Page 12627
1 Le jeudi 4 décembre 2008
2 [Audience publique]
3 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 8 heures 32.
5 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de
7 l'affaire, s'il vous plaît.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.
9 Bonjour à toutes les personnes présentes dans le prétoire. Il s'agit de
10 l'affaire IT-03-67-T, le Procureur contre Vojislav Seselj.
11 Merci, Madame, Messieurs les Juges.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.
13 En ce jeudi 4 décembre 2008, je salue en premier M. Tihic. Je salue les
14 représentants du bureau du Procureur ainsi que leurs collaboratrices. Je
15 salue M. Seselj et je salue toutes les personnes qui nous assistent, M.
16 l'Huissier et M. le Greffier, sans oublier les interprètes.
17 Nous allons donc poursuivre aujourd'hui le contre-interrogatoire. Monsieur
18 Seselj, il vous reste une heure et 15 minutes d'après les décomptes faits
19 par M. le Greffier. Je vous donne la parole pour la suite du contre-
20 interrogatoire.
21 LE TÉMOIN : SULEJMAN TIHIC [Reprise]
22 [Le témoin répond par l'interprète]
23 Contre-interrogatoire par M. Seselj : [Suite]
24 Q. [interprétation] Monsieur Tihic, jusqu'en 1990, vous avez été membre de
25 la Ligue des Communistes, n'est-ce pas ?
26 R. Oui.
27 Q. Et vous avez vu que ce parti a périclité. Vous n'y avez pas vu votre
28 avenir, et vous vous êtes interrogé sur l'affiliation dans un autre parti,
Page 12628
1 n'est-ce pas ?
2 R. Alors, si je puis répondre.
3 Q. Ne soyez pas trop long.
4 R. Oui, mais il serait très difficile de comprendre par une réponse oui ou
5 non.
6 J'ai longtemps nourri un dilemme, parce que j'ai vécu dans des temps et
7 dans un système particulier. Mon père était un partisan. Je suis originaire
8 d'une famille de ce genre. Ce parti à l'époque avait généré l'insurrection
9 populaire, et il y a une tradition d'attachement au parti qui existait à
10 l'époque. Donc il y avait un dilemme dans ma famille pour ce qui est de
11 savoir s'il fallait s'aventurer à créer de nouveaux partis ou pas. Quand
12 j'ai vu que la Ligue des Communistes ne pouvaient pas subsister pour des
13 hypothèques très variées, et pour des processus ou pour des raisons de
14 processus très divergents, j'ai opté en faveur de ce Parti de l'Action
15 démocratique, parce que j'ai pensé que ce parti allait consacrer
16 l'essentiel de ses activités à la Bosnie-Herzégovine, non pas un peuple
17 seulement, mais à la Bosnie-Herzégovine, qu'elle soit partie intégrante de
18 cette Yougoslavie fédérale, confédérale, peu importe. Le parti n'avait pas
19 pour programme la création d'une Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat, mais
20 il voulait s'employer en faveur de la protection de certains droits et de
21 libertés.
22 Q. Mais vous avez nourri des réserves très importantes vis-à-vis du SDA,
23 ainsi que vis-à-vis de son leader Alija Izetbegovic ?
24 R. Non, je n'ai pas émis de réserve. J'avais des dilemmes. Je me demandais
25 s'il fallait accéder à ce parti ou rester dans la Ligue des Communistes.
26 Lorsque j'ai vu que la Ligue de Communistes ne pouvait pas satisfaire ou
27 répondre à ce qui nous attendait dans les temps à venir, j'ai opté en
28 faveur de ce parti bosniaque, qui était le plus bosno-herzégovien des
Page 12629
1 partis.
2 Q. Mais vous aviez eu des réserves vis-à-vis des gens qui ont créé une
3 branche du SDA à Bosanski Samac. Vous avez estimé qu'ils n'étaient pas des
4 gens dignes de votre confiance.
5 R. Je n'ai pas pensé que ce n'était pas des gens dignes de ma confiance,
6 mais ce n'était pas des gens qui n'ont pas fait de la politique, ils ne
7 comprenaient rien à la politique. C'était pour l'essentiel des gens à
8 qualification moyenne, secondaire ou plus, sans expérience économique ou
9 politique. Et lorsque je me suis trouvé sur cette liste en tant que
10 titulaire de la liste ou porteur de la liste, il y a eu des boulangers, des
11 pâtissiers sur la liste, enfin, des gens qui n'avaient pas des antécédents.
12 Q. Mais ça, c'était déjà quand vous avez été devenu membre. Vous avez
13 hésité parce que vous n'avez pas estimé que des notables dans Bosanski
14 Samac ?
15 R. C'étaient des gens ordinaires, des gens, des travailleurs.
16 Q. Voyez-vous, Monsieur Tihic, si le bureau du Procureur ne m'avait pas
17 procuré ex officio un texte à vous qui est intitulé "Souvenirs," je dis
18 "souvenirs," parce que vous avez utilisé le "ch" dur. Est-ce que c'est
19 fortuit ?
20 R. Non.
21 Q. Vous auriez peut-être dû mettre "secanje" en bosnien. Mais vous avez
22 raconté des faits relatifs aux crimes de guerre ?
23 R. Non, j'ai écrit cela quand je suis sorti du camp. Au fil du temps,
24 j'ai pensé que j'oubliais des événements, leur suite, des noms, et que
25 j'oubliais ce qui s'était passé dans tel ou tel autre camp. Et pour ne pas
26 confondre les événements et tout mélanger, situer les événements ailleurs,
27 j'ai rédigé ce texte intitulé, "Souvenirs" pour me servir d'aide-mémoire et
28 pour ranger les événements selon leur chronologie.
Page 12630
1 Q. Moi, ça m'a été utile pour connaître l'évolution de votre vie
2 professionnelle et autre. Comme je n'ai pas de contacts avec mes
3 collaborateurs, je me suis fondé sur les éléments fournis par le bureau du
4 Procureur pour mon contre-interrogatoire.
5 En page 2 de cette espèce de confession assez longue, de plus de 60 pages,
6 vous nous dites que vous avez assisté aux assemblées de promotion et de
7 création de tous les partis mis en place à Bosanski Samac, et vous dites
8 que :
9 "Le Parti de l'Action démocratique ne vous avait pas plu, parce que, je
10 vous cite : "C'était un ensemble de petits privés, de gens qui n'étaient
11 pas des notables dans le milieu de Samac, et de gens qui étaient arrivés à
12 Samac venus d'ailleurs.
13 "Depuis lors, bon nombre de militants du SDA se sont entretenus avec
14 moi pour une affiliation de ma part au SDA et m'ont proposé des fonctions
15 de président, tout ce que je voulais pour que j'accepte la fonction de
16 président. Parce qu'ils s'attendaient à ce que vous attiriez des gens
17 notables, des notables de Bosanski Samac dans le sillon que vous créeriez,
18 n'est-ce pas ?
19 R. Bien, pour l'essentiel, au début tous les partis avaient un potentiel
20 en matière de cadres assez médiocre. On a pu le voir lorsque les autorités
21 ont été créées et on a vu qu'on manquait de gens avec une expérience et des
22 connaissances politiques.
23 Q. Vous aviez alors voulu vous affilier au parti libéral à la tête duquel
24 se trouvait Rasim Kadic ?
25 R. Oui, c'était un des dilemmes.
26 Q. Et ce parti vous a déçu par ses attitudes et vous avez renoncé ?
27 R. Je suis allé m'affilier à ce parti. Ils ont fait un communiqué qui
28 m'avait rappelé les activités politiques de la Ligue des Communistes. Ils
Page 12631
1 ont dit que parce que Rasim Kadic avait été présent à l'assemblée qui a
2 créé le parti du SDA, ils l'ont tout de suite condamné.
3 Q. Vous avez pensé qu'ils étaient insuffisamment tolérants ?
4 R. Oui, mais le fait qu'on soit présent n'a rien à voir, on n'a pas à le
5 condamner sur le plan politique.
6 Q. Je vous comprends parfaitement, j'ai été présent au rassemblement du
7 Parti démocratique et autres partis, mais je n'ai pas eu l'idée ou
8 l'intention de m'affilier, ça n'a rien d'étrange.
9 R. Ce qui a été étrange, c'est de voir qu'on a condamné leur président
10 parce qu'il a été présent.
11 Q. Mais on a vu qu'il y avait une animosité certaine vis-à-vis.
12 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] M. Seselj et Tihic, encore une fois
13 pardonnez si je vous interromps, mais les interprètes ont beaucoup de mal à
14 vous suivre. Veuillez l'un et l'autre ralentir, s'il vous plaît, parler
15 plus lentement et marquer une pause entre les questions et les réponses,
16 s'il vous plaît. Merci.
17 M. SESELJ : [interprétation]
18 Q. Vous dites qu'aux premières élections, à peine 50 % des Musulmans ont
19 voté en faveur du SDA, les autres ont voté pour les autres partis ?
20 R. Cela découle des résultats obtenus. Le corps électoral bosnien pouvait
21 avoir quatre députés et les autres deux.
22 Q. Dans la première moitié de 1991, vous avez commencé à aider le SDA dans
23 ses activités, et c'est en automne que vous vous êtes affilié au parti,
24 n'est-ce pas ?
25 R. Je me suis affilié avant, je me suis affilié en 1990, mais c'est en
26 1991 que j'ai été élu président du SDA.
27 Q. Ici on avait d'abord mis "1991," puis on a rectifié pour dire 1990.
28 Vous avez dit 1990 ?
Page 12632
1 R. Ecoutez, j'étais sur la liste, je ne pourrais pas être titulaire de la
2 liste, et les élections se sont tenues le 18 octobre. Donc c'est avant le
3 18 octobre que je suis devenu membre du SDA, en 1990, s'entend.
4 Q. Donc on avait déjà compris que les communistes allaient perdre les
5 élections, et votre objectif était d'attirer le plus possible de notables
6 au sein du SDA ?
7 R. Non, ce n'était pas seulement mon objectif. Toute une série de
8 notables, de citoyens de groupes ethniques bosniens sont venus à moi pour
9 essayer de me convaincre de m'affilier parce que j'étais avocat. Eux, ils
10 étaient employés et fonctionnaires, puis ils disaient qu'ils allaient me
11 rejoindre ultérieurement.
12 Q. En 1990, il y a eu une assemblée fondatrice avec la participation
13 d'Alija Izetbegovic à Bosanski Samac ?
14 R. Oui, M. Alija Izetbegovic y a pris part.
15 Q. J'ai été surpris par votre dernière réponse à l'une de mes questions à
16 la fin de notre audience d'hier. Vous avez affirmé que vous n'avez jamais
17 accordé votre soutien à Adil Zulfikarpasic et Mohammed Filipovic ainsi que
18 leur organisation musulmane. Alors, dans votre déclaration en page 3, ce
19 que je peux retrouver et lire, c'est que vous y dites, qu'à quelques jours
20 avant cette assemblée avec la participation d'Alija Izetbegovic, je cite :
21 "Il y a eu scission au sein du parti. Adil Zulfikarpasic et Tunjo
22 Filipovic se sont dissociés." "Tunjo" c'est le surnom de Mohammed
23 Filipovic, c'est notoirement connu. "Il y a un dilemme," dites-vous,
24 "m'associer aux travaux du parti, parce qu'à l'époque ce que je préférais
25 c'était leur point de vue à eux, c'était la raison pour laquelle je n'ai
26 pas publiquement accédé à ce parti dès cette assemblée."
27 Ce sont vos propos. Alors vous dites que vous préfériez les opinions
28 politiques des deux autres, et que c'est vers eux que votre soutien allait
Page 12633
1 plutôt ?
2 R. C'est justement l'un des dilemmes que j'ai eu pour ce qui est de
3 décider si oui ou non j'allais m'affilier au SDA. Parce que dans l'opinion
4 publique, le Pr Muhamed Filipovic c'était quelqu'un de très bien en vue,
5 très en vue, Muhamed Filipovic aussi. Ça c'est d'un. Et Alija Izetbegovic,
6 lui, était populaire, dans la population, je veux dire. Et il y a eu la
7 personnalité de Fikret Abdic qui a émergé entre-temps. Mais cela ne
8 signifie pas que j'ai accordé mon soutien aux activités ultérieures de
9 Mohammed Filipovic et de Zulfikarpasic comme, par exemple, l'accord que
10 vous avez évoqué hier, l'accord avec Milosevic, cet accord historique tel
11 qu'ils l'ont qualifié. J'ai dit que je n'avais pas apporté mon soutien à
12 cela.
13 Q. Bien. Mais Adil Zulfikarpasic c'était quelqu'un de très bien vu dans la
14 population serbe aussi jusqu'à son décès. Etes-vous d'accord ?
15 R. Adil était bien vu tant parmi les Bosniens que les Serbes, que les
16 Croates. C'était un homme qui avait beaucoup de tolérance en soi, c'était
17 un immigrant qui avait aidé grandement la Bosnie-Herzégovine et les détenus
18 politiques notamment auparavant, du temps du communisme. Il avait aidé
19 aussi M. Izetbegovic et il avait créé cet institut bosnien à Sarajevo.
20 Q. Mais c'était un démocrate de grande envergure, il n'a jamais été obsédé
21 par un intégrisme islamique ?
22 R. Oui, tout à fait.
23 Q. Bien. On est d'accord là-dessus.
24 Alors, vous dites ici qu'au fur et à mesure que les élections approchaient,
25 il fallait opter, et qu'entre-temps Fikret Abdic, s'était affilié aussi au
26 SDA. Puis il y a eu de grandes assemblées, vous dites majestueuses ou
27 magnifiques à Foca et Velika Kladusa, et vous avez décidé à ce moment-là de
28 vous affilier ?
Page 12634
1 R. Mes dilemmes ont duré tout au fil de 1990, pendant sept, huit mois,
2 dirais-je. Et ces assemblées, ces réunions de Bosniens du SDA de grande
3 renommée m'ont incité à m'affilier.
4 Q. En page 4 vous dites que les Musulmans de Samac avaient formulé des
5 réserves vis-à-vis des activités du SDA. Certains approuvaient mais
6 tacitement, et une autre partie intervenait de façon publique en tant
7 qu'opposant au SDA.
8 R. Ecoutez, les Musulmans de Samac, comme la majorité des Bosniaques,
9 aimaient la Yougoslavie. A l'époque, à l'époque de Josip Broz Tito, c'était
10 une époque de sécurité tant sociale que tout autre. Il ne pouvait pas à
11 cette vitesse-là accepter ces changements. Vous avez vu tous les dilemmes
12 que j'avais eus moi, moi qui avais compris plus les choses et davantage les
13 choses que les autres, les gens ordinaires. Les gens ordinaires
14 comprenaient plus lentement, ils étaient plutôt tournés vers les temps
15 révolus. Les Musulmans de Samac aimaient la Yougoslavie comme les Bosniens
16 en général de la Bosnie-Herzégovine. De nos jours encore, vous avez en
17 Bosnie-Herzégovine, vous avez encore de parmi les Bosniens, là où les
18 Bosniens sont majoritaires il y a la rue du maréchal Tito, les souvenirs ou
19 la rue du conseil antifasciste de libération nationale, et cetera.
20 Q. Et c'est parce qu'ils ont voulu la Yougoslavie qu'un grand nombre de
21 Musulmans de Samac s'est joint au 4e Détachement du 7e Groupe tactique de la
22 JNA dont on a parlé hier, n'est-ce pas ?
23 R. Je vous ai dit qu'un certain nombre de Bosniens s'étaient joints à ce
24 4e Détachement, ceux qui croyaient encore que la JNA était l'armée de tous
25 et qui croyaient en la survie de la Yougoslavie, qui voulaient que la
26 Yougoslavie subsiste. Et ils étaient en corrélation avec les instances de
27 la sécurité, et cetera.
