LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge Richard May
M. le Juge Mohamed Fassi Fihri

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

 

Décision rendue le :
23 mai 2001

LE PROCUREUR

c/

DUSKO SIKIRICA
DAMIR DOSEN
DRAGAN KOLUNDZIJA

_____________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE VERSER AU DOSSIER DES COMPTES RENDUS EN APPLICATION DE L’ARTICLE 92 BIS DU RÈGLEMENT


Le Bureau du Procureur :

M. Dirk Ryneveld
Mme Julia Baly
M. Daryl Mundis

Les Conseils de la Défense :

M. Veselin Londrovic, pour Dusko Sikirica
MM. Vladimir Petrovic et Goran Rodic, pour Damir Dosen
MM. Ivan Lawrence et Jovan Ostojic, pour Dragan Kolundzija

 

 

I. INTRODUCTION

La présente Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le «Tribunal international») ayant, le 2 mai 2001, rendu oralement sa décision1 concernant une requête déposée par l’Accusation aux fins de verser au dossier les comptes rendus de certains témoignages en application de l’article 92 bis du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement»),

PRÉSENTE SES MOTIFS.

II. EXAMEN

A. Le jeu de l’article 92 bis du Règlement

1. Dans sa requête, l’Accusation a sollicité le versement au dossier de déclarations de six témoins, qui avaient auparavant comparu dans le cadre d’affaires jugées par le Tribunal international. Cette requête a été présentée en application de l’article 92 bis du Règlement, qui dispose :

D) La Chambre peut verser au dossier le compte rendu d’un témoignage entendu dans le cadre de procédures menées devant le Tribunal et qui tend à prouver un point autre que les actes et le comportement de l’accusé.

E) Sous réserve de l’article 127 ou de toute ordonnance contraire, une partie qui entend soumettre une déclaration écrite ou le compte rendu d’un témoignage le notifie quatorze jours à l’avance à la partie adverse, qui peut s’y opposer dans un délai de sept jours. La Chambre de première instance décide, après audition des parties, s’il convient de verser la déclaration ou le compte rendu au dossier, en tout ou en partie, ou s’il convient d’ordonner que le témoin comparaisse pour être soumis à un contre-interrogatoire.

2. L’article 92 bis D) du Règlement vise à permettre le versement au dossier d’un témoignage présenté devant une autre Chambre, sans qu’il soit nécessaire d’entendre à nouveau le témoin. Cette disposition autorise le versement au dossier de comptes rendus lorsque le témoignage tend à démontrer un point autre que les actes et le comportement de l’accusé.

3. L’article 92 bis D) ne prévaut pas sur les conditions générales d’admissibilité d’éléments de preuve, énoncées aux paragraphes C) et D) de l’article 89 du Règlement, pas plus qu’il ne les modifie. En vertu de ces dispositions, une Chambre «peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu’elle estime avoir valeur probante» et peut exclure tout élément de preuve «dont la valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable». Ces conditions doivent être satisfaites en toute hypothèse.

4. Le principal critère pour rechercher si, en application de l’article 92 bis E), il convient d’ordonner que le témoin comparaisse pour être soumis à un contre-interrogatoire, est l’obligation primordiale d’une Chambre de veiller à ce que le procès soit équitable aux termes des articles 20 et 21 du Statut. À cet égard, il faut rechercher, entre autres, si les comptes rendus tendent à prouver un élément crucial à charge, et si le contre-interrogatoire du témoin effectué dans le cadre des autres affaires a dûment traité des questions utiles à la Défense en l’espèce.

B. Requête de l’Accusation

5. En vertu de l’article 92 bis du Règlement, l’Accusation a demandé le versement au dossier de comptes rendus de témoignages de six personnes qui avaient auparavant déposé dans des affaires jugées par le Tribunal international, à savoir : Edward Vulliamy, Osman Selak, Vasif Gutic, Emsud Garibovic, Mme Hanne Greve et Mevludin Sejmenovic. La Chambre va examiner chaque cas successivement.

