Affaire no : IT-02-54-AR73.4
LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Fausto POCAR, Président

M. le Juge Claude JORDA
M. le Juge Mohamed SHAHABUDDEEN
M. le Juge David HUNT
M. le Juge Mehmet GÜNEY

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
30 septembre 2003

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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DÉCISION RELATIVE À L’APPEL INTERLOCUTOIRE FORMÉ PAR L’ACCUSATION CONTRE LA DÉCISION RELATIVE À L’ADMISSIBILITÉ DE DÉCLARATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES DANS LE CADRE DE L’EXPOSÉ DE SES MOYENS

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla del Ponte
M. Geoffrey Nice

L’Accusé :

Slobodan Milosevic (non représenté)

Les Amici Curiae :

M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy McCormack

Contexte

1. En vertu de l’autorisation d’appel accordée par la Chambre de première instance conformément à l’article 73 C) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement  »)1, l’Accusation a fait appel de la décision rendue par la Chambre de première instance III2 par laquelle celle-ci rejetait la requête de l’Accusation présentée en application de l’article 89 du Règlement aux fins d’admettre comme éléments de preuve certaines dépositions présentées par écrit. Ces dépositions prennent la forme de déclarations écrites ou de résumés de déclarations écrits signés par les témoins pour en attester la véracité, et que ces témoins produiront lorsqu’ils comparaîtront au procès. L’Accusation a proposé que les témoins concernés ne déposent pas oralement dans le cadre de l’exposé de ses moyens (sauf en cas d’interrogatoire supplémentaire) mais qu’ils attestent oralement l’exactitude des propos contenus dans leur déclaration écrite et qu’ils puissent être soumis à un contre-interrogatoire par l’Accusé. Les déclarations écrites peuvent également, dans certains cas, contenir des éléments tendant à prouver les actes et le comportement de l’Accusé tels qu’allégués dans l’acte d’accusation.

2. La Chambre de première instance a estimé que « pareilles déclarations écrites sont uniquement et exclusivement admissibles dans le cadre de l’article 92 bis du Règlement3 ». Dans sa Décision, la Chambre de première instance s’est fondée sur la conclusion rendue par la Chambre d’appel dans l’affaire Galic selon laquelle « l’article 92 bis est la lex specialis qui déroge à la lex generalis de l’article 89 C) en lui soustrayant l’admissibilité des déclarations écrites de témoins potentiels et des comptes rendus de témoignages4 ». En outre la Chambre de première instance a considéré que l’article 92 bis offrait des garanties absentes de l’article 89, notamment

a) le fait que la déclaration est certifiée avant que le témoin ne se présente à l’audience et avant que toute modification ne soit apportée,

b) la nécessité que la Chambre de première instance examine l’admissibilité de la déclaration, et

c) l’exclusion de tout élément de preuve concernant les actes et le comportement de l’accusé [...]5.

3. Dans l’opinion dissidente qu’il a jointe à la Décision, le Juge Kwon a estimé qu’il convenait d’accéder à la requête de l’Accusation « pour autant que les déclarations de témoin ne tendent pas à établir les actes et le comportement de l’accusé, que les témoins puissent venir certifier, sous serment et devant le Tribunal international , que leurs déclarations sont véridiques, et qu’ils soient soumis à un contre-interrogatoire par l’accusé6 ». Le Juge Kwon a considéré que « l’article 92 bis du Règlement est applicable aux dépositions présentées sous la forme de déclarations écrites lorsque leur auteur n’est pas soumis à un contre-interrogatoire7 ». Le Juge Kwon a invoqué deux arguments principaux à l’appui de sa conclusion. Tout d’abord, le fait que l’article 89 F) et l’article 92 bis aient été introduits lors de la même modification du Règlement indique clairement que dans l’intérêt de la justice, le Règlement n’est pas censé s’appliquer de manière rigide8. Ensuite, le Juge Kwon a estimé que les garanties offertes par l’article 92 bis  B) deviennent superflues lorsque le témoin comparaît au procès et que les dérogations prévues à l’article 92 bis C) ne s’appliquent que lorsqu’il est impossible de procéder au contre-interrogatoire du témoin.