28 Q. Mais il y a un autre facteur. Les Musulmans de Samac n'ont jamais été
Page 12635
1 portés, en majorité je veux dire, vers un intégrisme islamique. Ils
2 n'avaient jamais voulu placer la religion au-dessus de tout dans la vie
3 sociale. Cela ne veut pas dire que ce n'étaient pas de bons Musulmans.
4 C'étaient des bons Musulmans, certains plus Musulmans, d'autres moins. Mais
5 ils avaient tenu compte de la tolérance religieuse. On ne pouvait pas les
6 comparer avec d'autres milieux en Bosnie où la situation était tout à fait
7 différente.
8 R. Voyez-vous, notre expérience historique, pour ce qui est de la vie à
9 Bosanski Samac, cette coexistence avec les Serbes et les Croates, c'était
10 une chose fort positive. Nous avions respecté notre religion et nos
11 traditions mais il n'y a jamais eu d'exagération.
12 Q. Oui, justement.
13 R. Et c'était mon comportement, c'était le comportement des autres
14 Musulmans de Samac.
15 Q. Et un grand nombre de ces Musulmans n'appréciaient pas la politique
16 d'Alija Izetbegovic. Alija Izetbegovic était déjà connu comme un intégriste
17 islamiste, comme un panislamiste, n'est-ce pas ?
18 R. Vous avez vu les résultats des élections. A l'époque, lorsqu'il n'y a
19 pas eu encore prise de conscience au niveau des gens, 50 % avaient soutenu
20 le SDA, la liste dont je vous ai parlé, qui n'était pas une liste avec des
21 cadres de bonne qualité. Ce qui signifie que le SDA et Alija Izetbegovic
22 avaient quand même reçu la moitié des votes dans le commun du peuple. C'est
23 le SDP, la Ligue des Communistes, qui avait obtenu le plus de votes. Et à
24 Bosanski Samac, il n'y avait des Musulmans et des Bosniens qu'en ville.
25 Dans les autres villes, le SDS ou les autres partis n'avaient pas obtenu la
26 majorité.
27 Q. Attendez. Ne contournons pas la substance de ma question. Etes-vous
28 d'accord avec moi pour dire que la grande majorité des citoyens de la
Page 12636
1 Bosnie-Herzégovine, dont les Musulmans, avaient estimé qu'Alija Izetbegovic
2 était le représentant d'une option dure, intégriste, c'était un
3 fondamentaliste et panislamiste.
4 R. Je ne pense pas que ce soit la majorité. Un petit nombre de citoyens
5 l'avait pensé, parce que le SDA avait quand même emporté trois quarts des
6 votes.
7 Q. Mais ce qui a contribué, c'est qu'il y a eu association de trois partis
8 nationaux et que les peuples ont estimé que cela constituerait un
9 équilibre, et que les éléments négatifs seraient finalement neutralisés et
10 qu'ils auront à trouver des compromis et que c'est avec de la compréhension
11 qu'il fallait qu'ils se placent à la tête de la Bosnie-Herzégovine.
12 R. On peut parler longuement des raisons de ces votes, on peut dire qu'ils
13 ont voté, parce que certains voyaient dans ce président Izetbegovic la
14 victime de persécution politique, d'habitude on se solidarise.
15 Q. Oui, il a indibutablement été victime du régime communiste, et il a
16 répondu au pénal de textes qu'il n'avait pas encore publiés.
17 R. Il a été rendu coupable d'un "délit verbal." Il était coupable de ce
18 qu'il pensait et de ce qu'il écrivait. Et on arrachait à son contexte tout
19 ce qu'il avait dit, tout ce qu'il avait écrit et il a été sanctionné de
20 façon extrêmement sévère.
21 Q. Je ne sais pas si vous, vous le savez, mais la première des pétitions
22 qui a été organisée en faveur d'Izetbegovic et de son groupe venait de moi.
23 Saviez-vous cela ?
24 R. Je ne sais pas. Je sais que les intellectuels de Belgrade --
25 Q. Avant les intellectuels de Belgrade, il y a eu une réunion de
26 sociologues yougoslaves de la maison d'Ante [inaudible] et il y a eu une
27 réunion de ces sociologues de Serbie, de Croatie, de Bosnie. Peu importe.
28 Mais nous sommes d'accord pour dire que ce n'est pas de façon justifiée
Page 12637
1 qu'il a fait de la prison.
2 R. Ce n'était pas un extrémiste, il n'était pas intégriste. On n'aurait
3 pas signé des pétitions en faveur d'un intégriste. C'était un homme qui
4 pensait librement. Et à l'époque, on n'avait pas le droit de mettre sur
5 papier tout ce qu'on pensait.
6 Q. Moi, j'estime que tout le monde peut penser ce qu'il veut et publier
7 ses pensées. Et si ces pensées sont erronées, il faut que ce soit critiqué
8 de façon publique, mais pas qu'on mette les gens en prison. C'étaient mes
9 positions. Et ce n'était pas un extrémiste ni un fondamentaliste. Et dans
10 la guerre, là où Izetbegovic a exercé son pouvoir, il n'y a pas eu de
11 crimes en masse. Il a empêché ce type de chose.
12 Q. Dès 1989, on a publié sa fameuse et célèbre déclaration islamique.
13 C'était sa première édition, en 1989. Ensuite cela a connu plusieurs
14 rééditions. Je vais attirer votre attention sur quelques exemples concrets,
15 pour vous dire que c'était un panislamiste et un intégriste musulman.
16 Parce que nous voyons d'ores et déjà ici - et j'ai sous les yeux le premier
17 tome des œuvres choisies d'Alija Izetbegovic publiées en 2005 - cependant,
18 jusque-là, il y a eu plusieurs rééditions de ce livre, n'est-ce pas ?
19 R. Oui, ça a été édité plus tôt --
20 Q. En 1989, si mes souvenirs sont bons.
21 R. Je pense que vous avez raison.
22 Q. Ça a été publié par une maison d'édition privée, Slobodan Masic.
23 R. Ça je ne le sais pas.
24 Q. Fort bien. Dans ce livre, il dit que --
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Les interprètes se plaignent. Bien. Comme vous êtes
26 tous les deux des intellectuels, on arrive à suivre les questions et les
27 réponses, parce qu'on comprend très vite la question et on voit dans quel
28 sens va intervenir la réponse. Mais les interprètes, eux, font un autre
Page 12638
1 travail et donc du coup, chaque fois qu'ils perdent le fil, ils nous
2 disent, et vous le voyez sur l'écran, qu'ils ne suivent pas.
3 Alors, une nouvelle fois - et Monsieur le Témoin, vous êtes aussi
4 responsable - nous vous demandons d'attendre avant de répondre. Parce que
5 vous avez l'impression qu'on connaît votre langue, on ne la connaît pas.
6 Mais on peut comprendre le sens des questions et des réponses, et donc on
7 peut quasiment en temps réel vous suivre, mais les interprètes, eux, ne
8 vous suivent pas, et comme ils ne vous suivent pas, le monsieur qui est au
9 fond qui, lui, va taper le texte en anglais que vous voyez sur l'écran, va
10 laisser des trous. Et c'est là où il y a le problème.
11 Bien. Continuez, Monsieur Seselj.
12 M. SESELJ : [interprétation]
13 Q. En préface de sa déclaration islamiste, il parle déjà de son objectif,
14 en disant que ce qu'il veut faire, c'est synthétiser les idées qui sont
15 diffusées un peu partout dans le monde islamique et, comme il le dit, je
16 cite, il veut "avec des idées et des plans passer à l'action organisée pour
17 la réalisation de ces idées. La lutte pour de nouveaux objectifs ne
18 commence pas aujourd'hui."
19 C'est à la page 130 :
20 "Bien au contraire, les luttes religieuses connaissent déjà leurs sahids
21 compte tenu du nombre des victimes. Il s'agit de victimes qui sont des
22 individus, car de petits groupes courageux s'affrontent à des groupes
23 beaucoup plus importants. Mais la puissance exige l'action organisée de
24 millions de personnes."
25 Dites-moi, il mentionne les sahids là. Les sahids, ce sont les victimes
26 tombées dans la lutte, dans le combat du Jihad, n'est-ce
27 pas ? C'est bien ça ?
28 R. Excusez-moi pour la rapidité des débats. Il me semble que c'est M.
Page 12639
1 Seselj qui imprime un rythme rapide, ensuite je le suis.
2 M. Izetbegovic, dans aucun des textes dont il est l'auteur, n'a appelé à la
3 violence. Un sahid, oui, effectivement, c'est une personne qui est morte
4 sur ce que nous appelons le chemin de Dieu. Cela peut se passer au cours
5 d'une guerre, mais cela peut se passer aussi en temps de paix. Il est mort
6 dans l'accomplissement des objectifs de Dieu. Mais dans aucun de ses
7 livres, pas plus que dans sa "déclaration islamiste," on voit Izetbegovic
8 évoquer un mouvement qui serait synonyme de violence. Il considérait que
9 les Musulmans devaient changer, qu'ils devaient s'adapter aux nouvelles
10 conditions en vigueur dans le monde; que le passé était révolu d'une
11 certaine façon et que les Musulmans, dans la période actuelle, ne suivaient
12 ni l'évolution du monde sur le plan scientifique ni l'évolution du monde
13 sur le plan réel. Il évoquait toutes ces idées dans un grand nombre de
14 conférences dans lesquelles il exprimait des critiques des Musulmans du
15 monde en raison de leur défaut d'adaptation. C'était un homme empreint de
16 tolérance.
17 Q. Monsieur Tihic, essayons tout de même de nous concentrer sur des
18 questions bien déterminées. Vous savez que le pouvoir officiel de la
19 fédération croate ou musulmane ou de la Fédération de Bosnie-Herzégovine,
20 tous les soldats musulmans qui ont été tués dans cette guerre portaient le
21 nom de Sahids et leurs tombes étaient baptisées officiellement des Mezadal
22 Sahids; c'est bien ça ?
23 R. Non.
24 Q. Comment non ?
25 R. Permettez-moi de répondre. Dans nos lois et au sein de la fédération,
26 on évoque les sahids et les combattants tombés au combat. Donc on utilise
27 les deux expressions. Par conséquent, sahids et combattants tombés au
28 combat, ce sont des personnes qui ont été tuées durant la guerre, qui sont
Page 12640
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12641
1 inhumées côte à côte dans des tombes. Et c'est ce que le peuple appelle des
2 tombes de Sahids.
3 Q. Monsieur Tihic, vous venez d'être très clair. Dans la loi, on voit les
4 expressions sahids et combattants tombés au combat. Le mot sahids concerne
5 les Musulmans qui ont été tués et les combattants tombés au combat
6 concernent les combattants croates et éventuellement tel ou tel combattant
7 serbe qui aurait pu être tué au sein de votre armée, ainsi que les membres
8 d'autres groupes ethniques, peut-être des Juifs ou d'autres. Mais
9 l'expression "sahids" concerne tous les Musulmans tombés au combat, n'est-
10 ce pas ? Ils sont tombés pour la défense de leur foi. Ils sont des victimes
11 de leur foi.
12 R. Monsieur Seselj, ceci n'est pas exact.
13 Q. Si ce n'est pas exact, avançons.
14 R. Ce n'est pas exact, car on parle des sahids qui ont été tués et des
15 combattants tués, et ces deux termes concernent des Musulmans, qui peuvent
16 être des sahids, mais il y a aussi des Musulmans qui sont athées. Il y a
17 des tombes de sahids dans lesquelles sont inhumés des Serbes. Voyez-vous
18 des Serbes qui faisaient partie de l'ABiH comme à Kovaci, par exemple.
19 Q. Monsieur Tihic --
20 R. Donc pour tous ces gens-là, on ne peut pas utiliser l'expression
21 sahids, mais ils sont tous Bosniaques sans tous être Bosniens.
22 Q. Bon. Ils ne sont pas tous Bosniens, mais il y un nombre énorme de
23 personnes qui sont mentionnées comme étant des sahids, ce qui signifie
24 qu'ils ont participé à une guerre religieuse; que ce sont des victimes
25 tombées dans la défense de leur foi. Et dans ce sens-là, on leur accorde
26 des honneurs, je n'ai rien contre, mais qu'on établisse les faits. Et le
27 pouvoir officiel les respecte pour cette raison. Ce sont des victimes
28 tombées pour leur foi, ce qui signifie qu'ils participaient à une guerre
Page 12642
1 religieuse. Et une guerre religieuse, dans la tradition islamiste, cela
2 s'appelle un "Jihad" et c'est le Jihad que mentionne M. Izetbegovic dans sa
3 "déclaration islamiste", n'est-ce pas ?
4 R. Non.
5 Q. Avançons.
6 R. Mais je dois répondre pour vous dire pourquoi ce n'est pas le cas.
7 Q. Allez-y.
8 R. Ce n'est pas le cas parce qu'ils sont tombés durant la défense de la
9 Bosnie-Herzégovine. Donc ils défendaient leur Etat, leur peuple, leur
10 famille, leur vie, voyez-vous. Tout cela n'est pas dû uniquement à la
11 religion, contrairement à ce que vous affirmez. Il y a un grand nombre qui
12 ont été tués qui n'étaient même pas pratiquants.
13 Q. Alija Izetbegovic vous dément immédiatement. En page 121 de sa
14 "déclaration Islamiste", nous lisons :
15 "Le peuple tout comme les individus, s'ils adoptent l'Islam, sont
16 incapables ensuite de vivre et de mourir pour quelque autre idéal que ce
17 soit. Il est inimaginable qu'un Musulman se sacrifie pour un empereur ou
18 pour un dirigeant, quel que soit son nom, ou pour l'honneur d'une nation,
19 d'un parti, ou de quoi que ce soit de ce genre, car l'instant islamiste le
20 plus fort qui soit le pousse à reconnaître en cela une force d'idolâtrie
21 sans foi. Un Musulman ne peut tomber qu'au nom d'Allah et pour l'honneur de
22 l'Islam, sinon il fuit les terrains de combat."
23 Voilà ce qu'écrit Alija Izetbegovic. Est-ce que vous avez lu son livre ?
24 R. Oui, je l'ai lu. Mais vous extrayez des passages -- oui, je l'ai lu son
25 livre, vous extrayez des passages en les situant hors du contexte qui régit
26 ce livre et ce message. Dans n'importe quel livre, vous pouvez agir ainsi.
27 Q. Monsieur Tihic, au jour d'aujourd'hui --
28 R. Attendez. Ecoutez la fin. Dans n'importe quel livre vous pourrez
Page 12643
1 trouver un passage qui, lorsqu'il est sorti du contexte, a un sens
2 différent de son sens réel.
3 Q. Monsieur Tihic, le cardinal Richelieu, bien connu en France, est mort
4 en 1644 ou je ne sais plus exactement l'année, en tout cas c'est
5 l'anniversaire de sa mort aujourd'hui : "Donnez-moi n'importe quelle
6 citation, même une ligne d'un écrit qui me permettra, dans n'importe quelle
7 circonstance, d'envoyer l'auteur de cette ligne à l'échafaud." Car je suis
8 d'accord avec vous, sorti du contexte, on peut condamner n'importe qui.
9 Mais je viens de vous lire une citation, je ne peux pas vous lire tout le
10 livre d'Izetbegovic.
11 Le Procureur dispose de l'œuvre entière et il peut la remettre aux Juges
12 s'il ne l'a pas encore fait, toutes personnes souhaitant lire ce livre peut
13 le faire.
