Affaire no : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président

M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon Kwon

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
30 juin 2003

LE PROCUREUR

C/

SLOBODAN MILOSEVIC

_____________________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE L’ADMISSION DE COMPTES RENDUS D’AUDIENCE AU LIEU ET PLACE DE DÉPOSITIONS AU PROCÈS EN APPLICATION DE L’ARTICLE 92 BIS D) DU RÈGLEMENT
(COMPTES RENDUS RELATIFS À FOCA)

_____________________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
M. Dermot Groome
Mme Hildegaard Uertz-Retzlaff

L’accusé :

Slobodan Milosevic

Amicus Curiae :

M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy McCormack

 

I. INTRODUCTION

1. Le 10 janvier 2003, l’Accusation a déposé une requête aux fins de l’admission de comptes rendus d’audience au lieu et place de dépositions au procès en application de l’article 92 bis D) du Règlement (Prosecution Motion for the Admission of Transcripts in Lieu of Viva Voce Testimony Pursuant To Rule 92 bis D)), par laquelle elle demandait l’admission, au lieu et place de dépositions au procès, des comptes rendus des dépositions faites par 11 témoins aux procès Krnojelac et Kunarac et des pièces à conviction y afférentes1. De plus, l’Accusation demandait que la Chambre de première instance ordonne que lesdits comptes rendus soient versés au dossier sans possibilité pour la Défense d’exercer son droit à procéder au contre-interrogatoire des témoins visés, comme le permet l’article 92 bis E) du Règlement. Les témoignages concernent des faits incriminés qui se seraient déroulés dans la municipalité de Foca. L’Accusation a indiqué qu’ils ne portaient pas sur les actes et le comportement de l’accusé ou sur un élément essentiel de sa défense, ce qui aurait justifié un contre-interrogatoire de ces témoins par l’accusé.

2. Le 3 février 2003, les amici curiae ont déposé un document intitulé « Observations des amici curiae au sujet de la requête aux fins de l’admission de comptes rendus d’audience au lieu et place de dépositions au procès en application de l’article 92 bis D) du Règlement, déposée le 10 janvier 2003 » (« Amici Curiae Observations on the Prosecution Motion for the Admission of Transcripts in Lieu of Viva Voce Testimony Pursuant to Rule 92 bis D), filed 10 January 2003  »), dans lequel ils font valoir que même si les comptes rendus visés ne contiennent pas d’éléments qui portent à proprement parler sur les actes et le comportement de l’accusé, la Chambre de première instance devrait décider néanmoins de ne pas les verser au dossier et exiger que tous les témoins déposent à l’audience. Ils font valoir en outre que, si la Chambre décidait de verser les comptes rendus au dossier en application de l’article 92 bis D), les témoins devraient être cités à comparaître en vue de leur éventuel contre-interrogatoire.

3. Le 10 février 2003, l’Accusation a déposé sa réponse aux Observations des amici curiae au sujet de la requête aux fins de l’admission de comptes rendus d’audience au lieu et place de dépositions au procès en application de l’article 92 bis D) du Règlement.

4. Le 28 avril 2003, la Chambre de première instance a entendu les arguments soulevés au sujet de la Requête. Elle a pris en considération tous les arguments des parties.

5. Le 1er mai 2003, l’Accusation a déposé un document en partie confidentiel intitulé « Additif à la requête aux fins de l’admission de comptes rendus d’audience au lieu et place de dépositions au procès en application de l’article 92 bis D) du Règlement » (« Addendum to Prosecution Motion for the Admission of Transcripts in Lieu of Viva Voce Testimony Pursuant To Rule 92 bis D) »), dans lequel elle a exposé les questions sur lesquelles les témoins ont déjà fait l’objet d’un contre -interrogatoire et qui peuvent présenter un intérêt pour le contre-interrogatoire de l’accusé en l’espèce.

6. Enfin, le 8 mai 2003, la Chambre de première instance s’est prononcée oralement sur la requête de l’Accusation :

« Cette décision concerne les comptes rendus des témoignages portant sur les faits qui se sont déroulés à Foca et leur admissibilité au regard de l’article 92 bis. Tous ces comptes rendus peuvent être versés au dossier en application dudit article. Feront l’objet d’un contre-interrogatoire les témoins : B-1015, B-1533, B-1618, B-1120, B-1536. La Chambre décide à l’unanimité, moins une voix, celle du Juge Robinson qui présente une opinion dissidente, que les dépositions des témoins suivants seront versées au dossier sans qu’il soit procédé à leur contre-interrogatoire  : B-1542, B-1543, B-1121, B1537, B-1538, B-1540. Les motifs de cette décision seront exposés sous peu par écrit ».

On trouvera ci-après la décision motivée de la majorité des juges de la Chambre de première instance. Le Juge Robinson y joint une opinion partiellement dissidente.

II. DROIT APPLICABLE

7. L’article 92 bis du Règlement traite de l’administration de la preuve des faits autrement que par l’audition d’un témoin, cette preuve pouvant prendre la forme d’une déclaration écrite (article 92 bis A)) ou du compte rendu de dépositions faites dans le cadre d’autres procédures engagées devant le Tribunal (article 92 bis D)).

8. Les dispositions pertinentes de l’article 92 bis sont les suivantes :

Article 92 bis
Faits prouvés autrement que par l’audition d’un témoin

...

D) La Chambre peut verser au dossier le compte rendu d’un témoignage entendu dans le cadre de procédures menées devant le Tribunal et qui tend à prouver un point autre que les actes et le comportement de l’accusé.

E) Sous réserve de l’article 127 ou de toute ordonnance contraire, une partie qui entend soumettre une déclaration écrite ou le compte rendu d’un témoignage le notifie quatorze jours à l’avance à la partie adverse, qui peut s’y opposer dans un délai de sept jours. La Chambre de première instance décide, après audition des parties, s’il convient de verser la déclaration ou le compte rendu au dossier, en tout ou en partie, ou s’il convient d’ordonner que le témoin comparaisse pour être soumis à un contre-interrogatoire

9. Comme l’a fait observer la Chambre de première instance, l’objet de l’article 92 bis D) est de permettre d’éviter que des témoins ne soient cités à comparaître une nouvelle fois devant le Tribunal pour y présenter des témoignages semblables. Il permet ainsi de réduire la durée des procès et d’éviter des dépenses inutiles, étant entendu qu’il ne doit pas être porté atteinte aux droits de l’accusé2.

10. Comme l’a clairement indiqué la Chambre d’appel dans l’affaire Galic3 , l’article 92 bis impose de procéder en trois temps  :

i) le compte rendu en question est-il susceptible d’être versé au dossier en application de l’article 92 bis (en effet, s’il se rapporte aux actes et au comportement de l’accusé tels qu’allégués dans l’acte d’accusation, la Chambre ne peut l’admettre),

ii) s’il est susceptible d’être versé au dossier, y a-t-il d’autres raisons pour lesquelles la Chambre de première instance pourrait décider de ne pas l’admettre,

iii) s’il est susceptible d’être versé au dossier, y a-t-il lieu de procéder au contre-interrogatoire du témoin dont la déclaration figure dans ledit compte rendu.

11. La Chambre de première instance a indiqué, dans une décision précédemment rendue en l’espèce4, que l’expression « les actes et le comportement de l’accusé » est claire, et qu’il faut « la comprendre comme telle5 ». Dans l’affaire Galic, la Chambre d’appel a indiqué qu’il convenait de faire la distinction entre les comptes rendus portant : a) sur les actes et le comportement d’autres personnes ayant commis les crimes dont l’accusé serait, selon l’acte d’accusation, individuellement responsable ; dans ce cas, les comptes rendus sont susceptibles d’être versés au dossier, et b) sur les actes et le comportement de l’accusé tels qu’incriminés dans l’acte d’accusation, qui établissent sa responsabilité du fait d’autrui ; dans ce cas, les comptes rendus sont exclus du champ d’application de la procédure envisagée dans l’article en question6. La décision rendue à ce propos dans l’affaire Galic7 précise en outre que l’article 92 bis A) (et, par analogie, l’article 92 bis D)) exclut l’admission de toute déclaration écrite permettant d’apporter la preuve d’actes ou d’un comportement de l’accusé sur lesquels l’Accusation se fonde pour établir :

a) que l’accusé a personnellement commis (c’est-à-dire matériellement perpétré) l’un quelconque des crimes reprochés, ou

b) qu’il a planifié, incité à commettre, ou ordonné les crimes reprochés, ou

c) qu’il a de toute autre manière aidé et encouragé les auteurs effectifs de ces crimes à planifier, préparer ou exécuter ces crimes, ou

d) qu’il était le supérieur hiérarchique des auteurs effectifs de ces crime, ou

e) qu’il savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés s’apprêtaient à commettre ces crimes ou l’avaient fait, ou

f) qu’il n’a pas pris les mesures raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou en punir les auteurs.

12. Lorsque l’Accusation argue que l’accusé a participé à une entreprise criminelle commune (comme c’est le cas en l’espèce) et est par conséquent responsable des actes commis par les autres participants à ladite entreprise, l’article 92 bis exclut l’admission de toute déclaration écrite ou compte rendu de témoignage permettant d’apporter la preuve d’actes ou d’un comportement de l’accusé sur lesquels l’Accusation se fonde pour établir :

a) qu’il a participé à l’entreprise criminelle commune, ou

b) qu’il partageait avec la personne qui a personnellement perpétré le crime l’intention coupable requise pour le commettre8.

13. De plus, la Décision rendue dans l’affaire Galic indique que le « comportement  » de l’accusé incluant nécessairement l’état d’esprit qui l’accompagne, toute déclaration écrite tendant à apporter la preuve d’un acte ou comportement de celui-ci sur lequel l’Accusation se fonderait pour établir son état d’esprit n’est pas non plus recevable en vertu de l’article 92 bis. Pour établir cet état d’esprit, l’Accusation peut toutefois invoquer les actes et le comportement d’autres personnes, établis, pour leur part, à l’aide de déclarations versées au dossier en application de l’article 92 bis. Le « comportement » d’un accusé peut également, le cas échéant, consister dans son manquement à agir9.

14. Comme on l’a fait observer plus haut, lorsqu’une déclaration est admissible au regard de l’article 92 bis, la Chambre de première instance doit encore décider de l’exclure ou non. L’article 92 bis A) donne une liste non exhaustive de facteurs justifiant ou interdisant le versement au dossier d’une déclaration écrite au lieu et place d’un témoignage à l’audience. Ce qui porterait à admettre les témoignages en l’espèce, c’est le cas envisagé au paragraphe A) i) a) dudit article, celui où les éléments de preuve « sont cumulatifs, au sens où d’autres témoins déposeront ou ont déjà déposé oralement sur des faits similaires ».

