Page 12406
1 Le mardi 2 décembre 2008
2 [Audience publique]
3 --- L'audience est ouverte à 14 heures 18.
4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, pouvez-vous appeler le numéro
6 de l'affaire.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes présentes
8 dans le prétoire. Il s'agit de l'affaire
9 IT-03-67-T, le Procureur contre Vojislav Seselj.
10 Merci, Madame, Messieurs les Juges.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.
12 En ce 2 décembre 2008, je salue les représentants de l'Accusation, M.
13 Mundis, Mme Biersay et leurs collaboratrices, et je salue M. Seselj et
14 toutes les personnes qui nous assistent.
15 Avant de donner la parole aux uns et aux autres, la Chambre va faire part
16 de ceci : je vais lire lentement. Ça concerne les observations du greffe
17 sur les suites données à la décision de la Chambre de première instance
18 relatives aux communications privilégiées de l'accusé.
19 A la suite de la décision de la Chambre relative aux communications
20 privilégiées de l'accusé, enregistrées à titre confidentiel le 27 novembre
21 2008, le greffe a enregistré publiquement le 1er décembre 2008 des
22 observations dans lesquelles il informe la Chambre que dans l'attente des
23 directives qu'il recevra du Président du Tribunal, qu'il a saisi le 1er
24 décembre 2008 :
25 Premièrement, il a décidé d'autoriser temporairement des
26 communications confidentielles entre l'accusé et M. Boris Aleksic, désigné
27 comme faisant partie de l'équipe de la Défense de l'accusé depuis le 24
28 septembre 2008;
Page 12407
1 Deuxièmement, il envisage d'autoriser temporairement que l'accusé
2 puisse recevoir des télécopies de manière confidentielle de la part de son
3 équipe de la Défense depuis Belgrade. La Chambre a exprimé au greffier le
4 souhait que cette dernière mesure qu'il envisage de prendre soit mise en
5 œuvre le plus rapidement possible pour permettre à l'accusé de préparer
6 efficacement le contre-interrogatoire des témoins à charge.
7 La Chambre se réjouit des suites données par le greffier à
8 l'invitation qui lui a été adressée par la Chambre dans sa décision du 27
9 novembre 2008, et espère que la question des communications privilégiées
10 sera résolue de façon définitive le plus rapidement possible et dans le
11 respect des droits de la Défense.
12 Voilà ce que la Chambre tenait à indiquer.
13 Monsieur Seselj, je sais que vous vouliez intervenir et je vous donne
14 la parole.
15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il y a une nouveauté, Monsieur le Président,
16 pour ce qui est de cette lettre adressée par le greffier à mon intention.
17 On vous a fait une concession, me semble-t-il, on vous a dit que je pouvais
18 recevoir sous forme confidentielle des télécopies de la part de mes
19 collaborateurs. Mais de qui dois-je les recevoir, le greffier ne le dit
20 pas. Comment puis-je recevoir une télécopie si je ne demande pas un
21 télécopieur, si je ne demande pas à mon collaborateur de s'entretenir avec
22 un tel et de prendre une déclaration, et lorsqu'il recueille cette
23 déclaration, il faut qu'il l'oriente dans telle direction ou dans telle
24 direction ? Parce que les déclarations et les fax, ça ne tombe pas du ciel,
25 c'est complètement dénué de sens.
26 Je n'accepte pas, je n'accepte pas que le greffier du Tribunal pénal
27 international ait le droit de s'immiscer dans ma Défense. Ça, je ne
28 l'accepte pas. Et il ne peut pas conditionner les choses à mon égard. Il
Page 12408
1 dit que pour mes collaborateurs juridiques, ils avaient fait des
2 déclarations incongrues pour ce qui est du Tribunal pénal international. Et
3 ils sont intervenus de façon risquant de mettre en péril la réputation du
4 Tribunal international. Mais qui est-ce qui est là pour annoter le bien-
5 fondé ou le mal fondé de leurs déclarations; le greffier ? Alors c'est
6 déplacé, c'est incongru, parce qu'il est critiqué pour différentes choses,
7 du point de vue moral et du point de vue professionnel. Ensuite, on dit
8 qu'ils interviennent de façon à mettre en péril la réputation du Tribunal
9 pénal international.
10 Mais moi, ma confiance ne peut être confiée qu'à celui qui considère
11 que le Tribunal n'a aucune espèce de réputation ni professionnelle ni
12 morale. Parce que ceux qui estiment que ce Tribunal a une réputation morale
13 et professionnelle n'ont pas à s'entretenir avec moi; je ne lui fais pas
14 confiance et je ne lui confierais aucune tâche. Et je l'ai fait savoir dès
15 le début pour qu'on sache bien, on ne va pas me remodeler, moi, alors ça,
16 c'est la stratégie de ma Défense et le style de ma Défense aussi; et j'ai
17 le droit de choisir de me défendre comme je pense être nécessaire, tout en
18 contestant notamment la légalité de ce Tribunal, ensuite tout le reste.
19 Ensuite, le greffier a refusé que mes conseillers se fassent payer
20 les déplacements, la fois passée qu'ils sont venus il y a deux mois, et ils
21 ne reviendront plus jamais si on ne leur paie pas le déplacement d'il y a
22 deux mois, ils ne reviendront pas. Et je n'accepte pas que parmi mes
23 conseillers juridiques le greffier soit là pour choisir : "Celui-ci est
24 bon, et celui-ci n'est pas bon." Ça c'est à moi qu'il appartient d'en
25 décider, et personne ne viendra tant que je n'aurai pas les trois
26 conseillers juridiques et le commis à l'affaire ensemble. Personne ne
27 viendra. Et je ne recevrai aucune télécopie. Et je ne m'entretiendrai pas
28 avec eux au téléphone.
Page 12409
1 Boris Aleksic n'a aucune espèce de bureau, maintenant il faut qu'il
2 donne son numéro de téléphone à domicile, et il faut qu'il soit en
3 permanence à la maison pour que je le puisse le contacter. Or, le greffe a
4 insisté, et vous avez apporté votre soutien au greffier, pour dire que
5 Slavko Jerkovic, en sa qualité d'avocat, est un professionnel et qu'il
6 serait le plus approprié; et que je pouvais me servir de son téléphone et
7 qu'on pouvait passer par lui pour ce qui est du financement et du reste.
8 Le bureau du Procureur dans deux mois va finir sa présentation des
9 éléments à charge, éventuellement dans trois mois, et pour ce qui est de
10 cette Défense, si on en juge d'après les choses telles qu'elles se
11 présentent, il y en aura pas de présentation de faite à décharge tant qu'on
12 n'aura pas discipliné le greffier. Tant qu'on ne lui dira pas que c'est un
13 employé :
14 "Tu es un employé ici et tu n'as pas le droit de t'immiscer dans les
15 affaires de la Défense. Il t'appartient de régler les questions de la
16 discipline, de l'hygiène, de l'approvisionnement en biens de consommation,
17 pour ce qui est des paiements, des honoraires, et du reste, mais tu n'as
18 pas le droit de te mêler et de t'immiscer dans la Défense."
19 Parce que si le greffier s'immisce dans ma Défense, il n'y aura pas
20 de Défense du tout.
21 Parce que j'ai tout le temps -- qui est en train de me courir entre
22 les pattes, et je risque de trébucher, alors qu'on arrête un peu, je me
23 demande jusqu'à quand ça va durer. Ce type d'obstacles n'existent dans
24 aucune autre affaire, et je n'accepterai pas que dans la mienne cela se
25 produise. Considérez que le problème n'est pas résolu et je ne sais pas
26 pourquoi vous vous félicitez d'un tel comportement du greffier, ça vous
27 regarde, mais je dois vous reconnaître que je suis plutôt surpris par cette
28 déclaration.
Page 12410
1 M. LE JUGE ANTONETTI : Premièrement, le greffier vous a envoyé une lettre
2 le 28 novembre 2008. Donc vous pouvez lui répondre par lettre en contestant
3 ce qu'il dit dans sa lettre. Il n'en demeure pas moins que dans cette
4 lettre, le greffier vous demande de lui indiquer le numéro de téléphone de
5 M. Aleksic. Et dès que vous lui donnez ce numéro de téléphone, à ce moment-
6 là, vous aurez votre communication privilégiée avec M. Aleksic.
7 Je rappelle - mais c'est mon collègue qui me l'indiquait il y quelques
8 minutes - que c'est vous-même qui avez désigné M. Aleksic, donc si vous
9 l'avez désigné, c'est que vous pensiez qu'il devait avoir au moins un
10 téléphone. Vous dites qu'il n'a pas de bureau, et cetera, peut-être, mais
11 ce n'est pas insurmontable. Donc le greffier vous dit : Donnez-nous le
12 numéro de téléphone de M. Aleksic et vous allez pouvoir entrer en
13 communication avec lui. Et ça, pour la Chambre, c'est une avancée
14 importante, ce qui vous permettra de reprendre maintenant contact avec
15 quelqu'un en qui vous avez entièrement confiance.
16 Deuxièmement, concernant les fax, bien sûr, dans la lettre du greffier, il
17 n'est pas précisé exactement sur le plan matériel comment ceci va être mis
18 en œuvre. Mais à ce moment-là vous pouvez, en réponse à la lettre, lui
19 demander - d'abord, il y a un fax ici dans la salle - juste avant de
20 l'audience, et il y a le fax de la prison, donc a priori ça ne doit pas
21 être insurmontable pour que vous ayez tout document qui vous arrive.
22 La Chambre estime que par rapport à la situation antérieure, il y a une
23 avancée significative et la Chambre ne peut que se réjouir de cela. Nous,
24 tout ce que nous demandons, c'est que vous ayez des contacts avec la
25 personne de votre choix. C'est votre problème et vous avez entièrement
26 raison. Personne n'a à s'immiscer dans votre Défense. C'est à vous de voir,
27 vous désignez X, Y, ou Z, c'est votre problème, mais au moins que la
28 personne qui est désignée, vous puissiez de manière confidentielle vous
Page 12411
1 entretenir avec elle.
2 Voilà. Croyez-nous, ça n'a pas été une décision simple à prendre, vous le
3 savez mieux que quiconque. Donc nous avons fait en sorte que vous ayez le
4 maximum de possibilité pour vous défendre.
5 Et comme, à titre personnel, je l'ai dit, moi, ce que je souhaite, c'est
6 que pendant les 26 heures qui restent au Procureur pour présenter ses
7 derniers témoins, nous puissions les uns et les autres aborder sereinement
8 le fond du dossier qui constitue l'acte d'accusation dressé à votre
9 encontre. Voilà le problème. Tout le temps que l'on passe dans ces
10 problèmes d'intendance, de logistique, et cetera, ça nous fait perdre du
11 temps. Moi, je préfère passer ce temps à regarder les documents, à regarder
12 les déclarations, les transcripts, pour avoir une conviction finale sur
13 votre culpabilité ou votre innocence. Mon temps serait beaucoup mieux
14 utilisé à cela, plutôt qu'à passer du temps à rédiger des décisions
15 concernant des problèmes entre le greffier et vous, entre le Président et
16 vous, et cetera. Voilà. Donc attendons de voir.
17 Et la Chambre ne peut que vous conseiller de répondre au greffier et
18 très vite de donner les numéros de M. Aleksic.
19 Je sais que M. Mundis veut intervenir aussi, donc je vais lui donner
20 la parole, et après on fera venir le témoin.
21 Monsieur Mundis.
22 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je vous ai annoncé
24 vendredi passé, encore une question, encore un sujet. Je vous ai dit que je
25 pouvais attendre la semaine présente, si ce n'était pas trop tard, pour ce
26 qui est d'un témoin en application du 92 ter.
27 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez donc un autre sujet.
28 Excusez-moi, Monsieur Mundis. Je vous ai donné trop rapidement la parole,
Page 12412
1 on va épuiser le deuxième sujet de M. Seselj.
2 Oui, Monsieur Seselj, quel est le deuxième sujet ? Et après je donnerai la
3 parole à M. Mundis.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai contesté la possibilité qu'il y ait une
5 double déclaration de la part du témoin qui a comparu la semaine passée, et
6 qu'elle soit admise en application du 92 ter. Je vous ai présenté mon
7 argumentation. D'abord, parce que la déclaration principale a été faite
8 auprès des autorités musulmanes en Bosnie-Herzégovine, à Mostar, et la
9 déclaration complémentaire a été faite, elle, auprès du bureau du Procureur
10 de La Haye.
11 J'attire votre attention sur des éléments qui se trouvent dans la
12 déclaration même. Vous voyez dans cette déclaration principale qui est
13 faite auprès des autorités musulmanes, il est dit qu'avec une équipe de la
14 télévision venant de Novi Sad, il est venu six membres des Aigles blancs de
15 Serbie. Dans la déclaration qui a été faite auprès du bureau du Procureur
16 de La Haye, on complète dans la partie untel dans la dernière phrase :
17 "Pour ce qui est des Aigles blancs de Serbie, je voulais dire Seseljevci,
18 les hommes à Seselj." Donc le bureau du Procureur cible intentionnellement
19 la modification de la première des déclarations qui a été faite. Autre
20 endroit, c'est la page 7 de la première des déclarations :
21 "J'ai répondu que je n'en savais rien. A un moment donné, un soldat inconnu
22 membre des Aigles blancs de Serbie est entré, il a commencé à me tabasser,
23 les autres se sont joints à lui."
24 Au paragraphe 28 de la déclaration complémentaire, il est dit dans cette
25 partie-là, donc partie 26 :
26 "J'ai mentionné un soldat inconnu qui était entré dans la pièce, membre des
27 Aigles blancs. Je crois que c'était un Aigle blanc de Seselj." Alors ça a
28 été rajouté. Voyez-vous les méthodologies utilisées par le bureau du
Page 12413
1 Procureur de La Haye.
2 Dans la première déclaration, ce témoin qui a témoigné en 92 ter, raconte
3 des histoires de deuxième main, parce qu'il a entendu parler d'une dizaine
4 de filles qui étaient membres des unités de Seselj, qui s'étaient
5 spécialisées à égorger des civils. C'est ce qu'on lui a raconté. Alors,
6 comme cela n'a pas semblé être suffisant - parce que là on se sert du
7 témoin, c'est une utilisation du témoin pour une construction - et on
8 ajoute cette phrase, alors ça donne un argument de plus vis-à-vis de
9 l'argument présenté la semaine passée, et je pense que ce que le bureau du
10 Procureur a proposé ne saurait être admis en application du 92 ter et être
11 versé au dossier.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien, Monsieur Seselj. Ce que vous souhaitez
13 pour le cas où la Chambre admettrait la déclaration recueillie par le
14 bureau du Procureur, qu'on admette également la déclaration recueillie par
15 les autorités musulmanes pour justement faire la comparaison.
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Non, Monsieur le Président. Peut-être n'avez-
17 vous pas gardé cela en tête depuis la semaine passée.
18 M. MUNDIS : [aucune interprétation]
19 M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai fait une objection, j'avais fait une
21 objection pour ce qui est d'indiquer que la déclaration était constituée de
22 deux parties, et vous avez dit que la partie recueillie par le bureau du
23 Procureur serait versée au dossier. Puis le Procureur vous a rectifié et il
24 a dit qu'il considérait que ces deux déclarations constituaient un tout.
25 C'était en substance ce qu'il avait dit. Les deux déclarations sont
26 considérées par le Procureur comme un tout. Et là vous ne me comprenez pas.
27 Parce que si vous avez une déclaration complémentaire faite auprès du
28 bureau du Procureur, vous ne pouvez pas savoir à quoi cela se rapporte si
Page 12414
1 vous n'avez pas la toute première des déclarations qui a été faite par ce
2 témoin au départ.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mundis.
4 M. MUNDIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Cette procédure
5 dans laquelle se lance l'accusé maintenant est tout à fait impropre. Toutes
6 les questions qu'il a soulevées concernant les déclarations 92 ter étaient
7 et auraient pu être présentées au témoin pendant le contre-interrogatoire
8 du témoin. L'accusé a renoncé à son droit de contre-interroger, donc il est
9 inconvenant et impropre de contester la recevabilité de ces déclarations
10 alors qu'il avait l'occasion d'interroger ces témoins, il avait l'occasion
11 de leur poser des questions sur des discordances éventuelles entre les
12 déclarations en question. Il a eu cette occasion, il l'a abandonnée, il a
13 refusé et maintenant il n'a plus la possibilité de présenter des arguments
14 à cet effet, parce que le témoin aurait pu être en mesure de préciser les
15 choses. Donc nous nous efforçons à corriger cette procédure. Ce n'est pas
16 la première fois que cela s'est produit, l'accusé ayant renoncé à son droit
17 de contre-interroger par la suite, le temps de présenter des arguments sur
18 des questions qui auraient pu être posées au témoin et il s'est retiré. Il
19 n'a pas fait valoir son droit au contre-interrogatoire, c'est inconvenant.
20 Je demande urgemment [phon] aux Juges de la Chambre de mettre fin à
21 cette procédure et de demander à M. Seselj pourquoi il ne contre-interroge
22 le témoin. Il nous dit que c'est une question de principe, bien sûr, donc
23 il doit subir les conséquences de ses propres décisions; y compris les
24 décisions sur le fait de renoncer au contre-interrogatoire. Ces questions
25 auraient pu être posées au témoin, il a choisi de ne pas le faire; il doit
26 maintenant en subir les conséquences, conséquences de la décision qu'il a
27 prise lui-même. Ceci fait partie aussi de sa propre défense qu'il a choisie
28 lui-même. C'est lui qui a choisi d'agir ainsi.
Page 12415
1 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai autre chose à dire.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : -- est au transcript.
3 Oui, Monsieur Seselj.
4 L'ACCUSÉ : [interprétation] Tout ce que vient de nous dire M. Mundis c'est
5 dénué complètement de sens. Je ne veux pas savoir ce que le témoin a
6 déclaré, ce qui est écrit dans ses déclarations. Moi, je veux stigmatiser
7 ici de façon publique le comportement contraire au droit de la part du
8 bureau du Procureur. C'est justement à cette fin-là, je porte à votre
9 connaissance le fait que vous, en tant que Chambre de première instance,
10 vous ne pouvez pas accepter ces deux papiers comme étant du 92 ter, parce
11 que de façon officielle il n'y a pas été -- enfin, selon la forme les
12 choses ne sont pas faites comme il se doit.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : -- enregistré la position de M. Seselj, la position
14 du Procureur, et la Chambre rendra une décision en la matière.
15 Bien. Il faut passer à un autre sujet.
16 M. MUNDIS : [interprétation] Encore une fois, je souhaite que soit consigné
17 au compte rendu les objections du Procureur et ce, de façon vigoureuse.
18 Parce que l'accusé vient de dire que l'Accusation a un comportement
19 illégal, ce qui est simplement pas crédible et qui est tout à fait
20 ridicule. Il continue à moquer ces débats et nous nous y opposons de façon
21 très vigoureuse.
22 Monsieur le Président, le 25 novembre 2008, la Chambre de première instance
23 a rendu une décision eu égard à la requête de l'Accusation aux fins de
24 mettre un terme à la propre défense de l'accusé. L'Accusation, sauf votre
25 respect, demande à ce que nous ayons une prorogation de ce délai jusqu'à
26 vendredi de cette semaine, à savoir le 5 décembre pour pouvoir nous
27 décider, à savoir si nous allons faire une demande de certification en
28 appel conformément à l'article 73(B). Une décision finale n'a pas encore
Page 12416
1 été prise, parce que sinon le délai arrivera à son terme aujourd'hui, à
2 minuit. Donc nous demandons une prorogation de ce délai jusqu'au vendredi 5
3 décembre avant de prendre notre décision, à savoir si nous allons déposer
4 une requête, une demande de certification de la décision en question.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous savez bien que pour la question des délais, la
6 Chambre est toujours très flexible en la matière, et donc vous accorde
7 jusqu'à vendredi minuit, le délai pour nous saisir d'une éventuelle demande
8 de certification d'appel.
9 Bien. Alors on va introduire le témoin. Je vais demander à M. l'Huissier de
10 faire venir le témoin. Pendant ce temps-là, Mme Biersay va m'indiquer
11 combien de temps elle prévoit pour ce témoin.
12 Mme BIERSAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
13 Comme les Juges de la Chambre le savent, ce témoin est un témoin arrivé aux
14 Pays-Bas ce matin seulement. J'ai pu le rencontrer ce matin seulement, très
15 rapidement, et j'ai terminé ma réunion avec lui vers 13 heures aujourd'hui.
16 Je pense que nous pouvons commencer avec 90 minutes, étant donné que la
17 réunion de ce matin a été très courte. Je demande aux Juges de la Chambre
18 de tenir compte de cela, et peut-être avoir l'obligeance de bien vouloir
19 prolonger ce délai un petit peu.
20 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj. Le témoin est arrivé ce matin,
22 parce que dimanche il y avait des problèmes à l'aéroport de Sarajevo en
23 raison de la neige, et donc l'avion n'a pas pu partir dimanche et c'est
24 pour ça qu'il a fallu qu'il arrive ce matin. Et c'est dans ce cadre que Mme
25 Biersay l'a rencontré très rapidement.
26 Bonjour, Monsieur.
27 Oui, Monsieur Seselj.
28 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je veux juste dire ou plutôt tirer au clair
Page 12417
1 brièvement une chose. J'ai été informé le 28 novembre de deux possibilités
2 d'audition de ce témoin-ci ainsi que de Sulejman Tihic. Une des variantes
3 c'est le cas où VS-029 viendrait et l'autre variante c'est au cas où il ne
4 viendrait pas. Alors je n'ai pas toujours été informé de l'arrivée de ce
5 VS. Parce que s'il ne vient pas on aurait prévu deux heures pour M.
6 Banjanovic et M. Tihic, c'est ce qu'on m'a communiqué comme information par
7 écrit.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Tout à fait.
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Le VS-029 vient-il ou pas ? C'est ça la
10 substance de ma question. Ou c'est une surprise stratégique ?
11 M. LE JUGE ANTONETTI : VS-029 ne vient pas. C'est bien ça, Monsieur Mundis
12 ?
13 M. MUNDIS : [interprétation] D'après nos informations, c'est exact,
14 Monsieur le Président. A ce stade, il refuse de voyager. Je vous garderai
15 informé, ainsi que M. Seselj, de l'évolution de la situation s'il
16 voyageait, s'il décidait à voyager, ce serait aujourd'hui mais je vous
17 communiquerai d'autres éléments d'information demain pour vous dire s'il
18 comparait ou pas. A ce stade, cela ne semble pas très probable. Je ne pense
19 pas que VS-29 viendra témoigner cette semaine.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Les dernières informations, Monsieur Seselj, nous
21 n'en savons pas plus que vous.
22 Bien. Monsieur, vous pouvez me donner votre nom, prénom et date de
23 naissance.
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'appelle Fadil Banjanovic. Je suis né le 4
25 juillet 1962 à Kozluk, municipalité de Zvornik.
26 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Quelle est votre profession actuelle ?
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis député à l'assemblée populaire de la
28 Republika Srpska en Bosnie-Herzégovine.
Page 12418
1 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Et vous êtes député élu sous quel étiquette
2 politique.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai été élu au nom du Parti socialiste, le
4 SDP, à l'assemblée à la chambre des nations.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, monsieur le Député.
6 Est-ce que vous avez déjà témoigné dans un procès; et si oui, lequel
7 ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Dans l'affaire Milosevic et aussi dans le
9 procès relatif au groupe de Zvornik à Belgrade.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors dans le procès Milosevic, vous étiez
11 témoin de l'Accusation ou de la Défense ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai parlé des déportations, c'est-à-dire des
13 expulsions de Musulmans de Bosnie, donc j'étais témoin à charge dans le
14 procès Milosevic.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Et à Belgrade, vous étiez témoin de
16 qui ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais également témoin à charge pour parler
18 de la déportation des Musulmans de Bosnie, donc témoin de l'Accusation.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Je vous demande de lire le serment,
20 Monsieur.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
22 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
23 LE TÉMOIN : FADIL BANJANOVIC [Assermenté]
24 [Le témoin répond par l'interprète]
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Vous pouvez vous asseoir.
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie.
27 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur, comme vous avez déjà témoigné, vous
28 savez comment cela se passe. Vous allez dans un premier temps devoir
Page 12419
1 répondre à des questions que Mme Biersay va vous poser. Vous l'avez
2 rencontrée ce matin très rapidement en raison de problèmes liés à votre
3 avion, mais néanmoins vous avez pu la rencontrer. Donc elle va vous poser
4 des questions et certainement vous présenter quelques documents.
5 A l'issue de cette phase, M. Seselj qui est accusé, comme vous le savez,
6 vous posera des questions dans le cadre du contre-interrogatoire. Donc vous
7 allez devoir répondre à des questions qu'il va vous poser.
8 Les trois Juges qui sont devant vous pourront aussi vous poser des
9 questions en fonction des éléments que vous allez apporter dans les
10 réponses que vous allez donner aux questions posées. Essayez d'être très
11 précis dans les réponses que vous allez donner, mais je n'ai aucune crainte
12 compte tenu de vos activités passées et actuelles, vous serez, j'espère,
13 synthétique.