14 Mais comme l'Accusation ici ne montre que certains extraits très courts de
15 votre interview à la télévision de Novi Sad, il l'a fait hier, n'est-ce
16 pas, nous n'avons pas vu l'interview entière, car c'était impossible à
17 faire dans ce prétoire. Je ne suis tenu que de vous soumettre quelques
18 citations. Par exemple, citation d'une partie de la déclaration islamiste
19 dans laquelle Izetbegovic se dit favorable et préconise l'ordre islamique,
20 il dit :
21 "La définition la plus rapide de l'expression 'ordre islamique' est une
22 unité entre la foi et la loi, la création d'une force puissante et
23 l'établissement d'une communauté spirituelle au niveau de l'Etat basée sur
24 le volontarisme et la coercition."
25 C'est lui qui le dit, tout le monde en Bosnie-Herzégovine connaît cette
26 expression; les Musulmans de Bosnie, les Croates, les Serbes, et cetera.
27 Tout le monde la connaît, ensuite nous lisons :
28 "Quand à la synthèse de tout ce qui représente le pouvoir islamiste, il
Page 12644
1 repose sur deux piliers : sans pouvoir islamiste, les Musulmans sont
2 impuissants. Le pouvoir islamiste sans l'apport de la société islamiste est
3 impuissant et ne peut rien faire."
4 Et là nous en arrivons à quelque chose d'important dans les idées
5 d'Izetbegovic, pour lui :
6 "Le Musulman, sans la société, est dépourvu de pouvoir. S'il veut vivre et
7 poursuivre son action en tant que Musulman, il doit participer à une
8 communauté et agir. Il doit transformer le monde, sinon c'est lui qui sera
9 transformé. L'histoire ne connaît aucun mouvement islamiste véritable qui
10 n'ait été en même temps un mouvement politique. Ceci vient du fait que
11 l'Islam est une religion mais qu'en même temps, c'est une philosophie, une
12 morale, un ordre des choses, un style, une atmosphère; en un mot une façon
13 intégrée de vivre. On ne peut avoir une foi islamiste si on ne travaille
14 pas en tant qu'islamiste, si on n'a pas de loisir d'islamiste, si on ne
15 dirige pas d'une façon islamiste."
16 Est-ce que vous ne voyez pas qu'ici, il est question de l'intégriste
17 islamiste, c'est-à-dire de fondamentalisme, selon les mots prononcés par
18 lui, n'est-ce pas ?
19 R. Vous me permettrez, j'espère, de répondre maintenant ?
20 Q. Je vous y autorise en permanence. Je pose des questions, c'est à vous
21 de répondre.
22 R. Mais votre question fait au moins une page, et elle comporte toutes
23 sortes de constatations de votre part avec lesquelles je ne suis pas
24 d'accord, voyez-vous. De façon à ne pas créer une fausse impression, je
25 tiens à m'expliquer. Vous venez de mentionner, la page 130 ou 131. Le livre
26 en compte 150. Donc vous avez cité deux ou trois pages ici.
27 Q. Monsieur Tihic, moi, on me présente une phrase d'une allocution que
28 j'ai prononcée, et on exige une peine de prison à vie pour cette phrase.
Page 12645
1 R. Permettez-moi de finir. J'aimerais moi aussi formuler un commentaire
2 sur ce que vous venez de dire, sur vos constatations.
3 Voyez-vous, on ne peut pas examiner les œuvres d'Izetbegovic en se
4 fondant uniquement sur une ou deux pages de ces livres, car toute sa vie a
5 été la vie d'un humaniste, d'un homme tolérant, voyez-vous, qui en raison
6 précisément de ses idées et de ce qu'il a dit a eu à souffrir. Il n'y a
7 aucun fondamentalisme, aucun intégrisme chez Izetbegovic. Il n'y a aucune
8 intention chez lui de contraindre autrui à se comporter comme lui le
9 souhaite. Lui a toujours été partisan d'une Bosnie-Herzégovine à laquelle
10 les Croates, les Serbes, les Musulmans, les Juifs et tous les autres
11 seraient sur un pied d'égalité, où ils coexisteraient, et on l'Islam serait
12 la religion de certains.
13 Q. Monsieur Tihic, je n'ai aucune intention d'offenser vous-même ou
14 M. Izetbegovic. Nous avons participé à une guerre. Je vous pose des
15 questions en vous proposant des citations. C'est à vous de répondre à cela.
16 Je pense que je ne vous ai donné aucune raison de vous fâcher jusqu'à
17 présent.
18 En page 105 de son livre, Izetbegovic tire une conclusion Je cite :
19 "Il est certain qu'on doit tirer une conclusion au sujet de
20 l'incompatibilité de l'Islam et des systèmes islamiques. Il ne peut y avoir
21 de paix ou de coexistence entre la religion islamique et les sociétés et
22 institutions de sociétés non islamiques. Si l'on part du fait que le monde
23 a un ordre qui est un ordre particulier, l'Islam, très manifestement,
24 exclut toute possibilité d'action d'une idéologie étrangère sur son
25 territoire ou dans son secteur."
26 Alors, si vous pensez que ça c'est une expression de tolérance, c'est votre
27 affaire.
28 En page suivante, Izetbegovic déclare, je cite :
Page 12646
1 "Il n'existe pas de principe séculier régissant la vie. L'Etat est censé
2 relever et épeler les conceptions morales de la religion."
3 C'est un point de vue très connu d'Alija Izetbegovic, n'est-ce pas,
4 parce que son livre a été publié à de nombreuses reprises. Il y a eu
5 plusieurs éditions et de nombreux lecteurs. Tout homme même à peine
6 alphabétisé connaît cela en Bosnie-Herzégovine, qu'il soit Serbe, Croate ou
7 Musulman, n'est-ce pas, il l'a lu.
8 R. Puis-je répondre ? Le président Izetbegovic a écrit un grand nombre de
9 livres dans des époques différentes de sa vie. La déclaration islamiste
10 fait partie d'une période assez précoce de sa vie, et de sa vie en tant
11 qu'écrivain. Alija Izetbegovic est un homme qui a évolué dans ses idées,
12 dans ses conceptions, ce qui est tout à fait logique au cours de sa vie,
13 comme d'ailleurs moi-même et chacun ici évolue. Je pourrais vous citer
14 d'autres passages de ces livres où vous trouverez un grand nombre de
15 citations qui évoquent l'action humaniste d'Izetbegovic qui étaient
16 favorables à la coexistence et à la paix.
17 Donc il n'est pas juste d'extraire des passages des livres d'Alija
18 Izetbegovic, qui a été évoqué et félicité par le président des Etats-Unis,
19 de la France et d'un grand nombre d'autres Etats, pas parce qu'ils avaient
20 peur de lui, mais parce qu'ils le respectaient en tant qu'homme de paix, de
21 négociation et favorable aux accords.
22 Q. Est-ce que vous savez de quelle façon je vois Jacques Chirac ou
23 Bill Clinton ? Ils me dégoûtent. Mais enfin, ceci n'a pas d'importance.
24 Nous avons le droit d'avoir des idées différentes.
25 Personne n'a le moindre doute quant à ce que signifie "La Déclaration
26 islamiste" d'Alija Izetbegovic, qui est une des œuvres majeures écrite par
27 lui durant son existence. Ceci ne fait pas l'ombre d'un doute. Voilà ce
28 qu'il dit au sujet de l'élévation d'une population. Je cite :
Page 12647
1 "L'élévation de la population, notamment par les moyens d'influence
2 publique tels que radio, télévision et cinéma, doivent être entre les mains
3 du peuple dont le moral et l'intégrité intellectuelle et islamique doivent
4 être sans reproche. Il ne doit pas être permis aux médias de tomber entre
5 les mains de gens dépourvus de moralité qui communiqueraient leurs propres
6 déviations à d'autres. Que deviendrions-nous si la télévision transmettait
7 à la population des messages totalement opposés à ce que nous
8 souhaitons ?"
9 Donc conformément à ces positions, la télévision d'Etat de Sarajevo et
10 d'autres médias importants ou moins importants se sont mis à agir, n'est-ce
11 pas ?
12 R. Non, pas du tout.
13 Q. D'accord. Avançons. Page 154. Il déclare :
14 "Il n'y a pas d'indépendance de la liberté en dehors de l'Islam. Il ne peut
15 pas y avoir d'ordre islamique sans indépendance."
16 Donc ceci a deux conséquences. L'Islam ne peut s'épanouir que dans
17 l'indépendance. Je cite :
18 "Si la population a découvert les forces intérieures qui le régissent,
19 forces sans lesquelles il ne peut ni réaliser l'essence de l'Islam ni le
20 conserver" --
21 Autre citation, je cite :
22 "La réalité de la résistance opposée par un peuple au pouvoir a des
23 caractéristiques proportionnellement différentes de celles du pouvoir en
24 question. Elle est de plus en plus forte lorsque le pouvoir est plus fort.
25 Par conséquent, plus le régime est éloigné de l'Islam, plus la résistance
26 doit être proche de l'Islam. Les régimes non islamiques sont dépourvus d'un
27 tel appui, et donc qu'ils veuillent ou non, sont soutenus à partir de
28 l'étranger."
Page 12648
1 M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre vous demande, premièrement, pour que tout
2 soit bien clair, on ne fait pas le procès de M. Izetbegovic.
3 Deuxièmement, sur la pertinence, vous avez lu cette déclaration. Il
4 serait bon de savoir à quel moment elle a été rédigée. Est-ce qu'elle a été
5 rédigée avant qu'il soit chef d'Etat ou pendant qu'il était chef d'Etat. Ce
6 n'est pas la même chose.
7 Mais alors, sur la question de la pertinence, au travers de ce livre,
8 qu'est-ce que vous voulez trouver ?
9 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je m'efforce de démontrer quelle est la nature
10 du pouvoir qu'Alija Izetbegovic essayait de mettre en place en Bosnie-
11 Herzégovine, et je trouve que les Serbes, même au coût de leurs vies, ne
12 voulaient pas faire la paix avec ce genre de pouvoir. Les Croates, étant
13 donné les circonstances, ont d'abord appuyé ce régime, puis ils sont entrés
14 en guerre contre lui en 1993 eux aussi. D'ailleurs, les positions prises
15 aujourd'hui par les représentants politiques musulmans en Bosnie-
16 Herzégovine, qui consistent à défendre la suppression de la Republika
17 Srpska pour mettre en place une Bosnie-Herzégovine intégrée, sont une
18 expression du panislamiste intégriste de ce pouvoir. Monsieur le Président,
19 vous avez vu ici des gens qui ont été jugés, parce qu'ils étaient
20 considérés comme responsables d'une guerre de Moudjahiddines en Bosnie-
21 Herzégovine. Vous avez eu l'occasion de connaître les crimes commis par ces
22 Moudjahiddines. Vous disposez d'éléments qui démontrent qu'al-Qaeda s'est
23 ingéré dans les événements de Bosnie-Herzégovine. D'ailleurs aujourd'hui,
24 leur influence existe encore. Vous avez entendu parler de Hamza Abu et rien
25 d'autre. Nous avons ici un témoin qui a témoigné en parlant du centre
26 iranien de renseignement qui agissait à Kiseljak.
27 Mme LE JUGE LATTANZI : Moi, personnellement, je ne comprends pas encore à
28 quoi ça sert cela pour votre Défense.
Page 12649
1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je veux vous montrer que pour la population
2 serbe il n'existait que deux possibilités : demeurer en Yougoslavie ou
3 créer un Etat à eux sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. La
4 population serbe ne pouvait en aucun cas se réconcilier avec un régime à la
5 tête duquel s'est trouvé un homme dont je viens de citer dans quelques
6 citations courtes, l'œuvre de toute sa vie.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Attendez, Monsieur le Procureur. Le témoin veut
8 répondre puisque c'est lui qui est interpellé.
9 Oui, Monsieur Mussemeyer ?
10 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je ne voulais pas empêcher le témoin de
11 répondre, mais j'ai juste une petite observation à faire.
12 Comme d'habitude, M. Seselj cite à partir d'un document qu'il n'a pas
13 donné à l'Accusation à l'avance, ce qui n'est pas professionnel.
14 Je vous remercie.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui. Alors, Monsieur Seselj.
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je dois répondre à ce que vient de dire le
17 Procureur, n'est-ce pas ?
18 J'ai dit au juriste de la Chambre de dire au Procureur que j'allais
19 utiliser le livre d'Alija Izetbegovic, "La déclaration islamiste," ainsi
20 que la déclaration de M. Tihic. Je l'ai dit oralement au responsable de la
21 Chambre, et je suppose qu'il l'a dit au Procureur. Maintenant, où est-ce
22 que je peux photocopier ce document pour le remettre une nouvelle fois à
23 l'Accusation, où est-ce que je peux photocopier tout ce livre que le
24 Procureur a certainement en sa possession. Il l'a en sa possession depuis
25 longtemps, vous avez entendu la longue déclaration de Sefer Halilovic et ce
26 livre a été évoqué. Il y a 1 000 pages de compte rendu d'audience de
27 l'audition de Sefer Halilovic.
28 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mussemeyer, je pense que le bureau du
Page 12650
1 Procureur doit avoir le livre de M. Izetbegovic. Si vous ne l'avez pas, ce
2 serait incroyable. Donc, peut-être vous ne l'avez pas, mais le bureau dans
3 son ensemble doit l'avoir.
4 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Tout à fait. Je pense que nous l'avons, en
5 effet. Mais il serait quand même professionnel de donner à l'Accusation
6 avant le contre-interrogatoire, au moins avertir l'Accusation que l'accusé
7 va citer ce livre afin que nous nous préparions, ce serait quand même la
8 moindre des choses. Il est vrai que le Greffe nous a prévenu, mais juste
9 avant que nous commencions ce matin, on nous a prévenus que M. Seselj
10 allait très certainement citer les mémoires de M. Tihic. Donc pour vous
11 aider je tiens à vous dire qu'il s'agit de la pièce 65 ter 2094, je pense
12 que ça devrait être versé au dossier quand même, étant donné que l'accusé
13 cite sans cesse ce livre, les mémoires de M. Tihic. Je pense que ça devrait
14 être versé au dossier.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, vous vouliez répondre. Vous avez
16 écouté ce qu'a dit M. Seselj sur la pertinence des questions qu'il pose. Je
17 ne vais pas synthétiser ce qu'il a dit, vous savez aussi bien que moi la
18 teneur de ses propos.
19 Alors, que vouliez-vous dire ?
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je voulais d'abord répondre à votre question,
21 la question que vous avez posée à M. Seselj, à savoir quand ce livre a été
22 écrit.
23 "La déclaration islamiste" a été écrite 20 ans avant le moment où Alija
24 Izetbegovic a été élu comme président. Ça c'est le premier point.
25 Vous avez c'est à cause de ce livre, entre autres, qu'il a été mis en
26 examen. Et vous avez entendu M. Seselj vous dire tout à l'heure qu'il s'est
27 allié à un certain nombre d'intellectuels pour protester vigoureusement
28 contre cette mise en accusation. Or, vous venez d'entendre quelle est la
Page 12651
1 nature de ce livre. Mais j'indique que ce livre était également une des
2 raisons citées à l'appui des accusations portées contre M. Seselj.