15. D’autre part, la Chambre d’appel a indiqué dans l’affaire Galic que :

[...]« la proximité que les actes et le comportement décrits dans la déclaration entretiennent avec l’accusé » doit être prise en compte par la Chambre de première instance « pour décider, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si les éléments de preuve doivent être admis sous forme écrite. Lorsque ces éléments sont d’une importance cruciale pour la cause de l’Accusation, et lorsque la personne dont les actes et le comportement sont décrits dans la déclaration écrite est très proche de l’accusé, la Chambre de première instance peut décider qu’il ne serait pas équitable envers ce dernier de permettre que les éléments de preuve soient produits sous forme écrite10 ».

III. EXAMEN

1. Admissibilité des comptes rendus

16. Les déclarations des 11 témoins figurant dans les comptes rendus visés par la présente requête peuvent être aisément réparties en trois catégories. Entrent dans la première catégorie les dépositions des témoins B-1542 et B-1543, qui ont apporté leur témoignage sur la prise de Foca et les viols et mauvais traitements dont elles et d’autres personnes ont été victimes. L’Accusation fait valoir que « l’on ne peut raisonnablement affirmer que les déclarations de ces deux femmes soient étroitement liées aux actes commis directement par l’accusé11 ».

17. Entrent dans la deuxième catégorie les dépositions des témoins B-1015, B-1533, B-1618, B-1120 et B-1536, qui portent sur les circonstances entourant la prise de Foca et les conditions de détention au KP Dom. Là encore, l’Accusation fait valoir qu’aucune de ces dépositions n’est à ce point étroitement liée aux actes ou au comportement de l’accusé qu’elle est inadmissible au regard de l’article 92 bis D)12.

18. Entrent dans la troisième catégorie les dépositions des témoins B-1121, B-1537, B-1538 et B-1540, qui portent sur le déclenchement du conflit à Foca et sur les conditions de détention au KP Dom. L’Accusation fait valoir là encore qu’elles ne sont pas à ce point étroitement liées aux actes ou au comportement de l’accusé qu’elles sont inadmissibles au regard de l’article 92 bis D)13.

19. L’accusé n’a pas argué que les comptes rendus des témoignages portent sur ses actes ou son comportement, et qu’ils étaient de ce fait inadmissibles au regard de l’article 92 bis D).

20. L’accusé a cependant réaffirmé à l’audience son opposition à l’admission de tout compte rendu de témoignages, faisant valoir que « tout est substantiel et essentiel : ce qui s’était passé dans le territoire de l’ex-Yougoslavie, lié à la Serbie, aux institutions de la Serbie et à ma propre personne14».

21. Les amici curiae font valoir que, quoique les comptes rendus de témoignages ne contiennent pas d’informations portant à proprement parler sur les actes ou le comportement de l’accusé15, la Chambre de première instance devrait user du pouvoir qui est le sien pour refuser leur admission. Les arguments qu’ils avancent sont les suivants : l’admission des comptes rendus contreviendrait à l’article 21 2) du Statut, dans la mesure où les témoins n’auront pas été entendus en audience dans le cadre du procès de l’accusé et où rien ne prouve à la Chambre de première instance que les chambres de première instance qui les ont entendus ont jugé leurs déclarations fiables et probantes16.

22. Durant un exposé oral, M. Kay a indiqué que selon lui, l’application de l’article 92 bis « était une question d’appréciation et qu’il convenait d’y avoir recours avec modération », que « cette disposition ne fait pas partie des textes fondateurs du Tribunal », et que « les principes du Statut qui lui a donné naissance pourraient devenir moins clairs simplement parce qu’il faut diligenter des procédures. Et ainsi ils privent l’accusé de ce droit important qui sous-tend la notion de procès équitable17  ».

23. La Chambre rejette cet argument. Un article est pareillement valable qu’il ait été élaboré lors de la première session plénière du Tribunal ou qu’il ait été inscrit ultérieurement au Règlement, pour autant qu’il ne va pas à l’encontre du Statut ou de toute règle de droit qui lie le Tribunal dans l’exercice de ses pouvoirs. L’article 15 du Statut porte sur les pouvoirs réglementaires des juges, tandis que l’article 6 du Règlement fixe la procédure à suivre pour réviser le Règlement ou y introduire de nouveaux articles. Rien n’indique que du fait de sa création récente, l’article 92 bis soit moins valide.

24. De plus, le droit de l’accusé de procéder ou de faire procéder à un contre-interrogatoire des témoins à charge n’est pas absolu, comme l’a indiqué la Chambre d’appel dans l’affaire Galic :

[...] l’esprit de l’article 92 bis [...] (avec les modifications simultanées des articles 89 et 90 du Règlement) visait à atténuer la préférence accordée par le Règlement aux témoignages « directs en audience », et à autoriser la présentation d’éléments de preuve sous forme écrite lorsque l’intérêt de la justice le justifie et à condition que lesdits éléments soient probants et fiables [...] Loin de constituer une « exception » aux dispositions de l’article 89 [...] l’article 92 bis s’applique à une situation particulière où, sous réserve des conditions qu’ils énonce et dans la mesure où les éléments de preuve ont valeur probante au sens de l’article  89 C), il est en principe dans l’intérêt de la justice, au sens de l’article 89  F), d’admettre les preuves par écrit18.

25. Ce n’est pas la première fois que la Chambre d’appel conclut que, dans certaines circonstances, les dépositions peuvent se faire sous forme de déclarations écrites et non au procès19. Si les auteurs du Règlement de procédure et de preuve ont pu penser que tous les témoignages seraient présentés à l’audience, les enseignements tirés des procès ont montré la nécessité de reconsidérer le problème. L’adoption de l’article 94 ter du Règlement (avant celle de l’article 92 bis) a permis dès 1998 de verser au dossier des déclarations sous serment ou des déclarations certifiées au lieu de témoignages à l’audience. La durée des procès, le volume des éléments de preuve et la complexité des débats ont contraint les chambres de première instance à envisager des moyens d’accélérer la présentation des éléments de preuve tout en veillant en toutes circonstances à l’équité du procès, tant vis-à-vis de l’accusé que de l’Accusation. L’un des moyens d’y parvenir est de bien appliquer l’article 92 bis.

26. La Chambre de première instance considère que les comptes rendus en question sont admissibles au regard de l’article 92 bis. Ils ne portent pas sur les actes ou sur le comportement de l’accusé. Il s’agit plutôt de ce qu’il est convenu d’appeler des témoignages « portant sur les faits incriminés » et, comme la Chambre d’appel l’a indiqué dans l’affaire Galic20, c’est essentiellement pour ce type d’élément de preuve que l’article 92 bis a été adopté. Il s’agit d’éléments de preuve de nature cumulative, portant sur la prise de contrôle par les forces serbes d’une municipalité de Bosnie-Herzégovine, et de nombreux témoignages ont déjà été entendus à ce sujet. De plus, ces éléments de preuve ne revêtent pas un caractère à ce point décisif pour la cause de l’Accusation ou ne touchent de si près l’accusé (ou ont « un lien » avec lui, comme le fait valoir celui-ci) que la Chambre de première instance devrait envisager d’en refuser l’admission. Il importe peu qu’une autre chambre de première instance ait antérieurement admis ces éléments de preuve ou non.

2. Les témoins devraient-ils comparaître en vue d’un éventuel contre-interrogatoire  ?

27. L’Accusation soutient que pour déterminer si un témoin devrait comparaître en vue d’un éventuel contre-interrogatoire dans ces circonstances, il faut se demander si l’on peut penser raisonnablement qu’« un nouveau contre-interrogatoire aiderait la Chambre à trancher une question importante dans ce procès21».

28. L’Accusation reconnaît22, comme il se doit, que les témoins B-1015, B-1533, B-1618, B-1120 et B-1536 devraient comparaître pour être contre-interrogés, puisque, même s’ils ont déjà fait l’objet d’un contre-interrogatoire approfondi, ils ont déposé au sujet de la participation de la JNA (ou de formations paramilitaires serbes) à la prise de Foca, c’est-à-dire de leur rôle dans la prise de contrôle de municipalités et villages de Croatie et de Bosnie-Herzégovine, ce qui constitue une question d’un intérêt immédiat pour les parties. Ces témoins seront donc appelés pour un contre-interrogatoire.

29. L’Accusation a fait valoir que le contre-interrogatoire devrait se limiter aux parties du témoignage dont l’accusé a montré qu’elles étaient litigieuses. Cependant, dans l’intérêt de la justice et pour assurer un procès équitable, la Chambre considère que le contre-interrogatoire ne devrait pas être ainsi limité. L’accusé peut par conséquent contre-interroger ces témoins au sujet de la déposition qu’ils ont faite dans les procès précédents, étant entendu que le contre-interrogatoire sera limité, comme toujours, par la nécessité d’éviter les redites et par les contraintes de temps imposées par la Chambre.

30. Le reste de la présente Décision concerne donc les (six) témoins B-1542, B-1543, B-1121, B-1537, B-1538 et B-1540, qui, selon l’Accusation, ne devraient pas être appelés pour un contre-interrogatoire. Ce qui suit est la décision de la majorité des juges de la Chambre, le Juge Robinson étant en désaccord.

31. Les amici curiae soutiennent que l’article 21 4) d) du Statut confère à l’accusé le droit d’interroger tous les témoins à charge, et que les 6 témoins devraient être appelés pour un contre-interrogatoire puisque l’accusé n’a pas à répondre des mêmes crimes que les accusés dans les affaires précédentes, et qu’il n’a pas donné des instructions à leurs conseils23. L’accusé a pour sa part indiqué qu’il pourrait souhaiter contre-interroger les témoins, y compris les personnes qui ont été victimes de viol, sur diverses questions, si ses « informations » lui font douter de la fiabilité de leur témoignage24.

32. L’Accusation affirme à l’inverse que ces témoins ont été soumis à un contre-interrogatoire approfondi par les conseils de l’accusé Krnojelac, lequel avait, en tant que responsable du centre de détention KP Dom, dans une large mesure autant intérêt que l’accusé en l’espèce à s’opposer à la déposition de ces témoins et à contester leur témoignage25. (Quatre des six témoins restants ont témoigné dans l’affaire Krnojelac). De même, les témoins entendus dans l’affaire Kunarac ont subi un contre-interrogatoire approfondi et efficace 26. (Deux des six témoins restants ont déposé dans l’affaire Kunarac).