14 Si vous ne comprenez pas le sens d'une question, n'hésitez pas à demander à
15 celui qui vous pose la question de la reformuler. Nous faisons des pauses
16 toutes les heures et demie et des pauses de 20 minutes. Si jamais nous ne
17 terminons pas avec vous aujourd'hui, à ce moment-là, vous reviendrez demain
18 matin, parce que nous sommes d'audience demain matin à 8 heures et demie.
19 C'est uniquement à titre exceptionnel que nous tenons audience de cet
20 après-midi, car normalement nous aurions dû siéger ce matin. Donc vous
21 reviendrez pour l'audience qui débutera à 8 heures 30.
22 Comme vous avez prêté serment, vous êtes maintenant témoin de la justice,
23 ce qui veut dire que vous n'avez plus aucun contact avec l'Accusation sauf
24 évidemment à répondre aux questions posées à l'audience. Voilà ce que je
25 voulais vous dire afin que l'audience puisse se dérouler le mieux possible.
26 Madame Biersay, je vous donne la parole.
27 Mme BIERSAY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
28 Interrogatoire principal par Mme Biersay :
Page 12420
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12421
1 Q. [interprétation] Vous avez dit qu'à l'heure actuelle vous êtes député à
2 la chambre des nations; c'est bien cela ?
3 R. Oui.
4 Q. Pouvez-vous nous dire depuis combien de temps vous avez ce poste ?
5 R. C'est la cinquième année.
6 Q. En ce qui concerne la période allant de 1984 à 1992, pourriez-vous nous
7 dire où vous habitiez ?
8 R. Je vivais à Kozluk dans la municipalité de Zvornik.
9 Q. Quel était votre poste dans ce village ou votre position ?
10 R. Bien, j'étais l'un des premiers au sein des habitants de cette ville.
11 J'étais président de la ville, j'occupais plusieurs autres fonctions comme
12 président de l'association des chasseurs, et j'étais une personne
13 relativement connue.
14 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourrions-nous, s'il
15 vous plaît, avoir à l'écran la pièce 7425 de la liste 65 ter. Il s'agit de
16 la dernière pièce, Messieurs et Madame le Juge que vous trouverez dans
17 votre dossier, puisque mes classeurs sont organisés selon l'ordre des
18 pièces de la liste 65 ter.
19 Q. Reconnaissez-vous le document qui s'affiche à l'écran ?
20 R. Oui.
21 Mme BIERSAY : [interprétation] Pourrons-nous avoir à l'écran le bas de ce
22 document.
23 Q. Reconnaissez-vous votre signature sur ce document ?
24 R. Oui.
25 Q. Quand avez-vous signé ce document ?
26 R. Le 7 mai 2003.
27 Q. Ce document 7425 de la liste 65 ter est-il le résumé de votre CV ?
28 R. Oui.
Page 12422
1 Mme BIERSAY : [interprétation] Pourrions-nous demander l'admission de la
2 pièce 7425 au dossier.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier.
4 Oui, Monsieur Seselj.
5 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection.
6 Bien. Peut-être que le témoin n'a pas fait attention à cela, mais je ne
7 crois pas que ce document puisse être versé au dossier tant que la question
8 dont je m'apprête à parler n'est pas réglée.
9 A la septième rubrique dans ce document. Il est fort probable que la
10 déclaration ait été recueillie en langue serbe et elle a ensuite été
11 traduite en serbe, mais en serbe cela n'a aucun sens. Il est écrit en serbe
12 que M. Banjanovic était le chef de Kozluk de 1984 à 1992. Une telle
13 fonction n'a jamais existé à Kozluk. Le témoin le sait encore mieux que
14 moi. Mais le problème se situe au niveau de la traduction. Il a sans doute
15 annoncé et dit qu'il était président de la communauté locale et c'est donc
16 l'expression qui aurait dû être traduite en serbe. Donc j'appelle à présent
17 votre attention sur ce point en insistant une nouvelle fois pour dire que
18 cela n'a aucun sens.
19 C'est une infamité [phon] que de recueillir d'abord la déclaration en
20 anglais pour la traduire en serbe ensuite, car la version en serbe finit
21 par ne plus avoir de sens.
22 Mme BIERSAY : [interprétation] Puis-je répondre.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Mais il serait peut-être préférable que ce soit le
24 témoin qui réponde.
25 Mme BIERSAY : [interprétation] Avec tout le respect que je dois à la
26 Chambre de première instance, je pense que ceci devrait se faire dans le
27 cadre du contre-interrogatoire. Le témoin a dit qu'il a identifié le
28 document, qu'il l'avait lu, qu'il l'avait signé. Si M. Seselj a d'autres
Page 12423
1 points à aborder, il n'a qu'à le faire pendant son contre-interrogatoire.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors moi qui m'apprêtais à donner un numéro
3 définitif, on va donner un numéro aux fins d'identification conformément à
4 votre souhait.
5 Monsieur le Greffier, donnez un numéro aux fins d'identification.
6 M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce recevra la cote P661 MFI.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre statuera au final.
8 Continuez, Madame Biersay.
9 Mme BIERSAY : [interprétation]
10 Q. Le document que vous avez vu à l'écran, pourriez-vous nous dire si
11 c'est un document que vous avez relu dans votre propre langue et que vous
12 avez signé ?
13 R. Oui.
14 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourrions-nous
15 maintenant avoir à l'écran la pièce P302.
16 Q. Monsieur le Témoin, pourriez-vous nous dire où se trouve Kozluk par
17 rapport à Zvornik ?
18 R. Kozluk est un joli bourg qui se trouve sur la route reliant Zvornik à
19 Bijeljina au bord de la rivière Drina. Kozluk est entouré dans son
20 voisinage immédiat par un grand nombre de villages peuplés majoritairement
21 de Serbes. Dans un voisinage plus lointain se trouvent des villages, comme
22 Sepac et d'autres villages majoritairement peuplés de Musulmans de Bosnie.
23 Kozluk était peuplé de gens appartenant à des milieux divers et notamment
24 habité par des Rom, des Serbes et quelques familles croates. Kozluk est une
25 communauté locale qui se trouve dans la municipalité de Zvornik.
26 Q. Pouvez-vous nous dire quelle est la distance approximative entre Kozluk
27 et la ville de Zvornik ?
28 R. A une douzaine de kilomètres à peu près.
Page 12424
1 Q. Vous nous avez dit que Kozluk était une petite ville tout à fait
2 sympathique. J'aimerais maintenant que nous retournions au début 1992 --
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Madame Biersay, la carte, moi, je ne vois pas du
4 tout Kozluk. Est-ce qu'on le voit sur la carte ? Oui, d'accord. Bien.
5 Mme BIERSAY : [interprétation] Pourrions-nous peut-être agrandir la zone.
6 Il y a deux zones en jaune.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Là, on voit beaucoup mieux.
8 Mme BIERSAY : [interprétation]
9 Q. Monsieur le Témoin, cette carte représente-t-elle bien la région dont
10 vous venez de nous parler ?
11 R. Oui. On voit Kozluk, Tabanci, Malesici, Skotic, Krcic, Sepac, et
12 cetera, de jolies localités le long de la rivière Drina.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Député, un petit mystère sur la carte.
14 On voit Kozluk avec un gros point rouge, et au-dessus de "Kozluk" il y a
15 encore un autre Kozluk avec un petit point rouge. Alors y a-t-il deux
16 Kozluk ? Il y a un Kozluk qui est près de la rivière et un autre qui est
17 plus loin de la rivière, vous pouvez nous expliquer cela ?
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Il n'y a qu'un seul Kozluk, un seul, c'est
19 celui qui correspond au gros point rouge.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous voyez au-dessus du gros point rouge, il y a un
21 petit point rouge, il y a marqué "Kozluk".
22 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est une erreur.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Mme le Procureur présente une carte avec une erreur
24 alors.
25 Mme BIERSAY : [interprétation] Cette pièce a déjà été admise, il s'agit de
26 la pièce P302, et je pense qu'il est bon, en effet, que le témoin nous ait
27 expliqué qu'il s'agit d'une erreur, c'est vrai que le petit Kozluk que l'on
28 voit en gris clair est un autre Kozluk.
Page 12425
1 Q. Mais est-ce que le vrai Kozluk se trouve là où c'est écrit en gras
2 Kozluk, avec le gros point en gras ?
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui. Monsieur le Député, vous qui connaissez bien
4 cette localité, le petit Kozluk, comment cette localité s'appelle en
5 réalité ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Ici il y a surtout des localités peuplées par
7 une majorité d'habitants serbes, et vous voyez ici Gajic, Tabanci,
8 Malesici, tout ça, ce sont des localités habitées par des Serbes. Le petit
9 point rouge, c'est Kozluk exclusivement.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, si on comprend bien, la localité de Kozluk,
11 c'est tout ce que l'on voit en jaune, la surface de Kozluk, et dans cette
12 surface, il y a un petit point où on a marqué Kozluk, mais en réalité il
13 n'y a qu'un seul Kozluk ?
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : D'accord, très bien.
16 Continuez, Madame Biersay.
17 Mme BIERSAY : [interprétation]
18 Q. Pourriez-nous, s'il vous plaît, nous décrire le moment où vous vous
19 êtes rendu compte que les choses ont commencé à changer dans la petite
20 ville tranquille de Kozluk ? Je parle plus précisément ici de l'année 1992.
21 R. Ce qui a constitué une nouveauté pour tous les habitants, cela a été
22 l'entrée ou en tout cas le transit d'un grand nombre de camions par les
23 bourgs, et dans ces camions il y avait pas mal de jeunes gens qui ont été
24 répartis à Malesici, Skotic, Tabanci, c'est-à-dire un peu partout dans les
25 villages environnants peuplés de Serbes. Pour moi, personnellement, et pour
26 pas mal d'habitants d'appartenance ethnique serbe, ces véhicules étaient
27 inconnus.
28 Dans les premiers temps, nous n'avions pas la moindre idée de ce qui
Page 12426
1 était en train de se passer. Mais en tout cas tout le monde a remarqué
2 l'arrivée massive de ces hommes qui se désignaient eux-mêmes sous
3 l'expression d'observateurs militaires. Ils en ont parlé dans leurs
4 conversations avec des habitants d'appartenance ethnique serbe. Nous, nous
5 l'avons remarqué aussi en voyant ce qu'ils faisaient, parce qu'ils ont
6 participé à des manœuvres, des exercices, ils ont creusé des tranchées, ils
7 ont construit des espèces de chemins. Tout cela ressemblait beaucoup à des
8 préparatifs.
9 Q. Pouvez-vous nous dire si à un moment ou à un autre des barricades ont
10 été érigées dans la zone de Kozluk ?
11 R. Oui.
12 Q. Savez-vous qui a érigé ces barricades ?
13 R. Ils se présentaient en disant qu'ils représentaient la Défense
14 territoriale serbe, car à ce moment-là, la municipalité serbe avait déjà
15 été créée ainsi que le MUP serbe et la Défense territoriale serbe. Et dans
16 les environs des localités musulmanes telles que Kozluk, des barrages ont
17 été construits à l'aide d'objet en bois et des gardes armés se tenaient à
18 ces barrages.
19 Q. Pouvez-vous nous décrire à quoi ressemblaient ces gardes armés ?
20 R. J'ai eu l'occasion de constater que tous ceux qui étaient Serbes se
21 voyaient distribuer des armes, y compris des gens légèrement handicapés
22 mentaux comme un certain Curica, c'était son surnom, il portait des armes.
23 Ces hommes-là étaient armés jusqu'aux dents. Il y en avait pas mal parmi
24 eux que je ne connaissais pas et qui tout simplement venaient de
25 l'extérieur. Les uniformes qu'ils portaient étaient divers. Les insignes
26 qu'ils arboraient étaient divers et la population locale a constaté que
27 ceux qui se désignaient comme étant des observateurs militaires étaient des
28 chefs dans toute cette affaire.
Page 12427
1 Q. Ces personnes dont vous venez de nous parler, pouvez-vous nous dire si
2 l'un d'entre eux vous aurait dit qui les avait invités à venir sur place,
3 si tant est que quelqu'un l'ait fait ?
4 R. Dans certains conversations avec certains de ces hommes, ces
5 commandants militaires, comme Pejic, Zuco, Pivarski, Niski, il nous
6 arrivait souvent d'être assis ensemble, et je leur ai demandé : "Mais
7 qu'est-ce que vous faites ici ?" Et ils ont dit quelque chose du genre :
8 "Voyons, c'est le gouvernement serbe, la direction de la municipalité
9 serbe, le président Grujic qui nous a appelés à venir pour que nous
10 défendions nos frères serbes contre les Musulmans qui sont armés, et il a
11 eu des assassinats, et cetera.
12 Le commandant Zuco m'a dit cela à plusieurs reprises, ainsi que le
13 commandant Pejic, et certains Serbes de la région affirmaient que des
14 unités, des hommes bien armés allaient venir en renfort pour apporter leur
15 aide, et cetera.
16 Q. Vous avez parlé d'une personne appelée Grujic et vous l'appelez le
17 président Grujic. Pourriez-vous nous dire quel est son nom complet ?
18 R. Brano Grujic est un boulanger de la localité. Son fils et moi-même
19 étions camarades d'école, donc je connais cette famille. Brano Grujic,
20 quand la municipalité serbe a été créée, la municipalité serbe de Zvornik,
21 a été le premier président de cette municipalité serbe. Et dans certaines
22 conversations que j'ai eues avec certains de ces hommes, ils ont déclaré
23 qu'ils représentaient la direction de la municipalité serbe et que c'était
24 Brano Grujic qui les avait appelés pour les aider à régler la situation à
25 Zvornik.
26 Q. Après, quand vous avez observé l'arrivée de ces forces dont vous venez
27 de nous parler, pourriez-vous nous dire si à la radio il y avait des
28 messages qui étaient transmis en direction des habitants de votre village,
Page 12428
1 de Kozluk ?
2 R. Le secteur de Kozluk et toute la région environnante n'avaient ni sa
3 télévision ni ses journaux. Mais elle avait une station de radio qui était
4 émise à partir de Loznica. Et il y avait aussi une station de radio de
5 Zvornik. C'est la radio de Loznica en particulier. Dans cette période, les
6 hommes musulmans étaient appelés quotidiennement à remettre leurs armes, à
7 remettre leurs canons. Cette espèce de harcèlement, de propagande
8 médiatique de guerre était incessante à l'égard de ces hommes. La police ne
9 cessait de lancer des appels à remettre ses armes, et véritablement ces
10 deux stations de radio ont joué dans cette période un rôle tout à fait
11 répréhensible, pas joli du tout.
12 Parce qu'en tant que citoyens, nous étions contraints d'écouter ces
13 deux stations, nous n'avions pas notre télévision ni nos journaux, donc
14 ceci a laissé une impression très négative sur le citoyen moyen, sur
15 l'habitant moyen, parce qu'il était sans cesse question de guerre, de
16 remise d'armes, de remise de canons, de lance-roquettes multiples, des
17 Zolja, des choses dont nous n'avions même pas entendu parler jusqu'à ce
18 moment-là.
19 Q. Vous venez de nous parler de stations de radio, est-ce qu'elles ne
20 diffusaient qu'en direction de Kozluk ou est-ce qu'elles diffusaient
21 ailleurs aussi ?
22 R. Les ondes étaient diffusées à partir de Loznica, qui est une ville de
23 Serbie, et à partir de Zvornik qui se trouve en Bosnie-Herzégovine, mais
24 ces fréquences pouvaient être entendues dans divers endroits le long de la
25 Drina et ailleurs. Les fréquences étaient telles qu'on entendait très bien
26 ces stations à Kozluk, mais on les entendait aussi très bien dans une zone
27 plus vaste.
28 Q. Au vu de ce que vous observiez avec ces forces qui traversaient Kozluk,
Page 12429
1 avec ce que vous entendiez sur les ondes, pouvez-vous nous dire quelles
2 étaient vos inquiétudes ?
3 R. A ce moment-là, la guerre avait éclaté depuis longtemps en Croatie, et
4 nous étions sur une route très passante. Donc nous ne cessions de voir des
5 colonnes militaires ou autres qui arrivaient et qui repartaient. Nous avons
6 assisté aussi à ces agitations allant dans le sens de la guerre. Et il y
7 avait à cet endroit une population qui était multiethnique, nous nous
8 sommes à plusieurs reprises adressés à la population en appelant les gens à
9 ne pas écouter ces appels bellicistes, nous nous disions qu'après tout nous
10 étions sur une voie très passante, que tout cela allait passer. Nous avons
11 rédigé des tracts. Nous avons organisé plusieurs réunions auxquelles ont
12 assisté des Serbes, des Rom, des Musulmans de Bosnie, des représentants de
13 tous les groupes ethniques. Nous avons commencé à circuler dans les
14 localités environnantes pour nous efforcer tout simplement de rétablir
15 l'ordre dans notre maison, de façon à éviter que n'éclate ce qui avait déjà
16 commencé. Nous avons imprimé des tracts que nous distribuions au porte à
17 porte dans les maisons de Rom, dans les maisons des Serbes, des Croates, de
18 tous. Nous faisions appel au rétablissement de la paix et au respect des
19 bonnes relations entre voisins.
20 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourrais-je, s'il vous
21 plaît, avoir à l'écran la pièce 1085 de la liste 65 ter.
22 Q. Monsieur Banjanovic, c'est un document qui est aussi dans le dossier
23 bleu que vous avez juste sous vos yeux. Vous verrez, je pense, la pièce
24 1085. Il y a un onglet pour le repérer.
25 Nous attendons que la pièce s'affiche. J'aimerais savoir si vous étiez
26 membre d'un parti politique en mars, avril 1992 ?
27 R. J'ai toujours été membre du Parti social démocratique de Bosnie-
28 Herzégovine. A ce moment-là, j'étais déjà président de la communauté locale
Page 12430
1 de Kozluk. Et je collaborais à la perfection avec Malesici, Tabanci et
2 Skocic, c'est-à-dire toutes les communautés locales environnantes habitées
3 par une majorité de Serbes.
4 Nous nous entendions bien, nous étions tous contre la guerre, contre les
5 affrontements, et cetera. Il est exact que nous avons rédigé des documents
6 que j'ai ici, que nous avons distribués à plusieurs milliers d'exemplaires
7 en appelant à l'organisation d'une réunion à 18 heures, réunion qui a eu
8 lieu dans le centre de Kozluk et les gens sont venus.
9 Q. Cette brochure dont vous nous parlez, s'agit-il de la pièce qui est à
10 l'écran, la 1085 ?
11 R. Oui.
12 Q. Et la date est bien du 5 avril 1992 ?
13 R. Oui.
14 Q. Voyez-vous votre signature sur ce document ?
15 R. Je la vois ici. J'ai signé ce tract. Ce que j'ai sous les yeux est
16 assez peu lisible. Mais il est exact que je l'ai signé et ce que dit ce
17 document est exact, nous avons effectivement tenu une réunion publique sur
18 la place centrale de Kozluk le soir.
19 Q. Quand s'est tenue cette réunion; est-ce que vous vous en
20 souvenez ?
21 R. Nous avons tenu pas mal de ces réunions publiques, de ces meetings, et
22 nous avons distribué des tracts à plusieurs reprises. Je crois que le 5, le
23 meeting que nous avons organisé était plus important que les autres, parce
24 qu'il regroupait les communautés locales de Kozluk, Tabanci, Skocic, et
25 cetera. Et nous avions déjà dit à plusieurs reprises qu'il ne fallait pas
26 répondre aux provocations, ne pas tirer, ne pas jouer le jeu de ceux qui
27 étaient les auteurs de provocations, et qu'il fallait continuer à maintenir
28 les liens entre les communautés locales, continuer à se fréquenter, à
Page 12431
1 discuter les uns avec les autres, et cetera. Ces meetings et ces
2 distributions de tracts nous ont tous beaucoup aidés en nous empêchant de
3 faire une quelconque bêtise.
4 Mme BIERSAY : [interprétation] A ce stade, l'Accusation demande le
5 versement au dossier de la pièce 65 ter numéro 1085, s'il vous plaît.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. On va donner un numéro.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, ce sera le
8 numéro P662.
9 Mme BIERSAY : [interprétation]
10 Q. Vous avez décrit aux Juges de la Chambre le rôle joué par Ratko [comme
11 interprété] Grujic. Connaissez-vous quelqu'un qui répond au nom de Jovo
12 Mijatovic ?
13 R. M. Brano Grujic, je vous ai déjà dit que c'était un citoyen de la
14 municipalité de Zvornik. C'était un boulanger. Il avait des fils qui
15 étaient très bien. Son fils, l'un des fils allait avec moi à l'école, et
16 lors de la création de cette municipalité serbe, il a été président, maire
17 de cette municipalité. Je n'ai pas eu de contact avec lui en personne, on
18 s'est peut-être rencontrés quelques fois.
19 Jovo Mijatovic était un ingénieur qui travaillait à l'usine de
20 Glinica, et il était aussi député. C'est également un homme que j'ai vu à
21 plusieurs reprises. Mais ce sont des gens que je n'ai pas grandement
22 contactés, non.
23 Q. Et Marko Pavlovic ?
24 R. Marko Pavlovic c'est l'un des commandants de la Défense territoriale
25 serbe sur le territoire de Zvornik. Il s'agit d'une personne, d'un homme
26 venu de Serbie. Ce n'est pas son vrai nom d'ailleurs. C'est quelqu'un qui a
27 été accusé à Belgrade et il faisait partie du groupe à Zvornik. Je l'ai
28 reconnu, je l'ai identifié. Il se présentait comme étant commandant de la
Page 12432
1 Défense territoriale serbe, et souvent il avait organisé des exercices à
2 Kozluk avec des intimidations, des prises de personnes de chez elles, et
3 cetera.
4 Q. Vous nous avez parlé de forces et de certains individus venus de Serbie
5 à Kozluk. Quelle distance y a-t-il entre la Serbie et Kozluk ?
6 R. Tout d'abord, je dirais que les citoyens de Kozluk ont toujours été
7 attachés au territoire de la Serbie, parce qu'on intervenait à Loznica, à
8 Sabac, on portait nos produits agricoles à Banja Koviljica, Loznica, et
9 cetera. Donc Loznica, Banja Koviljica, il y a que la rivière Drina entre
10 eux et ces localités et nous-mêmes.Au début, nous n'étions pas au courant
11 du fait que le dénommé Subotic soit venu d'abord. Il s'était présenté comme
12 étant le commandant des forces serbes à Kozluk. Ensuite il est venu un
13 dénommé Vojin Pazin -- non, Pazin Zoran, Zoran Pazin, puis un troisième
14 commandant, Marko Pavlovic. Ces trois hommes on ne les connaissait pas,
15 nous autres. Subotic et Pazin et notamment Marko Pavlovic, ces trois-là,
16 sont venus très rapidement l'un après l'autre et ils se présentaient comme
17 étant des commandants de la Défense territoriale, et faisaient partie de la
18 Défense territoriale tous les citoyens du groupe ethnique serbe répartis
19 dans les communautés locales, à savoir dans les différents hameaux.
20 Q. Vous souvenez-vous de la date de la prise de contrôle de Zvornik ?
21 R. Je voulais juste dire encore que nous, citoyens de Kozluk, Serbes,
22 Croates, Bosniens, et Rom, avons eu l'occasion de connaître un dénommé
23 Zuca, qui se disait être à la tête des hommes à Arkan. Puis un autre,
24 Pejic, un commandant qui se disait être chef des hommes à Arkan. Nous avons
25 rencontré également des chefs d'unité Pivarski, Niski. Le commandant Dragan
26 venait souvent avec ses militaires à Kozluk. Ce qui fait que nous, à
27 Kozluk, on a eu l'occasion de rencontrer six ou sept commandants de ces
28 militaires paramilitaires, hommes à Arkan, Bérets rouges, hommes à Zuca,
Page 12433
1 Défense territoriale serbe.
2 Je ne sais pas exactement quand, mais au mois d'avril à peu près
3 toutes ces forces avaient pris Zvornik. Les Serbes disent qu'ils ont
4 libéré, mais nous on dit, ils ont pris. Ils étaient venus de Nis,
5 Kragujevac, Loznica, et de toutes ces localités. Les hommes à Arkan se sont
6 emparés de Zvornik.
7 Q. Lorsque vous dites "Zvornik," voulez-vous parler de la ville ou de la
8 municipalité ?
9 R. Ils ont pris le contrôle de la municipalité tout entière. Ils n'ont
10 fait qu'entrer dans la ville. Pour ce qui est de Kozluk, nous, nous étions
11 des citoyens loyaux, on a restitué toutes les armes. Nous ne pouvions pas
12 sortir. On avait des réunions avec la participation du dénommé Grujic, puis
13 Dragan Spasojevic venait aussi, puis Marko Pavlovic aussi, M. Pejic. Nous
14 avions des réunions avec des responsables religieux, M. Kacavenda, le
15 prêtre orthodoxe. Muhamed Efendi Lugovic, le responsable de la communauté
16 islamique. Et nous, à Kozluk, on avait vécu d'une vie pausée puisqu'on a
17 rendu toutes les armes.
18 Mme BIERSAY : [interprétation] Je demande l'affichage du document 65 ter
19 1142, s'il vous plaît. C'est un document dont nous avons une copie papier
20 également et qui porte le numéro "1142," également. Oui. Est-ce que nous
21 pouvons agrandir, s'il vous plaît, la version en B/C/S. Le titre.
