Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   (Lundi 19 mars 2001.)

  2   (L'audience est ouverte à 10 heures.)

  3   (Audience publique.)

  4   M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, veuillez annoncer

  5   l'affaire. 

  6   Mlle Ameerali (interprétation): Bonjour Messieurs les Juges. Il s'agit de

  7   l'affaire IT-95-8-T, le Procureur contre Dusko Sikirica, Damir Dosen et

  8   Dragan Kolundzija.

  9   M. le Président (interprétation): Les parties peuvent-elles se présenter?

 10   M. Ryneveld (interprétation): Bonjour, Messieurs les Juges. Je m'appelle

 11   Dirk Ryneveld, je représente l'accusation, en présence de Mme Julia Baly

 12   et M. Daryl Mundis.

 13   M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Et la défense?

 14   M. Londrovic (interprétation): Bonjour Monsieur le Président, Messieurs

 15   les Juges. Je m'appelle Veselin Londrovic et je représente M. Sikirica,

 16   avec mon co-conseil de la défense, Michael Greaves. Radislava Petrovic est

 17   avec nous, elle aussi, en tant qu'interprète puisque je suis un conseil de

 18   la défense qui ne parle aucune des deux langues officielles de ce

 19   Tribunal. C'est donc Mlle Petrovic qui nous aide, avec M. Greaves, à

 20   communiquer.

 21   M. Petrovic (interprétation): Bonjour Monsieur le Président. Je m'appelle

 22   Petrovic Vladimir. Je suis de Belgrade et, avec mon collègue, Me Goran

 23   Rodic, je représente M. Dosen.

 24   M. Vucicevic (interprétation): Bonjour Monsieur le Président, Messieurs

 25   les Juges. Je m'appelle Dusan Vucicevic, et je défends M. Kulundzija.


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  1   M. le Président (interprétation): Je vous remercie. Ceci constitue la

  2   première journée d'audience de ce procès, et nous la commencerons par la

  3   déclaration préliminaire.

  4   Auparavant, je voudrais m'enquérir auprès de vous, Monsieur Ryneveld, de

  5   la longueur de cette déclaration liminaire.

  6   M. Ryneveld (interprétation): Je pense que cela prendra environ une heure

  7   et 35 minutes, c'est l'estimation que j'ai faite. Il y aura quelques brefs

  8   extraits vidéos qui seront diffusés. Je suis conscient du fait que je de

  9   devrais parler lentement, afin que les interprètes puissent me suivre. Je

 10   pense donc que ceci durera une heure et 35 minutes.

 11   M. le Président (interprétation): Fort bien. Eh bien, nous ferons une

 12   pause à 11 heures 30, 11 heures 35?

 13   M. Ryneveld (interprétation): Tout à fait.

 14   M. le Président (interprétation): Est-ce que l'un quelconque des conseils

 15   de la défense va invoquer et exercer le droit qu'il a de présenter une

 16   déclaration liminaire?

 17   M. Vucicevic (interprétation): Nous allons faire une déclaration partielle

 18   dans laquelle nous allons contester les éléments de l'accusation. Et, dans

 19   la mesure du possible, nous aimerions aussi présenter les éléments qui

 20   constituent notre défense. Je vous remercie.

 21   M. le Président (interprétation): Je ne sais pas si je vous ai bien

 22   compris, si je comprends ce concept de déclaration partielle. Vous avez,

 23   bien sûr, en vertu du Règlement, le droit de le faire. Mais vous devez

 24   décider si vous voulez faire une déclaration liminaire, en tout,

 25   maintenant ou au début de la présentation de vos moyens à décharge.


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  1   M. Vucicevic (interprétation): Je veux faire une déclaration liminaire dès

  2   maintenant.

  3   M. le Président (interprétation): Quelle en sera la longueur?

  4   M. Vucicevic (interprétation): Quarante cinq minutes.

  5   M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

  6   Maître Ryneveld, vous avez la parole.

  7   (Déclaration liminaire de M. Ryneveld.)

  8   M. Ryneveld (interprétation): Je vous remercie, Messieurs les Juges, mais

  9   je vais vous demander si Mme Rebecca Grant peut nous aider à placer

 10   quelques cartes sur le rétroprojecteur. Ceci nous aidera dans la

 11   présentation de nos déclarations liminaires.

 12   M. le Président (interprétation): Mais bien sûr.

 13   M. Ryneveld (interprétation): Je vous remercie.

 14   Messieurs les Juges, j'ai maintenant l'honneur de vous présenter la

 15   déclaration liminaire de l'accusation dans les charges qu'elle a retenues

 16   contre Sikirica, Dosen et Kolundzija, en vous dressant les grandes lignes,

 17   les témoignages que nous avons l'intention de vous soumettre. Je ne vais

 18   pas simplement répéter ce qui se trouvait déjà dans notre mémoire

 19   préalable au procès. Je vais plutôt, au cours de l'heure et demie qui

 20   vient, vous présenter les grandes lignes de nos moyens à charge et mettre

 21   en exergue certains des témoignages pertinents que nous allons vous

 22   soumettre.

 23   A la fin de ce procès, nous pensons que ces éléments de preuve ne

 24   laisseront aucun doute raisonnable dans votre esprit quant à la

 25   culpabilité des trois accusés, Sikirica, Dosen et Kolundzija.


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  1   Messieurs les Juges, il s'agit ici d'un procès portant sur le nettoyage

  2   ethnique, la persécution et le génocide commis dans l'opstina de Prijedor,

  3   dans le nord-ouest de la Bosnie-Herzégovine et, en particulier, sur la

  4   création de camps de détention à l'intention des habitants non-serbes

  5   civils de la région. Camps qui, lorsqu'ils ont été découverts en été 1992,

  6   ont ébranlé la conscience du monde. Les dirigeants serbes de Bosnie ont,

  7   avec persistance, nié l'existence de camps de détention, de type de camps

  8   de concentration dans la zone qu'ils contrôlaient.

  9   Vous allez, maintenant, voir un bref extrait de M. Karadzic qui parle au

 10   début du mois d'août 1992 et qui nie qu'il y ait le moindre camp de

 11   détention qui existe à l'intention des civils.

 12   (Diffusion d'une vidéo.)

 13   "M. Karadzic (interprétation): Il est hors de question qu'il y ait le

 14   moindre camp pour civils."

 15   Ces dénégations se sont avérées fausses lorsque des images sont apparues

 16   sur nos écrans montrant des détenus émaciés et mal nourris dans certains

 17   de ces camps, en été 1992. Et ceci a averti le monde du fait que des

 18   atrocités se commettaient contre des civils en Bosnie-Herzégovine.

 19   Ce qui va apparaître dans les témoignages que nous allons vous soumettre,

 20   c'est que les individus qui étaient emprisonnés dans des camps tels que

 21   Keraterm, Omarska et Trnopolje, que ces personnes s'y trouvaient du fait

 22   d'une politique de persécution générale et arbitraire et de nettoyage

 23   ethnique des Musulmans et des Croates de Bosnie commis par les Serbes de

 24   Bosnie.

 25   Ce procès va s'intéresser à des événements qui se sont produits dans la


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  1   commune de Prijedor, et pratiquement entre le mois d'avril et le mois

  2   d'août 1992, au moment où ceux qui étaient les apôtres du fanatisme

  3   nationaliste serbe ont déclenché et orchestré une campagne de persécution

  4   et de terreur sur toutes les parties qui n'étaient pas serbes dans

  5   l'opstina de Prijedor. Une même campagne a été menée simultanément dans

  6   d'autres régions de la Bosnie-Herzégovine, et qui s'inscrivait dans le

  7   cadre d'un objectif, d'un dessein commun des dirigeants serbes de Bosnie

  8   qui voulaient créer une grande Bosnie ethniquement pure.

  9   Ceux qui étaient à l'origine de cette entreprise, qui voulaient créer un

 10   Etat ethniquement pur, ont accompli leurs objectifs de diverses façons. Il

 11   y avait, parmi ces méthodes, la destruction de villages, le fait

 12   d'assassiner les habitants, la déportation et la détention forcée des

 13   survivants.

 14   Dans le contexte d'un conflit armé qui a éclaté en Bosnie-Herzégovine en

 15   avril 1992, commença une attaque généralisée et systématique sur la

 16   population civile non-serbe. Les forces serbes de Bosnie ont entamé des

 17   opérations militaires. Leurs soldats, leurs policiers se sont mis à

 18   arrêter les habitants non-serbes.

 19   La ville de Prijedor et ses environs où se trouvaient surtout des villages

 20   habités par des Musulmans sont devenus un champ de bataille.

 21   Les habitants non-serbes de la ville de Prijedor et des villages voisins

 22   ont été victimes de rafles. Leurs maisons, leurs lieux de religion, leurs

 23   lieux de culte ont été ciblés, tout particulièrement en vue d'être

 24   détruits. Les témoins vous le diront au cours de ce procès: leurs mosquées

 25   ont été profanées, détruites; leurs foyers, leurs commerces ont été


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  1   pillés, incendiés, détruits.

  2   Pour vous donner une idée du type de destructions que vous relateront les

  3   témoins lorsqu'ils viendront à la barre, nous proposons de vous montrer un

  4   bref aperçu de ces destructions. Il s'agit ici d'un bref extrait vidéo qui

  5   vous montre le village de Kozarac et vous donne une idée du type de dégâts

  6   subis par ces villages. Vous remarquerez que, de temps à autre, vous

  7   verrez un bâtiment qui semble avoir échappé à cette destruction.

  8   Les témoins qui viendront vous parler vous diront qu'il s'agissait là de

  9   maisons, de commerces, d'églises serbes, qui n'avaient pas été ciblées

 10   pour être détruites, mais tout ce qui appartenait aux non-serbes a été

 11   détruit. Or, dans ces communautés la population était surtout musulmane.

 12   (Diffusion d'une vidéo.)

 13   Vous allez bientôt voir des images qui vous montrent ce qui reste d'une

 14   mosquée.

 15   Une composante fondamentale de la campagne menée par les Serbes de Bosnie

 16   en vue de créer un Etat purement serbe, uniquement serbe, était de tuer

 17   une partie de la population civile croate et musulmane de Bosnie et de

 18   chasser de la région ce qui restait de cette population. Ils ont ciblé les

 19   dirigeants civils et politique non-serbes, les intellectuels et les gens

 20   aisés, les notables. Ils ont aussi ciblé les personnes qui, selon eux,

 21   étaient des extrémistes. En l'occurrence, des gens en âge de combattre

 22   puisque ces hommes auraient pu résister aux Serbes.

 23   La partie meurtrière de cette campagne s'est faite, soit par des

 24   opérations militaires exécutées directement, ou par la détention des

 25   membres de ces groupes et la soumission de ceux-ci à des conditions qui


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  1   étaient censé entraîner leur destruction physique, en tuant directement,

  2   sur-le-champ, nombre des habitants et en détenant les autres dans des

  3   camps où ils étaient battus à mort, affamés, torturés, assassinés.

  4   Les Serbes de Bosnie ont accompli une partie de leur objectif. Les

  5   habitants qui sont restés sur place, ont été terrorisés. Ils se sont dits

  6   qu'ils n'avaient qu'un choix, celui de quitter leur foyer et d'abandonner

  7   la région. Ils ont été chassés. Souvent en emportant les malades, les

  8   vieux et les petits. Ils n'avaient pratiquement pas le temps de rassembler

  9   quelques effets personnels avant de s'enfuir devant l'attaque de leurs

 10   voisins serbes. Ils avaient trop peur pour rester mais ne savaient pas où

 11   aller.

 12   Ils se sont enfuis en direction du village non-serbe le plus proche ou des

 13   montagnes, simplement pour essayer de survivre un jour de plus. Derrière

 14   eux, les forces armées serbes qui avançaient laissaient la destruction

 15   derrière eux. Ils pillaient, incendiaient, détruisaient les maisons

 16   civiles. De cette façon, les autorités serbes de Bosnie ont manifesté leur

 17   intention génocidaire, qui consistait à accomplir cet objectif de parvenir

 18   à un Etat serbe ethniquement purement.

 19   Le nettoyage ethnique de la région de Prijedor ne s'est pas fait par

 20   hasard. Au contraire, il s'agissait d'une opération planifiée et exécutée

 21   avec minutie. Au début des années 90, parmi les partis politiques

 22   nationalistes, il y avait le SDA dominé par les Musulmans et le SDS par

 23   les Serbes. Ce sont des partis qui ont cherché à obtenir le pouvoir

 24   politique à Prijedor, ouvertement. Et même si le SDA, parti musulman, a

 25   obtenu une majorité de sièges au cours des élections de 1990, les


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  1   fonctionnaires serbes, les responsables serbes ont réussi à distribuer, à

  2   répartir les positions civiles clefs en fonction des résultats électoraux.

  3   Le SDS voulait établir un contrôle serbe exclusif sur de grandes parties

  4   du territoire au nord-ouest et à l'est de la Bosnie-Herzégovine, alors que

  5   dans ces régions résidaient beaucoup de personnes non-serbes. Dans la

  6   région de Prijedor, le SDS a mis en place des plans très sérieux en vue de

  7   créer un territoire serbe séparant la Bosnie-Herzégovine, au moment où il

  8   est apparu clairement qu'ils n'étaient pas en mesure de maintenir la

  9   Bosnie dans la Fédération de Yougoslavie.

 10   Les tensions qui existaient entre les Serbes et non-Serbes dans la région

 11   n'ont fait que monter, de même que le renforcement des forces serbes dans

 12   la région.

 13   En mars 1992, les extrémistes serbes ont saisi la station-relais de

 14   télévision sur le mont Kozara. A la suite de quoi, les résidents de la

 15   région ont entendu des programmes de propagande serbe où il y avait aussi

 16   des avertissements aux Serbes, selon lesquels les extrémistes non-serbes

 17   voulaient les détruire.

 18   Le 30 avril 1992, les forces serbes se sont emparé de l'opstina de

 19   Prijedor et n'ont rencontré pratiquement aucune résistance ce faisant. Les

 20   policiers non-Serbes ont livré les armes à leurs collègue serbes, souvent

 21   à la pointe du fusil. Le lendemain matin, les drapeaux serbes flottaient

 22   sur tous les bâtiments officiels et la Radio Prijedor annonçait que les

 23   Serbes s'étaient emparés de l'opstina.

 24   Dans les trois semaines qui allaient suivre, tous les civils avaient reçu

 25   l'ordre de livrer leurs armes aux autorités. Mais en fait, cet ordre ne


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  1   s'appliquait qu'aux non-Serbes et vous l'entendrez -les témoins qui

  2   viendront vous parler-, les civils serbes ont reçu des armes des autorités

  3   locales et de la JNA qui était dominée par les Serbes.

  4   Les déplacements, les communications étaient limités, restreints pour les

  5   non-Serbes. Beaucoup de non-Serbes ont été licenciés et ont perdu leur

  6   sécurité sociale du seul fait de leur appartenance ethnique.

  7   Le document suivant, qui sera la pièce 12A, et qui a pour auteur le

  8   Président de la République serbe de Bosnie-Herzégovine, cellule de crise

  9   de Banja Luka, Radoslav Brdjanin, le 22 juin 1992, ce document vous montre

 10   que la décision a été prise au niveau le plus élevé. Elle était censée

 11   être exécutée par les cellules de crise de toutes les municipalités de la

 12   région autonome de Krajina.

 13   Voici le document tel qu'il figure maintenant sur le rétroprojecteur.

 14   Je vous lis le passage surligné en orange: "Toutes les positions-clé, les

 15   postes qui signifient qu'il y a accès à l'information, protection des

 16   biens publics et d'autres postes d'importance pour le fonctionnement de

 17   l'économie, ne pourront être occupés que par des personnes de nationalité

 18   serbe. Ceci s'applique à toutes les entreprises sociales, aux entreprises

 19   mixtes, aux instituts d'Etat, aux entreprises publiques, au ministère de

 20   l'Intérieur et à l'armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine.

 21   De surcroît, ces postes ne peuvent pas être occupés par des ouvriers qui

 22   n'ont pas confirmé leur nationalité serbe au cours du plébiscite, ou par

 23   ceux pour qui il n'est pas clair que le seul représentant du peuple serbe

 24   est le Parti Démocratique Serbe.

 25   La date butoire fixée pour l'exécution de cette tâche est celle du


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  1   vendredi 26 juin 1992, à 15 heures. Les présidents des cellules de crise

  2   municipales devront faire rapport à cette cellule de crise-ci". Fin de

  3   citation.

  4   S'il restait le moindre doute quant à la question de savoir si les

  5   cellules de crise voulaient véritablement exécuter cette politique dans

  6   les municipalités qui constituaient la région autonome de Krajina, eh

  7   bien, la réponse vous la trouvez dans la phrase suivante -je cite: "Tout

  8   manquement à l'exécution de cette décision entraînera la suspension

  9   automatique de ladite personne". Fin de citation.

 10   Il apparaîtra clairement à l'examen du dossier que les cellules de crise

 11   donnaient des consignes, des instructions qui n'ont fait que marginaliser

 12   davantage la population non-serbe en l'empêchant de participer aux

 13   organisations publiques et économiques par le contrôle de l'émigration

 14   interne, et par la mise au point d'un plan qui avait pour objet

 15   d'entraîner ce que l'on a appelé la "réinstallation volontaire" de la

 16   population civile non-serbe.

 17   Ce faisant, ils ont ainsi préparé la trame pour la commission de ce

 18   génocide en partie contre la population civile non-serbe de l'opstina dont

 19   les dirigeants civils et politiques, les intellectuels, les notables, et

 20   ceux qui avaient résisté aux Serbes, à savoir les hommes en âge de

 21   combattre. Même si cette conduite a marqué le début de la persécution de

 22   la population non-serbe de l'opstina pour les habitants de Prijedor, le

 23   véritable cauchemar, lui, a commencé vers le 22 mai 1992, au moment où des

 24   offensives militaires serbes de grande envergure ont été lancées. Au cours

 25   de ces offensives, menées par des soldats, par des policiers mais aussi


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  1   par des unités paramilitaires équipées par le SDS, il y a eu des

  2   pilonnages d'artillerie contre des villages non-serbes.

  3   Les villes, les villages dont vous allez entendre parler au cours de la

  4   présentation des moyens de preuve, à savoir Prijedor, Donja Puharska,

  5   Cejreci, Kozarac, Sivci et les villages qui constituent la région de Brdo,

  6   à savoir Rizvanovici, Biscani, et Rakovcani ainsi que Hambarine, ont fait

  7   l'objet d'attaques, irrégulières mais systématiques, et de destruction

  8   comme vous l'avez vu dans ces images de Kozarac il y a un instant.

  9   Et même si dans certaines régions, les non-Serbes se sont organisés pour

 10   essayer de repousser les attaques armées, une fois arrivé le milieu du

 11   mois de juillet 1992, tous ces villages avaient été conquis par des forces

 12   armées serbes mieux équipées. Au cours de ce processus, un nombre

 13   innombrable de civils serbes a été tué.

 14   Au cours de ces attaques, les hommes, les femmes, les enfants, ont pris la

 15   fuite en direction des villages voisins ou dans les forêts et les

 16   montagnes proches où la majorité malheureusement inévitablement a été

 17   abattue, capturée, ou a dû se livrer aux forces serbes. Leurs maisons,

 18   leurs foyers ont été pillés, incendiés, détruits d'une façon ou d'une

 19   autre. Leurs bétails abattus. Tout ceci a été exécuté afin que ces

 20   personnes n'aient rien vers quoi retourner, aucune raison de rentrer chez

 21   eux.

 22   Après avoir été capturés, les hommes étaient séparés des femmes et des

 23   enfants. Nombre d'entre eux ont été tués sur le champ, d'autres ont été

 24   battus sans pitié, et puis transportés comme du bétail dans des camps de

 25   détention dans la région, et plus exactement à Keraterm, Omarska et


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  1   Trnopolje où ils ont subi des souffrances horribles et des outrages

  2   innommables de la part de leurs geôliers serbes.

  3   La plupart de ces témoins vous parleront de ce qu'ils ont eux-mêmes vécu

  4   et vous entendrez dire comment ils ont été attaqués, rassemblés, frappés,

  5   détenus, victimes de sévices, de famine. Vous entendrez aussi ce qui est

  6   arrivé de ceux qui ne vivent plus, et qui ne sont plus ici pour vous

  7   relater eux-mêmes les faits. Vous verrez comment ces trois accusés, qui

  8   sont ici devant vous, aujourd'hui, ont figuré parmi ces geôliers qui ont

  9   fait de leur vie un enfer vivant au cours de leur détention à Keraterm.

 10   Vous entendrez les dépositions des témoins, eux-mêmes, qui vous donneront

 11   les détails de la façon dont les Musulmans et les Croates de Bosnie, tous

 12   ces civils, ont été victimes d'exécution sommaire, de passages à tabac, de

 13   sévices sexuels, et de détention de façon généralisée, systématique et

 14   prolongée. Vous verrez aussi comment nombre d'entre eux ont été transférés

 15   dans des camps comme ceux d'Omarska et de Trnopolje où ils ont été soumis

 16   à des traitements similaires, sinon pires, avec la complicité de l'accusé

 17   Sikirica.

 18   Messieurs les Juges, la campagne de persécution était à ce point

 19   minutieuse, les conséquences de cette campagne de terreur à ce point

 20   énormes, que vous entendrez dire que les autorités serbes de Bosnie ont

 21   mis en place un réseau d'environ 39 camps de détention que les Serbes de

 22   Bosnie désignaient d'un euphémisme, celui de "centre de rassemblement ou

 23   d'enquête".

 24   Les éléments de preuve que nous allons vous soumettre se concentreront sur

 25   trois de ces camps, Keraterm, Omarska et Trnopolje, parce que les détenus


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  1   de Keraterm étaient transférés de là dans les autres camps comme une

  2   matière de routine.

  3   L'accusé Sikirica, qui est accusé de génocide et de complicité dans l'acte

  4   de génocide, de même que de l'accusation de persécution, était le

  5   commandant du camp de Keraterm. C'est lui qui mettait à jour la liste des

  6   détenus de Keraterm qui se trouvaient donc dans son camp, pour déterminer

  7   ceux qui devaient être transférés à Omarska. Beaucoup de ceux qui ont été

  8   envoyés à Omarska ont été tués, et beaucoup d'entre eux, eh bien, on ne

  9   les a jamais plus revus. Vu l'interaction qui existait entre ces camps,

 10   nous avançons que Sikirica connaissait le sort probable qui était réservé

 11   à ceux dont il ordonnait le transfert dans cet autre camp. Vous verrez

 12   comment ceux qui arrivaient à Omarska de Keraterm étaient ciblés et

 13   faisaient l'objet de traitements encore plus horribles à leur arrivée à

 14   Omarska. De ce fait, Sikirica est responsable non seulement des actes

 15   génocidaires commis par lui-même, personnellement, et par ceux qui se

 16   trouvaient sous son commandement au camp de Keraterm, mais aussi d'actes

 17   similaires qui se sont produits dans les camps d'Omarska et de Trnopolje.

 18   Les actes commis dans ces camps, ainsi que les conditions qui prévalaient

 19   de façon générale dans ces camps, ont joué un rôle essentiel dans

 20   l'exécution de cette campagne d'expulsion menée par les Serbes de Bosnie

 21   dans l'opstina de Prijedor. Le fonctionnement de ces camps, en général, et

 22   de celui de Keraterm en particulier, avait une fonction bien particulière

 23   qui était la détention, l'assassinat, la torture, l'intimidation, et la

 24   soumission à la terreur des Musulmans et des Croates de Bosnie à Prijedor.

 25   En tant que commandant du camp de Keraterm, l'accusé Sikirica contrôlait


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  1   une partie intégrante de cette campagne de persécution et d'exécution à

  2   Prijedor pour mener à bien ce dessein commun.

  3   Les camps comme Keraterm, Omarska et Trnopolje avaient comme personnel des

  4   forces serbes dont des officiers de police de réserve du poste de sécurité

  5   publique de Prijedor, en même temps que d'autres qui sont venus dans le

  6   camp. Il se peut que certains de ces hommes aient été du personnel du

  7   camp, mais d'autres tels que Zoran Zigic et Duca Knezevic avaient

  8   l'autorisation d'entrer dans les camps pour persécuter et assassiner les

  9   détenus. En tant que commandant du camp, l'accusé Sikirica s'est rendu

 10   responsable d'atrocités, de passages à tabac, d'assassinats, et d'autres

 11   crimes de guerre perpétrés par ces individus.

 12   Parlons maintenant des conditions qui prévalaient dans le camp.

 13   Dans les trois camps, les conditions étaient "abominables". Et il

 14   apparaîtra clairement au fil des témoignages, à quel point ces conditions

 15   étaient brutales. Le camp de Keraterm se trouvait dans un entrepôt sur le

 16   périmètre d'une usine de céramique, aux abords de la ville de Prijedor.