33. Ils parlent tous des événements survenus pendant le conflit à Foca. L’Accusation soutient, que deux d’entre eux, les témoins B -1542 et B-1543, ont été violés à plusieurs reprises, et que l’on ne devrait donc pas les contraindre à comparaître pour un nouveau contre-interrogatoire, en raison des conséquences que cela aurait27. Les autres, les témoins B-1121, B-1537, B-1538 et B-1540, qui ont tous déposé au sujet de l’éclatement du conflit à Foca, et des conditions de détention au KP Dom, ont déjà été minutieusement contre -interrogés : comme ils n’ont témoigné sur aucune des questions importantes soulevées par l’accusé, l’Accusation considère qu’ils ne devraient pas être appelés pour un contre-interrogatoire28.

34. L’Accusation soutient au surplus que le bilan du contre-interrogatoire des témoins entendus dans les affaires précédentes, tel qu’il ressort de l’annexe A jointe à la requête, est important29 : ils ont tous été questionnés sur la déclaration préalable qu’ils avaient faite à l’Accusation ou aux services de la sécurité publique30. Les témoins ont ainsi été contre-interrogés au sujet de contradictions relevées dans leurs déclarations préalables, et de la fiabilité de leur témoignage (l’accusé a systématiquement contre-interrogé sur ce point les autres témoins au procès). Ceux d’entre eux qui avaient été emprisonnés au KP Dom ont été contre-interrogés sur les conditions qui y régnaient31. Certains témoins ont également été contre-interrogés sur des questions telles que la distribution d’armes à des Musulmans, la cellule de crise musulmane, et la réunion tenue par le SDA à Foca avant le conflit32 (il s’agit, ici aussi, de questions semblables à celles soulevées par l’accusé avec d’autres témoins).

35. S’interrogeant sur le critère à appliquer, la Chambre saisie de l’affaire Sikirica a indiqué que l’on devait, entre autres, déterminer si les comptes rendus tendent à prouver un élément crucial à charge, et si le contre-interrogatoire du témoin qui a été mené dans le cadre des autres affaires a suffisamment traité des questions intéressant la défense en l’espèce33. La présente Chambre y a ajouté un élément supplémentaire : saisie d’une demande d’admission de déclarations écrites, en application de l’article 92 bis du Règlement, la Chambre a ordonné que les témoins soient soumis à un contre-interrogatoire car leurs témoignages concernaient « une question controversée et primordiale entre les parties, et non une question secondaire ou peu pertinente34  ».

36. En outre, la Chambre d’appel a indiqué dans l’affaire Galic, que le rapport de l’accusé aux actes et au comportement décrits dans le témoignage est à prendre en compte pour décider si le témoin devrait ou non être appelé pour un contre-interrogatoire35.

37. La Chambre d’appel dans l’affaire Aleksovski a indiqué pourquoi un compte rendu d’audience pouvait être admis sans contre-interrogatoire (cette décision a été rendue avant l’introduction de l’article 92 bis dans le Règlement). La question qui se posait était de savoir si le compte rendu de la déposition d’un témoin entendu dans l’affaire Blaskic devait être admis sans que celui-ci soit contre-interrogé dans l’affaire Aleksovski. La Chambre d’appel a déclaré que :

En fait, … le témoin a été longuement contre-interrogé dans le cadre de l’affaire Blaskic et les conseils de la Défense ont dans les deux affaires un intérêt commun. Il n’en demeure pas moins que si le témoignage est admis en tant que preuve indirecte, cet accusé n’aura pas la possibilité de contre-interroger le témoin. C’est toutefois le cas chaque fois qu’on admet une preuve indirecte : la partie adverse n’a pas la possibilité de contre-interroger le témoin. Cet inconvénient est tempéré dans la présente affaire par le contre-interrogatoire pratiqué dans l’affaire Blaskic …36

38. Ainsi, la Chambre d’appel a estimé que l’admission d’un compte rendu d’audience sans contre-interrogatoire se justifiait lorsqu’un accusé qui a un intérêt commun a procédé à un contre-interrogatoire approfondi.

39. Par conséquent, la Chambre estime qu’elle doit d’abord prendre en compte la nature du témoignage et déterminer s’il concerne un élément crucial à charge ou une question d’un intérêt immédiat ou importante pour les parties. La Chambre admet qu’il s’agit simplement d’un « témoignage sur les faits incriminés», sur la prise de contrôle d’une municipalité, et qui, en tant que tel, ne comporte pas d’éléments suffisamment cruciaux ou de questions assez importantes pour exiger un nouveau contre-interrogatoire. Dans la mesure où il se rapporte à un point litigieux, le témoignage n’est pas d’une nature telle qu’il ne puisse être couvert comme il faut par le contre-interrogatoire mené dans une affaire précédente.

40. La Chambre est convaincue que le témoignage ne touche pas de près l’accusé, et qu’il n’est dès lors nul besoin de contre-interroger le témoin.

41. La Chambre considère, en second lieu, que les contre-interrogatoires menés dans les affaires précédentes l’ont été au nom d’un accusé qui avait, dans une large mesure, un intérêt commun avec l’accusé en l’espèce : contester le témoignage relatif à la prise de contrôle de Foca et mettre en doute la crédibilité des témoins. Or, ni l’accusé, ni les amici curiae n’ont précisé sur quels points les intérêts des deux accusés divergeaient à un point tel que les témoins devaient être appelés pour un contre-interrogatoire dans ce procès (la seule différence que l’on trouve dans les dossiers de l’Accusation concerne la responsabilité de l’accusé et non le témoignage sur les faits incriminés à Foca).

42. La Chambre accepte enfin l’argument de l’Accusation selon lequel les contre-interrogatoires menés dans les affaires précédentes étaient suffisants. Ces contre-interrogatoires étaient assurément approfondis comme l’étude comparative menée plus haut le montre37. La Chambre estime cependant que si la qualité d’un contre-interrogatoire ne se mesure pas à sa durée, on ne peut apprécier avec précision sa suffisance. La Chambre se contentera donc de dire qu’en l’espèce, le temps passé à contre-interroger les témoins et les questions abordées indiquent que le contre-interrogatoire a été suffisant.

43. Pour ces motifs, la majorité des juges de la Chambre autorise le versement au dossier de ces témoignages sans que les témoins soient soumis à un contre-interrogatoire. La Chambre souhaite cependant examiner une dernière question concernant les témoins B-1542 et B-1543, qui ont toutes deux été victimes de viols multiples.

44. L’Accusation a, entre autres, mis en avant pour s’opposer au rappel de ces témoins, les conséquences qu’une nouvelle comparution pour contre-interrogatoire pourrait avoir. Elle avance que, en plein accord avec l’article 22 du Statut, la Chambre peut prendre en considération le traumatisme que pourraient subir des témoins contraints de revenir au Tribunal pour un nouveau contre-interrogatoire lorsque le droit de l’accusé à être confronté à son accusateur n’est pas violé38.

45. En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle ces deux témoins ne devraient pas être appelés à la barre en raison du traumatisme que cela pourrait leur causer, les amici curiae ont soutenu que tout témoin qui a été victime d’un crime, que ce soit un viol ou tout autre crime, peut être traumatisé par l’épreuve du prétoire. Ils ont affirmé que bien que ces questions soient importantes, l’accusé a le droit de contre-interroger ces témoins au procès, et que ce droit prime sur de telles considérations39.

46. La Chambre rappelle que son devoir d’assurer la sécurité et la confidentialité des témoins comparaissant devant elle est une obligation positive40. Lorsqu’elle décide des mesures de protection à prendre dans une affaire, la Chambre doit trouver un juste équilibre entre le droit de l’accusé à un procès équitable et public et la protection des victimes et des témoins41. C’est un point qui ne prête pas à discussion. Ce qui ressort clairement du Statut et du Règlement, c’est que si la primauté est donnée aux droits de l’accusé, la nécessité de protéger les victimes et les témoins est également importante, ce que confirme la jurisprudence du Tribunal42. Ce raisonnement peut se justifier en partie par la complexité de la mission du Tribunal, les risques particuliers encourus par les témoins qui comparaissent devant le TPIY, et l’absence d’un programme général de protection des témoins. Il ressort des dispositions du Statut et du Règlement du Tribunal, ainsi que de sa jurisprudence, que ce dernier prend très au sérieux la nécessité de trouver un juste équilibre entre les intérêts parfois opposés des accusés d’une part, et des victimes et des témoins d’autre part.

47. Ces considérations sont également à prendre en compte pour déterminer si un témoin devrait être rappelé pour un contre-interrogatoire dans les circonstances de la Requête. La Chambre a pris ces questions en considération pour rendre sa décision. Il est à présent reconnu que les victimes de viols subissent un traumatisme lorsqu’elles sont appelées à témoigner. Nous avons affaire en l’espèce à des victimes de multiples viols gravement traumatisées par ce qu’elles ont vécu. Elles ont déjà témoigné une fois et ont été contre-interrogées (dans l’une des affaires, leur contre-interrogatoire a duré beaucoup plus longtemps que l’interrogatoire principal).

48. La majorité de la Chambre considère qu’il ne serait pas raisonnable d’exiger que les témoins soient rappelés pour un contre-interrogatoire au risque de les traumatiser davantage. La Chambre estime que l’on ne devrait pas automatiquement et systématiquement permettre un contre-interrogatoire. Lorsque les droits d’un accusé sont protégés par les contre-interrogatoires précédents, comme c’est le cas en l’espèce, la protection des victimes et des témoins doit prévaloir. En ce qui concerne les témoins B-1542 et B-1543, la Chambre considère que c’est là une autre raison de ne pas exiger leur comparution pour un nouveau contre-interrogatoire.

49. Il convient de faire une dernière remarque. Lorsque, ultérieurement au procès, surgissent des questions qui mettent en cause certains aspects d’un témoignage entendu dans un procès antérieur, le témoin en question peut être cité à comparaître et soumis à un contre-interrogatoire. Cette question est toujours laissée à l’appréciation de la Chambre.