22 Q. Reconnaissez-vous ce document ?
23 R. Oui.
24 Q. Votre signature apparaît-elle sur ce document ?
25 R. Oui. Le premier commandant de la Défense territoriale, Subotic, qui est
26 venu dans Kozluk. Au bout d'un certain temps, il y a eu le dénommé Zoran
27 Pazin à venir. Il était accompagné de gardes de corps et il s'est présenté
28 comme étant désormais le commandant de la Défense territoriale. Tout
Page 12434
1 d'abord, il nous a donné l'ordre de restituer toutes les armes, les armes
2 de chasse, les pistolets, et tout ce qu'on avait, tout qui vient de la
3 terre. Donc le 16 avril, nous avons mis en place une commission que je
4 présidais avec quatre autres personnes qui avaient apporté toutes ces armes
5 et les avaient remises à M. Zoran Pazin, qui se trouvait être commandant de
6 ces Défenses territoriales serbes. Nous avons reçu des bordereaux de
7 réception pour ce qui est desdites armes.
8 Q. Pour les besoins du compte rendu, votre signature se trouve à la page 4
9 de cette version en B/C/S; est-ce exact ?
10 R. Oui.
11 Mme BIERSAY : [interprétation] A ce stade, l'Accusation demande le
12 versement au dossier du document 65 ter 1142.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Une question, Monsieur. Je vois ce document où 87
14 citoyens de Kozluk reçoivent des armes de guerre, quasiment, avec
15 munitions. On a même, de manière exacte, le nombre de munitions. Alors, il
16 y avait combien de Musulmans à Kozluk ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'excuse, mais si vous le permettez,
18 Monsieur le Juge, je voudrais dire que c'est une liste de citoyens, de nous
19 autres, qui avons remis nos armes au commandant de la Défense territoriale
20 serbe. Il était venu et nous a dit que le commandant précédent a été
21 destitué de ses fonctions et que c'était lui le commandant, désormais. Il a
22 fait venir un camion rempli de militaires et il a demandé à ce qu'on rende
23 toutes les armes qu'on avait, donc les pistolets et les fusils de chasse,
24 et on a tout de suite fait cela. Nous avons créé une commission de cinq
25 personnes, et j'ai demandé à ces gens de restituer leurs armes, et même les
26 Serbes ont restitué leurs armes. On voit 81, Polic Nikola, par exemple.
27 M. LE JUGE ANTONETTI : Ce que je voulais savoir, dans votre localité, il y
28 avait combien d'hommes, combien d'habitants ?
Page 12435
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12436
1 LE TÉMOIN : [interprétation] Environ 3 500 habitants dans Kozluk. Mais ça,
2 c'était les chasseurs seulement, et les chasseurs, eux, ont restitué leurs
3 armes. Les chasseurs étaient les seuls à avoir des armes, les autres n'en
4 avaient pas. Ce sont des armes de -- enfin, à caractère sportif.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Sur les 3 000, il y avait plus de 80 personnes qui
6 avaient donc des armes, et c'étaient des chasseurs. Vous chassiez quoi au
7 juste ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Les renards, les lapins, les faisans. Enfin,
9 la région est assez riche en gibier. Il y avait aussi des sangliers, et
10 nous avions des armes de chasse. Nous avons aussi des armes de chasse à
11 canon long, et les armes étaient enregistrées, consignées par le poste de
12 police de Zvornik, et j'ai pu donc --
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Le 33 sur la liste, M. Nijaz Memisevic, chassait les
14 renards avec un Zastava 7.62-millimètres. Donc il chasse le renard avec un
15 pistolet, lui ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Memisevic Nijaz, au 33, c'est un chasseur qui
17 adore chasser. Il a une carabine, un fusil de chasse à deux canons. Et je
18 vous ai dit que dans la région de Kozluk, il y a des terrains de chasse
19 avec des sangliers aussi, et on les chasse avec des carabines. Ensuite,
20 certaines personnes avaient aussi des pistolets avec un permis de port
21 d'armes. Et tout ce qui a été restitué était consigné par les policiers du
22 poste de police de Zvornik.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Regardez le 21. Lui, il a une arme italienne, un
24 Beretta, très connu, 7.65. Il chasse le renard aussi ? Le 21.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Ici, il s'agit de pistolets, Monsieur le Juge.
26 Ces gens avaient des pistolets, des fusils, ils avaient tous les permis de
27 port d'armes délivrés par le poste de police de Zvornik. Et lorsqu'ils ont
28 remis ces armes, ils ont remis leurs munitions et ils ont remis également
Page 12437
1 leurs permis de port d'armes.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Bon. Donc tout le monde a remis armes et munitions.
3 Très bien.
4 Alors on va donner un numéro pour [inaudible]
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Et les permis de port d'armes.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, on va donner un numéro.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, ce sera le
8 numéro P663. Merci, Madame, Messieurs les Juges.
9 Mme BIERSAY : [interprétation]
10 Q. Après la remise de toutes ces armes que vous venez de décrire, est-ce
11 que la situation à Kozluk s'est aggravée davantage ?
12 R. Nous avons répondu à cet appel du commandant serbe, M. Pazin, et nous
13 avons restitué toutes nos armes, les munitions et les permis de port
14 d'armes. Il y avait rien de contestable, parce que c'étaient des armes qui
15 étaient déjà enregistrées, consignées par le poste de police de Zvornik. Et
16 pendant tout ce temps-là, nous étions dans une espèce d'encerclement, sans
17 médicaments, sans vivres. Nous ne pouvions pas sortir. Et désormais, nous
18 n'avions pas un seul pistolet dans le village.
19 Ce qui fait qu'à plusieurs reprises, lors des réunions avec M. Grujic
20 et avec ses officiers militaires, on a réclamé l'autorisation pour les gens
21 de sortir pour aller se faire soigner et chercher des vivres, parce qu'on
22 ne pouvait pas sortir de Kozluk compte tenu des postes de contrôle et des
23 militaires qui étaient tout au tour. La situation était plutôt difficile,
24 parce que les vivres et les médicaments ne pouvaient pas entrer, nous, on
25 ne pouvait pas sortir. Et j'ai demandé à ce que nous fassions des réunions
26 pour qu'une solution soit trouvée.
27 Nous avons été tout à fait loyaux, nous nous sommes comportés de façon tout
28 à fait légale, nous avons restitué nos armes.
Page 12438
1 Q. Où teniez-vous vos réunions lorsque vous évoquiez la possibilité
2 d'obtenir de la nourriture ainsi que d'autres éléments essentiels ?
3 R. Nous avons tenu deux réunions chez les sapeurs-pompiers, et l'autre
4 réunion, elle, elle a eu lieu dans la rue, parce que toute la population
5 s'était rassemblée. M. Vasilije Kacevenda, M. Vindija était venu, M. Brano
6 Grujic, Dragan Spasojevic. Ces gens étaient tous venus, parce que nous
7 voulions que tout un chacun se rende compte de la difficulté de la
8 situation, qu'on était cloîtrés, et qu'il n'y avait pas de livraison de
9 médicaments et de vivres.
10 Q. Etes-vous allé à Zvornik pour ce genre de réunion, pour essayer de
11 résoudre ces problèmes ?
12 R. Moi, je ne pouvais aller nulle part, je faisais partie de la
13 population. Je me fâchais quelque peu, parce qu'à chaque fois que je posais
14 des questions, je me rendais compte que ces gens-là n'étaient pas à même de
15 décider de quoi que ce soit. Alors je me suis adressé à M. Grujic, et je
16 lui ai dit : "Mais conduis-moi chez votre chef." Et il l'a fait.
17 Après cette réunion, il y a eu pas mal de gens de présents, on est allés à
18 Alhos, c'est une usine à Karakaj. Et d'après eux, c'était là leur chef,
19 leur numéro un, c'est là qu'il se trouvait. Et c'est dans cette enceinte
20 que j'ai vu pas mal de jeunes inconnus, bien armés, cheveux coupés courts.
21 Et nous sommes entrés dans une pièce où il y avait un homme petit de taille
22 et maigre. On a fait connaissance, et il a dit qu'il s'appelait Pejic et
23 que c'était lui le représentant principal des effectifs à Arkan et qu'il
24 était le chef des autorités civiles et militaires.
25 D'après la façon dont les autres se comportaient, j'ai vu que c'était
26 lui le chef, parce qu'il donnait des ordres. Il ne parlait pas, il
27 engueulait. Il ne respectait ni M. Kacavenda ni Muhamed Efendi. Et j'ai vu
28 d'après son comportement et son attitude, que c'était lui qui était le
Page 12439
1 "boss."
2 Q. Est-ce qu'il est revenu avec vous à Kozluk pour voir la situation de
3 ses propres yeux ?
4 R. J'ai été bien reçu, je lui ai dit qu'on avait restitué nos armes de
5 façon réglementaire, j'ai dit qu'il y avait pas mal de malades, qu'on était
6 encerclés, qu'on ne pouvait pas sortir de Kozluk. Alors je lui ai dit :
7 "C'est pas possible," je lui ai dit : "Mais attendez, venez voir, rendez-
8 vous compte par vous-même."
9 Q. Et c'est ce qu'il a fait ?
10 R. Oui. Il m'a demandé : "Qui est-ce qui me garantirait ma sécurité ?"
11 J'ai dit : "Mais personne, je vais vous accompagner." Et quand on a quitté
12 Karakaj, il s'est fait escorter par une dizaine de soldats à l'entrée de
13 Kozluk, ils sont restés derrière. Et moi-même, le dénommé Pejic, le
14 commandant, et Brano Grujic, on est entrés parmi la population. Et chemin
15 faisant, il est arrêté à la barricade, au poste de contrôle, et il a
16 insulté les soldats parce qu'ils n'étaient pas propres, pas
17 réglementairement habillés. Il a même frappé un homme, et là je me suis
18 rendu compte qu'il avait vraiment de l'autorité.
19 Il y avait pas mal de gens qui étaient malades, qui n'avaient pas pu
20 se procurer des médicaments. Or, il s'est tourné vers Grujic et il lui a
21 dit : "Grujic, tu es le maire ici. Tu es le responsable de ces gens. Je
22 veux que tout de suite des médicaments soient livrés, des vivres aussi, que
23 des médecins viennent, des services sanitaires se déplacent." Je croyais
24 qu'il plaisantait. Alors il a fait demi-tour et il est parti. Nous autres,
25 on est restés. Le lendemain à 8 heures, il est arrivé un camion plein de
26 vivres, de médicaments, et il y a eu une équipe sanitaire, des médecins qui
27 sont venus, et on a commencé à se comporter autrement. On n'osait plus
28 tirer en passant par Kozluk pour nous intimider. Il est venu une police
Page 12440
1 militaire, des blindés de transport de troupes, enfin une espèce de
2 protection.
3 Q. M. Pejic, l'homme que vous venez de nous décrire, a-t-il été remplacé
4 par la suite par quelqu'un d'autre ?
5 R. J'ai rencontré trois fois le dénommé Pejic, deux fois à Karakaj, au
6 siège, et une fois à Kozluk. Il se disait être l'émissaire à Arkan. C'était
7 lui le numéro un. Ensuite, à sa place, il est arrivé un dénommé Zuco. C'est
8 un surnom. Il venait souvent à Kozluk à bord d'une jeep où il y avait une
9 mitrailleuse dessus. Il portait un uniforme militaire. Il allait d'un champ
10 de bataille à l'autre. Il était plutôt en guenilles. Il y avait à ses côtés
11 des hommes qui portaient des gants. Ça n'avait pas l'apparence du dénommé
12 Pejic. Il est venu à plusieurs reprises en compagnie de Marko Pavlovic.
13 Marko Pavlovic se présentait comme étant le commandant de la Défense
14 territoriale serbe, et l'autre se disait être commandant de tous.
15 Q. Vous souvenez-vous à quel moment Pejic a été remplacé par cette
16 personne dont vous venez de nous parler, environ ?
17 R. Je pense que c'est au mois de mai, quoique Pejic, une fois en passant,
18 s'était arrêté à Kozluk à bord de son véhicule. Il avait demandé à me voir.
19 Il m'a demandé comment ça allait. Je disais que c'était plutôt pénible
20 comme situation. Je pense que c'était au mois de mai.
21 Q. Je souhaite maintenant vous demander de vous reporter à la première
22 moitié du mois de juin 1992. Pourriez-vous nous décrire la situation à
23 Kozluk à ce moment-là ?
24 R. J'ai déjà dit qu'à Kozluk il y avait eu une dizaine de commandants.
25 Chacun avait sa propre unité. Je vais vous répéter, il y a eu Pazin, Marko
26 Pavlovic de la Défense territoriale serbe, puis il y a eu les hommes à
27 Arkan, Pejic et Zuco. Puis il y a eu Pivarski et Niski, puis il y a eu les
28 Guêpes jaunes. Il y a eu le capitaine Dragan, qui est passé plusieurs fois
Page 12441
1 avec ses militaires dans Kozluk avec ses bérets rouges en intimidant la
2 population.
3 Au mois de juin, les champs de bataille n'étaient pas loin de Kozluk,
4 Teocak-Sapna-Kalesija, ce n'était pas loin. On entendait les explosions,
5 les tirs dans les combats. Kozluk, c'était un lieu de transit. On voyait
6 tout le temps des déplacements de militaires, d'unités. On s'est rendu
7 compte de la détérioration de la situation. Sur les sites de combat, il y a
8 eu de plus en plus d'unités à aller, et ils venaient à Kozluk pour piller
9 les voitures, pour voler des vivres, et ils voulaient prendre des filles
10 musulmanes pour travailler dans des cuisines, à Sepac, par exemple. La
11 situation se détériorait. J'avais le sentiment que plus personne ne
12 contrôlait véritablement la situation.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, pour y voir clair.
14 Vous dites qu'il y avait une "zone de combat." Alors pouvez-vous nous dire
15 quels étaient les combattants, qui contre qui ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Kozluk, ça se trouve sur le rive même de la
17 Drina, et à Kozluk et autour de Kozluk, il y a eu la Défense territoriale
18 serbe de stationnée, ainsi que ces unités paramilitaires que commandait M.
19 Pejic, à savoir M. Zuco, puis les commandants que j'ai déjà évoqués. Ils
20 traversaient Kozluk et ils allaient plus en profondeur du territoire vers
21 Teocac, Sapna, Tuzla, et c'est là que les combats se déroulaient. On n'a
22 pu, nous autres, que voir le passage de ces hommes, de ces unités, le
23 transit de ces armements, et on a remarqué qu'au retour des champs de
24 bataille, il y avait un grand nombre de blindés de transport de troupes et
25 de militaires. On n'a pas pu voir les combats --
26 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous faites une très longue réponse et vous ne
27 répondez pas à ma question. Je voulais savoir qui se battait contre qui.
28 Alors, d'un côté, j'ai compris qu'il y avait la Défense territoriale serbe
Page 12442
1 avec des unités paramilitaires, très bien. Mais ils se battaient contre
2 qui, eux ?
3 LE TÉMOIN : [interprétation] De l'autre côté, il y avait l'ABiH.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Ils se battaient contre l'ABiH. Très bien.
5 Bon. Là, on comprend mieux la situation.
6 Bien, Madame Biersay, continuez. Il nous reste cinq minutes avant la pause.
7 Mme BIERSAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
8 Q. Avant de passer au sujet suivant, je souhaitais préciser quelque chose
9 que vous avez évoqué un peu plus tôt.
10 Vous avez parlé du premier commandant de la Défense territoriale,
11 Subotic. Connaissez-vous le prénom de ce dénommé Subotic que vous avez
12 évoqué un peu plus tôt ?
13 R. Ça changeait tout le temps.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Le bureau du Procureur a recueilli
15 la déclaration de Zoran Subotic, et j'exige que cette déclaration soit
16 communiquée à moi-même et aux autres, parce qu'on ne me l'a pas communiquée
17 avec les documents qui accompagnent ce
18 témoin-ci.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Est-ce que la déclaration de Zoran Subotic a
20 été recueillie, et pourquoi n'a-t-elle pas été communiquée à M. Seselj ?
21 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Président, je ne sais pas si
22 nous l'avons. Je vais vérifier. A savoir si ceci a été communiqué à M.
23 Seselj ou non, je dois vérifier cela également. A savoir si nous devons
24 communiquer la déposition de ce témoin-là dans le cadre de la procédure
25 d'aujourd'hui, je ne sais pas si c'est pertinent eu égard à ce témoin-ci,
26 mais nous reviendrons certainement vers vous pour vous le dire.
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, le bureau du Procureur
28 m'a communiqué cette déclaration il y a plusieurs années déjà. J'en ai pris
Page 12443
1 lecture. Cette déclaration existe. C'est tout à fait certain. La
2 déclaration de M. Banjanovic est la seule déclaration où l'on mentionne le
3 nom de Zoran Subotic, et je pense que c'est une bonne opportunité pour que
4 le bureau du Procureur
5 recommunique [phon] la pièce aux Juges de la Chambre et à moi-même tous les
6 documents qui ont à voir avec le témoignage de M. Banjanovic. Parce que
7 quand on se penche sur ce qui y est dit, on peut voir que Zoran Subotic
8 avait été mobilisé en tant que conscrit de la JNA, et il l'a dit dans sa
9 déclaration. Il était commandant de la Défense territoriale de Zvornik
10 pendant une semaine à dix jours. M. Banjanovic doit le savoir mieux que
11 moi-même, mais on peut le voir, tout cela, dans la déclaration de Zoran
12 Subotic. Zoran Subotic était membre du Parti radical serbe, était député au
13 parlement de Serbie. M. Banjanovic le sait également. Mais voyons donc
14 cette déclaration de Zoran Subotic pour comprendre comment se fait-il qu'il
15 soit venu là.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Il serait peut-être souhaitable, Madame Biersay, que
17 cette déclaration Subotic soit connue, parce que M. le Député nous dit que
18 Subotic a, pendant quelque temps, été commandant de la Défense
19 territoriale, et de ce fait donc ça ne peut être que pertinent.
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Savez-vous pourquoi, Monsieur le Président ?
21 Subotic était commandant de la Défense territoriale avant la chute de Kula
22 Grad, donc avant le 26 avril, et les événements dont est venu témoigner M.
23 Banjanovic et dont il doit commencer à témoigner, ça se passe à partir du
24 26 juin et au-delà. Donc il y a deux ou trois mois d'écart.
25 Mme BIERSAY : [interprétation] Puis-je demander une précision des Juges de
26 la Chambre ? Eu égard à cette déclaration, est-ce que vous souhaitez avoir
27 un exemplaire de cette déclaration ? Comme l'a précisé M. Seselj, il
28 dispose déjà d'une version de cette déclaration.
Page 12444
1 M. LE JUGE ANTONETTI : -- collègues s'ils la veulent ou pas.
2 [La Chambre de première instance se concerte]
3 M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre, en l'état, ne voit pas la nécessité
4 d'avoir cela.
5 Bien. Continuez.
6 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Président, je suis sur le point
7 de passer à un autre sujet. Je ne sais pas si vous souhaitez faire la pause
8 maintenant.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, le mieux c'est de faire la pause maintenant.
10 Donc on va faire 20 minutes de pause maintenant.
11 --- L'audience est suspendue à 15 heures 45.
12 --- L'audience est reprise à 16 heures 08.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise.
14 Madame Biersay, vous avez utilisé déjà 40 minutes.
15 Mme BIERSAY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
16 Q. J'aimerais maintenant que nous parlions du 26 juin 1992. Ce jour-là
17 vous a-t-on demandé de venir à une réunion ?
18 R. Oui.
19 Q. Qui vous a invité à cette réunion ?
20 R. C'est un habitant de Kozluk, qui avait reçu un message stipulant que je
21 devais me faire connaître immédiatement au poste de police de Kozluk, où
22 des gens de la municipalité m'attendaient, c'est ce qu'on lui a dit, qui
23 m'a transmis ce message. Il était environ 7 heures 40 ou 8 heures. Je suis
24 allé au poste de police immédiatement. Je me suis fait connaître au poste,
25 et j'ai rencontré, j'ai vu là-bas Brano Grujic qui était assis au poste de
26 police. Il présidait la municipalité serbe de Zvornik.
27 Q. Sept heures ou 8 heures du matin ou du soir ?
28 R. Il y avait aussi Jovo Mijatovic avec lui, et c'était le matin.
Page 12445
1 Q. Lorsque vous avez rencontré ces deux personnes, Vujic et Pavlovic --
2 non, Mijatovic, que vous ont-ils dit ?
3 R. Quand je me dirigeais vers le poste de police, j'ai vu un grand nombre
4 de camions et d'autobus. Je ne savais pas pourquoi ils étaient là. Quand je
5 suis arrivé au poste de police, nous nous sommes salués, et Brano Grujic
6 m'a dit que je devais immédiatement appeler la population, qu'il fallait
7 que nous nous rassemblions immédiatement devant la maison de la culture,
8 que nous aurions quelque chose à signer et que dans ce document nous
9 disions que nous allions immédiatement quitter Kozluk. J'ai dit : "Mais
10 pourquoi ? Il m'a répondu : "Ne me pose pas trop de questions. La décision
11 est telle et il faut quelle soit immédiatement appliquée."
12 J'ai essayé de poursuivre le contact, j'ai dit que nous avions remis les
13 armes, que nous n'avions pas participé au combat, que nous n'avions rien
14 fait. Il m'a répliqué simplement qu'il ne contrôlait plus la situation,
15 qu'il y avait des unités qui menaçaient de venir tous nous abattre. Je lui
16 ai demandé de nous accorder quand même un peu de temps pour que nous ayons
17 le temps de préparer nos affaires et il a répondu que la décision avait été
18 prise, que selon cette décision, nous n'avions pas le droit d'emporter quoi
19 que ce soit, que la seule chose que nous avions à faire c'était de nous
20 rassembler devant la maison de la culture, signer les documents et qu'on
21 allait nous faire monter à bord des autobus et nous emmener ailleurs.
22 Et Mijatovic m'a dit que la situation était assez grave et qu'il n'avait
23 plus le contrôle sur les unités paramilitaires, qu'il craignait en fait que
24 ces unités pénètrent dans Kozluk un jour et y mettent le feu et nous
25 abattent tous.
26 Donc j'ai pris le chemin du centre de Kozluk, j'ai parlé aux miens et
27 j'ai dit qu'il fallait qu'ils se préparent. Dès ma sortie du poste de
28 police, j'ai vu une dizaine d'autobus, quelques camions, un grand nombre de
Page 12446
1 véhicules militaires, des soldats, des policiers. J'ai senti que nos
2 dernières heures étaient en train de s'écouler et qu'il fallait que nous
3 partions.
4 Q. [aucune interprétation]
5 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Je ne suis pas très certain d'avoir
6 bien compris qui était censé venir rendre compte au centre communal pour
7 être emmené. Pourriez-vous le clarifier, s'il vous plaît ?
8 Mme BIERSAY : [interprétation]
9 Q. Bien. A ce moment-là, pouvez-vous nous dire qui il restait à Kozluk ?
10 R. A Kozluk se trouvaient les Musulmans de Bosnie, une partie de la
11 population Rom et une petite partie de la population serbe. On m'a dit
12 clairement que c'était les Musulmans qui devaient immédiatement faire leurs
13 paquets et se rassembler dans la cour de ce centre et qu'ils seraient
14 emmenés à bord de camions ou d'autobus. Mais on ne m'a pas dit où, et à ce
15 moment-là je n'osais même plus poser la question, car le nombre d'hommes en
16 armes était si important que moi, y compris, j'avais vraiment très peur et
17 que la situation m'apparaissait comme très sérieuse. Donc quand je suis
18 rentré, j'ai dit à tous les gens qui se trouvaient là, que nous, les
19 Musulmans, nous devions dans quelques heures nous rassembler devant la
20 maison de la culture sans rien emporter, que c'était ça le contenu de
21 l'ordre et que nous allions être transférés ailleurs. Et moi-même,
22 accompagné de ma mère et de ma famille, j'ai pris le chemin de la maison de
23 la culture.
24 Q. Les gens de Kozluk qui devaient partir sont-ils rentrés en ville sans
25 escorte ou est-ce qu'il y avait une escorte qui les accompagnait ?
26 R. Je ne comprends pas la question.
27 Q. Vous nous avez dit que vous avez vu des individus armés qui étaient aux
28 alentours de Kozluk et dans Kozluk; c'est bien cela ?
Page 12447
1 R. Oui.
2 Q. Lorsque vous êtes entré pour relater cet ultimatum qui avait été fait
3 aux Bosniens, pour les avertir. Pouvez-vous nous dire comment ils se sont
4 rassemblés et comment ils ont procédé pour aller de là où ils étaient
5 jusqu'au centre ?
6 R. Je disposais d'un mégaphone, et j'ai prié un jeune homme qui se
7 trouvait là de l'utiliser pour annoncer que nous devions nous regrouper
8 tous devant la maison de la culture dans quelques heures, et que nous
9 serions transférés ailleurs, et que nous n'avions pas le droit d'emporter
10 quoi que ce soit. Des hommes en armes étaient debout devant pratiquement
11 toutes les maisons, ils portaient des uniformes divers, et dans le centre
12 de Kozluk se trouvaient un certain nombre de véhicules, des blindés de
13 transport de troupes et des chars. A Kozluk, ce matin-là, étaient
14 rassemblés des forces importantes de la Défense territoriale serbe ainsi
15 que des unités paramilitaires, des Guêpes jaunes, des hommes d'Arkan, et
16 tous les autres.