3 Alors, ce qui a été dit au sujet d'Al-Qaeda, et tout cela, ce sont des
4 inventions de toutes pièces qui circulent en Bosnie-Herzégovine. La Bosnie-
5 Herzégovine est un pays qui pendant plusieurs centaines d'années a vécu à
6 côté des Serbes, des Croates et des autres, et qui, par son esprit même, a
7 créé l'atmosphère qui y existe. Donc rien à voir, aucun lien avec Al-Qaeda
8 ou quoi que ce soit d'autre ou le moindre intégrisme. Pas un seul
9 terroriste n'a agi en Bosnie-Herzégovine jusqu'à présent contre le moindre
10 individu ou le moindre bien ou quoi que ce soit de genre, il n'y a pas eu
11 un seul attentat terroriste. Tout cela ce n'est que de la propagande qui à
12 cours pour essayer de justifier tout ce qui s'est passé en Bosnie-
13 Herzégovine.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : La question, et l'unique question qui résume tout,
15 je vais vous la poser :
16 Vous, vous avez des fonctions de responsabilité au sein du SDA. De
17 votre point de vue, le SDA de l'époque de M. Izetbegovic, était-il un parti
18 politique religieux ou un parti politique laïc dans lequel pouvait se
19 trouver des membres qui avaient une religion déterminée ? Voilà, ma
20 question synthétise toute la problématique.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Le Parti d'Action démocratique était un parti
22 laïc, pas parce que c'est moi qui l'affirme, mais parce que c'est écrit
23 dans le programme de ce parti et que cela figure dans la déclaration
24 officielle d'enregistrement du parti. D'ailleurs c'est dans ce sens que ce
25 parti a toujours agi en Bosnie-Herzégovine, dans son programme figure la
26 notion d'égalité entre tous les peuples. Et à l'assemblée, Izetbegovic a
27 déclaré que la Bosnie-Herzégovine serait être ni serbe, ni croate, ni
28 musulmane, mais qu'elle était l'ensemble de ces trois peuples et de tous
Page 12652
1 les autres.
2 Il est vrai que dans son programme, au moment de sa création, le SDA
3 se battait aussi pour le respect des droits ethniques, des droits religieux
4 des Musulmans. C'était l'un de ses objectifs, car les Musulmans n'étaient
5 pas reconnus par le nom qui leur revenait, à savoir les "Bosniens," et ils
6 ne jouissaient pas de certains droits dont les autres en Yougoslavie
7 jouissaient.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci pour cette réponse.
9 Monsieur Seselj.
10 M. SESELJ : [interprétation]
11 Q. Monsieur Tihic, vous avez dit qu'Alija Izetbegovic, dans "La
12 déclaration islamiste," ne se déclarait nulle part favorable à la
13 violation. Je peux immédiatement vous démentir.
14 En page 162, il dit, je cite :
15 "La déclaration de la priorité de la rénovation religieuse et morale ne
16 veut pas dire et ne peux pas être interprétée comme signifiant que le
17 mouvement islamiste peut se créer en dehors d'un pouvoir islamique. Ceci
18 signifie uniquement que notre chemin ne part pas de la prise du pouvoir,
19 mais de l'élévation de gens et que le renouveau des peuples est d'abord
20 l'affaire des peuples avant d'être l'affaire de l'histoire. Nous devons
21 être d'abord des intervenants actifs, ensuite des représentants politiques.
22 Nous devons d'abord et avant tout prêcher la politique. Nous devons d'abord
23 être représentants politiques, ensuite soldats. Nos armes sont nos livres
24 et nos actes. A quel moment est-ce que ces moyens atteindront, rejoindront
25 le pouvoir ? Le choix actuel est toujours une question précise, il dépend
26 d'un grand nombre de facteurs. Une règle générale toutefois peut être
27 observée. Le mouvement islamique devrait et peut s'engager vers la prise du
28 pouvoir dès qu'il est numériquement suffisamment puissant, non seulement
Page 12653
1 pour renverser le pouvoir existant, mais pour construire un nouveau pouvoir
2 islamique. Ceci est très important, car la construction et la destruction
3 n'exigent pas le même degré de préparation matérielle et psychologique."
4 Est-ce que cela vous suffit, Monsieur Tihic ?
5 R. Vous n'avez certainement pas raison, Monsieur Seselj.
6 Car ici il est question de renaissance spirituelle. Les Musulmans,
7 comme tous les autres peuples, ont vécu pendant plusieurs dizaines d'années
8 sous un régime athée. Donc ici, il est question d'une espèce de renaissance
9 spirituelle.
10 Q. Vous avez nié le fait qu'Alija Izetbegovic était panislamiste sur le
11 plan idéologique, ici, en page 164 de sa déclaration islamiste, je vous
12 apporte la preuve qu'il l'était. Il dit à cet endroit :
13 "Dans l'une des thèses adaptées à l'ordre islamique d'aujourd'hui, nous
14 avons dit que la fonction réelle de l'ordre islamique consistait à
15 satisfaire une aspiration qui consiste à rassembler tous les Musulmans et
16 toute les communautés islamiques du monde. Dans les conditions actuelles,
17 cette aspiration implique une lutte destinée à créer une grande fédération
18 islamique qui irait du Maroc à l'Indonésie, de l'Afrique sub-tropicale à
19 l'Asie centrale."
20 Puis en page suivante, page 165, nous lisons :
21 "Comment se fait-il que ce panislamisme populaire, sans aucun doute présent
22 dans les sentiments des masses, demeure sans influence sur la politique
23 réelle nommée par les Etats islamiques ? Pourquoi est-ce qu'il ne se situe
24 pas au niveau du sentiment des gens ? Pourquoi est-ce qu'il ne s'élève pas
25 au niveau de la conscience du destin commun de tous les islamistes."
26 Ensuite il s'explique. Donc ceci est bien la preuve du panislamisme d'Alija
27 Izetbegovic ?
28 R. Non. Il analyse sa façon de voir sur la situation de l'Islam et des
Page 12654
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12655
1 Musulmans dans le monde, et il est certain que dans bon nombre de pays,
2 sous les dictatures qui existent au sein de ce monde musulman, les choses
3 ne vont pas bien. Et probablement est-ce là ce qu'il voulait dire. Il m'est
4 très difficile maintenant ici de commenter "La déclaration islamique" du
5 président Izetbegovic, dans un contexte de citations de parties de cette
6 déclaration et non pas de l'ensemble en tant que tel des activités
7 d'Izetbegovic, de son œuvre, de tout ce qu'il a fait. Il faut donc placer
8 le tout dans un contexte global. L'époque où cette déclaration a été
9 rédigée, notamment, c'était surtout maintenant 20 ans après la déclaration,
10 lorsque les circonstances ont grandement évolué.
11 Q. Monsieur Tihic, vous avez hérité Alija Izetbegovic aux fonctions de
12 président de ce Parti de l'Action démocratique. Comme le dirait tout un
13 chacun, vous êtes l'héritier de son idéologie. Moi, si on me réveillait à
14 n'importe quel moment de la nuit, je pourrais tout de suite vous répondre à
15 la question de savoir quels sont les grands nationalistes serbes dont on me
16 considère [inaudible] Vuk Karadzic, Jasa Tomic, Laza Kostic et bon nombre
17 d'autres personnalités qui ont avancé ces idées dans leurs œuvres, donc on
18 s'attend de votre part, à ce que vous connaissiez bien l'idéologie de votre
19 prédécesseur et de votre père spirituel, d'une certaine façon. C'est
20 l'œuvre de sa vie. Il répond à votre question, Monsieur Tihic, il dit :
21 "La réponse à cette question se trouve dans le fait que face aux sentiments
22 de la population ordinaire, les activités conscientes des cercles sous
23 l'influence de l'Occident n'ont pas été panislamiques mais nationalistes.
24 L'instinct et la conscience du peuple musulman sont opposés l'un à l'autre.
25 Les activités dans ce contexte demeurent impossibles. Le panislamisme
26 moderne, de ce fait, constitue un effort de coordination entre les
27 sentiments et la conscience pour être ce qu'on est et ne pas être ce qu'on
28 n'est pas. Cet état d'esprit détermine le caractère et l'état d'esprit du
Page 12656
1 monde musulman de nos jours."
2 Et cela s'enchaîne sur une attaque vis-à-vis de bon nombre de régimes
3 arabes à caractère séculaire : syrien, iraqien, tunisien. Tout ce qui est
4 laïc fait l'objet de ses attaques. Il demande, lui, un régime intégriste,
5 n'est-ce pas, Monsieur Tihic ?
6 R. Il n'en est pas ainsi. M. Izetbegovic a parlé du manque d'unité parmi
7 les Musulmans dans le monde. Il disait souvent que les Musulmans ne sont
8 pas suffisamment solidaires, les Musulmans riches, notamment, ne sont pas
9 solidaires avec ceux qui sont pauvres.
10 Q. Bien.
11 R. Et notamment, M. Izetbegovic se trouvait être contre la dictature. Vous
12 venez d'évoquer la Syrie, la Tunisie et ces autres pays, c'étaient des
13 dictatures qui ont été mises en place par les Soviétiques plus ou moins.
14 Q. J'ai été visité plusieurs de ces pays, j'ai été en Syrie, j'ai été en
15 Iraq, c'étaient des pays très progressistes, qui étaient manifestement
16 laïques et tolérants au niveau des religions; les pays qui ont servi
17 d'exemple à Alija Izetbegovic ne sauraient servir d'exemple, c'est la
18 Pakistan, l'Arabie Saoudite et autres, quelques citations brèves et on en
19 finira.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, pour essayer de recadrer le sens
21 des questions. Il semble, mais on peut se tromper, que M. Seselj avance
22 l'idée que les Serbes de Bosnie-Herzégovine, notamment ceux de la Republika
23 Srpska, se sont en quelque sorte rassemblés, constitués parce qu'ils
24 craignaient un Etat islamiste dans le cadre d'un panislamisme. C'est la
25 thèse que sous-tend par ses questions, M. Seselj.
26 Vous qui êtes un acteur majeur, qu'est-ce que vous en pensez ?
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce n'est pas exact. Voyez-vous, M. Seselj
28 attribue trop d'importance à cet ouvrage "La Déclaration islamique." Dans
Page 12657
1 la vie et l'œuvre d'Alija Izetbegovic, lui-même, ça n'a pas autant
2 d'importance. M. Seselj a dit qu'il était contre le procès conduit à
3 l'encontre d'Izetbegovic. En 1990, les Serbes, lorsqu'ils ont voté, le
4 Parti serbe a convié les Serbes à voter en faveur d'Izetbegovic. Pourquoi
5 convierait-on les Serbes à voter pour Izetbegovic si Izetbegovic était une
6 espèce d'intégriste qui voulait une Bosnie musulmane. Ce n'est pas exact.
7 Dans sa vie et dans ses activités, depuis sa naissance à sa mort, il n'y a
8 pas eu de cela, ce que M. Seselj est en train de nous relater ici c'est une
9 politisation, c'est une tentative de justifier certains faits.
10 Il y a eu conflit, parce que les Serbes avaient voulu rester en
11 Yougoslavie. La Yougoslavie les arrangeait. Elle convenait aux Bosniens
12 aussi, mais pas en raison du livre d'Alija Izetbegovic, pas pour des
13 raisons d'imposition d'un type de société, et encore moins d'un type de
14 société islamique. Parce que nous savons tous que cela ne pourrait être le
15 cas en Bosnie-Herzégovine. Ça ne devrait être le cas nulle part, et encore
16 moins en Bosnie-Herzégovine, où il existe au moins trois peuples qui sont
17 là en présence depuis des siècles. Et personne ne pourrait accepter la
18 chose; pas un seul Musulman, pas un seul Bosnien ne saurait accepter ce
19 type de société, parce que nous vivons pendant des centaines d'années dans
20 un environnement différent. Nous avons des orthodoxes, nous avons des
21 catholiques, nous avons des juifs. Et il n'y a pas de base ou de fondation
22 pour édifier ce type d'idée, ce type d'idée n'a pas existé.
23 M. SESELJ : [interprétation]
24 Q. Monsieur Tihic, je crois que vous avez entendu parler de la chose, un
25 intellectuel de grande renommée a défendu la liberté de penser d'un homme
26 qui l'a remercié de la chose, et celui-ci s'est adressé à l'autre avec les
27 propos suivants : "Monsieur, vous racontez des bêtises tout le temps, mais
28 jusqu'à mon dernier souffle, je me battrai pour votre droit de dire des
Page 12658
1 bêtises."
2 Je n'ai pas voulu dire, moi, que "La déclaration islamique" d'Alija
3 Izetbegovic était une bêtise. J'ai estimé à l'époque encore que c'était un
4 texte sérieux. Mais j'ai été l'adversaire des idées contenus dans cette
5 déclaration. J'ai pourtant estimé qu'Alija Izetbegovic devait avoir le
6 droit de présenter ses opinions et c'est pour cela que je l'ai défendu, et
7 lui et ses intérêts, et je défendrai tout un chacun pour ce qui est du
8 droit d'exprimer ses idées.
9 Maintenant, lorsque ces opinions sont inaugurées par un mouvement
10 politique, et lorsque cela devient un objectif politique concret, alors
11 vous devez comprendre qu'il y a des gens qui n'ont pas accepté de vivre
12 dans cela.
13 La Yougoslavie était un gîte sûr pour les Serbes et les Musulmans,
14 même cette Yougoslavie trognon était sûre pour les uns et les autres,
15 n'est-ce pas, Monsieur Tihic ?
16 R. Il n'en est pas ainsi. Nulle part dans les activités politiques d'Alija
17 Izetbegovic il n'y a eu d'objectif de fixé qui serait celui de "La
18 déclaration islamique", pas non plus au Parti de l'Action démocratique ou
19 ailleurs dans -- il y avait ses livres d'un côté et ses activités
20 politiques et ses programmes politiques d'autre part. Ce qu'il avait rédigé
21 auparavant et ce qui a constitué ses réflexions à l'époque, lorsque
22 notamment ces réflexions sont arrachées de leur contexte, cela peut donner
23 une signification autre que ne l'avait souhaité Izetbegovic. Bien que ce
24 que M. Seselj nous a cité ici, tout cela, ce sont des choses qui peuvent
25 être interprétées de façon contraire à la façon dont les a interprétées M.
26 Seselj. Pour ce qui est maintenant de la survie de la Yougoslavie, notre
27 intérêt à nous, Bosniens, était celui de faire demeurer la Yougoslavie en
28 tant que telle. Mais la Yougoslavie a été créée par les Serbes et les
Page 12659
1 Croates. Ils pouvaient la préserver eux seuls, les Bosniens, non. Et on ne
2 leur a pas demandé leur avis. Izetbegovic, aux côtés de Gligorov, avait
3 proposé un accord portant sur une fédération graduelle ou une
4 confédération, et nous savions que nous allions le plus pâtir dans cette
5 guerre, et nous en avons pâti le plus.
6 Q. Monsieur Izetbegovic -- non, excusez-moi, Monsieur Tihic, excusez-moi,
7 c'est par hasard -- là, il y a eu des préparatifs pour la guerre. Vous avez
8 créé la Ligue patriotique et les Bérets verts, et vous, en votre qualité de
9 président de cette branche municipale de ce parti à Bosanski Samac, vous
10 avez entrepris des démarches vous aussi. Vous en témoignez dans la
11 déclaration que vous avez faite, en page 7 d'abord. Vous nous parlez de
12 l'organisation de séminaires professionnels, vous avez envoyé des gens pour
13 qu'il y ait formation en matière de sabotage, on le voit à la page 7 de
14 votre déclaration.
15 Parmi ces gens de Sarajevo qui sont venus vous entraîner, il y avait
16 Sefer Halilovic. Vous le dites aussi en page 7 de votre déclaration.
17 Ensuite vous vous plaignez ou vous dites qu'il y a eu de très fortes
18 pressions pour ce qui était de commencer à vous armer, vous mentionnez des
19 noms de Musulmans qui ont insisté en faveur de ceci, Hakija Banacic [phon],
20 Mitijad Koncic [phon], Kemal Bobic et autres, et vous dites, mais ils n'ont
21 rien fait de concret, ils demandaient à ce que quelqu'un d'autre le fasse.
22 "Il n'y avait pas d'argent pour les armes et toutes les activités
23 pour ce qui est de la collecte des ressources financières sont tombées à
24 l'eau, parce que les gens de Samac ne voulaient pas donner leur argent.
25 C'est ainsi qu'à deux reprises nous avons collecté environ 3 000 marks
26 allemands, ce qui était loin d'être suffisant. En même temps, nous avons
27 créé une cellule de Crise dans le parti, un commandement, nous avons
28 réorganisé les choses, mis en place des documents, établi des plannings
Page 12660
1 pour l'état de guerre," et cetera.