50. Tels sont les motifs de la décision de la Chambre. L’opinion dissidente du Juge Robinson sur ce point est jointe à la présente Décision.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
____________
M. le Juge Richard May

Le 30 juin 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


OPINION DISSIDENTE DU JUGE PATRICK ROBINSON

I. Introduction

1. S’agissant de preuves présentées sous forme de déclarations écrites (article 92  bis A) du Règlement) et de comptes rendus d’audience (article 92 bis  D) du Règlement) en lieu et place d’une déposition, l’article 92 bis du Règlement établit qu’il doit d’abord être statué sur leur admissibilité, la Chambre de première instance pouvant ensuite décider si le témoin doit comparaître en vue d’un éventuel contre-interrogatoire. En l’espèce, je suis d’accord avec la Chambre pour estimer que tous les comptes rendus de dépositions étaient admissibles au regard de l’article  92 bis D) du Règlement mais, à la différence de la Chambre, j’estime que tous les témoins dont la déclaration, recueillie dans d’autres affaires, a été versée au dossier en l’espèce, devraient être contre-interrogés. Néanmoins, la Chambre a décidé que les comptes rendus des dépositions faites par les témoins B-1542, B -1543, B-1121, B-1537, B-1538 et B-1540 seraient admis sans qu’il soit procédé à un contre-interrogatoire.

2. Dans cette opinion, j’expliquerai pourquoi, usant du pouvoir discrétionnaire qu’elle tient de l’article 92 bis E) du Règlement, la Chambre, saisie d’une demande d’admission de comptes rendus de dépositions, devrait dans la majorité des cas se prononcer pour un contre-interrogatoire. Cette explication est d’autant plus nécessaire que mon désaccord tient en grande partie à une position de principe que j’ai adoptée, après une longue période de trouble quant à l’application de l’article 92 bis  D) du Règlement, sur la nécessité de contre-interroger les témoins ayant déposé dans une autre affaire ; j’admets que cette position est différente de celles exprimées dans des décisions antérieures de cette Chambre que j’ai approuvées43.

3. Mise à part cette position de principe, le désaccord s’explique également par certains éléments qui mettent en évidence la nécessité de contre-interroger ces six témoins ayant déposé dans d’autres affaires.

II. La position de principe sur la manière dont on doit considérer les comptes rendus de dépositions faites dans d’autres affaires

4. Il existe une différence entre le fait de ne pas autoriser le contre-interrogatoire d’un témoin dont la déclaration a été admise en application de l’article 92 bis  C) du Règlement et le fait de ne pas autoriser le contre-interrogatoire d’un témoin dont le compte rendu de déposition a été admis en application de l’article  92 bis D). Dans le premier cas, il n’y a tout simplement pas de contre-interrogatoire. En revanche, dans le deuxième cas, non seulement l’accusé en cours de jugement ne peut contre-interroger le témoin ayant fait l’objet d’un interrogatoire principal dans un procès antérieur (l’impossibilité de contre-interroger l’auteur d’une déclaration admise en application de l’article 92 bis C) du Règlement représente un cas voisin), mais le contre-interrogatoire du témoin dans une affaire antérieure devient le contre-interrogatoire de l’accusé dans la présente affaire. Résultat, s’agissant des questions soulevées dans l’affaire antérieure qui se posent également en l’espèce, l’argumentation de l’accusé est jugée non pas sur la base de sa propre réfutation du témoignage, mais sur la base d’un contre-interrogatoire auquel il n’a pris aucune part. Les conseils de la Défense dans l’affaire antérieure n’ont assurément pas reçu d’instructions de l’accusé en cours de jugement. La cause de ce dernier est hypothéquée par le contre-interrogatoire auquel il a été procédé dans une affaire antérieure, contre-interrogatoire dans la préparation duquel il n’a joué aucun rôle.

5. J’estime que cette opération de transmutation, par laquelle le contre-interrogatoire d’un témoin au nom d’un accusé dans une affaire donnée devient le contre-interrogatoire de ce même témoin dans une affaire ultérieure, porte atteinte dans cette dernière affaire au droit de l’accusé, consacré par le Statut, de se défendre lui-même ou par l’intermédiaire d’un conseil de son choix. De ce droit découle nécessairement le droit d’un accusé à déterminer sa ligne de défense et la manière de répondre à la thèse de l’Accusation en contre-interrogeant ses témoins. Ce droit dérivé est bafoué lorsque le contre-interrogatoire effectué dans une affaire antérieure devient le sien. Lorsque la Chambre de première instance en vient à juger l’argumentation de l’Accusation concernant les comptes rendus de dépositions faites dans d’autres affaires, elle ne le fait pas en se fondant sur la ligne de défense de l’accusé en cours de jugement mais sur celle d’un accusé précédemment jugé.

6. Le droit d’un accusé d’assurer sa propre défense et le droit dérivé de déterminer la nature de sa défense et de présenter sa cause revêtent une importance particulière en raison du caractère essentiellement accusatoire de la procédure au Tribunal. Le procédé par lequel le contre-interrogatoire effectué par un accusé ou son conseil dans une affaire donnée devient le contre-interrogatoire de l’accusé dans une affaire ultérieure revient presque à imposer un conseil à ce dernier. Dans l’affaire Milosevic44, cette Chambre de première instance a souligné le caractère essentiellement accusatoire de la procédure menée au Tribunal et renoncé de ce fait à imposer un conseil à l’accusé, qui avait choisi d’assurer lui-même sa défense45.

7. Le droit d’un accusé à assurer sa propre défense est personnel et individualisé. Il s’agit d’un droit à se défendre soi-même, en personne, ou à être représenté par le conseil de son choix46. La Cour Suprême des États-Unis a insisté sur le caractère personnel de ce droit dans l’arrêt Faretta47, qui précise que le droit de se défendre soi-même en personne est antérieur à celui d’être défendu par un conseil. Le caractère personnel de ce droit est maintenu même dans les cas où l’accusé est représenté par un conseil, car il s’agit d’une « assistance judiciaire de son choix » (non souligné dans l’original). Le caractère personnel du droit lui donne un aspect particulier et singulier qui exclut le transfert en bloc d’une affaire dans l’autre d’une grande quantité48 de moyens de preuve et l’assimilation d’un contre-interrogatoire mené dans une affaire antérieure à un contre-interrogatoire mené par l’accusé en cours de jugement.

8. Cette attribution à l’accusé du contre-interrogatoire mené antérieurement dans une autre affaire porte atteinte à son droit de déterminer sa ligne de défense et de conduire cette défense. Cette atteinte est, à mon avis, si fondamentale qu’elle n’est ni neutralisée, ni contrebalancée par le fait que l’article 92 bis du Règlement s’applique aux éléments de preuve qui ne se rapportent pas aux actes et au comportement de l’accusé, ou qu’une Chambre de première instance permet généralement un contre-interrogatoire, lorsque les comptes rendus de dépositions faites dans d’autres affaires portent sur des questions essentielles pour la cause de l’Accusation, ou encore que l’on considère que le poids accordé par la Chambre aux preuves pourrait réparer le préjudice que l’accusé risque de subir du fait de l’absence de contre - interrogatoire. En outre, on ne saurait considérer comme une réponse suffisante le pouvoir général d’admettre des éléments de preuve indirects (les comptes rendus de dépositions pourraient être assimilés à des éléments de preuve indirects) pour autant qu’ils sont pertinents et ont valeur probante. L’article 89 C) du Règlement investit les Chambres d’un pouvoir discrétionnaire dont elles ne devraient, dans la plupart des cas, pas user pour admettre des comptes rendus sans qu’il soit procédé à un contre-interrogatoire, pour les raisons exposées dans la présente Opinion.

9. Au vu de la conclusion selon laquelle on ne saurait imposer à l’accusé d’accepter un contre-interrogatoire mené dans une affaire antérieure sans porter atteinte à son droit de déterminer sa ligne de défense et d’assurer sa défense en personne ou par l’entremise d’un conseil, il me semble qu’on devrait admettre ce type d’éléments de preuve en permettant à l’accusé de procéder à un contre-interrogatoire, à moins, peut-être, que les comptes rendus de dépositions ne traitent de questions historiques, générales ou statistiques.

10. La distinction établie par l’article 92 bis du Règlement entre les preuves qui ne se rapportent pas aux actes et au comportement de l’accusé (preuves des faits incriminés), et les autres (les premières étant admissibles sous une autre forme que les témoignages au procès) induit une tendance fâcheuse, celle de sous-évaluer les preuves des faits incriminés comme si elles ne constituaient pas une part importante des moyens de l’Accusation. Les preuves des faits incriminés, qu’elles prennent la forme de déclarations de témoins ou de comptes rendus de dépositions, même si elles ne se rapportent pas aux actes et au comportement de l’accusé pris dans le même sens que dans l’affaire Galic49, sont néanmoins des preuves sur lesquelles se fonde l’Accusation pour établir la culpabilité de l’accusé.

11. L’article 92 bis du Règlement a une autre conséquence regrettable : il semble qu’il soit à l’origine d’arguments qui, à mon avis, reflètent une mauvaise approche de la charge de la preuve en la matière. Dans sa Requête50, l’Accusation a fait valoir qu’il incombe à l’accusé de convaincre la Chambre de première instance qu’il est des questions intéressant sa défense qui justifient un contre-interrogatoire51. Si l’article  92 bis du Règlement aboutit à imposer à l’accusé de convaincre la Chambre de la nécessité de contre-interroger le témoin dont on demande l’admission du compte rendu de déposition, à mon avis, ce serait au mépris des paragraphes d) et e) de l’article 21 du Statut, qui confèrent à un accusé le droit de déterminer sa ligne de défense et d’assurer sa défense, soit lui-même, soit par l’entremise d’un conseil, et de contre-interroger les témoins à charge. Ce serait une mauvaise lecture de cet article, qui doit être interprété en conformité avec les dispositions de l’article 21 du Statut. Je pense que la décision de la Chambre ne devrait pas être lue comme soutenant une telle interprétation.

III. Facteurs particuliers qui mettent en lumière la nécessité d’un contre-interrogatoire

a) Dans certains cas, les comptes rendus de dépositions faites dans d’autres affaires constituent les seules ou les principales preuves de l’événement auquel elles se rapportent

12. L’article 92 bis A) du Règlement précise que l’admission d’éléments de preuve sous la forme de déclarations écrites ou de comptes rendus de dépositions se justifie si ces éléments « sont cumulatifs, au sens où d’autres témoins déposeront ou ont déjà déposé oralement sur des faits similaires ».