 17   Les quelques images qui vont vous être montrées maintenant, vous montrent

 18   la zone de l'entrepôt qui servait de site de détention pour beaucoup des

 19   hommes non-serbes, des civils en âge de combattre, originaires de la

 20   région de Prijedor.

 21   Vous voyez maintenant l'endroit où se trouvaient les salles 1, 2, 3, et 4,

 22   dont vous entendrez parler. C'est l'entrepôt qui faisait partie de l'usine

 23   de céramique.

 24   On voit maintenant en plan plus rapproché, l'endroit qui servait de centre

 25   de commandement pour le commandant du camp, Sikirica.


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  1   Vous avez une vue latérale des pièces qui sont plus en-deçà, vous avez les

  2   salles 1 et 2, et puis à droite, les salles 3 et 4. Voici les portes en

  3   métal, qui mène à la salle 3. Nous reparlerons de cette salle 3 et de ce

  4   que l'on appelait "le massacre de la salle 3".

  5   Vous voyez maintenant des traces de balles au-dessus de la porte. C'est là

  6   qu'apparemment se sont retrouvées certaines balles tirées au moment du

  7   massacre.

  8   M. le Président (interprétation): Mais nous allons avoir des plans du

  9   camp, n'est-ce pas? Nous pourrons ainsi mieux suivre ce qui se passe.

 10   M. Ryneveld (interprétation): Oui. Au cours de la présentation des

 11   témoins, nous avons l'intention de vous soumettre des documents qui vous

 12   seront utiles.

 13   Ici, il s'agit simplement de certaines images que j'utilise à la seule fin

 14   de ma déclaration liminaire.

 15   M. May (interprétation): Je comprends bien. Est-ce qu'il y a déjà une cote

 16   qui a été apposée?

 17   M. Ryneveld (interprétation): Pour la photographie?

 18   M. May (interprétation): Pour la vidéo.

 19   M. Ryneveld (interprétation): Nous n'avons pas encore de cote pour la

 20   vidéo, mais au cours du procès nous allons reprendre beaucoup de ces

 21   documents que j'utilise pour ma présentation, et ces documents recevront

 22   une cote, deviendront des pièces à conviction. Pour autant, bien sûr,

 23   qu'elles soient admises au dossier.

 24   Le camp de Keraterm servait de camp pour les détenus d'avril à mai, ou à

 25   partir du 23 mai 1992 jusqu'au moment de sa fermeture en août 1992. Il a


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  1   fonctionné pendant deux mois et demi à peu près, et il y a eu quelque

  2   1.500 détenus qui étaient pratiquement tous des hommes non-serbes en âge

  3   de combattre. Les gardes étaient des Serbes et la plupart, si pas la

  4   totalité d'entre eux, étaient des officiers de réserve de la police qui

  5   étaient reliés au poste de police Prijedor II.

  6   La détention a entraîné le déclin physique et la mort des détenus non-

  7   serbes. Les détenus étaient souvent transférés à Keraterm, en provenance

  8   d'autres camps, y étaient soumis à des interrogatoires très brutaux,

  9   violents. Après qu'ils aient été "traités" comme disaient leurs geôliers

 10   serbes, beaucoup ont été envoyés à des camps comme Omarska où ils n'ont

 11   pas survécu aux traitements qui leur ont été infligés. A savoir, la

 12   torture, les passages à tabac, la famine ou le meurtre tout simplement.

 13   Pour ceux qui sont restés à Keraterm après les interrogatoires, la vie

 14   n'était pas beaucoup meilleure. Tortures, passages à tabac, famine,

 15   meurtres, massacres, tout ceci s'inscrivait dans le plan qui était réservé

 16   aux détenus de Keraterm.

 17   Lorsque ce camp a fermé au début du mois d'août 1992, beaucoup des détenus

 18   qui s'y trouvaient ont été transférés à Trnopolje. Lorsque des équipes de

 19   télévision ont réussi, en dépit des résistances qui leur ont été faites, à

 20   avoir accès au camp de Trnopolje, ils ont filmé et ils ont maintenu dans

 21   ces images l'état dans lequel se trouvaient les détenus.

 22   Au moment où une commission internationale, composée de l'équipe de

 23   journalistes, a eu l'autorisation d'aller dans ces camps, les autorités

 24   serbes de Bosnie avaient déjà donné des instructions le 3 août à ces

 25   différents camp pour que –je cite: "toutes les mesures nécessaires soient


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  1   prises pour mettre ces camps dans un état acceptable ou satisfaisant" en

  2   l'espace de deux jours.

  3   Vous allez maintenant voir une pièce qui porte la cote 8.4.3. Vous verrez

  4   que le général de brigade Talic était à l'origine de cet ordre secret

  5   militaire qui dit notamment ceci –je cite: "En ce qui concerne cette

  6   visite, prenez toutes les mesures nécessaires de façon à ce que les

  7   conditions qui prévalent dans le camp deviennent satisfaisantes. J'entends

  8   par là qu'il y ait de l'ordre, de la propreté et que le service médical

  9   fonctionne pour les prisonniers, et qu'il y ait des registres montrant

 10   l'arrivée des prisonniers, leur libération et, s'ils sont morts, la raison

 11   de leur mort". Fin de citation.

 12   En dépit de ces avertissements, ce que les journalistes ont pu voir une

 13   fois qu'ils sont arrivés, et les images qu'ils en ont montré à la

 14   communauté internationale ont galvanisé cette dernière pour qu'elle prenne

 15   des mesures. Parce qu'une image parle beaucoup plus qu'un texte.

 16   Je vous invite à voir la condition, l'état dans lequel se trouvaient les

 17   détenus eux-mêmes. En examinant ces images prises à Trnopolje, au début du

 18   mois d'août 1992, beaucoup des détenus que vous allez voir avaient déjà

 19   été détenus auparavant à Keraterm.

 20   (Diffusion de la vidéo.)

 21   Vous entendrez certains témoins, comme Jusuf Arifagic, Hajrudin Zubovic.

 22   Ils vous diront qu'ils ont été emmenés à Trnopolje au moment où Keraterm a

 23   été fermé et qu'ils se trouvaient dans ce camp au moment où ces images ont

 24   été filmées. Ils vous diront tous les deux qu'ils figurent sur ces images

 25   et pourront identifier certains des détenus que nous voyons sur ces images


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  1   car certains d'entre eux n'ont pas survécu pour venir déposer, ici même,

  2   devant vous.

  3   Vous vous demandez sans doute quelles conditions il fallait avoir sur

  4   place pour que les gens aient l'aspect qu'ils avaient sur ces images. En

  5   guise de réponse, j'aimerais vous décrire le traitement classique qu'on

  6   réservait aux prisonniers à leur arrivée à Keraterm.

  7   D'emblée, vous verrez qu'à l'arrivée, en général ils arrivaient par bus,

  8   les détenus étaient fouillés avec beaucoup de violence et de minutie. Ils

  9   étaient battus quand quelquefois ils se trouvaient encore dans le bus ou

 10   alors sur le périmètre du camp, à proximité de cette hutte qui servait de

 11   commandement pour les gardes, ou de quartier-général de commandement pour

 12   les gardes.

 13   Voici une photographie de cette hutte, cet endroit où se faisait la pesée.

 14   Et vous voyez les autres installations à l'arrière-plan. Quand je parle de

 15   l'installation, ce sont ces salles 1, 2, 3 et 4, qui constituent la partie

 16   gauche de l'entrepôt. Tout que ce qui avait de la valeur: l'argent, les

 17   bijoux, les documents, tout ceci leur était confisqué.

 18   A ce moment-là, ils étaient battu à coups de crosse de fusil ou avec

 19   d'autres objets avant d'être contraints d'entrer dans une de ces quatre

 20   salles d'entreposage, qu'on nommera par leur chiffre: salles 1, 2, 3 et 4.

 21   Ils se trouvaient incarcérés derrière des portes en métal, dans des

 22   conditions où ils étaient entassés les uns sur les autres. Ils étaient à

 23   ce point entassés qu'ils n'avaient même pas d'espace pour s'allonger, pour

 24   se déplacer et a fortiori pas pour trouver un lit ou un matelas.

 25   Quand je vous dis que ces pièces étaient surpeuplées, soyons plus précis.


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  1   Ces salles qui n'avaient pas toutes la même taille, étaient utilisées pour

  2   accommoder, pour accueillir 200, 450 prisonniers. Dans la salle 2, à un

  3   moment donné, alors que cette salle ne faisait que 20 mètres carrés, il y

  4   a eu jusqu'à 570 personnes, au moment où ils ont vidé la salle 3 avant le

  5   massacre. Nous reparlerons de ce massacre. Mais ces prisonniers qui en

  6   avaient été enlevé, ont été placés dans la salle 2, afin que puissent être

  7   installés dans la salle 3 les récents arrivés de la région de Brdo. Je

  8   reviendrai à la raison de ce déplacement lorsque je parlerai du massacre

  9   de la salle 3.

 10   Les prisonniers, en général, devaient survivre sur des rations de famine.

 11   Il n'y avait pas assez de nourriture, et le peu de nourriture qu'ils

 12   recevaient, ils le recevaient de façon aléatoire, de temps à autre. Il n'y

 13   avait aucun élément nutritif dans ce qu'ils recevaient et ils étaient

 14   toujours… Il n'y avait pratiquement plus rien au moment où les derniers

 15   prisonniers devaient être nourris. S'ils étaient à la fin de la file, ils

 16   ne recevaient rien. Il n'était pas facile de recevoir cette nourriture et

 17   de l'avaler parce que, comme vous le dira un témoin, les prisonniers

 18   devaient franchir deux haies de personnes qui les battaient à coups de

 19   bâton et de crosse de fusil pour arriver à cette nourriture. Et lorsqu'ils

 20   prenaient cette nourriture, ils devaient l'avaler en l'espace d'une minute

 21   ou deux, sinon ils étaient battus et on jetait leur nourriture sur le sol

 22   même s'il n'y avait pas grand-chose.

 23   M. le Président (interprétation): Quand on parle de 20 mètres carrés, pour

 24   moi ce n'est pas très familier. Par rapport à cette salle d'audience, ici,

 25   qu'est-ce qu'elle représente?


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  1   M. Ryneveld (interprétation): Moi, non plus, je ne suis pas le mieux placé

  2   pour vous dire ce que font des mètres carrés en pouces carrés ou en pieds

  3   carrés. Puisque, moi aussi, j'ai eu cette éducation comme vous.

  4   Mais je suppose que 20 mètres carrés, cela ferait à peu près la moitié de

  5   la salle, depuis notre banc jusqu'aux murs.

  6   M. le Président (interprétation): N'insistons pas là-dessus. Nous tirerons

  7   ceci au clair au moment de la présentation des témoins.

  8   M. Vucicevic (interprétation): Moi, j'ai vécu et j'ai grandi dans ce

  9   système, du moins pour la moitié. Vingt mètres carrés, cela fait à peu

 10   près 22 yards au carré. Donc s'il parle de 20 mètres carrés, cela ferait

 11   par exemple 1 yard en large sur 20 yards en longueur. C'est un petit

 12   espace. Je pense que l'espace dont il parle est beaucoup plus grand.

 13   M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

 14   Poursuivez, Monsieur Ryneveld.

 15   M. Ryneveld (interprétation): Je vous remercie.

 16   Vous apprendrez que si la journée était bonne, un prisonnier recevait pour

 17   tout repas deux tranches toutes fines de pain, couvertes de mouches,

 18   puisqu'elles avaient été gardées près des toilettes avant d'être servies.

 19   De temps en temps, il y avait un bol d'eau avec une morceau de chou ou de

 20   macaroni qui flottait dedans. Certaines salles recevaient de la meilleure

 21   nourriture, de façon plus régulière que d'autres. C'était le cas de la

 22   salle 1.

 23   Au début, comme Keraterm se trouve précisément aux pourtours de Prijedor,

 24   des membres de la famille des détenus pouvaient venir au portail du camp

 25   pour apporter de la nourriture. Au début, certains prisonniers ont eu le


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  1   droit de recevoir de cette nourriture, mais ce fut interdit après une

  2   semaine environ.

  3   Il est inutile de le rappeler, au cours d'une détention de deux ou trois

  4   mois, tous les prisonniers ont perdu du poids, certains ont perdu jusqu'à

  5   35 kilos. La preuve qu'il n'y avait pas de nourriture et la conséquence de

  6   cette absence de nourriture, vous la voyez sur ces images qui viennent de

  7   vous être diffusées. Mais la nourriture -ou l'absence de nourriture-

  8   n'était pas le seul problème puisque la détention s'est surtout passée au

  9   cours de l'été. Les gens étaient entassés comme des sardines dans ces

 10   salles où il faisait une chaleur insupportable, où il n'y avait pas d'eau.

 11   Il n'avaient pas d'autres vêtements que ceux qu'ils portaient au moment où

 12   ils ont été capturés. Il n'y avait aucun endroit pour se laver, rien qui

 13   servait de literie, et il n'y avait aucun soin médical. Il n'y avait pas

 14   de conditions d'hygiène non plus. Rares étaient les toilettes. Les

 15   prisonniers avaient rarement le droit de les utiliser, ils risquaient de

 16   se faire tabasser s'ils y allaient. Lorsqu'ils allaient à la toilette, ils

 17   devaient passer dans une boue d'excréments et de saleté; la puanteur qui

 18   en sortait était si forte, l'odeur d'ammoniaque était à ce point forte

 19   qu'il était difficile, pour ceux qui se trouvaient près des toilettes, de

 20   respirer. La nuit, les prisonniers n'étaient pas autorisés à sortir pour

 21   aller aux toilettes. Ils devaient utiliser des tonneaux qui se trouvaient

 22   à l'intérieur des pièces.

 23   Et comme si ces conditions ne suffisaient pas en elles-mêmes, vous verrez

 24   que les prisonniers ont souvent été soumis à des interrogatoires qui

 25   s'accompagnaient régulièrement de passages à tabac et de tortures. Au


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  1   cours de leur détention, ces détenus ont été soumis à des passages à tabac

  2   violents, à des tortures, à des sévices sexuels, à des tueries et à

  3   d'autres formes de sévices physiques et psychologiques.

  4   Ceux-ci étaient imposés par des gardes du corps mais aussi par des

  5   visiteurs à ce camp, comme Zoran Zigic et Dusko Knezevic, qui venaient

  6   s'amuser, exercer leur plaisir pervers au camp de Keraterm en passant à

  7   tabac et en torturant les détenus. Tout ceci s'est produit avec la

  8   connaissance et l'approbation tacite du commandant du camp et des

  9   commandants d'équipe qui étaient chargés de la responsabilité et de la

 10   sécurité du camp, qui étaient souvent présents au moment de ces épisodes.

 11   Vous verrez et vous entendrez parler des incidents spécifiques qu'ont subi

 12   ces témoins.

 13   Vous verrez qu'après qu'il y eût interrogatoire des détenus de Keraterm,

 14   ils étaient groupés en catégorie: certains qualifiés d'"extrémistes" après

 15   l'interrogatoire, étaient envoyés notamment par Sikirica et d'autres par

 16   bus à Omarska. Vous verrez que plus de 6.000 de ces "interrogatoires

 17   préliminaires" -comme ils étaient appelés-, se sont déroulés à Keraterm, à

 18   Omarska et à Trnopolje.

 19   Je vais maintenant parler du camp d'Omarska. Même si aucun de ces trois

 20   accusés n'étaient officiellement rattachés au camp d'Omarska, il est

 21   important de comprendre que dans le cadre de la campagne générale de

 22   terreur et de persécution, et surtout pour ce qui est des accusations de

 23   génocide et de complicité au génocide qui sont retenues contre Sikirica,

 24   le camp d'Omarska a joué un rôle important.

 25   Maintenant, je vais demander que l'on place les photos d'Omarska. Ici, sur


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  1   le rétroprojecteur, vous pouvez voir un grand bâtiment industriel appelé

  2   "le hangar", où de nombreux détenus ont été placés.

  3   Devant se trouve la "pista" où les détenus devaient se trouver au cours de

  4   la journée. A droite de la photographie, se trouve la "maison blanche" où

  5   les soi-disant "extrémistes", beaucoup d'entre eux de Keraterm étaient

  6   détenus, torturés et tués.

  7   Omarska était établi par la cellule de crise de serbe le 31 mai 1992, dans

  8   le centre administratif d'Omarska, de la mine de fer d'Omarska qui se

  9   trouvait au sud-est de la zone de Kozarac, pas loin de Prijedor.

 10   Vous pouvez voir maintenant sur le rétroprojecteur une carte, où il est

 11   marqué en bleu où se trouve la ville de Prijedor, alors que Keraterm se

 12   trouve juste à côté. En suivant presque une ligne droite, vous allez voir

 13   d'abord Trnopolje et par la suite Omarska.

 14   Dès le début, à Omarska, se trouvaient beaucoup de membres de l'élite

 15   croate et musulmane, y compris les leaders politiques, administratifs et

 16   religieux, les académiciens, les intellectuels, les personnalités du monde

 17   des affaires, et d'autres qui se trouvaient à la tête de la population

 18   non-serbe. Vous allez entendre de la part des témoins que de nombreux

 19   détenus de Keraterm, suite aux interrogatoires, ont été considérés comme

 20   des extrémistes et ont été transportés à Omarska où ils ont été entassés,

 21   affamés, et soumis aux conditions hygiéniques semblables à celles qui

 22   prévalaient à Keraterm.

 23   Ils ont été soumis aux mauvais traitements: passages à tabac, tortures,

 24   sévices sexuels, et meurtres. Des abus de tout genre se produisaient

 25   quotidiennement. Des cadavres, qui étaient le résultat de passages à tabac


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  1   et des meurtres, pouvaient se voir pratiquement tous les matins avant que

  2   les camions ne les enlèvent ailleurs.

  3   Beaucoup de témoins vous parleront de vive voix ou bien, par le biais de

  4   comptes rendus d'audience émanant d'autres procès concernant les faits

  5   accomplis par les cinq accusés. Zoran Zigic, qui est accusé en ce moment

  6   dans le cadre d'une autre affaire devant ce Tribunal, était le

  7   dénominateur commun dans les deux camps: celui d'Omarska et de Keraterm.

  8   Il persécutait, battait et assassinait les détenus des deux camps, semant

  9   la terreur et créant le désastre dans les deux camps.

 10   A Trnopolje, se trouvait un camp qui était logé dans l'ancien bâtiment de

 11   l'école où étaient détenus des milliers de détenus, pour la plupart des

 12   hommes âgés, des femmes et des enfants.

 13   Vous allez voir maintenant la photographie du complexe de Trnopolje. Même

 14   si les conditions à Trnopolje n'étaient pas aussi mauvaises qu'à Omarska

 15   et Keraterm, la vie pour les détenus était tout aussi horrible. Il y avait

 16   peu de nourriture, presque pas d'eau, et les conditions hygiéniques sales.

 17   La dysentrie se propageait. A cause du fait d'avoir été entassé, beaucoup

 18   de détenus devaient vivre à l'extérieur. Non seulement il y avait des

 19   passages à tabac et des meurtres à Trnopolje, mais les femmes et les

 20   jeunes filles étaient souvent violées.

 21   Au moment de la fermeture de Keraterm, le 5 août, beaucoup de détenus ont

 22   été transférés à Trnopolje dans des cars pleins de jeunes hommes qui les

 23   ont emmenés à un endroit lointain appelé Vlasic, et où les hommes ont été

 24   massacrés. Trnopolje faisait partie du plan d'expulsion et de persécutions

 25   génocidaires en tant que centre depuis lequel les survivants non-serbes


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  1   ont été expulsés de Prijedor vers d'autres parties de Bosnie, et vers

  2   d'autres pays. Vous allez entendre que les derniers 1.500 détenus ont été

  3   expulsés de Trnopolje en novembre, décembre 1992.

  4   Dans ces camps, le plan du nettoyage ethnique des non-Serbes a été

  5   réalisé. Les détenus ont été parfois tués sur-le-champ, souvent passés à

  6   tabac, ou affamés à mort. Et ceux qui ont survécu ont été dépourvus de

  7   leurs possessions et de leur logement et terrorisés au point de quitter la

  8   région, alors que les Serbes qui les ont capturés se sont assurés qu'ils

  9   ne pouvaient retourner nulle part. Souvent, avant de partir, ils devaient

 10   signer un papier indiquant qu'ils abandonnaient leurs biens de leur propre

 11   gré.

 12   D'après les affirmations du Procureur, Dusko Sikirica qui était le

 13   commandant du camp de Keraterm savait que les autres camps existaient, et

 14   que leur but était de détruire les Musulmans bosniens et les Croates de

 15   Bosnie en tant que groupes. Dans ces agissements, il a participé au

 16   génocide et il s'est rendu complice dans la réalisation du but commun

 17   d'opérer un génocide contre les non-Serbes de la zone de Prijedor. Ce plan

 18   a été tellement efficace et tellement profond qu'au mois d'août 1992,

 19   d'après ce qu'ont pu voir les journalistes étrangers qui se sont rendus à

 20   Kozarac, il n'y avait plus aucun Musulman qui était resté, alors

 21   qu'auparavant, c'était une ville musulmane. Le programme de téléjournal

 22   américain Nightline a montré un reportage concernant Kozarac, et voici un

 23   extrait.

 24   (Diffusion de l'extrait vidéo.)

 25   S'il reste un quelconque doute concernant l'intention des Serbes de


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  1   purifier la région des non-Serbes, il est important de noter qu'ils ont

  2   même donné de nouveaux noms. Par exemple, à Kozarac, qui portait un nom

  3   musulman avant et, par la suite, Radmilovici après l'attaque des Serbes

  4   contre Kozarac. D'autres exemples de la manière dont les Serbes ont

  5   purifié la Bosnie du nord-ouest est reflété par les nouveaux noms de

  6   Bosanska Krupa qui est devenue Krupa-na-Uni; Bosanska Gradiska qui est

  7   devenue Gradiska et Skender Vakuf qui est devenu Knezevo.

  8   Avant le mois d'avril 1992, la population de Prijedor était pratiquement

  9   50-50% entre les Musulmans et les Serbes. Les Musulmans constituaient une

 10   légère majorité. D'après le recensement de 1991, l'opstina de Prijedor

 11   comportait une population totale de 112.470 personnes dont 44% étaient des

 12   Musulmans, 42,5% Serbes, 5,6% Croates, 5,7% se sont déclarés comme

 13   Yougoslaves, et les 2,2% qui restent étaient un mélange des Ukrainiens,

 14   des Russes et des Italiens.

 15   Maintenant, vous allez voir la carte de Prijedor au centre, et vous verrez

 16   des points dans des couleurs différentes. La couleur verte représente les

 17   Musulmans, et le violet les villages serbes. Vous allez voir la

 18   concentration autour de Prijedor, la concentration de petits villages. Au

 19   sein de l'opstina, certaines villes et villages étaient à majorité

 20   musulmane ou serbe. Vous allez voir, entendre parler des moyens de preuve

 21   démographiques concernant la structure ethnique de Prijedor avant la

 22   guerre et après la guerre.

 23   Mais je vous propose de regarder l'organigramme sur le rétroprojecteur qui

 24   compare les chiffres de la population à Prijedor avant le recensement de

 25   1991, par rapport au recensement en 1997 après la guerre.


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  1   Vous pouvez voir qu'en 1991, les Musulmans et Serbes étaient représentés à

  2   pied d'égalité, en ce qui concerne la population à Prijedor. C'est-à-dire

  3   que les deux populations s'élevaient à 43%. Vous pouvez voir les parties

  4   en rouge et en vert. En 1997, par contre, les Serbes constituaient une

  5   majorité de 89% alors qu'il n'y avait que 1% de Musulmans -vous pouvez

  6   voir cela sur l'organigramme- et il n'y avait que 2% de Croates. Il est

  7   nécessaire de noter que le pourcentage des Musulmans à Prijedor a baissé

  8   de 42%.

  9   Les autorités bosno-serbes ont réalisé un recensement de la population en

 10   1993. Je suppose que ceci a été fait afin de voir le taux de réussite de

 11   la réalisation de leur plan.

 12   Le 5 août 1993, le chef de centre de sécurité publique de Banja Luka a

 13   écrit aux officiels de Prijedor. Il a demandé dix questions concrètes.

 14   Les questions 4, 5 et 6 sont particulièrement importantes parce qu'elles

 15   portent sur le nombre des Serbes, Croates et Musulmans dans la

 16   municipalité de Prijedor. Nous pouvons voir ici dans le document dont j'ai

 17   parlé, qui date du 5 août 1993, en ce qui concerne les points 4, 5 et 6,

 18   ceux-ci portent sur le nombre total des Serbes, Croates et Musulmans.

 19   Nous pouvons examiner maintenant 9.6. La réponse est arrivée deux jours

 20   plus tard, de la part du chef de poste de sécurité publique de Prijedor.