4. Dans son Mémoire, l’Accusation demande notamment que la Chambre d’appel dise que « la Chambre de première instance a conclu à tort qu’en vertu du Règlement, les déclarations écrites (telles que décrites dans le Rapport de l’Accusation relatif au temps disponible pour achever la présentation des moyens à charge) sont uniquement et exclusivement admissibles dans le cadre de l’article 92 bis, et que le Règlement ne prévoit pas l’admission d’éléments de preuve selon la procédure proposée par l’Accusation9 ». L’Accusation demande également que « la Chambre d’appel, exerçant son pouvoir discrétionnaire, l’autorise à présenter des déclarations écrites de témoins en application de l’article 89 F ) dans le cadre de l’exposé de ses moyens, ces derniers reprenant à leur compte à l’audience une déclaration ou un résumé de déclaration qu’ils ont signés pour en attester la véracité, et acceptant de se soumettre par la suite à un contre-interrogatoire 10 ». En outre, l’Accusation demande à la Chambre d’appel de se prononcer sur le champ d’application et le but des articles  89 et 92 bis du Règlement et de clarifier les paramètres juridiques relatifs à l’admission de telles déclarations écrites comme éléments de preuve11.

Les dispositions pertinentes du Règlement

5. Le présent appel porte essentiellement sur les articles 89 et 92 bis et sur les rapports qu’ils entretiennent. Ils apparaissent tous deux dans la Section 3 du Règlement (intitulée « De la preuve ») et ils sont cités in extenso ci-après  :

Article 89
Dispositions générales

A) En matière de preuve, la Chambre applique les règles énoncées dans la présente section et n’est pas liée par les règles de droit interne régissant l’administration de la preuve.

B) Dans les cas où le Règlement est muet, la Chambre applique les règles d'administration de la preuve propres à parvenir, dans l'esprit du Statut et des principes généraux du droit, à un règlement équitable de la cause.

C) La Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu'elle estime avoir valeur probante.

D) La Chambre peut exclure tout élément de preuve dont la valeur probante est largement inférieure à l'exigence d'un procès équitable.

E) La Chambre peut demander à vérifier l'authenticité de tout élément de preuve obtenu hors audience.

F) La Chambre peut recevoir la déposition d’un témoin oralement, ou par écrit si l’intérêt de la justice le commande.

Article 92 bis
Faits prouvés autrement que par l’audition d’un témoin

A) La Chambre de première instance peut admettre, en tout ou en partie, les éléments de preuve présentés par un témoin sous la forme d’une déclaration écrite, au lieu et place d’un témoignage oral, et permettant de démontrer un point autre que les actes et le comportement de l’accusé tels qu’allégués dans l’acte d’accusation.

i) Parmi les facteurs justifiant le versement au dossier d’une déclaration écrite , on compte notamment les cas où lesdits éléments de preuve :

a) sont cumulatifs, au sens où d’autres témoins déposeront ou ont déjà déposé oralement sur des faits similaires ;

b) se rapportent au contexte historique, politique ou militaire pertinent;

c) consistent en une analyse générale ou statistique de la composition ethnique de la population dans les lieux mentionnés dans l’acte d’accusation ;

d) se rapportent à l’effet des crimes sur les victimes ;

e) portent sur la moralité de l’accusé ; ou

f) se rapportent à des éléments à prendre en compte pour la détermination de la peine.

ii) Parmi les facteurs s’opposant au versement au dossier d’une déclaration écrite , on compte les cas où :

a) l’intérêt général commande que les éléments de preuve concernés soient présentés oralement ;

b) une partie qui s’oppose au versement des éléments de preuve peut démontrer qu’ils ne sont pas fiables du fait de leur nature et de leur source, ou que leur valeur probante est largement inférieure à leur effet préjudiciable ou

c) il existe tout autre facteur qui justifie la comparution du témoin pour contre -interrogatoire.