1. Témoignage d’Edward Vulliamy

6. Edward Vulliamy a déjà témoigné devant le Tribunal international à trois reprises, dans les affaires Tadic, Blaskic et Kovacevic. L’Accusation a précisé qu’elle entendait se fonder uniquement sur son témoignage dans l’affaire Kovacevic.

a) Arguments des parties

7. L’Accusation a fait valoir que le témoignage de M. Vulliamy ne concerne pas les actes ou le comportement des accusés, et qu’il est par conséquent admissible en vertu de l’article 92 bis D). Selon elle, le témoignage est pertinent s’agissant des actes reprochés aux accusés, en ce qu’il démontre une corrélation entre les trois camps, Keraterm, Trnopolje et Omarska, et fournit le rapport d’un témoin oculaire sur les conditions de détention dans les deux derniers camps.

8. Le Conseil de Sikirica a demandé à pouvoir contre-interroger M. Vulliamy aux motifs que son client est inculpé non seulement du chef de ses actes personnels et de ceux de ses subordonnés au camp de Keraterm, mais aussi de complicité de génocide dans toute la région de Prijedor, y compris aux camps d’Omarska et de Trnopolje. Il a fait valoir que des éléments du témoignage de M. Vulliamy abordent la question de l’intention des autorités serbes à Prijedor envers la population non serbe, et que l’Accusation l’invoquerait afin d’imputer à Sikirica la connaissance d’actes de génocide commis aux camps de Trnopolje et Omarska. M. Vulliamy a, par ailleurs, évoqué les conditions de détention aux deux camps susmentionnés, ce qui, selon M. Greaves, est susceptible d’établir le génocide. Il soutient que l’accusé devrait être en droit de contre-interroger le témoin concernant la question de savoir si un génocide a effectivement été commis dans la municipalité de Prijedor.

9. Le Conseil de Dosen a fait valoir que le témoignage de M. Vulliamy contenait plusieurs conclusions basées sur ses observations dans la municipalité de Prijedor, et a demandé à pouvoir contre-interroger le témoin sur les faits à partir desquels ces conclusions ont été tirées.

10. Le Conseil de Kolundzija a soutenu que les observations de M. Vulliamy étaient motivées par un parti-pris, et que citer un témoin à décharge pour contredire le témoin de l’Accusation ne permettait pas de traiter dûment de la question de la crédibilité d’un témoin à charge. En outre, Kolundzija a déclaré disposer de nouveaux éléments de preuve avec lesquels il souhaitait confronter le témoin lors du contre-interrogatoire.

b) La décision de la Chambre

11. Les questions de l'intention de Sikirica s'agissant du chef de génocide, et de savoir si les événements qui se sont produits dans la municipalité de Prijedor peuvent être valablement qualifiés de génocide, sont soulevées par le témoignage de M. Vulliamy dans l'affaire Kovacevic. Il s'ensuit que son témoignage, puisqu’il a trait à la complicité alléguée de l’accusé au génocide, est susceptible de constituer un moyen de prouver un élément du chef de génocide reproché à l'accusé, à ce sujet exclusivement. Dans ces circonstances, les accusés doivent pouvoir procéder au contre-interrogatoire du témoin. Par conséquent, la Chambre de première instance a admis le compte rendu de l'ancien témoignage de M. Vulliamy dans l'affaire Kovacevi,c et a jugé qu'il convenait de le citer de nouveau à comparaître afin de permettre au Conseil de Sikirica de le contre-interroger concernant les faits tendant à démontrer le génocide et l'élément intentionnel exigé. Les autres arguments des Conseils ne justifient pas un contre-interrogatoire supplémentaire. Les questions de crédibilité et de partialité alléguées ont été traitées lors du contre-interrogatoire au cours du procès Kovacevic, et la Chambre de première instance est en mesure de tirer ses propres conclusions à partir du compte rendu.

2. Témoignage d'Osman Selak

a) Arguments des parties

12. Selon l'Accusation, le témoignage du colonel Selak se rapporte au contexte, et non aux actes ou au comportement des accusés. Il répond donc aux conditions d’admissibilité de l'article 92 bis.

13. Le Conseil de Sikirica a avancé que si le témoignage ne concernait pas les actes ou le comportement de son client, il évoquait des questions litigieuses et était très partial. De la même manière, le Conseil de Dosen a argué de la partialité du témoignage pour déclarer que la Défense devrait pouvoir confronter le témoin avec d'autres points de vue. Les deux Conseils ont demandé l'autorisation de contre-interroger le témoin.