17 A son arrivée devant la maison de la culture, Hadzic Galib s'est fait
18 tirer dessus. Une maison a immédiatement été incendiée alors que nous
19 n'étions pas encore sortis de la localité. Ce qui pour moi a été le plus
20 dur, c'est que nos mères, nos sœurs ont été fouillées par ces hommes d'une
21 façon particulièrement violente et humiliante, comme si elles avaient de
22 l'argent dans leurs soutiens-gorge. Ça, je l'ai vécu de façon très pénible.
23 Ils ont commencé à nous insulter.
24 Et au fur et à mesure qu'on se présentait, on emplissait les camions
25 et les autobus de gens de notre groupe. Il y avait aussi des camions qui
26 avaient des remorques.
27 Q. Une minute, j'aimerais que vous n'alliez pas si vite. Vous nous avez
28 parlé de Galib Hadzic, et vous nous avez dit qu'on lui a tiré dessus. A-t-
Page 12448
1 il été blessé ?
2 R. Oui, il a été bien blessé à la jambe. Nous lui avons mis un pansement,
3 nous l'avons fait entrer dans le camion, et ce Galib Hadzic vit à Vienne
4 aujourd'hui avec sa famille. Mais il a des conséquences permanentes de
5 cette blessure à la jambe. Et ils lui ont tiré dessus uniquement parce
6 qu'il était Musulman. Ils ont exercé une pression énorme sur nos mères, sur
7 nos sœurs.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, un petit détail que vous donnez
9 qui me fait penser à quelque chose. On voit très bien la scène telle que
10 vous nous l'avez décrite longuement, mais il y a un détail qui appelle mon
11 attention et qui doit appeler l'attention de tout le monde.
12 Vous dites qu'il y avait des tanks. Bon, s'il y a des tanks, c'est qu'il y
13 a l'armée, la JNA, qui est là. Ou bien les unités paramilitaires avaient
14 des tanks et la Défense territoriale serbe avait des tanks, ou bien ces
15 tanks témoignent de la présence de la JNA. Qu'est-ce que vous pouvez nous
16 dire pour nous éclairer ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Jusqu'à ce matin-là, les blindés de transport
18 de troupes et les blindés de l'armée en général ne faisaient que passer par
19 Kozluk, mais ils ne s'arrêtaient pas longtemps. Mais ce matin-là, à Kozluk,
20 il y avait des blindés de transport de troupes, il y avait aussi des jeeps
21 porteurs d'armes et des chars, et il y avait aussi les membres de la
22 Défense territoriale serbe, il y avait des soldats en uniforme, il y avait
23 des policiers, il y avait aussi des unités paramilitaires. Il y avait donc
24 une forte concentration d'unités paramilitaires et militaires à Kozluk ce
25 matin-là, car ils s'étaient vu confier la mission de réaliser la
26 déportation de près de 2 000 Musulmans de Bosnie. Qu'est-ce qui appartenait
27 à qui, croyez-moi, je ne le sais pas. Mais en tout cas, je peux vous
28 affirmer qu'il y avait là les paramilitaires, les policiers, les
Page 12449
1 militaires, et pas mal de gens qui avaient déjà commencé à se défouler en
2 mettant le feu aux maisons, parce que finalement ils ont tiré sur un homme
3 qui avançait tranquillement au milieu d'une colonne, et cetera.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous dites qu'il y avait une déportation de 2 000
5 Musulmans. Ce qui veut dire que c'était une opération d'envergure, mais
6 peut-on en tirer la conclusion que cette opération était sous le contrôle
7 de la JNA ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, je ne sais pas sous le
9 contrôle de qui ils étaient. Mais nous, nous étions loyaux, nous avions
10 remis toutes nos armes, nous étions tranquilles. On nous avait promis de
11 l'aide.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, ma question n'est pas là. Je
13 n'ai pas à savoir si vous étiez loyal ou pas. Vous, vous étiez présent,
14 donc mieux que quiconque, vous êtes à même de nous dire si, d'après vous,
15 cette opération était contrôlée vu les moyens déployés, et moi, ma question
16 : est-ce qu'on peut en tirer la conclusion que c'était sous le contrôle de
17 la JNA ou pas ? Il n'y a que vous qui pouvez répondre.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Il est exact que ce jour-là j'étais à Kozluk,
19 il est exact aussi qu'il y avait là des soldats, des unités militaires, des
20 blindés transport de troupes, des policiers, des forces armées. Et il est
21 certain que cette opération était coordonnée, car tout de même il était
22 question de 2 000 personnes à transporter. Il y avait là des chars et des
23 soldats, donc il est certain qu'il y avait de la coordination et du
24 contrôle. Pourquoi est-ce qu'ils seraient trouvés à Kozluk, sinon pour cela
25 ? Les canons dans le centre de Kozluk visaient les maisons des Musulmans de
26 Bosnie dans le centre du bourg, il y avait partout des soldats et des
27 paramilitaires. Donc j'affirme qu'il y avait certainement une coordination
28 entre les structures paramilitaires, militaires et civiles.
Page 12450
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12451
1 Mais M. Grujic n'a fait que me transmettre l'annonce. Il m'a dit que
2 l'ordre qu'il avait reçu lui intimait de nous transmettre le message. Mais
3 qui est-ce qui était plus haut, ça je ne sais pas.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Là, vous avez très bien répondu.
5 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] J'aimerais juste poser une question
6 de suivi suite à la question du Président de la Chambre. Vous venez de nous
7 dire il y a une minute que M. Grujic vous avait dit que tous les Musulmans
8 devaient quitter Kozluk, et qu'ils devaient quitter Kozluk parce que -- je
9 crois, si je vous cite bien, je crois qu'il a dit que plus personne ne
10 contrôlait les paramilitaires, et c'est pour ça qu'ils vous ont demandé de
11 partir. Ce qui ne correspond pas du tout avec le fait que la JNA était
12 présente, la JNA qui était sans doute mieux armée que les paramilitaires ?
13 Etes-vous en train de nous dire que M. Grujic essayait de faire porter la
14 faute aux volontaires ? Enfin, pouvez-vous nous expliquer cela ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Grujic m'a dit, je cite : "La situation est
16 complexe." Il m'a dit qu'il ne pouvait plus exercer une maîtrise sur ces
17 unités paramilitaires, et que tout simplement quelqu'un pouvait pénétrer
18 dans Kozluk pour nous abattre. J'ai répondu : "Mais il y a des policiers
19 là, pourquoi est-ce qu'on nous abattrait ?" Nous avons restitué nos armes,
20 et cetera. Et à ce moment-là M. Mijatovic, qui était député, s'est approché
21 et a dit : "M. Banjanovic, la situation est difficile. Nous ne faisons que
22 vous communiquer un ordre, un message, mais nous ne pouvons plus exercer le
23 moindre contrôle."
24 La seule chose que je sais, c'est que ces unités ne cessaient de
25 traverser Kozluk et qu'au mois de juin la situation était terriblement
26 pénible, parce que des attaques ont été menées par la Défense territoriale
27 serbe et les paramilitaires contre Kozluk. Ils ont fait des manœuvres, ils
28 ont tiré sur Kozluk, et cetera. Qui est-ce qui exerçait le contrôle,
Page 12452
1 qu'est-ce qui se passait exactement. Croyez-moi, j'étais complètement
2 éberlué, je n'étais finalement qu'un simple habitant du bourg.
3 Mais tout de même ce matin-là, les soldats sont arrivés, les chars
4 étaient là. Jusque-là, il y avait la Défense territoriale serbe, la police
5 serbe, les hommes d'Arkan, tout le monde était à Kozluk et ils avaient tous
6 reçu l'ordre de nous chasser de Kozluk, et ce, dans les conditions les plus
7 brutales en nous interdisant d'emporter le moindre bien, en insultant nos
8 mères, nos sœurs, en fouillant les femmes pour voir si elles avaient de
9 l'argent et des armes, en nous fourrant dans des camions et des autobus
10 comme des sardines. Nous n'étions pas encore partis que deux maisons
11 étaient déjà en feu. On tirait sur les gens, vraiment le chaos le plus net
12 régnait et la situation était particulièrement pénible pour nous, les
13 Musulmans.
14 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Je vous remercie.
15 Mme BIERSAY : [interprétation]
16 Q. Les Bosniaques qui se sont dirigés vers le centre culturel, pourriez-
17 vous nous dire s'ils ne venaient que de Kozluk ou s'il y avait des
18 Bosniaques qui venaient d'ailleurs ?
19 R. Tous les Musulmans qui se trouvaient ce matin-là à Kozluk devaient se
20 regrouper devant la maison de la culture pour s'enregistrer, pour qu'on
21 vérifie leur situation, qu'ils prennent place à bord des camions. Telle
22 était la nature de l'ordre. Nous avons été contraints de le faire.
23 Q. Y avait-il des Bosniaques qui venaient de Skocici ? Je suis désolée
24 d'écorcher le nom.
25 R. Oui.
26 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, prononcer le nom de cette bourgade ?
27 R. La localité s'appelle Skocic. Elle était peuplée de Serbes, de Rom et
28 de Musulmans de Bosnie, une cinquantaine de familles musulmanes qui, elles
Page 12453
1 aussi, sont arrivées à Kozluk et ont dû faire la même chose que nous parce
2 que c'était ce qu'indiquait l'ordre.
3 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourriez-vous, s'il
4 vous plaît, afficher la pièce 1464 de la liste 65 ter; ensuite, je
5 demanderais à ce que la pièce 1463 soit affichée.
6 Q. Dans votre dossier, veuillez vous référer à la pièce 1464.
7 Reconnaissez-vous cette pièce, la 1464 ?
8 R. Oui.
9 Q. De quoi s'agit-il ?
10 R. C'est la liste des personnes qui se sont regroupées devant la maison de
11 la culture et qui se sont fait enregistrer et ont signé la déclaration
12 indiquant que de leur plein gré ils laissaient tous leurs biens aux
13 autorités serbes. On nous a donné lecture d'une déclaration, mais ce
14 document, c'est la liste des habitants qui sont partis, des habitants de la
15 localité.
16 Q. Nous allons en venir à ce document qui vous a été lu. Mais tout
17 d'abord, concentrons-nous sur le document qui est à l'écran. Voyez-vous
18 votre signature sur la dernière page de ce document ?
19 R. Oui.
20 Q. Ce document est-il daté du 26 juin 1992 ?
21 R. Oui.
22 Q. Le cachet qu'on trouve à la page 1 -- vous souvenez-vous quel est
23 l'organisme qui a posé son cachet sur ce document ?
24 R. Ils avaient le sceau de la municipalité serbe de Zvornik et ils ont
25 aussi apposé le tampon, le sceau de la Défense territoriale serbe, car ils
26 ont apporté une lettre qu'ils ont ouverte et ils nous ont lu la lettre
27 émanant du commandant de cette Défense territoriale serbe. La liste que
28 nous voyons ici a été dressée et c'est la liste où on trouve le nom de
Page 12454
1 toutes les personnes qui sont montées dans les camions.
2 Q. Procédons par étapes. Le document qui est à l'écran, le 1464, est une
3 liste de personnes qui quittent un village, mais de quel village s'agit-il
4 ?
5 R. C'est la liste des gens qui s'étaient regroupés devant la maison de la
6 culture dans le centre de Kozluk, qui ont été enregistrés, fouillés, puis
7 installés à bord des camions, des remorques et des autobus.
8 Q. Nous avons la première page et le titre de ce document, l'intitulé de
9 ce document. Voyez-vous ?
10 R. Oui.
11 Q. Pouvez-vous nous dire ce qui est écrit ?
12 R. Il est écrit que ce document est la liste des personnes qui quittent
13 Kozluk de façon organisée.
14 Q. Sur cette liste, est-ce qu'on trouve les chefs des familles sur la
15 deuxième colonne, ensuite la colonne suivante le nombre de membres dans la
16 famille ?
17 R. Oui, oui. Par exemple, Vehid Marhosevic était le chef de sa famille et
18 sa famille comptait neuf membres.
19 Mme BIERSAY : [interprétation] L'Accusation souhaite demander le versement
20 de la pièce 1464 au dossier, s'il vous plaît.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier.
22 M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce recevra la cote P664.
23 Mme BIERSAY : [interprétation] Maintenant, s'il vous plaît, pourrions-nous
24 avoir rapidement la pièce 1463 à l'écran.
25 Q. S'agit-il d'un document similaire qui aurait été rédigé le 26 juin ?
26 R. Oui.
27 Q. Les personnes qui sont inscrites sur cette liste, pouvez-vous nous dire
28 de quel village ils venaient ?
Page 12455
1 R. Le village s'appelle Skocic. C'est une localité voisine de Kozluk.
2 Q. Le cachet apposé sur la première page est-il similaire à celui que nous
3 avons vu précédemment ?
4 R. Oui, oui, municipalité serbe et Défense territoriale serbe.
5 Q. A la page 2, pouvez-vous nous dire si vous avez signé ce document le 26
6 juin 1992 ?
7 R. Oui.
8 Mme BIERSAY : [interprétation] Nous souhaiterions demander le versement de
9 la pièce 1463, s'il vous plaît.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier.
11 M. LE GREFFIER : [interprétation] Le document recevra la cote P665. Je vous
12 remercie.
13 Mme BIERSAY : [interprétation] Pourrions-nous maintenant avoir à l'écran la
14 pièce 4222 de la liste 65 ter; elle devrait se trouver à la fin du
15 classeur, la pièce 4222.
16 Q. Vous nous dites que quelque chose vous a été lu à haute voix. Nous
17 avons à l'écran la pièce 4222; est-ce que vous reconnaissez ce document ?
18 R. Oui.
19 Q. Pourriez-vous dire aux Juges de la Chambre comment ce document vous a
20 été lu ?
21 R. Quand ils ont tassé tout le monde dans ces camions, ces autobus et ces
22 remorques, le président de la Défense territoriale serbe a ouvert une
23 enveloppe dans laquelle se trouvait ce document qui arborait, qui portait
24 le sceau de la Défense territoriale serbe. On lisait ce qui suit dans ce
25 document : "Aujourd'hui sont envoyés à l'extérieur --"
26 Q. Il y a des passages manuscrits sur ce document. Est-ce que vous
27 reconnaissez l'écriture ?
28 R. Oui. J'avais un document et vous voyez le nombre d'habitants de Skocic,
Page 12456
1 le nombre d'habitants de Kozluk. J'ai dit qu'il y avait 17 autobus, trois
2 camions avec remorques, et cetera; le nombre total de membres de familles.
3 J'ai enregistré ici le numéro de la Croix-Rouge de Loznica et du Dr Zoran
4 Nikolic qui nous a beaucoup aidés quand nous sommes arrivés en Serbie.
5 Q. J'aimerais attirer votre attention sur la deuxième phrase à partir du
6 haut du document. Pourriez-vous nous en donner lecture, s'il vous plaît, si
7 la copie que vous avez est suffisamment lisible?
8 R. Je cite : "Les personnes susmentionnées ont été autorisées à partir sur
9 la demande exprès en l'absence de toute contrainte et en raison de leur
10 désir qu'ils nous ont fait connaître d'éviter la mobilisation dans les
11 formations musulmanes à tout prix."
12 Ceci n'est qu'un pur mensonge, car il n'y avait pas de formations
13 musulmanes à cet endroit. De quelle mobilisation il parle ici, c'est tout
14 simplement un mensonge.
15 Q. Je voudrais m'assurer que le compte rendu est bien précis en ce qui
16 concerne le passage dont vous avez donné lecture, pouvez-vous nous dire
17 quel est le dernier mot que vous avez lu afin que nous sachions où mettre
18 les guillemets ?
19 R. "[B/C/S]."
20 Q. Etait-ce vrai ?
21 R. Personne ne nous avait demandé. Nous avons reçu l'ordre de nous
22 regrouper devant la maison de la culture. Nous avons tous été fouillés,
23 malmenés, insultés; on nous a tiré dessus, on a été entassé dans des
24 camions, des remorques, et cetera. Il n'y a eu aucune conversation avec
25 nous. Simplement avant notre départ, l'enveloppe dont j'ai parlé a été
26 ouverte et on m'a donné ce document. On m'a
27 dit : "Vous allez là-bas et vous verrez ce qui va vous arriver." Il n'était
28 pas question d'une mobilisation des Musulmans. C'est un pur mensonge. Qui
Page 12457
1 est-ce qui nous aurait mobilisé à Zvornik ?
2 Nous n'avons répondu à aucune question. Cette déclaration selon
3 laquelle nous laissions nos biens de notre propre gré, qui est-ce qui nous
4 a posé la moindre question ? Personne.
5 Mme BIERSAY : [interprétation] L'Accusation demande le versement de la
6 pièce 4222, s'il vous plaît.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Avant de demander au greffier de nous donner un
8 numéro, un petit renseignement d'ordre technique.
9 Je regarde la signature du major Marko Pavlovic, puis je vois dans la
10 version anglaise : "Pour le commandant du VTK," et il y a marqué en
11 anglais, "expression inconnue." C'est quoi le VTK, d'après vous ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Les documents que j'ai reçus n'étaient pas
13 signés par Marko Pavlovic. C'est quelqu'un qui a signé "en son nom."
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, je crois que je l'avais remarqué, j'attendais
15 que vous me l'indiquiez parce que dans la version anglaise, il y a : "For
16 the commander," alors que dans la version B/C/S, le "pour" est devant
17 "Major." Donc on pense qu'il y a le commandant du VTK, il y a le major
18 Pavlovic et il y a quelqu'un qui a signé pour lui. Vous avez parfaitement
19 raison. Mais d'après vous, c'est quoi ce "VTK ?"
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Tout ce qu'on savait, c'est que le commandant
21 de cette Défense territoriale serbe, c'était Marko Pavlovic. Ça, on n'en
22 savait rien.
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, si vous voulez une
24 explication, je peux vous la fournir, mais c'est seulement si vous voulez.
25 Lorsque la JNA s'est retirée le 19 mai, il est resté les réservistes locaux
26 mobilisés dans la JNA et à la place de la Défense territoriale jusqu'à ce
27 jour qui était soumise ou subordonnée à la JNA, il a été créé un
28 commandement militaire territorial. C'est intermédiaire entre le départ de
Page 12458
1 la JNA et la création de cette Brigade de Zvornik de la Republika Srpska
2 qui a été créée fin juin, mais je ne sais pas vous donner la date. C'est le
3 commandement militaire territorial qui illustre l'unité qu'il y a entre
4 l'armée et les gens de la Défense territoriale; donc c'est la phase
5 intermédiaire entre le départ de la JNA et la création de l'armée de la
6 Republika Srpska.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Témoin, vous êtes d'accord avec cette explication
8 qui est donnée ?
9 LE TÉMOIN : [interprétation] J'entends parler pour la première fois de
10 ceci. Je n'en sais rien. Pour moi, il n'y avait que la Défense territoriale
11 serbe et Marko Pavlovic et eux, ils se relayaient d'ailleurs. Il y a eu
12 Subotic, puis il y a eu l'autre; puis, Marko Pavlovic c'était le dernier à
13 venir et qui nous a chassés, d'ailleurs.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : En tout cas, l'explication est au transcript et on
15 pourra s'y référer.
16 On va donner un numéro pour ce document.
17 Monsieur le Greffier.
18 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document recevra la cote P666.
19 Mme BIERSAY : [interprétation]
20 Q. Pouvez-vous nous dire si tous les Bosniens de Kozluk ont quitté la
21 ville dans ce convoi ?
22 R. On s'était tous rassemblé. On est monté à bord et il y a eu un départ.
23 Puis après, on a appris qu'il y a eu 12 ou 13 personnes à être restées et
24 que ces Bosniens avaient été tués, ont été abattus, ceux qui ne voulaient
25 pas venir avec nous. Ils ont été abattus par ces militaires et ces unités
26 dont j'ai parlé tout à l'heure.
27 Q. Vous avez décrit les autocars et les camions à bord desquels étaient
28 montés les Bosniens. Y avait-il d'autres véhicules qui ont accompagné ce
Page 12459
1 convoi à bord desquels se trouvaient les Bosniens ?
2 R. A la tête de la colonne, il y avait un véhicule de la police serbe et à
3 la fin, il y avait aussi un véhicule de la police serbe. C'étaient deux
4 véhicules qui ont escorté la colonne jusqu'au pont de Sepac et de l'autre
5 côté du pont en Serbie. C'est là qu'on a garé au bord de la rivière Drina
6 et on attendait ce qu'il allait advenir ensuite.
7 Q. Où vous a-t-on emmenés ? Quand je dis "vous a-t-on emmenés," je fais
8 référence au convoi entier, ces autocars et ces camions ?
9 R. On m'a ouvert cette lettre, on me l'a lue et on a dit qu'on irait en
10 Serbie, on continuerait notre chemin. Puis on a continué vers le pont de
11 Sepac, le passage vers la Serbie.
12 Kozluk était plein de militaires, de véhicules. Plusieurs maisons ont
13 été incendiées tout de suite. C'était pénible, être expulsés et quitter son
14 bourg, sa ville, sa localité rien que parce qu'on était ressortissant d'un
15 autre groupe ethnique.
16 Ça arrivait sur la rive de la Drina en Serbie; à côté du pont de Sepac, il
17 s'était rassemblé pas mal de paramilitaires avec des gants, des mitaines,
18 avec des uniformes variés et ils avaient des camions, des autocars et ils
19 demandaient à ce que des filles ou des femmes descendent. J'ai dit que
20 personne ne devait sortir de l'autocar ou du camion et qu'il fallait
21 barricader les portes moyennant nos corps.
22 J'ai demandé à M. Dragan Nikolic de nous venir en aide. C'était un
23 médecin à Zvornik, mais il vivait à Loznica, et il était à la tête de la
24 Croix-Rouge. J'ai demandé à ce que la police de Loznica vienne, et je dois
25 vous dire qu'on a pris peur, cette demi-heure, c'était pénible. Ces hommes-
26 là, c'était des vautours.
27 Q. Je suis désolée de vous interrompre. J'aimerais savoir quelle a été
28 votre première étape ? Etait-ce à Loznica ?
Page 12460
1 R. A Loznica, juste à côté de la rivière Drina, une fois qu'on a traversé
2 le pont. Ça s'appelle le champ de Loznica ou Loznicka Polje. Et ils ont
3 frappé contre les vitres, ils voulaient faire sortir les filles et les
4 femmes, ils disaient toutes sortes de choses. J'imagine qu'ils venaient des
5 zones de combat. Et lorsque la police de Loznica est venue, et ils sont
6 venus à bord de quatre ou cinq véhicules, ils ont chassé tous ces gens-là
7 et ils ont encerclé le convoi avec ces voitures de police, et c'est à bord
8 d'un véhicule de police que je suis allé jusqu'à la Croix-Rouge. Et nous
9 avons depuis la Croix-Rouge envoyé une lettre à Belgrade, et en attendant
10 la réponse, on nous a offert des jus de fruits, des sandwiches. Il y est
11 venu des gens à bord des camions et des autocars.
12 Il y avait pas mal d'enfants, il y avait des malades et on ne nous
13 avait rien donné jusque-là à manger, on n'avait pas d'argent pour acheter
14 quoi que ce soit. C'était donc une situation extrêmement pénible.
15 Q. A partir du moment où vous avez demandé l'aide de la Croix-Rouge et le
16 moment où vous avez eu une réponse, combien de temps s'est écoulé ?
17 R. La police est venue tout de suite, au bout d'une demi-heure à peine.
18 Elle est venue, la police, et elle a chassé ces gens qui s'attaquaient à
19 nous et qui nous injuriaient.
20 Q. Pardonnez-moi, ma question n'était pas claire. Vous nous avez dit avoir
21 demandé à la Croix-Rouge internationale de l'aide; est-ce exact ?
22 R. Oui.
23 Q. Quel genre d'aide recherchiez-vous ?
24 R. On a demandé à ce qu'on nous dise où est-ce qu'on nous emmenait, que
25 nous le sachions, et on demandait un peu d'eau, de quoi manger. Et les gens
26 de Loznica nous ont aidés. Ils nous ont tout de suite donné à manger, ils
27 avaient envoyé des jus de fruits pour les enfants. Une lettre a été envoyée
28 à Belgrade, et au bout de quelques heures un courrier est arrivé, ou
Page 12461
1 plutôt, une attestation disant que nous pouvions continuer notre chemin en
2 direction de Subotica. C'était un laissez-passer par le territoire de la
3 Serbie, je ne sais plus comment on appelait cela. Mais tout le temps la
4 police était à nos côtés, et plus personne ne nous a malmenés là.
5 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Greffier, est-ce que je pourrais
6 avoir le numéro 65 ter 1465, s'il vous plaît.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, ce que vous dites est un peu
8 confus. Je vais essayer de synthétiser ce que vous venez de dire.
9 Vous traversez le pont et vous vous retrouvez à Loznica. Sur place, il y a
10 des soldats, des unités paramilitaires. Ils sont excités, ils demandent des
11 femmes, et cetera; vous décidez dans les camions, dans les bus, de ne pas
12 bouger -- de ne pas bouger, et surtout, que les femmes ne descendent pas.
13 Arrive très vite, d'après ce que je comprends, la police de Loznica qui
14 vient, qui vous protège et qui chasse ces paramilitaires.
