Affaire n° : IT-02-54-T
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président
M. le Juge Patrick Robinson
M. le Juge O-Gon Kwon

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
21 novembre 2003

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

_________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA QUATRIÈME REQUÊTE GLOBALE DE L'ACCUSATION AUX FINS DE MODIFIER SA LISTE DE TÉMOINS ET D’OBTENIR DES MESURES DE PROTECTION

_________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
Mme Hildegaard Uertz-Retzlaff
M. Dermot Groome

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Amici Curiae :

M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Michaïl Wladimiroff

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la quatrième requête globale de l’Accusation aux fins de modifier sa liste de témoins et d’obtenir des mesures de protection en faveur de certains témoins (Prosecution’s Fourth Omnibus Motion for Leave to Amend the Witness List and Request Protective Measures for Witnesses Named Herein) (la « Requête »)1, déposée le 31 octobre 2003 à titre confidentiel et partiellement ex parte, par laquelle l’Accusation sollicite les mesures suivantes :

a) l’autorisation de déposer sa Requête dont le nombre de page excède la limite autorisée ;

b) l’autorisation d’ajouter 35 témoins à sa liste de témoins, des motifs sérieux pour ce faire existant ;

c) s’agissant de 12 des 35 témoins en question, au sujet desquels l’Accusation affirme ne pas être en mesure de dire s’ils sont aptes ou disposés à témoigner, quelle est la valeur de leur témoignage éventuel ni quelles sont les mesures de protection à demander, elle demande à la Chambre d’autoriser, à titre provisoire, leur ajout sur la liste, sous réserve des précisions que l’Accusation lui fournira quand elle le pourra ;

d) notification de la suppression de 97 témoins de la liste ;

e) la non-divulgation de l’identité de cinq témoins détenant des informations sensibles, comme le permet l’article 69 du Règlement ;

f) l’octroi à quatre témoins de mesures de protection prévues par l’article 75 du Règlement : l’altération de l’image et de la voix pour B-224 et B-235 et l’altération de l’image pour B-1803 et B-1804 ; et

g) le maintien du huis clos comme mesure de protection pour les cinq témoins qui ont déposé dans des affaires antérieures (B-1254, B-1717, B-1761, B-1799 et B-1805),

VU la Réponse à la Requête (Amici Curiae Reply to Confidential and Partly Ex Parte Prosecution’s Fourth Omnibus Motion for Leave to Amend the Witness List and Request Protective Measures for Witnesses Named Herein Dated 31 October 2003), déposée par les amici curiae le 6 novembre 2003 (la « Réponse  »), par laquelle ces derniers avancent que l’ajout de témoins n’a pas été justifié par des motifs sérieux et font valoir les arguments suivants :

a) Aucune ordonnance n’a été rendue ni aucune date fixée pour l’audition des témoins supplémentaires et, étant donné le temps qui lui reste pour la présentation de ses moyens de preuve, l’Accusation ne peut (elle l’a elle-même reconnu) appeler tous les témoins figurant actuellement sur la liste qu’elle a dressée en application de l’article 65 ter du Règlement, de sorte que l’on ne sait toujours pas avec exactitude quels sont les témoins qu’elle entend citer à comparaître (ce qui était l’objet même de l’Ordonnance rendue par la Chambre le 30 septembre) ;

b) La Requête ne fait qu’accroître le volume déjà considérable de pièces dont l’accusé essaye de venir à bout ;

c) Ce manque de précision quant aux témoins que l’Accusation entend citer pourrait empêcher l’accusé de bien se préparer en vue de leur contre-interrogatoire et de la présentation des moyens à décharge ;

d) L’ajout des témoins pourrait porter atteinte au droit de l’accusé à un procès équitable ;

e) La Chambre de première instance devrait ordonner à l’Accusation de désigner, dans un délai de 48 heures, tous les témoins qu’elle entend citer pour clore la présentation de ses moyens ; et

f) Le délai de 10 jours demandé pour la divulgation de l’identité des témoins détenant des informations sensibles est, à ce stade du procès, trop court pour que l’accusé puisse se préparer en vue de confronter des témoins bénéficiant de telles mesures de protection.

VU les conclusions ultérieures de l’Accusation, présentées les 11 et 12 novembre, au sujet de sa liste de témoins « définitive » et de sa liste confidentielle des témoins qu’elle entend citer pour clore la présentation de ses moyens (Witness Schedule to End of Prosecution Case), produite le 12 novembre 2003, dans laquelle figurent les témoins que l’Accusation entend citer et les dates qu’elle prévoit pour leur audition2,

Témoins supplémentaires

VU la décision de n’autoriser l’admission de pièces supplémentaires de l’Accusation que sur présentation de motifs sérieux, prise par la Chambre de première instance suite au dépôt, par l’Accusation, des pièces préalables au procès concernant les volets consacrés à la Croatie et à la Bosnie3,