13. Il n’existe, à ma connaissance, aucune décision où une Chambre de première instance ou la Chambre d’appel se serait interrogée sur la signification à donner à l’expression « faits similaires ». Entend-on par là un événement particulier survenu dans une municipalité donnée auquel se rapporte le compte rendu, ou plus largement, d’autres crimes commis dans le pays ou dans la municipalité qui ne sont pas nécessairement liés à l’événement en question ? En tout état de cause, la présente Chambre a pris l’expression « faits similaires » dans un sens large. En jugeant que les comptes rendus étaient admissibles, la Chambre a conclu qu’« [i]l s’agi[ssai]t d’éléments de preuve de nature cumulative, portant sur la prise de contrôle par les forces serbes d’une municipalité de Bosnie-Herzégovine, et de nombreux témoignages ont déjà été entendus à ce sujet »52. Il convient de remarquer qu’ici, les éléments de preuve sont cumulatifs au sens large : il s’agit d’éléments de preuve d’autres crimes commis non pas dans la municipalité même de Foca, mais dans d’autres municipalités de Bosnie-Herzégovine en général.

14. Je suis d’accord sur ce point. Toutefois, lorsque les comptes rendus de dépositions faites dans d’autres affaires sont cumulatifs au sens large du terme, sans faire double emploi pour ce qui est de l’événement auquel ils ont trait, et qu’ils constituent la seule ou la principale preuve dudit événement, le contre-interrogatoire s’impose. En l’absence de contre-interrogatoire, la Chambre de première instance devra déterminer si, se fondant sur un élément de preuve qui n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire de la part de l’accusé en cours de jugement et qui se trouve être la seule ou la principale preuve de l’événement en question, l’Accusation a fait la démonstration de ce qu’elle avance. Ce qui est étrange, c’est qu’un accusé court le risque que la Chambre s’estime convaincue par la démonstration de l’Accusation sans qu’il ait eu la possibilité de contre-interroger les témoins sur les seuls ou les principaux éléments de preuve qui fondent cette décision. Une telle décision, prise isolément ou avec d’autres moyens de preuve, pourrait justifier une déclaration de culpabilité.

15. Certains systèmes de droit avalisent les déclarations de culpabilité prononcées sur la base d’éléments de preuve qui incluent des témoignages ou des déclarations n’ayant pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire. Mais lorsque c’est le cas, la déclaration de culpabilité ne repose pas exclusivement ou principalement sur la déclaration qui n’a pas fait l’objet d’un contre-interrogatoire. Ainsi, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’il était porté atteinte au droit de l’accusé – garanti par l’article 6 1) et 3) d) e) de la Convention – à avoir un procès équitable et à contre-interroger au procès l’auteur de déclarations recueillies dans des affaires antérieures qui constituent le seul fondement ou le fondement déterminant de la déclaration de culpabilité53. Ce principe ressort clairement de certaines des dix affaires citées dans l’affaire Galic54, et auxquelles il est fait référence dans la Décision55. Dans huit de ces affaires, la Cour européenne s’est prononcée en faveur des requérants, en concluant que le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6 1), et le droit de procéder à un contre-interrogatoire, consacré par l’article 6 3)  d), avaient été violés car l’accusé n’a pas eu une possibilité suffisante et adéquate de contredire et d’interroger l’auteur, au moment où il déposait ou plus tard au cours du procès56. D’une manière générale, ces affaires sont significatives car elles montrent toutes l’importance que la Cour européenne attache à la nécessité de donner à l’accusé une possibilité suffisante et adéquate de réfuter les éléments de preuve à charge. En l’espèce, on peut dire que l’accusé n’a pas eu une possibilité suffisante et adéquate de contredire les auteurs des dépositions dont on demande l’admission.

16. S’agissant du droit de l’accusé à « interroger ou faire interroger des témoins à charge », consacré par l’article 6, paragraphe 3 d) de la Convention européenne des droits de l’homme, se dégagent de la jurisprudence de la Cour européenne les principes suivants :

i) le droit d’un accusé à interroger ou faire interroger les témoins à charge n’est qu’un élément du droit général de l’accusé à un procès équitable, consacré par l’article  6, paragraphe 1 de la Convention,

ii) en principe, tous les éléments de preuve doivent être produits en présence de l’accusé en audience publique, en vue d’une confrontation57,

iii) l’utilisation de déclarations sans déposition au procès n’est pas en soi incompatible avec l’article 6, paragraphes 1 et 3 d) de la Convention, mais elle doit respecter les droits de la défense58,

iv) d’une manière générale, une déclaration de culpabilité fondée uniquement ou essentiellement sur de telles déclarations n’est généralement pas compatible avec les droits de la défense, lorsque l’accusé n’a pas eu la possibilité de réfuter les propos des témoins59.

17. Le chef 3 de l’acte d’accusation met en cause l’accusé pour persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, un crime contre l’humanité, sanctionné par les articles 5 h), 7 1) et 7 3) du Statut. Au paragraphe 33 de l’acte d’accusation, il est allégué que les persécutions ont eu lieu dans 46 endroits nommés, dont Foca. Le paragraphe 35 recense, sans prétendre être exhaustif, 11 modes de persécutions : l’alinéa e) précise : « les traitements cruels et inhumains infligés aux Musulmans et Croates de Bosnie et autres civils non serbes pendant et après la prise des municipalités énumérées ci-dessus. Parmi ces traitements inhumains, citons notamment les violences sexuelles, la torture, les mauvais traitements physiques et psychologiques, et la soumission à des conditions de vie inhumaines ».

18. Les témoins B-1542 et B-1543 ont déposé dans l’affaire Kunarac60. Ils ont subi de multiples sévices sexuels. Dans cette affaire, Kunarac et ses deux coaccusés ont été accusés du viol de ces deux témoins, un crime contre l’humanité et une violation des lois ou coutumes de la guerre. La municipalité était celle de Foca. Toutefois, les seules preuves de violences sexuelles en rapport avec cette municipalité proviennent des comptes rendus des dépositions des témoins B-1542 et B-1543.

19. La Chambre de première instance peut bien sûr parfaitement déclarer l’accusé coupable de persécutions (chef 3) sans se fonder sur les preuves de violences sexuelles dont auraient été victimes les témoins B-1542 et B-1543. La culpabilité pourrait être établie en rapportant la preuve des autres faits exposés au paragraphe 35 de l’acte d’accusation, faits constitutifs de persécutions, et notamment des preuves se rapportant aux municipalités autres que celle de Foca. En réalité, la Chambre pourrait même juger que les accusations de traitements cruels et inhumains portées au paragraphe 35 e) ont été établies sans qu’il soit nécessaire de se fonder sur les preuves de violences sexuelles. Mais pour déterminer si les accusations de violences sexuelles à Foca constitutives de traitements inhumains – eux-mêmes constitutifs de persécutions – ont été établies, la Chambre devra uniquement ou principalement se baser sur les témoignages de B-1542 et B-1543, alors que ces témoins n’ont pas été soumis à un contre-interrogatoire au procès de l’accusé. En d’autres termes, l’accusé est susceptible d’être déclaré coupable de persécutions constitutives d’un crime contre l’humanité sur plusieurs bases, et notamment sur la base de traitements inhumains prenant la forme de violences sexuelles à Foca, alors même que les seules ou les principales preuves de violences sexuelles sont apportées par les témoignages de deux victimes de viol qui n’ont pas été contre-interrogées au procès.

20. Je pense que dans ces circonstances, il serait risqué pour la Chambre de conclure que les accusations de violences sexuelles à Foca ont été établies, puisqu’elle se fonderait en réalité uniquement ou essentiellement, pour déclarer l’accusé coupable, sur les comptes rendus de dépositions faites et de contre-interrogatoires menés dans d’autres affaires. Si tel était le cas, il faut se demander si les comptes rendus de dépositions faites dans d’autres affaires auraient dû être admis sans que l’accusé se soit vu reconnaître le droit de contre-interroger les témoins en question.

21. Il faut préciser que l’argument exposé n’a rien à voir avec la question de la corroboration en cas de violences sexuelles. L’article 96 du Règlement dispose qu’en cas de violences sexuelles, la corroboration du témoignage de la victime par des témoins n’est pas requise. Le problème est, non pas que la déposition des témoins B-1542 et B-1543 ait besoin d’être corroborée, mais qu’elles devraient être contre-interrogées par l’accusé, étant donné que leur témoignage constitue les seules ou les principales preuves de violences sexuelles à Foca. Si l’on se base sur les arrêts de la Cour européenne61, précédents tout à fait convaincants, on peut dire que si la Chambre concluait que les accusations de violences sexuelles à Foca ont été établies, il y aurait violation du droit de l’accusé, consacré par le Statut, à un procès équitable et à pouvoir contre-interroger les témoins à charge ; en effet, une telle conclusion serait fondée, si ce n’est uniquement, du moins dans une large mesure, sur les comptes rendus de dépositions faites dans d’autres affaires, alors que l’accusé n’a pas eu l’occasion de contre-interroger les témoins en question.

22. J’en viens à présent à la question du traumatisme que subiraient les deux victimes de viol si elles étaient à nouveau soumises à un contre-interrogatoire. La solution à ce problème est de ne pas citer du tout à comparaître ces témoins en l’espèce puisque, s’ils sont appelés à déposer, il faudrait, dans un souci d’équité envers l’accusé, donner à ce dernier la possibilité de les contre-interroger s’il le souhaite.

23. Les accusations de violences sexuelles sur la personne de ces témoins ont déjà été débattues dans l’affaire Kunarac, et cela a abouti à la condamnation de Kunarac et de ses deux coaccusés62, qui étaient accusés de les avoir personnellement violées. Le Procureur ne devrait-il pas user de la marge de manoeuvre qu’il a pour leur épargner le traumatisme d’un deuxième procès ? Je pense que oui.

24. Toute personne honnête et raisonnable doit être sensible au traumatisme que connaissent les victimes de violences sexuelles qui rapportent au procès les épreuves qu’elles ont subies. Conciliant les intérêts de l’accusé et ceux des victimes, le Statut établit une hiérarchie qui garantit que la protection des victimes et des témoins ne sera pas assurée aux dépens des droits de l’accusé. Le paragraphe 1 de l’article  20 du Statut dispose que « [l]a Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que l’instance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de l’accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée ». (non souligné dans l’original). Les mots soulignés, qui ont fait l’objet d’un commentaire par le Juge Hunt63, montrent bien que les mesures de protection des victimes et des témoins ne doivent pas mettre en cause les droits de l’accusé.

b) L’accusé a montré la nécessité d’un contre-interrogatoire

25. Selon la jurisprudence du Tribunal, il conviendrait de procéder au contre-interrogatoire d’un témoin ayant déposé dans une autre affaire lorsque le compte rendu de sa déposition se rapporte à des questions en litige entre les parties. Dans Sikirica, la Chambre de première instance a conclu qu’il fallait procéder au contre-interrogatoire lorsque la déposition portait sur un élément crucial du dossier à charge64, et en l’espèce, la Chambre a indiqué que le contre-interrogatoire devait être autorisé lorsque le témoignage portait sur une question d’un intérêt immédiat pour les parties65.