 21   Cette réponse se réfère directement aux questions qui figurent aux points

 22   4, 5 et 6.

 23   Vous allez voir que, d'après le document en date du 7 août 1993, il est

 24   dit que le nombre total des habitants de la municipalité est 65.551, dont

 25   53.655 Serbes, 3.169 Croates et 6.124 Musulmans. D'après ce document, nous


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  1   pouvons voir qu'en moins de deux ans après le recensement de 1991, le

  2   pourcentage des non-Serbes de Prijedor a baissé de plus de 48% pour

  3   constituer maintenant 14%, alors que le pourcentage des Serbes a monté de

  4   44% pour devenir 82%.

  5   Si jamais il reste le moindre doute concernant l'exercice, le document

  6   versé au dossier dans le cadre de cette procédure 3.48 écarte tout doute

  7   possible.

  8   Vous allez voir...

  9   M. May (interprétation): Vous venez de dire qu'il s'agit d'une

 10   présentation qui ne se base pas sur les pièces à conviction. Je suppose

 11   donc qu'une cote n'a pas encore été attribuée.

 12   M. Ryneveld (interprétation): Non, pas en ce qui concerne les séquences

 13   vidéo.

 14   M. May (interprétation): Mais les autres pièces à conviction ont déjà reçu

 15   une cote?

 16   M. Ryneveld (interprétation): Oui.

 17   M. May (interprétation): Oui, mais ceci n'a pas encore été versé au

 18   dossier?

 19   M. Ryneveld (interprétation): Oui, je les ai mentionnées en tant que

 20   pièces à conviction. Cependant, il s'agit de pièces qui ont été soumises

 21   et qui ont reçu des cotes et qui ont été communiquées et aux Juges et aux

 22   conseils de la défense à titre d'information. Mais c'est seulement lorsque

 23   les Juges les accepteront en tant que pièces à conviction qu'ils le

 24   deviendront.

 25   M. May (interprétation): Dans ce cas-là, il ne convient pas de les


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  1   mentionner en tant que pièces à conviction à ce stade; donc nous

  2   souhaitions simplement comprendre votre point de vue.

  3   M. Ryneveld (interprétation): Merci de cette clarification. J'ai souhaité

  4   simplement faciliter les choses. C'est pour cela je les ai mentionnées en

  5   tant que pièces à conviction.

  6   Si je puis, je souhaite me pencher de nouveau sur le document ayant reçu

  7   la cote 3.48. Vous pouvez voir qu'en octobre 1992, Dusko Jelisic, un

  8   fonctionnaire serbe du poste de sécurité nationale du CSB de Banja Luka,

  9   dans un document secret officiel a dit –je cite: "Qu'à la fois les

 10   autorités officielles et les citoyens sont de plus en plus sous

 11   l'impression que, avec le départ des Musulmans et des Croates, tout a été

 12   accompli.".

 13   Avant, dans ce même document, il avait déclaré, et d'ailleurs il s'agit

 14   des parties du texte soulignées qui figurent dans la couleur orange, -je

 15   cite: "La situation en matière de sécurité dans la municipalité de

 16   Prijedor a commencé à se détériorer en mai 1992.". Ensuite, un peu plus

 17   loin: "Des dizaines de villages ont été pratiquement totalement détruits

 18   et personne n'y habite.".

 19   Ensuite, nous voyons la liste des noms des villes et villages pertinents

 20   dans ce procès. Ensuite, on mentionne un village musulman –je cite: "Cette

 21   destruction a été le début de l'exode massif à la fois des Musulmans et

 22   des Croates. D'après les estimations, environ 38.000 Musulmans et Croates

 23   ont quitté la municipalité de Prijedor.".

 24   Un peu plus loin, il est dit: "Lorsque ces personnes sont parties, le

 25   pillage massif a commencé de leurs biens qui sont restés sans aucune


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  1   surveillance, ni par leurs propriétaires ni par les autorités

  2   municipales.".

  3   Un peu plus loin: "Cette période est caractérisée par la destruction des

  4   bâtiments dont les propriétaires étaient les Musulmans et les Croates, des

  5   sites sacrés.".

  6   Un peu plus loin: "La police militaire de la ville ne fait presque rien

  7   face à ce problème.".

  8   Un peu plus loin, le point-clé, il s'agit du document rédigé en octobre

  9   1992 par un Serbe qui était fonctionnaire à Banja Luka, travaillant dans

 10   le domaine de sécurité –je cite: "Avec le temps, on peut voir qu'à la fois

 11   les autorités officielles et les citoyens officiels se relaxent sous

 12   l'impression que, avec le départ des Musulmans et des Croates, tout a été

 13   accompli.".

 14   A notre avis, on ne peut pas être plus clair que cela.

 15   Vous allez entendre des détails concrets de la part des différents témoins

 16   qui expliqueront de quelle manière cette purification ethnique a été

 17   réalisée. Vous pourrez réaliser des statistiques et rapports

 18   démographiques de la manière dont les régions musulmanes ont été

 19   purifiées. Vous allez constater que, dans la municipalité de Prijedor, à

 20   la fois les hommes en âge de combattre -Musulmans et Croates-, et les

 21   individus les plus éduqués, les leaders politiques se sont portés disparus

 22   à un taux extrêmement élevé. Les moyens de preuve vous feront conclure

 23   qu'il s'agissait-là d'une extermination et destruction délibérée d'un

 24   groupe particulier au sein de la population croate et musulmane de la

 25   municipalité de Prijedor.


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  1   Je souhaite me pencher sur les accusés.

  2   Dusko Sikirica est né le 23 mars 1974, dans la municipalité de Prijedor.

  3   Pendant la période des faits de l'Acte d'accusation, il avait 28 ans,

  4   était le commandant du camp de Keraterm et avait la position de

  5   supériorité par rapport à tout le monde dans le camp, y compris les deux

  6   co-accusés, Damir Dosen et Dragan Kolundzija.

  7   Sikirica en tant que commandant du camp avait la compétence sur les

  8   conditions de détention à Keraterm, et il avait le pouvoir de sélectionner

  9   les chefs d'équipe placés sous ces ordres. Il avait l'opportunité

 10   d'empêcher ou de punir ceux qui commettaient des violations du droit

 11   international.

 12   Sikirica participait personnellement à la campagne de persécutions lancée

 13   contre les non-Serbes dans la municipalité Prijedor. Des témoins vous

 14   diront qu'il se trouvait aux points de contrôle quand on y arrêtait les

 15   non-Serbes. Lorsque le camp de Keraterm a commencé à opérer, Sikirica est

 16   devenu commandant. En août 1992, Sikiriac a commis des passages à tabac et

 17   des meurtres d'un certain nombre de détenus.

 18   En tant que commandant du camp, il savait que les conditions dans le camp

 19   était intolérables, que des meurtres, des passages à tabac et des viols

 20   s'y déroulaient. Non seulement il n'a rien fait pour éviter ces crimes,

 21   mais il a souvent participé à ces actes et il n'a pas puni ceux qui le

 22   faisaient.

 23   De plus, en gérant le camp de Keraterm, il a agi d'un commun accord avec

 24   les autorités serbes, y compris les commandants d'autres camps, afin de

 25   créer une région ethniquement pure. Dans le contexte de ce qui s'est passé


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  1   dans la municipalité de Prijedor, il s'agissait non seulement de

  2   persécutions, mais aussi d'un génocide et du fait qu'il a été complice,

  3   complicité au génocide.

  4   Dusko Sikirica, dans sa campagne, allait de paire avec les activités du

  5   commandant de Keraterm. Des témoins vous diront que Sikirica a participé

  6   au nettoyage ethnique du village de Hambarine et aux meurtres des citoyens

  7   musulmans et croates de ce village. Le 12 juin, les Serbes ont attaqué le

  8   village de Hambarine. Sikirica a été identifié comme une personne ayant

  9   participé à cela. Les hommes ont été séparés des femmes et leurs biens

 10   personnels et bijoux ont été confisqués. Sikirica était présent quand ces

 11   hommes ont été emmenés ailleurs, à Mujadzici, une partie de Hambarine: 30

 12   hommes environ ont été regroupés et 28 ont été tués.

 13   En ce qui concerne les deux survivants, il y avait une personne qui était

 14   l'ancien collègue de travail de Sikirica, dans l'usine Selpak. Lorsque

 15   Sikirica l'a reconnu, dans le groupe de cinq ou six autres personnes, il

 16   lui a dit simplement de courir où il pouvait courir mais les autres

 17   personnes n'ont pas eu une telle chance; et personne ne les a plus revues.

 18   Même si cet incident prouve que Sikirica a sauvé son ancien collègue, et

 19   donc comporte un élément à décharge, ceci prouve également que Sikirica a

 20   participé au processus du nettoyage ethnique. Il a choisi de sauver une

 21   personne sachant que les autres allaient être tuées. Ceci montre également

 22   qu'il savait qu'il existait un plan de tuer les autres. Ceci montre non

 23   seulement qu'il était le commandant de Keraterme, mais qu'il participait

 24   de manière active aux rafles des civiles à Hambarine et à la réalisation

 25   de la campagne du nettoyage ethnique.


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  1   Nous parlerons de sa position de commandant de camp. A notre avis, il n'y

  2   aura aucune difficulté de constater que Sikirica était le commandant du

  3   camp de Kerartem à partir de juin 1992. La plupart des témoins vous diront

  4   que tout le monde le savait. Les témoins vous diront qu'ils pouvaient le

  5   conclure sur la base de ce qu'ils observaient, ce que les gardes leur

  6   disaient, et ce que Sikirica avait dit aussi à un certain nombre de

  7   détenus. Vous pourrez peut-être conclure qu'il n'était pas commandant du

  8   camp dès son ouverture, en mai 1992, mais peu de temps après -une semaine

  9   environ-, il est devenu son commandant, notamment pendant la période de

 10   l'Acte d'accusation. Les témoins vous parleront que les conditions se sont

 11   aggravées suite à la venue de Sikirica.

 12   Des témoins vous diront aussi que Sikirica était également présent pendant

 13   la journée; il était présent quand les détenus arrivaient, qu'il fallait

 14   les accueillir et leur confisquer leurs objets de valeur.

 15   Les témoins diront également qu'il n'a rien fait afin d'empêcher les

 16   incidents qui se produisaient de manière régulière et que, souvent, il y a

 17   participé personnellement.

 18   Sikirica était de même un homme qui contrôlait la sélection du transfert

 19   des prisonniers du camp. Il rédigeait les listes des noms dans son bureau,

 20   dans le pesage; ce qui est montré sur les photographies. Ici, vous pouvez

 21   voir l'endroit où se trouvait ce pesage, il s'agit de la partie portant un

 22   toit blanc. Les témoins vous diront qu'il lisait les noms des personnes

 23   qui devraient être battues, transférées à Omarska ou chargées dans des

 24   camions pour aller dans des destinations inconnues par les autres

 25   prisonniers. Parfois, les prisonniers pensaient qu'ils allaient être


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  1   emmenés ailleurs, ils se sont portés volontaires pour entrer dans ces

  2   camions. Ces personnes ne se sont jamais retournées. Leurs cadavres ont

  3   été trouvés dans des fosses communes.

  4   Non seulement Sikirica avait une responsabilité dans les atrocités

  5   commises à Keraterm à cause de sa position de supérieur hiérarchique, mais

  6   aussi à cause de sa participation personnelle. Il a commis toutes sortes

  7   de crimes de guerre. Vous entendrez des dépositions concernant les

  8   passages à tabac, actes de persécution et viols qu'il a commis. Une femme

  9   vous dira que Sikirica était l'une des personnes qui l'a frappée dans

 10   l'œil et l'a violée. De nombreux témoins vous parleront des incidents lors

 11   desquels ils ont vu Sikirica en train de tuer des détenus.

 12   Parmi les incidents, vous allez entendre parler de ce qui suit: tout

 13   d'abord, Salko Saldumovic vous parlera de l'incident dont il a été témoin

 14   lorsque Sikirica a tiré de son pistolet sur un prisonnier. Un autre témoin

 15   va corroborer ses propos. Le Témoin K6 vous parlera de l'incident lors

 16   duquel Sikirica a pris son pistolet et a tiré sur un homme dans son dos

 17   trois fois. Par la suite, malheureusement, le Témoin K6 a vu son cadavre

 18   près des poubelles.

 19   Le Témoin 43 vous parlera du fait qu'un détenu avait besoin de médicaments

 20   et, une autre fois, Sikira a tiré et blessé un détenu qui était en

 21   douleurs et qui avait besoin d'aide médicale. Sikirica a pris son fusil

 22   automatique et a tiré plusieurs fois sur l'homme qui souffrait. Ce témoin

 23   vous parlera du fait qu'un témoin à dit à Sikirica qu'il souffrait de

 24   diabète et qu'il avait besoin d'insuline et d'aiguille. Sikirica a dit que

 25   c'était un médecin militaire oustachi et il a jeté sa trousse. Peu de


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  1   jours plus tard, l'homme est décédé.

  2   De nombreux témoins, parmi lesquels K35, K32, vous parleront du fait que

  3   Sikirica lisait les noms de 120 détenus qui ont été mis dans des cars et

  4   qui devaient aller à Omarska. Ces détenus ont été passés à tabac quand ils

  5   sont entrés dans ces autobus, ils n'ont plus jamais été revus et, par la

  6   suite, leurs cadavres ont été retrouvés dans les fosses communes.

  7   Sikirica a joué un rôle dans le massacre de la salle n°3, il était présent

  8   quand les prisonniers ont été transférés de la pièce n°3 dans d'autres

  9   pièces avant l'incident. Sikirica a surveillé, après le massacre, la

 10   distribution des cadavres qui ont été d'abord entassés dans un camion. Et

 11   puis, finalement, ceux qui étaient gravement blessés ont été entassés sur

 12   ce tas de cadavres.

 13   Par la suite, on a fait venir un tuyau à haute pression pour nettoyer les

 14   lieux, et Sikirica a insisté pour qu'il ne reste pas de sang. Vous allez

 15   entendre parler du matin, du lendemain du massacre de la pièce 3, incident

 16   lors duquel Sikirica était présent. Il a participé personnellement à

 17   l'exécution de certains survivants du massacre.

 18   Je me penche maintenant sur l'autre accusé, Damir Dosen, "Kajin".

 19   Tout comme Sikirica, Dosen est un Serbe né à Prijedor. Il est né le 7

 20   avril 1967. Il avait 25 ans pendant la période couverte par l'Acte

 21   d'accusation. Il était chef d'équipe sous les ordres de Sikirica. Lorsque

 22   Sikirica n'était pas dans le camp, et pendant l'équipe de Dosen, c'est lui

 23   qui était en charge de la sécurité dans le camp.

 24   Pendant son équipe, les témoins vous diront que de nombreux passages à

 25   tabac, tortures et même meurtres se passaient. Damir Dosen a, d'après les


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  1   dires de nombreux témoins, participé aux assauts et aux passages à tabac

  2   des détenus de Keraterm. Il était présent lorsque les gardes passaient à

  3   tabac, torturaient et assassinaient les prisonniers. Il n'a rien fait pour

  4   les empêcher.

  5   Les témoins vous diront que Damir Dosen était plus souvent mentionné en

  6   tant que "Kajin". Il était l'un des chefs d'équipe à Keraterm avec

  7   Kolundzija et Fustar qui étaient tous, comme je l'ai dit, placés sous les

  8   ordres de Sikirica.

  9   Souvent, les témoins diront qu'ils ont vu Kajin participer aux passages à

 10   tabac. D'autres vous diront qu'ils n'ont pas vu Kajin en train de battre

 11   qui que ce soit.

 12   Cependant, il est clair -sur la base des moyens de preuve-, que Dosen a

 13   participé au passage à tabac des prisonniers personnellement, et qu'il

 14   était présent lorsque certaines personnes, y compris les gardes qui

 15   étaient placés sous sa surveillance, tabassaient les prisonniers. Il avait

 16   le pouvoir d'améliorer les conditions mais, malgré la conscience que les

 17   détenus souffraient, il a choisi de ne pas le faire. Souvent, il était

 18   sous l'emprise de l'alcool lorsqu'il était de service.

 19   Nous nous attendons à ce que les témoins parlent des situations lors

 20   desquelles ils ont vu Kajin participer aux passages à tabac et aux

 21   meurtres. Ils vont parler également de certains actes commis par les

 22   frères Banovic qui étaient placé sous les ordres de Dosen.

 23   Kajin a participé à un nombre d'incidents parmi lesquels:

 24   1. Le passage à tabac suite à son arrivée à Keraterm, le passage à tabac

 25   donc de Jovan Radocaj, qui était le seul détenu serbe et qui a, par la


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  1   suite, au cours de la même nuit, été tué.

  2   2. Le passage à tabac d'un Adem Jakupovic et Nihad Krivdic.

  3   3. Le fait d'avoir coupé la main d'Ahmet Kutic avec un couteau.

  4   4. Le passage à tabac de (expurgé).

  5   5. Le passage à tabac et le meurtre (expurgé).

  6   6. Le passage à tabac (expurgé).

  7   7. Le passage à tabac et le meurtre de Tokmadzic.

  8   Tous les témoins, bien sûr, n'ont pas vu ou entendu les mêmes événements,

  9   et tous les témoins n'ont pas eu les mêmes expériences que les autres.

 10   Certains témoins vont dire qu'ils avaient l'impression que Kajin n'était

 11   pas le pire chef d'équipe; d'autres diront que, pendant les équipes de

 12   Kajin et Fustar, c'était pire que pendant l'équipe de Kole. Probablement,

 13   parfois, ils ont fait preuve de pitié et de compassion. Certains témoins

 14   vous parleront des exemples de ceux-là. Certains d'entre eux vous diront

 15   que Kajin n'a rien fait pour empêcher les passages à tabac, d'autres

 16   diront que, parfois, il a empêché les passages à tabac. Parfois, il a

 17   empêché les personnes de l'extérieur, telles que Duca Knezevic et

 18   d'autres, d'entrer dans le camp lorsque lui et Zigic s'adonnaient à leur

 19   sadisme.

 20   Cependant, le Procureur affirme qu'il sera établi que lui, tout comme

 21   Kolundzija, était un commandant d'équipe qui avait la responsabilité pour

 22   la sécurité et le bien-être des détenus de Keraterm. Non seulement qu'il

 23   savait qu'il y aurait des passages à tabac, mais il a permis à ses hommes

 24   d'attaquer, battre et même tuer les détenus. Il n'est pas seulement

 25   coupable de Ces actes mais il est coupable en vertu de l'Article 7.1 mais


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  1   aussi en vertu de l'Article 7.3. En tant que commandant, il a donné un

  2   mauvais exemple. Il n'a pas puni ni rédigé des rapports concernant les

  3   actes commis par ceux qui étaient placés sous ses ordres.

  4   Conformément à cela, nous considérons que la Chambre de première instance

  5   va trouver qu'il est coupable de persécution en vertu de l'Article 5 du

  6   Statut, et des outrages à la dignité personnelle en vertu de l'Article 3.

  7   Dragan Kolundzija, surnommé "Kole"; c'est de cette façon-là, par son

  8   surnom "Kole" que l'appelleront la plupart des témoins. Il est né le 19

  9   décembre 1959. Au moment des faits, il avait 32 ans. Avant de devenir un

 10   des trois commandants d'équipe à Keraterm, dans sa vie civile, Kole avait

 11   été chauffeur de camion.

 12   Lorsque Keraterm a commencé à fonctionner, Kolundzija a démarré comme

 13   garde. Bien vite, il a été promu au rang de commandant d'équipe, poste

 14   qu'il a occupé jusqu'à la fermeture du camp, au début du mois d'août.

 15   C'est au cours de son équipe, de sa pause, que se produit l'infâme

 16   massacre de la salle 3, lors de cette funeste nuit du 24 juillet 1992.

 17   Vous le savez, et vous le saurez par les témoins, qu'avant le massacre,

 18   des forces serbes avaient placé, avaient établi deux nids de mitrailleuses

 19   sur le terrain du camp de Keraterm et qu'ils faisaient face aux porte en

 20   métal de la salle 3, où se trouvaient plus de 200 prisonniers venant de la

 21   région de Brdo.

 22   Au cours de la nuit, alors que Dragan Kolundzija était le chef d'équipe,

 23   les Serbes ont commencé à tirer à la mitrailleuse dans la salle 3, à

 24   travers les portes métalliques. Les prisonniers étaient entassés dans

 25   cette salle et, lorsque les rafales ont commencé à se faire entendre, ils


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  1   ont été tués comme on tirait des poissons dans un tonneau.

  2   Ce carnage s'est poursuivi avec des intermittences pendant des heures. Les

  3   corps de nombreuses victimes ont été déchiquetés littéralement, des balles

  4   ont frappé les salles 2 et 4 provoquant des blessures là aussi. Et lorsque

  5   les conséquences de ce massacre ont été constatées le lendemain matin, les

  6   témoins ont vu d'énormes piles de corps et de membres, de parties de corps

  7   qui étaient empilés devant la salle 3.

  8   Les fonctionnaires du camp, dont Damir Dosen, ont demandé à des

  9   "volontaires" de sortir les détenus des autres salles pour que ceux-ci

 10   placent les corps dans les camions. On estime qu'il y a eu environ 147 ou

 11   180 meurtres ce jour-là, et environ 50 personnes grièvement blessées.

 12   Nombre de ces corps blessés ont simplement été déchargés au sommet de la

 13   pile des cadavres et emmenés avec eux. Aucun de ces hommes n'a été revu

 14   par la suite.

 15   Mais ce n'est pas la fin de cet épisode obscène. Le lendemain matin, le 25

 16   juillet 1992, l'accusé Sikirica affirmant que ce massacre était une

 17   réaction à une tentative d'évasion de détenus dans la salle 3, a ordonné

 18   que soient sélectionnés 25 survivants qui devaient être alignés devant la

 19   salle. C'est à ce moment-là qu'on leur a dit de s'allonger sur le ventre,

 20   dans l'herbe. C'est alors que Sikirica a lui-même tué, assassiné au moins

 21   l'un de ces prisonniers. Il était présent lorsqu'il a participé à

 22   l'exécution de sang froid du reste d'entre eux. Ce second massacre s'est

 23   produit le 25 juillet, le jour qui a suivi le massacre de la salle 3.

 24   Quel est le rôle joué par Kolundzija dans le massacre de la salle 3?

 25   Une des questions principales qui se poseront à vous, Messieurs les Juges,


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  1   c'est de savoir dans quelle mesure Kolundzija a participé à ce massacre.

  2   Le fait qu'il y a eu massacre ne vous posera aucune difficulté au niveau

  3   de l'administration de la preuve, puisque ces moyens de preuve seront plus

  4   que convaincants.

  5   Le fait que ce massacre se soit produit au cours de l'équipe de Kolundzija

  6   ne posera pas de problèmes non plus. Et je ne pense pas d'ailleurs que

  7   l'accusé contestera ce fait. Ce qu'il vous faudra déterminer, c'est le

  8   rôle précis joué par Kolundzija au moment même du massacre.

  9   La raison pour laquelle je mets cette question en exergue dans ma

 10   déclaration liminaire, est qu'au cours de la présentation des moyens à

 11   charge, vous entendrez beaucoup de témoins donner des témoignages

 12   quelquefois conflictuels ou contradictoires quant au rôle joué par

 13   Kolundzija, cette nuit-là. Il vous incombera à vous, Messieurs les Juges,

 14   de trancher.

 15   Certains témoins vous diront que Kolundzija, on l'a entendu crier à

 16   l'intention des soldats afin qu'ils arrêtent de tirer. D'autres vous

 17   diront qu'il a dit de ne pas tirer dans les salles 1 et 2 "parce que les

 18   personnes qui s'y trouvaient étaient innocentes" aurait-il dit. D'autres

 19   encore vous diront qu'ils l'ont entendu dire de ne pas tirer sur les

 20   salles 1 et 2 parce que s'y trouvaient des personnes de Prijedor qui

 21   avaient déjà été interrogées.

 22   D'après d'autres témoins, Kolundzija était présent au moment où les nids

 23   de mitrailleuses ont été installés devant la salle 3. D'autres encore

 24   disent que c'est lui qui a donné l'ordre de former un demi-cercle à un

 25   endroit précis devant la salle 3.


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  1   Un autre témoin vous dira, lui, que Kole a dit: "Ne tire pas sur les

  2   autres salles! Tu sais très bien où il faut tirer". Si vous retenez ce

  3   dernier témoignage, Dragan Kolundzija surnommé "Kole" encourt la

  4   responsabilité en tant que commandant d'équipe puisqu'il était présent à

  5   l'un des pires massacres commis au cours de ce conflit en Bosnie.