15 A partir de là, vous allez recevoir quelques secours, puisque vous
16 dites on vous amène à manger, à boire, et cetera. Et il va y avoir avec
17 Belgrade, semble-t-il, d'après ce que vous dites, l'envoi d'un courrier
18 pour savoir où vous allez aller. Et quelque temps après, arrive un document
19 qui indique que vous devez aller à Subotica, si j'ai bien compris.
20 Ça s'est bien passé comme cela ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, ça s'est passé comme cela exactement. Et
22 un véhicule de la police m'a pris pour m'emmener à la Croix-Rouge, et c'est
23 exactement comme ça que ça s'est passé. Et lorsque ce courrier est arrivé,
24 on nous a dit qu'on nous transférerait en train, on irait jusqu'à Ruma
25 depuis Loznica, et de Ruma on était censés prendre un train. C'est ce que
26 nous disait cette dépêche.
27 M. LE JUGE ANTONETTI : Comme vous, vous étiez présent - moi, je n'y étais
28 pas - mais vous, vous étiez présent, est-ce que vous avez l'impression que
Page 12462
1 les autorités locales, et notamment la police, contrôlaient parfaitement la
2 situation ?
3 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Bon. Et les policiers avec qui vous vous êtes
5 entretenus, eux, ils ont découvert votre arrivée ou bien ils savaient que
6 vous arriviez ?
7 LE TÉMOIN : [interprétation] J'affirme en toute responsabilité que c'était
8 une mise en scène, ils savaient tout, ils savaient pertinemment bien où on
9 allait. Et on le voyait de par leur comportement. On m'a, pour la forme,
10 mis dans la Croix-Rouge. On attendait un courrier, que sais-je trop quoi.
11 Mais je suis profondément convaincu que c'était une espèce de scénario où
12 chacun avait son rôle et sa mission. Et ce n'était pas par hasard que ce
13 groupe de bandits étaient là pour nous malmener, et ce n'est pas par hasard
14 que la police est venue à bord de deux ou trois véhicules. D'après moi,
15 c'était bien organisé et bien mis en scène.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Donc pour vous tout ça est une mise en scène. Mais
17 dans quel but ?
18 LE TÉMOIN : [interprétation] En termes simples, pour qu'il n'y ait plus
19 dans cette partie de la Republika Srpska de Bosniens, qu'ils soient
20 expulsés, parce que nous constituions un problème dans cette ceinture qui
21 suit la Drina, 2 000 ou 3 000 Bosniens, on gênait.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Ce qui veut dire que de bas en haut et de haut en
23 bas, tout le monde était d'accord pour vous expulser, mais apparemment il y
24 a --
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
26 M. LE JUGE ANTONETTI : -- parmi les 2 000 qui étaient là, personne n'a été
27 tué ni n'a reçu de coups ni n'a été maltraité ?
28 LE TÉMOIN : [interprétation] Lors de l'expulsion même, il y a Galib Hadzic
Page 12463
1 qui a été blessé par balle, et la pire des injures c'était le fait de
2 fouiller nos femmes, nos filles, de les fouiller au niveau des soutiens-
3 gorge et du reste. Ensuite à Loznica, on a été attaqués par ces deux
4 groupes de voyous. Mais je vais vous dire quelles ont été les tortures que
5 nous avons subies, parce qu'à Ruma on nous a passés à tabac lorsqu'on a
6 quitté Loznica à bord d'autocars et des camions. On était attendus dans
7 Ruma par un train, mais c'était un train à bétail. Et lors du transfert
8 d'un train à l'autre, on nous a jeté des pierres, on nous a donné des
9 coups. C'était un voyage d'horreur. Il y avait ni vivres, ni eau, passages
10 à tabac, et le tout bien escorté par la police serbe qui cette fois le
11 savait d'avance.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez abordé ce qui s'est passé à Ruma, mais
13 peut-être que Mme Biersay allait aborder cela. Donc vous avez été plus
14 rapide qu'elle. Bien.
15 Maître Biersay, je vous redonne la parole.
16 Mme BIERSAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
17 Est-ce que nous pouvons maintenant regarder le numéro 65 ter 1465, s'il
18 vous plaît.
19 Q. Pourriez-vous dire aux Juges de la Chambre si oui ou non vous
20 reconnaissez ce document ?
21 R. Oui. Ce document, on me l'a montré à Loznica. Et on m'a dit que
22 le gouvernement à Belgrade avait approuvé notre passage via la Serbie pour
23 aller vers Subotica. Cette police nous a dit que jusqu'à Ruma on serait à
24 bord des camions et qu'à Ruma on nous transférerait à bord d'un train, et
25 que ce train nous amènerait jusqu'à Subotica et au delà vers la Hongrie,
26 l'Autriche. Mais nous, on voulait fuir le plus loin possible, parce que
27 déjà à Loznica il y a eu rassemblement des paramilitaires, de la police, et
28 que sais-je encore, enfin la situation était plutôt pénible là. Mais je
Page 12464
1 reconnais le document, oui.
2 Q. Quelle est la date de ce document ?
3 R. Le 26 juin, c'est le jour même de notre expulsion.
4 Q. Etes-vous restés à Loznica pour la nuit ?
5 R. Non, on est tous allés ensemble à Ruma.
6 Q. Vous nous avez parlé de ce qui d'après vous est l'objet de ce document,
7 vous avez dit ceci aux Juges de la Chambre. Aviez-vous vous-même un
8 exemplaire de ce document ? Est-ce que vous avez gardé un exemplaire de ce
9 document ?
10 R. Je n'arrive pas à m'en souvenir. Je ne sais pas. J'étais juste content
11 d'apprendre que Belgrade avait décidé qu'on pouvait continuer et qu'un
12 train nous attendrait à Ruma. Je ne me souviens pas si j'avais reçu cela.
13 Mais je sais qu'on ne nous a pas laissés passer en attendant que ça arrive.
14 Croyez-moi, je ne sais pas ce qui était marqué dedans.
15 Q. Combien de temps avez-vous passé à Loznica ?
16 R. Quelques heures, deux, trois heures.
17 Q. Ensuite, vous vous rendez à Ruma en Serbie; c'est exact ?
18 R. A bord de camions et d'autocars, on est arrivé jusqu'à Ruma. Ruma,
19 c'est une localité en Serbie, et c'est là qu'on nous a dit qu'on serait
20 transférés dans un train qui nous emmènerait plus loin.
21 Q. Les 1 822 personnes dont vous faisiez partie, est-ce qu'elles sont
22 toutes montées à bord de ce train ?
23 R. On nous a fait monter à bord de façon pénible, parce que ce n'était pas
24 un train, c'étaient des wagons à bétail, il y avait juste deux
25 compartiments où on pouvait s'asseoir. Il y avait des gens qui étaient là,
26 ils nous jetaient des pierres et ils nous battaient, ils disaient que nous
27 étions l'armée à Alija, nous étions des Turcs. Il y a eu une dizaine de
28 personnes à avoir eu la tête cassée lors du passage. On nous frappait avec
Page 12465
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12466
1 des bâtons, des planches, et moi aussi j'ai été blessé. Puis il est venu la
2 police par la suite, elle les a menacés. Mais une fois, je veux dire vrai,
3 quand la police est arrivée, ils ne nous ont plus battus. Jusqu'à leur
4 arrivée, on nous jetait des pierres, des chaises dessus. Ils ont cassé deux
5 ou trois fenêtres là où il y avait ce wagon où on pouvait s'asseoir. Les
6 fenêtres ont été cassées, pour ce qui est du reste, les gens étaient montés
7 à bord de wagons à bétail.
8 Et on a continué notre chemin jusqu'à Subotica. On n'avait pas de
9 vivres, il y avait pas mal de personnes malades.
10 Q. Un instant, s'il vous plaît.
11 Mme BIERSAY : [interprétation] Avant de passer à Subotica, je demande le
12 versement du document 65 ter numéro 1465, s'il vous plaît.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : Un numéro, Monsieur le Greffier.
14 M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, ce document
15 aura le numéro P667. Merci, Madame, Messieurs les Juges.
16 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Madame Biersay, puis-je simplement
17 vous demander ceci : cette lettre, était-ce la lettre qu'ils ont reçue en
18 réponse à la demande faite par le témoin au bureau de la Croix-Rouge à
19 Belgrade ?
20 Mme BIERSAY : [interprétation]
21 Q. Pouvez-vous répondre à la question posée par un des Juges de la
22 Chambre.
23 R. Oui, une fois arrivés à la Croix-Rouge, en plus des vivres et de
24 l'assistance, on nous avait dit qu'il fallait qu'ils écrivent à Belgrade
25 pour demander si on avait le droit de passer. J'ai dit : "Envoyez ce que
26 vous voulez où vous voulez." Puis les vivres nous ont été apportés, et au
27 bout d'une heure ou deux on est venu nous dire que ce courrier était arrivé
28 en retour et que Belgrade avait autorisé notre passage.
Page 12467
1 C'est tout ce que je savais. Je n'ai pas eu à voir ce courrier, c'est
2 ce qu'on m'a dit de façon officielle. Il semblerait que le commissariat aux
3 réfugiés avait autorisé notre passage, et on nous a dit qu'à Ruma un train
4 nous attendrait.
5 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Merci, Monsieur.
6 Mme BIERSAY : [interprétation]
7 Q. Parmi les gens de votre groupe, lorsque vous étiez dans le train, est-
8 ce qu'il y avait des femmes enceintes ?
9 R. Oui.
10 Q. Husic Merima était enceinte. Et il y avait pas mal de malades. Il y
11 avait dix ou douze personnes à avoir été blessées par des pierres à la tête
12 et blessées au dos. On disait qu'on était des soldats à Alija, des Turcs et
13 on nous a jeté des pierres dessus.
14 Une fois que la police est arrivée, elle les a fait fuir, plus
15 personne ne nous a touchés. On a pris le train jusqu'à Subotica, et on
16 s'est arrêté à Subotica sur une espèce de voie d'impasse. Et le bébé est
17 arrivé au monde, Husic Merima a donné naissance à un fils. Il se trouve à
18 Vienne maintenant. Il y avait pas mal de gens malades. On n'avait rien à
19 manger. C'était un voyage pénible, 2 000 personnes transportées à bord de
20 wagons à bétail, tabassées. C'était vraiment pénible.
21 Puis au bout d'un jour et demi, on nous a apporté des vivres, de
22 l'eau. Ils ont changé les langes de ce bébé. C'était difficile et pénible,
23 2 000 personnes dans ces wagons.
24 Puis il est venu des gens de la Croix-Rouge, il est venu beaucoup de
25 gens. J'ai demandé à ce que la télévision vienne pour filmer tout ça. Il
26 est venu des chaînes de télévision étrangère et du pays. On a filmé le
27 bébé, on a filmé les gens malades couchés dans les wagons et devant.
28 C'étaient des images horrifiantes. Personne ne méritait d'être malmené
Page 12468
1 comme cela.
2 Puis il est venu des gens de Subotica. On nous a dit qu'on nous
3 amènerait à Palic, on nous a dit que c'était une espèce de camping. On nous
4 a transportés là-bas. Il y avait des fils barbelés autour, avec des tentes
5 tendues dans les prés. Une source d'eau où une cinquantaine de personnes
6 allaient se laver. Il y avait des toilettes improvisées. Ce n'était pas un
7 centre d'accueil, c'était un campement classique.
8 Ce qui nous a offensé, ce qui nous a le plus préoccupé, c'est d'avoir
9 revu les mêmes barbus qu'on avait vus à Zvornik et Kozluk, qui ont pillé,
10 qui ont tué. Ils étaient sur le pont à Sepac, à Loznica et Zvornik. On a
11 pris peur. Ce campement à Palic --
12 Q. Permettez-moi de vous interrompre pendant une minute.
13 Mme BIERSAY : [interprétation] Je souhaite regarder le numéro 65 ter 4201,
14 s'il vous plaît.
15 Q. Reconnaissez-vous cette pièce ?
16 R. Je ne vois qu'une carte, vous avez que l'indication Subotica et on voit
17 l'inscription Palic. Et ils allaient appeler cela centre de transition. Moi
18 ça ressemblait à un camp de concentration, parce qu'il y avait des fils
19 barbelés, des tentes, des conditions nulles, des toilettes improvisées. Les
20 gens qui étaient là pour aider les gens leur faisaient plus peur qu'ils
21 n'étaient là pour les aider. Mais à Palic il y a eu des braves gens aussi
22 qui sont arrivés de l'usine Suboticanka.
23 Q. Je vais vous poser cette question-ci : vous, personnellement, vous avez
24 passé combien de temps à Palic ?
25 R. Une dizaine de jours.
26 Q. Y a-t-il eu un moment où les gens ont pu se procurer des passeports ?
27 R. Bien, lorsqu'on est arrivé à Palic, ils ont fait le tri de ceux qui
28 avaient des passeports. Ils les ont pris pour leur assurer des visas, ceux
Page 12469
1 qui avaient un peu de sous, et nous, dans ce cas concret, nous n'avions pas
2 d'argent. On nous avait fouillés. On avait rien sur nous. Cela fait qu'à
3 peu près 200 personnes n'avaient pas de passeports sur soi.
4 Mme BIERSAY : [interprétation] Est-ce que nous pouvons maintenant regarder
5 le numéro 4218 sur la liste 65 ter.
6 Q. Comment les gens ont-ils pu se procurer des passeports ?
7 R. Simplement, nous avions demandé aux gens de la Croix-Rouge à ce que la
8 direction de cette usine qui fabriquait des sucreries et des chocolats à
9 Subotica vienne, parce qu'ils avaient de bonnes relations avec Vetinka à
10 Kozluk, notre usine à nous. Et ces gens sont venus nous voir et nous ont
11 apporté des confiseries, des sucreries. Et on les a priés de nous aider à
12 nous procurer des passeports, parce que 200 personnes n'avaient pas de
13 passeports. Et le jour d'après, le jour d'après, il est venu des gens de la
14 police et le management de cette usine Suboticanka, ils ont fait un chèque
15 barré de l'entreprise pour qu'on paye nos passeports, les photos à faire
16 faire et le chèque a été délivré à l'intention de la police. Et on nous a
17 dit : Vous avez de la chance, cette usine Suboticanka a donné l'argent
18 qu'il fallait pour que vous ayez des passeports, des photos de faites. Il y
19 a des photographes qui se sont déplacés. On nous a pris en photo et on a
20 commencé à délivrer des passeports aux gens.
21 Mme BIERSAY : [interprétation] Il s'agit toujours du document 4218.
22 Q. Connaissez-vous le nom d'Esma et Saha Hadzic ? Cela se trouve également
23 dans votre classeur, ce document 4218. Les deux personnes répondant au nom
24 de Hadzic avec des prénoms différents ?
25 R. Oui. Ce sont des habitants de Kozluk qui étaient avec nous.
26 Q. Je souhaite simplement me servir de ceci, parce que je souhaite montrer
27 aux Juges de la Chambre le type de passeport que les gens pouvaient se
28 procurer. Est-ce que nous pouvons passer à la page suivante de cette pièce
Page 12470
1 en B/C/S, s'il vous plaît. Pour le compte rendu d'audience, il s'agit de la
2 couverture du passeport d'Esma Hadzic.
3 Q. Veuillez regarder la copie papier, s'il vous plaît, que vous avez sous
4 les yeux. Nous allons le faire à l'ancienne. Veuillez vous reporter à la
5 page 6, s'il vous plaît. Oui. Cette page-là, celle-là que vous venez de
6 feuilleter. Veuillez revenir en arrière. Il y a un cachet sur cette
7 feuille.
8 R. Oui.
9 Q. Quelle autorité délivrait ce passeport ?
10 R. Le secrétariat aux affaires intérieures de Subotica.
11 Q. Le passeport d'Esma Hadzic correspondait-il au passeport communément
12 délivré aux personnes qui étaient à Palic ?
13 R. Oui, oui. Tous ceux qui n'avaient pas de passeport ont reçu ce
14 passeport-ci. Les photographes sont venus et ils ont pris leurs photos. Ils
15 leur ont donné la photo et sont allés à la police et nous avons reçu ce
16 genre de passeport. Toutes personnes qui n'avaient pas de passeport ne
17 pouvaient pas poursuivre le voyage. Donc nous avons tous reçu des
18 passeports comme celui-ci.
19 Mme BIERSAY : [interprétation] Je demande à ce stade, s'il vous plaît,
20 l'admission d'un numéro 65 ter 4218, s'il vous plaît.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Témoin, en regardant le passeport de la dame dont on
22 a cité le nom Hadzic, Esma, je constate à la page 17 de son passeport un
23 cachet de la République d'Autriche daté du 17 décembre 1992.
24 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Président, le témoin aurait
25 peut-être besoin d'aide. Je crois que le prétoire électronique ne marche
26 pas très bien. Peut-être que M. l'Huissier pourrait aider le témoin à
27 retrouver la page.
28 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur, feuilletez le passeport et allez à la page
Page 12471
1 17 du passeport. Ce n'est pas compliqué. Toutes les pages du passeport il y
2 a un numéro. Et à la page 17, je ne connais malheureusement pas l'allemand,
3 mais j'ai l'impression que c'est un visa d'entrée pour la république
4 autrichienne qui permet, semble-t-il, à l'intéressé d'être là au moins
5 jusqu'au 17 mars 1993, sauf erreur de ma part.
6 Alors, Monsieur le Témoin, s'il y a eu un passeport, c'est bien qu'il
7 fallait que la République d'Autriche sache qu'il y avait beaucoup de
8 personnes qui étaient en transit et qui allaient pénétrer en Autriche.
9 Qu'est-ce que vous nous en dites ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je voudrais dire ici qu'un certain nombre de
11 ces personnes qui se trouvaient dans le centre de transit de Palic ont vu
12 des membres de leur famille qui venaient les chercher et ces familles
13 venaient d'Autriche. Il y en a qui sont partis vers l'Autriche, d'autres
14 vers l'Allemagne. En fait, ce qui pour nous était le plus important, c'est
15 que ces 200 personnes reçoivent un passeport, et qu'ensuite on aille en
16 groupes vers la destination prévue par eux à Palic. Il est certain que
17 certains sont allés en Autriche. Il y a des chiffres qui indiquent que 1
18 500 personnes devaient être reçues en Autriche. Je crois qu'il existait des
19 communications de ce genre. Moi, je ne dispose pas de ces preuves, je ne
20 dispose pas de ces documents officiels, mais il est certain que quand il y
21 a un groupe de 2 000 personnes qui sont à un endroit et qu'ils s'attendent
22 à être transférées ailleurs, il faut bien qu'il y ait des services de
23 frontière, des services officiels impliqués.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous qui avez eu des responsabilités au niveau de
25 votre municipalité et qui est actuellement député, est-ce que ça n'implique
26 pas à l'époque soit un accord entre la République de Serbie et la
27 République d'Autriche, ou bien entre la Croix-Rouge et la République
28 d'Autriche. Comment vous voyez cela, vous ?
Page 12472
1 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai aucun document sous les yeux, mais il
2 est certain qu'il existait un accord entre le Haut- commissariat aux
3 réfugiés et d'autres, parce que tout de même il y avait 2 000 personnes là,
4 il ne s'agit pas uniquement d'une dizaine de personnes. Et pour entrer dans
5 un pays étranger il fallait obtenir un visa, des documents officiels. Donc
6 ma position personnelle consiste à penser qu'il y avait une certaine
7 coordination entre le Haut-commissariat aux réfugiés et d'autres instances.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Dans votre propre cas, vous, vous avez eu un
9 passeport ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai aussi reçu un passeport, et j'ai fait
11 partie du dernier groupe composé d'une centaine de personnes. Nous avons
12 été installés dans le centre de transit de Najetad [phon] en Hongrie. Il y
13 avait une certaine coordination, puisque certains d'entre nous ont été
14 envoyés à Najetad, d'autres en Autriche, d'autres en Allemagne, et cetera.
15 Pour ce qui nous concerne, nous étions simplement heureux de recevoir un
16 passeport pour pouvoir aller plus loin, parce que ce qui nous importait
17 c'était de fuir cet environnement. Parce qu'à Palic, vraiment les
18 conditions de vie étaient inexistantes du point de vue de l'hygiène, du
19 point de la vie tout court.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : -- que sur votre passeport il devait y avoir aussi
21 un cachet hongrois, comme quoi vous étiez autorisé à entrer en Hongrie.
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, chacun d'entre nous, s'il avait un
23 passeport, obtenait un visa, l'autorisation d'entrer, et cetera, donc tout
24 le monde avait ce genre de chose sur son passeport.
25 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] J'aimerais avoir quelques précisions
26 sur la durée et le temps que ça a pris, parce que faire
27 2 000 passeports avec des visas c'est quelque chose qui ne se fait pas
28 rapidement. Pourriez-vous nous dire combien de temps cela a pris à partir
Page 12473
1 de votre arrivée à Palic jusqu'à ce que vous receviez ce nouveau passeport
2 ?
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, toutes mes excuses. J'ai dit
4 que 80 % d'entre nous avaient un document officiel permettant de voyager et
5 qu'il en manquait que 200. Alors la confection de ces 200 passeports a été
6 réalisée par l'usine et par le MUP de Subotica. Ils ont emmené des dizaines
7 de photographes et dès qu'un groupe recevait son passeport ils
8 l'emmenaient.
9 Personnellement, je ne peux pas vous donner de chiffre. Je n'ai pas
10 suivi de très près toute la situation. Il y avait des gens qui sortaient
11 des tentes, ils les emmenaient, et ces gens-là on les emmenait plus loin.
12 Ils ne revenaient pas. Nous étions contents de voir les tentes se vider peu
13 à peu. Donc c'est 200 personnes qui ont reçu un nouveau passeport.
14 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Je vous remercie.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Madame Biersay, le greffier me disait qu'il vous
16 restait quelques minutes, alors essayez de conclure.
17 Mme BIERSAY : Bien sûr. [interprétation] Tout à fait, Monsieur le
18 Président.
19 Q. Ces passeports qui vous ont été délivrés à Palic, vous ont-ils été
20 délivrés gratuitement ?
21 R. Non. Ils étaient payants, c'est l'usine de Subotica qui a payé le
22 passeport et les photos.
23 Q. Comment étaient délivrés ces passeports ? Etaient-ils délivrés pour un
24 individu, ou bien pour des groupes, ou pour une famille, par exemple ?
25 R. Il y avait distribution par groupe, distribution individuelle aussi, et
26 cetera. C'est le MUP de Subotica qui s'est chargé de cette distribution et
27 de toute cette organisation. Moi, je n'étais pas impliqué. J'étais tout
28 comme les autres.
Page 12474
1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. La question de l'Accusation est mal
2 posée, est-ce que des passeports ont été délivrés par familles. Des
3 passeports ne sont jamais délivrés collectivement, sauf pour les enfants à
4 bas âge. Seuls des enfants mineurs d'âge peuvent recevoir un passeport qui
5 couvre plusieurs personnes. La chose était impossible pour qui que ce soit
6 d'autre. Le témoin n'a peut-être pas compris l'intention de l'Accusation,
7 et il a répondu comme il l'a fait.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Les Juges avaient rectifié automatiquement la
9 question.
10 Monsieur le Témoin, les passeports ils étaient individuels. Même si dans
11 une famille, il y avait des enfants mineurs, on mettait le nom des enfants
12 mineurs sur le passeport du père ou de la mère; on bien d'accord ?
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui.
16 Mme BIERSAY : [interprétation] Je vous remercie.
17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est ça, c'est ça.
18 Mme BIERSAY : [interprétation] Merci.
19 Nous demandons, s'il vous plaît, l'admission de la pièce 4218.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro pour le 4218, Monsieur le
21 Greffier.
22 M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce recevra la cote P668.
23 Mme BIERSAY : [interprétation] J'en ai terminé avec les questions de
24 l'interrogatoire principal.
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.
26 Monsieur Seselj, vous pouvez commencer, puis on fera la pause tout à
27 l'heure, dans 15, 20 minutes.
28 Contre-interrogatoire par M. Seselj :
Page 12475
1 Q. [interprétation] Monsieur Banjanovic, je n'ai pas beaucoup
2 d'observations à faire sur votre déposition. Selon les informations dont je
3 dispose, vous êtes une personnalité très reconnue parmi les Serbes et les
4 Musulmans de Zvornik, d'ailleurs votre fonction aujourd'hui le prouve. Je
5 me contenterai de revenir sur un certain nombre de détails.
6 Dans votre déclaration écrite, vous ne parlez des hommes de Seselj qu'une
7 fois, et en fait, vous ne mentionnez qu'un seul homme de Seselj, à savoir
8 Zoran Subotic, qui était commandant de la Défense territoriale de Zvornik,
9 n'est-ce pas ?
10 R. J'ai eu l'occasion de rencontrer ce M. Subotic une seule fois. Cet
11 homme n'est resté là que deux ou trois jours. Et pour vous dire la vérité,
12 je ne sais même pas comment j'ai pu en parler dans ma déclaration écrite.
13 Est-ce que je l'ai présenté comme un député du Parti radical, je ne sais
14 pas exactement ce que j'ai dit. Mais ce que je sais, c'est que je l'ai
15 rencontré une fois dans les tout premiers jours, et que Pazin est arrivé
16 tout de suite après lui.