26. Lorsqu’un accusé affirme qu’une question donnée est litigieuse, il faut le prendre au mot à moins qu’il soit tout à fait déraisonnable de le faire, parce qu’il a le droit de déterminer son système de défense face aux accusations - droit qui, comme nous l’avons vu, est essentiellement personnel66. D’après moi, le seuil à partir duquel une question est suffisamment litigieuse pour justifier le contre-interrogatoire d’un témoin dont le compte rendu de la déposition a été versé au dossier ne devrait pas être par trop élevé, parce que l’accusé a le droit de déterminer sa ligne de défense et de conduire sa propre défense. Un seuil trop élevé mettrait à mal ses droits, et l’obligerait à convaincre la Chambre du bien-fondé du contre-interrogatoire. Il s’agit là en fait de l’argument de l’Accusation67 que j’ai déjà rejeté.

27. Depuis l’ouverture du procès, l’accusé affirme que toutes les questions sont litigieuses. Même s’il y a lieu de penser que ce n’est ni plausible ni probable, il y a de bonnes raisons de conclure que, étant donné les circonstances particulières de la Requête, l’accusé a montré la nécessité de contre-interroger les témoins dont le compte rendu de la déposition a été versé au dossier.

28. Dans les déclarations suivantes, l’accusé conteste l’argument selon lequel il y aurait identité d’intérêts entre lui et les accusés jugés antérieurement, il avance que les contre-interrogatoires menés précédemment n’étaient pas suffisants et met en cause de manière générale les témoignages en question :

i) « La question n’est pas de savoir s’il a été procédé à un contre-interrogatoire, c’est un revirement de thèse. La question est de savoir comment il a été mené et effectué, et ce que l’on cherche à démontrer dans chaque affaire […]68  »,

ii) « […] il y a une différence totale avec l’intérêt de ceux qui ont été jugés devant ce Tribunal et les comptes rendus que vous voulez produire, parce qu’il n’était pas dans leur intérêt de traiter en profondeur certaines questions [ …]69  »

iii) « À présent, quant à savoir si un élément est essentiel ou non, vous devez me laisser en juger. Tout est essentiel. Tout a une importance, parce que tout ce qui s’est passé sur le territoire de l’ex-Yougoslavie a, selon vous, un lien avec la Serbie, ses institutions et moi-même. Vous ne pouvez donc pas exclure des éléments pour leur manque de pertinence […]70 »,

iv) « Tout est pertinent parce que tout est lié. Et c’est vous qui avez associé tous ces éléments, même les viols. N’importe quel idiot ivre peut commettre des viols à Londres ou chez vous, en Jamaïque, M. Robinson, ou ailleurs. Et je suis sûr que vous n’allez pas inculper le chef de l’État parce qu’un individu a commis un crime ou un viol […]71 »,

v) « […]la Serbie et moi n’avons rien à voir avec [les accusations]72  »,

vi) « Je pourrais même remettre en question les faits [constitutifs des viols], si j’apprenais que la déclaration ou la déposition d’un témoin est fausse, M. Robinson. Parce qu’en l’espèce, il y a eu beaucoup de faux témoignages […]73  ».

29. Au point ii), l’accusé affirme qu’il y a une différence entre lui et les accusés jugés par ailleurs, et il laisse entendre que les contre-interrogatoires n’ont peut -être pas été suffisamment approfondis. Aux points iii) et iv), il précise en effet que tout est litigieux, et, notamment, il affirme aux points iv) et v), comme il l’a dit au sujet d’autres victimes de viols74, que les violeurs étaient des criminels dont il n’était pas responsable. On aurait tort de rejeter cet argument comme s’il s’agissait d’un litige entre les parties, au motif que ce système de défense n’est pas plausible ni crédible. Autoriser l’accusé à procéder au contre-interrogatoire des témoins permettrait à la Chambre de se prononcer sur cette défense, qui touche à la question de la responsabilité du supérieur hiérarchique découlant de l’article 7 3) du Statut, alors que c’est à ce titre qu’il est mis en cause aux paragraphes 27 à 31 de l’acte d’accusation. Comme il a été indiqué plus haut75, le seuil à partir duquel une question est suffisamment litigieuse pour justifier le contre-interrogatoire d’un témoin ne peut pas être par trop élevé. Sinon, il incomberait à l’accusé de convaincre la Chambre qu’il y a lieu de procéder à un contre-interrogatoire. Ce serait alors porter atteinte à son droit à assurer sa propre défense, à déterminer et à présenter sa défense. Au point vi), l’accusé précise qu’il pourrait souhaiter remettre en question à la fois les faits constitutifs des viols et l’identité ou le statut des auteurs en question.

30. Il convient de faire une remarque au sujet de l’argument invoqué par l’accusé à l’alinéa ii), selon lequel ses intérêts diffèrent de ceux des autres accusés.

31. Ce qui fait problème dans les conditions d’admission des comptes rendus, c’est que la Chambre justifie son refus d’autoriser un contre-interrogatoire par le fait que ceux qui ont été menés précédemment seraient suffisants. Elle commence habituellement en pareil cas par relever une communauté d’intérêts entre l’accusé jugé antérieurement et l’accusé en cours de jugement, avant d’examiner le contre-interrogatoire mené dans l’autre affaire. En l’espèce, il est dit que l’accusé Milosevic et les accusés concernés par la déposition des six témoins entendus dans d’autres affaires avaient un intérêt commun, à savoir celui de réfuter les témoignages relatifs à la prise de Foca, et de mettre en question la crédibilité des témoins76.

32. Tout d’abord, rares doivent être les cas où il y a communauté ou identité absolue d’intérêts entre les coaccusés qui, dans un procès, répondent des mêmes infractions commises dans des circonstances similaires, ou entre un accusé dans un procès donné et un autre accusé dans un procès ultérieur, lorsque les deux répondent d’une infraction similaire commise dans les mêmes circonstances. La spécificité et la singularité du procès d’un accusé permettent difficilement de conclure qu’il y a communauté d’intérêts entre un accusé dans une affaire et un autre accusé dans une autre affaire ou, en tout cas, qu’il y a une identité d’intérêts telle que le contre-interrogatoire mené au nom du premier accusé est suffisant, et qu’un autre contre-interrogatoire n’est pas nécessaire.

33. De plus, en l’espèce, en ce qui concerne les victimes des viols, il est difficile d’entrevoir une communauté d’intérêts entre, d’une part, l’accusé Milosevic, chef d’État et commandant en chef des armées de son pays et, d’autre part, l’accusé Kunarac, commandant local accusé notamment d’avoir personnellement commis des viols pendant la prise de Foca. Kunarac a également été accusé en tant que supérieur hiérarchique, mais a été acquitté de ce chef d’accusation77. Il est à noter que les chefs d’accusation retenus à l’encontre de Kunarac avaient tous trait à des violences sexuelles, dont le viol des témoins dont la déposition a été versée au dossier - viol et tortures constitutifs de crimes contre l’humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre. Kunarac a également été accusé et déclaré coupable de réduction en esclavage en tant que crime contre l’humanité78. En revanche, Milosevic n’est pas accusé d’avoir personnellement violé les deux témoins. Sa responsabilité est mise en cause pour ces crimes sur la base des paragraphes 7 1)79 et 7 3) du Statut80. Le fait que Kunarac a été accusé d’avoir personnellement violé les témoins introduit une différence profonde entre son affaire et celle de Milosevic, et exclut l’idée d’une communauté d’intérêts. Cette différence signifie nécessairement que dans les deux affaires (Kunarac et Milosevic), les moyens de l’Accusation et ceux de la Défense seront différents, ou que l’on pourrait raisonnablement s’attendre à ce qu’ils le soient. Les moyens de l’Accusation contre Kunarac accusé de viols différeront des moyens mis en avant contre Milosevic dont la responsabilité est mise en cause à titre individuel et en tant que supérieur hiérarchique. Alors que pour se défendre, Kunarac s’est attaché à réfuter les preuves des viols qu’il avait personnellement commis81, Milosevic cherchera à établir qu’il n’a joué aucun rôle dans la planification et l’exécution de l’entreprise criminelle commune alléguée, notamment dans la planification et la commission des viols, et qu’il ne savait pas ni n’avait aucune raison de savoir que les viols allaient être commis, et qu’il n’a pas failli à son devoir de prendre les mesures nécessaires pour empêcher ces crimes ou en punir leurs auteurs.

34. En outre, la récusation par l’accusé82 de toute idée d’une identité d’intérêts entre lui et Krnojelac n’est pas non plus sans fondement. Il est difficile d’entrevoir une communauté d’intérêts entre l’accusé et Krnojelac, responsable local d’un camp de prisonniers (le Kazneno-Popravni Dom de Foca, « KP Dom »), accusé notamment d’emprisonnement et d’actes inhumains, crimes auxquels il serait pour partie personnellement mêlé (sévices corporels par exemple). Si Krnojelac a cherché à nier ces crimes, et en particulier sa participation personnelle aux sévices corporels, l’accusé Milosevic a quant à lui intérêt avant tout à montrer qu’au regard de l’article 7 3) du Statut, il n’avait pas à répondre des actes de ceux qui ont commis les crimes au KP Dom, et qu’il n’a participé à aucune entreprise criminelle commune visant à commettre ces crimes. Le simple fait que deux personnes soient mises en cause pour les mêmes faits ne signifie pas nécessairement qu’il y ait entre elles une identité d’intérêts telle que le contre-interrogatoire mené par le premier accusé soit suffisant pour le second.

35. La validité de la conclusion selon laquelle le contre-interrogatoire mené au nom de Krnojelac serait suffisant pour Milosevic peut se vérifier de la façon suivante  : si Krnojelac et Milosevic avaient été conjointement accusés des crimes relevés dans leur acte d’accusation respectif et jugés ensemble, et si le contre-interrogatoire des témoins dont le compte rendu de déposition a été versé au dossier avait d’abord été mené au nom de Krnojelac, serait-il juste de priver l’accusé Milosevic de son droit à contre-interroger ces témoins au motif que le contre-interrogatoire mené au nom de Krnojelac était suffisant ? D’après moi, la réponse est bien évidemment non.