  6   Alors, qu'est-ce qui a été dit ce jour-là exactement par Kolundzija? Il

  7   n'est pas facile de l'établir, mais c'est à vous de juger, Messieurs les

  8   Juges. Ce qui sera assez clair, c'est l'essentiel, la quintessence de ce

  9   qu'il avait dit à ce moment-là. Il a dit aux gens de tirer, mais de ne pas

 10   tirer sur les salles 1 et 2. Vous conclurez peut-être, des témoignages

 11   entendus, qu'il se trouvait debout devant ces salles et avait essayé de

 12   plaider pour que les tirs de mitrailleuses s'arrêtent.

 13   Mais vous conclurez peut-être aussi, à partir de ces mêmes moyens de

 14   preuve, que ce qui l'intéressait ou le préoccupait, c'étaient les

 15   personnes innocentes dans les salles 1 et 2, mais pas les autres personnes

 16   qui se trouvaient dans la salle 3.

 17   Un autre témoin vous dira que Dosen lui a dit après le massacre que –je

 18   cite: "tous les prisonniers de Keraterm devaient être tués cette nuit-là.

 19   Mais grâce à Kole et à Dieu, ça ne s'était pas produit". Fin de citation.

 20   Cependant, ces éléments de preuve il faut les prendre en compte en même

 21   temps que d'autres éléments. N'oublions pas que les prisonniers de la

 22   salle 3 avaient été ciblés pour faire l'objet d'un traitement particulier

 23   depuis leur arrivée. Pourquoi? Parce qu'ils venaient de la région de Brdo,

 24   et les gens de cette région étaient qualifiés d'extrémistes parce qu'ils

 25   venaient d'une région où il y avait eu une résistance armée à l'avance des


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  1   Serbes. Par conséquent, des préparatifs particuliers avaient été mis au

  2   point pour leur arrivée au camp de Keraterm.

  3   Juste avant leur arrivée, les détenus qui se trouvaient, à ce moment-là,

  4   encore dans la salle 3 ont tous été enlevés de la salle et entassés dans

  5   les autres. Et lorsque les prisonniers de la région de Brdon, notamment

  6   des villages de Carakovo, Biscani et Hambarine sont arrivés de la région

  7   vers le 20 juillet 1992, ils ont été soumis à un traitement

  8   particulièrement cruel. A leur arrivée, ils étaient forcés de

  9   s'agenouiller sous le soleil implacable et sans eau. Ils n'ont pas reçu de

 10   nourriture ni d'eau pendant plusieurs jours, n'ont pas été autorisés à

 11   sortir pour prendre une bouffée d'air frais. Ils ont été enfermés dans cet

 12   air irrespirable pendant des jours. Avec le roulement des équipes qu'il y

 13   avait, puisqu'il y avait trois équipes à Keraterm, Kolundzija devait

 14   inévitablement s'être trouvé au commandement d'une des équipes au cours de

 15   ces journées-là et au moment où ces mauvais traitements ont été infligés à

 16   ces détenus.

 17   Il faut penser aussi, en ce qui concerne la nuit du 24 juillet 1992 et le

 18   massacre de la salle 3, qu'il y a d'autres éléments de preuves qui vous

 19   montreront la participation de Kolundzija.

 20   Et même si je m'attends à ce que certains disent que les choses allaient

 21   mieux pendant son équipe, sa pause, ne vous trompez pas, ne vous méprenez

 22   pas. Même pendant son équipe à lui, la vie était horrible pour les

 23   prisonniers, les conditions étaient épouvantables. Il se peut qu'il y ait

 24   eu un peu moins de passages à tabac, mais il y en a quand même eu. Mis à

 25   part le massacre de la salle 3, il se peut qu'il y ait eu moins de morts


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  1   pendant sa pause, mais il y en a quand même eu. Il se peut que les

  2   prisonniers aient préféré son équipe, mais si l'on compare deux maux, il

  3   reste du mal, même si l'un est un peu moins mauvais que l'autre.

  4   Quelle que soient les conclusions que vous tirerez, s'agissant des

  5   éléments à décharge concernant Kole ou Kolundzija, que vous entendrez

  6   pendant toute la présentation des preuves, ou pour ce qui est du rôle

  7   qu'il a joué ou qu'il n'a pas joué dans le massacre de la salle 3, vous

  8   verrez qu'il est, de toute façon, coupable de persécution.

  9   Si vous estimez qu'il a effectivement amélioré les conditions de certains

 10   prisonniers, il ne l'a pas fait pour tous. Il avait des préférés, des

 11   favoris. Il a permis que certains bénéficient d'un meilleur traitement

 12   alors qu'un traitement horrible était infligé à d'autres.

 13   Le fait qu'il ait permis à certains de bénéficier de meilleures

 14   conditions, montre simplement qu'il avait le pouvoir de modifier les

 15   conditions qui prévalaient dans le camp mais il a décidé de ne pas le

 16   faire. Alors qu'il savait que les choses étaient mauvaises à Keraterm, il

 17   a accepté une promotion pour passer de garde à commandant d'équipe. Et

 18   vous verrez qu'il a eu l'occasion d'accorder des privilèges à certains

 19   prisonniers. Certains viendront vous le dire. Mais on peut dire que, de

 20   toute façon, d'autre part il n'a pas toujours fait preuve de magnanimité.

 21   Tous les prisonniers ont souffert même si certains ont bénéficié de l'aide

 22   de Kole. Mais il aurait pu et il aurait dû faire davantage pour les autres

 23   prisonniers. Le fait qu'il ne l'ait pas fait, le rend coupable de

 24   persécution.

 25   Mais, Messieurs les Juges, tous les témoins n'auront pas que des bonnes


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  1   paroles à dire à propos de Kole, puisque les passages à tabac étaient

  2   quelque chose de routinier à Keraterm. Les commandants d'équipe, dont

  3   Kolundzija, étaient présents à ces passages à tabac. Certains prisonniers

  4   l'ont vu ou l'ont entendu faire sortir des prisonniers. Et lorsque ces

  5   hommes revenaient, ils étaient couvert de coups, ensanglantés.

  6   Quelquefois, après que des personnes aient été battues à tabac, Kolundzija

  7   demandait aux gardes pourquoi ils avaient agi ainsi mais personne n'a

  8   jamais été puni ou démis de ses fonctions pour ce qu'il avait fait.

  9   Et même si certains vous diront qu'il y avait moins de passages à tabac

 10   quand il était au commandement, les conditions qui prévalaient étaient

 11   tout aussi terribles que dans les autres équipes.

 12   Beaucoup de témoins vous diront qu'à quatre occasions au moins, Kole était

 13   là lorsqu'ils ont été battus à coups de barre de fer, de crosse de fusil,

 14   de batte, de planche ou de matraque.

 15   Il y a un incident où Kole a ordonné à un prisonnier de sortir, et puis on

 16   a entendu deux coups de feu. Un autre dira qu'il a été battu par

 17   Kolundzija avec un bâton. Il affirme qu'il a été battu qu'avec deux autres

 18   prisonniers, il a été battu par Kolundzija jusqu'à perdre conscience.

 19   D'autres viendront vous dire que Kolundzija était présent aussi lorsque

 20   les frères Banovic et un garde appelé Grujin frappaient les prisonniers

 21   pendant qu'ils mangeaient.

 22   Tous ces éléments de preuve vous porteront à prendre une décision quant

 23   aux faits à retenir. Et nous croyons qu'il ne restera plus aucun doute

 24   dans votre esprit. Vous serez convaincu que l'accusé Dragan Kolundzija est

 25   coupable en vertu à la fois du 7.1 et du 7.2 pour la conduite des hommes


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  1   se trouvant sous son commandement, pour les différents crimes de

  2   persécution visés par l'Article 5 du Statut ainsi que pour les outrages à

  3   la dignité de la personne, violation des lois et coutumes de guerre, en

  4   vertu de l'Article 3 du Statut.

  5   Il me reste une dizaine de minutes à peu près, Monsieur le Président. Je

  6   vais commencer à parler de la clôture, de la fermeture des camps.

  7   Alors, à vous de décider: est-ce que je poursuis ou est-ce que nous

  8   procédons à une brève pause?

  9   M. le Président (interprétation): Je pense que nous allons faire une pause

 10   maintenant et nous reprendrons à midi.

 11   M. Ryneveld (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

 12   (La séance, suspendue à 11 heures 35, est reprise à 12 heures 05.)

 13   M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Ryneveld?

 14   M. Ryneveld (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

 15   Comme je vous l'ai annoncé avant la pause, j'aimerais maintenant parler de

 16   la fermeture du camp. Comme je l'ai dit d'emblée, c'est seulement au

 17   moment où les médias ont réussi à se frayer un passage jusque dans la

 18   région de Prijedor et ont pu filmer les camps que les autorités serbes de

 19   Bosnie ont été forcées à fermer ces camps.

 20   Des journalistes bien connus comme Edward Vulliamy qui a, par la suite,

 21   écrit un livre "Les saisons en enfer", et Penny Marshall et son équipe de

 22   télévision qui ont été dans certains camps de détention de la région de

 23   Prijedor. Ce sont ces journalistes donc qui sont indirectement

 24   responsables de la fermeture du camp de Keraterm et d'Omarska et de

 25   Trnopolje.


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  1   Vous avez déjà vu un extrait assez bref bien connu depuis de ce camp de

  2   Trnopolje. Le filmage a pu se réaliser parce que des journalistes

  3   occidentaux, qui avaient demandé à avoir accès à Prijedor, ont finalement

  4   reçu la permission de le faire par M. Karadzic. En vue de cette visite,

  5   les autorités ont décidé de fermer le camp de Keraterm. La plupart des

  6   détenus ont été transférés à Trnopolje où les conditions, même si elles

  7   étaient exécrables, étaient un peu meilleures que celles qui prévalaient à

  8   Keraterm. Donc ces détenus ont été rassemblés à Omarska lorsque Keraterm a

  9   été fermé.

 10   Beaucoup des prisonniers que l'on a vus dans ce bref extrait de Trnopolje

 11   avaient, auparavant, été internés à Keraterm ou Omarska. Et là, on a

 12   l'impression que ces camps comme Keraterm et Omarska ont été fermés entre

 13   le 5 ou le 8 août 1992.

 14   Mais tous les prisonniers de Keraterm n'ont pas eu la chance d'être

 15   simplement transférés dans un autre camp. Vous entendrez des témoins, tels

 16   que K31, AE, K6, K30 et K13, qui vous diront que deux bus remplis de

 17   détenus qui, pour la plupart, étaient des hommes jeunes en âge de

 18   combattre…, on transportait les détenus dans un lieu isolé où ils ont été

 19   exécutés sommairement. Sikirica a fait l'appel de ces prisonniers à partir

 20   d'une liste qu'il avait. Il a présidé au transport de ces hommes.

 21   Un témoin, K42, rappelle les noms de plusieurs jeunes hommes qui ont été

 22   ainsi emmenés. Mais le sort réservé à ces malheureux hommes n'a pas été

 23   connu jusqu'au moment où des restes humains ont été trouvés empilés dans

 24   une cave à Hrastova Glavica, près du village de Podvidaca. Vous voyez,

 25   ici, cette photographie où l'on voit une pile d'os au fond de la cave.


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  1   Des rapports de témoins-experts vous montreront que la majorité des restes

  2   humains trouvés à Hrastova Glavica présente des traces de blessures par

  3   balle. Ce qui montre qu'ils ont été exécutés par armes à feu.

  4   Vous avez maintenant une photographie qui vous montre l'impact d'une balle

  5   dans un crâne.

  6   De plus, un témoin, K12 , vous dira qu'il a rencontré un des passagers qui

  7   se trouvait dans un de ces bus. C'est de cet homme qu'il a appris de

  8   quelle façon ces hommes avaient été appelés, chargés, embarqués dans deux

  9   bus et, après un détour, avaient été amenés à Omarska puis plus loin, dans

 10   une région où il y avait une caverne. Là, ils ont été abattus par des

 11   soldats armés qui les attendaient.

 12   Le témoin K12 a appris d'un survivant, Ibrahim Ferhatovic, qu'il avait été

 13   blessé à la main et était tombé dans cette caverne où il a échappé à

 14   l'attention des gardes. Ferhatovic a dit au témoin K12 qu'il connaissait

 15   le nom de certaines de ces personnes qui se trouvaient dans ces bus qui

 16   avaient été tuées.

 17   Ibrahim Ferhatovic et beaucoup des hommes dont il se souvient, se

 18   trouvaient parmi les personnes énumérées par le témoin 42.

 19   Malheureusement, Ibrahim Ferhatovic a été capturé une fois de plus par les

 20   Serbes et n'a pas survécu à cette deuxième arrestation; il ne peut pas

 21   venir vous parler de ce qu'il a vécu avant de mourir.

 22   Vous entendrez parler par d'autres témoins qui vous diront -notamment le

 23   témoin K41-, qu'après la guerre, son mari qui a été assassiné à Keraterm a

 24   été exhumé d'une tombe à Pasinac. Ses restes ont été identifiés.

 25   Un autre témoin, K36, vous donnera des détails sur la façon dont son mari,


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  1   le mari de K41 et d'autres victimes de Keraterm ont fini dans des tombes

  2   anonymes à Pasinac, ont été retrouvés soit individuellement ou en masse

  3   comme c'est le cas sur cette photographie.

  4   La photographie n'est pas très claire, du moins par sur le

  5   rétroprojecteur, mais on voit le reste visible de trois corps se trouvant

  6   dans une seule et même tombe, corps empilés les uns sur les autres. Il

  7   s'agissait de la tombe PC13.

  8   Il y a eu quelques individus qui ont échappé à ces massacres, à ces

  9   exécutions. Il y a parmi eux Emsud Garibovic, tout comme Ferhatovic -même

 10   s'il se trouvait à un autre endroit, à une date différente-, lui aussi a

 11   survécu à un tel massacre. Il a déjà déposé dans le procès Omarska. Nous

 12   en avons le compte rendu d'audience. Vous verrez que le 21 août 1992, il

 13   faisait partie d'un grand convoi de détenus, en provenance de Trnopolje,

 14   qui avaient été embarqués dans des bus qui devaient, apparemment, se

 15   rendre à Travnik. La plupart de ces jeunes hommes se trouvant dans les bus

 16   ont été séparés des autres, ont été emmenés dans un site éloigné sur le

 17   mont Vlasic, ont été alignés le long de la falaise, abattus à la

 18   mitrailleuse, et jetés dans le gouffre. Cette exécution a été commise par

 19   des officiers de police de réserve de Prijedor, la même organisation que

 20   celle à laquelle appartenaient les trois accusés dans ce procès Garibovic,

 21   ainsi que quelques autres qui ont eu de la chance ont survécu. Ils

 22   pourront vous dire ce qui leur est arrivé.

 23   Vous voyez ce qu'il se passe lorsque l'on abat des gens en groupe, à la

 24   mitrailleuse, avec des armes automatiques. Même si c'est une opération

 25   très rapide, impersonnelle et souvent efficace, cela pose un problème pour


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  1   les auteurs de ces crimes car tout le monde n'est pas tué d'un coup.

  2   Beaucoup sont gravement blessés, meurent plus tard, mais d'autres

  3   survivent dans ce tas de corps et peuvent vous dire, aujourd'hui, ce

  4   qu'ils ont vécu.

  5   Ces trois exemples tout à fait représentatifs de ce qui s'est passé dans

  6   ces trois camps, montrent qu'il y avait vraiment des rapports très bien

  7   établis entre ces camps. Les prisonniers étaient transportés de Keraterm

  8   dans les autres camps où les conditions étaient les mêmes. Il fallait

  9   organiser ces transports par bus, il y avait nécessité d'avoir un minimum

 10   d'organisation administrative. Tout ceci ne s'est pas passé par hasard, de

 11   façon isolée. Les gens étaient interrogés, triés, des listes étaient

 12   dressées, des gens étaient appelés à partir de ces listes pour faire telle

 13   ou telle chose, subir tel ou tel traitement. Certains étaient transportés

 14   vers d'autres camps. D'autres étaient assassinés, d'autres encore battus,

 15   d'autres ont été épargnés. Certains ont bénéficié d'un traitement de

 16   faveur, certains ont été embarqués dans des bus et emmenés pour faire

 17   l'objet d'exécutions massives.

 18   Cela ne s'est pas passé seulement à Keraterm mais aussi à Omarska et à

 19   Trnopolje. Tout ceci nous montre qu'il y avait un dessein plus large, un

 20   dessein commun dont faisait partie Keraterm. Chaque camp a joué le rôle

 21   qui lui était donné dans l'exécution de ce génocide général qui a été

 22   commis sur la population non-serbe de Prijedor.

 23   Vous entendrez des experts, tel le Dr. Richard Wright, professeur

 24   d'anthropologie légale, qui a préparé des rapports à la suite des

 25   exhumations de corps à Pasinac, à Prijedor, et d'une tombe commune dans le


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  1   village de Kevljani.

  2   Vous entendrez aussi le Dr. John Clark, pathologiste légal, qui vous fera

  3   état des résultats, des post mortem qu'il a exécuté avec son équipe sur

  4   des corps de Pasinac, Kevljani et Hrastava Glavica.

  5   Vous entendrez aussi le Juge Abdulmedzid Music, le Dr. Eva Klonowski, et

  6   d'autres pathologistes qui viendront vous parler de leurs résultats.

  7   Ce ne sont pas là tous les témoins qu'entend citer l'accusation. Nous

  8   pensons que, dans la totalité, vous entendrez quelques 42 témoins qui

  9   viendront à la barre.

 10   Nous avions prévu au départ 54 témoins potentiels qui devaient constituer

 11   un échantillon représentatif des différents témoignages disponibles. Les

 12   autres témoignages que nous vous présenterons seront sous forme de comptes

 13   rendus d'audience venant d'autres procès ou sous forme de rapports

 14   d'experts. Il se peut que les conseils de la défense veuillent procéder au

 15   contre-interrogatoire de certains de ces témoins.

 16   Nous avons soumis les rapports de tous ces experts aux conseils de la

 17   défense. Et puis, vous aurez aussi à examiner plusieurs classeurs de

 18   documents qui ont été classés et qui seront présentés sous forme de pièces

 19   à conviction.

 20   Nous pensons qu'à la fin du procès, vous serez convaincus que l'accusation

 21   a présenté des éléments de preuve qui vous permettront de déterminer sans

 22   aucune difficulté que chacun des accusés est responsable et coupable en

 23   vertu des charges retenues contre eux.

 24   C'étaient donc les remarques liminaires que voulait vous faire

 25   l'accusation.

 


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  1   M. le Président (interprétation): Maître Vucicevic?

  2   (Hors micro, Me Vucicevic demande s'il peut se déplacer pour être à

  3   proximité d'un micro).

  4   (Déclaration liminaire de Me Vucicevic.)

  5   M. Vucicevic (interprétation): Messieurs les Juges, chers collègues de

  6   part et d'autre du prétoire, même si ceci est un exercice difficile, j'ai

  7   le devoir et l'honneur de vous présenter le plan et la séquence des

  8   événements qui prévalaient dans l'esprit de Kolundzija, mais pas dans

  9   l'esprit des extrémistes serbes que vous a présenté M. Ryneveld.

 10   Tout d'abord, je ferai une concession. Il n'est pas contesté qu'il y ait

 11   eu des faits répréhensibles à Keraterm mais, pour sa défense, Kolundzija

 12   affirme qu'il n'a pas participé que ce soit directement, indirectement ou

 13   collectivement à ces événements.

 14   Je pense que l'accusation commet l'erreur de placer sous le chef de la

 15   responsabilité collective, Kolundzija avec les autres accusés car chaque

 16   accusé a le droit d'être examiné et jugé séparément.

 17   Pour ce qui est de la participation directe, nous pensons que les moyens

 18   de preuve apportés par les deux parties montreront que Kolundzija n'avait

 19   jamais donné l'ordre de maltraiter quelque que détenu que ce soit. Que

 20   lui-même n'a maltraité personne. Qu'il n'était pas présent au moment où

 21   des blessures ont été infligées à des détenus, des blessures qu'il aurait

 22   pu, lui, empêcher.

 23   Au contraire, nous montrerons que ces gardes avaient un bon comportement

 24   envers les détenus et que lui, personnellement, s'est bien comporté envers

 25   les détenus, et qu'il a pris toutes les mesures qu'il pouvait prendre pour


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  1   essayer d'atténuer leurs souffrances, là où c'était possible. Et aussi

  2   qu'il avait la réputation de bien se comporter envers les détenus dans le

  3   camp. Ce que savait tous les détenus.

  4   Mais j'aimerais m'arrêter un instant ici, pour présenter mon client,

  5   Dragan Kolundzija, et pour présenter aussi le contexte dans lequel s'est

  6   formé son intention, non pas l'intention délictueuse qu'il aurait eu.

  7   C'est bien ce que l'accusation veut vous faire croire. Mais pour parler de

  8   son intention à lui, personnellement, c'est un homme dont beaucoup de

  9   détenus ont dit qu'il s'était très bien comporté à Keraterm.

 10   Dragan a 41, il est marié, il a deux enfants de 14 et 16 ans. Sa

 11   formation: eh bien, il a fait l'école élémentaire et l'école

 12   professionnelle. Il n'avait pas de formation technique qu'il aurait reçue

 13   par la suite mais il a été envoyé par un officier de recrutement pour

 14   faire son service national en tant que chauffeur de camion. Et il a été

 15   montré qu'il n'avait aucune capacité en tant que meneur ou en tant que

 16   combattant.

 17   Lorsqu'il a terminé son service obligatoire, il a pris un emploi de

 18   chauffeur de camion dans une entreprise de transport gouvernementale.

 19   Avant que le conflit n'éclate, Kolundzija s'est installé à son compte, en

 20   1989, en tant que routier. Les affaires marchaient bien depuis que les

 21   chauffeurs musulmans assuraient le déménagement des familles serbes depuis

 22   la Slovénie et la Croatie en Bosnie et en Serbie.

 23   Alors que Kolundzija, lui, restait tout à fait actif dans son métier, il

 24   se déplaçait en Croatie, à partir de la Croatie, car il n'était pas comme

 25   les autres, il n'avait pas peur de se déplacer. En fait, il ne pouvait pas


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  1   prévoir ce qui allait se passer entre ces deux peuples constitutifs de la

  2   Yougoslavie. Son esprit avait été formé par des années de propagande selon

  3   laquelle Prijedor était l'étendard de l'idée yougoslave, l'exemple de la

  4   classe ouvrière en tant qu'avant garde du communisme qui pouvait réunir

  5   les citoyens et panser les plaies causées par le passé ethnique, en dépit

  6   de l'intégration de Prijedor.

  7   Le révisionnisme historique était présent de façon très forte dans les

  8   esprits torturés. Esprits des Serbes qui se souvenaient de Jasenovac, de

  9   ceux qui avaient vu ce qui s'était passé et qui transmettaient à leurs

 10   enfants et petits-enfants ce témoignage afin que les victimes, leurs

 11   parents, n'oublient pas. C'était aussi une épopée de la culture serbe qui

 12   a été transmise de génération en génération pendant l'existence du régime

 13   islamiste en Bosnie, depuis le début du XVe siècle jusqu'à la fin du XIXe

 14   siècle. Cette culture épique a préservé l'identité nationale serbe coincée

 15   entre deux empires voisins, qui envahissaient les terres serbes quand bon

 16   leur semblait.

 17   Cependant, ce qui compte le plus ici, c'est que Kolundzija -à la

 18   différence des autres- n'a jamais entendu ces histoires, ces épopées de

 19   l'héroïsme serbe parce que les parents de Kolundzija étaient de fervents

 20   partisans de l'idée communiste de la fraternité et de l'unité pour tous

 21   les peuples de Yougoslavie. Ces actes de loyauté envers ces principes,

 22   manifestés par ses parents ont fait que, par exemple, ils ont donné à leur

 23   premier enfant, une fille, le nom de Stefica, qui est un nom très croate.

 24   Leur second enfant, Dragan est né le 19 décembre 1959, le jour la Saint-

 25   Nicolas d'après le calendrier serbe. De plus, il se fait que c'était le


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  1   jour où se fêtait le saint patron de sa famille. Par conséquent, une

  2   famille traditionnelle serbe aurait donné à ce fils, comme don de Dieu, le

  3   nom de Nikola.

  4   Ses parents ont rejeté les préjugés nationalistes du passé. La religion,

  5   elle aussi, dans leur foyer était secondaire; c'était normal pour des gens

  6   qui croyaient dans le nouvel ordre de l'époque.

  7   Il a grandi chez sa tante, qui avait épousé un Musulman, parce que ses

  8   parents sont allés travailler en Allemagne dès que l'économie de Tito

  9   d'investissement équitable a échoué, entraînant une inégalité entre les

 10   gens.

