de déterminer sa propre compétence « est un élément constitutif nécessaire dans l’exercice de la fonction judiciaire8 » ;

ATTENDU que l’article premier du Statut dispose que « [l]e Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 » et qu’en conséquence, la compétence ratione loci du Tribunal s’étend à la totalité de l’ex-Yougoslavie et donc au territoire sur lequel les crimes reprochés à l’Accusé auraient été commis ;

ATTENDU qu’il n’a pas été établi que la compétence du Tribunal pour juger l’Accusé puisse être remise en question sur le fondement des arrêts de la Cour internationale de justice du 15 décembre 2004 qu’invoque l’Accusé ;

ATTENDU que vu l’article 6 du Statut, qui dispose que « [l]e Tribunal international a compétence à l’égard des personnes physiques conformément aux dispositions du présent Statut », la compétence ratione personae du Tribunal ne se limite pas aux ressortissants d’un État, indépendamment de l’appartenance ou non de cet État à l’Organisation des Nations Unies ;

PAR CES MOTIFS ;

EN APPLICATION de l’article 54 du Règlement de procédure et de preuve ;

REJETTE la Requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 21 avril 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
___________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]


1. Document n° 75.
2. Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ Belgique), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ Canada), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ France), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ Allemagne), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ Italie), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ Pays-Bas), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ Portugal), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004 ; Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ United Kingdom), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004.
3. Voir par exemple Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c/ Belgique), Exceptions préliminaires, Arrêt, 15 décembre 2004, par. 55 à 60, 76 et 91.
4. Requête, par. 10.
5. Réponse, par. 19.
6. Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, adopté le 25 mai 1993 par la résolution 827 du Conseil de sécurité [S/RES 827 (1993)], et modifié pour la dernière fois par la résolution 1481 du Conseil de sécurité [S/RES 1481 (2003)].
7. Décision relative aux requêtes de l’Accusé aux fins d’un avis consultatif de la Cour internationale de justice, 15 décembre 2004, p. 3.
8. Le Procureur c/ Tadic, affaire n° IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995 (l’« Arrêt Tadic relatif à la compétence »), par. 18.