17 Q. Dans votre déclaration écrite -=
18 Mme BIERSAY : [interprétation] Monsieur le Président.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Allez-y.
20 Mme BIERSAY : [interprétation] Pour que les choses soient plus faciles pour
21 le témoin, j'ai préparé un dossier avec sa déclaration. J'aimerais que l'on
22 donne ce dossier au témoin et que M. Seselj fasse bien ressortir de quelle
23 déclaration il parle lorsqu'il s'adresse au témoin parce qu'il y en a
24 plusieurs.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il n'y a rien de contesté ici. Je ne vais plus
26 évoquer la déclaration écrite du témoin. Mais enfin, ce que je viens
27 d'évoquer se trouve dans votre déclaration recueillie en 2001 et 2002.
28 D'après ce qu'on peut lire, deux jours, deux années différentes. Il y a
Page 12476
1 sans doute une faute de frappe là, n'est-ce pas ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
3 M. SESELJ : [interprétation]
4 Q. Cette déclaration, elle date de 2001 ou de 2002; vous vous souvenez ?
5 R. Je ne me souviens pas. Mais en tout cas, j'ai dit qu'il s'était
6 simplement présenté comme député.
7 Q. Du Parti radical serbe ?
8 R. Oui.
9 Q. Vous avez dit qu'il occupait les fonctions de commandant de la Garde
10 territoriale du 5 au 13 avril 1992, n'est-ce pas ?
11 R. Je ne sais pas combien de temps exactement. Mais enfin très peu de
12 temps. Il est arrivé à Kozluk une fois et après j'ai appris qu'il était
13 resté que quelques jours.
14 Q. Quel a été son comportement à votre égard ? Etait-il correct ?
15 R. Très correct. Mais je ne l'ai rencontré qu'une fois.
16 Q. L'Accusation y a recueilli la déclaration de Zoran Subotic en 2003 et
17 2004. J'indique au paragraphe 42 de cette déclaration écrite, il déclare
18 que le 1er avril 1992, il avait été convoqué par la JNA et qu'on lui
19 indiquait qu'il était mobilisé à Mali Zvornik et engagé dans l'unité de
20 char commandée par le capitaine Dragan Obrenovic. Est-ce que ce qu'il dit
21 là vous paraît convaincant ? Est-ce que vous avez entendu parler de cette
22 unité de char commandée par Dragan Obrenovic ?
23 R. Je sais que le capitaine Obrenovic était le chef, enfin, qu'il avait
24 une unité de chars stationnée à Mali Zvornik.
25 Q. Bon. Nulle part ailleurs dans votre déclaration écrite vous ne parlez
26 des hommes de Seselj, parce que vous n'avez pas eu de contact personnel. On
27 utilise en général l'expression de volontaires du Parti radical serbe,
28 n'est-ce pas ?
Page 12477
1 R. Sur le territoire de Kozluk ni dans les endroits où je suis allé, je ne
2 les ai pas rencontrés, et j'ai dit clairement qu'il y avait là-bas des
3 hommes d'Arkan, des Guêpes jaunes, des membres de la Défense territoriale,
4 et je n'ai pas eu d'autres occasions de rencontrer des membres des unités
5 de Seselj.
6 Q. Bien. Monsieur Banjanovic, vous n'avez pas eu l'occasion de les
7 rencontrer, parce qu'à partir du 26 avril ils sont tous partis de Zvornik.
8 Est-ce que vous savez que le 26 avril Kula Grad est tombé ?
9 R. Oui.
10 Q. Vous avez, vous tous, les habitants de Kozluk, vous avez essayé de
11 partir pour Kozluk tous ensemble, mais vous n'avez pas dit quel jour cela
12 s'est passé. En avez-vous le souvenir ?
13 R. Je n'en n'ai pas le souvenir. Il y a eu plusieurs tentatives parce que
14 Kozluk était considéré comme l'endroit où tout le monde pouvait être à
15 l'abri, car il n'y avait pas d'assassinats, il n'y avait pas de désordres,
16 alors que dans les autres villages, il y en avait. Donc à un certain
17 moment, pas mal de gens se sont regroupés à Kozluk.
18 Q. Pas mal de Musulmans des villages avoisinants qui les avaient fuis se
19 sont regroupés à Kozluk, n'est-ce pas ?
20 R. Oui.
21 Q. Et grâce à votre réputation, je vous demande si vous étiez engagé
22 contre la guerre ?
23 R. J'étais à l'époque contre la guerre, je le serai encore aujourd'hui, je
24 le serai toujours.
25 Q. Et votre village de Kozluk est l'un des rares villages musulmans qui ne
26 s'est absolument pas armé, n'est-ce pas ?
27 R. Toutes mes excuses. Je voudrais simplement ajouter que Kozluk n'était
28 pas 100 % musulman. Il y avait aussi un certain nombre de Serbes, de
Page 12478
1 Croates et de Rom à Kozluk et nous n'étions pas au courant de la
2 possibilité de nous armer. Nous avions pas mal de fusils de chasse et de
3 pistolets. Ça, il y avait des chefs de familles, je l'ai dit, quand il y a
4 une fête.
5 Q. Mais les Musulmans étaient en grande majorité, n'est-ce
6 pas ?
7 R. Oui, oui.
8 Q. Et les Serbes et les Croates étaient minoritaires ?
9 R. Oui, ils étaient très minoritaires, 2 à 3 % à peine et les Musulmans
10 étaient plus de 90 %.
11 Q. Monsieur Banjanovic, vous avez dit à plusieurs reprises que vous avez
12 essayé de partir en masse, n'est-ce pas ?
13 R. Non, mais ce qui nous gênait c'était de voir les barrages qui étaient
14 en train de s'ériger, les transits de toutes ces unités par les villages,
15 nous nous sentions enfermés tout simplement.
16 Q. Mais cela c'était en avril ou au mois de mai ?
17 R. Ecoutez en avril, en mai, au mois de juin, tout cela ça a atteint son
18 point culminant.
19 Q. Et un jour, Vasilije Kacevenda, l'évêque serbe de Tuzla, est arrivé en
20 compagnie du mufti musulman, Muhamed --
21 L'INTERPRÈTE : -- patronyme que l'interprète n'a pas entendu.
22 LE TÉMOIN : [interprétation]
23 R. Oui.
24 Q. Et ils vous ont ensemble, persuadés, en tout cas, essayé de vous
25 persuader de ne pas partir, n'est-ce pas ?
26 R. Ils ont dit que nous ne devrions pas partir, que tout allait bien se
27 passer. Et nous avons eu cette réunion avec celui qui était le chef, parce
28 qu'il ne pouvait nous offrir aucune garantie. Nous lui avons dit : "Mais
Page 12479
1 qui est-ce qui garantit quoi ?" Et ils ont répondu : "A Karakaj, tout ira
2 bien." Puis M. Kacevenda, avec l'aide du Musulman, nous ont dit d'aller
3 voir le chef dont j'ai parlé il y a quelques instants.
4 Q. Vous êtes un homme expérimenté et intelligent, vous êtes bien rendu
5 compte que c'était dans l'intérêt des autorités serbes que les Musulmans
6 restent à Kozluk, que c'était dans leur intérêt politique. Parce que vous
7 n'aviez pas participé aux affrontements liés à la guerre et les nouvelles
8 autorités serbes récemment créées étaient censées manifester de la bonne
9 volonté et montrer que c'était un exemple de coexistence, à bonne entente,
10 n'est-ce pas ?
11 R. Oui.
12 Q. Donc c'était manifestement dans l'intérêt serbe, des Serbes, mais
13 toutefois quelque chose s'est mal passé, n'est-ce pas ?
14 R. Oui.
15 Q. Qu'est-ce qui s'est mal passé après le 19 mai, quand la JNA a dû se
16 retirer de Bosnie-Herzégovine ? Est-ce que vous avez entendu parler de cet
17 ultimatum imposé par les puissances occidentales et demandant à la JNA de
18 se retirer de Bosnie-Herzégovine ?
19 R. Non.
20 Q. Vous n'en n'avez pas entendu parler ?
21 R. Non.
22 Q. D'accord. Et vous avez dit à plusieurs reprises que la situation était
23 devenue chaotique à Zvornik, que les gens ne savaient pas qui contrôlait
24 qui, n'est-ce pas ?
25 R. Excusez-moi. J'ai dit que la situation était devenue extraordinairement
26 difficile à Kozluk, et qu'en tant de citoyen, d'habitant de Kozluk, je suis
27 seulement allé à Zvornik trois fois, parce que nous étions totalement
28 isolés à cause des barrages et que personne ne pouvait sortir de Kozluk.
Page 12480
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12481
1 Donc seulement trois fois j'y suis allé avec ce laissez-passer spécial.
2 J'ai réussi à arriver jusqu'à Zvornik et à deux reprises jusqu'au QG de la
3 Défense territoriale de Zvornik avec ce laissez-passer spécial. Donc
4 l'isolement dû au barrage était très important et le fait qu'il y avait
5 pénurie de vivres et de médicaments rendait la vie très difficile.
6 Q. Mais vous avez entendu dire qu'à la fin du mois de mai et début du mois
7 de juin, plusieurs groupes paramilitaires se sont mis à assassiner des
8 Musulmans dans certains quartiers de Zvornik ?
9 R. Oui.
10 Q. Vous avez entendu parler de cela, n'est-ce pas ?
11 R. Oui.
12 Q. Et c'était déjà un nombre important de Musulmans qui avaient été tués ?
13 R. Ce que j'ai su c'est qu'il y avait affrontement entre les unités
14 paramilitaires et que pas mal de Musulmans de Bosnie étaient tués en
15 représailles pour ce qui se passait sur le champ de bataille. Donc vers la
16 fin du mois de juin, il y a eu des troubles à Zvornik et des affrontements
17 entre paramilitaires, entre les Guêpes jaunes et les autres unités.
18 Q. Est-ce que vous avez entendu dire qu'à plusieurs reprises ils ont tenté
19 d'arrêter Brano Grujic, Marko Pavlovic, et qu'ils ont même soumis à une
20 espèce d'exécution simulée, ensuite les ont laissés partir ?
21 R. Je ne saurais vous parler de cela, parce que je n'ai pas de
22 renseignements personnels à ce sujet. Je sais qu'ils ont malmené tous ceux
23 qui étaient Musulmans et qu'ils en ont tué certains. Oui, les ossements de
24 certaines personnes ont été trouvés et des exhumations ont eu lieu.
25 Q. Dans quel lieu ?
26 R. En ville, ceci s'est passé au cours des dix derniers jours à peu près.
27 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Veuillez ménager une pause, vous
28 allez beaucoup trop vite.
Page 12482
1 M. SESELJ : [interprétation]
2 Q. Vous convenez, n'est-ce pas, que ces assassinats ont commencé à la fin
3 mai début juin, que c'est là qu'il y en a eu le plus d'assassinats de
4 Musulmans, aussi bien parmi les civils que parmi les prisonniers de guerre
5 musulmans ? Est-ce qu'on peut dire ça, fin mai début juin ?
6 R. Je sais que dans mon Kozluk, au début du mois de juin un homme a été
7 tué en plein milieu d'un pré simplement parce qu'il était Musulman, et je
8 sais qu'à Zvornik la situation a empiré et qu'il y a eu pas mal
9 d'assassinats.
10 Q. Etes-vous au courant du fait que peu de temps après votre départ de
11 Kozluk, l'unité spéciale de la police de la Republika Srpska est arrivée à
12 Zvornik a désarmé les formations paramilitaires et a emmené ses membres en
13 prison à Bijeljina ? Est-ce que vous en avez entendu parler ?
14 R. Sur le chemin de la déportation, non, je n'en n'ai pas entendu parler,
15 mais après plusieurs années, j'ai obtenu ce renseignement qui est exact, en
16 effet.
17 Q. Vous dites dans votre déclaration écrite quels sont les membres les
18 plus importants de ces formations paramilitaires. Pejic c'était bien le
19 remplaçant d'Arkan, n'est-ce pas ?
20 R. Il se présentait comme le numéro un des hommes d'Arkan.
21 Q. Est-ce qu'un jour où un autre vous auriez vu Brano Grujic qui devait se
22 mettre au garde à vous devant lui ?
23 R. Quand Effendi Lugovic et Kacevenda et moi-même sommes allés là-bas, il
24 n'a pas autorisé Brano Grujic et Dragan Spasojevic, il ne les a pas
25 autorisés à entrer; mais ils ont dû rester à l'extérieur et au garde à
26 vous. J'ai vraiment vu cela et je me suis rendu compte que c'était lui le
27 chef.
28 Q. Est-ce que vous savez qu'il a giflé Ljubomir Tomic un
Page 12483
1 jour ?
2 R. Non.
3 Q. D'accord. Vous avez évoqué les Guêpes jaunes et Pivarski ainsi que
4 Niski. Ça, ce sont des noms qui reviennent très souvent ici, mais vous avez
5 aussi évoqué le capitaine Dragan, n'est-ce pas ?
6 R. Oui.
7 Q. D'après les renseignements dont je dispose, il a fait son apparition
8 dans le secteur de Zvornik seulement lorsque la JNA est partie, c'est-à-
9 dire la fin de mai ou au début de juin.
10 R. Les informations dont je dispose m'indiquent que le capitaine Dragan se
11 trouvait dans le secteur de Divic et qu'il habitait au motel de Vidikovac,
12 et qu'un jour il a été vu accompagné d'un grand nombre de jeunes gens qui
13 portaient des bérets rouges, qu'il a été dit que c'était ceux qui étaient
14 avec lui, que c'était ses hommes. Donc voilà ce que je peux dire de mes
15 rencontres avec ces hommes.
16 Q. C'était ses soldats qui portaient des bérets rouges, n'est-ce pas ?
17 R. J'ai entendu parler de cela par Mikica et d'autres qui me l'ont dit. On
18 m'a dit, voilà, les hommes qui portent des bérets verts sont les hommes
19 d'Arkan.
20 Q. Est-ce que vous vous rappelez qu'ils arboraient un insigne assez
21 particulier, une croix avec les trois "S" mais tournés à l'envers ?
22 R. Je n'ai pas remarqué cela. Je n'aimais pas beaucoup les regarder, parce
23 qu'ils circulaient un peu partout et je ne savais pas ce qu'ils étaient en
24 train de faire.
25 Q. Est-ce que vous savez qu'il y a eu un centre d'entraînement à Divic ?
26 R. Oui, je le sais.
27 Q. Et savez-vous que l'armée de la Republika Srpska l'a expulsé de Zvornik
28 peu après, parce que des membres de ses unités avaient commis des actes de
Page 12484
1 pillage à Divic ?
2 R. Non, je ne suis pas au courant de cela, pas plus que de pillage ou du
3 fait qu'il ait été chassé. J'étais très isolé.
4 Q. J'essayais simplement de voir ce que vous saviez. L'Accusation dispose
5 des documents concernant le capitaine Dragan démontrant qu'il a été expulsé
6 de Divic. Mais comme vous le dites, vous ne savez rien alors passons à
7 autre chose.
8 Dites-moi, je vous prie, quand vous avez témoigné à Belgrade -parce que
9 j'ai reçu tous les procès-verbaux de ce procès - vers la fin de votre
10 témoignage à Belgrade, ils vous ont confronté avec Brano Grujic, n'est-ce
11 pas, vous vous souvenez ?
12 R. J'ai témoigné pendant huit heures à Belgrade.
13 Q. Oui. Et Brano Grujic a affirmé que cinq jours avant votre départ de
14 Kozluk, vous étiez à Zvornik et que là-bas vous avez eu une rencontre avec
15 lui avec Pejic. Est-ce que c'est vrai ?
16 R. Ceci n'est pas vrai. Je n'ai jamais eu de rencontre avec Grujic et
17 Pejic en dehors de notre rencontre à Kozluk, quand nous étions côte à côte
18 au milieu de 10 000 personnes. C'est la seule fois où nous nous sommes
19 rencontrés et jamais plus.
20 Q. Dans ce cas-là je ne m'occupe plus de cette question.
21 Alors nous arrivons maintenant à la date du 26 juin. Brano Grujic et Jovo
22 Mijatovic viennent vous voir et ils vous disent qu'ils ne peuvent plus
23 exercer le moindre contrôle sur les événements de Zvornik et que vous êtes
24 largement menacé par les bandes paramilitaires, n'est-ce pas ?
25 R. Ils m'ont dit, je cite : "M. Banjanovic, dans un délai d'une heure tous
26 les Musulmans doivent se regrouper devant la maison de la culture, c'est un
27 ordre." Réponse, j'ai dit, "mais pourquoi." Ils m'ont répliqué que c'était
28 un ordre, qu'ils n'avaient plus de maîtrise sur les événements, qu'il y
Page 12485
1 avait des affrontements à Zvornik, que nous risquions d'être tués.
2 Q. Est-ce qu'ils vous ont donné l'impression d'être bouleversés ?
3 R. Je ne saurais le dire, qu'ils étaient bouleversés, mais ce que je peux
4 vous dire c'est qu'ils m'ont dit, "la situation est grave et il faut que
5 vous partiez." D'après leur aspect physique, j'ai vu que c'était bien la
6 réalité de la situation.
7 Q. Ce qui m'intéresse c'est la chose suivante : je sais que cela s'est
8 passé il y a longtemps et qu'il vous est très difficile de vous rappeler
9 tous les détails. Mais selon vous est-ce qu'ils avaient l'air de
10 s'inquiéter foncièrement de votre sort ou est-ce qu'ils avaient l'air de
11 jouer un rôle en vous disant qu'il fallait partir ?
12 R. Bien, je ne pense pas qu'ils s'inquiétaient de notre sort le moins du
13 monde. Ils ont simplement été contraints de me dire ce qu'ils m'ont dit.
14 Ils voulaient sauver leur tête. Ce qui les intéressait c'était leur sort à
15 eux, et il y avait tous ces affrontements. Donc en un mot, je dirais qu'ils
16 ne pouvaient plus gérer la situation.
17 Q. Je crois comprendre que celui qui les a contraints c'est celui qui
18 gérait la situation.
19 R. Je pense que c'est ça.
20 Q. Et qu'il leur a donné l'ordre de venir lui dire ce qu'ils lui ont dit.
21 R. C'est cela.
22 Q. Je crois que ce que vous dites est tout à fait sincère et que ce que
23 vous dites est vrai, à savoir qu'ils avaient largement perdu le contrôle de
24 la situation et que ces bandes paramilitaires avaient pris le pouvoir, que
25 c'était eux qui auraient le dernier mot.
26 R. C'est exact.
27 Q. Puis, à ce moment-là il y a cette liste qui est dressée, liste des
28 personnes qui quittent Kozluk. Ensuite est dressée la liste des gens qui
Page 12486
1 quittent Skocic. Vous avez dit que vous aviez été contraints de signer une
2 déclaration indiquant que vous laissiez aux autorités de la Republika
3 Srpska tous vos biens.
4 R. Oui.
5 Q. Mais on ne le voit pas dans le document, est-ce que c'était une
6 déclaration particulière ?
7 R. La liste a été signée, la liste a été reproduite, puis nous avons dû
8 dans un endroit du papier apposer notre signature et écrire que nous
9 laissions nos biens, et cetera. Je n'ai jamais vu ce document officiel,
10 mais c'est ce que nous a dit de faire. C'est vrai que nous avons signé ce
11 document et nous avons été fouillés d'une façon tout à fait grossière,
12 notamment les femmes.
13 Q. Oui, mais vous voyez, ce que j'ai du mal à comprendre c'est que dans
14 cette liste, il est écrit qu'il s'agit de personnes qui quittent Kozluk de
15 façon organisée, et il n'y a nulle part dans ce document la moindre trace
16 indiquant que les personnes en question laissent leurs biens de leur plein
17 gré. C'est ça qui m'étonne un peu, même si vous avez déclaré un document
18 indiquant que vous laissiez vos biens, cela n'avait aucun pouvoir
19 juridique, n'est-ce pas ?
20 R. Pour moi c'était tout à fait clair, Monsieur Seselj. Il faut comprendre
21 qu'à l'époque la situation était très pénible, difficile. Les gens étaient
22 armés jusqu'aux dents. Il y avait plusieurs formations. Il y avait des
23 commandants, des gens qui étaient complètement saouls, on avait déjà
24 commencé à tirer. Il y avait déjà quelques blessés, donc la situation dans
25 son ensemble était particulièrement difficile. Nous pensions même que nous
26 allions nous faire tuer, nous ne savions pas quand nous diriger vers
27 Loznica tant qu'on ne nous a pas lu le contenu de cette enveloppe qui a été
28 ouverte devant nous.
Page 12487
1 Q. Une fois arrivés à Loznica, vous y avez reçu ou bénéficié d'une
2 protection de la part de la police et on vous a emmenés à la Croix-Rouge de
3 Loznica, n'est-ce pas ?
4 R. Nous avons garé juste après le pont, et là, on avait été attaqués - je
5 ne sais pas si c'étaient des gens qui étaient ivres, ils demandaient des
6 femmes - puis une voiture de la police est arrivée et je me suis approché,
7 je leur ai demandé. Nous, on n'est pas partis avant que trois ou quatre
8 voitures ne soient arrivées. C'est donc escorté par la police qu'on a été
9 emmenés à la Croix-Rouge, là j'ai été bien reçu.
10 Q. C'était la Croix-Rouge de Loznica ?
11 R. Oui, la Croix-Rouge de Loznica.
12 Q. Donc ce n'était pas international, comme l'a dit le Procureur dans son
13 interrogatoire principal ?
14 R. Non, c'est un monsieur qui s'appelle Dr Nikolic.
15 Q. D'après les renseignements dont je dispose, vous n'avez eu aucun
16 contact avec la Croix-Rouge internationale avant que vous n'ayez quitté la
17 Serbie, jamais ?
18 R. Non, non.
19 Q. Toute cette aide qui vous a été apportée, qui a été modeste mais
20 précieuse, ça a été la Croix-Rouge de Serbie ?
21 R. Oui, c'était la Croix-Rouge de Loznica et de Subotica. C'est là qu'on a
22 à deux reprises été aidés.
23 Q. Bien. Vous nous avez dit que vous aviez l'impression que c'était une
24 mise en scène, un scénario, une bande débridée qui vous attaque, puis la
25 police vient pour vous protéger. Avez-vous un détail quel qu'il soit qui
26 vous permettrait de confirmer que la police était véritablement derrière à
27 soutenir le comportement de cette bande ?
28 R. Là, je ne peux l'affirmer pour sûr. Mais quand vous avez 50, 60, 100
Page 12488
1 personnes qui vous jettent des pierres dessus et qu'il y a pas mal de gens
2 de blessés - j'ai reçu quelques bons coups moi aussi - 2 000 personnes ont
3 vu ça, puis une patrouille de deux ou trois bonhommes s'amène, et tout
4 s'arrête. Alors --
5 Q. Ça s'est passé à Loznica ?
6 R. Non, non, je parle de Ruma.
7 Q. Attendez, on n'est pas encore arrivé à Ruma.
8 R. Je m'excuse.
9 Q. Je vous demande maintenant pour Loznica. Vous vous êtes arrêtés après
10 avoir traversé le pont ?
11 R. Oui.
12 Q. Et vous étiez en Serbie. Il y avait un groupe de personnes qui vous
13 provoquaient, qui s'attaquaient à vous, qui essayaient de prendre des
14 filles, c'est ce que vous nous avez dit, n'est-ce pas ?
15 R. Oui.
16 Q. Ce groupe, était-il armé ?
17 R. Oui, oui.
18 Q. Lorsque la police est arrivée, la police a fait partir ce groupe ?
19 R. Ils ont simplement appelé des renforts. Il est venu quatre voitures,
20 ces voitures ont encerclé le convoi, ils ont chassé de là ces gens.
21 Q. Avez-vous une preuve palpable pour dire que ce groupe serait venu
22 s'attaquer à vous suite à instruction de la police, puis qu'ils auraient
23 prétendu que c'était la police qui --
24 R. Non, je n'ai pas.
25 Q. Vous avez peut-être prématurément affirmé chose pareille. Vous ne
26 pouvez pas quand même affirmer que la police était derrière cette mise en
27 scène ?
28 R. Dans ma déclaration, dans ma déposition j'ai dit que cette coordination
Page 12489
1 existait parce qu'il y avait la Croix-Rouge, le secrétariat à l'intérieur,
2 ces patrouilles, puis jusqu'à Ruma, c'est de tout cela que je voulais
3 parler pour illustrer que c'était une espèce de mise en scène ou d'une
4 corrélation.
5 Maintenant, pour ce qui est de la police et des paramilitaires, il
6 est certain que la police faisait son travail, parce qu'ils étaient armés
7 et les autres ne réclamaient pas nos sœurs, nos mères.
8 Q. Mais vous saviez bien que les hommes de guerre étaient proches et
9 qu'en Serbie on n'avait pas encore adopté de loi interdisant le port
10 illégal d'armes. C'était juste une infraction de simple police à l'époque,
11 et ce n'est que par la suite qu'on a adopté, enfin, qu'on a promulgué une
12 loi interdisant le port d'armes. Vous le saviez ?
13 R. Non.
14 Q. Alors cette coordination existait entre la Croix-Rouge et la police,
15 dites-vous. Parce qu'on ne pourrait pas dire qu'il y a eu participation
16 dans cette coordination de la part de cette foule qui vous a provoqué, qui
17 s'est attaquée à vous ?