2 Donc vous aviez un planning de guerre, Monsieur Tihic, n'est-ce pas ?
3 C'est vous qui le dites.
4 R. Ce que M. Seselj vient de vous lire, je pense avoir déjà dit tout ceci
5 dans ma déclaration, j'ai indiqué que la JNA avait distribué des armes aux
6 Serbes, j'ai dit aussi que les Croates s'armaient d'autre part, leurs armes
7 venaient de Croatie. Nous avons eu --
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mussemeyer.
9 M. MUSSEMEYER : [interprétation] C'est peut-être une question de
10 traduction, mais dans la version que j'ai, dans la version anglaise, on ne
11 parle pas de plan de guerre, mais on parle de "plan militaire." C'est peut-
12 être dû à la traduction, je ne sais pas.
13 M. SESELJ : [interprétation] Ici on dit "plan de guerre," "ratne". Faites-
14 vous confirmer la chose par vos interprètes.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : M. Tihic va tout de suite nous confirmer.
16 Dans votre déclaration, vous aviez parlé de plan de guerre ou plan
17 militaire ? Ça peut ne pas être la même chose, comme l'un peut recouvrir
18 l'autre.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas ce qui a été utilisé au juste.
20 C'était un plan de défense, de protection du peuple.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Juge --
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Les Bosniens à Samac constituaient 7 % de la
23 population, ils ne pouvaient pas se défendre. En termes simples, les Serbes
24 étaient 42 %, les Croates étaient 44 %, les Serbes étaient armés jusqu'aux
25 dents par la JNA. Les Croates ont été armés par les leurs. Nous, nous
26 avions fait des plannings, on a adopté des documents pour essayer de nous
27 protéger. Alors est-ce que ça s'appelait plan de défense ou plan de guerre,
28 je ne sais pas trop.
Page 12661
1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président --
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Ce qui est important, c'est la substance.
3 L'ACCUSÉ : [interprétation] Dans la ville, il y avait une majorité de
4 Musulmans. Il n'y avait pas un seul village musulman, la majorité des
5 Musulmans étaient en ville.
6 Alors je demande à ce qu'on montre à M. Tihic sa propre déclaration, en
7 milieu de la page 7, on dit "ratne plan," plan de guerre. Je crois bien
8 qu'il ne peut pas s'en souvenir, mais une fois qu'il verra cela, il pourra
9 confirmer qu'il est question bel et bien d'un planning de guerre, si vous
10 ne me croyez pas, moi.
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Est-ce que je peux répondre ?
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Peu importe comment on l'a appelé, plan de
14 défense, plan militaire, plan de guerre. Ce qui est important, c'est ce à
15 quoi on veut aboutir par ce plan. Ce plan a établi une liste d'activités
16 pour pouvoir nous protéger au cas où il y aurait des conflits armés. Nous
17 n'avions pas envisagé des activités offensives, nous n'avons pas envisagé
18 d'attaquer quelqu'un, d'occuper qui que ce soit ou quoi que ce soit, de
19 détruire, d'anéantir quoi que ce soit. Nous nous sommes trouvés dans un
20 environnement où il fallait bien entreprendre quelque chose. Et ce planning
21 qu'on a établi ne pouvait pas nous protéger, parce que nous étions peu
22 nombreux et nous n'étions pas armés comme les autres.
23 M. SESELJ : [interprétation]
24 Q. Alors pourquoi aviez-vous besoin de 200 kilos de dynamite ? Vous auriez
25 pu faire sauter Samac tout entier. Parce qu'il est dit ici que vous vous
26 étiez procuré 200 kilos de dynamite. Pourquoi aviez-vous besoin de cela,
27 Monsieur Tihic ?
28 R. J'ai dit dans ma déclaration que certaines personnes avaient apporté de
Page 12662
1 Croatie cette dynamite, et cette dynamite était restée là.
2 Q. Est-ce que l'armée est intervenue en temps utile ?
3 R. Ça n'a pas été utilisé, ça a été apporté de Croatie et c'était resté
4 là; l'armée, quand elle est venue, elle l'a pris.
5 Q. La JNA vous a devancé, vous voulez dire ?
6 R. C'est resté là pendant un mois.
7 Q. Vous dites que vous avez nommé Alija Fitozovic aux fonctions de
8 commandant, et vous indiquez que dans ce milieu, étant donné qu'il était
9 porté sur l'alcool, il n'était pas très apprécié par les gens, mais il
10 n'était pas non plus méprisé. Il était considéré comme étant un peu plus
11 extrémiste que les autres, parmi les Croates, ce n'était peut-être pas
12 aussi mauvaise chose, "compte tenu de mon influence dans le parti et dans
13 la population, je pouvais à tout moment le révoquer de ses fonctions et
14 annuler ses décisions.
15 C'est la raison pour laquelle je n'ai pas redouté son extrémisme." C'est
16 bien ce que vous dites ?
17 R. Lorsque nous avons élaboré ce planning lié aux préparatifs de la
18 défense, ce plan lié aux préparatifs de la défense de la population, je me
19 suis entretenu avec des Bosniens qui avaient des grades d'officier dans la
20 réserve, et je leur ai demandé s'ils seraient à même de donner un coup de
21 main. Les gens avaient des appréhensions. Ils ne voulaient pas s'en mêler.
22 Il y avait aussi la peur, on redoutait les services de Sécurité. Lui,
23 Fitozovic, avait accepté, c'était un officier de réserve. Alija Fitozovic
24 n'a rien fait de mal.
25 Q. Je n'ai pas dit qu'il a fait quoi que ce soit de mal. En page 9, vous
26 dites :
27 "Conformément à l'appel lancé par le président Alija Izetbegovic, les
28 Musulmans," vous parlez des Musulmans de Samac, "exception faite d'un
Page 12663
1 certain nombre de traîtres nationaux, n'ont pas répondu à l'appel sous les
2 drapeaux ni à l'appel dans la réserve."
3 C'est bien ce que vous dites ?
4 R. Il y a eu un appel - j'attends que l'interprète termine - je dis donc
5 il y a eu un appel lancé par le président Izetbegovic qui disait qu'il ne
6 fallait pas répondre aux convocations au service militaire dans la JNA,
7 parce que la JNA était déjà en guerre en Slovénie et en Croatie. Les
8 Musulmans de Samac, en majeure partie, ont accepté cela.
9 Q. Ceux qui ont répondu à l'appel sous les drapeaux, vous les avez appelés
10 et qualifiés de traîtres; vous le dites vous-même ?
11 R. C'est ainsi qu'on les qualifiait.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : M. Seselj est passé à un autre plan ou un autre
13 sujet. Je voudrais revenir sur Fitozovic qui, dans votre déclaration, est
14 mentionné comme capitaine de la JNA. Vous avez précisé qu'il était
15 capitaine de réserve, et on peut comprendre pourquoi vous l'aviez nommé
16 puisqu'il y avait quelqu'un qui était officier. Ça c'est une chose.
17 Le deuxième élément que je vois dans votre déclaration, c'est qu'on a
18 trouvé sous le lit de Fitozovic des explosifs, il les avait cachés sous son
19 lit. Mais on voit également que vous rajoutiez qu'il avait été les chercher
20 chez les Croates.
21 Alors y avait-il une entente entre les Musulmans et les Croates, les uns
22 fournissant armes et explosifs aux autres ?
23 LE TÉMOIN : [interprétation] Il n'y a pas eu d'accord, aucun accord, et je
24 n'ai pas participé pour ma part à l'élaboration de quelque accord que ce
25 soit. Il y a eu des cas isolés, et l'un de ces cas isolés c'était ce
26 Fitozovic qui est allé à Slavonski Brod et il avait obtenu cela de la part
27 des Croates. Mais jamais ces explosifs n'ont été utilisés. Ils ont été
28 trouvés chez lui, ces explosifs.
Page 12664
1 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, mais il obtient les explosifs de la part des
2 Croates, c'est-à-dire il les achète, il les paye au marché noir ou à des
3 Croates qui avaient ces explosifs et qui, à des fins commerciales, lui
4 vendent ou bien il va les voir, mais dans le cadre d'un "accord de
5 coopération" ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Il l'a reçu à titre gratuit. On le lui a donné
7 à Slavonski Brod sans quelque accord que ce soit.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Dans les Balkans, ça se fait de donner gratuitement
9 des armes comme cela ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Il -- j'imagine --
11 L'ACCUSÉ : [interprétation] C'est pour que la guerre éclate en Bosnie.
12 C'était ça l'intérêt des Croates, Monsieur le Président.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était peut-être leur intérêt que d'aider les
14 Bosniens à s'armer aux fins de se défendre, car à l'époque, le danger
15 venait du côté de la JNA tant pour ce qui est des Croates que des Bosniens.
16 C'est la raison pour laquelle ils ont donné cela gratuitement.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien.
18 Monsieur Seselj.
19 M. SESELJ : [interprétation]
20 Q. A la page 11, vous dites que de votre avis, les Croates étaient plus de
21 tout temps vos amis que les Serbes, ce que l'histoire a montré, ce que les
22 événements par la suite ont montré. Quand est-ce qu'au fil de l'histoire
23 les Croates se sont-ils montrés plus grands amis de vous, mis à part la
24 dernière des guerres ?
25 R. J'avais à l'esprit les crimes commis par les Serbes vis-à-vis des
26 Bosniens pendant la Deuxième Guerre mondiale.
27 Q. Où ?
28 R. Vous savez, en Bosnie orientale, tout ce que les Chetniks de Draza
Page 12665
1 Mihajlovic --
2 Q. Je suis au courant d'un seul cas de massacre à Foca, et je ne suis au
3 courant d'aucun autre cas.
4 R. Oui. Je peux vous parler du crime à Gorazde en 1942, lorsque sur le
5 pont on a amené des Musulmans et où plusieurs milliers de Musulmans ont été
6 tués. Il y a pas mal de choses.
7 Q. Monsieur Tihic --
8 R. Le détachement des Partisans du Monténégro a empêché cela.
9 Q. Non, il y a eu un crime commis par Pavle Djurisic, Monténégrin
10 originaire du Monténégro. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il y a des
11 Oustachi et les Domobrani qui avaient rejoint les rangs de la division SS
12 Handzar. Ils faisaient partie aussi des milices villageoises, ils ne
13 gardaient que leurs villages. Il y avait des Musulmans dans les partisans,
14 ils étaient nombreux, et il y avait 10 000 Musulmans qui étaient dans les
15 rangs des Chetniks pendant la Deuxième Guerre mondiale. Donc les Musulmans,
16 pendant cette Deuxième Guerre mondiale, n'étaient pas tous favorables à une
17 seule et même option. Ils avaient été dispersés dans plusieurs options.
18 Mais je vais revenir à la déclaration --
19 R. Est-ce que je peux répondre à ce que vous venez de dire ?
20 M. SESELJ : [interprétation] Allez-y.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : D'abord une correction au transcript. Il me semble,
22 Monsieur Tihic, vous avez parlé des crimes en 1942, et au transcript il y
23 avait "1992." Donc il y a une erreur au transcript. Oui, vous vouliez
24 répondre, Monsieur Tihic.
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, il y a eu beaucoup de crimes commis par
26 les Chetniks en Bosnie de l'Est et ailleurs en Bosnie par les Chetniks vis-
27 à-vis des Musulmans. Alors les Musulmans, les intellectuels musulmans et
28 les notables religieux, ont signé une grande pétition pendant la Deuxième
Page 12666
1 Guerre mondiale en 1941 condamnant le Mouvement des Oustachi et demandant à
2 ce que les Serbes soient protégés vis-à-vis des crimes commis à leur égard
3 pendant la Deuxième Guerre mondiale par les autorités oustachi de l'époque.
4 Par conséquent, les Musulmans n'ont pas, comme le dit M. Seselj, été
5 plus portés vis-à-vis du côté croate.
6 M. SESELJ : [interprétation]
7 Q. Y a-t-il eu des Chetniks parmi les Musulmans ?
8 R. La majorité des Musulmans étaient avec les partisans. Il y en a eu
9 parmi les Chetniks, il y en a eu avec des Oustachi, mais les plus nombreux
10 étaient parmi les partisans.
11 Q. Passons à ce qui est concret. En page 20, vous nous dites que vous êtes
12 allé négocier avec le lieutenant-colonel Nikolic. C'était le commandant de
13 ce 17e Groupe tactique, n'est-ce pas ? Vous avez demandé à ce que la JNA
14 s'éloigne du site d'Uzarija, et vous dites :
15 "Nous avons avancé comme raison la réaction de la partie croate, qui était
16 susceptible de fermer le pont alors que, pour la Bosnie, c'était la seule
17 sortie vers l'Europe. Mais la véritable raison, c'est que nous savions que
18 par ce pont ils passaient les armes pour la Bosnie, et les contrôles au
19 niveau d'Uzarija étaient censés empêcher les importations d'armes."
20 Ce qui vous a dérangé, c'était cette unité de la JNA à Uzarija parce
21 que cela entravait les acheminements d'armes de Croatie vers la Bosnie,
22 n'est-ce pas ?
23 R. En Bosnie-Herzégovine, la JNA armait les Serbes de façon la plus légale
24 qui soit, tout à fait légale. Avec ces attributions, elle allait vers
25 l'objectif de la Grande-Serbie. Les Musulmans, eux, ont essayé d'obtenir
26 des armes pour se défendre, pour ne pas être tués, et ces armes arrivaient
27 par la Croatie, en majorité par Bosanski Samac. Je ne le nie pas. Donc une
28 grande partie des armes sont passées par ce pont.
Page 12667
1 Q. Vous, les Musulmans, vous seriez armés si vous aviez répondu
2 favorablement à l'appel à la mobilisation, n'est-ce pas ? Les Serbes ont
3 reçu l'appel à la mobilisation, et c'est à ce moment-là qu'ils se sont vu
4 distribuer des armes. Si vous aviez tous répondu oui à l'appel à la
5 mobilisation, vous auriez aussi reçu des armes personnelles, n'est-ce pas ?
6 R. Non, ils recevaient des armes même en dehors de cette réponse
7 favorable, uniquement pour des critères ethniques.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : C'est l'heure de faire la pause parce qu'il est 10
9 heures. Ça fait déjà depuis une heure et demie qu'on est en audience.
10 Donc on va faire une pause de 20 minutes.
11 Je vous indique, d'après les décomptes de M. Le Greffier, Monsieur
12 Seselj, il vous reste dix minutes. Donc essayez de concentrer maintenant
13 dans le temps qui vous reste les questions que vous allez poser à M. Tihic.
14 Donc nous nous retrouvons dans 20 minutes.
15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, si ma mémoire est bonne,
16 le Procureur a dépassé un peu le temps qui lui avait été imparti, il a
17 parlé un peu plus de deux heures. Pour ma part, j'aurais besoin des dix
18 minutes que vous venez d'évoquer, effectivement, mais aussi de dix minutes
19 supplémentaires si vous l'acceptez et si vous reconnaissez que l'Accusation
20 a eu plus que deux heures. J'ai pas mal de questions importantes à poser à
21 M. Tihic.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Vous aurez donc 20 minutes après la
23 reprise. Voilà, donc nous faisons une pause de 20 minutes.
24 --- L'audience est suspendue à 10 heures 02.
25 --- L'audience est reprise à 10 heures 25.
26 M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est donc reprise après la pause, et je
27 donne la parole à M. Seselj.
28 M. SESELJ : [interprétation]
Page 12668
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12669
1 Q. Dans votre déclaration écrite, vous dites la façon dont vous avez mené
2 à bien les actions visant à collecter de l'argent auprès de 200
3 responsables d'entreprise à Samac, et cet argent a été destiné au SDA et à
4 payer les policiers de réserve qui patrouillaient pour la sécurité de la
5 ville et également pour mettre des vivres sur la table. Votre détachement
6 avait déjà commencé à patrouiller à Samac, n'est-ce pas, Monsieur Tihic ?