14. Le Conseil de Kolundzija a soutenu que le contre-interrogatoire du témoin dans l'affaire Tadic n'avait pas été d'un grand secours, le Conseil de la défense dans cette affaire n'ayant pas pu se rendre à Prijedor. Il a demandé à pouvoir contre-interroger le témoin sur certains points, en particulier l'attaque de Kozarac.

15. L'Accusation a répliqué que le contre-interrogatoire effectué dans l'affaire Tadic couvrait de nombreuses questions soulevées par la Défense.

b) La décision de la Chambre

16. Le témoignage du colonel Selak, bien que pertinent en l'espèce, ne concerne pas directement les faits reprochés aux accusés. Son témoignage représente simplement des informations utiles s'agissant du contexte, et a été dûment examiné lors du contre-interrogatoire. Par conséquent, le compte rendu de son témoignage dans l'affaire Tadic a été versé au dossier, et son contre-interrogatoire n’a pas été autorisé.

3. Témoignage de Vasif Gutic

a) Arguments des parties

17. L'Accusation a demandé le versement au dossier des témoignages de M. Gutic, médecin, provenant des affaires Tadic et Kvocka, principalement pour ses propos relatifs au camp de Trnopolje. Détenu audit camp, M. Gutic a essayé de soigner d'autres détenus qui y avaient été maltraités ou violés. Il a pu décrire la nature des blessures. Il a également assisté à l'arrivée au camp de Trnopolje de détenus en provenance des camps d'Omarska et de Keraterm.

18. Le Conseil de Sikirica a fait valoir que le témoignage de M. Gutic pouvait tendre à démontrer le chef de génocide reproché à son client et qu'à ce titre, la Défense devait être autorisée à le contre-interroger. En particulier, selon M. Greaves, l'Accusation va tenter de démontrer que le viol était l'un des moyens de mise en œuvre du génocide. Il a fait valoir que le contre-interrogatoire effectué n'avait pas suffisamment traité du caractère indirect du témoignage s'agissant des viols commis au camp de Trnopolje. Il a ajouté que sa description de l'attaque de Kozarac était partiale. Dans son témoignage, M. Gutic a évoqué, sans le préciser, le mécanisme mis en place pour faire rapport des infractions commises par les gardes au camp, une question qui, selon le Conseil, est pertinente s'agissant de la cause de son client. M. Greaves a également déclaré disposer de nouveaux éléments de preuve qui réfutent le témoignage de M. Gutic concernant les conditions de détention à Trnopolje.

19. Le Conseil de Dosen a fait valoir que le témoignage de M. Gutic à propos de la corrélation entre les trois camps (Trnopolje, Omarska et Keraterm) concernait directement, d’une part, la question de savoir s'il existait un organe ou un groupe chargé de leur organisation, éventuellement en exécution d'un plan, et, d’autre part, la mesure dans laquelle les actes de persécution allégués ont été commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique contre la population non serbe de Prijedor. M. Petrovic a soutenu que le contre-interrogatoire précédent n'avait pas dûment traité ces questions.

20. Le Conseil de Kolundzija a signalé l'insuffisance des contre-interrogatoires effectués dans les affaires Tadic et Kvocka.

b) La décision de la Chambre

21. Le témoignage de M. Gutic concernant les viols commis au camp de Trnopolje est susceptible de tendre à démontrer le crime de génocide reproché à Sikirica. Le contre-interrogatoire précédent n'ayant pas contesté les propos de seconde main de M. Gutic relatifs aux viols commis, il convient d'autoriser Sikirica à le contre-interroger à ce sujet exclusivement. De plus, le conseil de Sikirica devrait pouvoir contre-interroger M. Gutic s'agissant des conditions au camp de Trnopolje, ses propos pouvant constituer un moyen de prouver le crime de génocide. Par conséquent, la Chambre a versé au dossier le compte rendu des témoignages de M. Gutic provenant des affaires Tadic et Kvocka, sous réserve du contre-interrogatoire, effectué pour le compte de Sikirica, concernant les questions susmentionnées. Les autres arguments des Conseils concernent des questions déjà suffisamment traitées lors du contre-interrogatoire précédent. L’éventuelle partialité d’un témoignage peut être examinée dans le cadre des mémoires en clôture, ou lorsque le témoignage est proposé en audience. Il convient, pour traiter d’éléments de preuve nouveaux qui réfuteraient le témoignage, de les produire à l’audience.