 11   Dragan Kolundzija a été tout à fait intégré dans cette société

 12   multiethnique. Pendant des générations, dans sa famille, les Croates et

 13   les Musulmans étaient considérés comme des frères. S'il y avait des

 14   différences entre eux par le passé, c'était –croyait-il- uniquement à

 15   cause des convictions communistes, obsolètes qui les divisaient. La

 16   religion était à peine pratiquée en Bosnie, puisque le parti communiste

 17   qui était la force organisatrice de la société à l'époque n'acceptait pas

 18   des dissidents dogmatiques. Le salut communiste devait se faire sur terre,

 19   mais ne pouvait pas être mis en oeuvre s'il y avait d'autres formes de

 20   gouvernements dans le monde.

 21   Dans ses enseignements, le communiste est beaucoup plus extrémiste que

 22   l'islamiste, mais il donnait des avantages. Ce qui n'a fait qu'encourager

 23   à la corruption des consciences, et tout ceci s'est propagé comme un

 24   incendie.

 25   Puisque le Procureur voulait faire admettre des faits déjà établis, je


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  1   dois revenir à ces questions. Le Procureur a notamment parlé de cette

  2   notion d'une grande Serbie. Je n'en parlerai que dans la mesure où ceci

  3   peut intervenir dans le cas de Kolundzija.

  4   Le grand-père de celui-ci, Simo, est revenu des Etats-Unis, où il avait

  5   émigré au début du siècle, pour se porter à la défense de la Serbie au

  6   début de la Première guerre mondiale, lorsque la Serbie se trouvait sous

  7   l'attaque des empires austro-hongrois et allemands. Le grand-père, Simo,

  8   n'a pas seulement lutté pour la liberté de la Serbie qui se trouvait à 400

  9   kilomètres de là, mais aussi pour la liberté des autres peuples. Notamment

 10   de la Bosnie, de ses frères serbes, de foi musulmane, et aussi pour les

 11   Croates qui demandaient une unification avec la Serbie. Simo, que Dragan

 12   admirait, était aussi un exemple unique de la fierté serbe pour certains.

 13   S'il était unique, mais ce n'est pas le cas, parce qu'il y a d'autres, des

 14   Musulmans de Bosnie qui ont lutté pour une grande Serbie, pour autant bien

 15   sûr que la Chambre de première instance accepte la théorie avancée par

 16   l'accusation.

 17   Pourtant, nous pouvons réfuter tout ceci d'un trait. Par un exemple:

 18   Sukrija Kostovic, musulman de Bosnie avait étudié à Vienne, mais il s'est

 19   porté volontaire aussi cours de la Première guerre mondiale dans l'armée

 20   serbe, car il était serbe et musulman. Tout comme Alija Izetbegovic s'est

 21   déclaré lui-même serbe dans un recensement consécutif à la Deuxième guerre

 22   mondiale. Mais le frère de Sukrija Kostovic était capitaine dans un

 23   régiment de la Garde royale serbe, après avoir terminé l'académie

 24   militaire de Belgrade.

 25   Il aurait pu, lui qui était originaire de Sarajevo, partir pour Vienne,


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  1   Prague ou Budapest, pour s'y former. Il a préféré aller chez ses frères en

  2   Serbie pour y jouir de la liberté avec eux.

  3   Les frères Kurtovic sont devenus célèbres et les citoyens de Bosnie ont

  4   envoyé Sukrija à Belgrade en tant que membre du Parlement yougoslave. Il a

  5   fallu à peu près 50 ans pour se transforme de façon spontanée la région

  6   islamiste la plus radicale de l'empire ottoman. Les Serbes espéraient que

  7   les Musulmans éclairés de la région deviendraient leurs frères, comme ils

  8   l'étaient avant l'islamisation, ou du moins deviennent des voisins

  9   amicaux. Les réformes ont commencé aussi avec le sultan Mehmed II, un

 10   calife, en 1822. Et je pense que peu de gens se rappellent aujourd'hui qui

 11   s'est d'abord rebellé contre les modifications qui ont frappé tout le

 12   monde musulman.

 13   Il s'agissait, là, de seigneurs féodaux de Bosnie qui ne voulaient pas

 14   accorder les droits civiques à leur serfs de religion orthodoxe. Les

 15   seigneurs islamistes de Bosnie ont poursuivi leur insurrection pendant

 16   plus de 20 ans, mais le sultan les a finalement battus lors de la bataille

 17   de Kosovo en 1847.

 18   Cependant, le chef qui avait été battu, le capitaine Gardasevic, qui

 19   avait lutté contre les armées du sultan est devenu le deuxième martyre du

 20   Kosovo, comme l'était devenu Car Lazar, pour les Serbes, lors de la

 21   bataille de 1389. Il était devenu un héros pour ces Musulmans de Bosnie

 22   qui voulaient en fait réduire en esclavage leurs voisins, en imposant leur

 23   vision d'un Islam intolérant.

 24   Kole n'en savait rien. Le régime communiste a déformé l'Histoire, pour la

 25   plier à ses besoins idéologiques. Ce qui veut dire que ni dans les livres


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  1   scolaire ni dans le discours de la société, il n'y avait un gramme

  2   d'histoire relative à l'islamisation.

  3   Au cours de deux périodes de démocratie, l'islamisme de Bosnie a connu une

  4   résurrection rapide. Après la Première Guerre mondiale, Sukrija a dit ceci

  5   dans un discours au Parlement, en s'exprimant de façon très critique à

  6   l'égard d'un congénère de Bosnie pour son hypocrisie. Il critiquait, en

  7   l'occurrence, M. Mohamed Sparo, qui était dirigeant de l'organisation

  8   musulmane yougoslave. Il a dit ceci: "Monsieur Mohamed Sparo demande aux

  9   autres citoyens de Bosnie-Herzégovine d'oublier la détermination

 10   religieuse des conflits historiques, alors que tout ce qu'il fait, lui, et

 11   les personnes qui le suivent, contribue à exacerber les divisions basées

 12   sur la religion pour essayer de nous faire remémorer les événements du

 13   passé, ce qui va entraîner des conflits, parce que des programmes de haine

 14   ont entraîné nos ancêtres à des conflits sanglants. Ceci ne pourra que se

 15   poursuivre si un parti politique utilise des raisons religieuses, alors

 16   que d'autres ont été décapités et tués pour des raisons religieuses".

 17   Ces mêmes conclusions sur la cause des guerres de civilisation, sur ces

 18   failles, qui divisent les civilisations ont été exprimées par le Pr.

 19   Samuel Huntington, dans le livre qu'il a intitulé "L'affrontement des

 20   civilisations et la confection d'un nouvel ordre mondial", ouvrage publié

 21   en 1996, et dont je vais demander qu'il soit posé sur le rétroprojecteur,

 22   du moins sa première page.

 23   Je vais ici vous faire une citation de la page 262, ceci sera versé au

 24   dossier par la suite: "Les premières élections démocratiques réalisées

 25   dans pratiquement toutes les républiques de l'ancienne Union Soviétique et


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  1   l'ancienne Yougoslavie ont été gagnées par des dirigeants politiques qui

  2   faisaient appel aux sentiments nationalistes…".

  3   M. le Président (interprétation): Pourriez-vous parler plus lentement?

  4   M. Vucicevic (interprétation): "… qui faisaient appel aux sentiments

  5   nationalistes et qui essayaient d'utiliser les failles géo-ethniques pour

  6   diviser les populations". Cette citation a fait l'objet de commentaires de

  7   la part de personnes éminentes, telles que Henry Kissinger, qui a ceci:

  8   "Sir Huntington est l'un des spécialistes des sciences politiques les plus

  9   éminents à l'ouest. Il nous présente un cadre tout à fait intéressant pour

 10   mieux comprendre les réalités globales de la politique du prochain

 11   siècle".

 12   Mais M. Fikret Abdic, qui est apparu le vainqueur des premières élections

 13   démocratiques et le dirigeant de la branche séculaire des Musulmans de

 14   Bosnie, au cours des élections de décembre 1992, s'est vu nier sa

 15   victoire. Nous allons vous expliquer dans quelles conditions ceci s'est

 16   produit. Et qui est devenu le président à la place de M. Abdic? Un homme

 17   qui ne pourrait mieux être décrit que par l'ouvrage qu'il a lui-même

 18   réalisé. Il avait dit que ces hommes deviendraient des citoyens sans

 19   droit, si Izetbegovic réussissait à islamiser l'Etat de Bosnie.

 20   Cependant, comme nous allons vous le présenter, la Bosnie constituait une

 21   exception à cette règle qui fait qu'il y a des guerres de civilisation sur

 22   les lignes de faille géo-ethniques. Les "civilisations", comme les désigne

 23   M. Huntington, se divisent en cultures occidentale, orientale, orthodoxe

 24   et musulmane. Ici, il fait part d'avis qui étaient bien acceptés, à la fin

 25   des années 80, et au début des années 90, selon lesquels les affrontements


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  1   les plus sanglants se produisaient le long de ces lignes de failles qui

  2   divisent les différentes civilisations.

  3   Est-ce que je peux vous soumettre une autre photographie?

  4   Vous avez ici la carte de l'Europe avec, en hachurée, une ligne qui part

  5   de la mer du Nord jusqu'à l'Adriatique. Et où cette faille présente le

  6   plus de méandres? C'est là que vous trouverez les conflits ethniques. Et

  7   c'est là qu'il y aura les tremblements de terres les plus forts. Vous

  8   trouvez sur cette ligne Prijedor et vous y trouvez aussi Bihac. Si vous me

  9   le permettez, je m'approcherai du rétroprojecteur. Voici où se trouve

 10   Prijedor. Ici, se trouve Bihac. C'était une enclave où M. Abdic, et

 11   d'après les historiens, vivait un peu à l'extérieur de cette ligne de

 12   faille.

 13   M. le Président (interprétation): (Hors micro)

 14   M. Vucicevic (interprétation): Cette ligne, vous la voyez sur cette carte

 15   qui a été publiée pour la première fois dans le journal des Affaires

 16   étrangères en 1990, avant l'éclatement du conflit en Bosnie. Je demanderai

 17   l'admission de cette pièce à un stade ultérieur du procès.

 18   Je vous le disais, la Bosnie constitue une exception à cette règle qui

 19   veut que les civilisations se divisent suivant les failles que l'on y

 20   trouve. Les élections n'ont pas abouti à la guerre, mais c'est plutôt la

 21   tromperie que l'on a fait de la volonté du peuple. C'est un acte

 22   d'intervention, d'immixtion religieuse dans la politique, contre lequel

 23   Kurtovic a mis en garde à l'époque.

 24   L'expérience sociale de la Bosnie était un succès, était vouée à l'essor

 25   mais, du fait de l'immixtion des pouvoirs régionaux, des problèmes se sont


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  1   posés.

  2   Les Occidentaux, en Europe, avaient leur démagogie habituelle. D'après

  3   eux, la Yougoslavie était morte, était vouée à l'échec dès le départ,

  4   puisqu'elle comprenait des Serbes, des Croates, des Musulmans, alors que

  5   la Bosnie devait être reconnue comme étant un Etat indépendant, qu'il

  6   fallait attacher à un même groupe indivisible ou incompatible.

  7   Mais il y a toujours des intérêts à faire preuve d'une attitude hypocrite.

  8   En Yougoslavie, les Serbes constituaient la majorité, alors qu'en Bosnie

  9   ils étaient une minorité. Après le congrès de Berlin, après les diverses

 10   guerres qui ont frappé la région, la Bosnie a été placée sous le tutorat

 11   de l'empire austro-hongrois. Après la guerre, il y a eu un regain

 12   d'islamisme, et ce sont les nations les plus radicales qui ont contribué à

 13   la guerre.

 14   Je crois qu'il serait utile que nous examinions ce qu'a fait, il y a

 15   quelques jours, la nation extrémiste islamiste, la plus extrémistes du

 16   monde. Certains des hauts lieux de la civilisation mondiale ont été

 17   plastiqués. Les Serbes ont, dans leur histoire, des événements qui sont

 18   tous aussi choquants, et je voudrais que vous vous en souveniez. Je ne

 19   vais pas entrer dans les détails dès maintenant, mais les Serbes ont connu

 20   ces événements -même si le monde ne le savait pas.

 21   Comme l'a dit l'accusation, je conviendrai avec elle pour dire qu'en 1992,

 22   ce sont des régions où habitaient surtout les Serbes qui ont fait

 23   sécession de la Bosnie. Pendant les années 70, et pendant les années 80,

 24   c'était le sujet politique le plus abordé. C'était une époque aussi où

 25   beaucoup de peuples de par le monde se sont libérés, se sont émancipés du


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  1   régime colonial.

  2   Ce qui a motivé les Serbes, c'est qu'ils ne voulaient pas vivre sous

  3   l'empire de la charria, et ne voulaient pas être soumis à ces Musulmans

  4   extrémistes qui allaient mener une Guerre sainte, la Jihad, contre leurs

  5   voisins. C'est ce que vous dira un homme, un Musulman, qui vous dit que

  6   c'est la raison pour laquelle il a pris les armes pour lutter contre

  7   l'islamisme extrémiste de Bosnie. C'est un fait qu'il y a eu un autre

  8   combat, pas seulement un combat entre les Serbes et l'Islam extrémiste,

  9   mais il y a eu une guerre civile entre deux différents groupes de l'Islam

 10   en Bosnie: les intolérants et les séculaires.

 11   Mais revenons à Prijedor. Prijedor était une oasis de tolérance jusqu'au

 12   moment où les premiers coups ont été tirés. Le tremblement de terre, le

 13   séisme qui s'en est suivi, s'est produit parce que nous voyons qu'il y a,

 14   en fait, un croisement de ces lignes de faille à Prijedor. Et les premiers

 15   coups qui ont été tirés à Prijedor, auxquels personne ne s'attendait, ont

 16   inspiré la peur, ont jeté la peur sur Prijedor du jour au lendemain.

 17   Le Procureur vous dira que tous ces actes et leurs conséquences

 18   abominables apportent la preuve de l'existence d'un plan de persécution

 19   ciblant tous les Musulmans de la région. Cependant, je me permets de faire

 20   valoir que cette hypothèse n'est qu'une fabrication.

 21   A titre d'illustration, je vais vous parler de la réinstallation de

 22   Japonais de souche qui étaient des citoyens américains et qui ont été

 23   réinstallés. On leur avait enlevé leur nationalité sans autre forme de

 24   procès. Tous ces Japonais ont été réinstallés.

 25   La peur n'était pas quelque chose d'étranger au Président Franklin


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  1   Roosevelt. Ce fut l'homme qui a sorti ce pays de sa grande dépression.

  2   Dans son discours d'ouverture, il a demandé à la nation de surmonter la

  3   peur car, selon lui, il n'y avait rien à craindre, il n'y avait qu'à

  4   craindre la peur elle-même.

  5   Cependant, lui et sa nation, ma nouvelle nation, ont cédé à des peurs

  6   irrationnelles de voir une invasion japonaise imminente. Et effectivement,

  7   ils ont insufflé la peur à toute une nation du jour au lendemain. Ces

  8   actes d'invasion qui se passaient à 16.000 kilomètres de là sans qu'un

  9   coup de feu soit tiré, ont donné peur à toute une nation du jour au

 10   lendemain.

 11   Je vais vous demander d'examiner un bref extrait d'un documentaire qui se

 12   trouve sur un site public, qui parle de la détresse subie par des

 13   Américains d'origine japonaise. Ceci a été montré par l'Association

 14   nationale de la télévision publique et de l'éducation publique aux

 15   libertés civiles. Ce film a été primé, notamment au festival du film

 16   internationale de Vermont et à celui de Luis Obispo.

 17   M. May (interprétation): Quel l'intérêt de ceci dans le cadre du procès?

 18   M. Vucicevic (interprétation): Eh bien, son intérêt réside dans le fait

 19   que ce documentaire va vous montrer comment, dans une société, des mêmes

 20   événements peuvent insuffler une telle peur, qu'une nation aura peut-être

 21   une même réaction dans des circonstances analogues sans qu'il y ait

 22   prémédication, sans qu'il y ait de plan.

 23   C'est vrai lorsque les événements se produisent inopinément et que tout se

 24   produit sans qu'il y ait une intention délictueuse, sinon refaire une

 25   analogie avec un crime d'ordre commun, les conséquences ne signifient pas


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  1   pour autant qu'il y a eu planification ou prémédication.

  2   Même le Président Roosevelt a demandé ces camps de concentration. Cet

  3   extrait montrera que les gens qui étaient concernés avaient été rassurés.

  4   On leur avait dit qu'ils allaient être réinstallés dans des communautés.

  5   Pourtant, leurs biens ont été confisqués et les hommes en âge de combattre

  6   ont été obligés de se porter volontaires dans l'armée. S'il s'y

  7   opposaient, ils étaient emmenés dans le camp de concentration de Mash,

  8   camp de haute sécurité où ils étaient tabassés, camp dans lequel il y

  9   avait des miradors et des chars tout autour.

 10   Je ne suis pas ici pour vous dire que ma nouvelle nation n'a jamais eu

 11   l'intention d'infliger des souffrances, qu'elle n'a jamais planifié de le

 12   faire, mais la peur avait poussé le Président à commettre quelque chose

 13   qui était anticonstitutionnel.

 14   Et tous ceux qui ont ainsi agi, ont insufflé de grandes souffrances, et

 15   certains crimes. Ma nouvelle nation l'a montré au monde entier, et je ne

 16   fais que laisser entendre qu'il vous serait utile de voir ce que peut

 17   occasionner la peur. Je crois que j'ai le devoir ici de vous montrer le

 18   Président…

 19   M. le Président (interprétation): Maître Vucicevic, vous pouvez

 20   poursuivre, mais je ne sais pas quelle est votre intention. Montrez cet

 21   extrait.

 22   (Diffusion de l'extrait)

 23   M. Vucicevic (interprétation): Je ne vais pas faire de commentaire,

 24   puisque nous pouvons entendre le commentaire.

 25   (Diffusion de la vidéo)


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  1   M. le Président (interprétation): Est-ce que cela va durer encore

  2   longtemps?

  3   M. Vucicevic (interprétation): Encore une minute.

  4   M. le Président (interprétation): Très bien, encore une minute.

  5   M. Vucicevic (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Messieurs les

  6   Juges, de m'avoir permis de partager cela avec vous.

  7   Cependant, en ce qui concerne mon client, Kolundzija, il n'avait pas peur

  8   de ses voisins. Visiblement, il considérait que la guerre civile n'allait

  9   jamais avoir lieu et pendant qu'il travaillait, son camion était l'un des

 10   derniers qui a traversé la rivière de Sava pour venir de Croatie en

 11   Bosnie, avant l'explosion et la destruction du pont provoqué par les

 12   Croates. Quelques jours plus tard, il a répondu à l'appel de la JNA,

 13   l'armée populaire yougoslave, croyant que la JNA allait soutenir la

 14   Yougoslavie unifiée. Il a réalisé que, ce jour-là, le SDA, le parti

 15   d'action démocratique, à Prijedor, avait organisé un grand ralliement à la

 16   place publique, en donnant des instructions aux Musulmans de ne pas

 17   répondre à l'appel.

 18   Un bon ami de Kolundzija, un chauffeur qui travaillait dans la même

 19   société, n'a pas répondu à l'appel, à la mobilisation. Cependant, deux

 20   jours plus tard, il est venu à l'unité, et il a fait le commentaire

 21   suivant: "Je suis allé au rassemblement pour voir ce que mon peuple

 22   pensait. Ceci m'a rendu perplexe et je me suis donc décidé, finalement, et

 23   je rejoins les rangs de l'armée".

 24   Il a été accueilli par tous les autres soldats qui l'entouraient, y

 25   compris Kolundzija. Quelques jours plus tard, Kole et son ami sont venus à


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  1   Prijedor, afin d'effectuer une tâche et conduire un camion militaire, et

  2   ils se sont arrêtés devant leur association. Deux autres Musulmans, qui

  3   étaient chauffeurs eux aussi dans la même société, n'ont rien dit à Kole,

  4   mais ils juraient, ils proféraient des jurons contre son ami, en disant…

  5   Il faut savoir tout d'abord, qu'à l'époque, M. Kadijevic était le chef de

  6   l'état-major de l'armée populaire yougoslave. Cette conversation s'est

  7   déroulée ainsi: "Kadijevic, (je ne vous dis pas le reste...) pourquoi as-

  8   tu mis cette uniforme?". Kole a ri, alors que son ami a dit: "Mais moi, à

  9   son retour, je serai Kadijevic". Kole a pensé qu'il s'agissait d'une

 10   plaisanterie sans importance et il a continué à penser que ce genre de

 11   dispute politique entre les Musulmans tolérants et extrémistes n'allait

 12   jamais devenir un problème à Prijedor, si la sécession était empêchée

 13   ailleurs.

 14   Après son retour de Croatie, où Kole n'était qu'un chauffeur, et où il

 15   n'est jamais venu à plus de deux kilomètres de la ligne de front, il a

 16   repris son travail de chauffeur de temps en temps, et il obtenait des

 17   informations uniquement en regardant le Jutel, une station de télévision

 18   dont le siège se trouvait à Sarajevo qui était gérée par un Croate

 19   d'orientation pro yougoslave. Donc Kolundzija n'a jamais pensé que la

 20   guerre allait éclater à Prijedor.

 21   Cependant, par la suite, il a été affecté à une unité de la police de

 22   réserve afin d'assurer la sécurité de tous les civils. Ceci s'est produit

 23   vers la fin du mois d'avril 1992. Après la prise de pouvoir des Serbes à

 24   Prijedor, rien d'important ne s'est passé en ce qui concerne la vie de

 25   Kolundzija qui assurait la sécurité et montait la garde devant les


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  1   bâtiments publics. Il n'a jamais pensé que Keraterm allait devenir quoi

  2   que ce soit d'autre qu'une usine de céramique. Cependant, suite aux ordres

  3   reçus, il s'est retrouvé au poste de garde des détenus dans cette même

  4   usine, le matin du 3 juin.

  5   A l'époque, ceci s'appelait "le centre de détention", ce sont les

  6   policiers serbes qui l'appelaient ainsi. Ce centre de détention était déjà

  7   créé et gardé par les militaires. Les militaires continuaient à assurer la

  8   sécurité et à monter la garde pendant la nuit.

  9   Kolundzija, au cours du mois de juin, était un garde ordinaire qui posait

 10   des questions à l'égard du mauvais traitement infligé aux prisonniers. Il

 11   posait des questions auprès de son commandant, M. Knezevic. Il n'arrêtait

 12   pas de protester et de dire que ceci devait s'arrêter: à la fois Keraterm

 13   et son affectation là-dedans. La réponse était la suivante: "Dans trois ou

 14   quatre jours, tout ceci sera terminé". Il le croyait puisqu'il considérait

 15   que son commandant lui donnait des réponses sincères.

 16   Peut-être qu'aujourd'hui vous pouvez trouver qu'il ne s'agissait pas de

 17   réponses sincères. Cependant, je vais montrer des moyens de preuve que

 18   j'ai obtenus récemment -conformément à la demande qui vous a été soumise

 19   auparavant-, informant cette Chambre de première instance du fait que ces

 20   documents ont été trouvés par notre équipe de la défense. Il s'agit-là de

 21   documents qui prouvent que les autorités serbes en charge de la Krajina

 22   ont divulgué à la communauté internationale l'existence des prisons et des

 23   prisonniers, sept jours après leur établissement et trois jours après le

 24   début du service de Kolundzija. Ils ont donc informé la communauté

 25   internationale et les fonctionnaires les plus élevés, militaires et


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  1   civils, de la communauté internationale sur le territoire de la

  2   Yougoslavie.

  3   Ils ont demandé des médicaments et de la nourriture, de même que la

  4   création de convois pour aller à Banja Luka et à la Krajina, puisque les

  5   Serbes manquaient de nourriture et leur réserve n'allait pas durer pendant

  6   plus de quelques jours.

  7   M. le Président (interprétation): Maître Vucicevic, il est presque 13

  8   heures. Il est donc temps de procéder à une pause. Avez-vous besoin

  9   d'encore longtemps?

 10   M. Vucicevic (interprétation): Je ne pensais pas que j'aurais besoin d'une

 11   heure 45 ou de 45 minutes. Mais après la déclaration liminaire du

 12   Procureur, j'ai dû ajouter un certain nombre de points. Donc j'aurais

 13   besoin d'environ quinze minutes de plus et je préfère poursuivre après la

 14   pause.

 15   M. le Président (interprétation): Très bien.

 16   M. Vucicevic (interprétation): Merci beaucoup, Monsieur le Président.

 17   M. le Président (interprétation): Cet après-midi, nous allons reprendre à

 18   14 heures 30.

 19   Après la fin de la présentation de Me Vucicevic, je vais traiter d'un

 20   certain nombre de sujets administratifs avant d'entendre les premiers

 21   témoins.