7 R. Est-ce que je dois répondre ?
8 Q. Oui.
9 R. Dans ma déclaration, vous verrez que nous avons recueilli au total 3
10 000 marks allemands, ce qui n'était pas suffisant. Impossible d'acheter des
11 armes avec une telle somme. Nous avons employé cette somme pour payer du
12 carburant, des indemnités journalières et également quelques vivres pour
13 les policiers de réserve. Nous avons également payé quelques indemnités aux
14 Serbes ou Croates policiers de réserve qui n'avaient pas répondu
15 favorablement à l'appel à la mobilisation au poste de sécurité publique.
16 Bien souvent, aucune sécurité n'était assurée au niveau du pont enjambant
17 la Sava. Donc la majeure partie de cet argent a été destinée aux policiers
18 d'appartenance ethnique musulmane. Nous avions également des gardes aux
19 entrées de Samac. Il n'y avait pas de patrouilles. C'étaient des postes de
20 contrôle qui fonctionnaient la nuit par crainte que quelqu'un ne pénètre
21 dans Samac pendant la nuit pour commettre un crime.
22 Q. Mais dans votre déclaration écrite, vous dites que le deuxième groupe
23 se composait de Pasaga Tihic, Esad Hadzimujagic ou Aziz Hecimovic, Fuad
24 Jasenica et d'autres. Donc c'était surtout Izet et Alija. C'est bien
25 Izetbegovic, n'est-ce pas, qui se rendait au pont près de Piplovic -
26 j'ajoute pour ma part que cela se trouvait en Croatie - qui ont apporté un
27 jour 100 kilos d'explosifs et, lors de leur deuxième voyage, 10 000 balles,
28 20 grenades, quelques obus antichars. Izet, lors d'un voyage, a également
Page 12670
1 accepté et reçu du parti 30 fusils automatiques et cinq pistolets.
2 Durant le Ramadan, Senahid Memic, un homme du parti, est arrivé un
3 jour pour demander de l'aide, parce qu'il a dit que son camion était tombé
4 en panne non loin de Samac. "J'ai à ce moment-là organisé le transfert des
5 armes dans un autre camion."
6 "Smajlovic a amené ces armes au dépôt, et pour ce service, nous avons
7 reçu 20 fusils automatiques et 2 000 balles. De cette façon, nous
8 disposions déjà de 50 fusils automatiques. Avec ces armes, nous avons
9 équipé un détachement qui patrouillait dans la ville avec les armes
10 dissimulées, en général, dans leurs voitures. Selon la situation, il nous
11 arrivait d'avoir un nombre plus important de patrouilles, ce qui nous
12 permettait de couvrir toutes les entrées de Samac."
13 Q. C'est bien cela, Monsieur Tihic ?
14 R. Je vais répondre. Toutes les armes que nous avions, toutes les armes
15 que nous avons réussi à obtenir - et vous venez de les énumérer - se
16 limitaient à des fusils automatiques, à quelques Kalashnikov. Pour le
17 reste, nous ne disposions que de très peu de choses. Ces armes étaient
18 dissimulées dans les voitures, elles n'étaient pas déclarées publiquement.
19 La nuit, grâce à ces armes, nous organisions des patrouilles aux entrées de
20 Samac de façon à éviter l'effet susceptible de se produire la nuit, car pas
21 mal de gens de toutes sortes pénétraient dans Samac à cette époque-là et
22 toutes sortes de rumeurs circulaient. Nous avons fait tout cela avec
23 l'accord de la police, car la police à Bosanski Samac ne pouvait pas
24 assurer suffisamment la sécurité.
25 Q. Comment il s'appelait ?
26 R. Vinko Dragicevic.
27 Q. C'était un Croate, n'est-ce pas ?
28 R. Oui, Vinko Dragicevic était un Croate, c'était le chef du poste de
Page 12671
1 sécurité publique de Samac.
2 Q. Un jour, une patrouille de la JNA est entrée à Samac et a démoli notre
3 patrouille, et immédiatement, nous avons organisé un barrage. C'est Alija
4 Fitozovic qui a monté ce barrage, et vous dites dans votre déclaration
5 qu'il l'a fait à votre insu, n'est-ce pas ?
6 R. Une fois que la patrouille de la JNA a pénétré dans Samac et qu'elle a
7 fait ce qui est écrit dans ma déclaration, c'est-à-dire qu'elle confisqué
8 les armes d'une de nos patrouilles, Alija Fitozovic a organisé un barrage
9 même si moi j'étais opposé à cela. J'ai dit clairement que ceci n'était pas
10 une bonne solution, que ce n'était pas notre façon de nous battre, que
11 l'érection de tels barrages ne pouvait que créer des problèmes, parce que
12 des barrages existaient déjà dans les villages serbes et dans les villages
13 croates. Je considérais que ce n'était pas une bonne chose d'avoir. A cette
14 époque-là, le président du SDA et le président du SDS
15 population pour détruire les barrages de nos villages respectifs, lui dans
16 les villages serbes et nous dans les villages musulmans.
17 Q. Monsieur Tihic, vous avez tiré sur une autre patrouille de la JNA qui a
18 passé par Samac. Osman Mesic a tiré sur cette patrouille. Personne n'a
19 touché qui que ce soit. Vous dites que le tir a été fait en l'air, mais
20 dans le but de faire partir cette patrouille. La patrouille a reculé, vous
21 craigniez de voir une autre patrouille de la JNA encore plus puissamment
22 armée, donc vous avez immédiatement démoli les barrages, vous aviez
23 également peur de l'action du 4e Détachement, n'est-ce pas ?
24 R. J'aimerais répondre.
25 Q. Allez-y.
26 R. J'étais opposé aux barrages.
27 Q. C'est écrit dans le texte ici aussi.
28 R. J'étais opposé aux barrages. Je considérais que ce n'était pas une
Page 12672
1 solution intelligente, je pensais que la création de ces barrages n'était
2 pas un acte intelligent. Dès le lendemain matin, j'ai demandé qu'on les
3 démantèle. D'ailleurs, le fait qu'Osman Mesic ait tiré en l'air c'était la
4 police militaire, voyez-vous, montre bien que j'avais raison parce que les
5 barrages pouvaient créer des réactions. Il y avait aussi le 4e Détachement,
6 autrement dit des Serbes en armes qui circulaient dans la ville et qui
7 auraient pu, grâce à leurs armes, tirer sans problème sur ceux qui tenaient
8 les barrages.
9 Donc c'était une mesure totalement irresponsable, et j'ai fait tout
10 ce que j'ai pu pour supprimer ces barrages le plus rapidement possible; pas
11 parce que la JNA risquait de revenir -- oui, peut-être pour ça aussi, mais
12 avant tout parce que je considérais que ce n'était pas bon pour une ville,
13 pour un bourg, d'avoir de tels barrages et de contrôler les entrées et les
14 sorties.
15 Q. Vous doutiez qu'il soit possible d'obtenir quoi que ce soit avec des
16 barrages, n'est-ce pas ?
17 R. Oui, je pensais que c'était une erreur.
18 Q. Mais quand vous avez démantelé les barrages, vous avez commencé à
19 coopérer au quotidien avec l'Union démocratique croate pour les préparatifs
20 de défense. Vous dites, je cite :
21 "La coopération se réalisait par les pourparlers politiques
22 fréquents, contacts quotidiens entre notre commandant et le leur, et lors
23 de la première réunion à Prud."
24 Ils ont convenu avec vous de créer une cellule de Crise commune,
25 n'est-ce pas ?
26 R. Non. Je dois répondre à cela, car c'est une question importante.
27 Je suis allé à cette réunion, je suis arrivé un peu en retard, un peu
28 après le début de la réunion, et j'ai vu qu'il ne se trouvait là que des
Page 12673
1 représentants des Musulmans et des Croates et que l'intention poursuivie
2 était de créer une cellule de Crise dans la ville de Samac constituée
3 exclusivement des Musulmans et de Croates. A ce moment-là, j'ai dit que
4 j'étais contre cette idée, car à deux groupes ethniques, nous ne pouvions
5 pas créer une telle cellule, nous devions la créer à trois. Donc la cellule
6 n'a pas été créée à ce moment-là.
7 Q. Il est écrit dans votre déclaration écrite que vous avez insisté pour
8 que les deux états-majors existent en parallèle; qu'Alija Fitozovic
9 continue à être le commandant de votre état-major. A ce moment-là, les
10 Croates vous ont donné un fusil PAP qui pouvait servir à tirer sur les
11 chars et à lutter contre les grenades, n'est-ce pas ?
12 R. J'étais opposé qu'une cellule de Crise soit créée uniquement avec des
13 Musulmans et des Croates. J'ai demandé que les représentants de la
14 population serbes y soient inclus de façon à ce que la défense soit
15 unifiée.
16 Q. D'accord. Après cette réunion, vous recevez de Croatie une certaine
17 quantité d'armes supplémentaires, comme vous dites dans votre déclaration
18 écrite, 50 fusils automatiques à peu près, deux mortiers, plusieurs Zolja
19 et quelques grenades. Les Zolja sont bien, n'est-ce pas, des lance-
20 roquettes qu'on peut déplacer ?
21 R. Cinquante fusils automatiques sont arrivés de Croatie, comme je l'ai
22 dit.
23 Q. Mais là je parle de 50 fusils automatiques supplémentaires.
24 R. Oui, oui, j'en avais parlé quand j'ai parlé de l'armement tout à
25 l'heure.
26 Q. Donc au total, vous disposez désormais de 100 fusils automatiques ?
27 R. Permettez-moi de répondre. Les 50 fusils automatiques qui sont
28 mentionnés ici, j'ai dit qu'il fallait les emporter à l'état-major de la
Page 12674
1 Défense territoriale qui avait déjà été créée à ce moment-là. Jusqu'à cette
2 date-là, il n'existait pas d'état-major de la Défense territoriale et je
3 craignais que ces nouveaux 50 fusils automatiques, s'ils étaient distribués
4 parmi les civils, puissent être utilisés de façon non contrôlée. J'ai donc
5 dit qu'il fallait les transporter à l'état-major de la Défense territoriale
6 et c'est ce qui a été fait. Cela a été fait. Deux jours plus tard, Samac a
7 été attaquée grâce à des armes qui avaient été trouvées là.
8 Q. Monsieur Tihic, dans votre déclaration écrite, les choses sont dites
9 différemment. On peut y lire, je cite :
10 "La majeure partie de ces armes a immédiatement été distribuée à l'état-
11 major de la Défense territoriale, surtout à des Musulmans et aussi à
12 quelques Croates."
13 Page 14 de votre déclaration écrite. Donc ces armes ne sont pas restées à
14 l'état-major puisqu'une une fois arrivées à l'état-major, elles ont
15 immédiatement été distribuées. C'est ce que vous avez écrit.
16 R. Le fait est --
17 Q. Moi je crois tout ce que vous avez écrit dans votre déclaration.
18 R. Ce qui est un fait -- j'attends un peu pour les interprètes.
19 Ce qui est un fait, c'est que ces armes ont été remises à l'état-major de
20 la Défense territoriale. Maintenant, combien de ces armes au cours des deux
21 ou trois jours qui ont précédé l'attaque sur Samac ont été distribuées, je
22 ne sais pas. Est-ce que c'est une petite portion ou une grande portion de
23 ces armes, je ne sais pas. Mais ce que je sais c'est que quand Samac a été
24 attaquée, une partie de ces armes a été découverte à l'état-major de la
25 Défense territoriale, et il s'agissait d'armes qui avaient été remises
26 légalement à une institution légale et qui ont été distribuées légalement
27 par cette institution.
28 Q. Comment est-ce que cet état-major de la Défense territoriale peut être
Page 12675
1 une institution légale puisqu'il échappait totalement à la JNA ? Seule la
2 Défense territoriale placée strictement sous le contrôle de la JNA était
3 légale, n'est-ce pas, sous le contrôle de la présidence de la RSFY ?
4 R. Non, il n'en est pas ainsi. J'attends un peu pour les interprètes. Non,
5 ce n'est pas ça, ce n'est pas exact. L'état-major de la Défense
6 territoriale a été mis en place par la Défense territoriale de la
7 république. Il était totalement légal. Le commandement de la Défense
8 territoriale relève, oui, de la présidence de la Bosnie-Herzégovine,
9 c'était le cas, et les ordres venant de cette présidence étaient respectés.
10 Q. Vous appelez guerre ce qui s'est passé à Samac au moment où vous avez
11 été capturé. Vous dites, je cite : "Une quinzaine ou une vingtaine de jours
12 avant la guerre, un affrontement a eu lieu entre les membres du 4e
13 Détachement et les membres des forces de réserve." Nous voyons qu'il y
14 avait la milice de réserve qui était sous votre contrôle et le 4e
15 Détachement qui était sous le contrôle de la JNA. Vous dites les noms des
16 Musulmans; Nizam Ramusovic, Mesad Mesic -- non, non, non. Dans la milice de
17 réserve, il y avait Adis Izetbegovic, Sead Srna et un membre de la milice
18 de Hasici ?
19 R. Croate.
20 Q. Croate, d'accord. En page 2, vous dites que dans le 4e Détachement il y
21 avait Nizam Ramusovic, Mesad Mesic et un autre qui était sans doute Serbe,
22 n'est-ce pas ?
23 R. Oui.
24 Q. Donc dans les deux groupes, il y avait à ce moment-là des Musulmans en
25 majorité, n'est-ce pas ?
26 R. Les membres du 4e Détachement.
27 Q. Des Musulmans favorables au maintien de la Yougoslavie.
28 R. Les membres du 4e Détachement ce jour-là ont commis des actes de
Page 12676
1 provocation, ont tiré sur un restaurant dans lequel se trouvaient des
2 membres du SDA ou des sympathisants du SDA, et au moment où ils ont tiré,
3 une patrouille de la "milicija" est arrivée. Ne sachant pas ce qui se
4 passait exactement et voyant qu'on tirait sur eux, ils ont répliqué en
5 tirant aussi.
6 *Q. Monsieur Tihic, ce qui est intéressant c'est que les blessés ont
7 seulement été trois membres du 4e Détachement, deux Musulmans et un Serbe,
8 et que parmi vos membres de la "milicija" de réserve, personne n'a été
9 blessé. Maintenant, vous dites que ce sont les autres qui ont tiré en
10 premier. Ils ont peut-être tiré en l'air, mais en tout cas, même si ce sont
11 eux qui ont tiré en l'air en premier, ils ont reçu des balles puisque tous
12 les trois ont été blessés par balle.
13 R. J'attends un peu pour les interprètes.
14 La patrouille de la "milicija" a vu et entendu que des balles étaient
15 tirées. Elle ne savait pas si ces tirs la visaient elle, si elle allait se
16 faire tirer ou pas. Ce sont d'abord les membres du 4e Détachement qui ont
17 tiré. C'est un événement regrettable, mais les membres du 4e Détachement
18 sont ceux qui ont tiré en premier. La patrouille de la "milicija" de
19 réserve ne savait pas qu'on ne tirait pas sur elle, elle ne pouvait pas se
20 rendre compte immédiatement qu'on tirait en l'air. Elle a dont répliqué et,
21 malheureusement, les trois ont été blessés.
22 Q. Vous aussi, quand vous avez été capturé, vous aviez un fusil
23 automatique et un pistolet, n'est-ce pas ? Le pistolet, vous l'avez
24 dissimulé, et le fusil automatique on vous l'a pris ?
25 R. J'étais dans la maison de Mica Pavlovic, de mon voisin, quand j'ai été
26 arrêté sans aucune arme. Un peu plus tôt, j'avais reçu un pistolet et un
27 fusil automatique, et ce fusil automatique m'a été confisqué lors de la
28 fouille de la maison.