B) Une déclaration écrite soumise au titre du présent article est recevable si le déclarant a joint une attestation écrite selon laquelle le contenu de la déclaration est, pour autant qu’il le sache et s’en souvienne, véridique et exact et

i) la déclaration est recueillie en présence :

a) d’une personne habilitée à certifier une telle déclaration en conformité avec le droit et la procédure d’un État ou

b) un officier instrumentaire désigné à cet effet par le Greffier du Tribunal international et

ii) la personne certifiant la déclaration atteste par écrit :

a) que le déclarant est effectivement la personne identifiée dans ladite déclaration ;

b) que le déclarant a affirmé que le contenu de la déclaration est, pour autant qu’il le sache et s’en souvienne, véridique et exact ;

c) que le déclarant a été informé qu’il pouvait être poursuivi pour faux témoignage si le contenu de la déclaration n’était pas véridique et

d) la date et le lieu de la déclaration.

L’attestation est jointe à la déclaration écrite soumise à la Chambre de première instance.

C) Une déclaration écrite ne se présentant pas sous la forme prévue au paragraphe  B) peut néanmoins être recevable si elle provient d’une personne décédée par la suite, d’une personne qui ne peut plus être retrouvée malgré des efforts raisonnables ou d’une personne qui n’est pas en mesure de témoigner oralement en raison de son état de santé physique ou mentale, sous réserve que la Chambre de première instance :

i) en conclut ainsi sur la base de l’hypothèse la plus probable et

ii) estime que les circonstances dans lesquelles la déclaration a été faite et enregistrée présentent des indices suffisants de sa fiabilité.

D) La Chambre peut verser au dossier le compte rendu d’un témoignage entendu dans le cadre de procédures menées devant le Tribunal et qui tend à prouver un point autre que les actes et le comportement de l’accusé.

E) Sous réserve de l’article 127 ou de toute ordonnance contraire, une partie qui entend soumettre une déclaration écrite ou le compte rendu d’un témoignage le notifie quatorze jours à l’avance à la partie adverse, qui peut s’y opposer dans un délai de sept jours. La Chambre de première instance décide, après audition des parties , s’il convient de verser la déclaration ou le compte rendu au dossier, en tout ou en partie, ou s’il convient d’ordonner que le témoin comparaisse pour être soumis à un contre-interrogatoire.

Points soulevés par l’appel

6. Le premier point consiste à déterminer si, en droit, la présentation des moyens sous la forme proposée par l’Accusation respecte les dispositions du Règlement.

7. À supposer que ce soit le cas, l’Accusation demande à la Chambre d’appel d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’admettre les éléments de preuve en question en application de l’article 89.

Examen

La proposition de l’Accusation respecte-t-elle les dispositions du Règlement  ?

Argument relatif à la lex generalis

8. L’Accusation fait valoir que l’article 89 ne constitue pas la lex generalis par rapport à l’article 92 bis12. Elle fonde son argument sur le fait que les deux dispositions ont été introduites dans le Règlement lors de la 19e révision du Règlement le 13 décembre 2000 et sur le raisonnement adopté par le Juge Shahabuddeen dans son opinion partiellement dissidente jointe à une décision rendue précédemment en l’espèce13.

9. Le rapport existant entre l’article 89 et l’article 92 bis a déjà été examiné par la Chambre d’appel dans l’affaire Galic. La Chambre d’appel a alors jugé que « l’article 92 bis est la lex specialis qui déroge à la lex generalis de l’article 89 C) en lui soustrayant l’admissibilité des déclarations écrites de témoins potentiels et des comptes rendus de témoignages14 ». Conformément à cette conclusion, l’Accusation est tenue, lorsque s’applique l’article 92 bis, de satisfaire aux conditions requises par cet article pour que la Chambre de première instance admette des éléments de preuve en vertu de l’article 89.

