Affaire n° : IT-02-54-T
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon Kwon
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
18 juin 2003
LE PROCUREUR
c/
SLOBODAN MILOSEVIC
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TROISIÈME DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS
D’ORDONNANCES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 54 bis DU RÈGLEMENT
À L’ADRESSE DE LA SERBIE-ET-MONTÉNÉGRO
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Le Bureau du Procureur :
M. Geoffrey Nice
Mme Hildegaard Uertz-Retzlaff
M. Dermot Groome
Les amici curiae :
M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy McCormack
L’accusé :
Slobodan Milosevic
Le gouvernement de Serbie-et-Monténégro
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé
de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du
droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie
depuis 1991 (le « Tribunal international »),
VU la requête de l’Accusation aux fins d’une ordonnance en application
de l’article 54 bis du Règlement contraignant la République fédérale
de Yougoslavie à donner suite aux demandes d’assistance en suspens (Prosecution’s
Application for an Order Pursuant to Rule 54 bis Directing the Federal Republic
of Yugoslavia to Comply With Outstanding Requests for Assistance), déposée
par l’Accusation le 13 décembre 2002 (la « Requête »), et la réplique de l’Accusation
à la réponse de la Serbie-et-Monténégro à la requête de l’Accusation aux fins
d’une ordonnance en application de l’article 54 bis du Règlement contraignant
la République fédérale de Yougoslavie à donner suite aux demandes d’assistance
en suspens ( Prosecution’s Reply to the Serbia and Montenegro Response to
the Prosecution’s Application for an Order Pursuant to Rule 54 bis Directing
the Federal Republic of Yugoslavia to Comply With Outstanding Requests for Assistance),
déposée le 27 février 2003,
VU les autres écritures des parties, les arguments exposés devant
la Chambre de première instance les 10 mars et 3 juin 2003, ainsi que les
ordonnances procédurales rendues par la Chambre de première instance1,
VU la « Décision partielle relative à la requête de l’Accusation aux
fins d’ordonnances en application de l’article 54 bis du Règlement à
l’adresse de la Serbie-et-Monténégro », rendue le 5 juin 2003 par la Chambre
de première instance,
VU la « Deuxième Décision relative à la requête de l’Accusation aux
fins d’ordonnances en application de l’article 54 bis du Règlement à
l’adresse de la SerbieetMonténégro », rendue par la Chambre de première instance
le 12 juin 2003, qui traite des demandes d’assistance de l’Accusation encore
pendantes, telles que répertoriées dans sa liste des documents prioritaires
demandés à la Serbie-et-Monténégro dans le cadre du procès de Slobodan Milosevic
(Priority List of Documents Requested from Serbia and Montenegro for the
Case Against Slobodan Milosevic), et dans laquelle la Chambre a fait observer
qu’une autre décision serait rendue s’agissant de la demande de l’Accusation
aux fins d'avoir accès aux archives,
VU les demandes de l’Accusation aux fins d’obtenir des ordonnances
de la Chambre de première instance contraignant la Serbie-et-Monténégro à autoriser
des membres de l'Accusation à consulter sur place des documents conservés dans
les locaux contrôlés par ses autorités2,
VU les arguments de l’Accusation selon lesquels 1) la Chambre de première
instance peut ordonner à la Serbie-et-Monténégro d’autoriser l’Accusation à
consulter les archives en application de l’article 54 bis du Règlement
de procédure et de preuve3 (le « Règlement »), et
2) la Chambre de première instance peut ordonner à la SerbieetMonténégro d’autoriser
l’Accusation à consulter les archives à la fois en application des articles 39