 22   Cependant, un point inquiète la Chambre de première instance. Je souhaite

 23   en parler brièvement dès maintenant. L'accusé Sikirica base sa défense sur

 24   l'alibi, il affirme n'avoir pas été là-bas au moment des faits. Le

 25   Procureur fera venir les témoins qui diront le contraire.


Page 531

  1   En ce qui nous concerne et d'après ce que nous pouvons constater, l'accusé

  2   Sikirica n'a pas été identifié auparavant par ces témoins-là. S'agissant

  3   de son identification en tant que personne qui a commis les crimes, il

  4   s'agit-là bien sûr d'un point extrêmement important, voire crucial. Donc

  5   ce qui se produira probablement au moment de l'arrivée des témoins de

  6   l'accusation, ces témoins-là vont l'identifier. Or, une telle

  7   identification pose des dangers bien connus.

  8   Je souhaite que les deux parties se préparent afin de présenter leurs

  9   arguments à ce sujet-là, devant cette Chambre.

 10   Oui, Maître Greaves?

 11   M. Greaves (interprétation): J'allais justement en parler, j'allais

 12   justement annoncer le fait que je souhaitais soumettre une demande

 13   concernant justement ce sujet-là. Mais peut-être qu'il faudrait mieux en

 14   parler par la suite, et procéder par le biais des argumentations des deux

 15   parties. J'allais, de toute façon, en parler avant l'arrivée des premiers

 16   témoins cet après-midi. Je suis sûr que Me Ryneveld en est conscient,

 17   puisque je l'ai averti de cela.

 18   M. le Président (interprétation): Merci beaucoup. Nous en tiendrons compte

 19   et nous en parlerons cet après-midi. Nous allons procéder à une pause

 20   maintenant et reprendre à 14 heures 30.

 21   (L'audience, suspendue à 13 heures 05, est reprise à 14 heures 35.)

 22   M. le Président (interprétation): Monsieur Vucicevic, je pense que vous

 23   vous approchiez de la fin de votre déclaration liminaire?

 24   M. Vucicevic (interprétation): Permettez-moi de poursuivre.

 25   Comme je l'ai dit avant la pause, la défense de Kolundzija possède un


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  1   document qui décrit une réunion qui a eu lieu à Belgrade, le 7 juin 1992.

  2   Réunion lors de laquelle M. Alexander Buha, qui était le ministre dans le

  3   gouvernement des autorités serbes, a assisté à la réunion de même que M.

  4   Kraljia du gouvernement de la Krajina.

  5   A ce moment-là, ils ont informé les plus hautes autorités des Nations

  6   Unies en Yougoslavie de l'existence des détenus. Ils se sont montrés prêts

  7   à les échanger contre les prisonniers détenus par le gouvernement de la

  8   Bosnie-Herzégovine. Mais ils ont reçu la réponse selon laquelle l'autre

  9   partie n'était pas intéressée à l'échange des prisonniers, mais seulement

 10   à échanger les prisonniers serbes pour des armes et des munitions.

 11   Ensuite, les autorités serbes ont demandé que la Croix-Rouge

 12   internationale soit informée. Je pense que ceci va à l'encontre des

 13   affirmations présentées par le Procureur dans sa déclaration liminaire. De

 14   même, M. Vulliamy, qui a déposé en tant que témoin de l'accusation, a

 15   écrit dans un de ses nombreux articles que les organisations

 16   internationales savaient, dès le début, que ces camps-là existaient. Deux

 17   mois plus tard, lui-même a fait un rapport à ce sujet-là. Cependant, rien

 18   n'a été fait.

 19   La raison pour laquelle j'évoque cela, c'est pour prouver qu'il n'y avait

 20   aucune intention de blesser ou de faire du mal aux détenus au moment de

 21   l'établissement des camps.

 22   Vers la mi-juillet 1992, les choses se sont détériorées sans que

 23   Kolundzija sache pourquoi. Tout ce qu'il sait, c'est qu'un grand groupe de

 24   prisonniers a été amené un après-midi. Il a refusé de les admettre

 25   puisqu'il y avait trop de monde dans le complexe. Il savait à quoi


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  1   ressemblaient les conditions qui prévalaient dans le camp et il ne

  2   souhaitait pas aggraver la situation. Il était conscient du fait qu'à

  3   l'endroit où, avant, se trouvaient les dalles, maintenant on employait des

  4   cartons au lieu de lits.

  5   Cependant, dans la pièce 3 étaient détenus les Serbes qui étaient

  6   soupçonnés d'avoir commis un certain nombre de crimes. Ces prisonniers-là

  7   n'avaient pas de lit non plus, et recevaient la même nourriture et le même

  8   traitement que les prisonniers musulmans détenus dans les pièces 1 et 2.

  9   Par la suite, lorsque le nombre de Musulmans et de Croates en prison s'est

 10   accru, la pièce où les Serbes soupçonnés d'avoir commis des crimes ont été

 11   détenus, a été transférée derrière le bâtiment Keraterm. Cependant, les

 12   conditions, pour eux, sont restées les mêmes que les conditions pour les

 13   Musulmans et les Croates.

 14   Kolundzija n'a rien remarqué de bizarre le matin du 24. D'ailleurs, un

 15   grand nombre de détenus qui viendront témoigner pour la défense le diront.

 16   En ce qui concerne les témoins de l'accusation, ils parleront des soi-

 17   disants actes de préparation, mais là, il s'agit des fabrications créées

 18   suite aux événements en consultation avec le Procureur, et dans l'espoir

 19   d'aider le Procureur dans l'affaire dont le Tribunal traite en ce moment.

 20   En ce qui concerne la nuit du 24, Kolundzija avait un pouvoir minime lui

 21   permettant d'observer ou faire un rapport au commandant, en ce qui

 22   concerne le massacre qui a eu lieu. Il a appelé un haut fonctionnaire de

 23   la police et des commandants militaires avant le début des coups de feu en

 24   leur demandant de rétablir l'ordre dans le camp, puisque des troubles

 25   provoqués par les détenus avaient commencé. Les commandants sont arrivés


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  1   sur-le-champ, et après ce moment-là, Kolundzija n'avait plus aucune

  2   autorité de supérieur hiérarchique.

  3   Et je suppose qu'à la fois les moyens de preuve de l'accusation et de la

  4   défense prouveront qu'il n'a pas participé, personnellement, à l'échange

  5   de tirs ou de coups de feux qui ont été tirés. Il n'a pas été à même de

  6   contrôler ou d'arrêter cela. Il a essayé d'arrêter et d'empêcher les coups

  7   de feu de continuer de se produire, et il a essayé de protéger les

  8   détenus.

  9   Donc, il n'est pas possible de parler de sa responsabilité pénale,

 10   puisqu'il est possible de parler de la responsabilité criminelle seulement

 11   si l'intention de commettre un acte criminel existait, et si la personne

 12   était consciente du fait que son acte s'élevait à la participation, à la

 13   commission d'un crime, ou à l'encouragement, ou à l'instigation au crime.

 14   Ici, je viens de citer les conditions préalables énoncées dans le jugement

 15   Tadic. A notre avis, Kolundzija a sans arrêt essayé de protéger ceux qu'il

 16   pouvait protéger et d'empêcher la commission des crimes.

 17   En effet, il ne connaissait pas beaucoup de personnes dans le camp

 18   puisqu'il se tenait à l'écart de tout le monde avant la guerre. Mais en ce

 19   qui concerne toutes les personnes qui sont venues lui demander de l'aide,

 20   il n'a jamais refusé. Il a donc aidé beaucoup de personnes qu'il ne

 21   connaissait pas. Jamais il n'a refusé de donner de la nourriture

 22   supplémentaire à qui que ce soit. Kolundzija se rendait auprès des

 23   familles afin de recueillir de la nourriture pour la porter aux détenus et

 24   pour la portér au centre.

 25   Kolundzija faisait sortir des détenus sans savoir qui étaient ces


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  1   personnes, parfois afin de leur donner de l'eau froide à la mi-juillet,

  2   alors qu'il faisait extrêmement chaud. Les gardes vivaient eux-mêmes aux

  3   alentours du camp.

  4   Il s'agissait d'une situation où la discipline n'était pas respectée. Ils

  5   rentraient chez eux pour manger, mais il était donc possible également

  6   d'apporter à la fois de la nourriture pour les détenus et pour les gardes.

  7   Kolundzija a demandé aux personnes en charge de chacune des pièces de dire

  8   quels étaient les détenus qui étaient en situation de faiblesse plus que

  9   les autres, et il donnait sa propre nourriture à ces personnes-là. Aucune

 10   personne qui aurait souhaité infliger des blessures aux détenus n'aurait

 11   fait cela.

 12   A deux reprises, il a amené les détenus, deux détenus chez lui, pour leur

 13   permettre de changer de vêtements. Il a fait cela sans demander, sans

 14   avoir consulté qui que ce soit en risquant sa position. Il a fait cela

 15   tout en sachant qu'il aurait pu être torturé à cause de cela ou envoyé sur

 16   les lignes de front. Mais il n'a pas réfléchi à cela, simplement il

 17   souhaitait aider les détenus. Il a permis aux détenus de bénéficier de son

 18   téléphone pour appeler chez eux.

 19   Parfois, il décourageait un certain nombre de personnes qu'il connaissait

 20   parce qu'il ne souhaitait pas faire preuve de préférence personnelle. Et

 21   parfois, il disait aux personnes qu'il connaissait déjà qu'il ne fallait

 22   pas téléphoner ce jour-là et qu'il fallait laisser la place à quelqu'un

 23   d'autre.

 24   Il n'y a pas de moyens de preuve indiquant que Kolundzija aurait agi d'un

 25   commun accord avec les leaders politiques, dans le cadre de leur politique


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  1   présumée. Il n'y a pas de moyens de preuve indiquant qu'il était un chef

  2   d'équipe suffisamment important pour avoir le pouvoir de punir les gardes,

  3   ou pour leur donner le signal indiquant qu'ils devaient procéder aux

  4   passages à tabac ou aux actes de persécution. Il n'y a pas de moyens de

  5   preuve permettant de conclure que Kolundzija a permis la commission des

  6   actes criminels en sa présence, ou qu'il approuvait les actes de violence.

  7   Il n'y a pas de moyens de preuve indiquant qu'il aurait encouragé ce genre

  8   de comportement. Il n'y a pas de moyens de preuve indiquant qu'il avait

  9   une responsabilité hiérarchique.

 10   S'il était chef d'équipe, il était chef d'équipe comme dans l'ancien

 11   système d'autogestion en ex-Yougoslavie, où lorsqu'il avait une unité de

 12   quinze employés, il y avait un leader, mais ce leader ne pouvait pas les

 13   punir ni les sanctionner sur le plan disciplinaire. Il pouvait simplement

 14   envoyer des rapports aux autorités supérieures.

 15   Kolundzija respectait les autres gardes souvent, mais il avait beaucoup de

 16   compassion aussi pour les détenus. Il partageait leurs souffrances et il

 17   ne pouvait pas partir. Vous n'allez jamais entendre aucune preuve

 18   indiquant que Kole aurait appelé quelqu'un à sortir pour le placer dans un

 19   camion, pour que la personne soit exécutée par la suite. Kole a parfois

 20   reçu l'ordre d'aller chercher des volontaires, mais il a refusé d'exécuter

 21   l'ordre en demandant d'obtenir l'ordre par écrit.

 22   Le Procureur indique qu'une nuit, Kole a appelé quelqu'un à sortir. Mais,

 23   selon nos moyens de preuve, il sera possible de constater que l'unique

 24   fois où Kole est allé dans la pièce 2, c'était lorsque Kole est allé afin

 25   d'appeler le nom d'un prisonnier qui a passé une seule nuit là-bas, et qui


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  1   est vivant encore aujourd'hui et habite à Prijedor. Avant le conflit, cet

  2   homme était le capitaine de l'armée yougoslave, il est devenu le leader

  3   militaire de la ville de Kozarac.

  4   Mais lorsque Kole est allé dans cette pièce, ces gardes souhaitaient qu'il

  5   le fasse sortir pour d'autres raisons. Le nom de la personne est M. Cirkin,

  6   il a été capitaine et avocat avant la guerre. Il n'osait pas sortir

  7   lorsque les autres gardes l'appelaient. Mais le matin, il est sorti

  8   puisque c'est Dragan Kolundzija qui l'a fait sortir et il lui a offert un

  9   café.

 10   La défense conteste que Kolundzija a commis un quelconque crime. Il a été

 11   mobilisé dans les rangs de la police de réserve. Et il considérait -avec

 12   raison d'ailleurs-, que s'il avait déserté, il aurait été enfermé dans une

 13   cellule ou tabassé jusqu'à la mort, ou peut-être, il aurait été envoyé au

 14   front où il serait presque sûr de mourir.

 15   De plus, il a souhaité aider les autres détenus et il est resté afin de

 16   les aider. Probablement, les témoins de la défense diront également qu'il

 17   était un bon chef d'équipe.

 18   Lorsque nous constatons qu'il n'y a pas intention délictueuse, reste le

 19   fait que le Procureur doit prouver, au-delà de tout doute raisonnable, que

 20   Kolundzija savait directement ou indirectement qu'il participait à la

 21   commission des actes criminels décrits dans l'Acte d'accusation.

 22   A notre avis, le Procureur ne pourra pas prouver ces allégations puisque

 23   nos moyens de preuve prouveront le contraire. Nous considérons que Dragan

 24   Kolundzija devrait être acquitté selon tous les chef d'accusation avancés

 25   par le Procureur.

 


Page 538

  1   M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Vucicevic.

  2   Maintenant, je souhaite parler d'un certain nombre de points avant de

  3   procéder à la déposition des témoins.

  4   (Questions relatives à la procédure.)

  5   Tout d'abord, en ce qui concerne le calendrier, l'avez-vous reçu?

  6   M. Ryneveld (interprétation): Oui, nous avons reçu un calendrier il y a

  7   quelques semaines. C'est ce que nous avons en ce moment.

  8   M. le Président (interprétation): Non, nous avons une version mise à jour.

  9   M. Ryneveld (interprétation): Nous avons une ordonnance à calendrier qui

 10   nous donne une idée des heures d'audience et des jours, mais cela est

 11   quelque chose qui nous a été remis il y a dix jours.

 12   M. le Président (interprétation): Ceci a été mis à jour. Je veillerai à ce

 13   que ceci vous soit distribué.

 14   Pour ce qui est de l'immédiat, je dois vous dire que nous ne siégerons pas

 15   le vendredi 23 mars puisque, ce jour-là, se tient une réception

 16   diplomatique. Nous n'aurons pas non plus d'audience le 30 mars, c'est

 17   aussi un vendredi.

 18   Au cours des deux premières journées du vendredi, nous n'aurons pas

 19   d'audience mais je veillerai à ce que ce calendrier, cette version révisée

 20   vous soit distribuée sitôt après la fin de l'audience d'aujourd'hui.

 21   M. Ryneveld (interprétation): Je vous remercie, Monsieur le Président.

 22   M. le Président (interprétation): Il y a aussi une requête déposée par Me

 23   Vucicevic qui demande à être autorisé à utiliser la langue du témoin, le

 24   BCS. Inutile de présenter une telle requête puisque ceci est permis par le

 25   Règlement.


Page 539

  1   Abordons ensuite la question des comptes rendus d'audience, requête de

  2   l'accusation, pour que soient admises au dossier les transcriptions, les

  3   dépositions de témoins dans d'autres procès.

  4   Il s'est développé une certaine tradition au Tribunal, nous allons la

  5   suivre. Elle consistera à dire que l'accusation devra distribuer la

  6   totalité du compte rendu d'audience en surlignant les passages pertinents.

  7   Nous saurons ainsi quels sont les passages que l'accusation considère

  8   comme pertinents. Il faudra trois copies en anglais et deux en français.

  9   L'accusation disposera de deux semaines pour mener cette tâche à bien.

 10   Je fais remarquer qu'il n'y a pas eu de réponse de la part de Sikirica sur

 11   ce point précis. Ses avocats vont peut-être vouloir y réfléchir, pour

 12   autant qu'il veuille fournir une réponse.

 13   S'agissant du témoin Edward Vulliamy, il y avait une requête demandant à

 14   être autorisé à consulter les notes et cassettes de ce témoin. Ceci sera

 15   abordé au moment où nous parlerons de l'admissibilité des comptes rendus

 16   d'audience.

 17   L'accusation devrait terminer la présentation de ses moyens d'ici au 1er

 18   juin. Elle dispose ainsi de dix semaines. Si le besoin s'en fait

 19   ressentir, nous prolongerons les audiences. Bien sûr, pour autant que

 20   toutes les parties veuillent bien collaborer -l'accusation comme la

 21   défense-, afin de veiller à ce que toute la rigueur et la discipline

 22   voulues prévalent lors du déroulement du procès, et que chaque partie

 23   veille à limiter ses questions au point pertinent.

 24   Je vois que l'accusation a prévu 14 témoins pour les deux premières

 25   semaines. C'est un objectif tout à fait louable, il faudra veiller à le


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  1   réaliser.

  2   Dans les 58 témoins, en tout, il y a les 6 témoins par comptes rendus

  3   d'audience.

  4   M. Ryneveld (interprétation): Oui, Monsieur le Président.

  5   M. le Président (interprétation): Et au fil des journée, vous-même et la

  6   Chambre de première instance d'ailleurs, examinerons la question de

  7   l'Article 92 bis, pour essayer d'utiliser ces articles au maximum et

  8   d'éviter la comparution de témoins, ici à la barre.

  9   Voilà les questions que je voulais évoquer avant de revenir à cette

 10   question qui va faire l'objet de plaidoiries des deux parties.

 11   Maître Greaves, puisque vous aviez manifesté votre intention de prendre la

 12   parole, de présenter une requête orale, commençons par vous.

 13   M. Greaves (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Permettez-moi

 14   de vous parler tout d'abord de ce qui est le droit utilisé dans ce

 15   Tribunal s'agissant de cette question.

 16   Si l'on examine cette question et le Règlement, on comprendra qu'il n'y a

 17   pas d'article précis qui règle la question sur ce point. Ceci étant, je

 18   pense que vous devez vous basez sur quatre dispositions, si vous voulez

 19   voir quelle est la base vous permettant d'admettre ou de rejeter les

 20   témoignages que va sans doute présenter l'accusation.

 21   Les quatre dispositions sont les Articles 20 et 21 du Statut, et les

 22   Articles 89 et 95 du Règlement de procédure et de preuve.

 23   Pardonnez-moi de vous rappeler l'intitulé et le libellé des parties

 24   pertinentes de ces dispositions.

 25   Article 20 du Statut, alinéa 20: "La Chambre veillera à ce que le procès


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  1   soit équitable". C'est un article qui a pour intitulé "Commencement et

  2   conduite du procès".

  3   Article 21, "Droits de l'accusé", alinéa 2: "Pour statuer sur les charges.

  4   Au cours du procès, on va statuer sur les charges retenues contre lui,

  5   l'accusé a droit à une audience et un procès juste et équitable".

  6   Article 89, dans la partie III du Règlement, l'intitulé est "Dispositions

  7   générales". Paragraphes A) à D). Ces quatre paragraphes sont pertinents en

  8   la matière:

  9   A) La Chambre de première instance applique les Règles énoncées dans la

 10   présente section et n'est pas liée par les Règles de droit internes

 11   régissant l'administration de la preuve.

 12   B) Dans les cas où le Règlement est muet, la Chambre applique les Règles

 13   de l'administration de la preuve, propre à parvenir à un règlement

 14   équitable de la cause, dans l'esprit du Statut et des Principes généraux

 15   du droit.

 16   Alinéa C: "La Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent

 17   qu'elle estime avoir valeur probante. La Chambre peut exclure tout élément

 18   de preuve dont la valeur probante est largement inférieure à l'exigence

 19   d'un procès équitable".

 20   Et enfin, l'Article 95, qui a pour titre "Rejet de certains moyens de

 21   preuve": "ceci ne sera pas possible si les méthodes par lesquelles ces

 22   moyens de preuve sont obtenus permettent de douter de sa fiabilité ou si

 23   son admission est de nature à compromettre l'intégrité du procès".

 24   Ici, je me rappelle qu'il y a eu un cas précis où on a fait état de cette

 25   question lors d'un jugement rendu dans ce Tribunal lors du premier procès


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  1   intenté dans ce Tribunal contre Tadic. Je pense qu'au niveau du jugement,

  2   on a fait brièvement référence à l'identification en prétoire. Ce qui a

  3   été admis. Mais je pense qu'on a dit que très peu de poids, de valeur

  4   probante avait été attaché à cet élément d'identification.

  5   Lorsqu'il y a identification en prétoire, on a affaire à une procédure

  6   intrinsèquement inéquitable, qui est contraire aux procédures appliquées

  7   dans ce Tribunal.

  8   Quelle était la nature de ce processus d'identification dans la plupart

  9   des systèmes nationaux, pour autant qu'on puisse en juger par ce qu'on

 10   voit à la télévision? Il semblerait qu'il y ait une zone séparée où l'on

 11   détient les accusés aux fins d'un procès. Soit qu'ils se trouvent dans ce

 12   que l'on appelle le "dock" en anglais, donc au banc des accusés ou à une

 13   table séparée. Et la plupart du temps, cette personne est entourée de

 14   policiers en uniforme, ou de fonctionnaires du Tribunal, ou de gardes.

 15   Pour un témoin un peu malin, il ne sera jamais difficile de déterminer où

 16   se trouve dans le prétoire la personne qui est accusée.

 17   Je prends l'exemple de la configuration même de ce prétoire-ci. Se posent

 18   des questions particulières qui ont une incidence certaine sur ce

 19   Tribunal.

 20   Voici la première à notre avis. Dans le cadre des enquêtes, de la

 21   détention et du jugement de suspects et d'accusés, il y a dissimination

 22   très générale, de par le monde et en ex-Yougoslavie, de photographies

 23   représentant des personnes soupçonnées ou recherchées. Il y a des affiches

 24   de ce genre qui sont placées partout dans le pays.

 25   Excusez-moi, ici, de déposer, en quelque sorte. Moi, je me suis trouvé à


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  1   Jelena, à Brcko et j'ai vu, de mes yeux vu ces affiches dans certains

  2   endroits. On diffuse aussi sur les ondes les procédures de ce Tribunal. Et

  3   il y a des hôtels où j'ai séjourné, où la télévision de Bosnie donne des

  4   programmes assez importants de ce qui s'est passé assez récemment au

  5   Tribunal. Je suis sûr que vu l'importance que revêt ce procès-ci, il y

  6   aura une couverture de ce procès et de l'audience d'aujourd'hui en ex-

  7   Yougoslavie. J'en suis sûr. Il y a des sites internet qui représentent les

  8   photographies des accusés, des personnes soupçonnées. Il est facile…

  9   Quiconque a un minimum d'expertise en matière d'internet pourra vite

 10   trouver ces photographies.

 11   Parlons maintenant de la configuration même de ce prétoire. Il est bien

 12   entendu que le témoin est assis à cette chaise-ci que je montre. Mais si

 13   vous regardez autour de vous, vous verrez qu'il y a très peu de personnes

 14   qui ne sont pas, soit en uniforme ou en toge. Que ce soient les toges du

 15   Tribunal Pénal International ou du barreau néerlandais ou de leur système

 16   international.

 17   Monsieur Ryneveld et ses confrères et consoeurs sont de son côté. Il est

 18   manifeste que ce ne sont pas des accusés. Et puis il y a manifestement

 19   toute une série, ici, d'avocats qui, à l'exception de l'interprète,

 20   portent des toges. L'interprète est de sexe féminin de toute façon. Et

 21   puis il y a pour les Juges. Il y a les personnes devant les Juges. Et

 22   vous, manifestement, les Juges, vous n'êtes pas habillés comme tout le

 23   monde.

 24   Il y a, pour le moment, quatre personnes qui sont derrière le bac de

 25   l'accusation. Il y a manifestement la sténotypiste, ainsi que trois


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  1   personnes, trois hommes, qui sont contre le mur. A ma gauche, il y a un

  2   garde, et puis derrière nous, nous avons les accusés, qui sont chacun

  3   entourés de gardes en uniforme bleu.

  4   Nous faisons valoir que si vous avez un témoin qui arrive dans ce

  5   prétoire, eh bien, il n'aura pas de grandes difficultés à déterminer où se

  6   trouve l'accusé. Qu'il y ait un ou trois accusés, il sera facile de savoir

  7   où ceux-ci sont assis. Le témoin n'aura pas de difficulté à essayer de

  8   deviner qui il est censé identifier. Etant donné ce grand nombre de

  9   personnes, nous disons que ce processus d'identification est

 10   intrinsèquement inéquitable.

 11   J'ai participé à un procès où ce processus d'identification était encore

 12   plus injuste. Du fait que le Président actuel du Tribunal venait le matin

 13   et disait au témoin où se trouvait l'accusé dans le prétoire, l'indiquait

 14   du doigt. C'est à ce moment-là que cela a été une situation d'injustice

 15   caractérisée.