Page 12677
1 Q. Monsieur Tihic, à en juger par tout ce que nous voyons ici, la JNA vous
2 a capturé de façon tout à fait légale. Vous possédiez des armes, vous étiez
3 un émeutier, et donc tout s'est fait légalement sauf les coups fréquents
4 que vous avez reçus après votre capture. Ce sont ces coups que je condamne,
5 et je considère que ceux qui vous ont frappés, vous et vos codétenus,
6 doivent répondre de cela. Pourquoi ils n'ont pas à répondre de cela, c'est
7 le Procureur de ce Tribunal qui doit le dire. Mais en tout cas, votre
8 arrestation et votre capture ont été faites légalement parce que vous étiez
9 armés, donc membres de formations armées. Est-ce que vous aviez ces armes
10 sur vous ou pas, ce n'est pas le plus important.
11 R. Je peux répondre ?
12 Q. Allez-y, répondez.
13 R. L'attaque de la JNA n'a pas été légale contre la ville de Bosanski
14 Samac. Il n'était pas légal, pour la JNA, de venir occuper le poste de
15 police, occuper la mairie et chasser tous les responsables qui n'étaient
16 pas Serbes ou chasser tous les responsables qui n'étaient pas Croates. Ceci
17 ne peut pas être légal. Puisque nous parlons de la JNA, la JNA aurait pu
18 rester là où elle se trouvait, c'est-à-dire dans les villages serbes, mais
19 elle n'était pas en droit de transformer la nature du pouvoir. Ce n'était
20 pas dans ses fonctions, notamment en raison du fait que personne n'avait
21 attaqué la JNA.
22 Q. Monsieur Tihic, au cours de l'interrogatoire principal ici, vous avez
23 dit que des hélicoptères de la JNA étaient arrivés et qu'à bord de ces
24 hélicoptères se trouvaient des soldats que vous, vous appelez des spéciaux,
25 à savoir des soldats qui avaient subi un entraînement bien particulier et
26 qui étaient venus pour former le cœur du 4e Détachement, n'est-ce pas ?
27 Est-ce que vous êtes au courant de cela ?
28 Savez-vous qu'au nombre de ces soldats qui sont arrivés grâce aux
Page 12678
1 hélicoptères de la JNA se trouvaient également des habitants de Bosanski
2 Samac qui avaient d'abord été envoyés dans un centre d'entraînement et qui
3 revenaient après avoir subi cet entraînement aux côtés d'un certain nombre
4 de soldats parmi lesquels se trouvaient aussi des volontaires. Est-ce que
5 vous le savez ?
6 R. J'ai dit ce que je savais au sujet de ces hélicoptères. J'ai dit qu'un
7 membre du Parti serbe était venu dans mon bureau pour me dire que deux
8 hélicoptères étaient arrivés et qu'à bord de ces hélicoptères se trouvaient
9 des membres d'unités spéciales venues de Serbie et visant à imposer la
10 terreur dans les villages en recourant même aux coups sur les gardes. Alors
11 qui était à bord des hélicoptères et est-ce qu'il y avait des gens de
12 Bosanski Samac, j'en sais rien.
13 Q. Je vous le lis. Maintenant, vous le savez. Vous avez dit, et je cite :
14 "J'ai appris plus tard que ceux qui portaient des bérets rouges
15 faisaient partie des forces de police de Serbie."
16 Alors le seul fait que ces soldats portaient des bérets rouges, même
17 s'il ne faisait aucun doute qu'ils faisaient partie de la JNA et qu'ils
18 étaient arrivés à bord d'hélicoptères de la JNA, donc parce qu'ils
19 portaient des bérets rouges, vous établissez un lien entre eux et le MUP de
20 Serbie qui a été créé en 1996 et dont certains membres portaient également
21 un béret rouge sur la tête, n'est-ce pas ? Quel rapport la police de Serbie
22 peut-elle avoir avec cette unité de la JNA qui est arrivée à bord
23 d'hélicoptères de la JNA et dont les membres portaient sur la tête un béret
24 rouge ?
25 R. J'ai dit qu'ils étaient arrivés à bord d'hélicoptères de la JNA, qu'ils
26 portaient un uniforme de l'armée, qu'on m'a dit qu'il s'agissait de Bérets
27 rouges. Je pensais qu'ils étaient membres de la police de Serbie. Vous
28 dites que ce n'était pas le cas en Serbie, qu'ils faisaient partie de la
Page 12679
1 JNA, je ne sais plus.
2 Q. Est-ce que vous savez que les membres de certaines unités de la JNA
3 portaient également un béret rouge ?
4 R. Je ne sais pas. Ecoutez, ils sont arrivés dans le cadre de l'armée de
5 la JNA. Est-ce qu'officiellement ils étaient sous le commandement de la JNA
6 ou de la police, je ne sais pas, je ne peux pas répondre à cela.
7 Q. Ensuite, vous mentionnez Zvezdan Jovanovic. Avez-vous le moindre
8 élément prouvant que par la suite il travaillait pour la police, et vous
9 savez que c'est possible, il avait été membre de la JNA, ensuite membre de
10 la Garde d'Arkan, ensuite il est passé dans la police quand l'unité
11 spéciale a été créée en 1996, nombre d'anciens membres des groupes d'Arkan
12 sont entrés dans cette unité de la police. Ils ont même cherché à obtenir
13 des volontaires du Parti radical serbe, mais comme nous étions confrontés
14 en opposition flagrante avec le régime, aucun de nos volontaires n'a
15 accepté.
16 Vous dites que Zvezdan Jovanovic distribuait les coups et qu'il pillait.
17 Vous pouvez dire ce que vous voulez à son sujet, mais jamais personne en
18 Serbie n'a eu la moindre possibilité de dire que Zvezdan Jovanovic était un
19 criminel et qu'il volait ou pillait. Même au moment de l'assassinat de
20 Djindjic, personne n'a évoqué ce genre de qualificatif à son encontre.
21 R. Je peux répondre ?
22 Q. Allez-y.
23 R. On a dit qu'il a pillé, et ceci a été dit partant de sa façon de se
24 comporter à Bosanski Samac. Un cousin à moi, suite à ordres de sa part, a
25 complété des cartes grises de véhicules qui avaient auparavant été
26 confisqués à des Bosniens. C'était un civil. Il a tapé à la machine pour
27 Zvezdan Jovanovic des cartes grises de façon illégale, il a mis des cachets
28 dessus afin que Zvezdan Jovanovic puisse exporter ces véhicules vers la
Page 12680
1 Serbie et les vendre. C'est un criminel.
2 Q. Quand est-ce que ça s'est passé ?
3 R. En 1992.
4 Q. Quand ?
5 R. Avril/mai, je ne sais pas vous donner de date exacte.
6 Q. Avant le retrait de la JNA de Samac ? C'était absolument impossible.
7 R. Ça s'est passé ainsi, c'est ainsi qu'ils prenaient les fusils, les
8 armes. Ils falsifiaient les permis de port d'armes. De toute manière, ils
9 arrivaient avec des camions dans des entreprises pour sortir des machines,
10 des équipements. Les Serbes du cru s'y opposaient, mais ils n'osaient pas
11 trop élever la voix parce qu'ils se feraient abattre, c'étaient des gens
12 dangereux.
13 Q. Monsieur Tihic, je suis convaincu qu'il n'y a pas eu de grands
14 pillages. Il y a peut-être eu des petits vols, mais il n'y a pas eu de
15 grands pillages tant que la JNA n'a pas quitté la Bosnie-Herzégovine le 19
16 mai. Les pillages surviennent après le départ de la JNA, mais vous n'avez
17 pas été à Samac à l'époque. Vous nous racontez ça de deuxième main. Est-ce
18 que cet homme a véritablement vu Zvezdan Jovanovic ou si c'était quelqu'un
19 d'autre, ça c'est une chose que je mets en doute. Je n'ai aucune raison de
20 le défendre, je n'ai jamais vu de ma vie cet homme, mais la Serbie tout
21 entière sait que ce n'était pas un criminel, un voleur. C'était un soldat
22 professionnel. De là à savoir s'il a tué Djindjic ou pas, là moi je ne le
23 pense pas. Le procès a eu lieu dans des circonstances douteuses. On finira
24 bien par l'apprendre. Il y a eu des coups montés aussi, ça c'est vrai. La
25 police, avant le procès, a exécuté deux complices très importants, celui
26 qui est surnommé Siptar et Mile Lukovic, et après ils ont pu magouiller
27 tout ce qu'ils voulaient. Ça ce sont les faits, Monsieur Tihic.
28 R. Vous voulez que je vous réponde ?
Page 12681
1 Q. Allez-y.
2 R. Le fait est que ces unités, ces membres des unités spéciales, étaient
3 aussi des voleurs, des pilleurs. Ils ont volé les biens privés des
4 citoyens, ils ont volé les biens des entreprises de l'Etat. Parmi eux, il y
5 avait aussi Zvezdan Jovanovic. Je le sais.
6 Q. Vous le savez de deuxième main ?
7 R. Je le sais, parce que je me suis entretenu avec des Bosniens, avec des
8 Serbes aussi. Après coup, une fois que tout s'est arrêté, qu'on a pu
9 rediscuter de tout ceci, c'est les Serbes qui me l'ont raconté aussi. Ils
10 ont essayé de s'y opposer mais ils n'osaient pas, c'étaient des hommes
11 véritablement dangereux.
12 Q. Monsieur Tihic, tout ça ce sont des récits de deuxième main. Mais peu
13 importe. Saviez-vous qu'après le retrait de la JNA, ce 4e Détachement qui
14 faisait partie de ce 17e Groupe tactique s'est mué en brigade de la
15 Semberija au sein de l'armée de la Republika Srpska; le saviez-vous, ça ?
16 R. [aucune réponse verbale]
17 Q. Qu'on attende peut-être, mais on a l'occasion de nous entretenir
18 pendant que les Juges sont pris. Mes 20 minutes vont prendre fin d'un
19 instant à l'autre.
20 R. Attendez, mais en principe, ils sont censés entendre ce qu'on se dit.
21 Q. Ils peuvent relire cela par la suite.
22 R. Monsieur Seselj, vous m'avez dit --
23 Mme LE JUGE LATTANZI : Une minute, Monsieur Seselj.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Oui, Monsieur Seselj, on était en train de calculer
25 le temps avec le greffier, et vous avez quasiment terminé. Alors posez
26 votre dernière question et on arrêtera là.
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je viens de poser ma dernière question et
28 j'attends la réponse de M. Tihic qui n'a pas voulu répondre avant d'être
Page 12682
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12 Page blanche insérées d’assurer la correspondance entre la
13 pagination anglaise et la pagination française.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12683
1 sûr que vous écoutez.
2 LE TÉMOIN : [interprétation] Vous m'avez dit que c'est de deuxième main que
3 j'ai entendu parler des pillages et des vols effectués par ces membres des
4 unités spéciales. Ils m'ont volé moi-même, ils m'ont pris à la maison, j'ai
5 dû leur donner tout mon argent.
6 M. SESELJ : [interprétation]
7 Q. Qui était-ce ?
8 R. Je ne connais pas les noms, c'était un homme arrivé de Serbie.
9 Q. Vous avez mentionné Lugar ?
10 R. Lugar y était.
11 Q. Dans la déclaration faite auprès du bureau du Procureur, vous avez dit
12 que c'était un homme aux cheveux blonds, n'est-ce pas ?
13 R. Ecoutez, nous ne pouvions pas trop regarder ces gens.
14 Q. C'est ce que dit votre déclaration.
15 R. Lorsqu'ils ont fait leur apparition, il fallait qu'on baisse la tête,
16 qu'on regarde par terre, et on n'a pas l'occasion de trop les détailler.
17 Quand on m'a montré la photo, je l'ai reconnu, j'ai dit que je n'étais pas
18 très sûr, mais je l'ai reconnu. C'était un costaud, probablement portait-il
19 un uniforme de ce type.
20 Q. Merci, Monsieur Tihic.
21 R. Mais laissez-moi répondre pour ce qui est du 4e Détachement qui s'est
22 mué en bridage d'une armée de la Republika Srpska.
23 Q. Oui, justement.
24 R. J'ai eu ouï-dire aussi que ce 4e Détachement s'est mué par la suite en
25 une brigade de la Republika Srpska.
26 Q. La Brigade de la Posavina.
27 R. Oui.
28 Q. Dans votre déclaration, vous dites que c'est un homme aux cheveux
Page 12684
1 blonds. Or moi, par hasard, je l'ai rencontré une fois dans ma vie, et je
2 sais pour sûr que c'est quelqu'un qui a des cheveux très noirs. Il y a
3 longtemps qu'il est décédé, ce n'est pas très important, mais c'était
4 quelqu'un qui avait des cheveux très noirs.
5 R. Ecoutez, c'est Lugar le plus grand criminel là-bas. C'est lui qui m'a
6 battu. Peut-être ai-je fait une erreur, peut-être ai-je eu peur et que je
7 me suis trompé, mais ce sont des --
8 Q. Je voulais démontrer la chose suivante : la mémoire humaine n'est pas
9 chose tout à fait fiable, Monsieur Tihic, notamment au bout d'autant de
10 temps. Je veux bien croire qu'on vous ait tabassé. Vous n'auriez pas pu
11 inventer ce récit, pas un récit de cette envergure. Je veux bien croire que
12 vous ayez été battu. Mais au bout d'un certain temps, dans ses réflexions,
13 l'être humain a tendance à attribuer cela à des gens dont il a eu à
14 connaître ultérieurement. Alors c'est ce que je voulais vous dire.
15 Il est difficile d'identifier par les noms et prénoms tous ceux qui vous
16 ont battu. Mais seriez-vous d'accord avec moi pour dire que le principal
17 responsable des tabassages après votre emprisonnement, c'était celui qui
18 était le chef du service militaire de la sécurité, c'est ça l'aspect
19 important, et à lui de découvrir qui sont les individus concrets qui vous
20 ont battu ?
21 R. Oui, c'est à plusieurs reprises que j'ai été battu.
22 Q. Ça, ça ne fait pas l'objet de ma question.
23 Ma dernière question, c'est la toute dernière question : est-ce que vous
24 êtes d'accord ou pas pour dire que tous les coups que vous avez reçus
25 depuis votre emprisonnement jusqu'à l'échange, le principal coupable c'est
26 le chef des services militaires chargés de la sécurité ?
27 R. Il y a plusieurs responsables.
28 M. SESELJ : [interprétation] Mais attendez, à lui de rechercher le
Page 12685
1 véritable coupable, nous savons vous et moi que c'est lui l'homme
2 responsable.
3 Merci, Monsieur Tihic.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Tihic, juste une question de suivi, une
5 précision.
6 Questions de la Cour :
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Dans votre localité, il y a la création de la
8 Défense territoriale. Vous nous l'avez expliqué. Elle est constituée de
9 Musulmans. Il y a les armes, les 50 pistolets, puis ces 50 autres
10 pistolets. Nous voyons très bien ce qui s'est passé. Nous savons que le
11 capitaine responsable avait mis en place des barrages. Vous avez été
12 contre, vous êtes intervenu. Très bien.
13 Mais c'est au juriste que je m'adresse. Apparemment, ceci se passe en avril
14 1992. A votre connaissance, la République de la Bosnie-Herzégovine s'est
15 déclarée indépendante à quelle date précise ?
16 R. La République de Bosnie-Herzégovine a organisé un référendum le 29
17 février et le 1er mars de 1992. L'Union européenne a reconnu l'indépendance
18 de la Bosnie-Herzégovine le 6 avril 1992, et par la suite il y a eu
19 reconnaissance de tous les autres pays. C'est le 22 mai que nous avons été
20 membres des Nations Unies.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Le 19 mai, la JNA s'est retirée. Avant que la
22 JNA ne se retire, ce pays ne pouvait pas être reçu dans l'organisation des
23 Nations Unies.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : -- Monsieur Tihic. Donc vous venez de citer des
25 dates qui sont évidemment importantes.