et 54 du Règlement4,
VU les dispositions de l’article 29 du Statut du Tribunal international
( le « Statut »), et la jurisprudence du Tribunal international concernant
l’obligation faite aux États de collaborer avec celui-ci à la recherche et
au jugement des personnes accusées d’avoir commis des violations graves du
droit international humanitaire et de répondre sans retard aux demandes d’assistance
ou aux ordonnances émanant de la Chambre de première instance5,
ATTENDU que les dispositions de l’article 54 bis du Règlement
et la jurisprudence du Tribunal international concernant l’obligation faite
aux États de produire des documents ou des informations n’habilitent pas la
Chambre de première instance à rendre des ordonnances autorisant une partie
à consulter sur place des documents ayant rapport à une affaire spécifique,
mais l'habilitent plutôt à délivrer des ordonnances contraignant des États6 à produire des documents spécifiques et identifiables7,
ATTENDU que 1) l’article 54 du Règlement constitue une lex generalis
en vertu de laquelle la Chambre de première instance peut délivrer les
ordonnances nécessaires aux fins de l’enquête, de la préparation ou de la conduite
du procès, que 2) l’article 54 bis du Règlement constitue une lex
specialis en vertu de laquelle la Chambre de première instance peut ordonner
à un État de communiquer à une partie des documents identifiables, et que 3) dès
lors, c'est en vertu de l’article 54 bis, et non de l’article 54, que
la Chambre peut délivrer des ordonnances contraignant un État à produire des
documents identifiables,
ATTENDU que la requête visant à ce que des membres de l’Accusation
soient autorisés à consulter sur place des documents conservés dans des locaux
contrôlés par les autorités de la Serbie-et-Monténégro revient en fait à demander
un mandat de perquisition, mais qu’étant donné les circonstances, la délivrance
d’un tel mandat n’est pas suffisamment fondée,
PAR CES MOTIFS,
EN APPLICATION de l’article 29 du Statut et des articles 54 et 54 bis
du Règlement,
REJETTE la Requête de l’Accusation aux fins d’ordonnances contraignantes
concernant la consultation d'archives conservées par les autorités de la Serbie-et-Monténégro.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de première instance
________
Richard May
Le 18 juin 2003
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]
1 - Ordonnance portant calendrier d’une audience consacrée
à l’examen d’une requête de l’Accusation aux fins d’une ordonnance contraignante,
datée du 10 janvier 2003 ; Written Response of Serbia and Montenegro to "Prosecution’s
Application for an Order pursuant to Rule 54 bis Directing the Federal Republic
of Yugoslavia to Comply with Outstanding Requests for Assistance", réponse
datée du 7 février 2003 ; Prosecution’s Request for Leave to File a Reply Regarding
Outstanding Requests for Assistance, document daté du 14 février 2003 ; Ordonnance
relative à la Requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de déposer une réplique,
datée du 19 février 2003 ; Submission of Serbia and Montenegro pursuant to
the Chamber Order Issued at the Oral Hearing of 10 March 2003 concerning the "Prosecution’s
Application for an Order pursuant to Rule 54 bis Directing the Federal Republic
of Yugoslavia to Comply with Outstanding Requests for Assistance", document
daté du 6 mai 2003 ; Prosecution Response to the 6 May 2003 Submission by Serbia
and Montenegro regarding Outstanding Requests for Assistance, document daté
du 20 mai 2003 ; Confidential Supplemental Information to the Prosecution Response
to the 6 May 2003 Submission by Serbia and Montenegro regarding Outstanding Requests
for Assistance, document daté du 5 juin 2003.