ATTENDU que la Chambre de première instance, après avoir vérifié, pour chaque témoin que l’Accusation propose d’ajouter, si des motifs sérieux avaient été présentés, décide ce qui suit :

a) Pour les témoins B-241, C-1249, B-236, B-1464, B-1800, B-187, B-237, B-242, B-1791, B-1801, B-1802, et B-240, qui font l’objet d’une demande d’ordonnances provisoires, la Chambre de première instance refuse de rendre de telles ordonnances, qui sont hypothétiques et ne se justifient donc pas. En outre, la demande d’ajouter les témoins B-1807, B-1806, B-1717 et C-071 repose elle aussi sur des conjectures et elle est donc rejetée ;

b) S’agissant des témoins B-224, B-235, B-1797, B-1254 et B-1799, l’Accusation est tenue, dans les sept jours, d’expliquer en quoi il convient à présent d’ajouter leur nom à la liste de témoins ;

c) Les témoins C-038, B-239, B-238, B-1809, B-1731, B-1803, B-1804, B-1805 et B-1810 peuvent être ajoutés à la liste de témoins car la Chambre de première instance estime que des motifs sérieux ont été présentés pour chacun d’entre eux, dans la mesure où ce n’est que tout récemment que ces témoins ont accepté de déposer, qu’ils sont disponibles pour ce faire, ou que leur témoignage s’est révélé intéressant  ;

d) l’intérêt des témoignages de B-1245, B-1811 et B-1310 n’est pas démontré et la demande d’ajouter leur nom à la liste de témoins est rejetée ;

e) S’agissant du témoin B-1761, l’Accusation n’a pas présenté de motifs sérieux justifiant l’ajout de son nom à la liste de témoins,

f) S’agissant du témoin B-1808, qui doit être cité à comparaître en qualité d’expert en matière de génocide, la Chambre de première instance examinera son rapport d’expert lorsqu’il sera présenté et décidera ensuite si ce témoin peut être ajouté la liste de témoins.

Mesures de protection

ATTENDU que l’Accusation se fonde sur les articles 69, 75 et 79 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement ») pour solliciter des mesures de protection,

VU les Annexes jointes à la Requête à titre confidentiel et ex parte, dans lesquelles l’Accusation définit la nature des témoignages envisagés et expose les raisons motivant les demandes de mesures de protection,

ATTENDU que, dans sa décision du 13 mars 2003 et dans des décisions antérieures, la Chambre de première instance a défini avec précision les conditions préalables qui doivent être remplies pour qu’elle puisse accorder les mesures particulières sollicitées4, et qu’elle les appliquera aux mesures sollicitées en l’espèce,

ATTENDU que la Chambre de première instance a appliqué les conditions pertinentes et a jugé que le report demandé pour la divulgation de l’identité des témoins C- 038, B-2245, B-2356 et B-239 nommés dans l’Annexe A confidentielle jointe à la Requête est une mesure de protection appropriée, qui ne va pas à l’encontre des droits de l’accusé, sauf dans la mesure où, étant donné le peu de temps dont disposerait l’accusé pour préparer le contre-interrogatoire des témoins avant la fin de la présentation des moyens de l’Accusation et l’incapacité de cette dernière à fournir une liste définitive des témoins qu’elle citera à comparaître, le délai de divulgation est fixé à 30 jours pour les amici curiae et à 21 jours pour l’accusé et ses conseillers. La décision de la Chambre s’explique par l’existence d’un risque réel pour la sécurité des témoins et l’importance de leur témoignage,

ATTENDU, en outre, que, s’agissant de la demande aux fins d’ordonner à l’accusé et à ses conseillers de ne pas communiquer à des tiers relatifs à deux témoins des documents à des tiers, sauf dans la mesure où cette divulgation est directement et spécifiquement nécessaire à la préparation et à la présentation de la défense (et, s’agissant des amici curiae, dans la mesure où elle est nécessaire pour assister la Chambre), et d’obtenir des engagements de non-divulgation avant de communiquer les documents, la Chambre de première instance y fait droit, au motif que cette mesure concerne une catégorie particulière et limitée de témoins7,

ATTENDU que, lorsque des mesures de protection ont été accordées en faveur d’un témoin dans des affaires antérieures devant le Tribunal international, on peut raisonnablement s’attendre (même si cela dépend toujours des circonstances propres à chaque demande) à ce que ce témoin continue à en bénéficier lorsqu’il déposera dans des affaires ultérieures,

ATTENDU, par conséquent, que les témoins désignés par le pseudonyme B-1254 8, B-1717 et B-1805, qui se sont vu octroyer le huis clos comme mesure de protection dans des procédures antérieures, continueront d’en bénéficier en l’espèce9,

ATTENDU que la Chambre de première instance est convaincue que les mesures de protection sollicitées pour la durée du procès (l’altération de l’image et de la voix pour B-224 et B-235 ; l’altération de l’image pour B-1803 et B-1804) sont compatibles avec les droits de l’accusé10,

EN APPLICATION des articles 54, 73 bis, C), 89 C), 69, 75 et 79 du Règlement,

ORDONNE ce qui suit :

1) Il est fait droit à la demande de l’Accusation de dépasser la limite autorisée pour le nombre de pages de la Requête ;

2) Il est pris note de la suppression des 97 témoins désignés dans l’Annexe A confidentielle de la Requête ;