18 R. Je pense que ces citoyens, ça fait partie de Loznica, que ces citoyens
19 faisaient partie de Ruma. Cela faisait de Subotica, parce que ça se passait
20 sur le territoire de la Serbie. On nous a battus là-bas, on nous a
21 malmenés, on nous a donné des biscuits, on nous a donné une escorte. On
22 avait eu un train à nous attendre à Ruma. Enfin il y a quelque chose quand
23 même qui est placé en corrélation.
24 Q. Mais vous savez, Monsieur Banjanovic, vous savez, il y a ce
25 "Lumpenproletariat" dans chaque ville qui est disposé, donc qui est prêt,
26 qui n'attend qu'une chose, à savoir l'opportunité de piller. Parce que moi,
27 j'ai eu en plein centre de ville des gens qui voulaient s'attaquer à moi,
28 j'ai dû sortir mon pistolet pour tirer en l'air, mais la foule lorsqu'on
Page 12490
1 leur montre les dents, elle s'enfuit. La police est arrivée, elle les a
2 chassés et ils sont enfuis, non ?
3 R. Oui.
4 Q. Alors c'est comme toute foule, vous êtes bien d'accord ?
5 R. Je suis d'accord.
6 Q. Là, on vous a donné un peu de vivres, des jus de fruits pour les
7 enfants, et vous allez vers Ruma. Est-ce que vous avez bénéficié d'une
8 escorte de la police entre Loznica et Ruma ?
9 R. Je pense qu'ils nous ont escortés dans Loznica. Je ne m'en souviens
10 pas.
11 Q. Ils ne vous ont pas suivis ?
12 R. Je ne pense pas.
13 Q. Donc chacun d'entre vous, s'il avait voulu quitter l'autocar et aller
14 voir de la famille en Serbie, il pouvait le faire s'il le voulait ?
15 R. Nous, on ne pouvait pas partir. Comment voulez-vous ? On n'avait rien
16 sur nous. On nous avait dit qu'un train nous attendrait, que ce train nous
17 emmènerait là-bas et qu'on irait vers des pays occidentaux. Pour tout homme
18 normal, c'était la meilleure façon de faire, parce qu'on sait quelle était
19 la situation en Serbie.
20 Q. C'était la crise économique ?
21 R. Oui.
22 Q. C'était un blocus économique de la part des puissances occidentales, on
23 vivait mal --
24 R. C'est exact.
25 Q. Alors vous arrivez à Ruma et vous montez à bord de ce
26 train ?
27 R. On nous avait promis ce train pour nous emmener à Subotica. Et une fois
28 qu'on est arrivé, il y avait la locomotive, ces deux wagons et les wagons à
Page 12491
1 bétail. Alors on a dû monter et --
2 Q. Dans votre déposition dans l'affaire Milosevic, est-ce qu'on a montré
3 une vidéo de ce train ?
4 M. LE JUGE ANTONETTI : On va continuer tout à l'heure avec Ruma, mais il
5 est l'heure de faire la pause, parce qu'on arrive au bout de la bande.
6 On va s'arrêter 20 minutes et on reprendra à 6 heures 05.
7 --- L'audience est suspendue à 17 heures 47.
8 --- L'audience est reprise à 18 heures 08.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise.
10 Monsieur Seselj, vous avez la parole.
11 M. SESELJ : [interprétation]
12 Q. Monsieur Banjanovic, nous allons nous pencher une fois de plus
13 sur ce document que le Procureur vous a montré et qui a déjà été versé au
14 dossier. Il s'agit du document qui vous est arrivé pendant que vous étiez
15 encore à Loznica, arrivé de Belgrade de la part de ce commissariat aux
16 réfugiés. Laissez-moi le retrouver un instant, il s'agit du 1465.
17 L'ACCUSÉ : [interprétation] Est-ce qu'on peut nous le montrer sur nos
18 écrans.
19 M. SESELJ : [interprétation]
20 Q. On m'a mis cela un peu à l'envers, il faut que je tourne beaucoup de
21 pages.
22 Pendant que vous étiez à Loznica, ça a pris quelques heures, si je
23 vous ai bien compris, et vous avez dû attendre que le commissariat aux
24 réfugiés vous fasse parvenir une décision suite à votre requête, n'est-ce
25 pas ?
26 R. Oui.
27 Q. Cette décision est arrivée, et il y est dit :
28 "Nous nous sommes penchés sur les déclarations écrites de 1 822
Page 12492
1 personnes se trouvant à bord de 17 autobus, trois camions avec ces
2 remorques et deux voitures de tourisme en provenance de Kozluk,
3 municipalité de Zvornik, qui déclarent vouloir, sans pression aucune,
4 quitter le territoire de la Yougoslavie pour se rendre dans des pays
5 d'Europe occidentale."
6 Ce que je voudrais savoir : d'où sont parties vos déclarations disant
7 que c'était de votre plein gré et sans pression aucune que vous souhaitiez
8 quitter la Yougoslavie pour aller en Europe occidentale ? Est-ce que vous
9 avez envoyé cela à Loznica ?
10 R. Oui, la Croix-Rouge de Loznica. Je suis allé là-bas pour demander de
11 l'aide pour ces gens-là, et on m'a dit qu'il fallait envoyer un courrier à
12 l'intention du commissariat. Ça a été rédigé, ça a été envoyé et au bout de
13 quelques heures. On nous a dit que la réponse était parvenue et qu'elle
14 disait qu'on ne pouvait passer par la Serbie, qu'on nous fournirait un
15 train à partir de Ruma pour nous transporter jusqu'à la frontière.
16 Q. Est-ce que vous avez signé ces déclarations à Loznica ?
17 R. Non.
18 Q. Et alors ?
19 R. Ils ont tapé cela à la machine. Il se peut que la liste que j'avais ait
20 été copiée et envoyée. Nous n'avons rien signé à Loznica, nous autres.
21 Q. Mais est-ce que sur cette liste on disait aussi que vous partiez de
22 votre plein gré, sans pression aucune ? Ou c'est quelqu'un qui l'a ajouté
23 sur la liste ?
24 R. Je ne peux pas vous le dire, mais il est certain que sur la liste
25 existante il était déjà écrit que nous partions de notre plein gré.
26 Q. Hm-hm
27 R. Et on s'est servi de cette liste établie par la Défense territoriale de
28 Kozluk.
Page 12493
1 Q. Et là, ils se réfèrent au fait que vous avez le droit de choisir où
2 vous souhaitez résider, c'est ce que dit ce document.
3 R. Oui.
4 Q. Monsieur Banjanovic, saviez-vous que pendant toutes les opérations de
5 combat en Serbie, il y a eu 70 000 Musulmans de recensés venus de Bosnie-
6 Herzégovine pour trouver refuge en Serbie, certains sont restés y vivre,
7 certains sont restés pour toujours, certains sont restés pendant la durée
8 de la guerre ?
9 R. Je ne sais pas trop, mais je sais qu'un certain nombre de Bosniens
10 étaient partis en Serbie.
11 Q. Avez-vous appris que lorsque Srebrenica est tombée, un certain nombre
12 de soldats musulmans avaient traversé la Drina à la nage pour trouver
13 refuge en Serbie ?
14 R. Je ne sais pas vous en parler, j'ai ouï-dire en effet que certains ont
15 traversé à la nage, qu'il y en a eu qui ont été arrêtés et qu'on les a
16 renvoyés.
17 Q. Vous avez entendu dire qu'il en a eu de renvoyés, mais personne n'a été
18 renvoyé. Je vais vous dire quelque chose : lorsque Zepa est tombé, plus de
19 900 soldats musulmans, presque une brigade entière a traversé la Drina et
20 elle a été accueillie en Serbie. Ils ont été installés à un centre
21 d'accueil sur le mont Tara. Le CICR est tout de suite venu et personne
22 d'entre eux n'a été renvoyé vers la Republika Srpska. Ils ont tous eu la
23 possibilité de partir pour l'étranger. Le saviez-vous ?
24 R. Ça, je ne le savais pas.
25 Q. Je ne vais pas insister, vous dites que vous ne savez pas, je ne vais
26 pas insister.
27 Alors vous arrivez à Ruma, sans escorte de la part de la police, si
28 j'ai bien compris, n'est-ce pas ?
Page 12494
1 R. Je crois qu'on nous a fait sortir de Loznica et qu'ils nous ont montré
2 la direction, les chauffeurs sont allés jusqu'à la gare, quelqu'un nous
3 attendait.
4 Q. Donc la police ne s'attendait pas à ce qu'il y ait des incidents, là-
5 bas, c'est du moins de la sorte que je comprends la chose.
6 R. Je n'en sais rien.
7 Q. Lorsque cet incident est survenu, vous étiez déjà dans le train, n'est-
8 ce pas ?
9 R. Lorsque nous sortions des camions, des remorques, des autocars, on
10 montait à bord de ces wagons, de ces wagons à bétail, et sur une distance
11 de 50 mètres on nous jetait des pierres, on disait qu'on était des soldats
12 à Alija.
13 Q. Ils étaient combien, ces gens ?
14 R. Une cinquantaine peut-être, c'était des hommes jeunes, des jeunes.
15 Q. Mais c'était une foule qui s'était organisée de façon spontanée, n'est-
16 ce pas ?
17 R. Je ne sais pas si c'était organisé, je ne sais pas du tout ce qui se
18 passait. Tout à coup, on s'est fait tabasser, on a reçu des pierres. Et on
19 a dû porter des malades et des blessés. Il y avait pas mal de personnes
20 âgées aussi. Nous ne savons pas pourquoi on nous a battus. Et là aussi la
21 police a fait son apparition, et une fois quelle est arrivée, on a cessé de
22 nous jeter des pierres. Et le train que nous avions eu à prendre avait les
23 vitres cassées.
24 Q. Saviez-vous qu'à l'époque déjà en Serbie, il y avait à peu près déjà
25 200 000 réfugiés, surtout de Croatie et un peu de Bosnie-Herzégovine ?
26 R. Non.
27 Q. Et saviez-vous qu'en Serbie, les gens étaient révoltés par le sort de
28 ce convoi des soldats de la JNA qui sortaient de Tuzla et il y en a 150 à
Page 12495
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12496
1 200 qui ont été tués ?
2 R. Je ne le savais pas. Je vivais dans un isolement total. Je vous ai dit
3 que pendant quatre, cinq mois, Kozluk était isolé complètement, et que
4 trois ou quatre fois je suis allé à Zvornik.
5 Q. La police est intervenue et elle a chassé cette bande de voyous ?
6 R. Exact.
7 Q. Alors vous arrivez à Subotica. Vous avez passé une journée sur une voie
8 d'impasse, puis on vous a emmenés à Palic, n'est-ce
9 pas ?
10 R. Oui.
11 Q. Comment vous a-t-on fait aller à Palic ?
12 R. Croyez-moi bien que je ne sais plus. Je n'arrive pas à m'en souvenir.
13 Q. Mais il n'y a pas de voie ferrée jusqu'à Palic depuis Subotica ?
14 R. Je n'arrive pas à m'en souvenir. Je sais qu'on nous a acheminés
15 probablement à bord d'autocars, oui. Et on a passé un jour ou deux sur
16 cette voie d'impasse.
17 Q. Et à Palic, on a posé des tentes ?
18 R. Il y avait des fils barbelés, il y avait des points d'eau.
19 Q. Mais est-ce que vous pensez que ce fil barbelé c'était pour ne pas que
20 vous vous évadiez ou pour votre sécurité, pour que vous ne soyez pas
21 attaqués ?
22 R. Je ne sais pas quand est-ce qu'on a posé ces barbelés --
23 Q. Mais on était en été, et on pouvait quand même rester dans les tentes ?
24 R. Oui. On était dans les prés. Les conditions étaient difficiles.
25 Q. Mais personne n'a eu à souffrir de la faim ?
26 R. Oui, on a pu manger, et on pouvait se laver à l'extérieur.
27 Q. Mais c'était improvisé pour l'essentiel, parce que personne ne
28 s'attendait à votre arrivée ?
Page 12497
1 R. Je ne sais pas si on s'attendait à notre arrivée. On nous a installés
2 là, il y avait des tentes. Il y a eu des vivres, des robinets improvisés.
3 Il y avait du personnel qu'on a pu reconnaître qui se trouvait à Zvornik,
4 au pont, en ville, à Kozluk. Il y a plusieurs personnes de reconnues.
5 Q. Vous n'étiez pas sécurisés par la police à Palic ?
6 R. Non.
7 Q. Il n'y avait pas de police en uniforme ?
8 R. Moi, je n'en n'ai pas vu. Il y avait des hommes en uniforme.
9 Q. Quel type d'uniforme ?
10 R. Des uniformes militaires, des uniformes variés. Ça ressemblait plutôt à
11 des paramilitaire plutôt qu'à des policiers de Loznica ou de Ruma.
12 Q. Je ne sais pas si vous le saviez, parce que moi, je me trouve ici en
13 prison en compagnie de plusieurs généraux serbes, et ils garantissent qu'il
14 n'y avait autour de vous que des hommes en bleu et qu'il était impossible
15 que d'autres uniformes fassent leur apparition. Est-ce que c'est là une
16 erreur que vous avez dans votre mémoire ?
17 R. J'ai une bonne mémoire, je sais qu'à Palic on a été accueillis dans ce
18 camp avec des barbelés, et le pire, c'est qu'on a reconnu des combattants,
19 des militaires qui étaient à Zvornik, au pont de Zvornik, et on connaissait
20 les noms de ces gens.
21 Q. Moi, ça me semble invraisemblable que vous ayez pu voir des gens à
22 Zvornik, puis que vous les ayez revus de l'autre côté de la Drina, puis que
23 vous les ayez revus à Subotica, parce que ça se trouve quand même à plus de
24 200 kilomètres, non, peut-être plus que de 200 kilomètres ?
25 R. Je vous ai dit qu'au pont de Sepacki, on sait ce qui s'est produit. Il
26 y a eu un groupe d'hommes armés, de bandits, de vautours qui demandaient
27 nos filles, nos femmes.
28 Q. Je vous crois, Monsieur Banjanovic. Je crois bien que cela a dû être
Page 12498
1 terriblement difficile pour vous. Mais ce qui me semble invraisemblable,
2 c'est qu'ils réapparaissent à Subotica et à presque 300 kilomètres.
3 R. Monsieur Seselj, je n'ai pas parlé de ces gens-là. J'ai dit que trois
4 ou quatre hommes avaient été reconnus par les citoyens comme étant des gens
5 qui étaient déjà à Zvornik, à Subotica, à Palic. Mes concitoyens ont
6 reconnu plusieurs personnes qui avaient été à Kozluk et qui étaient au pont
7 de Zvornik. Et on a eu les noms de ces gens.
8 Q. Mais attendez. Vous seriez d'accord avec moi que ce n'est pas très
9 fiable cette identification ?
10 R. Il se peut qu'il y ait eu une erreur, mais à titre préventif on a
11 organisé une sécurité et une veille.
12 Q. Si quelqu'un avait voulu vous attaquer, que vous soyez endormis ou pas,
13 sans armes, vous ne pouviez pas faire grand-chose ?
14 R. C'est vous qui le dites.
15 Q. C'est vous qui le dites.
16 R. Si quelqu'un essayait de violer ma femme, ou ma sœur, ou ma mère,
17 c'est avec mes dents que je le tuerais.
18 Q. Bon. Mais il n'y avait pas d'hommes en armes là-bas, à
19 Palic ?
20 R. Non, il n'y avait pas d'hommes armés.
21 Q. De mon avis, la sécurité de la police a été assurée de façon
22 appropriée.
23 On a un autre document 4222, un document montré par le Procureur.
24 J'aimerais qu'on nous le montre une fois de plus.
25 C'est un document qui a été signé pour le commandant Marko Pavlovic, et on
26 fait une demande à l'intention des instances de la République fédérale de
27 Yougoslavie pour permettre un passage en toute sécurité de ces personnes de
28 la liste pour aller vers la Hongrie, où on dit que cela s'est fait de leur
Page 12499
1 plein gré sans qu'ils ne soient forcés à le faire, parce qu'ils cherchaient
2 à éviter la mobilisation de par les formations musulmanes ?
3 Moi, ça me semble ridicule. Vous ne pouvez pas être mobilisés par des
4 formations musulmanes ?
5 R. Non.
6 Q. Et s'il y a eu mobilisation, elle aurait eu lieu dès le début de la
7 guerre et pas une fois que cela a été pris par les
8 Serbes ?
9 R. Non. On était contre la guerre, nous, Monsieur Seselj, nous ne sommes
10 pas armés. Nous avons restitué nos armes.
11 L'INTERPRÈTE : Les interprètes précisent qu'il est impossible de
12 fonctionner comme cela. La cabine française ne peut pas fonctionner comme
13 cela.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj, ralentissez, parce que les
15 interprètes se plaignent du fait que vous parlez trop vite, et l'un et
16 l'autre.
17 M. SESELJ : [interprétation]
18 Q. Et on ne dit pas que vous avez laissé des biens au profit de la
19 Republika Srpska. On dit que les familles qui ont remis des documents pour
20 leur départ sont conscientes des risques encourus par les biens laissés
21 dans la zone de combat, aussi leur a-t-on attiré l'attention sur le fait
22 que les instances du pouvoir à Zvornik ne sauraient assumer de
23 responsabilité pour leurs biens laissés dans les maisons et appartements.
24 Donc on ne dit pas que vous avez donné vos biens et on dit qu'on vous a
25 fait savoir qu'ils ne seraient pas en mesure de garantir la sécurité de ces
26 biens et qu'ils ne sauraient assumer de responsabilité quant à leur sort.
27 C'est ce qui est dit.
28 R. Ces deux documents diffèrent. Le document que vous lisez se trouvait
Page 12500
1 dans une enveloppe. Et lorsqu'on s'est installé, on me l'a donné. Je ne
2 savais pas jusque-là où est-ce que j'allais. Dans le deuxième document, la
3 liste qu'on a pu voir, c'est là que les gens ont signé. Cette liste-là, je
4 ne l'ai jamais obtenue. Chaque citoyen devant la maison de la culture a eu
5 à signer pour dire qu'il s'en allait pour signaler qu'ils étaient partis de
6 leur plein gré.
7 Q. Ce que je ne comprends pas, c'est que le Procureur se soit procuré
8 toute cette documentation des temps de guerre avec les fiches de paie, et
9 cetera, parce qu'en termes simples, il n'y a aucun document disant que vous
10 renoncez de votre plein gré à vos biens. Parce que ça, ça n'a pu être
11 retrouvé pas même par le Procureur. Alors on m'a dit que ça existait,
12 maintenant ça n'existe pas.
13 Alors ce qui est intéressant pour moi, c'est que vous aviez presque tous
14 des passeports, 200 parmi vous n'en n'avaient pas. Aussi leur a-t-on
15 délivré des passeports tout neufs, n'est-ce pas ?
16 R. Oui.
17 Q. Or, sur ce papier, il est dit que vous étiez 1 822, et que 169
18 seulement disposent d'un passeport. Voyez-vous cela sur ce document ? Alors
19 sur 1 822, 169 seulement avaient des passeports. Les autres n'en n'avaient
20 pas, n'est-ce pas ?
21 R. Oui.
22 Q. Ai-je raison de le dire ?
23 R. Je n'arrive pas à m'en souvenir maintenant. Je n'arrive plus à me
24 souvenir de mes additions et soustractions, et je sais que nous avons tous
25 reçu des passeports de la part de la direction de cette usine Suboticanka
26 de Subotica, parce que eux, ils avaient de bonnes relations avec l'usine
27 Vetinka à Kozluk. Ils sont venus nous rendre visite, je leur ai demandé
28 cela. Ils ont apporté un chèque. La police est venue et ils ont demandé que
Page 12501
1 des passeports soient délivrés. Combien de passeports, je ne sais pas. Mais
2 je n'étais pas un contrôleur. J'étais un simple citoyen, moi, comme tous
3 les autres.
4 Q. Monsieur Banjanovic, je ne vous ferai pas de reproche. Au bout de tant
5 d'années, comment voulez-vous qu'on se souvienne de tous ces chiffres ?
6 C'est impossible. Et je ne me trouve pas étrange que vous ne vous souveniez
7 pas comment, partant de cette voie d'impasse, vous ayez pu être transportés
8 jusqu'à Palic. Ça, je trouve que ce n'est pas si étrange. Dans la mémoire,
9 il y a des blocages, et ce sont des moments pénibles. Là, je vous comprends
10 parfaitement. Ce dont je dispose, ce sont des documents. Moi, je n'étais à
11 Palic. Et dans ce document, on dit que seulement 69 personnes disposaient
12 d'un passeport. Tous les autres ont dû se faire délivrer des passeports
13 tout neufs.
14 Alors, vous dites que c'est l'usine Suboticanka qui a payé tout cela. Mais
15 vous avez dû vous souvenir du fait que ces taxes de délivrance de nouveaux
16 passeports n'étaient pas des taxes exorbitantes ?
17 R. Nous, on n'avait pas d'argent du tout. On nous a emmené une citerne de
18 jus de fruits. On leur a dit : "Non." Alors ils nous ont donné un chèque,
19 je ne sais pas vous dire le montant.
20 Q. J'attire votre attention sur un fait, Monsieur Banjanovic. Je sais pour
21 sûr que pour des raisons humanitaires cette taxe est nulle, elle n'est pas
22 perçue, et ça c'est passé en Serbie de la sorte lorsqu'il s'agissait de
23 réfugiés. En termes simples, c'est à titre gratuit qu'on leur délivrait des
24 passeports, on ne les a pas fait payer. Et ça m'aurait surpris dans votre
25 cas de voir que quelqu'un a fait payer. On se souvient tous les deux de ce
26 temps. Mais la taxe à l'époque pour un nouveau passeport était plutôt
27 symbolique, n'est-ce pas ?
28 R. Je ne sais pas vous dire combien cela faisait, je sais que les gens de
Page 12502
1 Subotica ont emporté un chèque et ils ont remis cela aux policiers, ils ont
2 dit : "C'est un cadeau aux citoyens de Kozluk." Je ne sais pas combien de
3 marks ça faisait. Combien de milliers. Je ne savais pas. Mais ils ont été
4 corrects, ils ont apporté un chèque, il y a eu une dizaine de photographes
5 qui sont venus.
6 Q. Et la nourriture était bonne ?
7 R. C'étaient des marmites.
8 Q. C'était bon à manger ? Il fallait bien des marmites pour
9 1 800 personnes ?
10 R. Oui. On a bien mangé. On n'a pas demandé à être hébergés à l'hôtel. Il
11 y a eu à manger, il y a eu de l'eau, il y avait où dormir.
12 Q. Personne n'avait faim ?
13 R. Non.
14 Q. Bien. Penchons-nous maintenant sur le 4218. Il s'agit de ce passeport
15 d'Esma Hadzic, qu'on a déjà pu voir. Etes-vous d'accord avec moi pour dire
16 que c'est un passeport tout à fait normal de la République socialiste
17 fédérative de Yougoslavie, la RSFY ? Un passeport ordinaire; d'accord ?
18 R. Ça, c'est une femme assez âgée --
19 Q. Penchez-vous sur la première page du passeport. On voit sur une feuille
20 blanche "Esma Hadzic."
21 R. Oui.
22 Q. Ça, c'est la page de garde du passeport qu'on avait tous en République
23 socialiste fédérative de Yougoslavie ?
24 R. Oui.
25 Q. Ne saviez-vous pas que la République de Serbie n'avait délivré aucune
26 espèce de passeport autre, bien que la République fédérale de Yougoslavie
27 ait déjà été proclamée ?
28 R. Je ne sais pas.
Page 12503
1 Q. Mais ça, c'est le passeport que vous et moi avions tous les deux à
2 l'époque. Vous êtes d'accord ?
3 R. Je ne suis pas au courant. Je ne sais pas qui délivrait quoi. Je sais
4 que ça c'était un passeport yougoslave.
5 Q. Mais il n'y en avait pas d'autre, n'est-ce pas ? On voit les
6 renseignements se rapportant à Esma Hadzic; on voit qu'elle est née à
7 Bijeljina, qu'elle a vécu à Kozluk. Page suivante, on voit sa photo. La
8 page d'avant, il y a son numéro de matricule. Et on voit que l'on a inscrit
9 aussi ses deux enfants, Fadil son époux et Avdo son fils ?
10 R. Oui.
11 Q. Maintenant on voit leurs photos.
12 Passez à la page suivante, s'il vous plaît, n'est-ce pas.
13 R. Oui.
14 Q. Y-a-t-il quoi que ce soit d'inhabituel ici quand on délivrait un
15 passeport, un homme et une femme, mari et femme, peuvent avoir des enfants
16 sur leur propre passeport lorsqu'ils sont mineurs, n'est-ce pas ?
17 R. Oui.
18 Q. On voit ici -- passez à la page 11. On dit que c'est le MUP de la
19 République de Serbie qui a délivré le passeport, le ministère de
20 l'Intérieur. Ils étaient habilités à délivrer les passeports, comme en
21 Bosnie-Herzégovine, c'est le ministère de l'Intérieur de Bosnie-Herzégovine
22 qui délivrait des passeports, n'est-ce pas ?