2 - Prosecution’s Reply to the Serbia and Montenegro
Response to the Prosecution’s Application for an Order Pursuant to Rule 54 bis
Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding Requests
for Assistance, par. 3, note 8 : « [L]e Bureau du Procureur a proposé d’envoyer
son personnel examiner ces archives. De cette façon, le personnel du Bureau du
Procureur utilisera son propre temps et ses propres ressources (y compris, s’il
le faut, des photocopieuses et des scanners) dans les services d’archives concernés
pour examiner leurs index. Les documents que l’Accusation estimera pertinents
pour le travail du Tribunal seraient alors soit scannés, soit photocopiés. L’ensemble
de cette opération se ferait dans l’optique de déranger le moins possible, avec
l’aide et la collaboration du personnel des archives en question. De cette façon,
le Bureau du Procureur recherchera avec une efficacité optimale les documents
jugés importants et pertinents (l’Accusation relève que, bien souvent, le personnel
des services d’archives présent sur place ne sait pas vraiment ce qui pourrait
être important et pertinent) » ; par. 9, note 14 : « Un tel examen/évaluation
pourrait s’intituler “accès aux archives”. » ; par. 12, note 22 : « L’Accusation
utilise l’expression “consulter sur place” pour garder trace de la manière dont
la Serbie-et-Monténégro l’emploie, et repérer les passages où elle s’oppose à
ce que les représentants du Tribunal et de son Procureur se rendent sur place,
dans des locaux situés sur le territoire de l’ex-Yougoslavie. » ; par. 13, note 25 :
« [L]’Accusation avance que l’article 54 bis « n’exclut pas clairement » qu'elle
n’a pas le droit de consulter les archives sur place, [...] simplement parce qu'il
ne prévoit aucune disposition visant l’examen des archives », document daté du
27 février 2003 ; Prosecution’s Application for an Order Pursuant to Rule 54 bis
Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding Requests
for Assistance, par. 8 à 10 : « Le Bureau du Procureur a émis six demandes
d'assistance aux fins d’avoir accès à un total de 16 services d’archives en RFY. » ;
par. 17, note 8 : « Veuillez noter que l’Accusation reconnaît qu’un tout petit
nombre de demandes sont formulées dans des termes généraux. À ce titre, elles
ont fait l’objet de demandes d'assistance supplémentaires, apportant des précisions.
Cependant, l’Accusation relève que, dans bon nombre de cas, il serait possible
de donner suite à ces demandes en autorisant le Bureau du Procureur à consulter
directement les archives. », document daté du 13 décembre 2002.
3 - Prosecution’s Application for an Order Pursuant
to Rule 54 bis Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding
Requests for Assistance, par. 1 et 8 à 19 ; Prosecution’s Reply to the
Serbia and Montenegro Response to the Prosecution’s Application for an Order Pursuant
to Rule 54 bis Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding
Requests for Assistance, par. 8 à 10 et 17.
4 - Prosecution’s Application for an Order Pursuant
to Rule 54 bis Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding
Requests for Assistance, par. 1 ; Prosecution’s Reply to the Serbia and
Montenegro Response to the Prosecution’s Application for an Order Pursuant to
Rule 54 bis Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding
Requests for Assistance, par. 10 à 12 et 17.
5 - Voir Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, Arrêt
relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d’examen de la décision
de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997, Chambre d’appel,
affaire n° IT-95-14-AR108 bis (29 octobre 1997), paragraphe 26 (où sont soulignés
« la nouveauté et, de fait, le caractère unique du pouvoir conféré [par l’article 29
du Statut] au Tribunal international de décerner des ordonnances aux États souverains) ».
6 - Voir Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire
n° IT-95-14-AR108 bis, paragraphe 27 (indiquant que l'obligation visée
à l’article 29 du Statut « concerne [...] des actions que les États ne peuvent
entreprendre qu’à travers leurs organes exclusivement [par exemple en cas d’une
ordonnance enjoignant à un État de produire des documents effectivement en la
possession d’un de ses responsables officiels] »).
7 - Voir Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire
n° IT-95-14-AR108 bis, paragraphe 32 (concluant que toute demande d’ordonnance
aux fins de production de documents rendue en vertu de l’article 29 2) du Statut
du Tribunal international doit identifier des documents précis et non pas seulement
indiquer de larges catégories, énoncer succinctement les raisons pour lesquelles
ces documents sont considérés comme pertinents pour le procès, être d’une exécution
relativement aisée et laisser à l’état concerné suffisamment de temps pour s’exécuter).