 16   Lorsqu'on identifie un accusé, une personne soupçonnée d'avoir commis des

 17   crimes, il y a des méthodes beaucoup plus justes qui sont à la disposition

 18   de l'accusation comme de la défense. Je pense à trois pour le moment, mais

 19   il y en a sans doute d'autres. Il y a d'abord plusieurs personnes en

 20   identification. Il y a l'album photographique, la série de photographies

 21   ou l'identification par une série d'images vidéos qui sont présentées à un

 22   accusé.

 23   Tout ceci, pour autant que ce soit fait avec ordre, est en soi déjà plus

 24   équitable que la procédure que va proposer l'accusation. Ce sont des

 25   méthodes qui sont disponibles, qu'il n'est pas difficile d'exécuter. Et


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  1   nous ne voyons pas pourquoi on ne devrait pas les choisir, s'agissant de

  2   n'importe quel témoin, si l'accusation était prête à le faire. Tout au

  3   moins, l'accusation devrait d'abord épuiser ces moyens-là si elle veut

  4   savoir ce qu'il en est à l'encontre d'un témoin en particulier et de

  5   l'identification qu'il doit faire.

  6   Voilà, si je vous soumets ces arguments, ce n'est pas pour vous dire que

  7   le système britannique est le meilleur, que vous devez nécessairement le

  8   faire vôtre. Ce n'est pas à cette fin-là que je le dis. Je le dis

  9   simplement pour donner une idée dont la façon dont le droit a évolué en

 10   Grande-Bretagne et pourquoi elle l'a fait de la sorte. Parce que je crois

 11   que nous avons maintenant, de ce fait, une procédure assez raisonnable et

 12   qui est tout à fait agréée.

 13   Dans les années 70, il y a pas mal de cas perturbants de procès qui ont

 14   été soumis à la Chambre d'appel, où était appliquée la question de

 15   l'identification. Il y a eu un cas notoire où nous avons un homme, qui est

 16   maintenant membre du Gouvernement, qui était accusé de vol. Et lorsque

 17   s'est posée la question de l'identification, c'est de cette façon-là

 18   d'ailleurs que l'opinion publique en a été informée et en a discuté de

 19   façon plus générale. Le résultat, c'est qu'il y a eu beaucoup d'activités

 20   judiciaires pour essayer de guider les juges et les praticiens, ainsi que

 21   les policiers sur la question de savoir comment résoudre au mieux la

 22   question de l'identification et de savoir comment admettre ces éléments

 23   d'identification dans un dossier d'audience.

 24   Une des conséquences de cette procédure et de cette évolution est que le

 25   Procureur général a dit que les personnes qui le représentaient à


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  1   l'audience ne demanderaient plus une identification d'un accusé ou d'une

  2   personne soupçonnée de crime.

  3   Au cours des 25 dernières années, il y a eu une grosse évolution de la

  4   question d'identification. Aujourd'hui, nous avons en code de conduite un

  5   code de conduite déontologique tout à fait exhaustif sur ces procédures

  6   d'identification. Y sont précisées toutes les règles les plus récentes. Il

  7   y a notamment un texte qui se trouve ici, à la bibliothèque, que vous

  8   pouvez consulter sur la question.

  9   Ce code de conduite fournit des règles très rigoureuses sur la manière de

 10   mener cette procédure. Si ces procédures ne sont pas bien exécutées et si

 11   cet échec, cette impossibilité est trop grande, eh bien, on rejette le

 12   moyen de preuve mais tout sera fonction du cas précis. Ce n'est pas une

 13   application rigide que l'on fait de la loi lorsque la police a trop de

 14   difficultés à rassembler suffisamment de personnes pour avoir plusieurs

 15   présentations de témoins. Ils font autre chose. Si vous avez un couloir du

 16   poste de police où passent beaucoup de personnes, à ce moment-là, on

 17   autorise l'accusé à franchir, à passer ce couloir, on montre la vidéo qui

 18   a été filmée au témoin. C'est de cette façon-là qu'il y a identification.

 19   La Cour d'appel a estimé que ce n'était pas une procédure inéquitable,

 20   qu'elle était dès lors admissible.

 21   Je pense qu'en ex-Yougoslavie, il y a aussi cette espèce de parade de

 22   présentation de personnages multiples. Maître Petrovic pourrait sans doute

 23   vous renseigner davantage sur la question, ainsi que Me Londrovic.

 24   En conclusion, ce que nous faisons valoir est ceci: il se peut que,

 25   parfois, ce type d'identification réponde à la norme de la pertinence.


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  1   Cependant, ce type d'élément de preuve n'a pas grande valeur probante, vu

  2   les contraintes qui pèsent sur elle. Je pense qu'au mieux, cela montre que

  3   quelqu'un est capable de trouver comme ça un chat dans un sac. Mais même

  4   si ceci a valeur probante, nous pensons qu'il conviendrait d'appliquer

  5   l'Article 89D), ainsi que l'Article 95, pour dire qu'il ne s'agit pas ici

  6   d'un témoignage suffisamment fiable et que, dès lors, il ne faut pas

  7   l'admettre.

  8   J'ajouterai qu'étant donné la nature même de la procédure, comme je viens

  9   de l'indiquer, c'est une procédure intrinsèquement inéquitable qui ne

 10   respecte pas les dispositions de l'Article 20, de l'Article 21, et de

 11   l'Article 89A) du Règlement.

 12   J'en ai terminé, Monsieur le Président.

 13   M. May (interprétation): Vous nous dites en résumé qu'il ne devrait pas y

 14   avoir d'identification en prétoire?

 15   M. Greaves (interprétation): Oui.

 16   M. May (interprétation): Mais il faut faire une distinction, n'est-ce pas,

 17   entre le cas où le témoin identifie quelqu'un après avoir rejeté sur cette

 18   personne un regard furtif?

 19   M. Greaves (interprétation): Oui.

 20   M. May (interprétation): C'est le cas d'une rixe qui se passe dans la rue,

 21   cela se passe en l'espace de quelques secondes. L'auteur du méfait a déjà

 22   disparu et c'est surtout dans ces cas-là que l'on a des inquiétudes. Vous

 23   en conviendrez avec moi, j'en suis sûr.

 24   Mais il faut faire une distinction entre ce type de circonstance et le cas

 25   où le témoin connaît l'accusé, le connaît depuis longtemps, et le cas qui


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  1   est peut-être celui qui se présente ici -je ne sais pas-, où vous avez

  2   l'accusé qui dit: "Oui, j'ai passé trois mois dans ce camp et j'ai fait la

  3   connaissance de X, Y, ou Z".

  4   Là, c'est davantage le fait de reconnaître quelqu'un plutôt que de

  5   l'identifier?

  6   M. Greaves (interprétation): Oui.

  7   M. May (interprétation): Les circonstances peuvent varier. L'une ou

  8   l'autre de ces possibilités peut s'appliquer ici, à ce procès. Mais est-ce

  9   que la Chambre de première instance ne va pas devoir établir ce que l'on

 10   essaie de prouver davantage que de donner une ordonnance générale? Il

 11   faudra que la Chambre tranche au cas par cas pour voir ce que nous demande

 12   de faire l'accusation, davantage que de rendre une décision générale dès

 13   le début du procès, ce qui pourrait s'avérer inéquitable pour

 14   l'accusation.

 15   M. Greaves (interprétation): Deux choses, si vous me le permettez.

 16   Tout d'abord, il y a la question de la diffusion très généralisée des

 17   photographies de l'accusé. Je vois que de nouvelles photographies ont été

 18   prises de lui d'ailleurs à deux reprises, aujourd'hui, dans ce prétoire.

 19   C'est le véritable danger. C'est que quelqu'un risque de voir une image à

 20   la télévision, ou ailleurs, et ne fait, ici, que reconnaître une image

 21   qu'il aurait vu ailleurs -à la télévision ou ailleurs-, de Sikirica. Ça,

 22   c'est le danger. Il le fera peut-être inconsciemment. Il aura simplement

 23   vu la photographie, il aura entendu une émission à la télévision sans se

 24   rendre compte de l'importance de ce qu'il fait, et inconsciemment, il va

 25   identifier cet homme, ici, de ce fait-là.


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  1   Deuxième chose: il se peut qu'il y a parfois des cas de reconnaissance ou

  2   de regard furtif. Ce sont des cas importants.

  3   Il nous faut, ici, tenir compte d'un fait important à nos yeux: ce n'est

  4   pas ici une affaire dont vous êtes saisis six mois après les faits. Vous

  5   en êtes saisis près de neuf ans après les faits.

  6   M. le Président (interprétation): Est-ce que ce sont des choses qui auront

  7   une incidence sur le poids que nous allons donner aux éléments de preuve?

  8   M. Greaves (interprétation): Oui, mais cela fait partie intégrante des

  9   questions propres à ce Tribunal. J'en ai parlé il y a un instant. Si l'on

 10   tient compte de la totalité de ces facteurs, à ce moment-là, selon nous,

 11   ce processus apparaît intrinsèquement inéquitable, et en puissance

 12   inéquitable quelles que soient les circonstances.

 13   M. le Président (interprétation): Je vous remercie.

 14   M. Greaves (interprétation): Est-ce que vous avez d'autres questions,

 15   Messieurs les Juges?

 16   M. le Président (interprétation): Non, nous n'avons pas de questions.

 17   Maître Ryneveld?

 18   M. Ryneveld (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

 19   Je pense que les points évoqués par le Juge May et mon collègue de la

 20   défense sont justement les points dont je souhaitais traiter.

 21   Ici, il faut faire une différence entre la reconnaissance et

 22   l'identification opérées par les témoins. Je considère que, dans chaque

 23   situation, il faut tenir compte de la situation concrète. Il y a un nombre

 24   des témoins où il deviendra clair qu'ils connaissaient l'accusé -ou les

 25   accusés-, très bien avant la guerre.


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  1   Et bien sûr, en ce qui concerne ces témoins-là, la reconnaissance sera

  2   directe, même si l'on tient compte du fait que neuf ans se sont écoulés

  3   depuis. Mon collègue de la défense a parlé du fait qu'il n'était pas juste

  4   que les témoins ayant vu à la télévision les photographies des accusés

  5   procèdent à l'identification. Cependant, quant à la question de savoir si

  6   le témoin se rappelle de la personne qu'ils ont vu il y a neuf ans, ceci

  7   est différent par rapport à la situation où les photographies qu'ils

  8   voient à la télé leur rafraîchissent la mémoire.

  9   Mon collègue de la défense a également parlé du fait que la plupart des

 10   personnes, ici, portent des robes, alors que les accusés sont entourés par

 11   des personnes en uniforme. Cependant, il n'y a pas un seul accusé mais il

 12   y en a plusieurs. Donc il serait possible de les mélanger. Bien sûr, il

 13   s'agit ici d'un point sans beaucoup d'importance mais il faut quand même

 14   tenir compte de cela.

 15   Le Juge May a également parlé de la situation qui est différente, un

 16   regard furtif jeté vers l'accusé. Or, ici, nous avons différents cas de

 17   figures. Il s'agit de personnes qui ont passé plus de deux mois dans le

 18   camp, elles voyaient les accusés beaucoup de fois puisqu'il y avait des

 19   équipes qui se relayaient toutes les douze heures. Certaines de ces

 20   personnes connaissaient l'accusé avant la guerre, certaines l'ont

 21   rencontré dans le camp, certaines ont appris le nom de la personne parce

 22   que quelqu'un leur avait dit cela. Bien sûr, qu'il s'agit-là de ouï-dires

 23   mais cependant, au bout d'une certaine période, il est possible

 24   d'identifier la personne même si la personne ne s'est pas présentée elle-

 25   même.


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  1   Ce que je souhaite donc dire, c'est qu'il ne s'agit pas là d'un regard

  2   furtif jeté une seule fois, mais de la situation où il était possible à

  3   ces personnes de reconnaître l'individu, parfois sans connaître exactement

  4   le nom de la personne.

  5   Comme je le dis, avec tout le respect que je vous dois, nous considérons

  6   qu'il est nécessaire de voir quel est le poids à accorder à chaque

  7   situation individuelle sans prendre une décision générale. Les témoins que

  8   je vais citer à la barre vont décrire les personnes au mieux de leurs

  9   souvenirs. Souvent, il s'agira de descriptions qui ont lieu beaucoup

 10   d'années après les faits. Et souvent, lorsque nous avons eu des

 11   discussions avec les témoins, dans leurs déclarations d'origine, on leur a

 12   demandé de donner une description de l'aspect physique de la personne.

 13   D'après la procédure qui est appliquée devant ce Tribunal, par exemple en

 14   ce qui concerne l'affaire Foca -à la fois Kunarac et Krnojelac-, il faut

 15   savoir que la situation était semblable à celle que nous rencontrons ici,

 16   mais que la décision se prenait au cas par cas.

 17   Je me souviens que, parfois, un certain nombre de points des dépositions

 18   ont été rejetés, puisque la Chambre de première instance a trouvé que la

 19   valeur probante des dépositions des témoins à ce sujet-là n'était pas

 20   suffisamment importante.

 21   Mais parfois les dépositions des témoins à l'égard de l'identification ont

 22   été admises. Donc d'après moi, il faut prendre des décisions au cas par

 23   cas.

 24   M. le Président (interprétation): Tous ces témoins feront partie de la

 25   catégorie des personnes qui connaissaient l'accusé avant les faits. Il


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  1   s'agira de la reconnaissance. Ou bien, est-ce qu'il s'agira de la

  2   situation où, de toute façon, ces personnes ont passé une période de deux

  3   mois ou plus dans le camp, la période pendant laquelle ils avaient

  4   l'occasion d'observer cette personne?

  5   M. Ryneveld (interprétation): Oui. Et en ce qui concerne les personnes qui

  6   ne le connaissaient pas avant la guerre, il y a une autre difficulté, à

  7   savoir que peut-être quelqu'un leur a dit le nom de la personne sans que

  8   le nom soit exact. Cependant, ils seront à même de reconnaître la personne

  9   puisqu'il s'agit d'une personne qu'ils ont vu plusieurs fois en train de

 10   commettre certains actes.

 11   M. le Président (interprétation): Vous voulez surtout insister sur le fait

 12   qu'il faut résoudre la question des témoins au cas par cas.

 13   M. Ryneveld (interprétation): Absolument, c'est la demande du Procureur.

 14   M. le Président (interprétation): Souhaitez-vous répondre, Maître Greaves?

 15   M. Greaves (interprétation): Oui, il y a un seul problème. Il s'agit de la

 16   raison pour laquelle je considère qu'il existe une méthode plus efficace,

 17   à savoir le panneau de photos. Puisque, dans le prétoire, nous considérons

 18   que l'identification n'est pas satisfaisante. Nous considérons que le fait

 19   de présenter la série de photos aux témoins constitue une solution moins

 20   satisfaisante, c'est d'ailleurs une solution que nous avons appliquée ici

 21   plus fréquemment.

 22   M. le Président (interprétation): Merci. Afin de bien profiter de notre

 23   temps, la Chambre de première instance ne va pas prendre une décision tout

 24   de suite. Nous allons commencer à entendre la déposition du premier

 25   témoin. Nous allons nous arrêter avant le moment de l'identification.


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  1   M. Ryneveld (interprétation): Avant de citer à la barre le premier témoin,

  2   je souhaite traiter d'une autre question, avant donc que l'on cite à la

  3   barre le témoin.

  4   Comme vous le savez, des demandes ont été soumises aux fins d'accorder des

  5   mesures de protection. Beaucoup de témoins ont reçu des pseudonymes. On a

  6   attiré mon attention sur le fait que l'on anticipait que le pseudonyme

  7   allait être accompagné d'autres mesures de protection, telles que la

  8   déformation des traits du visage, etc. Sinon, il n'y a pas de sens

  9   d'accorder des pseudonymes.

 10   Cependant, quand on passe en revue les demandes de mesures de protection,

 11   nous pouvons constater que le Procureur n'a pas parlé concrètement de la

 12   mesure de protection, à savoir de la déformation des traits du visage. Je

 13   ne suis pas en train de parler de l'altération de la voix, mais simplement

 14   de la déformation des traits du visage parce que, sinon, il n'y aurait

 15   aucun sens d'accorder un pseudonyme à un témoin.

 16   Nous souhaitons donc demander aux Juges d'accorder aux témoins la

 17   possibilité d'avoir les traits du visage déformés à la télé pour protéger

 18   leur identité.

 19   M. le Président (interprétation): Ceci s'applique-t-il à tous les témoins

 20   pour lesquels vous demandez les mesures de protection?

 21   M. Ryneveld (interprétation): Il n'y a que trois témoins qui font l'objet

 22   de cette demande. Deux d'entre eux ont reçu des pseudonymes. Sinon, il y

 23   aura un grand nombre de témoins qui n'ont pas demandé des mesures de

 24   protection.

 25   En ce qui concerne un certain nombre d'autres témoins, nous avons demandé


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  1   la déformation des traits du visage. Mais en ce qui concerne les témoins

  2   que je viens de mentionner, nous ne l'avons pas fait. Je suppose que nos

  3   collègues de la défense n'auront pas d'objection à la déformation des

  4   traits du visage puisque, de toute façon, logiquement, cela accompagne le

  5   pseudonyme. Je pense que ceci ne pose pas de problème technique,

  6   contrairement à l'altération de la voix.

  7   M. le Président (interprétation): Je ne sais pas si j'ai bien compris.

  8   Lorsque le pseudonyme a été accordé, on a rejeté la possibilité d'accorder

  9   la déformation des traits du visage?

 10   M. Ryneveld (interprétation): Nous ne l'avons pas demandé concrètement

 11   dans notre demande. Nous pensions que ceci était implicite, mais

 12   maintenant nous demandons ceci précisément.

 13   M. le Président (interprétation): Donc c'est maintenant que vous faites

 14   cette demande?

 15   M. Ryneveld (interprétation): Oui, c'est maintenant que je fais cette

 16   demande parce que sinon notre première demande n'aurait pas de sens.

 17   M. le Président (interprétation): Et je pense que vous devrez le faire à

 18   l'égard de chacun des témoins, avant l'arrivée du témoin.

 19   Y a-t-il des objections?

 20   M. Petrovic (interprétation): Je souhaite faire un commentaire au sujet de

 21   ce que M. Ryneveld vient de dire.

 22   En ce qui concerne la liste que nous avons reçue le 19, il y a 23 témoins

 23   dont 7 témoins n'ont pas demandé de mesures de protection. Je n'ai pas

 24   d'objection générale, mais comme je l'ai dit, je suppose qu'il serait

 25   mieux de procéder au cas par cas plutôt que d'accorder de telles mesures


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  1   en bloc, parce que nous nous retrouvons dans une situation où la plupart

  2   des dépositions se dérouleront avec ce genre de mesures de protection, ce

  3   qui va à l'encontre du principe de base, à savoir le caractère public du

  4   procès. Si l'on applique cette possibilité avec exagération, ceci va à

  5   l'encontre du principe du procès public.

  6   Je ne fais pas d'objections de principe, mais je considère qu'il faut

  7   prendre en considération cela au cas par cas. Parce que, comme je viens de

  8   le dire, sur les 23 témoins, 7 témoins seulement n'auront pas bénéficié de

  9   ces mesures de protection. Dans ce cas-là, nous entrons dans une autre

 10   extrême. Merci.

 11   M. le Président (interprétation): Maître Londrovic a raison en disant une

 12   chose: la Chambre de première instance n'a jamais souhaité accorder ces

 13   mesures de protection de manière générale. Le Procureur devra argumenter

 14   au cas par cas.

 15   M. Ryneveld (interprétation): En ce qui concerne les témoins mentionnés,

 16   je considère que ceci s'applique à eux, puisque nous avons des mesures de

 17   protection en ce qui concerne d'autres témoins. Il n'y a que quatre

 18   témoins qui n'ont pas encore reçu ces mesures de protection, à savoir le

 19   premier témoin K3, K4, K6 et K13. Il s'agit donc de quatre témoins pour

 20   qui aucune décision concrète n'a été prise à l'égard de la déformation des

 21   traits du visage.

 22   M. le Président (interprétation): Et donc votre premier témoin est…?

 23   M. Ryneveld (interprétation): K3. Il a déjà reçu un pseudonyme. Nous

 24   demandons aussi la déformation des traits du visage.

 25   M. le Président (interprétation): Sur quelle base?

 


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  1   M. Ryneveld (interprétation): Pour expliquer cela en détail, je propose

  2   que l'on passe à huis clos partiel.

  3   M. le Président (interprétation): Oui, tout à fait. Huis clos partiel.

  4   (Audience à huis clos partiel.)

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 13   (Le Témoin A est introduit dans le prétoire.) (audience publique)

 14   M. le Président (interprétation): Je vous en prie. Je demande au témoin de

 15   donner sa déclaration solennelle.

 16   Témoin A (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

 17   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 18   M. le Président (interprétation):(Nous sommes à huis clos.[sic])

 19   (Audience publique.)

 20   (Interrogatoire principal du Témoin A par Me Ryneveld.)

 21   M. Ryneveld (interprétation): Je vais demander à l'huissier de bien

 22   vouloir montrer au témoin le bout de papier.

 23   Je vais vous poser la question, Monsieur le Témoin: est-ce que vous voyez

 24   le nom inscrit sur le bout de papier?

 25   Témoin A (interprétation): Oui.


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  1   Question: Est-ce que vous voyez également la date de naissance et votre

  2   identité?

  3   Réponse: Oui.

  4   Question: Maintenant, je vais tout simplement vous informer qu'à partir de

  5   maintenant, au cours de ce procès, nous allons vous adresser à vous comme

  6   Monsieur le Témoin A.

  7   Est-ce que vous me comprenez?

  8   Réponse: Oui.

  9   Question: Maintenant, je vais demander à verser au dossier ce document

 10   sous la cote P1.

 11   Eh bien, Monsieur le Témoin A, si je comprends bien, vous êtes né à

 12   Prijedor et avez vécu à Prijedor depuis votre enfance?

 13   Réponse: Oui.

 14   Question: Si mes connaissances sont bonnes, c'est là que vous avez suivi

 15   votre formation et terminé votre formation en 1971?

 16   Réponse: Oui.

 17   Question: Pourriez-vous, s'il vous plaît, vous approcher quelque peu du

 18   micro pour que les interprètes puissent vous suivre. Vous vous approchez

 19   un petit peu, approchez-vous votre chaise et parlez dans le micro je vous

 20   en prie.

 21   Eh bien, Monsieur le Témoin A, si je comprends bien, au cours de 1972,

 22   1973, vous avez passé quinze mois à l'ex-JNA en tant que conducteur. Par

 23   la suite, vous avez travaillé à Prijedor comme commerçant?

 24   Réponse: Oui. C'est exact.

 25   Question: Vous avez travaillé également dans cette même entreprise


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  1   jusqu'aux événements qui ont eu lieu le 29 mai 1992. Quand votre épouse

  2   est venue dans le magasin où vous avez travaillé, elle vous a dit quelque

  3   chose. Avez-vous un souvenir de cet événement?

  4   Réponse: Oui, je m'en souviens.

  5   Question: Que s'est-il passé ce jour-là, s'il vous plaît, Monsieur?

  6   Pourriez-vous nous dire ce qui s'est passé ce jour-là et ce qui a

  7   complètement changé la situation pour vous et votre famille?

  8   Réponse: Ce jour-là, mon épouse a travaillé dans un magasin et moi dans

  9   l'autre. Mon épouse n'avait pas mon téléphone, elle est arrivée vers 4

 10   heures de l'après-midi. Elle a dit: "Vite, vite, il faut que tu fermes le

 11   magasin car nous avons été informés qu'ils allaient pilonner notre village

 12   à Hambarine".

 13   M. le Président (interprétation): Maître Ryneveld, je voudrais simplement

 14   attirer l'attention des conseils sur le fait que nous disposons d'un

 15   résumé. Par conséquent, tous les conseils disposent d'un résumé. Ils

 16   peuvent l'examiner, ils peuvent également faire des objections ou

 17   éventuellement, si des questions sont suggestives, tendancieuses, à ce

 18   moment-là ils peuvent réagir. Par conséquent, tout le monde peut disposer

 19   de ce résumé, suivre le résumé. Si vous avez des objections, si

 20   éventuellement les conseils ne permettent pas que vous posiez des

 21   questions qui sont tendancieuses, subjectives, à ce moment-là, ils peuvent

 22   réagir.

 23   M. Ryneveld (interprétation): Merci. De toute façon, je vais essayer de ne

 24   pas poser de tels types de questions.

 25   M. Greaves (interprétation): Je n'ai pas discuté de cette question avec


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  1   mon collègue. Je ne voudrais pas qu'il croit qu'il peut poser toutes les

  2   questions directives qu'il veut.