36. Il n’est pas facile de décider que le contre-interrogatoire mené dans une affaire vaut pour une affaire ultérieure et, selon moi, ce n’est pas une décision que l’on peut prendre sans l’ombre d’un doute. Or, en cas de doute, il faut autoriser l’accusé à procéder à un contre-interrogatoire.

IV. Conclusions

37. La longueur des procès a fait de la rapidité le principal problème auquel est confronté le Tribunal. Lorsqu’il conçoit des mesures de nature à réduire la durée des procès, le Tribunal s’inspire davantage du système inquisitoire du droit romano -germanique que du système accusatoire de la common law. Cela s’explique principalement par le fait que le juge a généralement un rôle plus actif dans le système inquisitoire, et que les règles d’admission des témoignages y sont plus souples.

38. Toutefois, le système institué par le Statut et le Règlement pour la présentation des moyens de preuve reste un système essentiellement accusatoire. C’est ce qui ressort principalement des dispositions de l’article 16 du Statut qui prévoit la nomination d’un procureur indépendant responsable de l’instruction des dossiers et de l’exercice des poursuites, et des articles 84 (« Déclarations liminaires »), 85 (« Présentation des moyens de preuve ») et 86 (« Réquisitoire et plaidoiries  ») du Règlement, exposant les rôles distincts de l’Accusation et de la Défense.

39. L’article 92 bis du Règlement renferme les dispositions les plus ambitieuses et les plus radicales jamais adoptées pour accélérer les procès. Bien que cet article soit dans son ensemble conforme au Statut, il y a des cas où, si on n’y prend pas garde, son application risque de donner lieu à des récriminations pour violation du Statut. Le cas présent concernant l’exercice du pouvoir d’appréciation dans le cadre de l’article 92 bis E) du Règlement en est une illustration.

40. La faculté qu’a la Chambre de première instance de décider que le contre-interrogatoire mené dans une affaire antérieure est suffisant et qu’il n’est pas nécessaire de procéder à un contre-interrogatoire dans le procès en cours, porte, selon moi, indûment atteinte au droit d’un accusé à déterminer sa propre ligne de défense dans un système qui, malgré des procédures novatrices empruntées au système inquisitoire du droit romano-germanique, demeure essentiellement accusatoire. Cela risque de rompre l’équilibre entre les deux systèmes juridiques sur lesquels se fonde le système juridique sui generis du Tribunal.

41. À ma connaissance, il n’existe dans aucun système de droit interne de précédent à l’imputation à un accusé d’un contre-interrogatoire mené dans une affaire antérieure, à la préparation duquel il n’a pas participé. Il convient de noter que les affaires soumises à la Cour européenne ne portent pas sur cette question : elles portent sur le droit d’un accusé à procéder à un contre-interrogatoire sur la base de déclarations, dont les auteurs n’ont pas comparu au procès.

42. Le caractère international du Tribunal est souvent mis en avant pour expliquer qu’il s’affranchisse des procédures suivies par les juridictions nationales. Mais si l’on souhaite que l’accusé déféré devant le Tribunal ne soit pas pénalisé par rapport aux accusés jugés par les juridictions nationales, il est impératif de rester dans les limites du raisonnable et de ne s’y résoudre qu’en interprétant le Statut sur la base de la règle générale d’interprétation énoncée à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, ce qui bien entendu implique qu’il faille tenir compte du contexte dans lequel le Tribunal fonctionne.

43. Le principe d’équité des procès sanctionné par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Statut du Tribunal et les principaux instruments relatifs aux droits de l’homme est universel83. L’équité des procès au TPIY doit être absolue.

44. En résumé, je ne souscris pas à la décision de la Chambre parce que :

i) le fait d’imposer à un accusé en cours de jugement d’accepter un contre-interrogatoire mené dans une autre affaire porte atteinte au droit de déterminer sa ligne de défense que lui reconnaît le Statut. C’est pourquoi la Chambre de première instance devrait faire droit aux demandes d’admission de comptes rendus en permettant à l’accusé de procéder à un contre-interrogatoire, sous réserve des exceptions exposées au paragraphe 9 (supra),

ii) il est contraire aux droits de la défense de fonder une déclaration de culpabilité uniquement ou essentiellement sur des témoignages que l’accusé n’a pas eu la possibilité de contester84,

iii) dans le cas particulier des victimes des viols, leur témoignage versé sous forme de compte rendu constitue la seule ou la principale preuve des violences sexuelles perpétrées dans la municipalité de Foca. La Chambre de première instance peut ainsi conclure que les accusations portées dans cette partie de l’acte d’accusation ont été établies alors que l’accusé n’a pas contre-interrogé les victimes, ce qui est inadmissible. L’admission de témoignages sous forme de comptes rendus est certes un gage de rapidité mais le Procureur peut parvenir au même résultat en renonçant à présenter dans une affaire les comptes rendus de dépositions faites dans une affaire antérieure, au motif que l’événement auquel se rapportent les comptes rendus a déjà été suffisamment débattu devant la Chambre. Bien que ce ne soit pas toujours indiqué, je suis tout à fait convaincu que ce peut l’être dans certains cas, par exemple dans le cas des deux victimes de viols, qui a, selon moi, été déjà suffisamment débattu en audience, et a donné lieu à une déclaration de culpabilité à l’encontre de ceux qui étaient accusés d’avoir personnellement commis lesdits viols,

iv) dans les circonstances de l’espèce, le contre-interrogatoire est justifié parce qu’il n’y a pas identité d’intérêts entre l’accusé et les autres accusés jugés antérieurement, en particulier pour le viol des victimes. Si tel est le cas, la Chambre n’est guère fondée à conclure que le contre-interrogatoire mené dans l’affaire antérieure était suffisant. L’accusé a contesté les comptes rendus de dépositions et notamment sa responsabilité au regard de l’article 7 3) du Statut pour ce qui est des accusations de viol portées à l’encontre de Kunarac et de ses coaccusés,

v) Les éléments compensateurs, à savoir a) le fait que les témoignages ne se rapportent pas aux actes et au comportement de l’accusé, b) le fait qu’il a été procédé au contre-interrogatoire des mêmes témoins dans des procès antérieurs, et c) la faculté qu’a la Chambre d’accorder aux témoignages le poids qu’elle souhaite, ne sont pas suffisants pour corriger l’injustice faite à l’accusé en le privant de la possibilité de contre-interroger les témoins dont le compte rendu de déposition a été versé au dossier.

vi) Quelles que soient les circonstances, la décision de ne pas user du pouvoir que donne l’article 92 bis E) du Règlement d’autoriser le contre-interrogatoire des témoins dont le compte rendu a été versé au dossier aboutit à accélérer les débats aux dépens de l’équité, et ce en violation des articles 20 et 21 du Statut.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
___________
Patrick Robinson

Le 30 juin 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Le Procureur c/ Krnojelac, affaire n° IT-95-25-T ; le Procureur c/ Kunarac et consorts, affaire n° IT-96-23-T et IT-96-23/1-T.
2 - Le Procureur c/ Naletilic et Martinovic, « Décision relative à la notification par le Procureur de son intention de présenter des comptes rendus d’audience en application de l’article 92 bis D) du Règlement », affaire n° IT-98-34-PT, 9 juillet 2001, par. 7.
3 - Le Procureur c/ Galic, « Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté en vertu de l’article 92 bis C) du Règlement », affaire n° IT-98-29-AR73.2, 7 juin 2002.
4 - Le Procureur c/ Milosevic, IT-02-54-T, « Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’admettre des déclarations écrites en vertu de l’article 92 bis du Règlement », 21 mars 2002.
5 - Ibid., par. 22. Cette formulation a été adoptée dans la décision rendue dans l’affaire Galic (note de bas de page 28.
6 - « Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté en vertu de l’article 92 bis C) du Règlement », rendue dans l’affaire i (par. 9), qui porte sur l’admission de déclaration de témoins en application de l’article 92 bis A), quoique le même principe soit applicable à l’admission de comptes rendus de témoignages en application de l’article 92 bis D).
7 - Décision rendue dans l’affaire Galic, par. 10.
8 - Le Procureur c/ Tadic, Arrêt, affaire n° IT-94-1-A, par. 220 ; Le Procureur c/ Brdanin et Talic, « Décision relative à la forme du nouvel acte d’accusation modifié et à la requête de l’Accusation aux fins de modification dudit acte », affaire n° IT-99-36-PT, 26 juin 2001, par. 31.
9 - Décision rendue dans l’affaire Galic, par. 11.
10 - Décision rendue dans l’affaire Galic, par. 13. Les notes de bas de page n’ont pas été retranscrites.
11 - Compte rendu d’audience, 28 avril 2003, p. 19592.
12 - Compte rendu, p. 19598.
13 - Compte rendu, p. 19600.
14 - Compte rendu, p. 19615.
15 - Observations des amici curiae, par. 13.
16 - Ibid, par. 16 a) et d).
17 - Compte rendu, p. 19605 et 19606.
18 - Décision rendue dans l’affaire Galic, par. 12. Les notes de bas de pages n’ont pas été retranscrites. Toutefois, à la note de bas de page 34, la Chambre d’appel indique : « L’admission de déclarations écrites d’un témoin au lieu et place de son témoignage oral n’est pas incompatible avec l’article 21.4 e) du Statut du Tribunal » et mentionne, à l’appui de cette affirmation, l’article 6 3) d) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et diverses affaires portées devant la Cour européenne des droits de l’homme.
19 - Voir Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, « Décision relative à l’appel concernant la déclaration d’un témoin décédé », affaire n° IT-95-14/2-AR.73.5, 21 juillet 2000 ; Arrêt relatif au versement au dossier de sept déclarations sous serment et d’une déclaration certifiée, affaire n° IT-95-14/2-AR73.6, 18 septembre 2000.
20 - Décision rendue dans l’affaire Galic, par.16.
21 - CR, p. 19593.
22 - CR, p. 19598.
23 - Les conclusions des amici curiae, par. 16.
24 - CR, p. 19616.
25 - Requête de l’Accusation, par. 21.
26 - Ibid., par. 21.
27 - CR, p. 19593.
28 - CR, p. 19600.
29 - Le nombre de pages que compte le compte rendu de l’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire est le suivant : pour le témoin B-1121 (affaire Krnojelac ­ 150 pages de compte rendu pour son interrogatoire principal et 79 pages de compte rendu pour son contre-interrogatoire) ; le témoin B-1537 (affaire Krnojelac ­ 69 pages de compte rendu pour son interrogatoire principal et 19 pages de compte rendu pour son contre-interrogatoire) ; le témoin B-1538 (affaire Krnojelac ­ 122 pages de compte rendu pour son interrogatoire principal et 46 pages de compte rendu pour son contre-interrogatoire) ; le témoin B-1540 (affaire Krnojelac ­ 64 pages de compte rendu pour son interrogatoire principal et 25 pages de compte rendu pour son contre-interrogatoire) ; le témoin B-1542 (affaire Krnojelac ­ 131 pages de compte rendu pour son interrogatoire principal et 56 pages de compte rendu pour son contre-interrogatoire)  et le témoin B-1543 (affaire Kunarac – 67 pages de compte rendu pour son interrogatoire principal et 102 pages de compte rendu pour son contre-interrogatoire).
30 - Comme indiqué dans l’annexe A jointe à la Requête de l’Accusation, à l’exception de B-1537 (CR, p. 2416 à 2419) , de B-1538 (CR, p. 4151 et suite) et de B-1542 (CR, p. 1501 et suite).
31 - Annexe A jointe à la Requête de l’Accusation.
32 - Ibid.
33 - Le Procureur c/ Sikirica et consorts, « Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de verser au dossier des comptes rendus en application de l’article 92 bis du Règlement », affaire n° IT-95-8-T, 23 mai 2001, par. 4.
34 - Le Procureur c/ Milosevic, affaire n° IT-02-54-T, « Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’admettre des déclarations écrites en vertu de l’article 92 bis du Règlement », 21 mars 2002, par. 24 et  25.
35 - Décision Galic, par. 13.
36 - Le Procureur c/ Aleksovski, « Arrêt relatif à l’appel du Procureur concernant l’admissibilité d’éléments de preuve », affaire n° IT-95-95-14/1-AR73, 16 février 1999, par. 25.
37 - Supra, note de bas de page 29.
38 - CR, p. 15592 à 15593.
39 - CR, p. 15608 à 15609.
40 - Le Procureur c/ Tadic, « Décision sur la requête du Procureur en vue d’obtenir des mesures de protection pour le témoin R », affaire n° IT-94-1-T, 31 juillet 1996, p. 4.
41 - Ibid.
42 - Voir, par exemple, Le Procureur c/ Tadic, « Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par le Procureur aux fins d’obtenir des mesures de protection pour les victimes et les témoins », affaire n° IT-94-1-T, 10 août 1995 (la « Décision Tadic »), par. 215 ; Le Procureur c/ Brdanin et Talic, « Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection », affaire n° IT-99-36-PT (la « Décision Brdanin »), 3 juillet 2000, par. 20.
43 - Voir par exemple Le Procureur c/ Sikirica et consorts, « Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins de verser au dossier des comptes rendus en application de l’article 92 bis du Règlement », affaire n° IT-95-8-T, 23 mai 2001 (la « Décision Sikirica ») ; Le Procureur c/ Milosevic, « Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins d’admettre des déclarations écrites en vertu de l’article 92 bis du Règlement », affaire n° IT-02-54, 21 mars 2002 (la « Première Décision Milosevic ») et Le Procureur c/ Milosevic, « Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins de l’admission de comptes rendus d’audience au lieu et place de témoignages oraux, en application de l’article 92 bis D) du Règlement », affaire n° IT-02-54-T, 27 mars 2003.
44 - Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, « Motifs de la Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins de désignation d’un conseil », affaire n° IT-02-54-T, 4 avril 2003.
45 - Ibid, par. 20.
46 - L’article 21 du Statut du Tribunal (« Les droits de l’accusé ») dispose que :