4. Témoignage d'Emsud Garibovic

a) Arguments des parties

22. Selon l'Accusation, étant donné que le témoignage de M. Garibovic traite principalement du massacre du Mont Vlasic et ne concerne pas directement les actes ou le comportement des accusés, il est admissible au sens de l'article 92 bis.

23. Le Conseil de Sikirica a fait valoir que ce témoin avait donné une description très partiale de l'attaque de Kozarac, et que ses propos relatifs au massacre du Mont Vlasic ne relevaient pas des événements visés par l'acte d'accusation. Selon lui, il convient d'exclure ce témoignage en application de l'article 92 bis au motif qu'il n'est pas pertinent. Le Conseil de Dosen s'est rallié aux arguments avancés par le Conseil de Sikirica. L'Accusation a répliqué que le Tribunal international est compétent sur tout le territoire de l'ex-Yougoslavie, et que le massacre du Mont Vlasic n'est pas sans rapport avec l'acte d'accusation, puisque les personnes qui auraient été massacrées étaient originaires de Prijedor.

24. Le Conseil de Kolundzija a avancé que ce témoignage ne concernait pas les infractions reprochées à son client, et que la Chambre de première instance ne devrait le verser au dossier qu'à condition de préciser qu'il ne pouvait servir à étayer ces accusations.

b) La décision de la Chambre

25. La Défense a contesté l'admission de ce témoignage en vertu de l'article 92 bis, principalement pour des motifs de pertinence. Cependant, comme l'a fait valoir l'Accusation, si le massacre a eu lieu à Travnik, les victimes faisaient partie de la population de Prijedor. Par conséquent, le témoignage est pertinent en l'espèce. Aucune objection n'ayant été soulevée quant au témoignage de M. Garibovic, que ce soit au motif qu'il avait trait à une question cruciale de l'espèce, ou que le contre-interrogatoire avait été indûment mené, le compte rendu de son témoignage provenant de l'affaire Kvocka a été versé au dossier sans possibilité de contre-interrogatoire.

5. Témoignage de Mme Hanne Greve

a) Arguments des parties

26. L'Accusation a soutenu que le témoignage de Mme Greve fournissait une vue d'ensemble du contexte dans lequel s’inscrivaient les événements visés par l'acte d'accusation. Elle a fait remarquer que dans l'affaire Kovacevic, la Chambre de première instance avait déclaré qu'il convenait de traiter Mme Greve comme un expert en matière historique.

27. Le Conseil de Sikirica a exprimé ses préoccupations concernant la méthodologie utilisée par Mme Greve dans son rapport et a demandé à pouvoir la contre-interroger à ce titre. De plus, il a avancé que de nouvelles pièces viennent compléter les documents sur lesquels Mme Greve a basé ses conclusions, et a demandé à pouvoir confronter le témoin avec ces nouveaux documents.

28. De la même manière, le Conseil de Dosen a demandé à pouvoir contre-interroger ce témoin quant à sa méthode de travail. M. Rodic a déclaré en particulier que nombre des déclarations de témoins sur lesquelles Mme Greve s'est appuyée ont été recueillies par les autorité locales de divers États européens, et que leur exactitude avait été contestée par la suite. Il a également demandé à pouvoir s'enquérir du recours de Mme Greve, pour son rapport, aux médias d'ex-Yougoslavie.

29. Le Conseil de Kolundzija a demandé à pouvoir contre-interroger Mme Greve et a mis en cause la valeur de son opinion, au regard du fait qu'elle ne s'était pas rendue à Prijedor durant la période pertinente.

b) La décision de la Chambre

30. Le témoignage de Mme Greve donne une vue d'ensemble très utile des événements de Prijedor pendant et avant la période concernée par l'acte d'accusation. Le Président de Chambre dans l'affaire Kovacevic avait comparé son témoignage à celui d'un expert historien, en termes suivants :

Nous considérons qu’il convient de traiter le témoin comme un expert, au sens d’un expert qui a étudié un domaine et se trouve par conséquent qualifié pour témoigner à ce sujet. Sa position est analogue à celle d’un historien [ Traduction non officielle] .2