  3   M. Ryneveld (interprétation): Je crois comprendre que, du fait de ce que

  4   vous a dit votre femme…, Etes-vous retourné au travail?

  5   Témoin A (interprétation): Non.

  6   Question: Mais deux jours plus tard, il s'est produit quelque chose,

  7   n'est-ce pas?

  8   Réponse: Au bout de deux jours, moi, je suis rentré chez moi. J'étais avec

  9   mon frère. Ensuite, on nous a fait sortir de notre maison, on nous a fait

 10   monter dans un camion, on nous a conduit jusqu'à Omarska. Au moment où

 11   nous sommes arrivés devant le portail, le policier a dit qu'il n'y avait

 12   plus de place pour les autres. Il a également dit: "Il faut égorger les

 13   quatre personnes et après, il y aura de la place". Mais personne n'est

 14   descendu du bus et l'on nous a conduit jusqu'à Keraterm.

 15   Question: C'est un résumé assez vague de ce qui s'est passé. Je vais vous

 16   demander de remonter un peu dans le temps pour nous parler avec davantage

 17   de détails, notamment des sujets qui m'intéressent plus particulièrement.

 18   Le 31 mai, c'est bien à cette date-là que les soldats sont venus chez

 19   vous?

 20   Réponse: Oui, c'étaient vers 4 heures, 4 heures de l'après-midi. Tout

 21   premièrement à une heure, à une heure mon ami Babic m'a appelé. Il m'a dit

 22   d'ériger le drapeau blanc sur ma maison et de mettre les brassards autour

 23   des bras.

 24   Question: Pourquoi vous demandait-il de faire cela?

 25   Réponse: Tout simplement, il fallait dire que nous étions des citoyens


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  1   loyaux de Prijedor.

  2   Question: Je vois. Est-ce que vous saviez ce qui allait se passer au

  3   moment où vous avez reçu ce coup de fil? Je veux parler, ici, des choses

  4   qui allaient finir par se passer. Vous a-t-on dit ce à quoi il fallait

  5   vous attendre?

  6   Réponse: Il m'a dit que des soldat allaient passer, une armée.

  7   Personnellement, je ne me doutais pas du tout de ce qui allait se passer.

  8   Question: Est-ce que des hommes armés, des éléments de l'armée sont venus

  9   chez vous à Prijedor?

 10   Réponse: Oui.

 11   Question: Et comment se fait-il que vous et votre frère, vous ayez été

 12   arrêtés? Que s'est-il passé?

 13   Réponse: Nous avons déjeuné. Je me souviens, nous avons plaisanté quelque

 14   peu. J'ai dit à mon frère: "Il faut que tu manges bien, parce que cela

 15   peut être très utile pour nous". Bien évidemment, c'était une

 16   plaisanterie. Je ne me rendais pas compte de ce qui allait se passer.

 17   Ensuite, j'ai entendu un coup, quelqu'un qui frappait sur la porte. Il

 18   nous a demandé de sortir. Tous les hommes devaient sortir, lever les bras

 19   en l'air. Nous l'avons fait, bien évidemment.

 20   Question: Est-ce que vous avez découvert d'où venait cette voix? Est-ce

 21   qu'il y avait des gens, des hommes, des soldats là?

 22   Réponse: Oui, il s'agissait de soldats, de soldats qui portaient des

 23   uniformes de camouflage. Moi, je suis sorti du couloir, j'ai levé les

 24   mains en l'air. Ma mère était dans la cour, elle pleurait. Elle demandait

 25   où ils nous emmenaient.


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  1   Un soldat est venu, a entouré de ses mains ma mère. Il a dit: "Ecoute, ne

  2   t'inquiète pas. On va simplement leur faire passer un interrogatoire, et

  3   ils vont revenir à la maison. Ne t'inquiète pas.".

  4   Question: Ces soldats, avaient-ils des armes?

  5   Réponse: Tous avaient des fusils automatiques.

  6   Question: Avez-vous reconnu l'un quelconque de ces individus qui ont

  7   participé à votre arrestation, la vôtre et celle de votre frère?

  8   Réponse: Oui, j'ai reconnu un certain nombre de personnes.

  9   Question: Est-ce que vous saviez de quelle appartenance ethnique étaient

 10   les hommes qui ont participé à votre arrestation?

 11   Réponse: Ils étaient tous de nationalité serbe.

 12   Question: Vous souvenez-vous de l'un quelconque des noms de ces individus

 13   que vous avez reconnus à l'époque?

 14   Réponse: Il y avait Dragan Skoric; ensuite, Zigo, c'était un chauffeur de

 15   taxi d'Omarska; ensuite, il y avait Tica; ensuite, Uzelas, Branko Uzelac.

 16   Ils étaient nombreux, oui, ils étaient nombreux.

 17   Question: Vous avez parlé d'un chauffeur de taxi?

 18   Réponse: Oui.

 19   M. le Président (interprétation): Pourriez-vous répéter votre réponse

 20   Monsieur le Témoin A?

 21   Témoin A (interprétation): J'ai vu beaucoup de personnes, j'ai vu Dragan

 22   Skoric, j'ai vu Uzelac, j'ai vu Zigo d'Omarska, il était chauffeur de

 23   taxi. J'ai vu Tica également d'Omarska. J'ai vu un autre homme dont le

 24   surnom était Joja et qui portait un uniforme noir. Ils étaient nombreux.

 25   Question: Est-ce que vous avez revu l'un quelconque de ces hommes qui


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  1   avaient participé à votre arrestation par la suite à Keraterm?

  2   Réponse: C'est uniquement la personne qui portait l'uniforme noir que

  3   j'avais vue. Je me souviens qu'ils lui ont donné un surnom, ils

  4   l'appelaient par un surnom "Joja". Il est venu à Keraterm deux jours plus

  5   tard, il est entré dans le dortoir. Il a mis à l'écart les armes qu'il

  6   portait, ensuite, il a demandé s'il y avait quelqu'un de Bosanski Novi,

  7   c'est un village. C'est un village, surnommé... Attendez, excusez-moi un

  8   petit moment, je ne peux plus m'en souvenir… Je ne me souviens plus du nom

  9   du village, peut-être que cela va revenir plus tard. Il y avait deux

 10   personnes qui ont répondu.

 11   M. Ryneveld (interprétation): Au moment de votre arrestation, est-ce que

 12   vous entendiez des bruits d'origine militaire au lointain?

 13   Réponse: Oui, j'ai entendu des obus qui tombaient au-dessus, par rapport à

 14   ma maison, peut-être à 200 ou 300 mètres plus loin, ou 150, 200 mètres, je

 15   ne suis pas sûr.

 16   Question: Est-ce que vous avez découvert quelle était la conséquence de

 17   ces bruits de chars et de grenades que vous avez entendus?

 18   Réponse: J'ai effectivement entendu les obus, les chars, et il y a eu une

 19   maison qui a été touchée, huit ou neuf personnes ont été victimes de cet

 20   incident. Hodza aurait dû les enterrer. Je sais qu'on l'avait informé pour

 21   lui demander de les enterrer. Quand je suis sorti du camp, j'ai appris que

 22   le hodza avait même filmé tout ce qu'il a vu de ses propres yeux.

 23   Question: Pour que tout soit clair dans mon esprit, quand vous parlez du

 24   "hodza", vous parlez d'un prêtre musulman, en quelque sorte?

 25   Réponse: Oui, oui.


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  1   Question: Je vois, je vous remercie.

  2   Vous nous avez parlé de l'arrestation de votre frère et de vous-même,

  3   alors que vous vous trouviez chez vous?

  4   Réponse: Oui.

  5   Question: Mais quel est le traitement qui vous a été réservé, une fois que

  6   vous avez été arrêtés par ces soldats. Que vous ont-ils dit?

  7   Réponse: Ils nous ont dit de lever les mains, de les mettre sur la nuque,

  8   et de nous acheminer vers les bus, là où ils ont été garés. Au moment où

  9   nous sommes arrivés jusqu'aux bus, le conducteur était déjà sur son siège.

 10   Il y avait un soldat qui était à côté, qui nous a confisqué tout ce qui

 11   était chaînes, argent et cigarettes, tout ce que l'on avait dans nos

 12   poches.

 13   Question: Et que s'est-il passé par la suite, une fois que tous vos objets

 14   de valeur vous ont été confisqués?

 15   Réponse: Après cela, il ne nous a pas permis de rester sur les sièges. Il

 16   nous a demandé de nous asseoir sur le plancher. Il y avait cet homme qui

 17   portait cet uniforme noir, dont j'ai parlé tout à l'heure, surnommé

 18   "Joja", il est monté dans le bus. Il nous a demandé pourquoi on était

 19   assis sur le plancher et non pas sur les siège, ce qui aurait été normal.

 20   On a répondu que le soldat nous a demandé de nous asseoir sur le plancher.

 21   Ensuite, [expurgée], que je connais très bien,

 22   il a sorti 200 marks, et quand cette personne en uniforme noir a vu qu'il

 23   nous a confisqué l'argent, il est allé vers lui, et lui a donné un coup.

 24   Il a rendu l'argent à Muhamed. Ensuite, il a mis tout le reste dans le

 25   coffre de la Mercedes, il a pris le conducteur, il a pris ce soldat dont


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  1   il a été question tout à l'heure et il leur a imposé de monter dans la

  2   Mercedes, et les a conduits quelque part, je ne sais pas où exactement.

  3   Question: Pendant que vous étiez dans le bus, on vous a passé à tabac ou

  4   non?

  5   Réponse: Pas moi personnellement. J'ai vu de mes propres yeux qu'on avait

  6   fait subir un certain nombre de sévices à mon voisin, à Hasan également.

  7   Question: Mais pour que je sois tout à fait au clair, vous-même, votre

  8   jeune frère, et combien d'autres personnes également, on vous a fait

  9   monter dans ce bus à côté de la maison dont il était question, à Donja

 10   Puharska?

 11   Réponse: Nous étions entre 50 et 60 à peu près, au total.

 12   Question: Il y avait combien de cars au total, à peu près?

 13   Réponse: Si j'ai bien compté, il y en avait 6. Mais tous les cars

 14   n'étaient pas garés au même endroit. Mon autobus était à Donja Puharska,

 15   il y en avait d'autres. D'autres étaient garés devant la mosquée. Il y

 16   avait également un autre parking où ont été garés d'autres cars, je ne

 17   peux pas vous dire exactement.

 18   Question: Par conséquent, le bus dans lequel vous êtes montés, vous-même

 19   ainsi que votre frère, a été garé à côté de votre maison?

 20   Réponse: Oui.

 21   Question: Si je vous ai bien compris, les autocars sont partis, vous-même,

 22   on vous a conduit jusqu'à Omarska et, sur la route, vous avez traversé

 23   également le village de Kozarac?

 24   Réponse: C'est exact.

 25   Question: Sur la route, en allant vers Kozarac, le 31 mai, en direction


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  1   d'Omarska, qu'avez-vous pu voir?

  2   Réponse: J'ai vu beaucoup de personnes tuées, le bétail également, aussi

  3   bien des vaches et que des chevaux. Egalement, une image est également

  4   gravée dans ma mémoire: un homme posé sur sa tête et contre un mur mais il

  5   y avait de tout, mort, il y avait de tout. Les maisons ont été incendiées,

  6   il y avait de la fumée qui était un peu partout. Il y avait des maisons

  7   qui étaient en bon état, mais ce sont les maisons qui appartenaient aux

  8   Serbes.

  9   Question: Et enfin, vous vous êtes arrivé jusqu'à Omarska, c'est bien

 10   cela?

 11   Réponse: Oui.

 12   Question: Je pense que vous nous avez dit que vous vous êtes rendu à

 13   Omarska et que, là-bas, on a dit qu'il n'y avait plus de place dans ce

 14   camp pour vous. Un agent de police, un chauffeur a dit quelque chose?

 15   Réponse: Il a dit au conducteur: "Donne-moi les quatre, je vais les

 16   égorger, les autres, tu peux les prendre où tu veux".

 17   Question: Que s'est-il passé?

 18   M. le Président (interprétation): Maître Ryneveld, excusez-moi, je vous

 19   interromps mais, si les interprètes sont d'accord, nous allons poursuivre

 20   jusqu'à 16 heures 15.

 21   M. Ryneveld (interprétation): Merci, je poursuis.

 22   Question: Vous êtes partis d'Omarska par conséquent, et vous vous êtes

 23   rendus jusqu'à Keraterm?

 24   Réponse: Oui.

 25   Question: Au moment où votre bus est arrivé jusqu'à Keraterm, où êtes-vous


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  1   arrivé exactement, s'il vous plaît? Y avait-il une localité précise?

  2   Pourriez-vous donner une description de Keraterm?

  3   Réponse: Oui, nous sommes entrés dans la cour. Un ordre a été donné. On

  4   nous a demandé de sortir du bus, de lever les mains en l'air, de nous

  5   tourner vers le mur, d'écarter les jambes. Ensuite, quelqu'un s'est

  6   approché de moi, il m'a donnée un coup sur la tête, il a proféré des

  7   injures sur ma mère. Il m'a dit ensuite: "Comment gardes-tu tes mains? Ce

  8   n'est pas correct". Il m'a demandé également de lever les trois doigts.

  9   Question: Est-ce qu'il vous a fait quelque chose ou je n'ai pas très bien

 10   compris, parce que vous étiez contre le mur…

 11   M. Vucicevic (interprétation): Objection! Il y avait de toute façon une

 12   question qui contenait également la réponse. La première fois, je n'ai pas

 13   réagi au moment où l'on a parlé pour faire sortir les quatre civils pour

 14   les égorger. Mais là, je trouve que ce n'est pas correct.

 15   M. le Président (interprétation): Je pense que l'accusation, ici, pose la

 16   question justement pour être au clair de ce que le témoin veut nous

 17   présenter.

 18   M. Ryneveld (interprétation): Vous nous avez dit que l'on vous a demandé

 19   d'utiliser les trois doigts et non pas les cinq, de les poser contre les

 20   murs. Est-ce qu'il y a autre chose qui vous est arrivé?

 21   Témoin A (interprétation): Oui. Au moment où, par conséquent, je me suis

 22   appuyé contre le mur, comme on me l'a demandé, quelqu'un s'est approché

 23   derrière et m'a donné un coup très dur sur la tête. Il a dit: "Tu n'as pas

 24   le droit de t'appuyer sur tes deux mains et les cinq doigts. Mais tu as le

 25   droit d'utiliser les trois doigts".


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  1   Question: Au moment où vous êtes arrivé à Keraterm, est-ce que vous vous

  2   souvenez, est-ce qu'à ce moment-là vous connaissiez quelqu'un qui était à

  3   Keraterm? Je parle du moment où vous êtes arrivé.

  4   Réponse: Oui, je connaissais un certain nombre de personnes.

  5   Question: Pourriez-vous nous dire, Monsieur, qui sont les personnes que

  6   vous avez reconnues?

  7   Réponse: J'ai reconnu Tomica, ensuite Dragan, ensuite Kole, ensuite

  8   Civerica, ensuite les frères Banovic. Il y en avait d'autres également.

  9   Question: Eh bien, toutes ces personnes-là y étaient au moment où vous

 10   vous êtes rendu dans le camp?

 11   Réponse: Oui.

 12   Question: C'était à quel moment de la journée?

 13   Réponse: C'étaient vers cinq heures et demie, six heures de l'après-midi.

 14   Question: Et après cet ordre qui a été donné de vous tourner contre le

 15   mur, il y avait autre chose qui s'est passé à vous-même, aux autres

 16   détenus? Avez-vous disposé de documents? Vous a-t-on demandé des

 17   documents?

 18   Réponse: On nous a d'abord demandé de nous tourner contre le mur, de nous

 19   appuyer comme je l'ai dit. Ensuite, on nous a pris tous les documents que

 20   nous avions sur nous, que ce soit le passeport, les cartes d'identité ou

 21   n'importe quoi. Ils nous ont tout pris et ils ont détruit tout cela.

 22   Question: Et ensuite, que s'est-il passé une fois que l'on vous a

 23   fouillés, que l'on a pris les documents et qu'on les a détruits?

 24   Réponse: Ensuite, on nous a dit qu'il fallait entrer dans une pièce. Il y

 25   avait de toutes petites portes, des portes étroites. Il y avait un soldat


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  1   qui était à la porte et il nous donnait des coups avec la crosse de fusil.

  2   Moi, j'ai eu de la chance, on ne m'a pas donné de coups avec le fusil

  3   parce que je suis passé vite fait, et il n'a pas eu le temps.

  4   Question: Est-ce que vous vous souvenez également du numéro de la pièce?

  5   Réponse: C'était le n°2, la pièce n°2.

  6   Question: Est-ce que vous êtes resté dans cette pièce n°2 tout le temps,

  7   pendant votre séjour à Keraterm?

  8   Réponse: Non.

  9   Question: Ensuite, on vous a transféré dans quelle autre pièce?

 10   Réponse: C'est la pièce n°1, car tous ceux qui sont allés pour être

 11   interrogés dans la pièce n°2 ont été envoyés ensuite dans la pièce n°1.

 12   Question: Votre frère [expurgée], était-il avec vous dans la pièce n°2?

 13   Réponse: Mais nous tous qui sommes arrivés jusqu'à Keraterm, nous étions

 14   d'abord dans cette pièce n°2. Nous étions les premiers à avoir été

 15   arrêtés.

 16   Question: Mais cette pièce 2, est-ce que, Monsieur, vous vous souvenez de

 17   la dimension de cette pièce? Quelle était la grandeur de la pièce?

 18   Réponse: Elle était beaucoup plus grande que d'autres pièces à Keraterm.

 19   Il y avait dans cette pièce entre 570 et 580 personnes qui ont été

 20   entassées.

 21   Question: Si, par exemple, vous vouliez décrire la grandeur de cette

 22   pièce, qu'est-ce que vous nous auriez dit? Est-ce que cette pièce était

 23   plus grande ou moins grande par rapport à ce prétoire? De combien de fois?

 24   Est-ce que vous pouvez vous tourner un peu, regarder autour de vous et

 25   essayer de faire la comparaison avec le prétoire dans lequel vous vous


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  1   trouvez?

  2   Réponse: Oui. Elle était à peu près grande comme cette pièce-là -peut-être

  3   pas tout à fait-, jusqu'au banc des conseils, et 15 mètres en profondeur.

  4   Il y avait également des grilles en fer et l'on voyait quelques engins,

  5   des machines. C'est ce que l'on a vu.

  6   Question: Et pour ce qui concerne la largeur de la pièce, vous êtes là où

  7   vous êtes et vous regardez les Juges. Vous avez dit que c'étaient 15

  8   mètres à peu près. Est-ce que vous pouvez nous dire quelle était la

  9   largeur par rapport aux Juges, au banc des Juges?

 10   Réponse: Non, moi, je n'ai pas de parlé de 15 mètres de largeur. J'ai

 11   parlé de la profondeur de 15 mètres. Elle était entre six et huit mètres

 12   de largeur. J'ai dit qu'il y avait la profondeur, c'est bien plus loin que

 13   le banc des Juges.

 14   Question: Entre six et huit mètres. Vous faites la comparaison avec le

 15   prétoire. Est-ce que vous pouvez dire qu'il s'agissait d'une pièce plus

 16   grande ou moins grande par rapport au prétoire? C'est pour que l'on se

 17   comprenne.

 18   Réponse: Elle était un peu plus grande que ce prétoire, mais vraiment pas

 19   trop.

 20   Question: Au moment où vous avez été transféré dans cette pièce que vous

 21   dites n°1, est-ce que cette pièce n°1 était aussi grande que la pièce n°2?

 22   Réponse: Non, elle était plus petite.

 23   Question: Est-ce que vous êtes en état, en mesure de nous donner une idée,

 24   de dire ce que cela représentait une fois de plus en comparaison avec le

 25   prétoire?


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  1   Réponse: Elle était douze sur quatre à peu près. C'est tout ce que je peux

  2   vous dire. Il y avait donc trois palettes, trois chaînes de machines,

  3   d'engins, qui auraient pu éventuellement être placées, situées dans cette

  4   pièce.

  5   Question: Juste pour être sûr que je vous ai bien compris, vous avez dit

  6   par rapport à cette rangée, à ces palettes…, est-ce que vous pouvez une

  7   fois de plus, pour que nous voyons un peu plus clair, nous dire par

  8   rapport à ce prétoire de combien cette pièce était à peu près?

  9   Réponse: Je pense que c'était à peu près comme ce prétoire, mais en plus

 10   étroit. En longueur c'est bon, mais en largeur pas tout à fait.

 11   M. le Président (interprétation): Maître Ryneveld, je suis désolé, mais je

 12   pense que nous allons quand même être obligés de disposer des dimensions

 13   exactes.

 14   M. Ryneveld (interprétation): Absolument.

 15   Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ce sont d'autres témoins qui

 16   vont nous ramener également des schémas plus exacts, etc.

 17   Je poursuis donc avec mes questions.

 18   Combien de temps êtes-vous resté dans la pièce 2 avant d'être transféré

 19   dans la pièce n°1?

 20   Témoin A (interprétation): Je suis resté entre onze et douze jours dans

 21   cette pièce n°2.

 22   Question: Pendant que vous étiez à Keraterm, pourriez-vous nous donner une

 23   idée en ce qui concerne le nombre d'équipes?

 24   Réponse: Il y en avait trois.

 25   Question: Sauriez-vous nous dire à combien d'heures à peu près ils se


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  1   relayaient? A quelle heure également?

  2   Réponse: Je sais, ils ont travaillé de six heures le matin à 18 heures le

  3   soir.

  4   Question: Est-ce que vous savez également comment ils se sont relayés,

  5   quel était l'ordre?

  6   Réponse: Non, je ne saurais pas vous donner une réponse tout à fait

  7   précise. Ce que je peux dire, c'est qu'il y avait d'abord cette équipe de

  8   Fustar, ensuite de Kole, et enfin, la troisième équipe de Kajin.

  9   Question: Est-ce que vous vous souvenez également des gardes et des noms

 10   des gardes? Est-ce que vous savez qui étaient avec Kole par exemple, dans

 11   son équipe?

 12   Réponse: Il y avait son adjoint, Batan. Ensuite, je connais Dugi

 13   également mais je ne peux pas dire pour les autres parce que tous ceux qui

 14   portaient des uniformes avaient le droit de se rendre dans la cour du

 15   camp.

 16   Question: Eh bien, maintenant, nous allons revenir sur la pièce n°1 pour

 17   avoir quelque peu plus de détails. Vous avez passé onze ou douze jours

 18   dans la pièce n°2. Ensuite, on vous a transféré dans la pièce n°1.

 19   Vous étiez combien? Pouvez-vous donner à peu près le nombre de personnes

 20   qui étaient avec vous?

 21   Réponse: Il y en avait entre 30 et 40 au moment où je suis arrivé, mais

 22   beaucoup plus sont passés à l'interrogatoire. On nous a dit qu'un certain

 23   nombre de personnes était retourné chez eux.

 24   Ensuite, il y avait cette interdiction de rentrer chez nous.

 25   Ce n'est que par la suite que j'ai appris que des personnes relâchées


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  1   avaient été arrêtées de nouveau et ramenées au camp.

  2   M. le Président (interprétation): Maître Ryneveld, je pense que maintenant

  3   il faut peut-être lever l'audience.

  4   M. Ryneveld (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Je peux

  5   m'arrêter tout de suite, ou éventuellement, j'en termine avec le

  6   paragraphe 9 et nous levons la séance.

  7   M. le Président (interprétation): Avez-vous déjà entamé le paragraphe 9?

  8   M. Ryneveld (interprétation): Je me suis préparé pour entamer les

  9   questions au sujet du paragraphe 9.

 10   M. le Président (interprétation): Nous avons travaillé un quart d'heure de

 11   plus. Il ne faut pas abuser de la disposition des interprètes.

 12   M. Ryneveld (interprétation): Nous allons continuer demain matin.

 13   M. Greaves (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Président. A

 14   l'occasion d'une conférence de mise en état, j'ai soulevé la question de

 15   la communication de l'avocat avec son client après l'audience. Je ne sais

 16   pas si nous sommes parvenus à une position définitive sur la question.

 17   J'aimerais savoir ce que vous souhaiteriez que nous fassions. Il ne

 18   faudrait pas de communication une fois que le serment a été donné, à moins

 19   que ce ne soit avec l'autorisation de la Chambre. Nous parlons, ici, de

 20   communication avec le témoin.

 21   M. le Président (interprétation): C'est bien la procédure. Monsieur le

 22   Témoin A, vous n'êtes pas censé vous entretenir avec qui que ce soit. Ceci

 23   inclut aussi les représentants du Bureau du Procureur.

 24   Ne reprendrons l'audience demain à 9 heures 30. L'audience est levée.

 25   (L'audience est levée à 16 heures 15.)