26 Le 6 avril 1992, l'Union européenne a reconnu la République de Bosnie-
27 Herzégovine. Donc si je comprends bien, la Défense territoriale a
28 fonctionné après le 6 avril 1992, après la reconnaissance par l'Union
Page 12686
1 européenne de l'existence de la République de Bosnie-Herzégovine en tant
2 qu'Etat souverain et indépendant ?
3 R. La Défense territoriale existait même avant, dans le cadre de la
4 République socialiste fédérative de Yougoslavie, mais à la différence près
5 que la JNA avait, un an auparavant, désarmé la Défense territoriale. C'est
6 partant de cette Défense territoriale que s'est créée par la suite l'ABiH,
7 suite à cette date du 6 avril et au-delà.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : M. Seselj est intervenu en disant que la JNA s'est
9 retirée le 19 mai. Je pense que vous êtes d'accord avec lui sur la date du
10 19 mai. Mais vous qui êtes un juriste, est-ce que la JNA n'aurait pas dû se
11 retirer dès le 6 avril 1992 ?
12 R. Oui, c'est pour moi à ce moment-là qu'elle aurait dû se retirer, mais
13 elle devait se retirer dès le 1er mars lorsqu'il y a eu référendum portant
14 sur l'indépendance, lorsque la Bosnie-Herzégovine, sur le plan formel, elle
15 est restée. Elle aurait dû se retirer le 19 avril, et elle s'est retirée
16 bien longtemps après.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Mais vous dites qu'elle aurait dû se
18 retirer dès le mois de mars ?
19 R. Oui, du point de vue formel, c'est là qu'il y a eu proclamation des
20 résultats du référendum, les citoyens se sont prononcés en faveur d'une
21 indépendance et que la JNA n'avait plus rien à demander. C'était une armée
22 étrangère, désormais.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : On aura certainement l'occasion de revenir plus tard
24 sur cela.
25 Monsieur le Procureur, avez-vous des questions supplémentaires ?
26 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Inutile, je n'ai pas de questions
27 supplémentaires. Mais étant donné que les notes personnelles du témoin ont
28 été citées en grand nombre, je demande le versement au dossier de cela.
Page 12687
1 M. LE JUGE ANTONETTI : Donc vous demandez le versement. J'ai cru
2 comprendre, le témoin a écrit un livre. Il me semble que vous avez cité le
3 numéro 65 ter du livre; c'est bien ça ? De mémoire 2004, mais je n'en suis
4 pas sûr. C'est ça ? C'est 2004 ? Non, il est 2094 ? Bien.
5 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Précisément. C'est cela.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, je vais demander à mes collègues si -- oui ?
7 [La Chambre de première instance se concerte]
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. 2094, Monsieur Mussemeyer, c'est le livre.
9 C'est ça que vous demandez ?
10 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Le titre est "Notes personnelles du témoin
11 Sulejman Tihic." Je vais voir ce qu'on peut y lire sur la première page,
12 qui commence par "mémoires." Je ne vois pas davantage.
13 M. LE JUGE ANTONETTI : [hors micro]
14 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Oui.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Et est-ce que vous demandez aussi le versement
16 de la déclaration de M. Tihic que nous avons sous les yeux, qui a été
17 recueillie ? J'attends de vérifier --
18 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Le 26 mai.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous le demandez. En fait, il y a deux documents que
20 vous demandez. Bien.
21 Alors, Monsieur le Greffier, donnez-nous --
22 Oui, Monsieur --
23 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Tout d'abord, il est inadmissible,
24 absolument inadmissible, que l'on verse au dossier une déclaration faite
25 par le témoin auprès de l'Accusation. Il a témoigné viva voce, et toutes
26 les déclarations faites précédemment auprès du bureau du Procureur vont à
27 la poubelle directe. Et ceci c'est un document qui a été créé bien avant le
28 témoignage. Par exemple, ceci était l'un des documents qui aurait pu être
Page 12688
1 consigné au 89 ter. C'est un exemple type du document qui pouvait se
2 rapporter à cet article, et non pas aux données -- cette déclaration auprès
3 du bureau du Procureur. Ça, c'était rédigé par le témoin en personne. Or,
4 la déclaration faite auprès du bureau du Procureur a été, elle, rédigée par
5 les enquêteurs, voire par le Procureur partant d'un entretien et ça ne peut
6 pas être versé au dossier.
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mussemeyer.
8 M. MUSSEMEYER : [interprétation] La raison pour laquelle nous avons
9 recueilli cette déclaration, c'était conformément à une ordonnance rendue
10 par la Chambre de première instance le 7 janvier 2008, qui précisait que
11 nous pouvions proposer une déclaration 92 ter pour ce témoin parce que ceci
12 a été consolidé. Nous avons consolidé cette déclaration et chaque
13 paragraphe de ces citations. Ceci a été traduit. Le témoin a apporté ses
14 corrections, ensuite l'a signée.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Il faut que vous vous rappeliez qu'à l'origine, à
16 l'origine, le Procureur voulait faire un 92 ter, et la Chambre avait à ce
17 moment-là demander au Procureur de faire une déclaration consolidée. C'est
18 vous-même, c'est vous-même, qui êtes intervenu en disant que vous vouliez
19 que M. Tihic dépose viva voce compte tenu de son rôle, de son importance,
20 et cetera.
21 La Chambre vous avait dit, nous allons délibérer sur la question. La
22 Chambre a délibéré et vous a fait droit à votre requête, a donc décidé que
23 celui-ci viendrait comme témoin viva voce.
24 Voilà la situation. Alors, nous comprenons maintenant que vous nous
25 indiquiez qu'un témoin viva voce, c'est le transcript et pas sa déclaration
26 antérieure, et donc vous vous opposez à cette déclaration.
27 Alors, je vais consulter mes collègues pour savoir ce que nous faisons.
28 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, je me dois de vous dire
Page 12689
1 ceci encore. L'admission éventuelle de cette déclaration préalable au
2 dossier serait une supercherie, parce qu'on m'a dit que ce témoin
3 témoignerait viva voce. Je me prépare pour son contre-interrogatoire. Il a
4 témoigné. Je l'ai contre-interrogé. Maintenant, si par malheur vous veniez
5 à verser au dossier sa déclaration précédente au 92 ter pour la mettre au
6 dossier, ce serait un cas unique de témoin qui aurait témoigné viva voce et
7 en application du 92 ter, et moi, je me considérerais comme étant la partie
8 trompée dans tout ceci.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais demander l'avis de mes collègues.
10 [La Chambre de première instance se concerte]
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, la Chambre qui a délibéré, comme vous l'avez
12 constaté, décide premièrement que les notes personnelles dites "mémoires"
13 sont admises, et donc le greffier va donner un numéro.
14 Mais en revanche, sur la déclaration qui avait été prévue au titre du 92
15 ter, la Chambre ne fait pas droit à la requête du Procureur.
16 De ce fait, Monsieur le Greffier, donnez-nous un numéro pour les
17 notes de M. Tihic.
18 M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, ce sera le
19 numéro P681. Merci, Madame, Messieurs les Juges.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.
21 Bien. Monsieur Tihic, votre audition vient de se terminer. Je tiens en mon
22 nom personnel et au nom de mes collègues de vous remercier d'être venu,
23 d'avoir pris sur votre temps pour témoigner dans cette affaire, et je vous
24 remercie des réponses que vous avez données aux questions posées par le
25 Procureur, par les Juges, et par M. Seselj. Nous vous souhaitons donc un
26 bon retour dans votre pays, et nous formulons nos meilleurs vœux pour la
27 continuation de vos diverses activités.
28 Je vais donc demander -- attendez -- à M. le -- de vous raccompagner,
Page 12690
1 mais mon collègue a quelque chose à rajouter.
2 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
3 Je souhaitais simplement ajouter quelque chose par rapport à ce qu'a dit le
4 Président de la Chambre. Nous aimerions exprimer toute notre compassion
5 pour la douleur et la souffrance que vous avez endurées. Il semblerait que
6 vous ayez souffert plus que d'autres, et les Juges de la Chambre
7 reconnaissent le courage et les efforts dont vous avez fait preuve pour
8 venir témoigner ici encore une fois et reparler de tout ceci. Nous vous
9 souhaitons à vous, ainsi qu'à tous les témoins qui ont dû souffrir pendant
10 la guerre, nous formons nos meilleurs vœux pour une vie meilleure.
11 [Le témoin se retire]
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Avant de passer en audience à huis clos, j'ai
13 d'abord quelque chose à dire. Ensuite, M. Mundis aura la parole.
14 Monsieur Seselj, hier je suis intervenu à un moment donné, car vous aviez
15 parlé d'exigence, et j'avais soulevé qu'il pouvait y avoir un problème
16 sémantique à partir de la traduction de vos propos. Après quoi, vous êtes
17 intervenu en disant que dans votre pays, c'est une possibilité qu'on
18 intervienne dans les débats judiciaires en disant qu'il y a une exigence.
19 Après recherches et consultations diverses, il semblerait
20 qu'effectivement, pour partie, vous avez raison, les avocats en Serbie
21 utilisent l'audible.
22 Bien. Donc je voulais que ce soit inscrit au transcript. Il n'y avait
23 pas dans mes propos une quelconque contestation de quoi ce soit, simplement
24 dans le débat judiciaire, notamment dans les pays de droits civils, et je
25 pense que le vôtre fonctionne un peu comme le mien. Les avocats ou les
26 prévenus ou accusés font des demandes, puis il y a des réponses qui sont
27 données auxdites demandes. Il se peut que dans des cas assez exceptionnels,
28 il y a des exigences qui puissent être formulées, par exemple, un accusé
Page 12691
1 qui veut absolument avoir un avocat. Ça c'est une exigence à laquelle, bien
2 entendu, les Juges doivent répondre.
3 Donc voilà ce que je tenais à vous dire pour lever toute ambiguïté. Mon
4 souci est que les audiences se déroulent le mieux possible, que vous
5 puissiez poser vos questions dans les meilleures conditions et que les
6 témoins puissent y répondre parfaitement. L'audience qui vient de se
7 dérouler ces derniers jours illustre parfaitement que nous pouvons
8 atteindre cet objectif, les uns et les autres, sans aucun problème.
9 Voilà ce que je tenais à dire sur cette question.
10 Par ailleurs, je voulais passer à huis clos pour qu'on évoque le programme
11 à venir, alors c'est peut-être pour cela que M. Mundis s'était levé.
12 Monsieur Mundis.
13 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aurais quelque chose à ajouter brièvement en
14 audience publique avant que vous passiez en audience à huis clos partiel.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, allez-y.
16 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, hier j'ai obtenu une
17 requête de l'Accusation pour ce qui est du versement au dossier de la
18 déclaration écrite VS-1033, en application du 92 ter, c'est adressé le 19
19 novembre mais je ne l'ai eu qu'hier. Je m'oppose à cela de façon
20 catégorique. J'estime qu'il n'y a aucune raison d'entendre ce témoin en
21 application du 92 ter, il doit venir ici et être entendu viva voce.
22 Parce que je me réfère à tous les arguments que j'ai déjà présentés maintes
23 fois ici pour ce qui est du 92 ter, je ne vais pas maintenant vous prendre
24 trop de temps pour les répéter.
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, comme les fois précédentes, nous allons
26 regarder cela de près. Bon. Parfois, nous vous avons donné raison. Parfois,
27 on a maintenu la position. Donc sur le moment, je ne peux pas vous apporter
28 une réponse, mais on vous indiquera très rapidement la décision qui va
Page 12692
1 intervenir.
2 Monsieur Mundis, on passe en audience à huis clos ou pas ?
3 M. LE GREFFIER : [interprétation] Monsieur le Juge, nous sommes à huis clos
4 partiel.
5 [Audience à huis clos partiel]
6 (expurgé)
7 (expurgé)
8 (expurgé)
9 (expurgé)
10 (expurgé)
11 (expurgé)
12 (expurgé)
13 (expurgé)
14 (expurgé)
15 (expurgé)
16 (expurgé)
17 (expurgé)
18 (expurgé)
19 (expurgé)
20 (expurgé)
21 (expurgé)
22 (expurgé)
23 (expurgé)
24 (expurgé)
25 (expurgé)
26 (expurgé)
27 (expurgé)
28 (expurgé)
Page 12693
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13 Pages 12693-12701 expurgées. Audience à huis clos partiel.
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
Page 12702
1 (expurgé)
2 (expurgé)
3 (expurgé)
4 [Audience publique]
5 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai bien entendu ? C'est du matin, la semaine
6 prochaine; c'est bien ça ?
7 M. LE JUGE ANTONETTI : Tout à fait. C'est du matin. Donc on commencera
8 mardi à 8 heures et demie. Voilà. Donc on va vous informer très vite, peut-
9 être même en fin d'après-midi, des répartitions du temps, mais j'ai cru
10 comprendre d'après les propos du Procureur, que ce sera des témoins qui
11 seront traités assez rapidement. Donc on verra et vous en serez très vite
12 informé.
13 Oui.
14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Ça m'est revenu, Monsieur le Président, ce qui
15 était important pour moi. Je peux le dire maintenant ?
16 Je suis, par avance, absolument opposé à ce qu'on accorde au Procureur un
17 temps supplémentaire pour la présentation de sa cause, car je dispose de
18 preuves démontrant que le temps du Procureur n'a pas été utilisé
19 rationnellement jusqu'à présent.
20 Par exemple, l'audition des deux derniers témoins, du point de vue de
21 l'acte d'accusation et de ce que le Procureur s'efforce de prouver, n'ont
22 absolument aucun rapport. Vous voyez que ce qu'ils ont dit n'a aucun
23 rapport avec l'acte d'accusation dressé contre moi. M. Tihic n'a absolument
24 contribué en rien à apporter le moindre élément prouvant l'existence d'un
25 comportement systématique à Bosanski Samac. Il nous a simplement raconté
26 l'histoire de sa vie et son destin personnel, et c'est tout. Quant à M.
27 Fadil Banjanovic, il a également parlé d'un certain nombre de choses qui
28 ont un rapport avec les crimes commis, mais cela se passait à deux mois
Page 12703
1 d'écart de la période où les volontaires du Parti radical serbe se
2 trouvaient sur le territoire de Zvornik, et il n'a jamais vu ces
3 volontaires à Kozluk. Donc deux témoins qui ont été emmenés ici sans la
4 moindre nécessité. Ils étaient utiles pour ma cause, mais pas pour celle de
5 l'Accusation. Ceci est un argument très puisant, à mon avis, pour indiquer
6 qu'il n'y a aucune raison d'accorder un temps supplémentaire à l'Accusation
7 pour la présentation de sa cause.
8 Je pourrais vous citer d'autres exemples basés sur d'autres témoins,
9 mais cela devrait suffire, je pense.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : De la part du Procureur, c'était une hypothèse
11 de travail. Il est en train d'y réfléchir, mais bien entendu, s'il fait une
12 requête en temps supplémentaire, il faut que la requête soit motivée. Bien
13 entendu, dans ce type de demande il y a des explications qui sont fournies.
14 La Défense, vous en l'occurrence, vous aurez également l'occasion de vous
15 exprimer. Mais pour le moment, tout ceci est une hypothèse. Il n'y a donc
16 rien de prévu. Et la Chambre n'est pour le moment saisi de rien. Voilà la
17 question.
18 Bien. Je vous remercie les uns et les autres. Je vous invite à nous
19 revoir mardi prochain à 8 heures 15. Je vous remercie.
20 --- L'audience est levée à 11 heures 40 et reprendra le mardi 9
21 décembre 2008, à 8 heures 30.
22
23
24
25
26
27
28