Nous nous rallions à cette opinion. La Défense a demandé à réfuter le témoignage de Mme Greve sur le fondement de la méthodologie utilisée pour son rapport. La Chambre de première instance fait remarquer que ses témoignages dans les affaires Tadic et Kovacevic ont fait l’objet de longs contre-interrogatoires, en grande partie consacrés à la question de la méthodologie. Rien ne justifie de rappeler Mme Greve à la barre afin qu’elle soit contre-interrogée pour la troisième fois à ce sujet. Si la Défense souhaite confronter Mme Greve avec de nouvelles informations, celles-ci peuvent être présentées en tant qu’éléments de preuve et la Chambre de première instance en tiendra compte. Par conséquent, les témoignages de Mme Greve provenant des affaires Tadic et Kovacevic ont été versés au dossier, sans contre-interrogatoire.

6. Témoignage de Mevludin Sejmenovic

a) Arguments des parties

31. Selon l’Accusation, le témoignage de M. Sejmenovic est utile s’agissant du contexte, y compris du contexte politique, dans lequel les Serbes auraient pris le contrôle de Prijedor. Important homme politique musulman de la région de Prijedor, il a assisté à l’attaque de Kozarac et à d’autres opérations de nettoyage ethnique alléguées dans le secteur de Prijedor, puis a été détenu au camp d’Omarska. Il a déposé à trois reprises devant le Tribunal et a subi des contre-interrogatoires approfondis. Son témoignage n’a pas trait aux actes ou au comportement des accusés. L’Accusation estime qu’il convient d’admettre les comptes rendus aux termes de l’article 92 bis, sans rappeler le témoin à la barre pour contre-interrogatoire.

32. Le Conseil de Sikirica a soutenu que ce témoin avait décrit les événements au camp de Trnopolje de manière très partiale. Il a en outre avancé que de nouvelles informations, notamment des listes de détenus qui ont été libérés et des reçus de biens et de nourriture obtenus au camp de Trnopolje, donnent une image de la vie au camp très différente et bien plus favorable. Selon la Défense, ce témoin pourrait être utilement interrogé à propos du degré de préparation militaire des Musulmans dans la région de Prijedor avant la prise de contrôle par les Serbes.

33. Le Conseil de Dosen a fait valoir qu’étant donné que ce témoignage se rapporte à des questions cruciales de l’espèce (en particulier, il fait part de ses observations sur les conditions de détention au camp de Keraterm), on peut soutenir qu’il n’est même pas admissible en vertu de l’article 92 bis D). Selon lui, il ne fait aucun doute que la Défense doit pouvoir le contre-interroger concernant la création de centres à Prijedor, son rôle, en qualité d’homme politique musulman important, dans la prise de contrôle par les Serbes et ses rapports avec un Serbe qui aurait fait partie des plus hautes sphères du SDA.

34. Le Conseil de Kolundzija a demandé à pouvoir contre-interroger le témoin sur la base d’informations qui n’étaient pas disponibles auparavant.

b) La décision de la Chambre

35. Selon la Chambre de première instance, ce témoignage, s’il ne se rapporte pas aux actes ou au comportement des accusés, concerne l’espèce si fondamentalement et si directement qu’il convient d’autoriser les trois accusés à le contre-interroger. M. Sejmenovic était une haute personnalité politique musulmane, à Prijedor, pendant la période concernée par l’acte d’accusation, et était un témoin factuel important, particulièrement s’agissant des conditions de détention au camp de Trnopolje. Par conséquent, la Chambre a versé au dossier les témoignages de M. Sejmenovic provenant des affaires Tadic et Kovacevic, et a ordonné au témoin de comparaître pour être soumis à un contre-interrogatoire.

 

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre
de première instance
____________(signé)___________
Juge Patrick Robinson

 

Fait le 23 mai 2001
La Haye (Pays-Bas)

 

[Sceau du Tribunal]


1 - Compte rendu d’audience, Le Procureur c/ Sikirica, affaire nº IT-95-8-T, p. 2 639.
2 - Compte rendu d’audience, affaire nº IT-97-24, Le Procureur c/ Milan Kovacevic, 6 juillet 1998 (CR, 75).