23 R. Oui.
24 Q. On voit ici secrétariat à Subotica. Le passeport été délivré le 29
25 juin 1992. Vous, vous avez quitté Kozluk le 26 juin. Vous avez patienté
26 pendant plusieurs heures à Loznica, vous êtes arrivé à Ruma puis à
27 Subotica. Vous êtes arrivé à Subotica le 27, n'est-ce pas ?
28 R. Oui.
Page 12504
1 Q. Le 28, on vous a transférés au lac de Palic, n'est-ce pas ?
2 R. Je ne peux pas vous donner de date exacte.
3 Q. Mais attendez, ça ne peut pas être autrement, parce que les délais sont
4 trop courts. Le 29 déjà, Esma Hadzic se fait délivrer un passeport. Et
5 voyez-vous ce qu'on dit dans ce passeport ? Le passeport est valide du 29
6 juin 1992 jusqu'au 6 juin 1997; elle s'est fait délivrer un passeport sur
7 une durée de cinq ans. Donc pendant ces cinq années de validité, elle
8 pouvait librement voyager à l'étranger et revenir en Serbie autant de fois
9 qu'elle le voulait, n'est-ce pas ? Ai-je raison de dire cela, Monsieur
10 Banjanovic ?
11 R. Ici on dit que la taxe a été perçue, 550 --
12 Q. Voilà. Vous avez raison, je n'avais pas remarqué. Donc l'usine a bel et
13 bien payé ?
14 R. On a fait payer les passeports. Il y avait ces photographes et il y
15 avait beaucoup de gens, un remue-ménage, l'usine a donné de l'argent.
16 Q. Oui, je vois que vous avez raison. Ça, je ne l'avais pas relevé. Vous
17 voyez que ce passeport avait une validité de cinq années, n'est-ce pas ?
18 R. Oui.
19 Q. Pendant ces cinq années, Esma Hadzic, son époux et leur fils pouvaient
20 autant de fois qu'ils le voulaient entrer et sortir de la Serbie, s'ils le
21 voulaient; c'est bien ça ?
22 R. Oui.
23 Q. Ils pouvaient s'adresser aux organes consulaires de la République
24 fédérale yougoslave, et s'ils étaient à l'étranger, ils pouvaient même
25 faire proroger leurs passeports à l'étranger, n'est-ce pas ? D'après ce
26 qu'on voit ici, ils sont traités comme aurait été traité n'importe quel
27 citoyen de Serbie. Est-ce que j'ai raison, s'agissant précisément du
28 passeport ?
Page 12505
1 R. La façon dont nous avons été traités, Monsieur Seselj, nous le savons
2 parfaitement bien; dans un espace réduit, avec des barbelés autour de nous,
3 sous les tentes, malades, incapables de circuler, transférés
4 collectivement, et sans la moindre idée du moment où nous partirions et
5 d'où nous partirions. Une mère et son fils pouvaient être transférés en
6 Allemagne et les autres en Autriche.
7 Q. Deux questions rapides. A Subotica, est-ce qu'il y avait un meilleur
8 emplacement où vous héberger ?
9 R. Croyez-moi, je n'en sais rien.
10 Q. Je vous le dis, je connais très bien Subotica, mais je n'ai pas le
11 souvenir d'un quelconque autre endroit où vous auriez pu être hébergés dans
12 des meilleures conditions, étant donné l'importance numérique du groupe que
13 vous constituiez. Palic est un lieu touristique. Il y a des bungalows là-
14 bas, si je me souviens bien. Palic est le plus beau quartier de Subotica,
15 n'est-ce pas, au bord du lac ?
16 R. Je ne connais pas bien Subotica, pas plus que Palic. On nous a
17 installés dans ce pré qui était entouré de fils de fer barbelés, sous des
18 tentes; on a été frappés, puis il y a eu Loznica et Ruma. Qu'est-ce qu'il y
19 a de bien dans tout ça ? Des bébés sont nés en chemin. Les coups, pas de
20 nourriture. Je vous le dis, Monsieur Seselj.
21 Q. Le simple fait que vous ayez quitté votre domicile montre combien votre
22 voyage a dû être difficile.
23 R. Nous n'avons pas quitté notre domicile. Nous avons été expulsés. Nous
24 n'avons pas quitté Kozluk de notre plein gré. Nous avons été expulsés le
25 26.
26 Q. Nous sommes convenus que c'étaient des bandes paramilitaires qui vous
27 ont expulsés, et qu'elles exerçaient un rôle dominant sur les autorités
28 politiques présentes là-bas. Et vous l'avez confirmé à mon intention.
Page 12506
1 R. Brano Grujic, président de la municipalité serbe nous a envoyés --
2 Q. J'essaie de suivre simplement ce que vous avez dit, Monsieur
3 Banjanovic. Je n'ai aucune raison de me quereller avec vous.
4 Mme LE JUGE LATTANZI : Vous suivez, nous, on ne suit pas. On ne réussit pas
5 à suivre, parce que les interprètes ne peuvent pas interpréter, le
6 sténotypiste ne peut pas écrire. Donc ou vous cherchez à attendre la
7 réponse du témoin, le témoin cherche à attendre votre question et à donner
8 la possibilité d'interpréter, autrement on finit -- on ne peut pas suivre.
9 M. SESELJ : [interprétation] Bon.
10 Q. J'ai ici un autre passeport sous les yeux. Le passeport de Saha Hadzic.
11 Vous pouvez tourner quelques pages dès que vous en aurez terminé avec le
12 passeport précédent, il y a les pages concernant le nouveau passeport qui
13 arrivent. On trouve les éléments d'identification personnels de cette
14 personne, on tourne les pages, on arrive à la page 11. Et là, on lit que ce
15 passeport a été délivré le 29 juin 1992 et qu'il est valable jusqu'au 6
16 juin 1997; c'est bien ça ?
17 R. Oui.
18 Q. Donc les dates sont identiques. L'Accusation aurait pu nous soumettre
19 d'autres passeports encore. Je n'aurais pas eu l'occasion de voir ces
20 passeports s'ils ne m'avaient pas été communiqués par l'Accusation.
21 Pouvons-nous, au vu de tout cela, conclure que tous les passeports étaient
22 premièrement délivrés dans des conditions régulières. Deuxièmement, que la
23 procédure standard a été respectée. Est-ce que vous êtes d'accord là-dessus
24 ?
25 Vous avez sans doute dû produire un document officiel vous
26 concernant, où on voyait au moins votre numéro matricule, après quoi sur
27 place on a pris vos photos. Il a fallu faire plus de 1 600 photographies,
28 on a pris aussi les empreintes digitales, n'est-ce
Page 12507
1 pas ?
2 R. Oui.
3 Q. Ça, vous ne vous êtes pas rappelé de le dire, c'est moi qui viens de
4 m'en souvenir. Donc on vous a tous pris vos empreintes digitales, et tous
5 ces papiers sont partis pour Belgrade afin d'être soumis à la vérification
6 habituelle étant donné que tous les citoyens de la RSFY sont enregistrés à
7 l'état civil ? Est-ce que vous êtes au courant de cela ?
8 R. Je sais simplement que nous avons payé des sommes importantes pour tout
9 cela, 550 --
10 Q. C'est l'usine qui a payé, qui a apporté un chèque pour vous. Ce n'est
11 pas vous qui avez payé, on vous a délivré un passeport, il était valable
12 pour cinq ans. Et il a été délivré selon la procédure la plus régulière, la
13 plus normale, c'est cela que je tenais à vous dire. C'est bien ça, Monsieur
14 Banjanovic, n'est-ce
15 pas ?
16 Maintenant, vous avez dit que vous faisiez partie du dernier groupe qui a
17 quitté Palic, n'est-ce pas ?
18 R. Oui.
19 Q. Dans une déclaration écrite, nous lisons ici que vous y êtes
20 resté huit jours. Vous venez de dire à l'instant que vous y étiez resté dix
21 jours; c'est bien ça ?
22 R. Je n'ai pas le souvenir exact du nombre de jours, car ces jours pour
23 moi ont été effroyables, et nous savons qu'au fur et à mesure que les
24 groupes recevaient un passeport, ils partaient. Nous ne savions même pas où
25 ces personnes allaient. Certains, nous l'avons appris plus tard, ont été
26 envoyés en Hongrie, d'autres en Allemagne, d'autres en Autriche, de sorte
27 que toutes ces familles étaient de nouveau dispersées. La mère partait dans
28 un coin, les autres ailleurs, c'était une situation dans laquelle il était
Page 12508
1 sans doute impossible de procéder au contrôle nécessaire étant donné
2 l'importance numérique de toute cette masse.
3 Q. Mais est-ce que vous êtes d'accord que ceci, d'une façon générale, n'a
4 pas été fait dans l'intérêt des autorités de Serbie, car il fallait d'abord
5 obtenir l'autorisation des autorités du pays concerné, les autorités
6 hongroises, par exemple ?
7 R. Ça, oui.
8 Q. Est-ce qu'il clair à vos yeux que la Hongrie n'avait pas envie de
9 recevoir 1 600 personnes d'un coup, mais par groupes, les uns après les
10 autres ?
11 R. Mais puisque de toute façon on nous envoyait, certains en Hongrie,
12 d'autres en Allemagne, d'autres en Autriche, il était clair qu'il y avait
13 un certain niveau de coordination, maintenant, comment elle s'est faite, je
14 ne sais pas.
15 Q. Est-ce que les groupes comptaient environ 200 personnes ?
16 R. Oui, à peu près.
17 Q. A peu près 200 personnes, n'est-ce pas ?
18 R. Oui.
19 Q. Donc cela ne pouvait pas être fait en un instant.
20 Maintenant, Monsieur Banjanovic, vous avez passé un certain temps en
21 Autriche, n'est-ce pas ?
22 R. J'ai passé tout mon temps à Najetad, en Hongrie.
23 Q. Oui, en Hongrie.
24 R. Ensuite, je suis parti pour l'Autriche, car mon épouse, mes enfants et
25 ma mère se trouvaient pour les uns en Allemagne, pour les autres en
26 Autriche, ensuite je suis revenu à Najetad. Ensuite, j'ai effectué un
27 deuxième départ vers l'Autriche.
28 Q. Quand êtes-vous rentré à Kozluk ?
Page 12509
1 R. Je suis rentré à Kozluk en 2003, et en 2001, ma famille, mon épouse et
2 mes deux enfants, ma mère sont rentrés à Kozluk.
3 Q. Vos concitoyens sont rentrés quant à eux à Kozluk ?
4 R. Au début de l'année 2000, il y a eu un retour organisé. Au cours des
5 six premiers mois, nous en avons été informés, ensuite 18 personnes ont pu
6 revenir au début de l'année 2000. Mais le groupe total comptait 4 850
7 personnes; donc tout le monde n'a pas pu rentrer en même temps. Les retours
8 se sont passés progressivement.
9 Q. Donc vos maisons ont été conservées et des réfugiés serbes s'y sont
10 installés, n'est-ce pas ?
11 R. Exact; 4 850 Serbes de 28 municipalités habitaient à Kozluk à l'époque.
12 Q. Et à ce moment-là, les autorités de la Republika Srpska les ont fait
13 déménager peu à peu en leur offrant d'autres logements, et vous, vous êtes
14 rentrés à vos domiciles, n'est-ce pas ?
15 R. Exact.
16 Q. Puis les autorités de la Republika Srpska ont commencé à investir des
17 sommes assez importantes pour réparer les infrastructures de Kozluk,
18 reconstruire le réseau d'adduction d'eau et tout ce qui était nécessaire,
19 n'est-ce pas ?
20 R. Oui, par les autorités gouvernementales de Serbie et les ministères
21 respectifs qui étaient concernés, nous avons pu avoir accès à l'eau
22 potable, nous avons bénéficié de la construction d'un centre médical, de
23 routes. Et Kozluk étant une partie de la Republika Srpska, nous avons
24 demandé des financements, parce qu'il y avait des Serbes qui y habitaient,
25 pas seulement des Musulmans, mais également des Serbes.
26 Q. Vous et vos compagnons musulmans qui êtes retournés à Kozluk, avez été
27 contents du comportement de la Republika Srpska à votre égard après votre
28 retour, n'est-ce pas ?
Page 12510
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12511
1 R. Pour autant que le gouvernement de la Republika Srpska et les
2 ministères respectifs soient concernés, et si nous parlons de l'appui que
3 nous avons reçu de leur part à notre retour, nous avons été satisfaits.
4 Nous avons préparé un certain nombre de projets concernant l'ouverture de
5 plusieurs usines, mais nous considérions tout cela comme normal, parce que
6 nous étions citoyens de la Republika Srpska, partie de la Bosnie-
7 Herzégovine. C'était notre gouvernement.
8 Q. J'ai un renseignement qui émane d'internet ici. Tant que je
9 communiquais avec mes conseillers juridiques, ils ont pu me communiquer ce
10 document. Le 27 avril 2007, à Kozluk, vous avez accueilli Dodik en
11 chantant. Ceci est peut-être un peu exagéré. Peut-être n'avez-vous pas
12 chanté, mais vous aviez dit que vous étiez satisfaits du traitement que le
13 gouvernement vous avait réservé et des lettres que vous aviez reçues.
14 R. Mais le commandant d'Arkan, M. Pejic, a été accueilli à Kozluk, et
15 quand nous avons vu que des gens sont tombés malades, après avoir restitué
16 leurs armes, nous avons reçu des médicaments. S'agissant de Dodik, il a
17 répondu à toutes nos demandes, donc nous avions du respect pour lui et pour
18 le gouvernement de Bosnie-Herzégovine. Quand les gens sont rentrés en
19 Republika Srpska, les lois étaient respectées, la constitution de la
20 Republika Srpska en particulier, et nous considérions que c'était notre
21 travail de demander l'installation d'adduction d'eau potable, la création
22 de routes, et cetera.
23 Q. Si j'ai bien compris, vous ne vous êtes pas plaints au sujet de Pejic,
24 le second d'Arkan, qui avait un pouvoir important un peu partout dans le
25 secteur. Votre problème principal a commencé quand il a quitté Zvornik,
26 n'est-ce pas ?
27 R. Bien, oui, nos problèmes étaient en fait l'existence de la guerre, la
28 guerre a provoqué tous ces problèmes. C'est la guerre qui a amené Pejic,
Page 12512
1 Pavlovic et tous les autres.
2 Q. Mais ce qui m'intéresse ici, c'est la chose suivante : est-ce que vous
3 savez où se trouve Rastosnica ?
4 R. Rastosnica est l'un des villages serbes les plus importants de la
5 municipalité de Sapna, et Sapna se trouve dans l'entité que l'on appelle
6 Bosnie-Herzégovine.
7 Q. Sapna faisait partie d'une municipalité à un certain moment, n'est-ce
8 pas ?
9 R. Oui.
10 Q. Et selon les accords de Dayton, cette municipalité a été divisée et
11 Sapna est désormais une nouvelle municipalité créée à ce moment-là, n'est-
12 ce pas ?
13 R. Oui, Sapna est une municipalité serbe.
14 Q. Une municipalité serbe. Et c'est également le village le plus gros de
15 la municipalité de Sapna ?
16 R. Oui.
17 Q. Est-ce que vous savez qu'en 1992, le village a été attaqué par les
18 paramilitaires musulmans et qu'un grand nombre d'habitants ont été tués et
19 leurs maisons incendiées. Est-ce que vous auriez entendu parler de cela ?
20 Est-ce que vous êtes au courant ?
21 R. Non, je ne suis pas au courant. Je ne sais pas, parce que je vivais
22 dans l'isolement le plus total. Mais plus tard, j'ai entendu parler du fait
23 que des événements ont eu lieu à cet endroit pendant la guerre. Comment,
24 pourquoi, quoi exactement, contre qui ? Je ne sais pas, mais j'étais dans
25 l'isolement le plus total.
26 Q. Il se trouve que je dispose d'un renseignement datant de 2007 qui
27 permet de faire une comparaison entre la situation à Kozluk, puisque vous
28 dites que vous avez été satisfait du traitement que vous avez reçu de la
Page 12513
1 part du gouvernement de la Republika Srpska. Et je vois ici qu'à
2 Rastosnica, cette même année, 180 des maisons serbes incendiées, et il y en
3 a eu 1 050 au total, ont été reconstruites, alors qu'à Skakavci qui se
4 trouve tout près, 20 maisons, sur un total de 350 maisons serbes incendiées
5 ont été reconstruites. Ces maisons n'ont donc pas été toutes reconstruites.
6 L'école, le centre médical, et cetera, n'ont pas été reconstruits. Je tire
7 de tout ça la conclusion qu'en tout cas dans le secteur où vous habitiez, à
8 la frontière, les Musulmans ont bénéficié d'un traitement bien meilleur
9 lorsqu'ils sont retournés en Republika Srpska que les Serbes qui sont
10 retournés dans la fédération croato-musulmane. Est-ce que vous êtes
11 d'accord avec moi ? Peut-être que vous n'aimez pas entendre cela sur le
12 plan politique, cela ne vous convient pas ?
13 R. Le renseignement dont vous disposez, Monsieur Seselj, est inexact. A
14 Rastosnica, nous avons l'école la plus moderne, et le centre médical est le
15 plus moderne puisqu'il a été reconstruit. Mais Rastosnica est une localité
16 importante où il y a pas mal de petits et de grands hameaux.
17 Alors, je pourrais être invité à apprécier la situation en divers lieux,
18 est-ce que la situation est préférable à La Haye ou à Sarajevo ou ailleurs.
19 Mais s'agissant de Kozluk, on a mis en place des projets proposés au
20 gouvernement; on a investi pas mal de temps et d'efforts pour construire un
21 avenir meilleur pour nous, parce que vous parlez du traitement réservé aux
22 Serbes, la route qui passe par Kozluk, qui va à Zvornik, à Bijeljina, les
23 gens l'utilisent pour venir d'un peu partout de Pale et de Banja Luka,
24 entre autres. Les adductions d'eau que M. Milan Dodik a construit grâce à
25 des investissements de plus d'un million de deutsche marks concernaient pas
26 mal de communautés locales; donc c'était dans l'intérêt de l'ensemble
27 d'entre nous, dans notre intérêt à tous.
28 Et ce que je tiens à dire, c'est que le gouvernement nous a fourni tout
Page 12514
1 cela, mais nous nous sommes battus pour l'obtenir. Nous sommes allés le
2 demander. Ceci ne veut pas dire que les habitants de Rastosnica auraient dû
3 faire la même chose, mais ils auraient dû être plus actifs, ils auraient dû
4 investir du temps et des efforts et continuer à s'adresser aux autorités
5 pour exiger ce qu'ils souhaitaient obtenir, parce que si on ne faisait pas
6 ça, on n'allait nulle part. Donc je tiens à dire que la discrimination dans
7 le secteur où je réside n'a vraiment pas existé, et j'aimerais le dire très
8 publiquement.
9 Q. D'accord. Merci, Monsieur Banjanovic, mais je voulais utiliser ce
10 renseignements tiré d'internet pour vous montrer que s'agissant des
11 réfugiés serbes, la situation était très différente. Mais je n'insiste pas
12 là-dessus. Je comprends que vous ayez besoin de ne pas vous exposer à des
13 mauvais traitements qui vous mettraient dans une situation difficile. Mais
14 ce dont j'ai le souvenir, c'est que vous avez témoigné publiquement dans
15 l'affaire Milosevic, Slobodan Milosevic, ainsi que dans le procès à
16 Belgrade, et maintenant vous témoignez en public ici, n'est-ce pas ?
17 R. Oui, j'ai parlé partout publiquement, sans utiliser de code pour les
18 noms propres, les prénoms ou quoi que ce soit d'autre, et j'ai toujours
19 raconté ce dont j'avais une connaissance personnelle.
20 Q. Je pense que votre témoignage ici aujourd'hui s'est fait dans des
21 conditions identiques, pour autant qu'un témoignage puisse être identique à
22 un autre.
23 Quand vous avez témoigné dans le procès de Slobodan Milosevic, par exemple,
24 et que vous êtes retourné à Kozluk, est-ce que vous avez vécu des
25 expériences désagréables de quelque sorte à votre retour ?
26 R. Ce témoignage que j'ai fait, je ne l'ai pas fait de mon plein gré. Je
27 vis à Kozluk. Mon enfant va à l'école avec d'autres enfants serbes. Je suis
28 l'un des fonctionnaires qui est retourné à Kozluk. Je ne vis pas à Sarajevo
Page 12515
1 ou à Tuzla. Je vis à Kozluk. Donc croyez-moi, je vous prie, quand je dis
2 que parmi les miens, tout comme parmi la population serbe, il y a encore
3 des gens qui souhaitent s'orienter vers la guerre; donc j'ai toujours des
4 craintes que mon enfant puisse être enlevé. Je reçois des menaces et j'ai
5 dénoncé un certain nombre de telles menaces et les gens qui en étaient les
6 auteurs, menaces consistant à me dire qu'on allait enlever mon enfant, et
7 cetera. Mais quoi qu'il en soit, tout ce que je dis, je le dis en public,
8 et je le fais encore ici aujourd'hui parce que ce qui s'est passé s'est
9 passé. Dieu nous prévienne d'une répétition de tels événements, parce que
10 la guerre c'est vraiment la dernière option possible.
11 Q. Monsieur Banjanovic, croyez-moi, je vous remercie d'avoir dit ce que
12 vous avez dit dans votre déposition. Je tiens à ce que les gens s'expriment
13 en public. Je tiens à ce que les gens qui ont vécu des événements pendant
14 la guerre le fasse connaître en le relatant en public, quels qu'aient été
15 ces événements et quelle que soit leur opinion sur ces événements, parce
16 que chacun a le droit de dire ce qui lui est arrivé et ce qu'il a vécu. Et
17 je vous souhaite, Monsieur Banjanovic, très sincèrement, de ne vivre aucun
18 événement désagréable à votre retour à la fin de votre déposition ici.
19 R. Je vous remercie.
20 Q. Merci à vous.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'en ai terminé de mon contre-interrogatoire,
22 Monsieur le Président.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : Des questions supplémentaires.
24 Mme BIERSAY : [interprétation] Non, pas de questions supplémentaires. Je
25 vous remercie, Monsieur le Président.
26 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Pas de questions ?
27 Monsieur, au nom de mes collègues, je vous remercie d'être venu à La Haye
28 pour témoigner. Je formule mes meilleurs vœux pour que vous retourniez dans
Page 12516
1 votre pays. Et j'espère que tout se passera très bien dans l'avenir.
2 Je vais demander à M. l'Huissier de bien vouloir vous raccompagner.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci à vous également.
4 [Le témoin se retire]
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je me tourne vers l'Accusation, vers M.
6 Mundis.
7 Pour demain, nous avons un témoin qui est prévu. Il est, je présume,
8 déjà là.
9 M. MUNDIS : [interprétation] Tout à fait. Le témoin prévu pour demain est
10 déjà là, à La Haye. Il sera là demain matin à 8 heures 30. Nous ne savons
11 toujours pas grand-chose sur le témoin suivant, il est évident qu'il ne
12 témoignera pas cette semaine en tout cas. Ce qui fait que nous n'avons plus
13 qu'un témoin pour cette semaine. Je sais que mon confrère, M. Mussemeyer,
14 aimerait avoir un peu plus d'une heure que l'heure qui lui a été donnée; je
15 sais que M. Seselj lui aussi aimerait avoir un peu plus de temps pour son
16 contre-interrogatoire. Mais je ne pense pas qu'il y aura des problèmes si
17 l'on allonge le délai.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous aviez prévu combien de temps au départ ?
19 M. MUNDIS : [interprétation] Si on ne faisait pas droit au 92 ter, nous
20 avons demandé deux heures pour le témoin suivant. Donc nous aimerions
21 vraiment avoir deux heures et que M. Seselj ait aussi deux heures. Je crois
22 que quand la Chambre de première instance a refusé le 92 ter, elle nous a
23 donné une heure à chacun.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Donc c'est un viva voce.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je peux dire quelque chose ?
26 M. LE JUGE ANTONETTI : Deux heures pour l'Accusation et deux heures pour M.
27 Seselj semble tout à fait justifié.
28 D'autant, je rappelle, que c'est un témoin qui vient témoigner sur la ligne
Page 12517
1 de conduite délibérée. C'est dans ce cadre qu'il vient.
2 Oui, Monsieur Seselj.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Là je suis tout à fait d'accord. Vous venez de
4 dire "deux heures," c'est exactement ce que je voulais demander pour moi
5 également.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Bon. Deux heures pour le Procureur, et
7 deux heures pour la Défense, puis avec les questions des Juges, le témoin
8 restera jeudi, parce qu'on ne terminera pas demain. Mais pour une fois
9 qu'on a du temps, autant en profiter.
10 Ceci étant dit, Monsieur Mundis, j'ai ma calculette. Chaque témoin
11 qui vient, je retire du temps et à la fin de la semaine prochaine, il vous
12 restera globalement une vingtaine d'heures.
13 M. MUNDIS : [interprétation] Oui, c'est a peu près ce que nous avions
14 calculé. Nous pensions que lorsque nous nous arrêterions pour les vacances
15 judiciaires d'hiver, nous pensions en être là. Très bien.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je vais souhaiter à tout le monde une
17 bonne fin de soirée. Il restait quelques minutes. Nous nous retrouverons
18 tous demain à 8 heures 30. Je vous remercie.
19 --- L'audience est levée à 18 heures 54 et reprendra le mercredi 3 décembre
20 2008, à 8 heures 30.
21
22
23
24
25
26
27
28