3) Les témoins suivants peuvent être ajoutés à la liste de témoins :

C-038, B-239, B-238, B-1809, B-1731, B-1803, B-1804, B-1805 et B-1810

4) Les témoins suivants ne peuvent pas être ajoutés à la liste de témoins :

B-241, C-1249, B-236, B-1464, B-1800, B-187, B-237, B-242, B-1791, B-1801, B -1802, B-240, B-1807, B-1806, B-1717, C-071, B-1245, B-1811, B-1310 et B- 1761

5) Il sera statué sur la demande d’ajouter les témoins suivants, lorsque l’Accusation aura fourni dans les sept jours davantage d’informations :

B-224, B-235, B-1797, B-1254 et B-1799

6) La chambre se prononcera sur la demande d’ajouter le témoin B-1808 lorsque l’Accusation aura produit son rapport d’expert ;

7) La version non expurgée des déclarations des témoins C-038, B-224, B-235 et B-239 et les pièces à conviction y afférentes seront communiquées aux amici curiae au plus tard 30 jours avant la date prévue pour l’audit du témoin en question est censé déposer, ainsi qu’à l’accusé et ses conseillers au plus tard 21 jours avant cette date ;

8) il est interdit à l’accusé et à ses conseillers de communiquer à des tiers les déclarations des témoins C-038, B-224, B-235 et B-239 et les pièces à conviction y afférentes, sauf dans la mesure où cette divulgation est directement et spécifiquement nécessaire à la préparation et à la présentation de la défense (ou, s’agissant des amici curiae, dans la mesure où cette divulgation est nécessaire pour assister la Chambre de première instance), et

9) l’accusé, ses conseillers et les amici curiae sont tenus d’obtenir des tiers des engagements de non-divulgation (engagement établi par l’Accusation) comme condition préalable à la communication des déclarations des témoins et des pièces à conviction y afférentes ;

10) Le huis clos, accordé aux témoins B-1254, B-1799 et B-1805 dans des affaires antérieures, est maintenu ; et

11) Les mesures de protection sollicitées pour la durée du procès sont accordées (l’altération de l’image et de la voix pour B-224 et B-235 ; l’altération de l’image pour B-1803 et B-1804).

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Richard May

Le 21 novembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Le 11 novembre 2003, l’Accusation a déposé un corrigendum à la Requête, par lequel elle rectifiait des erreurs dans les références relatives à certains témoins. Il convient de noter que la Requête continue de présenter des incohérences au sujet de certains témoins faisant l’objet d’une demande de mesures de protection. La présente Décision porte sur la version corrigée et, dans la mesure du possible, se réfère au pseudonyme exact des témoins en faveur desquels l’Accusation sollicite des mesures.
2 - Il convient de noter que cette liste est en soi sujette à modification en fonction du rythme de présentation des éléments de preuve, de la disponibilité des témoins et de l’accueil que la Chambre de première instance réservera à la Requête.
3 - « Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins d’obtenir l’accord de la Chambre de première instance relatif à la modification du calendrier des dépôts », 18 avril 2002, p. 3.
4 - Voir la « Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins de modifier sa liste de témoins et d’obtenir des mesures de protection en faveur de témoins détenant des informations sensibles », 13 mars 2003. Voir également les décisions auxquelles renvoie la Chambre dans cette Décision s’agissant de mesures de protection relevant de l’article 69 du Règlement, à savoir : Le Procureur c/ Milosevic, « Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection provisoires en application de l’article 69 du Règlement », rendue le 19 février 2002 (la « Première Décision ») ; « Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins de mesures de protection pour des victimes et des témoins », rendue le 19 mars 2002 (la « Deuxième Décision »), et le document intitulé « Second Decision on Protective Measures for Sensitive Witnesses », 6 juin 2003.
5 - La Chambre se prononcera sur l’ajout de ce témoin à la liste lorsqu’elle aura reçu des informations supplémentaires.
6 - Ibid.
7 - Telle est la position que la Chambre de première instance a toujours adoptée en la matière. Voir, en l’espèce, la « Décision relative à la Requête de l’Accusation aux fins de modifier sa liste de témoins et d’obtenir des mesures de protection en faveur de témoins détenant des informations sensibles », 13 mars 2003, et le document intitulé « First Decision on Protective Measures for Sensitive Source Witnesses », 3 mai 2003.
8 - La Chambre se prononcera sur l’ajout de ce témoin à la liste lorsqu’elle aura reçu des informations supplémentaires.
9 - Les témoins B-1761 et B-1799, pour lesquels de telles mesures ont été demandées, se seraient vu accorder le maintien des mesures de protection dont ils ont bénéficié jusqu’ici. Cependant, il n’est pas fait droit à la demande de les ajouter à la liste de témoins.
10 - Des demandes ont été présentées pour que les témoins suivants se voient accorder des pseudonymes en l’espèce : B-241, C-1249, B-1464, B-1800, B-187, B-237, B-242, B-1791, B-1801, B-1802, B-240 et B-236. Il n’a pas été fait droit à la demande d’ajout de ces témoins à la liste de témoins et, par conséquent, ces demandes ne seront pas examinées.