10. Il est incontestable que l’approche adoptée par la Chambre d’appel tant dans la Décision Galic que dans la Décision du 30 septembre 2002 consiste à considérer l’article 92 bis comme étant une disposition restrictive dans le sens où lorsqu’elle s’applique, les conditions qu’elle impose doivent être remplies pour que des éléments de preuve soient admis. Toutefois, cette restriction ne s’étend pas aux éléments de preuve qui ne relèvent pas de l’article 92 bis.

Champ d’application de l’article

11. Le second point à examiner est celui de savoir si le cas qui nous concerne entre dans le champ d’application de l’article 92 bis. Il ressort manifestement de la Décision Galic et de la Décision du 30 septembre 2002 que cette disposition ne s’applique pas à tous les cas où une partie demande l’admission d’une déclaration écrite au lieu et place d’un témoignage oral.

12. Dans la Décision Galic, la Chambre d’appel a dit ce qui suit :

On ne peut autoriser une partie à présenter en vertu de l’article 89 C) la déclaration écrite d’un témoin potentiel recueillie par un enquêteur du Bureau du Procureur pour se soustraire à la rigueur de l’article 92 bis. L’objectif de l’article  92 bis est de restreindre l’admissibilité de ce type très particulier de preuves indirectes à celles entrant dans son champ d’application15.

13. La Chambre d’appel a également cité l’exemple d’une déclaration écrite n’entrant pas dans le champ d’application de l’article 92 bis :

Cependant, l’article 92 bis n’a aucun effet sur les preuves indirectes qui n’ont pas été établies aux fins de la procédure. Par exemple, le rapport préparé par Hamdija Cavcic [...] aurait pu être admis en application de l’article 89 C) s’il n’avait pas été préparé aux fins de la procédure (il est muet à ce sujet)16.

14. Dans la Décision du 30 septembre 2002, la Chambre d’appel a indiqué que « rien dans la Décision Galic ne fait obstacle à ce qu’une déclaration écrite faite par des témoins potentiels à des enquêteurs de l’Accusation ou à d’autres personnes aux fins de poursuites judiciaires soit admise comme élément de preuve même si elle ne satisfait pas aux conditions de l’article 92 bis – i) si aucune objection n’a été soulevée à son encontre, ou ii) si elle est devenue recevable pour d’autres raisons lorsque quelqu’un affirme, par exemple, que cette déclaration écrite contient une déclaration antérieure qui contredit la déposition du témoin17 ».

15. L’Accusation fonde ses arguments sur l’opinion dissidente du Juge Kwon jointe à la Décision attaquée. L’Accusation fait valoir que les conditions de l’article 92  bis n’ont plus lieu d’être dès lors que le témoin est prêt à se soumettre à un contre-interrogatoire18. Toutefois, l’article 92 bis E) prévoit expressément que la Chambre de première instance décide s’il convient d’ordonner que le témoin comparaisse pour être soumis à un contre-interrogatoire.

16. La Chambre d’appel est convaincue que le fait que le témoin comparaisse au procès et atteste oralement l’exactitude de sa déclaration écrite suffit à exclure la requête de l’Accusation du champ d’application de l’article 92 bis. Lorsque le témoin se présente à l’audience et atteste oralement l’exactitude de sa déclaration, on ne saurait considérer les éléments de preuve versés au dossier comme étant présentés exclusivement sous la forme d’une déclaration écrite au sens de l’article 92  bis. Le témoignage est alors une combinaison d’une déclaration orale et d’une déclaration écrite. La comparution du témoin pour certifier le contenu de la déclaration écrite est un élément essentiel qui rend inapplicable l’article 92 bis. Cette conclusion reste valable même dans le cas où le témoin se borne à faire à l’audience une brève déclaration par laquelle il atteste l’exactitude de sa déclaration écrite .