1. Tous sont égaux devant le Tribunal international.
2. Toute personne contre laquelle des accusations sont portées a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des dispositions de l’article 22 du Statut.
3. Toute personne accusée est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie conformément aux dispositions du présent statut.
4. Toute personne contre laquelle une accusation est portée en vertu du présent statut a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes : a) à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle ; b) à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix ; c) à être jugée sans retard excessif ; d) à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer ; e) à interroger ou faire interroger des témoins à charge et à obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; f) à se faire assister gratuitement d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ; g) à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable.

47 - Faretta c/ California, 422 U.S. 806 (1975) (« Faretta »), p. 821-828.
48 - En l’espèce, les comptes rendus faisaient 600 pages, dont la moitié couvrait des contre-interrogatoires.
49 - Le Procureur c/ Galic, « Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté en vertu de l’article 92 bis C) du Règlement », affaire n° IT-98-29-AR73.2, 7 juin 2002 (la « Décision Galic »).
50 - Prosecution Motion for the Admission of Transcripts in Lieu of Viva Voce Testimony Pursuant to Rule 92 bis D), 10 janvier 2003 (la “Requête”).
51 - Ibid, par. 19.
52 - Décision, par. 26.
53 - Par exemple, Kostovski c/ Pays-Bas, Arrêt, 20 novembre 1989, Série A n° 166 (« Kostovski »), par. 44 ; Unterpertinger c/ Autriche, Arrêt, 24 novembre 1986, Série A n° 110 (« Unterpertinger »), par. 33 ; Lüdi c/ Suisse, Arrêt, 15 juin 1992, Série A n° 238 (« Lüdi »), par. 47 ; Saïdi c/ France, Arrêt, 20 septembre 1993, Série A n° 261-C (« Saïdi »), par. 44 ; Van Mechelen c/ Pays-Bas, Arrêt, 23 avril 1997, Recueil 1997-III (« Van Mechelen »), par. 63.
54 - Décision Galic, supra notes 7 et 34.
55 - Décision, note 18.
56 - Par exemple, Kostovski, supra note 11, par. 42 à 45 ; Unterpertinger, supra note 11, par. 31 à 33 ; Lüdi, supra note 11, par. 47 à 50 ; Saïdi, supra note 11, par. 44 ; Van Mechelen, supra note 11, par. 62 à 65 ; A M c/ Italie, Arrêt, 14 décembre 1999, Recueil 1999-IX, par. 26 à 28 ; Lucà c/ Italie, Arrêt, 27 février 2001, Recueil 2001-II, par. 40 à 45.
57 - Par exemple, Barberà, Messegué et Jabardo c/ Espagne, Arrêt, 6 décembre 1988, Série A n° 146 ; Kostovski, par. 41.
58 - Il n’est pas contraire aux paragraphes 3 d) et 1) d’utiliser comme éléments de preuve les déclarations recueillies durant la phase de mise en état de l’affaire, tant que l’accusé a eu : « une occasion adéquate et suffisante de contester un témoignage à charge et d’en interroger l’auteur, au moment de la déposition ou plus tard ». Kostovski, supra note 11, par. 41 ; Unterpertinger, supra note 11, par. 31 ; Lüdi, supra note 11, par. 47 ; Saïdi, supra note 11, par. 43 et 44.
59 - Par exemple, dans l’affaire Unterpertinger, une infraction a été constatée car la condamnation pour agression était principalement fondée sur les déclarations écrites du plaignant. Unterpertinger, supra note 11, par. 33.
60 - Le Procureur c/ Kunarac et consorts
, affaire n° IT-96-23-T & IT-96-23/1-T.
61 - Supra, par. 16.
62 - Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac et consorts, Jugement, affaire n° IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, 22 février 2001 (le « Jugement Kunarac »).
63 - « [O]n s’est efforcé de trouver un juste milieu entre l’attention qu’il convient d’accorder à la protection des victimes et des témoins et le respect des droits de l’accusé. La conclusion à laquelle on est parvenu est que l’article 20.1 du Statut du Tribunal donne la préséance aux droits de l’accusé (qui doivent être « pleinement respectés ») sur le besoin de protéger les victimes et les témoins (protection qui doit être « dûment assurée ») ». Voir Le Procureur c/ Nikola Sainovic & Dragoljub Ojdanic, « Opinion dissidente du Juge David Hunt relative à la mise en liberté provisoire », affaire n° IT-99-37-AR65, 30 octobre 2002, par. 73 (notes de bas de page omises). L’Opinion a été jointe en annexe à la Décision prise à la majorité par la Chambre d’appel s’agissant de l’appel interjeté par le Procureur de la décision par laquelle cette Chambre de première instance accordait la mise en liberté provisoire à Sainovic et Ojdanic (Le Procureur c/ Nikola Sainovic & Dragoljub Ojdanic, « Decision on Application of Nikola and Dragoljub Ojdanic for Provisional Release », affaire n° IT-99-37-PT, 16 juillet 2002).
64 - Sikirica, supra note 1, par. 4.
65 - Première Décision Milosevic, supra note 1, par. 24 et 25.
66 - Faretta, supra note 5.
67 - Requête, supra note 6, par. 19.
68 - Comptes rendus (« CR »), p. 19612.
69 - CR, p. 19615.
70 - CR, p. 19615 et 19616.
71 - CR, p. 19616.
72 - Ibid.
73 - C’est ce qu’a répondu l’accusé au Juge Robinson quand ce dernier lui a dit qu’il ne souhaitait sans doute pas mettre en cause les faits constitutifs des viols, mais l’identité de ceux qui les avaient commis (CR, p. 19616).
74 - Par exemple, déposition du témoin B-1405, CR p. 18221 et 18222.
75 - Supra, par. 27.
76 - Voir supra, Décision prise à la majorité, par. 41.
77 - Jugement Kunarac, supra note 18, par. 629.
78 - Ibid, par. 745.
79 - Aux termes de l’article 7 1) du Statut, quiconque a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à 5 du présent statut est individuellement responsable dudit crime.
80 - Aux termes de l’article 7 3) du Statut, le fait que l’un quelconque des actes visés aux articles 2 à 5 du présent statut a été commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de sa responsabilité pénale s’il savait ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou en punir les auteurs.
81 - Kunarac a en effet contesté son identification au procès. Affaire n° IT-96-23-T, CR, p. 1346 à 1355.
82 - Voir le deuxième point du paragraphe 29 de la présente opinion.
83 - L’article premier, paragraphe 5 de la Déclaration et du Programme d’action de Vienne, tel qu’adopté à la Conférence mondiale sur les droits de l’homme le 25 juin 1993, dispose que : « Tous les droits de l’homme sont universels, indissociables, interdépendants et intimement liés. La communauté internationale doit traiter des droits de l’homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d’égalité et en leur accordant la même importance. S’il convient de ne pas perdre de vue l’importance des particularismes nationaux et régionaux et la diversité historique, culturelle et religieuse, il est du devoir des États, quel qu’en soit le système politique, économique et culturel, de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. » UN doc.A/CONF.157/23.
84 - Supra, par. 16.