17. En outre, considérer ce témoignage comme une déclaration écrite au sens de l’article 92 bis, nonobstant la comparution du témoin, relèverait d’une interprétation excessivement formaliste. Si, par exemple, la Chambre autorisait un témoin à lire mot pour mot sa déclaration écrite, la déposition en question serait considérée comme un témoignage oral et ne serait donc pas soumise aux restrictions prévues à l’article 92 bis.

18. De fait, même si la déclaration écrite a été établie aux fins de la procédure, cela ne suffit pas en soi à la rendre exclusivement admissible en vertu de l’article  92 bis, sauf dans le cas où l’on envisage d’admettre cette déclaration au lieu et place du témoignage oral. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

19. Les amici curiae ont fait valoir que certaines garanties doivent être respectées avant que des éléments de preuve ne soient admis en application de l’article 92  bis et que, lorsque ces éléments portent sur les actes et le comportement de l’accusé (comme ce peut être le cas pour certains en l’espèce), les garanties devraient être plus importantes19. C’est là un élément dont la Chambre de première instance peut tenir compte pour déterminer si une déclaration écrite est admissible ou non en application de l’article  89 F) ou pour décider du poids à lui accorder. Toutefois, la Chambre d’appel est convaincue que la comparution d’un témoin aux fins d’attester oralement l’exactitude de la déclaration présentée constitue en soi une importante garantie car le témoin certifie l’exactitude de la déclaration devant la Chambre et il est en mesure de répondre aux questions des juges. L’article 92 bis B) exige que le témoin potentiel joigne une attestation écrite selon laquelle le contenu de sa déclaration est, pour autant qu’il le sache, véridique et exact. L’attestation faite par le témoin à l’audience se distingue d’une attestation écrite jointe à une déclaration . Une attestation écrite n’implique pas chez le témoin la certitude qu’il devra témoigner à l’audience et qu’il sera soumis à un contre-interrogatoire si la partie adverse le décide. L’article 92 bis E) prévoit simplement que le déclarant peut être soumis à un contre-interrogatoire.

Considérations relatives à l’administration de la justice

20. L’Accusation et les amici curiae soulèvent un certain nombre de points concernant les principes d’équité et d’économie judiciaire dans les affaires portées devant le Tribunal. L’Accusation fait valoir que le rejet de sa requête ferait notamment obstacle à un gain de temps appréciable et à l’admission d’éléments de preuve selon une procédure conforme au principe d’économie judiciaire20. Les amici curiae invoquent plusieurs raisons justifiant que les éléments de preuve soient présentés oralement s’ils sont produits en application d’un article autre que l’article 92 bis. Ils estiment notamment que si tel n’était pas le cas, la Chambre de première instance ne serait pas en mesure d’apprécier la crédibilité des témoins lors de l’interrogatoire principal et que les éléments de preuve présentés par l’Accusation seraient a priori acceptés et ne seraient appréciés qu’à l’occasion du contre-interrogatoire ; les amici curiae estiment enfin que la présentation d’éléments de preuve sous la forme de déclarations écrites viole le droit de l’accusé à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement21. Si ces points constituent des considérations importantes relatives à l’administration de la justice, ils ne portent pas sur la question consistant à déterminer si ces éléments de preuve constituent des déclarations écrites au sens de l’article 92  bis, et si la requête relève du champ d’application de cet article. Toutefois, ces points se révèlent pertinents pour déterminer si l’intérêt de la justice commande, selon les termes de l’article 89 F), d’admettre de telles déclarations. En tout état de cause, une fois admis de tels éléments de preuve, il faudra encore déterminer le poids à leur accorder. Au demeurant, en droit, il est loisible aux deux parties de faire admettre des éléments de preuve selon cette procédure.

L’intérêt de la justice commande-t-il l’admission des éléments de preuve en question ?

21. Nous l’avons dit plus haut, l’Accusation demande que « la Chambre d’appel, exerçant son pouvoir discrétionnaire, l’autorise à présenter les déclarations écrites de témoins en application de l’article 89 F) dans le cadre de l’exposé de ses moyens, ces derniers reprenant à leur compte à l’audience une déclaration ou un résumé de déclaration qu’ils ont signés pour en attester la véracité, et acceptant de se soumettre par la suite à un contre-interrogatoire22 ». La Chambre d’appel estime néanmoins que c’est à la Chambre de première instance de décider ce que commande « l’intérêt de la justice » aux termes de l’article 89  F) pour chaque témoin respectif, à la lumière non seulement des circonstances mais aussi des éléments de preuve présentés par le témoin.

Dispositif

Par ces motifs,

La Chambre d’appel, à la majorité (le Juge Hunt joignant l’exposé de son opinion dissidente)

Fait droit à l’appel formé contre la Décision dans la mesure où elle

Conclut qu’en droit, le Règlement autorise l’admission d’une déclaration écrite présentée en application de l’article 89 F) lorsque le témoin a) est présent à l’audience, b) peut être soumis à un contre-interrogatoire ou à toute question posée par les Juges et c) atteste que la déclaration écrite reflète fidèlement ses propos et correspond à ce qu’il déclarerait s’il était interrogé ; et

Renvoie la question devant la Chambre de première instance III pour qu’elle examine l’admission des éléments de preuve conformément à la présente décision.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 30 septembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
___________
Fausto Pocar

Le Juge Hunt joindra une opinion dissidente à la présente décision.

D’autres Juges se réservent le droit de joindre une opinion à la présente décision .

[Sceau du Tribunal]


1 - Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, Décision relative à deux requêtes de l’Accusation aux fins de certification d’appel de décisions rendues par la Chambre de première instance, affaire n° IT-02-54-T, 6 mai 2003.
2 - Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de l’admission de la déposition de ses témoins présentée par écrit dans le cadre de l’exposé de ses moyens, affaire n° IT-02-54-T, 16 avril 2003 (la « Décision »).
3 - Ibidem, p. 3.
4 - Le Procureur c/ Galic, Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté en vertu de l’article 92 bis C) du Règlement, affaire n° IT-98-29-AR73.2, 7 juin 2002 (la « Décision Galic »), par. 31.
5 - Décision, p. 3.
6 - Décision, Opinion dissidente du Juge Kwon, par. 6.
7 - Ibidem, par. 2
8 - Ibid., par. 3.
9 - Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, Interlocutory Appeal of the Prosecution against the Decision on Prosecution Motion for the Admission of Evidence-in-Chief of its Witnesses in Writing, affaire n° IT-02-54-AR73.4, 13 mai 2003 (le « Mémoire de l’Accusation »), partie V, par. 1.
10 - Ibidem, partie V, par. 3.
11 - Ibid., partie V.
12 - Mémoire de l’Accusation, par. 13 ; voir aussi par. 10 à 15.
13 - Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, Arrêt relatif à l’admissibilité d’éléments de preuve produits par un enquêteur de l’Accusation, affaire n° IT-02-54-AR73.2, 30 septembre 2002 (la « Décision du 30 septembre 2002 »), Opinion partiellement dissidente du Juge Shahabuddeen, par. 27 à 29.
14 - Décision Galic, par. 31.
15 - Ibidem [non souligné dans l’original].
16 - Ibid.
17 - Décision du 30 septembre 2002, par. 18 [note de bas de page omise].
18 - Mémoire de l’Accusation, par. 12 et 13.
19 - Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, Amici Curiae Reply to Prosecution Motion for the Admission of Evidence-in-Chief of its Witnessess in Writing, affaire n° IT-02-54-AR73.4, 21 mai 2003 (la « Réponse des Amici Curiae »), par. 11.
20 - Mémoire de l’Accusation, par. 29.
21 - Réponse des Amici Curiae, par. 14 à 17.
22 - Ibidem, partie V, par. 3.